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Des milliardaires américains financent discrètement des campagnes de désinformation en Europe

Par Damien Leloup

08/03/2019 mis à jour à 08h38

Un petit groupe de très riches américains soutient indirectement plusieurs sites de


« réinformation » et de campagnes publicitaires en ligne en Europe.

Il n’y a pas que les Etats qui mènent des opérations de désinformation. Depuis plusieurs années, un
petit groupe de milliardaires américains, qui financent dans leur pays l’aile droite du Parti républicain,
ont aussi soutenu des campagnes de diffusion de fausses informations dans plusieurs pays de l’Union
européenne.

Contrairement aux agents de l’Internet Research Agency – l’organisation russe de propagande en ligne
–, ces hommes d’affaires ne disposent pas d’équipes nombreuses, ni d’armées de faux comptes sur
Twitter ou Facebook. Mais leur argent leur permet de financer de petits groupes d’activistes et des
entreprises de communication politique spécialisées, dont l’action est ensuite démultipliée en ligne
par l’achat de publicités sur les réseaux sociaux pour diffuser leur message.

Au cœur du dispositif se trouve notamment Robert Mercer, le codirigeant du puissant fonds


d’investissement Renaissance Technologies, et sa fille Rebekah, qui ont financé le lancement
de Breitbart News, le site conspirationniste fer de lance de l’« alt-right » (« droite alternative »,
mouvance d’extrême droite) et de la campagne de Donald Trump. Steve Bannon, l’ancien conseiller
du président, en était le rédacteur en chef. « Ce sont les Mercer qui ont posé les bases de la révolution
Trump, expliquait M. Bannon en 2018 dans un entretien auWashington Post. Si vous regardez qui sont
les donateurs politiques de ces quatre dernières années, ce sont eux qui ont eu le plus grand impact. »

Vidéos des « gilets jaunes »

Mais la générosité des Mercer ne s’arrête pas aux frontières des Etats-Unis. Ils financent
également l’institut Gatestone, un think tank néoconservateur orienté vers l’Europe, qui publie des
articles dans de nombreuses langues, dont le français. Mais aussi le média canadien The Rebel, qui
s’intéresse beaucoup à l’actualité du Vieux Continent. En 2017, l’un de ses salariés, Jack Posobiec,
avait très largement contribué à la diffusion des « MacronLeaks », ces e-mails volés à plusieurs
membres de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron publiés en ligne deux jours avant le deuxième
tour de la présidentielle française. M. Posobiec avait été l’un des premiers à évoquer la publication
des documents, et permis leur diffusion très rapide dans les sphères de la droite américaine.

Lire sur le sujet :« MacronLeaks », compte offshore : l’ombre des néonazis américains

La longue traîne des activités de Rebel Media Group, l’éditeur de The Rebel, s’étend sur plusieurs pays.
En France, récemment, le site a envoyé son correspondant à Londres, Jack Buckby, et l’une de ses
collaboratrices, Martina Markota, pour filmer des vidéos sensationnalistes des manifestations des
« gilets jaunes ». Martina Markota, qui est Américano-Croate, mène aussi d’autres projets en Europe
pour Rebel Media, comme ces vidéos consacrées à la « résistance culturelle » en Pologne ou sur
les « mensonges des médias sur la patriotique Croatie ».

La ligne du site et de ses différentes filiales est proche de celle de Breitbart News : ses articles
dénoncent pêle-mêle l’immigration, l’islamisme, les gauches américaines, canadiennes,
européennes… Le site dépeint une Europe au bord de l’effondrement, notamment à cause de
l’immigration, et a fait campagne pour le Brexit.
Sollicité par Le Monde, Ezra Levant, le fondateur de Rebel Media, n’a pas répondu à nos questions.
Dans un courriel, il a estimé que « Le Monde qui fait un article sur l’ingérence étrangère, c’est comme
si Harvey Weinstein dirigeait une enquête sur le harcèlement sexuel ». Il a par ailleurs demandé s’il
devait transmettre ses réponses « à votre agent traitant à l’ambassade de Russie » – référence à une
supposée instrumentalisation du Monde par le KGB pendant la guerre froide.

« Haine et désinformation »

Rebel Media bénéficie d’un autre soutien financier de poids. Le milliardaire Robert Shillman, qui a fait
fortune dans les machines-outils avec sa société Cognex, a contribué à payer les salaires de journalistes
du site. M. Shillman finance de très nombreux projets anti-islam, dont le centre Horowitz, décrit par
l’organisation de lutte contre la haine SPLAcomme la source « d’un réseau de projets donnant aux voix
antimusulmanes et aux idéologies les plus radicales une plate-forme pour diffuser la haine et la
désinformation ».

