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Abstract
Image and Time : Arrested Time.
To think an image as the reflection of a fixed point in time is to forget the process-a passage of time-leading to it. To explore this
paradox in different texts is to analyse the relationship between the presence of the image and modes of perception of the past.
Ropars-Wuilleumier Marie-Claire. Image et temps, ou le temps de l'arrêt. In: Littérature, n°115, 1999. Henri Michaux. pp. 94-
103;
doi : 10.3406/litt.1999.1640
http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1999_num_115_3_1640
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LITTÉRATURE
3 Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance, Gallimard, «L'imaginaire», 1975, p. 13. n° 1 15 - sept. 99
RÉFLEXION CRITIQUE
proche dont aucune image récente ne saurait pourtant attester (4). Pour
Perec, privé de cette expérience personnelle, l'affleurement des
souvenirs tiendra à la mise en jeu d'une forme strictement narrative, seule
capable de fabriquer une histoire là où l'image ne donne que le retrait
de cette histoire : dans la série autobiographique de W, un récit est
progressivement construit, qui rende l'enfance appropriable, mais en
projetant la visualisation sur l'imagination de l'autre série, celle de l'île
concentrationnaire, dont l'horreur ne se raconte jamais et simplement se
décrit au présent.
Deux temps hétérogènes coexistent ainsi dans l'image : celui de
l'objet et celui du regard, chacun coupé de l'autre; la médiation de l'un
à l'autre — la transformation de la vue présente en souvenir mémorable
— suppose l'intervention d'un sujet narrateur, qui substitue à la
reproduction inappropriable le récit qu'elle requiert pour être assimilée : une
représentation du passé, organisée, orientée, temporalisée, mais dont
l'efficacité vient du rejet qu'elle fait de la vue. En témoigne, dans le
champ théorique, l'histoire du vautour que Freud reconstitue chez le
Vinci, en démontant la reconstitution que celui-ci en avait faite : récit
venant par deux fois après coup, double «roman» léonardien, celui que
fit le peintre et que refait aujourd'hui l'analyste (5), il s'agit bien d'un
pur fantasme dont la figuration visuelle importe moins que
l'interprétation psychanalytique. Aussi Freud rejette-t-il en note la découverte de
Pfister — l'esquisse d'un vautour dans la robe de sainte Anne — pour ne
retenir du rapace que sa porté scénarique, son rôle dans la généalogie du
sujet, la restitution qu'il autorise d'un passé révolu — à l'exclusion de
sa valeur d'image dont la présence se dissimule dans les plis d'une robe.
4 Roland Barthes, La Chambre claire, Gallimard, Seuil, «Cahiers du cinéma», 1980, p. 106-110 pour
%le passage commenté ici.
5 Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, trad. Marie Bonaparte, Gallimard, «Idées»,
p. 49-53. Voir également les pages 60, 146 et 1 14.
LITTÉRATURE ® Siegfried Kracauer, «La photographie», dans Le Voyage et la danse (textes réunis par Philippe
n° 1 15 - sept. 99 Despoix et traduits par Sabine Cornille), PUV, Saint-Denis, 1996, p. 42-57.
IMAGE ET TEMPS, OU LE TEMPS DE L'ARRÊT
LITTÉRATURE
n° 1 15 - sept. 99 8 W ou le souvenir d'enfance, op. cit., p. 213.
IMAGE ET TEMPS, OU LE TEMPS DE L'ARRÊT
LITTÉRATURE
n° 1 15 - sept. 99 17 Gilles Deleuze, L'image-mouvement et L'image-temps, Minuit, 1983 et 1985.
IMAGE ET TEMPS, OU LE TEMPS DE L'ARRÊT
instant — n'est jamais que l'envers duplice d'une durée sans cesse
rompue, vouée au recommencement et au recouvrement. Comme le souligne
Derrida en commentant la Note sur le Bloc-notes magique, « le perçu ne
se lit jamais qu'au passé». L'après-coup perceptif tient à la discontinuité
du temps qui spécifie aussi bien l'apparaître du présent chez Husserl
que le rapport intermittent de la trace mnésique à la perception chez
Freud. Ainsi, chez Perec, le trou de mémoire s'allie au trop présent de
la vue. Et ce dessaisissement temporel, ce temps toujours retrouvé
comme perdu, se réfléchit dans l'élaboration esthétique de l'image
proustienne, lorsque le narrateur soumet la vision à une réécriture
constituant la saisie même du visuel.
De ce paradoxe du temps, que l'image à la fois démasque et
recouvre, je n'ai proposé qu'une configuration, dont les exemples sont
empruntés à des textes et ne laissent venir aucune trace visible.
L'omission était délibérée, et sans doute imposée par le propos qui était
le mien : montrer la solidarité qui s'établit entre la défaillance
intrinsèque à l'image et le défaut du temps qu'elle désigne. C'est ce retrait
originaire qu'il s'agissait d'éclairer, en ne retenant de l'image que sa
force imageante, donc en écartant les figures qu'elle double et les
affects qui la recouvrent : intensités et vibrations, affleurements ou
chutes, échos et débordements, par où le sujet se projette en prolongeant
le monde sur les marges de son regard. Refusant ce jeu de cache — que
Barthes appelle aussi le champ aveugle de l'image — j'ai voulu mettre
à nu le seul procès du visuel tel qu'il se trame dans ses épreuves écrites.
Le risque, paradoxalement, est d'avoir donné encore trop d'épaisseur à
l'image, dont la profondeur ne se déploie jamais qu'en surface. Le gain
serait de rappeler que la vue ne se figure qu'à s'énoncer. À ce titre, le
détour du texte manifeste au mieux la manière dont l'image, loin
d'échapper au temps, pourrait en figurer l'échappement : en d'autres
termes, agissant entre présent et passé, creusant à la fois l'intervalle et
l'attrait de l'un en l'autre, dans le reflet comme dans le regard, l'écart
que Blanchot nomme «entre-temps (i8)».
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