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Revue belge de philologie et

d'histoire

Winckelmann et le Baroque
A. Nivelle

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Nivelle A. Winckelmann et le Baroque. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 36, fasc. 3, 1958. Langues et
littératures modernes — Moderne talen en letterkunden. pp. 854-860;

doi : https://doi.org/10.3406/rbph.1958.2231

https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1958_num_36_3_2231

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WINCKELMANN ET LE BAROQUE

Après avoir été à la mode en Allemagne pendant assez longtemps,


la question du baroque, en art comme en littérature, occupe les esprits
chez nous depuis quelques années. La décade de Pontigny a marqué,
semble-t-il, en 1931 le début des discussions françaises sur cette notion
fort controversée ; mais c'est depuis la guerre surtout que des
publications retentissantes y ont été consacrées et que le terme s'est introduit
dans notre terminologie critique et historique, débarrassé en grande
partie de l'idée péjorative et de l'arrière-goût réprobateur qu'il
comportait jadis.
Certes, la cause du baroque n'est pas gagnée. Certains auteurs l'ont
conçu, non seulement comme un style ou une manière qui auraient
caractérisé la majeure partie de la production artistique et littéraire de
la fin du xvie au début du xvnie siècle en Europe occidentale, mais
encore comme une tendance et même comme une mentalité qui
réapparaîtraient régulièrement tout au long de l'histoire de l'art. Ils ont
extrapolé ce qui, dans le principe, n'était qu'une notion historique ; on a
parlé alors de « baroquisme ». Cette conception continue à soulever des
controverses passionnées, d'autant plus que le problème s'est compliqué
de jugements de valeur et de prises de position pour ou contre le
baroque.
Cette question de la valeur était tout à fait étrangère aux
préoccupations de ceux qui ont, bien involontairement, inauguré ces débats
en essayant de rendre justice à des réalités tangibles de l'art, en tâchant
de décrire et d'expliquer avec une extrême rigueur des phénomènes
historiques et concrets.
C'est Wölfflin, on le sait, qui, le premier, s'est méthodiquement servi
de ce terme pour caractériser l'art qui a succédé à celui de la
Renaissance et précédé le rococo ; et il l'a revêtu de toutes les précisions
souhaitables. On connaît les célèbres définitions qu'il ne s'est lassé
d'illustrer; et de nuancer à l'aide de nombreux documents artistiques dans
ses « Notions fondamentales d'histoire de l'art » (Kunstgeschichtliche
Grundbegriffe) de 1915. Son analyse est restée jusqu'à présent la plus
solide et la plus scientifique. Elle n'a rien de polémique ni de vindi-
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catif ; elle s'inscrit strictement dans l'ordre objectif, loin des préférences
et des susceptibilités personnelles. Il est prudent et salutaire d'y
revenir dès que se pose le problème du baroque.
M. Werner Kohlschmidt s'est très sagement conformé à la
définition de Wölfflin dans une excellente étude intitulée « Winckelmann
et le baroque» parue dans son récent ouvrage Form und Innerlichkeit (*>.
Comme les travaux antérieurs de M. Kohlschmidt, cette étude contient
le résultat clairement formulé de recherches consciencieuses et d'un
examen minutieux.
L'auteur conçoit le baroque comme « l'art du pathétique caractérisé
et des attitudes mouvementées, un art marqué par la décentralisation
dans l'organisation de l'espace et dans la composition, par des contrastes
violents entre la lumière et l'ombre, mais aussi un art où le linéaire
est dissous, où les limites spatiales s'effacent dans l'infini et où, par
ailleurs, domine une technique naturaliste inconnue jusqu'alors » (p. 12).
On retrouve dans cette définition les caractères que Wölfflin
reconnaissait au baroque : l'abandon du dessin linéraire, caractéristique de la
Renaissance, au profit du pictural ; de la forme fermée au profit de la
forme ouverte et de la décentralisation ; de la clarté au profit de
l'obscurité et du flou ; de la surface au profit de la profondeur et des
contrastes qu'elle permet.
Les critiques que Winckelmann adresse à l'art baroque se ramènent,
selon M. Kohlschmidt, à trois positions essentielles : le naturalisme,
le maniérisme, l'idéalisme. Au Bernin et aux Hollandais, Winckelmann
reproche l'imitation trop fidèle de la nature « commune », non stylisée,
non sélectionnée selon des critères de beauté. A Michel-Ange et à son
école, il fait grief d'un maniérisme qui le heurte dans les attitudes,
les expressions, les mouvements, les draperies. Il réprouve enfin Γ«
idéalisme baroque », c.-à-d. l'éclectisme arbitraire et la tendance à l'allégorie,
dangereuse pour l'aspect sensible et concret de l'art.
Malgré ses critiques — paradoxe courant au xvme siècle, —
Winckelmann reste partiellement prisonnier des conceptions baroques. M.

