Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
Sylvain Pechoux
Sous la direction de
Serge Paugam
Jury composé de :
Rose Marie Lagrave
Serge Paugam
Edmond Préteceille
Septembre 2004
2
Nous vivons dans l’espace, dans ces espaces, dans ces villes,
dans ces campagnes, dans ces couloirs, dans ces jardins. Cela
nous semble évident. Peut -être cela devrait-il être effectivement
évident. Mais cela n’est pas évident, cela ne va pas de soi. […]
Vivre, c’est passer d’un espace à l’autre en essayant le plus
possible de ne pas se cogner.
3
Remerciements
Dans cette migration du rural vers l’urbain et de l’agronomie vers la sociologie qu’a
représenté pour moi ce travail de DEA, j’ai été accompagné et encouragé par un grand
nombre de personnes auxquelles je tiens à exprimer ici tous mes remerciements.
Merci alors en premier lieu à Annie Dufour et à Patrick Mundler de l’ISARA pour m’avoir
encouragé à m’engager plus en avant sur le chemin des Sciences Sociales.
J’ai trouvé auprès de Marion Selz au Lasmas un regard attentif et des conseils avisés pour la
partie statistique de ce travail,… et des autres. Merci pour tout Marion !
Je remercie aussi grandement Serge Paugam, mon directeur de recherche, pour avoir accepté
de diriger mon travail ; les nombreux conseils et marques de confiance prodiguées m’auront
été particulièrement utiles pour trouver mes marques dans ce champ nouveau. Merci pour le
suivi attentif des évolutions de cette recherche et pour l’impulsion finale nécessaire dans les
derniers instants.
Un petit clin d’œil aux doctorants du Lasmas (Mathieu, Manuela et les autres) qui ont, tout au
long de l’année, fait preuve d’une incroyable gentillesse et de beaucoup d’attention à l’égard
de leurs « cadets ».
Enfin, merci à toi Camille pour ton soutien de tous les instants et ton aide ô combien
précieuse.
4
Table des matières
Méthodologie et terrains 67
5
C. Le marquage institutionnel des territoires « prioritaires » 95
1. Vivre dans un quartier disqualifié : pratiques du quartier et images des lieux 113
A. Images du quartier de résidence et attachement 114
B. Déterminants de l’image du quartier et de l’attachement à celui-ci 125
Annexes 228
Bibliographie 240
6
Introduction au champ d’étude
1
« Le lieu anthropologique est simultanément principe de sens pour ceux qui l’habitent et principe
d’intelligibilité pour celui qui l’observe. […] Ces lieux ont au moins trois caractères communs. Ils se veulent
identitaires, relationnels et historiques » (Augé, 1992, p. 68-69)
7
toutes les vertus de la solidarité, de la convivialité et de l’intégration sociale, on passe peu à
peu aux quartiers de « relégation » (Delarue, 1991) ou d’« exil » (Dubet et Lapeyronnie,
1992). En l’espace de quelques années, dans les travaux des chercheurs comme dans les
discours des politiques, une lecture en terme de handicaps vient remplacer la dimension
ressource traditionnellement associée au quartier populaire. Cumulant les handicaps liés dans
certains cas, à la rigidité d’un modèle d’urbanisme devenu obsolète et ceux que produisent la
concentration en leur sein de populations en grande difficulté économique et sociale, les
anciens quartiers populaires sont soumis à un véritable processus de « disqualification
spatiale ». Produite hors du quartier mais aussi à l’intérieur même de ses frontières
sociospatiales (Paugam, 2000a), l’image stigmatisante associée au territoire est parfois même
accentuée par les effets pervers d’une Politique de la Ville qui au nom d’un principe de
discrimination positive, en accentue l’étiquetage (Oberti, 2002). A l’identité locale et
collective constitutive de celle des habitants des quartiers d’antan, succède dans de nombreux
cas, une absence d’identité collective (Villechaise, 1997), quand ce n’est pas une identité
proprement stigmatisante qu’il faut alors le plus souvent gérer individuellement (Gruel, 1982).
Ainsi, alors que dans un contexte où l’identification sociale passe moins qu’auparavant
par la sphère du travail et la culture de classe, l’espace résidentiel semble constituer pour les
couches populaires privées de mobilité sociale comme spatiale, l’ultime vecteur identitaire,
l’ultime domaine à partir duquel elles sont en mesure de mobiliser quelques ressources
(matérielles, sociales et symboliques) (Bidou-Zachariasen, 1997), le territoire – disqualifié –
se dérobe. L’image des lieux, représentation sociale sur laquelle les catégories populaires
8
n’exercent traditionnellement qu’un faible contrôle (Simon, 1995b, Khosrokhavar, 1997),
devient potentiellement stigmatisante et vient s’ajouter à la liste déjà longue des inégalités qui
frappent les habitants des quartiers disqualifiés. Dans ce cadre, le travail d’unification entre
l’« identité pour soi » et l’« identité pour autrui » (Laing, 1971), condition de l’équilibre
identitaire, devient une tache particulièrement ardue.
Raisonner uniquement en des termes aussi sombres à propos de la situation des
anciens quartiers populaires et de leurs habitants serait cependant une erreur coupable. Tous
les quartiers abritant des populations précarisées ne sont ainsi pas systématiquement
disqualifiés et y compris au sein des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, la
diversité des situations est grande (Tabard, 1993, Marpsat et Champion, 1996). Certains des
« quartiers dont on parle » (Collectif, 1997) font ainsi l’objet d’une attention particulière de
certaines franges des classes supérieures qui s’y installent modifiant par là les équilibres
sociologiques antérieurs. De la « banlieue sans qualité » (Villechaise, 1997) au « village dans
la ville » (Young et Willmott, 1983), les quartiers populaires évoluent et avec eux, les images
qui leur sont associées.
Dans cette optique, en adoptant une posture de recherche proche de celle qu’avancent
Stéphane Beaud et Michel Pialoux en étudiant « les ouvriers après la classe ouvrière » (Beaud
et Pialoux, 1999), on peut s’interroger sur le devenir des quartiers populaires et sur les
conditions de vie de leurs habitants actuels. Que peut-on dire aujourd’hui de la relation entre
quartier et identité ? Quelles sont les conséquences d’une localisation résidentielle dans un
quartier disqualifié ? Tous les quartiers disqualifiés disposent- ils des mêmes ressources ou des
mêmes handicaps à « offrir » à leurs habitants ? Et tous les habitants d’un même quartier sont-
ils éga lement sensibles à ceux-ci ?
A partir d’un cadre théorique orignal considérant le territoire sous une double
dimension fonctionnelle (reconnaissance et protection) faisant écho à deux conditions
psychosociales du bien-être (pouvoir et attachement), cette étude propose d’analyser certains
aspects du lien pouvant exister entre l’image des lieux (ici le quartier) et l’image de soi,
considérée comme le reflet de l’« identité pour soi » et le reflet intériorisé de l’« identité pour
autrui ». Cette confrontation d’images a été rendue possible par la mise en place d’un enquête
quantitative réalisée courant 2003, en collaboration avec une équipe de recherche en
9
épidémiologie sociale de l’INSERM 2 , au sein de quartiers repérés par le dispositif de la
Politique de la Ville à Paris. En plus de nous permettre de disposer de données quantitatives
de première main, adaptées à nos questionnements de recherche, nous verrons que cette
collaboration assez peu courante a aussi contribué à enrichir considérablement l’objet de
recherche via l’intégration d’hypothèses et de méthodes empruntées à d’autres sciences
sociales comme la psychologie sociale ou l’épidémiologie.
Les notions de quartier et d’identité utilisées sans réelles précautions dans cette
introduction, constituent des prénotions utilisées abondamment tant par le sens commun que
par diverses disciplines scientifiques. A ce titre, il convient de les considérer comme des
constructions sociales. Un travail sociologique portant sur ces concepts implique donc leur
nécessaire déconstruction, afin de parvenir à une définition «contrôlée » de chacun d’entre
eux. C’est ce à quoi le travail de recherche s’attachera donc en tout premier lieu.
Cette recherche se décompose en trois temps. Une grande partie introductive propose
un bilan synthétique et partiel de la littérature scientifique (sociologie, épidémiologie
principalement) intéressant notre objet de recherche, qui permet l’exposé des concepts
fondant le cadre théorique dans lequel le travail s’inscrit, et sur lesquels reposent aussi sa
problématique et ses hypothèses, tous présentés en fin de première partie. Un deuxième temps
est consacré à une présentation du cadre méthodologique dans lequel notre enquête s’insère ;
le protocole de celle-ci y est exposé. La présentation se poursuit ensuite par un double regard
introductif à l’analyse : un premier porté sur les territoires de l’enquête, le second sur les
principales caractéristiques des populations enquêtées. Enfin, le troisième et dernier temps du
document constitue le cœur du travail puisqu’il présente les résultats issus du traitement de
l’enquête. Il permettra notamment de mieux cerner ce que recouvrent dans la pratique, les
notions d’« images des lieux » et d’« images de soi », et apportera des éléments de réponse à
nos questionnements initiaux portant sur l’expérience de vie dans des quartiers disqualifiés.
2
Parizot I., Pechoux S., Bazin F., Chauvin P., Enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers de
la Politique de la Ville du 20ème arrondissement de Paris. Rapport pour la mission ville de la préfecture de Paris,
Inserm U444, Avril 2004, 203 p.
10
1. Division sociale de l’espace et ségrégation
Appréhender la question de l’« image des lieux » qui est l’un des objectifs de cette
recherche, nécessite tout d’abord un important travail de déconstruction de la notion et une
exploration approfondie des éléments qui la fonde, de manière à engager le travail de rupture
préalable à la construction de l’objet sociologique. C’est l’objectif affiché de ces premiers
paragraphes qui partiront de la notion floue d’espace pour aborder ensuite la problématique de
la division sociale qui le caractérise dans une optique sociologique, ainsi que certains des
mécanismes de celle-ci comme la ségrégation.
La notion d’espace est une notion éminemment problématique qui a fait et fait encore
l’objet d’investigations de la part de nombreuses disciplines, scientifiques ou non3 , qui l’ont
définie contre les représentations communes, ou pour mieux dire, dans un rapport dialectique
avec le sens commun (Frischt, 1999). S’il est des concepts pour lesquels une définition claire
et précise est tout aussi capitale que difficile à produire, celui d’espace en fait assurément
partie, tant il est nécessaire de rompre à la fois avec les prénotions héritées du « savoir
immédiat » de la sociologie spontanée (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1973) et avec
celles importées des constructions théoriques d’autres disciplines scientifiques.
Les mathématiciens et les astrophysiciens ont ainsi fait de ce concept à la fois matériel
et immatériel un de leurs principaux objets d’étude, développant des théories portant sur des
espaces au nombre de dimensions infinies, bien loin du monde concret que perçoit le sens
commun derrière ce terme. La philosophie elle aussi s’est passionnée pour cette notion
d’espace qu’elle a considéré tour à tour comme limité ou illimité, comme invisible ou se
confondant à la réalité physique, etc. La géographie (« science qui étudie et décrit la Terre à
sa surface, en tant qu’habitat de l’homme et de tous les organismes vivants » (Le Petit Robert
2000)) qui se développe en France au tournant du XXième siècle, en fait enfin sa véritable
raison d’être.
3
On pense notamment aux arts : peinture, sculpture, photographie, etc.
11
Si les philosophes du début du XXième siècle s’accordèrent pour voir dans l’espace une
production ou une construction de l’esprit, on était encore loin de la reconnaissance du
caractère social de cette construction. Pourtant, au sein de la toute jeune discipline
sociologique, les analyses de Simmel4 puis d’Halbwachs 5 notamment 6 , vont conduire peu à
peu à l’élaboration d’une définition sociologique du concept d’espace. Tous deux dévoilent la
relation réciproque qui unit la société et l’espace, laissant ainsi apparaître que l’espace ne
saurait se résumer à un substrat physique neutre sur lequel se déroulent les actions sociales :
« Lorsqu’un groupe est inséré dans une partie de l’espace, il la transforme à son image, mais
en même temps, il se plie et s’adapte à des choses matérielles qui lui résistent. » (Halbwachs,
1997, p 195).
4
Voir les chapitres portant sur « L’espace et l’organisation spatiale de la société » ou sur « L’étranger » de sa
grande sociologie de 1908 (Simmel G., Sociologie. Etudes sur les formes de socialisation, Paris, PUF, coll.
Sociologies, 1999, 1° ed. allemande 1908)
5
Voir notamment le texte « Matière et société » de 1920 (Halbwachs M., Classes sociales et morphologie, Paris,
Minuit, coll. Le sens commun, 1972), ou son chapitre « La mémoire collective et l’espace » (Halbwachs M. La
mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997)
6
En ce qui concerne le début du XXième siècle, il serait incorrect de passer sous silence l’abondante réflexion sur
l’espace des sociologues de l’université de Chicago (Park, Burgess, McKenzie, etc.), justement inspirés de
Simmel et influençant en retour Halbwachs.
