LRL 101 0027

LE NŒUD DU FANTASME
Claude Landman
ERES | « La revue lacanienne »
2010/1 n° 6 | pages 27 à 35
ISSN 1967-2055
ISBN 9782749212098
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Pour citer cet article :

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Claude Landman, « Le nœud du fantasme », La revue lacanienne 2010/1 (n° 6),
p. 27-35.
DOI 10.3917/lrl.101.0027
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Lacanienne 6/200 p/XP7 :Mise en page 1 9/04/10 16:59 Page 27
Le nœud du fantasme
Claude Landman
Psychiatre, psychanalyste
Dans les séminaires Encore (1973) et Le sin- venirs. Elles sont produites au moyen de
thome (1975), Lacan nous propose une écri- choses qui sont entendues et utilisées
ture nodale du fantasme, obtenue par après-coup, et elles combinent ainsi ce qui
transformation chirurgicale du nœud bor- a été vécu et ce qui a été entendu, ce qui
roméen. Cette écriture diffère tout en la est passé (tiré de l’histoire des parents et
prolongeant de celle qu’il a introduite avec des grands-parents) avec ce qui a été vu
le graphe du désir, dès Les formations de par la personne elle-même 2. »
l’inconscient (1958), sous une forme à la fois Ces propos appellent plusieurs remarques.
logique (intersection et réunion) et topolo- La première est que même si Freud sera
gique (coupure) : S ◊ a. Avant d’examiner amené à évoluer sur ce que recouvre le
ce que cette nouvelle écriture est suscep- terme de scène originaire (Urszene), il
tible de nous apporter dans la pratique, il maintiendra jusqu’à la fin que cette der-
convient de rappeler le statut, décisif pour nière se rapporte toujours à la jouissance
la psychanalyse, du fantasme inconscient du père, avec l’incidence traumatique et
« comme moteur de la réalité psychique 1 ». la fixation à une jouissance pulsionnelle
Avec Freud
régressive et masochiste qui en résulte
pour le sujet, garçon ou fille ; qu’il
s’agisse du père séducteur incestueux
Dans le manuscrit L, adressé à Fliess le (Études sur l’hystérie), du père flagellateur
26 mai 1897, Freud, qui n’a pas encore (Un enfant est battu), ou de la scène du coït
abandonné sa Neurotica, situe à propos de entre les parents, surtout a tergo, que
ce qu’il appelle l’architecture de l’hysté- celle-ci ait été observée, ou qu’elle se soit
rie, le mode de formation du fantasme et déposée sous la forme d’un fantasme ori-
sa fonction dans la cure : « Le but semble ginaire (Urphantasie) transmis par la voie
être d’atteindre les scènes originaires. On de la phylogenèse, en référence au mythe
y parvient directement pour quelques- du meurtre du père de la horde primitive
unes, pour d’autres seulement par des dé- dans Totem et tabou. Notons encore que
tours, en passant par des Phantasien. Les cette scène originaire est exceptionnelle-
Phantasien sont en effet des constructions
psychiques avancées qui sont élevées
1. Jacques Lacan, Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001,
pour barrer l’accès à ces souvenirs. Les
p. 358.
Phantasien sont en même temps au service 2. Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, Édition
de la tendance à épurer, sublimer les sou- complète, Paris, PUF, 2006, p. 305.
La Revue Lacanienne
27
Le dossier – Les implications cliniques du nœud borroméen
ment retrouvée par le patient, qu’elle est cet algorithme, rappelons qu’il renvoie à
le plus souvent reconstruite dans l’ana- la topologie développée dans le séminaire
lyse. C’est cette insistance de Freud à re- L’identification (1961). Il s’obtient par une
construire, parfois à la limite du forçage, coupure en double boucle sur le cross-
une scène originaire invariablement orga- cap, figurée par le poinçon, qui détache
nisée par la jouissance du père à laquelle deux éléments distincts et hétérogènes :
se noue celle du sujet, qui a fait dire à – une bande à une seule face, dite « bande
Lacan : « Rappelez-vous le développe- de Möbius » et notée S barré, S, pour mar-
ment, si central pour nous, de l’Homme quer qu’elle est équivalente à la coupure ;
aux loups, pour comprendre quelle est la – un disque biface que Lacan désigne
véritable préoccupation de Freud à me- comme étant l’objet a.
sure que se révèle pour lui la fonction du
Ajoutons encore que ce repérage du fan-
fantasme. Il s’attache, et sur un mode
tasme inconscient dans la cure n’est pos-
presque angoissé, à interroger quelle est
sible que parce que Lacan identifie :

