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Klaus Hôlker
Wissenschaftlicher Beirat:
Claudia Caffi (Università di Genova)
Colette Cortès (Université Paris 7)
Thomas Kotschi (Freie Universität Berlin)
Band 4
LIT
Sibylle Sauerwein Spinola
La représentation critique
du discours de l’autre:
le questionnement oppositif
LIT
Cette étude est issue d’une thèse de doctorat élaborée sous la direction de Monsieur
le Professeur Oswald Ducrot et soutenue en décembre 1996 à l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales.
INTRODUCTION
CHAPITRE 1
1. Domaines d'étude
1.]. L'autre
1.1.1. La présence de l‘autre dans le discours
1.1.2. La reprise du discours de l'autre
1.1.3. La présence - la représentation du discours de l‘autre
1.2. Le discours oppositif
1.2.1. Les stratégies négatives
a) L‘expression du désaccord - l‘intervention de désaccord
b) La réfutation
c) Argumentation négative et contre—argumentation
1.2.2. Les échanges oppositifs
a) la controverse
b) la scène de ménage
c) La polémique
1.2.3. De la politesse dans l‘oppositif
1.3. Le questionnement
1.3.1. L‘interrogation
1.3.2. L’acte illocutoire de question
1.3.3. Diverses approches de l'interrogation
2. Le cadre théorique
2.1. La théorie de l'argumentation dans la langue
2.2. La théorie de la polyphonie
2.3. De l'interrogativité à la rhétoricité
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
INDEX 228
Toute parole réactive comporte une image de celle qui l‘a provoquée. Dans la
mesure où aile se présente comme faisant suite au discours précédent, elle le quali—
fie. Cette propriété discursive générale n‘est pas toujours manifeste.
Certains contextes tendent à la rendre plus ou moins visible. Entre autres, les
échanges conflictuels ou oppositifs constituent un terrain favorable pour appré—
hender de tels phénomènes: c'est l'image non—conforme qui souligne qu'il y a
image et donc représentation du discours de l'autre. Elle constitue souvent même
le centre du conflit.
Les moyens linguistiques employés pour s'opposer à l'interlocuteur sont de tous
ordres. Les structures de type concessif avec reprise (explicite ou implicite)
présentent le discours de l'autre de façon linéaire, ce qui le délimite clairement par
rapport à la position du locuteur. En revanche, la négation, mais aussi l‘impératif,
le comparatif ainsi que l'énoncé interrogatif intègrent la représentation du discours
adverse sous forme d'espace discursif ou point de vue superposé à différents
niveaux de discours.
Notre recherche porte sur les structures dans lesquelles la représentation elle—
même exprime l'opposition, de sorte qu'image linguistique d'un discours et oppo—
sition à ce discours ne font plus qu'un. Il nous est apparu assez rapidement que
certaines structures phrastiques de forme interrogative constituent des moyens
privilégiés d'une telle représentation oppositive.
Parmi les interrogafives aptes à remplir ce rôle, certaines sont spécialisées dans
ce type d‘usage, d'autres peuvent être employées de cette manière dans certains
contextes, alors qu'un troisième type de questions ne s'affiche jamais comme tel :
ces dernières ne contiennent aucune marque linguistique allant dans ce sens et
restent entièrement ambiguës lors de l'énonciation. Elles constituent un moyen
d'opposition purement discursif.
Il se trouve que les interrogatives en Pourquoi voulez—vous... ? dont certaines
caractéristiques ont été signalées par Milner & Milner (1975) peuvent être consi—
dérées comme exemplaires du point de vue de la reconstitution négative du dis
cours d‘autrui. Dans le dialogue, elles servent aussi bien à s'opposer à l'énonciation
d'un ou de plusieurs termes qu'à démentir un énoncé qui précède. Dans les deux
cas, elles ont pour particularité d'intégrer systématiquement l‘interlocuteur lui—
méme dans la représentation péjorafive qu'elles véhiculent. Utilisées fréquemment
en réplique à une question, elles reconstruisent toujours cette dernière comme
2 la représentation critique du discours de l'autre
1 Voir par exemple l’étude de W. Bubh‘tz (1978) et plus particulièrement ses considérations
méthodologiques (pp. 135—137).
2 En effet, il faudrait présenter un schéma t0pique par combinaison entre interrogatif, forme
verbale et particule modale, à savoir, 40 à 50 configurations différentes à en juger par le tableau
présenté dans le chapitre 3, section 4.3.
introduction générale 3
“ Le corpus constitué par l'équipe du CREDIF en constitue un bon exemple. Ce relevé du français
des années quetre—vingts est très riche à maints égards, mais nous n'y avons lT'OUVÉ aucun échange
relevant de notre problématique (cf. Cahiers du Français de années quatre—vingts. Hors série, 1,
octobre 1989).Voir aussi Araûjo Carreira, 1997, pp. 275-276.
5 A l‘instar de Weydt, 1969, p. 72 et de Milner, 1973 a, p. 59, nous estimons que si l'on a recours à
des exemples provenant de la fiction, on ne doit pas non plus se priver d'exemples issus de
traductions.
6 Nous remercions tout particulièrement Madame Colette Cortès qui a eu l‘extrême gentillesse de
nous donner un tel accès systématique à cette publication à travers son matériel informatique per
soru‘iel.
7’ Cf. Ansc0mbre, 1989 et 1990; Anscombre & Ducrot, 1983; Coupin, 1995.
Introduction générale 5
dessus.
L'énoncé constitue donc l'observable, opposé à la phrase, l'entité théorique.
Nous y reviendrons dans la section 2.1 du premier chapitre.
Ces quelques remarques préliminaires faites, nous pouvons désormais entrer
dans le vif du sujet.
Chapitre 1.
1. 1. L‘autre
5 Cf. notamment la remarque de J. Caron (1988, p. 132) dont la perspective est psycholinguistique
ou encore Sabah (1988, p. 309) pour les recherches en intelligence artificielle. En ce qui concerne la
modéäsaüon des compétences linguistiques de l‘interiomteur et l’adaptation des moyens linguis—
tiques qui s'en suit, voir par ex. De Pietm (1988}; pour une étude approfondie en dehors du
champ linguistique à proprement parler, voir Cahour (1991).
5 Cf. Authier, 1982; Authier—Revuz, 1984 et 1991, mais aussi Maingueneau, 1987, pp. 53—93, Araùjo
Carreira, 1988, pp. 89—99, Cadiot, 1988, p. 25, Kerbrat—Orecchioni, 1991 c, pp. 121—138, Parret, 1991,
Vion, 1992, pp. 113—118 et Pop, 2000. Pour un survol rapide et récent de ce type de phénomènes
voir Authier—Revuz, 1998. Voir aussi l'aperçu général que propose J. Brès des phénomènes
relevant de la "dimension dialogique“ (1999).
7 il s’agit, on l‘aura compris, de celui comprenant les phénomènes que tente d'appréhender la
théorie de la polyphonie.
Chapitre 1 L'autre dans Le discours opposifif.. 11
3 Elle substitue les termes non—coïncidence représentée et non—coïncidence /imcière à son ancienne
terminologie, a savoir hétérogénéité montrée et " constifufize (Authier-Revuz, communication du
11/4/ 92 au séminaire de F.L.E. de l'Université Paris [1]).
9 (conférence du 11/4/ 92) Par exemple : le cocktail "joumalisfico—littämire" (passez moi l'expression)
quifiu‘tdeÆe kmgazim...
1° (conférence du 11/4/92).
" Ce qu‘exprime C. Kerbrat—Orecchiorfi en disant que "le malentendu est un mal plus qu'attendu :
inéluctable" (1986, p. 23).
12 Cf. Riegel & Tamba, 1987.
12 La représentation critique du discours de l'autre
des gloses comme celles décrites par ]. Authier (cf. ci—dessusl3), soit à des opéra
tions de reformulafion“.
Les cas qui nous intéressent tout particulièrement sont ceux que certains
auteurs considèrent, suite à Roulet, comme "reprises diaphoniques“ (Roulet & al.,
1985, p. 71) où c'est donc le discours de l‘interlocuteur qui est repris. R.Vioh
propose de distinguer les reprises purement réitéraüves de celles qui sont suivies
d‘une reformulafion non paraphrastique à laquelle elles s‘intègrent. Il préfère parler
dans ce cas directement de rejbrmulafion à la place de reprise (cf. 1992, p. 216).
Une telle distinction, cependant, nous semble pouvoir être trompeuse. Etant
donné que toute réitération d‘une phrase ou d‘un segment de phrase, même lors
qu'elle est effectuée par un locuteur identique, constitue une nouvelle énonciation
avec éventuellement une intonation divergente et dans un contexte intrinsèque—
ment différent - la première énonciation constitue déjà un élément contextuel diffé—
rent pour la seconde -, la reprise par un locuteur différent modifie donc a fortiori la
valeur du nouvel énoncé ainsi produit. Une "reprise textuelle“15 peut avoir un sens
tout à fait divergent, voire contraire à celui de l'énoncé d‘origine, sans qu‘il y ait
reformulafion par la suite“. Aussi, l’opposition reprise/reformulation ne nous
semble pas être pertinente dans la perspective qui est la nôtre", Il nous paraît plus
adéquat de parler de reprise textuelle lorsqu'il y a citation de termes précis et d‘élar—
gir d‘emblée la notion générale de reprise : dans ce qui suit, nous nous autofiserons
donc à parler de plusieurs types de reprises comme, par exemple, celle d'un thème
ou encore celle d'un point de vue sous—jacent au discours. Ainsi, nous souscrivons
au point de vue de D. Maingueneau pour qui "il peut s’agir d'une reprise plus ou
moins littérale" (1994, p. 146)“.
Si nous nous refusons à utiliser de la sorte une définition plus précise, alors qu‘a
priori la précision ne peut qu'être bénéfique, c’est que nous considérons cette
problématique dans son lien étroit avec celle que constitue le discours rapporté.
Comme le constatent plusieurs auteurs, on a tendance à opposer le rapport en style
direct à celui en style indirect en invoquant le caractère précis et objectif du
premier: "l'idée -souvent admise sans discussion- que le RSD19 prétend repro—
duire dans leur matérialité les paroles prononcées par la personne dont on veut
faire connaître le discours" (Ducmt, 1984, p. 198)”. Il se trouve que cette équiva
lence des formes n‘est cependant pas aussi systématique ;
"La différence entre style direct et style indirect n'est pas que le premier ferait
connaître 1a forme, et le second, le seul contenu. Le style direct aussi peut viser le seul
contenu, mais pour faire savoir quel est ce contenu, il choisit de faire entendre une
parole (c'est—à-dire une suite de mots, imputée à un locuteur). Et il suffit pour
l‘exactitude, que celle—ci manifeste effectivement certains traits saillants de la parole
rapportée... Que le style direct implique de faire parler quelqu'un d'autre, de lui faire
prendre en charge des paroles, cela n’entraîne pas que sa vérité tienne à une
correspondance littérale, terme à terme" (ibid., p. 199).
Ainsi, en définissant la reprise de manière à l‘associer inévitablement au rapport
en style direct, on risque d’y associer aussi les mêmes illusions, alors que notre
hypothèse générale est justement que tout discours comprend une part de repré—
sentation de celui qui le précède. Or, qui dit représentation, dit image investie » de
manière visible ou non - par la subjectivité du sujet qui représente.
Un exemple de ce phénomène nous est fourni par M.H. Araûjo Carreira qui
décrit la manière dont un locuteur peut entourer de commentaires assurant un
“encadrement inter‘prétafil“'21 les énoncés rapportés en style direct qui "constituent
des ‘îlots' d'objectivité apparente“?
Par ailleurs, on peut considérer que les “diverses manifestations de l'intertex
tualibé" (Authier—Revua, 1987, p. 429) ne constituent pas des catégories bien
étanches, leurs limites ne constituent pas des frontières discrètes.23 Le plus souvent,
19 Rapport en style direct, on l'aura probablement compris. Il nous parait intéressant de voir que
la linguistique allemande semble avoir le même problème terminologique que nous rencontrons
en français : ce n’est pas le discours rapporté qui est indirect, mais le rapport de ce discours. Ainsi
certains linguistes allemands remplacent aussi le discours direct/indirect, die dimkieflndirekæ Rede
par "indirekte Rederuiedergflbe" et "urïrflidæ Médergabe mu Rade" (Küffner, 1978, cité par Becher
& Bergenholtz, 1985, p. 449).
7-0 I. Authier parle du "leurre que constitue l"ebjecfivité' et la 'neutralité’ du rapport direct"
(Authier—Revuz, 1987, p. 429) et affirme que le "DD [discours direct] n‘est ni « objectif », ni
« fidèle » (1992, p. 38). D. Maingueneau note qu'”il serait plus exact d'y Voir une sorte de théâtra
lisaüon d‘une énonciation antérieure, et non une similitude absolue” (1987, p. 60).
21 Nous traduisons du portugais : "enquadramento interpretafivo" (1988, p. 94).
22 Idem : "consütuem “titres“ de objecfividade aparente" (ibid., p. 93).
13 Voir aussi le recapitulafif des travaux concernant ce domaine dans De Armda Carneiro
Da Cunha, 1992. chap.1-3.
14 La représentation critique du discours de l‘autre
2“ Pour une définition précise et nuancée du discours rapporté, voir 1. Authier-Revuz (1987, p. 428
et 1992 b, p. 10). Cf. aussi Rosier, 1999.
75 Et encore, fidèle aux yeux de qui ? Aux yeux du locuteur 2, aux yeux de son interlocuteur
responsable de l‘énonciation qui se reflète dans celle de loc. 2, ou encore aux yeux de l'analyste
qui cherche à décrire les deux énoncés ? Nous reviendrons sur cette question cruciale d-dessous
(cf. 3.).
15 Nous serons amenée à cerner ce domaine plus précisément ci-dessous (1.4.).
Chapitre 1 L'autre dans le discours 15
271] ne faut pas comprendre concession dans le sens grammatical du terme renvoyant à la
'proposition concessive‘ cf. Ducrot & al., 1980, p. 147, note 6 et Métrich, Faucher et Gourdier, 1995,
p. XVlII.
23 Concemant la concession voir Anscombre, 1985 a; Karantzola, 1995; Moeschler, 1989, chap. 1;
Moeschler & Spengler, 1982 ou encore Primatarova-Miltscheva, 1986.
29 Nous verrons plus loin que la reprise textuelle permet d'identifier ici la négation comme
négation métalinguisfique.
16 la représentation critique du discours de l 'autre
Nous avons délibérément choisi une notion aussi vague que celle de discours
oppositif. car au cours de nos recherches, nous nous sommes rendu compte à quel
point les concepts véhiculés dans ce domaine sont flous, mal définis ou alors, au
31 C'est le regard extérieur ou éventuellement celui du premier locuteur qui permet de décéler
l‘écart (pour les conséquences méthodologiques qui découlent de ce constat, cf. ci-dessous, 3.).
32 L'effet particulier de cette réplique réside justement en ce qu‘elle est d'une parfaite neutralité,
alors qu'elle constitue la réaction immédiate à une énonciation d‘une extrême violence. Il nous
semble possible de rapprocher cet exemple de certains des phénomènes de non-pertinence
délibérée que décrit F. Armemgaud (1981).
18 La représentation critique du discours de 1 'autre
33 Entre autres LOSÏGI, 1983 et 1989; Maingueneau, 1987; Moeschler, 1979 et 1982; Rodrtguez
Somolinos, 1994.
34 Roulet, 1981,- Schelling, 1983; Staü, 1990.
35 Araüjo Carreira, 1991 et 1996; Ligatto, 1991; Rodrtguez Somolinos, 1994.
36 Pour ces deux derniers termes, voir les divers travaux de l'équipe du Centre de Recherches
sémiologiques de Neuchätel et notamment Apotheloz, 1989; Apothéloz [5: Brandt, 1991;
Ap0théloz, Brandt G: Quiroz, 1989; Brandt, 1989 et 1990. _
37 Pour une définition de l‘évaluation, voir Desbois, 1939, p. 133. J. Moeschler utilise souvent le
banne d’éluluufi0u négative comme équivalent de la réfittution (1982 et 1985).
35 Maingueneau, 1979 et 1987; entre autres Brandt, Gélas, Kerbrat—Orecchioni, Le Guem, 1980;
Garda Negroni, 1985. D. Apothéloz (1989) ainsi que D. Apothéloz, P.-Y. Brandt et G. Quiroz
(1989) parlent respectivement de “situation“ (p. 69) et d"‘échange polémique” (p. 16).
Chapitre 1 L'autre dans le discours oppositÿ‘. .. 19
39 "Les modalités expriment l'attitude énonciative du sujet parlant vis—à-vis de-ce qu’il énonce"
(Charaudeau, 1992, p. 488). Toujours selon Charaudeau, le désaccord fait partie de ce qu'il appelle
"les modalités élocutives : "les Modalités ELOCUTIVES n'impliquent pas l'interlocuteur dans l‘acte
locutif. Elles précisent la manière dont le locuteur révèle sa position vis—à-vis du Propos qu‘il
énonce“ (ibid., p. 599).
"0 Ensemble que d’autres regroupent sous la dénomination "argumentation négative“, nous allons
le voir en c).
20 La représentation critique du discours de l’autre
1939, p. 113).
La réfutation semble pouvoir trouver son point d'ancrage à n'importe quel
moment argumentafif. Réfuter consiste aussi bien à s'attaquer aux prémisses qu'à
s‘attaquer aux conséquences ou au mouvement argumentafif qui relie l'argument à
la conclusion.
J. Moeschler définit la réfutation en tant que "fonction illocutoire réactive
d'évaluation négative contenant une argumentation“ (1982, p. 148)“. Il précise que
l'acte réactif peut évaluer une énonciation initiative comme l'assertion à des
niveaux différents (propositionnel, illocutoire, présuppositionnel, discursif).
Cependant, "une réfutation est une évaluation dont la portée se limite au contenu
de l'acte initiatif (posé et présupposé). Cela signifie qu'une réfutation ne peut
évaluer une assertion initiative que proposifiomellement, illocutoirement ou
présupposifiomellement, mais non discursivement. Une réplique (métacommu
nicafive) n’est donc une réfutation que si elle porte sur les présupposés de l‘asser
tion initiative" (ibid., p.149).
Ce dernier point nous semble ressortir de toutes les définitions : la réfutation ne
s'en prend jamais à des éléments du cadre qui ne seraient pas d'ordre purement
linguistique. Elle se situe donc comme "l‘intervention de désaccord" (cf. 3)) parmi
les "stratégies de rejet", c'est—à—dire la seconde catégorie proposée par V. Allouche
(cf. ci—dessus).
Moeschler distingue trois types de réfutations42 :
' les rectifications:
L‘élection de Mittemmd n'est Pas probable, mais certaine. (p. 93)
' la réfutation proposifionnelle (généralement suivie d'une justification) :
Cefilm n'est pas génial : il n‘a pas été primé nulle part. (p. 96)
- la réfutation présupposifionnefle (qui nécessite "la présence d‘un acte de
justification" (ibid.)) :
Il n'a pas cessé defumcr, puisqu 'if n'ajamais fumé. (p. 97)
Par ailleurs, il évoque l'existence de réfutations implicites 43:
A: Cefilm est un umtfim‘.
B1: Tu oublies qu'il a été primé à Cannes.
B2: [1 a quand même été primé à Cannes. (p. 39)
On remarque qu'il classe les énoncés réfutatifs en fonction de la nature de ce
“ Pour une application de cette notion dans une analyse argumentafive et polyphonique, voir
Anscombre, 1983, p. 56 sq.
‘12 Ces trois types de réfutations représentent des degrés différents de menace pour l'interlocuteur
(croissant dans l'ordre de notre présentation).
43 Ici il s'agit de ce qu'il considère comme 'réfutation présuppositîonnelle' sous forme implicite.
Chapitre 1 L 'natre dans le discours appasth .. 21
4" Nous ignorons ce que l'auteur entend par "réfutation non—polémique" ou "réfutation" tout court.
5 Voir aussi Maingueneau (1979).
22 La représentation critique du discours de l‘autre
conclusion“6 :
2— En effet, il fait très beau aujourd'hui, mais la plage est très loin. (ibid.)
Ici, c'est la force de l'argument qui est en cause, ainsi que sa complétude: il
n’est pas le seul à entrer en compte et il en existe un autre qui est au moins aussi
fort sinon plus. Par le biais du second argument, ce procédé atteint directement la
conclusion
Un troisième type de réfutation consiste en la négation du topos“ :
3‘ je n‘aime pas aller à la plage quand ilfiu't beau, mais quand il pleut. (p. 111)
Le désaccord porte sur l‘orientation de l'argument: c‘est la conclusion elle—
même qui est invalidée.
La quatrième manière de rejeter la conclusion de l'interlocuteur utilise
pleinement la gradualîté du topos :
4— Au lieu d'y aller aujourd'hui, allons—y demain, (car) il ji3m certainement bien plus beau.
(ibid.)
Plus loin, l'auteur mentionne une "stratégie quI'il] appelle réfutation d'une
argumentation, à travers la réfutation de l‘argumentation réciproque” ( p. 130) :
n Pierre a travaillé, il ou noir du succès.
- Regarde fana, il n'a pas trmmillé et il a quand même eu du succès.
Ici, le locuteur B réfute la forme topique réciproque à celle employée par A.
En rejetant l'idée que moins on travaille, moins on réussit, il cherche à démontrer
que le travail ne mène pas forcément au succès. C'est donc l'argument évoqué qui
n'est pas tout à fait pertinent, ce qui rend la conclusion non nécessaire.
On aura remarqué que les exemples présentés qui font l'objet de la réfutation
constituent des ‘argumentafions‘, en ce sens que l‘on peut facilement les scinder en
un argument suivi d'une conclusion. Il en résulte une certaine facilité pour la
présentation, mais il ne faudrait pas en conclure que ces types de réfutation ne
s‘appliquent qu'à des 'argumentafions‘ explicitées comme telles (voir aussi ci
dessous 2.1.).
En revanche, l'exemplificaüon choisie par O. Ducrot semble souligner une réelle
proximité avec ce que l‘équipe de l‘Université de Neuchätel appelle la contre—
argumentation.
L‘équipe du Centre de recherches sémiologiques travaille sur une certaine
approche de l'argumentation, à ne pas confondre avec celle de la théorie de
49 Nous allons voir ci—dessous que dans cette conception l’argumentation est prŒhe de ce que
0. Ducrot considère comme "persuasion" (1990 b).
24 La représentation critique du discours de I ‘auhr
- j'ai un certificat médical qui dit que je dois prendre mes vacances maintenant.
- orientation argumentative (l‘argument est valable, mais pour une conclusion
opposée)
- (Justement), c'est pour cela que je peux prendre [qu'il est préférable que je prenne) mes
vacances maintenant.
Argumentation négative autre :
- malentendu
— (je crois qu'on ne s‘est pas bien compris), je ne parlais pas des vacances de Monsieur X, mais
de mes vacances.
ou encore
5“ Nous parlons d“'interacfion verbale agonale" (du grec agôn, combat) suite à E. Roulet (1989) qui
a, lui—même, emprunté ce terme à d‘autres (cf. ibid., p. 17, note (1)). Pour une définition de
"l‘échange agonat", voir Roulet, ibid., p. 7. Voir aussi Arafijo Carreira, 1993, qui reprend la notion
de "jeu agonal" de André—Larochebouvy.
26 La représentation critique du discours de l‘autre
a) la controverse
Dans son étude sur ce type d‘échange, Rouler oppose la controverse à la polé
mique et à la scène de ménage. La controverse se distingue de la polémique princi
palement par son côté “réglé" et "serein" : elle "semble être une espèce de polé—
mique lénifi " (Roulet, 1989, p.8). La controverse viserait moins à discréditer
l'interlocuteur que les deux autres types d'échanges : "La controverse se distingue
des deux précédentes par la mesure, la sérénité, qui impliquent l‘emploi de termes
axiologiques modérés, par une visée de véracité et de persuasion qui exige une
argumentation rigoureuse et honnête, ainsi que par l‘absence de connotations néga
tives; elle peut se développer indifféremment sous une forme orale ou écrite. Elle
se distingue de la scène et se rapproche de la polémique par l'absence de liens per—
sonnels étroits et d'enjeu existentiel, par la maîtrise verbale, par la durée et par sa
dimension le plus souvent publique“ (ibid., p. 9).
b) la scène de ménage
Selon E. Roulet, la scène de ménage “ne jouit... pas du statut conceptuel de la
controverse ou de la polémique" (ibid., p. 8). Il remarque que la scène de ménage, à
la différence de la controverse, se place comme la polémique dans "un contexte
passionnel“, se caractérise par une "forte intensité axiologique péjorante, voire
infamante, et une visée disqualifiante, qui favorise le recours à une argumentation
se fondant sur l’exagération et les contre—vérités" (ibid., p. 9). Elle se différencie de
la polémique par son caractère oral et privé, par la perte de maîtrise Verbale, par le
lien personnel étroit entre les interlocuteurs, et par l'enjeu existentiel et la brièveté.
F. Flahault (1987) résume ses enquêtes sur la scène de ménage de la façon sui—
vante : '
"En gros, mes différents interlocuteurs voient dans la scène une intensité fatale de la
parole. Fatale parce que les deux protagonistes, en se heurtant l‘un à l‘autre, se
heurtent en fait à ce qui les [le et à ce que les liens font d'eux.
Fatale, aussi, parce que là même où chacun souhaite au plus haut point que ses
paroles parviennent à changer quelque chose, il constate, l‘échec, l'impuissance, voire
la déchéance" (p. 32).
Alors que la scène de ménage se situe au pôle extrême de notre axe qui relie ces
formes d'échange en fonction du rôle qu'y tiennent leurs protagonistes, la polé—
mique serait à représenter comme se trouvant dans une situation intermédiaire.
Les interlocuteurs n‘y constituent pas le thème principal, mais peuvent tout de
même être intégrés progressivement dans ses enjeux et être mis en question de di—
verses manières.
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposth .. 27
c) La polémique
Au départ, utilisé uniquement pour désigner des échanges écrits portant sur
des questions théologiques, l‘usage de ce lexème s'est déplacé avant tout dans le
domaine politique. .
Le terme polémique venant du grec polemikos, relatif à la guerre, la polémique
serait d‘après C. Kerbrat—Orecchioni une "guerre verbale“ (1980 a, p. 5). Ce qui
caractérise le discours polémique, toujours d'après cet auteur, c‘est sa qualité de
“contre-discours", et par conséquent son caractère fondamentalement "dialogique"
(ibid., pp. 8—9). Il nécessite une certaine “communauté des systèmes de valeurs"
(ibid., p. 10), un terrain d‘entente minimale pouvant constituer le rchamp de ba—
taille‘.
Le but du discours polémique est de contester le discours de l'autre : "tous les
énoncés polémiques sont foncièrement réfutatifs (c'est-à-dire qu'ils se focalisent sur
le discours adverse, et sa dénégation..." (ibid. , p. 11).
Une des questions posées par l'auteur est celle de savoir si, au travers du
discours, l'énoncé polémique vise aussi la personne auteur du discours cible. Ceci
semble être le cas, puisque, comme le souligne C. Kerbrat—Orecchi0ni, "la polé—
mique s'inscrit dans un contexte de violence et passion" (ibid., p. 12).
La cible du discours polémique peut être un discours attribué ou non à un
locuteur. Dans ce dernier cas, ce locuteur peut être le destinataire explicite, être
inclus dans le groupe des destinataires ou en être explicitement exclu (cf. ibid.,
p. 28).
Aux frontières extrêmes du discours polémique, l‘auteur situe l’injure. Tolérée
de façon limitée, l'injure peut être l‘élément déclenchant l'échange polémique, mais
peut aussi mener à la rupture du dialogue.
Plusieurs lieux communs semblent être attachés au discours polémique : d‘une
part, on reconnaît aux polémiqueurs une certaine habileté, le don de la polémique,
d‘autre part, elle doit être spontanée et engagée. Globalement, il semblerait que le
discours polémique ait plutôt mauvaise réputation : autant on accuse les autres
d'entretenir la polémique, autant on s'en défend soi—même.
D'autres auteurs remarquent aussi que le discours polémique se focalise surtout
sur le discours autre ou la personne qui en est l‘auteur : "polémiquer veut dire
situer l'autre autrement qu‘il ne le ferait lui—même, articuler une représentation de
l'autre différente de celle qu'il se donne lui—même et que le destinateur sait qu'il se
donne" (RA. Brandt, 1980, p. 121).
M. Le Guern décrit l'intégration du disc0urs de l‘autre dans le discours
polémique comme une sorte de traduction, parlant des "fonctions de "conversion“
qui rendent compte des mécanismes qui permettent d'opérer le transcodage d'un
énoncé de D2 en D1 [Discours 2 en Discours 1] et celui d’un énoncé de D] en D2 : il
s'agit de pouvoir intégrer à son propre discours, dans ses propres catégories séman—
28 la représentation critique du discours de l'autre
relation interpersonnelle qui fonde tout échange verbal (1.2.3,), pour ensuite
aborder le domaine que nous avons choisi pour observer certains faits d'opposition,
à savoir le questionnement (1.3.).
1.2.3. De la politesse dans l’opposifif
De nombreuses études, notamment celles issues de l‘ethnométhodologie ou
encore de l'analyse conversafionnelle, ont démontré que la réaction négative
requiert normalement plus de précautions et ‘mesures - donc paroles -
d'accompagæment' que celle qui est cooflentée avec le discours de l'interlocuteur.
Ainsi, sa structure est la plupart du temps plus complexe : le locuteur introduit son
point de vue oppositif par une prise en compte partielle de celui de l'interlocuteur
(configuration de type concessif) ou par .des “pré-séquences"53 (entre autres,
Levinson, 1983, p.345 et sq.) et le fait suivre d’une justification. Lors d'une étude
antérieure concernant des dialogues de consultation54 nous avons nous—même
obtenu des résultats semblables: toute réaction comprenant un point de vue
opposé à celui exprimé dans le discours précédant était soit introduit par un
élément valorisant la proposition du premier locuteur, soit formulée de manière
indirecte.
Ce phénomène serait dû aux besoins de ce que l‘on décrit comme ménagement
des faces. Généralement, on distingue face positive et face négative. E. Goffman qui
est à l‘origine de la notion de face” donne l’exemple suivant: "une question
indiscrète peut être l‘équivalent d‘une visite inopportune: invasion de territoire
dans les deux cas" (1981/ 1987, p. 44). La face négative concerne "l'intégrité de son
territoire" (Roulet & al., p. 12), la face positive est comidérée comme "l'image qu'on
donne de soi" (ibid.). En effet, un certain nombre d'actions verbales peuvent
constituer une menace pour l'interlocuteur, en ce sens qu'elles sont susceptibles de
mettre en doute ses qualités (face positive) ou de restreindre sa liberté. Ces
dernières 'mettent en danger' sa face négative“.
Or, "les principales ressources offertes par la langue“57 pour s'opposer à l'inter
u
53"pre-sequences aussi en anglais. 8. Levinson leur consacre tout un sous—chapitre (1983,
pp. 345-363).
5“ Sauerwein, 1990.
55 Comme le rappelle M.H. Araùjo Carreira à propos du modèle concernant la politesse
développé par Brown et Levinson qui s'en inspirent, la théorie des faces est issue de "Goan
{1973, 1974), qui insiste sur la protection du «territoire du moi» et de la distinction établie par
Durkheim entre «rites négatifs» et «rites positifs» (1997, p. 26). Cf. aussi H. Weinrich, 1986, p. 9.
56].—C. Ansmmbre fait remarquer que ce principe général des deux faces et de leur préservation
"n'est pas de nature linguistique, mais psychologique" (1994, p. 16). Nous en convenons
absolument, mais il nous semble qu'il est à l‘origine de certains choix linguistiques des sujets
parlants.
57 Nous empruntons cette formulation à M.H. Araûjo Carreira, 1997, p. 134.
30 La représentation critique du discours de l‘au tre
"5 Nous traduisons: “Bleiben mehrere Interpretafiommügfichkeiten offen, ist der FTA wem’ger
gesichtsbedrohend; demi der Sprecher hat sich nicht auf eine Bedeutung festgelegt. Er gewährt
dem Gesprächspartner durch die Müglichkeit verschiedener Interpretah‘orteü eine gewisse
Handlungsfreüæit und entspricht also dessen negafivem Gesichtsbed‘ürfiüs".
“5 Nous traduisons : "einem Austausch von Nachrichten über diesen oder jenen Sachverhalt, der
auf einer Wahrheitstafel ais richtig oder falsch eingetragen werden kann".
67 Idem : "ist allerdings in diesem System für Häflichkeit kein Platz".
53 Idem : "Hüflichkeit gehärt zur Normalität sprachlichen Umgangs, und es gibt - aufier in
Fachsprachen - keinen hôflichkeitsfieîæm Gesprächsraum".
59 cf. Sauerwein, 1990, pp. 26—30.
32 La représentation critique du discours de l‘autre
7" N. Femandez Bravo envisage notamment la question rhétorique dans une telle perspective,
alliant l'idée d‘indirection à celles de politesse et de consensus (cf. 1995 a, pp. 419—420). Elle
considère l'occurrence de la question rhétorique de la manière suivante : "je pars du principe que
les questions rhétoriques ont leur place la où l'assertion correspondante dérangerait d'une
manière ou d’une autre le discours coopératif“ ("Ich gehe davon ans, daB rhetorische Fragen dort
am Platz sind, wo die entsprechencle Aussage irgendwie den kooperativen Diskurs stôren
würde"; p. 411). Voir aussi Femandez Bravo, 1994 et 1999.