7
Voir notamment Castells M. La question urbaine, Paris, Maspero/La Découverte, 1972
8
Voir notamment Lefebvre H., La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974
12
A l’inverse, la théorie du rôle joué par l’espace sur les pratiques sociales était
justement défendue par un courant antérieur qui fut, autour de Paul-Henry Chombart de
Lauwe, à l’origine de la première sociologie spécialisée dans l’étude de l’espace en France : la
sociologie urbaine. A l’inverse du tout rapport de classe prôné après lui, ce courant va tendre,
entre les années 50 et 60, à « autonomiser » le fait urbain en ramenant nombre de problèmes
sociaux à leur dimension écologique, mais ceci le conduit à surestimer le rôle de l’espace dans
les processus de changement social (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000). Chombart de Lauwe
écrit alors à propos des grands ensembles dont il encourage la construction : « Dans les
laboratoires improvisés que sont les cités nouvelles, s’élaborent sous des pressions opposées,
les structures sociales de demain » (Chombart de Lauwe, 1960, p 11, cité par Pinçon et
Pinçon-Charlot, 2000, p 54). Si cet utopisme urbain, rêvant de l’avènement d’une société
différente où les rapports sociaux auraient été bouleversés par les nouvelles formes urbaines
que représentaient les grands ensembles, a fait long feu, son apport à la connaissance du lien
entre société et espace a néanmoins été capital. Pour ce qui concerne la présente étude, ce
courant fournit le second fragment de la définition composite que nous avons retenue :
l’espace, s’il est produit par les groupes et les acteurs sociaux, structure en retour la vie
sociale dans une relation réciproque.
Le dernier élément de définition que nous retiendrons dérive des analyses post-
structuralistes, sous l’influence notamment de la théorie de Pierre Bourdieu. Dans cette
approche, l’espace n’est jamais totalement défini sans la prise en compte des pratiques des
individus qui y vivent et qui, par leurs activités mêmes, le construisent continûment. Mais
simultanément, les individus sont toujours un peu constitués par la ville ou le quartier où ils
habitent et travaillent. En cela l’espace, structurant et structuré par les relations sociales, est
considéré comme un véritable paramètre de la définition sociale des individus et des groupes
(Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000, Bourdieu, 1993).
En suivant à nouveau Philippe Frischt, nous pouvons résumer provisoirement cet essai
de définition en précisant que, pour la sociologie, l’espace n’est donc jamais qu’espace social
car il se trouve toujours « socialement marqué, divisé, disputé ou négocié, ignoré ou exploré,
aménagé ou préservé, etc., mais aussi toujours socialement perçu, représenté, vécu et conçu »
(Frischt, 1999), ce caractère social s’appliquant ainsi autant à l’espace pensé qu’à l’espace
objectif et transformé. S’il est important d’insister sur la dimension sociale de l’espace
physique, il convient aussi, même si nous allons voir que l’un et l’autre se superposent
parfois, de ne pas confondre derrière un seul terme, espace physique et espace social, l’un
étant caractérisé par l’extériorité de ses parties (Frischt, 1999), quand l’autre est défini par
13
l’exclusion mutuelle (ou la distinction) des positions qui le constituent, c’est à dire comme
structure de juxtaposition de positions sociales (Bourdieu, 1993).
Espace physique et espace social sont donc intimement liés et le premier est soumis lui
aussi, nous venons de l’aborder, aux divers processus historiques, économiques et
sociologiques qui aboutissent à la partition du monde social. Depuis toujours selon certains
historiens 9 , même si le phénomène a rarement atteint les niveaux dont l’élévation subite est à
relier à l’avènement des sociétés dites industrielles, l’espace est socialement et donc
spatialement divisé 10 . Avec la nouvelle division sociale du travail induite par les révolutions
industrielles, l’espace se spécialise tant à grande échelle (pays, régions) qu’à des échelles plus
fines (les villes, les quartiers) dans certaines fonctions productives et partant, dans
l’hébergement des catégories sociales qui leur sont associées.
9
Cette question est l’objet d’un vif débat entre historiens et sociologues, les premiers accusant les seconds de
propager le mythe d’une époque pré-industrielle où régnait la mixité dans la ville. Cf. Faure A., « Review of
Brun J., Rhein C. (eds.), La ségrégation dans la ville, Paris, l’Harmattan, 1994 », H-Urban, H-Net Reviews,
Novembre, 1997
10
« Aucune vie sociale n’étant possible sans une spécialisation minimale des tâches, la différenciation sociale,
quels qu’en soient les fondements et les formes, est un fait universellement attesté ». (Grafmeyer, 1994a, p 93)
14
sociologie et notamment de la morphologie sociale développée par Durkheim puis
Halbwachs, d’en rendre compte et d’en analyser les effets. Déjà en 1926, Robert Park
écrivait : « c’est parce que la géographie, l’emploi et tous les facteurs qui déterminent
inévitablement et fatalement la place, le groupe, les associés avec lesquels chacun de nous est
tenu de vivre que les relations spatiales en arrivent à avoir, pour l’étude de la société et de la
nature humaine, l’importance qu’elles ont en effet » (Park, 1990, p 211). Dans la suite des
réflexions des sociologues de l’école de Chicago sur la division sociale de l’espace, certains
chercheurs ont tenté, en France notamment, d’aborder la question sous l’angle de la
structuration socioéconomique du territoire, en montrant les liens étroits existant entre
hiérarchie sociale et hiérarchie spatiale (Tabard 1993, Tabard et Martin- Houssart, 2002). A
partir d’une analyse du territoire national au regard de la position des actifs dans la sphère
économique et dans l’espace physique (de résidence), Nicole Tabard a ainsi mis en évidence
un fait robuste depuis ses premières analyses à partir du recensement de 1968 : « la distance
sociale entre les individus semble hiérarchiser leurs lieux de résidence, tant pour les
quartiers à l’intérieur d’une même ville, que pour les villes à l’intérieur d’une région »
(Tabard, 1993, p. 5).
La position des individus dans l’espace physique tend donc à rendre compte de leur
position dans l’espace social et, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, « il n’y a pas
d’espace, dans une société hiérarchisée, qui n’exprime les hiérarchies et les distances
sociales, sous une forme (plus ou moins) déformée et surtout masquée par l’effet de
naturalisation qu’entraîne l’inscription durable des réalités sociales dans le monde naturel
[…] » (Bourdieu, 1993, p 160).
L’approche dans la durée que permettent notamment les travaux de Nicole Tabard,
dévoile les processus de spécialisation des territoires et laisse entrevoir le développement d’un
véritable « entre-soi » résidentiel, qui concerne principalement les catégories aisées de la
population d’une part, et les catégories les plus défavorisées d’autre part. Ainsi, comme
l’expriment Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « aux deux extrémités de la
répartition des richesses matérielles et symboliques, dans la grande bourgeoisie et dans ce
qu’il était convenu d’appeler autrefois le lumpenprolétariat, la structure du marché
immobilier 11 permet ou contraint la création de véritables quartiers communautaires »
11
Mais les auteurs ne réduisent cependant pas ce développement de « l’entre soi » à de seuls déterminants
économiques.
15
(Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000, p 60). La situation actuelle des Etats Unis 12 est idéal typique
sur ce point avec le développement d’un « entre soi » choisi représenté par la figure spatiale
fermée des « gated communities », quand à l’opposé, se renferme encore un peu plus le ghetto
noir, entre soi plus subi que choisi comme le montrent les analyses de W.J. Wilson (Wilson,
1987).
Alors que l’heure semble être à la « de-spatialisation du social » (Beck, 2000), il
semble que l’espace tende à rendre de plus en plus compte de la hiérarchie sociale. Il devient
(ou demeure) un enjeu de classement social et d’identification (Chamboredon, Mathy, Mejean
et Weber, 1984), un enjeu de lutte pour l’acquisition de profits de localisation, de profits de
position ou de rang ou de profits d’occupation (Bourdieu, 1993). Pour tout un chacun la
position occupée dans l’espace, urbain notamment, signifie donc d’abord la position occupée
dans l’espace social (Pinçon, Pinçon-Charlot, 1986).
12
Qui ne saurait être comparée à la situation française, cf. notamment Vieillard-Baron (1990) et Wacquant
(1992)
16
C. Polarisation socio-spatiale et accentuation des inégalités
Si l’espace physique tend à reproduire sur un plan résidentiel, les hiérarchies observées
dans l’espace social13 , il traduit aussi les inégalités qui caractérisent ce dernier, sous une
forme spatiale. Ainsi ce ne sont pas seulement des individus qui se répartissent de manière
différentielle dans l’espace, mais aussi des capitaux (économiques, sociaux ou culturels), des
équipements, investissements, etc. Il en résulte que, à différentes échelles (du quartier au
continent), tous les espaces ne se valent pas et que lorsque certains cumulent les atouts
(proximité des espaces stratégiques, concentration des capitaux, des emplois, etc.), d’autres
accumulent les difficultés (faiblesse des ressources, taux de chômage élevé, enclavement,
etc.).
Les travaux menés en géographie ou ceux de Nicole Tabard dont nous avons parlés
précédemment, mettent en évidence l’évolution des inégalités socio-spatiales dans le temps.
En ce qui concerne l’Ile-de-France qui nous intéressera particulièrement dans le cas de ce
mémoire, une étude récente de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-
France14 tend à montrer au cours des deux décennies écoulées, une augmentation des
inégalités spatiales alors que globalement les inégalités entre les ménages diminuent. Ceci
s’explique notamment par la concentration des richesses dans les 10% des communes les plus
riches de la région15 . A l’échelon des communes, la géographie des écarts de revenus par
rapport au revenu moyen des franciliens est sans surprise, laissant voir l’opposition est-ouest
observée traditionnellement en Ile-de-France.
13
Nicole Tabard note bien cependant que la concordance entre les deux types de hiérarchie n’est pas absolue,
certains actifs, comme les personnels des services dont la clientèle est aisée, résidant par exemple dans des
quartiers situés à un niveau de l’espace social nettement supérieur au niveau qu’ils occupent dans l’échelle
professionnelle. (Tabard, 1993, op. cit.)
14
Sagot M., « Les évolutions récentes des inégalités en Ile-de-France », in Mixité sociale et ségrégation : les
réalités d’hier et d’aujourd’hui et les actions publiques, IAURIF, 2001
15
Les données utilisées sont celles de la DGI sur les revenus moyens des foyers fiscaux par commune (revenu
avant impôt et hors revenus sociaux).
17
FIGURE 1 : L’OPPOSITION EST-OUEST EN ILE -DE-FRANCE (COMMUNES DE PLUS DE 2000
HABITANTS )
(Sources : Sagot M., « Les évolutions récentes des inégalités en Ile-de-France », in Mixité sociale et
ségrégation : les réalités d’hier et d’aujourd’hui et les actions publiques, IAURIF, 2001
Au cours de la période 1984-1996, près de 20% des communes ont enregistré une
baisse de leur revenu réel, ce qui permet à M. Sagot de conclure que le phénomène de
polarisation n’est donc pas l’effet unique d’un embourgeoisement marqué de certaines
communes de la région et d’un processus inégalitaire de partage de la croissance. Il tient à
l’opposé, à un mécanisme d’appauvrissement des ménages résidant dans d’autres parties de la
région (Sagot, 2001).
Pour ce très rapide éclairage sur les inégalités socio-spatiales en Ile-de-France, nous
nous sommes focalisés sur les aspects de revenu des ménages, ce qui ne veut pas dire
évidemment que les inégalités se résument à cela. D’autres dimensions des inégalités sociales
auraient ainsi pu être présentées comme celles qui concernent la santé (Salem et al., 2000),
l’accès à l’emploi (Gobillon et Selod, 2004), l’accès à l’éducation (Rhein, 1997), etc.
18
Ce phénomène de polarisation spatiale et d’accentuation des inégalités n’est pas propre
à Paris, à la région parisienne, ni même à la France (Veltz, 2002). L’ouvrage collectif dirigé
par Isabelle Parizot16 qui dresse un état de la situation de plusieurs grandes métropoles
(Tokyo, Sao Paulo, Abidjan, New York, etc.) au regard de cette problématique, permet ainsi
de montrer que dans toutes les villes étudiées, le constat est similaire : relégation spatiale des
catégories les plus modestes et renforcement du processus de « disqualification sociale »
(Paugam, 2000a) des populations les plus démunies.
16
Parizot I., Chauvin P., Firdion J-M., Paugam S., Les mégapoles face au défi des nouvelles inégalités, Paris,
Flammarion Médecine-Sciences, 2002.
17
Dont Marco Oberti donne la définition suivante : « la relégation urbaine repose sur la concentration dans des
espaces urbains spécifiques (la périphérie des plus grandes métropoles et le centre des villes de vieille
industrialisation et des ports) de catégories, ou plutôt de situations et d’expériences sociales, dont l’exclusion
par le non-accès au travail et parfois l’origine étrangère, constitue le cœur » (Oberti, 1996b, p. 246).
18
La ville globale représentant selon Sassen un nouveau type historique de ville, distincte des autres métropoles
tant par sa structure économique spécifique que par la structure sociale et spatiale résultante (Préteceille, 1995b,
p. 35).
19
Parmi lesquelles on trouve : les firmes liées aux marchés financiers et au commerce international, les sièges
sociaux et centres de décision des firmes multinationales, les services avancés à ces entreprises (informatique,
télécommunication, audit, comptabilité, droit international, organisation, formation, etc.) (Preteceille, 1995a).