la rencontre première, le réel, que nous
– d’une part, la topologie et la structure
pouvons affirmer derrière le fantasme 3. »
du langage, la structure du signifiant :
La deuxième remarque se rapporte à la « Dans un écrit que vous verrez paraître
double fonction que Freud attribue au en pointe de mon discours (il s’agit de
fantasme : une fonction défensive qui L’étourdit), je crois démontrer la stricte
barre l’accès à la scène originaire à l’ori- équivalence de topologie et structure 5 » ;
gine des symptômes et en même temps ce – d’autre part, la structure du langage et
qui, dans la cure, permet de reconstruire l’inconscient : « La structure, oui, dont la
cette même scène. Lacan résumera cette psychanalyse impose la reconnaissance,
double fonction du fantasme de la ma- est l’inconscient 6. »
nière suivante : « Le réel est ce qui sup-
porte le fantasme, le fantasme est ce qui Autrement dit, si l’inconscient a une struc-
protège le réel 4. » ture topologique, qu’il s’agisse du cross-cap
ou du nœud borroméen, c’est qu’il est fait
La troisième remarque concerne le mode comme un langage, qu’il se déploie dans les
sur lequel Freud conçoit la formation du effets du signifiant. Dès lors, la topologie de
fantasme, soit la cristallisation dans un Lacan n’est pas à entendre comme un mo-
temps logique, de deux éléments hétéro- dèle qui permettrait de rendre compte de la
gènes : l’entendu du discours qui vient de structure de l’inconscient, elle est cette
l’Autre, celui des parents et des grands-
parents, et le vu qui renvoie à la part qu’y
engage le sujet. 3. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le
S◊a Seuil, 1973, p. 54.
4. Ibid., p. 41.
Lacan repartira de la combinaison repé- 5. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore,
Paris, Le Seuil, 1975, p. 14.
rée par Freud de ces deux éléments dans
6. Préface à l’ouvrage de Robert Georgin, Cahiers
le fantasme, pour en produire l’écriture S
◊ a. Sans entrer dans l’analyse détaillée de
Cistre, 1977, Lacan, 2e édition, Paris, L’Âge d’homme,
coll. « Cistre-essai », 1984, p. 13.
La Revue Lacanienne – n° 6
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structure même, ce qui figure l’effet du si- réalité, en constitue le cadre. C’est ce que
gnifiant, en tant qu’il substitue à un orga- montre Lacan par la reprise, dans une note
nisme animal, un corps support de la de 1966, du schéma R, développé dans le
jouissance. C’est la raison pour laquelle le texte D’une question préliminaire à tout traite-
signifiant, pour la psychanalyse, excède la ment possible de la psychose (1958). La réalité
référence linguistique : il se rapporte à ce n’est que le tenant lieu du fantasme, elle est
que Lacan nomme la substance jouissante. Il « ce champ [qui] ne fonctionne qu’à s’ob-
profitera même de la présence de Jakobson, turer de l’écran du fantasme 7 ». Le fan-
lors de la séance du 19 décembre 1972 du tasme est ainsi ce qui supporte le monde
séminaire Encore, pour forger le terme de de la représentation, du semblant et sou-
linguisterie, destiné à remplacer pour les tient le désir comme manque: « C’est donc
psychanalystes celui de linguistique, laissé en tant que représentant de la représenta-
aux linguistes. Le signifiant en effet est im- tion dans le fantasme, c’est-à-dire comme
prédicable, impossible à définir et à collec- sujet originairement refoulé, que le S, S
tiviser, son statut comme élément reste barré du désir, supporte ici le champ de la
indéterminé dans un éventail qui va du réalité, et celui-ci ne se soutient que de l’ex-
phonème à la locution proverbiale, voire au traction de l’objet a qui pourtant lui donne
poème, en passant par le mot et la phrase. son cadre 8. » La référence à la coupure
La signifiance a certes un effet de signifié, selon les vecteurs mi et MI est ici explicite
mais elle fuit, elle est le tonneau percé qui (fig. 1) : « Nous voulons dire que seule la
évoque la jouissance perdue. Mais alors coupure révèle la structure de la surface
d’où émerge le Un, la coupure qui fait élé- entière [il s’agit du cross-cap] de pouvoir y
ment dans le langage ? Lacan y répondra détacher ces deux éléments hétérogènes
par un dire sous la forme d’une proféra- que sont (marqués dans notre algorithme S
tion : Yadl’un… qui manque, afin de mar- ◊ a du fantasme) : le S, S barré de la bande
quer qu’une écriture littérale se dépose ici à attendre où elle vient en effet, c’est-à-
dans l’inconscient, à la place d’un signifiant dire recouvrant le champ R de la réalité, et
qui fait défaut, d’un signifiant perdu ou, ce le a qui correspond aux champs I et S 9. »
qui revient au même, primordialement re-
foulé, noté par le mathème S (A).
Les avancées de Lacan
L’écriture du fantasme produite par

