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18- 38,00 F· RD m •
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7 52
Éditorial: La guerre d'Algérie
Une nation née de l'épée par ceux qui l'ont faite
PAR DOMINIQUE VENNER PAR JEAN MABIRE
8 54
Agenda de l'histoire Oraison funèbre pour
PAR VIRGINIE TANLAY des régiments dissous
PAR PHILIPPE CONRAD
10
Il y a 40 ans, Budapest
PAR PATRICK JANSEN Louis XIV en gue"e.
11 28
Le soldat et la littérature Théories et théoriciens militaires
PAR ÉRIC VATRÉ PAR PHILIPPE CONRAD
14 29
Les trente batailles Les vrais soldats de l'an Il
qui ont fait la France PAR JEAN·JOËL BRÉGEON
PAR JEAN KAPPEL
33
21 Légion étrangère, troupes
L'université redécouvre de marine et armée d'Afrique
l'histoire militaire PAR GUY CHAMBARLAC
PAR FRÉDÉRIC VALLOIRE
34
Une conséquence de 1870,
le service militaire universel
PAR RAOUL GIRARDET Élève de Saint-Cyr, 1885.
36 56
Le folklore des conscrits Entretien avec le général Gallois
PAR ADRIEN BROCARD sur l'armée cfe demain
PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIEN BROCARD
38
L'armée, enjeu politique 57
PAR PATRICK JANSEN Vers l'armée de métier,
le recours aux traditions
42 PAR HENRI DE WAILLY
Verdun, dernière
Sceau du seigneur de Corbeil, 1196. grande victoire française 61
PAR GuY CHAMBARLAC Les livres et l'histoire
22
La fonction guerrière 43 66
dans l'ancienne France Le désastre de 1940 La parole est aux lecteurs
PAR CHARLES VAUGEOIS PAR DOMINIQUE VENNER
25 En couverture :
47
La Maison du Roi Salut aux sous-officiers
PAR DOMINIQUE VENNER
Il
Actualité de l ~histoire
1
Le transfert accompagné de l'apparition de
EN BREF du musée nouvelles droites animées par de
jeunes intellectuels se qualifiant eux-
de la Marine mêmes de << génération 89 >>. L'un
Traditions des personnages représentatifs de
De très vi ves protestations ont ces nouveaux courants est l'auteur
indo-européennes accompagné l'annonce par le dramatique à succès Botho Strauss,
président de la République d'un ex-figure de proue de la gauche
L'Inde constitue un conservatoire transfert du musée de la Marine, libérale. Le numéro 86 de la revue
ininterrompu depuis quarante siècles pour céder la place à l'éventuel Éléments (octobre 1996, 35 F)
de la tradition indo-européenne. musée des« Civilisations et des Arts consacre un important dossier à ces
Dans la dernière livraison de la premiers », dont la création est nouvelles droites, notamment à
revue Antaïos, des textes vivement contestée par nombre Botho Strauss et à l'hebdomadaire
d'intellectuels hindous, mais aussi d'universitaires et d'ethnologues Junge Freiheit, dont l'un des
d'Alain Daniélou, indianiste français français. Les collections du musée rédacteurs, Hans von Sothen, confie
reconnu, de Jean Vertemont, auteur de la Marine, installées depuis 1943 à la revue : « Foree est de constater
d' un Dictionnaire des mythologies au palais de Chaillot, sont que nous devons décider d'ici
indo-européennes, de Michel prestigieuses. Elles témoignent de
Vaisseau de ligne. quelques années si l'Allemagne doit
Maffesoli, etc., évoquent ce toute l'épopée maritime française, cesser d'être un État national. Ce
prestigieux passé pré-chrétien. dont elles retracent 1'histoire, du qui a des implications lourdes de
Signalons également la XVII' siècle à la fin de la marine à Un modèle conséquences pour notre culture et,
contribution du professeur Renato voile. Elles comptent des gréements pour Tintin d'une manière générale, pour notre
Del Ponte, qui fut le secrétaire du XVIII' siècle, des maquettes identité. Cela ne peut laisser
particulier de Julius Evola, sur d'époque, des vestiges de Dans leur numéro de septembre, Les indifférent quiconque se décrit
l'évolution du courant païen romain l'Astrolabe, de la Boussole de Cahiers de Bédésup, publient un comme "national" ou comme
au xx· siècle. La Pérouse, du Pourquoi pas ? du
Antaïos (Boîte 168, 2, rue Washington,
document étonnant sur l'origine du conserva/eU/: Notre combat
commandant Charcot. On y admire personnage de Tintin, dont Pierre politique est dirigé avant tout contre
B.1050 Bruxelles), no 10.224 pages, 105 F.
aussi les sculptures de poupe de la Assouline dans sa récente biographie les tentatives d'élimination de notre
Réale, le navire amiral des galères d'Hergé (Plon) semble ignorer souveraineté et, par là même, contre
Le pont de Louis XIV. Un << déménagement » l'existence. Ce document est un les desseins du chancelier Kohl. Sa
Alexandre III ferait encourir des risques énormes inédit de Léon Degrelle. Celui-ci politique européenne se soldera par
a cent ans à ces pièces inestimables. Son coût rappelle tout d'abord ses liens la suppression de facto de la
serait prohibitif. De surcroît, à d'amitié avec Hergé à l'époque où nationalité allemande, de la
l'instant où nous écrivons, on ignore ils étaient étudiants, bien avant les monnaie allemande. Nous aurons
Il y a tout juste cent ans, le 7 octobre
le site éventuellement assigné à une activités politiques du futur chef perdu tout droit à
1896, à Paris, sur le quai de la
nouvelle implantation. Aucun lieu rexiste. C'est en lisant un reportage l'autodétermination. »
Conférence, face à l'esplanade des
dans la capitale n'a été proposé. Le rocambolesque effectué par Degrelle
Invalides, était posée la première
navigateur Éric Tabarly a pris la tête au Mexique qu 'Hergé aurait eu
pierre du pont Alexandre III, en 1
d'un comité de soutien qui s'oppose l'idée du personnage de Tintin dont EXPOSITIONS
présence du tsar Nicolas II et de la
au transfert du musée de la Marine, le jeune Degrelle fut ainsi le modèle.
tsarine Alexandra Fedorovna.
fort déjà de lO 000 signatures. Hergé, qui n'eut aucune activité
Le couple impérial répondait à
Musée de la Marine, 17, place du Trocadéro, politique n'en conserva pas moins
l'invitation du président Félix Faure, 75116 Paris. Tél: 01 45 53 31 70. Les 150 ans de
qui entendait marquer par ce voyage son amitié à son compagnon de
jeunesse. Arrêté quelques instants r'Éeole française
officiel la consolidation de l'alliance
franco-russe. Alexandre III, père de lors de la libération de la Belgique, il d~Athènes
Nicolas II avait été en 1891 aida toujours généreusement ceux
l'initiateur de cette alliance des épurés qu 'il avait connus C'est Louis-Philippe qui fonda en
historique dont l'édification du pont autrefois. 1846 l'École française d'Athènes,
symbolisait la persistance. La clé de Les Cahiers de Bédésup (BP 14, 13234 comme « école de perfectionnement
Marseille Cedex 4), no74/75, 150 pages,
voûte de l'arche, en amont, ainsi que pour l'étude de la langue, de
140 F.
les 28 candélabres dressés sur le l'histoire, des antiquités grecques».
parapet portent les armes de la C'est aujourd'hui le plus ancien
Russie impériale, un blason à
Les droites établissement scientifique français à
l'effigie de saint Georges, le saint allemandes 1'étranger. Longtemps, l'École
patron des Russes, surmonté de française d'Athènes s'est identifiée
l'Aigle impériale à deux têtes. Des Depuis la chute du mur de Berlin, aux fouilles des grands sites
travaux de restauration, entrepris à le 9 novembre 1989, la réunification archéologiques grecs, Argos, Del os,
l'initiative de la Ville de Paris allemande est redevenue l'une des Delphes ... Pour célébrer son
ont rendu au pont son aspect grandes interrogations historiques de 150' anniversaire, une exposition
d'origine. Nicolas Il. notre temps. L'événement s'est évoque à Athènes avec des
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
•
ALITÉ DE L'HISTOIRE
«À moi ;\uvergne ! >>Capitaine au régiment d'Auvergne en 1760, pendant la guerre de Sept Ans, le chevalier d'Assas se sacrifia pour éviter à ses troupes
d'être surprises par l'ennemi. Le fait frappa Voltaire qui en écrivit la relation dans son Récit sur le siècle de Louis XV.
' la première page de La France et son armée (1938), le futur général L'histoire militaire de la France commence bien avant la France.
Il
Novembre Agenda de 20 novembre
1860 - Antoine de Tounens fonde le
<< royaume >> de Patagonie.
!~histoire
21 novembre
l er novembre 1792- Réunion de la Savoie à la
Fête de Samain, l'une des plus France. Le 27 novembre de cette
importantes du calendrier celte, celle même année, elle devient le
de la nouvelle année, mais aussi de la département du Mont-Blanc.
célébration des trépassés. L'Église en
fera la Toussaint. 23 novembre
1969 - Francisco Herranz, chef de la
3 novembre Madame, car, étant venu à cheval, je 15 novembre Phalange espagnole se donne la mort
1440- Fait prisonnier à Azincourt en n'ai pu apporter le mien ... » 1908 - Mort de l'impératrice Ts'eu- en public afin de protester contre les
1415 et emmené en captivité en Hi. Née en 1835, veuve de orientations de la politique
Angleterre, Charles d'Orléans, fils 10 novembre 1'empereur Hien-fong, elle gouverna franquiste.
de Louis d'Orléans et neveu de 1444- Bataille de Varna. Une la Chine de la mort de son mari en
Charles VI, est libéré après 25 ans de coalition de chevaliers européens, 186l,jusqu'en 1908. Consciente de 24 novembre
détention. conduite par Vladislas de Pologne et l'influence étrangère en Chine, elle 1923 -Philippe Daudet, fils de Léon
Jean Hunyade, est écrasée par les craignait que son pays ne s'engageât Daudet, meurt mystérieusement dans
4 novembre Turcs de Mourad II. trop rapidement dans les voies d'une un taxi. Ce drame déclenche un
1793- Les Vendéens se rendent modernisation susceptible de ruiner scandale politique, son père rendant
maîtres de la ville de Fougères. Un Il novembre une civilisation millénaire. Cette
la police responsable de sa mort.
conseil de guerre décide de marcher 1773- Naissance à Nancy de politique aboutit en 1900 à la révolte
sur Granville afin d'y recevoir l'aide Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, père des Boxers et au siège des légations
européennes à Pékin. Elle incarna
25 novembre
des Anglais. du futur Victor Hugo.
une dernière fois la grandeur de la 1970- L'écrivain japonais Yukio
dynastie mandchoue. Mishima se donne la mort par
5 novembre << seppuku >>, conférant à ce geste
1757- Pendant la guerre de Sept la signification d'une protestation
16 novembre
Ans (1756-1763), la cavalerie contre un monde privé de sens.
française aux ordres du prince de
1952 -Mort de Charles Maurras.
Fils d'un percepteur provençal, il
Soubise est écrasée à Rossbach par 27 novembre
devient journaliste à Paris en 1890,
les cavaliers prussiens de Seidlitz. 1252 - Mort à Paris de la reine
après avoir été élève chez les Frères
d'Aix-en-Provence. En 1908, il Blanche de Castille, mère de Louis IX
6 novembre fonde, avec Léon Daudet, L'Action (Saint Louis), veuve de Louis VITI et
1793- La Commune de Paris fait du française dont il sera le directeur fille du roi Alphonse VIII de Castille.
bonnet phrygien la coiffure officielle jusqu'en 1944. L'un des paradoxes
de ses membres. de son existence voulut qu'ayant 28 novembre
consacré sa vie à lutter contre 1635- Naissance à la prison de Niort
7 novembre l'Allemagne, il fut condamné à la de Françoise d'Aubigné, future
1935- L'historien Jacques Bainville réclusion à perpétuité en 1944, pour marquise de Maintenon, que
est reçu à l'Académie française. « intelligence avec l'ennemi >>. Louis XIV épousera secrètement
Auteur notamment d'une Histoire de après la mort de la reine.
France, ses analyses et critiques des 17 novembre
conséquences du traité de Versailles 1869- En présence de l'impératrice 29 novembre
de 1919, se sont révélées Eugénie, inauguration du canal de 1718- Mort du roi Charles XII de
prophétiques. Suez, long de 161 km. Plus de 40 000 Suède, tué par une balle au siège de
Louis-Hubert Lyautey ouvriers égyptiens encadrés par des Fredrikshald, alors qu'il tentait
8 novembt·e ingénieurs français ont participé aux d'arracher la Norvège aux Danois. Sa
1517- Mort du cardinal Cisneros,
12 novembre travaux. lutte désastreuse et pathétique contre
régent d'Espagne, archevêque de 1840- Naissance à Paris du la Russie de Pierre le Grand avait
Tolède, ancien confesseur d'Isabelle sculpteur Auguste Rodin. 18 novembre ruiné l'hégémonie de la Suède dans
la Catholique. 1517- Entrée solennelle à Valladolid la Baltique.
13 novembre du futur Charles Quint, proclamé roi
9 novembre 1854- Naissance à Nancy du futur de Castille et d'Aragon à la mort de 30 novembre
1600- Marie de Médicis arrive au maréchal Louis-Hubert Lyautey. Il son père, Philippe le Beau. 1818 - Départ du dernier soldat
disait : « Mon nom vient d'une prussien du sol français. Cette
château de la Mothe, près de Lyon.
Elle a quitté Florence pour la France
déformation de loyauté ». Il en fit 19 novembre évacuation eut lieu deux ans avant la
une devise. date prévue, grâce au
afin d'épouser le roi Henri IV. Le 1497- Parti de Lisbonne le 8 juillet,
mariage est prévu le 18, mais sera le navigateur portugais Vasco de remboursement anticipé de
consommé le soir même, Henri IV 14 novembre Gama, franchit le cap de Bonne- l'indemnité de guerre dont le
ayant déclaré à sa future femme : « Il 1533- Francisco Pizarro s'empare Espérance, et s'engage dans 1'océan montant était de 700 millions. Cette
fait si froid que j'espère que vous de Cuzco, capitale de 1'empire inca Indien, ayant découvert la véritable somme avait été prêtée par des
m'offrirez la moitié de votre lit, au Pérou. route des Indes. banques anglaises et hollandaises.
Il
AGENDA DE L'HISTOIRE
Il
Il y a 40 ans, Budapest
I
l y a aujourd'hui quarante ans, total dans sa volonté de bousculer
la « révolution hongroise » 1'ordre soviétique. Il fallut attendre
d'octobre et novembre 1956 le Printemps de Prague en 1968,
venait rappeler avec brutalité aux pour qu'un peuple de l'Est euro-
habitants de 1'Europe occidentale péen fasse entendre à nouveau une
que le confort dont ils jouissaient, voix discordante.
grâce à la paix retrouvée et aux Pourtant, dès cette époque,
subsides du plan Marshall, avait l'impact des événements de Buda-
pour contrepartie l'indifférence ou pest fut loin d'être négligeable. En
l'oubli qu'ils manifestaient depuis France, un courant de sympathie
la fin du conflit mondial pour le parcourut 1'opinion, à défaut de
sort des peuples de l'Est européen. faire agir les gouvernements. À
La mort de Staline, le 5 mars Paris, quelques jeunes nationalistes
Budapest, 4 novembre 1956. Plusieurs chars soviétiques sont détruits par
1953, cinq ans après la généralisa- des soldats hongrois qui se sont joints à l'insurrection avec de nombreux offi· poussés par la témérité et 1'esprit
tion dans 1'Europe de 1'Est des ciers. Le général Male ter, chef d'état-major, sera fusillé par les Soviétiques. chevaleresque, sauvèrent l'honneur
systèmes de « démocratie populai- en prenant vaillamment d'assaut la
re » avait certes suscité un peu de Gomulka en Pologne et la faus- Mais à l'aube du 4 novembre, forteresse du Parti communiste
partout des espoirs d'émancipa- se libéralisation qu'il traduisait les chars soviétiques intervinrent à français d'où émanait alors la cam-
tion, mais la féroce répression des avaient soulevé 1'enthousiasme des nouveau, avec vigueur cette fois. pagne de haine lancée contre la
manifestations de Berlin, le 17 Hongrois. Partout dans le pays, des L'artillerie lourde et l'aviation bom- révolution hongroise. Aventure
juin 1953, avait clairement montré associations indépendantes d'étu- bardèrent Budapest. La résistance noble, mais sans lendemain : les
qu'en cette époque aiguë de la diants se formèrent. À Budapest, héroïque du peuple hongrois où temps n'étaient pas mûrs.
guerre froide, le Kremlin enten- un manifeste en 14 points récla- hommes, femmes et enfants affron- Pourtant, à long terme, 1'histo-
dait rester seul maître de son gla- mait non seulement le retour au taient presque sans armes la rien voit bien le rôle considérable
cis d'Europe centrale et orientale. pouvoir d'Imre Nagy, mais aussi le mitraille ou les blindés, ne pesa pas joué par la révolution hongroise
En Hongrie, les timides tenta- départ des troupes soviétiques, la lourd face à l'écrasante supériorité dans la fragilisation du Bloc sovié-
tives de déstalinisation menées tenue d'élections pluralistes et la soviétique. En quarante-huit heures, tique et plus encore peut-être dans
par Imre Nagy -à partir de juillet liberté de la presse. 1'« ordre » était rétabli, même si des la fragilisation du mythe commu-
1953 s'étaient donc vite heurtées Le 23 octobre 1956, une mani- opérations sporadiques subsistèrent niste : pour la première fois depuis
à l'opposition résolue des parti- festation d'étudiants auxquels jusqu'au 13 novembre. le pacte germano-soviétique, un
sans de l'orthodoxie marxiste, s'étaient joints les ouvriers des fau- La répression fut féroce et fit certain nombre de camarades et
groupés autour du << plus fidèle bourgs, aboutit à Budapest au ren- des milliers de viCtimes. Malgré surtout de compagnons de route du
disciple hongrois de Staline », versement de la statue de Staline, les assurances données par Mos- PC commencèrent à s'interroger.
(comme il aimait à se définir lui- au siège de la radio hongroise, et à cou, Imre Nagy et les chefs de Les plus lucides ou les plus coura-
même), Matyas Rakosi. la nomination à la présidence du 1'insurrection furent arrêtés, puis geux rompirent, se condamnant
Pourtint, le vent de liberté qui Conseil d'Imre Nagy. Les chars exécutés en juin 1958 après un pour longtemps à n'être plus que
avait souffié sur le pays laissait soviétiques, appelés à 1' aide par le simulacre de procès. Ils ne furent des parias dans une intelligentsia
quelques acquis : le refus paysan chef du parti communiste, Gero, réhabilités qu'en 1989. Quant au française subjuguée alors par les
de la collectivisation forcée, la sillonnèrent Budapest dès le lende- cardinal Mindszenty dont l'autori- « vérités » qui venaient de 1'Est.
libération des dirigeants politiques main, mais on vit des cas de frater- té morale avait été d'un grand Quant aux Hongrois révoltés
de l'immédiat après-guerre, l'habi- nisation. Le 25, une grande mani- poids pendant ces journées, il se qui avaient échappé aux journées
tude retrouvée d'une certaine liber- festation eut lieu devant le Parle- réfugia à l'ambassade des États- sanglantes de novembre 1956, ils
té de parole et de critique politique. ment, au cours de laquelle la police Unis où il demeura pendant quinze connurent l'errance ou l'exil.
Sans l'expliquer entièrement, ces secrète ouvrit le feu contre la foule ans, jusqu'en 1971. Vivant symbo- Beaucoup parvinrent à rejoindre
acquis ont joué un rôle majeur dans et fit de nombreuses victimes. le de la volonté d'un peuple, mais la France. Il est curieux de noter
l'ampleur prise en Hongrie plus Des négociations en vue de aussi vivant reproche fait à l'Occi- que certains de ceux qui choisi-
qu'ailleurs par la crise de 1956. l'évacuation des troupes sovié- dent, capable de l'accueillir après rent alors la Légion étrangère
En effet, le 20' congrès du Parti tiques eurent lieu. Le l" novembre, l'échec mais non de le soutenir à joueront un rôle non négligeable
communiste de l'URSS, en février Imre Nagy annonçait que la Hon- 1'heure des engagements. dans la rébellion militaire de
1956, et la virulente critique faite grie quittait le pacte de Varsovie. À court terme, même si le long 1961-1962. Permanence de la
par Khrouchtchev de la politique De nombreuses formations poli- règne de Janos Kadar qui lui suc- volonté d'insurrection dans l'hon-
stalinienne suscitèrent espoirs et tiques surgirent aussitôt rétabli le céda permit à la Hongrie une évo- neur et la fidélité.
.troubles dans les « démocraties régime démocratique de 1945 et lution souvent surprenante, l'insur-
populaires ». Le retour au pouvoir participèrent au gouvernement. rection hongroise sembla un échec PATRICK JANSEN
Il
/
LE SOLDAT ET LA LITTERATURE
Les écrivains~
attrait et répulsion
PAR ÉRIC VATRÉ
P
rant de faim ... Tout au plus, je serai tué comme
Montaigne pensait « qu' il n'est d' occu- « Messire Michel, seigneur de Montaigne, Pyrrhus, par un pot de chambre lancé de la
pation plaisante comme la militaire ». chevalier de l'Ordre du Roi et gentilhomme fenêtre d'un cinquième étage par une vieille
Vingt-deux siècles avant lui, et sur un ton plus ordinaire de sa chambre >>, ainsi se présentait femme édentée ! Quelle gloire ! » (! ). Vers la
doctoral, Héraclite avait gravé dans la cire une l'auteur des Essais que son épouse fit représenter même époque, Vigny relève sombrement que
sentence célèbre : << La guerre est commune à après sa mort, dans le marbre, en armure et
« Le feu sacré qui anime les armées s'éteint peu
l'épée au côté. En ce temps, la qualité de gentil-
tous les êtres. Elle est la mère de toute chose. » homme n'allait pas sans le service de l'épée, ainsi à peu sous les désespoirs et les dégoûts de cha-
Propos repris par Joseph de Maistre : << La qu'il l'écrit lui-même : << La forme propre, et cun » (2). Sacrifice inutile ...
guerre est donc divine en elle-même, puisque seule, et essentielle, de la noblesse en France, Condamnée vers 1830 comme le vestige
c'est une loi du monde. » Étonnante, cette fas- c'est la vacation militaire. >> inutile de temps définitivement révolus,
cination des grands esprits pour Mars ! À telle l'armée connaîtra pourtant un singulier retour
enseigne que se pose la question : la guerre Il se trouva même un officier de l'artillerie en grâce à la faveur des événements. Elle est
n'est-elle pas à 1'origine de toute littérature ? royale pour composer avec Les Liaisons dan- soudain célébrée comme le rempart de l'ordre
De 1'1/iade à la Chanson de Roland, des gereuses un traité de stratégie appliquée à la social après la répression des émeutes de juin
Tragiques d'Agrippa d'Aubigné aux Fantai- galanterie. Puis, comme sous l'effet d'une 1848 ressenties par tous les possédants répu-
sies du prince de Ligne, l'épopée s'est nourrie indigestion martiale, voici qu 'après 1815, la blicains ou monarchistes comme un cataclys-
de littérature cependant que les Lettres contri- veine brusquement semble tarie. Et les bons me. L'ébranlement de l'Europe, l'éveil des
buaient à penser la guerre. esprits pensent : pour toujours. nationalismes et le retour des guerres à
Il
OLDAT ET LA LITTÉRATURE
Il
LE SOLDAT ET LA LITTÉRATURE
vement de sept éclats d'obus. Baigné de natio- cavernes contre les hommes de l'aluminium et
~alisme, de camaraderie, de sens du devoir, Le du nylon » (Le Caporal épinglé).
)onge exalte « le goût du sacrifice [qui] n'est Engagé en 1940 dans les chasseurs alpins,
7u' une forme de la prodigalité de la vie » (7). Michel Mohrt confesse sobrement (Vers
Bien d'autres écrivains pourraient ici trou- l'Ouest) : « Paris regorgeait de "résistants".
ver place, héros authentiques livrés à l'oubli : Je ne prétendais pas à ce titre. » Et comble de
Ernest Psichari, petit-fils de Renan, lieutenant malséance, ne rougit pas d'avoir rendu visite à
j'artillerie coloniale, tué à 1'ennemi en Belgique ses amis Drieu La Rochelle et Bassompierre.
:août 1914), auteur de L'Appel des armes et du Les combattants d'en face eurent aussi leur
Voyage du centurion ; Georges Gaudy, chef de brillant chroniqueur en la personne d'Henry
oataillon qui signa, entre autres L'Agonie du Charbonneau, chef milicien, dont Les
'vfont-Renaud ; Philippe Barrès qui, des tran- Mémoires de Porthos relatent avec truculence
~hées de Champagne rapporta La Guerre à l'itinéraire risqué. Et puis il y a ceux qui reven-
vingt ans : « Au jour le jour de la guerre, le plus diquèrent le droit au « désengagement » qui, à
wuvent, celui qui tue se joue, celui qui est frap- l'instar du Hussard bleu de Roger Nimier pas-
?é tombe. Y-a-t-il place pour la haine ? » (8). sèrent de la Résistance à la Collaboration ...
Réfractaires au lyrisme guerrier, hantés par De la guerre d'Indochine à l'indépendance
l'enfer macabre, d'autres se partagent entre ~ de l'Algérie, les passions françaises entrèrent
refus et soumission. Henri Barbusse (Le Feu), to.-o..--.iio.J une fois encore en effervescence. Des récits
Romain Rolland (Au-dessus de la mêlée), Roger Le maréchal des logis Louis Destouches, plus durs, intenses et dépouillés de Pierre Schoen-
Martin du Gard (Les Thibault) peignent J'hor- tard Céline en littérature. Médaille militaire en doerffer (La 317' section) à ceux d'Erwan Ber-
reur de la guerre, le calvaire des « poilus » entre 1914 pour action exceptionnelle. got (Deuxième classe à Diên Biên Phu) et de
ooue et froidure. Rolland dressera le procès de Jean Pouget (Le manifeste du camp n° 1), en
une « abomination mécaniste, mécanicienne, à passant par les renoncements humanitaires
;es pairs coupables à ses yeux « d'avoir avili la
ryensée en la mettant au service d'un nationalis- laquelle l'homme n'a plus sa pGit » (Drieu), et d'un Jules Roy (Mémoires barbares), la plaie
7le aveugle » avant que de rallier le bolchevis- d'une issue fallacieuse. Après Charleroi, Guise, reste vive. Aussi vive que celle née de la dra-
me. Jean Giraudoux, sergent, puis sous-lieute- la Marne, les Dardanelles, Verdun, le sergent matique affaire algérienne pour laquelle Pierre
~ant au 176' régiment d'infanterie, sévèrement
Drieu, quatre fois blessé, ne reconnaît pas pour Sergent (Ma peau au bout de mes idées),
olessé par des éclats de shrapnels, souffrant sienne cette guerre qui tue l'esprit guerrier. Dominique Venner (Le Cœur rebelle) et Hélie
fentérite, fait campagne en Alsace et en Tur- Denoix de Saint Marc (Les Champs de braise)
~uie. Ses souvenirs de guerre, Lecture pour une Réveil des passions s'engagèrent chacun sans concession ni esprit
1mbre, seront d'un genre « peu viril » au gré de retour. Tant il est vrai, selon le mot de Riva-
j'André Gide ... (9). Mobilisé en 1914 (fm Dans Le Chemin de la croix des âmes, rol, qu' « en période de guerre civile, le plus
iécembre) dans 1'infanterie alpine, Giono Bernanos oppose aux fonctionnaires des chan- difficile n'est pas de faire son devoir mais de
iécouvre (juin 1916) 1'univers de fureur et celleries et aux agents des trusts la grandeur savoir où il se trouve ».
