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d'histoire
Winckelmann et le Baroque
A. Nivelle
Nivelle A. Winckelmann et le Baroque. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 36, fasc. 3, 1958. Langues et
littératures modernes — Moderne talen en letterkunden. pp. 854-860;
doi : https://doi.org/10.3406/rbph.1958.2231
https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1958_num_36_3_2231
catif ; elle s'inscrit strictement dans l'ordre objectif, loin des préférences
et des susceptibilités personnelles. Il est prudent et salutaire d'y
revenir dès que se pose le problème du baroque.
M. Werner Kohlschmidt s'est très sagement conformé à la
définition de Wölfflin dans une excellente étude intitulée « Winckelmann
et le baroque» parue dans son récent ouvrage Form und Innerlichkeit (*>.
Comme les travaux antérieurs de M. Kohlschmidt, cette étude contient
le résultat clairement formulé de recherches consciencieuses et d'un
examen minutieux.
L'auteur conçoit le baroque comme « l'art du pathétique caractérisé
et des attitudes mouvementées, un art marqué par la décentralisation
dans l'organisation de l'espace et dans la composition, par des contrastes
violents entre la lumière et l'ombre, mais aussi un art où le linéaire
est dissous, où les limites spatiales s'effacent dans l'infini et où, par
ailleurs, domine une technique naturaliste inconnue jusqu'alors » (p. 12).
On retrouve dans cette définition les caractères que Wölfflin
reconnaissait au baroque : l'abandon du dessin linéraire, caractéristique de la
Renaissance, au profit du pictural ; de la forme fermée au profit de la
forme ouverte et de la décentralisation ; de la clarté au profit de
l'obscurité et du flou ; de la surface au profit de la profondeur et des
contrastes qu'elle permet.
Les critiques que Winckelmann adresse à l'art baroque se ramènent,
selon M. Kohlschmidt, à trois positions essentielles : le naturalisme,
le maniérisme, l'idéalisme. Au Bernin et aux Hollandais, Winckelmann
reproche l'imitation trop fidèle de la nature « commune », non stylisée,
non sélectionnée selon des critères de beauté. A Michel-Ange et à son
école, il fait grief d'un maniérisme qui le heurte dans les attitudes,
les expressions, les mouvements, les draperies. Il réprouve enfin Γ«
idéalisme baroque », c.-à-d. l'éclectisme arbitraire et la tendance à l'allégorie,
dangereuse pour l'aspect sensible et concret de l'art.
Malgré ses critiques — paradoxe courant au xvme siècle, —
Winckelmann reste partiellement prisonnier des conceptions baroques. M.
(1) Werner Kohlschmidt, Form und Innerlichkeit. Beiträge zur Geschichte und
Wirkung der deutschen Klassik und Romantik. Berne, Francke, 1955, 1 vol., 268 pp.
(Collection Dalp, n° 81), FS 9,15. Le livre est un recueil d'études publiées
antérieurement dans des revues diverses et consacrées à Goethe, Novalis, Eichendorff , Stifter
et Mörike. Seul le chapitre sur Winckelmann est inédit.
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* *
de l'art » : « ceux qui ont écrit jusqu'à présent sur la beauté nous ont
servi des idées métaphysiques par paresse d'esprit au plutôt par
ignorance » (Trattato preliminare). Dans une lettre de Rome, il qualifie
telle conception d'« idée métaphysique, qui mérite aussi peu de réflexion
que cette science tout entière ; occupons-nous de ce qui est
incontestablement proche de nous ». La conscience qu'il a de faire du neuf se
base uniquement sur l'aspect descriptif et concret de ses analyses.
Il proclamera même dans une de ses dernières œuvres qu'il est
impossible de définir abstraitement la beauté.
Certes, il lui échappe de temps en temps des assertions ou des
raisonnements qu'à première vue, on jurerait purement platoniciens. Il en est
même de plus caractéristiques encore que les passages cités par M.