Lacan lui permettra d’avancer, par rap-
port à Freud, sur des points importants
tels que le statut de la réalité ou la direc-
tion de la cure et sa terminaison. Figure 1
En effet, contrairement à ce que Freud
laisse supposer en distinguant la réalité
7. Jacques Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 553.
psychique de la réalité matérielle, le fan- 8. Ibid., p. 554.
tasme inconscient, loin de s’opposer à la 9. Ibid.
La Revue Lacanienne
29
La référence au cross-cap et à l’écriture S ◊ a mais ce dont nous avons à parler sous le

qui s’en déduit, permettra aussi à Lacan de terme a est justement un objet externe à
reprendre la question de la fin de l’analyse toute définition possible de l’objecti-
là où Freud l’avait laissée dans le texte de vité 10. » Identifier ainsi avec Lacan la figure
1937, Analyse avec fin et analyse sans fin. Il y du père imaginaire dans le fantasme à l’ob-
fait état, en prenant appui en particulier jet a engage la direction de la cure tout au-
sur le cas à épisodes de l’Homme aux loups, trement et permet d’imaginer une
du point de butée de l’analyse que consti- modalité de la jouissance différente du ma-
tue ce qu’il appelle le roc de la castration sochisme qui s’attache à l’amour du père.
qui se décline sous la forme d’un fantasme La fin de l’analyse, qui dépend ainsi du
inconscient résiduel, séquelle du complexe désir de l’analyste, peut alors être située
d’Œdipe. Il se distribue selon des modali- comme la reconnaissance par le sujet de sa
tés distinctes chez un homme et chez une division, effet de la coupure que le signi-
femme : menace de castration chez l’un, fiant produit sur le corps et qui détache
c’est-à-dire la crainte d’être féminisé dans certains objets sous les espèces notam-
le rapport avec un autre homme, Penisneid, ment de la voix ou du regard ; extraction et
envie du pénis, chez l’autre. En réalité, chute de l’objet a qui, ainsi que nous
dans la mesure où le fantasme originaire l’avons vu plus haut, donne son cadre à la
inconscient qui est reconstruit par l’ana- réalité. Dans un tel moment, le champ de
lyste met en scène la figure d’un père ima- la réalité vacille et le plan des identifica-
ginaire qui jouit de sa créature, qu’elle soit tions d’où le sujet tenait son assurance
un garçon (Homme aux loups) ou une fille peut être franchi (fig. 2). Il est alors sus-
(Un enfant est battu), la crainte de la fémini- ceptible d’apercevoir, non sans angoisse et
sation vaut aussi pour la fille et le Penisneid dépersonnalisation, l’objet qu’il a cédé à
peut être entendu comme une défense l’Autre et qui l’a constitué sur le mode
contre la féminité. Autrement dit, la fin de d’une division en causant son désir.
la cure dépend de la direction qui lui est
donnée, c’est-à-dire du désir de l’analyste.
C’est sur ce point que nous pouvons me-
D : ligne de
surer l’apport décisif que constitue l’écri- la demande.
ture algébrique de l’objet a, telle que I : ligne
Lacan la définit dans la leçon du 9 janvier d’intersection
« identification »
1963 du séminaire L’angoisse : « Cet objet, T : point de
nous le désignons par une lettre. Cette no- transfert.
tation algébrique a sa fonction. Elle est d : le désir
comme un fil destiné à nous permettre de
reconnaître l’identité de l’objet sous les di- Figure 2
verses incidences où il nous apparaît. La
notation algébrique a justement pour
fin de nous donner un repérage pur de
l’identité… Il est sans doute propre à dési- 10. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse,
gner la fonction générale de l’objectivité, Paris, Le Seuil, 2004, p. 102.
30
Le nœud « à huit clos » nons, quand ainsi on y opère ? Sa réduc-

