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Mémoires d ’aveugle

L ’autoportrait et autres ruines

PARTI P R IS
Sommaire

7 Avant-propos

Jacques Derrida
9 Mémoires d ’aveugle
L ’autoportrait et autres ruines

131 Catalogue des œuvres exposées


139 Index général des artistes cités
140 Bibliographie
141 Expositions

Les n u m é ro s d ’illu stratio n portés en m a rg e d u texte d e Jacques D e rrid a se réfèren t à la fois


aux œ uvres qu i sont exposées et aux œ uvres q u i ne sont q u e rep ro d u ites. Les œ uvres
exposées font l'objet d ’une deu x ièm e n u m éro ta tio n placée e n tre parenthèses d an s les
légendes des illustrations. Ces n u m éro s c o rresp o n d en t aux cartels de l’exposition.
Avec les Mémoires d ’aveugle de Jacques Derrida, le Département des Arts
Graphiques inaugure une série d ’expositions d ’un genre un peu nouveau,
que I on dénom mera, faute de mieux, Parti Pris, tant la formule, même
convenue, a le mérite de la clarté* La règle du jeu est assez simple : confier
le choix d ’un propos et des dessins qui le justifient, pris pour Tcsscntiel dans
les collections du Louvre, à une personnalité notoire pour son aptitude au
discours critique, si divers en soient les modes. Le terme de choix ne saurait
relever d une quelconque dilection personnelle, où triompheraient les
effusions gratuites de la subjectivité, mais d ’une méditation raisonnée sur la
vertu démonstrative de l’œuvre, sa valeur argumentaire. T o u t naturelle*-
0
ment, les membres de la conservation sont étroitement associés à ces
expositions et prêtent au commissaire leur connaissance du tonds, mais la
liberté de l’auteur reste souveraine, admise d ’entrée de jeu comme un
principe intangible. On pourra, certes, s’interroger sur la raison d ’un tel
projet. Pourquoi la parole d ’un profane dans un domaine où prime celle du
spécialiste ? Poser la question, c’est donner la réponse. Admettre que l’art
s’accommode mal des monopoles, lussent-ils érudits, et que les historiens
peuvent convenir que leur exégèse gagne à s’enrichir d ’autres approches,
d ’un autre regard. Cette première exposition, qui parle d ’aveugles et
d'illuminés, vaut ici métaphore. La réflexion de Jacques Derrida se porte au
cœur des phénomènes de la vision, de la cécité à l’évidence. Sans doute
faudra-t-il parfois consentir un effort de lecture dans des registres dont
l’amateur n est pas nécessairement familier. Mais s’il n ’advenait pas au jeu
d ’être difficile, n ’en serait-il pas moins ludique ? On peut toutefois tenir
pour acquis q u ’au terme du parcours chacun trouvera sa lumière : ce q u ’on
apprend ici, au propre comme au figuré, ce sont les voies du dessdlement.
Françoise Viatte
Conservateur en Chef du Département des Arts Graphiques

Régis Michel
Conservateur du Département des Arts Graphiques

A l’amitié de Jean Galard, C h e f du Service Culturel du Louvre, le


Département des Arts Graphiques doit sa rencontre avec Jacques Derrida,
qui est à l’origine de cette exposition.

7
Mémoires d'aveugle

j ’écris sans voir. Je suis venu. Je voulais vous baiser la main (...) Voila la première
fois que j ’écris dans les ténèbres (...) sans savoir si je fo rm e des caractères. Partout
où il n ’y aura rien. Usez que je vous aime.
Diderot, Lettre à Sophie Volland, Jü juin 1759

(...) 4t

— Vous croyez ? Depuis le début de cette entrevue, vousobserverez que


j’ai du maUà vous suivre, je reste sceptique...

— Mais c’est de scepticisme que je vous entretiens, justement, de la


différence entre croire et voir, croire voir et entrevoir — ou pas. Avant que
le doute ne devienne un système, la sfepsis est chose des yeux, le mot désigne
une perception visuelle, l’observation, la”vigilance, l’attention du regard au
cours de 1examen. O n guette, on réfléchit à ce qu on voit, on réfléchit ce
q u ’on voit en retardant le mom ent de conclure. Gardant la chose en vue, on
Ta regarde. Le jugem ent est suspendu à l'hypothèse. Pour ne pas les oublier
en chemin et que les choses soient claires, je récapitule : il y aurait donc deux
hypothèses.
-T ' "* I

—-Vous semblez redouter la vision monoculaire des choses. Pourquoi


pas un seul point de vue ? Pourquoi deux hypothèses ?

— Les deux se croiseront, mais sans jamais se confirmer l'une l’autre,


sans la moindre certitude, dans une conjecture à la fois singulière et
générale, Yhypothèse de la vue , rien de moins.

— Hypothèse de travail ? Hypothèse d ’école ?

— Les deux, sans doute, mais non plus au titre de suppositions (une
hypothèse, comme son nom l'indique, est supposée, présupposée). Non plus
sous les pas, donc, au cours d une démarche, mais devant moi, comme
envoyées en reconnaissance : deux antennes ou deux éclaireurs pour
m ’orienter dans l’errance, le tâtonnement, la spéculation qui s’aventure,
Jacques D e r r i d a

juste pour voir, d un dessin à l’autre. Je ne suis pas sûr de tenir à démontrer.
Sans trop chercher à vérifier en vue d ’emporter votre conviction, je vous
I raconterai plutôt u ne h istoire et vous décrirai un point de vue. Le point de
^ vue sera mon thème.

— Devrai-je écouter seulement ? ou observer ? vous regarder en silence


me montrer des dessins ?

— Les deux, une fois de plus, ou entre les deux. Je vous ferai observer
que la lecture ne procède pas autrement. Elle écoute en regard ant. Voici
I <- Ky r 'i une première hypothèse : le dessin est aveugle, sinon le dessinateur ou la
. dessinatrice. En tant que telle et dans son m om ent propre, l’opération du
^ fri S* v ^ dessin aurait quelque chose à voir avec l’aveuglement. Dans cette hypothèse
aboculatre (aveugle vient de ab oculis : non pas depuis ou par les yeux mais
sans les yeux), il reste à entendre ceci : l’aveugle peut être un voyant, il a
parfois vocation de visionnaire. Deuxième hypothèse, greffe de l’œil, grefle
d ’un point de vue sur l’autre : un dessin A'aveugle est un dessin ^/'aveugle.
Double génitif. Il n ’y a là nulle tautologie mais une fatalité de l’autoportrait.
2 4 ky ' * Chaque fois q u ’un dessinateur se laisse fasciner par l’aveugle, chaque fois
txvOA* T~ q u ’il fait de l’aveugle un thème de son dessin, il projette, rêve ou halluciné
** une figurecle dessinateur ou parfois, plus précisément, quelque dessinatrice.
Plus précisément encore, il commence à représenter une puissance dessina­
trice à l'œuvre, l’acte même du dessin. Il invente le dessin. Le trait alors ne
se paralyse pas dans la tautologie qui plie le même au même. Au contraire,
il est en proie à Yallégorie, à cet étrange autoportrait du dessin livré à Ja
4 parole et au regard de l’autre. Sous-titre de toutes les scènes d ’aveugle,
donc : l'origine du dessin. O u, si vous préférez, la pensée du dessin, une
certaine pose pensive, une mémoire du trait qui spécule en songe sur sa
propre possibilité. Sa puissance se développe toujours au bord de l’aveugle­
ment. L ’aveuglement y perce, il y gagne justement en puissance : angle de
vue menacée ou promise, perdue ou rendue, donnée. Il y a en ce don comme
<V u n re-trait, à la fois l’interposition d ’un miroir, la réappropriation ou le deuil
impossibles, l’intervention d'un Narcisse paradoxal, parfois perdu en abyme ,
bref un repli spéculaire — et un trait supplémentaire. Il vaut mieux
surnom m er en italien cette hypothèse du retrait en mémoire de soi à perte
de vue : l’autoritratto du dessin.
Pour cette raison même, vous me pardonnerez de commencer au plus
près de moi.

10
Mémoires d'aveugle

Par accident, et parfois au bord de l'accident, il m ’arrive d ’écrire sans


voir. Non pas les yeux fermés, sans doute. Mais ouverts et désorientés dans
la nuit ; ou le jour, au contraire, les yeux fixés sur autre chose en regardant
ailleurs, devant moi par exemple quand je suis au volant : je griffonne alors
quelques traits nerveux de la main droite, sur un papier accroché au tableau
de bord ou traînant près de moi sur le siège. Quelquefois, toujours sans voir,
sur le volant même. Ce sont des notations pour mémoire, des graffiti
illisibles, on dirait ensuite une écriture chiffrée.
Que se passe-t-il q u a n d on écrit sans voir ? Une main d ’aveugle €^a i V
s’aventure solitaire ou dissociée, dans un espace mal délimité, elle tâte, elle*
palpe, elle caresse autant qu elle inscrit, elle se fie à la mémoire des signes et
supplée la vue, comme si un œil sans paupière s’ouvrait au bout des doigts :
l’œil en trop vient de pousser tout près de l’ongle, un seul œil, un œil de
borgne ou de cyclope. ïl dirige le tracé, cest une lampe de mineur à la
pointe de lecriture, un substitut curieux et vigilant, la prothèse d ’un voyant
lui Inêtne invisible. Du mouvement des lettres, de ce q u ’inscrit ainsi cet œil
au doigt, l'image sans doute s esquisse en moi. Depuis le retrait absolu d ’un
centre de com m andem ent invisible, un pouvoir occulte assure à distance
une sorte de synergie. Il coordonne les possibilités de voir, de toucher, de
mouvoir. Et d ’entendre, car ce sont déjà des mots d ’aveugle que je dessine
ainsi. Il faut toujours rappeler que le mot, le vocable s’entend, le
phénomène sonore reste invisible en tant que tel. Préoccupant en nous le
temps plutôt que l’espace, il ne s’adresse pas seulement d ’aveugle à aveugle,
comme un code pour non-voyant, il nous parle en vérité, tout le temps, de
l’aveuglement qui le constitue, Lc^Jangagc sc ^paxie. cda. -veut d u e de
dit. t
l’aveuglement, fl nous parle toujours de l'aveuglement qui le constitue. Mais
—------£----- — ------ ^ \ ^ ; j---- 1
quand de surcroît j’écris sans voir, lors de 1 expérience exceptionnelle que
i
j’évoquais à l’instant, dans la nuit ou les yeux ailleurs, un schème déjà
s’anime dans mon souvenir. Virtuel, potentiel, dynamique, ce graphique
passe toutes les frontières des sens, son être-en-puissance est à la fois visuel
et auditif, moteur et tactile. Plus tard, sa forme apparaîtra au jour comme
une photographie développée. Mais pour l'instant, en ce m om ent même où
j’écris, je ne vois littéralement rien de ces lettres.
Si rares ou théatrâles qu'elles soient, je les disais « accidentelles », ces
expériences s’imposent néanmoins comme une mise en scène exemplaire.
L'extraordinaire nous rappelle à l'ordinaire d e ce qui arrive tous les jours, à
l’expérience du jour même, à ce qui toujours conduit l’écriture à travers la
nuit, plus loin que le visible ou le prévisible. « Plus loin » peut signifier ici

II
facqucs D e r rid a

l'excès ou la privation. Plus de savoir, plus de pouvoir : l'écriture se livre


plutôt à Yanticipation. Anticiper, c’est prendre les devants, prendre (capere)
d ’avance (ante). À la différence de la précipitation, qui expose la tête (prae-
caput), la tête en avant, la tête la première, l’anticipation serait plutôt chose
de la main. Le thème des dessins d ’aveugle, c’est avant tout la main. Celle-ci
s'aventure, elle se précipite, certes, mais cette fois *2 la place de la tête, comme
pour la précéder, prévenir et protéger. Garde-fou. L ’anticipation garde de
la précipitation, elle fait une avance à l’espace pour être la première à
prendre, pour se porter en avant dans le mouvement de la prise, du contact
ou de l’appréhension : un aveugle debout explore à tâtons l’étendue qu'il
doit reconnaître sans la connaître encore — et ce q u ’il appréhende en vérité,
c ’est le précipice, la chute — et d'avoir déjà franchi quelque ligne fatale, à
main nue ou armée (l’ongle, la canne ou le crayon). Si dessiner un aveugle,
c’est d ’abord montrer des mains, c’est donner ainsi à rem arquer ce que l'on
dessine à l'aide de ce avec quoi l’on dessine, le corps propre comme
instrument, le dessinant du dessin, la main des manipulations, des
manœuvres, des manières, les jeux de main ou le travail de la main, le
dessin comme chirurgie. Que veut dire « avec » dans l’expression « dessiner
avec des mains » ? Presque tous les dessins d ’aveugles pourraient s’intituler
« Dessin avec main » comme on dirait « Le dessin à la main », par exemple
selon la syntaxe de * L'autoportrait dit à l'abat-jour » de Chardin.
Voyez les aveugles de Coypel, Ils portent tous les mains en avant, leur
geste oscille dans le vide entre la préhension, l’appréhension, la prière et
l’imploration.

— L ’imploration et la déploration, ce sont aussi des expériences de l’œil.


Me parlerez-vous des larmes ?

— Oui, plus tard, puisqu’elles disent quelque chose de l'œil qui n ’a plus
rien à voir avec la vue, à moins q u ’elles ne la révèlent encore en la voilant.
Mais regardez encore les aveugles de Coypel. C om m e tous les aveugles, ils
doivent s 'avancers c’est-à-dire s’exposer, courir l’espace comme on court un
risque. Us appréhendent l’espace de leurs mains avides, errantes aussi, ils y
dessinent de façon à la fois prudente et audacieuse, ils calculent, ils
comptent avec l’invisible. De la plupart d ’entre eux — oui, d ’entre eux, car
les aveugles glorieux de notre culture sont presque toujours des hommes, de
« grands aveugles », comme si la femme voyait peut-être à ne jamais
risquer la vue, et l’absence de « grandes aveugles » ne sera pas sans

12
2. Antoine Coypel. Etude d ’aveugle, rmisce du I x>uvre.
(n“ 2 de l'exposition)

3. Antoine T rouvain, d'après A ntoine Coypel.


L e Christ guérissant les aveugles de Jéricho. Bibliothèque nationale.
Mémoires d'aveugle

conséquence pour nos h ypothèses^— , on dirait q u ’ils ne se perdent pas


dans l’errance absolue. Ils explorent — et cherchent à prévoir là où ils ne
voient pas, ne voient plus ou ne voient pas encore. L'espace des aveugles
conjugue toujours ces trois temps de mémoire. Mais simultanément, par
exemple dans les dessins préparant Le Christ guérissant les aveugles de 2,3
Jéricho, les hommes de Coypel ne cherchent pas ceci ou cela : ils implorent
l’autre, l’autre main, la main secourable ou la main charitable, la main de
l’autre qui leur promet la vue. Ils voudraient suivre le regard de l’autre
qu'ils ne voient pas. Ils voudraient prévoir là où ils ne voient pas encore, soit
pour éviter de tomber, au sens physique de la chute, soit pour se relever
d ’une chute spirituelle, et c’est alors, en face d'eux, Jésus qui tend la main,
lui dont le ministère lut d'abord d ’annoncer « aux aveugles le recouvrement
de la vue »{2). « ‘‘Recouvre la vue, ta foi t ’a sauvé”, dit le Christ à l'aveugle de
Jéricho. A l’instant il recouvra la vue et suivit Jésus, en glorifiant Dieu.
Le maître de vérité, c’est celui qui voit et guide l’autre vers la lumière
spirituelle : « Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? N e tom be­
ront-ils pas tous deux dans une fosse ? Le disciple n ’est pas plus que le
maître ; mais tout disciple accompli sera comme son maître. Pourquoi vois-
tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n ’aperçois-tu pas la poutre qui
est dans ton œil ? »w.
Un dessinateur ne peut pas ne pas être attentif au doigt et à l’œil,
surtout à ce qui touche l’œil, à ce qui le touche du doigt pour donner enfin à
voir. Jésus guérit parfois les aveugles par simple attouchement, comme s’il
lui suffisait de dessiner dans l’espace le contour des paupières pour leur

(1) Ceci n'est pas une troisième hypothèse, mais une hypothèse supplémentaire, une conjecture
d'appoint. Elle n’excède les deux autres que pour y revenir afin de les compléter. Toujours
comme hypothèses de lu vue. hSien sûr, il y a des femmes aveugles, et dont on parle, mais peu,
justement. M y en a peu et on en parle peu. Des saintes, plutôt que des héros. Il y a sainte Lucile,
la Sicilienne du IVe siècle. Elle avait lait vœu de virginité. A cause de son nom, et parce que ses
persécuteurs l’auraient rendue aveugle, on l'implore pour guérir les affections de la vue. Ses
yeux seraient gardés comme des reliques à l’église San Giovanni Maggiore de Naples. Il y a
aussi sainte Odile, aveugle menacée de mort par son père, baptisée en cachette par un évêque
sur l'ordre de Dieu qui lui rend alors la vue. D ’autres encore, sans doute, mais ni la culture
biblique ni la culture grecque ne confère à des femmes de rôle exemplaire dans ces grandes
gestes paradigmatiques de la cécité. Celles-ci sont dominées par la filiation père/fils que nous
allons voir hanter tant tic dessins. En revanche, que l’origine du dessin soit une figure de
dessinatrice, Dibutade par exemple, cela devra éclairer plutôt que menacer notre point de vue.

(2) Luc, 4,18 (tr. fr. L. Segond, Nouvelle édition de Genève, Paris, 1979).

(3) Luc, 18,42, cf. aussi )ean 9,1 sq ; Marc 8,22 sq.

(4) Luc, 6,39.

15
Jacques D e rritla

rendre la vue. Ainsi ; « Lorsqu'ils sortirent de Jéricho, une grande foule


suivit Jésus. Et voici, deux aveugles, assis au bord du chemin, entendirent
que Jésus passait, et crièrent : ‘Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David !"
La foule les reprenait, pour les faire taire ; mais ils crièrent plus fort : “Aie
pitié de nous, Seigneur, Fils de David T Jésus s’arrêta, les appela, et dit :
‘Que voulez-vous que je fasse ?” Ils lui dirent : “Seigneur, que nos yeux
s’ouvrent.” Emu de compassion, Jésus toucha leurs yeux ; et aussitôt ils
recouvrèrent la vue, et le suivirent. »(5)
C om m e l’attouchement, l’imposition des m ains oriente le dessin. Il
4 faut toujours se rappeler l’autre main ou la main de l’autre.' La Page
distribue les mains de telle sorte q u ’au mom ent où l’index de la main droite
montre en le touchant l’œil gauche de l’aveugle, ce dernier touche de sa main
droite Je bras du Christ, comme pour accompagner son mouvement, et
d ’abord pour s’en assurer dans un geste de prière, d ’imploration ou de
gratitude. Chacune des mains gauche reste en retrait. Q u ’on les compare
5 aux mains gauche du dessin de Ribot : celle du Christ est ouverte et
retournée vers lui, alors que celle de l’aveugle s’ouvre vers le haut (offrande,
prière, supplication, imploration, grâce). De la main droite, il tient encore
fermement, entre les jambes, cette canne dont il n ’est pas prêt d oub lier
q u ’elle fut son œil de secours, on pourrait dire sa prothèse optique, plus
6 précieuse que la prunelle de ses yeux. Federico Zuccaro, lui, peuple l'espace
de la guérison, c’est toute une foule, entre une énorme colonne autour de
laquelle s’enroule un hom m e aux fesses charnues et le très haut bâton de
l’aveugle assis, les mains jointes cette fois, et largement dépassé par la taille
de son instrument.
7 L ’aveugle de Lucas de Leyde est moins passif. De lui-même» de sa
propre main, il aura désigné ses yeux, il aura montré son aveuglement au
Christ. Se présentant lui-même, comme si un aveugle faisait son portrait,
l’autoportrait d ’un aveugle racontant sa propre histoire à la première
personne, il aura indiqué, localisé, circonscrit la cécité de sa main droite
retournée vers son visage, pointant l'index vers l’œil droit. T o u rn é vers son
œil, le geste du doigt montre mais ne touche pas le corps propre. A distance
convenable ou respectueuse, il dessine une sorte d auto-déictique obscur,
nocturne mais assuré. Etrange flexion du bras ou réflexion du pli. Auto­
affection silencieuse, retour sur soi, rapport à soi sans vue et sans contact.
O n dirait que l'aveugle se réfère à lui-même, de son bras replié, là où,

(5) Matthieu, 20,29. cf. Marc, 10, 46-53 ; Luc, 18, 35-43.

16
iSP ■ ' _ - - " -' - ' ' tt-
4 . Raymond l«a Fagc, Le Christ guérissant un aveugle, musée du Louvre. S. T héodule Ribot, L e Christ guérissant un aveugle.
m usée du Louvre, fonds du m usée d'Orsay.

6. Federico Zuccaro, l^e Chrtst guérissant un aveugle, m usée du Louvre.


(n“ fi de l'exposition)
Jacques D e r r id a

inventant un miroir sans image» un Narcisse aveugle donne à voir q u ’il ne


voit pas. Il se montre lui-même, mais à l’autre. Il se montre du doigt comme
aveugle. Du coup, le voici qui guide la main du Sauveur comme si l’autre
ne voyait pas encore l’œil à guérir. L ’infirme montre donc en attendant, en
implorant, en priant. Il dessine, et dans l’espace d ’une promesse déjà reçue.
En montrant, il fa it quelque chose. Pas plus q u ’aucun dessin, le mouvement
de la main droite ne se contente de désigner, de décrire ou de constater la
vérité de ce qui est. Il ne représente pas, ni ne présente seulement, il agit. La
main gauche, elle, tient fermement un long bâton collé à la jambe droite.
L ’auxiliaire de bois rigide passe curieusement entre lui et l’enfant, son fils
peut-être, en tous cas son guide, un auxiliaire de plus mais vivant cette lois,
puisqu’on le voit, de dos, tenir l’aveugle par un pli de son vêtement.
J^^ejeu des d oigts se calcule. Alors que la femme, derrière l’infirme,
pointe l’index de sa main gauche dans la même direction que celui de
l’aveugle, comme pour montrer la cécité de l’autre dont elle accompagne
cependant l’auto-monstration, le jeune garçon, lui, oriente l’index de sa
main droite, la même que celle de l’aveugle, en sens contraire, non pour
montrer cette fois, mais pour toucher, tenir et maintenir. La main droite de
fésus se tend, mais encore à distance, elle esquisse le geste d ’accompagner,
comme la femme qui lui fait face, la main droite de l’aveugle : en miroir,
autour de ce que nous avons appelé le miroir sans image. Q uant à la main
gauche du Sauveur, elle s’affaire sur son ventre, comme celle de l’enfant
autour des plis du vêtement, le sien cette fois, pour les tenir, maintenir,
retenir, dirait-on, à hauteur de regard pour l’enfant.
Péché, faute ou erreur, la chute signifie aussi que l’aveuglement viole
ce q u ’on peut appeler ici la Nature. C ’est un accident qui interrompt le
cours des choses ou transgresse les lois naturelles. Il laisse penser, parfois,
que le mal affecte, en même temps que la Nature, une nature de la volonté,
la volonté de savoir comme volonté de voir. Ujie mauvaise volonté aurait
poussé l’ha m m ç à sfiiermqr lçs ygux. L ’aveugle ne veut pas savoir ou plutôt
voudrait ne pas savoir : c’est-à-dire ne pas voir. Idein, eidos, idea : toute
l’histoire, toute la sémantique de Vidée européenne, dans sa généalogie
grecque, on le sait, on le voit, assigne le voir au savoir. Voyez l’allégorie de
Lferreûis l’hom m e aux yeux bandés de Coypel. Naturellement ses yeux
pourraient voir. Mais ils sont bandés (mouchoir, foulard, toile, voile, du
textile en tous cas q u ’on ajuste au regard et q u ’on attache derrière la tête).
Bandés, ils ne le sont pas naturellement, mais par la main de l’autre, ou par
la sienne, obéissant à une loi qui n ’est pas naturelle ou physique puisque le
7. D ’après Lucas (le Lcyde, Le Christ guérissant un aveugle, musée du L-ouvre.
8. Antoine Coypel, L'Erreur; muscc du Louvre.
(n“ 4 de l'exposition)

9. Louis Dcsplaces» d'après Antoine Coypel,


Le Temps découvrant la Vérüé, Bibliothèque nationale.
Mémoires à'aveugle

nœud, derrière la tête, reste à portée de main du sujet qui pourrait le


défaire : comme si le sujet de l’erreur consentait à ce qui ainsi lui bande les
yeux, comme s’il jouissait de sa souffrance et de son errance, comme s’il la
choisissait, au risque de la chute, comme s’il jouait à chercher l’autre au
cours d ’un sublime et mortel colin-maillard. Il y va de son vouloir, c’est lui
^ u i s e trouve ainsi « bandé »,]es yeux bandés. Descartes, ce penseur de l'œil
qui analysa un jour son inclination « à aimer » les « personnes louches »,
que dit-il de l'erreur ? Pour l’auteur de La dioptrique , qui rêvait aussi de
fabriquer des lunettes et de rendre la vue aux aveugles, l’erreur est d ’abord
une croyance ou plutôt une, opinion : consistant à acquiescer, à dire oui, à
opiner trop tôt, cette faute du jugem ent , non de la perception, trahit l’excès
- a n a volonté infinie sur l’entendement fini. Je suis dans l’erreur, je me ft
trom pe parce que, capable de mouvoir ma volonté à l’infini et dans l’instant,
je peux vouloir me porter au-delà de la perception, vouloir au-delà du voir.
Est-ce que je me trompe à mon tour ? Suis-je victime d ’une
hallucination lorsque je crois voir, à travers cette Erreur de Coypel, la figure
d ’un dessinateur au travail ? Je m ’en expliquerai plus tard.
En tout cas cette Erreur d ’un hom m e debout, seul, curieux, en souci de
voir et de toucher, les mains inquiètes, livré de pied en cap à l’esquisse
autant q u ’à l’esquive, je ne lui trouve aucune ressemblance, bien q u ’il
s’agisse encore d ’une aventure de la connaissance, avec ces prisonniers
enchaînés à l’opinion dan s la caverne î ji République La spéléologie u,
platonicienne développe elle-même, ne l’oublions pas, uxie « image » de U * V\/ Wt* a
tous les aveuglements possibles, une « icône », dit souvent Platon, mot
q u ’on traduit aussi par allégorie. Encore aveugles à l’idée des choses mêmes
dont ils contemplent les ombres projetées par le feu sur la paroi qui leur fait
face, les prisonniers sont enchaînés depuis leur enfance, « ils ne peuvent
bouger de place, ni voir ailleurs que devant eux ; car les liens les empêchent
de tourner la tête »,6). Une conversion les libérera de la prison phénoménale
(Ti
du monde visible. Mais avant cette anabase éblouissante q ui est a ussi une
anamnèse^ avant cette passion de la mémoire qui, au risque d ’une autre lu
cécité, tournera le regard de l ame vers le « lieu intelligible », ces
prisonniers souffrent de la vue, certes, et ils souffriront encore, car « les
yeux sont troublés de deux manières et par deux causes opposées, par le
passage de la lumière à l’obscurité et par celui de l’obscurité à la lumière »(7),
(6) Tr. fr. Chambry, cd. Budé, Paris, 514 a.

(7) 518 a. Que dit encore Soc rate, celui que Nietzsche aura surnommé “œil de Cyclope” ? Dans
le Phédon, il propose prudemment, puis feint de retirer une analogie (un trope, tropos, un tour

21
Jacques D errida

0 L ) ^ f 1^ Mais Platon les représente immobiles. Jamais ils ne portent les mains vers
f lo m b re (sf{ia) ou vers la lumière (phôs)>^ërsTeT silhouettes ou les images qui se
dessinent sur la paroi. En direction de cette sfya- ou photo-graphie, en vue de
cette écriture d ’ombre ou de lumière, ils ne s’aventurent pas, comme l’homme
seul de Coypel, les mains en avant. Ils s’entretiennent, ils parlent de mémoire,
Platon les imagine assis, enchaînés, capables de s’adresser les uns aux autres,
de « dialectiser », de se perdre dans le retentissement des voix.
Avant d ’interrompre arbitrairement ce discours aux échos infinis,
notons pour mémoire que, plus haut, au mom ent de descendre en nous
guidant dans la caverne^^Platon avait esquissé p l usieurs analdgies. Parmi
elles, une généalogie rapporte le soleil sensible, cause de la vue et image de
' l’œil -— le soleil ressemble à l’œil qui est le plus hélioforme de tous les organes
sensiblesf8)— , au soleil intelligible, soit au Bien, comme le fils à son père qui
l’a engendré à sa propre ressemblance^*. L ’anamnèse des aveuglements,
autant d ’éblouissements en abyme, se décline aussi comme cette histoire du
père au fils. Et le Bien absolu, le père intelligible qui engendre l’être autant
que la visibilité de l’être (1 eidos figure un contour de visibilité intelligible)
reste aussi invisible que peut l'être la condition de la vue, la visibilité même. Sa
descendance est, pour ce qui le regarde, peuplée de I ils aveugles-nés, de petits
soleils, autant de pupilles depuis lesquelles on ne voit qu'à la condition de ne
pas voir d ’où l'on voit. Nous sommes ici dans la logique du petit soleil placé
en abîme dont Ponge se dem ande au cœur de son immense poème, Le Soleil
placé en abîme : « Pourquoi le français, pour désigner l’astre du jour, a-t-il
choisi la forme verbale dérivée du diminutif soliculus ? ».

de rhétorique) pour expliquer cette sorte de conversion qui détourne de l'intuition directe ou
encore tourne le regard vers l’invisible : de m êm e que la |>ciir de l'aveuglement peut conduire à
regarder un astre éblouissant de façon indirecte (par exemple en se tournant vers son reflet dans
l’eau), de m êm e il taut se réfugier dans les "logoi". pour voir (gjjppeift), certes, la “vérité tirs
choses qui sont” (tôn oatôn tenatetheian }, In a is pour la voir dans ces formes invisibles que sont
justement les logoi*(idées, paroles, discours, raisons, calculs) : « (...) depuis que je me fus
découragé de l’étude de l’être (ta ontu s/çopôn) : je devais prendre garde pour moi à cet accident
dont les spectateurs d ’une éclipse de soleil sont victimes dans leur observation ; il se peut en
effet que quelques-uns y perdent la vue, faute d ’observer dans l’eau ou par quelque procédé
analogue l'image de l’astre. Oui, c’est à quelques chose de ce genre que ie pensai pour ma part :
je craignis fie devenir complètement aveugle de l'âme, en braquant ainsi mes yeux sur les choses
et en m efforçant, par chacun de mes sens, d ’entrer en contact avec elles. Il me sembla dès lors
indispensable de me réfugier du côté des idées {eis tous logous) et de chercher à voir en elles la
vérité des choses. Peut-être, il esi vrai, ma comparaison (tropos) en un sens n'esl-elle point exacte
(...)" (99_d_e, éd. Budé, ir. L. Robin).

(8) * Helioeidestaton gc oimai tôn péri tas atstheseats organôn » (508 b).

(9) * (...) phanai me tegetn ton tou agalhou ckgpnon, on tagathon egennesen analogon eatttô (...) >• (508 c).

il
4m èm
Mémoires d'aveugle

Dans le cas de I aveugle, rappelons-nous, l’ouïe va plus loin que la


main qui va plus loin que l’œil. La main s’entend à prévenir la chute, c’est-à-
dire le cüsuSj l'accident ; elle en commémore ainsi la possibilité, elle garde en
mémoire l’accident. Une main est en cejicu lajmémow^mêrn^-d& l'-accLdent.
Mais pour qui voit, l’anticipation visuelle prend le relais de la main pour se
porter encore plus loin et beaucoup plus loin. Que veut dire « plus loin », et
plus loin que le lointain même ? Prenant en vue, l’œil prend plus et mieux
que la main. Prendre est ici d ’une figure. L'oreille porterait encore plus loin
si les tropes de cette suppléance rhétorique ne nous entraînaient toujours
plus loin et toujours trop loin. C ’est de ces tropes, et de ce trop de vue au »
cœur de la cécité même que je voudrais parler.
*

O r cette nuit-là, le 16 juillet de l’année dernière, sans allumer, à peine


éveillé, passif encore mais attentif à ne pas chasser un rêve interrompu,
j’avais cherché le crayon puis le cahier d ’une main tâtonnante, près du lit.
Au réveil je déchiffrai ceci, entre autres choses : « ... duel de ces aveugles
aux prises l’un avec l’autre, l’un des veillards se détournant pour s’en
prendre à moi, pour prendre à partie le pauvre passant que je suis, il me
harcèle, me fait chanter, puis je tombe avec lui par terre, il me ressaisit avec
une telle agilité que je finis par le soupçonner de voir au moins d'un œil
entrouvert et fixe, comme un cyclope (un être borgne ou louche, je ne sais
plus), il me retient toujours en jouant d ’une prise après l’autre et finit par
user de l’arme devant laquelle je suis sans défense, une menace contre mes
fils... ».
D ’un rêve aussi surchargé de vieux et d'yeux, de tous ces duels, je ne
proposerai ici aucune interprétation immédiate. Pour mille raisons. Les fils
idiomatiques de mon rêve ne me sont ni clairs ni dénombrables, loin de là,
et comme je n ’ai ni le désir ni la place d ’exposer ici ceux que je pourrais
suivre dans un labyrinthe, je me contenterai de nommer quelques-uns des
paradigmes, autrement dit de ces lieux communs de notre culture qui
souvent nous jettent la tête la première, par excès d ’anticipation, dans une
lecture égarée ou séduite. Ce rêve reste le mien, il ne regarde personne. Ce
que j’en dirai ici par figure, parabole sur parabole, relèvera donc de ce que
j’appelais plus haut la précipitation. Et tout en insinuant une lecture oblique
ou distraite du récit de Bataille*10*, mon histoire de l'œil indique aussi en

(10) De YHistoire de l'œil, il faudrait tout citer, en particulier les Réminiscences finales, l’histoire
des photographies de ruines (« Feuilletant un jour un magazine américain, deux photographies
m ’arrêtèrent. La première était celle d une rue d'un village perdu d'où sort ma famille. La
Jacques Dcrrida

creux la nécessité d ’une anthropologie ou d ’une ophtalmo-pathologie


culturelle (statistique : pourquoi tant d ’aveugles dans la Grèce, les temps
bibliques et les siècles derniers ? C o m m en t devenait-on aveugle ? Com m ent
soignait-on ou suppléait-on La cécité ? Quelle était la place des aveugles dans
la famille et la société ? Y avait-il réellement plus d ’hommes que de femmes
aveugles ? etc.)
Πdipe fatigue un peu, nous avons vieilli avec lui. Plus encore avec
Tirésias, cet aveugle devin, c'est-à-dire ce voyant qui saute par-dessus la
différence sexuelle et les générations. Tirésias devient aveugle pour avoir vu
ce q u ’il ne faut pas voir, l'accouplement de deux serpents, à moins que ce ne
soit la nudité d Athéna, voire la Gorgone dans les yeux de la déesse au
regard pénétrant [oxyderf{és){U). Puis il prédit à Narcisse q u ’il vivra aussi
longtemps q u ’il ne se verra pas, et à Penthée q u j j ^ e r d r a la vie pour avoir
vu les rites sacrés de Dionysos ou s’être laissé voir en sanglier par les
Bacchantes, Non, le souvenir de Tirésias est encore trop proche d ’Œdipe.
Mythologie ou non, quand il s’agit d ’interroger la cohorte de nos grands
aveugles, l’Occident a d ’autres fonds, il puise aux réserves d ’une mémoire
grecque mais an-œdipienne, pré- ou extra-œdipienne, et surtout dans les
cryptes ou les apocryphes d'une mémoire biblique.
Il y a autant d ’aveugles dans l’Ancien que dans le Nouveau
Testament. O r le rapport de l’un à l’autre représente souvent un partage de
lu vue. Et une partition de la lumière. C ’est toujours l’autre qui ne voyait
pas encore. C ’est toujours l'autre qui voyait d ’un œil trop naturel, trop
charnel, trop extérieur, à savoir littéral. Aveuglement de la lettre et par la
lettre. Symbole : la synagogue aux yeux bandés(12). Les pharisiens, ces

seconde, les ruines d ’un château fort voisin. A ces ruines, situées dans la montagne en haut d ’un
rocher, se lie un épisode de ma vie. »). Toutes les Réminiscences se déploient au-dedans de cette
photographie de ruines (l’histoire du « fantôme bianc », la « scène de l’église, en particulier
l'arrachement d ’un œil », « l'association de l'œil et de l'œuf », des « testicules » et du « globe
oculaire ») pour y inscrire une filiation. Celle-ci reconduit l ’auteur de ces réminiscences
«utohiographiquesji l.Lfiéaté com m e à son origine paternelle (* Je suis né d'un père syphilitique
(tabétique). Il devint aveugle (il l’était quand il me conçut) eL, quand j’eus deux ou trois ans, la
même maladie le paralysa (...) sa prunelle, dans la nuit, se perdait en haut sous la paupière : ce
mouvement se produisait d'ordinaire au moment de la miction. Il avait de grands yeux très
ouverts, dans un visage émacié, taillé en bec d'aigle. »). (Paris, 1967, p. 95 sq.). Sur ce récit, voir
aussi * La métaphore de l’œil », tic Roland lîarthes, in Critique, 195-196, août-septembre 1963.

(11) Cf. Nicole Loraux, Les expériences de Tirésias. L e fém inin et l'homme grec. Paris. 1989
(notamment le ch. XII, Ce que vit Tirésias).

(12) A propos d'un « fossé infranchissable entre civilisation païenne et chrétienne », Panofsky
note : « ... d ’un côté, la synagogue était représentée en aveugle et associée à la Nuit, à la Mort» au

24
Mémoires d’aveugle

hommes de la lettre, ce sont au fond des aveugles. Ils ne voient rien parce ■■■'} )»i
qu’ils regârdentlm-dehors, seulement le dehors. Il faut les convertir à Fin- M
tériorité, il faut tourner leurs yeux vers le dedans, et d'abord dénoncer une
fascination, accuser le corps et l’extériorité de la lettre : « Malheur à vous
scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous courez la mer et la terre
pour faire un prosélyte, et quand il l’est devenu, vous en faites un fils de
géhenne deux fois plus que vous. Malheur à vous, conducteurs aveugles _ ,f
(odegoi typÀloi, duces, caeci) (...) Insensés et aveugles (moroi ({ai typhloi, stulti et
caeci) ! (...) Pharisien aveugle ! nettoie premièrement l’intérieur de la coupe
et du plat, afin que l’extérieur aussi devienne net »(13). Plus haut, il avait
rappelé la prophétie d ’Isaïe : « ... vous regarderez de vos yeux, et vous ne
verrez point (...) Ils ont fermé leurs yeux, de peur q u ’ils ne voient de leurs
yeux (...) »fl4>. Les Juifs n ’auraient pas vu la vérité, à savoir par exemple que
le Christ ait pu, de sa propre salive mêlée à de la boue appliquée sur ses
yeux, guérir un aveugle-né(l5). Ce dernier n ’avait certes pas péché, ni ses
parents, mais il fallait que, par sa vue recouvrée, il témoignât jies.œuvres de
Dieu. Par une singulière vocationr Paveu^le devient uflf térhoin^ il^doit ^
attester de la vérité ou de la lumière divine. Archiviste de la visibilité —
comme le dessinateur en somme dont iLpartage la responsabilité. C ’est une
des raisons pour lesquelles un dessinateur est toujours intéressé par les , I*,
i
aveugles: a c1est-a-dire
c »est son interet meme, il- iest* *interesse,
' a- aussi: engage'
parmi eux. Il appartient à leur société, prenant tour à tour les figures de
l'aveugle voyant, de l’aveugle visionnaire, du guérisseur ou du sacrificateur,
je veux dire de celui qui prive de la vue pour donner enfin à voir et
témoigner de la lumière.
Autre témoin, Jean rappelle que la vérité et la lumière (phôs) viennent
par le Christ. Les Juifs, eux, chassèrent cette lumière parce q u ’ils « ne

<Jcmon et aux animaux impurs ; de l’autre, les prophètes juifs étaient considérés comme inspirés
par l'Esprit Saint et les héros de l'Ancien Testament étaient vénérés comme ancêtres du
ChrisL », Essais d ’iconologic, Les thèmes humanistes dans l'art de la Renaissance, tr. fr. Cl. Herbette
et B. Teyssèdre, Paris, 1967, p. 41, n. 1. Panofsky note ailleurs (p. 167) : « La Synagogue aux
yeux bandés (souvent décrite par l'aphorisme : * Vêtus testamentum velatum, novum testamentum
revelatum .») était communément mise en relation avec ces versets de Jérémie : « La couronne a
chu de notre tête ! Malheur à nous qui avons péché, pour cela notre cœur est dans la douleur,
pour cela nos yeux sont obscurcis ! (Lamentations V, 16, 17) »

(13) Matthieu, 23,16 sq et 26.

