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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES


CONSTITUANTS OBLIGATOIRES



O. SPEVAK

A
The aim of this article is to analyse the ordering of obligatory constituents
(subject, object, indirect object) in the Itinerarium Egeriae (fourth century
AD). The point of departure for the analysis is the valency of the verb
and the number of its syntactic positions. This approach allows consider-
ing together several models in which the obligatory constituents usually
carry the same pragmatic function. Thus, the frequent postverbal position
of the object in the Itinerarium is not a result of some syntactic constraint
but of its pragmatic function as carrier of Focus. Directional complements
and subjects in passive constructions present usually also new information
and occupy the final position in the sentence. Topics are often (but not
always) found in initial position; anaphoric and demonstrative pronouns
occur, facultatively, to co-mark the topic function. However, due to its
content, the degree of topic continuity is higher in the first part of the
Itinerarium, which describes entities, than in the second part, which describes
events.

1. Introduction
L’Itinerarium Egeriae, remontant au IVe siècle, est un texte écrit
dans un registre proche de la langue parlée, qualifiée de latin ‘popu-
laire’, et son ordre des constituants a déjà attiré beaucoup d’atten-
tion. En particulier parce qu’au point de vue statistique, il montre
la place postverbale de l’objet: l’ordre Verbe—Objet (VO), ou, sujet
exprimé, Sujet—Verbe—Objet (SVO) que l’on rencontre dans les
langues romanes. Pour ne donner que quelques références: Nocentini
1990, 152, Hinojo Andrés 1986, 83, ou Adams 1976a, 93. L’objet
se fixe dans la position postverbale suite à la perte des marques
flexionnelles, surtout celles de l’accusatif—une telle explication a été
proposée par Vennemann (1975, 289), et adoptée pour l’ordre VO
chez Egérie par Nocentini (1990, 151 et 156) et Adams (1976a, 98).
Or, Schøsler (1984) a montré, pour l’ancien français, qu’il n’y a pas

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2005 Mnemosyne, Vol. LVIII, Fasc. 2


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de corrélation immédiate entre ces deux phénomènes. Une autre


raison qui attire l’attention à l’Itinerarium est d’ordre typologique:
son ordre (S)VO témoignerait d’un changement de SOV à SVO
en latin. Cette question sera entièrement laissée de côté dans la
présente contribution, faute de données suffisantes pour une com-
paraison.1)
Dans les langues romanes, l’ordre des constituants est, dans une
large mesure, grammaticalisé. Par exemple, un nom placé après le
verbe assure la fonction d’objet, celui placé devant le verbe, celle
de sujet. On sait aussi que pour antéposer un objet exprimé par
un substantif, on doit avoir recours à une extraposition accompa-
gnée d’une reprise anaphorique (cf. Vincent 1988, 235 et 114) ou
à des structures clivées (voir Lambrecht 1988). La place de l’objet
pronominal est préverbale.
(a) Paul, Pierre le voit souvent.
(b) El coche, lo compró Elena.
(c) C’est Jean que j’ai vu.
En revanche, l’ordre des constituants est ‘libre’ en latin et n’a
pas d’implications syntaxiques. Il dépend des fonctions pragmatiques:
topique (élément donné ou connu) et focus (élément le plus sail-
lant). Ces fonctions peuvent être assignées à n’importe quel consti-
tuant sans égard à sa fonction syntaxique dans la phrase. L’organisation
du message procède normalement de l’élément connu vers l’élément
nouveau; dans une phrase latine, le topique a tendance à se posi-
tionner à la première place, le focus se situe à droite (en position
finale ou préverbale). Toutefois, d’autres dispositions sont possibles,
par exemple le focus à l’initiale (voir Pinkster 1991 et 1995, 211
sqq.).
L’objet en tant que fonction syntaxique ne peut être étudié tout
seul; il fait partie de compléments obligatoires du verbe tout comme
le sujet, le complément d’attribution ou, dans certains cas, le com-
plément de direction. Nous proposons une analyse de l’ordre des
constituants qui prend comme point de départ le verbe et ses com-
pléments obligatoires, et qui concerne les propositions non subor-
données dans la phrase déclarative. Nous allons essayer, d’une part,

1) Voir toutefois Pinkster 1991 pour une discussion.


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d’examiner la position de ces compléments obligatoires pour dégager


des tendances principales, d’autre part, de décider si, à cet égard,
l’Itinerarium Egeriae, qui présente un grand nombre d’éléments pré-
romans, se situe à la mi-chemin entre le latin et les langues romanes.

2. Caractéristiques générales de l’Itinerarium


Le texte d’Égérie se compose de deux parties de nature et de
contenu très différents; la première, Les voyages (9,572 mots), décrit
quels endroits Égérie et son entourage ont visités durant le pèleri-
nage; la seconde, La liturgie à Jérusalem (8,338 mots), décrit le déroule-
ment des offices.
Pour la présente analyse, nous avons retenu2) 504 propositions
non subordonnées dans la première partie, 628 dans la seconde. La
plupart figurent dans des phrases assez complexes et, en conséquence,
le nombre de phrases non complexes est assez faible: 62 phrases
dans la première, 53 phrases dans la seconde.
Les différences quant au contenu apparaissent lorsqu’on compare
les verbes les plus fréquemment employés. Voici les dix verbes et
leur nombre d’occurrences, avec la distinction entre la voix active
(A) et passive (P):
Première partie Seconde partie
114 sum ‘être’ 98 fio ‘devenir’
34 ostendo ‘montrer’ (16 A, 18 P) 57 dico ‘dire’ (18 A, 39 P)
25 uideo ‘voir’ (19 A, 6 P) 39 sum ‘être’
24 dico ‘dire’ (18 A, 6 P) 31 ago ‘faire’ P
23 facio ‘faire’ (9 A, 14 P) 29 lego ‘lire’ (6 A, 23 P)
21 peruenio ‘arriver’ 22 benedico ‘bénir’ (9 A, 13 P)
14 dignor ‘vouloir bien’ 18 eo ‘aller’ P
13 habeo ‘avoir’ 16 procedo ‘aller’ (2 A, 14 P)
11 coepi ‘commencer’ 12 intro ‘entrer’
10 aio ‘dire’ 12 sedeo ‘être assis’ (10 A, 2 P)
L’Itinerarium est marqué par des répétitions fréquentes; les dix
verbes nous montrent les procès les plus souvent évoqués: ‘être,
montrer, voir, arriver . . .’ d’un côté, ‘devenir, être dit, être fait, être
lu, bénir . . .’ de l’autre. Deux extraits de chaque partie nous illus-
treront davantage la nature du récit:

2) Les citations bibliques ont été éliminées.


