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1. Chez Kojève, cette notion vient sans doute moins d’une lecture respectueuse de la
Grande Logique de Hegel que des notions heideggériennes de finitude et d’être-pour-la-
mort. « C’est là qu’a été toute l’astuce de la démarche de Kojève, souligne Pierre Macherey
[1991] : il a réussi à vendre sous le nom de Hegel l’enfant que Marx aurait pu faire à Heidegger. »
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10. C’est dire si Hegel subvertit, par sa notion de travail comme d’abord fait du
serviteur, l’opposition aristotélicienne entre action et production. « […] dans la production,
l’artiste agit toujours en vue d’une fin. La production n’est pas une fin au sens absolu mais
est quelque chose de relatif et production d’une chose déterminée. Au contraire, dans l’action,
ce qu’on fait est une fin (au sens absolu) car la vie vertueuse est une fin et le désir a cette fin
pour objet » [Éthique à Nicomaque, VI, 2]. Pour un commentaire éclairant, se reporter à
l’article de Solange Mercier-Josa [1976].
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distance par rapport à l’ordre d’abord immédiat du désir tandis que le maître,
pour sa part, en reste à cet ordre. Du coup, c’est en étant perpétuellement
reconduit par le maître dans son avoir-à-faire-pour-autrui, c’est en étant
constamment confronté à l’exigence de mieux correspondre aux attentes
de l’autre, que l’esclave arrive à se perfectionner dans l’étude de la diffé-
rence entre ce que le maître (désir) veut et ce que le serviteur lui-même fait
(travail). Ainsi le serviteur développe-t-il son propre travail de négativité,
lequel engendre par lui-même des vertus et des talents spécifiques.
Cette découverte du travail par le serviteur est connue. Quelle inter-
prétation lui donner? Sort-on de la relation de maîtrise à servitude par le
simple processus continu de développement de la compétence technicienne
du serviteur? La problématique hégélienne est plus complexe qu’une simple
conception progressiste-techniciste du travail. Car finalement, la conscience
que le serviteur prend de lui-même n’est jamais que celle d’un exécutant
efficace d’une finalité hétéronome. Si le succès de sa technique permet au
serviteur de se rendre compte de sa puissance sur les choses, de prendre
ainsi une certaine conscience de soi, le principe de son action et donc l’orien-
tation de celle-ci n’en demeurent pas moins toujours le désir du maître et
sa satisfaction. D’un certain point de vue et en se faisant « l’avocat du
diable » – Sade en l’espèce –, on peut aussi bien dire que c’est le maître
qui, grâce au travail de l’esclave, développe davantage ses possibilités de
jouissance et connaît de mieux en mieux la nature de son désir, tandis que
le serviteur perd, dans sa condition de servitude, toujours plus profondé-
ment le sens même de ce que c’est que désirer, renonçant toujours plus à
la finalité ultime de la formation de l’objet, la jouissance. Mais alors,
pourquoi donc l’esclave, enfin conscient de sa compétence et de sa puis-
sance, ne quitterait-il pas le service du maître afin de travailler à sa propre
jouissance? En forme de boutade : pourquoi l’esclave ne finirait-il pas par
devenir un maître qui s’installe à son compte? Répondre à cette question
suppose d’avoir résolu le problème de la mesure du degré de compétence
à partir duquel peut advenir la fin du service… Quand bien même on serait
parvenu à apprécier ce degré, serait-on pour autant vraiment sorti du rap-
port de domination à servitude? En effet, serait-ce bien son véritable désir
discipliné par le service que le serviteur serait amené à satisfaire, ou bien
ne serait-ce pas simplement le contenu de ce qui faisait la jouissance de son
maître auquel il finit par s’identifier, qu’il s’approprierait, n’ayant pu comme
tel – simple technicien efficace – développer et manifester ses propres
possibilités de jouissance?
Certes, c’est bien le point de vue du serviteur qu’il faut prendre pour
analyser sous cet angle la signification du rapport entre désir et travail. Mais
pour ce faire, encore faut-il sortir de la problématisation du désir héritée du
maître – le désir en tant que singulier –, et ce, pour voir que ce que fait émer-
ger l’activité du serviteur, au-delà du « simple » désir, c’est essentiellement
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11. Pour une reprise du point de vue de l’agir communicationnel, voir Jürgen Habermas
[1990, p. 163-211].
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12. Pour plus de développements sur ce point, se reporter à Michel Henry [1990, et
particulièrement p. 863-906].
13. Rappelons, là encore, que Hegel ne vise pas directement le travail, mais l’existence
de la conscience par la recherche de ses conditions de possibilité. Le langage en est la première.
La conscience immédiate est d’abord la conscience sensible. Or la sensibilité est évanouissement
incessant et la conscience n’échappe à cet évanouissement que pour autant qu’elle parle. Le
langage substitue à la sensation évanouissante le mot qui stabilise son existence. Même si
l’intuition empirique posée idéellement dans le mot acquiert en lui la transparence de l’universalité
qui l’arrache à son obscurité intrinsèque, il n’en reste pas moins que cette intuition empirique
ne parvient dans le nom qu’à une sorte de redoublement idéal qui la laisse inchangée. De ce
point de vue, la saisie par le travail est un progrès. Ces premières remarques sur la conscience
seront développées plus tard dans les premiers chapitres de la Phénoménologie, tandis que
les remarques sur le travail y seront quant à elles plus ramassées, l’accent étant mis sur la
servitude.
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14. Se marque ici un point de rupture fondamental entre la philosophie objective du travail
telle qu’elle se dégage de l’anthropologie philosophique de Hegel, et la philosophie subjective
du travail telle que Michel Henry la reconnaît et la développe dans sa relecture de Marx.
15. Nous ne développons pas ce point qui relève de la philosophie du droit, qui à ce titre
formalise les acquis de la philosophie du travail. Pour ce faire, il faudrait intégrer à la notion
de travail ainsi construite son prolongement naturel qui est la possession. Le travail peut être
vu comme une prise de possession par laquelle se manifeste le processus d’objectivation de
la subjectivité. Hegel le conçoit en effet comme explicitation concrète de ce que l’objet (élaboré
ou directement tiré de l’être-là), objet distinct de l’individu et séparable de lui, a précisément
pour essence de signifier la présence de la volonté infinie en soi et pour soi de tout un chacun.
La reconnaissance d’un individu comme volonté libre par un autre est donc reconnaissance
de sa possession. La forme politique qui découle de l’universalisation doit entériner d’une
manière ou d’une autre ce processus de reconnaissance généralisée de tout un chacun comme
propriétaire. On imagine sans peine toute la difficulté à penser les modalités concrètes de cette
reconnaissance dans les sociétés à économie capitaliste lorsque le travail est clivé par l’extension
sociétale du rapport salarial, lequel se détermine d’abord comme rapport de domination
économique du capital qui cherche à se valoriser sur le travail qu’il exploite pour ce faire.
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TRAVAIL ET LIBÉRATION
16. Cette idée est particulièrement développée, à la suite des leçons de Kojève, par Éric Weil
[Philosophie politique, en particulier IIe partie, p. 62-128].
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BIBLIOGRAPHIE
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