19
premières. Suite à la diminution du nombre d’emploi les concernant dans les villes globales,
les catégories moyennes seraient en déclin. Si le modèle de la ville globale offre un cadre
conceptuel d’une grande richesse pour penser les effets de la globalisation économique sur les
inégalités au niveau national ou local, il convient cependant de l’utiliser avec prudence et
recul. Musterd et al. (2002) notent ainsi que si le modèle s’applique effectivement à certaines
métropoles européennes, il ne peut expliquer les mouvements similaires de bouleversement de
la structure socio-spatiale observés dans d’autres villes moins connectées à l’économie
mondiale comme Rotterdam, Hambourg ou Milan. Appliqué au cas de la métropole
parisienne et à la région Ile-de-France, ce schéma ne semble pas entièrement satisfaisant
(Preteceille, 1995b). Le tertiaire global ne représente encore qu’une part minoritaire de
l’économie de la région et s’il est vrai que la part des catégories supérieures augmente dans la
population régionale, l’augmentation de celle du nouveau prolétariat tertiaire prévue par le
modèle n’est pas foudroyante. De plus, contrairement à la situation caractéristique des villes
globales, la part des catégories moyennes tend dans la métropole parisienne à s’accroître,
même si l’augmentation reste de faible amplitude. En ce qui concerne la polarisation spatiale
à proprement parler, elle ne concernerait, dans Paris, que les espaces urbains qui étaient déjà
les plus polarisés par la concentration des plus riches et des plus pauvres respectivement.
Enfin, mais la liste n’est pas close, certains mécanismes conduisant à la relégation
urbaine procèdent de processus d’ordre plus sociologique ou politique et sont d’ailleurs plus
20
familiers aux sociologues. Ce sont ceux que l’on rattache habituellement au concept de
ségrégation, entendue à la fois comme fait social de mise à distance et comme séparation
physique entre les individus et les groupes sociaux (Grafmeyer, 1994a, 1996). Là encore
quelques précautions sont nécessaires pour un usage adéquat d’une notion définie comme
multiforme, qui se révèle sensible aux contextes historiques comme aux modes intellectuelles
et qui est à la fois catégorie d’analyse et catégorie pratique, prénotion lourde d’implicites et
instrument de mesure, objet de discussion entre spécialistes et enjeu de débat public, etc.
(Grafmeyer, 1994a, 1996). L’une des premières précautions consiste à tenir compte du
contexte dans lequel le terme est appliqué. En effet, son appréhension divergera fortement
entre le cas de sociétés où la séparation physique des groupes est instituée et autoritairement
préservée comme principe fondateur de l’organisation sociale, et celui de sociétés comme la
nôtre, dominées par des valeurs d’égalité. Dans le premier cas, le terme se rapporte à un
principe fondateur de l’organisation sociale quand dans le second, il est entouré de
connotations péjoratives renvoyant implicitement à la norme (ou à l’idéal) d’un monde
meilleur où triompherait au contraire la mixité, l’assimilation, l’intégration, etc. (Grafmeyer,
1996). Pourtant, y compris dans le contexte qui nous est le plus familier, le caractère
dommageable de la ségrégation ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des
chercheurs, certains pointant les avantages liés à l’existence d’un environnement social
homogène pour les catégories populaires et pour les populations immigrées 20 .
20
Voir notamment Simon P., « La politique de la ville contre la ségrégation ou l’idéal d’une ville sans
divisions », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°68-69, 1995a, pp. 26-33.
21
Schelling T., La tyrannie des petites décisions, Paris, PUF, 1980 (New York, 1978)
22
Grafmeyer Y., « Regards sociologiques sur la ségrégation », in Brun J., Rhein C. (eds), La Ségrégation dans la
ville, Paris, L’Harmattan, coll. Habitat et Sociétés, 1994, p. 85-117
21
discriminatoires, visant à rechercher la compagnie de ses semblables ou plutôt à éviter celle
des dissemblables. En elles- mêmes, ces perceptions discriminatoires n’alimentent pas
forcément un désir de ségrégation. Ainsi, pour le choix du logement comme pour les
stratégies scolaires, la ségrégation découle le plus souvent de simples « exigences
minimales » dont le jeu combiné aboutit à des situations ségrégatives qui n’étaient pourtant
pas recherchées. La ségrégation peut par contre être le fruit d’actions individuelles ou
collectives, visant cette fois délibérément la séparation spatiale, ce qui peut être légal ou non
suivant le contexte. Enfin, en dehors de toute intentionnalité, la ségrégation peut n’être qu’un
effet résultant des inégalités sociales. Il en est ainsi dans une certaine mesure, des choix
résidentiels, en grande partie contraints par l’aspect économique.
Pourtant si l’objectif de lutte contre la ségrégation est parfois clairement affiché par les
différentes politiques qui s’attachent au traitement des territoires prioritaires (voir par exemple
23
On trouvera pour cela une synthèse dans notre mémoire complémentaire de DEA portant sur les critères de
différenciation des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville.
24
Le terme est ainsi présent dans le discours tenu par François Mitterrand à Bron en 1990, qui fera passer la
politique de la ville d’un ensemble d’expérimentations locales à un véritable objet national (Estebe, 2001).
22
l’introduction au texte de la Loi d’Orientation pour la Ville de 1991 25 ), les différentes mesures
et outils utilisés ne sont pas sans effets pervers. La politique d’attribution des logements
sociaux, agissant directement sur la composition sociale des quartiers, est ainsi depuis
longtemps, un intense objet d’interrogations et de débats (Oberti, 1995). De la même manière,
les aid es destinées à la mise en valeur des centres villes ont conduit à aggraver le processus de
ségrégation socio-spatiale par la restructuration sociodémographique des quartiers populaires
et la densification des catégories aux faibles ressources économiques dans les quartiers
d’habitat social périphérique (Tabard, 1993). La responsabilité de l’Etat est ici en cause
puisque, comme le rappelle Patrick Simon, « l’Etat s’emploie à moderniser le parc de
logements et à rationaliser l’organisation spatiale, il devient comptable de la répartition des
groupes sociaux dans l’espace. » (Simon, 1995a, p. 29).
En dehors de la seule question du logement, l’inventaire des mesures destinées à
améliorer la situation globale des espaces les plus en difficulté (ou plus exactement que les
pouvoirs publics considèrent comme prioritaires) et les zonages successifs nécessaires en
amont à la mise en place d’une politique territorialisée, ont pu conduire par effet de
« labelling », à une stigmatisation accrue des espaces et de leurs habitants. Ainsi pour Marco
Oberti, « la focalisation et la superposition des programmes sociaux sur ces espaces urbains
à la dérive conduisent à les stigmatiser encore plus. […] Des quartiers se sont ainsi retrouvés
catalogués et étiquetés comme quartiers difficiles, amplifiant le départ des catégories sociales
ayant encore les ressources pour le faire et ne supportant plus ce stigmate ». (Oberti, 2002, p
241) La lutte contre la ségrégation urbaine a donc parfois conduit à une accentuation de celle-
ci.
Si la ségrégation a été appréhendée de multiples manières par les différents auteurs et les
différentes disciplines s’intéressant au phénomène, elle prend, dans le cadre de notre étude,
tout son sens une fois rapportée à la question de l’identité des territoires comme des individus.
En effet, tout à la fois support de la vie sociale, mais aussi enjeu et outil de différenciation,
l’espace peut être appréhendé de manière féconde par le biais du lien particulier qui l’unit aux
différents groupes sociaux. C’est ce que nous allons présenter dans le deuxième chapitre de
cette partie introductive.
25
« Afin de mettre en œuvre le droit à la ville, les communes [etc.] assurent à tous les habitants des villes des
conditions de vie et d’habitat favorisant la cohésion sociale et de nature d’éviter ou de faire disparaître les
phénomènes de ségrégation. Cette politique doit permettre d’insérer chaque quartier dans la ville et d’assurer
dans chaque agglomération la coexistence des diverses catégories sociales. » LOV, J.O. du 19 juillet 1991.
23
2. De la relation entre territoire et identité
« Ce que les individus sont, ils le doivent, pour une part, aux espaces où ils ont vécu et
où ils vivent » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1986, p. 63-64). Par cette formule d’apparence un
peu lapidaire, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot indiquent clairement ce qu’il en est,
pour la sociologie, de la relation entre espace et socialisation26 et partant, entre espace et
identité. La sociologie n’est d’ailleurs pas la seule des sciences humaines à s’intéresser à cette
relation ; les ethnologues ont ainsi montré depuis les premiers travaux portant sur les sociétés
dites «exotiques »27 que la relation à l’espace peut être considérée comme universellement
garante de la particularité des identités (Lévy et Ségaud, 1983). C’est d’ailleurs précisément
cette dimension liée à l’identité et à la culture (entendue dans son sens ethnologique de mode
de vie) qui semble différencier les deux notions proches d’espace et de territoire. La nuance
sémantique non négligeable entre les deux notions est bien explicitée par les géographes 28 ,
pour qui « le territoire est à l’espace ce que la conscience de classe est à la classe : quelque
chose que l’on intègre comme partie de soi, et que l’on est donc prêt à défendre » (Brunet et
al., 1992). Pour les sociologues en revanche, la différence entre les deux concepts semble
beaucoup plus floue comme l’atteste la définition donnée par un récent dictionnaire de
sociolo gie 29 où le mot territoire transparaît comme un vague synonyme du concept d’espace,
et comme en témoignent les nombreux travaux dans lesquels les deux termes sont utilisés
indifféremment. Pour plus de clarté, nous retiendrons donc que le territoire peut être considéré
selon au moins deux perspectives.
La première renvoie aux cadres liés à l’action publique et à la représentation politique,
le territoire étant perçu comme un espace sur lequel s’exerce un pouvoir politique qui produit
un découpage de l’espace en territoires, à des fins de gestion et d’administration locale. Par
exemple, dans le cas précis de notre étude, il s’agira des territoires prioritaires de la Politique
de la Ville.
La seconde perspective envisage le territoire de façon plus diffuse et moins
institutionnalisée, se rapportant alors aux multiples formes de particularisation et
26
Entendue comme « processus par lequel les individus intériorisent, codes, normes et valeurs d’une société »
(Akoun, 1999, p 481)
27
On pense notamment, en ce qui concerne le rapport à l’espace, à ceux de Mauss sur les sociétés Eskimos
(1904), de Malinowski sur les Mélanésiens (1933) ou encore de Lévi-Strauss sur les indiens Bororo (1936)
28
Pour un exposé clair sur la question, voir notamment: Di Méo G., « De l’espace subjectif à l’espace objectif :
l’itinéraire du labyrinthe », in L’espace géographique, n°4, 1990-1991, pp. 359-373
29
Akoun A. Ansart P. Dictionnaire de Sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999
24
d’appropriation de l’espace (Alphandery, 2004). Dans ce cadre, on peut considérer le territoire
comme « un espace approprié. Approprié se lit dans les deux sens : propre à soi et propre à
quelque chose » (Brunet, 1990, p. 23). Il convient cependant de ne pas trop individualiser
cette relation qui traduit une reconnaissance collective d’une appartenance commune à
l’espace, loin de nous enfermer dans un rapport uniquement personnel avec celui-ci (Di Méo,
1991). En ce sens, « le primat est bien placé sur le groupe, son existence est nécessaire à la
territorialité » (Piolle, 1991), à tel point que pour cet auteur, faute d’un groupe qui porte dans
ses pratiques, ses rites, sa mémoire ou ses projets l’appropriation d’un espace, il ne peut y
avoir de construction sociale de l’espace (de proximité).
Malgré cela, notamment parce que la mobilité spatiale (pour ne parler que d’elle) ne
s’oppose pas à l’ancrage (Bacqué et Sintomer, 2002, Authier, 2002) et qu’elle n’est pas une
pratique accessible à tous (Roch, 1998, Hilal et Sencebé, 2003), nous allons voir que le
territoire doit encore être considéré comme un vecteur identitaire non négligeable. Ceci est
vrai en particulier pour certaines catégories sociales et de ce fait, la prise en compte du rapport
au territoire peut s’avérer féconde dans une analyse portant sur le cumul des inégalités et les
processus de ruptures sociales. A la suite de quelques auteurs, nous espérons le démontrer.
Pour cela, il convient en premier lieu de préciser ce que nous entendrons par « identité » et
« vecteur identitaire » notamment.
25
A. Petite mise au point sur la notion d’identité
De la même manière, bien que Claude Dubar parmi d’autres nous rappelle à juste titre
que les formes identitaires rigides héritées de la dichotomie classique Communauté / Société
chère à Ferdinand Tönnies sont à présent dépassées dans le cadre de la modernité (Dubar,
2000), nous verrons qu’il peut être important, dans le cas du lien entre identité et territoire, de
considérer la question des identités sous un angle collectif, dans la lignée des modèles Nous /
Eux de Richard Hoggart (Hoggart, 1970) et Nous / Je de Norbert Elias (Elias, 1991a, Elias et
Scotson, 1997).
Enfin, tout en tenant compte des critiques apportées par certains auteurs sur le sujet 30 ,
nous aborderons aussi la question de l’« identité des lieux » ou « identité locale », telle qu’on
l’entend lorsque l’on parle par exemple, pour l’un des quartiers sur lesquels porte notre étude,
d’identité « bellevilloise » (Simon, 1994, 1995b, 1997). L’identité locale participe en effet à
l’élaboration de l’« identité pour soi », comme de l’« identité pour autrui » et peut conduire à
(ou nécessite suivant les points de vue) l’élaboration d’une identité collective.
30
Voir notamment Piolle X., « Proximité géographique et lien social, de nouvelles formes de territorialité ? », in
L’Espace Géographique, n°4, 1991, pp. 349-358 ou Genestier P., « Le sortilège du quartier : quand le lieu est
censé faire lien. Cadre cognitif et catégorie d’action politique », in Annales de la Recherche Urbaine, n°82,
1999, pp. 142-153.