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Première partie:
(1) In quo itinere iens uidi super ripam fluminis Iordanis uallem pul-
chram satis et amoenam, abundantem uineis et arboribus, quo-
niam . . . Nam in ea ualle uicus erat grandis, qui appellatur nunc
Sedima. In eo ergo uico, qui est in media planitie positus, in medio
loco est monticulus non satis grandis, sed factus sicut solent esse
tumbae, sed grandes. Ibi ergo in summo ecclesia est . . . (13.2-3)
‘Sur cet itinéraire, en chemin, j’ai vu sur la rive du fleuve du
Jourdain une vallée très belle et agréable, avec des vignes et des
arbres en abondance, car . . . Dans cette vallée, il y avait un grand
village appelé aujourd’hui Sedima. Dans ce village, qui est situé
au milieu d’une plaine, il y a en plein centre un monticule pas
très grand, fait comme le sont d’ordinaire les tombes, mais les
grandes tombes. Là, au sommet, se trouve une église . . .’3)
Le récit part d’un point topical (in quo itinere); l’action de uidi est
suivie de l’information nouvelle—uallem. Cette entité, développée par
une apposition (avec une subordonnée), devient topique (in ea ualle)
pour introduire une nouvelle entité—uicus, qui servira de topique
(in eo ergo uico) pour localiser monticulus; la description continue en
topicalisant ce dernier élément (ibi ). Outre l’enchaînement de topiques,
on remarquera dans ce passage que Égérie construit des phrases
complexes sans former des périodes avec le verbe en position finale.
Seconde partie:
(2) Lecto ergo euangelio exit episcopus et ducitur cum ymnis ad Crucem
et omnis populus cum illo. Ibi denuo dicitur unus psalmus et fit
oratio. Item benedicit fideles et fit missa. Et exeunte episcopo
omnes ad manum accedunt. (24.11-2)
‘L’évangile lu, l’évêque sort; il est conduit avec des hymnes à la
Croix et tout le peuple l’accompagne. Là, on dit à nouveau un
psaume et on fait une prière. Ensuite il bénit les fidèles et le ren-
voi a lieu. Quand l’évêque sort, tous s’approchent à la portée de
sa main.’
Après une indication d’ordre temporel (lecto euangelio), une action
se produit (exit) attribuée à episcopus (entité déjà connue). Le même
personnage est conduit (ducitur) vers un lieu (ad Crucem), servant de
cadre spatial (ibi ) pour les actions suivantes (dicitur, fit); benedicit a
pour sujet episcopus, un sujet maintenu (non exprimé). La cérémonie
terminée ( fit missa), la séquence est clôturée par le procès accedunt

3) Nous citons les traductions de P. Maraval (1982).


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en position finale. Dans ce passage, on notera que les anaphoriques


sont beaucoup moins présents; en revanche, on remarquera les con-
necteurs continuatifs (denuo ‘à nouveau’, item ‘ensuite’).
Une autre différence, importante pour l’ordre des constituants,
apparaît assez nettement si l’on compare les formes verbales relevées.
Le tableau suivant nous en montrera la proportion:

Tableau 1. Les personnes verbales dans l’Itinerarium


Première partie Seconde partie
sg. pl. total % sg. pl. total %
première personne 67 81 148 29 3 1 4 1
deuxième personne 2 3 5 1 1 5 6 1
troisième personne 256 95 351 70 393 225 618 98

En effet, dans la première partie, 29 % des verbes sont à la pre-


mière personne du singulier ou du pluriel, tandis que la seconde
partie est rédigée à la troisième personne (98 %).

3. Principes de classement
La présente analyse de l’ordre des constituants dans l’Itinerarium
prendra comme point de départ le type syntaxique des verbes en
fonction du nombre de compléments obligatoires (voir Dik 1997;
Pinkster 1995; Happ 1976). Ainsi, séparerons-nous les verbes biva-
lents transitifs (a), les verbes trivalents (b), les verbes bivalents intran-
sitifs (c) et les verbes monovalents (d), exemplifiés ci-dessous. Les
verbes avalents ne se manifestent pas, dans l’Itinerarium, de manière
significative.
(a) benedico {Verbe, Sujet—Actant 1, Objet direct—Actant 2}
(b) dico {Verbe, Sujet—Actant 1, Objet direct—Actant 2, Objet
indirect—Actant 3}
(c) peruenio {Verbe, Sujet—Actant 1, Complément de direction}
(d) uiuo {Verbe, Sujet—Actant 1}
(a) benedicet fideles episcopus (24.6) ‘l’évêque bénit les fidèles’
(b) dixit nobis ipse sanctus presbyter (15.3) ‘ce saint prêtre nous a dit’
(c) peruenimus Edessam (19.2) ‘nous sommes arrivés à Édesse’
(d) rubus uiuet (4.6) ‘le buisson est vivace’
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Ce procédé de classement se justifie par le fait que le groupe (b)


a trois constituants obligatoires à placer, tandis que le groupe (d)
n’en a qu’un. Toutefois, il n’exclut nullement l’existence des mêmes
tendances pour placer le sujet, par exemple, dans les groupes
différents.

4. Les verbes bivalents transitifs


Considérons d’abord les données chiffrées correspondant aux
verbes bivalents transitifs. Les résultats concernant respectivement
la place de l’Actant 1—sujet (A1), de l’Actant 2—objet (A2), et du
Verbe (V) sont réunis dans le tableau suivant, avec distinction de
la personne verbale:4)

Tableau 2. Les verbes bivalents transitifs


Première partie Seconde partie Au total
Modèle 1ère /2e 3e Total 1ère /2e 3e Total
personne personne personne personne

A1VA2 3 8 11 - 8 8 19
A1A2V 1 11 12 - 6 6 18
A2A1V (1) 3 4 - 2 2 6
VA2A1 - 3 3 - 14 14 17
VA1A2 - 2 2 - 5 5 7
A2VA1 - - - - 2 2 2
Total 32 37 69
A2V 15 3 18 4 7 11 29
VA2 28 18 47 1 24 25 72
65 36 101
Au total 48 48 97 5 68 73 170

L’examen des résultats permet de dégager les caractéristiques sui-


vantes:

4) Les occurrences relevant de l’ellipse de l’objet ou de l’objet et du sujet ont


été éliminées, au nombre de 4 dans la première partie, une seule dans la seconde
partie.
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1. La première partie contient deux fois moins d’occurrences de


phrases où l’actant 1 est exprimé (32 : 65) alors qu la proportion
en est la même dans la deuxième partie (37 : 36). En effet, la pre-
mière partie se distingue par un nombre élevé de verbes à la pre-
mière ou à la deuxième personne du singulier ou du pluriel (48).
2. Si tous les actants sont exprimés, le modèle dominant est A1A2V
dans la première partie, VA2A1 dans la seconde partie. Pour l’ensem-
ble du texte, nous relevons, avec une proportion presque identique
(19, 18 et 17 occurrences au total respectivement), trois modèles:
A1VA2, A1A2V, et VA2A1.
3. Si l’actant 1 n’est pas exprimé, l’actant 2 suit le verbe plutôt
qu’il ne le précède (29 A2V : 72 VA2).5)
Avant d’aborder l’analyse des données, il convient de faire deux
remarques préliminaires.
a. La phrase ‘prototypique’ comportant un sujet animé humain
(actant 1) et un objet animé humain (actant 2), tous les deux représen-
tés par un substantif (pour ce critère, voir Hopper & Thompson
1980, et Siewierska 1988, 9) n’apparaît qu’avec un objet désignant
un groupe d’individus:
(3) alloquitur episcopus populum (36.5) ‘l’évêque s’adresse au peuple’
(4) benedicet fideles episcopus (24.6) ‘l’évêque bénit les fidèles’
Toutefois, ce type ne peut être tenu comme un modèle ‘de base’
car il répond à un mode particulier dans la seconde partie (voir
infra).
b. Dans les calculs, ont été inclus les verbes comportant un objet
interne (ambulare iter ‘suivre son itinéraire’, 3 occurrences de ce type)
ainsi que les verbes supports tels mittere (uocem ‘élever la voix’, 7
occurrences) et facere (orationem ‘faire une prière’, 11 occurrences de
ce type). Voir infra 4.2.