(14) Matthieu, 13,13 sq.

(15) Marc, 8,22 ; Jean 9,6.


10. Jacques-Louis David, H om ère chantant ics poèmes, m usée iJu Louvre.
(n11î ilr IVxpmilion)
Mémoires d'aveugle

crurent point » que l’aveugle guéri « avait été aveugle... »(l6). Les Evangiles
peuvent se lire comme une anamnèse de l’aveuglement : parole envoyée,
parole de jugement ou de salut, la bonne nouvelle, toujours, arrive à
l'aveuglement. L’avènement a lieu selon l’histoire de l'œil, il dessine ce
partage intérieur de la vue : « P u is jésus dit : “fe suis venu dans ce monde
pour un jugement, pou r que ceux qui ne voient point voient, et que ceux
qui voient deviennent aveugles.” Quelques pharisiens qui étaient avec lui,
ayant entendu ces paroles, lui dirent : “Nous aussi, sommes-nous aveu­
gles ?” jésus leur répondit: "Si vous étiez aveugles, vous n ’auriez pas de
péché. Mais maintenant vous dites : Nous voyons. C ’est pour cela que votre
péché subsiste.” »U7)
Les aveugles de mon rêve étaient des aïeux, plutôt des pères, voire des
grands-pères, en tout cas des anciens. Et ils étaient plusieurs, au moins
deux. Un « duel », avais-je noté dans la nuit. Oublions donc Œ d ip e, pour
l’instant, les deux Œdipes. Oublions celui de « l’aveugle harmonieux », « le
grand Homère »(1H) dont l’Œ dipe, il faut le souligner, ne se crève pas les 10
yeux. Mais oublions aussi celui de Sophocle, l’Œ d ip e du « mythe » et du
« complexe », l’aveugle lucide qui dessine dans l’espace avec son bâton,
mêle ou franchit les générations à deux, trois ou quatre pieds. Il y a au
moins trois générations dans mon rêve de duel, de deuil, de vieux et
d ’yeux : la figure blanche des aïeux, puis ma propre génération, à la place
du fils, mais d ’un fils qui est père, déjà, puisque ses fils à leur tour sont
menacés. Et ces générations sautent : l’une par-dessus l’autre, l une sur
l'autre, q u ’elle prend ainsi à partie, je m ’oriente plutôt vers le testament.
Précisément vers les récits de legs ou de délégation à l'intérieur, comme en
abymet de ce q u ’on appelle le néo- ou le paléo-testamentaire. Une scène
testamentaire suppose au moins, avec le supplément d ’une génération, le
tiers qui voit, la médiation d ’un témoin lucide. D ’un récit ou d'une
signature, celui-ci atteste q u ’il a bien vu, authentifiant ainsi l’acte de

(16) |ean, 9,18.

(17.) Jean, 9,39. -- --------------------------- -------------— ________________y .

(18) Ce sont les derniers mots de L'Aveugle, ce long poème que Chéruer écrivit â la manière
d’Homèrc, en harmonie avec le chani de l’« aveugle harmonieux » qui semble signer son
œuvre, puisque son nom n’est prononcé q u ’à la fin. Le dernier mot se confond avec le nom
propre de l’aveugle béni, « aimé des Dieux », qui, ne l’oublions plus, est invité dans les * murs »
d’uuc « î l e » : « V ien s dans nos murs, viens habiter notre île ; / Vriens, prophète éloquent,
aveugle harmonieux. /C o n v iv e du nectar, disciple aimé des Dieux ; / Des jeux, tous les cinq ans,
rendront saini et prospère / Le jour où nous avons reçu le grand H O M ER E . « (Editions de la
Pléiade, Paris).

27
Jacques D e r rid a

mémoire, et la dernière volonté. Q u ’est-ce que l'aveuglement aurait donc à


voir, si l’on peut dire, avec cette scène de_famille ? Et pourquoi le tiers, ce
témoin qui authentifie le testament, peut-il aussi intervenir dans la scène,
ruser, jouer à son tour de l’aveuglement ? Eli, Isaac, Tobit, tous les vieux
aveugles de l’Ancien Testament sont en mal de fils. Ils souffrent par leurs
fils, toujours de les attendre, parfois pour être tragiquement déçus ou
trompés, parfois aussi pour en recevoir le signe du salut ou de la guérison. A
la date de mon rêve, je ne connaissais pas l’histoire d ’Eli, le deuil de celui
qui, déjà privé d ’yeux, perd ou pleure ses deux fils à la fois. E t m eurt du
même coup, perdant ainsi la vie après la vue — et après ses fils. Dieu lui
avait déjà annoncé que H ophni et Pinekhas mourraient le même jour pour
n ’avoir jamais respecté les sacrifices à Iahvé. C om m e le vieux prophète
Akhiyahou, auprès de qui la femme de Jéroboam tente de se faire passer
pour une autre09), le grand-prêtre Eli, âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, ne
voit déjà plus quand le messager lui annonce, et c’est un seul événement, la
conjoncture du pire, l'enlèvement de ses fils et de l’Arche. Moment de la
chute : les aveugles sont les êtres de la chute, la manifestation toujours de
cela même qui menace l’érection ou la station debout (Samson, saint Paul,
Polyphème, etc.). Car à ces mots terribles, Eli tombe à la renverse :
« ... “Israël a fui devant les Philistins. Ce fut même une grande défaite : tes
deux fils, Hophni et Pinekhas, sont morts et l’Arche d’Elohim a été prise.”
Dès qu’il eut mentionné l’Arche d ’Elohim, il arriva q u ’Eli tomba du haut de
son trône à la renverse, en travers de la porte ; sa nuque se brisa et il
mourut... »(20)
Si j’ai récemment découvert ce double deuil d ’Eli (à distinguer, il s’en
faut de très peu, d ’Elie, ou d ’Eliahou, qui se trouve être l’un de mes
prénoms), j'avais d û lire puis oublier, lors du rêve de vieux et d ’yeux, les
drames d ’Isaac et de Tobit.
O r tout parait opposer, trait pour trait, les deux pères, les deux vieux
aveugles. L ’un perd la vue avec l’âge, comme au terme d ’une usure
naturelle. « Q u a n d Isaac fut devenu yieux; rl arriva que..ses yeux d evinrenr
ternes au point de ne plus voir. Il appela Esaü, son fils aîné, et lui dit : “Mon
fils !”Il lui dit ; “Me voici !” Isaac dit : “Voici que je suis devenu vieux, le ne
sais pas le jour de ma m ort.” »<21) D ’autre part, c’est à la troisième personne
q u ’est confié le récit de la ruse par laquelle sa femme, «rRébecca,—abuse
-—
de la

(19) Rois, 14,6.

(20) I Samuel, 4,15 (tr. fr. E. Dhormc, éd. de la Pléiade, Paris).

(21) Genèse, 27,1 sq.

28
Jacques DerricJa

cécité d ls a a c pour substituer un fils à fautre, à savoir le cadet préféré,


11 Jacob, à Esauu auHmomeitricfcria bénédiction testamentaire. Question
obsédante, interminable : comment sacrifier un fils ? U n fils toujours
unique ? Isaac en savait quelque chose, et son père avait par deux lois « levé
les yeux » au m om ent décisif où il fallut le sacrifier puis l’épargner en lui
substituant le bélier(22). C om m ent choisir entre deux fils ? Et c'est, deux fois
multipliée, la même question, l’unique question de Tunique. Com m ent
choisir entre deux frères ? Entre deux jumeaux, en somme, car jacob lut le
jumeau d ’Esaii, même s’il naquit après lui et si son frère lui avait vendu son
droit d ’aînesse (il « méprisa le droit d ’aînesse »)(23) ? N ’cst-ce' pas plus
difficile que de choisir entre les prunelles de ses deux yeux, qui peuvent,
eux, se suppléer l un l'autre ? Sacrifier un fils, c’est au moins aussi cruel que
renoncer à sa propre vue. Le fils représente ici la lumière de la vue, c’est ce
que Tobit, en somme, dit au sien.
(T*ar contraste, en effet, dans le livre qui porte son nom et au cours
d ’une narration qui passe d ’une bouche à l’autre, Tobit raconte d ’abord lui-
même, à la première personne, il se raconte en relatant l’histoire de son propre
aveuglement. Se peignant lui même, il se rapporte à lui-même, il rapporte
une cécité dont la survenue, dans ce cas, ne fut pas naturelle. Il l’interprète
en vérité comme un obscur châtiment. Autre contraste, il en guérira, huit
ans plus tard, des mains de son fils T obias. O n se rappelle : Tobit l’orphelin
avait épousé Anna. Il aime ensevelir les morts de sa com m unauté (mon père
aima aussi le faire à Alger, pendant des dizaines d ’années), parfois en
cachette, par crainte du roi Sennachérib (qui m ourut d ’ailleurs tue par ses
deux fils). Tobit est frappé de cécité après avoir pleuré...

— Je vous ferai observer que vous avez déjà promis de parler des larmes
ou des yeux voilés, rappelez-vous...

— Je n ’oublie pas. Tobit avait versé des larmes, puis enseveli l’un des
siens, abandonné sur la place après avoir été étranglé. Il raconte, c’est encore
une histoire de deuil : « ... je me souvins de la prophétie d'Amos, comme il
a dit : “Vos fêtes tourneront en deuil et toutes vos réjouissances en
lamentation”, et je pleurai. Q uand le soleil fut couché, je partis et, après
avoir creusé une fosse, je l’ensevelis. Mes proches se moquaient en disant :

(22) Genèse, 22,4 el 13.

(23) Genèse, 25,34.

30
12. |acopo L igozzi, Tobie et l'ange, musée du Louvre,
(n" 7 de l'exposition)

13. Pictro Bianchi, Tobie rendant la vue à son père, m usée du Louvre.

14 . D ’après Pierre-Paul Rubens, Tubie rendant la vue à son père,


m usée du I.ouvre.
15 . RcmbrancJl (attribue à), Tobie rendant la trnt à son père, m usée du Louvre.
(ir8 de I c i position)
Mémoires d'aveugle

“Il n’a plus peur d être mis à mort pour cela ; il s était enfui et voici que de-
nouveau il ensevelit les morts !” Cette nuit même je revins après l’avoir
enseveli et je me couchai, tout souillé, contre le m ur de la cour, le visage
découvert, je n ’avais pas vu qu'il y avait des moineaux sur le m u r et, comme
mes yeux étaient ouverts, les moineaux lâchèrent leur fiente chaude sur mes
yeux et il se forma des leucomes sur mes yeux. J’allai trouver des médecins,
mais ils ne me furent d ’aucun secours »(24). Son fils Tobias lui rend la vue, on
le sait, en répandant sur les yeux de son père du fiel de poisson, suivant 12
ainsi les conseils de fange Raphaël : « Je sais que ton père ouvrira les yeux ;
enduis donc ses yeux de fiel et, éprouvant une démangeaison, il se trottera ;
il enlèvera les leucomes et il te verra L ’ange se dresse au centre du
dessin de Pietro Bianchi, un grand bâton dans la main droite, le torse ouvert 13
comme l’immense paupière d ’un œil flamboyant. Mais dans un dessin
d ’après Rubens, l’ange reste en retrait, comme caché, derrière Tobias. Il 14
tient aussi un bâton de la main gauche, l’aveugle Tobit serre le sien des
deux mains, alors q u ’Anna, sa femme, prie les mains jointes : la mise en
scène de l’aveugle s’inscrit toujours clans un théâtre ou dans une théorie des
mains.
Raphaël apparaît au bord du dessin de Rembrandt, il veille sur 15
l’opération, mais il est au centre d ’un Tobit recouvrant la vue d ’après
Rembrandt(->6). Là n'est pas sa seule singularité. L ’esquisse reste assez
indéterminée. Tobias et sa mère s’affairent étrangement derrière le vieil
aveugle ; dans son dos, la scène des mains, manœuvre ou manipulation,
évoque une opération proprement chirurgicale, je n'ose pas, pas encore, dire
graphique. Tobias semble tenir un instrument styliforme, quelque pointe à
gravure ou scalpel. D ’ailleurs, l’envoi du dessin de Versailles au Louvre en
1803 porte la mention : « Chirurgien pansant un blessé lavé au bistre sur
papier blanc ? Rembrandt ». Précision plus tardive dans le style de

(24) Les Deutérocanoniques, Ix- livre de Tobit, 2, 6-10 ; (tr. A (îuillaumont, éd. de la Pléiade,
Paris). Ce livre fil d ’abord partie des Apocrypha, puis fut reconnu com me canonique par le
concile de Trente en 1546. Sauf dans le cas des titres de dessins — qui suivent une tradition
{Tobie) — nous nous conformons à l’orthographe du nom de Tobit choisie par cette édition de
La Pléiade.

<25) H, 7-8.

{26} « Tobit recouvrant la vue *, d ’après Rembrandt van Rijn, 1636, gravé par Marcenay de
Ghuy (Reproduit in Michael Fried f Absorption and Tkeatricality, Pamting and Reholder in the Age
o f Diderot. Berkeley» Los Angeles, Londres, 1980, p. 48) (à paraître en traduction sous le titre Ixi
place du spectateur : théorie et origines de la peinture moderne, Paris, 1990).

33
Jacques D e r rid a

l’inventaire : « Tobias rendant la vue à son père dessin idem, provenant de


Versailles où il était désigné sous le titre de Chirurgien pansant un blessé et
attribué également à Livens. »
Dans toutes les représentations de cette guérison, le fiel de poisson ne
paraît pas. Ce sont toujours des manipulations, des opérations d attouche­
ment, à main nue ou armée.
Lumière voilée, larmes et voiles, ensevelissement des corps et des
yeux : avant de se dem ander ce que sont ou ce que font des larmes, il
faudrait suivre la composition enchevêtrée de ces motifs dans un Livre qui
fut d ’abord tenu pour apocryphe. Le fils est la lumière, l’œil supplémentaire
—— ----
ou excessif du père, le guide de l’aveugle, son bâton même, mais aussi celui
de la mère en larmes qui le rappelle sans cesse. D ’abord après le départ de
Tobias : « Anna, sa mère, fondit en larmes et elle dit à Tobit : “Pourquoi
as-tu envoyé notre enfant ? N ’est-il pas le bâton de notre main quand il
entre et sort devant nous » Tobit lui répond : « ... “tes yeux le
reverront... un bon ange ira avec lui'’,,. Alors elle cessa de pleurer »(27).
Ragouël, Edna et Sarra pleurent abondam m ent en découvrant que Tobias
est le fils de Tobit et que celui-ci a perdu la vue(28). Plus tard, alors que
Tobias n ’est pas encore revenu, Anna pleure encore : « L ’enfant est mort
pour s’attarder ainsi !... N ’est-ce pas un souci pour moi, mon fils, de t ’avoir
laissé partir, toi la lumière de mes^yeux ? »(29). A sa guérison, Tobit fond
aussi en larmes, et ce qu'il voit d ’abord, c est son fils. Il rend grâce non
simplement de voir, de voir pour voir, mais de voir son fils. ïl pleure de
reconnaissance non tant parce q u ’il voit enfin mais parce que son fils lui
rend la vue en se rendant visible : il lui rend la vue à se rendre visible et
pour se rendre visible, lui, son fils, c’est-à-dire la lumière donnée comme
lumière reçue, prêtée, rendue, échangée. Fils veut dire : les yeux, les deux
yeux : « Quand ses yeux lui démangèrent, il se les frotta, et les leucomes
s’écaillèrent aux coins de ses yeux. Ayant vu son fils, il se jeta à son cou,
fondit en larmes et dit : “ Béni sois ton N om dans les siècles... voici que je
vois Tobias, mon fils !” Fils : les yeux, les deux yeux, le nom de Dieu.
Dès lors, ce que Tobit voit enfin, plutôt que ceci ou cela, celui-ci ou celui-là,

(27) Tobit, op. cil. 5, 18 sq.

(28) 7, 6-9.

(29) 10,4-5.

(30) II, 12-13.

34
Mémoires d'aveugle

n ’est-ce pas sa vue même, cela même, celui-là même, son fils, qui lui rend la
vue ? N e dirait-on pas q u ’il voit en son fils l'origine m êm e de sa faculté de
voir ? Qui et non. Ce qui lui rend la vue, ce n ’est pas en vérité son fils enfin
visible. Derrière le fils il y a l’ange, l’un vient annoncer l’autre. La main du
fils est guidée par l’ange Raphaël. O r celui-ci finit par se présenter comme Ji —

un être sans désir charnel, sinon sans corps : c’est un simulacre de visibilité
sensible, J1 ne faisait que «se rendre visible », n’étant en vérité quAme
« vision ». Raphaël parle de lui-même et dit la vérité sur ce q u ’était sa
propre visibilité : « Bénissez Dieu à jamais, parce que ce n ’est pas pour
l’amour de moi, mais par la volonté de notre Dieu que je suis venu (...) Tous
les jours je me rendais visible pour vous ; je ne mangeais ni ne buvais ; mais
c’est une vision que vous avez vue. »(3I)
Or c’est depuis cette « vision » de l’« invisible » q u ’il donne, aussitôt
après, l’ordre d ’écrire : il fa u t inscrire la mémoire de l'événement _pour
rendre grâce. Il faut s’acquitter avec des mots sur parchemin, autrement dit
des signes visibles de l’invisible : « ... “c’est une vision que vous avez vue. Eh
bien, rendez grâces à Dieu, car je remonte vers celui qui m ’a envoyé, et
écrivez dans un livre tout ce qui s’est accompli," Ils se relevèrent et ne le
virent plus. Ils confessèrent les œuvres grandes et admirables de Dieu et
comment leur était apparu l’ange du Seigneur. »(32)
Archive du récit, l’histoire écrite rend grâces, comme le feront tous les
dessins qui puiseront au récit. Dans la descendance graphique, du livre au
dessin, il s’agit moins de dire ce qui est tel qu'il est, de décrire ou de constater
ce que l’on voit (perception ou vision) que d 'observer la loi au delà de la vue,
d ’ordonner la vérité à la dette, de rendre grâces à la fois au don et au
manque, au dû, à la faille du « il faut », fût-ce au « il faut » du « il faut
voir » ou d ’un « il reste à voir » qui connote à la fois la surabondance et la
défaillance du visible, le trop et le trop peu, l’excès et la faillite. Ce qui guide
la pointe graphique, la plume, le crayon ou le scalpel, c’est Vobservation
respectueuse d ’un commandement, la reconnaissance avant la connaissance,
la gratitude du recevoir avant de voir, la bénédiction avant le savoir. C ’est
pourquoi j’ai insisté sur l’apparition centrale puis la disparition de l’ange
Raphaël dans les guérisons de Tobit. Selon l’absence ou la présence de
l’ange, nous pourrions les classer en « dessins avec vision » et « dessins sans

(31) 12, 17-19.

(32) 12, 20-21.

35
Jacques D e r rid a

vision ». Que se passe-t-il, par exemple chez Rembrandt, quand le dessin se


voit déserté par l ange, par l’apparition de l'invisible créature qui rend la
vue mais aussi dicte le livre ? Raphaël a-t-il disparu parce que la scène
commence à devenir simple chirurgie naturelle ? O u bien parce que,
comme le raconte littéralement le Livre de Tobit , une fois que l’ange eut
donné l’ordre de rendre grâces, les acteurs humains « se relevèrent et ne le
virent plus » ?
Q u ’il s’agisse d ’écriture ou de dessin, du Livre de Tobit ou des
représentations qui s’v rapportent, la grâce du trait signifie q u ’à J’originc du
graphein il y a la dette ou le don plutôt que la fidélité représentative. Plus
précisément la fidélité de la foi importe plus que la représentation dont elle
A commande et donc précède le mouvement. Et la foi, dans son moment
propre,, est aveugle. Elle sacrifie la vue, même si c’est en vue de voir enfin.
Le performatif qui se met ici en scène est celui d ’un « rendre la vue » plutôt
(ArSQM
que l’objet visible, plutôt que la description constative de ce qui est ou de ce
q u ’on remarque devant soi. La vérité appartient à ce mouvement de
l’acquittement qui cherche en vain à se rendre adéquat à sa cause ou à la
chose. Celle-ci ne surgit au contraire que dans le hiatus de la disproportion.
La juste mesure du « rendre » est impossible — ou infinie. Rendre., c'est la
- cause jdes jrnorts, de la mort donnée ou demandée. Tobit ne fut pas
seulement l’hom m e de l’ensevelissement, l’hom m e du « dernier devoir »,
celui qui sc faisait une obligation de donner le dernier linceul. Ce père ne
cesse aussi de dem ander à son fils de l’ensevelir décemment à son tour
quand le m om ent sera venu de lui fermer les yeux. Il le lui dem ande avant
et après sa guérison, avant le départ et après le retour de Tobias. T o u t cela
au milieu de scènes d'endettement, d ’argent laissé en dépôt, d ’acquittement
et d ’aum ône : « Ce jour-là, Tobit (alors aveugle) se souvint de la rg e n t q u ’il
avait laissé en dépôt (...) et il se dit en lui-même : “fa i dem andé la mort ;
pourquoi n'appellerais-je pas Tobias, mon fils, pour lui révéler cela avant
que je m e u r e ? ” L ’ayant appelé, il d it : "Mon enfant, quand je mourrai,
ensevelis-moi” (...) “Lorsqu’elle (Anna) mourra, ensevelis-la auprès de moi
dans un même tombeau” La prière, qui fut aussi un ordre, se répète
après la guérison : « Toi, observe la Loi et les commandements (...)
Ensevelis-moi décemment, et ta mère avec moi (...) Mon enfant, vois ce q u ’a
fait A m an à Achiachar qui l’avait élevé, comme il l'a fait aller de la lumière
vers les ténèbres, et comment il a payé ! O r Achiachar fut sauvé, mais celui-

(33) 4, 1-4.

36
Mémoires d ’aveugle

là reçut son paiement, et c est lui qui descendit dans les ténèbres ! » (...)
« Comme il disait ces mots, sur son lit, son âme le quitta. Il avait cent
cinquante-huit ans. Tobias l’ensevelit magnifiquement. Quand Anna
mourut, il l'ensevelit avec son père.
On peut trouver cela obscur ou trop évident. Mais ce devoir
d ’ensevelissement se lie à la dette et au don du « rendre la vue », Le linceul
de la mort se tisse comme un voile de la vision. O n peut trouver cela
insignifiant ou surchargé de sens, mais l’ange Raphaël, l’invisible qui rend
la vue et n’apparaît lui-même que dans une « vision », c’est aussi celui qui,
sans être vu, accompagne Tobit lors des ensevelissements. 11 le rappelle‘au
cours de sa dernière apparition, parlant alors à l’aveugle guéri — et guéri
sans doute en récompense de son respect des morts : « ... quand vous avez
prié, toi et ta belle-fille Sarra, moi j’ai amené le souvenir de votre prière
devant le Saint ; quand tu ensevelissais les morts, pareillement j'étais auprès
de toi ; et quand tu n ’as pas hésité à te lever et à abandonner ton déjeuner
pour aller mettre à l’abri le mort, ta bonne action ne m ’a pas échappé, mais
j étais avec toi. Eh bien, Dieu m a envoyé pour te guérir, ainsi que Sarra, ta
belle-fille. »(35)
Observez q u ’à la date où me vient ce rêve d ’aveugle et de fils, de vieux
et d ’yeux, le thème de cette exposition n est pas encore choisi mais j’y pense
déjà. Dois-je rappeler ces dates ? Ai-je le devoir de les inscrire ? A qui cela
est-il dû ? Quel intérêt prendre à décrire ces obscurs enchaînements ?

— Cela ressemble bien à une exposition de vous. Vous inscrivez dans vos
mémoires, en somme, la chronique d ’une exposition.

— Non, je serais plutôt tenté par l'autoportrait d ’un aveugle. Légende :


« Ceci est un dessin de moi. » )e reprends mon récit. L ’exposition elle-
même est déjà envisagée, donc, quand je dois annuler un premier rendez-
vous, au Cabinet des Dessins, avec Françoise Viatte, Régis Michel et Yseult
Séverac1361. C'est le 5 juillet. Depuis treize jours, je souffre d ’une paralysie
faciale d ’origine virale, dite a frigore (défiguration, le nerf facial enflammé,

(34) 14, 9 sq.

(35) 12, 12 sq.

(36) Ils ont depuis guidé mes pas et grâce doit leur être rendue, ainsi q u ’à Jean Cïalard, pour
l’avoir Fait avec une si clairvoyante générosité. Ces Mémoires leur sonl naturellement dédiés en
signe de reconnaissance.

37
Jacques D crrida

le côté gauche du visage frappé de rigidité, l’œil gauche fixe et terrible à voir
dans un miroir, la paupière ne se ferme plus normalement : privation du
« clin d'œil », donc, de cet instant d ’aveuglement qui assure à la vue sa
respiration). Le 5 juillet, la guérison de cette affection banale vient de
s’amorcer. Elle se confirme après deux semaines de terreur, l'inoubliable
même, et de vigilante inspection médicale (surveillance suréquipée, bien
entendu, de ces instruments d ’écoute — anoptiques ou aveugles — qui
donnent à savoir là où I on ne voit plus, non pas les rayons lumineux de la
radioscopie ou de la radiographie, mais le jeu des ondes et des échos,
l’électromyogramme, par « stimulation galvanique des muscles Orbiculaires
des paupières et des lèvres », la mesure des « réflexes de clignement » par
« enregistrement orbiculaire des paupières », le « Bilan Ultrasonore Cervi­
cal », avec doppler transcrânien, échotomographie à la recherche d ’« écho
intraluminai », le scanner dont l’ordinateur transcrit aveuglément les
signaux codés des cellules photo-électriques).

— Il vous en arrive des choses : nuit et jour.

— Il faut croire, c’est vrai, j’en aurai vu, ces derniers temps. Et tout cela
est archivé, je ne suis pas le seul à pouvoir en témoigner. Le 11 juillet, donc,
je suis guéri (sentiment de conversion ou de résurrection, la paupière cligne
de nouveau, mon visage reste hanté par un fantôme de défiguration), c’est le
premier rendez-vous au Louvre. Le soir même, alors que je rentre chez moi
en voiture, le thème de l’exposition s’impose à moi. Com m e d ’un coup, en
un seul instant. Je griffonne au volant un titre provisoire, à usage privé,
pour classer mes notes : L ’ouvre oà ne pas voir, qui devient à mon retour une
icône, soit une fenêtre à « ouvrir » sur l’écran de mon ordinateur.
Ceci ne doit pas se lire, je vous l’ai dit, comme le journal d'une
exposition. J’en retiens seulement la chance ou le lieu d ’une question
pensive : que pourrait être un journal d ’aveugle, l’intime ou l’autre, et le
jour, donc, le rythme des jours et des nuits sans jour, les dates et les
calendriers qui scandent les mémoires ? C o m m e n t s’écriraient des
10 mémoires d ’aveugles ? Je dis les mémoires, je ne dis pas encore les chants, ni
les récits, ni les poèmes d ’aveugles, dans la grande filiation de nuit qui
ensevelit H om ère et Joyce, Milton et Borges. Laissons-les attendre dans
l’ombre. Je me contente pour l’instant d ’accoupler entre eux ces deux fois
deux grands vieillards aux yeux morts de notre mémoire littéraire, comme
dans la double rivalité d ’un duel. L ’auteur de Ulysses, une fois q u ’il eut écrit

38
Mémoires d'aveugle

sa propre odyssée (elle-même hantée par un « blindman »), finit sa vie


presque aveugle» une opération de la cornée après l’autre. Les thèmes de
l’iris ou du glaucome envahissent alors Finnegans IVafe (... the shuddersome
spectacle o f this semidemented zany amid the inspissated grime o f his glaucous
detî making believe to read his usylessly unreadable Blue Boo\ o f Eccles, édition
de ténèbres...t37)). T out l’œuvre joycien cultive les bâtons vivants.
Quant à Borges, parmi les ancêtres aveugles q u ’il identifie ou
revendique dans la galerie de la littérature occidentale, c’est visiblement
avec Milton q u ’il rivalise, à Milton q u ’il voudrait s’identifier, de lui q u ’il
attend, avec ou sans modestie, les lettres de noblesse de sa propre cédté.
Cette blessure est aussi un signe d'élection q u ’il faut savoir reconnaître en
soi, le privilège d ’une destination, la mission assignée : dans'la nuit, par la
nuit même. Pour évoquer la grande tradition des écrivains aveugles, Borges
tourne alors autour d ’un miroir invisible. En même temps q u ’une
célébration de la mémoire, il esquisse un autoportrait. Mais il se décrit lui-
même en désignant l’autre aveugle, Milton, surtout le Milton auteur de cet
autre autoportrait que fut Samson Agonistes. La confidence a pour titre
Cécité :
« Wilde se dit : “Les Grecs ont soutenu q u ’Homère était aveugle pour faire
entendre que la poésie ne doit pas être visuelle mais auditive.” (...) Passons à
l'ocemplg de Milton. Sa cécité fut volontaire. Il sut au départ q u’il allait être
un grand poète. D ’autres poètes eurent la même intuition (...) Moi aussi, si je
puis parler de moi. J’ai toujours senti que mon destin était, avant tout, un
destin littéraire ; c’est-à-dire q u ’il m ’arriverait quelques bonnes choses et
beaucoup de mauvaises. Mais j’ai toujours su que tout, à la longue, se
convertirait en mois (...) Revenons à Milton. Il s’abîme la vue à écrire des
brochures en défense de l’exécution du roi par le Parlement. Il dil qu’il
perdit volontairement la vue pour défendre la liberté ; il parle de cette noble
tâche et ne se plaint pas d être aveugle (...) Milton passait dans la solitude une
bonne partie de son temps. Il composait des vers et sa mémoire s’était
développée. Il pouvait garder en tête-quarante ou cinquante endécasyllabes
qu’il dictait ensuite aux gens qui venaient lui rendre visite. C'est ainsi qu ’il
composa son poème. Il se rappela et médita le destin de Samson, si semblable

(37) James Joyec, Finnegans Waiçe%N e w York, p. 179. » ... spectacle quelque peu frissonnant de
ce bouffon semi démente, par l'épaisse crasse de son antre glauque, que l’on fît semblant de lire-
son Itiitulyssible parce qu'illisible Livre Bleu de Klee, édition de ténèbres... » (ir. Ph. Lavergne,
Paris, 1982, p, 194). Fatalement, la Traduction perd beaucoup : non seulement, ce qui n'était pas
inévitable, le fait que « édition de ténèbres » est en français dans le texte, et voici que la langue
originale devient invisible, dans ses ténèbres m ême ; mais plus gravement elle perd la vue,
mieux, l’allusion à la perte de l'œil : « usylessly », c'est-à-dire aussi « comme sans œil », eyeless.

39
Jacques D e r r i d a

au sien maintenant que Cromwell était mort et que l'heure de la


Restauration avait sonné(...). Mais Charles II — iils de Charles Ier ’TExé-
cuté ’— , quand on lui apporta la liste des condamnés à mort, prit la plume
qu'on lui tendait et dit, non sans noblesse : “Quelque chose dans ma main
droite se refuse à signer un arrêt de mort/' Milton fut sauvé ainsi que bien
d ’autres. Il écrivit alors Samson Agonistes.

Généalogie singulière, singulière illustration, illustration de soi entre


tous ces aveugles illustres qui se gardent en mémoire, se saluent et se
reconnaissent dans la nuit. Borges avait commencé par Homère, il finit par
joyce et, toujours aussi modestement, par l’autoportrait de fau te u r en
aveugle, en homme de la mémoire, juste après une allusion à la castration :

^Jc>ÿa^pporta une musique à l’anglais. Et il déclara courageusement (et


mensongèrement) : “De toutes les choses qui me sont arrivées, je crois que la
moins importante est que ]e sois devenu aveugle,’’ T1 a laissé une partie de sa
vaste œuvre composée dans l’ombre : polissant les phrases dans sa mémoire
(...) Démocrite d’Abdère s’arracha les yeux dans un jardin pour ne pas être
distrait par le spectacle de la réalité extérieure ; Origène se castra. J’ai
énuméré assez d ’exemples ; certains sont si illustres que j’ai honte d’avoir
parié de mon cas personnel ; mais les gens veulent toujours des confidences

(38) « Cécité », tr. fr. par Françoise Rosset, in Conférences, Paris, éd. Folio, 1958, p. J38 142. A
cette conférence, dont il faudrait tout citer, on doit aussi associer les quelques pages intitulées
<* L ’auteur »t in L ’auteur et autres textes, tr. fr. Roger Caillois, Paris, 1958, p. 17-21. Les motifs de
la mémoire et de la descente s’y recoupent régulièrement autour d ’un souvenir qui fui peut-être
un rêve : « Quand il sut qu’il était en train de devenir aveugle, il cria (...) Puis, s'éveillant au
malin, il regarda (déjà sans épouvante) les choses confuses qui l’entouraient. Il comprit (...) que
tout cela lui était déjà arrivé (...) Alors il descendit dans sa mémoire, qui lui parut interminable,
et il parvint à extraire de ce vertige le souvenir perdu, qui brillait com m e une monnaie sous la
pluie, sans doute parce q u ’il ne l’avait jamais regardé, sauf peut-être en un rêve. Le souvenir
était le suivant. 11 avait été injurié par un autre garçon. Il était accouru à son père et lut avait
raconté l’affaire. Son père le laissa parler comme s’il n'écoutait ou ne comprenait pas, puis
décrocha du mur un poignard de bronze, superbe et chargé de pouvoir, que l’enfant avait
convoité secrètement. Il l’avait maintenant entre les mains et la surprise de le posséder annulait
l'injure endurée. Mais la voix du père (lisait : “Que quelqu’un apprenne que tu es un hom m e’’ et
il y avait un ordre dans la voix. La nuit aveuglait les chemins. Serré contre le poignard dans
lequel il pressentait une force magique, il descendit la pente abrupte qui entourait la maison et
courut jusqu’au rivage de la mer, se rêvant Ajax et Persée et peuplant de blessures et de batailles
l'obscurité mouillée de sel. L’exacte saveur de cet instant était ce q u ’il cherchait aujourd’hui. Le
reste ne lui importait guère : les outrages du défi, le combat ignominieux, le retour avec la lame
ensanglantée. Un autre souvenir où il y avait également une nuit et une imminence d ’aventure,
germa de celui-là. Une femme, la première que lui envoyèrent les dieux, l avait attendu dans
l’ombre d ’un hypogée (...) En cette nuit de ses yeux mortels où il descendait maintenant (...) la
rumeur d ’Iliades et d’Odyssées que son destin était de chanter et de faire résonner dans la
concave mémoire humaine. Nous savons ces choses, mais non pas celles q u ’il éprouva en
descendant à l’ombre ultime ».

40
Mémoires d'aveugle

et je n’ai aucune raison de leur refuser les miennes. Bien qu’il semble
évidemment absurde de mettre mon nom à côté de ceux que j’ai eu
l’occasion d'évoquer.

j ’ai fait observer que Borges avait « commencé par H o m ère ». En


vérité, il avait commencé par Wilde qui, lui, parlait d ’Homère. O r Wilde
est l’auteur du Portrait de Dorian Grayy histoire de meurtre ou de suicide, de
ruine et de confession. C ’est aussi le récit d ’une représentation qui porte la
mort : un portrait mortifère réfléchit d ’abord les progrès de la ruine sur le
visage de son modèle qui est aussi son spectateur, le sujet ainsi regardé, puis
condamné par son image :
* lt was his beauty that had ruined him. (...) There was blood on the painted feet,
as though the thing had dripped —blood even on the hand tkài had not held the
kjiîfe. Confess ? D id it mean that he was to confess ? To give himself up, and be
p u f f o death ?m »

Littérature des œuvres meurtrières. Au m ur de la même exposition, il


eût fallu accrocher Le portrait ovale de Poe : portrait à la fois vu et lu,
histoire d ’un artiste qui tue son modèle épuisé, à savoir sa femme, après
avoir voué son corps à la ruine. L ’expérience du peintre qui fait couple avec
son modèle est celle d ’un mari qui
« ... “ne voulait pas voir que la lumière qui tombait si lugubrement: dans cette
tour isolée desséchait la santé et les esprits de sa femme qui languissait
visiblement pour tout le monde, excepté pour lui (...) Le peintre (...)
travaillait nuit et jour pour peindre celle qu’il aimait si fort (...) Il ne voulait
pas voir que les couleurs qu’il étalait sur la toile étaient tirées des joues de
celle qui était assise près de lui." » Le portrait presque fini, le mari « "fut
frappé d ’effroi ; et criant d ’une voix éclatante : ‘En vérité, c’est la Vie elle-
même !' il se retourna brusquement pour regarder sa bien-aimée : — elle
était morte !” »<4I)

Ceci n ’est donc pas le journal d ’une exposition. L ’invitation qui


m ’avait été faite ne m ’avait pas seulement honoré. Elle m ’avait intimidé,

(39) « Cécité », op. cit. p. 142-43.