26
Par « vecteur identitaire » nous entendons les sphères d’appartenance des individus au
sein desquelles se forge l’identité. Parmi elles, on compte notamment mais pas seulement, les
grandes institutions classiques de la socialisation, sources traditionnelles d’identification,
comme la famille, le travail ou dans le cas précis de ce travail, le territoire.
Le plus petit territoire pour l’homme, celui du logement, de par sa configuration et les
usages qui en sont faits, est à la fois un témoin et un vecteur de l’identité des personnes qui
l’habitent. Le verbe « habiter » est d’ailleurs riche de sens quand on considère qu’il désigne à
la fois le fait, plutôt neutre, de résider dans un lieu et celui de le remplir d’une présence. Dans
une optique de différenciation sociale, l’habitat joue traditionnellement un rôle important, en
tant que pratique distinctive, même s’il est vrai que le mouvement actuel tend plus à
l’homogénéisation des modes d’habiter. En ce sens, pour reprendre l’expression de Jean
Pierre Lévy et Claire Lévy-Vroelant, « loin d’être une simple adresse, le domicile, ou mieux
la domus, est une projection plus ou moins satisfaisante des individus qui y demeurent »
31
Le Bras H., Le sol et le sang, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, coll. Monde en cours, 1994
27
(Lévy et Lévy-Vroelant, 2001, p 76). Les analyses classiques de Richard Hoggart (Hoggart,
1970), Michel Verret (Verret, 1995) ou encore Colette Pétonnet (Pétonnet, 1979, 2002) sur les
modes d’habiter des classes populaires renseignent ainsi, dans la mesure où l’on admet
généralement une déclinaison du rapport au logement selon un axe privé/public et
intérieur/extérieur (Haumont, 2001), sur les caractéristiques culturelles et partant sur certaines
des dimensions de l’identité de ces catégories sociales. La répétition des analyses dans le
temps témoigne aussi de l’évolution de ces catégories sociales et de leurs pratiques comme en
rend compte l’ouvrage d’Olivier Schwartz (Schwartz, 1991) qui décrit un rapport au logement
des ouvriers assez différent de celui que présentaient les trois auteurs précités.
Le rapport au logement évolue au fil du spectre social depuis un modèle populaire et
ouvrier de l’intériorisation, qui serait caractérisé aujourd’hui, si l’on suit Jean Pierre Lévy et
Claire Lévy-Vroelant, par une forte coupure entre privé et public 32 , entre espaces et rôles des
hommes et des femmes, entre professionnel et domestique, jusqu’au modèle caractérisant les
pratiques des cadres supérieurs urbanisés, situé du côté de l’extériorisation et des modes
collectifs de socialisation (Lévy et Lévy-Vroelant, 2001, p. 76).
32
Ce qui s’oppose aux analyses de Hoggart, Verret ou Pétonnet, témoignant ainsi des mutations qu’ont connu les
catégories populaires au cours des 50 dernières années.
33
Le quartier de Belleville est révélateur en cela avec des noms de rue rappelant tant son aspect physique d’antan
(rue des cascades, rue de la mare, etc.), que les activités qu’il abritait alors (rue de la ferme de Savy, rue du
pressoir, etc.).
28
L’histoire des lieux34 est aussi, nous l’avons déjà évoqué, celle des politiques
publiques qui en a parfois défini les contours. Par leurs interventions, les pouvoirs publics
prennent en effet une part active dans la construction sociale du quartier en tant que territoire.
Ceci se fait parfois de manière non désirée comme lorsque les zonages conduisent à la
stigmatisation des quartiers repérés. Cependant, la construction sociale (politique) du quartier
est parfois aussi intentionnelle, lorsque les mesures instaurées misent explicitement sur
l’identification au quartier de leurs clientèles-cibles et quand elles s’appliquent à favoriser la
valorisation d’une identité territoriale de quartier (Dansereau et Germain, 2002). C’est ainsi,
par des allers-retours constants entre les découpages officiels (c’est à dire la parole politique
qui reconnaît le quartier) et les représentations (c’est à dire l’appropriation par les habitants de
ses frontières symboliques), que se joue parfois l’existence effective des quartiers (Blondiaux,
1999, cité par Neveu 2004). Existence il est vrai fragile, quand l’« esprit de quartier » ne
repose que sur quelques animateurs bénévoles ou professionnels (Piolle, 1991) et que la
croyance en la « territorialité »35 est démesurée (Genestier, 1999).
Le développement d’une identité de quartier et son appropriation par les habitants est
le fruit d’une alchimie complexe et finalement assez mal connue. Elle semble liée en effet tout
à la fois à l’histoire, au regard porté sur le quartier par le monde extérieur, à la configuration
des lieux et à leur composition sociale. Ce dernier point en particulier est sujet à débat entre
les tenants de la mixité et leurs opposants. Depuis les échecs du projet urbanistique des années
70 relatés notamment par le célèbre article de Jean Claude Chamboredon et Madeleine
Lemaire 36 , certains tendent en effet à penser que « la construction de l’identité sociale dans
l’espace de résidence[…] sur le mode du « cela va de soi », sans contradictions, ni conflits,
n’est possible que dans la mesure où le social incorporé se trouve en harmonie avec l’espace
urbain » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1986).
34
Ce terme pouvant être entendu dans ce cas précis, dans le sens anthropologique qu’en donne Marc Augé (qu’il
oppose aux « non-lieux »), c’est à dire comme constructions concrètes et symboliques de l’espace, d’échelle
variable, justement caractérisés par trois dimensions : les lieux anthropologiques sont identitaires, relationnels et
historiques (Augé, 1992, op. cit. p 68-69)
35
Entendue comme la capacité d’un lieu à être un territoire supposé constitutif d’une identité collective
(Genestier, 1999)
36
Chamboredon J.C., Lemaire M., «Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur
peuplement », in Revue Française de Sociologie, XI, 1970, p. 3-33.
29
C’était le cas notamment des quartiers ouvriers traditionnels 37 , tels qu’on pouvait les
rencontrer jusqu’au milieu du siècle dernier, du moins tant que la notion de lutte des classes et
de classe ouvrière avait encore un sens. La littérature sociologique et ethnographique regorge
de descriptions monographiques de tels quartiers 38 et malgré la provenance géographique
variée de ces travaux et les contextes culturels différents des pays dans lesquels se situent les
quartiers décrits, ce corpus d’observations partage de nombreuses analyses. Le quartier
ouvrier y est ainsi décrit comme une unité sociale et spatiale proche de la définition du
village, dans lequel les familles ouvrières sont profondément enracinées, y partageant des
conditions de vie difficiles, mais aussi des formes de solidarité et une culture spécifique
(Bacqué et Sintomer, 2002). La culture commune est structurée par l’opposition entre le
« eux » et le « nous » décrits par Hoggart (Hoggart, 1957), qui renvoie, sur le mode spatial, à
un « ici » et un « là-bas ». La sociabilité y est décrite comme dense, les formes d’entraide sont
multiples et développées, elles alimentent un sentiment d’appartenance locale qui repose sur
l’existence de valeurs communes, d’aspirations collectives et d’une condition sociale
affirmée, lesquelles sont reprises par un projet politique. L’expérience politique des
municipalités ouvrières, dont la banlieue rouge, en France, est emblématique, illustre ainsi
directement, à travers la construction d’une contre-société, une articulation particulière entre
identité sociale et politique et rapport au territoire (Bacqué et Sintomer, 2002). Dans ces
travaux, l’enracinement local est présenté comme un patrimoine du groupe ouvrier et comme
une ressource commune. Les termes ouvriers et populaires sont alors utilisés de manière
équivalente du fait de la prédominance du groupe ouvrier dans les couches populaires.
37
Etant donnée la nature de notre terrain d’enquête, nous prenons le parti de n’aborder ici que le cas des
quartiers dits « populaires », en n’oubliant pas que la relation entre identité et territoire a aussi été abordée de
manière pointue dans le cas des quartiers « bourgeois », cf. notamment Pinçon M. et Pinçon-Charlot M., Dans
les beaux quartiers, Paris, Seuil, 1989.
38
Voir notamment pour la situation en Angleterre : Hoggart R. La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970
(Londres, 1957) et Young M. Willmott P., Le village dans la ville, Paris, CCI, 1983 (Londres, 1957). Pour la
situation aux Etats Unis : Whyte W.F., Street Corner Society: la structure sociale d’un quartier italo-américain,
Paris, La Découverte, 2002 (Chicago, 1943) et Gans H. The Urban Villagers : Group and Class Life of Italian-
American, New York, The Free Press, 1962. Pour la situation française : Coing H., Rénovation urbaine et
changement social, Paris, Les éditions ouvrières, 1966 et Verret M., L’espace ouvrier, Paris, L’Harmattan, 1995
30
auteurs comme Henry Coing (Coing, 1966) en analysaient le s spécificités. La crise
économique sur laquelle se sont ouvertes les années 70, les changements sociaux qui l’ont
accompagnée et la modernisation urbaine, ont peu à peu conduit à l’émergence, en lieu et
place de certains quartiers populaires, des territoires dans lesquels se concentrent les
difficultés et qui n’ont plus grand chose en commun avec l’image qu’en donnaient les
analystes du quartier ouvrier traditionnel.
Dans ce contexte, deux questions se posent alors assez logiquement : l’une porte sur la
pertinence de la dimension territoriale et du territoire local de résidence en particulier en tant
que vecteur identitaire, l’autre porte sur les effets des évolutions des territoires qui abritaient
traditionnellement les classes populaires au regard de la problématique de l’identité.
Au sein d’un courant de recherche centrant ses réflexions sur la crise des identités et
sur le développement de nouvelles formes identitaires, certains chercheurs s’interrogent plus
précisément sur le devenir des territoires et du rapport au territoire des individus dans un
contexte mondialisé (Augé, 1992, Maffessoli, 2003, Veltz, 2002). S’inscrivant pour la plupart
dans cette problématique générale, de nomb reux travaux témoignent ainsi de l’accroissement
observé depuis quelques années des phénomènes de mobilité, tant résidentielle que
quotidienne. Permise par le développement des moyens et outils de communication modernes,
parfois imposée par la structure du marché de l’emploi, et le plus souvent socialement
valorisée (Rémy, 1996, Ramadier, 2002, Sencebé, 2004), la mobilité semble transformer
fondamentalement les rapports entretenus par les hommes avec l’espace. L’individu ne vivant
plus au centre d’un territoire bien délimité mais étant à présent pluricentré (Remy, 1996), il
dispose d’une palette de territoires a priori substituables entre eux et développerait à leur
égard un rapport plus fonctionnel (Beauchard, 1999) ou plus stratégique (Bourdin, 1996).
Dans ce cadre, le territoire ne serait alors plus un support d’identification, mais un substrat sur
lequel se dérouleraient les activités humaines, et la labilité des ancrages conduirait à une
« déterritorialisation des groupes sociaux » dont les relations plus réticulaires seraient sans
grand rapport d’identification avec un espace géographique précis (Hilal et Sencebé, 2003).
39
Le titre est repris d’un ouvrage de Roger Brunet : Brunet R., Le territoire dans les turbulences, Montpellier,
Reclus, 1990
31
Cette mutation des rapports à l’espace sous l’effet du développement des mobilités
doit cependant être fortement nuancée. En effet, bien que « démocratisée » par l’accès pour le
plus grand nombre aux biens de consommation de masse comme la voiture ou l’ordinateur,
cette pratique spatiale reste fortement dépendante outre de l’âge et de la santé, du potentiel
financier et culturel des individus (Remy et Voyé, 1992). Ainsi, même si certains y voient un
agent de «dilution du social » permettant d’échapper aux repères sociaux habituels (Roch,
1998), d’autres considèrent que « aujourd’hui comme hier, la mobilité n’efface pas la
distance sociale » (Bacqué et Sintomer, 2002, p 39). En fait, ce comportement spatial agit
comme un véritable « opérateur de hiérarchie sociale » (Hilal et Sencebé, 2003), qui peut
certes créer de nouveaux axes de clivages à l’intérieur des catégories sociales, mais qui
reproduit fortement la hiérarchie sociale antérieure. Encore aujourd’hui, ce sont bien les
hommes des catégories sociales élevées qui se déplacent le plus, alors qu’à l’opposé, on
retrouve les sédentaires auprès des personnes âgées issues des catégories sociales les plus
démunies (Ramadier, 2002). La mobilité constitue en fait un nouveau champ des inégalités
sociales comme en témoigne le « droit à la ville » réclamé par certains (Behar, 1990), en
référence à un célèbre ouvrage d’Henri Lefèbvre. Une inégalité d’autant plus durement
ressentie que dans ce contexte, l’enracinement n’est plus considéré comme « un patrimoine du
groupe ouvrier » ou une ressource commune (Bacqué et Sintomer, 2002) mais comme un
attribut spécifique des populations précarisées décrites alors comme «captives » (Ramadier,
2002), pour qui l’ancrage territorial serait devenu un refuge plus qu’une ressource (Bacqué et
Sintomer, 2002).
Pourtant, la deuxième nuance à apporter à notre exposé initial sur les effets plus ou
moins fantasmatiques de la mobilité, concerne justement le rapport entre mobilité et ancrage.
