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accepté des terres en sous-fieffe, terres pour lesquelles il payait des rentes
au propriétaire.
Il faut donc, pour se faire une idée juste de la situation de chacun
des tenanciers à l ’intérieur des limites de la seigneurie, non seulem ent tenir
com pte de ce q u ’il avoue, m ais aussi de ce qu’il exploite. Superficie avouée
et superficie exploitée ne coïncident pas toujours et la différence pouvait être
im portante. L ’exemple de la famille du Gaallay cité plus haut l’illustre bien.
A l ’inverse, un tenancier comme Guillaume Castel exploitait en fait plus de
14 acres, presque le double des tenures avouées directem ent sous son nom.
De la même façon, un autre tenancier, Guillaume Manchion, n ’avouait et ne
payait les rentes seigneuriales que pour 2 acres de terre m ais en exploitait
réellement 9. Dans une petite paroisse comme Cideville, on trouvait donc,
à côté de la masse des paysans, deux types de propriétaires-exploitants:
les entrepreneurs, baillant à d ’autres une bonne partie de leurs terres et
les véritables laboureurs, cherchant au contraire à accroître les terres q u ’ils
exploitaient eux-mêmes.
Enfin, en contraste avec ces deux types de situation, il y avait aussi dans
la seigneurie de Cideville, de purs exploitants, ne tenant rien du seigneur
de Cideville. C ’était de le cas de Roger Tonnelieu à qui n ’appartenaient
aucune des parcelles entrées sous son nom. On pourrait penser ces sous-
tenanciers exem pts de tout contrôle de la part du seigneur de Cideville.
Mais celui-ci était prom pt, le tenancier principal venait-il à faire défaut,
a exiger du sous-tenancier le paiem ent de toutes les rentes en souffrance.
Evidem m ent, lorsque d ’autres membres de la famille possédaient des biens
dans la seigneurie, c’est plutôt vers eux que le seigneur se tournait pour
le paiem ent des rentes du mem bre m anquant de la famille. Ainsi Jehennin
d ’Estainem are devait-il assum er les rentes de son frère aîné. Mais dans le cas
contraire, le sous-tenancier était tenu responsable des dettes de son bailleur.
Le terrier de la seigneurie de Cideville m et donc bien en évidence la
complexité des relations entre seigneurs et paysans d ’une part, et entre
paysans d ’autre part. Plus de la moitié des tenanciers40 sont engagés dans
ces transactions croisées par lesquelles ils louaient leurs propres terres et,
dans le même tem ps, acceptaient de tenir des parcelles d ’un autre tenancier.
Le b u t de ces opérations était-il de rendre plus compactes les mouvances
paysannes de sorte à éviter l’éparpillement des parcelles et la dispersion
des efforts? L ’étude de tous les confins ne perm et pas de conclure de
façon totalem ent affirmative. Mais certains exemples sont nets et vont bien
dans ce sens. Ainsi, six des huit parcelles prises en sous-fieffe par Guil
laum e Castel étaient-elles contiguës à ses propres terres et lui perm ettaient
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donc de se b âtir une mouvance un peu plus homogène. Mais cela ne vaut
m alheureusem ent pas pour tous. On doit donc adm ettre que toutes ces
stratégies échappent pour le mom ent à l’analyse. Elles pourraient bien être
le résultat de calculs financiers ou de situations familiales ou sociales di
verses. Le tenancier qui loue ses propres terres accroît son revenu des rentes
que lui doivent ses locataires. En acceptant lui-même des terres en sous-
fieffe, il augm ente le produit en nature dont il pourra disposer et q u ’il pourra
écouler sur le m arché sans accroître pour au tan t les charges qui le lient au
seigneur. C haque propriétaire devait peser soigneusement les avantages de
chacun de ces choix.
P ar ailleurs, on peut se demander si la période de crise que connaissait la
N orm andie ainsi que la chute de population avaient un effet sur des pratiques
de ce genre ou s ’il s ’agissait de façons de faire traditionnelles et déjà bien
ancrées dans les habitudes sociales.41 On a m ontré, dans d ’autres régions de
la France com m ent la dépopulation a favorisé l ’apparition et la croissance
d ’un m arché de la terre et a permis à la loi de l ’ofTre et de la dem ande de
jouer à plein.42 Les paysans de Cideville louaient-ils leurs terres parce que
leur famille déclinante ne pouvait plus en assurer l’exploitation? Le m anque
d ’héritiers masculins se fait sentir dans le terrier du fait q u ’un certain nom
bre de terres sont venues en la m ain des tenanciers qui les déclarent par des
femmes. En Norm andie, on le sait, celles-ci n ’étaient autorisées à hériter de
biens fonciers q u ’en cas d ’absence d ’héritiers masculins dans la famille.