Si l’investissement détaillé de M. Shillman dans Rebel Media n’est pas connu, en revanche, il est public
que le milliardaire a financé les salaires de plusieurs « Shillman Fellows », qui travaillent ou ont
travaillé pour Rebel Media. Par ses différentes fondations et des attributions de bourses
(« fellowships »), M. Shillman a ainsi financé plusieurs groupes et militants d’extrême droite en
Europe. Aux Pays-Bas, il est un important soutien du chef de file d’extrême droite Geert Wilders, qui
reçoit depuis des années des aides par le biais de la fondation Horowitz. L’extrême droite américaine,
qui admire M. Wilders et voit dans les Pays-Bas un terrain de lutte privilégié, y finance divers canaux
de propagande politique.

L’institut Gatestone, par exemple, qui a financé la production de vidéosdans le pays par Rebel Media,
et notamment Gangster Islam, un petit film anti-immigration du journaliste Timon Dias, « fellow »
rémunéré de l’institut. M. Dias a depuis lancé un projet de site anglophone d’actualité « branchée »
et très à droite, The Old Continent, et travaille en parallèle pour Geenstijl (« aucun style », en
néerlandais), un blog « politiquement incorrect » régulièrement accusé de sexisme et de racisme.

Mais le rôle de Rebel Media et de ses généreux donateurs est encore plus surprenant dans les pays
anglophones d’Europe. Fin 2018, The Timesrévélait que quatre militants de l’extrême droite
britannique avaient bénéficié d’une bourse financée par Robert Shillman, et avaient été salariés par
Rebel Media avec un financement du milliardaire américain. Ce petit groupe était dirigé par Tommy
Robinson, fondateur du groupuscule d’extrême droite English Defense League et proche du parti UKIP
et de son ex-chef Nigel Farage.

Publicité anti-IVG

Le groupe écrivait des articles et des vidéos anti-immigration et pro-Brexit. Le projet a tourné court
en mai 2018, quand M. Robinson a été arrêté et condamné à treize mois de prison pour un reportage
provocateur et islamophobe.

Après son arrestation, Tommy Robinson a été l’objet d’articles prenant sa défense dans l’ensemble
des médias financés par Robert Shillman ; le think tank Middle East Forum, qui compte parmi ses
principaux contributeurs les frères Charles et David Koch, des milliardaires américains
ultraconservateurs, a financé ses frais de justice, comme il l’avait fait en 2009 pour ceux de Geert
Wilders.

Le 26 février, Facebook a annoncé avoir supprimé les comptes de M. Robinson sur Facebook et sur
Instagram, en raison de « violations répétées de nos règles, de la publication de contenus
déshumanisants et d’appels à la violence contre les musulmans ». La mesure est exceptionnelle pour
une figure politique connue ; son compte Facebook comptait plus d’un million d’abonnés ; il ne
conserve que sa chaîne YouTube.

Lire aussiLes Mercer, bonne fortune de Donald Trump

Un autre compte Facebook a été brièvement inaccessible ce 26 février, géré par un homme qui
apparaissait souvent dans les vidéos de M. Robinson et faisait partie du petit groupe financé par
M. Shillman : Caolan Robertson. Cet ancien salarié de Rebel Media, qui a depuis claqué la porte avec
fracas en accusant son ex-employeur de malversations financières, est un jeune militant de l’« alt-
right », coutumier des coups d’éclat en ligne. En avril 2018, alors que l’Irlande s’apprête à voter pour
le référendum sur le droit à l’avortement, sa silhouette apparaît subitement dans les fils Facebook de
milliers d’internautes. Dans une vidéo publicitaire, on voit le jeune homme interpeller des femmes qui
manifestent en faveur du droit à l’IVG ; le montage est conçu pour leur donner l’air ridicule.

En quelques semaines, la vidéo a été vue plus d’un million de fois – dans un pays de 4 millions
d’habitants. Qui a financé cette publicité ? M. Robertson a affirmé qu’elle avait été payée par « une
entreprise américaine ». Quelques semaines avant le vote, face au tollé suscité en Irlande par les
nombreuses campagnes financées par des groupes étrangers et notamment américains, Facebook
avait annoncé bloquer toutes les « publicités étrangères » et promis de publier les données liées à ces
publicités. Près d’un an plus tard, les données sont toujours en cours de compilation, explique
Facebook au Monde, mais devraient être mises en ligne « dans les prochaines semaines ». La vidéo où
apparaît Caolan Robertston, elle, est toujours en ligne.

Notre dossier complet sur le sujet

 Enquête – Des milliardaires américains financent discrètement des campagnes de


désinformation en Europe

 Focus – Harris Media, l’agence texane préférée des extrêmes droites européennes

 Décryptage – Publicités politiques : les hésitations des gouvernements et des réseaux


sociaux

 Analyse – Campagnes d’influence : à l’Ouest, du nouveau

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