Longtemps analysée suivant une dichotomie opposant nomades et sédentaires, la mobilité
spatiale s’avère cependant plus complexe, l’ancrage ne s’opposant pas forcément à la mobilité
(Bacqué et Sintomer, 2002, Authier et al., 2001, Authier, 2002, Sencebé, 2004). Yannick
Sencebé décrit ainsi dans une typologie des rapports au territoire, différentes configurations
associant sédentarité et mobilité qui engagent la dimension identitaire, les lieux étant plus ou
moins équivalents et substituables suivant les types et renvoyant à des appartenances
différentes (identité généalogique, identité sociale, etc.) (Sencebé, 2004). Il semble ainsi que
la mobilité n’efface pas l’appartenance locale et que l’ancrage dans le quartier et la mobilité
urbaine, loin de constituer des modes opposés d’habiter, fonctionnent en fait de pair (Authier,
2002). Sur le plan des identités locales, Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer sont pour leur
part catégoriques : « ce processus ne conduit pas à la dissolution des identités spatiales et
32
peut même, dans certains cas, les renforcer » (Bacqué et Sintomer, 2002, p 42). Il n’en reste
pas moins que pour certaines catégories sociales l’ancrage ne se conjugue que très rarement
avec la mobilité.
Pour ces catégories sociales dominées, privées de mobilité tant sociale que spatiale et
qui subissent de plein fouet la « crise des identités » (Dubar 2000), le territoire semble jouer
dans certains cas, le rôle d’une véritable « bouée identitaire ». Ainsi, pour Catherine Bidou-
Zachariasen, « à une époque où l’identification sociale passe moins qu’auparavant par la
sphère du travail et la culture de classe, l’espace résidentiel constitue, souvent pour les
couches populaires, l’ultime vecteur identitaire, l’ultime domaine à partir duquel elles sont en
mesure de mobiliser quelques ressources (matérielles, sociales, symboliques) » (Bidou-
Zachariasen, 1997, p. 106). En suivant la même hypothèse, plusieurs auteurs (Dubet et
Lapeyronnie, 1992, Avenel, 2000, Lepoutre 2000) insistent sur l’importance du territoire dans
la construction identitaire des plus jeunes représentants de ces catégories sociales. Dans leur
étude sur les Quartiers d’exil 40 , François Dubet et Didier Lapeyronnie notent ainsi que le
territoire, quartier ou immeuble, constitue pour les groupes de jeunes auprès de qui ils
enquêtent, un espace protecteur représentant « la principale ressource sociale, quand ni
l’école, ni le travail ne construisent d’identification suffisamment fortes ». Pour ces jeunes, le
territoire procède d’abord « de cette appartenance forcée, souvent stigmatisante, qu’ils
s’approprient car c’est la seule identification dont ils disposent » (Dubet et Lapeyronnie,
1992, p 184). Un récent programme de recherche européen portant sur les dimensions
spatiales de l’exclusion sociale (URBEX) s’étant intéressé pour le cas français à la situation
de deux quartiers de la proche banlieue parisienne (Bas Montreuil et Cité des 4000), abonde
aussi dans ce sens en concluant très récemment, que « l’identité collective positive d’un
quartier offre un registre de réassurance des identités sociales des plus démunis » (Palomares
et Simon, 2002, p 8). Mais tous les quartiers ne sont justement pas égaux quand il s’agit
d’offrir à leurs habitants une surface identitaire positive. Si les quartiers ouvriers traditionnels
semblaient riches de ce type de ressources, qu’en est- il aujourd’hui des quartiers abritant les
catégories sociales les plus modestes ?
40
Dubet F. et Lapeyronnie D., Les quartiers d'exil, Paris, Le Seuil, 1992
33
D. Peut-on encore parler de « quartiers populaires » ?
Pour qualifier les quartiers en difficulté des grands centres urbains, peut-on encore
parler de quartiers populaires ? 41 Derrière cette question se cachent en fait au moins deux
interrogations. La première que nous avons déjà partiellement abordée, porte sur l’échelle
spatiale représentée par le quartier et sur sa pertinence actuelle au regard de la dimension
spatiale des pratiques sociales, des sociabilités, des solidarités et plus globalement de
l’identité (Piolle, 1991, Ascher, 1998, Genestier, 1999, Neveu, 2004). La seconde quant à elle,
s’interroge plus particulièrement sur le qualificatif « populaire » dans le sens où il était
considéré dans les travaux précédemment évoqués : le quartier populaire se caractérisait alors
par l’articulation d’une identité sociale, d’un ancrage local et (au moins dans les municipalités
ouvrières) d’un rapport au politique (Bacqué et Sintomer, 2002) qui se traduisaient par le
développement de solidarités concrètes et réelles. La question est donc de savoir si les
évolutions successives des espaces urbains, tant sur le plan de l’urbanisme que de la
composition sociologique, ont parfois permis de conserver ce type d’articulation et s’ils
constituent toujours des ressources pour l’identité des catégories populaires.
Les nombreux travaux portant sur cette question remarquent qu’y compris au sein des
territoires les plus en difficulté dont ceux repérés par les politiques de la ville, tous les
territoires n’ont pas une capacité identique à offrir les moyens d’une identification positive à
leurs habitants, à se constituer comme ressource identitaire. La composition démographique
des quartiers et les problèmes sociaux spécifiques qui leur sont liés expliquent pour partie
cette moindre capacité, mais d’autres dimensions interviennent aussi : la topographie des lieux
et l’architecture, la dotation en commerces et services, la présence des pouvoirs publics,
l’histoire des lieux, etc.
Sur le plan de la méthode, ces travaux distinguent en fait classiquement deux types de
territoires ayant en commun d’accueillir les catégories les plus modestes du corps social et de
connaître de ce fait les mêmes problèmes liés à la précarité des conditions d’existence de ces
populations. Passées les ressemblances, ces territoires se différencient aussi sur de nombreux
points, dont l’existence ou non d’un sentiment d’appartenance locale liée à celle d’une
identité de quartier. Ces deux types sont les quartiers anciens de centre- ville et les quartiers de
41
Nous empruntons ce titre à l’article de Marie -Helène Bacqué et Yves Sintomer : Bacqué M.H., Sintomer Y.,
“Peut-on encore parler de quartiers populaires”, in Espaces et Sociétés, n°108-109, 2002, pp. 29-45
34
grands ensembles, la plupart du temps localisés en périphérie des villes (Bidou- Zachariasen,
1997, Villechaise-Dupont, 2000, Musterd et al., 2002). Parmi les quartiers qui composent
notre échantillon, nous verrons que l’on peut procéder à une partition similaire.
35
Les quartiers de grands ensembles
Le cas des quartiers de grands ensembles étudiés par ces mêmes auteurs est décrit
comme tout autre. La plupart du temps localisés hors des villes, enclavés, ces quartiers à
l’histoire récente correspondent aux projets urbanistiques des années 60-70. La situation de
ces territoires monofonctionnels, uniquement orientés vers l’habitat, peut s’analyser en
suivant Catherine Bidou-Zachariasen, comme résultant de la crise d’un certain type de
territoire : celui de « l’espace résidentiel fordiste », qui paraît aujourd’hui en décalage avec les
besoins des populations y résidant et avec leur situation économique 42 . Par construction,
l’appropriation de ces quartiers de grands ensembles par leurs habitants est difficile, alors
même que les catégories sociales qu’ils abritent sont plus dépendantes et demandeuses que
d’autres d’une adéquation culturelle avec leur territoire de résidence. L’accumulation des
problèmes sociaux que l’on observe dans ces territoires peut certes se comprendre par les
difficultés socioéconomiques de leurs habitants, mais doit aussi être envisagée comme la
conséquence d’un tissu social anomique, anomie qui se sera constituée aussi par les
caractéristiques historiques et territoriales, et par la difficulté d’y mobiliser des ressources
(Bidou- Zachariasen, 1997). Par ailleurs, ces quartiers sont marqués par une quasi-absence de
mixité sociale 43 , le mouvement étant en effet ici inverse au cas précédent puisque les
catégories les plus favorisées tendent à quitter ces quartiers en difficulté, alimentant encore la
logique de l’enfermement.
En raison notamment de ces grandes caractéristiques (morphologie des lieux, absence
d’histoire locale, cumul des difficultés sociales, homogénéité sociale, etc.), les quartiers de
grands ensembles se caractérisent la plupart du temps par une absence d’identité collective
chez leurs habitants (Villechaise, 1997), certaines catégories faisant cependant figure
d’exception comme les adolescents qui sont « les seuls habitants du grand ensemble à
pouvoir retirer un quelconque profit symbolique de leur appartenance à ces lieux »
(Lepoutre, 2001, p 65).
42
Rappelons que dans une lecture régulationniste de la question, l’habitat fordiste devait, dans une conjoncture
générale de croissance et de mobilité sociale, permettre de structurer les pratiques autour notamment de la
consommation de masse avec un modèle dominant organisé autour de l’automobile et des biens domestiques
durables, en fonctionnant comme espace d’acculturation à la vie moderne (Bidou-Zachariasen, 1995, 1997).
43
La vision développée ici est très schématique, Anne Villechaise montre ainsi que derrière l’apparente
homogénéité, le quartier de grands ensembles qu’elle étudie dispose lui aussi de ses «riches » et de ses
« pauvres » (Villechaise, 1997)
36
E. La disqualification spatiale et ses conséquences sur les territoires
et leurs habitants
L’expression «disqualification spatiale » que nous utiliserons ici fait écho à ce que
Serge Paugam nomme la « disqualification sociale » 44 et qu’il définit comme la : « logique de
la désignation et de l’étiquetage et de ses effets sur le plan identitaire » (Paugam, 2000a, p.
25). En effet, la « disqualification spatiale » est bien un processus aux causalités multiples qui
conduit à la désignation et à l’étiquetage de certains territoires, ce qui a des effets sur
l’identité des territoires considérés, et potentiellement on l’aura compris, sur l’identité des
personnes qui y résident. Ce processus renvoie aussi à la question du stigmate et des procédés
de stigmatisation tels qu’ils ont été analysés en son temps par Erving Goffman45 , et que nous
appliquons ici à un objet socio-spatial.
44
Paugam S. La disqualification sociale, Paris, PUF, coll Quadrige, 2000 (1° ed. 1991)
45
Goffman E. Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Minuit, coll. Le Sens commun, 1975, 1° ed.
1963
46
Elias N., Scotson J.L., Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, coll. Agora, 1997, 1° ed. Londres, 1965
37
se construire, par différence, une image positive de lui même. On est ici proche des sources du
racisme ordinaire décrites notamment par Michel Wieviorka (Wieviorka, 1991).
Qu’il s’agisse des «commérages discriminatoires » dont parlent Elias et Scotson ou
des mécanismes plus généraux de stigmatisation par l’intervention publique, ces phénomènes
ont en commun une extériorité de position du groupe ou de l’institution exerçant le regard
stigmatisant et renvoient au contrôle traditionnellement faible que les classes populaires
exercent sur les représentations de leur espace social (Simon, 1995a).
Pour comprendre à présent les conséquences de cette attribution d’un préjugé social
par autrui qu’est le stigmate, il convient de revenir à la double dimension de l’identité que
nous avons évoquée au début de ce chapitre et que Goffman développe aussi dans son
ouvrage. Goffman attribue en effet à chaque individu deux types d’identité, une identité dite
sociale, correspondant à son « moi projeté » sur les autres et une identité individuelle,
correspondant à sa singularité biographique (Goffman, 1975). Ces deux types d’identité se
rapprochent de ce que l’on a défini plus haut comme « être-pour-autrui » et « être-pour-soi ».
L’identité sociale répond ainsi aux attentes qui sont habituellement adressées à l’individu, à
partir des attributs qui lui sont typiquement reconnus. L’identité individuelle, quant à elle,
n’est théoriquement accessible qu’à un nombre réduit de partenaires intimes (ce en quoi
d’ailleurs, elle est encore sociale). Pour Goffman, le stigmate correspond à la perturbation des
attentes adressées à l’acteur social par l’une des caractéristiques de son identité personnelle,
38
qui conduit à un déclassement plus ou moins sévère. En ce sens le stigmate, par essence
relationnel, correspond à une véritable « cassure entre soi et ce que l’on exige de soi », à une
impossibilité d’unifier de façon harmonieuse la particularité de son individualité et les attentes
des autres. De ce fait, les tentatives de contournement du stigmate que peuvent mettre en
œuvre un individu ou un groupe stigmatisé peuvent se comprendre comme un travail de
réunification de ces deux images de soi.
Connaissant les liens étroits unissant l’identité des territoires et celle des individus y
résidant, ces quelques éléments permettent d’éclairer à présent les conséquences du stigmate
spatial pour les personnes et les groupes résidant dans des territoires stigmatisés ainsi que les
différentes stratégies qu’ils mettent parfois en œuvre pour en amoindrir les effets. Aux côtés
des analyses classiques de Norbert Elias et des travaux de Serge Paugam déjà cités, de
nombreuses études de nature sociologique ont abordé la question de la gestion du stigmate
spatial (Gruel, 1985, Dubet et Lapeyronnie, 1992, Avenel, 2000, Villechaise, 1997,
Villechaise-Dupont, 2000, Lepoutre, 2001). Notre analyse s’appuiera donc sur les conclusions
convergentes dégagées par ces différents auteurs, mais comme pour l’ensemble du travail de
DEA produit dans un cadre pluridisciplinaire, nous emprunterons aussi à d’autres disciplines
comme l’épidémiologie sociale pour apporter un éclairage complémentaire sur la question.