4.1. Expression et place de l’actant 1


Pour la première personne (pas d’occurrences pour la deuxi-
ème), le sujet n’est exprimé que quatre fois6) dans le cas des verbes

5) Sans tenir compte du sujet, on relève, dans la première partie 62 VA2 : 34


A2V; dans la seconde 52 VA2 : 21 A2V.
6) La cinquième occurrence est une conjecture, voir l’exemple 27 cité infra.
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bivalents transitifs (voir tableau 2). Le pronom personnel nos con-


traste une fois avec une autre personne ( filii Israhel, exemple 5), mais
dans d’autres cas, il signale le retour au récit même après une digres-
sion (3 occurrences), comme dans l’exemple 6, après la description
du Sinaï:
(5) Filii etiam Israhel . . . usque ad eum locum reuersi sunt per iter . . .,
et inde nos iam iter nostrum, quo ueneramus, reuersi sumus. (6.3)
‘Les fils d’Israël, eux aussi . . . sont revenus par le même itinéraire
qu’à l’aller . . . Mais à partir de là, nous avons repris en sens
inverse l’itinéraire par lequel nous étions venus.’
(6) Nos ergo sabbato sera ingressi sumus montem. (3.1)
‘Le samedi soir, nous nous sommes donc engagés dans la mon-
tagne.’
Le pronom personnel se positionne à l’initiale de la phrase, et peut
éventuellement être précédé par un constituant prioritaire (tel con-
necteur ou anaphorique inde).
Pour la troisième personne, l’actant 1 doit être identifiable; or un
sujet connu n’est normalement pas répété mais maintenu au moyen
de l’anaphore zéro (voir de Jong 1989). Sa place ne dépend pas de
sa fonction syntaxique de sujet, mais de sa valeur pragmatique. Le
tableau 2 a montré qu’il occupe en particulier la position initiale
dans la première partie de l’Itinerarium (19 initiale : 8 autre), et une
position autre dans la seconde partie (23 autre : 14 initiale). Quels
sont donc les facteurs pragmatiques qui influencent la place de l’ac-
tant 1?
Les sujets exprimés renvoient assez souvent à des entités qui vien-
nent d’être introduites dans le discours et sont reprises par un
anaphorique. Le substantif est généralement répété lorsqu’il s’agit
d’entités inanimées, et occupe régulièrement la place initiale (absolue
ou non):
(7) Heroum autem ciuitas . . . nunc est come . . . nos dicimus uicus.
Nam ipse uicus ecclesiam habet et martyria. (7.7)
‘Héroonpolis . . . est maintenant un village . . . ce que nous appelons
un uicus. Ce village a une église et des martyria.’
Le sujet animé peut être continué par un anaphorique seul: hic,
ipse (au lieu de is classique, voir Bolkestein 2000, 121), qui . . .:
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(8) Inueni ibi aliquam amicissimam mihi . . . sancta diaconissa nomine


Marthana . . . Haec autem monasteria . . . regebat. Quae me cum
uidisset . . . (23.3)
‘J’ai trouvé là une très chère amie à moi . . ., une sainte dia-
conesse du nom de Marthana; elle dirigeait des monastères . . .
Lorsqu’elle me vit . . .’
(9) Item euntes in eo itinere uidimus uallem de sinistro nobis uenien-
tem amoenissimam, quae uallis erat ingens . . . Et ibi in ipsa ualle . . .
(16.2)
‘Progressant encore dans notre itinéraire, nous avons vu, débou-
chant sur notre gauche, une vallée très riante; cette vallée était
immense . . . Là, dans cette vallée . . .’

Or, un autre type de sujet de caractère topical se rencontre dont


la place à l’initiale et la reprise par un anaphorique ne sont pas
obligatoires.
(10) Illud etiam retulit nobis sanctus ipse dicens eo quod . . . Ostendit
etiam nobis sanctus episcopus memoriam Aggari . . . Duxit etiam
nos . . . (19.17-8)
‘Ce saint homme nous a raconté encore ceci: . . . Le saint évêque
nous a montré également le tombeau d’Abgar . . . Il nous a con-
duits aussi . . .’

Sanctus ipse réactive un sujet connu, aussi bien que sanctus episco-
pus; duxit sans sujet exprimé témoigne d’un sujet maintenu. En ter-
mes de grammaire fonctionnelle, il s’agit d’un ‘resumed topic’ (voir
Bolkestein 2000, 123), utilisé en particulier pour revenir à la ligne
principale du récit après une digression. Les sujets-topiques peuvent
donc jouir d’une certaine mobilité dans la phrase et occuper une
place ultérieure, sauf celle de focus car ils ne sont pas porteurs de
l’information essentielle (dans ce cas, ce serait la place finale). Sanctus
episcopus dans l’exemple 10 montre, entre autres, qu’il n’est pas néces-
saire de signaler explicitement un sujet de caractère topical même
là où il n’occupe pas la position initiale.
Un constituant peut également avoir la fonction pragmatique de
topique du fait qu’il est déductible du contexte. Ainsi, au départ de
Pharan, Egérie emprunte un chemin par le désert et mentionne les
pratiques des habitués—des Pharanites. On notera que ce type de
sujet n’est pas précédé par un anaphorique:
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(11) Cum peruenissemus Pharam . . . Pharanitae autem . . . signa sibi


locis et locis ponent. (6.1-2)
‘Une fois arrivés à Pharan . . . Les gens de Pharan . . . disposent,
de place en place des repères.’

L’actant 1 peut être porteur de l’information nouvelle. Tel est le


cas de sanctus episcopus en (12) qui représente un futur topique (voir
Bolkestein 2000, 120), élément nouvellement introduit dans le dis-
cours pour être développé par la suite—témoins, l’apposition et la
reprise anaphorique dans la phrase suivante (ipse . . . ). En (13), Persae
est un élément nouveau, répondant à la question qui occupe toute la
contrée?, mais il s’agit d’un focus contrastif (avec Romanorum), non
continué par la suite et placé en position pré-finale.
(12) Ac sic ergo aliquo biduo ibi tenuit nos sanctus episcopus, sanc-
tus et uere homo Dei, notus mihi iam satis de eo tempore a quo
ad Thebaidam fueram. Ipse autem sanctus episcopus . . . (9.1)
‘Aussi le saint évêque, saint et vraiment homme de Dieu, que je
connaissais bien depuis le temps où j’avais été en Thébaïde, nous
retint là deux jours. Ce saint évêque . . .’
(13) Sed modo ibi accessus Romanorum non est, totum enim illud
Persae tenent. (20.12)
‘Mais, depuis peu, les Romains n’y ont plus accès, car les Perses
occupent toute cette contrée.’