K l'enfer absolu de Verdun ». Commotionné par des combattants de 1914. Nous sommes alors E. V.
m obus, gazé aux yeux, il combat au Chemin en 1942. La sensibilité des écrivains prend
ies Dames (1917) et à Kemmel (1918). Sa cor- dans cette nouvelle guerre une acuité décuplée 1. Adrienne D. Hytier, La Guerre. Bordas,
respondance de guerre ne laisse rien percer mais parfois par les passions du moment, comme au 1989, p. 120.
il regardera cette guerre comme le mal absolu et temps des guerres de religion. Ainsi, de Saint- 2. Raoul Girardet, La Société militaire dans la
Exupéry qui, devant les émissaires gaullistes, France contemporaine, 1815-1939. Plon, 1953, p. 119.
;'affmme résolument pacifiste (Le Grand trou-
3. Charles Péguy, Cahiers de la Quinzaine,
7eau), quand bien même affieure dans le per- se donne les gants de lancer à l'adresse de leur
28 décembre 1913. Œuvres poétiques complètes.
;onnage d'Angelo Pardi, héros du Hussard sur chef : << Dites la vérité, général, nous avons
La Pléiade, 1948, p. 800-801.
1
e toit et dans celui de Martial, le gendarme très perdu la guerre. Nos alliés la gagneront. » 4. Père Teilhard de Chardin, La Nostalgie du
:>eu gendarmesque des Récits de la demi-briga- Accumulant les missions périlleuses (Pilote de front, extrait des Écrits du temps de guerre (1916-
ie, une évidente tendresse pour les militaires guerre), il jette : « Si je suis descendu, je ne 1919). Le Seuil, 1965, p. 204 à 207.
lVentureux d'avant le grand massacre. regretterai absolument rien. La termitière 5. René Quinton, Maximes sur la guerre.
Même ambivalence chez Céline - pardon, future m'épouvante. Et je hais leurs vertus de Réédition Le Porte-Glaive.
e maréchal des logis Louis Destouches, du robots » (10). Promeneur engagé des maquis 6. Les critiques de notre temps : Apollinaire.
12' cuirassiers -, volontaire pour des missions de Chine, d'Espagne, de Corrèze, André Mal- Garnier, 1971, p. 91-92.
ie liaison sous le feu ennemi, gravement bles- raux apparaît moins comme un fils de la guer- 7. Henry de Montherlant, Le Songe. Grasset,
1922, p. 76 à 78.
;é au bras, médaillé militaire (24 novembre re que des révolutions. Commandant de la bri-
8. Guy Dupré, C'est le sang de l'amour et le
1914), devenu en 1932l'antimilitariste Barda- gade Alsace-Lorraine, il campe l'image tou- sang de la peine. Trédaniel, 1996, p. 15.
nu du Voyage au bout de la nuit. jours convoitée de l'écrivain guérillero. Aty- 9. Philippe Dufay, Jean Giraudoux. Julliard,
A contrario, Bernanos et Drieu La Rochel- pique et fier de l'être, Jacques Perret résiste 1993, p. 195.
e dénoncent le double vertige d'une humanité « par mauvais caractère », non seulement en 10. Hugo Pratt, Saint-Exupéry, le dernier vol,
lVilie, d'un « bétail passif» aux prises avec royaliste rebelle « mais en homme des texte de Frédéric d'Agay. Casterman, 1995.
Ill
' '
TRENTE REPERES POUR VINGT SIECLES D'HISTOIRE
Vers 1960, la mode n'était plus à rejoint avec des forces supérieures et l'assiège.
Réduits par la faim, les défenseurs, qui n'ont
l'histoire-bataille. Comme toutes pas reçu les secours attendus, sont contraints de
se rendre. Dans l'espoir d'épargner son peuple,
les modes, celle-ci commence à Vercingétorix se livre au vainqueur, « parant
d'un sombre éclat le deuil de l'indépendance »
passer. Et l'on redécouvre les (De Gaulle, La France et son armée, 1938). Il
sera étranglé après avoir été détenu six ans à
mérites pédagogiques des grands Rome dans des conditions cruelles.
Il
VINGT SIÈCLES DE BATAILLES
7R : Roland à Roncevaux
Profitant d'une demande d'arbitrage de
émir de Saragosse, en conflit avec celui de
:ordoue, Charlemagne a conduit une expédi-
on au-delà des Pyrénées, mais il a échoué
ans sa tentative de s'emparer de la grande
ité de 1'Èbre. Il prend en revanche Pampelu-
e, mais son arrière-garde est attaquée par les
tontagnards basques quand l'armée repasse
:s Pyrénées, au col de Roncevaux. Le comte
oland et ses compagnons périssent au cours La bataille de Bouvines, 27 juillet 1214. Au centre, Philippe-Auguste. La présence de milices com-
li combat. L'épisode sera magnifié au cours munales en a fait la première manifestation de mobilisation nationale.
~s siècles suivants et Roland deviendra, dans
1 chanson de geste qui exaltera son sacrifice,
Flandre et l'empereur Othon IV de Brunswick. Nous sommes le 16 mai 1364. Du Guesclin
: champion de la lutte contre les Sarrasins. Après avoir triomphé de Jean sans Terre, à La feint alors la retraite pour encourager l'ennemi
n récit dont l'immense succès dans l'Occi- Roche-aux-Moines, en Poitou, il doit livrer à abandonner ses solides positions défensives.
~nt des XI'-XII' siècles est étroitement lié à
une bataille autrement difficile au nord du Une fois celui-ci tombé dans le piège, il fait
essor de la Reconquista et du pèlerinage de
royaume contre les autres coalisés. Le choc va face et livre bataille. La victoire est totale, le
aint-Jacques-de-Compostelle, dont le « che-
se produire à Bouvines, le 27 juillet 1214, captal est pris et les Anglo-Navarrais en
tin » emprunte le col de Roncevaux, à une
alors que le Capétien dispose d'effectifs sensi- déroute doivent se replier sur Acquigny. C'est
>oque qui voit la chevalerie se mobiliser pour
blement inférieurs à ceux de ses adversaires. à la veille de son sacre que Charles V apprend
Croisade.
Après six heures de combat, les coalisés aban- la victoire.
)99 : Godefroi de Bouillon à Jérusalem donnent le champ de bataille. La part prise
dans la victoire par les milices communales 1415 : Le désastre d'Azincourt
Quatre ans après que le pape Urbain II ait fait que l'on voit dans la bataille de Bouvines
ncé à Clermont l'appel à la Croisade, l'armée Débarqué en Normandie, Henri V
la première grande manifestation de sentiment d'Angleterre s'empare d'Harfleur, après une
anque, déjà victorieuse à Nicée, à Dorylée et
national. farouche résistance. Ne disposant plus que de
Antioche, vient mettre le siège devant Jérusa-
m. La ville est investie en juin et un premier forces trop réduites pour marcher sur Paris, il
saut est lancé le 14 juillet. Dès le lendemain,
1364 : Du Guesclin à Cocherel décide de remonter en force vers Calais pour y
chevalier de Puisaye, suivi par Godefroi de En cette vingt-septième année de ce qui prendre ses quartiers d'hiver. À la tête de cin-
ouillon, chef de l'expédition, bouscule deviendra la guerre de Cent Ans, Charles le quante mille hommes, le connétable d'Albret
mnemi sur la brèche ouverte vers l'Orient. Mauvais, comte d'Évreux et roi de Navarre l'attend entre Tramecourt et Azincourt, au
lors que les vainqueurs font payer cher leur était le meilleur allié des Anglais contre le nord-est d'Abbeville sur un terrain détrempé
sistance aux défenseurs, Godefroi entre sans jeune Charles V, qui s'apprête à recevoir à peu favorable aux manœuvres de cavalerie.
mes et pieds nus dans le Saint-Sépulcre pour Reims la couronne royale. Profitant du fait que Mais, au matin du 14 octobre 1415, les Fran-
prier. Quelques jours plus tard, la prise le roi de Navarre est retenu à Pampelune, Du çais forts d'une large supériorité engagent la
Ascalon donne aux Francs, pour un siècle, le Guesclin entreprend d'envahir ses possessions lutte dans un immense désordre et sous ·les
ntrôle de la Palestine. normandes et vient affronter à Cocherel, sur flèches des archers anglais. La chevalerie vient
les rives de l'Eure, à mi-distance d'Évreux et se briser sur la résistance des Anglais solide-
~14 : Philippe Auguste à Bouvines de Vernon, les troupes de Jean de Grailly, cap- ment installés en défensive. Les milices se
Philippe Auguste doit faire face à une coa- tal de Buch, chargé de défendre les posses- retirent sans avoir pu livrer bataille. L'écrasan-
ion qui rassemble contre lui le roi d'Angle- sions de Charles. Le captal s'installe prudem- te victoire d'Henri V lui assure un immense
Te, Jean sans Terre, le comte Ferrand de ment sur les hauteurs dominant la rivière. prestige malgré son ordre de massacrer les pri-
Il
T SIÈCLES DE BATAILLES
1'adversaire qui 1'attendait ailleurs, franchis- d'Ivry, le 14 mars 1590. Les ligueurs envisa-
sant les Alpes au col de 1'Argentière, 1'armée gent une manœuvre enveloppante, alors
française débouche le 15 août dans les plaines qu'Henri prévoit d'enfoncer leur centre.
du Piémont. L'affrontement se produit les 13 L'affaire est mal engagée car la Ligue dispose
et 14 septembre 1515. Les deux infanteries se d'effectifs supérieurs mais l'intervention per-
livrent un combat féroce au cours duquel le sonnelle du Béarnais, lancé à la tête d'un esca-
jeune roi François l" s'engage au premier rang. dron de six cents cavaliers contre le centre
L'issue est décidée par l'utilisation massive de adverse, stimule les courages(« Ralliez-vous à
l'artillerie commandée par Galiot de mon panache blanc ! » ). À l'issue de trois
Genouillac, brisant les carrés suisses et prépa- heures de lutte, la défaite des ligueurs est com-
rant la charge de la cavalerie. Au soir du com- plète et moins du quart d'entre eux peut
bat, le jeune roi est armé chevalier par Bayard s'enfuir.
sur le champ de bataille.
1643 : Le Grand Condé à Rocroi
1590 : Henri IV à Ivry À la tête de vingt-six mille hommes, don
Après l'assassinat d'Henri ill, son cousin Francisco de Mellos, gouverneur des Pays-Bas
Henri de Navarre, chef du parti protestant, espagnols, et le vieux comte de Fuentes vien-
devient roi sous le nom d'Henri IV. Le roi nent investir Rocroi, au débouché des
d'Espagne, Philippe II, qui voulait faire passer Ardennes, place ouvrant la route de Paris. Le
la couronne à sa fille, s'oppose à son avène- jeune Louis de Bourbon, duc d'Enghien et
]eanne d'Arc, seul portrait exécuté de son ment ainsi que la Ligue (parti catholique). C'est plus tard prince de Condé, ne dispose que de
vivant, lors de son procès, par le greffier qui en au moment où il assiège Dreux qu'Henri IV vingt mille hommes pour lui barrer la route
tenait les minutes. doit faire face à l'armée du duc de Mayenne, mais, malgré les conseils de prudence du
renforcée de contingents venus des Pays-Bas maréchal de l'Hôpital, il décide, avec la
sonniers. La chevalerie française est frappée
espagnols. Le choc se produit près du village fougue de ses vingt-deux ans et l'accord du
au cœur. Le connétable d'Albret a péri et
Charles d'Orléans est prisonnier.
L'HÔTEL ROYAL
DES INVALIDES
C'est d'abord en France que l'État
monarchique prit lui-même en main le sort
des vieux militaires invalides, répondant
ainsi aux pressantes sollicitudes de Blaise
de Montluc en faveur des pauvres estropiés.
Henri Ill, par les édits de 1578 et 1585, place
les soldats invalides sous la protection du
roi, mais il n'avait guère les moyens
d'imposer son autorité. Henri IV, avec la paix
et un pouvoir non contesté, pouvait tenter
de réserver à ses vieux soldats la maison de
Nicolas Houël, placée sous le contrôle du roi
en 1604, mais sa mort mit un terme à cette
politique. Louis Xlii ne réussit pas mieux,
avec la fondation d'un établissement
ambitieux, sous le nom de Commanderie de
Saint-Louis à Bicêtre, qui ne réalisa jamais
ses objectifs, faute d'argent.
L'ordonnance du 26 février 1670, portant
fondation de l'Hôtel Royal des Invalides par
Louis XIV, donna à ces tentatives l'ampleur,
la magnificence, et les moyens financiers
qui devaient assurer sa réussite. Sa
construction fut confiée à Libéral Bruant
(achevée par Hardouin-Mansart), et sa
décoration aux meilleurs artistes de
Versailles. En même temps, se trouve enfin
définie précisément l'invalidité militaire, le
mot invalide succédant alors au mot
estropié. Sont reçus à l'Hôtel Royal des
soldats âgés ou usés, blessés ou infirmes,
ainsi que ceux qui ont dix années puis vingt
Bataille de Fontenoy, 11 mai 1745. Ce fut la dernière grande victoire de la monarchie en Europe. années de services. Leur nombre important,
leur rétablissement éventuel, ainsi que le
fidèle Gassion, de prendre l'initiative. Le com- l'ennemi assiège Landrecies, les Français fei- souci de préserver la dignité de ces hommes
bat se limite le 18 mai à des escarmouches et gnent de se porter au secours de cette place. Le par une activité, entraînèrent la création en
c'est le lendemain que le jeune chef « se char- prince Eugène s'apprête donc à faire effort 1690 des compagnies détachées de soldats
ge de l'événement ». Sa gauche et son centre dans cette direction et c'est à Denain, sur invalides, envoyées dans les places fortes
enfoncés, il déborde et bouscule l'ennemi avec 1'Escaut, que, le 24 juillet 1712, Villars et le des frontières ou dans quelques châteaux
sa droite. Poussant son avantage, il prend à maréchal de Montesquiou s'en prennent aux de l'intérieur, résurrection améliorée des
revers les masses compactes des tercios espa- contingents hollandais, hardiment culbutés par mortes-payes. Gouvernées par l'Hôtel Royal,
gnols qui sont disloqués. Au soir de la bataille, une attaque surprise à la baïonnette. L'ennemi ces compagnies remplirent leur fonction
les pertes de l'ennemi sont cinq fois supé- jusqu'à la Révolution. En 1764, les deux
perd huit mille hommes dans la journée, aban-
ordonnances des 26 février et 30 novembre
rieures à celles des Français, qui capturent donne soixante drapeaux, et se voit contraint
firent un pas de plus en faveur des vieux
;ent soixante-dix drapeaux. de traiter.
militaires invalides, en leur donnant avec
une pension, fort modeste d'ailleurs, la
1712 : Villars à Denain 1745 : Maurice de Saxe à Fontenoy
possibilité d'une retraite civile, hors de
Alors que s'aggrave la guerre de Succes- Fontenoy est la principale bataille de la l'Hôtel Royal.
;ion d'Espagne et que le prince Eugène, à la guerre de Succession d'Autriche. Elle fut
ête de forces considérables, ambitionne de livrée du côté français par le maréchal de JEAN-PIERRE BOIS
narcher sur Paris depuis la frontière du nord, Saxe. Fils naturel de l'Électeur de Saxe Dictionnaire d'Art et d'histoire militaire.
~ouis XIV confie à Villars le salut du royau- Auguste l" et de la comtesse Aurore de Koe- Sous la direction d'André Corvisier, PUF 1988.
ne. Le maréchal ne peut s'attaquer directe- nigsberg, Hermann-Maurice, comte de Saxe, Voir aussi Les Grandes heures des Invalides,
nent à des forces supérieures mais une habile était maréchal de France depuis 1720. Il fut d'Anne Muratori-Philip. Perrin, 1989.
nanœuvre va lui donner la victoire. Alors que chargé, par Louis XV, du commandement de
Il
T SIÈCLES DE BATAILLES
1'armée opposée à celle du duc de Cumberland leurs efforts au sud du territoire en menaçant livré bataille. Le bilan militaire de l'affronte-
et du comte de Waldeck. En début d'après- la Virginie. Le général Washington les devan- ment est donc des plus minces, mais la portée
midi, le 11 mai 1745, l'infanterie anglo-hano- ce en trompant leur surveillance et en réalisant morale et politique de la « victoire » française
vrienne semble reprendre le dessus. Après que la jonction de ses forces avec celles du corps sera considérable. Témoin de l'événement,
les Français aient suspendu le feu (« Mes- expéditionnaire français de Rochambeau, ren- Gœthe s'écriera : « Ici, en ce jour, commence
sieurs les Anglais, tirez les premiers... »), forcé du corps de débarquement amené en Vir- une ère nouvelle ! »
Maurice de Saxe fait battre au canon le front ginie par La Fayette. Les forces ainsi rassem-
anglais et jette dans la bataille la Maison du blées entreprennent le siège de Yorktown où 1794 : Jourdan à Fleurus
Roi et son infanterie irlandaise. C'est suffisant s'est installé le général Cornwallis, bloqué du Les Français ont déjà obtenu la reddition
pour décider du sort de la bataille, remportée côté de la mer par la flotte du comte de Gras- de Charleroi quand le duc de Cobourg, igno-
sous les yeux de Louis XV et du Dauphin. se. Sans espoir d'être secouru, Cornwallis doit rant sa chute, intervient pour secourir la place
Malade, le général en chef a suivi l'action en capituler et livre les 7 000 défenseurs de la avec 60 000 Austro-Hollandais. C'est dans ces
se déplaçant dans une petite carriole d'osier. place. Cet échec majeur des Anglais consti- conditions que va se livrer la bataille de Fleu-
tuait une éclatante revanche après les défaites rus, le 26 juin 1794. Les Français sont en
1748: Dupleix à Pondichéry subies par la France au cours de la guerre de nombre équivalent. Dès trois heures du matin,
Alors que la France et 1'Angleterre Sept Ans. l'assaut des coalisés repousse vers la Sambre
s'opposent dans la guerre de Succession la gauche française mais Kléber rétablit la
d'Autriche, à l'autre bout du monde, l'amiral 1792 : La victoire de Valmy situation. Au centre de la bataille, Champion-
Boscawen paraît à la tête de trente navires,
Alors que Brunswick s'attarde sur la net résiste à tous les assauts de Kaunitz. On se
devant Pondichéry. Pendant ce temps, 6 000
Meuse, Dumouriez accourt pour tenir les défi- bat farouchement pour le village de Lambus-
hommes de troupe investissent la place du
lés de 1' Argonne, « les Thermopyles de la sart. Jourdan jette finalement sur l'ennemi
côté de la terre. Dupleix ne dispose que de
France ''· Pressé par l'ennemi, il se maintient toute la cavalerie du général Dubois et charge
1 400 Français et de 2 000 aux ili aires indi-
sur celui de Grandpré mais préfère finalement lui-même à la tête de trois bataillons qui cul-
gènes. Le comptoir français va supporter ainsi
58 jours de siège, dont 42 d'attaques quasi offrir la bataille à hauteur du plateau de Valmy, butent l'adversaire. Cobourg apprenant la
continuelles. Tous les efforts anglais se brise- à l'ouest de Sainte-Menehould. C'est là que, le perte de Charleroi n'insiste pas et se replie sur
ront devant l'énergie du représentant de la 20 septembre 1792, les deux armées se font Bruxelles. On avait utilisé pour la première
compagnie française des Indes, contraignant face mais la lutte se résume à des échanges fois un ballon captif d'où le capitaine Coutelle
l'ennemi à se retirer. d'artillerie peu meurtriers et les Prussiens se put observer l'ensemble du champ de bataille
replient en bon ordre sans avoir réellement et renseigner le commandement français.
1759 : Montcalm devant Québec
La guerre de Sept Ans a entraîné en Amé-
rique du Nord une reprise des hostilités avec
1'Angleterre, marquée par les nombreux suc-
cès initialement obtenus à partir du Canada
français . La prise du fort William-Henry
menace même la Nouvelle-Angleterre. Mais
les Anglais se ressaisissent et rassemblent des
moyens très supérieurs à ceux dont disposent
leurs adversaires. En 1758, la prise de Louis-
bourg leur ouvre la route de Québec par le
Saint-Laurent. Le contrôle de la vallée de
l'Ohio et la prise du fort Frontenac resserrent
l'étau autour de la Nouvelle-France. Le 8
juillet 1758, le marquis de Montcalm a battu
Lord Abercromby au fort Carillon mais, en
1759, une flotte anglaise remonte le Saint-
Laurent et amène devant Québec le puissant
corps expéditionnaire du général Wolf. Celui-
ci remporte la victoire des plaines d'Abraham
mais y laisse la vie, alors que Montcalm meurt
lui-même de ses blessures le 13 septembre,
quatre jours avant la capitulation de Québec.
Il
VINGT SIECLES DE BATAILLES
•
T SIÈCLES DE BATAILLES
1863 : La Légion à Camerone conclu par le fameux « On les aura ! ». Bien- 1954 : Diên Biên Phu
Chargés d'une mission d'escorte, durant la tôt, la résistance de Sauville fera la décision en Établi dans l'ouest du Tonkin pour empê-
campagne du Mexique, les soixante légion- faveur des Français qui reprennent Douaumont cher les infiltrations viet-minh en direction du
naires du capitaine Danjou, qui s'est illustré en en octobre. Laos, le camp retranché de Diên Biên Phu a
Algérie - où il a perdu une main - et en Cri- été attaqué avec de puissants moyens par
mée, se trouvent confrontés avec des forces 1944 : Juin à Monte Cassino 1'ennemi à partir du 13 mars 1954. Les ser-
mexicaines bien supérieures, 800 cavaliers et Dans la bataille pour le Monte Cassino, le vices de renseignement français n'avaient pas
1 200 fantassins. Pendant une journée entière, corps expéditionnaire français du général Juin imaginé que le général Giap pourrait amener
retranchés dans l'hacienda de Camerone, ils s'est déjà illustré en janvier 1944, quand des de l'artillerie lourde dans une région aussi
refusent toute reddition. Le capitaine Danjou unités de la 3' division d'infanterie algérienne lointaine et aussi peu accessible. La cuvette de
ayant été tué, il est remplacé par le sous-lieu- (DIA) de Monsabert se sont infiltrées dans le Diên Biên Phu va ainsi devenir un Verdun
tenant Vilain, lui-même tué à son tour et rem- dispositif allemand et ont occupé le Belvédère. indochinois, mais un Verdun coupé de l'arrière
placé par le sous-lieutenant Maudet. À la tom- Deux bataillons vont y tenir huit jours sous un et progressivement asphyxié, sans espoir
bée du soir, cinq survivants résistent toujours. déluge de feu, pratiquement coupés du gros de d'être secouru. Le parachutage de renforts,
Ils tirent leurs dernières cartouches et char- la division. Exploit sans lendemain, car les notamment celui du 6' bataillon de parachu-
gent, baïonnette au canon, contre la meute Américains ne parviennent pas à emporter la tistes coloniaux du commandant Bigeard, ne
adverse. Impressionnés par le courage de ces décision au nord-ouest du Mont Cassin. Minu- peut que retarder l'échéance. Malgré l'héroïs-
« démons », les Mexicains les épargnent et tieusement préparée par Juin, l'offensive finale me des paras et des légionnaires, les points
leur accordent les honneurs de la guerre. est lancée le 11 mai 1944, à l'issue d'une for- d'appui baptisés Béatrice, Isabelle, Éliane ou
midable préparation d'artillerie. Les Améri- Dominique, vont tomber les uns après les
1870 : Les cuirassiers de Reischoffen cains piétinent mais, dans l'après-midi du 13, autres. Le 7 mai, à l'issue d'un siège de près
Au lendemain de l'échec subi à Wissem- le drapeau tricolore flotte sur le Monte Majo, de deux mois, le colonel de Castries est fait
bourg, Mac-Mahon vient occuper la position emporté de haute lutte par les unités de prisonnier avec ce qui reste de la garnison, pri-
de Woerth, ce qui lui permet de couvrir les l'armée d'Afrique. La rupture est obtenue et, vée de munitions et écrasée sous le nombre.
trois routes de Haguenau, Saverne et Bitche, le surlendemain, la ligne de repli Hitler est lar- Un tiers des défenseurs a péri et seulement un
mais il doit affronter à un contre deux les gement dépassée. Monsabert peut foncer en quart des prisonniers survivra à une effrayante
forces du prince royal de Prusse. Le 6 août, la avant et ouvrir aux Américains la route de captivité dans les camps viets.
division Ducrot repousse les Bavarois et la Rome. J.K.
division Raoult contient à Froeschwiller les
assauts des Prussiens qui cherchent à envelop-
per le dispositif français. Mac-Mahon fait
alors donner sa cavalerie (8' et 9' cuirassiers,
8' lanciers, et les quatre régiments de cuiras-
siers de la division Bonnemains). Lancées à
travers les houblonnières, les charges fran-
çaises sont fauchées par le feu très dense de
l'ennemi. Mac-Mahon doit se résoudre à la
retraite en direction de Petite-Pierre et de
Phalsbourg, pendant que la division Raoult et
son chef succombent à Froeschwiller.