47
Ou de manière plus juste et réaliste : « toutes les variables prises en compte par le chercheur et introduites
dans le modèle statistique étant contrôlées », ce qui n’est pas, convenons le, tout à fait la même chose.
48
Pour un aperçu global de l’avancée des recherche sur la question aux Etats Unis, voir notamment Marpsat M.,
« La modélisation des « effets de quartier » aux Etats Unis. Une revue des travaux récents », in Population,
n°54(2), 1999, pp. 303-330
39
Pour ce qui est des travaux français, les résultats sont moins probants mais des
chercheurs ont tout de même mis récemment en évidence un « effet Zone Urbaine Sensible »
sur la durée du chômage qui est, toutes choses égales par ailleurs, plus longue dans ces
territoires que dans d’autres territoires non marqués institutionnellement (Choffel, 2002).
Maryse Marpsat et Raphaël Laurent avaient quant à eux mis en évidence l’existence d’un
« effet adresse » expliquant la moindre réussite dans la recherche d’emploi des jeunes habitant
les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais la force de cet effet restait néanmoins
inférieure à celles de la nationalité et de l’origine géographique (Marpsat et Laurent, 1997).
Nous reviendrons dans le cours de ce document, plus en détail sur ce type d’études
quantitatives.
Face au stigmate supporté par un territoire et à la menace de son transfert sur soi, l’une
des réactions les plus évidentes pour ceux qui le peuvent est la fuite 49 . Par contrecoup, celle-ci
est par ailleurs responsable de l’aggravation de la situation du territoire en question, due à la
perte de ses éléments les moins fragiles, et à un renforcement de la stigmatisation. De tels
phénomènes ont été repérés dans de nombreux territoires en difficulté et ils constituent même,
pour W.J. Wilson, l’une des causes principales du renfermement inéluctable du ghetto noir
américain (Wilson, 1987). La fuite peut parfois ne pas se concrétiser par un départ effectif
mais repose sur l’assurance de la possibilité de quitter le territoire au moment désiré et sur
l’existence d’une vie sociale largement extérieure au quartier, comme dans le cas typique des
étudiants ou des jeunes salariés, pour qui la localisation résidentielle résulte d’un choix
économique que l’on espère transitoire et réversible (Villechaise-Dupont, 2000, Dubet, 1997).
On peut néanmoins analyser cette réaction sous l’angle de la fuite dans le sens où le rapport
au quartier est uniquement instrumental et où les pratiques sociales se déroulent quasi-
intégralement hors de son périmètre. Au niveau du discours, sur lequel on va revenir, ce cas
de figure n’est nullement incompatible avec la revendication d’une appartenance locale
positive.
Pour la situation de ceux qui n’ont pas les ressources, économiques et/ou culturelles,
permettant la mise à distance du quartier et qui restent ainsi captifs de celui-ci, le facteur
49
Notons cependant que tout comme le territoire ne constitue pas un vecteur identitaire d’importance égale pour
tous les individus et les groupes sociaux, le stigmate ne concerne pas tous les habitants des quartiers disqualifiés.
40
aggravant que représente l’image négative de l’espace de résidence est facile à imaginer et
bien décrit par la littérature. Un des grands acquis de la sociologie et des analyses des
processus de stigmatisation aura d’ailleurs été de montrer ce qu’Elias résume ainsi : « Faites à
un groupe une mauvaise réputation et il aura tendance à s’y conformer » (Elias et Scotson,
1997, p 52). La stigmatisation peut opérer ainsi sur les stigmatisés en les amenant à
intérioriser l’image qui leur est renvoyée d’eux, voire à s’y conformer dans leurs
comportements. Dans le cas des « outsiders » décrits par Elias et Scotson, l’intériorisation de
l’image imposée par les « established » amène les premiers à devenir les asociaux et les quasi-
délinquants que leurs voisins veulent voire en eux. L’image collective négative finit par être
littéralement incorporée par ceux qui en sont les victimes et qui, dégradés symboliquement
par le quartier stigmatisé, le dégradent symboliquement en retour (Bourdieu, 1993).
Pour ceux parmi les captifs qui peuvent résister à cette intériorisation du stigmate, un
choix reste à faire entre deux options : soit opérer une « distanciation idéologique à l’égard
du groupe stigmatique », soit intégrer « symboliquement le groupe, ce qui présuppose sa
revalorisation culturelle, non seulement vis à vis de l’extérieur, mais aussi du point de vue de
la relation entre chaque sujet et l’ingroup » (Gruel, 1985, p 447). L’une comme l’autre des
options entend résoudre le conflit existant entre l’« être pour soi » et l’« être pour autrui ».
Par la coupure d’avec le milieu environnant, c’est la recréation de différences qui est
aussi recherchée, le couple Eux/Nous caractérisant l’unité revendiquée du quartier ouvrier
traditionnel se décomposant alors en une série de clivages et de classements internes au
territoire. La tentative visant à échapper aux éclaboussures individuelles du stigmate collectif
(Villechaise, 1997) peut alors s’accompagner d’un rejet catégorique de la cité et de ses
41
habitants et d’un report ou du détournement du stigmate sur un voisinage rendu responsable
de la déchéance collective. La figure de l’étranger opère alors souvent comme « pôle
stigmatique de substitution » pour reprendre les mots de Gérard Althabe (cité par Gruel,
1985). Le détournement vers l’autre qui diffère de soi seulement par la nationalité ou par
l’ancienneté dans le quartier (Elias et Scotson, 1997) peut être considéré comme une « autre
façon, opérante et dérisoire à la fois, de recréer une parcelle de différence positive en
position d’extrême disqualification sociale » (Gruel, 1985, p 438). En adoptant une position
d’observateurs critiques de la situation de leur quartier, les habitants peuvent ainsi se
soustraire en partie à l’assignation dans cet environnement. L’enjeu et ici de convaincre et de
se convaincre que l’on n’est pas pareil que ces gens là (Villechaise, 1997, p 358-359).
L’intégration avec le groupe stigmatique est parfois une stratégie plus ou moins
imposée. Ainsi, David Lepoutre qui a analysé pendant plusieurs années le mode de vie de
jeunes adolescents de la cité des 4000 à la Courneuve, précise que « la jeunesse faisant
souvent figure de point de cristallisation des conflits et des problèmes du grand ensemble, ses
membres se trouvent être les porteurs privilégiés du stigmate spatial. De plus, les adolescents
sont profondément inscrits dans les lieux pour y avoir passé l’essentiel de leur existence ; il
leur faut par conséquent assumer pleinement l’image de la cité » (Lepoutre, 2001, p 47).
Dans le cas précis de ces adolescents, l’auteur repère trois modes de gestion du stigmate
spatial : la dénégation, la neutralisation par l’humour, le détachement ou l’ironie et enfin, plus
rarement l’acceptation et la revendication de l’image négative.
Pour les adultes étudiés notamment par Louis Gruel, l’intégration au groupe se
manifeste, sur le plan de la rhétorique comme sur celui des pratiques concrètes, par la mise en
place de parades protectrices (Gruel, 1985), opposant à l’image infamante pesant sur le
territoire des pratiques valorisantes comme le don, la protection ou l’hospitalité.
Enfin, un dernier mode de gestion du stigmate, le plus rare, est représenté par le
retournement collectif. Par celui-ci, le groupe donne à voir une image valorisée du territoire
42
qui n’est plus, dans le cas précis de la cité d’urgence que décrit Louis Gruel, présentée
« comme une ?cité de sauvages? mais comme une ?grande famille? ou un ?petit village? où
règne la familiarité, l’entraide, la ?bonne franquette? et où en cas de malheur ?on est tous
main dans la main? » (Gruel, 1985, p 442). Le discrédit est retourné contre les collectifs HLM
d’où proviennent par ailleurs les propos discriminatoires. Il est certes difficile de cerner
derrière le mythe résidentiel ainsi élaboré, la part de réalité et d’imaginaire, toujours est-il que
le retournement collectif agit en quelque sorte comme « la clé de voûte d’une société
minimale » (Gruel, 1985), même s’il s’agit d’un privilège précaire.
Pour conclure sur la question du stigmate spatial et de sa gestion par les habitants
concernés, nous mentionnerons une étude menée récemment en Suède auprès de jeunes
résidents de quartiers stigmatisés par une équipe d’épidémiologistes de l’université de
Malmö 50 . Les auteurs se sont penchés sur la dimension symbolique de l’exclusion socio-
spatiale via l’analyse des discours 51 sur les lieux tenus par leurs enquêtés. Face au discours
stigmatisant qualifié ici d’ « hégémonique » (hegemonic), les pratiques discursives des jeunes
enquêtés révèlent tout à la fois une action de réarrangement du discours stigmatisant et des
éléments de résistance symbolique à celui-ci.
Une typologie comportant quatre stratégies discursives a émergé de l’enquête,
organisée suivant deux dimensions : la dimension collective et la dimension individuelle du
discours d’une part et son caractère défensif ou offensif d’autre part.
50
P.B. Castro, E. Lindbladh , “Place, discourse and vulnerability—a qualitative study of young adults living in a
Swedish urban poverty zone”, Health & Place, n° 10, 2004, pp. 259– 272
51
entendus comme constructions sociales
43
FIGURE 2 : QUATRE STRATEGIES DE GESTION DU STIGMATE SPATIAL ET LEURS DISCOURS
ASSOCIES
(Sources : P.B. Castro, E. Lindbladh , “Place, discourse and vulnerability—a qualitative study of young adults
living in a Swedish urban poverty zone”, Health & Place, n° 10, 2004, pp. 259–272)
44
internationale ». Le sentiment d’appartenance n’est plus lié à un voisinage de semblables
mais au contraire à cette communauté cosmopolite, avec une tendance à la constitution d’une
dichotomie Eux/Nous à base ethnique. C’est donc une manière offensive de gérer le stigmate
spatial. Comme chez les adolescents décrits par David Lepoutre, le sens du territoire est
important et le marquage et la défense de celui-ci sont de véritables préoccupations. Et tout
comme le montre Cyprien Avenel, ce discours de la glorification est celui de jeunes
adolescents et s’efface avec l’âge et la multiplication des expériences, puisque la formation de
l’individu nécessite un renoncement au collectif d’origine dans la mesure où, pour s’en sortir
socialement, il faut s’isoler personnellement (Avenel, 2000, p 152).
45
peut s’accompagner d’un souhait de départ effectif du quartier, conduisant à rechercher à
l’extérieur les réseaux de sociabilité. En ce sens, c’est une solution individuelle. Cependant,
pour ceux qui n’ont pas les ressources pour fuir le quartier, ce type de distanciation vis à vis
du contexte stigmatisant est particulièrement fragile : il n’y a ni sentiment d’appartenance, ni
possibilité de sortie et de changement.
46
3. Territoires et souffrance psychologique
Au cours des chapitres précédents, nous avons vu quelques- unes des conséquences
individuelles de la disqualification spatiale. Quand l’identité stigmatisante d’un territoire
surpasse les capacités de résistance collective et tend à déteindre sur l’identité des personnes
qui l’habitent, il devient de plus en plus difficile pour elles d’« unifier de façon harmonieuse »
(Goffman, 1975) les deux dimensions de leur identité que nous avons définies comme
l’« identité pour soi » et l’« identité pour autrui ». Si à la suite du géographe Antoine Bailly,
nous acceptons la définition suivante du bien être : « rapport à la conscience, rapport à la
société, rapport à l’espace, le bien-être est une notion qui fait appel à la fois aux analyses
individuelles et collectives. Il nous renvoie à la totalité des relations entre la société, les
hommes et le milieu » (Bailly, 1981), il est possible de conclure que le territoire stigmatisé
peut constituer un danger pour le bien être des individus comme pour celui des groupes
sociaux.
L’intérêt marqué par l’épidémiologie 52 pour la problématique du rapport à l’espace, dont
nous venons de donner un exemple, est loin d’être sans rapport avec les fondements de cette
discipline. Au sein de celle-ci et plus précisément parmi les tenants de l’épidémiologie
sociale, se sont développés depuis quelques années, plusieurs courants de recherche
s’intéressant au lien entre santé et territoire et plus particulièrement au rapport entre le
territoire et la santé. Dans une revue de la littérature sur la question du lien entre territoire et
santé, Curtis et Jones (1998) (cités par Popay et al., 2003), isolent trois cadres théoriques
principaux dans lesquels s’inscrivent la plupart des recherches tentant d’appréhender cette
relation. Bien que différents et non exclusifs, tous ont en commun une hypothèse implicite :
celle d’un lien causal entre le territoire et la santé.
Le premier de ces cadres met en avant la distribution géographique et la diffusion des
risques physiques et biologiques et suggère un lien direct entre l’exposition aux risques
environnementaux et les problèmes de santé. Nous pourrions y inclure les travaux portant sur
le lien entre l’architecture ou l’aménagement de l’espace et la santé, tendant à montrer que
l’agencement des lieux et la présence d’ouvertures et d’espaces verts notamment, ont un effet
tant sur la santé mentale que physique (Jackson, 2003)
52
« Etude des rapports existant entre les maladies ou tout autre phénomène biologique, et divers facteurs (mode
de vie, milieu ambiant ou social, particularités individuelles) susceptibles d’exercer une influence sur leur
fréquence, leur distribution, leur évolution » Le Petit Robert, 2000.
47
Le deuxième cadre s’appuie sur le rôle attribué au territoire dans le développement et le
modelage des relations sociales. Il s’appuie sur l’hypothèse d’un lien indirect entre santé et
territoire via le réseau social, de nature plus psychologique et/ou comportementale que
physique ou matérielle. C’est ici plus la dimension sociale que physiq ue de l’espace qui est
prise en compte.