(40) Oscar Wilde, The Picture o f Dorian Cray, N e w York, I9H5, p. 246 (« C'est sa beauté qui
l’avait ruiné (...) 11 y avait tlu sang sur l image peinte du pied, com m e si la chose avait coulé —
du sang même sur la main qui n’avait pas tenu le couteau. Avouer ? Cela signifiait-il qu'il
devait avouer ? Se livrer et être mis à mort ? »)

(41) Eidgar Allan Poe, L e portruit ovale, tr. fr. par Baudelaire (Œuvres en prose, Paris, éd. de la
Pléiade, 1954, p. 492-3). , ^

41
16, Bartolorrco Passarotri, Caïn et l'œil d ’A bel’ musée du Louvre.
Mémoires d'aveugle

gravement inquiété même. Elle le fait encore sans doute au-delà du


raisonnable. A l’angoisse, bien sûr, se mêlait une obscure jubilation. C ’est
que mon expérience d u dessin fut toujours celle d une infirmité, et pire,
d ’une infirmité coupable, oserai-je dire d'un obscur châtiment ? Double
infirmité : je pense encore aujourd'hui que je ne saurai jamais ni dessiner ni
regarder un dessin. En vérité je me sens incapable de suivre de ma main la
prescription d 'u n ln o d è le : comme si. au m o m en t de dessiner, je ne voyais {^ c 4-*
plus la chose. Celle-ci s’évade aussitôt, elle d isparaît à mes yeux, il n ’en reste
à peu près rien, elle disparaît sous mes yeux qui ne perçoivent plus en vérité
que Farrogance narquoise de cette apparition disparaissante. Pour autaht
qu elle reste devant moi, la chose me défie alors ejx produisant, comme par
émanation, u n e invisibilité q u ’elle me réserve, une nuit dont je serais en
quelque sorte l’élu. Elle m ’aveugle tout en me faisant assister au spectacle
lamentable. En m ’exposant, elle me prend à partie mais aussi à témoin. D ’où
une sorte de passion du dessin, une passion négative et impuissante, la
jalousie d ’un dessin en souffrance. Et que je vois sans voir. L ’enfant se dit
en moi : comment prétendent-ils regarder à la fois un modèle et les traits
que de sa propre main on voue jalousement à la chose même ? Ne faut-il
pas être aveugle à l’un ou fautre ? Se contenter toujours de la mémoire de
l'autre r L ’expérience de cette infirmité honteuse appartient à un roman
familial dont je ne retiendrai q u ’un trait, une arme et un symptôme sans
doute, non moins q u ’une cause : la jalousie blessée devant un frère aîné
dont j’admirais, comme tout l'entourage, le talent de dessinateur — et l ’œil,
en somme, qui n ’a sans doute jamais cessé d accuser au fond de moi, à part
moi, un d é s ir fra tric id e . Ses œ uv res, je dois le d ire en to u te ie
fraternité, n’étaient que des copies : souvent des portraits au crayon noir ou à
l’encre de Chine qui reproduisaient des photographies de famille (je me
rappelle le portrait de mon grand-père après sa mort, casquette, petite
barbiche et lunettes cerclées) ou des tableaux déjà reproduits dans des livres
(je me rappelle encore ce vieux rabbin en prière ; mais mon grand-père
Moïse, sans être rabbin, incarnait pour nous la conscience religieuse : une
rectitude vénérable le plaçait au-dessus du prêtre).
Les dessins de mon frère, je souffrais de les voir exposés en
permanence, religieusement encadrés sur les murs de toutes les chambres.
J’essayai d'imiter à mon tour ses copies : une gaucherie pitoyable me
confirmait dans la double certitude d ’avoir été puni, privé, lésé, certes, mais
aussi, et par là même, secrètement élu. Je m ’étais envoyé à moi-même, qui
n’existais pas encore, le message indéchiffrable d ’une convocation. Com m e

■H
Jacques D e r r id a

si, à la place du dessin, auquel î’aveugle en moi renonça pour la vie, j’étais
appelé par un autre trait, cette graphie de mots invisibles, cet accord du
temps et de la voix qu on appelle verbe — ou écriture. Substitution, donc,
échange clandestin : un trait pour l’autre, trait pour trait. Je parle d ’un
calcul autant que d une vocation, et le stratagème lut presque délibéré.
Stratagème, stratégie, temps de guerre. Mot d ’ordre fratricide : économie du
dessin. D u dessin visible, du dessin en tant que tel, comme si je m ’étais dit :
moi, j’écrirai, je me vouerai aux mots qui m'appellent. Et ici même, vous
voyez bien que je les préfère encore, je tire autour du dessin des filets de
langue, je tisse plutôt, à l’aide de traits, bâtons et lettres, uite tunique
d ’écriture où capturer le corps du dessin, à sa naissance même, engagé que
je suis à le comprendre sans artifice, car tout cela nous arrive en vérité,
n ’est-ce pas, dans un m ouvement d ’yeux et de vieux, par les dieux et le
deux, le deuil et le duel (du « elle » nous attend peut-être, et du « il », et dû/
île, et « dû/elle » et toute la famille d ’yeux « pers » : Athéna Glaukppis -— ,
« perçants » : Athéna ()xyder\ès ou Gorgopis — , ou « percés », tous les
« per » que nous implorons en secret, à travers la filiation homonymique
des « pères » aveugles, des « paires » d ’yeux, de la vue q u ’on « perd », livré
à l’aléa des signifiants ou au colin-maillard des noms propres (Persée) dont
la Fortune aux yeux bandés paraît prodigue. Entre les deux séries que je
viens d ’évoquer, le père et l’œil, se dessine la figure de l’aïeul (avus). Les
vieillards aveugles traversent en foule, c’est l'expérience même des pères,
l’espace de nos mémoires. Si l’expérience est l’autorité, comme disait
^Bataille^-PLest^ce pas aussi la cécité ? Il ne s’agit pas ici de céder à la
jubilation ludique, ni de manipuler victorieusement des mots ou des
vocables. Au contraire, vous les entendez résonner d ’eux-mêmes au fond du
dessin, parfois à même sa peau ; car d ’avance la rum eur de ces syllabes vient
sourdre en lui, des morceaux de mots le parasitent, et pour percevoir cette
hantise, il faut s’abandonner aux fantômes du discours en fermant les yeux).
Economie du çkssm, donc. Le dessin revient toujours. Renonce-t-on
jamais r Fait-on jamais son deuil du dessin P Mon hypothèse de travail
signifiait aussi : travaiJdu deuil. L ’inconscient ne renonce à rien. De ma vie
je n m~plus jamais dessiné, pas même essayé de dessiner. Sauf l’hiver
dernier, et je garde encore l’archive de ce désastre, quand le désir me vint, et
la tentation, d ’esquisser le profil de ma mère que je veillais près de son lit
d ’hôpital. Alitée depuis un an, survivante, entre la vie et la mort, presque
murée dans le silence de cette léthargie, elle ne me reconnaît plus et ses yeux
sont voilés par la cataracte. Le degré auquel elle voit, et quelles ombres
Mémoires d'aveugle

passer devant elle, puis si elle se voit mourir, nous ne pouvons qu'en faire
l'hypothèse. (Ai-je dit spontanément de ma mère qu'elle était « murée » ?
Dans ce q u ’on pourrait appeler la rhétorique de la cécité, c’est l'une des
figures, typiques. L ’aveugle de Rilke {die Blinde , c’est une femme, cette
fois(42), et la gramm aire de « l'aveugle » en français ne permet pas de
distinguer un aveugle d 'une aveugle) dit ses « yeux emmurés » (vermauerten
Augen). Ces murs plombés enferment dans la nuit du caveau (les pharisiens
aveugles sont des « sépulcres blanchis », le Samson de Milton se présente
comme un mort-vivant, exilé de la lumière, enterré en lui-même dans une
tombe en marche : * Myself my sepulchre, a moving grave, buried ... *(43)), Us
cloisonnent aussi derrière les parois d ’une prison. Samson se dit doublement
confiné, « en prison dans la prison », ne sachant plus laquelle « déplorer »
(bewail) davantage, la littérale, celle de pierre, ou l’autre, plus intérieure
encore, comme « en abyme » derrière les parois de l’œil (« Which shall Ifirst
bewail, / Thy bandage or lost sight, / Prison within prison i Inseparably dar!{ ?
Thou art become (O worst imprison ment) / The dungeon o f thy self La
claustration de l’aveugle peut donc l’isoler derrière des parois dures. Il doit

(42) Parmi les aveugles de Rilke, qui tous et toutes chantent aussi la condition poétique, à savoir
le lyrisme même en tant q u ’il ouvre au-delà du visible, donnons seulemeni la parole à celui d ’un
rêve. A la différence de Die Blinde , le rêve de l’aveugle concerne un homme. Un homme semble
en faire parler un autre pour rendre des yeux à l’homme. Ces yeux sont les étoiles. En inversant
une allégorie astrale ou oculaire aussi vieille que le ciel, il rend ses yeux à l’hoinme en répondant
à la question suscitée par une jeune fille. Celle-ci avait dit à un jeune aveugle qui, sans y arriver,
« faisait un effort visible pour s’éveiller « alors que son « œil » « semblait vide » : « Cela ne sert
à rien, dit la jeune fille de sa voix transparente de rire dilué, on ne peut se réveiller avant que les
yeux soient de retour. »
« J'allais poser une question : « Que voulait-elle dire ? » Mais tout à coup je compris. Je me
rappelai un jeune ouvrier russe de la campagne qui, lorsqu’il arriva de Moscou, croyait encore
que les étoiles étaient les yeux de Dieu et les yeux des anges. On l’en avait dissuadé. A la vérité,
on ne pouvnil prouver le contraire de rien, mais on pouvait l’en dissuader. Et avec raison. Car
les étoiles sont les yeux des hommes qui s’échappent de leurs paupières fermées, et montent, et
deviennent claires, et se reposent. C ’est pourquoi, ü la campagne, où tous dorment, le ciel a
toutes les étoiles, et au contraire, au-dessus des villes il n'en a que peu, parce q u ’il y a tant
d’hommes qui s'inquiètent, pleurent, lisent, rient ou veillent, et qui gardent leurs yeux. » {Le
livre des rêves, Le septième rêve, tr. fr. M. Betz, in Œuvres en Prose, Seuil, 1966, p. 281 2). Dans
Gong, Rilke écrit aussi : * Il faut fermer les yeux et renoncer à la bouche, / rester muet, aveugle,
éhloui : / l’espace tout ébranlé, qui nous touche / ne veut de noire être que l’ouïe. » in Poésie,
Œuvres, 2. (Paris, 1972), édité par Paul de Man, l’auteur de Blindness and Insight (Minneapolis,
1983) qui cite aussi ces vers dans Allégories de lu lecture (tr. Th. Trezise, Paris, 1989, p. 81).

(43) « A m oi-m ême mon propre sépulcre, une tombe en marche, inhumé... »,

(44) /V ais-jé pleurer d 'a b o rd ,/O u ta captivité ou bien ta cécité/ Prison dans la prison/
Sombres inséparément ? Te voilà devenu (ô la pire des p rison s)/L e cachot de toi-même ».

45
Jacques D e r rid a

alors y exercer ses mains ou ses ongles. Mais l’abîme de l'isolement peur
aussi rester liquide, comme la substance de l’œil, comme les eaux d ’un
Narcisse qui ne verrait plus rien d ’autre que lui-même, rien autour de lui-
même. L'isolement spéculaire appelle alors l’insularité de l’image ou encore,
pour réfléchir f« abandon » de l'aveugle et sa solitude endeuillée, l’image
de l’île: g Je suis, une île», dit-elle. Die Blinde: «Ich bin von allem
verlassen. — / Ich bineine Insel. » Et à l'étranger venu sur la mer : « Ich bin
eine Insel und allein Mais la solitude est « riche », l’insularité n ’isole ou
ne « prive » de rien puisque « toutes les couleurs sont traduites (überseizt)
en sons et odeurs (in Gerausch und Geruch) »).
A

Nous sommes en juillet, après la guérison. Le thème une fois choisi (il
faut maintenant aller vite et schématiser à gros traits), j’hésite alors entre
deux paradoxes, deux grandes « logiques » de Tinvisible à lorigine du
dessin. Deux pensées du dessin, donc, se dessinent et, par corrélation, deux
« aveuglements ».

— Donnez-leur des noms : pour mémoire.

— Je les surnomme : le transcendantal et le sacrificiel. Le premier serait


l’invisible condition de possibilité du dessin, le dessiner même, le dessin du
dessin. Il ne serait jamais thématique. Il ne pourrait pas se poser ou se
prendre comme Yobjet représentable d ’un dessin. A devenir le thème du
premier, le second, à savoir l’événement sacrificiel, ce qui arrive aux yeux, le
récit, le spectacle ou la représentation des aveugles, disons q u ’il réfléchirait
cette impossibilité. 11 représenterait cet irreprcsentable. Entre les deux, dans
lé pU des deux, l’un répétant l’autre sans s*y réduire, Vévénement peut
^donner lieu à la parole du récit, au mythe, à la prophétie, au messianisme,
au roman familial ou à la scène de la vie quotidienne, fournissant ainsi au
dessin ses objets ou spectacles thématiques, ses figures, ses héros, ses
tableaux d ’aveugles. Le dessin table sur les représentations procurées par
l’événement, par ce qui a pu arriver aux yeux — 011 à la vue, et ce n ’est pas
nécessairement la même chose. Il restera toujours à voir si l'un des deux
aveuglements ne précipite pas l’autre. Et si, par exemple, ce q u e -j’expose
tout de suite au titre de l’aveuglement transcendantal n ’est pas motivé par la
violence d ’une économie sacrificielle, les yeux crevés ou brûlés, la castration
et toutes ses métonymies aboculaires, le ressentiment ou la vengeance contre

(45) « Je suis abandonnée de tous [de loutj. / Je suis une île (...) Je suis une île et seule ».
Mémoires d'aveugle

les frères qui détiennent le pouvoir de dessiner, la sublimation ou


l’intériorisation (les arts de l'invisible, la lumière intelligible» la révélation
intérieure ou surnaturelle).
C om m ent dém ontrer que le dessinateur est aveugle ou plutôt q u ’à
dessiner il ne voit pas ? Connaît-on des dessinateurs aveugles ? Il y a des
musiciens sourds, de très grands. Il y a des chanteurs et des poètes aveugles,
de très grands dont nous parlerons encore. Il y a aussi des sculpteurs
aveugles'46^ : observez le dessin de l’école du Guerchin, Délia scoltura si, délia 17
pittura no. Ce mendiant a tous les attributs des aveugles de l’Ecriture. Son
geste est d ’un sculpteur, car s’il tient un bâton dans la main gauche, il
reconnaît de sa main droite le buste d ’une femme qui pourrait bien être
aveugle elle aussi, le visage offert à une caresse et les yeux tournés vers le
haut, désorientés comme ceux de l'hom m e mais dans un mouvement qui
hésite entre l’imploration et l’extase (« Je dis : Que cherchent-ils au Ciel,
tous ces aveugles ? », ultime question pour Les aveugles « vaguement
ridicules ; Terribles, singuliers comme les somnambules. » de Baudelaire.)
Mais si les doigts muets de l’aveugle signifient « oui » à la sculpture, « non »
à la peinture, la parole suffit à inverser les choses — et à convertir. La
parole c’est-à-dire la rhétorique :
« On a longtemps disputé lequel des deux Arts, de la Peinture, ou de la
Sculpture, était le plus excellent : et l’on débite une Histoire, qui dit qu’on en
laissa la décision à un aveugle, qui porta son jugement en faveur de la
première, sur ce quon lui dit, que ce qui semblait plat et uni, dans un
tableau, en le touchant, paraissait à la vue aussi rond que Pétait la Pièce de
Sculpture, »(47)

(46) Roger de Piles raconte P« Histoire d'un sculpteur aveugle qui faisait des portraits en cire ».
C’est encore une histoire de la mémoire : « (...) “U n jour entre autres, l'ayant rencontré dans le
palais Justinien où il copiait une statue de Minerve, je pris occasion de lui demander s'il ne
voyait pas un peu pour copier aussi juste qu’il faisait. Je ne vois rien, m e dit-il, et mes yeux sont .
au bout de mes doigts. (...) Je tâte, dit-il, mon original, j'en examine les dimensions, les
éminences et les cavités : je tâche de les retenir dans ma mémoire, puis je porte ma main sur ma
cire, et par la comparaison que je fais de l’un et de l’autre, portant et rapportant ainsi plusieurs
fois la main, je termine le mieux que je puis mon ouvrage (...) Mais sans aller plus loin, nous
avons à Paris un portrail de sa main, et c’est celui de feu Monsieur Hesselin, maître de la
chambre aux deniers, lequel en fut si content et trouva l’ouvrage si merveilleux q u ’il pria
l’auteur de vouloir bien se laisser peindre pour emporter son portrait en France, et pour y
conserver sa mémoire. ” (...) Je m ’aperçus que le Peintre lui avait mis un œil à chaque bout de
doigl pour faire voir que ceux qu’il avait ailleurs lui étaient tout à fait inutiles ». Cours de
peinture par principes. Préface de Jacques Thuillier, Paris, 1989, p. I6l sq. Je souligne. Ce récit
est au service d'une thèse sur le clair-obscur que nous ne pouvons reconstituer ici.

(47) Richardson, Traité de la Peinture et de la Sculpture, Genève, 1972, p. 1U5-6 (Réimpression de


l'édition en langue française d ’Amsterdam en 1728, p. 128-129).

47
Jacques D e r rid a

Appuyé au socle de la statue, plus bas q u ’elle et comme abandonné sur


le sol, le dessin est bien soumis : soumis dans la hiérarchie des arts, soumis
au jugement de l’aveugle qui touche mais qui écoute aussi ce q u ’on lui dit
du relief. Au fait, que touche l’aveugle ? En reconnaissant les lignes du
visage à hauteur des yeux, en dévisageant de la main, mais comme de
mémoire, il porte ses doigts sur le Iront de l’autre : geste d ’am our ou de
bénédiction, geste protecteur aussi (il semble lui cacher ou lui fermer les
yeux : tu ne vois pas, ne vois pas, je te ferme les yeux* tu vois : que fait-on
quand on ferme les yeux de l’autre ?). A moins q u ’on ne l'imagine,
Pygmalion anim ant une statue, en train de lui rendre la ’ vue par
attouchement : un aveugle rend la vue à une aveugle (tu ne vois pas, vois,
toi, tu vois, tu as vu, tu auras vu, tu vis déjà). C ’est aussi que les yeux de
sculpture sont toujours clos, « em murés » en tous cas, comme nous le
disions, ou tournés vers le dedans, plus morts que vifs, plus morts que ceux
des masques.
Mais q u ’est-ce qu'un masque ? 11 nous reste à dire la mémoire de
l'aveugle com me expérience du masque.

Je vous arrête un instant, avant que vous n ’alliez trop loin. Si l’on ne
se rappelle aucun dessinateur aveugle, proprement privé de la vue et des
yeux {ab oculis), n’cst-cc pas aller contre le bon sens même, n est-ce pas
céder à une provocation facile que de prétendre exactement le contraire, à
s a v o i r ^ ue tout dessinateur est aveugle ? Q u ’il soit en proie à une dévorante
prolifération de l’invisible, personne ne le conteste, mais cela suffit-il à faire
de lui un aveugle £ Et à justifier cette contre-vérité ? Monct lui-même faillit
seulement, à la fin, perdre la vue.

3 — Nous parlons ici de dessin, non de peinture. De ce point de vue, il y a


■V
^ | vO-OjO pour l’œil, me semble-t-il, au m oins trois espèces d ’im pouvoir, disons plutôt
•Ha)
trois aspects pour souligner encore d ’un trait ce qui voue i’expérience du
regard (aspicere) à l’aveuglement. Aspectus, c’est à la fois le regard, la vue et
ce qui se do n ne à voir : d ’un côté le spectateur et de l’autre l’aspect,
autrement dit spectacle. Spectacles : lunettes en anglais. Cet impouvoir n est
pas impuissance ou défaillance, il donne au contraire sa ressource quasi
transcendantale à l’expérience d u dessin.

Le premier aspect, surnommons-le ainsi, je le verrais dans Yaperspective


de l'acte graphique . Dans son moment de frayage originaire, dans la
r > £ ü , A S çq L T v P A .s'i,
D E j.L A P I T r v /Û .A .f tlO

17. Ecolc du Oucrchin, Délia scolptura si, délia pittura no, musée du Louvre.
(n19 de t'ewpo&iiion)
Jacques D e rrid u

puissance traçante du trait, à l'instant où la pointe à la pointe de la main (du


corps propre en général) s avance au contact de la surface, 1"inscription de
l’inscriptible ne se voit pas. Improvisée ou non, l ' i n v e n t i o n du trait ne sim
pas, elle ne se règle pas sur ce qui est présentement visible, et qui serait posé
là devant moi comme un thème. Même si le dessin est m im étique, comme
dU: on dit, reproductif, figuratif, représentatif, même si le modèle est
* I présentement en face de l’artiste, il faut que le trait procède dans la nuit. Il
Ç 11 —--- ---- ---- .---
dA*vj IA échappe au champ de la vue. N on seulement parce q u ’il ri est pas encore
visible(48), mais parce qu'il n'appartient pas à lo rd re du spectacle, de
l’objectivité spectaculaire — et ce q u ’il fait alors advenir ne peut être en soi
mimétique. L ’hétérogénéité reste abyssale entre la chose dessinée et le trait
--- — Ÿ*
dessinant, fût-ce entre une chose représentée et sa représentation, le modèle
/ />n t ÿ u et Fanage. La nuit de cet abîme peut s’interpréter de deux façons, soit
/ comme la veille ou la mémoire du jour, autrement dit une réserve de
visibilité (le dessinateur ne voit pas présentement mais il a vu et il verra :
l’aperspective est la perspective anticipatrice ou la rétrospective anamnési-
que), soit comme radicalement et définitivement étrangère à la phénoména-
lité du jour. Cette hétérogénéité de l'invisible au visible peut hanter celui-ci
comme sa possibilité m ê m e. Q u ’on le souligne avec les mots de Platon ou de
Merleau-Ponty, la visibilité du visible, par définition, ne peut être vue, jpas
^plus que ta diaphanéité de la lumière dont parle Aristote. Mon hypothèse,
rappelez-vous que nous sommes toujours dans la logique de l’hypothèse,
c’est que le dessinateur se voit toujours en proie à ceci, chaque fois universel
■V)v u
et singulier, q u ’il faudrait appeler Yinvu, comme on dit Tinsu. Il se le
r _rappelle, il est appelé, fasciné ou rappelé par lu i. Mémoire ou non, et l’oubli
comme mémoire, en mémoire et sans m ém oire.
18 D ’une part, donc, anamnèse : anamnèse de la mémoire même. Baudelaire
rapporte l invisibilité du modèle à la mémoire qui l'aura porte. Il « rend »
l’invisibilité à la mémoire. Et ce que dit le poète des Aveugles est d ’autant
plus convaincant qu'il parle de Yimage graphique, du dessin représentatif.

(48) « Q u ’est-ce que dessiner ? demande Van Gogh. Comment y arrive-t-on r C’est l'action de
se frayer un passage à travers un mur de fer invisible ». Cette lettre est citée par Artaud (O.C.
X ÎÏÏrp . 40). Dans un essai consacré aux dessins et portraits d ’Antonin Artaud {Forcener le
subjcctilc, in Artaud. Portraits et Dessins, Paris, 1^86), je tente en particulier d'interpréter le
rapport entre ce q u ’Artaud appelle la mal adresse nécessaire du dessin dans le frayage de
l’invisible et le rejet d’un certain ordre théologique du visible, d ’une autre « maladresse» de
Dieu comme « art du dessin ». C om m e si Artaud contresignait ici l'aveuglement décidé tic
Rimbaud : « Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je ne suis pas chrétien. »
i
Mémoires d ’aveugle

Cela v a u t# fortiori de l’autre. Il faudrait citer ici tout L ’art mnémonique. Par
exemple :
« Je veux parler de la méthode de dessiner de M.G. Il dessine de mémoire, et
non d’après le modèle (...) tous les bons et vrais dessinateurs dessinent d’après
l’image écrite dans leur cerveau, et non d'après la nature. Si l’on nous objecte
les admirables croquis de Raphaël, de Watteau et de beaucoup d ’autres, nous
dirons que ce sont là des notes très minutieuses, il est vrai, mais de pures
notes. Quand un véritable artiste en est venu à l'exécution définitive de son
œuvre, le modèle lui serait plutôt un embarras qu'un secours. Il arrive même
que des hommes tels que Daumier et M.G., accoutumés dès longtemps à
exercer leur mémoire et à la remplir d'images, trouvent devant le modèle et
la multiplicité de détails qu'il comporte leur faculté principale troublée et
comme paralysée.

l(_
Baudelaire, il est vrai, interprète alors la mémoire comme réserve )

Tjl
naturelle, sans histoire, sans tragédie, sans événement, comme la matrice iwyjf'/v f i à ' v y v
naturellement sacrificielle, c’est son mot, d ’un visible trié, élu, filtré. Elle ne ■co1 V'i'îl
rompt avec le présent de la perception visuelle que pour mieux voir à
dessiner. Mémoire créatrice, schématisation, temps et schème de l'imagina­
tion transcendantale selon Kant, a_vec sa « synthèse » et ses « fantômes ».
« Duel », c’est aussi un mot de Baudelaire, duel, comme dans mon rêve,
entre deux aveugles et pour l’appropriation de l’excès : le plus-de-vue. la
vision visionnaire du seer qui voit au-delà du présent visible, la sur-vue ou la jl

—.. survie de la vue. Et le dessinateur qui se fie à la vue, à la vue p résente, celui
■ ' qui a peur de suspendre la perception visuelle, celui qui ne veut pas en faire
o son deuil» celui-là commence à devenir aveugle par simple peur de perdre la
vue. Cet infirme est déjà sur le chemin de la cécité, il ^st_« myope ou
presbyte ». La rhétorique baudelairienne use aussi de figures politiques.

« Il s’établit alors un duel (je souligne, J.D.) entre la volonté de tout voir, de
ne rien oublier, et la faculté de la mémoire qui a pris l’habitude d ’absorber
vivement la couleur généraient la silhouette, l’arabesque du contour. Un

(4ty Baudelajrty « L'art m ném o n iq u e », in Œ uvres Complètes (Paris, éditions de la Pléiade,


p. 895-ÿ"). On a proposé deux références au poème Les aveugles. Pour des raisons essentielles, qui
tiennent à la structure de la référence et du poèm e, il ne peut s’agir là que d'hypothèses. La
première concerne une gravure ou une lithographie d ’après la toile de Bruegel l’Ancien {La
parabole des aveugles du Musée de Naples dont le Louvre aurait acquis une copie en 1893).
L’autre hypothèse de référence renvoie à Hoffman, Coûtes posthumes (1K56), un livre de
Champfleury. Dans la note qu'il consacre à cette question, Claude Pichois rappelle que dans ce
livre « Moi déclare qu’on reconnaît les aveugles à leur manière de tourner la tête en haut », alors
que « le Cousin lui répond que l’œ il intérieur cherche à percevoir l'éternelle lumière qui luit
dans Tautre monde. » (Pléiade, t. I p. 1021).

51
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“ r - V L t f i t

18, Charles Baudelaire, Autoportrait, musée du Louvre, tonds du m usée d Orsay


Mémoires d ’aveugle

artiste ayant le sentiment parfait de la forme, mais accoutumé à exercer


surtout sa mémoire et son imagination, se trouve alors comme assailli par
une émeute de détails, qui mus demandent justice avec la furie d'une foule
amoureuse d’égalitéjibsolue. Toute justice se trouve forcément vi.o.lée ; toute
harmonie détruite .^sacrifiée (je souligne, J.D.) ; mainte trivialité devient
énorme ; mainte petitesse, usurpatrice. Plus l'artiste se penche avec impartia­
lité vers le détail, plus l'anarchie augmente. Qu'il soit myope ou presbyte,
toute hiérarchie et toute subordination disparaissent. C ’est un accident qui se
présente souvent... »

Et c'est alors pour Baudelaire Yordre de la mémoire qui précipite» au-


d elà de la perception présente, la vitesse absolue de l'instant (le temps d u
clin d ’œil qui ensevelit le regard dans un battement de paupière, l'instant
nommé Augenblicl{ ou wink. blink, c t ^ e qui sombre in the twinkling o f an
eye), mais aussi la « synthèse », mais aussi le « fantôme », la « peur », la
peur de voir et de ne pas voir ce q u ’il ne faut pas, donc cela même qu'il faut
voir, la peur de voir sans vu:i lipse entre les deux, « l ’exécution
inconsciente » et surtout les figures qui substituent un art à l’autre, la
rhétorique analogique ou économique (c'est-à-dire familiale) dont nous
parlions à l’instant, le trait-pour-trait :

« Ainsi, dans l’exécution de iVl.G. se montrent deux choses : l’une, une


contention de mémoire résurrectionniste, évocatrice, une mémoire qui dit à
chaque chose ; “Lazare, lève-toi'' ; l'autre, un feu, une ivresse de crayon, de
pinceau, ressemblant presque à une fureur. C ’est la peur de n'aller pas assez
\Mte^de laisser échapper le fantôme avant que la synthèse n’en soit extraite et
saisje ; c’est cette terrible peur qui possède- tous les grands artistes et qui leur
fait désirer si ardemment de s'approprier tous les moyens d'expression, pour
que jamais les ordres dc~Tesprit ne soient altérés par les hésitations de la
main ; pour que finalement l'exécution, l'exécution idéale, devienne aussi
inconsciente, aussi coulante que l’est la digestion pour le cerveau de l’homme
bien portant qui a dîné. »

En assignant l’origine du dessin à la mémoire, plutôt q u ’à la


perception, Baudelaire fait à son tour acte de mémoire. Il s’inscrit dans une
tradition iconographique qui remonte au moins à Charles Le Brun(S0).

(50) C ’est l’hypothèse de George Levitine qui entend ainsi préciser ou corriger celles de Robert
Rosenbium clans sa très riche étude, « T he Origin o f Painting : A Problem in the Jconography
o f Romani ic Classicism », The Art Huiletin, X X X IX , 1957. Ce dernier avait considéré The Origin
of Painting, de Runciman (1771) com me l'inauguration de cette inépuisable « tradition
iconographique » en m ém oire de Dibutade, la icunc Corinthienne qui portait le nom de son
Jacques D e r r id u

L'origine du dessin et l'origine de la peinture y donnent lieu à de m ultiples


représentations qui substituent la mémoire à la perception. D ’abord parce
que ce^sonL des ^représentations, ensuite parce q u ’elles puisent le plus
souvent à un récit exemplaire (celui de (Dibutad^/ la jeune amante
corinthienne qui portait le nom de son père, un potier de Sycione), enfin
parce que ce récit rapporte T o ntine de la représentation graphique à
l’absence ou à 1 invisibilité du modèle. Dibutade ne voit pas son amant, soit pr _
qu elle lui tourne le dos, plus constante q u ’un Orphée, soit q u ’il lui tourne
le dos ou que leurs regards ne puissent en tous cas se croiser (c’est l’exemple
19 de Dibutade ou l ’Origine du Dessin, de J.B. Suvée) ; comme sf voir était
interdit pour dessiner, comme si on ne dessinait q u ’à la condition de ne pas
voir, comme si le dessin était une déclaration d ’am o ur destinée ou ordonnée
à [invisibilité de l’autre, à moins q u ’elle ne naisse de voir l’autre soustrait au
^ voir. Que Dibutade, la main parfois guidée par Cupidon (un A mour qui
voit et qui n ’a pas ici les yeux bandés) suive alors les traits d ’une ombre ou
d ’une silhouette, q u ’elle dessine sur la paroi d ’un m ur ou sur un voile(S1),
dans tous les cas une s^a graphia , cette écriture de l’ombre, inaugure un art
de l’aveuglement. La perception appartient dès l’origine au souvenir. Elle
écrit, donc elle aime déjà dans la nostalgie. Détachée du présent de la
perception, tombée de la chose même qui se partage ainsi, une o m b re est
une mémoire simultanée, la baguette de Dibutade est un bâton d ’aveugle.
Q u ’on en suive le trajet, dans le tableau de Regnault (Dibutade traçant le

père et qui « devant être séparée de son amant pour quelques jours, remarqua sur une muraille
l’ombre de ce jeune hom me dessinée par la lumière d'une lampe. L ’amour lui inspira l’idée de
se ménager cette image chérie, en traçant sur l’ombre une ligne qui en suivit et marqua
exactement le contour. Cette amante avoii pour père un Potier de Sycione, nom m é Dibutade... »
(Antoine d’Origny, cité par Rosenblum, op. cit. n. 21). Remarquons que dans la topographie
ainsi retracée, le disposiui de l’origine du dessin rappelle très précisément celui de la spéléogic
platonicienne. Dans ses « Addenda » à l’étude de Rosenblum (in The Art Bulletin , XL, 1958),
G. Levitine nous reconduit à des « origines du dessin » antérieures, plus originaires en somme.
La première serait une gravure à partir d ’un dessin de Charles Le Brun (avant 1676) et l'autre à
partir d ’un dessin de Charles-Nicolas Cochin fils (1769). Dans les deux cas, on voit la jeune
Corinthienne, son amant et Cupidon. Ce dernier guide la main de Dibutade dans la version de
i i . Le Brun. Sur le thème de l’amour aveugle (caecus amor, caeca libido, caeca cupido, caecus amor
|.e<> y çmX U ' sui), sur Thistoire si paradoxale des » d£lCupidph qui ne furent pas toujours « bandés »,
. je ne peux que renvoyer ici au riche article que Panbfsky lui consacre dans ses Essais d'iconologie
O j7 ' 0( 0^ , jH } (op. cit. p. 151 sq).

M 1 (51) Nougaret note en effet dans ses Anecdotes des Beaux-Arts (1776) que si parlais les rôles sont
' inversés (c’est l’amant qui dessine), l’amante « profita de l’heureux stratagème de son amant » et
dessina la silhouette à son tour non sur un mur mais sur un voile « qu elle sut garder avec le plus
grand soin » (cité par G. Levitine, Ioc. cit. p. 330. Je souligne, J.D.).

54
Jacques D e r r id a

L'origine du dessin et l’origine de la peinture y donnent lieu à de multiples


I
représentations qui substituent la mémoire à la perception. D ’abord garce
que ce -sont- des représentations, ensuite parce q u ’elles puisent le plus
souvent à un récit exemplaire (celui de ( H i b u t a d ^ la jeune amante
corinthienne qui portait le nom de son père, un potier de Sycione), enfin
parce que ce récit ranporte l’origine de la représentation graphique à
l’absence ou à l’invisibilité du modèle. Dibutade ne voit pas son amant, soit
q u ’elle lui tourne le dos, plus constante q u ’un Orphée, soit q u ’il lui tourne
le dos ou que leurs regards ne puissent en tous cas se croiser (c’est l’exemple
19 de Dibutade ou FOrigine du Dessin, de |.B. Suvée) : comme si voir était
^X'?S(VVJL/V - _mterdit pour dessiner, comme si on ne dessinait q u ’à la condition de ne pas
voir, comme si le dessin était u n e déclaration djn n i ju r destinée ou ordonnée
> à l’invisibilité de l’autre, à moins q u ’elle ne naisse de voir l’a utre soustrait au
vojj. Que Dibutade, la main parfois guidée par Cupidon (un A mour qui
voit et qui n ’a pas ici les yeux bandés) suive alors les traits d ’une ombre ou
d ’une silhouette, q u ’elle dessine sur la paroi d ’un m ur ou sur un voile151),
dans tous les cas une skjagraphia, cette écriture de l’ombre, inaugure un art
de l'aveuglement. La perception appartient dès l’origine au souvenir. Elle
écrit, donc elle aime déjà dans la nostalgie. Détachée du présent de la
perception, tombée de la chose même qui se partage ainsi, une ombre est
une m é m oire simultanéeT la baguette de Dibutade est un bâton d ’aveugle.
Q u ’on en suive le trajet, dans le tableau de Regnault {Dibutade traçant le

père et qui « devant être séparée de son amant pour quelques jours, remarqua sur une muraille
l’ombre de ce jeune hom m e dessinée par la lumière d ’une lampe. L ’amour lui inspira l’idée de
se ménager cette image chérie, en traçant sur l'ombre une ligne qui en suivit et marqua
exactement le contour. Cette amante avoit pour père un Potier de Sycione, nom m é Dibutade... »
(Antoine d ’O rigny, cité par Rosenblum, op. cit. n. 21). Remarquons que dans la topographie
ainsi retracée, le dispositif de l’origine du dessin rappelle très précisément celui de la spéléogie
platonicienne. Dans ses « Addenda » à I étude de Rosenblum {in The Art Bulletin, XL, 1958),
(r. Levitine nous reconduit à des « origines du dessin » antérieures, plus originaires en somme.
La première serait une gravure à partir d ’un dessin de Charles Le Brun (avant 1676) et l’autre à
partir d'un dessin de Charles-Nicolas Cochin fils (1769). Dans les deux cas, on voit la jeune
Corinthienne, son ainant et Cupidon. Ce dernier guide la main de Dibutade dans la version de
i *• i . Le Brun. Sur le thèm e de l’amour aveugle (caecus amor, caeca libido, caeca cupido, caecus amor
le} y ÊMX sui), sur l’histoire si paradoxale des « veux » diçr"Cupid^h qui ne furent pas toujours « b an d és »,
, je ne peux que renvoyer ici au riche article que Panbfsky lui consacre dans ses Essais d'iconologie
C r t P .'o lo ’l , / * / (op. cit. p. 151 «q). ~ ~

rH ^ n ’ (51) Nougaret note en effet dans ses Anecdotes des Beaux-Arts (1776) que si parfois les rôles sont
' inversés (c’est l’amant qui dessine), l’amante « profita de l'heureux stratagème de son amant * et
dessina la silhouette à son tour non sur un mur mais sur un voile « qu'elle sut garder avec le plus
grand soin » (cité par G. Levitine, loc. cit. p. 330. Je souligne, J.D.).

54
19. lowpb-Benoît Suvée, Dibutade ou l'Origine du Dessin.
Bruges, ( îro cn in fiu erm iseu m .
(n* I de l’exjxMjnon)

20. Jean Baptiste Regnault, Dibutade ou l’Origine du Dessin, Château de Versailles.


Jacques D e r r i d a

portrait de son berger ou L'origine de la peinture) comme nous Pavons fait


pour tous les dessins d ’aveugles : il va et vient de l’am our au dessin.
Rousseau voulait lui rendre la parole. Essai sur l’origine des langues :
« L'amour, dit-on, fut l’inventeur du dessin ; il put aussi inventer la parole,
mais moins heureusement. Peu content d'elle, il la dédaigne : il a des
manières plus vives de s’exprimer. Que celle qui traçait avec tant de plaisir
l’ombre de son amant lui disait de choses ! Quels sons eût-elle employés pour
rendre ce mouvement de baguette ?<S2) »

D ’autre part, et dans Tanamnèse même, il y a Yamnésie : l'orphelin de


mémoire, car l’invisible peut aussi perdre la mémoire, comme o'n perd ses
parents. Sur une piste différente qui revient peut-être à la même, le
dessinateur serait livré à cette autre invisibilité, livré à elle comme un
chasseur s'acharne lui-même , devient un leurre fascinant pour la bête
traquée qui le regarde. Pour être absolument étrangère au visible et même
au visible en puissance, à la possibilité du visible, cette invisibilité habiterait
encore le visible, elle viendrait plutôt le hanter jusqu’à se confondre avec lui
pour en assurer, depuis le spectre de cette impossibilité même, sa ressource
h. v’d U t la plus propre. Le visible en tant que tel serait invisible, non pas comme
iM »A y visibilité, phénoménalité ou essence du visible, mais comme le corps singulier
du visible m ê m e, à même le visiEIë——qui produirait ainsi de l’aveuglement,
par émanation, comme s’il sécrétait son propre médium . Programm e pour
toute une relecture du dernier Merleau-Ponty. Contentons-nous de
quelques indices, faute de place, dans Le Visible et l'invisible. Plutôt que de
rappeler la « téléperception » ou les quatre « couches » de l’invisible dont
Merleau-Ponty explique(5i} pourquoTon ne peut les réunir « logiquement »
(1. «ce qui n ’est pas actuellement visible mais pourrait l’ê t r e ; » 2. la
m em brure des existentiaux non visibles du visible ; 3, le tactile ou le
kinesthésique ; 4. le dicible, les « le \ta » ou le « cogito »), j’aurais plutôt suivi
:s traces de l’invisibilité^ÿ^yo/wf. Pour être l’autre du visible, celle-ci ne doit
ni avoir lieu ailleurs ni constituer un autre visible, comme ce qui n ’apparaît
pas encore ou bjen ce qui a déjà disparu et dont le spectacle des ruines
monumentales appellerait la reconstitution, le rassemblement de mémoire,

(52) Je me permets de renvoyer à un chapitre de De la grammatologie (Paris, 1967) organisé


autour de ce texte : « Ce m ouvem ent de baguette... » (ch. III, III, L ’articulation, p. 327 sq).

