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Le graffiti n’est pas seulement un art visible dans la rue : les traces qu’il génère sont
également photographiques. Les graffeurs, en archivant leurs productions éphémères,
développent des pratiques photographiques nouvelles que Bernard Fontaine
tente de définir à travers une analyse artistique et sociologique.
En explorant le graffiti par le biais de ses photographies, cet essai montre comment
une culture underground invente ses propres images, à l’ombre de la culture officielle.
Pour la première fois, la photographie du graffiti est mise en lumière grâce à une
réflexion méthodique et référencée, qui laisse la parole à différents acteurs aux
démarches singulières.
Chaque graffeur recourt à la photographie pour recenser ses productions. Ce constat a été le point
de départ de cet essai, qui s’intéresse aux pratiques de la photographie liées au graffiti. Jusqu’à présent,
la photographie des graffitis par leurs auteurs a été un sujet peu traité, malgré un vaste corpus d’images
qui ne cesse d’augmenter à mesure que les graffitis apparaissent puis s’effacent sur les murs du monde
entier. Car c’est d’abord le caractère éphémère des œuvres qui rend le graffiti indissociable de la
photographie. Le photographe Brassaï, premier à s’être véritablement intéressé aux graffitis, l’avait déjà
souligné à son époque. Depuis, les tags et les graffs ont engendré des « peintres-photographes » qui
donnent une valeur quasi magique à leurs photographies, qu’ils considèrent comme des traces palliant la
disparition de leurs peintures. En cela, leurs images renvoient à l’ antique, ce moulage en cire qui
conserve l’empreinte du visage des morts. Dans ce livre, la conservation durable des graffitis par l’image
est traduite par le concept de « survivance photographique ».
La survivance photographique génère des images variables, selon le projet photographique des graffeurs.
Pour rendre compte de la diversité et de la complexité de leurs démarches, ce livre donne la parole à
plusieurs graffeurs de motivations et d’âges différents. Gues explique par exemple comment il s’est
détaché de l’archivage – fonction première de la photographie chez les graffeurs – en élargissant
progressivement son champ au contexte (géographique et humain) dans lequel il peint. Son expérience
illustre, plus généralement, de quelle manière la photographie devient un outil d’exploration urbaine
pour les graffeurs, qui portent un regard singulier sur l’espace où ils interviennent.
Les paroles des graffeurs rapportées dans le texte ancrent le lecteur dans la réalité méconnue de leur
pratique photographique, clandestine la plupart du temps. Comme les graffitis, ses photographies
sont prohibées : du point de vue judiciaire, elles attestent d’un délit, d’où la nécessité pour leurs auteurs
de les cacher. La photo ne serait alors plus qu’une preuve, ce qui interroge évidemment sur les liens que
la photographie entretient avec le réel, question fréquemment discutée et qui trouve ici d’autres
résurgences. En plaçant le graffiti et ses images dans une réflexion esthétique plus large, ce livre veut
rendre compte de l’engagement profond des graffeurs. Trop souvent, l’illégalité de leur travail en éclipse
l’analyse, alors même qu’ils inventent une nouvelle expression à la fois picturale et photographique.
Mais les graffitis n’intéressant pas seulement les graffeurs, ce livre étudie également le point de vue de
certains photographes qui ont choisi le graffiti comme sujet, sans pour autant le pratiquer eux-mêmes.
Les relations qu’ils entretiennent avec les graffeurs sont parfois complexes, chacun veillant à ce que son
travail ne soit pas récupéré par l’autre. Certains graffeurs, de leur côté, ont peu à peu troqué la bombe
contre l’appareil : c’est le cas d’Alex Fakso ou Ruediger Glatz qui plongent le spectateur au cœur de
l’action, en photographiant les graffeurs à l’œuvre dans la nuit. Tous ces photographes, fascinés par
le processus plutôt que par le résultat, saisissent le « temps caché » : le terme désigne l’ensemble du travail
des graffeurs, invisible pour le public de la rue. Il recouvre le temps de réalisation d’un graff, l’élaboration
de son projet en dessin, le repérage d’un lieu d’exécution ainsi que la prise de vue finale.
Dans des conditions de prise de vue souvent contraignantes (obscurité, rapidité, manque de recul…), les
photographes du temps caché laissent une grande place à l’expérimentation. Mais même dans une veine
plus documentaire, des photographes comme Jon Naar, décrivant le mode de vie des graffeurs dans le
New-York des années 1970, révèlent certains aspects du temps caché : ils montrent les graffeurs organisés
en une société régie par un temps social particulier. En décalage avec les normes établies, ils travaillent
leurs signatures dans les stations de métro, loin des bancs de l’école, consacrent leur temps à une passion
qui ne rapporte pas d’argent, passent outre les lois dictées par le principe de propriété.
Photographes contributeurs
Ruediger Glatz, Taprik, Jack Stewart (Regina Stewart), Gues, Edition Patrick Frey, Zedz, Norman Behrendt,
Marco la photo, Robert Kaltenhäuser, JC Earl, Alex Fakso, Clement Criseo, Guillaume R., Apôtre,
Jean-Baptiste Barra, T.
L’auteur
© Gues
© Alex Fakso