71 Cf. Kerbrat—Orecchioni, 1987, p. 340.
Chapitre 1 L'autre dans le discours appositrf... 33
1.3. Le questionnement
1.3.1. L'interrogation
Etant donné que la notion d‘interrogation concerne un domaine particulière
ment vaste, nous essayerons de saisir quelques unes des perspectives et approches
qui en traitent. Cependant, comme le fait remarquer R. Martin, non seulement les
signifiants sont d’une “extrême variété" (1984, p. 257), mais "la difficulté vient
surtout de la multiplicité des liens qui unissent l'interrogation à des faits connexes :
la modalité, l‘hypothèse, l‘exclamafion, la négation, le discours indirect, les
indéfinis, les relatifs, voire les conjonctions de subordination ne sont pas sans
rapport a la sémantique des questions. .. Aussi, l'interrogation apparaît—elle comme
une notion métalinguistîque et du fait même tributaire du modèle qui en traite“
(ibid., pp. 257—258).
Généralement, on oppose l‘interrogation totale ou globale à l‘interrogation
partielle”. L'interrogation totale est habituellement décrite comme demandant une
réponse en oui ou non, confirmant ou infirmant globalement ce que l'on peut
considérer comme le préalable de la question. L'interrogation partielle est carac
térisée par le fait que le questionnement ne porte que sur un constituant précis, un
élément manquant. Dans l'interrogafive, cet élément est en quelque sorte anticipé
par 1‘interrogafif“. En demandant Qui viendra ? le locuteur présuppose qu'il y aura
710m pourrait formuler une autre hypothèse, plus intuitive, fondée sur les différents types
d'interactions conflictuelles considérées : nous pemons que ce que l'on peut observer de manière
informelle comme plus ou moins grande intensité conflictuelle - nous avons parlé ci—dessus (cf.
1.2.2.) de <gradualité de la conflictualité> - est directement lié au degré d’indirection : l'art de
l'indirection très élaborée permet de garder les apparences consensuelles, alors que la violence du
conflit se mesure au niveau d'absence de l'indirecfion et de la politesse en général atteint.
73 On trouve aussi les terminologies suivantes "questions—ON” et “questions—x” (cf. Parret, 1979,
p. 92), "questions proposifionnefles" et “questions catégorielles" (cf. Apostel, 1981, p. 30; Meyer,
trad. de Hinfikka, 1981, p. 59), ainsi que le terme "question polaire“ (Jacques, 1981, p. 76) pour la
question totale.
74 Nous allons désormais, à l‘instar de C. Cortès et H. Szabo, parler simplement d"‘interrogah‘f”
(1984, p. 134) à la place de ce que les grammaires appellent pronom, adverbe ou adjectif
interrogatif.
34 La représentation critique du discours de l‘autre
outre permet de saisir très précisément la problématique des actes indirects et de la dérivation
illocutoire. Cf. Borillo, 1978, pour une approche plutôt syntaxique et sémantique.
3“ Austin, 1962/1970; cf. Ducrot, 1995 b, p. 207—209.
31 Ici O. Ducrot utilise le terme directement issu de la traduction d‘Austin. Ailleurs, à la même
époque, lui-même utilise celui que nous maintenons dans notre présentation en dehors de la
citation, cf. Ducrot, 1980 c.
36 in représentation critique du discours de l‘aube
32 Selon A.-M. Dfller ce terme est dû à Sadock, 1970; cf. Billet, 1980, p. 31.
33 Pour une critique de cette approche, voir Femandez Bravo, 1993, p. 12.
8‘ Pour une critique très détaillée voir Grewendorf, 1972, tout particulièrement pp. 144—174.
35 Actes indirects à structure interrogafiva proches d‘une assertion; nous y reviendrons.
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposr'tif... 37
3" Cf. Anscombre 1980, p. 76 et séq., Diller, 1980, pp. 40—45 et Grewendorf, 1972, pp. 174-179.
57 Voir aussi à ce propos Fernandez Bravo, 1995 c et 1999.
38 la représentation critique du discours de l'autre
83 Pour ces cas aussi, son hypothèse est fondée sur l'idée d'une structure profonde à deux
performafifs ("l ask" et "l declare"); le passage à l'acte effecfif se fait par des règles d'effacement.
5" Cf. 1973 a, b, c; 1976; 1983.
Chapitre 1 L‘autre dans le discours oppositi‘f. .. 39
(1983. pp. 49-50). L'auteur propose donc d‘envisager la "dualité“ comme "multi—
plicité réelle" (ibid., p. 50).
Ainsi, J. Milner propose de considérer comme constitutive l'asymétrie entre les
deux protagonistes de l'interrogation (cf. 1973 c, p. 22) : étant donné que "le
deuxième locuteur ne p_e_u_g dire ce qu'il veut mais seulement donner l'assentiment
ou la réponse s‘il joue bien son rôle" (1983, p. 50), c‘est cette différence qui sous—
tend systématiquement le questionnement”. Si ]. Milner n‘exclut pas l'échange
d‘information de l’interrogation, pour autant elle n'en fait pas le centre de sa con
ception de l‘interrogation. Ce qui apparaît comme particulier dans son approche,
c'est que la question neutre (vraie question dans certaines des terminologies que
nous venons de voir) peut être définie par ce qu‘elle ne fait pas apparaître cette
altérité mentionnée ci—dessus. Ainsi, "le « locuteur—auditeur» idéal de Chomsky“
(Milner, 1973 c) permet de rendre compte des questions neutres, ce qui n‘est plus le
cas pour tous les autres types de questions“.
Ci-dessus, nous avons indiqué que Searle considère la question comme sous—
catégofie des directifs. D'autres, ne considèrent pas l‘interrogation comme fonda
mentalement différente de l'assertion. I. Lyons s'oppose à une catégorisation
comme celle de Searle. Il distingue le fait d‘émettre une question comme extériæ
risation d'un doute, et celui de demander quelque chose à quelqu‘un. Selon lui, la
question serait plus proche de l’assertion (cf. 1980, p. 373). De même, C. Kerbrat—
Orecchioni défend une telle conception qu'elle qualifie de "continuiste" (1991 b,
p. 110).
En cela, elle est très proche de A. Berrendonner pour qui l'interrogation n‘est
pas à distinguer formellement de la simple déclaration d'une incertitude et qui ne
voit dans la demande de réponse qu'un effet secondaire - "perlocutoire" - de cette
déclaration (cf. Berrendonner, 1981, pp. 168—169). En rapprochant la question de
l'assertion, A. Berrendonner en vient à une position plus radicale :
"je m‘en tiendrai à l‘idée qu'il n'existe pas d‘acte de question. Il va de soi que dans ce
cas également, la notion d'acte illocutoire devient tout à fait superflue pour la théorie
sémantique. En somme, l‘analyse des tournures dites « intenogafives >> peut se passer
avantageusement de ce concept, à la condition de refaire sienne la terminologie des
logiques de l'âge classique : de Ramus à Port—Royal, on appelle en effet question toute
proposition dont la valeur de vérité reste inconnue" (Berrendonner, 1981, p. 171).
On constate que sa perspective repose sur une position résolument
véficonditionnaliste‘”.
N. Femandez Bravo, qui elle aussi refuse la conception de l‘acte de question
comme directif particulier, considère que "poser une question consiste à faire jouer
un mécanisme discursif qui sert à extérioriser une absence de savoir du locuteur
dans un contexte donné“ (1993, p. 9). L'auteur prend la "demande de renseigne—
ment" (1993, p. 31) comme point de départ pour son étude exhaustive de l'interro—
gation en allemand. Pour elle, les différents types d’énoncés issus d'une interro—
gation forment un continuum "selon des valeurs qui vont de la marque de l‘igno—
rance totaie de la réponse (demande de renseignement neutre) jusqu‘à l‘évidence de
celle—ci pour le locuteur (question rhétorique), pôles extrêmes, dont les valeurs inter
médiaires sont (en allant du moins vers le plus de connaissance) la question biaisée,
posée à partir d'un co—texte marqué, et la question tendancieuse, où le locuteur sup
pute une orientation possible de la réponse“ (1993, p. 2”). Ces différentes catégories
de questions sont distinguées en fonction de ce qu'elle considère comme "combi—
natoire entre illocution... et attitude épistémique concernant la proposition” (ibid.,
p. 23).
Concernant l'allemand, elle relève un certain nombre de caractéristiques essen—
tielles pour l'identification de l’irtterrogafive (cf. ibid., p. 27) :
- des critères intonatoires que reflète à l‘écrit la ponctuation
- la position du verbe dans la phrase : en première, deuxième ou dernière posi«
tion
' la présence d'un interrogatif
' la présence d'une fomule performative en introduction
- la queue de question
A partir de ces indices possibles, N. Femandez Bravo établit une liste de “com
binaisons canoniques" (ibid.) parmi lesquelles se trouve l'interrogative en "W—V2?
(avec intonation descendante)" (ibid., p. 28).
Au chapitre 3, nous serons amenée a étudier un certain nombre de configu
rahons qui relèvent de ce schéma, c'est—à—dire des phrases interrogatives intro
dmtes par un interrogatif suivi du verbe.
Du point de Vue de leur insertion dans l‘échange, les questions qui font l'objet
de notre étude correspondent à ce que N. Femandez Bravo entend par "question en
retour” (ibid., p. 272), à savoir la "question induite par une situation ou un énoncé
antérieurs (question en réaction)" (ibid.).
. Suite à cette présentation brèVe de quelques unes des approches actuelles“ de
l'interrogation, il serait temps de définir notre conception personnelle de ce que
c‘est que de poser une question. Comme le suggère ].-P. Confais, "nous devons
95 "Wit müssen einen Weg finden, der uns die künstliche Tremung zwischen "echten" and
"unechten”, "rhetorischen” und "nicht rhetorischen” Fragen erspart, und sollten besser davon
ausgehen, dal3 gerade die “Pseudo—Fragen” des am besten veranschaulichen, was die
“Fraglichkeit einer Frage" ausmacht"; (traduction personnelle).
2. Le cadre théorique
96 En ce qui concerne la "construction des faits" (Ducrot, séminaire 1989-1990), Voir Ducrot, 1989 a,
pp. 5—9; 1991, p. 323; 1995 3, pp. 150151, ainsi que Coupin, 1995, p. 26; Habeas Corpus l, 1994 et
Kerbrat—Orecclüoni, 1989.
97Voir, p. ex., Carel, 1995 a et b qui élabore la notion de "bloc sémantique", ainsi que Gare] et
Ducrot, 1999, Ducrot et Carel, 1999 et Carel, 2001, ou encore Anscombre, 1994, 1995 b et d, 1998
opérant un rapprochement avec la théorie des stéréotypes qui aboth à une critique de la reprév
sentation du topos dans la version standard de la théorie. Par ailleurs, le numéro 9 de la revue
Signe 8 Satin est entièrement consacré à divers déVE10ppemean dans et de ce cadre théorique cf.
Garda Negroni, 1998. Voir aussi Anscombre, 2001 et pour une approche plutôt méthodologique
Ducrot, 2001.
98 Ce cheminement théorique est décrit de manière précise par ].-C. Anscombre (1995 a).
99 Certains concepts, forgés ces dernières années, ne seront pas explicités, dans la mesure où ils
s'appliquent à des mécanismes linguistiques qui n'interviennent pas dans les structures dont
nous chercherons à rendre compte, comme, par exemple, la notion de "modificateur déréalisant"
(Ducrot, 1995 a). Par ailleurs, nous avons renoncé à l'idée de distinguer "champ topique" et
"champ conceptuel" (Brueres, Ducrot, Raccah, 1993, et 1995) dans nos représentations topiques,
afin de ne pas encore complexifier la présentation des phénomènes en question.
Chapitre I L‘autre dans le discours opposih‘f. .. 43
101 On peut diviser l'évolution de cette théorie grasse modo en trois étapes : '
- celle allant des premiers travaux sur l‘argumentation, à partir de 1973 jusqu'à l‘apparition du
Concept de topos (Anscombre G: Ducrot, 1983, chap. 7);
- la suivante, à partir de 1983 consacrée à l'élaboration et la mise en place des notions de topos
et de forme topique;
' actuellement, la nature des topoï se trouve au centre des problèmes théoriques soulevés,
ainsi que son corollaire, l'ancrage de la gradualité.
46 La représentation critique du discours de l‘autre
FT1' : /+ P. + Q/
FT1" «' /* P. - Q/
- un topos converse, T2 lorsqu‘elles sont parcourues en sens inverse :
FT2' : /+ P. -Q/
FT2" : /- P. + Q/
Dans cette perspective, l‘exemple de O. Ducrot (1990 a)
iifim‘l beau, allons à la plage !
peut être fondé sur un topos de type T1 qui lie le méta—prédicat P (CHALEUR)
au second Q (AGREMENT POUR LA BAIGNADE). Ce même topos est appliqué sous
sa seconde forme topique dans l'exemple suivant :
Il nefait pas beau, n'allons pas à la plage.
En ce qui concerne le second type de topo’i, on peut citer l'exemple suivant qui
serait fondé sur un topos converse sous ses deux formes d'application /:i: travail,
1 détente] : '
J’ai trop de travail pour aller au cinéma.
J'ai terminé mon travail. je vais pouvoir sortir.
Si, au départ, l'observation d‘énoncés de type 'argument suivi d‘une conclusion'
facflitait la saisie de phénomènes argumentafifs, elle a pour inconvénient que l‘on
continue à assimiler la notion d'argumentation à ce type de configurations”, alors
que l'objectif de la théorie de l'argumentation dans la langue est justement de
montrer que les principes argumentatifs ne se limitent pas à ce type de structures,
mais sont sous-jacents à toute activité de parole“".
Or, cet aspect général ressort tout particulièrement des derniers développe
ments de la théorie de l’argumentation. D’une part, les recherches actuelles situent
certains topo’i au niveau lexical. A la différence de la conception des topoï comme
10311 s'agit de phénomènes relativement proches de ceux étudiés par l‘équipe de Neuchâtel (cf.
section 1.2.1 c). Comme nous l‘avons indiqué, certains types de faits linguistiques étudiés par les
deux approches se recoupent et, avant tout, ceux étudiés durant la première période de la théorie
de l‘argumentation - faits proches de l‘argumentation rhétorique et appréciés pour leur pouvoir
d'illustration.
10“ J.—C. Anscombre remarque à ce propos : "Le terme d'argumentation n‘est pas heureux. Il
provient des premières étapes de nos travaux. Les phénomènes que nous avions alors rencontrés
apparaissaient la plupart du temps dans des discours de type argument + conclusion. Par ail—
leurs, de tels enchaînements sont pratiques d'un point de vue pédagogique. Nous nous rendons
de plus en plus compte que notre théorie déborde largement ce type de phénomènes, et qu'il y a
bien autre chose que la simple rhétorique dans La théorie de l'argumentation dans la langue. Il serait
plus judicieux de parler de dynamique discursive, présente dès le niveau de la signification (ni—
veau profond de la langue). Notre thèse se formule ainsi: la phrase comporte des instructions
relatives à la structuration discursiw du texte où elle apparaît. Et les indications informatives sont
dérivés de ces instructions « dynamiques »" (1989, p. ‘15)
48 La représentation critique du discours de l'autre
simple garant d'un enchaînement, les topoï sont considérés entre—temps comme
préfigurés ou inscrits dans la signification même des lexèmes. Ainsi, "se présenter
comme discourant sur un état de choses, c'est avant tout lui faire correspondre des
topoï... utiliser des mots, c‘est convoquer des topoï. D'où l’hypothèse que le sens
des mots n’est pas fondamentalement la donation d'un référent, mais la mise à
disposition d'un faisceau de topo‘r’" (Anscombre, 1995 b, p. 51). Cette conception du
topos mène à la distinction entre topoï intrinsèques et extrinsèques que nous serons
amenée à introduire dans la section 2.2.3. du chapitre 2.
En même temps, la réflexion sur la nature des topoï menée ces dernières années
a abouti à une mise en cause de la conception binaire qui distingue deux méta
prédicats scalaires dans le schéma topiquem5. Divers travaux ont démontré que le
degré choisi sur une échelle est en fait relatif à la conclusion visée, c‘est—à-dire,
fonction de la seconde échelle. On ne peut donc plus parler de la mise en relation
de deux prédicats parfaitement distincts, mais d'une unité formée à partir des
deux. C‘est ce qui apparaît dans les travaux récents à travers la notion de "bloc
sémantique"“’â Par conséquent, même dans le cas d'un enchaînement - où l'on peut
distinguer deux segments, argument et conclusion - l'objet sémantique est unique
(cf. Ducrot, 1993 a, p. 244). Dans cette perspective le topos devient une certaine
représentation de la réalité, une APPREHENSION ARGUMENTATIVE de cette der
nière. Ainsi, utiliser un topos dans le discours revient à représenter la réalité à par—
tir d'un certain nombre de discours qui lui sont applicablesm.
La conjonction des deux aspects que nous venons d'évoquer fait que la con—
struction de cet objet sémantique unique "obéit à certaines contraintes imposées par
les mots mêmes dont le discours est fait, et qui constituent... la signification de ces
mots" (Ducrot, 1993 a, p. 245).
Suite à cette évolution de la théorie de l‘argumentation dans la langue, c‘est
notamment la représentation du topos par (:t P, 1 Q) qui apparaît comme peu
adaptée, alors qu‘elle n'a pas encore trouvé son substitut véritable.
Dans le chapitre 2, nous serons amenée à utiliser les représentations topiques,
issues de la version standard de la théorie des topoï. Nous mainfiendmns donc tout
de même ces outils de représentation - qui n‘étaient pas encore mis en cause, lors—
que nous avons commencé à élaborer les parties en question - et d’autant plus aisé—
ment, qu'ils nous semblent être adaptés, d‘un point de vue heuristique, à faire res—
sortir, dans la représentation, les phénomènes que nous chercherons à cerner.
Dans ce qui suit, nous allons nous pencher sur l‘autre pôle important de notre
cadre théorique, à savoir la théorie de la polyphonie.
105 Voir notamment, Anscombre 1995 b et 1998, ainsi que Carel, 1992, 1995 a et b.
10" Carel, 1995 a et b, Ducrot, 1993 a.
107 Ducrot, séminaire I 991 -1 992.
Chapitre 1 L'au tre dans le discours opposihf. .. 49
114 Ce dernier point constitue ce que nous avons considéré comme préalable de la question : (a)
comprend donc les deux premiers points de Vue du schéma tripartite que nous avons présenté ci—
dessus.
115 On pourrait dire aussi que la parole ne décrit pas le doute du locuteur, elle ät ce doute.
“5 Cf. aussi Bonnet, 1982, p. 96.
11’ Cf. 1997, pp. 159—176 où l‘auteur procède à un recensement exhaustif de ce type de moyens
linguistiques.
Chapitre 1 L‘autre dans le discours oppositif. .. 53
description formulée par O. Ducrot "d‘un énonciateur qui prétend, par sa parole
même, obliger son destinataire à un comportement linguistique spécifique, celui de
réponse" (Ducrot, 1983, p. 99).
Nous proposons de partir d‘une définition minimale de l'acte que constitue
l'énonciation d'une question : la demande de réponse. Ainsi :
Ënoncer une question consiste à demander une réponse.
Nous allons voir aux chapitres 2 et 3 qu‘il existe apparemment des questions
plus ou moins "interrogatives", il faut s'interroger sur ce qui constitue une telle
gradation : qu‘est—ce qui augmente ou diminue ?
Nous ferons l'hypothèse suivante :
Ce qui augmente ou diminue, de manière a modifier la question dans sa qualité
même de demande de réponse, est la liberté laissée à l'autre concernant sa ré
ponse.
Or, ce que nous venons d‘exprimer de manière bien vague sous le terme de
"liberté" correspond aux types de contraintes que la question exerce sur la réponse.
En effet, ces dernières peuvent concemer le thème de la réponse, sa nature (p. ex.
une interrogation partielle n‘exige pas le même type de réponse qu'une
interrogation globale), son volume ou encore son orientation argumentative. Ainsi,
toute image (des interlocuteurs, de l‘échange en cours, ...) véhiculée par la question
constituera une partie des contraintes pesant sur la réponse. Ce qu'affirme
O. Ducrot relativement à l‘énoncé en général est d‘autant plus vrai pour la
question : "a côté de ce que pose un énoncé, il faut noter tout ce qu'il présuppose,
les représentations auxquelles il se réfère sans les affirmer, tout le contexte intellec
tuel dans lequel il place de force l‘interlocuteur" (Ducrot, 1989 a, p. 157)”. Plus le
poids de ces contraintes sera important, moins la question sera interrogative.
Il se trouve qu'une telle définition permet de classer en fonction de leur interro—
gativité un certain nombre de types de questions répertoriées selon des critères
variés et dans des approches diverses. Le plus souvent, on oppose d‘un côté, ce que
nous considérons comme une question hautement interrogative, c‘est—à-dire une
question qui ne contraint que faiblement la réponse - et avant tout thématique—
ment -, et de l'autre, la question à réponse fortement contrainte, à savoir la question
rhétorique. Entre ces deux pôles d'un même axe, on peut situer diverses catégories
comme la question de confirmation118 ou la question d‘assentiment, de même que
ce que certains appellent les questions orientées”.
En ce qui concerne la question lue comme rhétorique, il nous semble aussi bien
peu adéquat de partir du principe que ce n'est que le contexte qui lui attribue un
caractère particulier, que de parler de marqueurs linguistiques lui conférant de
manière univoque cette tendance à exiger une réponse prédéterminée, excepté dans
quelques configurations particulières. Comme le démontrent N. Femandez BraVo
pour l'allemand et A. Borillo120 pour le français, on peut repérer un certain nombre
d‘éléments "médiateurs de rhétoricité" (Femandez Bravo, 1993, p. 316) dans la
phrase interrogative qui, à la faveur d‘autres éléments contextuels, déclenchent ou
favorisent une lecture rhétorique.
Bien que sa définition de l‘interrogation ne soit pas la même que la nôtre, nous
souscrivons tout à fait à la position de N. Femandez Bravo qui considère, d'une
part, que l'interrogation rhétorique est à considérer comme interrogation à part
entière, dans la mesure où elle peut toujours recevoir une réponse, et d‘autre part,
qu'elle fait partie d'un même continuum reliant deux pôles opposés, à savoir
l‘interrogation rhétorique et ce qu’elle considère comme demande de renseigne—
ment. Si elle estime aussi qu'il y a des questions plus ou moins rhétoriques, sa
conception se distingue nettement de la nôtre relativement à la propriété graduelle
sur laquelle repose l'axe étain : en effet - nous l'avons vu ci-dessus (1.3.) - elle met
la connaissance ou l‘ignorance de la réponse intentée au centre du questionnement
et distingue donc les différents types de questions en fonction de ce qu‘elle décrit
comme "déficit cognitif“ (1990, p. 540). Sa conception graduelle semble renvoyer à
la perception du même phénomène que la nôtre bien que les hypothèses explica
tives, ainsi que le cadre théorique, ne coïncident pasm.
Ainsi, nous allons nous fonder dans ce qui suit sur les considérations énumé—
rées ci-dessous :
' Nous définissons la question comme une demande de réponse, c‘est—à-dire
une obligation imposée à l'autre. L'interlocuteur n‘est plus libre, une fois la
question posée.
0 Toute question est caractérisée par l'obligation de répondre qu'elle impose à
l'allocutaire. Les différents types de questions forment un continuum selon les
contraintes relatives, plus ou moins grandes, qu'elles exercent sur la réponse.
Elles peuvent donc être placées sur un axe en fonction de la plus ou moins
grande emprise exercée sur la réponse (quant à son thème, la nature de la
neutre. En fait, sa spécificité provient entièrement d'éléments situationnels qui ne sont pas reflétée
dans la phrase.
12“ cf. Borillo, 1981.
121 Une telle approche, qui définit la question (et qui distingue la question rhétorique de la
question fortement interrogative - que nous allons appeler désormais question neutre) en fonction
de ce que le locuteur possède ou ne possède pas "l'irdormafion demandée", est incompatible avec
un cadre thé0rique global comme la théorie de l'argumentation dans la langue qui refuse de voir
l'échange d‘information au centre de l'activité de parole.
Chapitre 1 L‘an ire dans le discours oppositif. .. 55
réponse, etc).
- Ce qui distingue différents types de questions (comme, par exemple, la de
mande d'assentimemt ou la "question tendancieuse“) est que la réponse à
laquelle elles forcent l‘interlocuteur est plus ou moins contrainte. En effet, la
nature des contraintes ainsi exercées est variable : alors que celle qui est
communément considérée comme "demande d‘information“ prédéterminera, à
des degrés variables, le thème. les présuppositioms ou d'autres paramètres de
la réponse requise, a l'autre extrême, la "question rhétorique" imposera au
répondant une certaine réponse bien précise122 et donc purement contrainte.
- La question rhétorique impose une certaine réponse, mais elle exige quand
même cette réponse et, en ce sens, il faut la considérer comme une "vraie
question" (dans un sens bien différent du sens habituel). Par le fait qu‘elle
oblige l‘autre à une assertion, sous forme de réponse, et à la prendre ainsi
personnellement en charge, à avouer sa reconnaissance du point de vue
qu'elle véhicule, la question rhétorique peut être plus forte comme moyen
stratégique qu'une affirmation directe.
' Toutes les caractéristiques que nous venons d‘évoquer sont fixées de manière
instructionnelle dès le niveau de la phrase interrogative, c‘est—à-dire en amont
de l'énonciation qui 'produira' l'énoncé particulier qu'est la question.
Une fois ces principes généraux établis, il faut s‘interroger sur la représentation
concrète du fonctionnement des mécanismes linguistiques que ces notions sont
censées saisir. Nous venons d'affirmer que les interrogatives diverses se situent à
divers endroits d'un axe continu, en fonction de leur caractère plus ou moins
interrogatif/ rhétorique. Il faudrait se représenter cet axe comme partagé de
manière non discrète en zones interrogative, rhétorique, intermédiaire et d‘autres
plus nuancées, sans qu'il y ait de limite nette d'une zone à l'autre. Ce que l'on
constate, c'est que certains éléments linguistiques tendent à déplacer l'interrogative
d'une zone à l'autre, ou du centre d‘une zone vers sa marge. Nous verrons ci—
dessous que, en fonction de la configuration globale, un certain nombre de mor
phèmes renforcent une éventuelle tendance rhétorique ou interrogative, ou intro
duisent par exemple une interrogativité locale dans une phrase à tendance globale
ment ‘trop rhétorique‘ pour être déplacée de manière significative en direction du
pôle de l'interrogativité.
Or, il ne faut pas perdre de vue le fait que nous situons ces mécanismes au
niveau de la phrase.
Par ailleurs, il faut bien préciser que ce fonctionnement concerne l‘interrogative
17-2 Ensuite, le déroulement du dialogue révélera si cette stratégie a été suivie de l‘effet escompté,
ou si l‘interlocuteur cherche à s‘échapper du cadre ainsi imposé, par ex., en feignant d‘ignorer le
caractère rhétorique de la question.
56 La représentation critique du discours de l'autre
;
113 Ici, nous appliquons très précisément le "principe d'interprétation dialogique" (Moeschler,
1982; pour une critique de l‘application de ce principe comme méthode systématique voir
Kerbrat—Orecchiorfi, 1989).
12" Il s'agit d'un corpus de 20 dialogues de consultation entre un expert en conception de réseaux
informatiques et différents interlocuteurs par écran-clavier interposé. Ces dialogues ont été
recueillis en situation expérimentale. (Voir aussi Sauerwein, 1990, p. 3 et surtout, Cahour. 191.
pp. 118-122).
135 Il importe peu de savoir les intentions réelles de B.
Chapitre 1 L'autre dans le_ discours oppositxf... 57
confortable pour celui qui les emploie. On ne peut jamais lui reprocher d'avoir émis
une quelconque critique ou réserve envers son interlocuteur. L'orientation négative
de l'interrogation ne surgit ouvertement que lorsqu'elle est acceptée et à travers
Cette acceptation même.
Nous parlerons dans ce cas d'interrogations discursivement rhétoriques. Dans
notre hypothèse globale, c'est—à-dire, sur l'axe bipolaire esquissé - donc linguisv
tiquement - les phrases correspondant à ce type d'interrogations se situent dans la
zone représentant une interrogativité forte126.
Au chapitre 2 nous étudierons les effets de certaines configurations du français
peu flexibles quant à leur situation sur notre axe conceptuel, mais qui, malgré leur
similitude apparente, couvrent toute une diversité de zones de ce continuum. Le
Chapitre 3 traitera d'un certain nombre de structures et de morphèmes de l'alle
mand dont la richesse combinatoire permet de saisir des mécanismes linguistiques
particuliers très variés, qui nous semblent être révélateurs de phénomènes plus
généraux concernant notamment la localisation de l'interrogative dans les zones
différentes de l‘axe que nous venons d‘évoquer.
Tout au long de cette étude, nous serons amenée à aborder les problématiques
que nous venons de développer à travers ce premier chapitre. Les descriptions d'un
certain nombre de phénomènes seront destinées à éclairer ces derniers de diverses
façons, afin de les faire apparaître, du moins nous l'espérons, sous une lumière
différente, et ce sur la toile de fond que constituent les questionnements présentés
jusqu‘ici, à savoir
- l'inscription de l'allocutaire dans le discours et l‘intégration de son discours
(dans la mesure où il est aussi ex-locuteur) dans celui qui y fait suite: cette
représentation peut être explicitement présentée comme telle ou non (reprise
assertée ou reprise montrée; cf. ci-dessus, section 1.1.2.).
' la mise en relation entre des moyens inscrits en langue et leur utilisation,
notamment dans le discours oppositif : jusqu‘à quel point l'usage lui—même est
contenu, voire 'prévu' dans les instructions qui se trouvent en amont de
l'énonciation.
' la place attribuée à l'autre et à son discours, les moyens et la fonction que
remplit une telle attribution dans l'interrogation.
12° Ce type de question est très répandu, surtout dans le domaine oppositif à caractère peu ou non
polémique, caractérisé par un ménagement relativement prononcé des faces (cf. 1.2.3.).
Chapitre 2.
]. Milner et J.-C. Milner (1975) démontrent qu'en dehors de celles qu'ils ap—
pellent les “vraies questions" (ibid., p. 123) deux classes de questions en pourquoi
voulez-vous que...? peuvent être distinguées: les «questions de reprise» (ibid.,
p. 127) et les « affirmations clôturantes » (Milner, 1976, p. 59)‘. Cette distinction
nous semble d'autant plus intéressante qu'elle peut être rapprochée d'autres phéno—
mènes linguistiques beaucoup plus généraux.
D‘une part, certains des traits distinctifs de ces questions coïncident avec les
caractéristiques qui permettent de départager négation métalinguistique et néga
tion polémique2 en deux groupes et, d'autre part, elles constituent en quelque sorte
des prototypes des principales catégories oppositives répertoriées dans notre
corpus : à travers l'opposition au discours de l'interlocuteur on s‘oppose tantôt au
locuteur précédent en tant que tel, tantôt à l'interlocuteur en tant qu'être du monde
présent 'derrière' le locuteur précédent (cf. Ducrot, 1984, pp. 199-200).
Dans ce qui suit, nous allons tenter d'élargir la description détaillée fournie par
I. et J.C. Milner de ces deux types de questions, de manière à pouvoir saisir leur
fonctionnement dans l'approche argumentafive et polyphonique qui est la nôtre. _
Comme l'ont démontré J. Milner et J.-C. Milner (1975), il y a trois types
différents d'interrogatives en pourquoi voulez-vous : les « vraies questions » (Milner
& Milner, 1975, p. 123), les « questions de reprise » (ibid., p. 127) et les « affirma
tions clôturantes » (Milner, 1976, p. 59) :
- J'espère que mon fils clwisim le russe en seconde langue.
- Pourquoi roulez—nous qu'il apprenne cette longue ?
- Parce que j'aime bien l'entendre et, en plus, je pense que le russe a de l'atmir.
- Vous nous mpporfmz un beau crime, j'espère !
- Pourquoi roulez—nous que ce soit un crime ?
- intuition ." (Milner & Milner, 1975, p. 147)
1 En fait, cette appellation n'a apparemment été attribuée que rébuspecfivement à ce type de
"question". Dans cet article, Judith Milner fait allusion à Cette dénomination comme si elle avait
été utilisée dans l'article de Milner &r Milner (1975). Cependant, nous n‘en avons pas trouvé trace.
En fait, les auteurs se réfèrent avant tout aux "questions de reprise" qu'ils distinguent d‘un autre
"sous—groupe" (ibid., p. 127) pour laisser ce dernier de côté.
2 Nous nous fonderons ici sur la version des définitions de ces notions telle qu'elle est décrite dans
Ducrot (1984) et Anscombre (1990a).
62 La représentation critique du discours de l'autre
- je croyais que vous la connaissiez; sinon je n'en rois pas parlé d‘elle.
- Pourquoi tmuliez-wus que je la connaisse ? C'est la femme d'un employé et elle n‘est pour
moi qu'une cliente. (ibid., p. 145)
Dans les questions neutres telles que le premier exemple, le verbe vouloir peut
être remplacé par des synonymes comme souhaiter ou désirer et la paraphrase par
une interrogative indirecte est possible (cf. ibid., p. 124)? Ce qui n'est pas le cas
pour les « questions de reprise » et les « affirmations clôturantes » : le verbe vouloir
ne peut être remplacé par un autre verbe volitif et "l‘interrogative indirecte
introduite par je te demande ne serait pas ici une paraphrase; en revanche, il serait à
chaque fois possible de remplacer l'intenogafive contenant pourquoi veux—tu que...
V..., par une interrogative pourquoi... V..., en supprimant veux-tu et en mettant V au
conditionnel“ (ibid.).