Enfin, le troisième cadre théorique recensé par les deux auteurs s’aventure plus loin
encore dans la dimension psychologique mais aussi sociologique du lien entre les individus et
les territoires, puisqu’il insiste sur l’importance du ressenti subjectif au travers de la notion de
« sense of place » (Gesler, 1992).
Dans le cadre de notre travail de DEA, seuls les deux derniers cadres théoriques vont
nous intéresser. Nous allons donc à présent les discuter en commençant par le dernier,
déclinaison et suite logique du chapitre précédent.
Parmi les nombreuses études s’inscrivant dans ce cadre, celle réalisée par Anne Sooman
et Sally Macintyre à Glasgow en 1995, est intéressante à relever. Utilisant de nombreux
indicateurs relatifs à la perception des lieux par les individus y résidant (réputation, sentiment
d’insécurité, dotation en équipements, satisfaction, etc.), les deux auteurs ont ainsi montré que
53
Gessler W.M., « Therapeutic landscapes : Medical issues in light of new cultural geography. in Social Science
& Medicine, 44(5), 1995, p. 657-671.
48
plus que le territoire en lui même 54 , c’est l’appréhension qu’en ont les individus qui explique
l’occurrence de troubles psychologiques comme l’anxiété, lorsque l’on contrôle dans un
modèle de régression les variables liées au sexe, à la classe sociale et au numéro de cohorte
(Sooman et Macintyre, 1995)55 . Dans le but de vérifier la robustesse de leurs résultas, ces
auteurs ont montré que l’appréciation des lieux par les individus y résidant n’était pas
uniquement liée à leur état psychologique, comme on aurait pu s’y attendre. En effet, ils
constatent aussi des différences d’appréciation suivant les quartiers considérés, chez les
personnes non affectées de troubles psycho logiques comme l’anxiété ou la dépression56 . Ce
résultat leur suggère que l’appréciation des lieux par les individus y résidant serait associée de
manière indépendante avec les caractéristiques des lieux. Vis à vis de l’hypothèse « d’attrition
des préférences » développée par les économistes, considérant que les attentes et désirs envers
soi ou autrui diminuent quand la précarité augmente 57 , les auteurs mettent effectivement en
garde contre le risque d’un biais dû à cette perception différentielle suivant les quartiers (de
statuts socioéconomiques différents). Mais quoiqu’il en soit, celle-ci irait, nous semble-t- il,
dans le sens de leurs conclusions en « surévaluant » la qualité des espaces les plus dégradés.
Dans une même optique, Emmanuelle Tulle-Winton a montré lors d’une étude menée
sur d’autres quartiers disqualifiés de Glasgow en 1993, qu’une fois les aspects proprement
individuels et biographiques contrôlés (liés aux données démographiques, à la santé,
psychologique notamment et à la situation sociale), les personnes percevant leur voisinage
comme inhospitalier tendent à se situer significativement plus bas que les autres sur une
échelle de bien-être (General Well-Being Index) (Tulle-Winton, 1997).
54
dont l’effet sur les variables de santé et de bien-être investiguées disparaît en analyse multivariée
55
La dépression, significativement corrélée à l’indicateur composite d’appréhension du quartier en analyse
univariée, ne l’est plus en analyse mutlivariée.
56
Ce résultat est d’une importance majeure pour notre étude, nous aurons l’occasion d’y revenir.
57
proche en cela de certaines analyses de Pierre Bourdieu sur les implications de la notion d’habitus : « Comme
les dispositions perceptives [l’habitus] tendent à être ajustées à la position, les agents, même les plus
désavantagés, tendent à percevoir le monde comme allant de soi et à l’accepter beaucoup plus largement qu’on
ne pourrait l’imaginer, spécialement lorsque l’on regarde avec l’œil social d’un dominant la situation des
dominés ». (Bourdieu, 1987, p 155)
58
On doit noter une certaine proximité avec la notion de « résilience » très utilisée dans ce genre de travaux.
49
article s’interroge sur la notion de « proper place » (territoire approprié pour reprendre les
mots de Roger Brunet) et sur les dimensions normatives de l’espace en lien avec la santé.
Prenant appui sur un travail plus ancien (Popay et al., 1998), les auteurs posent l’hypothèse
que la signification que les personnes donnent de leurs expériences spatiales et la façon dont
celles-ci interagissent avec les conditions matérielles pour donner forme aux actions sociales
(pour le dire plus vite : leur rapport au territoire), constitue une nouvelle clé de
compréhension du processus aux causalités multiples qui aboutit aux inégalités de santé.
L’étude comportant à la fois une enquête quantitative et une enquête qualitative se déroule
dans deux villes du Nord Ouest de l’Angleterre, au sein desquelles sont choisis deux quartiers,
l’un favorisé, l’autre plutôt défavorisé.
Les résultats d’une première analyse qualitative permettent d’identifier trois thèmes
normatifs (normative themes) valables pour les quatre quartiers et reprenant ce qui, aux yeux
des personnes interrogées, définit un territoire agréable/approprié (proper place). Trois
dimensions résumées dans le tableau ci-dessous ressortent de l’analyse : les caractéristiques et
comportements des personnes résidant dans le quartier, la dotation en équipements et les
ressources disponibles dans le quartier et l’existence d’un sentiment d’appartenance (sense of
belonging) au quartier.
50
donne quelques uns des résultats de l’enquête, nous le reproduisons car il constitue une bonne
introduction à notre propre travail.
Note : les chiffres non entre parenthèses représentent des pourcentages de personnes en désaccord avec les
citations proposées.
Nous remarquons ainsi, très globalement, que les personnes habitant dans les quartiers
les plus défavorisés (Salow, Lanlow) sont plus susceptibles que ceux vivant dans les quartiers
les plus favorisés (Salhigh, Lanhigh), de rendre compte de problèmes avec des personnes
vivant dans leur quartier. Le sentiment d’appartenir à une communauté est ainsi beaucoup
moins développé dans les quartiers défavorisés que dans les quartiers favorisés. Un des
reproches majeurs que nous pouvons faire à cette étude et que nous tenterons donc de
51
dépasser dans notre travail, est l’absence de contrôle sur des variables autres que la
localisation géographique des personnes. L’introduction de variables socio-démographiques,
économiques ou de santé complexifierait sans nul doute les résultats, dont nous ne savons ici
s’ils sont dus à un effet de composition59 ou à un strict effet de contexte.
Enfin, pour faire le lien entre ce chapitre et le précédent, nous pouvons reprendre le
cadre d’analyse proposé par Castro et al., qui explore de façon idéal-typique, les différentes
stratégies de gestion du stigmate spatial mises en place par de jeunes adultes habitant des
zones urbaines disqualifiées. Bien qu’il soit ici aussi possible de reprocher aux auteurs, en
abordant uniquement la question des risques liés à ces stratégies, d’offrir une vision
particulièrement pessimiste des conditions de vie dans les quartiers en difficulté 60 , nous
retiendrons cependant leurs conclusions qui apportent nombre d’éléments intéressants. S’ils
n’abordent pas directement la question de la souffrance psychologique ou de la santé mentale
(ils ne la mesurent pas), les auteurs s’attachent cependant à décrire les risques de vulnérabilité
liés aux discours tenus sur l’espace de résidence. Ces risques se décomposent en risques
collectifs, affectant les communautés locales considérées ou la société dans son ensemble et
en risques individuels, affectant les personnes tenant de tels discours.
59
entendu comme « effet dû à la concentration en un même milieu de personnes ayant des propriétés sociales
proches, sur leur comportement ou leur situation » (Marpsat 1999)
60
tendance d’ailleurs dénoncée par nombre des auteurs que nous avons cités au cours de cette partie introductive
52
Ce que les auteurs considèrent comme des « risques collectifs » a déjà été abordé au
cours des chapitres précédents, on les retrouve par ailleurs dans les écrits de Verret, Hoggart
ou Elias, sur le modèle de l’opposition Eux-Nous, et dans les écrits nombreux portant sur
l’absence d’identité collective dans les quartiers de grands ensembles (Avenel, 2000,
Villechaise, 1997, etc.). Les « risques individuels » concernent ce que les auteurs appellent la
vulnérabilité émotionnelle et renvoient à différentes attitudes, comportements et émotions,
tous causes et révélateurs de souffrances psychologiques et « ayant des conséquences réelles
sur le bien-être des personnes et leur santé » (Castro et Lindbladh, 2004). François Dubet
dans La galère : jeunes en survie 61 , donne lui aussi un aperçu de ces comportements qu’il relie
à la relégation urbaine qui engendre « la diffusion et le renforcement d’un sentiment de haine
et de rage, qui se traduit pas une volonté de détruire » (Dubet, 1987).
Dans la tradition sociologique, Durkheim est sans doute le premier à avoir énoncé
l’hypothèse, dès 1897, que la cohésion sociale avait des effets propres sur la santé. Dans son
61
Dubet F., La galère : jeunes en survie, Paris, Fayard, 1987, 504 p.
53
exposé des trois formes de suicide (égoïste, altruiste et anomique), il a montré en particulier,
que la première pouvait être reliée à l’isolement et que la famille notamment serait un facteur
protecteur important. Malgré les nombreuses critiques qui ont été faites à ses interprétations 62 ,
certaines, dont celles qui concernent l’isolement, restent valables aujourd’hui et se voient
confirmées par les études récentes sur la question63 . Dans le cadre d’une théorie des
déterminants psychosociaux de la santé 64 , certains chercheurs, épidémiologistes pour la
plupart, ont en effet réinvesti l’hypothèse de Durkheim sur les causes du suicide en la
revisitant à l’aide de concepts et d’outils statistiques nouveaux et en l’élargissant à la
problématique de la santé dans son ensemble.
Par ailleurs, depuis Simmel et son exposé sur les effets d’individuation de la ville sur
la mentalité et le mode de vie des citadins (Simmel, 1903), nous savons que le territoire
contribue à modeler les relations sociales. Ces deux apports majeurs des pères fondateurs de
la sociologie, repris et développés par leurs continuateurs, vont être à la base de notre
exploration de la relation complexe unissant les trois objets que sont le territoire, les réseaux
sociaux et la santé mentale.
Dans la lignée des écrits de Pierre Bourdieu (1980), de Robert Putman (1995) ou de
Coleman (1988) notamment, les travaux s’attachant à rendre compte des liens entre la santé et
le réseau social, s’appuient sur les concepts de cohésion sociale et de capital social, définis
certes différemment suivant les écoles mais constituant néanmoins le fondement d’un puissant
courant de pensée (Goldberg et al., 2002). Les auteurs qui s’y rattachent considèrent la
cohésion sociale comme l’expression des liens et des solidarités entre les groupes au sein
d’une société et qui suppose l’absence de conflit latent.
62
Voir notamment Halbwachs M., Les causes du suicide. Paris, PUF, Le Lien Social, 2002 (1° ed. 1930)
63
Voir notamment Pan Ké Shon J.L, « Isolement relationnel et mal-être », INSEE Première, n°931, Novembre
2003. Pour une revue de la littérature récente, voir notamment Berkman L.F., Glass T., « Social Integration,
Social Networks, Social Support, and Health », in Berkman LF, Kawachi I, Social Epidemiology, New York,
Oxford University Press, 2000, pp. 137-173 et Goldberg et al., « Les déterminants sociaux de la santé : apports
récents de l’épidémiologie sociale et des sciences sociales de santé », in Sciences Sociales et Santé, vol. 20, n° 4,
Décembre 2002, p. 75-128
64
Née des travaux de Cassel (1976) et Cobb (1976) qui les premiers ont suggéré un lien entre les ressources
sociales, le support social et la résistance à la maladie (Berkman et Glass, 2000)
54
Le capital social en est une des composantes principales : il concerne les
caractéristiques des structures sociales (confiance interpersonnelle, normes de réciprocité et
d’aide mutuelle, etc.) qui constituent des ressources pour les individus et qui facilitent les
activités collectives (Kawachi et Berkman 2000). Du fait sans doute de la complexité du
concept de capital social et de sa mesure, la plupart des auteurs ont recours à deux notions qui
s’en rapprochent : le réseau social et le support social.
Le réseau social (social network) est un concept inventé dans les années 50 par des
anthropologues anglais peinant alors à penser et à décrire les comportements des individus et
des groupes dans le cadre des groupes sociaux traditionnels (parenté, voisinage ou classe
sociale). Le développement de la notion de réseau social leur donna alors un moyen de décrire
les propriétés structurelles des relations sociales en dehors des contraintes liées à
l’appartenance à un groupe défini a priori. Il peut être compris comme la toile des relations
sociales qui entourent un individu, le concept intégrant aussi les caractéristiques de ces
relations (Berkman et Glass, 2000). Dans la lignée des premiers penseurs de la théorie des
réseaux sociaux, le réseau social le plus couramment considéré est le réseau centré autour
d’un individu. Le concept de réseau social renvoie cependant à une famille de travaux portant
leur intérêt davantage sur les caractéristiques formelles du réseau comme le nombre, la
densité, la multiplicité des fonctions, des liens ou la réciprocité (Tousignant, 1988) plutôt que
sur ses aspects qualitatifs. L’appréhension de la qualité des interactions au sein du réseau et
des divers aspects du soutien qu’elles impliquent amène à parler plutôt de soutien social.