tion à deux chaînons dont il est clair que
Dans le supplément de la leçon du 15 mai leur rupture résultera assurément de la
1973 du séminaire Encore, Lacan intro- section de l’un quelconque. Mais quel va
duit une figure topologique du fantasme, être leur enroulement ? Il sera celui d’un
obtenue par « l’homogénéisation des anneau simple et d’un huit intérieur,
chaînons extrêmes 11 » d’un nœud borro- celui dont nous symbolisons le sujet –
méen à trois en forme d’oreille. Si l’on se permettant dès lors de reconnaître dans
rapporte, comme le suggère Marc Dar- l’anneau simple, qui d’ailleurs s’interver-
mon 12, à la note du schéma R, cette ho- tit avec le huit, le signe de l’objet a – soit
mogénéisation concerne les consistances de la cause par quoi le sujet s’identifie à
de l’Imaginaire et du Symbolique. Lacan son désir 13. »
s’interroge alors : « Quel résultat donc at- Il paraît possible de figurer ainsi l’opé-
tendre de la chaîne originale à trois chaî- ration :
Figure 3
11. Jacques Lacan, Encore, op. cit., p. 123.

12. Marc Darmon, Essais sur la topologie lacanienne, Paris, 2004, Éditions de l’Association lacanienne inter-
nationale, p. 375.
13. Jacques Lacan, Encore, op. cit., p. 123.
La Revue Lacanienne
31
Plusieurs questions se posent : une chaîne à 2, infraborroméenne. Ce qui

aurait dans ce cas à être visé comme
1) Que signifie cette réduction à deux
terme de l’analyse serait la reconstitution
chaînons de la chaîne originale à trois ?
de la propriété borroméenne.
Pourrait-on avancer le terme de dégéné-
rescence pour désigner ce passage de 3) Il conviendrait dès lors de prendre la
l’une à l’autre ? Au sens où, comme le sou- mesure, pour la conduite de la cure, du
ligne Pierre Soury dans la leçon du changement de statut de l’objet a qui se
17 janvier 1978 du séminaire inédit Le mo- produit avec le passage d’une topologie
ment de conclure, dans l’opération d’enla- des surfaces à celle du nœud borroméen.
cement qui définit une chaîne, la chaîne Dans le premier cas, l’objet a se détache,
borroméenne à trois constitue le cas gé- ainsi que nous l’avons vu, sous l’effet de la
nérateur. En effet, au même titre que le 1 coupure signifiante et de sa répétition sur
en arithmétique permet d’engendrer la la surface du cross-cap. Du fait de la mise
suite des nombres entiers, la chaîne à en place de l’Autre du signifiant et de la

trois est susceptible de générer toutes les jouissance phallique, l’objet a constitue
chaînes borroméennes, quel que soit le tout ce qui reste de la jouissance perdue.
nombre d’anneaux. Alors que la chaîne à Dans le second cas, avec le nœud borro-
deux est le cas dégénéré, c’est-à-dire que méen, l’objet a relève du coinçage entre
tout comme 0+0 = 0, la chaîne à deux les trois consistances, point autour duquel
n’engendre rien, n’engendre qu’elle- se distribuent, grâce à l’ex-sistence de
même. L’enlacement d’une chaîne à deux chaque consistance par rapport au recou-
avec elle-même reste une chaîne à deux, pement des deux autres, les différentes
une chaîne à quatre ne s’obtient que par modalités de la jouissance (fig. 4). Ainsi,
l’enlacement de deux chaînes à trois. l’Imaginaire ex-siste-t-il à la jouissance
phallique (intersection entre R et S), le
2) La seconde concerne la légitimité de la Symbolique à la jouissance Autre (inter-
coupure chirurgicale et du raboutage que section entre R et I) et le Réel au sens (in-
je propose, sur les ronds de l’Imaginaire tersection entre S et I), à la jouissance
et du Symbolique dans la chaîne borro- sémiotique (J’ouïs-sens ou Jouis-sens).
méenne à trois, pour obtenir le nœud, ou
plus exactement la chaîne à deux, la « 2-
chaîne ». Lacan en effet parle d’une ho-
mogénéisation entre les deux chaînons
extrêmes, qu’il distingue de leur raccor-
dement bout à bout. Mais comment se-
rait-il possible d’obtenir une telle
homogénéisation sans coupure ? Ceci
n’est pas sans importance pour la direc-
tion de la cure, car dès lors que l’on admet
que la structure d’origine est la chaîne
borroméenne à trois, la coupure suivie du
raboutage constituerait une régression à Figure 4
32
4) En dehors de l’homogénéisation de Une démonstration topologique de cette