Kohlschmidt et auxquels nous allons revenir. Dans le Trattato
preliminare, Winckelmann renonce à définir le beau, mais n'abdique pas
pour autant toute velléité de le connaître : il croit la beauté « une et
non diverse ». Comment la découvrir, quels critères en avons-nous ?
Winckelmann oppose la méthode des géomètres, qui passent du général
au particulier et concluent de la nature des choses à leurs propriétés,
à la méthode inductive qui est celle de l'artiste et du critique, qui « tirent
des conclusions vraisemblables de données purement individuelles »
(Geschichte der Kunst, éd. Goldscheider, p. 148). Ainsi naît ce que
Winckelmann appelle la « beauté idéale » : celle-ci n'est que le résultat
d'observations et d'inductions successives. Mais comment juger du
degré relatif de beauté des objets d'observation pour être sûr d'atteindre
à la beauté « une » ? Impossible si l'on n'a d'abord démontré l'objectivité
et la sûreté du goût, faculté qui perçoit le beau. La question demande
une réponse qui se situe sur le plan de la psychologie. Or, ceci est en
dehors des intérêts de Winckelmann et le dépasse. Que fait-il ? Avouer
son incompétence ? Non, il a recours à un véritable subterfuge : il
remplace l'explication psychologique attendue par une idée
métaphysique (qui tranche, faut-il le dire, violemment sur son contexte !). Il
écrit : « La beauté suprême réside en Dieu. L'idée de la beauté humaine
se perfectionne à raison de sa conformité et de son harmonie avec
l'Être suprême, avec cet être que l'idée de l'unité et de l'indivisibilité
nous fait distinguer de la matière... » (Geschichte der Kunst, p. 149).
La tentation est grande de voir dans ces paroles l'expression d'un
certain platonisme. Mais, outre que ces considérations n'occupent qu'une
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évident que, la raison dominant tous les travaux humains, c'est d'elle
que devait partir tout ce qui est noble dans notre monde. Winckelmann
accepte cette façon de voir — avec nombre de restrictions, — mais
n'insiste pas : nul apport original, nul argument nouveau, nul souci
de fonder ses dires, rien que de pures affirmations, des postulats.
L'impression qu'on recueille ds ses notes sur la « beauté » est toute différente.
Outre l'assertion catégorique — et assez inconséquente selon la lettre
du texte — que Id beauté est « le but principal de l'art » (Erinnerung),
le soin qu'il met à démonter cette proposition et à l'étayer «
philosophiquement » (alors qu'il n'entend rien à la philosophie) paraît suffisant
pour donner à penser qu'il foule ici du terrain inexploré. Il ne se fait
d'ailleurs pas faute de restreindre, d'une façon assez surprenante, sa
définition du double but de l'art dans son Allégorie. Ce but serait de
« récréer » et de « divertir » (ergötzen et belustigen). L'essai sur
l'allégorie date de 1766 ; le premier ouvrage, de 1755. Dans l 'entre-temps,
Winckelmann s'était partiellement libéré des préjugés de l'époque
et estimait pouvoir négliger le côté rationnel et instructif de l'art.
Mais son exigence de la raison et de l'idée avait-elle jamais signifié plus
qu'un hommage à cette vérité de bon sens que l'art ne peut être pure
fantaisie technique ni copie de la nature sans plus ? Peut-on, de quelques
affirmations floues et parfois démenties par Winckelmann lui-même,
conclure à un platonisme qui aurait formé la charpente de ses conceptions
esthétiques, sans déplacer arbitrairement le centre de gravité et se
condamner à une perspective déformante?
Mais le platonisme que M. Kohlschmidt endosse à Winckelmann
est une hypothèse de travail bien plus qu'une affirmation catégorique.
La qualité de son étude n'est en rien entamée par nos quelques remarques.
Son travail est une très intelligente contribution à la connaissance rai-
sonnée et scientifique du phénomène « Baroque » et des réactions qu'il
a provoquées.
Arm. Nivelle.