(53) Maurice M erleau-Ponty, Le Visible et l ’invisible, suivi de notes de travail, texte établi par
Claude Lefort, Paris 1964, Coll. T el, p. 311.

56
Mémoires d'aveugle

<^V) V tW '11/ k
le remembrement. Ce non-visible ne qualifie pas u n phénomène présent
ailleurs, latent, imaginaire, inconscient, caché, passé, c’est un « phéno­
mène-» dont l’inapparence est d ’un autre ordre ; et ce que nous convenons
d ’appeler ici transcendantalité n ’est pas sans rapport avec la « transcendance
pure, sans masque ontique » dont parle Merleau-Ponty :

« Janvier I960. Principe : ne pas considérer l’invisible comme un autre visible


“possible”, ou un “possible” visible pour un autre (...) L'invisible est là sans
être objet, c’est la transcendance pure, sans masque ontique. El les “visibles"
eux-mêmes, en fin de compte, ne sont que centrés sur un noyau d'absence
eux aussi. Poser la question : la vie invisible, la communauté invisible, autfui
invisible, la culture invisible. Faire une phénoménologie de l’“autre momie”
comme limite d'une phénoménologie de l'imaginaire et ,du “caché>'lS4).
"Quand je dis donc que tout visible est invisible, que la perception est
imperception, que la conscience a un « punctum caecum », que voir, cVst
toujours voir plus qu'on ne voit -— il ne ?aut pas le comprendre dans Te sens
lî’une contradiction . Il ne faut pas se figurer que j’ajoute au visible (...) un
non-visible. Il faut comprendre que c’est la visibilité même qui comporte
une non-visibilité”^ . Ou encore : “Cequ'elle (la conscience) ne voit pas, c'est.
pour des raisoçs de principe qu’elle ne le voit pas, c’est parce qu elle est
conscience qu’elle ne le voit pas. Ce qu elle ne voit pas, c’est ce qui en elle
prépare la vision du reste (comme la rétine est aveugle au point d’où se
répandent en elles les fibres qui permettront la vision)”^ . “Se t o u c h e r , v o i r
(...), ce n'est pas se saisir comme objet, c’est être ouvert à soi, destiné à soi
(narcissisme) -— (...). Le sentir qu’on sent, le voir qu’on voit, n’est pas pensée
de voir ou de sentir mais vision, sentir, expérience muette d’un sens
muet". »157'

L ^perspective nous oblige d o n c à considérer la définition objective,


l’anatomo-physlologie ou l’ophtalmologie du « punctum caecum » comme
une simple image à son tour, un index analogique de la vision elle-même,
■n dXci Sii,I w ,
de la vision en g é n é r a l , celle qui, se voyant voir, ne^se réfléchit pourtant pas,
ne se « pense » pas sur le mode spéculaire ou spéculatif — et donc s’aveugle ^
par là même, en ce point du « narcissisme », en cela même où elle se voit
regarder.

(54) p. 282-3.

(55) p. 300.

(56) p. 301.

(57) p. 3U3 (outre les pages citées, cf. aussi pp. 268-72, 279, 295 sq, et passim).

57
Jacques D c r r id a

— J e veux bien que, à la pointe originaire du trait, celui-ci soit invisible


et que le dessinateur alors s’y aveugle, mais après, une fois la ligne tracée ?

2 J i T ^-fx a ^'b
— Voyons maintenant le second aspect. Ce n ’est pas un aspect second ou
secondaire. Il apparaît ou plutôt disparaît sans retard. Je le surnommerai le
retrait ou Céclipse, l'inapparence différentielle du trait. Nous venons de nous
l'é lit^ ,
intéresser à l’acte de tracer, au tracement d u trait. Que penser maintenant
du trait une fois tracé ? N on pas de son frayage et du trajet inaugural de la
trace, mais d e ' œ ^ u i en reste ? Un tracé ne se voit pas. O n devrait ne pas le
d** f W - j '
voir (ne disons pas pour autant : « Il tant ne pas le voir ») dans laTnesure où
ce qui lui reste d ’épaisseur colorée tend à s’exténuer pour marquer la seule
bordure d'un contour : entre le dedans et le dehors d ’une figure. Cette
limite atteinte, il n'y a plus à voir, pas même du noir et blanc, de la fig u re/
forme, et c’est le trait, voici la ligne même : qui donc n ’est plus ce q u ’elle est,
car elle ne se rapporte dès lors jamais à elle-même sans se diviser aussitôt, la
divisibilité du trait interrompant ici toute identification pure, et formant, on
l’aura sans doute compris maintenant, notre hypothèque générale pour toute
pensée du dessin, à la limite inaccessible en d roit. Cette limite n ’est jamais
présentement atteinte mais le d essin toujours fait signe vers cette
inaccessibilité, vcrs-le seuil où n^appâraîf que l’entour d u t r a h , ce qu il
e'^pïCITetr’tJelimitant et qui donc ne lui appartient pas. Rien n 'appartient au
trait, d onc a u dessin et à la pensée du dessin, pas même sa propre « trace ».
Rien n ’y participe même. Il ne joint et n ajointe q u ’en séparant.
Est-il fortuit "que nous retrouvions, pour en parler, le langage de la
théologie négative ou des discours occupés à nom m er le retrait du dieu
invisible ou du dieu caché ? De Celui q u ’il ne faut ni voir de face ni
représenter ni adorer, c’est-à-dire idolâtrer sous les traits de l’icône ? Celui
qu'il est même périlleux de nomm er de tel ou tel de ses noms propres r Fin
de l’iconographie. La mémoire des dessins-d‘aveugles, c’est trop évident
depuis longtemps, s’ouvre comme une mémoire-Dieu. Elle est théologique
de part en part, jusqu au point, tantôt inclus, tantôt exclu, où le trait qui
s’éclipse ne peut même pas se dire au présent, car il ne se rassemble en
aucun présent, « Je suis celui qui suis » (formule dont on sait que la
gram m aire originale implique le futur). Le tracé sépare et se sépare lui-
même, il ne retrace que des frontières, des intervalles, une grille
d Jespacément sans a p p ropriation possible. Inexpérience du dessin (et
l'expérience, son nom l’indique, consiste toujours à voyager par-delà les
limites) traverse et institue en même temps ces frontières, elle invente le
Mémoires d'aveugle

Shibboleth de ces passages (le chœur de Samson Agonistes rappelle ce qui lie
le Shibboleth^ cette circoncision de la langue, à la sentence de mort :
« ... when so many died / Without reprieve adjudged to death, / For want o f well
pronouncing Shibboleth »(58).
Une limite linéaire, celle dont je parle, n'a pourtant rien d'idéal ou
d'intelligible. Se divisant elle-même en son ellipse, à partir ^/'elle-même elle
se départit d ’elle-mêmevelle ne s’établit en aucune identité idéale. En ce clin
de l’œil, l’ellipse n ’est pas un objet mais ùiTbattemcnr7îelT"différence qui
l’engendre, ou, si vous prêterez, u ne jalousie {blind) de traits cisaillant
l'horizon et à travers lesquels, entre lesquels vous observez sans être vu, vous
entrevoyez ce que je veux dire : loi de (entrevue. Pour la même raison, le
T „— i ~
trait n ’est pas sensible, comme le serait le plein d ’une couleur. Ni intelligible
ni sensible. Nous parlons ici de cécité graphique et non chromatique, de
dessin non de peinture, même si parfois telle peinLure peut s’épuiser à
peindre le dessin, voire à représenter, pour la mettre en tableau, l’allégorie
d ’une « origine (lu dessin ». Si nous sommes depuis tout à l'heure sortis de la
caverne platonicienne, ce ne fut pas p ou r voir enfin Yeidos de la chose
même, après conversion, anabase ou anamnèse. Nous avons quitté la <rr,^r)
caverne parce que cette spéléologie de Platon m anque, incapable d ’en tenir
compte sinon de le voir, l’inapparence d ’un trait qui n ’est ni sensible ni
intelligible. Elle le manqu e précisément parce q u ’elle croit le voir ou le
donner à voir. La-lucidité de ladite spéléologie porte en elle un autre
aveugle, non pas le caverneux mais celui qui ferme les veux sur cet
< -
aveuglement — ci. (Laissons pour une autre occasion le traitement réservé
par Platon à ces grands aveugles que furent H om ère et Œdipe.)
«.Avant » toutes les « tâches aveugles » qui, littéralement ou par
figure, organisent le champ scopique et la scène du dessin, « avant » tout ce
qui peut arriver à la vue, « avant » toutes les interprétations, les
ophtalmologies, les théo-psychanâlyses du sacrifice ou de la castration, il y
aurait donc le rythme écliptique du trait, la jalousie, la contraction
aboculaire qui donne à voir « depuis » l’invu. « Avant » et « depuis »
dessinent dans le temps ou l'espace un ordre qui ne leur appartient pas,
n’est-ce pas trop évident r

— Si telle fut en effet la première idée de cette exposition, on pourra

(58) « ... lorsqu’ils moururent en si grand nombre / A la mort condamnés, sans grâce ni sursis /
Pour n’avoir jamais su prononcer Shibboleth. »

59
Jacq ues D e r rid a

toujours dire, sans risque de se tromper, que vous cherchez ainsi à


trancendantaliser, c'est-à-dire à anoblir une infirmité ou une impuissance :
'’votre aveuglement au dessin ne répond-il pas à une nécessité universelle ? et
par excellence à une essence du trait, à une invisibilité inscrite à même le
trait ? Dans votre passion jalouse, envieuse même, dans voire impuissance
blessée, ne prétendriez-vous pas être plus fidèle au trait, en sa fin la plus
fine ? Q u an t au « grand dessinateur », à suivre votre suggestion, ne
cherche-t-il pas aussTen vain, jusqu’à l’épuisement d ’un ductus ou d ’un
style, à capturer ce retrait du trait, à le remarquer, à le signer enfin — dans
une scarification sans fin ?

^ r — Mais si je l’avouais, cela suffirait-il à disqualifier mon hypothèse?


Cette rhétorique de l’aveu, où vous voulez me confiner, nous conduit au
\ t ( r troisième aspect : la rhétorique du trait. Le retrait de la ligne, ce qui la retire
m |. Kû. / | au m om ent où le trait se tire, n ’est-ce pas ce qui laisse la parole ? Et du
Xm même coup interdit de séparer le dessin du m u rm u re discursif dont le
frémissement le transit ? Cette question ne vise pas à restaurer une autorité
du dire sur le voir, du mot sur le dessin ou de la légende sur l'inscription. Il
s’agit plutôt de comprendre comment cette hégémonie a pu s’imposer.
Partout où le dessin consonne et s’articule avec une onde sonore et
temporelle, son rythme compose avec l’invisible : avant même que ne
44 retentisse le masque d ’une Gorgone (car un horrible cri pouvait en
accompagner le regard), avant qu'il ne fasse de vous un aveugle de pierre.
C ’est encore par figure que nous parlons de rhétorique, pour désigner d ’un
trope supplémentaire cet immense domaine : le dessin des hommes. Car
nous réservons ici la question de ce q u ’on appelle obscurément l’animal et
qui n ’est pas incapable de trace. La limite que nous laissons ici dans l’ombre
paraît d ’autant plus mouvante que nous y croisons nécessairement les
« monstruosités » de l’œil, figures zoo-théo-anthropomorphiques, greffes
instables ou proliférantes, hybrides inclassables dont les gorgones et les
cyclopes sont seulement les exemples les plus connus. O n dit la vue de
certains animaux plus puissante, plus aiguë, plus cruelle aussi que celle de
l’homme, et pourtant privée du regard.
Le dessin des hommes, en tout cas, ne va jamais sans s'articuler avec
l’articulation, sans l’ordre donné avec des j ingis^rappelez-vous fange
Raphaël), Tordre tout court, Tordre du récit, donc de la mémoire, Tordre
d ’ensevelir, Tordre de la prière, Tordre des noms à donner ou à bénir. Le
^ ' ( dessin vient à la place du nom q u i vient à la place du dessin : pour

rKOv'"\

Vv£*A,V A 'Jfr

60
Mémoires d'aveugle

s’entendre appeler, comme Dibutade, l’autre ou par l’au tre. Dès q u ’un nom
vient hanter le dessin, et même le sans-nom de Dieu dès lors q u ’il ouvre
l'espace de la nomination, un aveugle a partie liée avec le voyant. Un duel
interne s’engage au cœur même du dessin.
Le retrait transcendantal appelle et interdit à la fois l’autoportrait. Non
pas celui de l'auteur et présumé signataire, mais celui du « point-source »
du dessin, l'œil et le doigt, si l’on veut. Ce point se représente et s’éclipse eri
même temps. Il se livre à l’autographe de ce clin d ’œil qui l’enfonce dans la
nuit, ou plutôt dans le temps de ce jour déclinant où sombre le visage : il
s’emporte lui-même, se décompose ou se laisse dévorer par une bouche
d ’ombre. C ’est ce que m ontrent certains autoportraits de Fantin-Latour,
C ’est ce dont ils seraient plutôt les ligures, ou la dé monstration. Parfois
I invisibilité s’y partage, si l’on peut dire, entre les deux yeux. Il y a. d ’une part
la fixité monoculaire d ’un cyclope narcisse : un seul œil ouvert, le droit, et
fermement arrêté sur sa propre image. Il ne la lâchera pas mais c’est que la
proie lui échappe nécessairement, elle emporte le leurre. Les traits d ’un
autoportrait sont aussi les traits d ’un chasseur fasciné. L ’œil fixe ressemble
toujours à un œil d'aveugle, parfois à l’œil du mort, à ce m o m ent précis où
le deuil commence : il est encore ouvert, une main pieuse devrait bientôt le
fermer, il rappellerait un portrait d ’agonisant. A se regarder voir, il se voit
aussi bien disparaître au mom ent où le dessin tente désespérément de le
ressaisir. Car cet œil de cyclope ne voit rien, rien q u ’un œil q u ’il prive ainsi
de voir quoi que ce soit. Voyant du voyant et non du visible, il ne voit rien.
Ce voyant se voit aveugle. D ’autre part , et ce serait comme la vérité nocturne
de l’œil, Vautre œil s’enfonce déjà dans la nuit, ici légèrement caché, voilé,
en retrait, là totalement indiscernable et fondu dans une tache, ailleurs
absorbé par l'ombre que lui lait un haut-de-forme en abat-jour. D ’un
aveuglement l’autre. Au moment de l'autographe, avec la plus intense
lucidité, le voyant aveugle s’observe, il fait observer..,

— Vous dites toujours observer, faire observer, etc. Vous aimez le mot...

— Oui, il associe l’attention seopique au respect, à la déférence, à


l’attention d ’un regard qui sait aussi garder, au recueillement de la mémoire
qui conserve ou tient en réserve. Ici, le signataire, qui est aussi le modèle,
l'objet ou le sujet de l’autoportrait lait donc observer q u ’il se regarde voir le
modèle qu'il est aussi dans un miroir dont il nous donne à voir l'image : un
dessin d ’aveugle qui à deux reprises, en blanc et en noir, se montre en train

61
\ ^ j O -vi v i \ A \ï}\

21 . Hcnrj Fanün-Latour, Autoportrait, 22. H enri Fanlin-L atour, Autoportrait.


m usée du I.ouvre, fonds du m usce d ’Orsay, m usée du Louvre, fonds du m usée d ’Orsay.
(n" 11 de l'cxpositiuii) (n“ 12 de l'exposition)

24. H enri l ’antin Latour, Autoportrait,


musée du Luuvrc. fonds du musée d ’Orsay,
(n" 10 de l’exposition)

23. H enri Fatum Latour. Autoportrait,


D enver, T h e D enver Art M uséum
(don Edward et T ullah H arley)
25 Henri Faniin-Laiour, Autoportrait.
muwc du Louvre, fonds du musée d'Orsay,
(n" 13 tic leicpoMuan)

26 Henrs Fantin-Latour, Autoportrait, 27. H enri Fantin Latour, Autoportrait,


muvcc du Louvre, fonds du m usée d ’f >rsay. m usée du Louvre, tonds du musée d*Orsay.
{n* H de l'exposition) (n® 15 de I exposition)
facqucs D e r r i d a

de dessiner. Il montre le mouvement ou le toucher, avec le geste sûr d ’un


chirurgien. Mais d ’un chirurgien qui, pas plus q u ’un aveugle, ne regarde ses
mains. Il ne tourne scs yeux ni vers ce qui se tient entre ses mains, la pointe
verticale ou oblique d ’un scalpel, d'un bâton ou d'un crayon, ni à ce qui

/ // repose sous ses mains, le corps, la peau scarifiée, le sol ou la surface


d ’inscription.
Nous nous approchons de ce que j’appelais pour commencer
l’hypothèse de la vue — ou hypothèse intuitive, hypothèse de l'intuition. En
général on dissocie conjecture et perception. On oppose même l’hypothèse à
l’intuition, c'est-à-dire à Pimmédiateté du « je vois » (video, intueor ), « je

\
A l » regarde » {aspicio), je « mire », je m ’étonne de voir, j’admire (miror,
admiror). Ici même, et c’est un paradigme, nous ne pouvons que supposer
l’intuition. Dans ces deux derniers cas en effet (autoportrait du dessinateur
en train de dessiner et vu de face), c’est seulement par hypothèse que nous
l’imaginions en train de se dessiner lui-même en face d ’un miroir, et donc
en train de faire l’autoportrait du dessinateur en train de faire l’autoportrait
du dessinateur. Mais ce n'est q u ’une conjecture, Fantin-Latour peut aussi se
montrer en train de dessiner autre chose {Autoportrait dessinant). Il peut se
dessiner de face, face à autre chose ou face à nous, mais non nécessairement
face à lui-même, comme d ’autres se dessinent aussi de profil ; ainsi Le
29 peintre dessinant (à la manière de Bruegel le Vieux) ou le dessinateur assis de
28 Van Rysselberghe qu'on peut identifier au peintre, au moins par métony­
mie, mais dont on peut aussi apprendre, par des indices nécessairement
extérieurs, qu'il s’agit d ’un autre artiste (Charpentier en l’occurrence).
Q u ’est-ce que cette conjecture met en lumière ? Pour former
l'hypothèse de l’autoportrait du dessinateur en autoportraitiste, et vu de face ,
le spectateur ou l'interprète que nous sommes doit imaginer que le
dessinateur ne fixe q u ’un point, un seul, le foyer d'un miroir en face de lui,
c’est-à-dire depuis la place que nous occupons, en face à face avec lui : cela
ne peut être l’autoportrait d ’un autoportrait que pour l'autre , pour un
I **Mk«-
spectateur qui occupe la place d ’un unique foyer, m a i s au centre de ce qui
C^Aw^r^, i
*-" ij^vrnit prrr un miroir. Le spectateur remplace et obscurcit alors le miroir, il
^ ia> Alv rend aveugle au miroir en produisant, en mettant en œuvre la spécularité
»-*•——
recherchée. La performance du spectateur, telle q u ’elle est essentiellement
£. J-nfi. t^ 1
prescrite par l'œuvre, consiste à frapper le signataire d ’aveuglement, et donc
jTvu'UCV
à crever du même coup les yeux du modèle ou à le faire, lui, le sujet (à la fois
modèle, signataire et objet de l’œuvre) se crever les yeux pour se voir et
aussi bien pour se représenter à l’œuvre. S ’il y en avaity l'autoportrait

64
Mémoires d'aveugle

consisterait d ’abord à assigner, donc à décrire sa place au spectateur, au


visiteur, au voyant aveuglant, depuis le regard d ’un dessinateur qui d'une
part ne se voit plus, le miroir étant nécessairement remplacé par le
destinataire qui lui fait face, par nous-mêmes, mais par nous qui, d'autre
part, au moment même où nous sommes institués en spectateurs à la place
du miroir, ne voyons plus Yauteur en tant que tel, ne pouvons plus en tous
cas identifier l’objet, le sujet et le signataire de l’autoportrait de fartiste en
autoportraitiste. Dans cet autoportrait d ’autoportrait, la ligure de Fantin-
Latour devrait nous regarder le regarder selon la loi d'une impossible et
aveuglante réflexivité. Pour se voir ou se montrer, il ne devrait voir què ses
deux yeux, les siens, mais deux yeux dont il doit aussitôt faire son deuil,
justement pour se voir, des yeux q u ’il doit aussitôt remplacer, à cette fin, en
vue de cette représentation, à la place du miroir, par d ’autres, et qui le
voient, par les nôtres. Nous sommes la condition de sa vue, certes, et de sa
propre image, mais c’est aussi, comme dans L'homme au sable d ’FIoff-
mann(W!, que nous faisons sauter ses yeux pour les remplacer dans l’instant :
nous sommes ses yeux ou le double de ses yeux. Endettem ent sans Tond,

(59) Der Sandmann, le conte d ’Hoffmann, est une effroyable histoire d'yeux arrachés et de
prothèses optiques. La bonne d ’enfant décrit ce méchant homme qui jette des poignées de sable
dans les yeux des enfants quand ils ne veulent pas dormir, ce qui fait sauter les yeux tout
sanglants hors de la tête. Au cours d’une maladie et d ’un délire, l’étudiant Nathanaël associe la
figure terrible de l'avocat Coppélius (qu’il aurait entendu crier « Des yeux, ici, des yeux ! »)
avec celle de l’opticien ambulant Coppola qui, en hurlant dans la rue « J’ai aussi de beaux yeux,
de beaux yeux », vend en fait d'inoffensives lunettes. Nathanaël achète une lorgnette à l’aide de
laquelle il guette la belle Olympia, la fille du professeur Spalanzani qui se révèle être un
automate. Puis c’est la scène au cours de laquelle Coppola et Spalanzani se disputent la poupée
sans yeux. Spalanzani jette à la tête de l’étudiant les yeux sanglants d ’Olympia en criant que
Coppola les a volés, etc. La fin de la maladie et du délire n'est pas la fin d’un récit que la
littérature freudienne a, malheureusement peut-être, saturée d ’interprétations automatiques.
C est dans « L’Inquiétante étrangeté » (Das Unhetmliche, 79/9) que Freud, en tout cas, illustre
de cette référence à L ’Homme au sable sa formulation la plus voyante de l’équivalence entre la
crainte- pour les yeux et l’angoisse de castration, son discours sur la genèse des doubles, les effets
du narcissisme primaire, etc. Crime, châtiment, aveuglement. Au centre, la figure d’Œdipe :
« Le châtiment que s'inflige Œdipe, le criminel mythique, quand il s’aveugle lui-même, n’est
qu'une atténuation de la castration laquelle, d’après la loi du talion, serait seule à la mesure de
Son crime (...) Aussi ne conseillerais-je à aucun adversaire de la méthode psychanalytique de
s’appuyer justement sur le conte d'Hoffmann, L ’Homme au sable, pour affirmer que la crainte
pour les yeux soit indépendante du complexe de castration. Car pourquoi la crainte pour les
yeux est-elle mise ici en rapport intime avec la mort du père ? Pourquoi l'homme au sable
revient-il chaque fois comme trouble-fête de l’amour ? » (tr. fr. M. Bonaparte et E. Marty, in
Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Idées, p. 182).
ELntre autres textes, on peut aussi se reporter à de beaux exemples mythologiques de
répression de la scoptophilie sexuelle dans « La destruction psychogène de la vue d ’un point de
vue psychanalytique » [Die psychogene Sehstorung in psychoanalytischer Auffassung, 1910). Sur la

65
Jacques D c r r id a

prothèse terrifiante, et l’on peut toujours soupçonner cet effroi dans le


regard du dessinateur, mais l’hypothèse est aussi médusante pour l'un que
pour l’autre.
Ce n ’est pas seulement l’hypothèse du spéculaire ou du duel
imaginaire. Car un miroir s’inscrit aussi nécessairement dans la structure
des autoportraits de dessinateurs en train de dessiner autre chose. Mais alors,
outre le miroir, il faut supposer un autre objet, qui lui ne regarde pas, un
objet sans yeux, un objet aboculaire, ou du^moins (car il peut s’agir d'un
troisième être pourvu d ’yeux ou d'un appareil optique) un objet qui, depuis
son lieu, ne prend rien en vue. Seule, la topique d ’un objet abocùlaire sauve
Narcisse de l'aveuglement. Ainsi à l’infini, car il n ’y a pas d ’objet, comme
tel, sans spectateur supposé : hypothèse de la vue.
Encore, et encore, il faut observer les différences : cette fois entre les
portraits d ’un autre dessinateur en train de dessiner autre chose (mais ces
allogrammes sont dans tous les cas les figures d'autoportraits) et l'autopor­
trait de fa u te u r comme dessinateur en train de dessiner autre chose. En face
28 du chevalet, tout près de lui, est-ce Van Rysselberghe ou son modèle,
Charpentier, lui-même comme un autre dessinateur assis, lunettes sur le
nez, les paupières baissées, serrant une cigarette entres les doigts d'une main
gauche appuyée sur une jambe repliée alors q u ’il est visiblement en train,
maintenant, de dessiner de la main droite cette chose sur laquelle il se penche
mais qui est aussi dérobée à notre vue ? En face du chevalet, mais avec la
distance marquée d ’un certain recul, est-ce bien fa u te u r lui-même (de qui
29 dire lui-même dans ce cas ?) de ce « Peintre dessinant » (à la manière de
Bruegel le Vieux) ? Il se tient debout cette fois, sans lunettes et les paupières
grand ouvertes, serrant une palette entre les doigts de sa main gauche, le
bras replié sur sa poitrine, alors que, la longue lance restant ainsi suspendue
dans la main droite, il n ’est visiblement pas en train de dessiner mais de
regarder, avec des yeux de peintre, à la distance convenable, la linea ducta
d ’un dessin que cette fois nous voyons et lisons sous ses pieds, plus

logique de la Jecture freudienne en ce point et certaines des questions qu elle appelle, je me


permets de renvoyer à La dissémination (Paris, 1972, notamment p. 300, n. 56). Cf. surtout
l’analyse (Je Sarah Kofman, « Le double e(s)t le diable, » in Quatre Romans analytiques, Paris,
1973. Outre « les impasses d’une lecture thématique » (p. 145 sq), la question du « voyeurisme »
y est, entre autres choses, élaborée sur l’exemple de L'homme au sable. « La crainte de perdre les
yeux évoque donc bien la crainte de castration mais elle obéit plus directement à la loi du
talion : elle est liée à une faute dont l’œil est le principe : « Si tu as péché par l’œil, c’est par l’œil
que tu seras puni. » (p. 170 sq).

66
«

28 Théo Van Ryssclberghr, Alexandre Charpentier.


du Louvre, fonds du musée d ’Orsay.
<n 19 de f'cxpctmion)

——

29. Manière de Pierre Bruegel, Pierre Brueghel dans son atelier, m usée du Louvre.
Jacques D e r r id a

précisément sous sa signature qui est aussi la signature d'un autre, et dont
les lignes m im ent le rythme de toute la scène, d ’une scène elle-même
réfléchie et déplacée, rassemblée dans un coin ; l’élève du maître, humble,
c’est-à-dire près de la terre ou du sol, assis, les jambes repliées, visiblement
en train de dessiner, à la manière du maître, cette chose sur laquelle il se
penche mais qui est aussi dérobée à notre vue.
On devrait différencier encore l’esquisse de cette typologie. Mais dans
tous les cas d ’autoportrait, seul un réfèrent non visible dans le tableau, seul
un indice extrinsèque pourra permettre une identification. Celle-ci restera
toujours indirecte. O n pourra toujours dissocier le « signataire » et le
« sujet » de l’autoportrait. Q u ’il s’agisse de l’identité de l’objet dessiné par le
dessinateur ou du dessinateur dessiné lui-même, q u ’il soit ou non l’auteur
du dessin, l’identification reste probable, c’est-à-dire incertaine, soustraite à
toute lecture interne, objet d ’inférence et non de perception. De culture et
non d ’intuition immédiate ou naturelle (ici se situerait en toute rigueur la
condition d ’une sociologie de l’art graphique et d ’une pédagogie du regard).
C ’est pourquoi le statut de lautoportrait de l’autoportraitiste gardera
toujours un caractère d ’hypothèse. Il dépend toujours de l’effet juridique du
titre, cet événement verbal qui n ’appartient pas au dedans de l’œuvre,
seulement à sa bordure parergonale. L ’effet juridique en appelle au
témoignage du tiers, à sa parole donnée, à sa mémoire plus q u ’à sa
perception. C om m e les Mémoires, l'Autoportrait paraît toujours dans la
réverbération de plusieurs voix. Et la voix de l’autre commande, elle fait
retentir le portrait, elle l’appelle sans symétrie ni consonnance,
Si ce qu'on appelle autoportrait dépend de ce fait q u ’on l’appelle
« autoportrait », un acte de nomination devrait me permettre, à juste titre,
d ’appeler autoportrait n ’importe quoi, non seulement n ’importe quel dessin
(« portrait » ou non) mais tout ce qui m ’arrive et dont je peux m ’affecter ou
me laisser affecter. C o m m e Personne, dira Ulysse au mom ent d ’aveugler
Poiyphème. Avant même q u ’on ne tente une histoire raisonnée du portrait,
avant même q u ’on ne diagnostique son déclin ou sa ruine (« le portrait
périclite » disait Valéry(W,)), on doit toujours dire de l’autoportrait : « s’il y en
avait... », « s’il en restait ». C ’est comme une ruine qui ne vient pas après

(60) Cité dans l’étude de Michel Servière, « L’imaginaire signé », in Portrait, autoportratt (E.
Van de Casteele, J.L. Déotte, M. Servière, Paris, 1987, cf. p. 100 et passim). Je renvoie aussi en ce
point à l’analyse de Louis Mann, « Variations sur un portrait absent : les autoportraits de
Poussin (1649-1650) », in Corps écrit, n. 5.

68
Mémoires d'aveugle

l’œuvre mais reste produite, dès l’origine, par l'avènement et la structure de


l’œuvre. A l’origine il y eut la ruine. A l’origine arrive la ruine, elle est ce
qui lui arrive d ’abord, à l’origine. Sans promesse de restauration. Cette
dimension de simulacre ruineux n ’a jamais menacé, au contraire, le
surgissement d ’une œuvre. Simplement il faut savoir, donc il fa u t bien voir
ça, que la fiction performative qui engage le spectateur dans la signature de
l’œuvre ne donne à voir qu'au travers de l’aveuglement q u ’elle produit
comme sa vérité. C om m e entrevue d ’une jalousie. Même si on était sûr que
Fantin-Latour se dessine lui-même en train de dessiner, on ne saura jamais,
à observer l'œuvre seule, s’il se montre en train de se dessiner ou de dessine*
autre chose — ou encore lui-même comme autre. Et il peut toujours, de
surcroît, dessiner cette situation-ci, le dérobement de ce qui vous regarde, et
vous observe fixement ne pas voir de quoi et de qui il s’agit. Le signataire le
voit-il lui-même, ce q u ’il vous fait observer, faura-t-il vu en quelque
présent ?
Fantin a osé dire de lui-même : « C'est un modèle qui est toujours
prêt ; il offre tous les avantages : il est exact, soumis et on le connaît avant
de le peindre »(61). Tranquillité stupéfiante ou stupéfiée ? Ironie superbe du
portraitiste comme modèle ? L ’un, l’autre sait au moins une chose : q u ’il ne
saurait jamais être accessible comme tel, et surtout pas à la connaissance, ni
avant ni après. Toute symétrie est rompue, entre lui et lui, entre lui, le
spectacle, et le spectateur q u ’il est aussi. Il n y a plus que des spectres. Il faut
au moins, pour sortir de là, partager les rôles dans fhétéro-portrait, voire
dans la différence sexuelle. Ainsi Picasso à G ertrude Stein : « Q uand je
vous vois, je ne vous vois pas. » Elle : « Je me vois enfin, moi ».
Dès lors q u ’il se considère, fasciné, arrêté sur l’image, mais disparais­
sant à ses propres yeux dans labîm e, le m ouvement par lequel un
dessinateur tente désespérément de se ressaisir est déjà, dans son présent
même, un acte de mémoire. Baudelaire le suggérait dam L'art mnémonique,
la mise en œuvre de la mémoire n ’est pas au service du dessin ; elle ne le
conduit pas davantage, comme son maître ou sa mort, elle est fopération
même du dessin, et justement sa mise en œuvre. L ’échec à ressaisir la
présence du regard hors de l’abîme où il s’enfonce n ’est pas un accident ou
une faiblesse, il figure la chance même de l’œuvre, le spectre de l’invisible
qu’elle donne à voir sans jamais le présenter. De même que la mémoire ne
restaure pas ici un présent passé, de même la ruine du visage — et du visage

(61) Ciré par L. Bénédire, Préface à l’Exposition de 1906.

69
30 François Stella, Ruines du Cotisée à Rome, musée tlu Louvre.
(iv 21 d e l'rxjxisilion)

32. C igoli, Elude de Narcisse (verso du n"3l), musée du Louvre,


Jacques D e rrid a

dévisagé dans le dessin — ne signifie pas le vieillissement, l’usure, la


décomposition anticipée ou cette morsure du temps dont un portrait
souvent trahit l'appréhension. La ruine ne survient pas comme un accident
à un m o n u m en t hier intact. Au commencement il y a la ruine. Ruine est ce
qui arrive ici à l image dès le premier regard. Ruine est l’autoportrait, ce
visage dévisagé comme mémoire de soi, ce qui reste ou revient comme un
spectre dès q u ’au premier regard sur soi une figuration s’éclipse. La figure
alors voit sa_ visibilité entamée, elle perd son intégrité sans se désintégrer.
Car l’incomplétude d u m onum ent visible tient à la structure écliptique du
trait, seulement remarquée, impuissante à se réfléchir dans l'ombre de
l'autoportrait. Autant de propositions réversibles. On peut aussi bien lire les
tableaux de ruines comme les figures d ’un portrait, voire d'un autoportrait.
D ’où l’amour des ruines. Et que la pulsion scopique, le voyeurisme
même, guette la ruine originaire. Mélancolie narcissique, mémoire endeuil­
lée de l'amour même. C o m m en t aimer autre chose que la possibilité de la
ruine ? Que la totalité impossible ? 1. am our a l'âge de cette ruine sans âge
— à la fois originaire, infante même, et déjà vieille. Il dispense ses traits, il
vise, il visite et voit sans voir, am our aux yeux bandés, « Ce vieil enfant,
aveugle archer, et nu » dit D u Bellay de C upidon(62\ La ruine n'est pas
devant nous, ce n ’est ni un spectacle ni un objet d'amour. Elle _est
l'expérience même : ni îe fragment abandonné mais encore monumental
d ’une totalité, ni seulement, comme le pensait Benjamin, un thème de la
culture baroque(63). Ce n ’est pas un thème, justement, cela ruine le thème, la
position, la présentation ou la représentation de quoi que ce soit. Ruine ;
plutôt cette m é m oire ouverte comme un œil ou la trouée d ’une orbite
osseuse qui vous laisse voir sans rien vous m o n trer tout. Pour ne rien vous
montrer tout. « Pour » ne rien montrer du tout, c’est-à-dire à la fois parce
que la ruine ne montre rien du tout, et en vue de ne rien m ontrer du tout , Rien
de la totalité qui ne s’ouvre, se perce ou se troue aussitôt. Masque de cet
autoportrait impossible dont le signataire se voit disparaissant à ses propres
yeux à mesure qu'il tente désespérément de s’y ressaisir. Mémoire pensive et
ruine de ce qui d ’avance est passé, deuil et mélancolie, spectre de l’instant
(stigmè) et du style dont la pointe même voudrait toucher le point aveugle

(62) Olwc, Sonnet 26.


(63) Benjamin parle d’un « culte baroque de la ruine » : « Ces ruines qui jonchent le sol, le
fragment hautement significatif, les décombres, voilà la matière la plus noble de la création
baroque » (Origine du drame baroque allemand, tr. S. Muller et A. Hirt, Préface de I. Wohlfarth,
Paris, 1985, p. 191 sq).
>'ii
7*

33. G a v a rn i, Deux Pierrots regardant dans une loge, m u sé e d u L o u v re .


(n* 23 de I exposition)
Jacques D e r r i d a

d ’un regard qui sc regarde dans les yeux et n est pas loin de s’y enfoncer
jusqu’à perdre la vue par excès de lucidité. Augenblick sans durée
« pendant » lequel, cependant, le dessinateur feint de fixer le centre de la
tache aveugle. Même si rien ne se passe, si aucun événement n ’a lieu, le
signataire s’aveugle au reste du monde. Mais incapable de se voir,
*\ proprement et directement, tache aveugle ou trait transcendantal, jl se
(jV^ ^ contemple au ssi aveuglément, il a tta q u e sa v u e juscju’à é p u ise m e n t de
ciM rçl-'Vf~ jiarcissi& iD e. La v ér ité de ses propres yeux de v o y a n t, au double sens de ce
terme, c’est la dernière chose qui se puisse surprendre, et nue , sans attributs,
* -———- ___ 1 ‘*" 3—
I■
sans lunettes, sans chapeau, sans bandeau sur la tête, en un miroir. Lejvisage
nu ne peut se regarder en face, il ne peut se regarder dans une glace.
Cette dernière locution dit quelque chose de la honte ou de la pudeur
qui fait partie du tableau. Elle l’engage dans l’irrépressible mouvement
d ’une confession. Même s’il n ’y a pas encore de crime (réalité ou
phantasme), m êm e s’il n ’y a pas de Gorgone, de miroir-bouclier, de geste
agressif ou apotropaïque. H onte ou pudeur, certes, à peine surmontées pour
être observées, gardées et regardées, respectées et tenues en respect, à la
condition d ’une part d ’ombre. Mais aussi la peur livrée en spectacle, je se-
voir-vu-sans-être-vu, histrionisme et curiosité, exhibitionnisme et voyeu-
ŸCM'ï' ^ risme : le sujet de l’autoportrait devient la peur, il se fait^peur.
.a j ^ "--
Mais comme l’autre, là-bas, reste irréductible, comme il résiste à toute
intériorisation, subjectivation, idéalisation dans un travail du deuil, la ruse
d u narcissisme n ’en finit plus. Ce q u ’on ne peut voir~ on peut encore tenter
de se le réapproprier, en calculer l’intérêt, le bénéfice, l'usure. On peut le
décrire» l*écrirel te mettre en scène.
O n dessinera d'une part l’artefact : des objets techniques destinés,
comme des prothèses, à suppléer la vue, et d ’abord à pallier cette ruine
transcendantale de l’œil qui le menace et le séduit dès l’origine, par exemple
37,38 le miroir, les longues vues, les lunettes, les jumelles, le monocle. Mais
comme la perte de l’intuition directe, nous l’avons vu, est la condition ou
l’hypothèse même du regard, la prothèse technique a lieu, son lieu, avant
toute instrumentalisation, au plus proche de l’œil, comme une lentille de
substance animale. E l l e ^ détache immédiatement du corps propre. L ’œil se
détache(M), on peut le désirer, désirer l’arracher, se l’arracher même. Depuis
toujours : l’histoire moderne de l’optique ne fait que représenter ou

(64) Sur ce motif du « détachable », en particulier pour cc qui le lie au supplément, à la


prothèse et au « parergon », je me permets encore de renvoyer à Glas (Paris, 1974} et à La vérité
en peinture (Paris, 1979).