Dans la deuxième partie de l’Itinéraire, lors de la description des


cérémonies, on rencontre fréquemment le phénomène suivant:
(14) Dicet psalmum quicumque de presbyteris . . ., item dicit psalmum
quicumque de diaconibus. (24.9)
‘Un des prêtres dit un psaume . . ., ensuite un des diacres dit un
psaume.’
(15) Postmodum mittet uocem diaconus, ut inclinent capita sua omnes . . .,
et sic benedicet eos episcopus. (25.3)
‘Après quoi, le diacre élève la voix pour que tous les assistants . . .
inclinent la tête; alors l’évêque les bénit.’
Les sujets s’y rencontrent en position postverbale ou même finale
et ne sont pas précédés d’anaphorique. Ils représentent les ‘acteurs’
de la liturgie: évêque, prêtres, diacres, peuple, tous connus et acces-
sibles au lecteur. Or, il ne s’agit pas de décrire ce que fait l’évêque
mais ce qui se passe et qui le fait. Ainsi, en (14), avons-nous l’action
de ‘dire un psaume’ (dicet psalmum) suivie de l’agent (quicumque de
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presbyteris), puis la même action faite par un autre agent (quicumque


de diaconibus); en (15), l’action d’ ‘élever la voix’ est attribuée au
diacre, celle de ‘bénir’ à l’évêque. Ces actions sont successives. De
tels sujets ne peuvent être considérés comme des topiques, car dans
ces phrases tout est nouveau. La description du déroulement de la
liturgie est accompagnée par des connecteurs continuatifs tels ‘après
quoi’, ‘ensuite’ (item, postmodum . . .) qui appuient cette interprétation,
sans toutefois garantir l’identification de la fonction pragmatique.
En revanche, en (16), l’action de l’évêque est présentée (que fait
l’évêque), simultanée à celle des diacres (les deux sujets ont été déjà
réactivés dans la phrase précédente). Il s’agit d’un contraste entre
l’action de l’évêque et celle du diacre.
(16) Episcopus sedens de manibus suis summitates de ligno sancto
premet, diacones autem, qui in giro stant, custodent. (37.2)
‘L’évêque, assis, appuie de ses mains sur les extrémités du bois
sacré, et les diacres, debout tout autour, surveillent.’

4.2. Place de l’actant 2


L’actant 2 est assez souvent porteur de l’information essentielle
et de ce fait, il occupe une place ultérieure dans la phrase.
On a déjà fait remarquer que les objets développés par une rela-
tive se positionnent à droite de la phrase (entre autres, Nocentini
1990, 152). Or, deux cas se rencontrent, indéfini (17) et défini (18),
sans être marqués comme tels:
(17) Qui fodientes in eo loco . . . inuenerunt speluncam, quam sequentes
fuerunt . . . (16.6)
‘En creusant à l’endroit . . . ils trouvèrent une grotte. Ils la
suivirent . . .’
(18) Nam de hostio ipsius ecclesiae uidimus locum ubi intrat Iordanis
in mare Mortuum. (12.4)
‘De la porte de l’église, nous avons vu l’endroit où le Jourdain
entre dans la mer Morte.’
(19) Nam ostenderunt nobis etiam et illum locum, qui appellatus est
Incendium. (5.7)
‘Ils nous ont montré aussi l’endroit qui fut appelé Incendie.’
Dans les deux cas, l’actant 2 est l’apport informationnel qui est
continué dans la phrase suivante (quam; ubi ). Seul le type (18), défini,
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permet l’emploi—facultatif—d’un cataphorique corrélé à un relatif


(19),7) en particulier ille qui est, dans l’Itinerarium, spécialisé dans la
fonction cataphorique (voir Nocentini 1990, 146). En outre, chez
Égérie, l’objet continué par la suite n’est normalement pas placé en
position préverbale.
L’objet placé après le verbe n’est pas toujours syntaxiquement
lourd ou continué dans la phrase suivante (20). Dans l’exemple 21,
il est suivi d’un complément de lieu, l’enchaînement est de type
‘explicatif ’ (‘et ce’):
(20) uadent ibi et tollent surculos (8.3)
‘ils y viennent prendre des rameaux’
(21) Ostenderunt etiam petram ingentem in ipso loco ubi descendebat
sanctus Moyses. (5.4)
‘Ils nous ont montré aussi un énorme rocher à l’endroit où
descendait saint Moïse.’
L’objet peut figurer à la place préverbale tout en étant l’élément
le plus informatif. Tel est le cas des objets multiples, l’un à la place
préverbale et l’autre, coordonné à l’aide de uel, en position postver-
bale.
(22) Statim sancti monachi . . . arbusculas ponunt et pomariola institu-
unt uel arationes. (3.6)
‘Aussitôt les saints moines y plantent . . . de petits arbres et ils y
font de petits vergers et des cultures.’
Il n’est pas rare de trouver des objets mis en relief et occupant,
de ce fait, la position initiale dans la phrase, absolue ou non absolue
(auquel cas ils sont précédés d’un connecteur). Les exemples sont
donnés en (23) avec une hyperbate, en (24) avec un objet assez
développé et continué, et en (25) avec un démonstratif résomptif
(haec):
(23) Itaque ergo singula, quemadmodum uenimus per ipsam totam
uallem, semper nobis sancti illi loca demonstrabant. (5.1)
‘À mesure donc que nous avons progressé tout au long de cette
vallée, ces saints n’ont cessé de nous en montrer chacun des
sites.’

7) Dans la seconde partie de l’Itinerarium, lorsqu’elle parle des passages de


l’évangile, Égérie emploie des cataphoriques dans la majorité des cas (legitur ille/ipse
locus in quo . . . 31.2) ou la deixis extra-textuelle (legitur ipse locus) qui renvoie à un
savoir partagé.
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 247

(24) Multos enim sanctos monachos uidebam inde uenientes in Ierusoli-


mam . . . qui . . . (13.1)
‘Je voyais en effet beaucoup de saints moines venant de là à
Jérusalem . . . ils . . .’
(25) Hanc ergo consuetudinem . . . semper tenuimus ubicumque ad loca
desiderata potuimus peruenire. (10.7)
‘Cette habitude, nous l’avons toujours observée, chaque fois que
nous avons pu arriver aux endroits que nous avions désiré voir.’
Or, les objets mis en relief à l’initiale de phrase se rencontrent
non pas dans la ligne principale du récit, mais dans des développe-
ments secondaires ou des explications variées: témoins, les con-
necteurs ergo et enim.
L’actant 2 peut être représenté par un pronom ou une proposi-
tion. Les pronoms se positionnent surtout après le verbe (cf. supra,
exemple 12). Toutefois, une autre place est possible, par exemple
celle de illos en (28) qui thématise infantes. Les complétives suivent
généralement le verbe et peuvent être annoncées par un pronom
cataphorique (27), placé à l’initiale.
(26) Nemo autem exigit, quantum debeat facere, sed unusquisque ut potest
id facit. (28.4)
‘Personne cependant n’impose ce qu’on doit faire, mais chacun
fait ce qu’il peut.’
(27) Id enim nobis uel maxime ego desideraueram semper, ut, ubi-
cumque uenissemus, semper ipse locus de libro legeretur. (4.3)
‘C’est en effet ce que je désirais toujours le plus pour nous: que,
partout où nous arrivions, on fasse toujours lecture du passage
correspondant de la Bible.’
(28) [Et quotquot sunt infantes . . .] in collo illos parentes sui tenent.
(31.3)
‘[tous les enfants . . .] que leurs parents portent sur leurs épaules’
Les objets internes de type ambulauerunt iter suum ‘ils ont suivi leur
itinéraire’ (6.3), ainsi que les objets de verbes supports tels mittet
uocem ‘il élève la voix’ (26.6), facit commemorationem ‘il fait mémoire’
(24.5) ou fecit orationem ‘il fait une prière’ (19.18) se postposent au
verbe.8) Ces objets ne sont jamais mis en relief en tête de phrase
comme orationes peut l’être (29); en effet, dicet orationem n’est pas un
simple équivalent de orat:

