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Dumitru Ţepeneag:

aller et venir à travers plusieurs goulots


de sablier.
Identité multiple, identité alternée,
identité intégratrice

Étrange – ou, en tout cas, très peu commune –


condition, que celle de Dumitru Tsepeneag. Son identité est
essentiellement multiple, essentiellement plurielle. Écrivain
roumain, écrivain français, écrivain bilingue (non pas à tour
de rôle, mais dans le cadre d’un même texte), écrivain
européen, écrivain traduit (traduit du roumain en français et
vice versa, et traduit aussi du roumain en des langues telles
que l’allemand, le hongrois, le slovène, l’anglais ou le
russe…), mais aussi traducteur de ses propres écrits et
traducteur des écrits d’autres auteurs, théoricien de la
littérature en même temps que praticien de celle-ci,
essayiste et journaliste intransigeant, parfois bélliqueux,
« passeur » interculturel accompli en tant qu’animateur et
dirigeant de revues destinées à faire mieux circuler les
valeurs littéraires entre des zones – ou des aires –
culturelles présentant à la fois d’évidentes affinités et un
malheureux déficit d’intercommunication: cette
énumération pléthorique de postures ou « emplois » ne fait
que cerner, sans proprement dit épuiser, l’identité complexe
et dynamique de cet auteur.
Bien entendu, les divers avatars de Dumitru Tsepeneag
(lesquels sont, d’ailleurs, du moins en partie, signifiés par
un jeu d’options onomastiques rigoureusement administré :
Dumitru Ţepeneag, Dumitru Tsepeneag, Ed Pastenague, Ed.
Pastenague) ne semblent pas, à première vue,
extraordinaires pour un écrivain : il y a maints auteurs à
avoir utilisé plusieurs langues d’écriture, tandis que les
écrivains qui ont agi aussi en tant que traducteurs sont
encore plus nombreux, pour ne plus parler de ceux dont les
textes ont été traduits en diverses langues.
Cependant, la façon particulière et déterminée dont
Dumitru Tsepeneag « habite » et conjugue ces diverses
postures dessine une configuration multi-identitaire
laquelle, d’une part, est marquée par une forte originalité
et, d’autre part, revêt un caractère représentatif, aux
significations plus amples que celles qui concernent
strictement la personnalité de ce créateur.
Original et représentatif, à la fois : en principe, cela
devrait être une contradiction. Pas dans le cas de
Tsepeneag, original sous ce rapport également !
Pour tenter d’esquisser le cheminement singulier de cet
auteur à identité multiple, il convient de rappeler, en deux
mots, les circonstances dans lesquelles le Roumain Dumitru
Tsepeneag ( né en 1937, à Bucarest ) est devenu écrivain
français. Affirmé, en 1965-1972, comme jeune écrivain
novateur dans son pays natal, la Roumanie, où il était l’un
des leaders d’un groupe littéraire – le « groupe onirique » –
néo-avantgardiste et rebelle par rapport à l’esthétique du
« réalisme-socialiste » prônée par les autorités culturelles
de l’État totalitaire, il se montrait, en même temps, actif en
matière de prises de position contre la politique répressive
générale du régime soi-disant « socialiste ». Cela gênait les
autorités roumaines, aussi allait-il se retrouver
pratiquement expulsé de son pays. En effet, en 1975, alors
qu’il séjournait depuis un certain temps à Paris – mais sans
l’intention de s’y fixer définitivement : Dumitru Tsepeneag
entendait circuler librement, sans pour cela abandonner sa
patrie, où il envisageait de rester actif sur le plan littéraire
et civique – l’écrivain fut privé de la nationalité roumaine et
de son passeport. Il n’allait plus pouvoir revenir en
Roumanie jusqu’à la chûte du régime communiste de
Nicolae Ceauşescu, en décembre 1989.
Obligé à rester en France, Dumitru Tsepeneag ne s’y
sentait pas, il est vrai, totalement dépaysé. Il y avait déjà
séjourné, longuement, et à plusieurs reprises; il y avait
publié deux livres, il y fréquentait les milieux littéraires. Il
connaissait assez bien la langue française – comme… tout
roumain instruit (rappelons-nous que, en Roumanie, on avait
jusque naguère l’habitude de dire, un peu par plaisanterie,
mais aussi dans le sens « sérieux », suivant le contexte, que
« tout Roumain sait parler français », ce qui d’ailleurs était
plus ou moins vrai, dans les milieux instruits), et même
mieux que cela – et il faut noter qu’il avait traduit en
roumain des livres tels que Les Gommes et Dans le
labyrinthe de Alain Robbe-Grillet, ou Graal-Flibuste de
Robert Pinget. En France, il continua d’écrire et de publier,
mais il écrivait en roumain, ses livres étant publiés en
traduction. Puis, il commença à écrire en français. Pas tout
d’un coup, ou, pour être plus précis, pas directement et
exclusivement, mais progressivement. Et cela, il l’a fait non
pas dans le secret de son « laboratoire de création », mais,
pour ainsi dire, à rideau levé, devant le public, pas dans les
coulises. En donnant le très singulier livre intitulé Le mot
sablier, livre proprement bilingue, dont le texte démarre en
roumain et finit en français, après que, au fil des pages, les
deux langues se soient alternées ou mélangées dans
différentes proportions.