74
Mémoires d'aveugle

remarquer, selon des modes nouveaux, une défaillance de la vue dite


naturelle, à commencer par les spectacles en anglais, comme nous le notions
à l’instant, les lunettes du dessinateur. D ’où les autoportraits avec lunettes.
De Chardin YAutoportrait dit à l’abat-jour dit bien Tabat-jour, puisqu’il 34
plonge ou protège les yeux du peintre dans l’ombre (comme cet autre
fétiche détachable, le chapeau dont les bords cachent presque les yeux de
Fantin-Latour dans un autoportrait). Mais de surcroît, tout aussi jalouse- 23
ment, il abrite et montre à la fois les mêmes yeux derrière des lunettes dont
les montants sont visibles. Le peintre semble poser de face, il vous fait face,
inactif et immobile. Dans YAutoportrait aux besicles (lunettes sans montants, 35
binocle de travail peut-être), Chardin se laisse voir ou se fait observer de
profil, il paraît plus actif, un instant interrompu peut-être, et détournant les
yeux du tableau. Mais c’est en train de peindre ou de dessiner, la main et 36
l’instrument visibles au bord de la toile, qu'il se représente dans un autre
autoportrait. A cet égard, on peut toujours considérer cet autoportrait
comme un exemple parmi d ’autres dans la série des Dessinateurs de
Chardin{65j. Est-il en train de s’affairer autour de l’autoportrait ou d ’autre
chose, d ’un autre modèle ? O n ne saurait en décider. Dans les trois cas,
lunettes sur les yeux, bandeau sur la tête — non pas les yeux bandés mais
cette fois la tête bandée, mot qui peut toujours faire penser, entre autres
choses, à une blessure : à même le visage auquel ils n ’appartiennent pas,
détachables du corps propre comme des fétiches, le bandeau et les bésicles
restent les suppléments illustres et les mieux exhibés de ces autoportraits. Ils
distraient autant q u ’ils concentrent. Le visage ne s’y montre pas nu, surtout
pas, ce qui, bien entendu, démasque la nudité même. C ’est ce q u o n appelle
se montrer nu, montrer la nudité, le nu qui n ’est rien sans la pudeur, l’art
du voile, de la vitre ou du vêtement.
On peut aussi, d’autre part , surprendre ce qui ne se laisse pas
surprendre, on peut dessiner les yeux clos: vision extatique, prière ou 39,42
sommeil(66), masque du mort ou de l’hom m e blessé (voyez les yeux de 40, 41,43
YAutoportrait dit i homme blessé de Courbet (1854)(67).

(65) Un dessinateur d'après le Mercure de M. Pigalle, Salon de 1753, gravé par Le Bas. Le
Dessinateur d’après Chardin, Salon de 1759, gravé par Fliparl. Cf. à ce sujet Michael Fried, op.
cit. p. 13-15.
(66) Par exemple L'Ermite endormi, de Joseph-Marie Vicn, Salon de 1753, cf. aussi M. Fried,
o.c.p. 28.
(67) Cf. l'analyse de Michaeî Fried (« The Early Self-Portraits », in Courbet’s Realism, Chicago
et Londres, 1990, p. 53 sq).

75
36. Jean-Siméon Chardin, Autoportrait au chevalet, m usée du Louvre,
(n” 17 de l'exposition)
37. Félicien Rops, Femme au lorgnon, musée du Louvre, funds du musée d Orsay,
(rr2-\ de l'exposition)
38 Pkm rllo, Etude tir trois têtes, m uscc du L ouvre,
39 . O dilon Redon, Les yeux clos, m usée du Louvre, (om is du m usée d Orsay, donation A ri et Suzanne Redon
(n‘ 2N tic l'exposition)
41. Ecole A llem ande, vers 154(1,
Portrait de M argatctc Prcliuritz, m usée du Luuvrc.
(n" 26 Je l'exposition)

40 Bernaert de Rijckcrc, Fête d agonisant, m usée du Louvre.


fn‘ 25 de l'exposition)
42 . Franccsco V jn n i, La bienheureuse Pasitea Crogi. m usée du (.ouvre.
(nu27 de l'exposition)
43. Gurtavr C ourbet, A u to p o rtra it d it l'h o m m e b le u r. m uscc: d 'O rsa y ,
(n' 20 de i’cxpoijiion)

f
Jacques D e r rid a

— Diriez-vous alors que l’autographe du dessin montre toujours un


masque ?

— Oui, à condition de rappeler toutes les valeurs du masque. D'abord la


MM dissimulation : le masque dissimule tout sauf (d’où la fascination jalouse
q u ’il exerce) les yeux nus, seule partie du visage à la fois visible, donc, et
voyante, le seul signe de nudité vivante q u ’on croit soustrait à la vieillesse et
lu) \j JMaX
à la ruine. Ensuite la m ort ; tout masque annonce le masque mortuaire, il
participe toujours de la sculpture et d u dessin. Enfin {par conséquent, et cette
♦rt-W-U-
déduction quasi transcendantale n ’a nul besoin de mythe, d ’événement ou

de nom propre) l’effet « médusant » : le masque montre des yeux dans un
visage découpé q u ’on ne peut regarder en face ’ sans se voir signifier
l’objectivité pétrifiée, la mort ou l’aveuglement.
Chaque fois q u ’on porte un masque, chaque fois qu on le montre ou l llVfrtV '-“^ 1
dessine, on répète l’exploit de Persée. A ses risques et périls. Persée pourrait
devenir le patron de tous les portraitistes. UL_§igne tous les masques.
« Chaque fois », disions-nous, chaque Fois q u ’un masque est porté, sur soi Y
4 r^j I
ou à la main, montré, exhibé, objectivé, désigné, chaque fois c’est Persée à
l’épreuve du dessin. Dès lors l’histoire de ce fils héroïque ne donne pas
O fr'j f
seulement lieu au récit d ’un événement. Le mythe figure aussi un index, le
doigt d ’un dessinateur ou le trait d ’une structure. Sans faire face au regard i? v »
44 fatal de Méduse<68), seulement à son reflet dans le bouclier de bronze poli vV)
47 comme un miroir, Persée voit sans être vu, quand il regarde de côté pour V
décapiter le monstre ou quand il exhibe sa tête pour faire luir ses ennemis
4S, 45 menacés d ’être pétrifiés. Là encore, nulle intuition directe, seulement des
angles et l’obliquité du regard. N ’oublions pas que toutes ces scènes sont
encore des scènes de voyance, de prédiction et de filiation. L ’oracle avait
annoncé à Danaé que, si elle avait un fils, il tuerait son grand-père. Celui-ci,
Acrisios, le roi d ’Argos, fait enfermer sa fille, mais Zeus se change en pluie
d o r pour la visiter. La naissance qui s’ensuit est donc héroïque, mi-divine

(68) « Décapiter : châtrer. La terreur devant la Méduse est donc la terreur de la castration en
tant qu elle est liée à la vue (...) La vue de la tête de Méduse raidit dans la terreur, transforme le
spectateur en pierre. Même origine dans le com plexe de castration et m êm e transformation
d’affect ! Car le devenir raide (das Siarrwerden) signifie Pérection et donc la consolation du
spectateur dans la situation originelle. Il a encore un pénis, il s’en assure dans son devenir-
raide ». Freud, Das Medusenhaupt, 1922 {J’ai traduit une partie de ce texte et en ai proposé une
lecture dans La dissémination, p. 47). Sur la G orgone et le m ythe de Persée, je renvoie à Jean-
Pierre Vernant, notamment au chapitre La mort dans les yeux dans le livre qui porte ce titre
(Paris, 1985).

84
44 . Giacifllû Calandrucci, Tête de Méduse, musée du Louvre.
(n“ J2 de l'exposition)
45. Ecolc N ap o litain e d u X V II'siè c le , dessin repris p a r C h arles N ato ire. Persée changeant l ’hinée en pierre, m usée d u Louvre.
(n° de l'exposition)
47. I.util G iordano, Persée décapitant Méduse, m usée du Louvre.
Jacques D e r rid a

et mi-humaine, comme celle de Dionysos que Persée déteste et dont le père,


leur père com m un, s’était montré comme tel ypour une foisy au m om ent de
l’accouplement. Pour trancher la tête de Méduse après le défi de Polydectes,
^ le héros avait dû multiplier les étapes, et c'est chaque fois une histoire de
) l’œil. Il doit recevoir des N ym phes le casque d ’Hadès, la Kunée qui rend
invisible. Mais à la recherche des Nymphes, il se rend d'abord chez les
^ J a ï e u l e s , les Grées, sœurs des Gorgones : à elles trois, elles n ’ont q u ’un œil et
une seule dent. L ’une d entre elles veille, elle garde l’œil toujours ouvert, et
la dent prête à dévorer. Persée les vole au mom ent où, à la relève de la
garde, si l'on peut dire, l’œil et la dent passent de main en main et donc
n ’appartiennent à personne. Il vole une sorte de vigilance sans sujet. (Et
Pceil unique se détache encore, il circule entre les sujets comme un organe
instrumental, une prothèse fétichisée, un objet de délégation ou de
représentation. D ’ailleurs, à faire de lui un objet partiel, toutes les
représentations de l’œil dissocié ou travaillé par une greffe s'inscrivent dans
cette scène. Cela vaut aussi bien pour les représentations anatomiques et
« objectives » de l’œil que, par exemple, pour YŒ il au pavot d ’Odilon
Redon). Après avoir tranché la tête de Méduse, après avoir caché dans sa
besace cette puissance de mort qui fascine, redouble et perd le regard de
l’autre, Persée échappe aux autres Gorgones grâce au casque d ’invisibilité.
C ’est chaque fois la ruse d ’un regard oblique ou indirect. Elle consiste
à esquiver plutôt qu a affronter la mort qui vient par les yeux. La mort
menace tantôt selon le croisement spéculaire des regards (Persée joue alors
un miroir contre l’autre, il regarde Méduse dans un miroir pour ne pas
croiser son regard), tantôt selon l’unicité de l'œil fixe, la vigilance sans
sommeil, mais aussi l’œil en moins ou en trop, l'œil expropriable q u ’on peut
voler, em pru nter avec usure, l’œil q u ’il ne faut pas voir ou l’œil ouvert
comme une blessure, voire béant comme une bouche ouverte, dont les
lèvres paupières pourraient aussi bien s‘ouvrir, pour l’exposer, sur un sexe
de femme. Dilficile de ne pas associer les Grées aux Cyclopes. L ’histoire de
49 Polyphème est à la fois celle d ’un Cyclope, donc d ’un monstre, mi-bête, mi-
dieu, fils de Poséidon, amoureux de Galatée, et d ’un géant enivré puis
endormi par la ruse d ’Ulysse qui alors enfonce dans son œil un pieu durci
au feu : œil unique , œil dor, œil crevé. Par la ruse plutôt que par la force
{dolô oudè bièphin ), et par q uelq u’un qui s’appelle « personne »m . Métis
d ’Outis, la tromperie qui aveugle est ruse de personne (outis, me tis, métis),

(69) Odyssée, IX, 406-414.

88
48 O dilon Redon, L'œil au pavot. muser iiu Louvre, londs «lu m usée d'Orsay, donation C laude Rogcr-Marx.
(n" Î4 de rexpotiuon)

__________________________________________
Jacques D e r r i d a

Homère joue plus d une fois sur ces mots quand Polyphème fait écho à la
question du chœur : (e me iis... e me tis...) : « La ruse, mes amis ! la ruse ! et
non la force !... et qui me tue ? personne !» Et à son tour, Ulysse fait
retentir les mêmes mots en signant sa ruse de son nom de personne et de sa
« métis ». En se présentant comme Personne, il se nomm e et s’efface en
même temps : comme personne, logique de l’autoportrait. La ruse cruelle
de Personne n ’en donne pas moins son triomphe en spectacle. C'est, dans
notre mémoire poétique, l une des plus terrifiantes descriptions d ’œil crevé.
A-t-elle jamais été dessinée ? A-t-on jamais représenté ce mouvement de
levier du mochlos> de ce pieu à la pointe de feu qui dessine un trajet de vrille
dans l’œil ensanglanté de Polyphème r
%
« Il se renverse alors et tombe sur le dos (...) J’avais saisi le pieu ; je l’avais mis
à chauffer sous le monceau des cendres (...) Quand le pieu d’olivier est au
point de flamber, — tout vert qu'il fût encore, on en voyait déjà la terrible
lueur, — je le tire du leu ; je l’apporte en courant ; mes gens, debout,
m ’entourent : un dieu les animait d’une nouvelle audace. Ils soulèvent le
pieu : dans le coin de son œil, ils en fichent la pointe. Moi, je pèse d ’en haut
et je le fais tourner... Vous avez déjà vu percer à la tarière des poutres de
navire, et les hommes tirer et rendre la courroie, et l’un peser d’en haut, et la
mèche virer, toujours en même place ! C ’est ainsi q u ’en son œil, nous tenions
et tournions notre pointe de feu, et le sang bouillonnait autour du pieu
brûlant : paupières et sourcils n’étaient plus que vapeurs de la prunelle en
flammes, tandis qu’en grésillant, les racines flambaient. |Dans l’eau froide
du bain qui trempe le métal, quand le maître bronzier plonge une grosse
hache ou bien une doloirc, le 1er crie et gémit. C’est ainsi q u ’en son œil, notre
olivier sifflait...1<70>. Il eut un cri de fauve. La roche retentit. Mais nous,
épouvantés, nous étions déjà loin. T1 s’arrache de l’œil le pieu trempé de sang.
Il le rejette au loin, de ses mains en délire. Il appelle à grands cris ses voisins,
les Cyclopes... »(7lK

(70) Il s'agit d'une interpolation. O n observera q u e lle appartient au langage de la victime


sacrifiée, à ce code de la métallurgie qui serait plutôt celui des Cyclopes. C om m e le montrent
certains dessins, leur Heu propre est souvent la forge.

(71) Odyssée, IX, 370-399. Celte scène est évoquée a centre du formidable Rapport sur les
aveugles d'Em estp Sabato (in AUjandra, tr. fr. J. J. Villard, Paris, 1967, p. 296-297). Je remercie
Cristina de Peretti cle^ ie l’avoir donné à lire et j'en cite un seul cl long passage, en raison de sa
conclusion, celle vers laquelle nous nous orientons ici, la conclusion des yeux clos : un certain
passage entre la croyance, le « je crois », «croyez », « vous croyez », et ce que nous avons
surnommé l'hypothèse de la vue : « Et ainsi quand d ’autres gamins, ennuyés, contraints par les
professeurs ne s’attardaient pas sur les pages d'H om ère, moi qui avais crevé des yeux d ’oiseaux,
je sentis un premier frémissement quand le poète décrivait avec une force et une précision

90
49. Annibal C arraehe, Polyphème, m uscc du Louvre.
(d"30 de l'exposition)
I

50 P rim aticc, Lm forge de Vulcain. m u sée du Louvre,


(rr Je le*position)

51. D 'aprcs G iu lio Rom ano, Lu chute des géants, musée du Louvre.
Jacques D e r rid a

Cyclopic, près de Naples, nom d ’un pays dont les premiers habitants
furent surnommés les Opil^oi (nation des yeux) par les premiers colons grecs
et dont l'autre nom fut oinotria, ce que les Grecs interprétaient comme
« pays du vin » (oinos = vinum). Fameux et bavard, comme son nom
pourrait l’indiquer, Polyphème semble cracher laves et rochers. Sa clameur
ivre incarne la puissance volcanique (outre que les cyclopes, géants errants
mais familiers des forges, appartiennent souvent, comme on le voit ici, à des
so corporations de vulcaniciens, de métallurgistes m agiciens^), c’est-à-tîire ce
pays troué de cratères, comme autant d'yeux en éruption. La Cyclopie,
« pays des yeux », crache sans cesse des larmes de colère. L ’œil de*s Cyclopes
donne lieu à des représentations hétérogènes. La description est rarement
froide ou neutre. U n œil, l’œil-un, le monocle, n ’est jamais un objet. Parfois
5i il paraît ouvert à la manière d ’une plaie dont les lèvres charnues saignent
encore : obscénité d ’une cicatrice, suture impossible de la fente, génitalité
49,52 frontale. Parfois l'anomalie paraît invisible ou banalisée: représentation
interdite, comme ce fut parfois le cas, ou spectacle à éviter, exhibition d ’une
infirmité, exposition d'un strabisme louche ou sinistre.
Il faut ajouter une possiblité à cette typologie : le dessin de son propre
53 masque en trompe-l'œil. L 'Autoportrait en trompe-l’œil de Faverjon serait ici
exemplaire. Le visage présumé de l’auteur sort d'un cadre, mais à l’intérieur
du cadre. Il déborde le portrait pour vous voir regarder ce q u ’il feint de

*•»
étonnantes, presque mécaniques avec une perversité de connaisseur, un sadim e vindicatif, le
moment où Ulysse et ses com pagnons frappent et font grésiller l’a il du Cyclope avec un pieu
ardent. H om ère nTétait-il pas aveugle ? » Ht après avoir évoque Tirésias, Alhena, Œ dipe :
* ... Je n’ai pu chasser la conviction toujours plus forte et mieux fondée, que les aveugles
régissent le monde au moyen des cauchemars et des hallucinations, tics épidém ies et des
sorcières, des devins et des oiseaux, des serpents, et en général de tous les monstres des ténèbres
et des cavernes. C ’est ainsi que je décelai sous de fausses apparences un m onde abominable. F.t
c ’est ainsi que j’entraînai mes sens, les exacerbant par la passion et l’inquiétude, par l’attente et
la peur, dans le seul but de parvenir à voir enfin les grandes puissances des ténèbres, de m ême
que les mystiques arrivent à voir les dieux de la lumière et de la bonté. Oui, m oi, mystique de
l’Ordure et de l’Enfer, je puis et je dois dire : Croyez en moi ! ».

(72) Cf. Jean-Pierre Vernant, Mythe et Pensée chez les Grecs, Paris, 1965, p. 207. Sur cet épisode,
cf. aussi J.P. Vernant et M. D étienne, Les ruses de / Intelligence, La Métis des Grecs, Paris, 1974,
notamm ent, p. 62. Si ['Ulysses de ce siècle ne fut sans doute pas l’œuvre d ’un aveugle, com m e on
le dit de 1 Odyssée, mais d ’un écrivain promis à la cécité, m enacé par ce destin privilégié, il
faudrait étudier de très près l’épisode dit des Cyclopes (La taverne, en fin d ’après-midi, le
tremblement de terre, les « vagues séism iques » qui ne laissent q u ’une « masse de ruines » et de
« débris humains », l’allusion à la « chaussée géante j» et aux « témoins visuels » {eyetvttnesses,
etc). T echnique du chapitre, le « gigantism e », nous dit Stuart Gilbert en insistant sur le * m otif
“Elie” » à la fin du chapitre {James foyce’s Ulysses, N ew York, 1930, ch. XII, p. 25H sq.).

94
53. Jean M anc Favcrjon, Autoportrait n i trompe l'œil, musée d ’Orsay.
(n11,35 d e l'ex p o sitio n )
Jacques Derrida

vous montrer d un index replie vers le centre, à savoir un troisième œil


ouvert dont la paupière est soulevée comme un rideau de théâtre sur une
scène qui à son tour déborde l’œil» dans l’épanchement indéhm du fantasme
entoptique ou de l’hallucination fascinée q u o n peut toujours interpréter —
ou prêter à l’auteur.
Prenons-en prétexte pour situer une traduction ou un transfert. Il s’agit
aussi d ’une hésitation tremblante, comme la main du dessinateur ou de
l’aveugle tire sa fermeté décisoire d ’un tâtonnement dominé, ici l’hésitation
- , entre u ne pensée transcendantale et une pensée sacrificielle du dessin
^ j j rveugle, une pensée de la condition de possibilité et u n e ‘ pensée de
p| l’événement. Ce qui im porte, c’est l’hésitation entre les deux , même si elle
paraît surmontée dans la décision incisive, celle qui fait des deux pensées le
supplément ou le vicaire de l’autre. Car il n ’y a ni transcendantalité pure ni
sacrifice pur. La pensée sacrificielle semble en appeler à un événement, plus
j 4nJa-u.qe structure. Elle paraît plus historique en cela même, et le sacrifice
signifie toujours quelque violence (violence de la ruse et de la tromperie,
violence du châtiment, violence de la conversion et du martyre, aveugle­
ment des yeux blessés ou de l’éblouissement), même si ce qui alors arrive à la
r vue_ oscjlle entre le phantasme et le « réel ». Celte violence infligée est
toujours à l'origine du récit mythique o u de la révélation qui ouvre les yeux
et fait passer de la lumière sensible ou du lumen naturale à la lumière
intelligible ou surnaturelle. Mais l’événement, ici ce qui arrive à la vue,
fltx semble aussi bien s’annuler dans la structure, c’est-à-dire dans le cercle de
^ K'' fl/S**- Ie-? 'J&ty l’échange. Et c’est pourquoi cette logique historique ressemble et peut
toujours se substituer à une logique transcendantale que chaque fois la
figure ou Yespèce de l’événement rappelle à la mémoire. Tel échange, nous
allons le voir, peut prendre les formes typiques — et toujours économiques
— de la conversion entre la cécité et le supplément de clairvoyance, voire de
providence. L'aveugle peut toujours devenir le voyant ou le visionnaire. A
titre provisoire, nous pourrions distinguer au moins entre les trois types de
violence que nous venons de nommer, la méprise (ruse ou tromperie), le
châtiment et la conversion. Mais la logique structurelle est assez puissante ou
retorse pour que ces trois types se convertissent précisément l’un dans
l’autre. Ils s’échangent en vérité ou se prennent l'un pour Tautre.
L'aveugle est d ’abord sujet à la méprise, le sujet de la méprise.
L'erreur de Coypel, par exemple, met en scène un hom m e aux yeux
bandés, plutôt q u ’un aveugle. Il se trompe, soit q u ’il se trompe lui-même,
presque volontairement, ou soit trompé, se laisse tromper par défaillance de

96
Mémoires d'aveugle

sa volonté, soit q u ’il tente à tâtons de tromper sa propre cécité. Mais dès lors
qu ’il ne voit pas, et c’est par là q u ’il est d ’abord exposé, nu, offert au regard,
à la main, voire à la manipulation de l’autre, c’est aussi un sujet trompé.
Guetté par la chute ou par la méprise. L ’autre peut abuser de lui ; pour le
faire tomber ou pour substituer ceci à cela, lui faire prendre ceci pour cela.
Paradigme : L ’aveugle trompé, de Greuze, le vieil aveugle abusé par une
jeune femme. Par exemple (un exemple parmi d ’autres ? me demandait
sans doute mon rêve de deuil, de vieux et d ’yeux), la même tromperie ne
peut-elle pousser un fils à la place d ’un autre, faire passer un frère pour
l'autre, au moment fatal de la bénédiction testamentaire ou de l’élection ?
La tromperie ultime et irréversible, la plus monstrueuse, la plus tragique,
celle qui engage une destination historique, n ’est-ce pas la substitution
d ’enfant au moment de l'héritage ? A Isaac, le vieil aveugle, Rébecca fait
croire q u ’il étend la main de la bénédiction sur Esaü, son fils aîné, alors
qu’elle lui a substitué Jacob. A travers sa dimension légère, enfantine et
ludique, est-ce que l’intrigue du colin-maillard ne fait pas signe dans cette
direction qui se cherche au bout des bras tendus, comme dans le Colin-
Maillard de Fragonard ou la Scène de Colin-Maillard de Bramer ? Ne s’agit-
il pas de désigner un relais en touchant, mais aussi en nommant un
successeur dans la nuit ? Ne s’agit-il pas toujours d ’un jeu de mains, comme
dans L ’aveugle trompé, où Greuze montre la main d'un vieux mari tenant
celle de sa jeune femme, comme si ce contact le rassurait dans la confiance
et la certitude au moment où nous voyons les deux jeunes amants trahir et
peut-être bientôt trahis eux-mêmes par la chute de la cruche r {7î)

(73) Comme L ’aveugle trompé de G reuze (Salon tic 1755), Moscou, Musée Pouchkine, le Colin-
Maillard (Hlmd Mans Buff) de Fragonard, 1755 (National Gallery, W ashington D . C.) est
reprodun et analysé d ’un autre point de vue par M. Fried {op. cit. p, 67, 141). L ’aveugle trompé
permettrait d’identifier une « mutation majeure » (a major shift), au milieu du siècle, dans
I"histoire de ce que Fried appelle \ « absorption du spectateur •> par la structure m êm e de la
représentation ou du tableau. Alors que la cécité de L'aveugle (artiste inconnu, d ’après Chardin,
Salon 1753, reproduit p. 56) « garantit », par son indifférence m êm e, que « le personnage n’est
pas conscient de la présence du spectateur », L'aveugle trompé au contraire (un mari âgé devant
lequel sa jeune femme et son amant essaient de ne pas faire de bruit, alors que le jeune homme
vient de répandre le contenu d ’une cruche tenue dans la main droite) attire et im plique le
spectateur. Celui-ci devient indispensable à la narration dramatique. Sa place de témoin visuel
est marquée dans le dispositif de la représenlation. Le tiers, pourrait-on dire, y est inclus. Dans
sa rivalité avec Chardin, G reuze aurait à la fois cherché à perfectionner l’invention de son
« grand prédécesseur », en rendant le dispositif encore plus résistant à la présence du spectateur,
el néanmoins « à exploiter le thème de la cécité » à des fins « m anifestement » contraires, à
savoir l’inclusion ou l’« absorption » structurelle du spectateur (p. 7U).

97
I

54. |can -8ap (iste G reuze, L'aveugle rmmpé,


M oscou, musée Pouchkine.

55. |can H onoré Fragonard, L e colin maillard,


W ashington, .National G allery o f Art. (Samuel 11 Krcss Collection)
56- fean-Honnrc Fragonard, Le colin-maillard.
(détail «lu précédent)

57. Léonard Bramer, Le colin-maillard, musée d u Ltmvre.


Jacques D e r r id a

— Je n ’en jurerais pas, mais peu im p o rte : le paradigme de îa


bénédiction de Jacob par Isaac ne construisait-il pas aussi secrètement le
scénario de votre rêve de deuil, de vieux et d ’yeux (les vieux aveugles, la
menace sur les fils ou les frères) ou le duel avec votre frère autour de la
puissance du dessin, la ruse du cadet convertissant son infirmité en signe
d ’élection secrète ? Aléa ou arbitraire des signifiants, Fortune aux yeux
bandés qui assigne les noms propres : votre rêve partage entre deux
générations — vous êtes plus jeune que les vieux aveugles mais vous êtes
aussi le père des fils menacés — celui dont le prénom le plus visible, vous
rappelle-t-on souvent, consonne aussi bien avec celui de Jacob q u ’avec celui
d ’Isaac, commence par l’un, finit par l’autre.
%

— O n connaît bien cette bénédiction d'aveugle mais on en mutile


souvent le récit. Deux retournements, qui sont aussi des répétitions, y
convertissent l’aveuglement en clairvoyance providentielle. En premier lieu,
ce n ’est pas une ru se perfide, comme on le croit souvent, qui pousse Rébecca
à tromper le vieil Isaac aveugle en substituant Jacob à Esaü. Sa ruse
anticipe, elle répond d ’avance au dessein de lahvé qui le lui avait annoncé :
« Deux nations sont dans ton ventre et deux peuplades de tes entrailles
essaimeront : l’une des peuplades sera plus forte que l’autre et l’aîné servira
le cadet ! »<74) Rébecca voit loin en avant, avec les yeux de Dieu, dans la
destinée d ’Israël. Au moment où le vieillard aveugle bénit Jacob dont les
mains sont recouvertes de peaux de chevreau pour simuler le corps velu
d ’Esaü, on se dem ande même si Isaac ne pressent pas obscurément, pour y
consentir déjà, la décision insondable d'un Dieu invisible, de ce Dieu
d ’Abraham, d ls a a c et de Jacob qui ne se montre jamais de face et dont les
voies sont secrètes. T o u t se passe alors entre la parole et les mains.
O r pourquoi Isaac consent-il à bénir un fils dont il croit reconnaître au
toucher la peau velue mais dont il déclare ne pas reconnaître la voix (« Jacob
s’avança vers Isaac son père ; celui-ci le palpa et dit : “la voix est la voix de
Jacob mais les mains sont les mains d ’Esaü” »(75)) ? Une fois la tromperie
découverte, pourquoi Isaac confirme-t-il sans réserve la bénédiction
donnée ? Pourquoi donne-t-il à Esaü l’ordre de servir son frère ? En second
heu, après le rêve de l’échelle, et la vision de Dieu qui lui dit en songe : « Je
suis lahvé, Dieu de ton père Abraham et Dieu d ’Isaac. La terre sur laquelle

(74) Genèse, 25,23

(75) Genèse, 27,22

100
59. R em brandt, L r songe de jucob, m u sée du LûUVre.
(tr 37 de l'exposition)
Jacques D errida

tu es couché, je te la donnerai, ainsi q u ’à ta race. Ta race sera comme la


poussière de la terre et tu déborderas à l’occident et à l’orient, au nord et au
sud ; en toi et en ta race seront bénies toutes les Familles du sol. Voici que je
suis avec toi,,. »(76), pourquoi Jacob devient-il aveugle à son tour et bénit-il à
son tour le cadet de son fils Joseph, Ephraïm et non l’aîné Manassé ?
Pourquoi le vieil aveugle, Jacob devenu Israël même, répète-t-il ainsi la
substitution qui l’avait élu et croise-t-il ses mains au mom ent de la
bénédiction ? C om m ent peut-on choisir, c'est-à-dire aussi sacrifier un fils
ou un petit-fils, et pourquoi deux fois ? C om m en t la cécité se capitalise
t-elle sur la tête des pères et des aïeux ? Quel intérêt ? Pourquoi cette usure
des yeux ? Pourquoi la cécité rfest-eüe pas seulement 1effet d'un sacrifice
particulier {on perd les yeux ou la vue, qui seraient ainsi sacrifiés au cours ou
au travers de tel sacrifice — mais il y en a d ’autres) ? Pourquoi la cécité est-
elle d ’abord l’expérience même du sacrifice en général, du côté cette fois du
sacrifiant ? D u côté de la main du sacrifiant ? En exergue à son essai sur Les
affinités électives de Goethe, Benjamin cite Klopstock : « Celui xpiLchoisitcn
aveugle, c’est à ses_yeux que jsjm p r e n d la fumée du sacrifice »<77). Pourquoi
le sacrifice aveugle-t-il en son m om ent même, sansTegard possible pour ce
qui est en jeu P Et cela qu'il s’agisse de l’acte d ’élection ou des êtres élus —
souvent élus pour être sacrifiés : le fils unique, un fils pour la u tr e — ou la
fille plus invisible que jamais. A moins que ce ne soit le contraire : on ne
voit plus parce q u ’on voit trop loin et trop bien — mais cela revient donc au
même, à la même hypothèse de la vue. Pourquoi une seconde fois cet aveugle-
ci, Jacob, après avoir été lui-même élu ou béni par un père aveugle, Isaac,
inverse-t-il à son tour l’ordre naturel des générations en vue d obéir à la
providence divine et d ’observer son ordre secret ?

« Or les yeux d’Israël [Jacob] étaient appesantis par la vieillesse, il ne pouvait


plus voir (...) Joseph les prit tous deux, Ephraïm à sa droite, c’est-à-dire à la
gauche d ’Israël, et Manassé à sa gauche, c’est-à-dire à la droite d’Israël, il les

(76) G enèse, 28,13-14.

(77) * Wcr blind wühlet, dem schliigt Opferdampf/In die Augen, W. Benjamin », « Les Affinités
électives de Goethe », 1922, tr. M. de Gandillac légèrem ent m odifiée, m W. Benjamin, 1. Mythe
et violence, Paris, 1971, p. 161. Un certain sacrifice des yeux oriente le récit de H. ( i. W ells, Le
pays des aveugles (tr. H. Davray et K. K ozakiew icz, Paris). C ’est la vue qui y est décrite comme
une infirmité, et le droit d ’entrer dans cette société se paie de la cécité. Par amour pour une
citoyenne du pays des aveugles, dont le père s’appelle Yacob, com m e l’aïeul aveugle de la
Genèse, Nunèz. envisage « d ’affronter les chim rgiens aveugles » (p. 57) et se dem ande : « Si je
consentais à ce sacrifice f » (p. 60)

102
Mémoires d’aveugle

fit approcher de lui. Israël étendit sa main droite et la plaça sur la tête
d'Ephraïm (or cclui-ci était le cadet) et il plaça sa main gauche sur la tête de
Manassé : il avait croisé ses mains, car Manassé était l'aîné. »(78).

À représenter le songe de jacob, comme le fait par exemple 59


Rembrandt, on rassemble peut-être dans la même scène une vision (Dieu
apparaissant à Jacob), les yeux clos du sommeil et la voyance de deux aveugles,
Isaac puis Jacob, l’obscure lucidité avec laquelle ils accomplissent la
providence divine. Celle-ci passe par leurs mains d ’aveugle. Elle s’inscrit au-
dedans de ces mains guidées par la main de Dieu, comme si le dessein de
lahwé orientait ses lignes à la surface de leur peau, comme s'il avait « tracé
le portrait sur la main », pour reprendre un mot de Diderot. Sa Lettre sur les
• t.

Aveugles à l'usage de ceux qui voient décrit à deux reprises cette vision « par
la peau ». Non seulement on peut voir « par la peau », mais l’épiderme des
mains serait comme une « toile » tendue pour le dessin ou la peinture :

« Saunderson voyait donc par la peau, cette enveloppe était donc en lui d’une
sensibilité si exquise, qu’on peut assurer qu’avec un peu d ’habitude il serait
parvenu à reconnaître un de ses amis dont un dessinateur lui aurait tracé le
portrait sur la main, et qu’il aurait prononcé, sur la succession des sensations
excitées par le crayon : C'est monsieur un tel. Il y a donc une peinture pour les
aveugles, celle à qui leur propre peau servirait de toile (...) Je pourrais ajouter
à l'histoire de l’aveugle du Puisaux et de Saunderson celle de Didyme
d’Alexandrie, d’Eusèbe l’Asiatique, de Nicaise de Méchlin, et quelques
autres qui ont paru si fort élevés au-dessus du reste des hommes, avec un
sens de moins, que les poètes auraient pu feindre, sans exagération, que les
dieux jaioux les en privèrent de peur d ’avoir des égaux parmi les mortels.
Car qu'était-ce que ce Tirésias, qui avait lu dans les secrets des dieux, et qui
possédait le don de prédire l’avenir, q u ’un philosophe aveugle dont la Fable
nous a conservé la mémoire ? » Et dans VAédition à la lettre précédente : « Il
ne me reste plus qu’à vous exposer ses idées sur l’écriture, le dessin, la
gravure, la peinture ; je ne crois pas q u ’on eu puisse avoir de plus voisines de
la vérité (...) Ce fut elle qui parla la première. ‘Si vous aviez tracé sur ma
main, avec un stylet, un nez, une bouche, un homme, une femme, un arbre,
certainement je ne m’y tromperais pas ; je ne désespérerais pas même, si le
trait était exact, de reconnaître la personne dont vous m ’auriez fait l’image :
ma main deviendrait pour moi un miroir sensible ; mais grande est la
différence de sensibilité entre cette toile et l’organe de la vue. Je suppose
donc que l’œil soit une toile vivante d’une délicatesse infinie ; l’air frappe
l’objet, de cet objet il est réfléchi vers l’œil (...) Si la peau de ma main égalait

(78) Genèse, 48, 10-14.

103
61, E c o le de Fontainebleau, Diane pleurant la mort d’Orion, m usée du Louvre.
Miémoites d'aveugle

la délicatesse de vos yeux, je verrais par ma main comme vous voyez par vos
yeux, et je me figure quelquefois qu'il y a des animaux qui sont aveugles, et
qui n’en sont pas moins clairvoyants (...) C'est la variété de la sensation, et
par conséquent de la propriété de réfléchir l’air dans les matières que vous
employez, qui distingue l’écriture tlu dessin, le dessin de l’estampe, et
l'estampe du tableau’

L ’auteur d ’une Lettre sur les aveugles... et des Salons ne fut pas
seulement un penseur de la mimesis hanté par la cécité* il sut aussi écrire,
« dans les ténèbres », une lettre d ’am our aux yeux bandés, une lettre « pour
la première fois » dessinée « sans voir ». Il sut écrire :

« J écris sans voir. Je suis venu, je voulais vous baiser la main et m’en
retourner. Je m ’en retournerai sans cette récompense. Mais ne serai-je pas
assez récompensé, si je vous ai montré combien je vous aime. Il est neuf
heures. Je vous écris que je vous aime, je veux du moins vous Fécrire ; mais
je ne sais si La plume se prête à mon désir. Ne viendrez-vous poini pour que
je vous le dise et que je m’enfuie ? Adieu, ma Sophie, bonsoir. Votre cœur ne
vous dit donc pas que je suis ici. Voilà la première fois que j'écris dans tes
ténèbres. Cette situation devrait m ’inspirer des choses bien tendres. Je n’en
éprouve qu’une, c’est que je ne saurais sortir d’ici. L’espoir de vous voir un
moment me retient, et je continue de vous parler, sans savoir si je forme des
caractères. Partout où il n'y aura rien, lisez que je vous aime. » (à Sophie
Volland, le 10 juin 1759)

Sujet à méprise, l’aveugle est aussi le sujet du châtiment. Dès lors q u ’on
lui prête un sens, le coup qui fait perdre la vue inscrit le sacrifice dans la
représentation économique d ’une justice. Fatalité d ’autant plus implacable
q u ’elle suit une loi de rétribution ou de compensation, d échangé et
d ’équivalence. La logique du châtiment recouvre celle de l'acquittement. La
punition peut annuler le mal ou même produire un bénéfice (intérêt, usure
des yeux perdus), Orion se voit deux lois puni pour la violence de son désir.

(79) Dans la même - Lettre », Diderot imagine aussi un duel entre ces deux philosophes
* aveugles » que seraient Berkeley ei Condillac. Maigre tout ce qui les oppose, ils ont en
comm un l'idéalisme. Or ce m ol, alors tout neuf, désigne aux yeux de Diderot une philosophie
pour aveugles, une philosophie née de père ou de mère aveugle : « On appelle idéalistes ces
philosophes qui, n’ayant conscience que de leur existence et fies sensations qui se succèdent au-
dedans d ’eux-mêmes, n'admettent pas autre chose ; système extravagant qui ne pouvait, ce me
semble, devoir sa naissance q u ‘à des aveugles ». Et après avoir rapproché ces deux idéalistes-
.iveugles que seraient Condillac ci Berkeley : « N e seriez-vous pas curieuse de voir aux prises
deux ennemis, dont les armes se ressemblent si fort ? » (lettre sur les aveugles à l'usage de ceux
qui voient, ed. Vcrnière, in Oeuvres Philosophiques, Paris, 1%5, p. 114-5).