L’au tre aspect intéressant de ces relations entre les paysans est le paie
m ent de ce que nous appellerons la rente paysanne. Même si le terrier,
à cause de l’irrégularité avec laquelle les m entions de paiem ent des rentes
des sous-tenanciers sont entrées, ne perm et pas de calculer l ’ensemble des
rentes payées par les sous-tenanciers pour les tènem ents qu’ils exploitent,
l ’inform ation à ce sujet est assez abondante pour m ériter quelques rem ar
ques. Le tenancier qui sous-fieffe ses terres à un exploitant est, de toute
évidence, dans une position avantageuse car la rente qu’il reçoit du sous-
co n tractant est généralem ent supérieure à celle qu’il doit lui-même au sei
gneur.43 Il y a donc ici une m arge de profit dont on peut penser qu’elle était
calculée de façon à pallier le manque à gagner que représentait la perte
du produit né de l ’exploitation de la terre ainsi cédée. L’écart entre rente
seigneuriale et rente paysanne était parfois im portant. Ainsi l’héritier de
Guillaum e Ausners payait-il 3 d.t. l’acre une parcelle dont la rente seigneuri
ale ne s’élevait q u ’à 1 d.t. pour deux acres. Rogier Tonnelieu, pour sa part,
acq u ittait une rente de 2 s.t. par vergée là où le tenancier principal ne payait
que 4 d .t..44 Dans ces deux exemples, la rente paysanne était donc six fois
DENISE ANGERS 159
Tableau 1
Accensements et sous-accensements: prix des rentes
plus élevée que la rente seigneuriale. Bien que partiel, le tableau de la page
suivante résume les divergences les plus im portantes.
De quel oeil le seigneur voyait-il ces tractations et ces transferts qui
risquaient de morceler le domaine? De toute évidence, il ne pouvait les
empêcher. En principe d ’ailleurs, dans une société stable et peu mobile, il
ne risquait pas grand chose.45 Mais, au moment de la composition du ter
rier, tel n ’était certainem ent pas le cas. Georges d ’Orbec a pris soin de faire
noter les noms de tous les tenanciers antérieurs des tenem ents, signe qu’il
pouvait y avoir risque de confusion, que la situation était très fluide et la
population très mobile. Dans ce contexte, il devait tenter à tout prix de
garder le contrôle en étan t mis au courant de tout sous-accensement et de
to u t transfert. Mais, à cet égard, les structures juridiques ne sem blent pas
le favoriser a u tan t qu’elles favorisaient les seigneurs anglais.46 Les centaines
de contrats transcrits dans les actes du tabellionnage m ontrent bien que
le seigneur n ’était pas présent au moment de ces transactions.47 De plus,
très peu de contrats m entionnent des droits de prise de possession payables
au seigneur.48 La situation française était plus souple m ais aussi plus dan
gereuse pour le seigneur. D ’où le soin mis par Georges d ’Orbec à consigner
ces détails dans son terrier. Il avait peut-être déjà été échaudé, comme il
le laisse entendre pour expliquer la perte de 7 acres de terre norm alem ent
tenues par Colin du Gaallay et pour lesquelles il ne réussissait plus à se faire
payer les rentes qui lui étaient dues. Fieffées par le tenancier à plusieurs
sous-contractants, ces terres n ’avaient pas fait l ’objet de contrats en bonne
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L ’Université de Montréal
NOTES
31 A .E . C u rry , op. cit.: 243 a relevé q u a tre sem onces d e nobles en 1429. Voir
a u ssi C .T . A 11ma n d , L ancastrian N o rm andy, 1415-1450. The H istory oj a M edieval
O ccupation: 33 (O xford, 1983. 349 p .).
32 ex em p le en B o u rb o n n ais: R . H om et, “E n fren tam ien to d e los p ro b lem as del
siglo XV p o r la a d m in istra c io n d el d u q u e de B o u rb o n n a is. L a c a ste lla m a H érisson segun
el te rrie r de 1457” , E stu d io s en H om enaje a D on Claudio Sanchez A lb o m o z en sus 90
ano»: 393 (A nejos C u a d e m o s de H isto ria de E sp a n a. B uenos-A ires, 1986); R . F é d o u ,
op. cit.: 53.
33 50 p aro issien s a u X IIIe siècle, 60 feux v ers 1370 e t 64 en 1497: “P o ly p ty ch u m
D i o c e s i s R o th o m a g e n sis” , R ecueil des h isto rien s des Gaules et de la France, t. 23: 228-31
(D om B o u q u e t, é d . P a ris, 1868-1904. 24 vol.), B N , m s. franç. 26002-122 e t 25924-1135.