L
'histoire de l'armée française du
général Weygand avait bercé notre et la description, de connaissances. Ce n'est
enfance. Abondamment illustrée en évidemment pas le cas avec ces quatre
noir et blanc, rehaussée de planches cou- volumes, où conformément aux souhaits
leurs, elle faisait défiler les Gaulois du d'André Corvisier, l'histoire militaire est
musée de l'Armée, des chevaliers à la lourde « désenclavée », reliée à la nation dans tous
cuirasse, des mousquetaires du Roi, des ses aspects : politiques, institutionnels, tech-
volontaires de Valmy, des goumiers de niques, éducatifs, financiers , économiques,
l'Empire et des poilus de Verdun. Peu de sociaux, etc. Ni l'opinion publique ni les
marins et d'aviateurs. Peu de représentants formes de recrutement n'ont été négligées.
des services techniques, si ce n'est les pon- Si les chefs militaires sont toujours bien
tonniers du général Eblé. On lisait un texte campés, les hommes qui ont combattu ou
conventionnel, mais solide. On admirait les seulement porté les armes, le sort des prison-
uniformes, les canons, les étendards. On sui- niers (étrangers en France ou français à
vait sur les cartes, les manœuvres. On rêvait. l'étranger), le statut des femmes qui accom-
On était heureux. Depuis cette Histoire, à pagnaient les armées sont également évo-
plusieurs reprises mise à jour et rééditée, qués. Le critique le plus pointilleux y trouve-
aucune autre entreprise de ce genre n'avait ra aussi bien l'évaluation numérique d'une
vu le jour, jusqu'à l'ouvrage collectif en grande armée carolingienne (3 000 cavaliers,
quatre volumes qu 'André Corvisier a com- 15 10 000 fantassins) que le poids de l'arme-
mencé à publier en 1992. ment d'un cheval au XII' siècle (25 kilos de
De 1925 à 1965, l'Université avait déser- fer) ou que 1'évolution des budgets militaires
té l'histoire militaire, à l'exception de Raoul Le professeur André Corvisier. du Consulat et de l'Empire, sans oublier
Girardet (La Société militaire dans la Fran- l'indispensable part de la production d'arme-
ce contemporaine 1815-1939, Plon, 1953). professeur à la Sorbonne, spécialiste de la ments dans la valeur globale de la produc-
En fait, ce fut André Corvisier qui réussit à Première Guerre mondiale, biographe du tion industrielle française au xrx· siècle (de
renouer le dialogue entre universitaires et maréchal Pétain et auteur d'une thèse qui fait 0,51 % en 1815-1824 à 1,10 % en 1875-
militaires. autorité sur les mutineries de 1917. Quant au 1884, soit un facteur tout à fait secondaire
En 1969, ce spécialiste de l'armée fran- quatrième volume, sa direction a été assurée dans la croissance industrielle... ). Aussi ne
çaise du XVII' et du XVIII' siècle recrée la par André Martel, professeur à 1'Institut faut-il pas s'étonner que cette histoire mili-
Commission française d'histoire militaire. d'études politiques d'Aix-en-Provence. taire de la France soit du même coup une
En 1988, il dirige la publication d'un remar- Bien que supérieure sur tous les plans à histoire de la France, de la Nation et de
quable Dictionnaire d'art et d'histoire mili- celle de Weygand, cette Histoire est inférieu- l'État, abordée sous l'angle militaire :
taire (PUF), premier ouvrage de ce type paru re sur un point à l'œuvre du général : elle ne « L'histoire de la formation de la France,
depuis 1910. Quatre ans plus tard, il récidive fouette pas l'imagination et n'incline pas à la observe Philippe Contamine, de son unité,
en prenant la tête d'une monumentale His- rêverie. Est-ce la faute d' une iconographie de son indivisibilité, est pratiquement indis-
toire militaire de la France en quatre tomes : rare et peu légendée ? Ou est-ce les normes sociable de son histoire militaire. »
Des origines à 1715, De 1715 à 1871 , De d'une histoire universitaire plus rigoureuse
1871 à 1940 et De 1940 à nos jours, publiée mais moins « vivante » ? Quoi qu'il en soit, FRÉDÉRIC VALLOIRE
aux PUF. Si la coordination du premier a été ces quatre volumes sont aujourd'hui Sous la direction d'André Corvisier, His-
confié à un universitaire, Philippe Contami- d'incomparables livres de référence. La toire militaire de la France, en quatre volumes.
ne, professeur à l'université de Paris-Sorbon- tonalité d'ensemble est universitaire : on ne PUF: Des origines à 1715,648 pages, 145 F. De
ne, spécialiste de l'histoire militaire médié- manque pas de tableaux, de chronologies, 1715 à 1871, 624 pages, 145 F. De 1871 à 1940,
528 pages, 145 F. De 1940 à nos jours,
vale, c'est à un militaire, le général Jean Del- d'études sur les origines sociales et géogra-
712 pages, 145 F. Ces ouvrages offrent des
mas, président de la Commission française phiques de tel ou tel corps de troupes, de références bibliographiques très complètes
d'histoire militaire et ancien directeur du plans de carrière, de pourcentages, d'effec- jusqu'aux dates de parution. Également sous
Service historique de l'armée de terre, qu 'est tifs , etc. On ne s'en plaindra pas. Pendant la direction d'André Corvisier, Dictionnaire
revenue la responsabilité du deuxième. Le trop longtemps, 1'histoire militaire a souffert d'art et d'histoire militaire, PUF, 1988, 896
troisième a été dirigé par Guy Pedroncini, de l'à-peu-près et d'une étroitesse d'esprit pages, 200 F.
Il
LA FONCTION GUERRIÈRE DANS L~ANCIENNE FRANCE
Chevaliers
et mercenaires
PAR CHARLES VAUGEOIS
1!1
1
EVALIERS ET MERCENAIRES
Bandes de Picardie
et régiments royaux
L'armement et la tactique des Suisses ont
été mis au point durant leurs guerres d'indépen-
dance. En 1386, ils ont défait en rase campagne
3 000 chevaliers lorrains. Et en 1476, ils battent
Charles le Téméraire à Grandson puis à Morat.
Ces victoires annoncent le retour en force de
l'infanterie sur le champ de bataille. Toutes les
Combat entre Suisses (à droite) et Bourguignons (à gauche). On remarque des canons au second armées européennes se mettent à leur école.
pum. Les Suisses sont généralement formés en gros carrés d'un millier d'hommes, les batailles ou Louis XI, qui les a combattus et appréciés,
bataillons constitués selon la parenté et la commune. Chaque bataillon est commandé par un capitaine prend des contingents suisses à son service et
(Hauptmann). L'unité de base, d'une centaine d'hommes, est désignée par le nom de son symbole, une confie à Guillaume de Diesbach le soin d' orga-
petite bannière ou enseigne (Fahnlein) commandée par un enseigne (Venner). Plusieurs rangs de
niser sa propre infanterie, en 1480. Vingt mille
piquiers constituent la face extérieure du bataillon. Le courage et la discipline de ces troupes garantis-
sent une cohésion inébranlable. Gravure sur bois, XVI' siècle. soudards sont réunis à Pont-de-l' Arche, en Nor-
mandie. Après deux ans, les bataillons français
avec l'empereur d'Autriche, il leur livre la cité un siècle. Elle est à l'origine des futurs régi- sont répartis dans des garnisons d'Artois et de
impériale de Bâle tenue par les Suisses, adver- ments de cavalerie. On lui donne le nom Picardie. Ces bandes de Picardie reçoivent le
drapeau rouge frappé d'une croix blanche.
saires de l'Empereur. Écorcheurs et Suisses se d'ordonnance du Roi.
Après 1'échec des francs archers, elles consti-
massacrent copieusement. En récompense, le La grande ordonnance est formée de com-
tuent la première infanterie royale et permanen-
dauphin exige qu 'on lui livre l'Alsace où il pagnies de cavalerie ou compagnies d'ordon-
te. Cette infanterie n'a encore aucun caractère
dirige les rescapés de ses bandes au milieu nance destinée à faire campagne. La petite
national. Seule la chevalerie est française.
d'exactions sans nom. ordonnance est formée de troupes de garnison.
Après avoir dominé tous les champs de
Se substituant aux anciennes montres féo- Par cet acte, le roi revendique pour lui seul
bataille d'Italie et de la Grande Bourgogne pen-
dales, la généralisation des Grandes Compa- le monopole de la force armée. À partir du dant un siècle, les Suisses se révèlent inca-
gnies ménage une mutation dans la gestion de conseil de 1445, la constitution des troupes pables de s'adapter aux nouveaux armements et
la guerre. En Italie, elles donnent naissance armées en dehors des compagnies royales est aux changements tactiques. Défaits une premiè-
aux condottières. En France, elles accélèrent la en principe interdite sur toute l'étendue du re fois à Marignan par 1'artillerie française, ils
disparition de la chevalerie déjà condamnée royaume. L'effet ne sera pas immédiat. sont définitivement mis hors jeu sept ans plus
par le développement de l'artillerie. Cette Les compagnies d'ordonnance seront tard, en 1522, à la bataille de la Bicoque, par les
arme nouvelle qui a raison des Anglais à For- constituées avec les meilleures unités d'Écor- arquebusiers espagnols du marquis de Pesquai-
migny (1450) et à Castillon (1453), est un cheurs. L'unité de base de la compagnie est la re (Pescara) et les lansquenets de Georg von
monopole royal. Aucun château fortifié n'y lance fournie. Elle se compose de six hommes Freundsberg qui, eux, ont fait la synthèse des
résistera. Avec eux, s'évanouira l'ancienne et six chevaux. Elle a pour centre 1'homme techniques suisses et des nouvelles armes à feu.
France féodale. d'armes muni de la lance et revêtu du harnois Les vieilles bandes de Picardie et du Pié-
Réunissant son conseil à Nancy, en 1445, blanc (armure complète) Il est accompagné de mont, ayant opté pour la cause catholique et
Charles VII décide la création d'une armée deux archers à cheval, d'un coustilier, d'un royale pendant les guerres de religion, sont for-
permanente qui servira le roi aussi bien en page, et d'un valet. Une compagnie d'ordon- mées en régiments royaux. Mais cette armée
temps de paix qu'en temps de guerre. Cette nance est formée de cent lances fournies, soit mal soldée, recrutée par la contrainte, mainte-
organisation nouvelle restera inchangée durant six cents cavaliers. nue par la crainte du gibet, a une cohésion des
CHEVALIERS ET MERCENAIRES
LA MAISON DU ROI
Comme leurs prédécesseurs francs, les rois trois reprises, elle charge les retranchements
de France s'étaient toujours entourés d'une tenus par les Anglais. Ses escadrons sont
garde personnelle, seule troupe permanente fauchés par les salves tirées à bout portant.
pendant longtemps à leur disposition. En 1261, Réformés en bataille, les survivants restent
Saint louis créait ainsi les gardes de la Porte, le immobiles, quatre heures entières, exposés au
plus ancien corps de ce qui deviendra la Maison tir meurtrier des canons ennemis. le roi
du Roi. Dix ans plus tard, en 1271, son fils Guillaume, étonné du peu d'effet de ses pièces,
Philippe lille Hardi constitue des gardes de la va inspecter ses batteries, accusant dans sa
Prévôté pour assurer la police du palais. En colère l'incapacité de ses artilleurs. Ayant
1453, huit ans après la création des compagnies constaté que tous les coups portent, il laisse
d'ordonnance, Charles VIl forma une compagnie échapper un cri d'admiration et de dépit : " Oh !
des archers du corps, composée de l'élite des l'insolente nation... "· À Dettingen, en 1742, la
compagnies écossaises au service de la France cavalerie de la Maison du Roi se sacrifie pour
contre les Anglais. le recrutement restera assurer la retraite, au point que la compagnie
écossais jusqu'à la fin du XVI' siècle. Son fils, des chevau-légers sera anéantie. À Fontenoy, la
louis Xl, ajoute en 1474 une seconde compagnie victoire sera acquise par les charges de la
à cette première garde du Corps, mais Maison Rouge, au prix de lourdes pertes. le duc
composée cette fois de Français. Il fonde aussi de Marlborough, qui en avait subi la fougue, aura
la compagnie des Cent gentilshommes de la ce mot : " On ne peut battre la Maison du Roi, il
Maison du Roi. En 1475, le roi ajoute une faut la détruire. "
nouvelle compagnie française aux gardes du Cependant, après les campagnes
Corps. Puis, dans le but de donner une marque Mousquetaire Noir, ainsi nommé en raison de désastreuses de la guerre de Sept Ans, la
de confiance à ses alliés Suisses- qu'il avait la robe des chevaux de la 2' Compagnie. Ceux de Maison du Roi subit l'amollissement de l'époque.
jadis combattus - il forme en 1481, avec cent la l '" Compagnie donnent leur nom aux Mous- le corps d'élite se mue en troupe frivole.
hallebardiers choisis parmi les six mille Suisses quetaires Gris. Manteau bleu à croix blanche En 1n6, trois ans après le sacre de louis XVI,
réunis au camp de Pont-de-l'Arche, la fleurdelysée. Gravure de Chéreau, 1756. le comte de Saint-Germain, qui a reçu l'année
compagnie des Cent-Suisses de la garde du Roi. précédente le portefeuille de la Guerre, supprime
Cent-Suisses, les gardes de la Porte et les
Chaque monarque, par la suite, renforcera la d'un trait de plume les Mousquetaires et les
gardes de la Prévôté.
Maison militaire. En 1563, au retour du siège du grenadiers à cheval. En 1787, les chevau-légers
2. la " Garde du dehors , : affectée à la garde
Havre, Catherine de Médicis constitue des et les gendarmes sont dissous à leur tour. la
extérieure des résidences royales, elle
gardes à pied, ancêtres des gardes françaises, cavalerie de la Maison du Roi ne compte plus
comprend : le régiment des gardes françaises et
pour veiller sur la personne du roi Charles IX, que quatre compagnies de gardes du corps. À la
le régiment des gardes suisses pour l'infanterie.
qui est mineur. veille de la Révolution, elle n'est plus que
Devenu roi de France, Henri IV ajoute aux Pour la cavalerie, la compagnie des gendarmes l'ombre d'elle-même et ne porte plus que le nom
gardes existants en 1590 une compagnie d'élite de la garde, la compagnie des chevau-légers de de Maison militaire.
de gendarmes dite de la garde, puis en 1593, il la garde, les deux compagnies de Mousquetaires Mutiné le 12 juillet 1789, le régiment des
transforme sa compagnie de cent chevau-légers du roi, la compagnie des grenadiers à cheval gardes françaises participe deux jours plus tard
de Navarre en compagnie de chevau-légers de la instituée par louis XIV en 1676 et constituée de à la prise de la Bastille vide de prisonniers. À
garde. Pendant la minorité de louis Xlii, la roturiers, ce qui est également le cas de la leur décharge, il faut dire que les gardes
régente Anne d'Autriche crée, en 1616, un gendarmerie de France (six compagnies en françaises n'avaient plus d'officier dignes de ce
régiment d'Infanterie de gardes suisses pour 1692). nom. Dissous le 31 juillet, une partie constituera
veiller à la garde du jeune roi. Celui-ci fondera en " La Maison du Roi, dira le duc d'Aumale, la garde nationale de Paris. En revanche, ce sont
16221a 1"' compagnie des Mousquetaires du roi, était à la fois une cavalerie d'élite, une pépinière les gardes du Corps qui, au prix de leur sang,
à laquelle louis XIV ajoutera une deuxième d'officiers et une institution qui remplaçait les sauvent la famille royale le 6 octobre 1789 et qui,
compagnie en 1661. derniers débris de l'organisation féodale "· De plus tard, fournissent les derniers fidèles d'une
C'est louis XIV qui donne à la Maison du Roi fait, avant la création des écoles d'officiers, les monarchie qui refusait de se défendre. Ils seront
l'Importance exceptionnelle qu'elle conservera corps de cavalerie de la Maison du Roi en dissous par décision de l'Assemblée
jusqu'au deuxième tiers du XVIII' siècle. assuraient la fonction auprès des jeunes nobles Constituante, le 25 juin 1791.
Organisée par ordonnance royale du 6 mai 1667, qui les rejoignaient vers quinze ans et y le régiment des gardes suisses, ainsi que
la Maison du Roi verra sa composition et l'ordre recevaient la formation la plus rigoureuse. d'anciens gardes du Corps, se sacrifient le
de préséance entre les corps souvent remaniée. la garde puis la Maison du Roi participèrent à 10 août 1792, aux Tuileries, pour la défense de la
Il est cependant possible d'en donner la toutes les grandes batailles des règnes d'Henri IV, famille royale, face au déchaînement de l'émeute.
composition au moment de son apogée. Elle se louis Xlii, louis XIV et louis XV. Toujours, elles Obéissant à l'ordre suicidaire de louis XVI qui
compose de deux gardes : se couvrirent de gloire. ÀSeneffe, en 1674, le prescrit de cesser le feu, ils se feront massacrer
1. la " Garde du dedans " : affectée au service prince d'Orange qui vient d'en éprouver la dure sans pouvoir riposter. les quelques survivants
Intérieur des résidences royales. Elle comprend violence s'écriera : "Si j'avais de pareilles sont licenciés le 12 août. le roi et la famille royale
les quatre compagnies de gardes du Corps (une troupes, je me sentirais invincible. " En 1692, à sont désormais les prisonniers des émeutiers.
écossaise et trois françaises), la compagnie des Neerwinden, sous le maréchal de luxembourg, à DOMINIQUE VENNER
VALIERS ET MERCENAIRES
LA MILICE,
ANCÊTRE DU
SERVICE MILITAIRE
Il ne s'agit pas ici des milices
bourgeoises médiévales, mals d'une armée
de seconde ligne, créée par Louis XIV, pour
soutenir les troupes régulières et soldées.
Selon l'ordonnance du 29 novembre 1688, il
était prévu que chaque paroisse ou chaque
groupe de paroisses devait fournir
cinquante hommes tirés au sort parmi les
célibataires de vingt à quarante ans, équipés
aux frais de la paroisse pour servir deux
années durant dans la milice. La guerre de
Succession d'Espagne vit en 1701 la
cc mobilisation » de cent quatre-vingt-cinq Louis XIV à la tête de ses armées, en Franche-Comté, lors de la prise de Besançon en 1668.
mille miliciens. Sous le règne suivant,
l'ordonnance du 25 février 1726 précisa plus douteuses. Richelieu la renforce. Ayant la bataille de Sasbach en 1675. Esprit novateur et
l'organisation du recrutement. Soixante mille besoin de troupes, il autorise des colonels à talentueux, excellent organisateur, il a été pour
hommes devalent être mobilisables pour six lever des régiments qui sont leur propriété. le jeune Louis XN un maître respecté.
ans par tirage au sort parmi les célibataires Mais ce sont les réformes de Le Tellier, nommé La mort de Turenne coïncide avec la promo-
et les veufs âgés de seize à quarante ans, secrétaire d'État à la Guerre en 1643, puis de tion de Louvois à la direction des bureaux de la
les villes demeurant épargnées jusqu'en son fils Louvois qui formeront peu à peu Guerre. il prend la suite de son père, Michel Le
1742. Les exemptions sont nombreuses et l'armée française moderne. Une armée qui Tellier (1603-1685) qui avait déjà entrepris une
des possibilités de remplacement sont compte encore pour moitié d'étrangers. En profonde refonte de l'armée. De régiments
offertes moyennant rétribution. Ce service 1789, l'infanterie française comporte encore 23 appartenant à leurs colonels, Louvois fait une
militaire avant la lettre est très impopulaire régiments étrangers pour 70 régiments français. armée royale soumise au contrôle de ses
car Il est en contradiction avec la division bureaux. n définit en 1675 « l'ordre du
fonctionnelle de la société, qui réserve à la L'armée royale tableau », faisant accéder les roturiers à de très
noblesse et aux volontaires recrutés par hauts grades. n institue les uniformes, crée des
racolage le service des armes. Il est perçu
au XVII• siècle
casernes, des arsenaux, des écoles d'artillerie,
comme une humiliation injuste par toutes des magasins à vivres et à fourrage. il est aussi
Comme les autres puissances européennes,
les familles qui possèdent quelques biens. l'artisan d'une politique de force brutale: dévas-
On est très loin, on le voit, d'une
la France du XVII' siècle a imité les réformes
introduites dans ses propres forces par Maurice tation du Palatinat, bombardement de Gênes,
conscription fondée sur le principe de dragonnades.
l'égalité des citoyens. Les contraintes
de Nassau (1567 -1625), fils de Guillaume le
Taciturne, capitaine général des Provinces- Aucun autre règne n'est comparable en
étaient pourtant légères en temps de paix. intensité guerrière à celui de Louis XIV. Sa
Les miliciens étaient rassemblés une ou Unies à 23 ans qui, par ses victoires répétées
sur les Espagnols, a obtenu en 1609l'indépen- politique d'expansion et d'intimidation dresse
deux semaines par an. La garde des places
dance de son pays. Maurice de Nassau comprit peu à peu toute 1'Europe contre lui. Louis XIV
fortes et le maintien de l'ordre étaient les
que le feu domine désormais le champ de a mené près de 28 années de guerres échelon-
missions du temps de guerre, pendant que
bataille et que la victoire appartient au camp nées sur quatre grands conflits. La guerre de
l'armée active était engagée aux frontières
disposant de la supériorité en ce domaine. Succession d'Espagne, la dernière du règne et
ou faisait campagne en territoire étranger.
Pour cela, il substitue à la vieille formation en la plus éprouvante, se termine par une paix qui
Pourtant, l'impopularité de la milice était
carrés celle, « révolutionnaire », de la ligne qui conserve l'essentiel des conquêtes du règne
générale. Nombre de jeunes paysans
étale les tireurs et multiplie le feu des mous- (Flandres, Alsace, Franche-Comté), mais qui
s'efforçaient d'y échapper en disparaissant
quets. Ainsi, naît l'infanterie de ligne. reconnaît aussi l'hégémonie maritime, colo-
les jours de tirage au sort ou en s'infligeant
Petit-fùs par sa mère de Guillaume le Taci- niale et commerciale de l'Angleterre, désor-
des mutilations. Selon Bernardin de Saint·
turne et formé à l'école de Maurice de Nassau, mais la grande ennemie de la France pour les
Pierre " C'est un honneur de servir le Roi
dans l'état militaire et une espèce de honte le futur maréchal de Turenne, entré au service de deux siècles à venir.
de tirer à la milice. " Le rejet de l'institution la France en 1630, fait profiter de son expérien- De soixante-douze mille hommes en 1667,
al)paraît dans les cahiers de doléances de ce les armées du roi. Son action hâte la conclu- l'effectif des armées passe à cent vingt mille en
1789 et c'est aux cris de "Pas de milice!" sion heureuse pour la France de la guerre de 1672, à près de trois cent mille en 1668, et
que les villageois de Saint-Florent-le-Vieil Trente Ans (1618-1648). D'abord partisan de la atteint le chiffre, à l'époque colossal, de quatre
déclencheront, en 1793, l'insurrection Fronde, il finit par commander l'armée royale. cent mille hommes en 1703. Durant les guerres
vendéenne, quand la Convention prétendra Ses succès contre les Espagnols et Condé de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) et de
Imposer la levée de trois cent mille hommes. conduisent à la paix des Pyrénées en 1659. Pen- Succession d'Espagne (1701-1714), qui met en
PHILIPPE CONRAD dant la guerre de Dévolution, il conquiert la péril le royaume, les Français combattent sur
Randre en trois mois (1667). Un boulet le tue à quatre fronts (nord, est, Italie et Espagne). Le
CHEVALIERS ET MERCENAIRES
DES ÉTRANGERS AU
SERVICE DU ROI
vieux roi fait face avec une héroïque résolu-
tion, s'adressant à son peuple et soulevant un Archers écossais, fantassins suisses,
puissant mouvement national malgré la détres- reîtres et lansquenets allemands, catholiques
irlandais, volontaires corses ou flamands,
se financière. La guerre de siège, qui décida
cavaliers croates et hussards hongrois ont
souvent du sort final d'un conflit, exige plus
pris, durant les trois siècles qui vont de
d'hommes encore que la guerre de mouve-
Charles VIl à Louis XVI, une part décisive aux
ment. Vauban conçoit la défense des frontières actions militaires de la France. Le recrutement
par un « pré carré » de forteresses, aménageant des mercenaires apparut alors comme une
des dizaines de places fortes et couvrant le lit- excellente solution, dans la mesure où il prive
toral de fortifications. Son œuvre si admirée d'autres princes de cette ressource précieuse
sera cependant sans vrai lendemain. Le XVIII' que sont les professionnels de la guerre et il
siècle reviendra à la guerre de mouvement. permet aussi au monarque de tenir en respect
La France du long règne de Louis XV une noblesse turbulente, ce que résumera un
(1726-177 4), participe à trois guerres qui se peu plus tard le maréchal de Saxe quand il
déroulent au-delà des frontières, épargnant les expliquera " qu'un Allemand nous sert pour
Français. La guerre de Succession de Pologne trois hommes : il en épargne un au royaume,
permet de préparer l'annexion de la Lorraine. il en ôte un à nos ennemis et il nous sert pour
Le maréchal de Villars (1653-1734). Colonel un homme... »
La guerre de Succession d'Autriche se fait à vingt ans, sa carrière fut ensuite retardée par
« pour le roi de Prusse », qui devient notre Au XVII' siècle, on voit des Allemands
l'animosité de Louvois. Maréchal de camp en
adversaire au cours de la désastreuse guerre de comme Josias de Rantzau et Bernard de Saxe-
1690, lieutenant général en 1693, il s'illustre pen-
Sept Ans (1756-1763) livrée en Europe, et aux Weimar servir la politique de Richelieu au
dant la guerre de Succession d'Espagne. Procla-
mé maréchal de France par ses hommes sur le même titre que les contingents suisses,
colonies contre la convoitise anglaise. Le trai-
champ de bataille de Friedlingen, il est vaincu à irlandais, wallons, corses ou savoisiens. Un
té de Paris de 1763 consacre la puissance colo-
Malplaquet (1709), mais sa victoire à Denain corps de Croates du Raab, constitué en 1642,
niale anglaise à qui l'on abandonne le Canada
(1712) sauve le royaume. Il combat encore en Ita- est engagé à Rocroi dès l'année suivante.
qui n'a pu être défendu malgré l'héroïsme de Quand Louvois organise l'infanterie au début
lie sous Louis XV à plus de quatre-vints ans.
ses habitants et des troupes squelettiques du du règne personnel de Louis XIV, douze
marquis de Montcalm. régiments sur soixante sont de recrutement
bataille s'efface au profit de celle du courtisan
L'arrivée aux affaires du duc de Choiseul, étranger. Le régiment irlandais de Dillon est
asservi au pouvoir par les chaînes de la vanité.
favorise plusieurs réformes heureuses, notam- engagé dès la bataille des Dunes, gagné par
C'est au XVII' siècle que s'est imposée
ment celle de l'artillerie et des armements par Turenne sur les Espagnols en 1658, mais c'est
l'idée nouvelle de la noblesse exclusivement
Gribeauval, dont profiteront encore les armées surtout après la chute des Stuarts que les
associée à la naissance. Dans cette mutation, le
de la Révolution et de Napoléon. volontaires affluent. D'autres régiments sont
rôle de la monarchie n'est pas innocent. Son
fournis par les petits États catholiques
hostilité aux anciennes libertés féodales, sa d'Allemagne du sud et par le duché de Savoie.