Ce premier livre écrit par Dumitru Tsepeneag
partiellement en français a fait, on peut dire, une
consistante « carrière » dans le domaine de l’exégèse, car
les commentateurs et les chercheurs qui se sont penchés
sur son œuvre ont, évidemment, saisi non seulement
l’ « étrangeté » du Mot sablier, mais aussi le caractère auto-
spéculaire de ce texte. Auto-spéculaire non seulement pour
ce qui est de sa propre écriture, qu’il signifie et manifeste à
la fois, mais aussi en raport avec la personnalité écrivante
de D. Tsepeneag.
Particulièrement attrayante – et productive, au niveau
des interprétations et des commentaires, par les utilisations
analogiques auxquelles elle se prête – s’est avéré être la
métaphore que l’auteur a proposée dans ce livre dont elle
explique le titre : la métaphore du sablier. Rappelons que le
sablier est un petit instrument pour mesurer le temps,
instrument qui, comme nous l’explique l’écrivain lui-même
dans son petit roman bilingue, « est composé de deux vases
identiques chacun de la taile d’un verre à liqueur et
abouchés par un court et très mince conduit d’ouverture
millimétrique où le sable coule grain à grain ».
Pour l’écrivain qui est en train de passer d’une langue à
l’autre, ce sont les « grains » non pas de sable, mais de
langage – et, en même temps, si l’on ose dire, les « grains »
de mentalités, de manières de découper le réel, de voir et
concevoir les choses – qui s’écoulent à travers un
mystérieux et insaisissable « goulot » de sablier qui, pour ne
pas compliquer les choses en nous référant aux approches
psychologiques technicistes, se trouve au centre même de
sa conscience de créateur.
Ce qui est effectivement exceptionnel dans Le mot
sablier , c’est, justement, son caractère de « sablier »
bilingue. C’est un livre « à cheval sur deux langues »,
comme l’était son auteur au moment où il l’écrivait. Partant,
le syntagme « écrivain-sablier » ou « auteur-sablier » a déjà
été utilisé, plus d’une fois, pour désigner Dumitru
Tsepeneag. Utilisation correcte et légitime, mais insuffisante
dans la mesure où elle renvoie à la seule migration
linguistique roumano-française de l’écrivain, alors que celui-
ci est, en fait, un « sablier » multiple, ou, mieux dit,
représente le goulot d’une série de « sabliers » qui assurent
la transistion entre des langues, des espaces culturels, des
genres littéraires ou des activités scripturales (celle
d’auteur et celle de traducteur) différents.
Mais je voudrais m’arrêter un peu sur le (surprenant,
peut-être, à première vue) caractère exemplaire – et que
j’insiste à appeler « représentatif » – du cheminement
interlinguistique et interculturel de Tsepeneag. Cet écrivain
est devenu bilingue, en littérature, assez tard, à l’âge mûr,
par apprentissage. Son bilinguisme littéraire en est un
acquis, non pas spontané, mais obtenu délibérément, non
sans effort, par un acte de volonté, come une conséquence
des circonstances biographiques : son exil, l’impossibilité de
s’adresser par ses livres en langue roumaine directement au
public roumanophone compétent pour les lire,
l’insatisfaction de se voir condamné (à perpétuité, croyait-il,
ne pouvant entrevoir la fin future de son ostracisme) à
n’être lu qu’en traduction. Cependant, son « passage »
sembla avoir lieu aisément. Rappelons-nous que, jusqu’au
moment de son exil, sa biographie n’avait enregistré rien
d’ « exceptionnel », rien de particulièrement favorisant
quant à l’ouverture vers la francophonie. Rien ne semblait le
prédisposer tout particulièrement à passer avec tant
d’aisance d’une langue à l’autre et de manifester avec tant
de légitimité l’interculturaité européenne : il n’était pas issu
d’un ménage franco-roumain, il n’avait pas vécu le
bilinguisme dans la vie quotidienne, il n’avait pas passé son
enfance, ni fait d’études en France etc. Il n’avait même pas
étudié le français en tant que « spécialiste ». Son contact
avec la langue et la littérature fançaises – contact riche et
intense, il est vrai – était tout à fait « normal », courant pour
nombre d’intellectuels roumains « ordinires ». Il manifestait
donc le niveau général des affinités culturelles franco-
roumaines, affinités qui ont accumulé une assez longue
tradition et dont on ne saurait jamais négliger ou sous-
estimer l’importance, même si, dernièrement, celle-ci tend à
devenir moins visible que naguère.