8) Voici le détail: facit orationem (3 occurrences); facit oblationem (2 occurrences);


Mnemosyne 1866_235-261 5/7/2005 5:06 Page 248

248 O. SPEVAK

(29) Orationes etiam ipsae quaecumque fiunt . . ., semper et diei et loco


aptas dicet. (35.4)
‘De même, toutes les prières que l’on fait . . ., sont toujours appro-
priées au lieu et au jour.’
(30) dicet orationem . . . episcopus et orat pro omnibus (24.6)
‘L’évêque dit une prière et prie pour tous.’
Négatifs, les actants 2 se rencontrent de préférence en position
préverbale (31); cette disposition apparaît également pour les expres-
sions limitatives de type aliam . . . non (verbe) nisi . . .
(31) In ipsa autem ciuitatem extra paucos clericos . . . penitus nullum
Christianum inueni, sed totum gentes sunt. (20.8)
‘Dans cette ville, en dehors d’un petit nombre de clercs . . ., je
n’ai trouvé absolument aucun chrétien; ce sont en totalité des
païens.’

4.3. Place du verbe


Un verbe bivalent ne constitue en général pas l’apport informatif
et sa position est variable: il cède la place aux éléments plus
dynamiques (au sens de Firbas 1971), et se positionne à gauche ou
à droite (cf. exemples 17 et 24). Sa place à l’initiale de phrase ne
signifie pas en soi qu’il porte une valeur pragmatique marquée: l’ex-
emple 32 relève du même type que (17) et (24) cités plus haut, avec
l’objet—l’apport informatif répondant à la question qui ai-je rencon-
tré là-bas:
(32) Nam inueni ibi aliquam amicissimam mihi . . . (23.3)
‘J’ai trouvé là une très chère amie à moi . . .’
Toutefois, il n’est pas exclu qu’un verbe bivalent soit porteur de
l’information nouvelle (33). Dans l’exemple suivant, on ne dit pas
ce que les Perses ont entouré, mais ce qu’ils ont fait. L’objet ciuitatem est
topical (à noter istam) et postposé au verbe, comme si l’on voulait
éviter de placer l’élément focal à la fin de la phrase.

facit commemorationem (24.5); iter fecimus (9.4); feci septimana (22.1); fecimus biduum (20.7);
biduanas facit (28.3); fecimus mansionem (23.6). Toutefois, le tour ancien et classique
iter facere montre plutôt l’antéposition (voir Väänänen 1987, 143).
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 249

(33) Transacto ergo aliquanto tempore superueniunt Persi et girant


ciuitatem istam. (19.8)
‘Donc, quelque temps après, les Perses surviennent et encerclent
la ville.’

5. Les verbes trivalents


Cette catégorie n’offre qu’un certain nombre de verbes. D’une
part, il s’agit de verbes nécessitant trois actants obligatoires (A1 sujet,
A2 objet direct, A3 complément d’attribution): ‘dire’ (aio, dico), ‘deman-
der’ (requiro, interrogo, rogo), et ‘donner’ (do), d’autre part, des verbes
qui demandent en plus de deux actants (A1 et A2) un complément
directionnel (C): duco (‘conduire’). Afin de bien observer la position
des compléments obligatoires, nous avons éliminé les occurrences
de ces verbes témoignant d’ellipses contextuelles.9)

5.1. Les verbes ‘dire’ et ‘demander’


Les verbes trivalents avec les actants 2 et 3 (objet direct et indi-
rect) exprimés n’apparaissent pratiquement que dans la première
partie (29 occurrences dans la première, 1 occurrence dans la sec-
onde). L’actant 2 est dans la plupart des cas représenté par une
proposition. Les modèles qui se reproduisent plusieurs fois sont les
suivants:
VA3A1A2 11 occurrences
VA3A2 6 occurrences (dont deux sans sujet exprimé, verbe
à la 1ère personne)
A1VA3A2 6 occurrences
Le premier groupe de verbes trivalents, celui qui renferme les
verbes ‘dire’, et ‘demander’ montre quelques caractéristiques
significatives.
En vertu de leur sens lexical, ils apparaissent dans un contexte
d’échange de paroles pour introduire un discours direct ou indirect.
En conséquence, il n’y a pas de maintien du sujet et ce dernier
doit être, la plupart du temps, réactivé. Il occupe généralement une
place ultérieure dans la phrase:

9) Au nombre de 19 occurrences dans la première partie, et 12 dans la seconde.


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250 O. SPEVAK

(34) Tunc dixit nobis ipse sanctus presbyter: ‘In hodie . . .’ (15.3)
‘Alors ce saint prêtre nous a dit: Aujourd’hui encore . . .’
(35) [ Tunc ego requisiui, ubi esset puteus ille . . .] Et ait mihi episco-
pus: ‘In sexto miliario est . . .’ (20.11)
‘[ J’ai demandé alors où était le puits . . .] L’évêque me dit:
L’endroit se trouve à six milles d’ici . . .’
La réactivation du sujet se produit et dans les phrases de type
‘qu’est-ce qui s’est passé après’ (exemple 34) qui apportent en soi une
information, et dans les phrases qui introduisent l’information même
(exemple 35). En effet, dans ce dernier cas, seule la réponse de
l’évêque est importante (qu’est-ce qu’il a répondu); la phrase introduc-
trice (et ait mihi episcopus) n’a pour fonction que de clarifier l’attri-
bution des paroles et pourrait, de ce fait, être supprimée.
Avec les verbes ‘dire’, le bénéficiaire est dans tous les cas exprimé
par un pronom personnel (mihi, nobis) ou par un syntagme (ad me)
placés après le verbe, ou assez souvent omis par l’ellipse contextuelle.
Les verbes ‘demander’ se construisent avec l’accusatif et leur actant
3 est exprimé par un nom ou groupe nominal, ou avec un syn-
tagme prépositionnel (requisiui ab eo). Leur force lexicale impliquant
un échange d’informations entraîne souvent l’expression du sujet à
la première personne par contraste:
(36) Ac sic ergo nos alia die mane rogauimus episcopum, ut faceret obla-
tionem. (16.7)
‘Pour nous, le lendemain matin, nous avons demandé à l’évêque
de faire l’oblation.’
L’actant 2 est, dans la plupart des cas, représenté par une propo-
sition (complétive, interrogative indirecte); elle se trouve à droite de
la phrase et est parfois annoncée par un cataphorique (illud, hoc)
focalisé par etiam en tête de phrase.
(37) Illud etiam presbyter sanctus dixit nobis, eo quod . . . (15.5)
‘Ce saint prêtre nous a dit également que . . .’