Le suicide de la volonté de domestiquer la noblesse et d'exercer Le règne de Louis XV voit se multiplier les
monarchie française le monopole de la violence légitime l'incitent à régiments de houzards hongrois, notamment
dévaloriser 1'éthique guerrière, sauf quand elle ceux des comtes Bercheny et Esterhazy. En
Lorsque la Révolution éclate en 1789, s'exerce à son profit, dans ses armées. Encore pleine guerre de Sept Ans, l'armée du roi
année de la mort de Gribeauval, la France dis- largement ouverte aux roturiers par la voie des compte quarante régiments d'infanterie et
pose d'une marine capable de rivaliser avec armes au XV' et au XVI• siècle, la noblesse onze régiments de cavalerie composés
celle de 1'Angleterre, comme on l'a vu pen- française se ferme au siècle suivant, sauf à d'étrangers. Parmi eux, treize régiments
dant la guerre d'Amérique. Elle compte aussi l'argent. Alors que la carrière militaire ne per- suisses, douze allemands, cinq irlandais, un
un parc important d'armes modernes et une met plus d'accéder au deuxième ordre, l'achat Royal-Corse et un Royal-Italien ... Les unités
excellente remonte de cavalerie. En revanche, de charges en ouvre les portes aux bourgeois étrangères réagissent différemment face à la
cette armée a perdu son âme. L'infranchissable Révolution. Alors que le régiment suisse de
enrichis. Au XVIII' siècle, il n'y a plus qu'un
barrière de préjugés qui sépare nobles et rotu- Lullin de Châteauvieux participe en 1790 à la
noble sur cinq à exercer le métier des armes.
riers dans le corps des officiers y introduit une mutinerie de Nancy, les gardes suisses se
Ayant perdu ce qui faisait sa justification, la feront tuer, le 10 août 1792, pour défendre les
guerre civile qu'attisent des idées adroitement noblesse s'achemine vers sa disparition. Il
inoculées par 1' Angleterre. Tuileries. En 1812, la Grande Armée qui
s'ensuivra qu'après avoir triomphé d'elle et envahira la Russie sera dite " des vingt
Ellery Schalk a bien montré que jusqu'au détruit ainsi sa propre substance, la monarchie, nations "• du fait des nombreux contingents
XVI' siècle inclus, l'idée de noblesse n'est pas sans comprendre, y perdra également la vie. étrangers qui constituent plus de la moitié de
liée à la naissance, mais à la fonction militaire et Ch. V. ses effectifs et, en 1831 , la monarchie de
à la vertu, au sens romain du mot (virtus). Enco- Juillet renouera avec l'ancienne tradition en
re au temps de Montaigne, qui se fait gloire d'en (1) Ellery Schalk, L'épée et le sang, une histoi- créant la Légion étrangère, héritière de ces
être, la noblesse est avant tout une affaire de re du concept de noblesse (1500-1650), Champ Val- soldat dont beaucoup étaient devenus, au
métier, celui des armes. À partir des Bourbons lon, 1996. On peut également consulter pour la service du roi, "Français, par le sang versé"·
et de l'aggravation du centralisme étatique, la période précédente Martin Aureil, La noblesse en PHILIPPE CONRAD
figure du soldat fait chevalier sur le champ de Occident (V'-XV' siècle), Armand Colin, 1996.
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E
n 1789, l'année royale se composait de
trois éléments distincts, la Maison du
Roi, les troupes réglées et la milice. La
première comprenait les gardes du corps (tous
nobles), les gardes françaises et les gardes
suisses, en tout 7 200 hommes voués à la
défense rapprochée du monarque. Les troupes
réglées approchaient un effectif théorique de
170 000 hommes répartis en 102 régiments
d'infanterie, 62 de cavalerie, 7 d'artillerie et Héros de la liberté pour les uns,Janatiques sanguinaires pour les autres, les soldats de l'an Il sont
un petit corps d'officiers du génie. Quant à la d'abord les fils de leur époque, de la Révolution et de la guerre. Une époque qui inventa les armées de
milice, elle était tirée au sort parmi les paysans masse, le messianisme révolutionnaire et la dictature du salut public.
VRAIS SOLDATS DE L'AN Il
célibataires de 18 à 40 ans et comptait 75 000 Cette réflexion qui frôlait l'utopie connut l'échoppe et de la boutique (66 %). Quant aux
hommes répartis en 25 régiments et 80 pourtant son heure quand les troubles poli- « gens de talent », nous dirions les professions
bataillons de garnison. Si la Maison du Roi tiques prirent une tournure de plus en plus libérales, ils sont sur-représentés : 11 %.
valait surtout pour la parade et si la milice était radicale. De juillet à octobre 1789, les soldats Faite en temps de paix, la levée de 1791
connue pour sa médiocrité, les troupes réglées participèrent non seulement individuellement fut sans histoire ou presque. Il n'en fut pas de
- la « ligne » - composaient un ensemble de mais en corps, aux journées qui renversèrent même pour les suivantes. La patrie proclamée
qualité qui impressionnait autant par son effec- 1' absolutisme. Les 13 et 14 juillet, les gardes en danger (22 juillet 1792), 1'Assemblée légis-
tif considérable par l'époque et qui reflète la françaises jouèrent même un rôle décisif. En lative s'employa à créer des troupes spéciales
suprématie démographique de la France, que 1790-1791, 1'armée alla en se désagrégeant, - compagnies, légions franches, légions étran-
par son maintien et son esprit. L'excellente les cas de mutinerie se multiplièrent comme gères, chasseurs nationaux, bataillons de fédé-
tenue du corps expéditionnaire envoyé au celle de Nancy que la marquis de Bouillé, doté rés - dont les conditions de recrutement et de
secours des « insurgents » témoignait en sa de pleins pouvoirs par 1'Assemblée nationale, destination témoignent assez de l'urgence,
faveur et l'on a pu avancer que sans cet réprima dans le sang. La crise de l'armée prit voire de l'impéritie. À l'étude, les volontaires
apport, 1'armée du Congrès commandée par une telle ampleur qu'il fallut aux Constituants, de 1792 apparaissent comme encore plus
G. Washington aurait eu du mal à s'imposer en toute hâte, lui trouver des palliatifs. La jeunes (15 % ont moins de 18 ans) et d'origine
aux Britanniques. refonte proposée par l'un des leurs, Dubois- sociale encore plus humble. Ils sont enthou-
Mais cette façade imposante dissimule Crancé, fut jugée irréaliste. Sous les huées, il siastes, « ardents et généreux » mais, formant
mal les lézardes. À la base, le recrutement ne put se faire entendre lorsqu'il propose de trop souvent une cohue, ils gênent les autres
restait des plus contestables. Le racolage sys- composer la nouvelle armée nationale avec éléments de l'armée qui ne les apprécient pas
tématique amenait à l'armée de « pauvres trois forces, 150 000 hommes de troupes toujours. Pourtant, cette << masse agissante »
hères », victimes du boniment des recruteurs. réglées portées aux frontières, force d'active et (comme la qualifie un rapport de l'Assemblée)
La discipline s'inspirait du modèle prussien de choc ; 150 000 hommes de milice provin- finit par imposer le respect, surtout après la
très admiré depuis la défaite de Rossbach ciale placés en seconde ligne ; enfin, en réser- divine surprise de Valmy. Un de leurs adver-
(1757), visant à l'automatisme et sommant les ve, 1 200 000 citoyens armés « prêts à saires, le Prussien Laukhard observe : << Sans
soldats de s'en tenir à l'obéissance passive, défendre leur foyer et leur liberté envers et doute, ils n'étaient pas tirés au cordeau, aussi
elle était ressentie par eux comme une ava- contre tous ». astiqués, aussi dressés, aussi habiles à manier
lanche de brimades et de brutalités. À 1'autre Dubois-Crancé proposait aussi de faire le fusil et à marcher au pas que les Prussiens ;
bout, le corps des officiers gardait ses dis- élire la hiérarchie par la troupe, selon des ils ne savaient pas non plus se sangler dans
tances. Il n'avait jamais été autant fermé à la modalités d'ailleurs complexes. leurs tuniques comme eux ; mais ... ils étaient
roture: depuis l'ordonnance du 21 mai 1781, dévoués co1ps et âme, à la cause qu' ils ser-
on exigeait quatre quartiers de noblesse pater- Levée de 1791 et vaient ... ils savaient pour qui et pour quoi ils
nelle pour entrer dans l'armée comme officier, volontaires de 1 792 se battaient et se déclaraient prêts à sacrifier
sans passer par le rang. Seules les armes leur vie pour le bien de leur patrie ... Ils ne
savantes (génie, artillerie) recevaient des rotu- connaissaient d'autre alternative que la liber-
Après la fuite du roi à Varennes (20 juin
riers en nombre substantiel. Mais pour ces té ou la mort. »
1791 ), 1'Assemblée nationale se sentit assez
officiers de fortune, la promotion était d'une
menacée pour décider la levée de lOO 000
lenteur désespérante, surtout après l'ordon- volontaires qu'elle alla chercher dans la garde La levée de 1793
nance de 1788 qui les empêchait de dépasser nationale. Ainsi, redoutant l'armée de ligne et ses conséquences
le grade de lieutenant. supposée « infestée d' aristocratisme », la nou-
velle classe dirigeante s'en remettait-elle à une De Valmy n'est peut-être pas sortie une
La désagrégation formule qui consistait à prélever sur le corps « nouvelle époque de l'histoire du monde »,
de l'ancienne armée des citoyens actifs une masse armée garante comme le voulait Goethe, mais au moins une
des acquis de 1789. Choisis à raison d'un armée nouvelle, complètement inconnue jusque
Cette sclérose sociale, ce refus de faire cir- volontaire pour vingt gardes nationaux, là en Europe. Seulement, l'ampleur du défi que
culer les élites étaient mal vécus. La dénoncia- « réunis et payés que lorsque les besoins de lançait la France conduisait à toujours plus
tion commença bien avant 1789 et des théori- l'État l'exigeront », astreints à s'équiper et à d'effort militaire. Le volontariat ne pouvait y suf-
ciens de l'institution militaire comme Servan se nourrir à leurs frais, les volontaires de 1791 fire et le décret du 4 février 1793 leva 300 000
et Guibert se prononçaient pour une refonte étaient répartis en bataillons de neuf compa- hommes qui étaient beaucoup plus des requis
radicale. Dans son Essai général de tactique gnies (574 hommes) ; les sous-officiers et les que des volontaires. Comme ils ne suffisaient
(1772), Guibert stigmatisait les officiers cour- officiers étaient élus « à la majorité des suf- pas, la Convention récidiva. Les levées de 1793
tisans et vénaux, les hommes ramassés dans la frages des hommes de la compagnie ». Cette se justifiaient par 1' ampleur des retours au foyer
lie de la société, les « talents » ignorés ou levée de 1791 fut un succès et dans de nom- des volontaires de 1791. Une clause du décret
bafoués. Après Diderot et Jean-Jacques Rous- breux départements l'effectif demandé fut vite les y autorisait à compter du 1er décembre 1792.
seau, Guibert appelait de ses vœux la création dépassé. L'étude des registres d'engagement La Convention essaya de les retenir en faisant
d'une armée nationale où le soldat-citoyen révèle qu 'il s'agit d'hommes jeunes (19 % ont vibrer la fibre patriotique. Rien n'y fit et les
conservait « l'habit de son état sous l'habit moins de 25 ans), qu'ils proviennent assez peu bataillons s'étiolèrent, Dubois-Crancé, décidé-
militaire ». du monde paysan ( 15 %) et beaucoup de ment très porté sur la chose militaire (il avait
•
LES VRAIS SOLDATS DE L'AN Il
UNE ARMÉE
SANS-CULOTTE
L'armée devait être sans-culottisée, par
l'épuration des cadres et par l'amalgame qui
permettrait une meilleure diffusion des idées
véhiculées par une presse envoyée en
abondance dans les camps. Le mouvement
sans-culotte qui aida matériellement et
moralement les soldats pénétra l'armée à
partir de l'été de 1793.
Les sans-culottes et les Jacobins
surveillaient l'armée. Sans les certificats de
civisme qu'ils délivraient, il était impossible
d'obtenir la confirmation de son grade ou
une place dans un état-major. Les sans-
culottes, comme les Jacobins, recevaient les
troupes qui passaient dans leur ville et
s'efforçaient de les gagner. Les sans-culottes
avaient des comités de correspondance avec
leurs « frères aux armées » : ainsi les sans-
culottes parisiens conservaient-ils des liens
avec les volontaires et les requis.
Dans le département des Hautes-
Pyrénées, les soldats sans-culottes
devancèrent l'action de leurs « frères » en
faisant la chasse dans les administrations
au « modérantisme ''· << Trop longtemps,
elles ont, dirent-ils, laissé les prêtres
réfractaires jouir d'une protection marquée
et allumer la torche du fanatisme jusque sur
l'autel de la Liberté. » Ils exigèrent et
obtinrent des visites domiciliaires et
procédèrent eux-mêmes à l'arrestation des
suspects.
La presse fut le véhicule de la pensée
'. "\.
.. ......,. .. sans-culotte et notamment de l'aile la plus
avancée du mouvement dont Hébert voulut
Cavalier du roi en 1789, par Édouard Detaille. La loi du 1" janvier 1791 supprime les anciennes
appelkltions princières ou provinciales rempklcées par des numéros. Mais comme le dira le commandant être le porte-parole. Le ministre de la Guerre
Lachouque, « dans leur hâte de détruire tout ce qui pouvait rappeler la monarchie, les révolution- lui versa 118 800 livres pour la livraison
naires oublient de faire disparaître les uniformes. Ce sont eux qui vont imposer la tradition ». Parmi totale de plus d'un million d'exemplaires du
les régiments qui gagneront kl bataille de ]emmapes, le 6 novembre 1792, sous les ordres de Dumouriez, Père Duchesne. Par sa lecture, le soldat
on verra galoper le 3' de cavalerie en tenue de commissaire-général bleu aux revers écarkltes, le 7' dra- s'imprégnait des mots d'ordres des
g'On en tenue de dauphin, les ex-chasseurs de Flandres en collet écarlate, et les hussards de l'ex-Berche- « exagérés ,, : épuration de toutes les
ny en bleu céleste foncé et shako noir à la longue flamme rouge. administrations et de tous les comités
révolutionnaires, poursuite et
servi dans les mousquetaires de la Maison du mais aussi résistances passives et indivi- intensifications de la Terreur, vigilance à
Roi) inspira fortement le décret de février. Tous duelles. Comme la loi exemptait les hommes l'égard des autorités et notamment à l'égard
les citoyens de 18 à 40 ans étaient mis en état mariés, il y a eut épidémie de mariages ; les du gouvernement révolutionnaire dont la
ie réquisition permanente ; au cas où l'effectif entrepreneurs firent des pieds et des mains politique sociale était jugée trop tiède. Les
fixé pour chaque commune ne serait pas atteint, pour conserver leur personnel qualifié ; des assemblées politiques des sans-culottes
les citoyens étaient tenus de le compléter à professions entières réclamèrent et obtinrent étant contrôlées par le pouvoir, Le Père
1'importe quel prix. Seul adoucissement : le l'exemption, comédiens, meuniers ou Duchesne resta, pour l'armée, un organe de
~emplacement autorisé, dans certaines condi- notaires ... À la rhétorique officielle qui exaltait transmission des aspirations de l'avant·
:ions. l'unanimisme de ces « masses terribles » qui garde sans-culotte et ceci jusqu'en mars
La levée de 300 000 hommes se passa mal se levaient pour en finir avec les tyrans, 1794 où Hébert fut arrêté.
fans nombre de départements. Ceux du Nord s'oppose le refus quotidien et déterminé de
~t de l'Est, plus directement concernés par ceux qui n'acceptent pas 1'inégalité de traite- JEAN-PAUL BERTAUD
'invasion, s'y soumirent ; ceux de l'Ouest se ment entre riches et pauvres ou entre villes et La Révolution armée. Robert Laffont, 1979.
;oulevèrent. Résistances armées et en bloc, campagnes.
Il
VRAIS SOLDATS DE L'AN Il
LA VÉRITABLE
ARMÉE
NAPOLÉONIENNE
L'authentique image de la Grande Armée
risque de se trouver faussée par le souvenir
des étincelantes parades des Tuileries, de ces
défilés compacts de bataillons massifs et
empanachés. N'oublions pas qu'en
campagne, que dans leurs cantonnements, le
spectacle de ces troupes qui font trembler
l'Europe serait à peu près, pour nos yeux << Aux armes citoyens ! »Estampe de 1793.
contemporains, celui d'une véritable " déroute
en avant ». N'oublions pas que, si ce n'est à Les requis de 1793 composèrent les représentants en mission propagèrent la bonne
de rares moments, l'administration militaire mythiques soldats de l'an Il. La plupart restè- parole et s'appuyèrent sur les magistrats mili-
de l'Empereur reste débordée, presque taires pour moraliser l'armée. Certes, les résul-
rent sous les drapeaux jusqu'en 1796 et même
complètement impuissante. On sait que la
1797. Ce qui peut expliquer l'importance des tats ne furent pas toujours à la hauteur de cette
solde n'est versée qu'exceptionnellement, le
désertions et la fonte des effectifs. De 800 000 ambition et les guerriers vertueux mirent un
ravitaillement presque jamais assuré. Dans la
hommes on passa à 400 000 en juillet 1796 et certain temps à supplanter les soudards cha-
plupart des corps de troupe les hommes sont
vêtus d'uniformes disparates acquis aux 365 000 à la signature du traité de Campo-For- pardeurs et débraillés. Le sans-culottisme en
hasards des champs de bataille. L'armée vit mio (18 octobre 1797). Une hémorragie qui uniforme finit par l'emporter et on peut lui
sur le pays conquis, réquisitionnant ou pillant justifie à elle seule la loi proposée par le géné- imputer aussi bien la victoire de Fleurus que
sans autre formalité, dépouillant sur son ral Jourdan, député des Cinq Cents et son col- 1'écrasement sans merci des Vendéens et des
passage les régions qu'elle traverse. lègue Delbrel. La loi Jourdan-Delbrel fut Chouans.
De caractère simple, mais violent et adoptée le 5 septembre 1798. Elle instituait la Deux ans plus tard, les hommes que Bona-
passionné, le soldat impérial supporte mal conscription et resta en vigueur avec quelques parte prit en main pour les emmener << dans les
d'ailleurs les entraves et les règles. Sa modifications jusqu'en 1872. Avec cette loi, plus riches plaines du monde » étaient deve-
conception de l'obéissance militaire n'a que Napoléon Bonaparte allait se constituer un nus des « vieux » soldats, aguerris, habitués au
peu de rapport avec celle dont nous avons vivier presque inépuisable et dans lequel il pire. Chez eux, les idéaux partisans avaient
pris l'habitude. Les duels d'homme à homme, cédé la place à des espérances plus matérielles.
puisa jusqu'au bout. Très critiquée dans ses
de peloton à peloton, même de compagnie à Des fidélités, un clientélisme avaient pénétré
modalités, injuste à bien des points de vue,
compagnie sont d'usage courant ; les cas leurs rangs. À force d'être utilisés (par le
d'insubordination fréquents à tous les degrés elle avait au moins le mérite d'assurer une
relève régulière des classes, du moins sur le Directoire) pour réprimer les troubles de la
de la hiérarchie. La désertion fait fondre les
papier, car le temps effectif passé sous l'uni- rue, les vétérans de 1'An II, enthousiastes et
effectifs et il n'est pas rare de voir des
forme resta franchement aléatoire jusqu'à désintéressés, s'étaient mués en hommes avant
officiers abandonner leur poste ou leurs
l'effondrement de l'Empire. tout attachés à la bonne fortune d'un chef.
missions s'ils les jugent inutiles ou sans
agrément. En campagne c'est une véritable Napoléon l" confiera à Roederer : << Le mili-
armée, « l'armée roulante •, que constitue la taire est une franc-maçonnerie ; il y a entre
Une armée prétorienne eux tous une certaine intelligence du fait
foule innombrable des traînards. Quant aux
règlements de manœuvre, la plupart des qu'ils se reconnaissent partout sans se
Prétorienne autant que légionnaire, méprendre, qu'ils se recherchent et s'enten-
chefs, formés empiriquement dans les
l'armée napoléonienne finit par oublier ses ori- dent >>. Une franc-maçonnerie ou en tout cas
hasards des combats, les ignorent ou les
gines populaires et militantes. Est-ce l'effet de une société militaire que la bourgeoisie mon-
méprisent. Qu'importent les connaissances
théoriques 1De l'audace, un coup d'œil l'amalgame qui avait brassé << culs blancs» et tante ne voulut jamais reconnaître et qui, de ce
rapide, un tempérament bien trempé, voilà à << bleuets » ? Faut-il invoquer l'usure des fait, ne retrouva plus jamais cette position cen-
peu près tout ce qu'on réclame de l'officier de convictions, le temps passant ? En tout cas, trale et vitale qu'elle avait occupée entre 1792
troupe. À l'instruction, quand il y a 1' armée jacobine de 1793-1794 a constitué la et 1815.
instruction, on ne s'attarde jamais sur " les première force armée au monde, mise au servi- J,·J. B.
manœuvres de l'ordonnance». ce absolu et exclusif d'une idéologie politique
On peut l'affirmer sans trop radicale. Partant de l'affirmation de Robes- Pour en savoir plus :
d'exagération. Par ses habitudes, son genre pierre : « la guerre est le choc de deux prosé- - Sous la direction d'A. Corvisier, Histoire
de vie, sa conception de la guerre et de son lytismes », la Convention terroriste s'efforça militaire de la France, de 1715 à 1871, tome 2.
propre destin, le soldat impérial rejoint d'exécuter la ligne directrice inspirée par PUF, Paris, 1992.
souvent le routier des vieilles bandes, Saint-Just : « Ce n'est point seulement du - J.-P. Bertaud, La Révolution armée, les sol-
retrouve le vieux type de soudard au dats citoyens de la Révolution française. R. Laf·
nombre et de la discipline que vous devez
tempérament anarchique et rebelle, avide de font, Paris, 1979.
attendre la victoire, vous ne l'obtiendrez qu'en - A. Forrest, article << armée » in Dictionnai-
rapines et d'aventures individuelles.
RAOUL GIRARDET. raison des progrès que l'esprit républicain re critique de la Révolution française. Flamma-
La société militaire dans la France aura fait dans /'armée ». L'armée devait être rion, Paris, 1992.
contemporaine. Plon, 1953. l'école de la vertu et « régénérer » les égoïstes, - Collectif, Atlas militaire de la Révolution
les intrigants, les << inoccupés et inutiles ». Les . française. Hautes Études, Paris, 1989.
LÉGION ÉTRANGÈRE, TROUPES ~
UNE CONSEQUENCE DE 1 8 7 0
•
Le service
militaire universel
PAR RAOUL GIRARDET
I
l est difficile d'imaginer aujourd' hui
1'atmosphère qui, pendant quelques jours,
en 1872 puis en 1873, domina l'Assem-
blée nationale lors de la discussion des
grandes lois mi litaires. Atmosphère exception-
nelle dans notre histoire parlementaire, faite
non seulement d'attention et de gravité, mais
aussi de recueillement, de ferve ur et presque
de piété. Dans cette Assemblée divisée et
instable, riche peut-être de trop de puissantes
personnalités, les querelles idéologiques sem-
blent soudain reléguées au second plan. Droite
et gauche confondues, l'Assemblée tout entiè-
re avait acclamé le duc d' Audiffret-Pasquier
lorsque celui-ci, en ouvrant le débat de 1872 et
en apportant l'adhésion de l'opinion conserva-
trice au principe du service obl igatoire, avait Le 6 août 1870, la charge de Reischoffen. Au lendemain de la défaite rien ne sera plus comme avant,
défini la signification de l'œuvre de réforme ainsi que l'écrira Sully Prudhomme en 1872 : << Je m'écriais avec Schiller 1je suis un citoyen du
qui allait être entreprise. Après avoir rappelé monde. 1De mes tendresses détournées 1je me suis enfin repenti. 1Ces tendresses je les ramène 1étroi-
les défaillances morales de certaines fractions tement sur mon pays 1sur les hommes que j'ai trahis 1par amour de l'espèce humaine. >>
UNE CONSÉQUENCE DE 1870
1'opinion aux jours sombres de la défaite, le militaire, la soumission à la loi qui est la dis- seul aujourd'hui qui n'ait été converti par les
c Pasquier avait invoqué l'exemple de cipline civile, enfin plus il lui faut - osons le événements? Ce pays a vu la guerre de 1870 ;
rmée : < < Et, quand, à côté de cela, nous lui dire - la sévérité pour tout ce qui viole les il a tourné le dos pour jamais à ces utopies
yons le spectacle que nous donne notre règles qu'elle s'est elle-même imposées ; périlleuses et décevantes. » Dure expérience,
née ..., quand nous nous souvenons que l'ordre et la liberté ne sont qu'à ce prix. » ( 1) en effet, que les épreuves de l'Année terrible
~st elle qui nous a sauvés en 1848, que c' est Soumettre les jeunes Français, et pendant une pour ces démocrates humanitaires, brusque-
e qui nous a sauvés en 1871 ..., nous nous longue période de leur vie, à la stricte discipli- ment appelés à affronter les réalités de la guer-
mandons si ce n'est pas là l'école où il faut ne des camps et des casernes, c'est, espère+ re et de la conduite des armées ! Chez ·tous les
voyer ceux qui paraissent l'avoir oublié, on, garantir le maintien de la collectivité natio- représentants de la pensée humanitaire et paci-
orendre comment on sert et comment on nale à l'intérieur de ses cadres traditionnels, fiste, l'invasion, la défaite, la mutilation du ter-
ne son pays. Que tous nos enfants y aillent extirper le vieux germe révolutionnaire, éviter ritoire avaient été l'occasion d'un douloureux
ne et que le service obligatoire soit la gran- l'explosion de nouvelles Communes. retour sur eux-mêmes, d'un tragique examen
école des générations futures ! » Les ova- de conscience. Courageusement, les plus
ns qui ont salué la péroraison du duc Pas- Éloge des militaires illustres d'entre eux, Sand, Michelet, Quinet,
ter ont été unanimes. L'enjeu du débat n'est Renan, avaient publiquement désavoué leurs
; seulement l'instauration d'institutions C'est aussi préparer l'avènement d'une positions antérieures, dénonçant maintenant
litaires plus efficaces et plus sûres. À tra- patrie plus harmonieuse et plus fraternelle. comme un dangereux mirage le rêve, qui avait
:s la force française reconstituée, c'est, pour Sans doute y a-t-il , à l'arrière-plan des concep- été le leur, d'une vaste et immédiate fraternisa-
1s, républicains ou monarchistes, la société tions militaires des hommes de l'ordre moral, tion universelle. Mea cu/pa qu'accompagnent
ionale tout entière qu'il s'agit de restaurer. la crainte toujours vigilante de la menace révo- une ardente redécouverte de l'idée nationale,
Ce n'est pas en vain d'ailleurs que, porte- lutionnaire. Mais il y a aussi la vision plus un retour passionné au patriotisme.