l’Imaginaire et du Symbolique, qui abou- propriété d’interversion dans la chaîne de
tit au nœud du fantasme tel qu’il se dé- Whitehead et de son orientation est ac-
voile chez le névrosé au terme de la cure, cessible en français dans deux lettres
les deux autres possibilités d’homogénéi- adressées à J.-F. Chabaud par le mathé-
sation entre les deux chaînons extrêmes, maticien Henri Cartan, un des fondateurs
le Réel avec le Symbolique et l’Imaginaire du groupe Bourbaki 16.
Fantasme et Sinthome
avec le Réel, sont-elles susceptibles de
nous éclairer sur la clinique ? Pourrait-on
par exemple situer le statut du sujet dans
l’hallucination verbale comme une ho- Dans la leçon du 17 février 1976 du sémi-
mogénéisation du Réel et du Symbolique, naire Le sinthome, Lacan s’interroge sur
et l’objet a comme l’Imaginaire du délire, deux modes possibles de nouage suscep-
si tant est que comme le rappelle Freud tibles de se produire entre homme et
dans le manuscrit H, les délirants « aiment femme. Sans entrer dans le détail de sa dé-
le délire comme ils s’aiment eux- monstration, qui est difficile, il distingue
mêmes 14 » ? Ce mode de nouage pourrait- deux écritures nodales à deux éléments :
il valoir comme une écriture du fantasme
1) Une écriture qui semble être la reprise
dans certaines psychoses délirantes ?
de celle du fantasme évoquée dans le sé-
5) Comment entendre l’interversion, l’in- minaire Encore, où les deux éléments, le
terchangeabilité que Lacan évoque, entre huit intérieur et l’anneau simple, qui s’en-
le huit intérieur et l’anneau simple, les deux lacent dans le nouage sont équivalents,
chaînons obtenus par réduction de la car susceptibles de s’inverser par simple
chaîne à trois? Cette interversion est la pro- déformation : « c’est-à-dire le huit rouge
priété fondamentale de la chaîne à deux et le rond vert, sont inversibles, sont stric-
dite « de Whitehead », du nom du mathé- tement équivalents 17 » (fig. 6).
maticien anglais qui en a fait la démonstra-
tion en 1935: « Une expérience avec ficelle
laisse peu de place pour le doute que: les
circuits m et s sont interchangeables par
une non singulière déformation 15. »
Figure 6
14. Sigmund Freud, op. cit., p. 145.

15. John Henri C. Whitehead, cité et traduit par
Jean-François Chabaud, Le nœud dit du fantasme,
Weber, Bienne, 1984, p. 2.
16. Ibid.
17. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sin-
Figure 5 thome, Paris, Le Seuil, 2005, p. 99.
La Revue Lacanienne
33
Lacan poursuit : « Qu’en est-il de ce que j’ai appelé tout à l’heure l’équivalence est,
j’ai appelé équivalence ? Après ce que j’ai en fait, loin d’être équivalent. Une couleur
frayé autour du rapport sexuel, il n’est pas peut bien être remplacée par l’autre, mais
difficile de suggérer que quand il y a équi- tandis que, dans le dessin précédent, le
valence, il n’y a pas rapport 18. » Autrement rond vert est, si je puis dire, interne à l’en-
dit, si c’est le fantasme qui organise la semble de ce qui est supporté par le
sexualité entre homme et femme, il ne double huit rouge, dans le dessin suivant
peut y avoir en aucun cas rapport sexuel. le rouge est externe au double huit
Une femme vient le plus souvent repré- vert 19 » (fig. 7).
Figure 7
senter l’objet a, alors que l’homme se Et Lacan ajoute : « Au niveau du sinthome,