105
Jacques D e r r i d a

T1 perd la vue, puis la vie. Mais le feu solaire lui rend la vue quand, les yeux
crevés par Oenopion, le père de Méropé, et guidé par Cédalion qu'il porte
sur ses épaules, Orion se met en marche vers l’astre éblouissant, cet autre
60,61 œil, cet œil de l’autre qui le voit venir. En revanche, il est vrai, le venin
solaire d ’un scorpion le met à mort sur l’ordre d'Artémis, Mais une
revanche rétablit aussi l’équivalence ou l’équité.
Devenant ainsi martyre, donc témoignage, l’aveuglement est souvent
le prix à payer pour qui doit ouvrir enfin les yeux, les siens ou ceux d ’un
autre, afin de recouvrer une vue naturelle ou l’accès à une lumière
spirituelle. Le paradoxe tient à ce que l’aveugle devient ainsi le meilleur
témoin, un témoin élu. D ailleurs un témoin, en tant que tel, est toujours
aveugle. Le témoignage substitue le récit à la perception. Il ne peut voir,
montrer et parler en même temps, et l'intérêt de l’attestation, comme du
testament, tient à cette dissociation. Aucune authentification ne peut
montrer, présentement, ce que voit le témoin le plus sûr, ou plutôt ce q u ’il a
vu et garde en mémoire s’il n'a pas été emporté par le feu (et quant aux
témoins d ’Auschwitz, comme de tous les camps d ’extermination, voilà pour
les dénégations « révisionnistes » une abominable ressource).
Il s’agit donc toujours de revenir d ’un égarement, de restituer une
destination, de rendre ce q u ’il eût fallu voir à ne pas perdre. Le châtiment
62 d'Elymas, auquel la vue sera d ’ailleurs rendue , rend lui-même au proconsul
une foi dont le mage cherchait à le détourner. Saül, qui est aussi Paul, le
« fixe alors dans les yeux ». O n le voit aussi pointer son doigt dans la même
direction, sur la gauche du dessin de Giulio Clovio, et les mains de tous les
personnages sont tendues : les unes vers les autres, mais aussi vers le centre
d ’une présence invisible qui oriente tous les corps. Prévoyant ce qui va se
produire, Paul annonce donc à Elymas que la main du Seigneur va
l’enténébrer, mais provisoirement et providentiellement. « ô plein de toute
ruse et de toute scélératesse, fils du diable, ennemi de toute justice, tu ne
cesseras donc pas de pervertir les droits chemins du Seigneur ? Et
maintenant, voilà la main du Seigneur sur toi : tu vas être aveugle et, pour
un temps, tu ne verras plus le soleil. Brumes et ténèbres tombèrent tout de
suite sur lui, et il tournait, cherchant qui lui donnerait la main. Alors le
proconsul, voyant ce qui était arrivé, fut frappé de la doctrine du Seigneur
et eut foi. »w
Traduira-t-on aveuglement par castration ? S’intéresse-t-on encore à

(80) Actes, 13,10-12.

106
82. Gjulio Clovio, Elymas frappé de cécité, musée du Louvre,
(rr 40 <lc l'exposition)
63. Ecolc h olh n daise. fin du X V IIe, attribué à H oet, Samsati aveuglé par les Philistins, muscc du Louvre,
(n" 19 de l'exposition)
Mémoires d'aveugle

cela ? Pour illustrer la « vérité » massive de cet axiome freudien (mais c'est
la question de la vérité que nous mettons ici en observation — ou en
mémoire, et d ’aveugle), on dispose de tout le matériau d ’une démonstration
facile et éclatante dans l’histoire de Samson. Celui-ci perd tous les attributs
ou tous les substituts phalliques, les cheveux puis les yeux, après que la ruse
de Dalila eut trompé sa vigilance pour le livrer à une sorte de sacrifice, un
sacrifice physique. Il n ’est pas seulement figure de la castration, figure-
castration, il devient lui-même de pied en cap, un peu comme tous les
aveugles, les borgnes ou les Cyclopes, une image phalloïde, un sexe dévoilé,
vaguement obscène et inquiétant {« Que cherchent-ils au ciel, toiîs ces
aveugles ? »), tendu vers le lieu invisible et menaçant de son désir, dans un
mouvement énergique, déterminé mais incontrôlable, tout en puissance,
potentiellement violent, tâtonnant et sûr à la fois, entre l’érection et la chute,
d ’autant plus charnel, voire animal, que la vue ne le garde pas, notamment
des gestes impudiques. Plus nu q u 'u n autre, un aveugle devient virtuelle­
ment son propre sexe, il se confond avec lui parce q u ’il ne le voit pas, et ne
se voyant pas exposé au regard de l’autre, c'est comme s’il avait perdu
jusqu’au sens de la pudeur. L ’aveugle n ’a pas honte, disait en somme
Luther(8,). A suivre l’analogie entre l’œil et le sexe, ne peut-on dire que l’œil "
de l’aveugle, l’aveugle lui-même, tient son étrange familiarité, son (^
inquiétante étrangeté d*être plus nu ? Exposé nu sans le savoir ? Indifférent à
sa nudité, à la fois moins nu et plus nu qu'un autre de ce fait ? Plus nu car on
voit alors l’œil lui-même , tout à coup exhibé dans son corps opaque, organe
de chair immobile, dépouillé de la signification du regard qui venait à la
fois l’animer et le voiler. Inversement, le corps même de l’œil, en tant qu'il
voit, disparaît dans le regard de l’autre. Quand je regarde quelqu’un qui
voit, la sig nification vivante de son regard me dissim ule, en quelque sorte et
dans une certaine mesure, ce corps de l'œil que je peux facilement fixer chez
l'aveugle, au contraire, et jusqu'à l’indécence. Il s’ensuit q u ’en règle
générale — une règle bien singulière, et propre à dissocier l’œil de la vision
— nous sommes d ’autant plus aveugles à l’œil de f a utre q ue ce dernier se
• montre capable de voir et que nous pouvons échanger avec lui un regard.
Loi du chiasme dans le croisement ou le non-croisement des regards : la
fascination par la vue de l'autre est irréductible à la fascination par l’œil de

[(81) Cité par Kahren Jones Hellerstedt, « T h e Blind Man and his G uide in Netherlandish
A y,~
Painling * (Simtolus..., vol. XIII, n. 3/4, 1983, p .18). Cette riche étude concerne de nombreuses *
u-uvres que nous avons dû laisser dans l’ombre, pour observer ce qui fait la loi de cette
exposition : le corps des dessins conservés au Louvre.

109
Jacques D e r r id u

l’autre, voire incompatible avec elle. Ce chiasme n exclut pas, il appelle au


contraire la hantise d ’une fascination par l’autre.
L obscénité phallique n ’esi-elle pas sensible dans ce dessin hollandais
63 du X V IIe siècle, où l'on voit tant de mains se lever ou s’abattre sur Samson ?
Le corps est puissant, trop puissant. T e n d u à l’extrême, oblique, exposé,
presque nu, il se voit offert à des prises violentes et comme traversées de
désir. Gestes avides, envieux et impatients de tous ces soldats qui cherchent
le contact de sa peau sous prétexte de maîtriser la force surhumaine de ce
phallus raide et imprenable. On pense à une scène de viol collectif. Pendant
que des mains immobilisent le crâne lisse, on voit un poignard crever l’œil
droit. Des mèches abondantes sont déjà coupées, certaines abandonnées en
partie sur le sol, mais presque toutes rassemblées en une forte crinière dans
la main droite d ’un Philistin qui tient de la main gauche des ciseaux
victorieux et menaçants.
Samson, la victime du châtiment, est aussi un élu de la providence
divine. Pendant la captivité d ’Israël chez les Philistins (le peuple était déjà
puni et tenu d ’expier ses péchés), l’ange de lahvé annonce à la mère stérile
de Samson q u ’elle aura un fils. Il commencera à sauver Israël mais « le
rasoir ne passera pas sur sa tête ». Après q u ’il eut pris femme chez les
Philistins incirconcis, après toutes les péripéties qui le conduisent à la
captivité puis à l’aveuglement, après que Dieu se fut « retiré loin de lui », il
invoque lahvé qui lui rend scs forces. Samson va sauver son peuple en se
sacrifiant avec les Philistins après avoir pu bander encore son énergie.
Colonne contre colonne, colonne entre les colonnes, et qui s’abattent : f une
fait tomber les autres, sur tous et sur elle-même. Ce sacrifice signifie aussi
l’échange, la vengeance capitale, et capitalisée (non seulement œil pour œil,
mais « une seule vengeance pour deux yeux »), c’est-à-dire une usure de la
mémoire : « Alors Samson invoqua lahvé et dit : “ Adonaï lahvé, daigne te
souvenir de moi et daigne me rendre fort, rien que cette fois, ô Dieu, pour
que je me venge des Philistins en une seule vengeance pour mes deux
yeux ! ” Puis Samson palpa les deux colonnes du milieu sur lesquelles était
établi le temple et s’appuya sur elles, sur l’une avec son bras droit, sur l’autre
avec son bras gauche. Et Samson dit : ‘Meure ma personne avec les
Philistins !”, puis il se raidit avec force et le temple s’effondra sur les
satrapes et sur tout le peuple qui s’y trouvait. Les morts q u ’il fit mourir par
sa mort furent plus nombreux que ceux q u ’il avait fait mourir en sa vie. »(82>

(82) Juges, 16, 28-30 (tr. E. D horm e, op. cit.).

110
Mémoires d'aveugle

5”c»~

« Une seule vengeance pour deux yeux », « les morts... plus nombreux » :
dans cette logique du supplément sacrificiel, il y a toujours une récompense
de la ruine, le bénéfice d ’une usure, bref une hypothèque des yeux et une
prime à taveuglement,
C ’est ce calcul aveugle et providentiel à la lois, ce pari sur
l’aveuglement que Milton traduit dans l'autoportrait que reste Samson
Agonistes. Comme Samson, le poète aveugle est l’élu de Dieu, un châtiment
terrible devient le prix à payer d ’une mission nationale et d ’une responsabi­
lité politique. Et l’aveugle regagne > il garde et regarde, il compense en
lumière spirituelle ou intérieure aussi bien q u ’en lucidité historique ce 'à
quoi scs yeux de chair sont tenus de renoncer. La cécité ne fait q u ’illuminer
les « yeux du dedans » : »
« But he, though hlind of sight,
Despiscd and tkought extinguished quite,
fVrth inwqrd eyes illuminated.
Mis fiery virtue roused
Front under ashes into sudden f l a m e »(83)

Mais la question reste vive pour Samson, à vif mais fermée sur un
secret : si l’intériorité de la lumière est la vie de l’âme, pourquoi fut-elle
confiée à l’extériorité du corps, emprisonnée, « confinée » dans un globe
aussi vulnérable que l’œil ?
« Since light sa necessaiy is to life,
And almosi life itself if il he true
Thaï light is in the soul,
She ail in every part, why was the sight
To such a tender bail as th ’eye confined ? » W I

Conjecture assez répandue : les attaques dont Milton fut l’objet


vinrent aggraver l’état de son glaucome. Ses ennemis ne manquèrent pas de
voir dans l'aveuglement qui le frappe autour de 1652 un châtiment q u ’il
interprétait lui-même comme le sacrifice à une « noble cause » (la
révolution, le régicide, le plaidoyer pour le divorce). Sacrifice, certes, mais

(83) * Mais lui, bien que privé de vue / Couvert de mépris et supposé éteinl absolument / Voici
qu'illuminé de ses yeux du dedans / Arracham sa farouche v e r tu /D e sous les cencfres
l’enflamma soudain... »

(84) « Mais si la lumière est si nécessaire à la vie / Si elle est presque la vie m êm e, et s'il est vrai /
Que la lumière est en l’âme / Et celle-ci tout entière en chacune de nos parts, alors pourquoi la
v u e/F u t-elle recluse en ce globe si frêle, un œil ? »

III
65, |c a n - B a p tis te Isabcy, Le général Drouot. m u s é e du L o u v r e .
Mémoires d’aveugle

un sacrifice récompensé ou tout simplement motivé par un don de


prophétie visionnaire. C ’est ce que lui dit son ami Marvell, l’auteur de
« Eyes and leurs », qui le compare à Tirésias :
« Where couldst îhou words of such compass fm d ?
Whence fumish such a vast expense o f mind ?
Just Heav'n thee hke Tirésias to requite
Rewards with Prophecy thy loss o f sight

C ’est en somme au cours d ’une guerre avec les Philistins incirconcis


que le héros de Gaza perdit la vue. Son épreuve appartient donc aussi à une
archive de la justice ou du châtiment politico-militaire. On pourrait faire
comparaître devant un tribunal imaginaire ou accrocher au m ur de la
même galerie tous les généraux condamnés à perdre la vue ou à voir leurs
yeux bandés, tous les « Bélisaire » de l’Antiquité, celui de David et celui de
Peyron son rival, et tous les « Drouot » des conseils de guerre modcrnes<86) . 64, 65

— Si, à vous croire, l’aveugle est bien le sujet de la méprise ou du


châtiment, cela peut-il donner lieu à cette conversion que vous annonciez ?
< omment Taveuglement peut-il ainsi renverser. retourner le sujet ? En le
tournant vers quoi ? Une version vers qui ?

— Chaque fois qu'un châtiment divin s’abat sur la vue pour signifier le
mystère d une élection, l’aveugle devient le témoin de la foi. Une conversion

(85) « O ù as-tu su trouver mots de tel compas ? / D ’où te fut accordée étendue si vaste de
l'esprit ? / Le juste ciel, à ton tour, com m e il récompensa Tirésias / Du don de prophétie te rend
la vue perdue », On M r Milton s Paradis? Lost. (Penguin, p. 192) On sait d'autre part que Milton
élabore toute une théorie de la Lumière divine ou Irinitaire aussi bien dans Paradise Lost que
dans Christian Doctrine. Le Fils n'est que « bright effluence », luminosité de la lumière qui
procède du Père. Seul ce dernier est lumière essentielle, essence de la lumière. (Je m ’inspire ici
du travail inédit d'un étudiant, Marc Geisler, A Friendly Struggle : Milton, Marvell and the
Liberties o f Bltndness).

(86) Sur les Bélisaire de Peyron et de David, voir l’analyse de Regis Michel qui cite le mot de
Diderot devant le vieux général condamné par l'empereur (ustinien * jaloux de ses victoires »,
déchu, aveugle et mendiant dans son casque :« Toujours je le vois et crois toujours le voir pour
la première fois » (Salon de 1781). Regis Michel, in David, l ’art et la politique (Paris, 1988, p. 31
sq). Très attentif à de nombreuses mises en scène de Bélisaire {op. cit. p. 146-160), Michael Fried
cite pour sa part une lettre de Diderot (18 juillet 1762) qui s'inscrit bien dans cette
problématique de I « absorption », de la supposition du spectateur, de l'inscription du point de
vue comme partie prenante dans le tableau. Le dessinateur doit-il annuler l'hypothèse du
spectateur ? Doit-il faire comme s'il n’y en avait pas ou supposer le visiteur aveugle ? Oui, selon
Diderot : « Si quand on fait un tableau, on suppose des spectateurs, tout est perdu. Le peintre
sort de sa toile, com me l'acteur qui parle au parterre sort de la scène. (...) Le Bélisaire ne fait-il
pas L’effet q u ’il doit faire ? Q u’importe qu'on le perde de vue ! » {op. cit. p. 147).

113
66. I>clin ( )rsi, Im conversion de saint Paul, musée du I suivre
( n° 42 de l ' exposi t i on)
Mémoires d'aveugle

interne semble d a b o rd transfigurer la lumière elle-même. Conversion du


dedans, conversion au-dedans : pour éclairer au-dedans le ciel spirituel, la
lumière divine fait la nuit au-dehors dans le ciel terrestre. Ce voile entre
•é? 1? m
deux lumières est Î’expériençg de réblouissement, celui-là même qui par
exemple terrasse Paul sur le chemin de Damas. Une conversion de la
lumière le fait littéralement tomber à la renverse. Souvent le cheval est aussi 66. 67
violemment jeté à terre, renversé ou terrassé dans la même chute, parfois les
yeux tournés lui aussi, comme son maître, vers la source aveuglante de la
lumière ou de la parole divine. Dans le tableau du Caravage (Rome, S. 68

Maria del Popolo), le cheval seul reste debout. Etendu à terre sur le dos, les
yeux clos, les bras ouverts et levés au ciel, Paul est tourné vers la lumière qui
i’a fait tomber à la renverse. La clarté semble descendre sur lu r c o m m e si
elle était réverbérée par sa bête même. Outre son rappel dans l’Épître aux
Galates^7’, la conversion est décrite par trois fois dans les Actes des Apôtres.
Le premier récit n’est pas de la bouche de Paul (ou Saül) et il constitue une
narration plus visuelle de l'événement :
« ... et comme il approchait de Damas, une lumière du ciel I éblouit soudain
et, tombant par terre, il entendit une voix qui lui disait : “Saül, Saül,
pourquoi me poursuis-iu ?" Il dit : ‘‘Qui es-tu, Seigneur ?” Et lui : “Je suis
[ésus, que tu poursuis. Mais lève-toi, enlre dans la ville, et on te dira ce que
tu dois faire”. Les hommes qui raccompagnaient s’étaient arrêtés, stupéfaits
d’entendre la voix et de ne voir personne, Saül se releva de terre, les yeux
ouverts et n*y voyant rien : et c’est en lui donnant la main qu’ils le firent
entrer à Damas- Il lut trois jours sans y voir, et il ne mangea, ni ne but ».(88(

C ’est au cours d ’une vision que Dieu apparaît au disciple Ananie à qui
il confie la mission de poser les mains sur Saül pendant une prière (et aussi
au cours d ’une vision de Saül : récit d ’une vision dans la vision). Et cela
« pour q u ’il voie » :
« Et le Seigneur lui dit (à Ananie) : "Lève-toi, va dans ce qu’on appelle la rue
Droite, dans la maison de Judas, et cherche un nommé Saül de Tarse ; car le
voilà qui prie et il a vu un homme appelé Ananie qui entrait et qui posait les

(87) 1, 12-24 (éd. Pléiade, tr. J. Cirosjean, M. Léturmy, P. Gros). L E p itre aux Galates associe de
façon particulièrement étroite le thème de la conversion (toujours une expérience du regard
intérieur tourné vers la lumière- .ni moment de la révélation, c'esL-à-dire au m om ent de la vérité)
au thème de la cîrc^nritinn Celle-ci devient inutile après la révélation ou le « dévoilem ent » du
Christ (« Car dans le christ Jésus la circoncision n'est bonne a rien et le prépuce non plus, mais
la foi, qui est à l’œuvre par la charité » (5,6).

(88) Actes des Apôtres, 9,3-9. op. cit.

\ 17
Jacques D e r rid a

mains sur lui pour qu’il voie (...)" Ananie s’en alla, entra dans la maison et,
après avoir posé les mains sur lui, il dit : “Saül, mon frère, le Seigneur, ce
Jésus que tu as vu sur le chemin par où tu venais, m ’a envoyé pour que tu
voies et que tu sois rempli d’Esprit saint ”. Aussitôt tombèrent de ses yeux
comme des écailles. Il voyait. Il se leva, fut immergé et, quand il eut pris de
la nourriture, il fut revigoré.

Les deux autres versions sont aussi des mémoires, les confessions ou
l’autoportrait d ’un converti. Saul parle à la première personne. Il insiste
davantage sur la figure de l’aveugle comme témoin. Privilège de l'aveugle,
il aura entendu, non moins que vu : 4
* r
« Je suis tombé par terre et j'ai entendu une voix me dire ; Saül, Saül,
pourquoi me poursuis-tu ? (..,) Ceux qui étaient avec moi ont bien vu la
lumière, mais ils n’ont pas entendu la voix de celui qui me parlait. » Puis
c’est la parole d'Ananie : « Le Dieu de nos pères t’a destiné à connaître sa
volonté, à voir le |uste et à entendre une voix de sa bouche, car tu lui seras
témoin, devant tous les hommes, de ce que tu as vu et entendu (...) Et de
retour à Jérusalem, comme je priais dans le temple, voilà que j’ai été hors de
moi et je l'ai vu, lui, qui me disait : Dépêche-toi, sors vite de Jérusalem, car
ils ne recevront pas ton témoignage sur moi »<9°*

Dans le second récit autobiographique, le témoignage de la conversion


voit sa destination encore mieux assignée. Il s’agit cette fois de convertir les
autres et de tourner vers la lumière leurs yeux enfin ouverts, de- les
détourner des ténèbres et de Satan (ange de lumière mais aussi de
! l’aveuglement) pour les rappeler à Dieu :
« ... car si tu m ’as vu, c’est que je te destine à être l'auxiliaire et le témoin de
ce que tu as vu et de ce que tu verras quand je t’arracherai à ce peuple et à
ces nations vers lesquels je t’envoie pour leur ouvrir les et qu'ils sc
retournent des ténèbres vers la lumière et du pouvoir de Satan à Dieu (...)
Depuis, roi Agrippa, je ne suis pas devenu indocile à la vision céleste ; au
contraire (...) j’annonçais qu'on ait à se convertir et à se retourner vers Dieu
en faisant des œuvres dignes de la conversion. »(<)|)

Aveuglement de tournesol, conversion qui tord la lumière et la fait


tourner sur elle-même jusqu'au vertige, évanouissement de l’ébloui qui se

(89) ] 1,19. op. cit.

(90) 22,7-18. op. cit.

(91) 26,16-20.

118
Mémoires d'aveugle

voit passer de la clarté à plus de clarté, peut-être à trop de soleil. Cette


clairvoyance du trop évident, c’est la folie de Paul. Et on en accuse les livres,
autrement dit la visibilité de la parole invisible : « T u es fou, Paul ! Les
livres te rendent fou ! » lui crie Festus. La confession de Paul, l’autoportrait
de cette lumière toile, gageons q u ’elle aura représenté le modèle de
l’autoportrait, de celui qui nous occupe ici dans sa ruine même...
£
— Du vôtre ?
J-
— De quiconque dit « le mien », entre nous, dans notre culture. C ’est ce f û(a*
que j’appelle aussi l’hypothèse de la vue, c’est-à-dire le suspens du regard,
son « époque » {epochè veut dire interruption, arrêt, suspension, et parfois
suspension du jugement, comme dans la skepsis dont nous parlions en
commençant). Pas d ’autoportrait sans confession dans la culture chrétienne. (XsA f-a f » —
CO'V ox.
L ’auteur de l’autoportrait ne se mont?e pas, il n apprend rien à Dieu qui sait
tout d ’avance (Augustin ne cesse de le rappeler)^. wrte
donc pas à l ançon naissance, il avoue une faute et dem ande pardon. Il « fait »
la vente, c ’est le mot d ’Augustin, il fa it la lumière de ce récit pour accroître
en lui l’amour de Dieu, par « am our de ton am our »(92). Au cœur des
lia n ri 1amop^rtiaitisie.- m ii;u r c les tentations... de la vue et
appelle cette conversion de la lumière à la lumière.jdu dehors au-dedans»
alors c’est une théorie des aveugles qui défile. Tous les Tobit de l’Ecriture
sont convoqués en sa mémoire, et Isaac et Jacob. Sauf Paul,'en raison ou en
dépit du fait qu'il est ici le plus proche des modèles, la tacite aveugle en ce
point des Confessions qui tournent aussi autour d ’une conversion.
Et le mal vient autant des formes que des couleurs :
« Reste la volupté de ces yeux de ma chair (...) Les formes belles et variées,
les couleurs vives et fraîches font les délices des yeux. Qu’ellbs ne retiennent
pas mon âme ! Que Dieu la retienne (...) Car la reine des couleurs elle-même,
cette lumière inondant tout ce que nous distinguons, où que je sois durant le
jour, se glisse vers moi de mille manières et me caresse {blanaitur mlhi) alors
que je fais autre chose et ne lui prête pas attention. Mais elld s’insinue avec
tant de force que, si tout à coup on la retire, je la regrette et là recherche ; et
si son absence est trop longue, mon esprit s'attriste. O lumière que voyait
Tobit, lorsque, les yeux de ce corps étant clos, il enseignait à sorç fils ltchemm
de la vie et marchait devant lui du pas de la charité, sans jamais s’égarer !

(92) Confessions, Livre XI, ch. 1.1 263 in Oeuvres de saint Augustin., t. XIV7 tr. Ér, Tréhorel et
Bouissou. Paris, 1962, p. 2 7 L

p \%Mruu
119
Jacques D e r r id a

Lumière que voyait Isaac, quand, malgré le voile pesant que la vieillesse
avait fait tomber sur les flambeaux de sa chair, il mérita non pas de bénir ses
fils en les reconnaissant mais de les reconnaître en les bénissant ! Lumière
que voyait Jacob, quand, prisonnier de ses yeux lui aussi à cause de son
grand âge, il éclaira les générations de son peuple à venir, préfigurées
(praesignata) en ses fils, des rayons de son cœur illuminé, et quand sur ses
petits-fils, enfants de Joseph, il posa ses mains mystérieusement croisées, non
pas dans l’ordre rectifié du dehors (forts) par leur père, mais selon ce que lui-
même discernait au-dedans (intus) ! C ’est elle, la vraie lumière ; elle est une,
et tous ceux-là sont un, qui la voient et qui l’aiment (ipsa est lux, una est et
unum omnes, qui vident et amant eam). Quant à l’autre, la lumière corporelle
dont je-parlats.~elle assaisonne de sa douceurTefluisante la vie des aveugles
amants du siècle (condit vitam saeeuh caecis amatoribus). Mais lorqu’ils savent
te louer aussi à son sujet, « ô Dieu, créateur de toutes 'choses », ils la prennent
{adsumunt eam) pour la mettre dans ton hymne au lieu de se faire prendre
par elle {non absumuntur ab eu) pour leur perte dans leur sommeil,

En m ê m e temps que la lumière du siècle, et le siècle m êm e est défini


par la lumière charnelle, saint Augustin dénonce le sommeil qu i lerm e nos
yeux à la vraie lu m iè re.-du dedans. Mais il accuse aussi les œuvres de l’art,
n o tam m e n t les peintures, « autant de séductions ajoutées à celles des yeux
par les hom m es qui suivent au-dehors ce q u ’ils font, a b a n d o n n e n t au-
dedans celui qui les a faits et y ruinent ce que d ’eux il a fait ». Les
Confessions se d o n n e n t com m e un témoignage destiné aux frères chrétiens
mais cette attestion est un discours en forme d ’autoportrait sur cette ruine et
sur ce sacrifice. La confession « érige des yeux invisibles » contre la
« concupiscentia oculorum » :
« Je résiste aux séductions des yeux, pour ne pas y embarrasser mes pieds,
qui me permettent d ’entrer_aans ta voie; et j’élève vers toi des -yeux
invisibles {et erigo ad te invisibiles oculos), pour que tu dégages mes pieds du
filet. Tules dégages souvent, car ils tombent dans le filet ; toi, tu ne cesses pas
de les dégager, tandis que moi je suis fréquemment immobilisé dans les
pièges répandus partout : car tu ne dormiras pas, tu ne sommeilleras pas, toi qut
gardes Israël. Que de séductions innombrables, grâce à divers travaux
d’artistes et d’artisans, dans les vêtements, les chaussures, les vases et les
objets de toute nature que l’on fabrique, et aussi dans les peintures, les
modelages variés (picturis etiam diverstsque figmentis), et toutes ces choses qui
dépassent de loin un usage nécessaire ou modéré et une signification de
piété ! Autant de séductions ajoutées à celles des yeux par les hommes qui

(93) Confessions, Livre X, ch. X X X IV , 51.52, p. 234-235. Les mots en italique signalent des
citations de l'Ecriture.
Mémoires d'aveugle

suivent au-dehors (foras) ce qu'ils font, abandonnent au-dedans (intus) celui


qui les a faits et y ruinent (exterminantes) ce que d’eux il a tait. Moi, au
contraire, ô mon Dieu et ma parure, je tire de là une hymne que je chante et
une louange que j’offre en sacrifice à celui qui se sacrifie pour moi. »[9i)

Saint Augustin condamnerait-il ainsi la séduction de toute peinture


chrétienne ? Nullement, à la condition q u 'u n e conversion la sauve. Une
sorte d allégorie ordonne alors la vision c h arnelle à la_ vision divine.
L ’allégorie, dans ce cas, n ’exclurait pas l'analogie, au contraire. Telle
conversion allégorique rappellerait u n rapport de ressemblance entre l'œil
humain et cet œil divin qui est à la fois l’unique source de lu m iè re, la'
visibilité même, et le lieu d ’une vision monoculaire. L ’hym ne ne chanterait
la louange de l’œil divin q u ’en le regardant, en se regardant gardé et
regardé par Dieu. De m êm e que les « aveugles am ants du siècle » peuvent
se sauver parce qu"ils prennent en eux et assum ent (adsumunt) « la lumière
corporelle » pour louer la lumière du seigneur, de m ê m e le peintre sauve sa
peinture en m ontrant cet échange de regards, à la fois spéculaire et
hiérarchisé, donc orienté, respectueux de la distance infinie q u ’il contemple,
dissymétrique (miroir du haut en bas ou d u bas en haut) : entre la vision
humaine et la vision divine. La peinture de vient cette allégorie, elle m ontre
l'échange de regards qui rend possible la peinture. Quelle que soit sa
surcharge symbolique195), YAllégorie sacrée de Jan Provost, do n t ceci n ’est pas 69
une analyse, doit toujours pouvoir se contem pler c om m e la représentation
ou la réflexion de sa p ro p re possibilité. Elle m et en scène l’ouverture de la
peinture sacrée, une auto-présentation allégorique de cet « ord re du
regard » auquel doit se soumettre un dessin chrétien. Pas plus q u ’elle ne le
fait jamais, cette m i s e e n œ uvre d e _ lVuto-présentation ne suspend la
^référence au dehors, com m e on le croit si souvent et si naïvement. Le désir
d ’auto-présentation ne se rejoint jamais, et c’est pourquoi le simulacre a
lieu. Jamais l’œil de l’A u tre ne le rappelle plus souverainem ent au dehors et
à la différence, à la loi de disproportion, de dissymétrie et d ’expropriation.
Et c’est la mémoire même. P ou r « contem pler » ainsi ce tableau, le regard
doit devenir chrétien, non q u ’il soit déjà converti mais en cours de
conversion, apprenant à voir la condition divine du tableau m ême.

(94) Confessions, Livre X, ch. X X X IV , 52-53, p. 235-237

(95) Voir * Une allégorie sacrée de Jan Provost » par Nicole Rcynaud, in Revue du Louvre,
Paris, 1975, nwl, p. 7. Ici ou là cette allégorie est dite « chrétienne » plutôt que « sacrée ».

121
89. |:in Provost, Allégorie sacrée, m usée du Louvre.
36 d e l'cxposittori)
( ti °
Mémoires d'aveugle

Apprenant à voir à cettc condition, et cela n ’est possible q u e dans l’hym ne


ou dans la prière.
Un dessin chrétien devrait être un hymne, une louange, une prière, un
œil qui implore, un œil aux mains jointes, Yimploration érigée, une
imploration de surrection et de résurrection (tout ici devient ascension et
verticalité du regard, fors l’œil de Dieu sans lequel tout s’aveuglerait),
comme les yeux d u fils et de la mère qui regardent dans la m ê m e direction.
Imploration, révélation, sacrifice (l’Agneau immolé tient entre ses pattes, lui
aussi, comme tant d ’autres aveugles, la bannière dressée d u salut), cette
allégorie ne m ontre l’Œil de P A utre q u ’en dévoilant l’allégorie d e ^ l a
432onstration même, Vallégorie d u d e ssin c o m m e apocalypse. C a r ceci
montre une apocalypse, comm e le suggère l ’allusion à VApocalypse de Jean,
au livre « scellé de sept sceaux »,%). O r son nom l'indique, Yapocalypsis n ’est
que révélation ou mise à nu, dévoilement
i _
qui Jrend visible,
~
vérité
^
de——la■ *
vérité : la lumière qui se m o n tre elle-même. Ceci est une apocalypse de la
peinture — comme peinture chrétienne. T o u t y est à la fois renversé et
remis en ordre, de haut en bas et de fond en comble. Mais le second sens de
l’apocalypse ne vient pas se greffer secondairement sur le premier, et si la
révélation ou la contemplation (Hazôn) m et au jour ce qui déjà et depuis
toujours était là , si l’apocalypse m o n tre ce là , elle dévoile aussi selon
l'événement d une catastrophe ou d 'u n cataclysme. L ’ord re et la ruine ne se
dissocient plus à l’origine du dessin, ni la structure transcendantale et le
sacrifice, encore moins quand celui-ci m o n tre à la lois son origine, la
condition de sa possibilité et la venue de son événem ent : une œuvre. Une
œuvre est à la fois I W d r e et sa ruine. Q ui se pleurent. Déploration
imploration voilent un regard au m o m e n t m ê m e de le dévoiler. E n j m a n t
au bord des larmes, l’allégorie sacrée fa it quelque chose. Elle fait arriver,
clic fait_venir aux yeux en produisant un événem ent ; elle est performative,
ce dont serait incapable la seule vision si elle ne donnait lieu ' q ù >àU“co n st a i
représentatif, à La perspicacité, à la théorie ou au théâtre, si elle n ’était pas
déjà en puissance d a pocalypse. En s’aveuglant à la vision, en se voilant la
vue, par exemple en implorant, cm fait peut-être q u e lq u e chose de ses yeux.
O n se fait quelque chose aux yeux.
Mémoires et a u to pQrtTa\\.^\çsJConfemons de saint Augustin racontent
sans doute une préhistoire de l’œil, de la vision ou de la cécité. Mais avant de
dire pourquoi je les ai toujours lues c om m e le g ra n d livre des larmes, je

(96) Apocalypse de Jean, ch. V , 1.

123
Jacques D e r r id a

voudrais évoquer ici les contre-confessions dionysiaques d 'u n autre aveugle,


YEcce H omo de Nietzsche. Il s’agit toujours d ’un duel à contre-jour entre
Dionysos et son autre, Persée son demi-frère ou Apollon, le dieu de la
lumière et d u regard, de la forme ou de la figure, fextase apollinienne
produisant « avant tout l’irritation de l’œil qui donne à l’œil la faculté de
vision » (Le Crépuscule des Idoles). E n tre Apollon et Dionysos une « alliance
fraternelle »,97) est certes possible, à en croire Nietzsche, mais après une
gu erre des yeux et une scène apotropaïque entre des frères ennemis.
Nietzsche voit Méduse entre eux, com m e une figure de mort. La naissance
de la tragédie avait décrit les têtes dionysiaques, la « frénésie sexuelle », la
« bestialité naturelle », le « mélange abominable de volupté et de cruauté » :
- — ------ m — ------------

« L'excitation fiévreuse de ces fêtes, dont connaissance était venue aux Grecs
par toutes les voies de terre ou de mer, il semble qu’ils en furent un temps
protégés et tenus à l’abri par la figure orgueilleusement érigée de leur
Apollon, lequel ne pouvait opposer la tête de Méduse à nulle puissance plus
redoutable que cette puissance grotesque et brutale du dionysiaque. Et c’est à
l’art dorique qu’il revint d’immortaliser, dans son refus, cette majestueuse
attitude d’Apollon. » Et c’est ensuite « la réconciliation des deux adver­
saires »(98). j

Nietzsche n ’eut jamais de mots assez cruels contre saint Paul et saint
Augustin. Mais son jgcce Jiorno a beau jouer l’Antéchrist et « Dionysos
contre le Crucifié » (Dionysos gegen den Gef^reuzigten), le livre est encore
l’autoportrait d ’un aveugle, et d ’un fils aveugle doué d ’une seconde, voire
d ’une troisième vue. Il se présente com m e un expert de l’om bre à qui fut

(97) la Naissance de la Tragédie, tr. fr. M. Haar, Ph. Lacoue-Labarthe et J.L. Nancy, Paris, 1977,
p. 151.

(98) Tbid. p. 47. « Cette réconciliation est le m oment le plus important de toute l’histoire du
culte grec : où q u ’on porte les yeux, les conséquences bouleversantes de cet événem ent sont
visibles ». Plus loin : « Et voici q u ’Apollon ne pouvait vivre sans Dionysos 1 Le “titanesque” el
Je “barbare” étaient en fin de com pte aussi nécessaires que l’apollinien ! » (p. 55), Quant à la
place du tiers, du témoin cl tle l'observateur, N ietzsche lui assigne le point de vue du chœur
dans la tragédie grecque. Com mentant une formule de Schlegel : « (...) si le chœur est le
* spectateur (Zuschauer) idéal », c’est qu'il est en réalité le seul voyant (Schauer), le voyant du
m onde visionnaire de la scène. T el que nous le connaissons, en effet, un public de simples
spectateurs était inconnu des Grecs. » (p. 72). Sur l’aveuglem ent, le « regard blessé », le masque
apollinien ou dionysien, la speciralité, etc. cf. p. 76 sq et passim. D ’H om ère l'aveugle, Nietzsche
dit qu’il écrit de façon plus « évocatrice » (anschauhch) parce qu'il sait mieux « voir avec
pénétration » (anschauen) (p. 73).

124
Mémoires d ’aveugle

donnée l’expérience de la cécité. Celle-ci le menaça en effet q u a n d il


atteignit l’âge ou son père m o u ru t :

« L’année où sa vie déclina, la mienne suivit la même pente : dans ma trente-


sixième année ma vitalité atteint son point le plus bas *—- je vivais encore,
mais sans voir à trois pas devant moi. (...) Je vécus l'été comme une ombre
(wie ein Schatten) à St-Moritz et l’hiver suivant, le plus pauvre en soleil de
ma vie, en tant qu'ombre (als Schatten) à Naumburg. Ce fut là mon
minimum. « Le Promeneur et son ombre » apparut alors. Indubitablement,
je m ’y entendais en ombres... (...) Mes maux d ’yeux qui m ’amènent parfois
dangereusement au bord de la cécité (dem Blmdiverden zeitweilig sich
gefdhrlich anndhernd), ne sont eux-mêmes q u ’un effet, non une cause : quand
ma puissance vitale (Lebenskraft) augmente, la puissance de ma vue
(Sehtyaft) le fait aussi. (...) je suis un double (ein Doppelganger), j'ai aussi Sa
« seconde » vue en plus de la première. Et peut-être même encore la
troisième... »199)

Et Nietzsche pleurait beaucoup. O n connaît l ’épisode de T u r in , par


exemple, la compassion pour ce cheval dont il prît la tête dans ses mains en
sanglotant. Q u a n t aux Confessions, disions-nous, c’est le livre des larmes. A
chaque pas, à chaque page, et non seulement à la m ort de l’ami ou de la
mère, Augustin décrit son expérience des larmes, celles qui l'inondent,
celles dont il jouit avec étonnem ent, d e m a n d a n t à Dieu pourquoi les larmes
sont douces à ceux qui sont dans le m alheur (curfletus dulcis sit m isais) (ltw,
celles q u ’il réprime, chez lui ou chez son fils. O r si les larmes viennent aux
yeux, si alors elles peuvent aussi voiler la vue, peut-être révèlent-elles, dans
le cours m êm e (le cette expérience, dans ce cours d eau, une esse nce de l’œil,
en tous cas de l’œil des h o m m e s . J ’œil compris dans_l’espace anthrûpt?-
théologique de l’allégorie sacrée. Au fond, au fond de l’œil, celui-ci ne serait
pas destiné à voir mais à pleurer. Au m o m e n t m êm e où elles voilent la vue,
les larmes dévoileraient le propre de l’œil. Ce q u ’elles font jaillir hors de
l’oubli où le regard la garde en réserve, ce ne serait rien de moins que
Yalethcia, la vérité des yeux dont elles révéleraient ainsi la destination
suprême : avoir en vue l’im p loration plutôt que la vision, adresser la prière,
l’amour, la joie, laj-ristesse plutôt q u e le regard. Avant m ê m e d ’illuminer, la
révélation est le m o m e n t des « pleurs de joie ».