·ole des hobereaux provinciaux et des bour- généreuse d'une nation enfin réconciliée avec Lorsqu 'en 1876 le régime de l'Ordre
)is conservateurs qui constituent la majorité elle-même. L'union très réelle qui avait régné moral fait place à la République opportuniste
l'Assemblée, le duc d'Audiffret-Pasquier a parmi les combattants sur les champs de de Gambetta, de Ferry, de Grévy, lorsque les
oqué le rôle joué par l'armée en 1848 et en bataille de 1870 et de 1871 , l'apaisement des républicains succèdent définitivement aux
71. Nous sommes en un temps où, pour une querelles politiques, 1' oubli des oppositions conservateurs à la tête du pays, c'est, malgré
; vaste fraction de l'opinion, les souvenirs sociales, la réconciliation devant l'ennemi des les différences de phraséologie et de vocabu-
la Commune comptent autant, et peut-être anciens chouans et des anciens bleus, autant de laire, la même mystique patriotique, c'est
me davantage, que les souvenirs de la souvenirs très proches, présents encore à tous aussi la même ferveur militaire qui animent les
·ai te. les esprits. Or, cette union nationale, un instant nouvelles équipes dirigeantes du pays.
<< Grande école des générations futures >> réalisée dans la lutte contre l'envahisseur, on Comme les hommes de l'Ordre moral, les
1s la pensée des notables de 1'Assemblée espère que l'armée nouvelle saura la faire hommes de la République opportuniste réser-
ionale, l'armée nouvelle le sera d'abord renaître, la garantir, la cimenter. Habitués à vent à l'armée un rôle essentiel dans la tâche
1s la mesure où elle sera pour les jeunes respecter dans la personne du soldat la repré- de relèvement national. On connaît l'importan-
nçais une école de discipline sociale. Le sentation de toutes les vertus civiques, à voir ce primordiale attribuée à l'école par les pre-
rquis de Chasseloup-Laubat, rapporteur dans l'idée militaire le principe fondamental mières équipes gouvernementales républi-
'ant 1'Assemblée de la loi militaire de 1872, de la vie des sociétés, les hommes de l'Ordre caines, l'école qui doit faire triompher les
précise de son côté en termes non équi- moral ont été tout naturellement conduits, aux principes d'une nouvelle morale et d'une nou-
lues. << Plus une société est fondée sur les lendemains de la défaite, à chercher dans velle conception du monde. Or, il est significa-
~cipes de la démocratie, plus il lui faut l'armée le creuset où viendrait se forger une tif que, dans l'esprit des premiers ministres
)éissance au supérieur qui est la discipline France restaurée et rénovée. républicains de l'Instruction publique, la for-
NE CONSÉQUENCE DE 1870
SAINT-CYR 1914
CASOAR
ET GANTS BLANCS
Je me fls salnt-cyrien pour reprendre
l'Alsace, bien sûr, mals aussi pour épater
Clarisse...
Un novice qui entre au séminaire, lieu
géométrique des vocations spirituelles,
n'est pas plus radieux qu'un salnt-cyrlen qui
débouche pour la première fois sur le
Marchfeld, place d'armes illustre où les
promotions prononcent leurs vœux.
Le drapeau dans le cœur, l'histoire dans
la tête, mille Français, en ce matin d'octobre
1913, se marient avec la mort dans un éclat
de joie. La promotion de Montmirail et la
promotion des Marle-Louise. Ils sont nés
dans tout le pays, Ils sont les fils de tout un
peuple. Le snob de l'École des Postes
découvre le fils du gendarme, l'uniforme les
confond et rien, pendant cinquante ans, ne
les éloignera l'un de l'autre. La discipline qui
ne tolère pas une distraction, un écart, un
geste de lassitude, la pluie chronique des
arrêts de rigueur, l'astiquage mélangé aux
mathématiques et le maniement d'armes
coupant les études abstraites ont leurs
inconvénients, mais il faut s'instruire pour
Vaincre et souffrir pour savoir mourir...
Déjà nos casoars flottent au vent du 1" août
1914, et sur le terre-plein où Kléber poursuit sa
chevauchée immobile, mille crosses n'en font
plus qu'une au commandement. Nous savons
qu'à cette heure les salnt-cyriens représentent
un pur ferment d'héroïsme aux yeux des
Français angoissés, et nous ne trahirons pas
cette attente. Le général Mordacq, qui nous a
trempés comme des lames, n'a plus besoin de
parler. Notre pensée est une et claire comme
Élève officier de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, par Édouard Detaille, 1885. l'eau des gaves à leur source : dussions-nous
tous passer sous la terre, nous reprendrons
l'Alsace, et nous la reprendrons en gants
enne; les autres dressent l'idéal d'une démo- Historien du nationalisme, de l'idée coloniale
blancs. Bientôt, six cents d'entre nous, un par
ratie à tendances égalitaires, fondée sur le et de la société militaire, Raoul Girardet a ensei-
kilomètre, jalonneront le front de leurs corps.
Jlte du progrès et de la raison. Mais du gné à la Sorbonne, à l'Institut d'études poli-
tiques, à l'École de guerre, à l'ENA et à Poly- Idiots les gants blancs ? N'est-ce pas mieux
Jnsentement unanime, 1'armée se trouve pro- que de fuir sans armes jusqu'à Bayonne ? Le
isoirement placée en dehors des luttes des technique. Il a notamment publié La société mili-
taire dans la France contemporaine, 1815-1939 clairon qui nous disperse le 1" août au soir et
mis, au-dessus de 1' opposition des doctrines nous envole, mascottes bleues, blanches et
. des systèmes. Quel que soit le fossé qui (Plon, 1953), Le nationalisme français, 1871-1914
(Armand Colin, 1964), L'idée coloniale en France, rouges, dans tous les régiments, est déjà celui
~pare les idéologies opposées, les adversaires
1871-1962 (La Table ronde, 1972), ainsi qu'un de Rethondes. Nous n'en avons jamais douté
! continuent pas moins à se réclamer d'une
livre d'entretien avec Pierre Assouline, Singuliè- et jamais, dans une vie qui zigzaguera entre
tystique militaire semblable. Les uns asso- rement libre (Perrin, 1990). des trajectoires de projectiles, nous ne
ent l'officier au prêtre, les autres à 1' institu- jouirons d'une aussi grande minute de ferveur.
ur, aucun ne songe à lui refuser une place L'École de Saint-Cyr entre au feu en
cceptionnelle dans la cité à reconstruire. (!) Marquis de Chasseloup-Laubat, Rapport costume de parade, sans l'ombre d'un regret.
ans la France vaincue, humiliée et divisée du sur le recrutement de l'armée, 1872. GEORGES LOUSTAUNAU-LACAU
aité de Francfort, l'armée constitue pour les (2) Paul Déroulède, De /'éducation militaire, Mémoires d'un Français rebelle.
:ançais le grand dénominateur commun. 1882. Lhomme, Code manuel des bataillons scolaires, Robert Laffont, 1948.
R. G. 1882. Paul Bert, L'instruction civique à/' école, 1882.
"
L'ARMEE ENJEU POLITIQUE
Les équivoques
de l'appel au soldat
PAR PATRICK JANSEN
Détruisant les anciens équilibres, la Révolution fait du sabre un enjeu politique. Le rêve d'une Sparte
républicaine accouche d'une dictature bottée. Un petit général rêve d'égaler César et n'est pas loin de réussir.
Quelle aventure! Le souvenir de Brumaire nourrira deux siècles de fantasmes, d'angoisses et d'illusions.
Il
L'ARMÉE, ENJEU POLITIQUE
PUTSCH D'ALGER :
UNE RÉVOLTE
CONTRE de l'insurrection, la garnison de Paris com- riche en bouleversements. Si l'armée est sou-
mandée par Marmont resta fidèle et tint bon. vent un enjeu ou un instrument politique, (par-
LA FATALITÉ Certes la passivité politique de l'armée fois servile), c'est exclusivement aux mains du
n'était pas encore absolue ; on vit la démission pouvoir légitime, y compris lors du fameux
La guerre d'Algérie ne fut pas de 2 000 officiers, et certains sous-officiers coup d'État du 2 décembre 1851 : l'interven-
l'empoignade géante de deux colosses, agités chasser leurs chefs restés fidèles ; mais tion de la garnison de Paris fait pencher la
comme l'avalent été les guerres mondiales. désormais, il n'y eut plus de complots ; lors de balance, mais l'armée n'est en rien l'instigatri-
Ce fut une petite guerre, avec de brefs ce du coup d'État.
ses tentatives de coups de force de 1836 et
combats et assez peu de morts. Pour Passé celui-ci, l'armée ne jouera plus de
1840, à Strasbourg et à Boulogne, Louis-
beaucoup de soldats, elle ne fut que rôle politique. Les conflits extérieurs lui don-
Napoléon Bonaparte ne trouva dans l'armée
fatigues, marches et attentes. Et pourtant, nent alors des occasions de s'illustrer: Algérie
que des complicités dérisoires.
nous avons bien senti que se jouait là encore, mais aussi Crimée, Mexique, interven-
Dès lors, par un lent glissement, l'armée,
quelque chose d'essentiel. Pas seulement le tions dans les combats de l'unité italienne,
qui jusqu'en 1815 avait été le symbole même
sort d'une terre sur laquelle nous avions des Extrême-Orient même. Docile au pouvoir,
du messianisme révolutionnaire, va devenir
droits, ni de populations que nous avions le l'armée est honorée. Il n'est pas neutre que le
tout au contraire le symbole du conservatisme.
devoir de protéger. Nous avons senti que Paris de Haussmann donne à ses grands boule-
Entre la fin de la monarchie de Juillet et le
dans cette épreuve se décidait le sort de la vards ou à ses artères prestigieuses les noms
milieu du Second Empire, le renversement de
France et de l'Europe. Nous pressentions de Magenta, de Solferino ou de Sébastopol.
l'opinion sera complet.
que l'Algérie était la dernière aventure qui
Dans une société que la Révolution indus-
nous était offerte. La dernière occasion qui
trielle transforme rapidement et où le proléta- Une armée
nous était accordée d'accomplir une
riat urbain inquiète, les classes aisées se récon- soumise au pouvoir
destinée propre, avant de sombrer dans la
cilient avec l'armée car celle-ci est perçue
fatalité du déclin et la soumission aux lois
comme facteur d'ordre, après le rôle joué à Ainsi se développe sous le Second Empire
des autres puissances.
maintes reprises dans la répression féroce des une complète réévaluation de la chose militai-
L'Algérie nous semblait aussi l'occasion
émeutes populaires, celles par exemple, du re. Toutefois, c'est l'opinion publique qui
de prendre une revanche sur toutes les
cloître Saint-Méry ou de la rue Transnonain. change et non 1'armée. Le monde de la caserne
défaites qui avaient endeuillé notre enfance
Les journées de juin 1848 apparaissent ici se clôt sur lui-même et il n'est pas divisé
et que rien n'avait pu laver. Il nous était
comme le tournant décisif. La peur panique du comme 1'opinion.
Insupportable d'être des fils de vaincus ou,
rouge réconcilie les bourgeois avec l'armée D'un côté, le sabre et le goupillon règnent
ce qui est pire, de faux vainqueurs. Pour
comme elle leur fait apostasier Voltaire et (car le renouveau religieux, lui aussi bat son
notre malheur, nous étions nés dans un
redécouvrir les vertus conservatrices de la reli- plein). Si le nationalisme n'est pas encore tota-
pays qui, après avoir étonné le monde, en
gion. Le phénomène d'ailleurs, est européen. lement « passé à droite » (il faudra pour cela
était devenu la risée. L'histoire, depuis
Sous la monarchie de Juillet, l'intérêt de la attendre le boulangisme) le phénomène est en
longtemps évitait la France. Nos pères
famille régnante pour la chose militaire, le rôle route et même bien avancé.
avaient été les spectateurs lointains de la
prise du Palais d'Hiver ou du fascisme
personnel du duc d'Aumale, les améliorations Parallèlement, on assiste à la naissance
immense et rouge. Sauf exceptions, ils apportées aux conditions matérielles de la vie d'un véritable antimilitarisme, virulent et qui
n'avaient vécu la Seconde Guerre mondiale
d'officier, l'aventure algérienne, (surtout à n'a plus rien de commun avec le dédain mépri-
que par procuration. partir de l'action de Bugeaud), ont contribué à sant du début du siècle. Certains socialistes
Dans les années 1930, Drieu La Rochelle, rendre à l'armée une place éminente. Lors de comme Proudhon, mais aussi des politiciens
amer et désabusé, constatait : " Tout la révolution de février 1848, sa fidélité au comme Gambetta mettent radicalement en
chambarde dans le monde, mais ici rien ne régime fut parfaite, mais une fois le régime cause l'institution elle-même. Ainsi, dans son
bouge... "Trente ans plus tard, voici qu'avec nouveau en place elle ne manifesta aucune programme électoral de candidat à Paris en
la guerre d'Algérie, se produisait le miracle. velléité d'opposition, et cette fois il n'y eut pas 1867, Gambetta réclame « la suppression des
C'est en France que ça " chambardait "• et de démissions. Le duc d'Aumale lui-même, armées permanentes, cause de ruine pour les
mieux encore, avec nous 1Tout semblait prince de sang royal pourtant et gouverneur finances et les affaires de la nation, source de
possible. L'avenir s'offrait. général de 1'Algérie, ne tenta rien pour sauver haine entre les peuples et de défiance à l' inté-
Certains ont couru l'aventure de la guerre le régime. L'eût-il fait qu'il n'aurait sans doute rieur ».
et des complots. Ils y ont tout risqué et ils y pas été suivi, car dorénavant, et pour un siècle, Née d'une défaite militaire et marquée par
ont perdu ce que les esprits raisonnables l'armée elle-même (contrairement à l'opinion l'esprit revanchard, la Troisième République,
prisent entre tout. Ils refusaient d'être publique à son égard qui, elle, variera encore va connaître, avec les crises du boulangisme
raisonnables. Ils sentaient que la chance beaucoup), ne changera plus guère dans sa puis de 1'affaire Dreyfus, l'amplification de ce
offerte à leur génération ne reviendrait pas. conception du devoir et de 1'honneur militaire, renversement des opinions commencé sous la
définie comme obéissance passive au pouvoir monarchie de Juillet.
DOMINIQUE VENNER quel qu'il soit. De plus en plus, l'armée s'identifie aux
Le Cœur rebelle. Il en restera ainsi pendant tout le siècle. idées conservatrices. L'esprit républicain et
Les Belles Lettres, 1994. L'armée ne se trouvera à l'origine d'aucune l'esprit militaire apparaissent même antino-
des révolutions, nombreuses, de ce siècle si miques à bien des officiers : d'un côté la liber-
•
L'ARMÉE, ENJEU POLITIQU
té, l'égalité, la fraternité revendiquées ; de rebelles. Encore faut-il souligner que c'était à
l'autre la volonté d'obéissance et la hiérarchie. titre personnel et qu'ils n'engageaient pas
C'est aussi le moment où l'armée est perçue l'armée en tant que telle. La première occa-
comme un débouché attrayant par une nobles- sion, illustre au point que 1'actuelle politique
se qui voit lui échapper le pouvoir, au fur et à de la France tente encore de faire rejaillir sur
mesure que la République s'installe. elle un peu de cet éclat, est celle du général de
La crise boulangiste culmine en 1889, Gaulle et des Forces françaises libres.
année du centenaire de la Révolution. Elle Près de soixante ans après, les questions
marque la rencontre d'un nationalisme exacer- de souveraineté qu'elle a posées demeurent :
bé et de l'antiparlementarisme, et concrétise où commence la rébellion, où finit la loyauté ?
fugacement le rêve de la revanche et d'une Que signifie cette opposition du légal et du
politique de grandeur. Malgré sa fin assez légitime ? Le succès est-il gage suffisant de la
pitoyable, elle ancre définitivement le nationa- justice d'une cause?
lisme à droite. On y rêve d'une France qui se Cette dernière question prend tout son sens
donnera tout entière à celui qui saurait lui à la lumière de l'échec de la seconde occasion,
rendre 1' Alsace-Lorraine. moins de 20 ans plus tard. Cette cause était-elle
Mais le bellicisme de plus en plus marqué moins juste ? Ce fut celle des officiers rebelles
de 1'opinion repose sans doute sur beaucoup ~ qui en Algérie, entre 1958 et 1962, et plus par-
d'illusions. Car si la religion patriotique y puise ticulièrement à l'extrême fin de ce conflit, ten-
une part de sa mystique, comme en témoignent tèrent de retourner contre le pouvoir gaulliste
L'appel du 18 juin 1940 fait basculer le géné-
aussi bien l'article « Armée » du Dictionnaire ral de Gaulle dans le rôle de grand rebelle qui les axiomes qui avaient naguère fondé sa force.
politique de Charles Maurras que l'Appel au sera le sien. Échappant à la norme commune, il Un ancien président du Conseil, ancien chef de
Soldat de Barrès, les plus lucides, comme Dru- se place dans une sorte d'absolu de l'honneur et la Résistance, leur emboîta le pas, créant ainsi,
mont, comprennent la vanité de cet appel au de la grandeur. En invitant les soldats à désobéir dans la dissidence, l'union éphémère et margi-
soldat et qu'entre l'intervention dont ils rêvent au gouvernement légal, il brise avec la règle fon- nale du civil et du militaire.
et la réalité des prises de décision militaires il y damentale du fonctionnement des armées, intro- L'armée d'aujourd'hui semble dorénavant
a un abîme. En fait, lors de la crise boulangiste duisant la notion << révolutionnaire » du libre exa- loin de telles questions. Ses missions consis-
non plus, on n'a pas vu le début du commence- men et du choix individuel. Vingt ans plus tard, ce tent d'une part à faire pour d'autres, orga-
droit sera invoqué par les officiers et les soldats
ment d'un pronunciamiento. nismes internationaux ou supranationaux, des
qui refuseront la politique algérienne du général
Quelques années plus tard, l'affaire Drey- de Gaulle, devenu entre-temps et grâce à eux tâches ponctuelles et le plus souvent ingrates
fus achève de figer les positions. Aux yeux de (13 mai 1958) président de la République. Mais ce dans des guerres du droit ou de la morale, qui
l'armée (ce qui explique une partie de son éga- dernier les fera alors condamner au nom de la sont en fait d'essence religieuse ; et d'autre
rement), c'est une affaire strictement militaire règle de discipline qu'il avait jadis transgressée. part, et de plus en plus, des missions d'ordre
où les « pékins » ne sont pas souhaités. intérieur, même si le récent Livre blanc de la
Désormais, en cette fin du siècle, tout est sphère de contrainte et de suspicion dans les Défense garde sur ces questions un silence
donc en place pour que puisse avoir lieu, dans mess, les quartiers et les casernes. Par ailleurs, pudique; c'est un cas de figure qui fait le cau-
une même exaltation de l'armée et de la chose à Fourmies ou en d'autres lieux le pouvoir chemar des états-majors, précisément parce
militaire, la convergence entre le jacobinisme continue de faire jouer à la troupe un rôle qu'il est à la charnière du militaire et du poli-
cocardier de Déroulède et la « politique natu- vigoureusement antisocial dans la répression tique.
relle » contre-révolutionnaire de Maurras. sanglante des grèves. La modification de la menace entraîne tou-
Au tournant du siècle, loin d'être l'unifica- Au moment où va éclater la Grande jours une modification de l'enjeu et des
trice des Français, l'armée est ainsi devenue à Guerre, tout renforce donc ce qu'un historien acteurs qui doivent y répondre. Aujourd'hui
la fois le symbole et l'enjeu des discordes appelle Je << colossal égarement nationalo- l'ennemi n'est plus à l'Est comme au temps de
nationales. La volonté d'intégration de l'armée militariste » français . L'impuissance des paci- la guerre froide qui permettait aux militaires,
dans la société civile se fait pressante, en par- fistes, de Jaurès à Romain Rolland, et la lutte même les plus dépourvus d'imagination, de
ticulier sous le ministère Waldeck-Rousseau coude à coude de la quasi-totalité de l'éventail trouver immédiatement la couleur de
qui met fin à la cooptation et donne le pouvoir politique, de Maurras à Viviani montrent assez l'ennemi ; la désignation de l'ennemi, fonde-
des nominations militaires à l'autorité civile et où sont les responsabilités dans ce suicide de ment même du politique, si l'on en croit Carl
à elle seule. L'obligation d'intervenir lors des 1'Europe dans lequel les militaires auront été Schmitt, devient déconseillée ou même inter-
« inventaires » qui suivent la loi de séparation les victimes plus encore que les exécutants. dite à 1'heure du politiquement correct.
de l'Église et de l'État de 1905 sera pour Si la Première Guerre mondiale n'a en rien Aujourd 'hui, quand les villes de garnison
beaucoup d'officiers, l'occasion de cas de bouleversé l'obéissance absolue du militaire réformées regrettent leurs régiments dissous,
conscience déchirants et pour l'État laïc au civil, bien au contraire, il n'en fut pas de ce n'est pas pour des raisons de sécurité ou de
l'occasion d'une mise au pas de ceux qu'il même lors de la Seconde. prestige, mais pour des raisons purement éco-
soupçonne. Cette volonté de reprise en mains Depuis la mutinerie des gardes françaises nomiques. La fonction militaire elle-même a
idéologique trouve son aboutissement dans en 1789, deux fois , et deux fois seulement, des survécu de peu à la figure du guerrier.
« l'affaire des fiches » qui diffuse une atmo- officiers en grand nombre ont fait des choix P.J.
-
dernière Verdun~
grande victoire française
e fut la dernière grande bataille Commencé le 21 février à 8 h 15, le déluge
Le désastre de 1940
PAR DOMINIQUE VENNER
3
septembre 1939. Cinq heures après la
Grande-Bretagne, le gouvernement fran-
çais présidé par Édouard Daladier décla-
re la guerre à 1'Allemagne, sous prétexte de
défendre la Pologne qu 'on ne défendra pas.
Après quoi, la France s'assoupit huit mois
durant dans les paresses et les bobards de la
« drôle de guerre ».
La véritable guerre débute huit mois plus
tard, à l'aube du 10 mai 1940.
Ce vendredi-là, 15 % des soldats français
de première ligne sont en permission. Après
les alertes contradictoires des jours précédents,
le haut commandement franco-britannique ne
croit plus à une menace immédiate.
Pourtant à une heure du matin, le 10 mai,
le Quai d'Orsay a reçu une communication
téléphonique de Bruxelles annonçant un mou-
vement de troupes inquiétant à la frontière
allemande. L'information est transmise au
château de Vincennes, siège du haut comman- Les armes abandonnées de juin 1940, symbole d'une irrémédiable catastrophe. En jetant son arme,
dement. L'officier de permanence ne croit pas rm soldat n'est plus qu'unfuyard, un captif, et à coup sûr un vaincu.
DE GROS LAPINS
DE CLAPIER
remplacé par Weygand (soixante-treize ans),
Les officiers de réserve français qui appelant à la vice-présidence du Conseil le
avaient trente ou quarante ans en 1940 maréchal Pétain (quatre-vingt-quatre ans). En
étaient presque tous des hommes dont la s'abritant ainsi derrière les vieilles gloires de
jeunesse avait ressemblé à celle de Frédéric 1918, Reynaud pense réaliser un tour de pre-
Moreau. Les femmes faciles et les plaisirs ne mière force. Le procédé est bien dans la tradi-
parviennent pas à corrompre une âme tion de la III' République. Mais que peuvent
solide, mais sans doute que les âmes des les subterfuges du bonneteau parlementaire
jeunes bourgeois français de ce temps devant les réalités de la guerre et du désastre ?
n'avaient pas autant de fermeté que les Dès le 20 mai, l'armée allemande a rem-
âmes de leurs ancêtres, puisqu'elles ont été porté 1'une des plus grandes victoires mili-
irrémédiablement perdues, puisqu'elles Stuka en piqué dans le ciel de 1940. Le
couple char-avion fut la nouveauté révolution- taires de tous les temps.
n'ont su montrer aucune vertu dans la Quelques jours après Sedan, le fer de lance
naire qui permit le retour à la stratégie napoléo-
guerre. En face de ces officiers craintifs, nienne de la guerre de mouvement. allié se trouve encerclé à Dunkerque. Deux
soucieux de conserver leur plaisante cent mille soldats anglais et cent mille français
existence et leurs biens, les officiers rivière. La panique s'empare des unités pourront rendre grâce à Hitler d'avoir arrêté la
allemands, qui avalent traversé dix années d'artillerie française en position près de Bul- marche de ses blindés aux portes de la ville
de misère, et dix autres de tyrannie, son qui abandonnent leurs pièces intactes, pour ménager la fierté britannique, car il espè-
semblaient des hommes de bronze. Je ne entraînant dans leur fuite les formations voi- re parvenir à la paix avec 1'Angleterre, son
veux pas dire par là que la discipline sines. Des régiments qui n'ont pas vu l'ombre désir constant. L'embarquement de ces troupes
spartiate vaille mieux que le raffinement d'un Stuka se débandent. Toute l'aile gauche n'est cependant rendu possible que grâce aux
athénien. Je me borne à noter que la de l'armée Huntziger s'écroule. Le 15 mai, sacrifices des marins et soldats français. 40 000
fameuse « douceur de la vie » ne réussit pas d'entre eux seront capturés après avoir permis
Guderian passe comme une lame à travers
à tout le monde. Certaines générations aux Anglais et à leur camarades d'évacuer non
l'armée Corap.
favorisées par la nature la supportent à sans incidents ni brutalités. Les 100 000 sol-
merveille et puisent dans le bonheur la force dats français évacués sont pour la plupart
de le défendre ; d'autres, moins énergiques,
Après Sedan, Dunkerque
immédiatement débarqués en Bretagne en vue
s'aperçoivent à leurs dépens que cela peut d'un illusoire « réduit breton ». Beaucoup y
tout aussi bien n'engendrer que de gros Conservant le souvenir cuisant de l'armée
française en 1918, le haut commandement seront capturés.
lapins de clapier, dont le destin est de finir Le temps de se regrouper face au sud et
mangés, en gibelotte. allemand et Hitler lui-même s'inquiètent de
cette progression aventurée. Ils redoutent une l'armée allemande déclenche, le 5 juin, la
JEAN DUTOURD seconde phase du plan Mainstein avec le fran-
Les Taxis de ta Marne. Gallimard, 1956. contre-offensive venant du sud. À deux
reprises, ils stoppent Guderian. Mais celui-ci, chissement de 1'Aisne. Quinze jours plus tard,
tempêtant et menaçant de démissionner, l'armée française n'existe plus. Le gouverne-
utile de réveiller Gamelin. Le généralissime obtient finalement l'autorisation de poursuivre ment est en fuite. Le régime s'écroule. Des
continue donc de dormir d'un sommeil pai- sa folle chevauchée vers Abbeville et la mer. régiments encerclés sont désarmés avant
sible alors que 135 divisions de la Wehrmacht Fonçant en tête de ses blindés, il a parfaite- d'avoir pu manœuvrer, tandis que filent des
s'élancent vers la France à travers la Belgique ment saisi que la surprise ne peut aboutir à un états-majors avec caisses d'alcool et secré-
et la Hollande. succès définitif que si elle est entretenue. La taires, laissant les troupes se débander... On se
Sur le papier, les forces alliées sont équi- rapidité et la témérité de progression des divi- bat pourtant encore, plus souvent même qu'on
valentes : 134 divisions avec un nombre supé- sions blindées, tout flanc découvert, loin ne l'a dit, pour les copains, pour l'honneur,
rieur de blindés, 3 500 contre 2 600. devant l'infanterie motorisée qui s'essouffle, pour ne pas s'avouer vaincu.