trouve en position de S. De cette sou- il n’y a donc pas équivalence du rapport
plesse du fantasme où la place de chacun du vert et du rouge, pour nous contenter
est susceptible de s’intervertir avec celle de cette désignation simple. Dans la me-
de l’autre, la clinique actuelle, du fait du sure où il y a sinthome, il n’y a pas équi-
déclin des identifications sexuées, rend valence sexuelle, c’est-à-dire il y a
compte abondamment. Par exemple, sous rapport… Là où il y a rapport, c’est dans
la forme du conflit qui peut se produire la mesure où il y a sinthome, c’est-à-dire
dans un couple, du fait de la compétition où l’autre sexe est supporté du sinthome.
parfois très âpre entre les deux protago- Je me suis permis de dire que le sin-
nistes, pour occuper dans la représenta- thome, c’est très précisément le sexe au-
tion, soit la place du sujet, soit celle de quel je n’appartiens pas, c’est-à-dire une
l’objet. femme. Si une femme est un sinthome
2) Une autre écriture, celle du sinthome,
faite d’un anneau simple et d’un nœud en
double huit : « Qu’en est-il dans le nœud 18. Ibid., p. 100.
en huit ? Ce qui correspond alors à ce que 19. Ibid.
34
pour tout homme, il est tout à fait clair savoir si le fantasme inconscient vient
qu’il y a besoin de trouver un autre nom suppléer au défaut de rapport sexuel, ou
pour ce qu’il en est de l’homme pour une au contraire si c’est l’interversion entre
femme, puisque le sinthome se caractérise homme et femme qui se déploie dans le
justement de la non-équivalence 20. » fantasme qui rend le rapport sexuel im-
Ainsi, le fantasme interdit qu’une femme possible. Ce dernier serait-il alors sus-
puisse venir incarner pour un homme le ceptible de s’inscrire à partir de l’écriture
réel mis en jeu dans le rapport à l’altérité. topologique du sinthome ? C’est ce que
Elle ne le peut qu’au titre de sinthome. Lacan interroge à partir de 1975. Mais si
Mais si la femme est un sinthome pour un tel rapport – entre le sinthome qu’est
l’homme, qu’en est-il de l’homme pour une femme pour un homme et l’affliction,
une femme ? Lacan répond : « Une afflic- voire le ravage, qu’un homme est pour
tion, pire qu’un sinthome… C’est un ra- une femme –, semble pouvoir ouvrir à la
vage, même 21. » dimension de l’Autre sexe, il n’autorise
pas pour autant l’espoir d’une quel-

En conclusion, l’écriture nodale du fan-
conque harmonie entre les sexes. Le rap-
tasme inconscient permet à Lacan de re-
port sexuel reste intersinthomatique.
prendre la question du non-rapport
sexuel en accentuant la dimension d’équi-
valence topologique entre les deux élé-
ments qui le composent : le huit intérieur
du sujet barré et l’anneau de l’objet a. Dès 20. Ibid., p. 101.
lors, la question qui se pose est celle de 21. Ibid.
La Revue Lacanienne
35

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sible que parce que Lacan identifie :

Les avancées de Lacan

L’écriture du fantasme produite par

Le dossier – Les implications cliniques du nœud borroméen

La référence au cross-cap et à l’écriture S ◊ a mais ce dont nous avons à parler sous le

Le nœud « à huit clos » nons, quand ainsi on y opère ? Sa réduc-

11. Jacques Lacan, Encore, op. cit., p. 123.

Le dossier – Les implications cliniques du nœud borroméen

Plusieurs questions se posent : une chaîne à 2, infraborroméenne. Ce qui

suite des nombres entiers, la chaîne à en place de l’Autre du signifiant et de la

4) En dehors de l’homogénéisation de Une démonstration topologique de cette

14. Sigmund Freud, op. cit., p. 145.

Le dossier – Les implications cliniques du nœud borroméen

senter l’objet a, alors que l’homme se Et Lacan ajoute : « Au niveau du sinthome,

pas pour autant l’espoir d’une quel-

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