(1) Werner Kohlschmidt, Form und Innerlichkeit. Beiträge zur Geschichte und
Wirkung der deutschen Klassik und Romantik. Berne, Francke, 1955, 1 vol., 268 pp.
(Collection Dalp, n° 81), FS 9,15. Le livre est un recueil d'études publiées
antérieurement dans des revues diverses et consacrées à Goethe, Novalis, Eichendorff , Stifter
et Mörike. Seul le chapitre sur Winckelmann est inédit.
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Kohlschmidt le démontre très habilement à propos de l'interprétation


du Laocoon. En même temps qu'il désapprouve l'idéalisme, Winckel-
mann en fait le fondement même de sa propre critique : il explique
l'atténuation de la souffrance dans les traits et l'attitude de Laocoon
par la volonté des sculpteurs d'exprimer une grandeur d'âme non
entamée par la douleur physique. Il juge l'œuvre en stoïcien, c.-à-d.
d'après une image de l'antiquité grecque inspirée par l'époque baroque.
On sait le rôle quasi symbolique que joue dans la pensée de Winckel-
mann son interprétation du Laocoon : sa formule célèbre de « noble
simplicité et de grandeur paisible », si déterminante pour le classicisme
allemand, résulte pour une large part de cette interprétation. Ainsi,
c'est par le truchement d'un inconscient idéalisme baroque que Winckel-
mann aurait préparé la voie au classicisme !
M. Kohlschmidt cite d'autres textes encore à l'appui de ses judicieuses
remarques. Il regrette qu'une étude sérieuse n'ait pas encore été
entreprise sur le platonisme de Winckelmann, laquelle montrerait nettement,
estime-t-il, « la part fondamentale et dominante d'un idéalisme
exacerbé dans les conceptions de l'art winckelmanniennes » (p. 28).

* *

II ne fait aucun doute qu'un certain idéalisme, au sens large du terme,


soit perceptible de temps à autre dans la pensée de Winckelmann.
Nous nous demandons cependant si l'on peut être aussi affirmatif dans
la généralisation hypothétique d'un platonisme de base. Nous avons
exposé ailleurs nos opinions à ce sujet ; nous nous bornerons à rappeler
ici quelques points qui nous paraissent importants.
Si, dans la lettre de ses écrits, Winckelmann semble parfois défendre
des positions platoniciennes, l'esprit de son exposé, le contexte des idées
de cet ordre, la tendance générale de ses interprétations et ses
confidences sur sa méthode de travail n'autorisent guère à faire de lui un
platonicien conséquent et systématique.
Les analyses de Winckelmann partent, en fait, toujours
d'observations concrètes. « J'écris mes observations le plus possible en présence
de l'objet qui les provoque », écrit-il à l'architecte Clérisseau. « Et
quand parfois j'en fais d'autres, j'aime retourner sur place pour les
Vérifier ». Il n'a que mépris pour ceux qu'il appelle les « métaphysiciens
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de l'art » : « ceux qui ont écrit jusqu'à présent sur la beauté nous ont
servi des idées métaphysiques par paresse d'esprit au plutôt par
ignorance » (Trattato preliminare). Dans une lettre de Rome, il qualifie
telle conception d'« idée métaphysique, qui mérite aussi peu de réflexion
que cette science tout entière ; occupons-nous de ce qui est
incontestablement proche de nous ». La conscience qu'il a de faire du neuf se
base uniquement sur l'aspect descriptif et concret de ses analyses.
Il proclamera même dans une de ses dernières œuvres qu'il est
impossible de définir abstraitement la beauté.
Certes, il lui échappe de temps en temps des assertions ou des
raisonnements qu'à première vue, on jurerait purement platoniciens. Il en est
même de plus caractéristiques encore que les passages cités par M.
Kohlschmidt et auxquels nous allons revenir. Dans le Trattato
preliminare, Winckelmann renonce à définir le beau, mais n'abdique pas
pour autant toute velléité de le connaître : il croit la beauté « une et
non diverse ». Comment la découvrir, quels critères en avons-nous ?
Winckelmann oppose la méthode des géomètres, qui passent du général
au particulier et concluent de la nature des choses à leurs propriétés,
à la méthode inductive qui est celle de l'artiste et du critique, qui « tirent
des conclusions vraisemblables de données purement individuelles »
(Geschichte der Kunst, éd. Goldscheider, p. 148). Ainsi naît ce que
Winckelmann appelle la « beauté idéale » : celle-ci n'est que le résultat
d'observations et d'inductions successives. Mais comment juger du
degré relatif de beauté des objets d'observation pour être sûr d'atteindre
à la beauté « une » ? Impossible si l'on n'a d'abord démontré l'objectivité
et la sûreté du goût, faculté qui perçoit le beau. La question demande
une réponse qui se situe sur le plan de la psychologie. Or, ceci est en
dehors des intérêts de Winckelmann et le dépasse. Que fait-il ? Avouer
son incompétence ? Non, il a recours à un véritable subterfuge : il
remplace l'explication psychologique attendue par une idée
métaphysique (qui tranche, faut-il le dire, violemment sur son contexte !). Il
écrit : « La beauté suprême réside en Dieu. L'idée de la beauté humaine
se perfectionne à raison de sa conformité et de son harmonie avec
l'Être suprême, avec cet être que l'idée de l'unité et de l'indivisibilité
nous fait distinguer de la matière... » (Geschichte der Kunst, p. 149).
La tentation est grande de voir dans ces paroles l'expression d'un
certain platonisme. Mais, outre que ces considérations n'occupent qu'une
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place infime dans les écrits de Winckelmann, sa théorie ne découle