34 C ’e st-à-d ire d o n t il a v ait l ’h a b itu d e d e p o sséd er les titre s.
35 p o u v a it s ’a g ir de saisies p o u r d e tte s o u d e la p ro c éd u re d e r e tr a it p o u r lignage
d e b o u rse ” . A insi le 16 ja n v ie r 1425, L a u re n t A vice a -t-il p ris à ferm e p lu s de 18 acres
de te rre de T h o m a s d ’A lib ert qui a v ait o b te n u ces terre s “p a r d é c re t su r le d it L a u re n s” :
A D SM , 2 E l /1 7 2 ; v oir aussi “Le sty le d e p ro c éd e r en N o rm a n d ie ” , M ém oires de la
S o ciété des A n tiq u a ire s de N o rm a n d ie, 18: c h a p , lvii, De clam eur et m archié de bourse.
36 Lç p ro c essu s d ’am enuisem ent d e s b ien s possédés p a r la fam ille A vice c o n tin u a a u
co u rs d u X V e siècle com m e e n tém o ig n e u n c o n tra t d e 1483 p a r lequel G eorges d O rb ec
e n tr a e n possessio n d ’u n e pièce d e te rre a u tre fo is possédée p a r L a u re n t A vice, a lo rs en la
possessio n d e J e a n d u H o m m et, p r o c u re u r k R ouen. Celui-ci l ’a v ait acquise p a r d é cre t:
A D SM , 2 E l /2 0 9 , 7 ja n v ie r 1483. N otons en co re q u ’à la fin d u X V Ie siècle, u n seul
tè n e m e n t é ta it en co re e n tre les m a in s de c e tte fam ille.
37 g B ois, d a n s so n é tu d e s u r la N o rm an d ie, a a d m is la possibilité d e telles dis
c o rd an ces. Il c ro it c e p e n d a n t le ph én o m èn e m inim e: op. cit.: 145. M êm e en A n g leterre
o ù les so u rces d isp o n ib le s o n t p e rm is a u x h isto rie n s d e p o u sse r trè s lo in l ’a n aly se de
l ’économ ie d o m an ia le , ceux-ci a d m e tte n t n e rien savoir, d a n s c e rta in e s régions, d e ces
o b lig a tio n s p a y sa n n es: “we know n o th in g o f th e r e n ts ch arg ed b y p e a s a n ts a m o n g th e m
selves” : R . F a ith , “B erkshire: F o u rte e n th a n d F ifte e n th C e n tu rie s” , T he P ea sa n t Land
M a rk et in M edieval England: 126 (P .D .A . H arvey, éd. O xford, 1984).
38 C es red ev an ces é ta ie n t payées en n a tu re ou en a rg e n t. L e u r ex iste n ce n e fa it p a s
d e d o u te m ais les som m es payées n e so n t m alh e u re u se m en t p a s to u jo u rs indiquées.
39 D es s itu a tio n s sem blables n a issa ie n t d ’a rra n g e m e n ts p a rtic u lie rs e n tre ten a n cie rs,
telle c e tte e n te n te e n tre G u illau m e Le B orgne e t Je h e n n in C a rb o n n el, le v é rita b le p ro
p rié ta ire d u tè n e m e n t in sc rit sous G . Le B orgne. Ce d e rn ie r p a y a it les re n te s dues a u
se ig n eu r à la su ite d 'u n e e n te n te conclue e n tre so n p è re e t celui d e J . C a rb o n n el, le
tè n e m e n t e n q u e stio n é ta n t v en u à so n père à la su ite d ’u n échange avec le p è re de
J. C a rb o n n e l. M ais c et échange a y a n t é té ju g é inégal à l ’a v an tag e d u p è re d e G . Le
B o rg n e , celui-ci a c c e p ta , e n co m p e n sa tio n , de se c h arg e r des re n te s seigneuriales. Les fils
n e fa isaien t q u e c o n tin u e r l ’e n te n te.
40 37 p e rso n n e s su r 54.
41 Le p a y s d e C a u x e st a u jo u r d ’h u i d écrit com m e u n e rég io n o ù le ferm age dom ine.
D ’a p rè s A. F ré m o n t, A tla s et géographie de la N orm andie: 122 (P a ris, 1977. 289 p .), les
tro is -q u a rts d e la superficie d u sol a p p a rtie n n e n t à des n o n -e x p lo itan te. Il s ’a g it là d ’u n e
des p lu s fo rtes p ro p o rtio n s de to u te la N orm andie. E n m êm e te m p s, la surface d isponible
p a r tra v a ille u r s e ra it l'u n e des p lu s faib les d e to u te la N o rm an d ie. C es co n sid ératio n s,
to u te s c o n te m p o ra in es, re n d e n t c e p e n d a n t u n son trè s fam ilier p o u r le m éd iév iste. N est-
ce q u e le ré s u lta t d u h a sa rd ?
DENISE ANGERS 165
\ O St-Victor-la-Campagne
fstlS ârtin-aux-A rbrea
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