(99) Ecce Homo. ir. A. ViaJatte (légèrement m odifiée), Paris, 1942, p» 18, 19, 22.

(100) Confessions, Livre IV, ch. V, 10 p. 422.

125
70. Charles Le Brun, Le pleurer, musée du Louvre.
(n°43 de l'exposition)
71. Damclr da Volfcrra, Femme an pied de la croix, musrc du Louvre,
(n* de l'exposition)
Jacques Dcrritla

Q u e dit le discours a nthropo-théolo^iquc (que nous laisserons ici


ouvert c om m e un œil, le plus lucide et le plus aveugle) ? Q u e si les yeux de
tous les a n im a u x sont destinés à la vue, et peut-être par là au savoir scopique
H e Van mm! rationale, l’h o m m e seul sait aller au-delà d u voir et du savoir, car
seul il sait pleurer. « Seuls cependant les yeux de l’h o m m e ont puissance de
pleurer » (« But only human eyes can weep », A n d re w Marvell). Seul il sait
voir ça, l’h o m m e , que les larmes sont l’essence de l’œil — et non la vue.
L ’essence de l’œil est le propre de l’hom m e. C o n tra ire m e n t à ce q u ’on croit
savoir, le meilleur poinTHe vue (1e point de vue aura été notre thème) est un
point source et un point d ’eau, il revient aux larmes. L ’aveuglem ent qui
ouvre l’œil n ’est pas celui qui enténèbre la vue. L ’aveuglement révélateur,
a ^ ) l’aveuglement apocalyptique, celui qui révèle la vérité m ê m e des yeux, ce
serait le regard voilé de larmes. Il ne voit ni ne voit pas, il est indifférent à la
vue brouillée. Il implore : d ’abord pour savoir d ’où descendent les larmes et
de qui elles viennent aux yeux. D ’où et de qui ce deuil ou ces pleurs de
joie ? Et cette eau de l’œil P
A dessiner des pleurants, des pleurantes surtout (car s’il y a beaucoup
de gran d s aveugles, pourquoi tant de pleurantes ?), peut-être cherche-t-on à
dévoiler les yeux. A les dire sans les m o n tr e r en train de voir. A se rappeler.
A prononcer ce qui, dans les yeux, et donc dans le dessin des hom m es, n ’a
rien à voir avec la vue. Avec le jour de la clairvoyance. O n peut voir d ’un
seul œil, d 'u n coup d ’œil, q u ’on en ait un ou deux. O n peut perdre ou se
crever un œil sans cesser de voir, on peut cligner d ’un seul œil.

— C ’est bien ce qui vous est arrivé, n'est-ce pas, vous le disiez tout à
l’heure.

— Cela ne m ’empêchait pas de voir, justement. A u tr e m e n t dit, deux


yeux peuvent toujours se dissocier d u point de vue de la vue. D u point de
vue de leur fonction organique. Mais c’est « tout l’œil », le tout de l’œil qui
pleure. Impossible de pleurer d ’un seul œil q u and on en a deux, ou même,
j’imagine, q u a n d on en a mille, com m e Argus ( dont l’œil se multiplie à la
surface d u corps, selon XEsthétique de Hegel, c om m e la manifestation de
l’âme, com m e la lumière d u dedans au-dehors : * AU in every part », disait le
Samson de Milton, tout entier lui-même, com m e l'âme, en chaque partie, en
chaque lieu, à chaque point de sa surface).
C est le m o m e n t de préciser l ’hypothèse aboculaire — ou époque de la
vue. La cécité n ’interdit pas les larmes, elle n ’en prive pas. Si l’aveugle

128
Mémoires d'aveugle

pleure en d e m a n d a n t pardon (Samson : « H is pardon I implore »), si un


dessin d ’aveugle le rappelle, on entrevoit la question : après qui le dessin
pleure-t-il ? Après quoi ? Après la vue ou après les yeux ? Et si ce n ’était
pas la même chose ? La vue ou les yeux de qui ? N ’oublions pas q u ’on peut
aussi cacher ses larmes (ce qui revient à dissimuler ce qui vient voiler la
vue : ainsi cette Vénus en pleurs de Lairesse ou la pleurante de Daniele da 71
Volterra). O n peut d ’abord pleurer sans larmes. Dans les descriptions q u ’il
donne du « Pleurer », le Traité des Passions de Le Brun m entionne à peine
les larmes. Elles n ’apparaissent pas sur ses représentations graphiques (l0l).
Est-ce parce qu'il décrit Le Pleurer de l’h o m m e ? L ’opposerait-il à une io
larme de femme ? Que faire ici de la différence sexuelle ? Et de Tirésias en

Marvell comparait Mil to n , son ami, à Tirésias : le poète de Samson


Agonistes aurait reçu l’aveuglem ent com m e une bénédiction, un prix, une
prime, une « récompense » divine, un génie de la voyance poétique et
politique, la chance de la prophétie. Rien d ’étonnant à cela : Marvell croyait
savoir q u ’en perdant la vue l ’h o m m e ne perd pas les yeux. Au contraire.
L ’homme commence alors à penser les yeux. Les siens propres et non ceux
de n'importe quel animal. E n t r e v oir et pleurer, il entrevoit la différence, il
la garde en mémoire, et c’est le voile des pleurs, jusqu a ce q u ’enfin, et des
« mêmes yeux », les larmes voient :

How wisely Nature did decree,


With the same eyes to weep and see !
That having viewed the object min,
We might be ready to complatn

(101) « Le Pleurer. Alors celuy qui pleure a le sourcil abbessé sur le milieu du frond, les yeux
presque fermés, fort m ouilliez, abbessez du costez des joües, et les narines enflees et tous les
muscles et vaine du front fort apparente, la bouche sera à dem y ouuerte, ayant les costés
abbessés, faisant des plis aux joues, la leure de dessou paroistra renuersée, et poussera celle du
dessus, tout le visage sera ridé et froncé et la couleur fort rouge principalement à l'endroit des
sourcils, les yeux, du nez et des joues ». (Traité des Passions. Discours fa it par M. Le Brun, premier
peintre de France aux Académistes en l'Accademie Royal/e à Paris, Autographe inédit du texte
publié en 1698, p. 387). On aura remarqué l'insistance sur le m ouvem ent de chute (trois fois le
mot « abbessé ») et sur le sourcil, plutôt que sur les yeux. C ’est là un axiome de Le Brun. Le
sourcil joue le rôle le plus significatif dans ce traité ou ce portrait des passions ; « Et com m e
nous auons dict que la glande qui est au m ilieu du cerueau est le lieu ou l ame reçoit les images
des passions, le sourcil est la partie de tout le visage ou les passions si font le m ieux connoistre,
quoy que plusieurs ayent pensé que ce soit dans les zieux. 11 est vrai que la prunelle par son feu
et son mouuement faict bien voir I agitation de l ame, mais elle ne faict pas connoistre de quelle
nature est cette agitation. » (p. 377).

129
Jacques D e r r i d a

u
Open then, mine eyes, your double sluice,
And pmetise so your noblest use ;
For oîhers too can sce, or sleep,
But only human eyes can weep.

(-’) , , ;rOxp|-'|^/v or‘* rw>^ r


Thus let your streams oerflow your springs,
Till eyes and tears be the sanie things :
And each the other s différence bears ;
T/iese weeping eyes, those seeing tears. ,w21
*
— Des larmes qui voient... Vous croyez ?

— Je ne sais pas, il faut croire, (...)

(102) A ndrew Marvell, Eyes and Tears (Complété Poems, Grande-Bretagne, 1972, p. 52).
« Q u elle fut sage. Nature, de destiner a in s i,/A u x pleurs cl à la vue les m êmes yeux ! / Pour
qu’ayant regardé de l’objet la vanité / Soyons prêts à nous plaindre (...) Ouvrez donc, ô mes
yeux. YGtfe écluse double / V o t r e plus noble office accomplissez a in si;/C a r mires ont
également puissance de voir et de d o rm ir/S eu ls cependant les yeux de l’hom m e ont puissance
de pleurer (...) Ën vous laissez ainsi le torrent déborder la source, / Q u ’œil et larme soient un : /
Alors chacun porte ta différence de l’autre ; / Les yeux pleurant, ces larmes voient ».
Catalogue des œuvres exposées
Etabli par Yseult Séverac

On trouvera les notices îles œuvres exposées dans l’ordre alphabétique des artistes.
Les chiffres en caractère gras renvoient aux illustrations du texte de Jacques Dcrrida.
Les dimensions des œuvres sont données en centimètres.

Louis tir B O U L L O G N E le Je u n e m o rte lle , était u n m o n s tr e te r r if ia n t ; d es L o d o v ic o C a rd i, d it C 1 G O L I


( P a r ii 1664 id. 1733) défenses p ro tég eaien t son v is a g e et d e s ( C ig o li 1559 R o m e 1613)
s e r p e n t s f o r m a i e n t sa c h e v e l u r e ; d e s o n T
52 ( n ' 2 9 de l'e x p o s itio n ) r e g a r d , e lle p é t r i f i a i t ses e n n e m i s , e t c e 31 (na22 d e l ’e x p o s i t i o n )
n ’est q u e p a r r u s e q u e P e r s é e r é u s s it à l u i
Cycbpe Narcisse
t r a n c h e r la tcte.
P ierre n o ire , r e h a u t s d e b l a n c (craie) s u r On ignore la d estin a tio n de ce d e s s i n P i n c e a u , la v is b r u n , p l u m e e t e n c r e b r u n e ,
papier bleu, H . ; 30,5 ; L. : 21,4. ( s i m p l e é t u d e o u c o p i e d ’u n e c o m p o s i t i o n r e h a u t s d e b l a n c (c ra ie ) s u r tr a i t s d e p i e r r e
V lo n o g ra m m é e n Iws à g a u c h e à la p ie r r e a c h e v é e ) , q u i , s e lo n D . d ' O r m e s s o n P e u ­ n o ire ; p a p ie r préparé v e rt. H. : 28.4 ;
noire : LU. g e o t , n ’e s t p a s c a r a c t é r i s t i q u e d e l ’a r t i s t e , L . : 39,3.
Historique b i e n q u e la c o m p o s i t i o n d u r e c to , Moïse et Historique
Louis d e B o u l l o g n e — J e a n d e B o u l l o g n e les porteurs de grappes, lu i r e v i e n n e i n d u b i ­ F . B a l d i n u c c i ; a c q u i s p a r le L o u v r e e n
— Abbé de S a i n t - N o n (?) — P ierre 1806. I n v e n t a i r e 905 (re c to ).
ta b le m e n t.
D e le r ; a c q u is e n 1846 p a r le L ouvre. Bibliographie
Musée du Louvre,
In v e n ta ire 24 953. V i a t t e , 1988, n" 149.
département des arts graphiques.
Bibliographie Exposition
G u i c h a r n a u d , 1985, p. 26 5-274. P a r i s , L o u v r e , 1981 1982, n r,23.
A n n ib al C A R R A C H E
E l u d e d e d é ta il p o u r Vénus demandant des ( B o l o g n e 1560 - R o m e 1609) A u c u n e m e n t i o n n e p e r m e t d e r a t t a c h e r ce
armes pour Enie o u le Feu, l 'u n e d e s d e s s i n d e C i g o l i . l ’u n d e s i l l u s t r a t e u r s d u
c o m p o sitio n s d o n n é e s p a r B o u llo g n e , a lo rs 49 (n“ 3 0 d e l’e x p o s i t i o n ) p re m ie r B a ro q u e flo ren tin , à u n e q u e lc o n ­
au faîte d e sa c a r r i è r e , a u g r a v e u r L o u is q u e c o m p o s i t i o n p e i n t e . L a t e c h n i q u e tr è s
D esplaces p o u r la ré a lis a tio n d ’u n e sé rie d e
Polyphème
co lo rée s u g g è re cependant une d atatio n
planches g ra v é e s s u r les Q u a t r e E l é m e n t s P i e r r e n o i r e , r e h a u t s d e b l a n c ( c r a ie ) s u r
tard iv e.
(1717). p a p i e r g r i s - b l e u , H . : 52 ; L . : 38,7. A n n o t é
e n b a s à la p l u m e e t e n c r e b r u n e : Figure
Musée du Louvre,
On peut relier é g a l e m e n t le d e s s in du
de Poltphème et de Galattée. et e n b a s à département des arts graphiques.
L o u v re au ta b le a u d e m ê m e s u |e t p e in t p a r
B ou llo g n e pour la M énag erie de V er­ d r o i t e : 27.
sailles, ta b le a u p e r d u , m a is c o n n u p a r u n Historique
Jean -S im éo n C H A R D I N
dessin c o n se rv é d a n s u n e c o lle c tio n p a r t i ­ F, A n g e i o n i P. M ig n a r d — P. C r o z a t ;
cu lière p a risie n n e . sa v e n t e , P a r is , le 10 a v r i l - 13 m a i 1741 ; P .- ( P a r i s 1699 - id. 1779)
J. M a r i e t t e ; sa v e n t e , P a r i s , le 15 n o v e m ­
Musée du Louvre,
bre 1775; acq u is à c e tte ven te par le
34 (n ” 16 d e l 'e x p o s i t i o n )
département des arts graphiques.
C a b i n e t d u ro i. I n v e n t a i r e 7 319. Autoportrait à Vabat-jour
Bibliographie
P a ste l sur p ap ier g ris-b leu . H . : 4 6 ,1 ;
M a rtin , 1965, p. 2 1 3 , n u 85, p. 2 60 , r e p r .
G ia c i n to CALANDRUCCI L . : 3 8,5 . S i g n é et d a t é e n b a s à d r o i t e s u r
fig. 197.
( P a ï e n n e 1646 id. 1707) d eu x lig n e s: Chardin/1775.
Exposition
Historique
P a r i s , L o u v r e , 1967, n “ 33 ; P a r i s , L o u v r e ,
44 (n" 32 d e l’e x p o sitio n ) V en te B ruzard, P aris, Je 24 a v r i l 1839
1988, n " 35.
(n" 58) ; a c q u i s p a r le L o u v r e à c e t t e v e n te .
Tcte de Méduse
E tu d e de d élad du cyclope P o ly p h è m e I n v e n t a i r e 25 207.
S a n g u in e . H . : 32,2 ; L . : 17 (a u verso, d a n s ta l u n e t t e r e p r é s e n t a n t Polyphème Bibliographie
p l u m e e t e n c r e b r u n e e t s a n g u i n e : Moïse amoureux de la nymphe Galatée. p e i n t e à Mon m e r , 1972, n " 43 ; R o s e n b e r g , 1983,
et les porteurs de grappes). fresque sur l ’u n des p e ti ts c ô té s de la p. 11 3-11 4, fig. 194 et p l. X L I ; F o l d s M e
Historique G a l e r i e F a r n è s e à R o m e (1 5 9 7 -1 6 0 3 ), l’u n C u l l a g h et R o s e n b e r g , 1985, p. 44. fig. 5.
A c q u is d a n s le c o m m e r c e d ’a r t p a r is ie n e n d e s c y cles m a j e u r s d e l ’a r tis te . Exposition
1972. I n v e n ta ir e R .F . 35 519 (verso). P a r i s , G r a n d P a l a i s , 1979, n 1' 136.
Musée du Louvre,
M é d u se , la seule d e s tro is G o r g o n e s à ê t r e département des arts graphiques. L'Autoportrait à l'a bat-jour f u t a v e c le

I3J
f

Catalogue- d es œ u v re s exposées

Portrait de Madame Chardin (so n p e n d a n t ) , G iu lio C L O V I O A n to in e C O Y P E L


e t u n t r o i s i è m e p a s te l d o n t l 'i d e n t i t é r e s te ( G r i ï a n c 1498 - R o m e 1578) ( P a r i s 1661 - id. 3722)
a n o n y m e , t r è s a p p l a u d i a u S a l o n d e 1775.
6 2 (n° 4 0 d e l’e x p o s i t i o n ) 1 (n° 3 d e l’e x p o s i t i o n )
Le m u sé e d e C h ic a g o possède u n e a u tre
v ersio n d e ces d e u x p o rtra its, tra ité e d e Elymas fra p p é de cécité Etude d ’aveugle
fa ç o n plus l ib r e , et de d ate u lté rie u re
Gouache r e h a u s s é e d ’o r s u r v é lin . H . : 33 ; P i e r r e n o i r e , s a n g u i n e e t c ra ie b la n c h e sur
(1776).
L . : 23,2, p a p i e r g r is , H . : 34,5 ; L . ; 25,5.
Musée du Louvre, Historique Historique
département des arts graphiques. C ard in al M ari n o G rim an i — C ard in al L e g s d e C h a r l e s - A n t o t n e C o y p e l, fils de
S ilv io V a l e n t i G o n z a g a (17 56 ) — A. de l'a r t i s t e , au C a b in et du r o i, le 14 juin
3 5 (n° 18 d e l 'e x p o s i t i o n ) R o th sch ild ; d o n au L ouvre en 1902, 1752 ; C a b i n e t d u roi. I n v e n t a i r e 25 891
d é p a r t e m e n t d e s o b j e t s d ’a r t ; t r a n s f é r é en Bibliographie
A utoportrait aux besicles 1911 a u C a b in et d e s d e s s in s . In v en taire G a r n i e r , 1989, p. 190, n " 183, fig. 23,
P astel sur p ap ier g ris-b le u . H . : 46 ; R F 3 977.
R approche par N . G a rn ie r du Christ gué
L. : 37,5, S i g n é et d a t é e n b a s i d r o i t e s u r Bibliographie
rissant les aveugla de Jéricho, ta b le a u pein t
d e u x lig n e s : Chardtn/1771. C i o m n i V i s a m , 1971, p. 130 e t 143, r r p r .
v e r s 1684 p a r C o y p e l . a lo r s t o u t fra îc h e ­
Historique Exposition
m e n t r e ç u à l ’A c a d é m i e , p o u r le c o u v e n t
V en te Jacques A u g u stin de S y lv estre, C h i c a g o , 1 9 7 9-19 80 , n 1 18.
d e s C h a r f r e u x à P a r i s , et q u i n ’est plus
P a r i s , le 28 f é v r i e r - 2 5 m a r s 1 8 1 1 ( p a r t i e d u
Le magicien Elymas f u t f r a p p é d e c é c ité c o n n u q u e p a r le d e s s in p r é p a r a t o i r e tlç
fV' 11) ; v e n t e G o u n o d , P a r i s , le 24 f é v r i e r
p o u r a v o i r v o u l u d é t o u r n e r d e la foi le D ijo n ( M .B .À .) et la g r a v u r e d 'A n to in e
1824 (p artie du n° 2) ; ven te B ruzard,
consul S e r g i u s P a u lu s, q u i a lla it se e o n v e r * T r o u v a n t (B ib l. N a t , , C a b . Est.),
P a n s , le 24 a v r i l 3839 ( p a r t i e d u ri" 57) ;
t i r ; v o y a n t ce p r o d i g e , c e lu i-c i e m b r a s s a Musée du Louvre,
a c q u i s p a r le L o u v r e à c e t t e v e n te . I n v e n ­
au ssitô t la n o u v elle religion (Actes des département des arts graphiques.
t a i r e 25 206.
Apôtres, 13, 4-12).
Bibliographie
C e t t e m i n i a t u r e , q u i s 'i n s p i r e d ’u n c a r t o n
M o n n icr, 1972, n 42 ; R o s e n b e r g , 1983, 2 (n °2 d e I cxp o sitio n )
de la te n tu re d e s Actes des Apôtres d e
p. 1 1 3 ; F o l d s M e C u l l a g h e t R o s e n b e r g ,
R a p h a ë l , a é té r é a lis é e e n t r e 1527 rt 1538 Etude d'aveugle
1985, p . 50, fig. 12.
p o u r le c a r d i n a l M a r i n o Grimani, p ro tec­ lJi e r r e n o i r e , s a n g u i n e e t r e h a u t s d e blanc
Exposition
te u r de l’a r t i s t e après îe sac d e Rom e ( c r a ie ) s u r p a p i e r g r is . H . : 3 5,8 ; L. : 20,7.
Paris, Grand Palais, 1979, n" 134.
(1527). Historique
T r è s p r o b a b l e m e n t l’u n e d e s « t r o i s tê te s Musée du Louvre, L e g s d e C h a r l e s - A n t o i n e C o y p e l . fils de
d é t u d e a u p a s te l » p r é s e n t é e s a u S a l o n d e département des arts graphiques. l'a r t i s t e , a u C a b i n e t d u ro i le 14 ju in 1752.
1771. I n v e n t a i r e 15 865.
B ib lio g r a p h ie
Musée du Louvre,
G a r n i e r , 1989, p. |8 9 , n* 178, fig. 21.
département des arts graphiques. G u stav e COURBET
(Omans 1819 - l^a T o u r d e P e i l z 1877) E t u d e d e d é t a i l p o u r le Christ guérissant les
36 (na 17 de l'exposition) aveugles de Jéricho ( v o ir n ” 1).
43 (n° 2 0 de l’exposition)
Musée du Louvre,
A u to p o rtra it a u ch eva let Autoportrait dit l'Homme blessé département des arts graphiques.
P a s te l s u r p a p i e r b l e u . H - : 4 0 ,5 ; L . : 32,5. H u i l e s u r to ile . H . : 81 ; L. : 97. S i g n é e n
Historique b a s à d r o i t e : G, Courbe/ ( a p o c r y p h e ?) 8 ( n l‘ 4 d e l ’e x p o s i t i o n )
Léon M ic h e l-L é v y (attesté en 1 8 8 5 } ; sa Historique
v e n te , P a r i s , 17-18 j u in 1925 ( n " 4 4 ) ; B a r o n C o ll. lu lie tte C ourbet ; v en te C o u rb e t, L'Erreur
H . d e R o t h s c h i l d ; B a r o n J. île R o t h s c h i l d ; P a r is , 1881 ( n ° 6 ) ; a c h e t é à c e tt e v e n t e p a r P i e r r e n o i r e , s a n g u i n e , c r a ie b la n c h e sur
sa v e n te . P ans, lc r d é c e m b re 1966 M . H e c h t q u i fait l ’a v a n c e d e s f o n d s n é c e s p a p i e r b l e u . H . : 20,6 ; L . : 21,3. M is au
(n* 113) ; a c q u i s à c e tt e v e n t e p a r le L o u sa ir e s p o u r l ’E t a t ; t r a n s p o r t é a u m u s é e d u carreau.
v re . I n v e n t a i r e R F 31 748. L o u v r e le 10 d é c e m b r e 1881 ; a c q u i s p a r H is to n q u e
Bibliographie : l ’E t a t e n 1882. R F 338. L e g s d e C h a r l e s - A n t o i n e C o y p e l , fils de
M o n n ier, 1972, n ° 4 3 ; R osenberg, 1983, Bibliographie l ’a r t i s t e , au C ab in et du roi, le 14 ju in
p. 1 1 3 - 1 1 4 ; F o l d s M e C u l l a g h e t R osen­ F o r g e s , 1972, p. 4 5 6 ; F o r g e s , 1973, n" 4. 1752 ; C a b i n e t d u ro i. I n v e n t a i r e 25 799.
b e r g , 1985, p. 55, fig. 18. Exposition Bibliographie
Exposition P a r i s , G r a n d P a l a is , 197 7-1978, n u 35. G a r n i e r , 1989, p. 20 4, n° 300, fig. 183.
P a r i s , G r a n d P a l a is , 1979, n* 139.
C o u rb et, qui m u l t i p l i a les a u t o p o r t r a i t s , E t u d e p o u r la f i g u r e h o m o n y m e d a n s le
A u to p o rtrait de la p ério d e ta rd iv e de r e p r i t v e r s 1854 u n e c o m p o s i t i o n d e p lu s Temps découvrant la Vérité, ta b l e a u a llé g o ­
l 'a r t i s t e q u i , s e n s i b l e a u x é m a n a t i o n s d e s d e d i x a n s a n t é r i e u r e i n t i t u l é e La Sieste riq u e pein t vers 1702 pour la salle de
p ig m en ts, rép u d ie la jiein tu re à l 'h u i l e champêtre, r e p r é s e n t a n t l’a r t i s t e e t l 'u n e d e s é a n c e d e l ’A c a d é m i e d e s I n s c r ip tio n s et
p o u r le p a s te l, d e t e c h n i q u e m o i n s d a n g e ­ ses com pagnes, que l ’o n cro it p o u v o ir B e l l e s - L e t t r e s ( L o u v r e ) , d o n t l'a r tis te était
reuse : C h a r d in exposa des pastels au id en tifie r à V irg in ie B in e t, d o n t il s u p ­ le d e s s i n a t e u r a t t i t r é .
S a l o n d e 1771 à 1779. p r i m a a l o r s la f i g u r e , s a n s d o u t e p a r d é p i t U ne g rav u re de L o u is D e s p la c e s (Bibl.
L'autoportrait ciu chevalet est, sans nul a m o u r e u x . L é p é e e t la t a c h e d e s a n g q u i N a t . , C a b . E s t.) c o n s e r v e le s o u v e n ir du
d o u t e , l 'u n e d e s d e u x têtes d é v i e illa r d l u r e n t a j o u t é e s à ce m o m e n t - l à p a r a c h è ­ t a b l e a u , q u i l u t d é t r u i t d a n s l ’in c e n d ie du
e x p o s é e s a u S a l o n d e 1779. v e n t la t r a n s f o r m a t i o n d e l’œ u v r e , q u i fu t c h â t e a u d e S a i n t - C l o u d e n 1870.
Musée du Louvre, a lo r s a p p e l é e l ’Homme blessé. Musée du Louvre,
département des arts graphiques. Musée d'Orsay, département des arts graphiques

132
C a ta lo g u e des œ u v re s exposées

|a « |o c s - Louis D A V I D H enri F A N T IN LATOUR 2 5 ( n “ 13 d e l 'e x p o s i t i o n )


(Tans 1748 - B rux elles 1825) ( G r e n o b l e 1836 P a r i s 1904)
Autoportrait
10 (n" 5 de l'ex positio n) F u s a in , e sto m p e , re p ris au p in ccau . H . :
2 4 (n° 10 d e l'e x p o s i t i o n )
1 4 , 2 ; L. : 0,12.
/ lomère chantant ses poèmes
Autoportrait Historique
Mine île p lo m b , r e p rise à [a s a n g u i n e er à P ro v ien t de l’a l b u m du p e in tre C u isin ,
la p lu m e , e n c re n o ir e , lavis g r is , H . : 27,2 ; F u sa in , e sto m p e. H .: 1 8 ,1 ; L. : 14,4.
vendu au L ouvre en 1900. In v e n ta ire
L : 54,5. A n n o t é à la m i n e d e p l o m b s u r le m o n ­
R F 15 651.
Historique t a g e : h. Fantm ! 18 octobre 1860.
Bibliographie
L i p ro v e n a n c e a n c i e n n e est rna! c o n n u e : Historique
F a n t i n - L a t o u r , 1911, n " 163.
collection C hénard (1801) ?, a t e l i e r de D o n de M a d a m e F an tin L a to u r au m usée
l’artiste P, o u une au trr o r i g i n e ? (v o ir du L ux em b o u rg ; reversé a u m usée du D e s s i n e x é c u t é e n 1860. V o i r le n ” 24.
Sérullaz in cat. e x p., P a r is , L o u v r e , 1989 L o u v r e e n 1929. I n v e n t a i r e R F 12 754.
Musée du Louvre,
1990, n “ 139), — H i s d e L a S a l ir ; d o n a u Bibliographie
département des arts graphiques.
m usée du L ouvre en 1878. In v e n ta ire F a n t i n - L a t o u r , 1911, n ‘ 158.
Fonds du Musée d'Orsay.
R F 789. Exposition
Bibliographie P a r i s , L o u v r e , 1986, n" 50.
Scrullaz, n paraître, n" 200. 2 6 in " 14 d e l e x p d s i t i o n )
D e s s in e x é c u t é e n 1860, é p o q u e o ù le j e u n e
Exposition
Paris, L o u v re , 1989-1990, n" 139.
F a n t i n - L a t o u r , j u s q u ’a l o r s c o n f i n é d a n s la Autoportrait
c o p ie d ' a p r è s les m a î t r e s , e n t r e p r e n d t o u t e
P l u m e et e n c r e n o i r e g r a s s e , lavis n o i r , H . :
Fan par D a v id , d 'a p r è s la t r a d i t i o n , à u n e sé r ie d e p o r t r a i t s d e so n e n t o u r a g e e t
23,2 ; L. ; 23,2. M a r q u e ( L u g t 9 1 9c) e n ba s
l'a u to m n e 1794, d a n s sa p r is o n d u L u x e m ­ o ù , s 'i n t é r e s s a n t à sa p r o p r e p h y s i o n o m i e ,
à g a u c h e : Fantm.
bo urg , o ù I artiste, in c a r c é ré a p r è s la r é a c ­ il e n m u l t i p l i e les é t u d e s d e s s in é e s q u 'i l
Historique
tion t h e r m i d o r i e n n e , p r o je t a un tab leau d ate très scru p u le u se m e n t. C elte abon­
Don de l’a r t i s t e à F é lix R racqucm ond ;
d éd ié à H o m è r e , q u 'i l n e réalisa j a m a is . d a n t e p r o d u c t i o n cesse a p r è s 1872.
d o n a u m u sé e d u L u x e m b o u r g ; reversé au
Musée du Louvre, Musée du Louvre, m usée du L ouvre en 1929. In v e n ta ire
département des arts graphiques. département des arts graphiques. R F 12 814.
Fonds du musée d'Orsay. Bibliographie
F a n t i n - L a t o u r . 1911, n “ 153 ?
I COLE A LLEM A N D E Exposition :
21 ( n “ 11 d e l 'e x p o s i t i o n )
(vers 1540) P a r i s , G r a n d P a l a i s , 19 82 -8 3, n u 9.
Autoportrait
41 (n0 26 de l'e x p o sitio n ) D e s s in e x é c u t é v e r s 1860. V o i r le n° 24
F u s a i n . H . : 19,3 ; L . r 11,7. A n n o t é en
Musée du Louvre,
Portrait de Margarete Prellwitz bas : 19 ja n vier 1871. S i g n é en bas à
département des arts graphiques.
Pierre noire ; lavis b r u n , s a n g u i n e , r e h a u t s g a u c h e : Fantin.
Fonds du Musée d ‘Orsay.
de b la n c (c ra ie ). H . : 2 8 ,8 ; L. : 22,3. Historique
A n n o té à la p l u m e et e n c r e brune au V o i r le n û 2 4 . I n v e n t a i r e R F 12 827.

verso : H A N S SCHENICZ M VOTTER e t Bibliographie 27 ( n 1' 15 d e l’e x p o s i t i o n )


Margreii Brelwirzm AETATIS SUAE (la F a n t i n - L a t o u r , 1911, n u 572.
suite est c a chée p a r le m o n t a g e ; H c h lin g Exposition Autoportrait
voit le n o m b r e 71). G r e n o b l e , 1936, n* 252. P l u m e , p i n c e a u et e n c r e n o i r e a c c e n t u é e
Historique par de la gom m e a ra b iq u e ; g rattag e.
V o i r le n u 24.
Saisie d e s E m ig r e s . I n v e n t a i r e 18 936. R e p r i s e d u v is a g e à la m i n e d e p l o m b . H . :
Bibliographie Musée du Louvre, 2 1,5 ; L . : 21. M a r q u e Fantm ( L u g t 9] 9c)
R uhm er. 1970, p. 98-99, pl. 4 9 ; F i c k c r , département des arts graphiques. en bas à d ro ite.
1971, p. 1 8 1 - 1 8 7 ; ü a u m g a r t , 1974, Fonds du Musée d'Orsay, Historique
na X X X I e t pi. V o i r le n" 24. I n v e n t a i r e R F 12 755.
Exposition 2 2 (n 4, 12 d e l 'e x p o s i t i o n ) Exposition
Paris, L o u v r e , 1968, n" 20. P a r i s , G r a n d P a l a is , 1982 -1983, n" 8.
Autoportrait
Ce p o r tr a it m o rtu aire s e ra it, sc io n les V o i r le n" 2 4 .
F u sain . H . : 1 9 ,3 ; L . : 11,7. A n n o t é e n
a n n o ta ti o n s p o r té e s au v e rso , c elu i de Musée du Louvre,
b a s : 20 janvier 1871. S i g n é e n bas à
M a rg a re te P r e l l w i t z , m è r e d u secrétaire
gauche : Fantin. déparlement des arts graphiques.
d u C a r d i n a l A lb e r t d e B r a n d e b o u r g , é l e c ­
Historique Fonds du Musée d ’Orsay.
te u r d e M a y e n c e , le c h a n c e l i e r H a n s Schci-
V o i r le n r,24. I n v e n t a i r e R F 12 828.
nitz. L a n c ie n n e a t t r i b u t i o n à G r ü n e w a l d ,
Bibliographie
qui reposait e n p artie sur l 'a m i t i é qui
Fantin-Latour, 1911, n° 572.
u n issa it le p e i n t r e a u n o t a b l e a u g s b o u r
Exposition
geois, ne p a r a it pas fondée, p u i s q u ’a u
G r e n o b l e , 1936, n " 252.
m o m e n t d u d é c ès d e M a r g a r e t e P r e l l w i t z
en I5 Î9 , ['artiste éta it d é j à m o r t d e p u i s
V o i r le n u 24.
plus de d ix ans.
Musée du Louvre.
Musée du Louvre, département des arts graphiques.
département des arts graphiques. Fonds du Musée d'Orsay.

133
C a ta lo g u e des œ u v re s exposées

(can -M aric F A V E R J O N sur la p e in tu re et la scu lp tu re paru à L aurent de L A H Y R E


( S a i n t - E t i e n n e 1828 - id. 1873) A m s t e r d a m e n 1728. ( P a r i s 1606 - id. 1656)
Musée du Louvre,
5 3 ( n u 35 d e P e x p o s i t i o n )
département des arts graphiques.
67 ( n ° 4 l d e l’e x p o s i t i o n )

Autoportrait en trompe l'œil La conversion de saint Paul


P a s t e l. H . ; 56,5 ; L , : 46,5. S u lp ice C h e v a llie r, d it G A V A R N I
P ie rre n o ire et la v i s gris. H , : 36,9;
Historique ( P a r i s 1804 id, 1866) L . : 40,7. M is a u c a r r e a u .
A cq u is en 1980 s u r le m a r c h é d e l 'a r t
33 ( n u 23 d e l’e x p o s i t i o n )
Historique
p a r i s i e n . I n v e n t a i r e R F 38 615, T r é s o r d e l’é g lis e S a i n t - E t i c n n e - d u - M o n t
Bibliographie Deux pierrots regardant dans une ( a tte s t é v e r s 1690) ; S a isie r é v o lu tio n n a ire
M o n n i e r , 1985, n ,J 117. loge (1793). I n v e n t a i r e 27 512.
Exposition Bibliographie
A q u arelle sur p a p ier brun. H. : 3 3,6 ;
P a r i s , M u s é e d ’O r s a y , 1 9 8 6 -1 9 8 7 , n 1’ 68. R o s e n b e r g - T h u i l l i c r , 1985, n M 2 , fig. 42,
L . : 24,7. A n n o t é e t s i g n é e n b a s à d r o i t e a u
Exposition
E l è v e d e F l a n d n n à l 'E c o l e d e s B e a u x - p i n c e a u : Hommage respectueux à Madame
G r e n o b l e , 1989-1991), n u 224, re p r.
A r t s , J e a n - M a r i e F a v e r j o n d o n t l 'œ u v r e , Leroy. Gavarni.
m a l c o n n u e , a b o r d e t o u s les g e n r e s , f u t Historique S a ü l ( P a u l ) fu t t e r r a s s é s u r le c h e m in de
a u s s i u n m a î t r e d u p a s t e l d o n t il n c x p o s e D o n d e l ’a r t i s t e à M m e L e r o y ; le g s a u D am as par une l u m i è r e et u n e voix sc
a u S a l o n les p r e m i e r s e x e m p l e s q u ' à p a r t i r L o u v r e e n 1907. I n v e n t a i r e R F 3 506. m an ifesta à lu i. ( A c te s , 9, 1-9)
de 1866. L ' œ u v r e a p p a rtien t donc à la Exposition La conversion de saint Paul est l 'u n des dix-
p é r i o d e f in a le d e l'a r tis te . P a r is , B i b l i o t h è q u e n a t i o n a l e , 1954, n" 1 6 9 . . s e p t d e s s i n s r e m i s v e r s 1646 p a r L a H y re ,

Musée d'Orsay„ q u i s ’a f f i r m e a l o r s c o m m e l 'u n des tout


D e s s i n d ’i l l u s t r a t i o n d u p r o l i x e G a v a r n i ,
p rem iers pein tres du m ilieu parisien , à
dont le p in ceau , so u v en t a c id e , croque
l 'é g lis e S a i n t E t i e n n c - d u - M o n t p o u r servir
i n l a s s a b l e m e n t l 'u n i v e r s d e s l o r e t t e s e t les
d e m o d è l e s à u n e t e n t u r e s u r la vie d e saint
f i g u r e s d e c a r n a v a l , c o n s t i t u a n t a in s i d e s
E t i e n n e , d o n t S a ü l a v a i t a p p r o u v é la la p i­
s é rie s p o u r les r e v u e s p a r i s i e n n e s , c o m m e
d a t i o n . L e s ta p is s e r i e s , q u i n e f u r e n t peut
E co le d u G U E R C H I N L'école des Pierrots, s u ite r é u n i e v e r s 1852
c i r e p a s t o u t e s tissé es e n r a is o n tics tro u
( C e n t o 1591 - B o l o g n e 1660) p o u r le j o u r n a l Paris, q u i r e la te les fa c é tie s
b lé s d e la F r o n d e , o n t d i s p a r u p e n d a n t la
d e j e u n e s c o m é d i e n s , tel le r e g a r d i n d i s c r e t
17 ( n 119 d e l 'e x p o s i t i o n ) R évo lu tio n .
d e Deux Pierrots regardant dans une loge.
Musée du Louvre,
“Délia scolptura si, Musée du Louvre,
département des arts graphiques.
délia pittura no” département des arts graphiques.

P lu m e et en cre bru n e, la v is hrun.


H . : 2 6 ,6 ; L . : 22,3. A n n o té en haut à C h arles L E B R U N
G é r a r d H O E T ( a t t r i b u é à)
g a u c h e , à la p l u m e e t e n c r e b r u n e s u r d e u x
( P a r i s 1619 - id. 1690)
lig n e s : DELLA SCOLPTURA SI/DELLA ( Z a l t b o m m e l 1648 - L a H a y e 1733)
PITTURA NO.
6 3 (n<’ 3 9 d e l’e x p o s i t i o n )
70 ( n “ 43 d e l 'e x p o s i t i o n )
Historique
A n c i e n f o n d s d u L o u v r e . I n v e n t a i r e 6 952. Les Philistins crevant les yeux de Le pleurer
L e d e s s i n , a t t r i b u é à l 'a t e l i e r d u G u c r c h i n ,
Samson P l u m e e t e n c r e b r u n e s u r e sq u is s e à la
p ie rre n o ire. H.
19,5 ; L. : 25,9. A n n o té
:
i l l u s t r e le t h è m e d u paragone o u c o m p a r a i P l u m e e t e n c r e n o i r e , la v is g r is . H . : 3 2 ,4 ;
e n h a u t à g a u c h e : T e t e n b a s a u m ilieu
s o n e n t r e la p e i n t u r e e t la s c u l p t u r e p u u r L . ; 21,8. n,J 32. E n b a s à g a u c h e , p a r a p h e de
s a v o i r a u q u e l d e c e s d e u x a r t s r e v i e n t la Historique J. P r i o u l t (c o m m issa ire -e x am in a te u r au
p rim au té. V e n t e P o m p e V a n M e c r d c r v o o r t e t |. V a n
C h âtelet, chargé de v érifier les dessins
C e d é b a t , la n c é e n 1546 p a r I é r u d i t f l o r e n ­ H u y s u m , A m s t e r d a m , le 15 o c t o b r e 1 74 9 -
e n t r é s s o u s L o u i s X I V d a n s le C a b i n e t d u
tin B c n e d e t t o V a r c h i , i n t é r e s s a les a r t i s t e s G o u v e r n e t ? ; sa v e n t e , P a r i s le 6 n o v e m ­
R o y ). A n n o t é a u v e r s o e n h a u t à gauche :
ita lie n s d e la s e c o n d e m o i t i é d u X V I r s iècle bre 1775 ? — S a i n t - M o r y s ; S a is ie des
10 454 e t e n h a u t a u m i l i e u : T et Le
c o m m e le s c u l p t e u r T r i b o l o , q u i i n v o q u a E m i g r é s . I n v e n t a i r e 23 467,
pleurer. F a i t p a r t i e d ' u n a l b u m factice.
en 1546 l ’a r b i t r a g e d ’u n a v eu g le pour Bibliographie Htstorique
d é m o n t r e r la s u p é r i o r i t é d e s o n a r t , d ’es A r q u i é - B r u l e y , L a b b é e t B i c a r t- S é e , 1987,
A t e l i e r d e l 'a r t i s t e ; e n t r é d a n s le C a b in e t
s c n c e ta c tile . R é f u t a n t e n 1564 les c o n c l u ­ n , p . 470.
d u R o i e n 1690. I n v e n t a i r e 28 309.
sions de T rib o lo , V in c e n z io B o rg h in i,
D e ssin pour l'il l u s t r a t i o n de la Bible Bibliographie
professeur à l'A c a d é m ie de F lo ren ce,
Monumentale d e F r a n c i s H a l m a ( A i n s t c r B e a u v a i s (à p a r a î t r e ) ; G u i f f r e y e t M arcel,
m o n t r a q u e la v u e n ’é t a i t p a s i n f é r i e u r e a u
1913, n u 6 4 8 5 .
t a c t ; la p r e u v e e n é t a i t d o n n é e p a r les d a m , 1706) e t r e p r i s d a n s c e lle d e s Discours

r e g r e t s d e l ’a v e u g l e , a p p e l é c o m m e a r b i t r e ,
historiques, critiqu es, théologiques, et
L e d essin est une illu stratio n d 'u n des
d e ne p o u v o ir a d m ire r u n tab leau re p ré ­
moraux, sur les événements les plus mémora d iffé re n ts é ta ts de l ’â m e d écrits par
s e n t a n t les e x p l o i t s d ’A l e x a n d r e le G r a n d
blés du vieux et du nouveau Testaments d e
Le B run tla n s sa c é lè b r e c o n f é r e n c e s u r
S aurm (L a H a y e et A n v e rs , 172 6-1 73 6),
d o n t il v e n a i t d e t o u c h e r la s ta t u e . l’Expression des Passions p r o n o n c é e à l 'A c a ­
r e l a t a n t l’h i s t o i r e d e S a m s o n q u i , l iv r é a u x
P lu s f id è le , s e m b l e - t - i l , à la m o rale d e d é m i e e n 1668, c o n f é r e n c e q u i allait fixer
T r i b o l o » le d e s s i n d u L o u v r e m o n t r e q u e P h i l i s t i n s p a r la t r a î t r i s e d e D a l i l a . se l a i t
les r è g le s de la re p ré se n ta tio n pour la
a v eu g ler.
le s u j e t s u s c ita it e n c o r e u n v i f i n t é r ê t a u p e i n t u r e d ’h i s t o i r e . L a c o n f é r e n c e , p u b lié e
X V II* siècle. L 'h is to ir e est ég a le m e n t Musée du Louvre, p o u r la p r e m i è r e lo is e n 1698, fut p lu sie u rs
r a c o n t é e p a r R i c h a r d s o n d a n s so n Traité département des arts graphiques. fois r é é d i t é e au cours du X V I I I e siècle.

134
C a ta lo g u e des œ u v re s exposées

I. édition la plus c o n n u e et p o u r l a q u e l l e l’a m o u r d ’A n d r o m è d e , q u ’il a v a i t d é l i v r é e E t u d e p o u r la d é c o r a t i o n d e la c h e m i n é e


sembler av o ir é té constitué l’a l b u m du d u m o n s t r e m a r i n , o b t e n a n t a in s i sa m a i n du C a b in e t du Roi à F o n ta in e b le a u
L ouv re est celle d e Jean A u d r a n (Expres­ d u roi C e p b é e . ( d é t r u i t e e n 1713), ré a lis é e v e r s 1541 1545
sion des Passions de l'âme représentées en L e d e s s in , t e n u a u t r e f o i s p o u r u n e c o p ie p a r P r i m a i ice, s u c c e s s e u r d e R o s s o à la
plusieurs testes gravées d'après les dessins de d ’a p r è s S o l i m è n e , a p p a r t i n t sa n s d o u t e à la d ire c tio n des ch an tiers royaux (après
feu Monsieur Le Brun, P a n s , 1727). collection d e N a to ire , q u i fut en partie 1540), s u t le t h è m e d e V u l c a i n , d i e u d e la
a c q u i s e a p r è s le d é c è s d e l’a r t i s t e (377 7) p a r m étallu rg ie, que l'o n v o it forger, avcc
Musée du Louvre,
le c o m t e d ’O r s a y ( J .- F . M é j a n è s m c a t. c x p . l ’a i d e d e s c y c lo p e s , ses o u v r i e r s , d e s a r m e s
département des arts graphiques.
L o u v r e . 1983, n" I 12). O n sait q u e N a t o i r e p o u r le s d i e u x .
a v a i t p o u r c o u t u m e d e r e t o u c h e r les d e s ­ Musée du Louvre,
s in s d e sa c o lle c tio n . Il n est p a s e x c l u q u ’il département des arts graphiques.
Ucopo L t G O Z Z I a i t ici r e p r i s le d e s s i n n a p o l i t a i n .
(Vérone 1547 F lo r e n c e 1626} Musée du Louvre,
département des arts graphiques.
1 2 ln " 7 de l’exposition) Isaac bénissant Jacob
Tobit et l’ange 11 et 6 7 p o u r le d é t a i l (n" 38 d e l ’e x p o s i ­
Lelio ORSI tio n )
Plum e et en cre b r u n e , lavis b r u n , r e h a u t s
il or. H . : 3 0 , 7 ; L. : 23. M is a u carreau. ( N o v e l l a r a 1511 id. 1587)
S an g u in e, re h a u ts de b lan c. H . : 2 5,9 ;
M o n o g r a m m é e n bas à g a u c h e ce d a t é : L. : 31. A n n o t é e n h a u t â g a u c h c à l’e n c r e
6 6 (n" 42 d e l’e x p o s i t i o n )
/605, A n n o té a u v e rso d u m o n t a g e à la brune : Bologne e t e n b a s â d r o i t e : 91.
plum e et e n c re b r u n e : facopo Ligozzi La conversion de saint Paul Historique :
Veronese. P. C r o z a t ; v en te N o u rri, le 24 f é v r i e r -
P l u m e e t e n c r e b r u n e , la v is b r u n , r e h a u t s
Historique. 14 m a r s 1785 (n" 460) ; S a i n t - M o r y s ; S a is ie
de b la n c (aq u arelle). H. : 4 2 ,6 ; L. : 30,5.
Acquis p a r le L o u v r e e n 1922. I n v e n t a i r e d e s E m i g r é s (1793). I n v e n t a i r e 85 12 .
A n n o t é e n b a s à g a u c h e , à la p l u m e e t
R F 5345. Bibliographie :
e n c r e b r u n e : Salviati(î) et à la p l u m e e t
Bibliographie : A d h é m a r , 1954. p. 128.
e n c r e n o i r e le n u m é r o ; 90.
Viatte, 1988, n “ 249. Exposition :
H isto riq u e
P a r is , G r a n d P a la is . 1 98 3-84 , n " 2 l 2 .
T o b ic (Tobias), s u r le c o nscil d e l 'a n g e C o llectio n d e s d u c s d e M o d è n e . E n tr é au

Raphaël, recueille d u fiel d e p o is s o n g r â c e L o u v r e e n 1796. I n v e n t a i r e 1 646.


U n d e s r a r e s d e s s i n s d e P r i m a t i c e illu s
auquel il exo rcisera sa f e m m e A s m o d é e et Bibliographie tra m un th è m e relig ieu x cl qui ne se
guérira son p ère T o b i c (T o b it) . Bcan, 1968, p. 5 2 0 et Fig. 4 1 ; R o m an i,
ra ita c h e à a u c u n e d é c o ra tio n c o n n u e , m ais
Rien ne p e r m e t d e r a t t a c h e r ce d e s s in d e 1984, p . 70-71 et fig, 52.
q u i v a d e p a i r a v c c le d e s s i n d e m ê m e
Ligozzi, p e in tr e q u i m i t scs t a le n ts m u l t i ­ Exposition te c h n iq u e re p résen tan t Eliezer et Rébecca
ples a u service d u g r a n d - d u c d e T o s c a n e , à C h i c a g o , 1979 1980, n " 3 5 .
(in v. 8511).
une c o m p o sitio n p e in te . L e n a t u r a l i s m e d u
D e s s i n d e d e s t i n a t i o n i n c o n n u e , q u e l’o n Musée du Louvre,
poisson ra p p e lle les d é b u t s de l 'a r t is te
p c u l r a p p r o c h e r d e la d a t e d e 1559, a n n é e département des arts graphiques.
c o m m e p e in tre d e p la n te s et d ’a n i m a u x .
o ù O r s i , d é c o r a t e u r i n l a s s a b le d e s é g lis e s
Musée du Louvre, d ’E m i l i e , se fil e n v o y e r la c o p ie d e la
département des arts graphiques, c o m p o sitio n d e M ich el-A n g e au V atican
Ja n P R O V O S T
( c h a p e l l e P a o l i n a ) s u r le m ê m e s u j e t . U n e
( M o n s v e r s 1470 - B r u g e s 1529)
c o n v e r s i o n d e s a in t P a u l p a r O r s i est citéc
d a n s les c o lle c t io n s C o c c a p a m et C a m p o r i
ECOLE N A P O L IT A IN E . 69 ( n u 3 6 d e l ’e x p o s i t i o n )
fin d u X V I I f siècle Musée du Louvre,
département des arts graphiques. Allégorie sacrée
repris p a r C h a r l e s N A T O I R E
H u i l e s u r b o is. H . : 50,5 ; L . : 40.
(N îm es 1700 G a s t e l - G a n d o l f o 1777)
Historique
4 5 ( n " 33 d e l’e x p o s itio n ) F ran ccsco P rim aliccio , E v ê c h é d e N î m e s ; C . A u l a n i e r ; legs a u
d it P R T M A T IC E L o u v r e e n 1973. I n v e n t a i r e R F 1973 44
Persée changeant Phinée en pierre ( B o l o g n e 1504 - P a r i s 1570) Bibliographie
Pointe d e m é ta l, p ie r r e n o i r e , la v is b r u n cl R c y n a u d , 1975, p. 7 -1 6 , r e p r .
5 0 (n" 31 d e l ’e x p o s i t i o n )
gris, p lu m e et e n c r e h r u n e a v c c r e h a u t s d e
On ig n o re le co m m an d itaire de c ette
g o uach e b lan c h e . FI. : 31,9 ; L . : 47*5. M is La Forge de Vulcain c o m p o sitio n u n iq u e en son genre dans
au c a r r e a u à la s a n g u i n e e t li g n e s de
S a n g u i n e e t lavis d e s a n g u i n e ; c o n t o u r s à l 'œ u v r e d e P r o v o s t et q u i se r a t t a c h e p a r
c o n stru c tio n a la s a n g u i n e et à la p i e r r e
noire.
la p lu m e et encre n o ire. H. : 3 1 ,3 ; s o n sty le a u x a n n é e s 1 51 0-1 5 2 0 .
L . : 41,8. Au verso, paraphes Jabach et L ’i c o n o g r a p h i e , r i c h e e n s y m b o l e s , p a r f o i s
Historique
P rio u lt (c o m m issa ire e x a m in a te u r au ob scu rs, fait sans oui d o u te référence à
N a to ire ? ; c o m te d ’O r s a y ( m a r q u e e n b as
à g a u c h e ) ; Saisie r é v o l u t i o n n a i r e . I n v e n ­
C hâtelet, chargé de vérifier les d e s s in s YApocalypse, s a n s e n i l l u s t r e r t o u te f o is u n
e n t r é s s o u s L o u i s X I V d a n s le C a b i n e t d u p a s s a g e p r é c is . L e C h r i s t a r m é d u g l a iv e
taire 9 SOI.
Roi). e st u n e a l l u s i o n p r o b a b l e a u J u g e m e n t , et
Exposition
Parts, L o u v r e , 1983, n° 1 12.
Historique la f i g u r e f é m i n i n e r e p r é s e n t e p e u t - ê t r e la
F.. ) a b a c h ; a c q u i s à sa v e n t e p a r le C a b i n e t n o u v elle Jé ru sa le m . L a p résence des yeux
Le dessin m o n t r e P e rs é e b r a n d i s s a n t la d u R o i, P a r i s (1671). I n v e n t a i r e 8 533. e s t p lu s d i f f i c i l e m e n t e x p l i c a b l e : u il d e la
tête d e M é d u s e d o n t le r e g a r d p é tr if ie (au Exposition S a g e sse p o u r le m o t i f d u h a u t , s y m b o l e d e
sen s litté ra l) P h in é e , son riv al dans P a r i s , G r a n d P a la is , 1 9 7 2 -1 9 7 3 . n" 150. l 'â m e h u m a i n e t o u r n é e v e r s s o n c r é a t e u r ,

135
C a ta lo g u e des œ u v re s exposées

p o u r l'œ il m i-clo s d 'o ù s ’é c h a p p e n t d e s REMBRANDT d a t e à l a q u e l l e le liv r e v é té ro te sta m en taire ,


m a in s. ( L c y d e 1606 - A m s t e r d a m 1669) j u s q u ’a l o r s a p o c r y p h e , f u t a jo u te à la Bible
C e tab leau , d e c o n te n u th é o lo g iq u e e n co re lu th érien n e.
m y s t é r i e u x , a p u fa ir e p a r t i e d ' u n e C h a m ­ 5 9 ( n ' 37 d e I e x p o s i t i o n )
Musée du Louvre,
bre de R h é to riq u e dont l’u s a g e était
r é p a n d u e n F l a n d r e a u X V I e siècle.
Le songe de Jacob département des arts graphiques.

P lu m e et encre brune, c o rrectio n s en


Musée du Louvre,
b la n c . H . : 2 4 ,9 ; L. : 20,8. A n n o té à la
département des peintures. B ernaert de R IJC K E R E
p i e r r e n o i r e e n b a s à d r o i t e : R 13 (?).
Historique ( A n v e r s v e r s 1533 - A n v e r s 1590)
P .-J . M a r i e t t e ( m a r q u e L. 1852 et m o n t a g e
avcc c a rto u c h e ) ; sa v en te, P aris, le 40 ( ii u 2 5 d e l ’e x p o s i t i o n )

15 n o v e m b r e 1775 (p ro b a b le m e n t p a rtie
O d ilo n R E D O N Tête d'agonisant
d u n" 9 7 9 ) ; a c q u i s p o u r le C a b i n e t d u roi.
( B o r d e a u x 1840 - P a r i s 1916) P i e r r e n o i r e , s a n g u i n e , r e h a u ts de blanc.
I n v e n t a i r e 22 881.
Bibliographie H . : 2 9,7 ; L . : 21,2. M o n o g r a m m é c l daté
3 9 ( n " 2 8 d e l 'e x p o s i t i o n )
e n h a u t à d r o i t e à la p ie r r e n o ire : I563/B.
B e n e s c h . 1955, t. I I I , n" 5 57 , fig. 68 6 ; G i l -
Les yeux clos t a ij, 1988, p. 2 6 4 , n° 138. Historique
Exposition A m a t e u r »A — S a i n t M o r y s ; Saisie des
S a n g u i n e s u r c a r t o n b e i g e p e i n t e n g r is .
P a r i s , L o u v r e , 1988 1989, n° 30. E m i g r é s (1 793). I n v e n t a i r e 19 300.
H . : 4 9 ,5 ; L. : 37. S i g n é r n b a s à d r o i t e a u
Bibliographie
c r a y o n n o i r : O D IL O N REDON.
Jacob, qui s ’é t a i t endorm i co n tre une, B o o n , 1977, p. 110, fig. 15.
Historique
p i e r r e , e u t u n s o n g e ; il v it u n e é c h e l l e q u i Exposition
A rï et S u z a n n e R ed o n ; d o n a tio n au L o u ­
m o n t a i t j u s q u ' a u ciel a v e c d e s a n g e s et P a r i s , L o u v r e , 1986, ^ 9 3 .
v r e e n 1982. I n v e n t a i r e R F 40 619.
D i e u lu i a n n o n ç a la f o r t u n e d e sa d e s c e n ­
Bibliographie E t u d e d e t ê te , d o n t le m o d è le n ’est pas
d a n c e (Ancien Testament, Genèse, 28, 10-
B a c o u , 1956, t. I l, p. 4 9 , n u 44. c o n n u , d o n n é e e n r a is o n d u m o n o g r a m m e
22). D essin que sa q u a lité au to rise à
Exposition à u n Maître B, q u e les t r a v a u x récents de
m ain ten ir dans l ’œ u v r e de R e m b ra n d t,
P a r is , P a la i s d e T o k y o , 1984, n u 454. K..-J. B o o n o n t p e r m i s d 'i d e n t i f i e r au pein­
b i e n q u e le t h è m e d u s o n g e d e J a c o b a it été
s o u v e n t c o p ié p a r s o n é c o l e (F.. S t a r c k y in t r e a n v e r s o i s B e r n a e r t d e R ijc k e re , ém ule
Les yeux clos (18 90 ) e s t l ’u n d e s p r e m i e r s
c a t. e x p . L ouvre, 1 9 8 8 -1 9 8 9 , n" 30). Les d e F r a n s F l o r i s , q u i s e m b le a v o ir connu
dessin s q u e R edon, ad ep te ju sq u e-là d u
d a t a t i o n s r e t e n u e s p a r la c r i t i q u e s ’é c h e ­ u n e c a r r i è r e d e p o r t r a i t i s t e e t d e peintre
f u s a i n , a it t r a n s p o s é e n p ein tu re (m usée
l o n n e n t e n t r e 1635 e t 1655. r e l i g i e u x t r è s h o n o r a b l e a u p r è s des n o ta­
d 'O r s a y } . L e s u c cè s d e la to ile f u t p é r e n ­
bles d ’A n v e r s .
n isé p a r u n e l i t h o g r a p h i e e x p o s é e e n 1894 Musée du Louvre,
chez D u ran d -R u el et par un p astel département des arts graphiques. Musée du Louvre,
conservé à E p in al (m u sée d é p a rte m e n ta l département des arts graphiques.
d e s V o sg e s ).

Musée du Lttuvre, R E M B R A N D T ( a t t r i b u é à)
département des arts graphiques. F élicien R O P S
Fonds du Musée d ’Orsay. 15 (n" 8 d e l ’e x p o s i t i o n ) ( N a m u r 1833 - E s s o n c s 1898)

4 8 ( n " 3 4 d e l'e x p o s i t i o n ) Tobie rendant la vue à son père 3 7 ( n u 24 d e l'e x p o s itio n }

P l u m e et e n c r e b r u n e , la v is b r u n e t g r is .
L ’œ il au p avot La femme au lorgnon
H . : 18,7 ; L . : 25,5. A n n o t é p l u m e e t e n c r e
Fusam sur p ap ier ch am o is, H . : 4 8 ,5 ; F u s a i n . H . : 58 ; L . : 41. A n n o té , signé et
n o i r e , e n b a s à d r o i t e : Rimbren, e t s u r le
L. : 33. S i g n é e n b a s à d r o i t e : O DILO N m o n o g r a m m é e n h a u t à g a u c h e : à mon
m o n ta g e , en bas à g a u c h e : Rimbrani.
REDON. Historique am i Ernest Scanm/Félicien Rops/FR.
Historique Historique
M a r q u i s d e C a l v i è r e ; sa v e n t e , P a r i s , le
A . V ollard — C la u d e R o g e r-M a rx ; d o n a ­ Don de M m e D etn o ld er-R o p s, fille de
5 m ai I7 7 9 ( p a r t i e d u n ° 3 l 4 ) ; a c q u is à
tio n au L ouvre en 1974. In v e n ta ire l'a r t i s t e , a u L o u v re en 1921. In v e n ta ire
c e tte v en te par le c o m t e d ’O r s a y (s a n s
R F . 35 821. R F 5 264.
m a r q u e ) ; S a is ie rév o lu tio n n aire, Inven
Bibliographie ta i r e 22 951.
Exposition
B a c o u , 1974, p. 3 10, h g . 17. P aris, M usée des arts d é c o r a tif s , 1985,
Bibliographie
Exposition n° 76.
B enesch, 1955, III, n ,J 545 ; S u m o w sk i,
P a r i s , L o u v r e , 1 9 8 0 -1 9 8 1 , n " 4 3 .
1961, p. I I ; S u m o w sk i, t. V I , 1982,
P a r a n g o n d e s f e m m e s d e p e tite v e r tu q u e
n* 1522a.
F u s a i n e x é c u t é e n 1892. L e m o t i f d e f œ i l , le c r a y o n f é r o c e e t p r o v o c a t e u r d e Félicien
q u i s e m b l e a v o i r fa s c in é R e d o n p e n d a n t la
Exposition
R ops, illu stra te u r bru x ello is d é s o r m a is
P a r i s . Iwouvre, 1983, n u 142.
p é rio d e des “ N o irs” (1870-1890), où c é lè b r e , s ’i n g é n i e à c o p ie r , La femme au
l 'a r tis t e p r i v i l é g i e la t e c h n i q u e d u f u s a i n , a
T o b i e ( T o b i a s ) a u r a i t r e n d u la v u e à s o n
lorgnon, d o n t la f i g u r e é m a c i é e et g a n g r e ­
s u s c ite la g lo s e d e ses c o n t e m p o r a i n s , q u i née fait écho aux créatio n s b a u d c la i-
p è r e , e n lu i a p p l i q u a n t s u r les y e u x , s u r les
o n t p r o p o s e d ’y v o i r l'œ il d e l 'i n c e r t i t u d e , r i e n n e s , e s t u n e œ u v r e d e je u n e sse (vers
c o n s e ils de l ’a n g e R ap h aël, du Bel de
l 'œ il de la co n scien ce ou F œ il de la 1860), l a r g e m e n t d i f f u s é e p a r la g r a v u re
p o i s s o n (Ancien Testament, Tobie, I I , 11
d o u leu r. q u ' e n ti r a B e r t r a n d e n 1896.
15). L a c r i t i q u e r é c e n t e t e n d à r e t r a n c h e r
Musée du Louvre, c ette fe u ille d u corpus a u th e n tiq u e des Musée du Louvre,
département des arts graphiques. n o m b r e u x d e s s in s d e R em b ran d t consa­ département des arts graphiques.
Fonds du Musée d'Orsay. c r é s â l’h i s t o i r e d e T o b i c à p a r t i r d e 1637, Fondf du Musée d'Orsay.

136
C a ta lo g u e des œ u v re s exposées

François STELLA Théo V A N RY SSELBERG H E D a n i c l c R ic c ia r e lli,


d it D an iele d a V O L T E R R A
(Malin» P 1563 - L y o n 1605) ( G a n d 1862 - S a i n t - C l a i r 1926)
( V o l t e r r a 1509 R o m e 1566)
30 (n"21 de l'e xp ositio n) 28 (n u 19 d e l’e x p u s i t i o n )
71 ( n u 44 d e l’e x p o s i t i o n )
Ruines du Cotisée à Rome Le sculpteur Charpentier
P lu m e cl encre h rune, lav is b ru n . devant son chevalet Femme au pied de la croix
H . : 2 8 ,2 ; L. : 42,9. A n n o te en bas à P i e r r e b r u n e s u r p a p i e r b l a n c c o llé s u r S a n g u i n e . I L : 36,2 ; L. : 3.3,5.
gauche à la p l u m e et e n c r e b r u n e s u r d e u x c a r t o n . H . : 94 ; L . : 70. M o n o g r a m m é e n Historique
lignes : Una délit grote/del coliseo di drentro h a u t à d ro ite . A n n o té a u c ra y o n blan c en D u t d e T a l l a r d ; sa v e n t e , P a r i s , le 22 m a r s
a Roma 1587. h a u t à d r o i t e : â mon camarade Alex.Char- I7 5 6 ( p a r t i e d u n u 472). I n v e n t a i r e l 506.
Historique pentier e t d a t é d e p a r t e l d ' a u t r e du Bibliographie
Duc de C h a u ln e s ? ; S a i n t - M o r y s ; S a isie m o n o g r a m m e 19 01. H i r s t , 1967, p. 5 0 5 - 5 0 6 , fig. I l ; B a r o l s k y ,
des E m igrés (1793). I n v e n t a i r e 32 872. Historique I9 7 9 , p . 57.
Bibliographie V e n t e P a r i s , 18 m a r s 1981 (n° 149) ; a c q u i s Exposition
Valléry-Radot, 1962, p. 20*5-21<S ; A l q u i e à cette v en te pour le m usée d ’O r s a y . C h i c a g o , 19 7 9 -1 9 8 0 , n ° 19.
Bruley, L a b b é et B ic a r t- S é e , 1987, II, I n v e n t a i r e R F 38 810.
E t u d e d e d é t a i l p o u r la Descente de croix,
p. 539.
T r è s lié à l ' a v a n l - g a r d c p a r i s i e n n e d e la s e u le f r e s q u e su b sistait du décor de Ea
Nous conserv on s ici l 'a t t r i b u t i o n t r a d i t i o n ­ d e r n i è r e d é c e n n i e d u X I X e siècle, l 'a r t i s t e c h a p e l l e O r s i n i à l ’é g lis e d e la T r i n i t c - d c s -
nelle à Fran ço is Stella, b ie n q u e l'o n p u is s e b e lg e T h é o V a n R y s s e l b e r g h e c o n n u t p r o ­ M o n t s à R o m e ( v e r s 1545), e t q u i v a l u t à
voir d a n s ce dessin l 'œ u v r e d e so n c o m p a ­ b a b le m e n t A le x a n d r e C h a r p e n t i e r (1856- so n a u t e u r d ’ê t r e c o n s i d é r é c o m m e l ’u n
gnon de voyage à R o m e , l 'a r c h i t e c t e et 1909) p a r l 'i n t e r m é d i a i r e d e s o n a m i , le des p e in tre s les p l u s p ro m etteu rs de sa
dessinateur E tien n e M artellan g e (1569- sc u lp te u r b e lg e C o n sta n tin M eu n ier. g é n ératio n .
I64t), qui, d e v e n u r c h g i c u x , p a r t i c i p a à C h a r p e n t i e r fit u n p o r t r a i t e n m é d a i l l o n Musée du Louvre,
l’intense activité é d il ita ir e d e s jé s u ite s e u d e V a n R y s s e l b e r g h e e n 1894. département des arts graphiques.
France au d é b u t d u X V I I e siècle.
Musée du Louvre,
Musée du Louvre, département des arts graphiques.
département des arts graphiques. Fonds du Musée d'Orsay. Federico ZUCCARO
(S a n i A n g e l o in V a d o 1540/1541 A ncône
1609)

F rancesco V A N N I 6 ( n ,J 6 d e l’e x p o s i t i o n )
loseph-Bcnoît S U V É E ( S i e n n e 1563 - td. 1610) Le Christ guérissant un aveugle
(Bruges 1743 - R o m e 1807)
42 <n" 27 d e l’e x p o s i t i o n ) P lu m e et encre brune, lavis brun avcc
19 (n“ 1 d e l'ex p o sitio n ) re h a u ts de b lan c sur p a p ie r b e ig e .
La bienheureuse Pasitea Crogi H . : 4 1,5 ; L . : 28,2. A n n o t é à la p l u m e et
Dibutade ou l'Invention du Dessin F u s a i n , s a n g u i n e , r e h a u t s d e p a s te l b la n c e n c r e b r u n e e n b a s à d r o i t e : 12.
Huile sur toile. H . : 267 ; L . : 132. e t j a u n e s u r p a p i e r g r is . I L : 19 ; L . : 14,7. Historique
Historique Historique S a is ie d e s E m i g r é s . I n v e n t a i r e 4 417.
l>on d e l'artiste à l 'A c a d é m i e d e B r u g e s e n M a r q u i s d e C a l v i è r e , sa v e n te , le 5 -2 0 m a i Exposition
1799. In v e n ta ire 0.132.1. 1779 ( n “ 2 2 4 - 1 4 ? ) ; S a i n t - M o r y s . S a isie d e s P a r is , L o u v r e , 1969, n" 66.
Bibliographie E m i g r é s (1793). I n v e n t a i r e 2 026.
F .tu d e p o u r le t a b l e a u d ’a u t e l d ’u n e c h a ­
R o s c n b lu m , 1957, p. 2 7 9 - 2 9 0 ; M ich cl, bibliographie
p e lle d e la c a t h é d r a l e d ' O r v i e t o ( a u j o u r ­
1988, p. 36, fig. 29. V i a t t e , 1988, n» 524.
d 'h u i au m usée de la c a t h é d r a l e ) c o m ­
Exposition Exposition
m an d é en 1568 à l 'a r i i s i e , q u i t r a v a i l l a i t
Ixelles, 1985-1986, n » 6 3 . P a r is , L o u v r e , 1973, n° 33.
a l o r s a u c ô té d e s o n f r è r e T a d d e o , a v a n t
Illustration d u t h è m e a lo r s e n v o g u e d e P o r t r a i t d e la r e l i g i e u s e s i e n n o i s e P a s i t e a d ’e n t r e p r e n d r e u n e carriè re b rillan te au
D ib u ta d e , e m p r u n t é à P lin e , q u i m o n t r e la C r o g i ( f l 6 1 5 ) , c é l è b r e à F l o r e n c e p a r so n s e r v ic e d e s c o u r s a n g l a i s e et e s p a g n o l e .
jeune C o r i n t h i e n n e r e t r a ç a n t s u r u n m u r m ysticism e e t ses p o u v o irs d e th a u m a ­ Musée du Louvre,
les traits de son a m a n t q u i d o it la q u i t t e r . turge, dans l'a ttitu d e de la p rière. Le département des arts graphiques.
Le tableau p e in t p a r S u v é e , riv al h o n n i d e d essin est u n é ch o d u re n o u v e a u sp iritu el
D avid a u G r a n d P r i x d e 1771, f u t p r é s e n t é d e la C o n t r e - R é f o r m e , d o n t V a n n i , q u i
non sans c ritiq u e s a u S a lo n d e 1791, a v a n t m u ltip lie le s im ag es é d ifia n te s à la
d 'ê tre offert â l 'A c a d é m i e d e B r u g e s . U n e dem ande du clerg é s ie n n o is , se fait le
seconde v e rsion, d e d i m e n s i o n s i n f é r i e u r e s zélateu r.
(108 s u r 76 c m ) , e x p o s é e a u x S a l o n s d e Musée du Louvre,
1791 et 1793, p o u r r a i t ê t r e c e lle q u i f u t département des arts graphiques.
c o m m a n d é e p a r la S o c ié té d e s A m i s d e s
Arts e t d o n t n o u s a v o n s p e r d u la tra c e .
L ’in v e n ta ire d e s b ie n s saisis c h e z S i m o n - L 'a u t e u r tie n t â r e m e r c ie r to u s c e u x q u i l'ont a id é lors d e la p r é p a r a tio n d e ce c a ta lo g u e des
Charles B o u tin , T r é s o r i e r d e la M a r i n e œ u v re s . Q u 'i l lui soit p e r m is e n to u t p r e m i e r lieu d 'a d r e s s e r sa p r o f o n d e g r a t i t u d e à
guillotiné en 1793, a t te s te l’e x is te n c e d ' u n e M. Régis M ichcl q u i I lii a p r o d ig u é d e p r é c ie u x conseils, Sa r e c o n n a is sa n c e va é g a le m e n t à
troisième v ersio n q u i n 'a p a s é t é loca lisé e . ce u x q u i ont. o r ie n té ses r e c h e rc h e s : L. B oub li, D . C o r d e l h e r , A . Le P r a t , |. F . M é ia n è s ,
Bruges, Groeningemuseum. D . d ’O r m e s s o n - P e u g e o t , E. P o m m i e r , E . S ta r c k y , J. Z w i n g e n b e r g c r .

137
Index général des artistes cités
L’index renvoie le visiteur de l’exposition au texte afférent de Jacques Derrida.
L’ordre alphabétique du catalogue des ceuvres exposées (p. 129)
permettra de trouver les précisions historiques complémentaires.

Artaud» A m o n i n : p. 51. E c o le h o l l a n d a i s e , , f i n d u X V I I ' : v o i r H o e t P r i m a t i c e : fig. 11 e t 5 7 ; fig. 5 0 .


( a t t r i b u é à).
B a u d e la ir e , C h a rle s: p. 4 7 ; p, 5 0 - 5 1 , P r o v o s t , Jan : p. 119, fig. 6 9 .
fig. 18 ; p. 69. E co le n a p o lita in e , fin du X V IF , d e s s in
R a p h a ë l : p . 51.
r e p r i s p a r N a t o i r e : v o ir N a t o i r e .
Bianchi, P ie tr o : p. 33, fig. 13.
R e d o n , O d i l o n : fig, 3 9 ; p. 88, fig. 48.
Boullogne, L o u is d e : fig . 52. F a n t i n - L a t o u r , H e n r i : p. 6 1 ; p p . 64-65 ;
R e g n a u l t , J e a n - B a p t i s t e : p . 54, fig. 20.
p. 69, fig . 21 à 27.
liramer, L é o n a r d : p. 97, fig. 57.
F a v e r j o n , J e a n - M a r i e : p, 94, fig, 53. R e m b r a n d t : p . 103, fig . 59.
tîrucgcl, P ie r r e (m an ière d e ) : p . 64 ei
R e m b ra n d t: (attrib u e à): p. 3 3 e t p. 3 6 ,
F r a g o n a r d , J e a n - H o n o r é : p. 97, fig. 5 5 e t
p. 66, fig. 29
fig . 15.
56
( alandrucci, G i a c i n t o ; fig. 4 4 -
G a v a r n i : fig. 3 3 . R ib o t, T h é o d u l e : p. 16, f i g - 5.
Carrache, A n n ib a l : fig. 49.
G i o r d a n o , L u c a : fig. 4 7 . R i c h a r d s o n , J o n a t h a n , le P è r e : p. 47.
Caravage : p. 115, f i g 68. R i j c k e r e , B e r n a e r t d e : fig. 40.
G r e u z c , J e a n - B a p u s t e : p. 97, fig. 54.
C h ard in . Je a n -S im é o n : p. 12 ; p . 75 ;
R o m a n o , G i u l i o ( d ’a p r è s ) : fig. 51.
fig. 34 à 3 6 ; p. 97.
G u e r c h i n ( é c o le d u ) : p . 47, fig . 17.

H o c t , G é r a r d ( a t t r i b u é à) : p . 1 10, fig. 6 3 . R ubens, P ie rre -P a u l ( d ’a p r è s ) : p. 3 3 ,


C h arpentier, A l e x a n d r e : p. 64 et p. 66, f ig . 14.
fig. 28. I s a b e v , J e a n B a p t i s t e : p. 1 13, fig. 65.
S te lla , F r a n ç o i s : fig . 3 0 .
Chevalier, H i p p o l y t e : v o i r G a v a r n i . L a F a g c , R a y m o n d : p. 16, fig. 4.
S u v é e , J o s e p h - B e n o î t : p . 54, fig . 19.
Cigoli : fig. 31 el 32. L a H y r e , L a u r e n t d e : fig. 6 7 .
T r o u v a i n , A n t o i n e : fig , 3.
Clovio, G i u l i o ; p. 106, fig. 62. L airesse, G é r a r d d e : p. 127.
V a n G o g h , V i n c e n t : p. 50.
Cochin, C h a r l e s - N ic o la s , d i t le F i l s : p. 54. L e B r u n , C h a r l e s : p. 54 ; p. 127, fig. 70.
V a n M a n d e r , K a r e l : fig. 46.
C ourbet, G u s t a v e : p. 75, fig. 43 . L e y d e , L u c a s d e ( d 'a p r è s ) : p. 16, fig . 7.
V a n R y s s e l b e r g h e , T h é o : p. 64 e t p. 6 6 ,
C o yp el, A n to in e : p . 12, f ig . 1 ; p. 15, L i g o z z i , J a c o p o : f ig . 12.
fig. 2 8
fig. 2 ; p. 18, fig. 8 ; p. 2 1-2 2 ; p. 96. M o n e t , C l a u d e : p. 49.
V a n n i , F r a n c c s c o : fig. 4 2 .
D a u m ie r , H o n o r é : p. 51. N a t o i r e , C h a r l e s : fig. 45.
V ie n , Jean M a rie : p. 75.
David, J a c q u e s -L o u is : fig. 1 0 ; p. 113. ü r s i , L e l i o : fig, 66.
V o lte rra , D a n ie le d a : p. 127, f ig . 71,
Desplaees, L o uis : p. 20, fig. 9 . P a s s a r o t l i , B a r t o l o m e o : fig. 16.
W a tte a u , A n to in e : p. 51.
P c y r o n , P i e r r e : p. 113, fig. 64.
Ecole a lle m a n d e , v e rs 1540 : fig. 4 1 .

Ecole d e F o n t a i n e b l e a u : fig. 6 0 et 61. P i s a n c l l û : fig. 38.


Z u c c a r o , F e d e r i c o ; p. 16, fig. 6 .
Ecole d u G u e r c h i n : v o ir G u e r c h i n P ic a s s o , P a b l o : p . 69.

(école du). P i g a l l e , Jean* B a p t i s t e : p, 75.

139
Ouvrages cités en abrégé

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A r q u i c - B r u l e y . F . , L a b b c , J., B ic a r t- S é e , L.
La collection Saint-Morys au Cabinet des F o rg es, M .-T . de
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C ré d its p h o to g ra p h iq u e s :
R é u n io n d es m u sées n atio n a u x

C o n c e p tio n g r a p h i q u e : J e a n -P ie rre R o sier

P h o to c o m p o sitio n et p h o to g ra v u re : Im p rim e rie Jacques L o n d o n

A c h e v é d ' i m p r i m e r le 6 m a i 1 9 9 |
s u r les p r e s s e s d e l ’I m p r i m e r i e J a c q u e s L o n d o n

D é p ô t l é g a l : m a i 1991

I.S .B .N . : 2 -7 1 1 8 -2 3 7 7 -6
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