Se retrouvant, à la maturité, obligé de vivre en France
(il fut privé de la nationalité roumaine et mis à l’index dans
son pays natal, ce en tant que représailles pour son attitude
antitotalitaire), Dumitru Tsepeneag a pu devenir écrivain
français, avec un certain effort, bien sûr, mais sans devoir
« re-former » sa personnalité artistique. Exilé, il éprouvait le
fardeau de l’exil, mais, en même temps, il se sentait
« comme chez soi ». Éclos et affirmé en tant qu’écrivain à
l’intérieur de la littérature roumaine, il allait se retrouver
tout à fait « chez soi » dans celle française également. Il est
entré de plain-pied dans la vie littéraire française,
participant, en toute compétence, à des débats théoriques
entre écrivains etc . Préoccupé par le déficit de
communication entre les littératures des pays dits « de
l’Est » et ceux de l’« Ouest », mais aussi entre les
différentes littératures de l’« Est », il fut le principal
animateur des Cahiers de l’Est (revue qui a paru en 1975-
1980, ayant eu, au total, 20 livraisons), puis, plus tard, dans
les années 1991-1992, des Nouveaux Cahiers de l’Est
(quatre numéros) et, récemment, en 2003-2005, de la revue
Seine et Danube (laquelle, bien que relevant d’une
coneption différente, continuait, en quelque sorte, la
démarche initiée dans les Cahiers).
Quand les circonstances favorables se sont présentées
(cessation de l’ostracisme dans son pays natal), Dumitru
Tsepeneag est redevenu écrivain roumain actif, sans
abandonner pour autant son appartenance à la littérature
française. Ses livres, qu’ils aient été écrits en roumain ou en
français, s’articulent dans une œuvre unitaire, ayant les
mêmes caractéristiques essentielles. Son œuvre de prose
narrative ne semble pas « étrangère », « exotique »,
« aliénée », dépaysée ou bizarre, ni en France, ni en
Roumanie. Les lecteurs roumanophones et les lecteurs
francophones – lesquels peuvent, les uns comme les autres,
la lire pratiquement d’un bout à l’autre, puisqu’elle a été
éditée presque intégralement dans chacune des deux
langues – la trouvent également familière. Voici, en ce sens,
le témoignage non pas d’un quelconque lecteur odinaire,
mais d’un distingué critique et chercheur français, Jean-
Pierre Longre, de l’Université Jean-Moulin, Lyon III, qui
s’est penché avec patience et perspicacité sur l’œuvre de
Dumitru Tsepeneag : « Il y a bel et bien continuité, une
sorte de continuité territoriale à travers les frontières
linguistiques effacées par la prose narrative comme par
l’unification d’un continent ; ce qui est en jeu, c’est (en tout
cas du point de vue du lecteur) la reconnaissance d’une
identité linguistique et culturelle de la Roumanie dans la
littérature européenne. […] Thèmes et variations : tout se
tient d’une langue à l’autre, tout se joue selon une ligne
mélodique et une structure harmonique constantes. La
langue de Dumitru Tsepeneag, dans ses romans, est une
musique qui dépasse les clivages linguistiques »1.
Ainsi, Dumitru Tsepeneag apparaît dans la position de
messager interculturel roumano-français, et ce dans les
deux sens, aller-retour. S’agirait-il d’un cas exceptionnel de
capacité d’adaptation ? Certes, on ne saurait contester le
talent linguistique ou le talent scriptural de l’écrivain, ni sa
disponibilité culturelle, également remarquables.
Cependant, je crois plutôt qu’il s’agit non pas d’un miracle,
mais d’un cas particulier qui illustre une situation générale,
témoignant de l’européanisme de la culture roumaine
moderne, qualité qui s’est maintenue en dépit des
adversités. C’est par cela que Dumitru Tsepeneag – écrivain,
sous maints rapports, hors pair – revêt (sans doute malgré
lui) un caractére représentatif.
1
Jean-Pierre Longre, Aller-retour Bucarest-Paris. Dumitru Tsepeneag ou
les cheminements musicaux d’une écriture, in Interculturel
Francophonies, n. 7, juin-juillet 2005, p. 111
Son cas de plurilinguisme et de pluriculturalisme
alternatif s’inscrit dans le contexte plus large du « dossier »
des cultures est-européennes. En effet, celles-ci sont depuis
longtemps « modernisées » et participent de ce qu’on
appelle « culture européenne ». Elles conservent, certes,
des particularités, mais qui ne prévalent pas sur leur
ressemblance, sur leur affinité avec toute autre culture
européenne. C’est là un fait qui devrait, en principe,
constituer une évidence. Et pourtant, ces derniers temps, il
risque d’être occulté par l’exaltation des différences.