en aucune manière de ces assertions métaphysiques, bien vite oubliées.
Celles-ci trahissent simplement le désir de proposer des preuves
objectives et des critères de la beauté qu'il était incapable d'établir par la
psychologie et l'observation empirique. Ce n'est pas dans les «
fondements » métaphysiques de sa théorie qu'on trouve le vrai Winckelmann ;
il y sacrifiait à la manie obsédante d'asseoir sur une vérité absolue les
données de l'expérience contingente.
A propos de l'explication esthétique du Laocoon basée sur le stoïcisme
grec vainqueur de la sensibilité, M. Kohlschmidt assure que
Winckelmann aurait admis l'idéalisme comme principe de ses jugements sur
l'art depuis son premier écrit jusqu'au dernier (p. 28). Notre avis est
différent.
Dans sa monumentale Histoire de l'art, qui est le couronnement de
son œuvre, Winckelmann revient, en effet, sur le problème du Laocoon,
dont il avait souvent parlé auparavant et qui avait provoqué les réactions
de Lessing. Qu'en dit-il? «L'artiste a moins de liberté que le poète
dans la représentation des héros. Le poète peut les peindre tels qu'ils
étaient dans le temps où les passions n'étaient pas encore modérées
par le frein des lois ni par les bienséances raffinées de la vie sociale.
L'artiste, au contraire, obligé de faire un choix parmi les formes les
plus belles, ne peut dépasser un certain degré d'expression des passions
de l'âme, 'de crainte que cette expression ne porte préjudice à la forme
(entendez : à la beauté) » (Geschichte der Kunst, p. 166). En expliquant
de la sorte l'atténuation de la souffrance dans les traits du Laocoon,
Winckelmann exprime une pensée tout à fait conforme à celle de
Lessing et abandonne l'interprétation « idéaliste » du début. Ce n'est plus la
grandeur d'âme qui a préoccupé les sculpteurs, c'est le souci de beauté.
Ceci est exactement l'argumentation de Lessing : toute la partie
polémique du Laocoon dirigée contre le premier ouvrage de Winckelmann
n'aurait guère eu de raison d'être si son auteur avait connu l'Histoire
de l'art avant de concevoir son livre ! Les idées de Winckelmann se
sont donc considérablement modifiées sur ce point, qui touche des
principes généraux de critique d'art.
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Winckelmann professe dans une de ses premières œuvres que, comme


on l'a dit du stylet d'Aristote, le pinceau de l'artiste doit être trempé
dans la « raison ». M. Kohlschmidt déduit de cette maxime la primauté
du spirituel et de l'idée dans les conceptions de notre critique d'art
(p. 28 sv.). Cette déduction, très logique en apparence, appelle au
moins deux remarques.
Le terme employé par Winckelmann est Verstand. Faut-il croire
qu'il réduise les facultés créatrices au seul entendement, comme on l'a
prétendu, ou même à la seule raison? Certainement pas. Le sens du
mot Verstand est très vague dans la langue allemande d'avant Kant
et surtout au milieu du xvine siècle. On pourrait citer de nombreux
exemples d'où il ressortirait que le terme signifiait alors tout
simplement l'esprit humain avant tout compartimentage. Sulzer l'emploie
dans ce sens quand il parle des arts comme d'une création de l'esprit
humain ; de même aussi Herder quand il traduit l'expression française
« histoire de l'esprit humain » par Geschichte des menschlichen Verstandes.
Winckelmann lui-même utilise le mot dans un sens très vaste, y incluant
l'imagination et le talent : ainsi dans son essai Erinnerung über die
Betrachtung der Werke der Kunst, en parlant de la beauté idéale. Il n'y
a donc pas grand-chose à tirer de la maxime citée s'il s'agit d'accorder
à la raison une primauté quelconque. En l'énonçant, Winckelmann
insiste sur l'opinion qu'il rappelle à tout moment et selon laquelle
l'art ne peut être copie servile de la réalité.
Autant que de la sémantique, il faut, pour voir clair dans la pensée
de Winckelmann, faire la part des déterminations historiques du moment
et du milieu. Nous sommes en pleine Aufklärung, et certaines
conceptions sont à la mode. La vraie personnalité de Winckelmann se trouve
derrière ce conformisme de surface. Quand il attribue à l'art une double
fin : instruire et plaire, idée et beauté, comme il le fait dans ses premiers
écrits, et qu'il accorde à l'idée la première place dans la hiérarchie,
ce serait une erreur d'y lire une expression de sa personnalité profonde.
Nous en avons touché un mot dans nos Théories esthétiques en Allemagne
de Baumgarten à Kant, où nous écrivions : Quelque familiarité avec
son œuvre fait vite découvrir qu'il s'agit là, non pas tant d'une concession
au goût du temps — Winckelmann était bien convaincu de ce qu'il
avançait, — mais d'une condition de l'art tellement naturelle à l'époque
qu'il ne serait pas venu à l'idée de l'auteur de ne pas la poser. Il était
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évident que, la raison dominant tous les travaux humains, c'est d'elle
que devait partir tout ce qui est noble dans notre monde. Winckelmann
accepte cette façon de voir — avec nombre de restrictions, — mais
n'insiste pas : nul apport original, nul argument nouveau, nul souci
de fonder ses dires, rien que de pures affirmations, des postulats.
L'impression qu'on recueille ds ses notes sur la « beauté » est toute différente.
Outre l'assertion catégorique — et assez inconséquente selon la lettre
du texte — que Id beauté est « le but principal de l'art » (Erinnerung),
le soin qu'il met à démonter cette proposition et à l'étayer «
philosophiquement » (alors qu'il n'entend rien à la philosophie) paraît suffisant
pour donner à penser qu'il foule ici du terrain inexploré. Il ne se fait
d'ailleurs pas faute de restreindre, d'une façon assez surprenante, sa
définition du double but de l'art dans son Allégorie. Ce but serait de
« récréer » et de « divertir » (ergötzen et belustigen). L'essai sur
l'allégorie date de 1766 ; le premier ouvrage, de 1755. Dans l 'entre-temps,
Winckelmann s'était partiellement libéré des préjugés de l'époque
et estimait pouvoir négliger le côté rationnel et instructif de l'art.
Mais son exigence de la raison et de l'idée avait-elle jamais signifié plus
qu'un hommage à cette vérité de bon sens que l'art ne peut être pure
fantaisie technique ni copie de la nature sans plus ? Peut-on, de quelques
affirmations floues et parfois démenties par Winckelmann lui-même,
conclure à un platonisme qui aurait formé la charpente de ses conceptions
esthétiques, sans déplacer arbitrairement le centre de gravité et se
condamner à une perspective déformante?
Mais le platonisme que M. Kohlschmidt endosse à Winckelmann
est une hypothèse de travail bien plus qu'une affirmation catégorique.
La qualité de son étude n'est en rien entamée par nos quelques remarques.
Son travail est une très intelligente contribution à la connaissance rai-
sonnée et scientifique du phénomène « Baroque » et des réactions qu'il
a provoquées.
Arm. Nivelle.

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