Le soutien social (social support) est initialement défini comme « ce qui se passe au
niveau humain et affectif entre deux personnes : c’est la communication d’affection, d’estime
de soi et du sentiment d’appartenance à un groupe » (Tousignant, 1988). En fait, la définition
opérationnelle est bien plus large (« le soutien social recouvre une variété de formes d’aide,
c’est à dire une variété de ressources utilisables pour faire face aux difficultés de la vie »
(Bozzini et Tessier, 1985 cités par Tousignant, 1988), mais aussi plus précise puisqu’elle
considère le type, la fréquence, l’intensité et l’étendue du support offert. Ce dernier est
subdivisé en différents types parmi lesquels on trouve le support émotionnel (marques
d’affection, compréhension, estime, etc.), le support instrumental (aide matérielle, services
concrets), l’appui à la décision et l’apport de conseils. (Berkman et Glass, 2000, Tousignant,
1988). Ces précisions induisent que tous les supports n’ont pas la même valeur, ni le même
effet sur la personne supportée, nous allons y revenir.
55
Pour comprendre les relations unissant santé et support social, il est nécessaire de
présenter le cadre théorique des déterminants sociaux et psychosociaux de la santé dans lequel
s’inscrivent les travaux précités.
Si la relation causale entre le système de relations sociales et la santé n’est pas encore
bien comprise et que le réseau social est susceptible d’agir au travers de multiples
mécanismes (comportementaux et matériels, psychologiques et physiologiques) (Melchior et
al., 2003), il n’en reste pas moins qu’une liaison statistique solide entre ces deux objets a été
établie depuis plusieurs années par de nombreux travaux. Comme le schéma ci-dessus
l’indique, ces études ont montré que les mécanismes psychosociaux, dont le support social,
56
agissent sur différentes sphères directement liées à la définition de la santé : les
comportements vis à vis de la santé, la santé psychologique et même la santé physiologique
(influence sur la mortalité quelle que soit la cause du décès (Berkman et Syme, 1979), sur
l’occurrence de maladie cardio-vasculaire (Orth-Gomer et al., 1993), etc.).
Parmi les dimensions de la santé les plus investiguées par ce courant de recherche
s’intéressant à l’influence du réseau social sur la santé, la question de la souffrance
psychologique figure en bonne place. En effet, l’un des principaux effets de l’échange avec
l’entourage réside dans le sentiment d’estime de soi et d’identité, reconnus comme des
éléments centraux dans l’acquisition et le maintien de la santé mentale (Tousignant, 1988).
Plusieurs études ont ainsi démontré qu’un manque de support social adéquat est associé à une
plus faible self-efficacy (ou sentiment d’efficacité personnelle)65 , qui elle même est associée à
une probabilité plus forte d’être en mauvaise santé, psychologique notamment (voir par
exemple Grembowski et al. 1993, cités par Berkman et Glass, 2000). Le sentiment d’efficacité
personnelle apparaît comme l’un des indicateurs psychosociaux par lequel le réseau social
agit (Berkman et Glass, 2000).
D’autres études nombreuses ont montré que le réseau social et le support social sont
directement liés à l’apparition de troubles psychiatriques et en particulier la dépression
(Bowling et Brown, 1991 notamment cités par Berkman et Glass, 2000). Vu sous l’angle de la
protection, le support social et en particulier le soutien que nous avons qualifié d’émotionnel,
agit sur le risque de dépression et d’apparition de symptômes dépressifs, en fonctionnant
comme un tampon, atténuant les effets délétères des évènements stressants (Lin et al., 1986
cité par Berkman et Glass, 2000). D’une manière plus globale, l’un des résultats les plus
robustes de ce champ de recherche concerne le risque accru de dépression encouru par les
personnes isolées socialement (Berkman et Glass, 2000). L’isolement social est considéré
comme un vecteur de stress qui, en provoquant l’accélération du vieillissement de
l’organisme, expliquerait en grande partie le lien démontré entre le soutien social et la santé
physiologique (Berkman, 1988).
La question de la mesure du support social est délicate et fait largement débat, nous y
reviendrons plus en avant dans ce document, mais celle de son appréhension par la personne
65
entendu comme « la croyance qu’a chacun d’être capable d’influencer son fonctionnement psychosocial et les
évènements qui affectent sa vie » (Bandura, 2004). Nous reviendrons sur cette notion au cours de la partie
« résultats » de ce mémoire.
57
concernée par le soutien l’est tout autant. En effet, le soutien est dans la plupart des études
défini du côté et par le receveur, il s’agit alors plutôt d’une variable concernant le soutien
perçu que le soutien vu par l’observateur neutre. Dans ces circonstances, pour Michel
Tousignant, « il y a un risque de contamination entre les mesures du soutien reçu et la santé
mentale. En effet, celui ou celle qui se sent en possession d’un bon moral risque de percevoir
comme soutien l’aide reçue alors que si son moral est mauvais, celle-ci risque d’être déniée
ou dénigrée » (Tousignant, 1988, p. 81). De la même manière, le soutien est un instrument à
double tranchant puisqu’un geste qui peut être considéré comme soutien dans certains cas,
peut ne pas l’être dans un autre, voire peut se révéler handicapant. Depuis Mauss66 , on sait en
effet que le don est aussi un rapport de supériorité non exempt de violence symbolique.
Diverses études menées en psychologie sociale tendent à montrer que, dans certaines
circonstances, le soutien social s’accompagne pour le receveur d’une baisse de l’estime de soi.
C’est pourquoi la source, le type et la qualité des relations sont importantes à prendre en
compte, plus parfois que l’étendue du réseau qui reste cependant un indicateur robuste
expliquant une bonne santé (Berkman, 1986). Pour Michel Tousignant analysant la question
de l’effet du soutien sur les mécanismes de reconstruction identitaire, « il semble qu’il y ait un
type de réseau favorable au type d’identité que l’on veut se donner » (Tousignant, 1988, p
98).
Par ailleurs, souffrance psychologique et fragilité relationnelle sont liées par une
relation double : l’isolement social conduit à la souffrance psychologique quand cette dernière
peut tendre, sur une durée plus ou moins longue, à éclater le réseau social de la personne
souffrante. Il s’agit en fait d’un processus de causalité en spirale (Toussignant, 1988) avec
influence réciproque entre les deux facteurs : si on est en bonne santé mentale, on reçoit un
meilleur soutien social, ce qui en retour garde en meilleure santé mentale.
66
Mauss, M., « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et
Anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 142-280
58
d’ailleurs avoir des effets négatifs dans certains cas, tels que la réduction de l’efficacité du
capital social pour la recherche d’emploi lorsque le quartier héberge une population
massivement touchée par le chômage (Fitoussi et al., 2004). Dans sa définition du capital
social, Pierre Bourdieu retient lui aussi, parmi des formes sociales créatrices de lien social,
outre certaines institutions et pratiques sociales, des lieux dont les « quartiers chics »
(Bourdieu, 1980). On a ainsi vu, grâce aux travaux sociologiques portant sur les conditions de
vie dans les quartiers urbains hébergeant les catégorie s sociales les plus modestes, que le
territoire au travers de ses caractéristiques tant physiques que socioéconomiques, intervenait
de façon directe dans le modelage des réseaux sociaux qui se développent ou ne se
développent pas en son sein.
En épidémiologie, les travaux liant territoire, réseau social et bien-être insistent sur les
caractéristiques du voisinage (neighborhood) entendu à la fois unité physique d’un lieu et
système de relation des gens dans ce cadre (Marpsat et Laurent, 1997). L’un des principaux
résultats qui rappelle certains travaux sociologiques évoqués au cours du chapitre précédent,
concerne la capacité de certains lieux à favoriser ou au contraire à contraindre le
développement de relations de proximité. Certaines caractéristiques des territoires les plus
défavorisés, comme un fort taux de criminalité ou l’absence de ressources constituées par les
services publics notamment, sont décrites comme agissant directement sur les mécanismes
physiologiques du stress, eux-mêmes liés aux psychopathologies comme la dépression
(Elliott, 2000). On sait par ailleurs que ces mêmes caractéristiques tendent à limiter le
développement de réseaux sociaux à l’échelle du quartier, voire à résumer la vie sociale au
seul foyer (Paugam, 2000a, Villechaise, 1997). Plusieurs processus (augmentation des
facteurs de stress et restriction du réseau social) ayant des causes communes liées au territoire,
interviennent donc in fine pour expliquer, en plus des caractéristiques propres de la situation
des individus viva nt dans ces quartiers, la recrudescence de cas de souffrance psychologiques.
Ces trois chapitres dévolus à l’analyse de la littérature en lien avec notre objet nous
amènent à présent à en présenter plus fermement les contours.
59
4. Cadre théorique, problématique et hypothèses
A. Cadre théorique
Le cadre théorique que nous avons élaboré pour notre étude des liens entretenus par
les individus avec le territoire et plus particulièrement avec leur espace de résidence repose
sur la confrontation d’acquis de plusieurs disciplines : la sociologie, la psychologie sociale et
l’épidémiologie sociale. Il s’appuie en particulier sur les travaux ayant porté leur intérêt sur la
problématique des liens sociaux et sur celle du bien être et de la santé mentale.
Notre schéma théorique s’inspire ainsi de l’idée de bipartition fonctionnelle des liens
sociaux que l’on trouve sous une forme plus ou moins développée chez différents auteurs.
Norbert Elias par exemple, dans le chapitre « Relations d’interpénétration, problème des liens
sociaux » de son ouvrage Qu’est-ce que la sociologie ? 67 développe, derrière le modèle du
« lien affectif », l’idée de la dépendance créée par les liens sociaux au travers desquels
« l’homme ouvert » (par opposition à « l’homo clausus ») recherche une permanence
affective, qui va bien au delà de l’acte sexuel (Elias, 1991b). La mort d’une personne chère est
ainsi décrite comme le bris d’une partie intégrante de l’être survivant, de son image
« moi/nous ». Concernant l’autre versant du lien, on voit apparaître assez clairement chez un
auteur comme Robert Castel, l’idée de protection qui caractérise le lien (« l’individu est
protégé en fonction de ses appartenances ») ; protection assurée tantôt par les communautés
« naturelles »68 (protection rapprochée), tantôt par le droit et l’Etat (droit du travail et
protection sociale) (Castel, 1995, 2003).
Si les deux fonctions du lien transparaissent ainsi de manière plus ou moins nette chez
différents auteurs, c’est à notre connaissance à Serge Paugam que l’on doit l’élaboration
théorique la plus claire sur cette question. Dans une étude récente 69 , cet auteur distingue ainsi
trois types de liens sociaux qui unissent l’individu à la société : le lien de filiation qui unit
l’individu à sa famille biologique, le lien d’intégration qui relève de la socialisation
67
Elias N., Qu’est-ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991 (1°ed. en allemand 1970)
68
Derrière lesquelles Robert Castel entend la famille, le voisinage et le groupe territorial (Castel, 2003, p. 38)
69
Paugam S., Clémençon M., Détresse et Ruptures Sociales, Enquête auprès des populations s’adressant aux
services d’accueil, d’hébergement et d’insertion, Rapport pour le PUCA, Observatoire Sociologique du
Changement, Février 2002.
60
secondaire, et le lien de citoyenneté qui repose sur le principe d’appartenance à une nation.
Chacun de ces liens peut être appréhendé à l’aune de deux dimensions clairement définies : la
reconnaissance et la protection70 . Si l’on peut facilement repérer ces deux dimensions pour
chacun des trois liens définis plus haut, le lien d’intégration caractérisé notamment par le
rapport salarial, offre un cas particulier très parlant. La protection est ainsi assurée dans le
cadre du salariat par le droit du travail et le droit social. La reconnaissance quant à elle, peut
l’être suivant trois dimensions théorisées par Serge Paugam dans son ouvrage Le salarié de la
précarité 71 , sous la forme des figures de l’homo faber (reconnaissance de soi par la qualité du
travail exercé), de l’homo economicus (reconnaissance liée au salaire) et de l’homo
sociologicus (reconnaissance par le regard des autres sur soi).
Les deux dimensions de reconnaissance et de protection sont finalement assez proches
si l’on considère que la protection dépasse la seule question de la sécurité physique et
matérielle mais renvoie aussi à l’assurance d’être valorisé, de se sentir reconnu, d’avoir une
place au sein de la cellule familiale, du groupe professionnel ou de la société en général. En ce
sens, tout comme le sont par essence les liens sociaux au travers des processus de
socialisation, ces deux dimensions de reconnaissance et de protection ont partie liée avec la
question de l’identité.
C’est sans doute ce lien avec la problématique de l’identité qui explique que notre
étude de quelques éléments de littérature sociologique, psychologique et épidémiologique,
orientés vers la question du bien-être et de la santé mentale, nous ait amené à y retrouver ce
même schéma bidimensionnel. En effet, dans un texte récent 72 , Michel Tousignant propose
une synthèse sous la forme d’un regard éthologique des éléments nécessaires au bien-être.
Pour l’auteur, tout être humain est doté de structures émotionnelles et comportementales qui
permettent sa survie et son adaptation, et dont la perturbation est à la fois la cause et la
conséquence de la survenue de la maladie mentale. Considérés sous leur aspect psychologique
ces mécanismes renvoient à deux grands besoins fondamentaux que l’auteur nomme « besoin
de pouvoir » et « besoin d’attachement ».
70
Ce développement théorique a fait l’objet d’une présentation par Serge Paugam lors de son séminaire « