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POLITIQUE

Publié le 31/05/2007 Le Point

INTERVIEW DE BORIS CYRULNIK*


« Le traître, le vrai, est celui qui vous
séduit pour profiter de votre force. »
Par Propos recueillis par Sophie Coignard

Le Point : Qu'est-ce qu'un traître pour le psychiatre que vous êtes ?


Boris Cyrulnik : La psychosociologie nous apprend que la trahison découle du
sentiment d'appartenance. L'enfant se développe dans son milieu, dans sa culture
grâce à une géographie des croyances. Partager une croyance dans une tradition,
une culture, représente une adhésion et revient à faire une déclaration d'amour.
Cette appartenance donne un sentiment délicieux de familiarité. Or la familiarité est
un tranquillisant naturel très efficace qui contribuera à donner à l'adolescent la force
d'explorer.

Mais l'adolescent, lui, s'affranchit de ce sentiment d'appartenance. Est-ce


qu'il trahit pour autant ses parents ?
Bien sûr que non. Grandir, c'est prendre conscience qu'il est nécessaire de relativiser
ce sentiment d'appartenance. La moitié des individus environ y parviennent
tranquillement, tombent amoureux et découvrent un autre lien, une autre
appartenance. Il ne s'agit pas de trahison, mais d'évolution : on n'aime pas sa
femme comme on aime sa mère.

Et l'autre moitié ?
Pour apprendre à aimer autrement, ils sont obligés de « passer à l'ennemi », de
renier les croyances religieuses et politiques de leurs parents. C'est ainsi que des
hommes élevés chez les bons pères refusent de mettre les pieds dans une église.
Pour autant, ils disent continuer de respecter les valeurs de leurs parents. Mais
cesser de partager une croyance forte revient à créer une rupture. J'ai eu l'occasion
de m'en rendre compte lorsque j'étais adolescent.

Que s'est-il passé ?


A 16 ans, alors que je militais depuis deux ans aux Jeunesses communistes, je pars
faire un voyage en Roumanie. J'en reviens troublé et je pose des questions à mes
mentors, des intellectuels communistes, professeurs de philosophie gentils, sincères,
qui nous invitaient chez eux et se montraient très chaleureux. Je leur ai raconté
comment là-bas, en classe, les enseignants devaient faire étudier « Poil de carotte »
avec la consigne suivante donnée aux élèves : « Expliquez pourquoi une telle
maltraitance n'est possible que dans un système capitaliste. »Mon étonnement, de
même que mes questions sur la disparition de résistants juifs étaient pour mes
maîtres une trahison. Je me souviens encore de la phrase qu'ils ont prononcée
comme une sentence à mon encontre : « Si tu crois des choses pareilles, tu n'as pas
ta place ici... »
Vous voulez dire que la trahison est liée à un système totalitaire...
Tous les fondamentalismes, qu'ils soient religieux, politiques, scientifiques,
fonctionnent de cette façon. Le panurgisme procure un confort affectif et social qui
se paie par une totale soumission. Y déroger, même de manière infime, est considéré
comme une trahison.

Mais beaucoup de personnes se sentent trahies dans leur vie privée, ce qui
n'a apparemment aucun rapport avec le fondamentalisme...
Pourtant, le mécanisme est identique. J'ai eu parmi mes patientes une jeune femme
qui ne supportait pas que son mari se passionnât pour le pilotage d'avions. Elle se
sentait trahie. Une autre souffrait que son conjoint pût lire un livre qu'elle n'aimait
pas et elle pouvait aller jusqu'à détruire le livre. Une autre encore demandait à son
compagnon de détourner les yeux, dans la rue, quand ils passaient devant une
publicité pour des sous-vêtements. C'est une forme d'affectivité totalitaire.

Existe-t-il un rapport entre le sentiment de trahison et celui d'abandon, que


l'on retrouve souvent en psychanalyse ?
Le sentiment que l'on a été trahi est une preuve de vulnérabilité. Ceux qui ont un
moi assez fort ne ressentent pas le besoin de mettre les autres dans une sorte de
prison affective. Mais cela ne se décrète pas. J'ai rencontré au Mémorial de la Shoah
des personnes qui en voulaient à leurs parents d'être morts et de les avoir «
abandonnées ». Un vieux monsieur auquel j'objectais que ses parents aussi auraient
préféré rester en vie m'a répondu : « Je sais, ce n'est pas logique, c'est
psychologique. »

Mais il existe tout de même des trahisons objectives.


Il me semble que le traître, le vrai, est celui qui fait semblant de vous aimer pour
vous voler quelque chose, qui vous séduit pour profiter de votre force, par exemple,
puis qui s'en va et qui vous nuit. Selon moi, il faut une intention, une préméditation
pour qu'il y ait véritablement trahison.

Que ressent alors le traître ? De la culpabilité, de la jouissance ?


Sûrement pas de la culpabilité, sinon on n'oserait pas blesser à ce point. Le vrai
traître, qui agit avec intention, éprouverait plutôt de la jouissance.

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