5.2. Le verbe ‘conduire’


Le verbe duco ‘conduire’ représente un verbe trivalent qui requiert
un complément de direction (C) obligatoire (13 occurrences com-
plètes). Le modèle récurrent est le suivant:
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A1VA2C 5 occurrences
VA2C 4 occurrences (sans sujet exprimé, une fois à la 1ère
personne)
Le complément de direction obligatoire pour le verbe duco représente
un constituant important à placer. À une exception près, il figure
en position finale de phrase, car il contient l’information importante
servant de cadre spatial pour le développement suivant. Le com-
plément est continué soit par un pronom (38), soit par un syntagme
(39).
(38) Itaque ergo duxit me primum ad palatium Aggari regis et ibi . . .
(19.6)
‘Il m’a conduite tout d’abord au palais du roi Abgar et m’y a
montré . . .’
(39) Duxit nos episcopus ad puteum illum, ubi . . . ad quem puteum cum
uenissemus. (21.1)
‘L’évêque nous a conduits au puits où . . . Dès notre arrivée au
puits . . .’

6. Le passif
Le passif consiste en une réduction de l’actant 1 et peut con-
cerner les verbes bivalents transitifs aussi bien que les verbes triva-
lents. Le tableau suivant montre leur nombre d’occurrences dans la
première et dans la seconde partie:

Tableau 3. Le passif
Première partie Seconde partie Au total
A2V 23 55 78
VA2 29 116 145

La prévalence de l’ordre VA2 sur A2V, en particulier dans la se-


conde partie (116 : 55), a déjà été signalée plusieurs fois (voir Adams
1976b, 121 sqq.). En revanche, il est intéressant d’ajouter que l’em-
ploi du passif impersonnel (64 occurrences au total)10) est très fréquent

10) Trois verbes seuls apparaissant dans la seconde partie ont été éliminés.
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252 O. SPEVAK

dans la seconde partie (voir infra, 6.2. pour plus de détails). La plu-
part du temps, il est construit à partir des verbes de mouvement
(50 occurrences) et requiert, de ce fait, un complément direction-
nel.11) Ce dernier se positionne de préférence après le verbe (34
occurrences) plutôt qu’avant (16 occurrences).

6.1. Le passif personnel


Le locuteur a recours au passif lorsqu’il ne peut ou ne veut pas
mentionner l’agent du procès: l’actant 2 est ainsi promu en fonc-
tion de sujet. Comme M. Bolkestein (1996) l’a montré pour le latin
classique, il y a une corrélation entre le caractère passif du verbe
et sa place à gauche de la phrase. En effet, ce n’est pas le verbe
mais le sujet qui représente (assez souvent) l’apport informationnel
et en conséquence, se positionne à la fin de la phrase. Telle est la
position des éléments inconnus et indéfinis, introduits pour être
continués (40) ou non, en particulier dans les phrases descriptives
ou dans les explications (41).
(40) De contra ostensus est mihi a sancto episcopo uicus ingens satis . . .
Hic autem uicus . . . (21.4)
‘Le saint évêque m’a montré de loin un village assez grand . . .
Ce village . . .’
(41) Nam in eo loco fixus est usque in hodie lapis grandis. (5.3)
‘De ce fait, en cet endroit est plantée en terre, aujourd’hui encore,
une grande pierre.’
L’exemple 40 peut être comparé avec la phrase transitive (voir
l’exemple 17 cité supra); uicus est le nouvel élément repris par
l’anaphore dans la phrase suivante (hic uicus); on notera que uicus—
sujet dans la phrase passive occupe la même place que s’il était
objet d’une phrase active, comme J. Adams l’a très justement fait
remarquer (1976a, 95). Leur place se justifie par leur fonction prag-
matique.
Le sujet des phrases passives peut être mis en relief à l’initiale:
dans ce cas, il est précédé de et ou suivis de etiam:

11) Pour le passif personnel, le circonstant apparaît seulement 7 fois et con-


cerne le verbe duco; il se positionne avant le groupe A1V (4 occurrences) ou après
le groupe A1V (3 occurrences).
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 253

(42) Oton etiam ostensum est nobis. (7.5)


‘On nous a montré aussi Othon.’
(43) Loca etiam ea de euangelio leguntur, in quibus Dominus allocutus
est . . . (35.3)
‘On lit aussi, tirés de l’évangile, ces passages où le Seigneur
entretint . . .’
La position initiale peut être attribuée aux sujets topicaux: en (44)
et (45), ni le sujet ni le verbe ne représentent l’apport informa-
tionnel (ce sont cum infinito labore et per totum annum respectivement).
Il s’agit, la plupart du temps, de développements d’ordre secondaire.
(44) coepimus ascendere montes singulos. Qui montes cum infinito labore
ascenduntur, quoniam . . . (3.1)
‘nous avons commencé à faire l’ascension de chacune de ces
montagnes. C’est avec une peine extrême que l’on fait l’ascen-
sion de ces montagnes.’
(45) Haec ergo consuetudo singulis diebus ita per totum annum cus-
toditur, exceptis diebus sollemnibus. (25.4)
‘Cet usage est observé tous les jours durant l’année, sauf les jours
de fête.’
La même disposition peut apparaître dans d’autres circonstances,
par exemple lorsque le verbe est négatif, comme en (46) qui ap-
porte une explication, ou en (47), où il s’agit d’un contraste (lumen
est topical):
(46) Nam memoria illius, ubi positus sit, in hodie non ostenditur. (12.2)
‘De fait, de tombeau où il fut déposé, on n’en montre pas jusqu’à
ce jour.’
(47) Lumen autem de foris non affertur, sed de spelunca interiori eici-
tur. (24.4)
‘Le feu n’est pas apporté du dehors, mais il est tiré de l’intérieur
de la grotte.’
Les sujets postposés dans la seconde partie correspondent le plus
souvent au besoin de décrire la suite des actions: qu’est-ce qui se passe
ensuite et qui est concerné par cette action; et non pas qui est béni ou qui
est annoncé. Quelques exemples pour illustrer ce phénomène:
(48) Benedicuntur ab episcopo primum cathecumini, item fideles. (25.7)
‘L’évêque bénit les catéchumènes d’abord, les fidèles ensuite.’
(49) Iam autem, ut fiat missa, denuntiatur pascha, id est subit pres-
byter . . . (29.5)
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254 O. SPEVAK

‘Avant qu’ait lieu le renvoi, on annonce Pâques, c’est-à-dire que


le prêtre monte . . .’
(50) Primum aguntur gratiae Deo . . ., postmodum . . . (25.3)
‘D’abord, on rend grâces à Dieu . . . puis . . .’