Considérées à partir de ce qu’on appelait l’« Ouest », les
cultures des peuples des « pays de l’Est » de l’Europe
pouvaient, surtout au lendemain de la chute des régimes
communistes, sembler en quelque sorte « retardées »,
marquées par des vicissitudes politiques (les anciens
régimes totalitaires etc.) ou « exotisées » par l’altérité de
leurs traditions pré-modernes, par leur spiritualité
traditionnelle, différente ( sous le rapport, par exemple, de
la confession religieuse dominante) de celle sur laquelle
s’appuie l’ « esprit européen ». Vues depuis l’« Est » – c’est-
à-dire depuis leur sein même – ces cultures sont parfois soit
subordonnées à leur aspect identitire, soit considérées, avec
un certain sentiment de frustration, sous le signe de
l’affliction provoquée par le même (supposé) « retard », de
leur insignifiance et de leur marginalité. De là, un assez
ancien et persistant complexe d’infériorité, lequel engendre
d’habitude une gesticulation d’intégration et de
récupération, mais qui, dans certaines circonstances « de
crise », se traduit soit par un narcissisme éperdu, un
véritable nombrilisme agressif, soit par un déceptionnisme
et une auto-dépréciation exagérés.
Pour restreindre l’approche au domaine strictement
littéraire, et en nous rapportant à littérature roumaine (en
fait, pour être plus précis, à la litterature roumaine moderne
cultivée), il est opportun de signaler que celle-ci, en dépit
des vicissitudes qui ont pu l’affecter (au niveau de la
communication, de la liberté d’expression etc.), a continué
d’être « européenne » même à des époques apparemment
impropices. Cependant, surtout au cours des quinze années
du post-communisme, ce fait a été fortement mis en
question et souvent contesté.
Or, un « cas » tel celui de Dumitru Tsepeneag – devenu
d’écrivain roumain écrivain français sans devoir se
métamorphoser, et pratiquant, d’ailleurs, depuis, une
continuelle navette interlinguistique et interculturelle,
démontrant « une sorte de continuité territoriale à travers
les frontières linguistiques effacées par la prose narrative
comme par l’unification d’un continent » par un trajet
littéraire qui, effectivement, met en jeu « la reconnaissance
d’une identité linguistique et culturelle de la Roumanie dans
la littérature européenne » – suffit, à lui seul, pour prouver
l’« européanisme » de la littérature roumaine et rejeter
toute contestation de celui-ci.
C’est à cet égard, donc, que nous pouvons parler de
caractère « représentatif » chez Tsepeneag, auteur par
ailleurs tout à fait « hors pair » ou « hors série », original,
s’il en fut. Et qui a pu déclarer, dans une interview, qu'il
n’appartient ni à la littérature française, ni à la littérature
roumaine, étant un écrivain libre.
Libre, sans nul doute, et pourtant doublement rattaché.
Et on peut dire que ses attaches pour chacune des deux
littératures auxquelles il appartient – la litérature roumaine
et la littérature française – , également emboîtées dans la
structure cohérente, complexe et hautement originale de ce
createur font que sa double identité linguistico-littéraire
revête – par delà les apparences, en fait plus ou moins
trompeuses, d’un déchirement douloureux – une
signification intégratrice. La double identité littérarie de
Dumitru Tsepeneag représente une convergence, une
homologie, une affintié entre deux littératures européennes
– dont l’une, considérée dans le contexte mondial, compte
parmi les plus importantes, tandis que l’autre, considérée
dans le même contexte, fait figure de littérature marginale,
« locale », vernaculaire... –, mettant en évidence une
intégration structurale dont la certitude est, couramment,
difficilement saisissable.
Aussi faut-il, pour parvenir à souligner les significations
générales du cheminement littéraire de Dumitru Tsepeneag,
passer en revue, même succinctement, les particularités du
« cas » de cet écrivain, en rappeler les étapes, en relever les
accidents de parcours et la dynamique de son évolution.
D’ailleurs, pour équilibrer un peu l’image –
surprenante, peut être ! – de Tsepeneag en tant qu’écrivain
représentatif, il convient d’y ajouter quelques précisions
supplémentaires. Dumitru Tsepeneag est représentatif, en
effet, car formé et affirmé dans le cadre de la littérature
roumaine, mais on ne devrait pas en déduire qu’il en
représentât le « portrait-robot », le niveau moyen, la
formule la plus répandue. Non, loin de là : à l’intérieur de la
littérature roumaine, il agissait en novateur radical, en
insurgent, et ceci par sa pratique d’écriture, mais aussi en
tant que militant et théoricien. Il entendait non pas s’aligner
sur des canons en place ou adopter des routines de
convention, mais déterminer un sensible changement de
paysage.
Cette manière d’agir relevait – outre la pulsion
individuelle et la prédisposition de « tempérament
artistique » qui, sans nul doute, l’engendraient – , dans le
contexte de la littérature roumaine, d’un « dossier » déjà
configuré et illustré dans l’entre-deux-guerres (par le
critique E. Lovinescu et des critiques et écrivains relevant
du modernisme), à savoir de celui de la question du
« synchronisme », c’est-à-dire de l’opportunité, voire de la
nécessité impérative de « synchroniser », de mettre à jour
l’évolution de la littérature roumaine par rapport aux
tendances manifestes dans la littérature universelle de
l’époque (ce qui voulait implicitement dire : dans les
« grandes » littératures du monde, parmi lesquelles, surtout
à ce moment-là et surtout dans la perspective roumaine, la
littérature française tenait la place centrale).