Milner & Milner distinguent donc les « questions de reprise » (second exemple),
paraphrasables par 'pourquoi dis—tu + reprise textuelle' 4 des « affirmations clôtu
rantes » dont la paraphrase serait plutôt 'il n’y a pas de raison pour que ' ou 'il n'y a
pas d 'autre raison pour que ' (cf. troisième ex. ci—dessus). Comme nous l'avons
indiqué au premier chapitre, pour nous ces deux types d'interrogations sont aussi
de 'vraies questions‘. Dans ce qui suit, nous maintiendrons cependant la termino
logie de J. et J.-C. Milner concernant ces questions particulières, afin de ne pas
multiplier les appellafionsâ
1.1. Les « questions de reprise »
]. Milner et ].-C. Milner montrent que les « questions de reprise » sont très
proches du discours rapporté en style indirect : si elles ont pour particularité de
comprendre obligatoirement une mention textuelle (comme la citation en discours
direct), cette dernière est néanmoins subordonnée à la structure syntaxique et au
système de repérage déictique du discours rapportant.
Les auteurs remarquent que ces questions n‘admettent que la deuxième
3 Par ailleurs, les auteurs donnent encore les critères suivants qui permettent de distinguer les
questions neutres en pourquoi voulez—mus / veux-tu : "Puisque pourquoi interroge sur la cause ou
sur l'intention, ia réponse sera normalement de type final ou causal... Comme dans tous les
emplois de muloir, l'infinitif est obligatoire si le sujet de la compléfive est identique à celui de
vouloir. L'usage de la négation tant sur muloir que dans la complètive est libre.
L'usage des persmnes verbales est libre : vouloir peut avoir pour sujet aussi bien un nom qu'un
pronom et toutes les personnes sont admises. La complétive se situe dans le futur par rapport à
vouloir " (Milner & Milner, 1975, p. 124).
‘ En ce qui concerne les "questions de reprise", on pourrait ajouter à ces possibilités celle d'une
question indirecte : Pourquoi matez—mus que ce soit un crime ? -> Je ne vois pas de raison de dire que
c'est un crime. {Quelles sont vos raisons ?)
5 Ce choix aura pour inconvénient qu'à certains moments, nous serons amenée à parler
simultanément de questions et d'« afi‘irmntions (clôtumnæs) » à propos d'une même structure phras—
tique.
Chapitre 2 Pourquoi mariez—mus que. .. ? 63
a Nous savons tous les deux que voire beau-frère est parti. Donnez une explication de
ce départ.
b Nous savons tous les deux que votre beauérère est parti pour une certaine raison.
Précisez la raison de ce départ. (pp. 67—68)
Le statut du causal n‘est donc pas du tout le même dans les deux cas de figure :
dans l'un, l'existence d‘une explication n‘appartient qu'à ce que R. Martin (1986)
appelle “l‘univers de croyance du locuteur" (p. 289), alors que dans l‘autre, le locu
teur le présente comme appartenant à l'univers commun. H. Korzen rapproche ces
différences d'une distinction établie par H. Nolke (1983) entre "présupposé fort" et
"présupposé faible" :
Dé]: PP:
Un présupposéfort PP d'une phrase ph est une proposition telle que l'énoncé qui
correspond à ph sera correct si et seulement si les conditions a. et b. sont
remplies :
a. le locuteur croit que PP est vrai
b. le locuteur suppose que l'interlocuteur croit que PP est vrai.
Def pp :
Un présupposéfaible pp d‘une phrase est une proposition (qui n‘est pas un P? de
ph) telle que l‘énoncé qui correspond à ph sera correct si et seulement si les
conditions a. et b. sont remplies :
a. le locuteur croit que pp est vrai
b. le locuteur suppose que l'interlocuteur ne pense pas que pp soit faux.
"On voit que la différence entre ces deux types consiste en ce que l‘interlocuteur
peut bien - aux yeux du locuteur - n‘avoir aucune opinion sur la valeur de‘ vérité
du présupposé faible, alors qu'il doit reconnaître d’avance la vérité d'un présup—
posé fort" (ibid., p‘ 33).6
Ainsi, pour H. Korzen, il existe un pourquoi qui présuppose faiblement l'exis
tence d'une cause qu'elle nomme “pourquoi incolore” (p, 68) - en raison d'une diffé—
rence intonatoire — et un second, de présupposi’clon forte, dénommé “pourquoi mar—
qué“ (p. 73) de sorte que
Pourquoi y u—t—iI des mgues ?
5 Il nous semble cependant que le locuteur peut très bien faire semblant de croire en l'acceptation
de la part de son aflocutaire, sachant par ailleurs parfaitement que celui—ci n‘admet pas du tout ce
qui est présupposé (PP). Il s'agit de la manière dont il présente son "univers de croyance" dans
son discours et nullement de ses "croyances" réelles (cf. chapitre 1). Par ailleurs, on remarque que
Nolke se place dans un cadre véricondifionnaüste, d'où les notions de "vrai" et de "faux" dans les
deux définitions.
7 Elle emprunte ce terme à Spang—Hanssen. E. 1963. Les prépositions incolores du français moderne.
G.E.C. Gads Forlag, Copenhague.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—mus que... ? 67
pourrait présupposer
a) il y a des vagues (+ présupposé faible : il y a une raison pour a)
ou bien
b) il y a une raison pour laquelle il y a des vagues.
Le présupposé fort a) correspond à l'assertion préalable de l'interrogation totale,
'ce qui tendrait à souligner la proximité, d‘un côté. entre l'interrogation partielle
avec “pourquoi incolore" et l'interrogation totale, proximité a laquelle conclut
H. Koræn suite a son étude comparative, et de l‘autre, celle entre présupposé et
assertion préalable mentionnée par ].-C. Anscombre & O. Ducrot (1983, p. 132).
2.1.2. "Pourquoi incolore" et “pourquoi marqué“
Partant du constat de la duplicité de pourquoi qui nous paraît tout à fait
pertinent, plusieurs possibilités se présentent pour ce qui est des deux types de
“questions" en pourquoi voulez-vous. objet de la présente étude : faut—il penser qu‘il
s‘agit du même emploi de pourquoi dans les deux cas de figure ? Si oui, la question
sera alors de savoir auquel des deux on a affaire. Dans le cas centraire, la distri
bution des emplois respectifs reste à déterminer. Pour ce faire, nous allons repren—
dre dans ce qui suit les critères principaux évoqués par l‘auteur qui peuvent être
appliqués à notre type particulier de question, bien que Korzen fasse remarquer
que "le pourquoi incolore et le pourquoi marqué sont très difficiles à distinguer“
(p. 73).
- Comme la dénomination qu‘elle choisit l'indique, à l‘oral, l'un ne porte pas
d‘accentuation particulière (présupposé faible), alors que le présupposé fort
peut être éventuellement audible grâce à l"‘accent d'intensité" : "la dernière
partie du mot, c’est—à-dire le —quoi, doit être fortement accentuée" (ibid., p.68).
- reprenant Gunnarson (1978)“, elle propose comme critère fondamental la pos—
sibilité de remplacer pourquoi par la locution pour quelle raison qui marque
clairement le présupposé fort et donc la variante “marquée".
° à la différence du "pourquoi marqué“, le “pourquoi incolore" peut "se rattacher à
l'énonciation“ (ibid., p. 81). Dans ces emplois, il questionne sur les raisons du
dire. L'interlocuteur est prié d'expliquer les raisons qui l'ont amené à énoncer
ce qui précède. L‘auteur illustre l’ambiguïté créée par cette possibilité en
donnant les paraphrases suivantes : “Qu‘est—ce qui a causé ce que tu racontes ?"
(ibid.) et “Quelles sont tes raisons de le dire ?" (ibid.).
- Enfin, une dernière propriété distinctive nous intéresse particulièrement car
elle semble être esænfielle pour les différences de fonctionnement entre
« question de reprise » et « affirmation clôturante»: elle concerne ce que
5 Gunnarson, Kjell—Àke. 1978. les questions en pourquoi. Polycopié, 59p. Institut d'études romanes,
Université de Lund.
68 la représentation critique du discours de l'autre
9 Par ailleurs, de leur identification comme construction imbriquée il découle, d’après la descrip—
tion qu'en donne Korzen, que le verbe vouloir dans les "affirmations clôturantes" ne peut pas être
de même nature que celui des "questions de reprise“. Il doit y constituer obligatoirement un
"verbe neutre". Nous allons revenir sur la nature de ce verbe dans les "affirmations clôturantes”
ultérieurement (cf. 2.3.2.).
1” Il peut aussi bien s'agir d'un pourquoi faible que d‘un pourquoi fort suivi d'un verbe de nécessité.
D'ailleurs, rien n'oblige à croire qu'un pourquoi fort suivi d'un verbe neutre donne forcément lieu à
une construction imbriquée, ce qui diminuerait considérablement les possibilités d'ambiguïté.
70 La représentation critique du discours de l'autre
" à me pas confondre avec les exemples suivants où i'adverbe ne porte pas sur muloir, mais sur la
prise en charge sous réserve de l'énoncé dans son intégralité :
Il voudrait éoen facilement connaître la vérité.
Je voudrais éventuellement connaître la vérité.
13 Voir aussi Anscombre 1995 b.
Chapitre 2 Pourquoi roulez-mus que. .. ? 71
13 Le lien entre ‘volifif' et futur n'est pas exclusivement observable en français. Traugott (1989)
retrace l'évolution du verbe will de l'anglais ancien qu'elle qualifie de "volifional" (p. 48) et qui est
devenu un auxiliaire exprimant le futur. Elle fait remarquer que l'on trouve une réminiscenœ de
Cette valeur dans la forme négative suivante: me mon 't go (“maintenance of the voütional sense of
mil!" p. 52).
34 Langage et métalangage se superposant ici de sorte que dire pourrait en même temps porter
des guillemets en tant que citation textuelle.
72 La représentation critique du discours de l'autre
que + subjonctif. Il fait remarquer que “l'infinitif a une valeur future par rapport au
verbe opérateur.... Cet ensemble syntaxique correspond sémanfiquement aux
verbes dits de «volonté»" (Willems, 1981, p. 161). Plus loin, il regroupe cette classe
de verbes dans une entité plus large qui se caractérise par ce que "l'ensemble de ces
verbes pourrait être décrit comme des verbes de d15posifion à l’action“ (ibid.,
p. 185).
Cette dernière position est aussi celle de ].-J. Franckel et D. Lebaud (1990) qui
considèrent vouloir comme “verbe de visée" (p. 127, note 5) et qui précisent que
"visée suppose un choix ou une sélection active" (ibid., p. 131). Le sujet de vouloir
est donc Vu comme actif“.
M.l—I. Araùjo Carreira (1995, p. 112) souligne ce qu'elle appelle le caractère
"prospectif par nature sémantique intrinsèque" du verbe vouloir 16. Il s‘agit, en
d'autres termes, du versant actif ou dynamique de ce verbe tourné vers l‘avenir.
P. Charaudeau (1992) formule l‘autre aspect principal à l'aide de l'idée de
manque : “le locuteur...dit qu'il est dans une situation de manque qu'il voudrait bien
voir comblé, ce qui signifie qu‘il conçoit l‘action à réaliser comme bénéfique pour lui"
(Charaudeau, 1992, p. 610). On remarque que le premier trait fondamental,
l’aspiration au changement par rapport à ce manque, y figure aussi en tant qu"'ac—
tion à réaliser".
Tout se présente donc comme si le lexème vouloir renfermait en lui deux facettes
distinctes : l'une, passive, tournée vers le constat d‘une situation déficiente contem
poraine au moment de l'énonciation, l'autre aspirant à une transformation future et
marquée par la disposition à l‘action.
Ci-dessous, nous chercherons à décrire les effets de sens qui peuvent être
engendrés par ce caractère double du verbe vouloir.
17 En ce qui concerne le lien chercher / trouver, nous reprenons toujours l’exemple de Anscombre,
(1995 c, p. 128).
74 La représentation critique du discours de l‘autre
T1 : /+ on veut voir les choses d'une certaine manière, + on tente de les voir ainsi]
T1' : /+ on veut voir les choses d'une certaine manière. + on les voit ainsi/
A ces trois formes descriptives correspondent les formes heuristiques
suivantes:
T0h : /+ on agit dans le but de réaliser X, + il est vraisemblable que l'on veut que X/
T1h: /+ on tente de voir les choses d‘une certaine manière, + il est vraisemblable que
l‘on veut les voir ainsi/
T1'h : /+ on voit les choses d'une certaine manière, + il est vraisemblable que l'on veut
les voir ainsi/
à distinguer de :
T2 : /+ la vision des choses est influencée par la volonté, — elle correspond à la réalité
objective/
T2h : / - la vision des choses correspond à la réalité objective, + il est vraisemblable
qu‘elle soit influencée par la volonté/
Nous avons déjà explicité le fait que T0/T1 et T2 émanent de ce que nous avons
appelé les "deux facettes distinctes“ de vouloir. T0, T1 et T]' constituent donc des
variantes de la 'face dynamique' de vouloir alors que T2 renvoie au second élément,
le versant statiqueä On remarque aussi la relative proximité entre T1‘h et T2h mal
gré le fait que le second constitue un topos “converse" (Anscombre, 1989, p. 29),
c'est—à—dire un topos dont les deux échelles sont parcourues en sens contraire, alors
que pour le premier il s‘agit d‘un topos direct.
Pour désigner les deux emplois auxquels sont rattachés les deux topoï T0 et T1,
nous avons parlé de deux acceptions différentes. Nous voudrions rapprocher notre
distinction entre <vouloir> et <vouloir voir> d’une autre, couramment utilisée,
entre autres, dans les théories concernant la modalité.
E. KarantZola {1993) distingue le “domaine de l‘action" et le domaine de la “con
versation“ (p. 208) en se fondant sur l'opposition entre monde socio—physiqne et
monde épistémique établie par E. Sweetser (1990), ou encore sur celle entre sens
déontique et sens épisténfique de E.C. Traugott26, Aussi bien Sweetser que Traugott
ajoutent à ces deux modalités de base des "metalinguisfic uses" (Sweetser, 1990,
p. ’72) ou des "speech-act-domain uses“ (ibid.; cf. Traugott,1989, p. 44).”
Un des exemples cités par E. Sweetser concerne le verbe anglais agree qui est
ambigu entre “agreement to (do something) and agreement that (something is true)"
(ibid., p. 69). Cette opposition entre application au monde réel et application au
monde du raisonnement (épistémique) peut être établie de la même manière par
3 Le caractère statique est donc issu de ce que Charaudeau envisage par le concept de manque.
3" Cf. Traugott, 1989, p. 35.
27 Nous reviendrons sur cette troisième catégorie plus loin (cf. 2.3.1.).
78 la représentation critique du discours de l‘autre
ciateur E1... est assimilé à un certain ON, à une voix collective, à l'intérieur de la
quelle le locuteur est lui-même rangé" (Ducrot, 1984, p. 231). Un second énon—
ciateur e2 correspond à l'expression d‘incertitude quant aux raisons ou au bien—
fondé de ce qui est présupposé. Il est pris en charge par le locuteur.
La première différence entre les deux types particuliers de questions en pourquoi
voulez—vous...? semble donc être liée au point de vue mis en scène par l‘énonciateur
e1. Si l'on applique la distinction entre pourquoi faible et pourquoi fort avec les pré
supposés respectifs qui en découlent, e1 correspond pour les « questions de
reprise » approxùnafivement à :
(pp31) Vous voulez que X
En revanche, les « affirmations clôturantes » ont pour e1 plutôt quelque chose
comme:
(PP) Il y a une raison pour laquelle vous voulez que X
Dans ce qui suit, nous allons en analyser les conséquences séparément pour
chacune des deux structures interrogatives.
34 Ceci est systématiquement le cas pour les éléments essentiels au sens de Korzen (cf. supra,
2.1.1.), mais aussi, de manière indirecte, pour les compléments adverbiaux de cause. Ce trait est
exploité spécifiquement dans le questionnement rhétorique (cf. 2.3.2.1).
35 Nous utilisons ce terme comme dans ce qui suit celui d'action d'une façon tout à fait neutre à ne
pas relier aux dites "théories de l’action" (cf. par ex. Apostel, 1981).
35 Nous voudrions cependant réserver la notion d"'asserüon préalable" justement aux présup
posés faisant l'objet de la mise en doute interrogative, car nous pensons pouvoir préserver ainsi
une certaine unité entre interrogation totale et partielle.
82 La représentation critique du discours de l'autre
37 En raison de ces caractéristiques, il nous semble que l’on peut situer ce type de question dans la
variante "métalinguistic use" (Sweetser, ibid.), vue comme appartenant au domaine de l‘action et
non pas comme épistémique (cf. ci—dessus, 2.2.3),
39 On remarque que ces paraphrases tendent à expliciter le second membre de ce que nous avons
décrit comme topos intrinsèque attaché au lexème muloir.
Chapitre 2 Pourquoi voulez-vous que... ? sa
3" Par une réponse directe, l'interlocuteur peut toujours présenter la question comme mettant en
place un dernier énonciateur interrogatif et ce en vertu de e4. C'est en cela que nous considérons
cette structure comme 'vraie' question. Cependant les marques du caractère clôturant nous sem
blent être assez manifestes pour considérer la présence de cet ultime énondateur comme pure
ment virtuelle, c'est—à-dù‘e que sa mise en place n'est pas susceptible d'être réalisée lors de l'énon
dation.
Chapitre 2 Pourquoi voulez-vous que... ? 85
supposé fort (où, ce qui constitue une caractéristique essentielle des questions rhé
toriques partielles. Comme remarque A. Grésiilon (1980), pour un grand nombre
de questions rhétoriques partielles, "à la variable de la phrase interrogative n'est
pas à substituer une PN spécifique, mais un pronom globalisant avec un sens dia
métralement opposé“ (p. 280)“. La paraphrase il n'y a pas de raison nous semble
correspondre à un tel élément globalisant.
Le rapprochement des « affirmations clôturantes » des questions rhétoriques ne
devrait pas, cependant, amener à les assimiler de façon trop rapide aux interroga
tions rhétoriques totales comprenant le verbe vouloir que décrit Borillo (1981). Ces
dernières utilisent les verbes de volition pour exprimer “l'idée d‘un désir absurde
ou irréalisable ne correspondant à aucune possibilité de réalisation et qui, par con—
séquent, appelle le rejet" :
Voudrais-tu queje te plaigne ?
Tu voudrais peut—être queje te plaigne ?
Voudn‘ez—wus que je sois de bonne humeur ?" (ibid., p. 15).
Il ressort du commentaire de l'auteur, d’une part, qu'il s‘agit d'un <vouloir>
tourné vers la réalisation, et, d'autre part, que ce <vouloir> est rejeté et non pas
présupposé. Ce type de question rhétorique est donc bien éloigné de celui qui nous
préoccupe ici. ‘
En revanche, un au tre type de question rhétorique souvent remarqué (cf.
Korzen, 1985, pp.128-133; Martin, 1981, pp. 87—88) est donné aussi comme para
phrase possible par Milner & Milner. Il s‘agit des questions rhétoriques en pourquoi
sans le verbe vouloir.
H. Korzen qui parle d'un "type de questions rhétoriques au conditionnel“ (1985,
p. 128) remarque que l‘adverbîal de cause [y] a sa fonction habituelle" et que "la
valeur rhétorique... provient de la forme verbale. En employant le conditionnel, le
locuteur formule une réserve en ce qui concerne le contenu de la proposition modi— '
fiée par l‘adverbial de cause, contenu attribué à un «autre énonciateur» (dans le
sens où Ducrot emploie ce terme " (ibid., p. 129). Elle propose les exemples
suivants :
Pourquoi Michel serait-il content ?
Pour quelle raison
Pourquoi Michel ne serait-il pas content ?
Pour quelle raison
R. Martin (1981) affirme à propos de ce qu‘il appelle le “conditionnel U“ (p. 87)
qu‘il “n‘apparaît jamais dans une question vraie : l‘effet de sens obtenu est toujours
celui d'une question rhétorique, positive ou négative“ (ibid.). L‘exemple que
40 Nous traduisons de l‘allemand : "die Variable des Fragesatzes [ist] nicht durch ein spezifisches
NP, sondem durch ein verallgemeinemdes Pronomen mit ,,diametraler Umdeutung” (Abduflaev
1977. 267) au ersetzen" (Crésillon, 1930, p. 280).
86 la représentation critique du discours de l‘autre
l‘auteur donne pour les interrogations partielles est paraphrasable par une « affir«
mation clôturante » :
Pourquoi serait—il a Paris ? (p. 88)
Martin le commente d'une manière qui apparaît tout à fait compatible avec
notre analyse. Dans son cadre théorique la notion d"‘univers" lui permet d‘intégrer
des cas de distanciation ou d'absence de prise en charge de la part du locuteur par
rapport à des parties de son discours, ce que nous saisissons par une représentation
polyphonique d‘après Ducrot (1984 et 1990 a). Pour lui, "la présuppositîon véhicu
lée par pourquoi se trouve attribuée à U'. Le locuteur ne la prend pas en compte.
Dès lors, la question consiste à la contester et elle est interprétée négativement; em—
ploi comparable dans Qui leferait ?" (ibid., p. 88)“.
Nous avons fait remarquer un certain caractère tautologique de la majeure par—
tie du cadre présupposifionnel des « affirmations clôturantes ». il nous semble que
c‘est justement cette négafivité absolue qui constitue le marqueur du caractère rhé
torique ou clôturant négatif de ce type de phrases et qui mène à un degré maximal
de contraintes exercées sur la réponse. Il serait à mettre en parallèle avec le condi—
tionnel des questions rhétoriques mentionnées ci-dessus.
‘“ P. Cadiot et B. Fradin (1988, p. 3) en dressent une liste allant de Platon aux travaux récents.
45 sauf en cas de présence d'autres contraintes coexistantes.
88 La représen tuliort critique du discours de l'au tre
‘5 (b) et (b’) autorisent les mêmes enchaînements, ce qui n’est pas le cas pour (b") et (b‘").
"7 Nos informateurs semblent mieux accepter la question en est—ce que... dans ce cas précis. Bien
que cette forme ne soit pas tout à fait équivalente aux questions purement intonatives, la diffé—
rence ne semble pas affecter la délimitation entre thème et propos.
43 Le lecteur remarquera que dans les exemples donnés ci—dessus, comme dans ceux qui suivront,
le tour de parole déclencheur de "l‘affirmation clôturante” en 'sinon ‘ est toujours une question.
Sans que cela permette de généraliser, en effet, nous n‘avons pas encore vu d'exemple où cela
n'est pas le cas. A première vue, la tendance des "affirmations clôturantes" 'simples' de figurer en
réponse/réplique à une question (totale la plupart du temps) semble s'observer de manière en—
core plus systématique concernant les "affirmations clôturantes" en 'sinon'.
49 Un de nos problèmes réside évidemment dans le fait que nous avons affaire à des réponses
sous forme interrogative, problème que l'on peut contourner en substituant ici les paraphrases
clairement affirmatives aux "interrogafives clôturantes" :
a) Mais non (je ne le crois pas), parce qu'il n‘y a pas de raison qu'elle l‘ait fait.
1)) Mais si, il n‘y a pas d‘autre raison qu‘elle l‘ait fait.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que. .. ? 89
50 Pour des raisons de commodité nous introduisons ce terme. Cependant, il ne faut y voir de lien
avec ce que l’on appelle en grammaire généraüve les "interroga lives complexes“ ou
"péfiphrastiques"(cfi Obenauer, 1981. p. 100 et séq.).
90 La repräærttafim critique du discours de l'autre
et les réponses, le thème d‘une question serait ce qui est susceptible d'être repris
dans une éventuelle réponse, alors que celui d'une affirmation serait ce à quoi cette
dernière pourrait servir de réponse. L‘application de ces deux principes semble
nous mener à une contradiction : d'une part, la question de L1, identique dans les
deux exemples, se présente comme appelant une réponse prenant position par rap—
port au point de vue 'départ en weekænd', que ce soit sous forme d'acquiescement
ou sous forme de refus. D'autre part, la réponse de L2, c'est—à-dire l'« affirmation
clôturanœ », selon que l'on l'interprète connue « clôturante » simple ou complexe,
ne se présente pas de la même manière. En effet, le test de l'extraction appliqué
cette fois à l'« affirmation clôturante » confirme une distribution en thème et pro—
pos divergente pour les deux exemples:
— Qu'on se soit lL’UÉS à quatres heures du matin, c'est ce que tu toux ?
Ici, le thème concerne le 'vouloir' de L1, tandis que se lever à quatre heures du
matin apparaît comme propos. Cette variante ne peut manifestement pas être
insérée dans le second exemple, alors qu‘elle trouve facilement sa place dans le
premier. Inversement, celle qui a pour effet de restreindre le propos pourrait se
substituer, abstraction faite de sa grande lourdeur, à l'« affirmation clôturante »
complexe du deuxième exemple :
— C'est pourquoi (que tu veux) qu'on s'est levés à 4 heures du matin ? (si ce n'était pas pour
partir...)
Dans ce cas, on s'est levés à 4 heures du matin fait donc partie du thème dans
l'« affirmation clôturante » qui y figure comme réponse. Cette dernière se présente
comme réponse à une question dont le thème serait 's'étre levés à 4 heures du
matin‘ et le propos 'en raison d'un départ en week-end'. Ainsi, la réplique de L2
serait tout à fait plausible en réponse à la question suivante :
- C 'est pour partir en neck—sud que nous vous êtes loués à 4 heures du matin?
Ÿ Pourquoi veux-tu qu'on l'aitfoit, sinon ?
Or, dans cette première question de L1, le départ en week-end figure mani
festement comme propos.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît donc nécessaire de modifier légère
ment la formulation de notre hypothèse initiale, afin d‘éviter cette ambiguïté51 :
Lorsque la complétive suivant vouloir que reprend ce qu‘elle présente comme
étant le thème du tour de parole précédent, elle comporte un implicite qui peut
être explicité à l'aide de sinon. Dans ce cas, sa paraphrase est il n‘y a pas d'autre
raison que... Lorsqu'elle reprend ce qu'elle présente comme étant son propos, il
s'agit d'une « affirmation clôturante » simple paraphrasable par il n‘y a pas de
raison que.
Ainsi, admettant cette hypothèse, on constate que parallèlement à la première
série d‘exemples où la reprise en sinon concerne le cadre thématique de la question
de L1, pour les secondes, il s’agirait aussi de ce qui est présenté comme thème.
Il nous semble intéressant d‘examiner maintenant de plus près ce qui suit
l'« affirmation Clôturante » du premier exemple, c‘est-à-dire la contestation de la
part de L].
- Vous n'êtes pas obligés de vous lever à 4 heures du matin pour ça ! (Milner & Milner, 1975,
146) -
En effet, le thème initial partir en week—end est repris par ça, alors que l'anaphori
sation de vous lever à 4 heures du matin apparaît comme moins habituelle que dans
le second exemple :
- Pourquoi veux—tu qu'on se soit levés à 4 heures du matin ? Pour unefiJis qu'on peut dormir...
a Vous n'êtes pas obligés de vous lever à 4 heures du matin pour ça !
b Vous n‘êtes pas obligés de leflaire pour partir en ueek—endl
c Vous n'êtes pas obligés de lefaire pour ça !
Ici, se lever à quatre heures du matin est présenté comme faisant partie du propos
de l' « affirmation clôturante », le thème (ou sousthème) de la question concernant
toujours le départ en week-end. On comprend alors la préférence pour
l‘anaphofisafion du départ en mek-end (a) : Un thème ou sous—thème, comme tout
espace de type "cadre" (cf. Ansc0mbre, 1989, 1990 a, 1992 et Ducrot, 1979) peut être
repris sous forme d’amphore dans le discours qui suit. Aussi, dans le second
exemple, l'allocutaire intègre en revanche les autres éléments (se lever à quatre heures
du matin) sous cette forme dans sa réplique justificative :
- Vous n'êtes pas partis en neck—rend ?
- Pourquoi veux-tu qu'on se soit lavés à 4 heures du matin ?
- Vous pouviez le faire pour admirer le lever du soleil - ou pour n'importe quelle autre raison,
d'ailleurs.
Ces observations semblent donc corroborer notre hypothèse. Nous constatons
ainsi pour l'« affirmation clôturante » complexe. réplique de L2, qu'elle reprend
systématiquement dans sa complèfive ce qu‘elle présente comme thème du dis—
cours de L1.
La distinction entre « affirmation clôturante» simple et «affirmation clôtu—
rante » en sinon ne peut donc être opérée qu'à un niveau discursif, alors que celle
entre « question de reprise » et « affirmation clôturante » se révèle par des indices
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 93
51 Cf. 1.; par exemple la possibilité pour le verbe vouloir de figurer au passé dans les "affirmations
clôturantes" contrairement à ce que l‘on observe pour les "questions de reprise".
53 Ceci se comprend aisément, si l'on songe au fait qu'une question en quel a pour caractéristique
d'introduire de manière appuyée (cf. “présupposé fort" chez Korzen, 1985, d'après Nolke, 1983,
p. 33; voir d-dessus 2.1.1.) un présupposé d'existence concernant l'objet de son questionnement.
Comparons :
Comment veux-tu qu'il lefasse ?
De quelle manière veux-tu qu'il le fasse ?
Où teur—tu qu'il aille ?
A quel endroit teur-tu qu'il aille ?
Quant au rapport étroit entre présuppositîon et thème, qui coïncident souvent, voir Anscombre
(1990 a, 1992 a et 1994).
94 La représentation critique du discours de l’autre
complexe de L2.
Ainsi on peut observer encore une autre différence: contrairement aux « affir
mations clôturantes » simples qui évacuent la causalité pour la rattacher globale
ment à l'énonciation“, les complexes préservent un certain caractère causal ou
final. Comparons :
- Tu crois qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi maux—tu qu'elle l'aiifait ?
— C'est par méchanceté qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu'elle l'uitfait par méchanceté ?
« C‘esi par méchanceté qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu‘elle l'aitfuit ?
- C'est pour l'embêter qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—lu qu'elle l‘uitfaii ?
Il faut se rappeler que dans les deux premières paires, l'« affirmation clôtu
rante » reprend le propos de la question, alors que dans la troisième et la qua—
trième, la compléfive concerne le thème. Comparons maintenant un certain type de
paraphrases :
a) Il n’y a pas de raison qu‘elle l’ait fait.
b) Il n'y a pas de raison qu‘elle l’ait fait par méchanceté.
c) Il n'y a pas de raison qu‘elle l'ait fait si ce n’est par méchanceté.
d) Il n‘y a pas de raison qu'elle l'ait fait si ce n‘est pour l'embêter.
Tandis qu'en a) et b), on disqualifie globalement à partir du constat d'absence
de raisons valables, c) et d) portent respectivement sur la cause et la finalité de ce
qui est présenté comme propos.
Ceci pourrait tenir au fait que le complément de cause se rattache à ce que
H. Korzen considère comme "phrase élémentaire" (Korzen, 1985, p. 58; cf. 2.1.1.). Il
semblerait que cette "phrase élémentaire“ doive donc être présentée comme admise
pour que le questionnement puisse porter sur ses causes. Inversement, la mise en
question du propos précédent sert plutôt à disqualifier globalement un énoncé (à
travers les raisons qui y ont conduit).
Avant de revenir plus globalement sur ces deux grands types de questions en
pourquoi voulez-vous ?, nous allons examiner le comportement des « affirmations
clôturantes » par rapport à l‘insertion adverbiale de haut degré, parallèlement à
l’analyse effectuée concernant les « questions de reprise » en 2.3.1.
54 C'est probablement cette globalisafion qui fait, comme le remarquent Milner & Milner (1975,
p. 124), qu'elles n‘incitent pas à donner une réponse de type causal ou final, contrairement aux
questions neutres en pourquoi.
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus ? 95
Par ailleurs, la caractéristique principale d'une telle construction est que l'interro»
gatif porte sur la subordonnée. Ce fait semble être incompatible avec la propriété
de ce type d'adverbes de faire obligatoirement partie du centre du questionnement,
alors qu'en même temps, ils se rattachent au verbe principal, c'est—à-dire au verbe
introducteur (cf. Schlyter, 1977).
Dans d’autres exemples de constructions imbriquées, on constate le même phé—
nomène :
Pourquoi penses-tu qu'il se cache ?
Cette question a plusieurs acceptions, selon que l'on interprète d'abord pourquoi
comme faible (a) ou comme fort (b), et ensuite, dans le second cas de figure, le tout
connue construction imbriquée ou non :
a) Pourquoi penses-tu... -> “Tu penses que... Explique pourquoi... !"
b1) Pourquoi / Pour quelle raison penses—tu que... —> "Quelle est la raison qui te fait penser
qu'il se cache ?"
b2) Pourquoi / Pour quelle raison penses—tu que... -> “Quelle est la raison pour laquelle il
se cache, (à ton avis) ?”
Dès que l‘on introduit un adverbe, la question perd son caractère ambigu :
Pourquoi penses-tu femæment qu’il se cache ?
-> “Quelle est la raison qui te fait penser fermement qu'il se cache ?"
Il nous semble que l‘on ne peut plus parler de verbe “neutre“ dans ce cas : penser
devient ici 'être convaincu' qui bloque l'interprétation comme construction imbri
quée, d‘où la quasi—impossibilité de (a). En même temps, comme pour le verbe vou
loir, la modification par un adverbe est incompatible avec une telle construction
(b) =
a— ou es-tu convaincu qu'il se cache ?
b— Où penses-tu fennement qu'il se cache ?
Cette incompatibilité ne semble pas être de nature sémantique. En effet, il est
possible de dire :
Tu es convaincu qu'il se cache ou, à Paris ?
Tu penses fermement qu‘il se cache où, à Paris ?