6.2. Le passif impersonnel


La fréquence du passif impersonnel dans la seconde partie de
l’Itinerarium s’inscrit dans la ligne générale de ce texte qui consiste
à décrire le déroulement de la liturgie (qu’est-ce qui se passe). Le sujet
effacé, l’action même est exprimée. Un exemple intéressant est donné
en (51) qui montre un passif impersonnel suivi de l’agent du procès—
l’enchaînement est de type ‘explicatif ’—puis retour au passif imper-
sonnel:
(51) Et iam inde descenditur cum ymnis, omnis populus usque ad unum
toti cum episcopo ymnos dicentes . . .; sic uenitur lente et lente
usque ad Martyrium. (43.6)
‘Ensuite, on descend de là avec des hymnes, tout le peuple sans
exception accompagnant l’évêque . . . Ainsi va-t-on, lentement,
lentement, jusqu’au Martyrium.’
Les passifs impersonnels sont majoritairement construits à partir
des verbes de mouvement avec un complément de direction obliga-
toire (tel ‘venir quelque part’). Ce dernier se positionne de préférence
à la fin de la phrase, mais peut occuper la position préverbale
lorsque les compléments sont multiples (cf. (22), cité supra). Un exem-
ple pour illustrer ce phénomène:
(52) Quarta feria autem in Eleona proceditur, quinta feria ad Anastase,
sexta feria in Sion, sabbato ante Cruce, dominica autem die . . .
denuo in ecclesia maiore. (39.2)
‘Le mercredi, on se rassemble à l’Éléona, le jeudi à l’Anastasis,
le vendredi à Sion, le samedi devant la Croix, le dimanche . . .
à nouveau au Martyrium.’

7. Les verbes bivalents intransitifs


À cette catégorie appartiennent les verbes de mouvement tels
uenio, proficior, intro, regredior qui exigent un complément de direction,
ainsi que le verbe sum qui, accompagné d’un complément de lieu,
exprime une localisation.
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 255

7.1. Le verbe ‘venir’


Parmi les 98 occurrences,12) nous avons retenu ces modèles récur-
rents:
VA1C 20 occurrences
A1CV 13 occurrences
A1VC 11 occurrences
VC 49 occurrences (dont 41 à la 1ère personne)
La direction constitue la plupart du temps l’apport informatif
(surtout dans la première partie) et de ce fait, le complément de
direction se retrouve à la fin de la phrase. Une telle disposition per-
met de le topicaliser dans la phrase suivante à l’aide d’un anaphorique
(ubi ). Toutefois, les compléments de direction sont quelquefois suivis
par des constituants moins dynamiques (hora forsitan decima en 54).
(53) Unde denuo proficiscens, peruenimus in nomine Christi Dei nos-
tri Edessam. Vbi cum peruenissemus . . . (19.2)
‘Repartant de là, nous sommes arrivés, au nom du Christ notre
Dieu, à Édesse. Dès notre arrivée . . .’
(54) Ac sic ergo perdescenso monte Dei peruenimus ad rubum hora
forsitan decima. Hic est autem rubus . . . (4.7)
‘Après avoir achevé la descente de la montagne de Dieu, nous
sommes arrivés au buisson vers la dixième heure. C’est de ce
buisson que . . .’
Les compléments de direction peuvent être mis en relief en tête
de phrase, mais ils le sont moins souvent que d’autres constituants
obligatoires:
(55) Ubi cum peruentum fuerit, statim sic in Anastase ingreditur epis-
copus et omnes cum eo, ubi luminaria iam supra modo lucent.
(25.7)
‘Quand on y est arrivé, l’évêque et tous avec lui entrent aussitôt
à l’Anastasis, où des lampes brillent déjà d’un extrême éclat.’

7.2. Le verbe ‘être—se trouver’


Le verbe sum accompagné d’un complément de lieu obligatoire
apparaît notamment dans la première partie (29 occurrences; 5

12) 34 cas ont été éliminés car incomplets.


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256 O. SPEVAK

occurrences dans la seconde). Les modèles les plus fréquents sont


les suivants:
CA1V 11 occurrences
A1CV 8 occurrences
A1VC 7 occurrences
CVA1 6 occurrences
De manière générale, les verbes monovalents ont une forte ten-
dance à se positionner à gauche de la phrase, en particulier lorsqu’il
s’agit de présenter une nouvelle entité (voir Bolkestein 1996). Cela
se manifeste également dans les langues romanes qui disposent d’ar-
ticles. Comparons le cas des phrases suivantes qui localisent une
entité indéfinie (a) et définie (b):
(a) Il y a un livre sur la table.
(b) Le livre est sur la table.
Lorsqu’il s’agit d’introduire un nouvel élément (procédé qui n’est
toutefois pas dominant au point de vue statistique—6 occurrences),
le modèle CVA1 se rencontre; le complément de lieu représenté par
un adverbe anaphorique du type ibi (57) ou un syntagme préposi-
tionnel (56) placé en tête de phrase, suivent le verbe esse et l’entité
localisée. Cette dernière représente l’élément nouveau, indéfini (56)
ou défini (57) sans être marqué comme tel, et a tendance à occu-
per une place ultérieure dans la phrase. Lorsque le substantif est
accompagné d’un adjectif épithète, le verbe esse se positionne entre
eux (58).
(56) In eo ergo loco est nunc ecclesia, non grandis . . ., quae tamen
ecclesia habet de se gratiam grandem. (3.3)
‘À cet endroit, il y a maintenant une église; pas grande . . .,
l’église en elle-même est d’une grande beauté.’
(57) Inibi est ergo usque in hodie spelunca, in qua sedit ipse sanc-
tus, et ibi est memoria sancti Gethae . . . (16.1)
‘Il y a là aujourd’hui encore la grotte dans laquelle demeura ce
saint, là encore le tombeau de saint Jephté . . .’
(58) In eo enim loco ecclesia est elegans. (36.1)
‘À cet endroit, il y a une gracieuse église.’
L’entité peut être focalisée en tête de phrase, tout en étant indéfinie,
parfois précédée de et. Ce modèle se rencontre en particulier dans
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 257

des explications. Dans l’exemple suivant, on notera que l’anaphorique


ibi est repoussé de sa place initiale:
(59) Nam castrum est ibi nunc habens praepositum cum milite . . . (7.4)
‘Il y a là maintenant un fort avec un officier et sa troupe . . .’
Ni la fonction syntaxique, ni le caractère indéfini n’exigent une dis-
position et une seule. Le latin a ainsi encore plus de liberté que les
langues slaves, où un sujet à l’initiale d’une phrase locative (type a,
cité supra) recevrait, surtout dans un texte écrit, une interprétation
définie (voir Siewierska & Uhléßrová 1998, 125).

8. Les verbes monovalents


Les verbes monovalents nécessitent un seul actant—le sujet. Le
tableau ci-dessous présente les données chiffrées correspondant à la
position de l’actant 1 et du verbe.13)

Tableau 4. Les verbes monovalents


Première partie Seconde partie Au total
A1V 20 45 65
VA1 35 108 143

Nous pouvons remarquer que l’ordre Verbe—Actant 1 prévaut


dans la seconde partie (108 : 45). Toutefois, au sein des verbes
monovalents, il convient de distinguer au moins deux groupes séman-
tiques qui montrent un comportement similaire: d’une part, les
verbes qui expriment une position, ‘rester’, d’autre part, ceux qui
marquent le procès d’‘apparaître’. La place postverbale d’un nou-
vel élément est fréquente dans diverses langues (Dik 1997, I.311).
Comparons les phrases suivantes qui expriment le départ d’un train
indéfini (a) et défini (b); la place postverbale est possible seulement
dans le cas du sujet indéfini:

13) 32 cas incomplets ont été éliminés.