Dans l’après-guerre, la question du « synchronisme »
avait été, en Roumanie, non seulement mise en veilleuse ou
abandonnée, mais proprement bannie durant la période de
véritable dictature du « réalisme socialiste » imposée en
matière de littérature par le facteur politique. Pour être plus
précis, cela s’est passé à partir de 1948, car les toutes
premières deux ou trois années de l’après-guerre furent, en
littérature, celles d’une certaine effervescence créatrice
bénéficiant de la liberté d’expression. Puis, à partir de 1948,
pour les désormais tout-puissantes autorités communistes
de contrôle idéologique de la création littéraire et
artistique, le seul canon recommandable et recommandé
était celui du « réalisme socialiste », et tout ralliement aux
orientations esthétiques innovatrices qui se manifestaient
dans les « grandes » littératures occidentales était non
seulement condamné, mais pratiquement interdit et
réprimé.
Cependant, vers la moitié des années soixante, quand
Dumitru Tsepeneag commença à publier des textes
littéraires et des articles ou essais, du fait d’un certain
relâchement du contrôle idéologique, le moment était
relativement favorable pour amorcer une reprise du souci
de « synchronisme » dans la littérature roumaine. Nombre
de jeunes – ou moins jeunes – écrivains roumains profitaient
de la conjoncture propice pour non seulement renouer avec
la tradition littéraire roumaine de l’entre-deux-guerres, mais
aussi pour récupérer le temps perdu en matière de
« synchronisme ». Tsepeneag était un de ces écrivains, et un
des plus radicaux : non seulement il pratiquait une
litérature novatrice dans le contexte littéraire roumain de
l’époque, mais aussi il s’exprimait en tant que théoricien et
agissait en tant que militant sur le terrain esthétique, en
jetant les bases théoriques d’un nouveau courant littéraire
(l’« onirisme esthétique » ou « onirisme structural ») et en
faisant se coaguler, avec quelques collègues, un véritable
mouvement littéraire censé promouvoir le courant respectif
(le « groupe onirique »).
En même temps, dans sa « première période
roumaine », c’est-à-dire dans les années 60 et 70, il a traduit
en roumain, comme je l’ai déjà rappelé, des livres de Robbe-
Grillet et de Pinget : c’étaient des œuvres du « Nouveau
Roman français », lequel était, à l’époque respective, le fer
de lance de la modernité littéraire occidentale. Le choix de
ces ouvrages était sans nul doute délibéré (le traducteur
signait également de très compétentes préfaces aux
versions roumaines qu’il publiait) et relevait du même projet
de « synchronisation » de la littérature roumaine aux
tendances mondiales en la matière, cette fois-ci non pas par
sa propre création littéraire, mais par la mise en circulation
de textes susceptibles de représenter des modèles et, en
même temps, de sensibiliser la réception face aux
orientations littéraires novatrices de l’heure.
Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de signaler que, à
la même époque, c’est-à-dire dans les années ayant précédé
son bannissement par les autorités roumaines, l’écrivain
avait conçu le sommaire et préparé en partie le matériel
pour une projetée anthologie de la prose fantastique
française, projet qui allait rester irréalisé.
Aux activités de prosateur original, de traducteur et
d’auteur de préfaces (et aussi de concepteur d’anthologies,
avatar resté malheureusement à l’état virtuel, sans
bénéficier de la materialisation sous forme d’un ouvrage
imprimé) s’ajoutait celle de théoricien. Théoricien réticent,
capricieux, « paresseux » (sous le raport du volume de ses
contributions), nullement disposé à s’atteler à la tâche de
l’élaboration d’un système complet et détaillé de théorie
littéraire, rédigé suivant les usages académiques, mais
théoricien extrêmement compétent, aux contributions
particulièrement pertinentes, dont l’impact fut d’ailleurs en
permanence soutenu et illustré par son œuvre de
« praticien » de la littérature. Ses essais, articles et autres
prises de position en matière de théorie littéraire furent
rassemblés – regroupés avec des textes homologues dus à
l’autre « père fondateur » de l’onirisme, Leonid Dimov –
dans l’anthologie Momentul oniric (Le moment onirique),
procurée par Corin Braga et publiée à Bucarest, en 1997.
L’activité de théoricien de Dumitru Tsepeneag s’est exercée
en France, après son exil : déjà en 1975, lors du colloque
tenu à Cerisy-la-Salle et dédié à l’œuvre d’Alain Robbe-
Grillet, il figurait au rang des participants, avec une
communication intitulée Projet de rien: espace et structure
chez Robbe-Grillet (et prenait part aux discussions suscitées
par sa propre communication, cirsconstance où, face à
Robbe-Grillet lui-même, à Jean Ricardou et à d’autres
« bonzes » du Nouveau Roman et de la théorie de celui-ci, le
soi-disant « métèque » Tsepeneag débattait, en toute
légitimité, avec entrain, aplomb et compétence, sur un pied
d’égalité).
En revenant à la « première période roumaine » de
Dumitru Tsepeneag, en tant que prosateur, théoricien et
traducteur, mais aussi en tant qu’écrivain roumain ayant
voyagé et séjourné plusieurs fois en France (pays où on lui
avait publié, en traduction, deux livres2), on remarque que,
dès cette époque-là, celui-ci avait déjà agi, dans une mesure
substantielle et sur plusieurs plans, en tant que « passeur »
interculturel.
Se retrouvant exilé en France3, l’écrivain y publia, en
1977, un nouveau roman, Les noces nécessaires (écrit en
roumain et traduit, comme les deux précédents livres de
Tsepeneag édités en France, par Alain Paruit). Puis, en
1984, il publia Le Mot sablier, son très singulier livre
bilingue, dans une version intégralement française, la partie
roumaine du texte ayant été traduite par Alain Paruit et le
lecteur étant averti au sujet du statut – de, respectivement,
texte original ou traduction en français – de chaque mot ou
passage du roman par un jeu de caractères typographiques :
le texte écrit directement en français était imprimé en
italique. Un pis-aller, une solution discutable, imposée par
les circonstances. Se croyant condamné à rester à
perpétuité un écrivain publiable seulement en traduction
(situation dont le dramatisme frustrant est ouvertement
énoncé par un passage du Mot sablier : « Le livre n’est pas
tout à fait le mien. Comme tous les livers que j’ai publiés en
France. Ils sont aussi les livres de mon traducteur. C’est lui
qui leur a offert un corps, chair et os. Ce que l’on appelle,
dans une certaine critique moderne, la matérialité du texte.
2
Respectivement Exercices d’attente, Paris, 1972 (un choix de récits de
ses volumes antérieurement parus en Roumanie) et Arpièges Paris, 1973
(traduction française du roman, Zadarnică e arta fugii, écrit en roumain,
et dont la version originale n’allait être publiée, en Roumanie, qu’en
1991).
3
Dumitru Tsepeneag se trouva déchu de la nationalité roumaine par un
décret en date du 3 avril 1975 ; implicitement, le droit de retourner
dans son pays natal lui était désormais refusé. Cette mesure
administrative officielle était doublée d’un bannissement complet de ses
œuvres déjà éditées en Roumanie (celles-ci étaient retirées des fonds
publics des bibliothèques etc.) et même de son nom (toute mention ou
référence à Dumitru Tsepeneag et à ses écrits devenant imposible dans
les médias et dans tout ouvrage imprimé, soumis au contrôle et à la
censure de l’appareil de propagande du parti unique).
[…] L’acte d’écrire devenait une mise à mort. Ils devaient
mourir, mes mots, pour que je survive, moi, le scripteur, en
tant qu’auteur. La traduction tue matériellement le texte et
proclame, sur la couverture, une imposture : l’Auteur »4),
Dumitru Tsepeneag réagit en se décidant d’adopter le
fraçais comme langue d’écriture. Son premier roman écrit
directement et complètement en français est Roman de
gare (1985). Lui succéda Pigeon vole (1989), roman écrit
également en français, mais signé non plus « Dumitru
Tsepeneag », mais « Ed Pastenague ». Cet « Ed
Pastenague » (qui n’est pas issu d’un choix arbitraire, mais
est l’aboutissement d’une véritable opération de « travail
textuel » auto-référentiel) n’est pas un « simple »
pseudonyme, et son adoption en tant que signature pour les
écrits en langue française signifiait l’affirmation
péremptoire de la nouvelle identité littéraire de l’« écrivain-
sablier ». Ou bien, pour être plus précis, non pas de
« la (nouvelle identité)», mais d’une nouvelle identité, ou
plutôt d’un nouveau « volet » ou d’une nouvelle « case » de
son identité multiple et unitaire à la fois.
Une particularité du trajet de Dumitru Tsepeneag en
tant qu’écrivain réside dans la réversibilité de sa migration
linguistique. À la différence de certains de ses
prédecesseurs en matière d’adoption de la langue française
– tels Cioran, Ionesco, Benjamin Fondane –, lui, après être
devenu écrivain d’expression française, s’est manifesté de
nouveau come écrivain d’expression roumaine. Tsepeneag
n’a pas remplacé son identité littéraire par une autre,
nouvelle, mais l’a diversifiée ou multipliée, entreprenant par
la suite d’alterner l’exercice des avatars ainsi obtenus, de
les actualiser à tour de rôle.
Il est vrai que les circonstances historiques générales,
associées aux données particulières de la biographie de
Tsepeneag, ont eu une importance capitale pour ce qui fut
de la manifestation de la capacité de ce dernier d’alterner
les facettes de son identité littéraire. La chute de la
dictature qui l’avait banni dans son pays d’origine lui permit
d’y revenir et d’y publier de nouveau des livres, donc de
s’exprimer, en tant qu’écrivain, pour le public des lecteurs
4
D: Tsepeneag, Le Mot sablier, P. O. L., Paris, 1984, pp. 113-114
de langue roumaine. Cependant, ce « retour » (à la langue
et à la culture roumaines) n’était ni obligatoire, ni
automatique : sans une disposition particulière de l’écrivain,
il ne se serait pas produit.
Après décembre 1989, l’identité multiple de Dumitru
Tsepeneag a pu de nouveau manifester librement ses
avatars. Tsepeneag est redevenu auteur d’expression
roumaine et, en même temps, il a exercé, les alternant et les
conjuguant, les diverses fonctions de « sablier » qu'il a
assumées.
En tant qu’écrivain roumain, il a écrit et publié de
nouveaux livres, dont notamment les excellents romans
Hotel Europa (1996), Pont des Arts (1999) et Au pays du
Maramures (2001), lesquels forment une trilogie
romanesque considérée presque unanimement, par la
critique, comme un des plus importants accomplissements
de la littérature roumaine contemporaine. Ces trois romans,
traduits tous les trois en français par Alain Paruit, furent
publiés aussi en France, aussitôt après (voire même avant :
ce fut le cas de Pont des Arts, paru à Paris en 1998) la
parution respective de leur première édition roumaine.
En tant que traducteur, il a agi sur plusieurs plans. Tout
d’abord, dans une posture relativement rare : celle de
traducteur de ses propres textes. Entre 1991 et 2001, par
une véritable « campagne » de rapatriement de l’œuvre de
Tsepeneag bannie en Roumanie durant son exil, tous les
livres de l’écrivain furent progressivement (ré)édités dans
son pays natal, et, dans ce cadre, ce fut l’auteur lui-même
qui traduisit ses romans écrits en français, Roman de gare
et Pigeon vole. En fait, il ne s’est pas agi d’une « simple »
opération de traduction, mais, comme l’écrivain l’a signalé,
d’une récriture. Un examen attentif et détaillé devrait, sans
aucun doute, être particulièrement productif en
observations et conclusions à même de démêler le séduisant
écheveau de questions de nature théorique et pratique que
pose ce travail d’auto-traduction auctoriale (surtout dans un
cas comme celui-ci, d’un écrivain tel D. Tsepeneag,
renommé pour le raffinement, la rigueur et la sophistication
de son travail textuel) : c’est, là, un objet de recherche
particulièrement attrayant, et je me permets d’anticiper un
peu en exprimant ma certitude que les contributions
annoncées pour demain matin, dans le cadre de ce colloque
(respectivement de l’Atelier de traduction qu’il inclut), vont
nous offrir de premiers résultats, pertinents, en la matière.
Ensuite, durant cette « seconde période roumaine » ( de
1990 à nos jours), Dumitru Tsepeneag a traduit, du français
en roumain, des textes d’autres auteurs que lui-même : il
s’agit, bien sûr, en ces cas-ci, non plus de « récritures »,
mais de traductions proprement dites. Il est peut-être
intéressant de signaler que, à la différence de ce qui s’est
passé dans les années soixante et soixante-dix, son choix, en
tant que traducteur, a visé, cette fois-ci non pas la prose dite
« de fiction », mais la philosophie et l’essai théorique (ses
réalisations les plus notables en la matière étant, si on laisse
de côte divers fragments publiés dans des revues, les
versions roumaines de l’Introduction à la lecture de Hegel,
d’Alexandre Kojève, et, réalisée en collaboration avec
Bogdan Ghiu, celle de L’écriture et la différance, de Jacques
Derrida).
Dumitru Tsepeneag a traduit aussi des textes du
roumain en français, presque exclusivement des textes
poétiques, des écrits de poètes roumains contemporains. Il a
non seulement traduit de semblables textes, mais il en a
aussi établi une anthologie représentative, destinée au
public francophone – Quinze poètes roumains, Paris, 1990,
ouvrage qui regroupe des versions dues à plusieurs
traducteurs (dont Tsepeneag lui-même) et, en outre, il a
recommandé, conseillé, médié, déterminé, « provoqué » la
traduction et la publication, en France et en français,
d’œuvres de poésie roumaine contemporaine, de sorte que
la fonction non seulement de traducteur, mais aussi de
« propagandiste » de la poésie roumaine dans l’espace
culturel français semble être devenue une des plus visibles
identités alternatives de ce personnage littéraire multi-
identitaire.
Comme chez Tsepeneag aucun détail n’est sans
importance, il convient de signaler que, dans la plupart des
cas, celui-ci a signé les traductions qu’il a faites du
pseudonyme « Ed. Pastenague » : à première vue, on
pourrait croire qu'il aura remployé son pseudonyme
d’auteur d’expression française, ce qui n’est pas tout à fait
vrai. En fait, « sur le terrain » (c’est-à-dire dans les textes
imprimés) on constate une différence de détail : quand il est
utilisé pour signer une traduction, le « Ed » est (souvent,
mais, toutefois, pas dans tous les cas !) suivi d’un point,
point qui était absent de la signature apposée sur le roman
publié en 1989. Ce jeu subtil de ponctuation pourrait être le
résultat de négligences de rédaction, mais je crois plutôt
qu’il s’agit d’une manière discrète mais précise de marquer
le fait que l’auteur de Pigeon vole et le traducteur de Kojève
en roumain, ou de Leonid Dimov, de Marta Petreu ou de Ion
Mureşan en français ne sont pas tout à fait la même
« personne » (littéraire).
Une certaine asymétrie peut être dépistée dans un
hypothétique tableau des identités de traducteur de D.
Tsepeneag-Ed(.) Pastenague : il ne traduit jamais – ni ne
récrit – en français ses propres livres rédigés en roumain. Il
s’abstient, pour ainsi dire, de « retourner le sablier »
interlinguistique quand il s’agit de ses propres écrits
conçus dans sa langue maternelle, qui fut,
chronologiquement, sa première langue d’expression
littéraire. Une recherche qui s’emploierait à découvrir et
établir les explications « objectives » et/ou les fondements
théoriques de cette abstention asymétrique, en matière
d’auto-traduction, chez Dumitru Tsepeneag serait
susceptible, à mon avis, d’aboutir à des résultats dont la
portée devrait être plus large que le domaine strict de la
question ponctuelle qu’elle viserait.
Le rapatriement de Tsepeneag en tant qu’écrivain
roumain ne s’est nullement accompagné d’un abandon de
l’espace littéraire et culturel français : il continue de se
manifester en tant qu’auteur d’expression française,
publiant des articles et des essais d’un agencement
intrinsèque bien original, semblable à celui des ses
« Şotroane » écrits et publiés en roumain (par exemple, les
Frappes chirurgicales, dans « Seine et Danube »). Ces
textes sont publiés sous la signature « D. Tsepeneag », ce
qui peut nous autoriser à conclure que le pseudonyme « Ed
Pastenague » serait désormais réservé pour signer soit des
traductions, soit d’éventuels nouveaux livres de littérature
rédigés directement en français.
Vu la double identité de Dumitru Tsepeneag – identité
civile, juridique ou administrative, non pas littéraire –, de
Français (il est citoyen français depuis près de deux
décennies et vit en France depuis une trentaine d’années,
non pas en isolé, mais en tant que personnage intégré aux
milieux culturels et litttéraires locaux) et de Roumain (né et
élévé en Roumanie, il y a atteint la maturité intellectuelle et
affirmé son talent littéraire et, après la césure forcée de
l’exil, il a recouvré, non sans difficulté, la nationalité
roumaine et participe avec pugnacité et persévérance à la
vie littéraire roumaine), et, partant, sa double identité
culturelle (chacune de ces deux identités, disons,
« géographiques » a profondément façonné sa personnalité
créatrice), la prolifération identitaire de cet écrivain
devient, si l’on prend en compte toutes ses nuances,
proprement vertigineuse.
En effet, si l’on s’en tient strictement au critère de la
langue d’expression, on a un Dumitru Ţepeneag, écrivain
roumain, et un Dumitru Tsepeneag/Ed Pastenague, écrivain
français. Mais si l’on fait appel à l’identité civile et
culturelle, alors on peut dire que le Dumitru Ţepeneag qui a
écrit Hotel Europa, Pont des Arts et Maramureş est,
évidemment, écrivain roumain, mais aussi écrivain français
d’expression roumaine (cas rarissime, dans l’histoire de la
littérature !), de même que le Dumitru Tsepeneag qui, il y a
plus de vingt ans, écrivait Roman de gare était (encore)
écrivain roumain d’expression française.
Quoi qu’il fasse, et où qu’il se trouve (physiqement ou
« textuellement »), Dumitru Tsepeneag est toujours en train
de franchir un goulot de sablier, un « très mince conduit
d’ouverture millimétrique », dans un sens ou dans l’autre.
Le miroitement permanent et chatoyant des identités
multiples d’une personnalité littéraire cohérente et unitaire
ne découle point d’un simple jeu de masques alternés de
manière contradictoire et arbitraire : il s’agit d’un
équivalent, manifeste au cœur même de son moi créateur,
du mode de constrction de la prose de cet écrivain, où le
recours aux leitmotive, à la technique du thème à variations,
aboutissent à harmoniser des composantes aparemment
disparates et diverses dans l’ensemble d’un tout conçu de
manière musicale (qu'il s’agisse d’un texte, d’un volume ou
d’une œuvre, ou …de l’œuvre entière de cet auteur).
Jean-Pierre Longre, dans la recherche déjà citée,
concluait que : « La langue de Dumitru Tsepeneag est une
musique qui dépasse les clivages linguistiques »5.
Paraphrasons-le, en affirmant que la personnalité écrivante
de Dumitru Tsepeneag est une musique qui dépasse les
clivages identitaires ethniques ou nationaux, linguistiques
ou culturels.

Nicolae Bârna

55
Jean-Pierre Longre, Op. cit. p. 111

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