Se jouant des défenses de la « forteresse empêchent l'adversaire de se rétablir.
allemande », la Luftwaffe exécute une grande Le spectacle de la déroute française : Pacifisme
première en parachutant toute sa 22' division « cohues lamentables de civils réfugiés fuyant et antlfasclsme
aéroportée au cœur du pays. Même scénario la zone des combats et encombrant tous les iti-
en Belgique avec la capture par un commando néraires, troupes désarmées, unités surprises Depuis vingt ans, rien n'avait été fait en
aéroporté de l'imprenable fort Eben-Emael qui au bivouac», lui prouve qu'il avait raison. France pour entretenir la qualité militaire du
protège la jonction de la Meuse et du canal Il atteint la baie de Somme le 20 mai, pre- pays. Il n'en reste pas moins que parler de
Albert. nant de vitesse toute tentative de réaction débandade pour expliquer la défaite de 1940,
Dès le 12 mai, après avoir franchi le mas- adverse. En dix jours, les deux meilleures c'est prendre en partie 1'effet pour la cause.
sif des Ardennes, réputé infranchissable par armées françaises et les neuf divisions britan- À Sedan, le 15 mai 1940, après la traver-
les stratèges français, le 19' corps blindé du niques aventurées en Belgique sont tournées, sée des Ardennes et le franchissement en force
général Guderian, fort des 700 chars de trois isolées, disloquées. Le sort des armées alliées de la Meuse par la 7' Panzer, en quelques
divisions de Panzers, atteint la Meuse de part est scellé. heures la 9' armée française n'existe plus
et d'autre de Sedan. Le lendemain, appuyé par Le 19 mai, Paul Reynaud (qui a remplacé comme grande unité. Mitraillés et bombardés
des Stukas du général Speerle, il franchit la Daladier le 21 mars) a destitué Gamelin, l'a par les avions, écrasés par les chars, débordés,
LE DÉSASTRE DE 1940
oupés, disloqués, ses éléments fuient au fois enseigner dès le Code civil la supériorité
asard, tandis que d'autres se cramponnent çà philosophique et morale de l'individualisme et
t là en quelques îlots de résistance depuis s'étonner d'être pris au sérieux.
....
mgtemps dépassés par l'ennemi. Dominés Témoin stupéfait des redditions en masse,
ar des procédés et par des moyens de combat le capitaine Ernst Jünger raconte dans son
uxquels ils n'ont rien à opposer, beaucoup Journal, à la date du 12 juin, son inspection de
Jnt faits prisonniers sans même avoir pu sept cents prisonniers français de toutes armes
ombattre. L'artillerie ne peut rien faire pour confiés à sa garde dans la citadelle de Laon :
ne infanterie dont elle ne sait plus ce qu'elle « La présence des sept cents Français ne
st devenue. Elle est d'ailleurs prise directe- m'avait pas inquiété le moins du monde,
lent à partie. Ses batteries, ses échelons, ses quoique je ne fusse accompagné que d'une
arcs sont assaillis presque en même temps 1'i seule sentinelle, plutôt symbolique. Combien
ue l'infanterie. Canonnée, mitraillée de tous plus terrible avait été cet unique Français, au
:s côtés, par les airs et sur le sol, elle est bois Le Prêtre, en 1917, dans le brouillard
ntraînée dans la déroute générale. Les liai- Le général Heinz Guderian, l'homme des matinal, qui lançait sur moi sa grenade à
~ns sont détruites partout. Le commandement Panzer. Capitaine d'état-major en 1922, il avait main. Cette réflexion me fut un enseignement
e s'exerce plus, remplacé par la confusion, la été affecté à l'inspection des troupes automobiles et me confirma dans ma résolution de ne
de la Reichswehr pour y étudier le concept des jamais me rendre, résolution à laquelle j'étais
anique et le désordre. Un désordre qui se
grandes unités blindées. Théoricien brillant, il se
mltiplie, se répercute et s'aggrave au fur et à demeuré fidèle pendant l'autre guerre. Toute
révélera praticien génial dans la guerre.
1esure que progresse l'attaque allemande. reddition des armes implique un acte irrévo-
Personne ne comprend rien, sinon qu'une ner contre les horreurs des régimes fascistes en cable qui atteint le combattant à la source
valanche passe, saccageant les arrières en lisant son journal ne signifiait nullement que même de sa force ... Je m'en tiens là-dessus au
1ême temps que les premières lignes et qu'il l'on était prêt à quitter ses pantoufles pour "qu'on se fasse tuer" de Napoléon. Cela ne
st impossible de l'arrêter avec l'armement guerroyer aux frontières. L'antifascisme, par vaut naturellement que pour des hommes qui
ont on dispose. Il n'y a pas de troupe qui définition, cultive peu les vertus martiales savent quel est notre enjeu sur cette terre. »
enne longtemps dans de pareilles conditions. d'autant plus haïssables qu'elles sont réputées
« fascistes »... La défaite de toute
Pourquoi se battre ? À la même époque, le peuple allemand une société
souhaitait aussi la paix, comme le montre la
On a beaucoup incriminé le défaitisme qui stupeur inquiète et résignée de Berlin et des Rommel atteignait Cherbourg avec sa divi-
'était emparé de la France au lendemain de grandes villes du Reich en septembre 1939, sion après avoir effectué plus de 2 000 kilo-
918. Et il est vrai que le pacifisme triompha qui contrastait tellement avec 1'enthousiasme mètres en 24 heures. Guderian débouchait sur
insi que l'antimilitarisme. Comment en eût-il d'août 1914. Mais ce pacifisme s'associait à le plateau de Langres, coupant irrémédiable-
té autrement après les effrayantes tueries de une sorte de combativité latente, qui explique ment en deux ce qui restait de l'armée françai-
ette guerre de 14-18 où les états-majors en partie l'incroyable résistance du peuple- et se. Les Allemands étaient à la frontière suisse,
vaient consommé des hommes par dizaines du soldat allemand- jusqu'à l'extrême fin de au sud de Montbéliard, à Brest, Bordeaux,
e milliers au cours d'offensives démentes la Seconde Guerre mondiale. Valence et Bayonne. L'armistice allait, in
our la conquête de quelques mètres de terrain ? En France, la jactance belliqueuse d'une extremis, sauver les débris de l'armée françai-
.es soldats qui revinrent, parfois amputés partie de la presse et de certains milieux poli- se de la capitulation et de la captivité.
'un membre, défigurés ou les poumons ron- tiques masquaient la couardise ou l'indifféren- Par un étonnant retour de l'histoire, la
és par l'ypérite, avaient le plus souvent une ce de larges secteurs du pays. III' République, née à Sedan de la défaite de
iètre opinion des officiers de carrière, surtout Pourquoi se battre ailleurs ? Les Alle- 1870, va périr à son tour, au même endroit,
eux des échelons supérieurs. Renouant avec mands ne nous avaient rien fait. Depuis la engloutie par l'épreuve de la vérité de la guerre.
1 vieille idéologie antimilitariste, les journaux signature du pacte germano-soviétique, les Cent mille soldats tués en quarante-deux
e gauche, L'Œuvre, L'Humanité ou Le communistes ne se faisaient pas faute de le jours de retraite ne prouvaient rien, sinon que
:anard enchaîné, avaient beau jeu de brocar- rappeler, en dénonçant les responsabilités de la défaite et la prudence sont plus coûteuses
er les « culottes de peau », d'autant que l' « impérialisme » britannique. Une majorité que la victoire et l'audace puisque, dans le
'armée, sitôt la paix revenue, avait renoué dans l'opinion moyenne n'avait d'ailleurs pas même temps, les Allemands avaient eu moins
vec 1'épaisse stupidité, l'oisiveté, l'ennui et besoin des communistes pour penser que cette de trente mille tués. Un contre trois !
'ivrognerie à quoi se résumait l'essentiel de la guerre déclenchée pour la lointaine Pologne Emporté par une monstrueuse panique,
ie de caserne à la française. était absurde, complètement surréaliste. Sa tout un peuple s'est enfui vers les provinces du
L'antifascisme belliqueux qui remplaça justification, malgré la presse, restait obscure sud. Près de dix millions de civils de tous les
eu à peu, à partir de 1935, les protestations et refusée. Ce n'était pas une guerre nationale. âges et de toutes conditions. L'exode n'a épar-
umanitaires et pacifistes ne modifia pas les Le sentiment général était résumé en un mot gné personne. Toutes classes confondues, le
1entalités. L'antifascisme et l'antinazisme se «ce n'est pas notre guerre». flot de l'épouvante a déferlé, mêlé aux régi-
onfondaient alors avec la vieille haine du La France, depuis longtemps, vivait à ments disloqués. Le torrent des fuyards sym-
Prussien », archétype du militarisme. Fulmi- l'heure du « chacun pour soi». On ne peut à la bolisait l'abdication d' un peuple. Malgré de
•
DÉSASTRE DE 1940
L'ORGANISATION
DE RÉSISTANCE
DE L'ARMÉE (ORA) étaient inférieurs en blindage et en armement
aux chars lourds français de 32 tonnes qui
Au sein de l'armée d'armistice, jusqu'à sa étaient deux fois plus nombreux. La suprématie
dissolution en novembre 1942, la préparation du matériel blindé allemand est une légende.
à l'action clandestine a été voulue et Hormis l'absence d'une aviation d'assaut,
encouragée par les plus hauts responsables la criante infériorité française résidait avant tout
militaires qui avaient la confiance du maréchal dans la doctrine d'emploi, dans la faible valeur
Pétain. De leurs Initiatives naîtra du commandement, l'impréparation des unités
l'Organisation de résistance de l'armée (ORA). et, d'une façon plus générale, dans l'effondre-
Dès son évasion, le général Giraud a pris ment des valeurs authentiquement militaires
symboliquement la tête de la préparation
d'intelligence et de caractère. Sans doute ne
clandestine. Peu avant son départ pour
peut-on lutter avec succès contre des armes
l'Afrique du Nord, le 3 novembre 1942, il en
confie le commandement au général Frère,
modernes uniquement avec des vertus guer-
grand mutilé de guerre qui, après avoir rières. Mais les armes elles-mêmes ne sont rien
commandé la 14' division militaire de Lyon, sans l'esprit capable d'en tirer parti et sans le
se trouve à la tête du 2' groupe de divisions cœur pour surmonter les épreuves du combat.
militaires à Royat lors de la dissolution de La défense française s'est effondrée,
Le général Leclerc, chef de la 2' DB, est le autant pour cause d' infériorité intellectuelle
l'armée d'armistice [...] symbole des jeunes officiers orgueilleux et fon-
Pour ceux qui organisent la résistance de que par défaillance des énergies. La défaite,
ceurs qui ont relevé le défi de la défaite par
l'armée, le général Frère est avant tout un l'action, prouvant dans la guerre qu'ils pouvaient comme tout la monde l'a compris, était celle
drapeau. Il sera arrêté par la police faire aussi bien que l'arrogant vainqueur de 1940. d'une société tout entière, la sanction d'une
allemande, le 13juin 1943, déporté au décadence annoncée.
Struthof en mai1944. Atteint d'œdème aux nombreux exemples d'héroïsme, la capture de Les Panzers n'étaient invincibles qu'en
deux jambes, puis de diphtérie et de deux millions de prisonniers disait trop sou- l'absence d'adversaires pugnaces et résolus,
dysenterie, il succombera, un an jour pour d'hommes de guerres véritables, espèce dont
vent le refus de combattre.
jour après son arrestation. Son successeur, la société française dans son ensemble, s'était
le général Verneau subira le même sort ... employée à décourager la survie après 1918. Il
Spontanément, des chefs de corps, alors Un effondrement
en subsistait pourtant quelques exemplaires
que leurs unités ont été dissoutes, prennent des valeurs militaires qui avaient échappé par miracle à l'affaisse-
des dispositions pour maintenir le contact
ment général.
avec leurs cadres en vue de l'action « Les choses allaient trop vite pour qu'on
future[...]. Après novembre 1942, l'une des Sans toujours se l'avouer, parce que recon-
pût les ressaisir sur place », se souviendra pius naître la supériorité de 1'adversaire c'est être
missions de I'ORA, qui fonctionne dès le tard le général de Gaulle dans un texte trop
mols suivant, est de faciliter le passage en doublement vaincu, on verra bientôt surgir, ici
oublié de ses Mémoires de Guerre. « Tout ce et là, dans la France du désastre et du malheur,
Afrique du Nord d'officiers destinés à
qu'on envisageait prenait aussitôt le caractère comme jadis chez les officiers prussiens
encadrer les troupes qui, en attendant l'Italie
de /'irréalité. On se reportait aux précédents de écrasés par Napoléon en 1806, une volonté
et la France, reprennent le combat en
Tunisie. Quelque 1 500 des 11 000 que
la guerre de 14-18, qui ne s'appliquaient plus farouche de se réformer, de s'épurer, de se
compte l'armée d'armistice le feront, à leurs du tout. On affectait de penser qu'il y avait durcir à coups de trique.
risques et périls, via l'Espagne, et encore un front, un commandement actif, un L'énergie dépensée par quelques-uns après
contribueront au succès de l'armée d'Afrique peuple prêt aux sacrifices : ce n'étaient là que 1940 pour que renaisse une armée purgée des
et de la 1... armée (de Lattre). Environ 4 000 rêves et souvenirs. En fait, au milieu d'une tares d'autrefois porta parfois ses fruits. Mais
autres - dont 1 500 au sein de I'ORA- nation prostrée et stupéfaite, derrière une armée sur l'armée de 1945 pesait encore les mortelles
rejoindront les maquis à partir de 1943 et sans foi et sans espoir, la machine du pouvoir routines d'autrefois et aussi le legs empoison-
surtout de 1944. tournait dans une irrémédiable confusion ... » né de haines et de vengeances qu'aucune
Dès qu'ils le peuvent, au fil de la L'ampleur et la rapidité de l'effondrement volonté de réconciliation n'était venue guérir.
libération du territoire et de l'avance du front français stupéfia les témoins, à commencer par Parmi les meilleurs officiers sortis des com-
(quand front il y a), les maquis de I'ORA les Allemands. Deux générations avaient suffi bats victorieux de 1943-1945, combien furent
rejoignent l'armée régulière pour continuer pour que le peuple qui s'était fait tuer sur
le combat contre l'ennemi plutôt que de
tués ensuite en Indochine ? Cette nouvelle
place à Verdun devienne celui de l'exode. guerre allait engloutir chaque année, jusqu'en
participer aux opérations politiques de prise Le vaincu a toujours tendance à chercher
du pouvoir et d'épuration auxquelles 1954, l'équivalent d' une promotion de Saint-
la cause de sa défaite dans l'infériorité du Cyr. Trop y furent tués sans avoir apposé leur
répugnent leurs chefs. En 1943 et 1944,
matériel. On sait aujourd'hui que les chars marque. Pas plus que la nation, l'armée ne par-
I'ORA perdra 227 officiers (104 tués au
allemands n'étaient pas supérieurs aux blindés vint à accomplir ce que jadis la Prusse avait
combat, 33 fusillés et 90 morts en
déportation). français ni en nombre ni en qualité. Les Panzer 1 réussi après Iéna.
DOMINIQUE VENNER et Il qui étaient les plus nombreux (1 478 sur D.V.
Histoire critique de la Résistance. un total de 2 600), n'étaient même pas classés Dominique Venner a publié en 1995 Histoire
Pygmalion/Gérard Watelet. Paris, 1995. « chars » en France, mais « automitrailleuses ». critique de la Résistance. Pygmalion/Gérard
Les engins les plus lourds, les Panzer IV, Watelet, 500 pages, 159 F.
Il
Salut aux sous-officiers
'
Dans La 317' section, roman et film de Pierre Schoendoerffer sur la guerre d'Indochine, l'adjudant Wülsdorff(Bruno Cremer).
antimilitariste, comme 1' anticléri- abusant d'une autorité trop chèrement acqui- ll connaît, d'instinct, l'exacte mesure de sa
•
LE RÔLE SOCIAL DE L~OFFICIER
Souvenirs de l ~armée
d~aujourd~hui
PAR GILBERT COMTE
'
A
quelques pas de l'eau, le camp de
Naqoura étire sur deux kilomètres de
côte méditerranéenne la géométrie
verdâtre de baraquements sans grâce, où
l'armée loge d'ordinaire ses troupes. Quelques
plates-bandes fleuries, de jeunes arbres arrosés
chaque matin s'efforcent bien d'en rendre
l'aspect moins rébarbatif. Sans résultats consi-
dérables. Sentinelles, treillis, blindés, fusils-
mitrailleurs, sacs de sable visibles à chaque
pas, silhouettes, véhicules ou objets se réfèrent
ici à des activités peu bucoliques. Avec le 420'
détachement de soutien logistique (420' DSL),
la France participe à la Force intérimaire des
Nations-Unies au Liban- Finul -, aux ordres Même peinturlurées d'humanitaire et dissimulées sous des casques bleus, les missions extérieures
du Conseil de Sécurité, sous le commande- ont l'avantage d'offrir des aventures gratuites et, pour ceux qui en ont les aptitudes, une école du risque
ment local d'un général suédois. et du danger.
Il
L'ARMEE D' AUJOUR
UNE PHILOSOPHIE
MILITAIRE
Sans la force, en effet, pourrait-on
concevoir la vie? Qu'on empêche de naître,
qu'on stérilise les esprits, qu'on glace les
âmes, qu'on endorme les besoins, alors,
sans doute, la force disparaîtra d'un monde
immobile. Sinon, rien ne fera qu'elle ne
demeure indispensable. Recours de la
pensée, instrument de l'action, condition du
mouvement, il faut cette accoucheuse pour
tirer au jour le progrès. Pavois des maîtres,
rempart des trônes, bélier des révolutions,
on lui doit tour à tour l'ordre et la liberté.
Berceau des cités, sceptre des empires,
L'armée n'est pas la police ni une annexe des sœurs de la Charité. À force d'imposer aux soldats
fossoyeur des décadences, la force fait la loi
mcaisser des coups sans répondre, on détruit chez eux le réflexe premier qui commande l'instantanéité
aux peuples et leur règle leur destin.
la riposte et l'agressivité maximum nécessaire au succès du combat.
En vérité, l'esprit militaire, l'art des
soldats, leurs vertus sont une partie
La résolution 425 du même organisme se, les décidèrent pour un engagement de
intégrante du capital des humains. On les
joint de << rétablir la paix et la sécurité longue durée. Solides, vigoureux, d'excellente
voit incorporés à toutes les phases de
rernationales », << d'aider le gouvernement humeur, en bonne santé, craignent-ils pour
l'Histoire au point de leur servir
'anais à assurer la restauration de son auto- autant de recevoir une balle en plein cœur ? La
d'expression. Et puis, cette abnégation des
·é effective dans la région », de << confirmer réponse, presque toujours semblable de l'un à individus au profit de l'ensemble, cette
retrait des forces israéliennes ». Malgré la l'autre, exprime un fatalisme déterminé : souffrance glorifiée, - dont on fait les
'uceur ensoleillée de ce clair matin de << Mourir ici ou autre part ! En France, la
troupes - répondent par excellence à nos
tutomne 1988, il ne s'agit pas d'une sinécu- route, l'autoroute tuent beaucoup plus de concepts esthétiques et moraux : les plus
, et encore moins d'une réussite. Quoiqu'en monde qu'aux alentours du camp. Et puis, à hautes doctrines philosophiques et
182 puis en 1983, nos commandos sauvèrent Naqoura, au moins, on sert à quelque chose! » religieuses n'ont pas choisi d'autre idéal.
ut simplement la vie à Yasser Arafat, mena- L'existence très particulière du corps au Si donc ceux qui manient la force
de périr sous les bombes dans le piège sein de la force internationale contient l'essen- française venaient à se décourager, Il n'y
rldu à Beyrouth par ses ennemis, l'OLP tiel des explications ... aurait pas seulement péril pour la patrie
cale harcèle régulièrement nos hommes. Pas Au service d'entretien des véhicules, ce mais bien rupture de l'harmonie générale. La
: morts jusqu'à présent. Dix-sept blessés sergent-chef de vingt-quatre ans, du cambouis puissance échappée à ces sages, quels fous
1and même. Quant aux soldat de 1'État jusqu'aux coudes, plonge dans le moteur d'un s'en saisiraient ou quels furieux ? Il est
:breu, ils se moquent ostensiblement des bulldozer Poclain. L'apparition du colonel et temps que l'élite militaire reprenne
:cisions diplomatiques. Leurs patrouilles tra- de deux capitaines l'arrête dans son travail. Il conscience de son rôle prééminent, qu'elle
:rsent chaque jour les zones théoriquement salue d'une petite inclination de la tête puis se concentre sur son objet qui est tout
'us contrôle de l'ONU. Elles narguent nos lance, d'une voix certes respectueuse mais simplement la guerre, qu'elle relève la tête et
'stes de surveillance, frôlent comme pour aussi assurée : << Allez ! Nos engins arrivent à regarde vers les sommets.
en amuser l'enceinte des casernements, bati- bout de souffle. Mais je vous prolongerais Pour rendre le fil à l'épée, Il est temps
lent en mer sur des vedettes rapides, à la vue bien celui-là quelques semaines. Nous qu'elle restaure la philosophie propre à son
: tous. Parfois, la moquerie tourne à la pro- n'allons pas quand même pas nous payer l'un état. Elle y trouvera les vues supérieures,
>cation pure et simple avec trois ou quatre de leurs Caterpillar! » l'orgueil de sa destination, le rayonnement
La confiante liberté du ton contraste singu- au dehors, seul salaire, -en attendant la
:charges de pistolets-mitrailleurs. Consigne
gloire,- qui puisse payer ceux qui comptent.
:rmanente donnée aux nôtres : ne jamais lièrement avec l'époque où un subalterne ne
CHARLES DE GAULLE
pondre à personne. s'adressait à ses chefs qu'à travers des propos
Le Fil de l'épée. Berger·Levrault, 1932.
Apparemment, il en faudrait plus pour plus qu 'articulés, le petit doigt sur la fameuse
1pressionner nos jeunes compatriotes sous le couture du pantalon. Le colonel remercie, lui
tsque bleu. À peu d'exceptions près, ceux-ci aussi simple, cordial. Tourné vers le visiteur des matériels, mais qu'au moins nos industries
uviennent tous du contingent. Voici huit à parisien, il précise : << Écoutez bien ce garçon ! en profitent ! »
mze mois encore, ils traînaient comme beau- N'importe lequel de ses camarades parlera Venir à Naqoura pour entendre parler de
mp d'adolescents de leur âge une mollasserie comme lui. La Finul offre des marchés intéres- civisme commercial crée la première surprise
ranescente entre l'apprentissage et la faculté. sants aux membres de l'ONU. Les Américains du voyage. Elle tient à l'insoupçonnable isole-
! service obligatoire les a encasernés. En démarchent sans cesse l'état-major. Avec le ment du 420' DSL au sein de la force interna-
·ovince comme dans les garnisons alle- chômage en France, mes gars ne comprennent tionale.
andes, ils s'ennuyaient fermement. L'attrait pas pourquoi nos entreprises ne soutiennent Selon le règlement intérieur des Nations-
1 voyage, celui d'une solde supérieure à six pas mieux la concurrence. Ils sont prêts à Unies, le français figure à égalité avec l'anglais,
ille francs par mois pour un deuxième clas- souffrir l'inconfort des casernements, l'usure le russe, l'espagnol et le chinois comme l'une
•
ARMEE D'AUJOURD'HUI
LE PROBLÈME DU SOLDAT
À LA FIN DU XXE SIÈCLE
Un mot de l'Ecole militaire et de « l'esprit " complique, tout s'organise minutieusement, sain de rapports d'estime d'homme à homme.
qui y souffle, puisque je m'y suis moi-même y compris la préparation au combat ; tout se La personnalité des soldats ne se manifeste pas
largement essoufflé. C'est de ce haut lieu de la raisonne, et il n'y aura bientôt plus de place ici à travers le seul conflit linguistique avec les
pensée militaire qu'il importe de remettre celle· pour la fantaisie, sans laquelle, je crois, on ne anglophones.
ci à sa juste place. Il faut préserver, cultiver peut pas supporter la guerre. Je ne veux pas Des fusillades ensanglantent toujours la
même aujourd'hui, le sain mépris que le dire qu'il faut être de mauvais gestionnaires, région. Si nos soldats s'y attardaient comme ils
militaire a toujours professé pour mais qu'il ne faut jamais perdre de vue que le souhaitent, quelques rafales de kalachnikov
l'Intellectualisme. Et exalter symétriquement la pour nous, le vrai sérieux, la référence ultime, parties on ne saurait jamais d'où, en laisseraient
bêtise militaire. Mais il y a une bêtise militaire ce n'est pas la gestion, pas plus que les plusieurs au sol, avec toutes les complications
qui est Intelligente au deuxième degré : celle élucubrations d'écoles, c'est la guerre diplomatiques imaginables. Dans une armée,
qui permet de décider quand le temps qui éventuelle. non seulement loyale, mais loyaliste envers les
presse impose d'arrêter la réflexion ; celle qui Au-delà de la gestion, et toujours dans la institutions, personne ne souhaite ce genre
accepte d'obéir sans comprendre quand les même veine, il y a l'éthique militaire, ou, pour d'aventure. Les capitaines, commandants, etc.
circonstances du combat ne permettent pas parler moins noblement, nos comportements ne s'en étonnent pas moins, avec un évident
l'explication. Et cette discrétion que nous, particuliers. Il est patent que le militaire, dans bonheur, de découvrir chez de simples appelés
militaires, avons à l'égard des choses de nos sociétés riches et indifférentes, est de plus le réveil d'un esprit qu'ils croyaient perdu avec
l'esprit pourrait être étendue avec un grand en plus désaccordé. Il embête le monde ! Je souvenir des campagnes d'Afrique. Si Gallie-
bénéfice à tous les parleurs et écrivains du Il embête le monde avec ses tenues uniformes, ni, Lyautey revenaient sur cette terre, ils retrou-
siècle. En dire un peu moins que ce qu'on fait ; son cérémonial désuet, la rigueur d'une veraient leur vraie descendance. En ce mois
en faire un peu plus que ce qu'on dit ; voilà une discipline formelle et d'une hiérarchie affichée d'octobre 1988, à Naqoura comme dans la plu-
règle d'or qui établirait sur l'assemblée un -alors que partout ailleurs l'autorité est part des autres garnisons de France, d'Alle-
silence reposant. considérée comme suspecte. Il embête le magne et d'Afrique, chacun ne pense qu'à ser-
Et maintenant, si je devais laisser un petit monde, n'ayant que le devoir à la bouche, vir, à peu d'exceptions près. Les ambitions, sou-
message, ce serait simplement pour aider à quand chacun alentour ne parle que de droit. cis de carrière, ne débutent vraiment qu'au-des-
prendre conscience de ce qu'est devenu le En sorte que le réflexe de beaucoup et même de sus du corps de troupe. Une évidente pureté sub-
personnage du soldat. nombreux militaires, devant ce désaccord des siste à la base, hommes et officiers confondus.
Pour ce qui est du style de vie, les occasions deux sociétés, civile et militaire, c'est de Non sans, de la part des seconds, un ferme réa-
guerrières ayant, grosso modo, pris fin en 1962, réclamer que nous cessions de faire les clowns, lisme. En 1974, des troubles bien oubliés
nous nous sommes Installés dans la paix, et et que nous nous alignions sur l'ambiance aujourd'hui éclatèrent dans de nombreuses
comme les militaires sont gens consciencieux, générale. Il va de soi qu'il ne le faut pas, et que casernes. Les gauchistes organisèrent des comi-
nous nous y sommes installés avec si nous servons à quelque chose, c'est en étant tés de soldats, revendicateurs, subversifs. Le
conscience. Nous sommes devenus de bons les empêcheurs de danser en rond et en commandement comprima la révolte mais com-
gestionnaires, voire pour les plus hauts placés, continuant imperturbablement à tenir notre rôle prit qu 'il lui fallait réviser ses méthodes. Certes,
de bons technocrates, personnages en tout cas de techniciens des catastrophes... la discipline demeure bien la force principale
qui n'ont rien à voir avec le type du guerrier ou, GÉNÉRAL (CR) CLAUDE LE BORGNE des armées. Mais elle s'appuie désormais sur un
comme l'on dit maintenant, de l'opérationnel. Discours d'adieu à l'enseignement consentement plus libre et profond qu'en
Autrement dit le temps de paix, et le temps de militaire supérieur, décembre 1981.
d'autres époques. Le discours des cadres sur le
paix moderne, nous met en danger : tout se Armées d'aujourd'hui, mai 1982.
sujet peut se résumer en ces termes : « Nous
recevons les appelés comme la société nous les
des cinq langues officielles de 1' institution. ostentation presque provocante. Bien évidem- envoie. Dans l'ensemble de bons garçons, plu-
Dans Je secteur assigné aux casques bleus, ment, les Scandinaves s'en irritent. En principe, tôt malléables. Ce qu'on appelait naguère sans
consignes, renseignements se transmettent nos officiers s'en désolent. Us écoutent les doute un peu bêtement de "mauvaises têtes" ne
depuis New York dans Je langage principale· remontrances avec une componction tellement se rencontre pas souvent, l'antimilitarisme à
ment utilisé aux États-Unis avec .J'accord de goguenarde, ils exhibent eux-mêmes un anglais l'ancienne n'existe plus dans les nouvelles
nos dirigeants. Le général suédois responsable tellement appuyé devant des interlocuteurs, bien classes, ou très rarement. Sa disparition accom-
du commandement commun répercute les ins- incapables de leur rendre la politesse, qu'il se pagne d'ailleurs celle des repères plus géné-
tructions reçues sans changer un mot. Népalais, développe, à l'intérieur du détachement, une raux. Beaucoup de jeunes ne savent plus ce
Ghanéens, Irlandais ne s'en offusquent guère, communauté de foi résolue entre les soldats et qu'ils sont ni où ils vont. Nous n'entendons pas
puisqu'il s'agit pour eux d'un moyen d'expres- les cadres, où la discipline s'enrichit, se rajeunit, pour autant nous transformer en nowTices, en
sion normal, souvent appris dès J'enfance. se renouvelle. Quiconque a connu l'armée avant instituteurs ou en directeurs de conscience. »
Nos appelés, eux, ne Je supportent pas. En ou pendant la guerre d'Algérie ne retrouve cer- Les mœurs contemporaines obligent les
patrouille, lors des rares permissions, ils enten- tainement pas les anciennes distances entre les commandants de compagnie à endosser un peu
dent partout villageois, commerçants, s'adresser · grades dans celle d'aujourd'hui. des trois rôles à la fois. Par exemple, beaucoup
à eux dans leur langue maternelle. Cette franco- À Naqoura, comme cela se confirmera par d'entre eux surveillent discrètement si les
phonie qu'ils ignoraient jusqu'alors les enchan- la suite dans la plupart des garnisons, de Ber- recrues gardent de bons rapports avec leurs
te. Dans leurs relations avec les autres contin- lin à Djibouti, les rapports à l'intérieur de la familles, téléphonent, reçoivent régulièrement
gents, ils p~ettent à paraître ignorer 1' anglais une hiérarchie empruntent le style beaucoup plus des lettres entre les permissions. Selon les
•
L'ARMEE D'AUJOURD'HUI
•
LA GUERRE n~ALGÉRIE PAR CEUX QUI L'ONT FAITE
Fonds de cantine
PAR JEAN MABIRE
Par la grâce d'un service mili- naires albums de photos de Marc Flament :
Piste sans fin (Pensée moderne, 1957) et sur-
taire allongé, et du rappel des tout Aucune bête au monde ... (même éditeur,
1959). Quand on voudra savoir ce que fut cette
« disponibles », trois millions de guerre, il faudra explorer les 35 000 clichés de
celui qui prétendait n'être qu'un « sergent
jeunes Français ont participé à la humoriste » et qui demeure le plus grand pho-
tographe de guerre de notre génération. S'il en
guerre d'Algérie de 1954 à 1962. est un qui a compris quel fut notre héraldique
soleil de sable, c'est bien lui.
Beaucoup ont écrit. Revue de Libéré à l'automne 1959, après une année
sur la frontière tunisienne, dont quelques mois
détail par l'un d'entre eux. à la tête d'un commando de chasse, j'ai
l'impression d'avoir été trahi, moins que mes
gars d'ailleurs, qui pour beaucoup laisseront
leur peau. Alors un trait sur 1' Algérie, la fran-
•
LA GUERRE D'ALGÉRIE
mondes différents, même s'ils racontent la Entre 1960 et 1962, il avait vu à Alger beau- brigade des commandos parachutistes avait eu
même chasse à l'homme. Georges Buis, coup de choses qu 'il restitue assez bien. On en la curieuse idée de confier aux Éditions de
l'auteur de La Grotte (Julliard, 1961) a été fera plus tard un film à succès qui trahit tout Minuit son premier récit, Saint Michel et le
colonel. Il « pantouflera » dans le journalisme. du livre. La même année, Pierre Sergent, enco- dragon (1961 ).
Et au Nouvel Observateur qui plus est ! Mais re recherché par toutes les polices, écrivait à
il connaît bien ces deux métiers. Thadée chaud Ma peau au bout de mes idées (La Soldats politiques
Chamski progresse à l'autre aile, la droite, pis- Table Ronde, 1967) Du l" REP à l'OAS en
tolet-mitrailleur au poing. Capitaine au long passant par le putsch, un sacré itinéraire, dont Les années passent qui transmuent les sou-
cours et officier de renseignements dans un Claude Tenne, Mais le diable marche avec venirs. Les anciens romancent de plus en plus
commando de la marine, il donne avec La nous (La Table Ronde, 1968) donnait l'autre leur expérience. Ainsi, l'officier de réserve
Harka (Laffont, 1961) une image dure et vraie version, celle du légionnaire parachutiste du Claude Jacquemart, qui servit à la Légion
de cette guerre. rang, insurgé et pas résigné. étrangère, revit avec Chelia, duel dans l'Aurès
Où classer l'essai de Gilles Perrault Les En 1968, pour le dixième anniversaire du (Presses de la Cité, 1987) ses souvenirs de la
Parachutistes (Le Seuil, 1961), à droite ou à 13 Mai, je publie Les Hors-la-loi (Laffont). « Treize ». Plus « bidasse » est l'image que
gauche ? Petit livre ambigu sur la fascination D'autres événements se déroulaient alors. donne Daniel Yonnet, ancien alpin, des com-
du Mal. Mais que le diable qui chantait avec Peu à peu, les anciens de Mai 68 vont reje- bats sur la frontière tunisienne dans La
ce sous-lieutenant du 8' para colo était beau ! ter dans l'ombre, et parfois dans une honte Marche des anges (Jean-Claude Lattès, 1987).
Il en restera toujours quoi qu'il dise et qu 'il imposée, les anciens d'Algérie. On le voit bien Ce côté bidasse, qui fut quotidien, à défaut
fasse, marqué au fer rouge. avec des récits violemment antimilitaristes, d'être héroïque, est magnifiquement restitué
Maintenant la guerre est morte. Les comme le R.A.S. de Roland Perrot (Jérôme par Jean-Claude Carrière avec La Paix des
témoins ne se font plus égorger. Mais il reste Martineau, 1970). braves (Le Pré aux Clercs, 1989), petit chef-
des tisons rougeoyants sous la cendre des illu- Les souvenirs, avec plus ou moins de bon- d'œuvre plein d'humour et dépourvu de ran-
sions perdues et des révoltes tenaces. Gérard heur, se transmuent en roman. Ainsi, Le Lieu- cœur. Combien artificiel apparaît à côté le
Périot, docteur en droit, est parti comme tenant Verberie (Fayard, 1972) de Bernard grand machin d'Olivier Todd La Négociation
volontaire, mais il a voulu rester simple soldat ; Touchais. Moins littéraire mais plus véridiqué (Grasset, 1989), qui veut prendre de la hauteur
cela donne à son Deuxième classe en Algérie est sans doute Les Compagnons de Taberdga mais ne réussit pas à donner le grand roman
(Flammarion, 1962) une duplicité un peu (Nouvelles Éditions latines, 1973) de Richard que méritait le sujet. En revanche, la réunion,
acide. Richard Sünder, par contre, ne cache Marillier, où les anciens peuvent revivre leurs en 1992, sous un mauvais titre L'Imposture
guère ses sentiments ; il s'est battu en Algérie, propres (si on peut dire) souvenirs des com- algérienne (Filipacchi), des lettres écrites de
comme deux de ses frères.« Marsouin» d'une mandos de chasse. Des militaires privés de 1960 à 1962 par le sous-lieutenant Doly-
infanterie coloniale qui ne se disait pas encore baroud se veulent écrivains. Ainsi Pierre Linaudière, constitue un extraordinaire docu-
de marine, il écrit avec Jaseran noir (Albin Hovette avec Capitaine en Algérie (Presses de ment criant de colère et de vérité.
Michel, 1963) ce que furent la vie et la mort la Cité, 1978) qui transforme en roman ce Avec quarante ans de recul, Dominique
dans les commandos de chasse. Récit, roman, qu'il a connu comme officier du « Trois » de Venner, qui servit dans le 4' bataillon de
poème en prose, on ne sait où classer le Max Bigeard en 1955 ; ou Jacques Abbenat avec Le l'arme bleue, sonne le rappel de ses souvenirs
Skoda (L'Esprit nouveau, 1965) de Jean- Commando noir (même éditeur, 1979). au pas chasseur. Certes, l'évocation de la guer-
Jacques Rochard, un ancien du « Deux ». Par contre, c'est incontestablement la pure re d'Algérie qu'il fait dans Le Cœur rebelle
Étrange garçon qui incarne bien le romantisme voie romanesque que choisit Vladimir Volkoff, (Les Belles Lettres, 1994) est rapide, mais
impénitent de tout anarchiste de droite. qui ne se cache pas d'avoir été officier de ren- d'un ton qui ne trompe pas. Il fut des nôtres
seignements. Il ressuscite l'Algérie dans sa dès les premières rafales qui marquaient le
Une rafale de romans talentueuse Leçon d'anatomie (L'Âge début des « événements ». Cette éducation
d'homme, 1980). Le commandant Pierre Pou- sentimentale d'un jeune homme de bonne race
Chaque année va désormais voir paraître get, lui, s'est toujours voulu un inclassable. est aussi le seul livre où l'on puisse voir naître
au moins un livre sur la guerre d'Algérie. En Aussi, il s'acharne à brouiller les pistes. Pour- cette espèce zoologique rarissime dans notre
1965, Pas même un caillou (collection tant, Bataillon R.A.S. Algérie (Presses de la pays : le soldat politique.
« Action ») de Pierre Montagnon, ancien du 2' Cité, 1981) camoufle en roman ce qui fut sans J.M.
REP et de 1'OAS, tout juste sorti de prison. En nul doute son expérience à la tête du « plus Après un service militaire dans les paras,
1966, Les Hussards perdus (collection pouilleux des bataillons d'infanterie », dont Jean Mabire fut rappelé comme lieutenant en
« Action ») de Pierre Boissei, qui se nomme cet ancien de Diên Biên Phu sut faire une unité octobre 1958 au 12' BCA sur la frontière tuni-
en réalité Michel Alibert. Cet ancien dragon de choc. Il est dommage que Claude Klotz, sienne. Chef d'un commando de chasse, il fut
démobilisé en octobre 1959. Cette expérience a
para, alors en cavale, se camoufle en hussard l'auteur du roman Les Appelés (Jean-Claude
nourri son roman Les Hors-la-loi (R. Laffont,
pour écrire un beau roman, qu'il republiera Lattès, 1982) n'ait pas servi sous ses ordres ;
1968), réédité sous le titre Commandos de chasse
sous son vrai nom et sous le titre L'Escadron nous aurions eu un bon guerrier plutôt qu ' un (Presses de la Cité). Jean Mabire vient de
(Albin Michel, 1989). Dommage que ce petit bon écrivain, ce qu'il est indéniablement. publier le troisième volume de Que lire ?, soixan-
livre, tout de dureté et de tendresse, soit moins Comme sent la poudre, en revanche, le roman te-dix portraits d'écrivains, 150 F. En vente à la
connu que celui du brillant journaliste Philipe de Pierre Leulliette Les Parias (Pygmalion, Librairie Duquesne, 27 avenue Duquesne, 75007
Labro Des feux mal éteints (Gallimard, 1967). Gérard Watelet, 1985). Cet ancien de la demi- Paris.
Il
L" ADIEU AU DRAPEAU
Un sur trois des régiments de l'armée de terre va disparaître, et parmi eux certains
des plus chargés d'histoire. Leur origine remonte souvent au XVII• siècle
et parfois même avant. Regard nostalgique sur de grands drapeaux.
a professionnalisation des années fran- ne peut qu'entretenir un orgueil national deve- - 23' Régiment d'Infanterie. Créé en 1644, a
en 1803, recréé en 1820, il est engagé dans la ment sur l'Aisne, en Champagne et en Argon-
conquête de l'Algérie, la campagne d'Italie et ne vaut à son étendard d'être décoré de la
la guerre franco-allemande de 1870. Présent croix de guerre 1914-1918.
en Artois et sur la Marne, il y obtient la croix
de guerre 1914-1918. - l" Régiment de Dragons. Créé en 1636.
Devenu Royal-Dragons en 1668, il est issu des
- 99' Régiment d'Infanterie. À la fois héri- dragons étrangers du Roi recrutés en Alle-
tier du Royal-Deux-Ponts créé en 1757 et de la magne et constitue l'un des quatorze « vieux
24' demi-brigade d'infanterie légère constituée corps » de Louis XIV. Il participe aux cam-
en 1796. Marengo, Wagram, la Moskowa, pagnes de l'Ancien Régime, de la Révolution
Verdun, la Malmaison et la résistance des et de l'Empire puis aux guerres franco-alle-
maquis de l'Ain sont inscrits sur son drapeau, mandes de 1870-1871, 1914-1918 et 1939-
décoré de la croix de la Légion d'honneur en 1945. Il est décoré des croix de guerre 1914-
1863 et de la croix de guerre 1914-1918. 1918 et 1939-1945.
- 151' Régiment d'Infanterie. Créé en 1813, - 2' Régiment de Dragons. Créé en 1635 sous
a combattu au cours de la campagne d'Alle- le nom d'Enghien-Cavalerie, devient Condé-
magne de Napoléon et durant toute la Premiè- Cavalerie en 1646 puis Condé-Dragons en
re Guerre mondiale, qui a vu son drapeau 1776. Il fut commandé par le vainqueur de
décoré de la croix de guerre avec quatre Rocroi et resta la propriété des princes de
palmes et de la Médaille militaire. Il fut com- Condé jusqu'à la Révolution. Après les cam-
Cuirassier et trompette (au sol) du l" régi-
mandé en 1935 par le futur général de Lattre pagnes des XVII' et XVIII' siècles, il combat
ment, ci-devant Colonel-Général, lors de la gran-
de Tassigny. de charge d'Eylau, le 8 février 1807, au cours de sur tous les fronts dans les armées de la Révo-
laquelle le général d'Hautpoul fut mortellement lution et de l'Empire. Il participe à la « croisa-
- l " Régiment de Chasseurs Parachutistes. blessé. de » du duc d'Angoulême en Espagne en
Issu des 601' et 602' groupements d'infanterie 1823, à la guerre franco-allemande de 1870,
de l'air créés en 1937, c'est la plus ancienne sous les ordres du colonel Romain-Desfossés aux deux guerres mondiales et à la guerre
unité parachutiste française. Devenu en 1943 et devient en 1958 le 6' RPIMa. Il est décoré d'Algérie.
le l" RCP, il combat dans les Vosges, dans la de la croix de guerre des TOE avec cinq
poche de Colmar sous les ordres du futur palmes. - 3' Régiment de Dragons. Créé en 1649 sous
général Faure, en Indochine et en Algérie. Son le nom d'Enghien pour l'un des fils du Grand
drapeau est décoré de la croix de guerre 1939- - l " Régiment de Cuirassiers. Régiment Condé, il prend celui de Bourbon en 1686. Il
1945 et de la croix de guerre des théâtres étranger créé en 1631, a été admis au service est de toutes les guerres de Louis XIV et de
d'opérations extérieures. français en 1635 et a pris en 1657 le nom de Louis XV. Devenu 3' régiment de dragons en
Colonel-Général. Il a participé à toutes les 1791, il participe aux campagnes de la Révo-
- 4' Régiment d'Infanterie de Marine. Créé campagnes de la Monarchie et à celles de la lution et de l'Empire puis à l'expédition
en 1854 il a pris en 1900 le nom de 4' régi- Révolution et de l'Empire. Son étendard porte d'Espagne de 1823, ainsi qu'aux guerres fran-
ment d'infanterie coloniale. Engagé à Sébas- les noms de Jemmapes, Austerlitz, Eylau, la co-allemandes de 1870, 1914-1918 et 1939-
topol et en Indochine sous le Second Empire, Moskowa ... li est décoré des croix de guerre 1945.
il s'illustre en 1870 à Bazeilles, lors de l'épi- 1914-1918 et 1939-1945.
sode fameux des « dernières cartouches ». - 3' Régiment de Chasseurs. Créé en 1675
Engagé de nouveau en Indochine, puis au - 3' Régiment de Cuirassiers. Créé en 1645, sous le nom de Du Fay-Dragons, est l'un des
Maroc, il participe ensuite à la Première il prend le nom de Commissaire-Général en « quatorze vieux corps » de Louis XIV. Il
Guerre mondiale et s'illustre sur la Marne en 1654. Il est de toutes les campagnes de la deviendra en 1788 le régiment des chasseurs
1914, en Champagne l'année suivante, puis Monarchie, de la Révolution et de l'Empire. Il de Flandres puis le 3' régiment de chasseurs à
dans les Balkans. Il est décoré de la croix de s'illustre durant la guerre de 1870 et gagne la cheval en 1791. Il participe aux guerres de
guerre 1914-1918. croix de guerre 1914-1918. Louis XIV et de Louis XV, fait partie de
l'armée de Sambre et Meuse, puis des forces
- 6' Régiment Parachutiste d'Infanterie de - 4' Régiment de Cuirassiers. Créé en 1643, engagées en Irlande en 1798. Sous le Consulat
Marine. Créé en 1948 sous le nom de 6' prend le nom de la Reine en 1666. Marie-Thé- et l'Empire, il combat en Italie, en Allemagne
bataillon colonial de commandos parachu- rèse, Marie Leszczynska et Marie-Antoinette et en Russie. Sous la Restauration, il est
tistes, puis devient 6' bataillon de parachu- en furent les colonels en titre. Il participe à envoyé en Espagne en 1823 et en Morée deux
tistes coloniaux en 1951. Il est sous les ordres toutes les campagnes, de la guerre de Trente ans plus tard. Engagé dans la pacification de
du lieutenant-colonel Bigeard quand il est Ans à la Révolution. Il fait partie de la glorieu- l'Algérie, il combat en 1870 et durant la Gran-
engagé à Diên Biên Phu. Reconstitué en 1956 se armée de Sambre et Meuse, victorieuse à de Guerre. Les noms de Jemmapes, de
sous le nom de 6' régiment de parachutistes Fleurus en 1794. Il est à Wagram et à Dresde, Wagram et de l'Yser ornent son étendard.
coloniaux, il participe aux combats d'Algérie participe à la guerre de 1870 et son engage- Ph.C.
Il
ENTRETIEN AVEC LE GÉNÉRAL GALLOIS
Il
" "
VERS L'ARMEE DE METIER
Le recours
aux traditions
. PAR HENRI DE WAILLY
ÉLOGE DU SERVICE
MILITAIRE
Le service militaire, obligatoire et
universel, est inséparable de la notion même
de République, c'est-à-dire de la
communauté que forment les citoyens d'une
même nation. Avant d'être un devoir, il est
un honneur. Confier à un homme une arme
est la plus grande preuve de confiance
qu'un pays puisse témoigner. Le risque du
sang constitue un pacte à nul autre
semblable entre les hommes.
On peut adapter la forme et la durée du
service, on ne peut discuter le caractère
sacré de l'institution militaire dans une
société.
Il ne s'agit pas en un tel domaine d'utilité,
d'organisation technique ou économique de
la défense, mais d'une question de principe.
Comme il est obligatoire pour tous les
enfants de savoir lire, écrire et compter, il
est tout autant nécessaire que chaque
adolescent sache se servir d'un fusil, en
étant pleinement conscient de la
responsabilité qu'implique la possession,
l'entretien et l'usage d'une arme.
Une armée uniquement professionnelle
aboutirait à faire du métier militaire une
profession comme une autre. Loin de
constituer la menace d'une armée putschiste,
elle fabriquerait une armée mercenaire,
aveuglément aux ordres de qui la paye.
L'officier d'une armée de métier perd
totalement son pouvoir d'éducateur qui
reste plus que nécessaire dans un pays où
les autres institutions comme l'École ou
l'Église traversent une grave crise d'identité.
Il n'est de nation, dans le monde
Cavalier du corps de la Gendarmerie de France, Maison du Roi, au XVIII' siècle. Gravure de Chéreau. dangereux où nous vivons toujours, que si
Gendarmerie de France tire son nom des compagnies de gens d'armes montés du XV' siècle. Elle fut la défense n'est pas déléguée à des
rée par Louis XIV qui souhaitait étendre le recrutement de la Maison du Roi aux roturiers. Ce corps
fonctionnaires spécialisés mais placée entre
;lite qui participa aux guerres de Louis XIV et de Louis XV fut dissous par Louis XVI en 1787. Il ne doit
1 être confondu avec la maréchaussée, simple police des campagnes, qui usurpa le nom prestigieux de la
les mains de tous ceux qui la constituent.
ndarmerie après 1790. Après tant d'autres démissions, l'idée
que le risque suprême puisse être évité par
L'année reste un fondement du pays : L'année, quel que soit son avenir, a devant la majorité des citoyens sonnerait le glas de
:st à Bouvines que la France prit conscience elle un gros problème de communication à la communauté nationale et de la virilité
:Ile-même, à Valmy que s'imposa la Répu- résoudre. Problème très sérieux d'image, individuelle.
que, à Verdun qu'elle se sauva. De la reddi- d'abord. De l'adjudant Ramollo aux tortion- Le service militaire n'a bien entendu de
n de Metz (1870) à 1'abandon des harkis naires d'Alger, le lourd passé de la conscrip- sens que s'il redevient obligatoire et
}62), il y eut aussi des pages honteuses tion et les missions policières font encore universel, avec un examen draconien des
cas de réforme et de sursis.
tis, dans tous les cas, l'année fut la nation. peser sur elle le poids d'un antimilitarisme
Le maintien du service national est une
s souvenirs, ce sont les nôtres. Il est essen- latent. Il faudra le corriger.
exigence qui permettrait d'ailleurs à celui-ci
! que cette cohésion se poursuive. L'héritage Avec la fin d' une conscription qui
de se transformer dans une optique de
« trop important pour être confié aux l'encombrait, l'année retourne à ses sources.
modernité, d'efficacité et, pourquoi pas
litaires >> . D'ailleurs ils nous l'ont montré : Elle redevient une société technique avec ses d'enthousiasme.
tradition, ce n'est pas leur affaire. Pros, ils hiérarchies, ses valeurs, ses besoins et ses JEAN MABIRE
ivent la confier à des pros. objectifs. Ses problèmes de recrutement. À ce
-
LE RECOURS AUX TRADITIONS
titre, elle doit apparaître. Comment ? Quand ? étonner, parler à tous de puissance, de confian- le casque (Perrin, 1990), et La victoire évaporée,
À quels titres? C'est toute la question. ce, de rigueur et d'oubli de soi. Rites, calen- Abbeville, 1940 (Perrin, 1995).
Étant donné telle armée, située dans tel driers et lieux de ses apparitions, la richesse
contexte, constituée de telles unités, station- sémantique des « futures traditions » est 1. Sauf « La Royale », la bien nommée,
ancrée pour des raisons techniques dans une région
nées dans telles garnisons, responsables de considérable. Le concepteur s'épanouit à
déterminée : le Bagad de Lann-Bihoué est unique.
telles missions, comment concevez-vous une l'évocation d'une masse d'émotions possibles. 2. Ces insignes, souvent modifiés, dessinés le
stratégie à très long terme pour l'ensemble de Il se réjouit de travailler sur cette friche. plus souvent au hasard des mess ou des camps
l'institution ? Comment concevez-vous une Guérie de son enfermement, réconciliée correspondent à un besoin. Théoriquement soumis à
stratégie particulière à chaque ligne de pro- avec son époque, il est temps qu'abandonnant l'approbation du Service historique, ils demeurent
duit, c'est-à-dire à chaque unité? ses habitudes de bricolage, l'armée séduise fréquemment fantaisistes. Joie des collectionneurs et
Dans cette optique professionnelle -juste- l'opinion, l'électorat, les masses, la popula- richesse des cantines, ils sont tout sauf hénildiques
ment professionnelle les traditions tion, la nation, de quel nom qu 'on nomme la et tout sauf des logotypes, cet art difficile ignoré du
conjointement repensées par le SHA et des soldat. L'insigne dit « de tradition » relève souvent
France. Performances, mais aussi communica-
gens du privé ont un rôle essentiel à jouer : davantage du rébus que de la symbolique.
tion, fierté, élan populaire : l'armée a beau-
3. L'armée allemande, au passé impressionnant,
supports d' image contemporaine, seules, de coup à faire avant de renaître aux yeux des n'a rien conservé, pour des raisons évidentes, de sa
« nouvelles traditions » - qui n'ont pas toutes Français. Les traditions sont là pour cela. récente histoire, mais elle sut fonder de nouveaux
à être nécessairement passéistes -, permettront H.deW. rites en se rattachant aux souvenirs de son grand fon-
l' identification des unités menacées, sans Henri de Wailly est historien. Il a publié plu- dateur, Frédéric 1". À signaler le sens esthétique et
elles, d'anonymat à court terme. Comprises sieurs ouvrages, notamment Crécy, autopsie graphique de l'armée germanique : dans l'architectu-
par les populations actuelles, elles devront d'une bataille (Lavauzelle, 1986), De Gaulle sous re et la symbolique, la nôtre en manque cruellement.
Il
Liturgie civique ? Tout cela à la fois,
AFFAIRE TOUVIER : comme on le voit dans les
cérémonies officielles et les
LA CONTRE-ENQUÊTE réjouissances populaires liées au
Entretien avec Jean-Claude Valla 14 Juillet. Ainsi, la distribution des
drapeaux à Longchamp, le 14 juillet
1880, marquera-t-elle, dix ans après
1870, la volonté de lier sentiment
Enquête sur l'histoire : Votre livre sur l'affaire national et fidélité républicaine.
Touvier se présente comme une contre-enquête. L'un des aspects les plus intéressants
Pourquoi? d.e cet ouvrage est consacré à
Jean-Claude Valla : On a écrit tellement de contre- l'enracinement de la fête
vérités ou d'approximations sur cette affaire qu'il m'a républicaine dans le cadre
paru nécessaire de tout reprendre à zéro. n se trouve que villageois. La fête s'affirme, à cette
je connaissais bien le sujet pour avoir étudié depuis plus échelle, pleinement
de vingt ans l'histoire de Lyon sous l'Occupation. C'est communautaire.
en 1972 que j'ai fait mon premier article dans Historia. Gallimard. 402 pages, 180 F.
TI était consacré à Klaus Barbie. En 1975, j'ai publié un P. V.
autre article sur Paul Touvier dans le nuinéro hors série
consacré à la Milice. François-Xavier de Vivie, alors Joachim
rédacteur en chef de la revue, savait que j'étais et Caroline Murat
originaire de Lyon et que je rn 'intéressais à ces sujets.
pa1· Michel Lacour-Gayet
Ces deux articles ont été le point de départ de mes
recherches. Préface de Jean Tulard
-Vous aviez, je crois plusieurs projets de livres, L'auteur nous propose un destin
dont un sur l'affaire de Caluire ? lié, celui de la moins navrante des
-Effectivement. Sur l'arrestation de Jean Moulin sœurs de Napoléon 1", Caroline, et
dans la banlieue de Lyon, le 21 juin 1943,je crois du cavalier Murat fait « Joachim 1",
Jean-Clllude Valla.
pouvoir apporter des révélations qui feront beaucoup de roi de Naples et de Sicile )) par
bruit, car les coupables ne sont pas ceux que l'on -Vous faites allusion aux définitions successives décret du 15 juillet 1808. À son
désigne habituellement. Mais, comme vous pouvez vous du « crime contre l'humanité » ? mariage, Murat avait pour témoin
en douter, le sujet est délicat à aborder. J'attendrai le - Oui. Les instigateurs de 1'affaire auraient souhaité Bernadotte. Deux vies à mettre aussi
moment propice pour sortir cette« petite bombe». J'ai que Touvier comparaisse devant les assises en tant que en parallèle. Car si le premier parvint
un autre livre en chantier : il s'agit d'une volumineuse fonctionnaire d'un« État pratiquant une politique à se détacher de l'Empereur et à
histoire de Lyon (septembre 1939-mai 1945), d'hégémonie idéologique». À travers lui, c'était Vichy fonder une dynastie en Suède, le
abondamment illustrée pour laquelle j'ai retrouvé et qui aurait été jugé pour « crime contre l'humanité )), Mais second ne put y parvenir à Naples.
réuni quelque cinq cents photos. Mais le projet est la Cour de cassation n'a pas voulu qu'il en soit ainsi, car Murat fut passé par les armes le 13
tellement ambitieux que je n'ai pas encore trouvé il s'agissait à tout prix d'éviter que René Bousquet, ancien octobre 1815, sur l'injonction de
d'éditeur prêt à prendre le risque fmancier d'une telle secrétaire général à la police de Vichy et ami personnel de 1'ambassadeur d'Angleterre.
publication. Peut-être serai-je amené à le découper en François Mitterrand, puisse être déféré à son tour devant Caroline lui survécut jusqu'en
plusieurs volumes distincts. La matière est très riche, un tribunal. Ne pouvant deviner que Bousquet allait être 1839. Michel Lacour-Gaye! écrit
car Lyon fut pendant la guerre la vraie capitale de la assassiné par un illuminé, elle s'est empressée de donner en chroniqueur. Sa connaissance et
France. Tout cela pour vous dire que je connais bien le une nouvelle définition très restrictive du « crime contre sa sympathie pour le couple
contexte historique de l'affaire Touvier. l'humanité )), si bien que Touvier a été jugé et condamné Murat donnent un accent de vérité
comme simple complice des Allemands. à son récit qui est fort bien
-Vous parliez de contre-vérités... enlevé.
-On a accusé Touvier de tous les crimes possibles et Perrin. 384 pages, 148 F.
-Les Allemands ont-ils vraiment exigé des
imaginables. Dans la foulée de Jacques Derogy qui a J,.J.B.
représailles pour la mort de Philippe Henriot ?
lancé l'affaire dans L'Express du 5 juin 1972, la presse - Je le pense. ll y a en tout cas un faisceau de
s'est déchaînée. Je me souviens de L'Echo-Liberté, un présomptions. Mais ce qui est scandaleux, c'est que les Le feld-maréchal
quotidien lyonnais aujourd'hui disparu, écrivant que parties civiles et le parquet aient pu soutenir von Bonaparte
Paul Touvier était « un de ceux qui s'étaient juré de successivement et avec la même vigueur deux thèses Considérations sur les causes
précipiter l'humanité dans le chaos et la barbarie ». de la grandeur des Français
radicalement opposées. Pendant 1'instruction, ils ont
et de leur décadence
L'égal d'Hitler, en quelque sorte! Or, après tout ce prétendu que Touvier avait agi à Rillieux de sa propre
tintamarre médiatique, seuls onze crimes ont fait l'objet pa1· Jean Dutourd
initiative, puis, devant les assises, ils ont soutenu qu'il
de plaintes dOment déposées et, sur ces onze crimes, dix avait exécuté un ordre des Allemands. Cette volte-face
ont fait l'objet d'un non-lieu définitif. C'est ainsi que suffit en elle-même à jeter le discrédit sur le procès. Une idée brillante, beaucoup plus
Touvier a été mis hors de cause dans l'assassinat de profonde qu'il n'y parai'!. Si Louis XV
Mais il y a eu bien d'autres tours de passe-passe
Victor Basch, qui constituait l'une des plus graves juridiques peu dignes d'un État de droit. n'avait pas acheté la Corse aux
accusations portées contre lui. Finalement, l'ancien Génois, Napoléon serait né
milicien n'a été jugé que pour l'exécution à Rillieux de PROPOS RECUEll..LIS PAR GUY CHAMBARLAC Autrichien et aurait fini feld-
sept prisonniers de la Milice en représailles à maréchal d'Empire, garant de la
l'assassinat de Philippe Henriot. Et encore a-t-il fallu, Jean-Claude Valla : Affaire Touvier: la centre-enquête, Société vieille Europe des Rois ... Par cette
pour le faire condamner que la justice se livre à ce UFIR, Éditions du Camelot et de la Joyeuse Garde, 5, rue Fondary, fable spirituelle, Dutourd tord le cou
qu'Edgar Morin a appelé des « tripatouillages 75015 Paris. 320 pages, plus de 120 photos et documents, 177 F à la légende de la « marche de
juridiques ». (port compris). 1'histoire )) à laquelle depuis deux
siècles philosophes et idéologues
Il
LIVRES
Philippe Henriot
NOUVELLES PARUTIONS
par François-René Nans
Écrite par un sympathisant, la Rome et le droit, par Michèle Ducos lui, pas de Napoléon, pas de premier
première biographie, très (Livre de Poche, inédit Histoire). Les Empire ! Jeune officier d'artillerie, il
sources du droit à Rome, famille et s'attache au jeune capitaine
pointilliste, d'un des dirigeants de la
société, propriété et testament, etc. Bonaparte qu'il sauvera sur le pont
Collaboration. Professeur de lettres,
Dictionnaire des Francs, par Pierre d'Arcole en y laissant la vie. Une
orateur vedette de la Fédération biographie fouillée dans une époque
nationale catholique à partir de Riché, avec la collaboration de Patrick
Perin (Bartillat, 159 F). L'histoire des passionnante.
1925, élu à la députation en 1932 et
1936 comme représentant de la Mérovingiens, sous forme d'un Béring, Kamchatka-Alaska 1724-
Gironde, Philippe Henriot s'illustra dictionnaire historique alphabétique. 1741, par Jean Mabire (Giénat,
300 pages, 120 F). La vie et les
à la Chambre comme 1'un des ténors Les dieux des Vikings, par Jean
Renaud (Ed. Ouest-France, incroyables aventures d'un
de la droite. Rallié au maréchal
244 pages, 120 F). Portrait des dieux explorateur danois au service de
Pétain dès 1940, il rejoignit à partir
germaniques et pratiques religieuses Pierre le Grand. Pour tous les
de 1943, les ultras de la amateurs de navigation.
collaboration. Ayant adhéré à la des anciens Scandinaves. L'auteur
Milice, il fut nommé secrétaire dirige le département d'études Préface de la Phénoménologie de
d'État à l'Information dans Je nordiques à 1'université de Caen. l'esprit, par Hegel (GF Flammarion).
dernier gouvernement Laval. La chanson de Roland, par Michel
Initiation par lui-même à la pensée
1' onteu de cesse de se référer :
Malfait (Godefroy de Bouillon, du célèbre philosophe.
· L'histoire ne sait jamais où elle va L'influence de ses chroniques à
ru moment où elle s'accomplit. À Radio-Paris lui valut d'être assassiné 90 F). Nouvelle adaptation abrégée Généalogie de la morale, par Frédéric
oute minute, son chemin peut le 28 juin 1944. du célèbre récit de Théroulde. Nietzsche (GF Flammarion). Nouvelle
•ifurquer [... ]Elle n'a ni fatalité ni En suivant minutieusement Chevaliers-paysans de l'an mil, par édition de cet ouvrage célèbre qui
Henriot en 1943 et 1944, François- Michel Colardelle et Éric Verde! résume la critique nietzschéenne du
~orale , en quoi elle ressemble à la
Henri Nans ne cache rien de l'atroce (Errance, Photos, 120 pages). À judaïsme et du christianisme.
rature. >>Jean Dutourd a trempé sa
tl ume dans l'encrier d'Antoine de guerre civile qui alors déchira la partir des recherches archéologiques Les conséquences politiques de la
Uvarol. France. Mais on aurait pu souhaiter effectuées sur le site exceptionnel du paix, par Jacques Bainville
'lammarion. 180 pages, 99 F. une étude plus critique de l'impasse lac de Paladru (Grande Chartreuse), (Godefroy de Bouillon, 100 F).
M. M. où Philippe Henriot s'était engagé et la naissance de 1'âge féodal dans une Préfacée par le professeur Soutou,
qui justifia cette opinion de Mauriac : communauté de libres paysans. réédition du livre fameux qui
llistoire « Il savait bien qu'il se sacrifiait » et La vie du duc de Bourgogne, par prophétisa les conséquences néfastes
ce jugement (en 1973) d'Henry l'abbé Millot (Communications et du traité de Versailles et la Seconde
le la Restauration Guerre mondiale.
Frenay « Il était convaincu, traditions, 80 F). Précepteur du duc
1814-1830
désintéressé, courageux». d'Enghien à partir de 1778, J'abbé Robert Le Vigan, désordre et génie,
waissanee de la Franee
mttderne
Éditions Godefroy de Bouillon. Notes, Millot dévoile derrière le petit-fils de par Claude Beylie et André Bernard
annexes, index, bibliographie, 510 pages, Louis XIV l'influence de Fénelon, (Pygmalion, 250 pages grand format,
mr Emmanuel de 185 F. adversaire de la tradition royale. photos, 129 F). La biographie d'un
~aresquiel et Benoît Yvert J.-P.A.
Le secret du roi, tome III, La acteur attachant qui se vit frappé
d'opprobre pour avoir été l'ami de
revanche américaine, par Gilles
En aval des Lumières, en amont Toulouse., 1940-1944 Céline et avoir prêté sa voix à Radio-
Perrault (Fayard, 576 pages, 150 F).
e la révolution industrielle, la par Jean Estèbe Paris sous l'Occupation.
Où 1'on retrouve le service de
~estauration réussit Je tour de force
renseignement créé par Louis XV en L'Héritage d'Athéna, les racines
e dresser tous les partis contre elle. Il peut être utile, d'un point de 1746 et que dirigea Charles de grecques de l'Occident, par Y van
nsupportable aux fils de 89, irritante vue historique, de prendre Je cas Broglie. Malgré la dissolution du Blot (Presses Bretonnes, 150 F).
u regard des ultraroyalistes, particulier d'une ville ou d'une service par Louis XVI (1774) entiché Brillant essai très documenté sur
1éprisée des historiens sous la III' région pour étudier - en quelque de transparence, les hommes restent l'helléno-christianisme comme
~épublique, elle endura sans guère sorte à la loupe -l'impact des en place. Pour venger la perte du religion de 1'Europe, une religion de
'arbitrer la querelle des classiques et événements généraux d'une période Canada, ils inventeront La Fayette. 1'incarnation.
es romantiques, autrement dit, des sur un échantillon limité de La chasse sous l'Ancien Régime, par Les Amish sans légende, par Anne
Jyalistes et des libéraux . Au terme population. On découvre ainsi Philippe Salvadori (Fayard, Rolland-Licour (Michalon, 191 pages,
'une solide démonstration conçue comment une ville comme Toulouse 462 pages, 140 F). L'étude la plus 90 F). La secte qui a préservé en plein
omme une redécouverte, Emmanuel réagit, entre 1940 et 1944, comme complète jamais consacrée à la chasse xx· siècle le mode de vie d'avant la
e Waresquiel et Benoît Yvert beaucoup d'autres villes de France du XVI' au XVIII' siècle, son droit, machine. Écologie et pacifisme.
ttribuent son échec aux mais aussi avec ses spécificités, ses rites, ses fonctions, le gibier. Une vie d'avocat politiquement
lterprétations antinomiques cette « identité toulousaine >> à Histoire d'un art et d'une passion qui incorrect, par Henri-René Garaud
absolutiste ou parlementaire- laquelle J'auteur consacre des ne sont pas morts en 1789. (Plon, 269 pages, 110 F). Itinéraire
u' autorisa la Charte octroyée en pages novatrices, basées sur La Tour d'Auvergne, par François professionnel et grands procès d'un
814. Tout en soulignant la dette de une documentation en partie Moal (chez l'auteur, BP 213, 29270 avocat qui n'est pas seulement celui
État moderne à l'égard de ces seize inédite. Carhaix, 250 F). La biographie de ce de la légitime défense.
nnées, « moment anglais de Il est d'autant plus dommage qu'il descendant d'une famille de très Les Arabes dans l'histoire, par
histoire politique française », où ne sache pas toujours résister à la ancienne noblesse gagné aux idées Bernard Lewis (Champs Flan1marion,
rit place Je premier régime semi- tentation de biaiser son analyse de la Révolution qui en fit un héros. 260 pages, index). Des origines à la
béral, sinon libéral, de notre historique par des interprétations L'angle gardien de Bonapane, le guerre du Golfe, naissance, déclin et
istoire. partisanes. colonel Muiron, par Jean-Luc Gourdin crises d'une civilisation dominée par
errin. 499 pages, 159 F. Perrin. 360 pages, 149 F. (Pygmalion, 432 pages, 139 F). Sans 1'Islam. Indispensable.
E.V. P. V.
Il
Ribbentrop SFIO, ministre résident en Algérie de Inoubliable Albanie comptait au nombre des rassurantes
par Michael Bloch février 1956 à mai 1958. Il n'apporte Sou,·enirs d"un temps difficile forces de la nature dont le premier
pas de révélations sensationnelles si (1966-1968) amour tient à la joie de vivre. Aussi,
Auparavant, Michael Bloch s'était on le compare aux Dossiers secrets par Émile Guinard rien d'étonnant à ce qu'il eût goûté les
intéressé à Édouard Vlll, duc de de l'Algérie de Claude Paillat, dont le Souvenirs de Léon Daudet comme un
Windsor, que Ribbentrop avait tome deux (publié en 1962) couvre la Titulaire d'un diplôme d'albanais, élixir, et ses coups de gueule comme
approché du temps de son ambassade période 1954-1958. Il est par ailleurs l'auteur s'était vu proposer en 1966 1'alcool de la prose. Dans une subtile
à Londres. La biographie du ministre dommage de rencontrer autant un poste de chancelier à l'ambassade évocation, Étienne de Montety
des Affaires étrangères du ill' Reich d'erreurs de noms propres ou de de France à Tirana. Entraînant évoque le lien unissant Kléber et le
est une illustration du genre dit << à noms de lieux. femme et enfants, il était parti passer Gros Léon, celui-là désireux « non
l'anglo-saxonne ». n prend son sujet à Le titre du livre s'explique mal, quatre années au « pays des aigles ». pas [d'limiter mais [d']égaler son
sa naissance en 1893 dans une petite sauf si on le rapproche de quelques L'Albanie d'Enver Hodja venait de aîné ». Une remarque toutefois : L'été
ville de garnison de Westphalie, et le lignes d'une trop courte conclusion, rompre ses relations avec l'URSS et finit sous les tilleuls ou Adios valent
conduit jusqu'à sa mort, en 1946, dans qui reprend une accusation souvent ne s'appuyait plus que sur le << grand tous les romans (réserve faite du
la prison de Nuremberg. Entre-temps, formulée sur la responsabilité des frère chinois », alors en pleine Voyage de Shakespeare) de Daudet.
il reconstitue chronologiquement les Européens d'Algérie dans l'échec des Révolution culturelle. Le récit Chef de corps des jeunes hussards,
différentes étapes de sa carrière, mais réformes entre 1956 et 1958. En d'Émile Guinard fourmille Blondin, Nimier et Déon, Haedens sut
malheureusement n'épargne au lecteur réalité dès janvier 1956, les d'anecdotes sur les aberrations de la leur intimer 1'impératif catégorique de
communautés d'Algérie (européennes bureaucratie communiste et les << la lucidité cruelle » à l'encontre des
aucune notation psychologique. n le
comme musulmanes) étaient privées contorsions auxquelles, en vertu beaux messieurs et belles dames de la
voit surtout comme « un personnage
de toute représentation ou expression d'exigences « diplomatiques», les littérature officielle. ll est vrai qu'en ce
falot », « une créature totalement
légale. Le gouverneur général représentants des légations domaine son Histoire de la littérature
captive et obéissante » que, pour ces
Soustelle avait dissous l'Assemblée occidentales devaient se plier. On française avait déjà fait place nette.
raisons seulement, Hitler aurait
algérienne, et Robert Lacoste aggrava frémit aux souffrances du peuple Grasset. 250 pages, 119 F.
propulsé en 1938 à la tête de la
cette situation en supprimant les albanais sous un pareil régime. E.V.
diplomatie allemande.
municipalités pour les remplacer par Godefroy de Bouillon (15, rue François-
Plon. 528 pages, 179 F. Bonvin, 75015 Paris). 160 pages, 100 F.
M. M. des << délégations spéciales ». Le Front national
V.T.
L'Algérie fut alors placée sous Je à ·découve••t
Stefan Zweig, régime militaire. Les pieds-noirs sont pat· Pascal Perrinf'au
devenus des pions manipulés par plus
L'épopée des chemins
l'ami blessé de fer français et Nonna )'leyer
puissants ou plus influents qu'eux.
par Dominique Bona par Arthur Conte
Tout acteur et témoin de l'histoire L'émergence du Front national
plaide inévitablement pour sa propre peut être considéré comme
Stefan Zweig, né à Vienne en Les Français ont été, avec les
cause, c'est ce qu'a fait Robert l'événement politique majeur des
1881, connut la célébrité de son Anglais, les pionniers du rail. C'est
Lacoste dans les notes et documents années 80-90. À ce titre, il intrigue
vivant. Traducteur de Verhaeren, de certes outre-Manche que l'idée de
que Bourdrel prend trop facilement les politologues qui y trouvent un
Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud, combiner le tracteur à vapeur et Je
pour argent comptant. objet d'études et de recherches.
biographe de Marie Stuart, de Marie- Albin Michel, 350 pages, 120 F roulement sur des rails en fonte a
Antoinette, de Fouché, ami de Rilke, Ce livre est la réédition d'un
J.-P. A. germé. Mais la mise au point de la
de Joyce, de Wagner, de Paul Valéry, ouvrage paru en 1989. Aussi, la
chaudière que l'on adapte sur les
de Jules Romains, il fut l'un des plupart de ses analyses auraient eu
Les loups locomotives revient à un Français,
derniers représentants de cette Europe besoin d'être actualisées, notamment
de Saint-Pierre Marc Seguin. Et c'est ce même
cosmopolite dont la Première Guerre les cartes qui ne reflètent pas les
Les Secrets de l"uttentat ingénieux personnage qui sera à
mondiale allait sonner le glas. En élections (présidentielles et
con h-e Jeun-Paul Il l'origine de la première ligne de
1934, il s'embarquait pour Londres. municipales) de 1995.
par Jean-Marie Stoerkel chemin de fer qui reliera dès 1834
En 1940, il décidait de quitter De plus, le « phénomène Le Pen »
Saint-Étienne à Lyon. Arthur Conte
l'Europe et gagnait le Brésil, d'où, en restitue avec brio les premiers pas de est a priori traité avec une partialité
Le 13 mai 1981 , place Saint- qui va parfois jusqu'au dénigrement.
1942, en proie à un pessimisme noir, l'aventure ferroviaire, emmêlant son
Pierre, à Rome, au milieu de la foule On sent cependant à travers divers
il mettait fin à ses jours. Dominique récit de témoignages de
des fidèles, trois ou quatre coups de jugements (René Rémond, Pierre-
Bona, après des biographies contemporains. Lamartine et Hugo
feu avaient retenti, puis le pape André Taguieff, Guy Birenbaum)
consacrées à Romain Gary, aux sœurs sont d'ardents défenseurs du chemin
s'était brusquement écroulé, que les spécialistes ne voient plus
Hérédia, à Gala Éluard-Dali, s'attache de fer. Dumas est plus réticent : « Il
grièvement blessé. La police était dans le Front national une simple
à retracer 1'itinéraire de J'écrivain se peut que ce soit une merveilleuse
parvenue à arrêter l'un des tireurs, résurgence des ligues factieuses
autrichien. Avec beaucoup de invention pour les commis voyageurs
sur le lieu même de l'attentat. Ali d'avant-guerre, mais un phénomène
sensibilité, elle tente d'expliquer le et les porte-manteaux, mais c'est à
Agça, de nationalité turque, avait, moderne et complexe mordant de
cheminement inéluctable de 1'auteur coup sûr/a ruine du pittoresque et de
selon ses dires, agi pour le compte plus en plus, la crise aidant, sur un
d'Amok vers le suicide. la poésie. Je préfère la diligence. »
des services secrets bulgares, eux- électorat populaire d'où le
Plon. 360 pages, 139 F. Plon. 414 pages, 129 F.
mêmes actionnés par Je KGB. C'était développement du « gaucho-
V.T. V.T.
la fameuse << piste bulgare >>, dont lepénisme ». Certains politologues
l'opinion internationale allait se avaient cru en 1984 à quelque chose
J,a derniè1•e chance Salut à Klébm·
satisfaire. Pour Jean-Marie Stoerkel, d'éphémère (comme le poujadisme).
de l' Algéa·ie française journaliste à L'Événement du jeudi, Haedens
Manifestement, c'est une éventualité
par Philippe Bom·drel elle n'avait pas de véritable pat· Étienne de ;\'lontety
aujourd'hui abandonnée.
fondement. Mais sa propre enquête Presses de la Fondation na1ionale des
Ce livre, au titre équivoque, est ne permet pas de percer l'énigme. Féru de rugby, de bel canto, de Sciences politiques. Index et copieuse
pour l'essentiel basé sur des archives Plon. 335 pages, 135 F. tauromachie, de cinéma, de cuisine et bibliographie, 368 pages, 80 F.
de Robert Lacoste, député socialiste M. M. de bons vins, Kléber Haedens J.-P.A •
LIVRE
reuse en milieu universitaire, mais je convient, nous mènerons la vie acti- d'Espagne fut adoptée ; sans doute aurez-vous
ne suis pas carriériste. Vous pouvez ve, ils nous fassent voir des miracles rectifié de vous-même, comme la
me reprocher de traiter /'histoire du qui, depuis longtemps, se sont retirés J'ai lu avec plaisir le numéro de plupart de vos lecteurs, dont je fais
christianisme en Gaule, je /'ai fait à du siècle » (cité par Augustin Thier- votre revue Enquête sur l'histoire partie depuis votre premier numéro.
la demande de /'éditeur, et ai trouvé ry dans Considérations sur 1'histoire consacré à la guerre d'Espagne, Il s'agit de << Comtois rends-toi, ... >>
une grande satisfaction à la relectu- de France, chapitre 1, pages 14 et dont j'ai pris connaissance par Cette petite erreur était bien entendu
re des textes évangéliques. 15, Furne, Jouvet etC'', Paris 1866). hasard. Il se trouve que je m' intéres- imputable à une coquille.
Renée Mussot-Goulard Pierre Maugué se depuis de nombreuses années à Julien Pofilet