Nous maintiendrons donc notre hypothèse que cette impossibilité est due à la
nature imbriquée de la construction. Si cette hypothèse est exacte, la modification
adverbiale du verbe introducteur d'une telle construction sera généralement im—
possible.
On retiendra que dans l‘« affirmation clôturante », vouloir ne peut donc pas être
renforcé, ce qui met à notre disposition un test de contrôle supplémentaire pour
distinguer l'« affirmation clôturante » de la « question de reprise »
Dans ce qui suit, nous tenterons de cerner de manière plus globale les rôles res
pectifs que jouent « questions de reprise » et «affirmations clôturantes » dans le
dialogue.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 97
Jusqu‘ici nous avons tenté d‘analyser ces deux57 types de questions pour cerner
au mieux leur fonctionnement 'interne', notamment par la représentation polypho—
nique et topique correspondant à chacun des mécanismes respectivement mis en
œuvre par l‘énonciation. Dans ce qui suit, nous tâcherons d'élargir notre champ de
vision afin de percevoir le rôle que jouent ces constructions dans le discours.
Malgré l'apparent fossé qui sépare de telles questions de simples déclaratives,
nous allons chercher à vérifier ou à invalider une hypothèse intuitive au départ :
leur emploi pourrait être proche de la négation, ou plus précisément, d'un certain
type de négation. En effet, les « questions de reprise » ont une caractéristique,
l'obligation de reprise textuelle, qui rappelle un autre phénomène : celui de la néga
tion métalinguistique”, d'où l‘idée de rapprocher deux structures à première vue si
différentes. Il s‘ensuit une autre question : quel est le rôle des « affirmations clôtu
rantes » par rapport à la négation ?
Alors que nous avons indiqué en 1. les possibilités de paraphrases pour les
questions en pourun voulez-vous ?. nous allons procéder ci-dessous de manière
inverse.
En effet, il apparaît que certaines assertions négatives peuvent être paraphra
sées par des questions en pourquoi voulez-vous ?. Nous allons expérimenter une telle
substitution sur quelques exemples.
Reprenons tout d'abord une négation avec reprise textuelle, une négation méta—
linguistique :
- Max 12 encore été promu. Je l‘ai toujours trouvé intelligent, mais je ne pensais pas qu'il irait
aussi loin.
a- il n'est pas intelligent, il est studieux.”
b— Pourquot‘ veux-tu qu'il soit intelligent ? je le trouœ/ crois plu tôt studieux.
Dans cet exemple, la « question de reprise » (b) reprend un élément du posé du
°°Comme pour l‘exemple précédent, il s'agit d'un type d'emploi caractéristique de la négation
métalinguisüque '. "c'est cette 'négafion métaünguisfique‘ qui permet d‘annuler les présupposés
du positif sous—jacent, Ce 'n‘a pas cessé de fumer' qui ne présuppose pas 'fumait autrefois‘, est
possible seulement en réponse à un locuteur qui vient de dire que Pierre a cessé de fumer (et,
d‘autre part, il exige d’expliciter la mise en cause du présupposé annulé...)" (Ducrot, 1984, p. 217).
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 99
toujours vrai.
En effet, dans nos exemples l'échange avec une affirmation négative n‘est pas
toujours évident. Ci-dessous, nous en reprenons quelques uns :
- Tu crois que Marchais a voté communiste ?
- Pourquoi veux-tu qu'il soit idiot ? (Milner & Milner, 1975, p. 146) -> - (Mais non.) Il
n'est pas idiot.
- Tu omis qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu‘elle l'ait fait -> - (Mais non.) Elle ne l’a pas fait.
- Vous n'êtes pas partisan aeek-end ?
- Pourquoi veux—tu qu'on se soit levés a 4 heures du matin ? -> - (Mais si.) On ne s'est pas
levés à 4 heures du matin pour rien.“
- Vous pouviez le faire pour admirer le lever du soleil - ou pour n'importe quelle autre raison,
d'ailleurs. (ibid.)
- C'est par méchanceté qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu'elle l‘aitfait ? (ibid.)-> - (Mais si.) Elle ne l’a pas fait pour rien.
"1 Comme pour l’exemple suivant, on est obligé de réintroduire l‘aspect final dans la paraphrase
de l'« affirmation clôturante » complexe - nous l'avons déjà constaté en 2.3.2.2.
62 L’atténuation ne parvient pas à restituer le caractère interrogatif de la « question de reprise »,
d‘où l'incompatibilité avec une réponse elliptique.
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus que. .. ? 101
types de négations apparaît: ce n‘est que pour les deux derniers exemples, des
« questions de reprise » à l‘origine, que la paraphrase comporte une négation méta—
linguistique, toutes les autres négations sont de nature polémique.
Lorsqu‘on tente d‘évaluer dans quelle mesure un tel remplacement maintient
des effets de sens semblables et quelles nuances sont ainsi introduites, on observe
que la différence principale réside dans le mode de présence du premier locuteur,
auteur du discours qui est mis en question.hl
La négation comprend toujours au moins un point de vue auquel le locuteur ne
s'identifie pas. Dans le cas de la négation métalinguisfique, ce point de vue est
attribué au locuteur précédent, alors que la négation polémique n'entraîne pas
nécessairement la désignation d‘une autre personne existante comme susceptible
de s‘y identifier.
Quant à nos questions en pourquoi ooulez-vous...?, elles comportent systéma
tiquement une représentation du discours de l'interlocuteur sous forme de présup—
posé. Il nous semble que la grande particularité de ces questions réside dans ce que
non seulement elles se présentent comme fondées sur un point de vue qui n'est pas
mis en place de manière autonome, mais qu‘en plus, elles introduisent une image
très marquée de l‘interlocuteur qui est qualifié à travers ce point de vue.
C‘est cette image que nous allons chercher à cerner de plus près dans la dernière
partie de ce chapitre.
63 En ce qui concerne les <« questions de reprise », leur caractère interrogatif influe évidemment
aussi sur le positionnement du locuteur (donc L2) par rapport à son dire.
3. La présence de l‘autre dans les « questions de reprise » et les
« affirmations clôturantes » : considérations conclusives
Dans le premier chapitre, nous avons tenté de donner un aperçu non exhaustif
de quelques unes des nombreuses études qui abordent d‘une manière ou d'une
autre l‘aspect fondamentalement constitutif du caractère dialogique de tout lan—
gage humain. Alors que l’on dit communément que le je n'existe que par rapport à
un tu, nous allons prendre le locuteur comme point de départ dans nos réflexions
sur la place de son allocutaire et notamment la distinction de O. Ducrot (1984) entre
“locuteur en tant que tel...(« L»)" et “locuteur en tant qu'être du monde (« 1 >>)"
(p. 199). En premier lieu, il faut se rappeler les définitions :
"L est le responsable de l‘énonciation, considéré uniquement en tant qu‘il a cette
propriété. 1 est une personne « complète », qui possède entre autres propriétés, celle
d‘être l'origine de l’énoncé - ce qui n‘empêche pas que L et 7L soient des êtres de
discours, constitués dans le sens de l’énoncé. .. " (Ducrot, 1984, pp. 199—200).
Ainsi, une question directe et donc sous forme interrogative de type Est-ce que
p ? comporterait dans son sens l‘expression de doute que montre L, contrairement à
la question indirecte en je me demande 51' p où L affirme l‘existence de doutes de Â..
Face au locuteur se trouve l'allocutaire. O. Ducrot le décrit comme suit :
"L‘énoncé présente d'autre part son énonciation comme adressée par le locuteur à un
allocutaire (...). L'allocutaire est désigné, sauf dans le discours rapporté en style direct,
par les pronoms et les marques de la deuxième personne, ainsi que par différents
procédés d'interpellation analogues au cas vocafif du latin... il n’est pas besoin de
comprendre un discours pour savoir qui en est auditeur;... La détermination de
l'allocutaire, au contraire ne peut s'opérer que si le discours a été compris. D'autre
part. elle est nécessaire à une compréhension complète des paroles, de sorte que le
concept d'allocutaire m'apparaît indispensable pour la description sémantique d'un
énoncé" (Ducrot, 1980 a, pp. 35—36).
Plus loin, il apporte encore les précisions suivantes :
"...on peut imaginer un énoncé comme Pierre, je te parle. La qualité d‘allocutaire qui est
celle de Pierre, y est deux fois signalée. D'une part, le vocalif présente Pierre comme
allocutaire, il fait de l'énonciation une énonciation adressée à Pierre, et, d‘autre part, la
proposition je te parle asserte explicitement ce que la parole par ailleurs montre.
L‘énoncé montre le locuteur comme a) s'adressant à Pierre et b} assertant (ou faisant
remarquer) que le locuteur s‘adresse à Pierre" (ibid., p. 36).
Il nous semble que l‘on peut voir dans le vocatif la trace de ce qui fait pendant
au « locuteur en tant que tel », mais concernant cette fois l'allocutaire. Contraire—
ment au pronom personnel (ici te) qui désignerait l'« allocutaire comme être du
monde », le vocatif aurait donc pour effet de marquer l'« allocutaire en tant que
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus ? 103
tel », A,“
64 On pourrait nous objecter que le « locuteur en tant que tel », à la différence de 1, n‘est jamais
explicité dans le discours ce qui l‘opposerait à A. mais, en fait, il y est systématiquement présent à
travers le 'geste locutoire'. En plus, l‘usage du vocatif est plutôt rare. La plupart du temps, gestes
ou regards tiennent lieu de cette forme explicite.
55 C'est à comprendre comme "négation polémique" dans la terminologie actuelle.
56 Il peut aussi avoir assimilation à une tierce personne ou à un groupe de personnes (groupe réel
ou virtuel).
104 La représentation critique du discours de l'autre
d'un vocatif :
- Tu m'as l'air paniqué!
- je n'ai pas peur, Marie, mais je n'ai pas envie de rester seul.
Or, la trace de l'allocutaire en tant que tel, A, dans l‘énoncé ne permet pas pour
autant d'en déduire l‘absence de 0.. Ce que l'on peut constater cependant, c'est que
l'allocutaire, en dehors du vocatif, n'y est pas présent de manière explicite. Etant
donné que même le vocatif appartient au domaine du montré, l'attribution de ce
point de vue fait partie des phénomènes de monstration.
Il s'agit là d'une généralité : en effet, dans le discours non—rapporté,
l‘identification d'un énonciateur avec une personne du discours, l'attribution d'un
point de vue par voie d'assimilation d'un énonciateur à l'un des interlocuteurs n‘est
jamais assertée. Elle ne peut pas l'être. C'est même l’un des traits fondamentaux de
ce mécanisme polyphonique. Une telle désignation relève toujours du domaine du
montré, ainsi que nos personnages de discours « L » et « A ». Aussi, malgré la pré—
sence du pronom tu dans l'exemple suivant, il ne faut pas en conclure à une assimi
lation de e] à et dont ce pronom est la trace :
Tu n‘avais pas tort, malgré les apparences.
Ce dernier aspect a probablement autant sinon plus d'importance que la
distinction entre « allocutaire en tant que tel » et « allocutaire comme être du
monde » qui est possible mais peu Opérationnelle comme critère : en ce qui con—
cerne les deux types de négations, l'allocataire lorsqu‘il y est présent, l'est de
manière montrée.
Récapitulons :
- Dans le cas de la négation métalinguistique, l'allocutaire possède la particula
rité d’être interpellé en tant qu‘ex-locuteur. Ainsi dans :
- Max a encore été promu. [e l'ai toujours trouvé intelligent, mais je ne pensais pas qu’il irait
aussi loin.
- Il n'est pas intelligent, il est studieux.
Le point de vue rejeté appartient clairement à l‘allocataire dans son rôle d'ex
locuteur.
- En cas d'assimilation du point de vue positif d'une négation polémique à
l’allocutaire, l‘attribution de ce point de vue à l‘interlocuteur peut s'effectuer
sans qu'il y ait des indices concrets de sa présence.
' Dans les deux cas, cette assimilation appartient au domaine du montré.
Nous allons examiner maintenant de quelle manière il faut envisager la pré—
sence de l'allœutaire dans les deux structures en pourquoi voulez-vous... ? Étant
donné le relatif parallélisme entre les deux types de négations et nos deux grandes
catégories, on pourrait s'attendre à rencontrer aussi l'« allocutaire comme être du
monde » comme rôle systématique de l'interlocuteur dans la « question de reprise »
et l'« affirmation clôturante ». Tel semble être le cas, car on peut faire d'emblée le
constat suivant : les deux formes se caractérisent par la présence d'un pronom per—
Chapitre 2 Pourun matez—ms que. .. ? 105
Après avoir examiné divers aspects des « questions de reprise » et des « affir
mations clôturantes », nous allons émettre l‘hypothèse qu‘il existe des structures
comparables en allemand. Dans ce qui suit, nous chercherons d'abord à déterminer
les différentes possibilités d’expression en allemand et à cerner de plus près leurs
propriétés, pour nous demander, dans un deuxième temps, dans quelle mesure
leurs caractéristiques recoupent celles des structures en français.
Chapitre 3.
Alors que J. Milner1 constate une certaine proximité avec certaines occurrences
de phrases en Wiesa... ?, spontanément, deux manières de questionner en allemand
ont attiré notre attention. En effet, il nous semble que l‘on peut traduire systéma
tiquement toute ” question de reprise " par une question en Warum soli... + reprise
textuelle + verbe sein?, alors que les ” affirmations clôturantes ” peuvent être ren—
dues par Wamm sollte...?.2 Par ailleurs, C. Cortès et H. Szabo font remarquer que
certaines interrogaüves en sultan "correspondent à un certain type de questions en
pourquoi oeux»tu que proposé par Milner (1975)" (Cortès & Szabo, 1984, p.114).
Cependant, pour rapprocher des expressions de langues différentes, il faut disposer
de résultats d‘analyses linguistiques assez précis afin de pouvoir juger d'une éven—
tuelle équivalence qui ne peut qu'être relative.
7 Ceci se comprend aisément étant donné le caractère récent de ces notions au moment de la
publication / rédaction de son article, comme elle le signale elle—même dans la note 1, page 219.
112 La représentation critique du discours de l'autre
de l'interlocuteur (ses raisons de croire) et (b), quel que soit l'interrogatif utilisé, sur
les raisons de faire de la tierce personne dont il est question. Certains de nos infor—
mateurs refusent (a2) avec l'explication suivante: weshalb ne peut porter sur la
croyance de l'interlocuteur, alors que la construction de la phrase indique claire
ment cette dernière comme centre du questionnement. (c) est plus proche des cas
d'ambiguïté en français : alors que (c1) est ambigu, en (c2), la présence de weshalb
semble faire pencher l'interprétation vers une question portant sur les raisons du
faire. En effet, ici weshalb paraît jouer le même rôle que pour quelle raison dans dés
énoncés semblables en français.
Ainsi, la conjonction des doutes exprimés sur l'exemple (a2) et des observations
concernant (c2) nous fait supposer que weshalb tend, dans des constructions com—
plexes, à faire porter l'interrogation sur la subordonnée. La présence de weshalb
dans une telle construction serait donc un indice de ce qu'il s'agit d'une cons
truction imbriquée ou enchevêtrée. En effet, pour marquer nettement qu'il ques
tionne sur les raisons du faire et non pas du dire, le locuteur peut accentuer la
seconde syllabe : Wes°hatb“.
Nous allons retenir comme hypothèse de travail que warum et weshalb corres
pondent plus ou moins aux deux pourquoi en français, respectivement le “ pourquoi
incolore ” et le " pourquoi marqué " / pour quelle raison. Ces interrogatifs semblent
même avoir un comportement semblable à celui des morphèmes français en ce qui
concerne les constructions syntaxiques complexes.
3 Il s'agit d'un phénomène semblable à celui signalé par C. Cortès et H. Szabo concernant wozu
(1984, pp. 140—141). En dehors de cette accentuation précise de Iœshalb, a notre avis incontestable,
de nombreux faits intonatoires demandent à être explorés pour les interrogaüfs. A en juger par
les divergences entre les jugements de nos informateurs, une telle entreprise nécessiterait une
vaste étude couvrant non seulement une grande diversité géographique, mais étant aussi
diversifiée que possible concernant les milieux sociologiques et les générations pris en considéra—
tien.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Warum sollæ...? 113
C. Cortès et H. Szabo décrivent wieso comme "un interrogatif qui porte toujours
sur l‘énonciation ou sur le contexte de l'échange discursif" (Cortès & Szabo, 1984,
p. 142). Par ailleurs, elles font remarquer que, contrairement aux autres interro
gatifs mentionnés ci-dessus, "il est toujours accentué sur la deuxième syllabe et il
n‘a pas de relatif correspondan " (ibid.).
J. Milner consacre une première étude systématique de type distributim‘mei à ce
sujet dans le but de parvenir à une description des "conditions d'emploi de cet
interrogatif" (Milner, 1973 b, p. 1).
1.2.1. L' “interrogatif subjectif "
Pour]. Milner, "on pourrait proposer d‘appeler wieso l' “ interrogatif subjectif "
de l'allemand" (ibid., p. 36), car elle constate une certaine proximité entre ce qu‘elle
appelle des "indicateurs d'illocution“9 et ruieso.
De telles particules "servent à ancrer l'énoncé dans son contexte conversationnel
J'ai même une fois perforé l‘os frontal de quelqu‘un. Trouvez-vous ça répugnant ?
- Mesa ? [Siefand dos uicht abscheulz‘ch. Also rturum fragte sic ?]
Pourquoi ?/Mais pourquoi ? [Elle ne trouvait pas ça répugnant. Alors pourquoi
posait—elle la question ?] (ibid., p. 2)M
En même temps, on constate qu‘il s‘agit aussi d'un trait propre au “ pourquoi in
colore ” du français qui peut porter sur l'énonciation et figurer isolément, con—
trairement à l‘interrogah‘f marqué.
Wieso peut aussi introduire une reprise textuelle, comme les ” questions de
reprise ". Avec ces dernières, les énoncés en wieso partagent systématiquement le
caractère interrogatif : "...les énoncés en wieso, qui ne sont ni une forme d‘affirma
tion, ni clôturants. C‘est qu'ils ont aussi au moins un point commun avec les énon—
cés à veux—tu forme transposée du performatif de première personne : ce sont bien
des questions, et ils demandent une justification” (Milner, 1973 b, p. 56) :
- Ich bin physisclæ Cervalt nicht germhnt.
Je ne suis pas habituée à de la violence physique.
- Wieso physischc Germlt ?
Pourquoi [dites-vous] de la violence physique ?
— Es ist physisdæ Getoult, plälzlich diesen Apparu! hercuszuzielæn.
C’est de la violence physique de débrancher subitement cet appareil. (ibid., p. 3)
Alors que wieso constitue dans les subordonnées le signe d‘un "commentaire
simultané du locuteur lui—même sur ce qu'il dit" (ibid., p. 51), elle compare ses con—
ditions d'emploi générales à celles des " affirmations clôturantes " : "pour les affir
mations clôturantes comme pour wieso... sont déterminantes l'expression subjective
d’une position du locuteur par rapport à ce que dit l’aune..., c'est—à-dire globale
ment, des valeurs faisant appel à la dualité des locuteurs, et aussi supposant, de la
part du locuteur une attitude négative ou au moins un refus d'assentiment pur et
simple“ (ibid., pp. 55—56).
Récapitulons:
- wieso constitue une expression de la subjectivité du locuteur par rapport au
discours de son interlocuteur, orientée négativement en raison de l'incertitude
du lomteur : cet interrogatif exprime une certaine attitude sceptique.
' cette attitude négative peut concerner une question précédente de l‘interlocu—
teur dont wieso peut mettre en doute la légitimité.
- en même temps, tout énoncé en wieso est manifestement tourné vers l‘allocu—
taire, dans la mesure où il maintient toujours son caractère interrogatif. Il pré—
sente donc l’interlocuteur comme en mesure de répondre, c'est—à-dire de—
tenteur du savoir nécessaire à une réponse adéquate.
Pour ce qui suit, nous retiendrons ces quelques valeurs principales dont il fau—
dra vérifier si elles sont effectivement présentes, et à quels degrés, dans les types
a. le locuteur suppose que l‘interlocuteur admet le point de vue ‘il y a une raison à x'.
b. le locuteur ne refuse pas ce point de vue.
Ces conditions d'emploi se présentent comme quelque peu éloignées de la
notion de présupposé. Ce dernier est défini habituellement comme "point de vue
d‘une communauté discursive a laquelle le locuteur dit appartenir" (Anscombre,
1990 a. p. 132).
Cependant, on peut dire que le locuteur y adhère, au moins provisoirement le
temps de son questionnement, puisqu'en interrogeant il se présente comme croyant
au moins à la possibilité de l‘existence d'une explication. Son adhésion au présup—
posé est présentée comme occasionnelle, déclenchée par le dire précédent ou le
contexte immédiat.
Pour nous, c'est l'inversion des rôles dans la prise en charge présupposîfionnelle
qui fait que wiaso porte obligatoirement sur le discours qui précède ou un élément
au moins du contexte immédiat. Si le locuteur est amené à poser la question, c‘est
16 Nous reformulons ici les conditions fournies initialement par anke sous une forme adaptée à
sa perspective véficondiüonnaüste.
118 La représentation critique du discours de l'autre
que ce qui précède le fait penser que, contrairement à son opinion initiale, de telles
raisons existent”.
Ainsi, le dire ou le faire précédent (dans un sens très large) est présenté comme
devant être provoqué par une cause que seul l'interlocuteur peut connaître, alors
que le propre locuteur est plutôt sceptique par rapport à l‘existence d'une raison
valable. C'est cette attitude que I. Milner décrit comme "l'expression d'une incom
préhension“ (Milner, 1973 b, p. 42) ou encore comme "indication subjective d‘un
étonnement" (ibid., p. 43) avec "demande (instante ?) d‘explication“ (ibid.).
Cet affaiblissement double de la base présuppositionnelle a pour effet de ren—
forcer aussi bien l'aspect 'expression d‘ignorance' de la question que celui de de—
mande de réponse sur laquelle ies interrogatives en mieso insistent particulière
ment. En ce sens, la conception de wieso comme "interrogatif subjectif" centré en ce
qui concerne son expressivité, c'est—à-dire ses aspects montrés, sur le rapport inter
personnel entre questionnant et questionné apparaît comme tout à fait justifié.
Afin d‘illustrer les conséquences d'une telle représentation, considérons son
application à un exemple concret. Pour clarifier la description des spécificités de
wieso, nous avons choisi une présentation en parallèle avec warum dans un emploi
rhétorique parce que leurs caractéristiques nous semblent être opposées sur bien
des aspects :
- Wamm hast du fin: 51013 gewamt ?
Pourquoi l'as-tu prévenu, bon sang !
- Du hast æcht. lch hätie nichts sugen sollæm.la
Tu as raison, j'aurais dû ne rien dire.
- Wieso hast du ihn gauamt ?
Mais pourquoi l'as—tu prévenu ?
- Ich hutte gehofi‘i ich kännte r'hn non seinem Plan abbñngen.
J‘espérais pouvoir le dissuader de son projet.
Dans cette question en warum... ? la présence du morphème blofl indique claire—
ment que la demande de réponse s'adresse autant, voire plus, au locuteur qu'à son
interlocuteur19 ce qui a pour effet d'orienter la question vers une seule réponse pos—
sible de type '(on a beau chercher,) il n 'y a pas de raison. ..qui puisse justifier un tel com—
pmtement'.
17 Une autre observation de I. Milner, concernant mieso dans la subordonnée, apparaît comme
allant tout à fait dans ce sens : elle remarque que sa "dimension spécifique... est d'introduire un
commentaire présentant le fait comme paradoxal (c'est—à-dire d'un commentaire comportant la
double affirmation : "tel fait ne devrait pas être, et pourtant, il est")" (Milner, 1973 la, p. 42). Il nous
semble que c'est ce même aspect paradoxal que nous situons pour la question au niveau présup—
posifionnel.
15 Exemple empmnté à I. Schmidt—Radefeldt (1993, p. 71); traduction personnelle.
19 Pour une description détaillée de la particule blofl, voir ci-dessous (4.1.).
Chapitre 3 Womm soli. .. ?/ Wumm sollæ... ? 119
22En fait, cet exemple semble correspondre très précisément à ce que R. Martin décrit comme
énoncé exclamafif contradictoire: "l‘attente que la situation donne pour contrefactuelle se pro—
longe ficfivement dans le monde actuel" (1987, p. 100).
2. Le verbe modal de la reprise d‘un discours autre : sollen
23 "Verbalisierungen..., in denen der Sprecher mittels der Verwendung von Modalverben eine
Sællungnnhme au Sätzen abgibt, die et zugleich als solche berichtet“.
2“ "x...wfll damit, daE a den assertorischen Charakter des Sprechacts...überrflmt... Diesen
Zusammeflmng 12th a nun b mit, wobei er gleichzeitig anzeigt, dafi die Absicht von x in Bezug
auf ihn, a, nicht gelungen ist.
25 ".. .die Übernahme eines Sprechacts mit derselben iflokufiven Kraft mit der x ilm versehen hat
bzw. zu versehen versucht bat."
25 "in vermittelter Form"
17 "Cabot"
122 La représentation critique du discours de l'autre
25 "unsicheren Nachrichtenquelle"
2" ">Gebot< dieser Quelle Vertrauen zu schenken"
30A certains endroits du texte, il parle d'une interprétation non—épistémique, à d'autres, d'une in
terprétation "déontique".
3‘ Pour une présentation des différentes catégories de verbes. voir Anscombre (1993, p. 276) qui se
fonde sur les classifications de Vendler et de Mourelatos.
Chapitre 3 Wamm sali... ?/ Warum sollte... ? 123
Comme indiqué ci-dessus, dans les deux cas, il s‘agit de l'articulation au moyen
de 5011211 d'”une énonciation préalable sur l‘énomiafion présente” (Gmmbach, 1981,
p.87), c‘est—à-dire sur l‘énonciation de la phrase qui comprend ce verbe modal.
Alors que cet auteur parle à propos de "sollen épistémique” de la "nature de ce pré
alable" qu’il décrit comme "une affirmation dont on ne nomme pas la source, le lo—
cuteur“ (ibid.), nous proposons d’étendre cette description à tous les emplois de
soilen à l'indicatif : ce verbe modal indique qu'il y a eu énonciation préalable sans
préciser la source de ce dire”.
C. Cortès et H. Szabo remarquent que "ce verbe... signifie que le locuteur n'est
pas la source de son dire" (Cortès & Szabo, 1984, p. 114). Elles indiquent qu'”on
trouve soilen lorsque la langue dissocie deux locuteurs distincts" (ibid.).
Par ailleurs, sollen dissocie toujours la personne correspondant à son sujet gram—
matical de la source de l‘énonciation initiale. De ce fait, il est libre en ce qui
32 Nous serons amenée ci—dessous (cf. 3. et 5.) à nous demander a propos d'exemples concrets, ce
qui peut favoriser de telles ‘réuüniscences'.
33 La seule exception semble être le cas d'un ordre réitéré par le même locuteur, car, selon
E. Grumbach la source y serait perceptible à travers l‘intonation indiquant que le locuteur assume
l'ordre lui—même (cf. Gmmbach, 1981, p. 84).
124 La représentation critique du discours de l'autre
34 Dans l'usage déontique, nous l‘avons déjà signalé, il n'est pas exclu que le locuteur réitère un
ordre donné auparavant par lui—même (et non suivi d'effet; cf. Gmmbach, p. 84).
35 Dans ce cas, l'allemand permet de marquer l’énoncé de manière univoque comme réitération
d'un ordre (par l‘intonation à l‘oral et le contexte verbal à l'écrit) sans en préciser explicitement la
source, alors que la traduction française doit œmprendre obligatoirement l'expiicitatton de la pre
mière personne du singulier dans la mesure où, premièrement, la forme impersonnelle en 011 ex
clut le locuteur luiunême, deuxièmement, la tournure être censé ne permet pas la coïncidence entre
locuteur et la source de l‘obligation et que, troisièmement, l‘usage du verbe modal demir ne
marque pas clairement la repri5e de l’impératif.
Chapitre 3 Wumm soli. .. ?/ Warum sollœ. .. ? 125
Globalement, il faut donc retenir que sultan à l'indicatif sert d‘arficulateur d'une
énonciation sur une autre dont l'une peut être interprétée dans certains contextes
comme l‘occurrence d'un impératif impossible, apparaissant donc comme absurde.
Si nous avons précisé ci—dessus qu'il s'agissait du verbe sollen a l'indicatif, c'est
qu'au subjonctif ses propriétés ne sont plus tout à fait les mêmes.
3" "eingeschränkte Geltung" : il faut donc entendre par valeur restreinte que ce qui est dit n'est
valable que sous réserve, ce qui revient à dire, dans notre conception, que le dit n'est pas entière—
ment pris en charge par le locuteur. en ce sens que le locuteur crée un univers de discours provi—
soire et le marque comme tel. '
37 Nous verrons plus loin (cf. «ci—dessous 3.) que la négativité inhérente aux questions {l‘expression
de doute ou d'ignorance) constitue un tel contexte. Dans certains contextes négatifs, le KonÏ1mkfiv
Il combiné avec sollen peut à son tour devenir un élément pourvu de négafivité conférant à la
question où il s'insère un caractère rhétorique (cf. 3., mais aussi ch. 2, 2.3.2.1).
35 "aine gewisse Einschränkung des Gebots".
3" "was häufig zu einer psychischen Enflastung der Situation führt".
126 La représentation critique du discours de l‘autre
La spécificité de sollen à l'indicatif réside, nous l'avons dit, dans ce qu'il indique
que l‘énonciation de la phrase où ce verbe figure fait suite à une première énoncia—
tion par rapport à laquelle sa valeur se détermine. Par ailleurs, il a trait fondamen
talement à un devoir ou une obligation imposés, d‘où son caractère déontique, à
degrés variables. Nous ferons l'hypothèse que sollen au Konjunktiv Il, en revanche,
conserve ce trait sans qu'il puisse être ramené précisément à un impératif rapporté :
s'il peut conserver un lien avec une énonciation antérieure éventuelle, il n‘a pas la
propriété de s'y greffer directement et ne fait par conséquent pas référence à l‘ins—
tance de cette autre énonciation, de sorte qu'il a pour effet de construire une moda
lité ‘absolue‘ détachée de tout responsable”. Il nous semble que ce que H. Weinrich
décrit comme 'décharge psychique‘ est étroitement lié à cette propriété et, par ce
biais, aux personnes impliquées dans le discours. Si un énoncé en sollte paraît plus
neutre dans un certain sens qu'un même énoncé avec 5011—, c'est qu‘avec seller: au
Konjunktiv Il les enjeux faisant l‘objet de l‘énoncé apparaissent comme indépen—
dants des personnes.
Cette espèce d'autonomie peut donner lieu - par le désengagement du locu—
teur - à deux effets oppŒés. Ainsi, sollen au Konjunktiv Il peut véhiculer l'expres
sion d‘une éventualité, ou d'une hypothèse ou, au contraire, une valeur absolue, car
indépendante d'une volonté subjective et détachée de sa source, dont la nature
reste à déterminer.
Dans ce dernier cas de figure, le désengagement semble donc avoir, paradoxale
ment, un effet objecfivisant. En effet, pour donner ou répéter un ordre, sollen doit
obligatoirement figurer au présent de l'indicatif, alors qu'au Konjunküv Il il ne
pourra servir à de telles fins. Il sera, en revanche, parfaitement adapté à la formu
lation d'un conseil, car dans ce cas, l'accomplissement ou non de l‘action recom
mandée n‘engage en rien les intérêts du locuteur :
- Sic sultan safari die Munition abholen ! Das ist ein Bejêhl !
Vous devez chercher tout de suite la munition ! C‘est un ordre !
? - Sic sallten sujbrt dit? Munition abholen. Dos ist ein Befehl !
Vous devriez chercher tout de suite la munition ! C'est un ordre !
- Sic sallten sofort die Munition abholen. Dos rate ich Umen dringend.
Vous devriez chercher tout de suite la munition I le vous le conseille vivement !
Le conseil se fonde toujours sur une espèce d‘autorité abstraite comme celle in—
voquée implicitement par une expression comme il vaut mieux. Son indépendance
du locuteur a pour effet que le même type de phrase est concevable avec le sujet à
la première personne du singulier :
- Ich sollte sofort die Munitian abholen.
4” Il s'agit en fait de la modalité aléthique (voir aussi Kerbrat—Oræchiom‘, 1978 et 1980 b, pp. 151
153).
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Wamm sollte...? 127
“Er salin lmmk sein devient il dermitfifire semblant d’être mahzde. Le conseil er salit: dumm sein n’est
interprétable que si on le comprend comme abréviation de il vaudrait mieux choisir une personne qui
est bête et le dernier exemple doit être compris comme il dawfl avoir l'intelligence de ne pas pour—
suivre la discussion.
A chaque fois on restaure donc une interprétation évitant l'interprétation du verbe d'état en tant
que tel et donc du prédicat comme état ou propriété.
128 La représentation critique du discours de l'autre
pour quelqu'un ”" (ibid., 59). Parmi les "agents vérificateurs" (ibid.) se trouvent les
personnages du discours comme le locuteur, l'allocutaire ou encore "l'avis général"
(ibid. p. 60), mais aussi "l'ordre des choses" (ibid.) auquel correspondrait une vérité
"universelle" (ibid., p. 61). Ainsi un locuteur peut prétendre parler au nom d'une
vérité personnelle (“L-vérité", p. 63) au moyen d'expressions comme à mon avis qui
signalent qu‘il s‘agit d'une vérité restreinte, mais il peut aussi évoquer une vérité
faisant l'objet d'un certain consensus, une "ON—vérité" (ibid., p. 53) et ce par exem
ple en employant des proverbes. Le cas qui nous intéresse plus particulièrement est
celui de la “ta—vérité“ (ibid., p. 63). “... il est possible de voir, au moins dans cer—
taines assertions, une prétention à la véracité : un locuteur L peut prendre la parole
pour affirmer non seulement en son nom propre, mais encore au nom du réel, au
nom du fantôme" (ibid., p. 66).