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258 O. SPEVAK

(a) È partito un treno.


(b) Il treno è partito.

8.1. Le verbe ‘être—rester’


L’actant 1 des verbes monovalents du type ‘être—rester’ se posi-
tionne à droite de la phrase, lorsqu’il constitue l’apport informa-
tionnel:
(60) Remanent dies quadraginta et unum, qui ieiunantur. (27.1)
‘Il restent quarante et un jour où l’on jeûne.’
Toutefois, un autre constituant que le sujet ou le verbe peut
apporter l’information essentielle, comme par exemple usque in hodie
dans l’exemple suivant (61); en effet, hi fontes est un topique:
(61) Ex ea die hi fontes usque in hodie permanent hic gratia Dei.
(19.12)
‘Et depuis ce jour jusqu’à présent, ces fontaines continuent de
couler ici par la grâce de Dieu.’

8.2. Le verbe ‘apparaître’


L’actant 1 des verbes comme ‘apparaître’, ‘surgir’ ainsi que leurs
contraires, occupe normalement une place ultérieure dans la phrase,
en particulier lorsqu’il s’agit d’introduire un futur topique (62 et 63):
(62) Quo ad subito fodientibus illis adparuit lapis: quem lapidem cum
perdiscoperuissent . . . (16.6)
‘Et soudain une dalle apparut aux fouilleurs. Lorsqu’ils eurent
dégagé cette dalle . . .’
(63) Ecce et occurrit presbyter ueniens de monasterio suo, qui ipsi eccle-
siae deputabatur, senex integer et monachus . . . (3.4)
‘Voici que vint à notre rencontre, arrivant de son ermitage, le
prêtre qui était chargé de cette église, un vieillard bien con-
servé . . .’
(64) Ecce et superuenit episcopus cum clero et statim ingreditur intro
spelunca. (24.2)
‘Voici qu’arrive alors l’évêque avec le clergé; il entre aussitôt
dans la grotte.’
Une telle disposition, à savoir VA1, est possible et pour les phrases
qui possèdent un topique (62, fodientibus illis), et pour celles qui en
sont dépourvues et apportent une information entièrement nouvelle.
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Tel est le cas de (64), où on décrit ce qui se passe, en témoigne le


présentatif ecce qui attire l’attention sur un événement inattendu. La
disposition est la même pour les sujets indéfinis (63) et définis (64).
8.3. Les autres verbes monovalents et leurs actants se positionnent
conformément aux règles générales: les actants topicaux à l’initiale
(65), ainsi que les actants de caractère focal (tel l’intensif tantus en
(66) et les cataphoriques annonçant les complétives (67).
(65) Qui rubus usque in hodie uiuet et mittet uirgultas. (4.6)
‘Buisson qui, aujourd’hui encore, est vivace et porte des pousses.’
(66) Ad subito tantae tenebrae factae sunt foras ciuitatem tamen ante
oculos Persarum. (19.9)
‘Il se fit soudain de profondes ténèbres mais hors de la ville,
devant les yeux des Perses.’
(67) Hoc solum hic amplius fit, quod infantes . . . simul cum episcopo
primum ad Anastase ducuntur. (38.1)
‘La seule chose qui se fasse en plus, c’est que les néophytes . . .
sont conduits tout d’abord à l’Anastasis avec l’évêque.’

9. Les structures attributives


Dans les phrases attributives (26 occurrences), le substantif en
fonction d’un attribut se positionne à droite après le verbe esse:
(68) Heroum autem ciuitas . . . nunc est come, sed grandis, quod nos
dicimus uicus. (7.7)
‘Héroonpolis . . . est maintenant un village, mais important, ce
que nous appellons un uicus.’

Le verbe esse apparaît également dans les phrases présentatives


qui servent à identifier une entité (24 occurrences); cependant leur
structure offre peu de variations. Le modèle dominant est le sui-
vant: le démonstratif hic accordé au substantif, le verbe esse, le sub-
stantif et une relative (69). Le substantif peut être accompagné d’un
ipse (70). Dans l’Itinerarium, seul ce type de phrases présente une extra-
position—celle du sujet (4 occurrences), comme en (71) ecce ista uia.
(69) Haec est uallis Corra, ubi sedit sanctus Helias Thesbites tempo-
ribus Achab regis. (16.3)
‘C’est la vallée de Corra, où résida Élie le Thesbite au temps
du roi Achab.’
(70) Hic est ipse locus, ubi benedixit sanctus Moyses . . . (10.6)
‘C’est l’endroit où saint Moïse bénit . . .’
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260 O. SPEVAK

(71) Nam ecce ista uia, quam uidetis transire inter fluuium Iordanem
et uicum istum, haec est qua uia regressus est sanctus Abraham . . .
(14.3)
‘Et cette route que vous voyez passer entre le fleuve du Jourdain
et ce village, c’est celle par laquelle saint Abraham est revenu . . .’

10. Conclusions
Les deux parties de l’Itinerarium sont différentes quant au type de
texte: la première décrit des entités et comporte de nombreux élé-
ments assignés comme topiques, la seconde décrit des événements
et le degré de topicalité est plus faible. Cet aspect se manifeste, de
façon importante, dans l’ordre de mots.
En prenant comme point de départ le type de verbes et le nom-
bre de constituants obligatoires et en nous limitant à eux, nous
avons essayé de montrer qu’une telle approche permet de réunir
des constituants syntaxiques différents, porteurs assez souvent d’une
même fonction pragmatique. L’ordre des constituants dans l’Itinerarium
dépend effectivement des fonctions pragmatiques assignées aux con-
stituants. La place postverbale de l’objet—Actant 2 n’est pas re-
quise par des contraintes syntaxiques, mais correspond à la fonction
pragmatique de focus. C’est, par ailleurs, la même place que celle
des compléments de direction ou des sujets dans les constructions
passives. Le fait que l’objet puisse figurer à l’initiale de la phrase
témoigne des libertés de l’ordre des constituants. En outre, les caté-
gories ‘défini’ et ‘indéfini’ ne sont pas associées à un ordre parti-
culier. Dans de nombreux cas, le topique et le focus ne sont pas
formellement dissociés; l’élément ‘connu’ a tendance à se position-
ner à l’initiale, l’élément ‘nouveau’ à la fin, mais leur place ne
garantit pas une telle interprétation. Les anaphoriques et les démon-
stratifs ne font qu’accompagner le topique tout en restant faculta-
tifs. L’Itinerarium ne montre pas un ordre des constituants figé: il s’agit
bien d’un ordre latin.

Université de Toulouse 2—Le Mirail


Département de Lettres et Langues anciennes
5, allées Antonio-Machado
F-31058 T cedex 1
spevak@univ-tlse2.fr
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ITINERARIUM EGERIAE: L’ORDRE DES CONSTITUANTS 261

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