L'existence de certains marqueurs qui limitent la valeur de ce qui est dit (en in—
diquant qu'il s'agit d‘un point de vue subjectif par exemple) a pour effet 'secon—
daire' que d'autres dires en raison de l'absence d'une telle marque revêtent l'appa
rence d'une validité plus universelle“. "Certaines propositions sont telles que leur
assertion sera comprise comme le cautionnement d’une o—vérité. Lorsqu‘on les
énonce, on parle au nom du fantôme, et l'on encourt donc une double responsabili
té : la sienne propre, et celle de l'univers“3 (ibid., p. 68).
L'autorité implicitement invoquée dans la phrase déclarative avec sollte, lorsque
celle—ci n‘est pas explicitement marquée comme issue d‘un jugement personnel,
peut être assimilée à l‘ordre de l‘univers : c'est au nom d'une certaine doxa qu'il
vaudrait mieux faire telle ou telle chose de telle ou telle manière.
Ainsi, nous semble—Hi, solien au Konjunktif Il inscrit dans une phrase déclara
tive la présentation de ses énoncés par le locuteur comme appartenant à cette vérité
universelle. Si l'on peut dire meiner Meinung neck soiltest du (à mon avis, tu de—
vrais...), c'est qu‘il ne s'agit pas d'une proposition intrinsèquement susceptible
d'évoquer une L-vérité. En effet, les propositions de ce dernier type ne supportent
pas l'adjonction d'une telle formule, car elles ne peuvent pas être doublement res
treintes“.
42 Il s'agit d‘un mécanisme tout à fait semblable à celui décrit par I. Authier concernant certaines
gloses métadiscursives dont l‘existence crée par contraste une illusion d'absence de cet "univers
autre" (séminaire 1993-1994) qu'elles abordent pour le discours restant, c'est—à—dire te discours en
général.
43 Par ailleurs, l'auteur propose d'appeler ce type de propositions ” onto-aléthiques " et il les op—
pose aux " idio—aléthiques ", "cautionnement d'une bvérité“ (ibid.).
‘“ Berrendonner donne les trois exemples suivants marqués d'un astérisque (1981, p. 68) :
A mon avis, je ne me sens pas bien.
A mon avis, j'ai le cafard.
A mon avis, j‘aime les épinards.
Chapitre 3 Warum soli. . . ?/ Warum sollte. ..? 129
Tandis que les déclaratives en sollen à l'indicatif mettent en jeu l‘ordre de l‘obli«
gatoire, celles qui figurent au Konjunkfiv Il créent celui du préférable à travers cet
effet de détachement. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l'impératif a
pour condition première que ce qui en fait l‘objet n’est pas réalisé au moment de
l‘énonciation. De même, sollte. tout comme le conseil en général, véhicule l'idée de
quelque chose de souhaitable et donc de virtuel. C'est précisément cet aspect qui
est à l'origine des emplois de sultan au Konjunkfiv II pour l'expression de l'hypo—
thèse. Qu'un point de vue soit souhaitable et potentiellement réalisable, ou bien
hors de toute possibilité de réalisation, il s‘agit toujours de la construction d'un hé
térounivers.
Pour ce qui est de la phrase hypothétique, son énonciation met en place un
point de vue virtuel qui sert de cadre au discours sans qu'il soit pris en charge par
le locuteur. Contrairement au cadre présupposifionneî, le cadre hypothétique est
justement marqué comme non assumé, comme cadre artificiellement construit:
c‘est ce qui fait sa Spécificité.
Ce type d‘usage de seller: au Konjunktiv Il intervient dans les constructions con—
ditionnelles complexes, "Kondiüonal—Junküonen" (Weinfich, 1993, p. 744). Il s‘agit
de structures hypothétiques dans lesquelles la partie conjuguée du verbe figure
obligatoirement en première position :
- Sollte et intelligent sein, (se) wird er dan Streit nicht ueiterfiihnn.
S‘il est intelligent, il ne poursuivra pas la discussion.
— Sollte er dumm sein, (so)fit‘llt er bestimmf in diese Folle.
S‘il est bête, il tombera sûrement dans ce piège.
- Seille er das tan, (sa) rœrde ich nicht mehr mit ihm spæchen.
S‘il fait ça, je ne lui adresserai plus la parole.
ou encore :
Dieser aus besten Gameu hergesteflte Qualitätssfmmpf munie vor dem Verpaclæn eingeiænd
geprüfi. Sollten Sic dennoch irgendeine Beanstandung haben, senden Sie uns bitte zur Kan—
trolle diesen Zeifel mit eirr.
Cette chaussette, confectionnée a partir des meilleurs fils, a été minutieusement véri
fiée avant d'être emballée. Néamnoins, au cas où vous auriez la moindre réclama—
tion, veuillez joindre ce ticket de contrôle à votre courrier. (ticket de contrôle d'une
paire de chaussettes fabriquée en Allemagne)
C. Cortès et H. Szabo montrent que de telles constructions sont caractérisées par
un niveau très élevé d'indétermination. "La phrase conditionnelle allemande qui
exprime l'hypothèse est la plus indéterminée (la moins actualisée) des structures
liées" (ibid., 1982, p. 284).
Dans un tel usage sollte ne comporte pas d’aspect déonfique. En effet,il n'y a
Cette incompatibilité serait due à ce que la partie principale de la phrase exprime de toute évi
dence une L—vérité.
130 La représen tation critique du discours de l'autre
apparemment pas de restriction quant aux prédicats pouvant figurer dans ce type
de structure.
Le cas qui nous intéresse en particulier est celui où sollen figure au Konjunk
tiv [I dans des interrogatives partielles. Considérons quelques exemples :
- Wasfiïrchtesi du ?. .. Es ist m'emand in der Nähe and wer sollte uns auch kennen ?
Que crains—tu ? Il n'y a personne à proximité et d'ailleurs, qui nous reconnaîtrait ?
(Femandez Bravo, 1995, p. 133).
- Wieso nicht ? Wer sollte ins Ferrer gehen, menu nichter ? (Milner, 1973 b, p. 12)
Mais pourquoi pas ? Qui irait dans le feu, si ce n‘est pas lui / sinon lui ?
- Wie sollte ici! ihu kennen ?
Pourquoi voudriez-vous que je le connaisse ? (Femandez Bravo, 1993, p. 308)
- Wann sollte die Liefemng denn am besten stattfinden ?
Quand la livraison devrait—elle avoir lieu de préférence ? / Quel serait le meilleur
moment pour que la livraison soit effectuée.
- Wer sollte ihnen die Liefèmug denn übergeben ?
Qui devrait donc (de préférence) vous transmettre la livraison ?‘5
- Wer sollte denn sa dumm sein and dieses Produkt kaufcn ?
Qui serait donc assez bête pour acheter ce produit ?
La question qui se pose est, d'une part, celle de savoir s’il s'agit d'un emploi tout
à fait spécifique ou si les différents usages de solleu au Konjunkfiv II sont liés les
uns aux autres et, d‘autre part, comment il faut interpréter la présence de 5011811 au
Konjunkfiv I] dans certaines de ces structures interrogatives. S‘agit—il d'un seller:
proche de celui de la déclarative (avec la valeur 'conseil') ou plutôt du sotleu em—
ployé pour l‘expression hypothétique, c'est—à-dire d‘un sollen avec la valeur qui per—
met de mettre en place un "univers de discours autonome" (Ducrot, 1991, p. 186),
marqué comme provisoire ? N. Fernandez Bravo semble considérer le Konjunktiv I]
de sollte dans des questions telles que la troisième citée ci-dessus comme "non
hypothétique" (1993, p. 308).
Pour notre part, nous pensons que la valeur de soilte en emploi hypothétique
n'est pas foncièrement différente de celle que cette forme verbale prend dans d'au
tres configurations. La construction d'un hétérounivers, d'un cadre différent du
cadre principal dans lequel le discours se situe, peut constituer le dénominateur
commun de ces emplois.
Au vu des exemples présentés ci-dessus, il apparaît que ce type d'interrogafive
peut être formé aussi bien avec des prédicats susceptibles de faire l‘objet d‘un
45 Une autre interprétation est possible en raison de l'équivalence de formes entre sultan au pré—
térit et au présent du Konjunktîv Il : Qui était en charge de vous transmettre la livraison ? La proba
bilité d'une interprétation clôturante (Qui vous tmnsmettmit la livraison ?), en revanche, est forte
ment amoindrie par la présence de la particule modale demi.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wamm sollte... ? 131
impératif qu'avec ceux exclus d‘une phrase impérative. Cependant, l'effet de sens
dû à sollte n’est pas forcément le même dans les deux cas de figure.
Il nous semble que celles des intenogafives qui contiennent un prédicat pou—
vant faire l‘objet d'un ordre ou d‘un conseil en raison de sa nature processive
peuvent donner lieu à des énoncés pleinement interrogafifs. Dans ce cas, l'interro—
gation peut porter sur la personne, le lieu, le moment ou encore la manière opti
male dont le procès en question devrait se dérouler. L'optimum étant toujours pré—
senté comme indépendant de quelque volonté subjective que ce soit.
Parmi les exemples présentés ci-dessus, un seul semble contredire cette hypo—
thèse. En effet, le second apparaît comme contraignant clairement la réponse et ce
malgré un prédicat tout a fait compatible avec l'impératif. Toutefois, il suffit d'iso—
ler la partie à proprement parler interrogative de la phrase et l‘exemple confirme
notre hypothèse. L‘interprétation comme question hautement interrogative devient
possible :
Ci—dessous, nous allons tenter d'explorer les différents moyens que les locuteurs
ont à leur disposition en allemand pour demander la justification d'un terme em
ployé par l‘interlocuteur ou bien pour manifester plus globalement leur désaccord
par rapport au dire qui précède.
3. Existe—hi] des " questions de reprise " et des
” questions clôturantes ” en allemand ?
Pour essayer de répondre à cette question, nous allons d'abord nous appuyer
sur l‘hypothèse qu'il existe des manières, d‘une part, de questionner l‘emploi d‘un
terme et, d'autre part, d‘exprimer un désaccord de manière plus globale sous forme
d’interrogation causale“, pour ensuite eæayer de voir si la distinction que nous ve—
nons de faire a lieu d‘être en ce qui concerne l'allemand.
Tout d‘abord, nous allons tenter de cerner les différentes façons de reprendre
l‘interlocuteur concernant le choix d‘un mot dont il vient de faire usage.
Il faut se rappeler que la propriété essentielle de la “ question de reprise " était
qu'elle comprend une reprise textuelle. Par ailleurs, nous avons indiqué ci-dessus,
suite à Cortès & Szabo (1984), que sollen au présent de l'indicatif semble pouvoir fi—
gurer dans de tels contextes de reprise, d‘où notre hypothèse qu'en allemand un
moyen de s'en prendre aux mots de l‘interlocuteur, semblable à celui du français,
pourrait être une question introduite par un des interrogatifs à caractère causal et
comprenant ce verbe.
Considérons un exemple :
- Ich habe Max mi t seinem etwas schüchtemen Cousin getmfi'en.
J'ai rencontré Max avec son cousin quelque peu timide.
- Warum soif 6? schüchiem sein ?
Pourquoi dis-tu qu'il est timide ?/ Pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
« Es kam mir 50 var.
Il me semblait.
- Du täuschst dich, cr ist nur zan’ickhaltend.
Tu te trompes : il n'est que réservé,
La réponse du locuteur responsable du premier emploi de ce mot témoigne du
fait que l'interrogafive employée par L2 comporte une interrogafivité importante.
L'usage du verbe sollen au présent de l'indicatif suivi du verbe être constitue ce que
nous avons présenté, suite à divers auteurs, ci-dessus (cf. 2.1.) comme emploi épis
témique.
Nous émettons l'hypothèse que dans ce contexte interrogatif ce que nous avons
appelé l'aspect déontique 'absurde' (cf. ci-dessus, 2.1.) réapparaît, de manière certes
47 Nous entendons par interrogation causale une phrase à structure interrogative partielle
introduite par un interrogatif causal.
134 La représentation critique du discours de l'autre
très affaiblie mais néanmoins présent : une source non—identifiée lui ordonne 'd'être
timide'.“ Ce qui apparaît comme remarquable dans ce jeu modal, est que cette
source est tout de même inscrite dans le sens de l'énoncé, mais discursivement.
C‘est l‘échange qui permet d'identifier en tant que tel le premier locuteur qui est
présenté comme étant à l'origine de cet élément déonfique.
On remarque la proximité de cette constatation avec les observations présentées
au chapitre 2 (cf. 3.) concernant l'identification de l'ex-locuteur responsable du
point de vue rejeté par une négation métalinguistique.
Une variante possible est celle obtenue par la substitution de l'interrogatif wieso
à warum. Comme le précise I. Milner, un des emplois caractéristiques de cet interro
gatif est la reprise d‘un terme: “dans un assez grand nombre de cas, mieso introduit
une expression qui reprend textuellement un (ou des) terme(s) de l'énoncé juste
précédent de l'autre" (Milner, 1973 b, p. 6). Dans notre exemple, la substitution de
wieso à ruaer tend à transformer considérablement la tonalité de la question:
- Wieso sol! er schüchtem sein ?
Mais pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
Alors que la variante en 10an ne se présente pas comme particulièrement
chargée du point de vue interpersonnel, le remplacement de cet interrogatif par
wieso semble influencer la présentation par le locuteur de son positionnement
envers les éléments du discours de son interlocuteur qu'il met en question. Ce que
nous avons décrit comme attitude sceptique w exprimée à travers l’emploi de wieso
dont le pouvoir présupposifionne] serait particulièrement faible - semble être en
core renforcé dans la combinaison avec le verbe sultan. Ainsi, I. Milner considère
que "dans la phrase en wieso comportant soli, wieso correspond à l'expression d‘un
désaccord du locuteur avec le contenu de la phrase (où le soit indique un discours
rapporté, sans que celui—ci soit nécessairemth ramené à un tu précis)" (Milner,
1973 b, p. 41).
La faiblesse présuppositionnelle de 101‘350 va de pair avec une interrogativité
accrue : le questionnant cherche non seulement à obtenir une réponse, mais aussi la
confirmation qu'une telle réponse existe. Ainsi, alors que -comme il l'indique à
l'aide de cet interrogatif - fondamentaiement le locuteur ne voyait qu'une réponse
possible, le discours précédent l‘oblige à ouvrir totalement sa question et à envisa
ger une réponse dont il ignore entièrement les contours.
Dans ce cas, l'élément de mise en doute propre aux interrogations est fortement
mis en avant et a pour effet de réactiver particulièrement le caractère d'impératif
rapporté que nous avons décrit comme en quelque sorte atrophié dans les emplois
“‘ Nous préciserons la situation de ce point de vue par rapport aux autres ci-desæus à propos de
la question en wieso qui ne diffère pas de celle en immm par les points de vue mis en place, mais
par la manière dont ces points de vue sont pris en charge.
Chapitre 3 anm 5011... ?/ anm sollte... ? 135
solien au présent de l'indicatif pour ceux parmi les interprétants qui ne voient pas
dans ces interrogatifs une simple variante stylistique de worum.
Sans pouvoir porter sur l'énonciation, weswegen interroge d'une manière si pré
cise sur les raisons de ce que ce morphème introduit dans la phrase qu'il n'est
interprétabIe que dans un contexte où de telles raisons ont déjà été évoquées. Les
possibilités d'une telle occurrence sont très limitées. Il s‘agit donc d'une demande
de rappel de quelque chose et en aucun cas d‘une interrogation métalinguisfique.
Weshalb pose encore plus de problèmes d’interprétation. En effet, ou bien il est
assimilé à wamm pour les besoins d'une interprétation difficile, et interroge dans ce
cas avec une certaine insistance (peu naturelle) sur les raisons d'un dire, l'énoncia—
tion d'un terme, ou bien ce morphème porte sur les raisons, alors généralement ad
mises, des faits qui rendent une telle qualification légitime. Dans ce cas, cependant,
la manière habituelle de questionner sans ambiguïté serait celle employant une
phrase avec un autre verbe que solien 2
- Weshalb ist er schüchtem ?
Pourquoi est—il timide ?
Pour pouvoir maintenir soilen dans ce cas de figure, il faut que la question s'in—
sère dans un contexte où l'existence d‘hypothèses circulant à propos de telles rai—
sons a été abordée auparavant. Soiien devient, dans une telle interprétation, un
verbe tout à fait neutre (dire vs. prétendre; cf. ci-dessus chap. 2, 2.1.2. suite à Korzen,
1985, p. 138). Comme pour weswegen, il s’agit donc d‘un cas très marginal aux
possibilités d'occurrence extrêmement limitées. Il faut retenir néanmoins que l‘on
observe l'impossibilité de considérer, dans cette interprétation, l'interlocuteur
comme source de la première énonciation à laquelle sollen fait allusion. Weshulb, à
moins d'être assimilé à tvamm, ne peut donc pas porter sur une énonciation.
Après avoir passé en revue les quatre interrogatifs en combinaison avec seller:
au présent de l'indicatif, nous allons reprendre notre exemple en substituant cette
fois le Konjunkfiv Il au présent de l'indicatif du verbe, afin d'observer les modifi
cations introduites : -
- lch habe Max mit seinem etwas schr‘r‘chtemen Cousin getroflèn.
l‘ai rencontré Max avec son cousin quelque peu timide.
- Warum solite er schù’chtem sein ?
Pourquoi serait-il timide ?/ Il n'y a pas de raison qu'il soit timide.
- Wieso solite er schüchtem sein ?
Mais pourquoi serait—il timide ?/ Mais pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
- Weshaib sollte er schüchtem sein ?
Pour quelle raison serait—il timide ?/ Pour quelle raison veux—tu qu‘il soit timide] Il
n'y a pas de raison qu'il soit timide.
— Wesnægen solite er scht‘r‘chtern sein ?
En raison de quoi serait—il timide ?(/ Il n'y a pas de cause valable pour qu'il soit
timide.)
Chapitre3 Warum soli... ?/Wamm sollfe...? 137
Avec le verbe au Konjunktiv Il, les quatre interrogatifs sont possibles. Il nous
semble que l‘on peut regrouper wesrœgen, weshalb et warum qui créent des effets de
sens semblables en combinaison avec sollte.
Nous avons vu que soilen au Konjunkfiv Il peut être porteur de deux valeurs
différentes, toutes deux présentées comme indépendantes par rapport aux points
de vue subjectifs du locuteur et de son (ses) interlocuteur(s}.
En présence de sollen au Konjunktiv II, l‘interrogafive partielle contient donc des
instructions pour la mise en place d'un point de vue marqué comme ayant une va—
leur non—restreinte. Ce marquage conceme le point de vue présupposé - le "fan—
tôme" de Berrendonner, nous l'avons vu, se situe pour ces questions partielles au
niveau présuppositionnei — et a pour effet d'obliger le destinataire de la question à
répondre dans ce même cadre. Ainsi, la question porte sur des raisons absolues et
objectives. Qu'elle concerne le préférable ou l'éventualité refusée, cette dernière
contrainte favorise la tendance rhétorique de la question. En effet, imposer à l‘inter—
locuteur de donner une réponse à valeur universelle revient à en limiter considé—
rablement la probabilité et sert donc à indiquer que le locuteur oriente son discours
vers une simple négation du présupposé.
Or, dans l'exemple ci—dessus, il s'agit d'une mise en question d'un univers auto
nome, étant donné qu‘une interprétation processive est exclue pour le prédicat en
jeu. Nous avons vu en 2.3. que dans ce cas, l'interprétation rhétorique s‘impose. Le
degré de rhétoricité est donc maximal, car la réponse est entièrement contrainte.
On peut se demander si cette même configuration aurait des effets fondamen—
talement différents en présence d'un prédicat qui n‘a pas obligatoirement cette va
leur, c'est-à-dire pouvant être interprété comme renvoi à un conseil évoqué aupara
vant. Or, il apparaît que la question causale nécessite, d‘une part, un contexte très
particulier pour pouvoir porter sur ce prédicat même”. D‘autre part, l'interrogation
sur sollte, c‘est—à—dire les raisons qui rendent une action préférable à une autre, n‘est
pas non plus celle qui vient immédiatement à l'esprit face à une telle question.
Apparemment, l'interprétation première sera tout de même celle d'un hétérouni—
vers mis en question:
- Warum sollte er sie besuchen ?
Pourquoi irait—il la voir ?
Pour que la lecture ne soit pas celle d'un tel rejet, le contexte doit orienter claire
ment vers la possibilité du conseil. Et même dans ce cas de figure, l’interprétation
orientée négativement reste toujours possible :
- Ich habe ihm gemien sie zu besudæn.
le lui ai conseillé de lui rendre visite.
49 (sur l'idée qu'il serait préférable d'effECtuer une quelconque action en raison d‘une raison spéci
fique plutôt qu'en raison d'une autre).
138 La représentation critique du discours de l'autre
Dans ce cas, l'aspect clôturant de la réplique est encore plus manifeste. Associée
au Kortjunkfiv [I de 5011811, l'ellipse semble être une marque sans équivoque.
Contrairement au français qui néceæite souvent une suite justificative pour
désambiguïser la signification de telles propositions, en allemand l'emploi de sultan
au Konjunkfiv Il indique de manière univoque qu‘il s'agit d‘une question clôtu—
rante. Nous avons vu en 2.3 que dans le contexte interrogatif, la construction d'un
univers autonome associée à l'expression d'incertitude confère aux énoncés Conte—
nant cette forme verbale un sens de rejet de cet univers « d'où le caractère claire
ment contrefactuel de telles locutions en allemand. En plus, en cas d‘ellipse, appa—
remment très fréquente, ces dernières sont doublement marquées comme telles.
Cependant, la correspondance entre les deux types de questions existantes en
français et en allemand n'est pas entière. Une question de ce type formée à l’aide de
sallte et éventuellement elliptique est clairement clôturante, de même qu'une ques
tion avec un interrogatif de cause qui utilise ce verbe modal au présent de l'indica
tif suivi d'une intonation accentuant clairement le ou les termes en cause est facile—
ment identifiable comme équivalant à la “ question de reprise Or, à côté de ces
cas bien tranchés, on rencontre un nombre considérable de configurations qui ne
trouvent pas leur correspondant exact en français. Ainsi, certaines questions, claire—
ment clôturantes en français, peuvent conserver un caractère [auto—l interrogatif en
allemand.
L‘exemple suivant est clairement clôturant, cependant il serait impossible de le
traduire au moyen d'un seller: au Konjunktiv Il :
- Qu‘est-ce que tu dis, hein, Sylvie ?
- Qu‘est-ce que tu veux que je te dise ? C’est moche, c'est nul, c'est cheap. (Sarraute,
1994)
- > Was sali ich dazu sagen ? Es ist hùfllich, es ist oll, es wirkt billig.
50 Nous avons vu d—dessus que wieso est peu naturel dans cette position en raison de son carac—
tère interrogatif particulièrement prononcé.
51 Normalement il s’agit de wamm ou de wieso, wesha1b et ræsrægen ne pouvant y figurer dans leur
acception forte.
4. Les "particules modales" ou “Abtänungsparfikeln” dans les
questions à représentation potentiellement conflictuelle
Ces particules, fréquentesen allemand, mais aussi dans d‘autres langues, ont
fait l‘objet de très nombreuses études au cours des trente dernières années. Étant
intimement liées au contact entre les protagonistes d'un échange et leur relation par
rapport à ce qui se dit et le fait de le dire, le grand intérêt porté à leur encontre est
probablement issu de l'attention prêtée à l'énonciation et en même temps à la rela
tion interlocutive.
Parmi les multiples questions que ces particules provoquent figure celle de leur
délimitation liée à celle de la détermination de leur(s) fonction(s). Par conséquent,
leur dénomination ne relève pas non plus d‘une simple question de forme dans la
mesure où les diverses possibilités proposées au cours de cette période reflètent les
divers points de vue, le terme employé étant étroitement lié à la manière d‘envi—
sager leur fonction dans le discours.52
Alors que H. Weinrich (1993) utilise toujours, nous l'avons vu ci—dessus, le
terme "Modalparfikel" (particule modale) ainsi que W. Abraham (1995), d’autres
comme p. ex. A. Grésillon (1980) préfèrent celui de "Abtt‘mungsparfikel" créé par
Weydt (1969), et d‘autres encore emploient le terme "indicateur d'illocution",
notamment I. Milner (1973), C. Cortès & H. Szabo (1984), N. Femandez Bravo (1996
et 1995 a) et R. Métrich (1993), pour éviter toute confusion avec les "modalisateurs"
(Modalwüfler).53
52 Pour en avoir un aperçu, on peut consulter, d'une part, Weydt (1977, pp. 217—219) et Buintz
(1978, p. 32) qui relèvent et discutent un certain nombre d‘appellations proposées depuis 1962, et,
d'autre part, pour une vue d'ensemble complète, Métrich (1993, pp. 17—19) pour l'allemand et le
Lexikon der romanistisclæn Linguistik en ce qui concerne les langues romanes: cf. Held,1988,
Hoelker, 1990, Martin Zorraquino, 1992, Sctht-Radefeldt, 1994 et T'hun, 1989. Parmi les travaux
les plus récents on peut citer Femandez Bravo & Rubenach, 1995 et 1997, Künig, 1997, Laka, 2000,
Masi, 1996, Métrich, 1997, Métrich, Faucher & Courdier, 1999, Martin Zorraquino & Portolés La
zaro, 1999, Martin Zorraquino, 2000, Waltereit, 1999 et 2000, ainsi que les Nourmux Cahiers
d'allemand, 1999/2.
53 Nous tenons à signaler la discussion de cette même question de dénomination, concernant
cette-fois le portugais en contraste avec d'autres langues, par M.H. Araùjo Carreira (1997, pp. 88
91). Pour une confrontation des deux systèmes (allemand et portugais), voir A. France (1991),
ainsi que Schmidt-Radefeldt (1993 et 1994).
142 La représentation critique du discours de l'au ire
de préciser la zone où les énoncés les contenant se situent (cf. Cortès & Szabo 1984,
p. 129).
Comme nous présumons que les équivalents allemands des deux types fonda—
mentaux de questions en pourquoi voulez—vous non purement épistémiques ne se
situent pas dans les mêmes zones "d'interrogativité", comme Milner & Milner l'ont
constaté pour leurs équivalents en français, nous pensons pouvoir le démontrer à
l'aide de ces particules. Par ailleurs, les compatibilités et incompatibilités dues a
leurs propriétés diverses sont susceptibles de nous renseigner sur certaines caracté
ristiques de nos questions, ainsi que de nous permettre de délimiter plus nettement
certaines catégories ou sous—catégories.
Les particules que l‘on trouve couramment dans des énoncés qui réalisent une
phrase à structure interrogative (avec le verbe en première position pour l‘interro—
gation totale ou globale et introduite par un élément "w-" quant à l'interrogation
partielle) sont les suivants : denn, eigentlich, überhaupt, blofs’, nur, ruohl, star: et
vælleicht (cf. Fernandez—Bravo, 1993, p. 54).
Dans des énoncés à structure phrastique moins nette de type 'demande de con
firmation‘ (verbe en seconde position comme pour l'affirmative) ou d'autres "ques
tions tendancieuses" c'est—à-dire fortement orientées, on rencontre fréquemment :
auck, dock, schon, mohl, vielleicht, etwa (ibid., p. 217).
Il nous semble intéressant d'examiner en détail les possibilités d'insertion de
telles particules“ dans les types de questions que meus avons recensées jusqu‘ici
comme équivalentes des structures en français, sans pour autant exclure les ques—
tions introduites par d'autres interrogatifs, questions dont nous n'avons pas encore
arrêté le classement définitif, mais qui, en français seraient apparentées aux " affir—
mations clôturantes ”, selon]. et J.C. Milner.
4.1. Les compatibilités de ces particules avec les questions en Warum soll
C. Cortès et H. Szabo citent, d‘un côté, denn et eigenth‘ch pouvant figurer dans
des structures interrogatives, de l‘autre, euch spécialisé dans l'expression exclama
tive (Cortès & Szabo, 1984, p. 118 et sq.).
5" Nous laissons de côté stem, vielleicht et dock qui ne peuvent figurer dans des interrogatives
partielles. Le terme überhaupt (souvent traduit par somme toute, après tout, au juste ou parfois par de
toute façon) n‘est pas toujours reconnu comme particule modale. Nous avons décidé de ne pas l‘in
clure dans notre analyse pour la simple raison que - appartenant à "un même paradigme" (Fer
nandez Bravo, 1993, p. 91) - überhuupt et eigentlr‘ch ont des effets trop semblables dans les ques—
tions en Wamm sollÿ ? de scrte que l'étude détaillée du second n'apporterait pas de renseigne—
ments supplémentaires pour la problématique qui nous occupe.
Bien que la traduction en français de ces particules varie en fonction du contexte immédiat, nous
chercherons à nous limiter à une seule traduction par particule, afin de ne pas encore compliquer
l‘exposé.
144 La représentation critique du discours de l'autre
a) dent:
La caractéristique essentielle de cette particule semble faire l'unanimité parmi
les auteurs des diverses études où elle est citée. Ce terme indique que la question
est issue de ce qui la précède immédiatement, qu'il s‘agisse d‘un contexte verbal ou
non—verbal.57
C'est en ceci que denn nous semble être d‘un intérêt tout particulier pour notre
étude. En effet, cette propriété le rend, d'une part, compatible avec les questions
métalinguisfiques dont c‘est la caractéristique principale, et le rapproche, d'autre
part, de wieso, alors qu‘a priori il s‘agit de deux types de morphèmes tout à fait
différents.
On comprend alors pourquoi wieso est souvent présenté comme synonyme de
warum denn ? (cf. Femandez Bravo, 1993, pp. 66 et 303). La composante de renvoi à
ce qui précède est pour beaucoup dans la spécificité de l'interrogafif wieso et le dis—
tingue de wamm. C‘est en cela que denn peut compléter warum.
Par ailleurs, denn est souvent décrit comme marqueur du caractère interrogatif
de l‘énoncé où il s'insère. Ainsi, selon E. Kônig "denn marque une expression de
manière univoque comme acte de questionnement" (1977, p. 122).53 De même,
W. Abraham (1995) exclut l'usage de cette particule de l'ordre, de l'exclamafion et
de l‘assertion.59 L'emploi de denn comme particule modale ne serait possible que
dans un énoncé à caractère interrogatif, c’est—à-dire à demande de réponse“. Or,
d'autres l'admettent aussi dans des questions dites "rhétoriques“ (p. ex. Femandez
Bravo, 1993 et 1995, Métrich 1993 et Métrich, Faucher & Courdier, 1995) et citent
même quelques rares occurrences dans des énoncés réalisant des phrases déclara
tives (relevant d'un style littéraire) (cf. Métrich, Faucher & Courdier, 1995, pp. 74—
76).
Il nous semble qu'il faut replacer cette différence des descriptions devant
l'arrière—plan que nous avons tenté d'esquisser ci-dessus (cf. chapitre 1). S‘il y a au
57 Cl. Weydt, 1969, p. 41; Kônig, 1977, p. 119; Bublilz, 1978, p. 59; Métrich, 1993, p. 414;
Femandez Bravo, 1993, p. 59; Femandez Bravo, 1995, p. 134 et Métrich, Faucher & Courdier, 1995,
p. 66.
53 Nous haduisons de l'allemand : "Denn kennzeichnet aine Àufierung eindeutig als Fragehand
lung".
59 "Wie (il) zeigt, ist denn nicht in lmperafiven, Kundgaben und Feststeflungen verwendbar"
(P- 99)
"° Dans notre conception polyphonique, cet élément localement interrogatif correspond à un point
de vue spécifique.
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Warum solltc... ? 145
delà d'un certain type de phrase clairement marquée comme interrogative, des
phrases préfigurant des énoncés à des degrés d’interrogafivité divers ou à l'inverse
pour reprendre M. Pérennec (1995), des questions à des "degrés de rhétoficité diffé
rents"‘*‘1 (p. 112), la question qui se pose est plutôt celle de savoir si une particule a
une quelconque influence sur ce caractère plus ou moins interrogatif, ou encore,
plus ou moins rhétorique. Il nous semble que tel est manifestement le cas en ce qui
concerne denn.
Ne voulant pas classer cette particule d'emblée comme marqueur illocutoire in—
contestable, en suivant Künig et d'autres, l‘examen des dites "questions rhéto—
riques" nous semble être révélateur par rapport à cette problématique. R. Métn'ch,
E. Faucher et G. Courdier présentent l‘exemple suivant - avec une deuxième parti
cule entre parenthèses - comme question rhétorique impliquant une réponse néga
tive (Métrich, Faucher & Conrdier, 1995, p. ’73) :
- Was ha! er dent: {schonj anzubietm ?
Que peut—il donc bien avoir à proposer ?
Effectivement, cette question semble être orientée vers une réponse négative de
type Gar nichts ! (Rien I) et on aurait du mal à l'envisager comme une demande de
renseignement neutre“. Ainsi, cet exemple tendrait à infirmer l‘hypothèse quelque
peu radicale de Känig. Derm n‘apparaît donc pas comme marque univoque d‘une
question purement interrogative.
Cependant, nous aimerions approfondir légèrement l'examen de cet exemple en
juxtaposant trois de ses variantes :
- Wus hat er anzubieten ?
Qu'a«t-il à proposer ?
- Was hui er demi anzubieten ?
Qu‘a-t—il donc à proposer ?
- Was ha: er schon anzwbietæm ?
Que peut—il bien avoir à proposer?
61 "Rheborizität ist Reine dislinkthre Eigenschaft, die binär dargeste]lt werden kann, die die Frage
sätze in die disjunkten Mengen der rhetorischen und der nicht—rhetorischen Fragen einordnen
liefie : Diese Fragen weisen einen mehr oder weniger hohen Rhetorizitälsgrad auf, je nachdem ob
sich die Antwort dem Hôrer mehr oder weniger aufdrängt. Es besteht e'm Kontinuum von den
‘leichtgesteueræn‘ Fragen bis hin zu den ganz rhetoflschen Fragen" (Pérennec, 1995. p. 112). (La
rhétofldté n'est pas une propriété distinctive qui pourrait être représentée de manière binaire et
qui permettait de ranger les phrases interrogatives en deux ensembles disjonctifs des questions
rhétoriques et des non-rhétoriques : ces questions présentent un degré plus ou moins important
de rhétoricité selon la force plus ou moins grande avec laquelle elles imposent la réponse à l'allo—
cutaire. Il existe un continuum allant des questions "faiblement dirigées" jusqu'aux questions en—
tièrement rhétoriques.)
62 Il s'agit donc bien de ce que Cortès &: Szabo entendent par une question "de type 2" (1984,
p. 110), c'est—à-dire question rhétorique, demande d'assenüment, question clôturante qui s'op
posent à celle de "type I", la "demande d'information".
146 La représentation critique du discours de l 'autre
Ces trois variantes nous semblent faire apparaître tout de même des différences.
Bien que contexte et intonation puissent orienter facilement un énoncé basé sur une
telle phrase interrogative vers une interprétation rhétorique, isolément, denn sem
ble plutôt faciliter une orientation tendant vers une demande de réponse“, con
trairement à schrm qui privilégie manifestement un usage rhétorique de la phrase
interrogative. La combinaison des deux particules élargit le champ des usages pos—
sibles, mais il nous semble difficile de soutenir, même dans cet environnement spé—
cifique, que, denn aurait une influence favorable à une interprétation rhétorique.
Nous préconisons donc de voir denn comme un élément soutenant l‘aspect
interrogatif d'un énoncé et en aucun cas comme bloquant une interprétation inter—
rogative. Au contraire, denn par le fait qu’il renoue avec ce qui précède l'énoncé où
il s'insère semble même reconstruire une interrogativité partielle dans une question
à caractère globalement rhétorique et ce par un mécanisme semblable à celui mis
en œuvre par wieso. En effet, le locuteur peut signaler à travers l‘emploi de dam:
qu'il perçoit un écart entre son point de vue initial et celui de son interlocuteur
d’après le discours de ce dernier, ce qui provoque un doute. Cette expression de
doute crée un aspect interrogatif qui peut persister dans un énoncé globalement
rhétorique. Sous une forme affaiblie, il peut s'agir d‘un simple signal envers l'inter—
locuteur, lui indiquant que le locuteur n‘exclut pas qu‘une réponse de son interlo
cuteur pourrait changer son appréhension négative des présupposés inhérente à
tout usage rhétoriqu d‘une interrogative. En cela, dam: servirait dans une question
à forte orientation rhétorique à montrer à l‘interlocuteur qu‘il a toujours la possibi—
lité de se soustraire au cadre que par ailleurs le locuteur tente de lui imposer“.
Dans l‘exemple cité ci—dessus, suite à Métrich, Faucher & Courdier dam: permet
trait donc au locuteur de se montrer moins autoritaire qu‘en l'absence de cette par—
ticule.
Cette brèche ouverte ‘linguistiquement' dans le discours, peut avoir en termes
de “ persuasion ”, un effet renforçateur : l'ouverture d'esprit du locuteur qui se
montre tolérant envers les points de vue qu'il ne partage pas peut lui conférer en—
core plus d'autorité. Si sa stratégie réussit et que l'interlocuteur ne profite pas de
cette faille, l'acceptation de la part de ce dernier en ressort d'autant plus complète.
Il faut donc distinguer entre la rhétoficité qui S'oppose à l'interrogativité d'une
phrase - et qui, pour nous, fait partie de la signification, c‘est—à-dire des instructions
relatives à une éventuelle énonciation de cette phrase - et effet rhétorique, c‘est à
dire un effet de sens que va avoir l‘énoncé global dans sa réalisation et ce
67 En fait, il faut, nous semble—HL comprendre Nolke et Korzen plutôt de cette manière : l‘exis
tence d'une raison n'est que faiblement présupposée, c'est—à—dire le présupposé fort est plus ré
duit.
53 "Wesenflich für Fragen mit derm scheint auch zu sein, dafi der Fragende fest damit rechnet, daB
der Hôrer die Antwort auf die Frage weiB" ("Ce qui semble être essentiel aussi pour les questions
contenant d‘eau est le fait que le questionnant compte fermement sur ce que l'auditeur [l'allocu
taire] connaît la réponse à la question“) (Kônig, 1977, p. 121).
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sallte...? 149
59 Le temps verbal n‘a aucune influence ici ; même avec les données contextuelles au présent, la
réplique reste sous la même forme, ce qui tend à indiquer que la forme verbale sollte correspond
bien à un subjonctif Il et qu'il ne s'agit nullement d'un indicatif au prétérit :
- Wäre es nicht mëglich, daB Frau B. sich... nur wichfig machen will ? Sie ist keine sehr stabile
Persërflichkeit. Sie verstehen ?
- Warum sollte sie mir denn 50 ein Lügenmärchen erzählen,(?) das ist doch Unsinn. {Grän, 1992,
p. 129—130)
(—Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer ? Elle n‘a pas un carac
tère très stable. Vous voyez ?
- Pourquoi voulez—vous donc qu'elle me raconte des histoires, (?) c'est insensé.)
7“ Il faut comprendre ici plus précisément que l'insertion de cette particule dans cette phrase inter—
rogative sous forme elliptique est si peu naturelle qu'elle n'est pas susceptible de réalisation. Nous
verrons cependant ci—dessous (cf. 4.2.) que dans un emploi particulier, normalement plutôt en
combinaison avec wieso, dent: pourra tout de même figurer dans une telle ellipse.
150 La représentation critique du discours de l‘autre
7‘ Cette question pourrait en fait figurer en réplique à une question ou une assertion négative—
ment orientée comme par ex. Ich frage mich, 0b er es mirklich tut ? (je me demande, s‘il le fait réelle
ment .7). En effet, ce lexème confirme une orientation négative. Plus loin, nous verrons les proprié—
tés de auch plus en détail.
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wamm sollte... ? 151
paraît néanmoins bien plus naturelle avec son adjonction. En effet, le nombre d'oc
currences de ce type de phrases doit être largement plus important pour celles qui
condamnent denn.
Cette particule établit ici, comme dans tout type de phrase, la connexion avec ce
qui précède. Or, nous avons vu concernant les interrogatives que nous suggérons
de considérer comme leur équivalent français, les “ affirmations clôturantes com—
plexes”, que le fonctionnement de ces dernières repose sur un lien thématique
étroit avec la première question qui provoque cette réplique. Pour cette raison,
nous formulons pour l'instant l'hypothèse que denn sert dans ce type d'interroga—
tive à établir un lien thématique nécessaire à la représentation négative inhérente à
ces questions qui tendent à disqualifier l‘énonciation de la question initiale comme
n'étant pas justifiée.
Nous allons revenir sur la question du rôle de denn dans les structures ci
dessous dans le cadre d'une analyse plus spécifique de cette catégorie de questions
et des liens thématiques éventuels par rapport à la question qui déclenche ce type
de réplique (cf. 5.).
La deuxième particule citée par C. Cortès & H. Szabo comme propice à l'inser—
tion dans des phrases interrogafives est eigentlich.
b) eigeuflich72
Pour ces auteurs, eigenttich est complémentaire de donna dans la mesure où cette
dernière particule relie le discours à ce qui précède, alors que eigentlich "se carac—
térise par l'absence de relation avec le contexte antérieur" (Cortès & Szabo, 1984,
p. 121) et "situe [la question] par rapport à ce qui suit“ (ibid., p. 122). Ainsi, les con—
traintes sur la réponse seraient fortes : elle "doit être sincère, claire, objective...“
(ibid., p. 121). Cette complémentarité pourrait expliquer les occurrences où les
deux particules apparaissent en parallèle.
E. I(ënig aussi voit cette particule comme opposée à denn. Pour lui, elle instaure
71 Certains auteurs excluent ce lexème de la classe des particules modales (cf. Métrich, Faucher, et
Conrdier, 1993, p. 26) en raison du fait qu'il figure en position initiale dans certaines déclaratives.
il serait aussi susceptible d'accentuafion, ce qui nous semble impossible dans une structure inter—
rogative, sauf dans l‘exemple bien connu où, selon nous, eigenflich accentué se distingue nette—
ment de la particule modale non accentuée :
- Fido ist also ihr Künstlemame; und wie heifien Sie “eigenflich ? (Fido c'est donc votre nom
d'artiste; et quel est votre véritable nom ?) (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 208)
- lch kenne Sie ja schon lange, aber wie “heiBen Sie eigenflich ? (Je vous connais, certes, depuis
un bon moment; mais quel est votre nom, en fait ?)
N. Femandez Bravo fait remarquer que "combiné à la question, il présente les caractéristiques
d'une particule illocutoire" (1993, p. 74). Nous l'incluons donc, suite à CEt auteur ainsi que C. Cor—
tès et H. Szabo ou encore E. Künig, à la catégorie des particules modales dans notre étude.
152 La représentation critique du discours de l‘autre
une relation avec le contexte de par l‘indication que la "question est détachée du
contexte de l'échange ou, plus généralement, du contexte interactionnel"” (Künig,
1977, p. 123). Une question comprenant cette particule aurait toujours un potentiel
interrogatif tout en donnant une nouvelle impulsion et une nouvelle direction à
l'échange en cours (cf. ibid., p. 125 et Femandez Bravo, 1993, p. Nous allons
voir plus loin que, contrairement à ce que semblent indiquer les descriptions de
E. Kônig et de C. Cortès et H. Szabo, ce changement de direction n‘est pas exempt
de continuité. Il s'agit d'une rupture inscrite dans la situation donnée. Ainsi
Schmidt-Radefeldt (1993, p. ’74) remarque que "l'emploi de la particule eigentlich
nécessite un (con)texte antérieur ou un contact verbal déjà établi entre les locuteurs
dans une situation communicative”.
Le caractère interrogatif des questions contenant eigentlich ne semble faire
aucun doute pour les auteurs qui considèrent ce morphème comme particule mo—
dale (cl. ci-dessus note de bas de page). Métrich, Faucher et Courdier (1995)
donnent cependant quelques exemples de questions orientées et de questions rhé—
toriques où, contrairement à ce que nous avions constaté concernant denn,
l'adjonction de cette particule ne diminue nullement le degré de rhétoricité de la
question.
Considérons certains de leurs exemples d'interrogatives "exprimant une ques
tion rhétorique“ :
- Wirst Du eigentfich nie envachsen ?
Tu ne seras donc jamais adulte ? (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 205)
- Für nu'e bläd hältsl du midi eigenflich ?
Non mais tu me prends pour un imbécile ? (ibid., p. 20’?)75
En absence de la particule, ces questions semblent plutôt perdre en rhétoricité.
N. Femandez Bravo donne un autre exemple clairement rhétorique où eigentlich a
le même effet sur l‘énoncé global :
- Warum eigentlr’ch anf ein biflchen Glù‘ck dus gnn2e Leben nurten. Komm dock mal rüber.’
5pr‘elbank Bad Neuenahr !
Pourquoi dans le fond attendre toute sa vie [un peu de chance? Passe donc à
l'occasion ! Casino Bac] Neuenahr !]76 (Femandez Bravo, 1993, p. 83).
Manifestement orienté vers la conclusion ça n'a pas de sens d‘attendre - l‘infinitif
73 Eigentlich signalisiert, dafi die Frage vom Gesprächszusammenhang, oder allgemeîner, vom In
terakfionszusamenhang Iosgelëst ist.
74 "o emprego da parficula eigentlich necessita de um (con)texto anterior ou de um contacte verbal
jä estabeleddo entre os locutores numa situaçâo comurücaüva".
75 Contrairement à la traduction - tout à fait fidèle quant à la teneur globale - proposée par les au
teurs, il s'agit d’une question partielle en allemand (littéralement : tu me prends dans le fi)nd pour
imbécile à guet pÆ'nt ? )
75 Nous complétons la traduction,
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Wflmm sollte... ? 153
77 "In der rhetorischen lnterpretation bleibt der Appel] an den Empfänger wirksam, sich auf diese
verdeckte Realität au beziehen, um die Frage selbst zu beanMorten". '
75 N. Femandez Bravo arrive à la conclusion suivante : “Dans la question rhétorique, Qeigenflich
prend la valeur argumentafive de correction d'une inférence erronnée, toc incitant Alloc — renvoyé
au réel — à se rendre compte de ce qu‘il savait déjà et qui est fondamental, ce qui renforce la valeur
inversive de Q?" (1993, p. 83). Nous ignorons s'il faut interpréter la valeur innersive comme 'force
inversante' ou parallèlement à notre perspective comme 'valeur après inversement'. Dans ce se—
cond cas de figure, notre description serait tout à fait compatible avec la sienne.
154 La représentation critique du discours de l’autre
même axe : si dans une phrase où l'interrogativité de ses énoncés est clairement
inscrite, ce terme peut renforcer encore cette propriété au niveau des instructions
concernant son éventuelle énonciation, il ne renforce pas la rhétoricité inscrite dans
une phrase à orientation opposée, mais les effets conclusifs de ses énoncés respec
tifs, rhétoriques en raison d‘autres éléments.
Il nous semble qu'il faut chercher l'explication de ce comportement dans la va
leur générale de cette particule. Comme le signalent R. Métfich, E. Faucher et
G. Courdier, eigenflich a la propriété suivante en commun avec denn : "leur rôle
paraissant être de lier l'énonciation dans le cadre de laquelle elles sont produites
à la situation ou au contexte discursif... C‘est ainsi que denn semble marquer que
la question est appelée par la situation et qu‘elle s‘y insère naturellement, alors
que eigentlich, tout en Soulignant également le lien de la question au contexte (car
c'est un élément de ce contexte qui conduit à elle), signale en outre une rupture,
une réorientation du dialogue dans une nouvelle direction” (Métrich, Faucher &
Courdier, 1993, pp. 34 - 35). Cependant, ce changement n'est pas présenté comme
saut thématique anodin et arbitraire à la fois, soumis à autorisation implicite de la
part de l'interlocuteur, tel qu'il s'effectue au moyen d'un übrigens ou d'un à propos
par exemple. A l'aide de eigentlz‘ch, le locuteur se présente non seulement comme
opérant un changement de sujet, mais aussi de niveau : il se donne l'autorité et le
sérieux de celui qui pose une question de fond, susceptible de faire avancer le
débat, d'approfondir la discussion et dont la pertinence ne peut être mise en ques
tion. Dénonciation de la question est légitimée par ce qu'elle questionne ce qui était
considéré comme acquis ou "oublié" dans un arrière-plan de type thématique.
Selon N. Femandez Bravo, "eigentlich justifie [la] "rupture“, en indiquant que la
mise en débat porte sur l'adéquation du dire à une réalité fondamentale dans la
situation donnée" (1993, p. 82). Nous dirons plutôt que la caractéristique liée à l'u—
sage de ce terme est que l‘on ne justifie rien, mais pose la rupture comme justifiée.
En "problémafisant" ce qui ne l'était pas auparavant (cf. Künig, 1977, p. 125}, le
locuteur se montre capable d'élever le niveau, soit de ses propres connaissances,
soit de l'échange en cours. Par conséquent, la réponse à sa question doit être à la
hauteur de ses attentes. Ainsi, dans le cas d'une question fortement interrogative la
demande de réponse apparaît comme étant d‘une exigence d'autant plus grande
envers le questionné”, alors que pour une question à prépondérance rhétorique où
la réponse est entièrement contrainte cette pertinence autoritaire confère un effet
d'objectivité supplémentaire à la conclusion visée. On comprend donc que cette
même particule puisse renforcer respectivement deux types de questions, à ces
deux niveaux différents.
79 Ceci a pour effet d'ouvrir cette question, l‘interlocuteur étant invité à changer à son tour de ni—
veau.
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sollte...? 155
c) denn eigenflich
Suite à de nombreux auteurs“, nous avons indiqué ci—dessus, que les deux
particules denn et eigentlich se prêtent particulièrement bien à la combinaison grâce
à leurs propriétés complémentaires et ce, obligatoirement dans cet ordre : "Du fait
de leur valeur opposée du point de vue de la poursuite thématique du discours (re
lation de Qdeun? avec acte antérieur / rupture, nouveau départ Qägentlich?), denn
et eigentlich se complètent. . .. La question apparaît doublement justifiée“ (Femandez
Bravo, 1993, p. 85). Leur combinaison permet d'ancrer la question dans le contexte
antérieur tout en l'orientant vers ce qui suit et d'exercer une importante contrainte
sur cette suite, même dans le cas d'une demande de réponse à orientation ouverte.
La question qui se pose est celle de déterminer l‘influence que cette combinai
son peut avoir sur le degré d'interrogativité ou de rhétoricité de la question où ces
particules figurent en chaîne. Demi reste toujours, nous l‘avons vu, un élément au
moins localement médiateur d'interrogativité, tandis que eigentlich, ayant le même
rôle au niveau instructionnel de la phrase, peut sembler renforcer une éventuelle
rhétoricité de ses énoncés, alors qu‘en fait il s’agit d'un renforcement des effets con—
clusifs découlant d’une éventuelle rhétoricité. Le problème est de savoir si la parti
cule eigentlich conjugue ses instructions dans la phrase avec celles de demi de ma
nière à renforcer I’intenogativité de ses énoncés, ou si la coprésence des deux parti
cules donne lieu à des effets de sens moins prévisibles. Comparons les séries
d‘exemples suivants :
30 Cf. Abraham, 1995; Cortès & Szabo, 1984, Fernandez Bravo, 1993; Métrich, Faucher & Courdier,
1995, p. 208.
158 la représentation critique du discours de l‘autre
Ça ne sert à rien. Tu as raison. Mais on ne doit pas se le dire. De tout ce que nous
faisons tout au long de la journée à l‘école, qu'est—ce qui sert à quelque chose, au fait ?
- ...Von ail dam, was wir den gamæn Tag lang in der Schule tua, was dm«m bat dam: cinen
Zrœck ?
...De tout ce que nous faisons tout au long de la journée à l'école, qu‘est—ce qui sert
donc à quelque chose ?
- ...ch aII tient, tous mir der: gunzm Tag long in der Schule l‘un, was davon luit denn
eigenflich einen chk ?
De tout ce que nous faisons tout au long de la journée à l'école, qu'est—ce qui sert
donc à quelque chose, au fait?
- Wamm denn eigentlfch (tuf ein bij3chen Glù‘ck dus ganze Leben warien. Komm dock mal
n‘iber l Spielbank Bad Neuenahr!
Pourquoi donc attendre au fait toute sa vie d'avoir un peu de chance? Passe donc
(chez nous) à l'occasion ! Casino Bad Neuenahr!
Apparemment, dans la combinaison, ces deux particules ne parviennent pas
non plus à renverser la tendance globale de l‘interrogative où elles s‘insèrent lors
que celle-ci est orientée vers une interprétation rhétorique de ses énoncés. Ainsi,
dans le troisième et le quatrième exemple ci—dessus, les conclusions à tirer de l‘in—
terprétation rhétorique ressortent plutôt renforcées par la présence de deuil eigent—
lich. L'aspect fondamentalement interrogatif de denn permet de créer une ‘illusion
de libre arbitre du questionné' : interrogé, il est amené à donner 'en toute liberté' la
réponse pourtant clairement prédéterminée par la question et renforcée par la pré
Chapitre 3 Wamm soli. .. ? / Wamm sollfe. .. ? 159
d) auch
C. Cortès & H. Szabo (1984) considèrent, suite à Weydt (1969) que "l'interroga
tive partielle contenant auch est interrogative sur le plan de la forme, mais non sur
le plan du contenu" (p. 126).82 Cette particule indique qu'il faut chercher dans le
posé. Il s‘agit d'une fausse interrogation qui est presque un ordre : l‘allocuté doit trouver la ré
ponse lui—même" (Cortès & Szabo, 1984, p. 125). '
33 "... auch indique "un ajout d'un élément a un autre élément qui va dans le même sens". And:
renoue, par conséquent, avec un élément du co—texte antérieur sur lequel la question s'appuie"
(Femandez Bravo, 1993, p. 167).
34 Ailleurs (1995, p. 131), cet auteur parle de la performance clarifiante (‘désambigu‘n‘sanæ') des
particules modales dans les questions rhétoriques" ("die vereindeutigende Leistung der Modal—
partike]n in rhetorischen Fragen“).
162 la représentation critique du discours de l‘autre
- Nichf hier. ..
Pas ici...85
- Wasfiïrchæst du .7... Es ist niemand in der Nà‘he and ruer sollte uns auch lænnen ?
Que crains-tu ? Il n‘y a personne à proximité et d‘ailleurs, qui nous reconnaîtrait?
(Fernandez Bravo, 1995, p. 133).
Cependant, il faut garder à l‘esprit, qu‘en raison de son sémanfisme spécifique
exigeant une coorientation avec quelque élément qui précède et l‘orientation néga—
tive de la question à tendance clôturante, la particule auch ne peut figurer que dans
une réplique à un énoncé orienté négativement. Ainsi, l'exemple de Métrich pourra
suivre la première question, mais non pas la seconde, alors qu'en absence de la par
ticule les deux sont possibles :
- Machst du das °m‘cht ?
Tu ne le fais pas ?
- Warum sollte fch es auch tun ?
D‘ailleurs, pourquoi le ferais—je ?
- °Machsi du des ?
Tu le fais ?
- Wamm sollte ich es iun ?
Pourquoi le ferais—je ?
Une autre variante possible serait la question elliptique réduite à warum suivi
de la particule. Ses emplois sont le plus souvent“6 limités à la réplique à une ques
tion totale dont l‘assertion préalable peut être interprétée comme orientée négative
ment. Ainsi une telle question elliptique peut remplacer la question citée par Me
trich en réplique à. la question cidessus :
- Machst du d’os °nicht ?
Tu ne le fais pas ?.
- Wamm auch ?
Pourquoi, aussi ?
En ce qui concerne ces questions elliptiques, la particule auch restreint l'emploi
de la question qui, en sa présence, ne peut être substituée qu'à une question simple
à tendance clôturante (normalement en réplique à une question totale”), alors que
35 Nous traduisons.
3" Nous présentons nous—même {ci-dessous, f)) un exemple où l'interrogation n'est que sous—ja—
cente : Ichfürchæ er kaufi nicht ein. - Wamm mu:h ? (je crains qu'il ne fasse pas les courses. - Pourquoi
les ferait—ü, aussi .7).
37 R. Méh‘ich, E. Faucher et G. Courdier donnent un exemple où la question tu- auch ? suit un
constat (cf. Métrich, Faucher & Conrdier, 1995, p. 84). Cependant, le premier tour de parole de l‘é—
change peut facilement être transformé en question totale sans que la réplique devienne moins
compatible. Par ailleurs, il est intéressant de constater que les auteurs ont choisi de laisser trans
paraître le caractère clôturant de la question en auch dans la ponctuation déclaratiw contraire—
ment a l'exemple contenant la particule dem1 où le point d'interrogation est maintenu, alors que la
traduction en français ne réflète pas ces nuances.
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Warum soilte...? 163
d'autres particules (wohl, schon) la spécialisent dans la réplique à une question par
tielle pouvant figurer à la place d'une question clôturante complexe.
Quant aux effets de l'insertion de la particule met: dans des questions à reprise
littérale, ils ne sont pas tout à fait nets. Nous reprenons nos exemples«types :
— Dieses neue Millet ist wirkiich gui.
Ce nouveau produit est vraiment bon.
- Wamm soli das auch Heu sein ?
Pourquoi veux-tu aussi qu’il soit nouveau ?
- Wieso auch neu ? Das gibt es schrm ganz lange.
Mais pourquoi nouveau, aussi ? Ça existe depuis bien longtemps.
- Der dumme Lili taucht bestimmt ufieder im ungünsfigsten Moment hier auf.
Cet imbécile de U. va certainement surgir ici à nouveau au pire moment.
— Wieso mach dumm ?
Mais pourquoi imbécile, aussi ?
- Warum soli er auch dumm sein ?
Aussi, pourquoi veux—tu qu‘il soit un imbécile ?
Ces exemples semblent difficilement interprétables à moins de glisser vers une
interprétation où auch devient adverbe“. Manifestement, l’adjonction de catch en
tant que particule modale pose problème dans ce type de question, ce que l‘on
pourrait prendre comme confirmation de leur caractère clairement interrogatif.
Cependant, l‘exemple suivant montre que cette impossibilité est due à l'absence
d'un élément coorienté. En présence d'un tel élément - en l‘occurrence le verbe dis—
puter qui oriente vers l‘idée de mauvaises relations, de même que la qualification
qu‘exprime L1 —, auch s‘intègre plus facilement dans la question. L‘insertion de ce
morphème en réduit, en revanche, fortement le degré d'intenogafivité”:
- Ich lube mich schon wieder mit dem dummen Uli gestrifæn.
Je me suis disputé encore avec cet imbécile de U.
- Wamm uuch dumm ? /- Wamm soli er auch dumm sein ? [Kein Wunder, du}? ihr nicht mit
einander reden kämri !]
Mais pourquoi aussi imbécile ? /— Pourquoi d’ailleurs veux-tu qu'il soit imbécile ?
[Ce n‘est pas étonnant que vous ne puissiez pas parler l'un avec l‘autre !]
Vu ces contraintes, alors qu'il n‘y a pas d'incompatibilité nette”, cette particule
est peu maniable en tant que "test“. Cependant, elle peut servir à démontrer l'orien—
33 Pour le second p. ex. : Wamm ...audz dumm sein? Dajl erfiflsch ist ...(Paurquoi veux-tu qu‘il sait
imbécile aussi ? On sait qu'il est hypocrite.)
3" Un indice de l‘accroissement important de la rhétoricité par auch est le fait que l‘on ne peut
substituer wieso à wumm dans cet exemple.
90Les questions elliptiques à tendance clôturante constituent une exception : leur compatibilité
avec cette particule peut indiquer que le contexte respectif exclut toute clôturante complexe. C’est
grâce à cette complémentarité avec watt! et schon que la particule ranch peut être utile connue élé
ment révélateur de certaines configurations.
164 La représentation critique du discours de l‘autre
tation globale d‘un échange. Par ailleurs, il faut retenir qu’elle a, dans une certaine
mesure, vocation à fonctionner comme médiateur de rhétoflcité, notamment dans
les questions elliptiques réduites à l‘interrogatif suivi d‘une particule.
Maintenant, nous allons voir les effets que peut avoir la combinaison de cette
particule avec denn comme effet sur les phrases où cette paire figure.
9) dam: auch
De la même manière que les effets de denn eigentlich se présentent pratiquement
comme addition des influences respectives de chacune de ces particules modales,
denn auch semble joindre les propriétés des deux particules et ce malgré les carac
tères opposés d'une grande partie de leurs fonctions : nous avons décrit denn
comme fondamentalement porteur d'interrogafivité et auch comme plus propice à
s'intégrer dans un environnement rhétorique ou, dans quelques configurations pré—
cises, à servir de médiateur, si ce n'est de marqueur de rhétoricité dans cet envi—
ronnement‘”.
Par ailleurs, la particule auch indique que la question où elle s‘insère est coor
donnée à un élément du discours qui précède. Étant donné que parmi les questions
qui font l'objet de cette étude ce morphèrne est avant tout compatible avec les ques
tions clôturantes simples, des questions à caractère réfutatif, cet élément coorienté
doit obligatoirement avoir une orientation négative, quelle que soit sa nature.
En combinaison, les deux particules semblent systématiquement renforcer ou
au moins appuyer l'interprétation rhétorique. On pourrait y voir une contradiction
directe avec notre description de denn. Or, il nous semble qu'il ne s‘agit pas d‘une
objection réelle pour notre description de ce morphème qui concerne sa significa
tion linguistique dans la phrase et se situe donc au niveau des instructions données
pour la mise en place d‘énonciateurs au moment d‘une énonciation.
L'effet de renforcement d'une orientation issue de sa rhétoricîté se trouve à un
niveau tout autre : c’est justement parce que l'interlocuteur montre une ouverture
vers une réponse indéterminée dans sa question que du point de vue de la persua—
sion celle—ci aura d'autant plus de poids.
R. Métrich, E. Faucher et G. Courdier décrivent la fonction des deux particules
combinées de la manière suivante : "denn souligne le lien entre l’énoncé et le con
texte en amont ou la situation ambiante ; auch marque la conformité ou la concor
dance du contenu relaté dans l'énoncé comme situé dans le prolongement logique
du premier" (1995, p. 88). S‘agissant de nos questions à orientation négative, on
peut facilement repérer le ou les éléments que la question prolonge :
91 c'est—à—dire à introduire l'instruction dans la phrase que ses énoncés sont à interpréter comme
question rhétorique : si l‘on oppose warum auch ? à mur-nm dznn ? on est amené à considérer la par—
ticule auch conune marqueur de rhétoricité pour cette construction précise.
Chapitre 3 Warum soli ?/ Wamm sollæ... ? 165
' en monologue :
- Die gleiche jagd mufl dalær heute die Tiare rÜllig ausrotten. Aber dus sieht sa leichi kein
einfacher schwarzer Därfler ein. Wamm sollte er dam auch einsichtt‘ger sein als unsere
aumpäischen Varfidrren oor eim’gen ]ahrhunderten ?
C‘est pourquoi cette même technique de chasse ne peut que conduire à la disparition
totale des animaux. Mais le simple villageois africain ne comprend pas cela si facile
ment que ça. P0urquoi serait-il d‘ailleurs plus lucide que nos ancêtres européens d'il
y a plusieurs siècles ? (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 91)
' en dialogue :
- Das hast du mier grir nicht erzählt !
Tu ne me l‘avais pas dit.
- Warum dam: mach ? Als oh des uu‘chtig gflœæn wäre l
Et pourquoi l‘aurais—je fait ? Comme si cela avait de l'importance ! (ibid, p. 92)
Pour ce qui est du premier exemple, la particule auch indique que la question
prolonge la négativité inhérente au morphème kein, denn souligne le mouvement
interrogatif et confère donc un certain relief à une question pourtant clairement
marquée comme rhétorique.
De même, dans le second exemple, la présence de denn introduit une interpella
tion renforcée de l'interlocuteur dont l'absence de réponse, en accord avec auch, ac—
quiert par ce biais une pertinence renforcée. '
Dans ce qui suit, nous allons essayer de compléter notre liste de critères pos
sibles en y ajoutant une autre particule, proche de auch selon certains auteurs.
1’) schon
Pour N. Fernandez Bravo, "schon est l'indicateur le plus net du caractère rhéto—
rique, mais ne peut malgré cela être qualifié d'indicateur illocutoire et ce en raison
de sa polyfonc’cion.rtalité“92 (1995, p. 130). Cependant, il est des emplois, et notam—
ment en question partielle, où le rôle de cette particule nous semble être sans équi
voque Z
” "Schon ist der deutlichste Anzeiger des rhetorischen Charakters, kann aber trotzdem nicht
wegen der Polyfunktionalität als illokutiver Indikator bezeichnet werden.
93 “...sans la particule, l'énoncé serait perçu comme réalisant une véritable demande d'informa
tion; avec, il équivaut à une affirmation péremptoire de l’ignorance de la personne visée par er. La
particule est... seule en cause et sa fonction illocutoire particulièrement nette“.
166 La représentation critique du discaurs de l’autre
94 En dehors de l‘intérêt que ces exemples peuvent avoir pour démontrer les effets de la particule
sclron dans une interrogative partielle, nous tenons à attirer l’attention sur ce qu'ils confirment sys
tématiquement la tendance non exclusive que nous avons signalée ci—dessus (3.) : les questions in
troduites par d'autres interrogatifs que les causaux contiennent le plus souvent solien au présent
de l‘indicatif et non pas au Konjunkfiv Il contrairement aux clôturantes causales.
95 "In rhetorischen Fragen dienen die Modalpartflœln nicht als Anzeiger der rhetorischen Bedeu
tung, sondem bloB als deren Verstärker. Sie induzieren meistens nicht selbständig Rhetorizität.
Das gilt selbst für auch/schær in W—Verb—Zweit—Fragen. Eine solche Anzeigerfunkfion ist nur in
den eflipfischen Formeln wie wo auch ? [tuer schcm ? in reaktiven Fragen unbestreitbar".
168 La représentation critique du discours de I ‘flutre
95 En ce qui concerne la forme elliptique Warum- schon ?, cependant, cette spécialisation semble
être avérée.
Chapitre 3 Wamm sali... ?/Warum sollte...? 169
3) nur/ 111013
Les auteurs qui citent ces particules mettent toujours une valeur générale en
avant qui semble être commune à l'adverbe connecteur, à la particule de mise en
relief homonymes, ainsi qu'à la particule modale : "... les effets produits par blofl
particule modale semblent toujours dérivables de la valeur d‘exclusivité conçue
comme portant sur la pertinence de l'énoncé“ (Métrich, Faucher & Courdier, 1995,
97 Ce problème se pose pour plusieurs exemples français classés par Milner & Milner (1975) dans
la catégorie des questions de reprise et ce probablement en raison de la présence d'une reprise
textuelle, alors que ce choix nous semble erroné. En effet, la reprise textuelle est une condition
nécessaire parmi d’autres propriétés des questions de reprise, mais à notre avis elle n'est nulle—
ment suffisante, ce que d'ailleurs les auteurs n'affirment pas non plus eux-mêmes.
‘33 Nous ferons ensuite encore un petit détour par wohl, bien que sa compatibilité avec muni m soll-?
semble se réduire à une série de formes bien particulières.
170 La représentation critique du discours de l'autre
p. 63) que l‘on peut donc considérer comme la valeur fondamentale du mot.
L‘énoncé est toujours présenté comme "la seule chose qui importe présentement au
locuteur“ (ibid.). Le renvoi à l‘énonciation en cours est donc très manifeste.
N. Femandez Bravo précise : "Blofi/nur montrent dans la question d‘informa
tion, que le locuteur se limite dans la question posée à un minimum dont la con
naissance est la seule et unique qui lui importe. Cette restriction dans l‘exigence de
savoir est dans l‘interprétation rhétorique suffisante pour favoriser l'interprétation
inversive“99 (1995, p. 134). _
Nous dirons qu‘en se restreignant à son unique question présentée effective—
ment comme peu étendue, le locuteur lui confère une pertinence extrême. Portant
sur un strict minimum, l'insistance sur ce minimum ignoré devient d'autant plus
forte et ce manque d'autant plus grave. Il en découle l‘expression de son désir de
combler ce déficit. Concernant les questions partielles“, la description de R. Mé—
trich va tout à fait dans ce sens. Selon l‘auteur, nur/ blofi marquent “à quel point le
locuteur aimerait connaître la réponse; la question peut paraître n'être qu'une
exclamation exprimant le désir de savoir et n‘est pas nécessairement adressée à un
interlocuteur" (1993, p. 478).
Le locuteur attire ainsi au moyen de blofl/nur l‘attention sur son ignorance pro
fonde et émet un vœux de changement de cette situation. Ce qui fait la particularité
des questions contenant ces particules modales est, selon nos observations, le fait
que l‘insistance sur ce manque cognitif ou épistémique est telle qu‘elle supplante
entièrement la demande de réponse.
Le rapprochement opéré par R. Métrich entre les questions partielles contenant
une de ces deux particules et l‘exclamafion semble tout à fait justifié. L‘exclamation
faisant partie des énonciations "montr " (Ducrot, 1984, p. 151), c'est—à-dire "arra
chée[s] par une émotion ou une perception au locuteur” (ibid., p. 152), nous semble
être justement caractérisée par l'absence de demande de réaction
N. Femandez Bravo aborde cet aspect des questions en mur/bief! en le présen—
tant comme propre d'un certain nombre de sous—catégories : "La traduction de
l'attitude épistémique apparaît aussi dans la question délibérafizœlm.... Les particules
bloji et nur apparaissent ainsi dans la question simplement émise, de caractère ex
pressif, soupir de forme interrogative sans attente de réponse proférée, [oc se con—
tente de soulever une question d‘importance pour lui“ (1993, p. 106).
99 "Blofl/nur zeigen in der lnformaüonsfrage, dafi sich der Sprecher bei der gestellten Frage aui
ein Minimum einschränkt, au.f dessen Kenntnis es dem Fragestefler einzig und allein ankommt.
Diese Restrikfion irn Wissensanspmch genügt bei der rhetofischen Interprétation, um die nega
tive Umdeutung zu favorisieren".
100 310}! / nur ne peut figurer dans une interrogative globale.
101 Comme précise l'auteur : "Question orientée vers une action, sans réponse immédiate marquée
par la configuration : W—soll ich. . . / Soit ichr H ?" (1993, p. 106, note ‘70) (Que dois-je... ?/ Dois—je... ?).
Chapitre 3 Wnrum soli... ?/Wamm sollte...? 171
10’- Nous avons déjà fait allusion à l‘utilisation de ce type de "test" par C. Cor-tés et H. Szabo (cf.
1984, pp. 128-134).
172 La représentation critique du discours de l‘autre
De nouveau, l'enchâssement par ich frage mich/er fragt sich semble bien plus
naturel qu‘un rapport de la question comme adressée à une personne différente du
premier locuteur. Considérons une telle transformation à l‘intérieur d‘un échange :
- Was hast du nur/bIofl heute ?
Mais qu'as—tu donc aujourd‘hui ?
- Was hast du gesagt ?
Qu’es-tu dit ?
- lchfmge midi (habe midi gefiagt) rues du nur/blofl heu te hast.
Je me demande /]e me suis demandé(e) ce que tu peux bien avoir aujourd'hui.
Nous pensons pouvoir affirmer que même dans un tel exemple concernant
clairement un interlocuteur présent, la question ne se présente pas comme s'adres
sant à lui. Il s'agit d’un "renforcement institué par blofs’, par quoi le sujet de l‘énoncé
"extéfiofise" sa tension vers la recherche de la vérité" {Femandez Bravo, 1993,
p. 107). La question fait savoir que le locuteur n'entrevoit pas la réponse ce qui peut
facilement donner lieu à un renversement vers un fort degré de rhétoficîté. Le locu
teur peut céder — à l‘opposé de la recherche d'une réponse - a la conclusion que ce
manque est du a l'inexistence d'une réponse correspondant au présupposé de la
question. La question devient alors rhétorique.
J. Schmidt-Radefeldt donne l’exemple suivant d'un emploi clairement rhéto—
rique :
- Wamm hast du 17111 blofl gewamt ?
Mais pourquoi donc l'as-tu prévenu ?
- Du hast mcht. lch hätte nichts sagen sultan.
Tu as raison. le n’aurais du rien dire. (Schmidt-Radefeldt, 1993, p. 71)1œ
Dans ce type de question où l‘interlocuteur est de toute évidence le mieux placé
pour pouvoir répondre, nur/blofi devient un élément médiateur de rhétoflcité. Le
fait de retirer à la question partielle l'interpellation de l’allocutaire pour détourner
la question vers le propre locuteur - qui est de toute évidence moins bien renseigné
pour justifier le comportement de son interlocuteur - en fait une question fictive et
annule toute possibilité de réponse différente de celle correspondant à l'interpréta—
tion rhétorique.
Ainsi, nous proposons de considérer nur/ bion systèmetiquement1m cOMe
marquant au niveau de la signification le fait que la question s'adresse au locuteur
m3 Traduction personnelle.
10" Parmi les exemples que N. Femandez Bravo donne dans lesquels ces particules s'intégreraient
dans une demande de renseignement, se trouve le suivant qui pourrait faire douter de notre ana
lyse: Wo nehmeu Sic blofl der: permanenten Hangar f‘IET ? Cependant, à l‘exemple en question on
peut facilement substituer lch frage midi 100 Sic ce qui semble être la solution la plus naturelle
au discours Ces possibilités de substitution ne constituent en aucun cas des preuves,
mais elles permettent d'envisager la solution proposée.
Chapitre 3 Wurum soli. .. ?/Wflrum sollte...? 173
“5 C‘est ainsi que nous envisageons l‘exemple cité par N. Femandez Bravo à la page 105.
106 Pour une définition de ce type de particules, cf. Métrich, Faucher & Courdier (1993, pp. 15-20).
Ces auteurs les décrivent sous l'appellation particules de mise en relief. Ces mots se distinguent
nettement des particules modales dans la mesure où ils ne portent pas "sur l‘ensemble de la
phrase où ils figurent, mais seulement sur l'un de ses membres..." (p. 16).
Il“'On remarque la proximité en allemand de la question de reprise : Pourquoi veux-tu que...
[Pourquoi dis-tu...? du Pourquoi dit—on...?. En effet, ce n‘est que discursivement que l‘interlo—
cuteur est marqué dans ce type de question en allemand. C'est cette directivité discursive que
bloque eut/l:qu.
174 La représentation critique du discours de l'autre
ou bien il cherche à maintenir par tous les moyens l'interprétation habituelle pour
Warum soli suivi d‘une reprise textuelle (traduction b). Dans ce cas, il ne peut consi
dérer nur/blofl comme particule modale“. La question explicite en wieso, en re—
vanche, n‘est absolument pas ambiguë : cet interrogatif semble enlever toute possi
bilité d‘interprétation de la particule comme modale.
Ainsi, on constate que d‘une part, l‘interprétation de nur/blofl comme particule
modale n‘est pas compatible avec son insertion dans une question métalinguis—
tique. D‘autre part, la particule modale semble ne pas pouvoir figurer en dépen
dance de wieso. Cette dernière observation apparaît comme cohérente avec les des—
criptions que nous avons présentées de l'interrogatif et de ces deux particules. En
effet, wieso exige la présence d'un interlocuteur - qui peut certes être fictif, mais qui
doit être distinct du loéuteur —, alors que nar/blofl marque ce que nous avons appe
lé l'auto-questionnement. Il n'y a rien d'étonnant alors à ce que leurs propriétés si
opposées entraînent une incompatibilité complète.
Leurs possibilités d‘insertion dans des questions en Wamm 5011—? à tendance
clôturante méritent en revanche un examen plus approfondi.
Considérons tout de suite quelques exemples :
- Wäre es nicht mäglr'ch, du}? Fraa B. sich... mir an‘chtig machen will ? Sic ist keine sehr stabile
Pemänltchlæit. Sie mrstelæn ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer? Elle n'a
pas un caractère très stable. Vous voyez ?
w Warum sollle sie mir nur/blofi so ein Lügenmr‘irchen erzählen, das ist dock Unsinn.
Pour quelle raison pourrait—elle bien me raconter des histoires ? C‘est insensé !
- lch befi'irchte, du}? er sein Abr‘tur nicht schafi‘t.
Je crains qu‘il ne réussisse pas son bac.
- Wamm sollte cr nur/blofi durchfallen ? Fleÿiig wie cr ist schajj‘i ares.
Pour quelle raison pourrait il bien rater son examen ? En s‘appliquant comme il le
fait, il réussira.
Dans les deux exemples, l'adjonction de nur/bloj3 apparaît comme peu natu
relle. D'une part, l'interprétant ne peut arriver aux interprétations glosées par les
traductions qu‘au moyen d‘un certain effort cognitif, c‘est—à-dire après avoir écarté
en faveur du contexte l'interprétation de nur/ blofl comme particule scalaire, d‘autre
part, l‘effet d'insistance sur une question que le locuteur se poserait lui—même est
peu compatible avec l‘idée d‘une réponse allant de soi que véhicule la question en
maer 5011-? à tendance clôturante.
En ce qui concerne les questions partielles clôturantes mais non causales, elles
semblent être plus facilement compatibles avec ces particules modales :
103 Si l‘intention du second locuteur correspondait à cette dernière interprétation, dumm devrait en
fait être accentué. Par ailleurs, il faudrait s‘imaginer un contexte quelque peu complexe ou alors
interpréter ce nur/blofl (seulement) comme ironique. ‘
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wm'um sollte...? 175
11) wohl
Cette particule modale semble pouvoir être décrite d‘une façon très générale
comme marqueur de la conjecture, s‘opposant ainsi par exemple à dock qui, au con—
traire, signale une certitude présentée comme partagée :
- VVir merder: ilm wohl haute
Nous allons probablement le rencontrer aujourd‘hui.
- Wir merdzn ihn dock haute irefiiæn.
Mais puisque nous allons le rencontrer aujourd‘hui.
Ce qui nous paraît intéressant pour notre propos, est le fait que cette marque de
supposition et donc de subjectivité concerne dans la déclarafive le locuteur qui
relativise sa prise en charge du point de vue véhiculé par son énoncé, alors que
dans une phrase interrogative, c'est la réponse qui est visée par cet indicateur. Au
moyen de ses énoncés, i‘allocutaire est invité à donner son avis, une réponse sub
jective.
176 La représentation critique du discours de l'autre
Dans la question, wohl porte donc sur un discours futur et virtuel, c'est-à-dire
sur l‘attitude de celui qui sera en charge de l'énonciation à venir.109
Cette propriété générale se manifeste aussi bien dans des questions partielles
que globales. En raison de cette propriété, on peut exclure ce terme d'emblée du
groupe des particules modales compatibles avec les questions en Wrier sollg? avec
reprise littérale. En effet, on ne peut demander 'son avis' sur l‘adéquation d'un
lexème à un allocutaire qui vient de I'employer et donc de l'assumer implicite»
ment :
- Der dumme Uii...
C'est imbécile de U....
- Warum soit et wohl dumm sein ?
Pourquoi veux-tu qu'il soit un imbécile [à ton avis] ?)
Cette réplique n‘est pas concevable en tant que telle. En revanche, le même
énoncé adressé, en tant que commentaire sur l‘énoncé du premier locuteur, à une
tierce personne ne pose aucun problème :
- Wamm sol! er woh1 dumm sein ?
Pourquoi peut—il bien être imbécile, à ton avis?
Cependant, il ne s'agit plus, dans ce cas, d'une question métalinguisñque.
Quant aux questions à tendance clôturante, les raisons de l'incompatibilité se si
tuent à un tout autre niveau. Par ailleurs, cette incompatibilité ne concerne que ce
type de questions sous forme explicite. A priori, on ne voit pas comment un tel
marquage de la subjectivité autorisée et même requise pourrait être concilié avec le
fonctionnement de sollte qui impose justement un cadre présenté comme exempt de
subjectivité. Ainsi les exemples suivants nous semblent peu naturels :
- Wäre es nicht mäglich, dafl Frau B. sich... nur michtig machen mil! ? Sie ist keine sehr stabile
Persänlichkeæ‘t. Sie tærstelæn ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer ? Elle n'a
pas un caractère très stable. Vous voyez ?
- Wamm sollte sie mir wohl soein Lügenmärchen erzählen, das ist dock Unsinn.
Pourquoi voulez—vous qu‘elle me raconte des histoires - à votre avis ? C'est insensé !
/ Pour quelle raison, à votre avis, elle me raconterait des histoires ? C'est insensé !
- Ich befürdate, daj3 er sein Abitur nicht sehafi‘t.
Je crains qu'il ne réussisse pas son bac.
- Warum sollte er wohl durchfallen ? Fleÿ8ig mie er ist sclwfit er es.
Pour quelle raison, à ton avis, raterait—il son examen ? En s'appliquant comme il le
fait, il réussira.
10" On peut constater un phénomène semblable pour le français: I'adverbe d'énonciation flanche—
ment introduit des instructions concernant une qualification de l'énonciation éventuelle, lorsqu'il
s'insère dans une déclarative, tandis que dans l'interrogative, il perte sur la réponse à venir en ré
plique à ses énoncés (cf. Franchement, j'y suis pour n‘en r'vs. Franchement, c'est t‘ai qui refait ça ?).
Chapitre3 Wamm soll...?/anm sollie...? 177
“0 C‘est nous qui traduisons. L‘auteur propose une traduction partielle : "d‘où, tu imagines?“
1" Dans ce contexte, le mot photo serait probablement fortement accentué (intonation ascendante),
ce que l'on pourrait traduire en français par D’après la photo, évidemment !.
178 La représentation critique du disconrs de l'au tre
similaire à celui de schon, mais que la réplique est ressentie comme "moins agres—
sive" (ibid.). C‘est sans doute pourquoi il a préféré éviter ici la traduction par Qui
veux-tu que... ?.
A notre avis, il existe effectivement une différence de tonalité entre une ques—
tion elliptique contenant 100111, et celle marquée au moyen de schon. Cette dernière
particule indique clairement, nous l‘avons signalé, le caractère clôturant ou affirma
tif de l'énoncé où elle figure. Wohl, au contraire, en raison de sa qualité de marque
de subjectivité (tournée vers l'interlocuteur en contexte interrogatif}, invite l‘interlo—
cuteur à chercher lui—même, à supposer une réponse, alors que simultanément, le
locuteur disqualifie cette même question comme visant une réponse qui va de soi.
Ainsi, la configuration de la question partielle elliptique contenant la particule mo—
dale wohl constitue de toute évidence un moyen spécifique pour construire une
image disqualifiante de l‘interlocuteur et de son discoursm.
Elle ne peut cependant figurer qu‘en réplique à une question partielle qu'elle
reprend telle quelle. Comme nous l‘avons constaté pour la particule schon, wohl ne
s‘insère que dans la question elliptique correspondant à une "clôturante complexe".
Suite au constat de proximité avec schon, on pourrait espérer pouvoir répondre
à la question restée en suspens à propos de l‘incompatibilité de schon avec la forme
elliptique contenant sollte grâce à l'observation des occurrences de wohl. En effet,
wohl tout comme schon, ne peut figurer dans la question sous cette forme.
Cependant, nous ne pouvons en déduire quelque règle générale que ce soit dans la
mesure où wohl est de toute façon, nous l'avons vu, incompatible avec sultan au
Konjunktiv Il en dehors de l'emploi particulier décrit ci-dessus, emploi ne pouvant
correspondre à la question sous forme elliptique.
Nous pensons néanmoins qu‘il s‘agit d‘une caractéristique générale indépen—
dante de ces particules qui pourtant en sont révélatrices : en fait, la forme elliptique
contenant sollte semble être spécialisée dans l'expression correspondant à une “af—
firmation clôturante simple" tandis qu‘aussi bien 10011! que schon sont plus facile
ment compatibles avec Ia variante complexe, ce qui ressort d'autant plus nettement
en contexte elliptique. Il en résulte la bizarrerie accrue de la réplique suivante en
présence de l'une des deux particules, sachant qu'en leur absence, elle apparaît déjà
comme peu naturelle en raison de sonst qui empêche l'interprétation comme “clôtu
rante simple“ :
- Hat er das aus Rachsucht getan ?
L‘a-t-i] fait par soif de vengence ?
- Warum suffit et sonst ?
Pourquoi sinon ?
m Pour être tout à fait précise, nous devrions utiliser la formulation quelque peu lourde pour
construire une image disqualÿ‘iante de l'interlocuteur à travers la construction de celle de son discours.
Chapitre 3 Womm soli. .. ?/ Womm sollte...? 179
Dans ce qui précède, nous avons cherché à déterminer avant tout les compati—
bilités entre les particules modales citées et les deux types d’interrogatives causales
pouvant correspondre, d'après nos premières observations, aux ” questions de re
prise ” et aux ” affirmations ciôturantes " du français.
Ce faisant, nous avons considéré wamm comme interrogatif standard neutre
pouvant être remplacé par wieso dans les questions en sultan à l'indicatif sans que
cela entraîne des changements fondamentaux, les différences se situant au niveau
de l'intensité de l'interpellation de l‘interlocuteur. Cette manière de procéder nous a
permis de saisir les tendances générales concernant les particules modales par
rapport à ce type de questions. Elle a cepenth pour effet d‘exclure systématique—
ment de nos considérations les structures plus complexes et par conséquent plus
rares.
Ainsi, nous avons signalé par exemple que la combinaison de wieso et du verbe
50112:: au Konjunktiv Il est possible, mais chargée du point de vue interpersonnel.
Dans ce qui suit, nous tenterons d‘étudier rapidement quelques effets particuliers
dus à des combinaisons plus exceptionnelles. En effet, les phénomènes plus margi
113 Nous ne voyons pas de h'aducfi0n apte à remplir cette 'case vide‘.
114 Nous reviendrons ci—dessous (cf. 5.) sur la présence de la particule modale derm dans ce type
de structure.
180 La représentation critique du discours de l'autre
— Wieso sollte site mir schon sa ein Lügenmärchen erzählen ? [rænn sie nichts damit zu tun
hätte.l
Pourquoi me raconterait—elle des histoires ?[si elle n‘avait rien à voir dans l'histoire]
- Glaubst du er schafii‘ die Prfifimg ?
Crois—tu qu'il réussira son examen ?
- Wieso sollte er auch durchfallen ?
Pour quelle autre raison raterait—il son examen ?
Les particules nur/blofl, en revanche, ne figurent jamais dans ce type de confi
guration en raison de leur incompatibilité profonde avec wieso (cf. 4.1 g)).
Par ailleurs, nos informateurs refusent aussi la combinaison de 101‘250 avec schon,
wohl et auch en construction elliptique wieso + particule, alors que ce type de cons
truction est fréquente avec denn :
. Wieso dam: ?
Mais pourquoi donc ?
- Wieso wohl ?
???
- Wieso blofl/nur ?
???
- Wieso schou ?
7??
Ce fait renforce notre conviction que dans la construction elliptique, les proprié—
tés spécifiques de chaque particule modale se cristallisent d‘avantage.
Avant d‘aller plus en avant dans notre analyse, nous allons tenter de récapituler
les propriétés principales de ces particules modales en ce qui concerne les types
d'interrogatives donnant lieu aux questions partielles particulières qui font l'objet
de notre étude.
[Il faut lire pour "°" 'insertion'. Elle peut être possible "+" (il y a compatibilité)
ou impossible "-" (il y a incompatibilité). Dans les cas de compatibilité appa
rente (insertion possible, °+) on peut se demander si cette insertion donne lieu à
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wamm sollte... ? 183
wieso
100,
wer, salit—2’
etc. (soli
wie, ?
clôt)
0+ o+
a- 0+ 0+
9+ 0+
9+ 0+ 0+ 4_
0+ o_/b+
o_ 0+
(clôt.discurs.)
°+
0+ o-04» ' 0+
a-
? (ellipt.
warum salit—.7
?/ wieso (clôt.
)
°+ °+ 0 0
ellipt.)
0+]
o?+ °+
0+ °+/
o_ 0...]
o_ o+ °0.
0+] °+/
o_ 0+/
n_ 13+,
o_
warum
sollt-? (clôt)
°+ 0+ °+ 0+ °+ 0+/0++ °+ 0. °+ O 0+ O?+
0+
/
o_
+
(métaling. ellipt.
ou
wieso
+ text.? compl.)
°+ ‘ °+ . °+ 0.
O_/+
9+
(métaling.
wamm ?
+text. ellipt.)
°+ 0.. °+ 0 °+ .
o_/+ -+
soit
wamm (métalingJ
?
t+ext.
qui précède ne peut être mise en place qu'au moyen du mécanisme que nous avons
appelé ci-dessus le rejet d‘un hétérounivers (cf. 2.3) et qui est attaché à ce mode. La
question 'Worum sollst immer du die Blumen kriegen ?' apparaît comme difficilement
acceptable dans ce contexte précis dans la mesure où elle est interprétée comme
une reprise directe ou un discours rapporté, alors qu'il n'y a pas trace dans le con—
texte immédiat d'un discours source pouvant être l‘objet de ce rapport.
On peut s'interroger sur cette relation au discours déclencheur en ce qui con—
cerne les questions qui supportent, et requièrent même pour certaines d’entre elles,
le verbe sollen au présent de l'indicatif, c'est—à-dire celles introduites par un inter
rogatif autre que causal. Si l‘on regarde notre exemple en zoo, on remarque que
l‘existence d'un endroit où aller peut être considérée comme sous—thème de celui
du départ, alors qu'il n'y a pas de reprise directe (mêtalînguisfique). Ainsi, le pre—
mier locuteur est immédiatement identifié comme étant à l‘origine de la modalité
véhiculée par sailen. Nous émettons l‘hypothèse qu'il s‘agit là d'un trait général
concemant cette catégorie de questions : elles peuvent contenir sallen au présent de
l‘indicatif sans qu'il y ait forcément reprise textuelle dans la mesure où leur thème
est clairement compris comme sous—espace induit par le discours qui précède"î
Pour comprendre ce lien thématique systématique qui distingue ces questions
des questions causales clôturantes simples, il faut revenir à la distinction de Korzen
(1985, 1990 et 1996) entre les éléments constituant la "phrase élémentaire", la
"phrase centrale" et la “phrase entière“ (1985, p. 38). L'auteur décrit les membres de
la phrase élémentaire comme l'objet direct, l‘objet indirect ou encore les adverbiaux
de temps et de lieu par opposition, entre autres, aux adverbiaux de phrase qui
s‘attachent globalement à la phrase. Elle situe ce qu'elle nomme "les adverbiaux de
relation causale“ à un niveau intermédiaire, c’est-à-dire la "phrase centrale“ ou
"macro—drame" (ibid.). D’un côté "l'adverbial de cause... peut constituer le point de
départ d'une question partielle de la même manière que les membres de la phrase
élémentaire“ (ibid., 1990, p. 78), mais de l'autre, diverses propriétés divergent nette
ment“°.
Si les questions portant sur un élément appartenant à la phrase élémentaire
peuvent comporter le verbe sollen à l'indicatif, renvoyant au discours qui précède
immédiatement sans qu'il y ait reprise textuelle, c'est qu‘elles présentent ce type
d'éléments comme appartenant au thème du discours précédent, ce qui est légitimé
en quelque sorte par le "caractère essentiel" (Korzen, 1985. p. 58; 1990, p. 66) de ces
“5 Ce lien direct explique la grande fréquence de la particule modale tient: dans ce type de ques
tion.
“‘5 La différence entre "pourquoi à présupposé fort" et “pourquoi à présupposé faible" que nous
avons repris au second chapitre repose, selon Korzen, sur ce statut intermédiaire qui permet au
locuteur de choisir son point de départ, intégrant ou non l‘existence d‘une cause dans l'univers de
discours commun propre à l‘échange spécifique.
190 La représentation critique du discours de l'autre
éléments.
Pour ce qui est des questions complexes, étant donné qu‘elles présentent
comme allant de soi un point de vue mis en question par l’autre, l‘objet du quesw
tionnement doit obligatoirement avoir été thémafisé auparavant pour pouvoir
donner lieu à une telle réplique, d’où la possibilité de l'occurrence du verbe à l'indi—
catif. Un indice du fait que l‘élément en question fait partie de l'univers de l’é—
change est la possibilité de substitution de rocshalb à wamm pour ce qui est de la va
riante causale, alors que cet interrogatif est porteur d'un présupposé fort et incom—
patible avec le verbe 5011811 à l‘indicatif dans les questions métalinguisfiques (cf. ci—
dessus 3.).
Dans ces deux types de questions, la présence du verbe seller: au présent de l'in—
dicatif s'explique, comme pour les questions métalinguistiques, par ce qu‘elles
constituent une énonciation articulée sur une autre. Cette première énonciation
peut, selon le prédicat en question et le contexte, être représentée sous la forme
d'un "impératif absurde", comme nous l'avons déjà indiqué. S'agissant d'éléments
en lien thématique étroit, le point de Vue rejeté au moyen de la question est facile
ment attribué à l'interlocuteur en tant qu‘ex-locuteur.
Le mécanisme menant à une rhétoficité fréquente n'est pour ces questions pas le
même que pour les clôturantes causales simples. La conclusion voulue est atteinte
à travers un questionnement réel qui s‘ensuit de l'interpellation directe de l‘inter—
locuteur. Nous parlons d'un questionnement réel en ce sens que l‘interlocuteur y
tient une place importante : la question est réellement adressée.
En fait, contrairement aux questions partielles contenant sollen au Konjunktiv Il,
celles qui comprennent ce verbe à l'indicatif n'ont pas comme propriété intrinsèque
de favoriser la lecture rhétorique.
Plusieurs cas de figure sont possibles :
' le verbe à l‘infinitif peut être incompatible avec l‘impératif, dans ce cas l‘effet
de la mise en question sera semblable à celui que nous avons observé en ce
qui comerne les questions à reprise métalinguistique. La question maintient
un pouvoir interrogatif très faible tout en possédant une forte tonalité néga
tive exprimant le scepticisme du locuteur qui montre une distanciation claire
par rapport à une position qu'il présente comme peu crédible.
- lorsque le verbe est susceptible de figurer à l‘impératif, la question peut être
tout à fait neutre, comme elle peut exercer une contrainte tellement forte que
le répondant aura du mal à éviter la réponse que le questionnant prévoyait.
Dans ce cas, ce n'est que le contexte qui permettra de décider à laquelle des
deux l'on a affaire, mais le locuteur peut aussi essayer d‘exploiter justement
cette ambiguïté.
Les exemples suivants illustrent les trois cas décrits ci-dessus :
Chapitre 3 anm soli... ?/Warum sollte...? 191
- "impératif absurde":
- Wic ist dir zumute ?
Comment te sens-tu ?
- Wie sol! mir zumute sein ? HCh kann es nicht länger ertragen.]
Comment veux-tu que je me sente ? [Je ne peux le supporter plus longtemps]
- Welche Laus ist der demi äber die Leber gelaufen ?
Quelle mouche l’a piquée (, celle-là) '?
- Woher soli ich dus missen ? (Grän, 1991, p. 75)
Comment veux—tu que je le sache ?
- Das klingt stark nach ein2m Poliflker.
On dirait que vous parlez d’un homme politique.
- Sic lmben dan Nage! auf den Kopf geirofiim. Was soi! einer [in Boum] schon sanst sein ?
(Grän, 1991, p. 52)
Vous avez tout compris. Que peut-on être d'autre {à Bonn] ?"7
"7 On remarque que pour cet exemple particulier dans lequel la question n‘est pas employée de
manière polémique, la traduction par une question en ...mkz-tms ne semble pas convenir en
raison de son caractère fortement marqué.
192 la représentation critique du discours de l'autre
11“ Nous n‘en présentons pas l'étude pour l‘allemand, car l'apport par rapport à ce que nous
avons vu quant au français serait peu important. Néanmoins, il faut préciser que ces deux types
de négations semblent bien constituer des catégories valables pour l’allemand qui possède même
la conjonction sondeur spécialisée dans l'opposition entre une négation métafinguisfique et la recti—
fication du point de Vue nié. Cette possibilité de transposition ne va pas de soi. Elle reste à ex
plorer en ce qui concerne la négation descriptive que l‘allemand semble souvent lexicaliser.
“9 Ci—dessus, nous avons présenté un exemple contraire à cette généralisation (cf. question 3 à im
pératif absurde). Cependant, il suit un autre énoncé où le locuteur explith l‘orientation confir—
mative de son propos, alors que sans cette précision la question serait à interpréter comme signe
d'une attitude négative envers le discours déclencheur.
6. La présence de l'autre dans les questions à représentation
potentiellement conflictuelle
”) Un aide-mémoire avec un exemple pour chaque catégorie se trouve à la fin de cette section.
Chapitre 3 Wamm soll ? / Wamm sollte...? 195
même en tant qu'ex-Iocuteur responsable de l‘énonciation qui est mis en cause par
le questionnement.
A l‘opposé des questions métalhguisfiques, nous avons étudié les questions
clôturantes simples dont la rhétoficité est inscrite dans la phrase par le verbe seller:
au Konjunkfiv 11. Leur fonction consiste en la dénégation d'un point de vue éven—
tuellement attribué à l'interlocuteur, mais présenté indépendamment de toute res—
ponsabilité individuelle. Comme la négation polémique, une telle question ne porte
aucune trace d'une éventuelle interpellation de l'interlocuteur ne serait—ce que dis—
cursive. Bien au contraire, sollte impose à la question un cadre présenté comme ob—
jectif, détaché des protagonistes de l'échange.
Lorsque ce type de question est employé en dialogue, souvent comme réponse
négative à une question, elle sert à nier indirectement un point de vue sous—jacent
au discours de l'interlocuteur: elle se présente comme véhiculant un argument in
dépendant auquel la réponse éventuelle, normalement virtuelle, doit aboutir obli
gatoirement.
En raison de cet emploi caractéristique et en utilisant ce terme dans un sens
large, nous allons considérer la "question clôturante simple“ comme question réfu—
tative. Si l'on se fonde sur une définition large de la réfutation comme dénégation
justifiée, on peut tirer ce parallèle. En effet, la réfutation semble être généralement
caractérisée par ce qu'elle s‘oppose de manière argumentée à un certain point de
vue : "Réfuter, c'est présenter un argument soit comme rejetant ou repoussant une
certaine conclusion, soit comme bloquant le mouvement argumentafif qui ferait
tirer une certaine conclusion" (Losier, 1989, p. 109).12l
Comme la réfutation, l'opposition inhérente à la question réfutative porte sur
l‘énoncé ou un point de vue véhiculé par cet énoncé, mais jamais sur l'énonciation.
Ainsi, l'interlocuteur lui—même ne peut être mis en question de manière directe par
la question réfutative.
Une de nos hypothèses générales, nous l‘avons indiqué au premier chapitre, est
que la tension conflictuelle entre les interlocuteurs s‘accroît parallèlement à l’inté—
gration des protagonistes comme enjeu du discours. C’est pour cette raison que
nous n‘avons pas retenu l'appellation "question polémique“ pour nos questions l‘é
futatives : il ne va pas de soi que ce type de questions constitue, de ce point de vue,
la catégorie la plus marquante.
L'absence d’implication de l'interlocuteur dans l'image négative de son discours
distingue anssi la question réfutative de la très particulière question de défi,
12‘ Nous ne prétendons nullement que ces questions correspondent à la définition plus restreinte
selon laquelle réfuter, c'est I'démontrer la fausseté d'une affirmation" (Larousse, 1990, p. 534). Il
s‘agit de la présentation de la question par le locuteur et non pas de son effet ‘réel' (voir aussi,
ch. I, 1.4.1).
196 La représentation critique du discours de l'autre
question en salles au Konjunkfiv Il introduite par tuieso. Cette dernière associe une
interpellation de l'interlocuteur, dans son rôle de ex-locuteur, à une rhétoricité forte
due à la présence de seller: au Konjunktiv 11.
Le troisième type de question contenant ce verbe au Konjunktiv Il comporte la
même tonalité 'objectivisante' que la question réfutative, mais au lieu de nier, une
telle question va confirmer comme unique possibilité un élément donné qui était
mis en doute dans le discours précédent. Il s‘agit de la question clôturante causale
complexe en solite. Comme son orientation négative tend fondamentalement vers
l‘affirmation d'un élément précédemment thématisé, et ce de manière distanciée,
nous l'appellerons question réaffirmative.
A côté de ces questions qui puisent leur caractère clôturant dans la forme ver—
bale employée, nous Venons de voir une série d'interrogations qui semblent être
proches des questions réfutafives et des questions réaffirmatives en raison de leur
tendance clôturante, mais dont l'étude révèle des propriétés assez divergentes par
rapport à ces dernières catégories.
Qu'elles soient identifiables Comme fortement rhétoriques dès le niveau phras
tique ou que ce ne soit qu‘en discours que leur caractère clôturant ressortm, leur
fonctionnement repose sur un mécanisme entièrement lié à l'interaction : elles ne
peuvent apparaître que dans une parole qui se présente comme dialogique.
En fait, la présence de sollen au présent de l‘indicatif rattache clairement ces
questions au discours qui précède immédiatement. ce qui a pour effet d'intégrer
l'interlocuteur en tant que responsable de ce dire dans la qualification négative
indirecte qu'elles comportent. Elles peuvent avoir une fonction réaffirmative ou
bien nier un élément présenté comme découlant du discours de l'interlocuteur.
Dans tous les cas de figure, dans l‘acception clôturante“—‘, le renvoi à l'énonciation
du discours autre a pour effet d'en déprécier l'auteur.
Pour la variante réaffirmative, le premier locuteur a énoncé une question ou ex
primé un doute qui n‘avait pas lieu d‘être : son énonciation manquait de perti
nence. Quant à la variante qui conclut à l'absence d'une raison, d'une manière, d'un
endroit ou d‘un7moment propice, elle présente l'énonciation précédente comme
vaine, car l'absence d'un tel élément essenfieIm l'invalide en entier.
Les questions clôturantes qui contiennent le verbe sollen à I'indicatif”—5 portent
donc tantôt uniquement sur l'énonciation, tantôt à la fois sur l'énonciation et sur
l‘énoncé. C‘est cette particularité qui fait que l‘expression négative qu‘elles véhi
culent englobe en même temps le responsable de cette énonciation, l‘interlocuteur.
Aussi, les considérons-nous comme questions digualifiantes.
Les deux grandes classes retenues initialement se subdivisent donc en cinq
grands groupes de catégories que nous fixerons de manière quelque peu schéma
tique :
hautement rhétorique est une vraie question a laquelle l'interlocuteur peut répli—
quer par une réponse.
Pour expliquer la différence entre les deux types de questions qui sont toutes
deux clôturantes, il faut revenir à leurs mécanismes respectifs qui leur confèrent ce
caractère, car ces mécanismes sont différents. Pour cela, il convient de se rappeler
le schéma tripartite de l‘interrogation dans la perspective polyphonique : un pre—
mier énonciateur correspond à un préalable ou un présupposé qui se trouve au
centre du questionnemenfl”, un second énonciateur exprime l’ignorance (pour les
questions partielles) ou le doute quant à ce premier point de vue, et un troisième
demande une réponse. Il nous semble que les questions comprenant le verbe solIen
au Konjunktîv 11129 seraient à représenter avec ce troisième énonciateur suspendu, y
figurant uniquement en raison de la forme interrogative de l‘énoncé et avec une
fonction tout à fait virtuelle”°, ce qui mène globalement à une conclusion qui nie le
présupposé de ces questions.
En revanche, dans les questions disqualifiantes, le renvoi à une autre énoncia—
tion clairement identifiable comme émanant de l'interlocuteur a pouneffet d'inter
peller ce dernier directement. Ainsi, la demande de réponse lui adressée ne peut
s‘effacer. Aussi, ces questions peuvent contenir des éléments renforçant ce dernier
énonciateur comme la particule modale derm ou l'interrogatif wieso‘”. Le locuteur
réalise donc pleinement l‘interrogation à travers la sommation exigeant une ré—
ponse, alors que, simultanément, il suggère la seule réponse possible à ses yeux.
Par conséquent, on peut considérer que la contrainte sur la réponse et donc sur
l'interlocuteur est aussi forte que lorsqu‘il s'agit des questions réfutatives et réaffir—
mafives, mais l‘interlocuteur est pris à partie de manière bien plus véhémente:
d‘une part, parce qu'il est présenté comme prenant la réponse pleinement en
charge, et, d'autre part, en raison de ce que cette même réponse le prend à partie, le
disqualifie dans son rôle d‘ex-locuteur.
123 Si, pour les questions totales, le point de vue préalable est mis en question, pour le présupposé
des questions partielles, ce n‘est que l‘identité d‘un élément issu de ce présupposé qui fait l'objet
du questionnement.
12" Nous considérons toujours cette forme verbale comme marque principale favorisant la rhéto
ricité de ces questions. Un élément qui tend à étayer cette hypothèse est le fait que les questions
réfutaüves et réaffirmatives elliptiques sans ce verbe sont apparemment fondées sur le second
mécanisme rhétorique, c'est—à—dire celui qui fonctionne par le questionnement actualisé aboutis
sant à la réponse prédéterminée.
13" Certes, un interlocuteur rebelle peut toujours l‘éveifler en l‘actualiser“: par une réponse.
‘31 Mäeso qui affaiblit de surcroit - nous l‘avons constaté - la position du premier énonciateur en
attribuant sa prise en charge fondamentalement à l'interlocuteur, au moyen d'une présupposifion
'du bout des lèvres'.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/ Warum sollœ... ? 199
mécanismes qui sont à l'origine de ces catégories. Dans ce type de question, le sans,
c'est—à-dire, la description que l‘énoncé donne de son énonciation, véhicule, entre
autres éléments, une caractérisation du rôle que l'interrogation entend faire jouer à
l'aliocutaire.
200 La représentation critique du discours de l'autre
- question de défi :
Wieso sollle denn ein Syslem Lob oerdienen, das Arbeitszwänge, Vennassung, Desorienfie
rang produziert ?
(Der Spiegel, 1994, n° 8, p. 7)
Pourquoi roulez—vous qu'un système qui produit des contraintes liées au tramil, la dissolu
tion de l‘individu dans la masse et la désorientation mérite des éloges ?
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sollte...? 201
Aber ïuo soli ein Vumgir dznn fisclæs sü&s Bluf herkn‘egen, roerm dmuflen l’est oder Cho
leru tobt ? Wärr man in einem Hotel, 50 kännte mon nach dem Room Service klinchn und
dann liber tien Kellner herfallen.
(Der Spiegel, 1994, n° 49, p. 184)
Mais où voulez-vous qu'un vampire se procure du bon sang frais, si au dehors la peste ou le
choléra fait rage ? Si l‘on était dans un hôtel, on pourrait appeler le semice et se jeter alors
sur le serveur. '
Pieronek: Le Pape fermera les portes à ceux qui veulent dépasser (25 bornes. C'est son
devoir.
Spiegel : Mais il fait le contraire: il continue :‘2 resserrer les limites; il infléchit l'esprit du
concile du Vuticun dans un sens consenmteur...
Pieronek: Pourquoi voulez-vous que nous intenenions contre le Pape, qui constitue la plus
lulu le autorité spirituelle et morale ?
Spiegel : ...le Pape veut réduire la liberté de conscience du croyant et régenter son comporte—
ment jusque dans le lit conjugal.
Considérations Finales
Perspectives
Considérations finales et perspectives
La première était guidée par le souci de cadrer les domaines dans lesquels notre
problématique s'insère - à savoir la représentation du discours de l’autre, le dis
cours oppositif et le questionnement -, afin de saisir les différentes approches pos—
sibles, de manière à pouvoir formuler notre propre perspective, ainsi que les types
de problématiques à traiter, et afin d'émettre nos premières hypothèses.
Le choix de travailler sur des structures opposifives de forme interrogative im
posait d'emblée un point à élucider: ayant constaté dans nos recherches prélimi—
naires sur des énoncés de tous ordres, que l'interrogation constitue manifestement
un moyen fréquent et apparemment 'efficace' pour s‘opposer à autrui, la recherche
d‘éventuelles raisons d‘une telle prédilection, à première vue 'contre nature‘, nous a
amenée à intégrer la perspective de la politesse linguistique, et de ses conséquences
sur les choix linguistiques des sujets parlants, dans notre propos.
Un autre pôle relié à ce premier est la question de la polémicîté. En effet, il ne
nous semble pas être du ressort de la linguistique d‘établir une échelle des degrés
d'une propriété reposant sur une notion difficilement définissable par des critères
linguistiques. Toutefois, il n‘est pas exclu que des indices linguistiques concrets1
puissent constituer le reflet de phénomènes ressentis de manière intuitive par les
sujets parlants engagés dans l‘interlocution - phénomènes relevant de l‘ordre de ce
que, positivement, A. Auchlin désigne par le terme de "bonheur conversationnel"
(voir, entre autres, Auchlin, 1994).
i Ainsi, M. Gare] s‘interroge aussi sur des différences, de ce point de vue, entre le mais dit "d'op
position directe“ et son “usage indirect" (1995 a, p. 175).
206 La représentation Critique du discours de l'autre
Une autre perspective prise en considération est apparue à partir des études
concernant la représentation du discours de l'autre en général. Nous avons vu
qu'un axe possible pour rendre compte de ces phénomènes est celui de l'explici
tation de l‘attribution du discours ou du point de vue à autrui, qui peut être effec
tuée de manière plus ou moins assumée.
L'examen du domaine du questionnement nous a fourni l'arrière-plan
nécessaire pour pouvoir formuler notre propre hypothèse, à l'intérieur du cadre
théorique choisi, concernant l‘interrogation et ses rapports avec des phénomènes
connexes traités dans diverses approches.
son discours dans ces questions du français a fait apparaître, malgré le parallélisme
établi avec deux types de négations -métalinguistîque et polémique - que, con—
trairement à la négation, ce type de question n‘attribue pas à l'interlocuteur un
point de vue autonome dans le schéma énonciatif, mais semble être proche de la
description que donne 0. Ducrot du discours rapporté. "...le rapport... n‘exprime
pas le point de vue rapporté, mais l'intègre au seul point de vue exprimé, qui est
celui du rapporteur: l'origine du point de vue rapporté ne joue donc pas le rôle
d'un énonciateur mais d‘un objet à l'intérieur du point de vue du rapporteur, seul
ênonciateur“ (1989, p. 188).
En ce sens, ce type de question seraient à mettre en relation avec ce que I.
B. Chang, 1993, considère comme rapport asserté et qu'elle oppose au rapport mon—
t;é qui est de nature polyphom‘queï
Nous avons abordé la troisième partie avec certaines notions élaborées par rap—
port au français comme, par exemple, la distinction entre les deux interrogatifs
pourquoi et celle entre présupposé fort et présupposé faible qui s'y attache. Toute—
fois, ne voulant pas calquer exactement la même approche sur l'étude de l'alle
mand, nous avons fait le choix de ne pas nous priver des particules modales
comme moyen heuristique.
L'examen des interrogatifs de l'allemand a révélé que weshalb et warum pour
raient être considérés comme proches du couple pour quelle raison /pourquoi. Par
ailleurs, l’étude confirme le statut particulier de Mesa, déjà constaté par I. Milner.
Ce qui semble être remarquable est la configuration présuppositionnelle instaurée
par cet interrogatif, qui repose sur un rôle prépondérant assigné à l'interlocuteur.
L’étude des deux formes du verbe sollen, qui figure dans ces questions, soit au
présent de l‘indicatif, soit au "Konjunktiv Il“, a révélé l‘importance du type de pré—
dicat qui dépend de ce verbe. En effet, la compatibilité ou incompatibilité de ce
verbe avec l’impératif est de première importance pour l‘interprétation des ques—
tions contenant sollen. Dans la plupart des configurations, un verbe suivant sollen
compatible avec l'impératif rend plusieurs lectures possibles, alors que les verbes
incompatibles favorisent clairement la lecture rhétorique. En combinaison avec
sollen au présent de l'indicatif, ils constituent ce que nous avons appelé un "impé—
ratif absurde“, pour le “Konjunktiv Il“, nous avons parlé du “rejet d‘un hétérourfi
vers".
L‘étude des combinaisons possibles, entre, d‘un côté, les particules compatibles
en général avec l‘interrogation partielle, et, de l‘autre, un certain nombre de ques—
tions en W— 5011—... ? — nombre du à l‘éventail d‘interrogafifs possibles et à la possibi—
lité des deux formes différentes du verbe sollen -, nous a permis d’affiner le classe—
3 Cependant, l‘élément pouvant émaner d'un rapport de discours fait partie d'un point de vue
présupposé : il n'est donc pas non plus asserté. Son statut reste à déterminer avec exactitude.
208 La représentation critique du discours de l'autre
4 Il s‘agit alors de ce que M. I-I. Araûjo Carreira décrit comme "isosémie“ (1997, p. 156) entre diffé—
rents éléments.
Considérations finales et perspectives 209
0 Nous avons pu constater que certaines particules ont pour valeur intrinsèque
d'accentuer la rhétoricité, alors que d'autres, au contraire, introduisent l‘inter—
rogativité et s'opposent de ce fait à la rhétoricité.
° En revanche, c’est au niveau stratégique que nous plaçons les effets de sens
produits par l'énonciation. Parmi ceux—ci se trouve ce que l'on pourrait appeler
l'effet persuasif, à savoir l‘habileté et l'efficacité avec lesquelles le locuteur im—
pose son point de vue.
' C‘est à ce niveau qu'il faut comprendre, selon nous, l'effet 'renforçateur‘ de
certaines particules intrinsèquement enclines à soutenir une tendance oppo
sée. Ainsi, par exemple, la particule dam: ne renforce pas la rhétoricité de la
question, mais elle peut, dans certaines configurations et notamment dans la
combinaison avec schon, renforcer l'effet persuasif de la question en donnant à
l'interlocuteur une apparente liberté de réponse. C'est l‘effet persuasif de la
question: la réponse qu‘il donnera, si elle va dans le sens de la rhétoricité,
prendra d'autant plus de poids qu‘elle sera inscrite dans l‘espace de liberté ou
vert par denn.
Cette distinction ainsi établie nous semble être primordial pour le traitement de
ce type de questions. Nous pensons qu‘il s'agit d'un mécanisme général en langue
qui pourrait être illustré pour le français à travers d'autres types de configurations.
Ainsi, plutôt que de contribuer à la définition de "la question rhétorique", nous
nous sommes efforcée de montrer qu'il n'y a pas de telle question, mais des ques
Les différents types d‘observations qui ressortent de notre analyse font donc ap
paraître plusieurs pôles d'intérêt qui mériteraient un examen plus approfondi con
cernant l‘allemand : les particules modales semblent marquer des rôles très précis
assignés aux personnages du discours, le statut des instructions qu'elles mettent en
place reste à explorer. S’agit-il d'une espèce nouvelle que l‘on pourrait appeler des
méta-topoï qui précisent le rôle à accorder à chaque protagoniste de l'échange ?5
Le parcours effectué à travers cette étude apparaît, au-delà des conclusions que
nous venons d‘esquisser, comme un vaste programme de recherches futures :
L’étape suivante devra employer les outils et les concepts forgés dans l‘étude de
l'allemand dans l'analyse des questions en français. A l'inverse, les catégories de
l'allemand mériteraient, suite à notre cadrage, de faire l’objet d'un examen détaillé
à l'aide des moyens que fournit la perspective topique et polyphonique.
Par ailleurs, nous nous sommes limitée ici à rendre compte du fonctionnement
de ces questions dans l’échange oppositif. Or, certaines d'entre elles apparaissent
5 En tout cas, notre étude semble confirmer la pertinence du terme "lnterakfionsparfikeln" (Sche—
nen, 1995. p. 199 et sq.).
210 La représentation critique du discours de l'autre
aussi dans des discours monologaux. Il reste à déterminer s'il y a, dans ce cas, cons
truction d‘un interlocuteur fictif ou s'il ne faut pas les envisager comme fondamen
talement dialogiques.
Même dans l‘échange, l‘autre, initialement simple interlocuteur, apparaît
comme multiple et sous des marquages les plus divers. Le rôle qui lui est assigné
dans les questions de l'allemand semble être de première importance pour l'inter—
prétation de ces énoncés. Le français l‘interpelle dans la question de reprise et le
disqualifie dans la clôturante. Sa présence de manière intégrée au présupposé n'est
pas sans ambiguïté.
Enfin, une autre étape devra aboutir à une mise en perspective de ces différents
moyens d'attributionde rôles avec notamment certains mécanismes d‘indétermina
tion. En effet, si sollen à l'indicatif permet d‘attribuer un discours à l’autre, c'est qu'il
marque avant tout que le responsable du point de vue n‘est normalement ni le 10—
cuteur immédiat, ni le sujet de ce verbe. De même, dans notre étude préliminaire à
l‘élaboration du travail exposé ici, nous avons constaté un mécanisme semblable
concernant le terme peut—être (et son équivalent allemand, oielleicht, dans certaines
configurations) : introduisant une indétermination quant à la prise en charge de la
part du locuteur d‘un point de vue, peut—être permet souvent d'attribuer cette posi—
tion, indéterminée quant à son ancrage, à l'interlocuteur. Le locuteur peut donc
montrer l‘attribution d'un point de vue par son pr0pre retrait de celui-ci.
En fin de compte, parler de l’autre dans la question d'un point de vue linguistique
s‘avère être une entreprise presque aussi vaste que celle qu'envisage T. Todorov
dans la question de l'autre :
"Je veux parler de la découverte que le je fait de l'autre. Le sujet Est immense. A
peine l'a-t—on formulé dans sa généralité qu'on le voit se subdiviser selon les
catégories et dans des directions multiples, infinies. On peut désouvrir les autres
en soi, se rendre compte de ce qu'on n'est pas une substance homogène, et radi
calement étrangère à tout ce qui n‘est pas soi : je est un autre. Mais les autres sont
des je aussi : des sujets comme moi, que seul mon point de vue, pour lequel tous
sont là-bps et je suis seul ici, sépare et distingue vraiment de moi. Je peux conce
voir ces autres comme une abstraction, comme une instance de la configuration
psychique de tout individu, comme l'Autre, l‘autre ou autrui par rapport au moi ;
ou bien comme un groupe social concret auquel nous n'appartenonS pas" (p. 11).
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Index
allocutaire 3, 46, 51-52, 54, 57, 65, 81, 83, ex-locuteur 25, 81-82, 103-104, 134, 190,
90, 92, 102—106, 111, 121-122, 128, 142, 195—196, 198, 208.
146, 148, 171-172, 175—176, 198—199, 206. face 29—32, 56, 57.
amphore, anaphorîsafion 92 hétérounivers 86, ISO—132, 137, 189, 207.
argumentation, argumenter, (orienta-üon}, illocution, illocutoire 20, 34-37, 39, 49, 113,
(valeur, orientation) argumen—tative 2, 121, 141-142, 161, 165.
18—26, 42—49, 53, 54, 61, 65, 73, 76, 79, 83, impératif 121—131, 134—135, 190—192, 197,
114, 147, 158, 195, 206. 207.
assertion préalable 67, 79, 81, 106, 116, interaction, interactionnel 17, 21, 25-26, 28,
162. 30-31, 33, 152, 156, 196.
assimilation, attribution (d’un point de interlocuteur, interlocution 9-12, 15, 17, 21
vue) 3, 15, 52, 57, 103—104, 194, 206, 208, 26, 28—32, 52—57, 61, 63-54. 66—68, 71, 76,
210. ' 79-84, 88, 90, 93, 98, 101, 103—106, 112,
atténuation 30, 32, 52, 100. . 114-115, 117—119, 132-138, 141, l46—148,
causal, cause 65-66, 67, 68, 79, 80, 85, 94, 154, 155, 159, 164—165, 170—174, 177—180,
109-118, 133, 136—137, 139—140, 167, 174— 188, 190, 192—193, 194—198, 205, 207—210.
175, 179, 185, 187—190, 193, 194, 196—197, interpellation (de l'interlocuteur) 52, 102—
200. 104, 135, 165, 172, 179—180, 188, 190, 193,
complétive 62, 64, 68, 71, 78—79, 89, 91-92, 195—196, 208, 210.
94, 98. interprétation, interprétatif 10—11, 13-14,
conditionnel 62, 85—86, 129. 16—18, 28, 31, 36, 44, 56, 93, 95—96, 111
construction enchevêtrée/imbriquée 69, 113, 119, 122—124, 127, 131-132, 135—138,
84, 93, 96, 111-112, 206. 146, 149, 153, 158, 160-161, 163—164, 167,
contexte 1, 3, 4, 12, 14, 24, 2s27, 36, 40, 44— 170, 173-174, 178, 192, 207.
45, 53-54, 64, 73, 74, 78, 86, 87, 98, 99, interrogatif, interrogative, intertoga-h‘on,
111, 113—114, 117, 119, 123—125, 127, 131 interrogativité 31-41, 43, 51-57, 61-65,
133, 135—139, 143—144, 146, 148, 151—161, 67—69, 72, 80—81, 83—86, 88, 89, 93, 95—98,
163, 165, 169, 174, 177—179, 185, 187, 189— 100—102, 105, 1119—120, 130-199, 205208.
190, 192, 194. Konjunkfiv 125-140, 178—179, 187—188, 190,
contrainte 48, 53—55, 86, 87, 137, 146—147, 154, 195-198, 207.
157, 163, 190, 198, 206, 208. métacommunicafif 20.
dialogue, dialogal, dialogique 1, 4, 9— 11, métadiscursif/-ve 11, 17, 71, 128.
26—29, 31, 52, 55—56, 63, 96, 102, 103, 109, métaénonciatives 11.
124, 154—155, 195—196, 210. métalinguisfique 15, 33, 61, 97—99, 101,
discursif/-ve 1, 2, 3, 12, 15, 16, 18-20, 24, 103—105, 134—136, 140, 144, 147, 157, 169,
28, 40, 49, 92—93, 113, 117, 134—135, 138, 173-174, 176, 182, 187, 189—190, 193, 194
148, 154, 156, 173, 191-192, 194, 196—197, 195, 197, 200, 207—208.
201. modal, modalité 19, 33, 74, 77-79, 120, 121,
disqualification, disqualifier 21, 24, 26, 28, 123, 124, 134, 139, 142, 187, 189, 194.
76, 90, 94, 106, 193. - aléthiquelZô, 128.
écart interprétatif 11, 16—17, 206. - déontique 52, 77, 122, 124, 126, 129,
échange 1-4, 16—13, 25—29, 31-32, 38—40, 53, 133-135, 194.
54, 56, 63—64, 78, 82, 103, 113, 124, 134— - épistémique 77—79, 82, 84, 112, 121—124,
135, 141, 152, 154-155, 164, 172 208-210. 133, 135, 143, 170.
effet de sens 85, 131, 138, 146, 180. monstrafiOn, montré 11, 14, 50—52, 57, 80,
énonciateur 49-53, 79—80, 83—85, 90, 93, 99, 83, 102, 104—105, 118, 170, 207, 210.
103—104, 116, 125, 164, 198, 207.
229
- épistémique 77—79, 82, 84, 112, 121—124, 137—139, 144—151, 153-158, 160, 164166,
133, 135, 143, 170. 170-176, 178, 180—181, 190, 192—193, 195,
monstration, montré 11, 14, 50—52, 57, 80, 198, 208-209.
83, 102, 104—105, 118, 170, 207, 210. représentation (d'un discours, d'une
négation 1, 15, 18, 22—23, 33, 43, 61, 62, 65, énonciation) 1, 2, 13—14, 17, 23, 25, 27—28,
84, 97—101, 103—105, 134, 137, 193, 194— 53, 57, 74, 76, 81—83, 93, 101, 105406,
195, 207-208. 118, 151, 190, 205-206.
oppositif (discoursw échange “) 1, 2, 3, reprise (du discours) 1, 11-15, 50—51, 57,
14-15, 17—18, 25, 28-29, 32-33, 57, 193, 62—64, 88—89, 92, 97—99, 115, 124, 133—134,
205-206, 208—209. 140, 156, 159, 163, 168-169, 174, 176, 185,
particule (modale, illocutoire, éononcia— 189—190, 193, 197.
tive,...) 113, 114, 130, 140, 141—144, 144— rhème —> propos
186, 187, 189, 192—193, 194, 197—198, 207 rhétoricité, (lecture/question) rhétorique
209. 19, 32, 34, 38, 40—41, 45, 47‘, 51, 53—57, 81,
perfoerfif 36—38, 63, 105, 115. 83-86, 118—119, 125, 131, 137-138, 144—
persuasion, (effet) persuasif 23, 26, 146— 147, 149-150, 152-161, 164—167, 170, 172,
147, 153, 160, 167, 173, 182, 209. 177, 180—185, 188, 190, 192-193, 195-198,
politesse 29-33, 153, 205. 207—209.
polémique (*-, négation—ç question H) 11, signification 3, 31, 44, 47—48, 51, 72, 87,
18, 21, 23, 26—28, 57, 61, 97, 99, 101, 103, 122-123, 139, 146, 164, 167, 172—173, 180,
191, 193, 195, 207. 182, 208.
polyphonie, polyphonique 2, 10, 14, 20, 37, stratégie 11, 18-20, 22, 25, ‘28, 55, 146, 160,
42, 49-52, 61, 79, 86, 93, 104—105, 116, 208.
144, 198, 207—209. thème, (répartition) thématique 12, 26, 53,
présupposé, présupposifion, présuppo— 54, 55, 87-94, 106, 151, 154—155, 157, 189
sitionnel 20, 33, 49, 53, 55, 65—68, 70, 79— 190, 196, 206.
86, 90, 93, 98-99, 101, 106, 110—113, 116— topos, topique 2, 16, 22, 42, 45—49, 72—82,
120, 129, 134—135, 137—138, 146, 148, 172, 84, 90, 93, 97, 105, 206, 209.
188-190, 193, 194, 198, 206207, 210. (on—, L-) vérité 13, 24, 26, 31, 39, 43, 66, 128,
propos (thème) 87-94, 106, 155—156, 206. 138.
question, questionnement 1, 2, 3, 9, 29, 32— vocafif 102—104.
41, 51-57, 61-65, 67—68, 70, 78—102, 104—
106, 109—120, 130—131, 133—201, 205—210.
rapport (de discours), (discours) rap-porté
13—14, 49—50, 62, 102, 104, 121—127, 134
135, 172, 189, 207.
reformulafion, (usage) reformulafif, re
formulé 12, 15, 34, 71.
réfutation, réfutafif 18—22, 26—27, 30, 164,
187—188, 195—198, 200, 208.
réplique 1, 16-17, 20, 63, 91-92, 114, 119,
135, 138—139, 147, 149—151, 162—163, 169,
173, 176, 178, 187, 190.
réponse 2, 32—33, 36, 39—40, 51-56, 64, 70,
80, 83—84, 86, 88, 91, 95, 98—99, 106, 110
111, 113, 115—116, 118—119, 131, 133-134,
Zusammenfassung
Fragen werden allgemein als einleitende Sprechakte angesehen, die, wenn sie
gelingen, eine Reaktion des Gesprächspartners/ der Gesprächspartnerin zur Folge
haben. Sie können jedoch auch dazu dienen, auf eine vorausgehende Äußerung zu
reagieren. In beiden Fällen spielt die Art und Weise, wie die Frage auf den Ge
sprächspartner/ die Gesprächspartnerin Bezug nimmt (seine/ ihre Präsenz), eine
entscheidene Rolle. Die Frage kann auf ihn/ sie als vorherige(n) oder auch als Zu
künftigen Sprecher bzw. als zukünftige Sprecherin, d.h. als Befragten/ Befragte,
hinweisen, und dies mehr oder weniger deutlich, sowie anhand verschiedenster
sprachlicher Mittel.
Die vorliegende Arbeit befaßt sich mit interrogativen Strukturen im Französi
schen und im Deutschen, die es dem Sprecher] der Sprecherin ermöglichen, der un
mittelbar vorausgehenden Rede zu widersprechen Sie beschränkt sich auf solche
Strukturen, in denen die Wiederaufnahme gleichzeitig eine Ablehnung enthält, wie
z.B. in :
1) Est-ce que vous allez devenir le Natal de fospin ?
Pourquoi matez-vous que je devienne le Nota! de quiconque ? Pardonnez ma vanité,
mais je suis le secrétaire général de Force ouvrière, pas celui de [a CFDT.
(Le Monde, 13/6/1997, p. 30)
2)a) Der Schwanz wackelt mit dem Hund ?
Wieso Schwanz ? Wenn schon, dann das Gehirn. Ökologischer Motor, das ist unsere
Funktion. (Der Spiegel, 1994, Nr. 33, pp. 25-26)
2)b) Wieso sollte dem: ein System Lob verdienen. das Arbeitszwänge, Vermessung,
Desorientiemng produziert .7 (Der Spiegel, 1994, Nr. 8, p. 7)
Solche Fragen werden im Hinblick darauf untersucht, wie der Gesprächspart
ner/ die Gesprächspartnerin in der Frage erscheint. Dies stellt sich wiederum als
entscheidend für andere grundlegende Aspekte der Betrachtungen heraus, wie zB.
Redewiedergabe oder die Problematik des Fragecharakters (bzw. rhetorischen Cha—
rakters) einer interrogativen Samstruktur.
Die parallele (aber nicht kontrastive) Beschreibung diverser Mechanismen in
den beiden Sprachen zeigt, dais sprachliche Mittel verschiedenster Art ähnliche
Funktionen in der Interaktion erfüllen.
Das erste Kapitel stellt das Thema in einen Gesamtrahmen. Folgende generelle
Aspekte sind für den Untersuchungsgegenstand relevant: 1) die unmittelbare
Redewiedergabe oder Wiederaufnahme dessen, was der Hörer/ die Hörerin gerade
gesagt hat (Kapitel 1- 1.1.); 2) die oppositive Äußerung mit den entsprechenden
Abschwächungsformen (Kapitel 1- 1.2.) und 3) die Frage als solche („le ques
tionnement”) (Kapitel 1- 1.3.). Den theoretischen Hintergrund für die folgende
Untersuchung bilden die Argumentations- und die Polyphonietheorie von Ans
cornbre und Ducrot ("la théorie de l‘argumentation dans la iangue”, Kapitel 1- 2.1.;
„la théorie de [a polyphonie”, Kapitel 1- 2.9.). Auf diesen beruht auch der spezi
Zusammenfassung / résumé 231
fische Ansatz für die Analyse von Fragen, die Gegenstand von Kapitel 1- 2.3. ist.
Das zweite Kapitel beschreibt einige für die untersuchten Phänomene repräsen
tative Äußerungen des Französischen. Es handelt sich um die mit Pourquoi voulez»
vous que...? eingeleiteten Fragen (s.o. Bspl). Dieser Fragetyp, der das Fragewort
pourquoi und das Verb vouloir enthält, kann in zwei Kategorien aufgeteilt werden.
Während die Fragen der ersten Gruppe darauf abzielen eine bestimmte Formu
lierung anzuzweifeln (sich also auf den Sprachgebrauch beziehen - „metasprach
liche Fragen”), dienen die Fragen der zweiten dazu, eine vollständige Aussage zu
verwerten („abschließende Fragen”). Dabei spielen die durch das Fragewort evo
zierte Präsupposition und die unterschiedlichen Topoil, auf die sich das Verb vou
loir bezieht, eine Rolle.
in der Tat kann mit dem Fragewort pourquoi präsupponiert werden, daß ein
Grund für etwas existiert, oder aber nur, daß es potentiell einen solchen Grund
geben könnten Dies macht es notwendig, genauer auf den von Nelke (1988) be
schriebenen Unterschied zwischen „schwacher“ und „starker Präsupposition” ein
zugehen (Kapitel 2- 2.1.).
Eine konsequente Anwendung der Argumentationstheorie auf das Verb vouloir
zeigt, dot? dieses Verb grundsätzlich auf zwei Gruppen von Prinzipien oder Topoi
hinzielt. Diese beiden gegensätzlichen Tendenzen, die in der Semantik dieses Worts
verankert sind, können mit zwei untersclüedlichen Modalitäten in Verbindung ge
bracht werden, der epistemischen und der deontischen Modalität. Dies wird in
Kapitel 2- 2.2. eingehend untersucht.
Die beiden Prinzipien führen aufgrund spezifischer Kombinationsmöglichkei
ten zu unterschiedlichen Interpretationsschernata, deren polyphonische Strukturen
in Kapitel 2- 23. detailliert dargelegt werden. Hierbei ist festzustellen, daß die
gleichzeitige Anwendung der Argumentations- und der Polyphonietheorie sich als
weitaus komplexer erweist, als aus den theoretischen Schriften von Anscornbre und
Ducrot hervorgeht.
Die Feststellung, daß bestimmte Merkmale eine erneute Differenzierung inner—
halb der zweiten Kategorie von Fragen (also der „abschließende Fragen”) notwen
dig machen, führt dazu, daß der den Kriterien von ].-CI. Anscombre (199Ûa) ent
sprechend angewandte Ansatz bezüglich der Bestimmung von Thema und Rhema
einer Äußerung verändert wird. Die behandelte Problematik wirft die Frage auf,
wie die jeweilige Unterteilung in Thema und Rhema einer Äußerung in der Wie
dergabe dargestellt wird. Die beobachteten Abweichungen in der Wiedergabe der
Äußerung, d.h. eine „Gewichtsverlagerung“ (von Thema auf Rherna oder um—
gekehrt), erscheinen irn Zuge dieser Untersuchung als ein bewußt eingesetztes
‘ Es handelt sich um an Lexeme gebundene dynamische Prinzipien, cf. Anscornbre, 1995, „De
l'argumentation dans la langue à la theorie des topo’i", in Théorie des topoi', J.—C. Anscombre (Hrsg.).
Paris : Editions Kime, 11—47.
3 Cf. Kurzen, 1985
232 Zusammenfassung / résumé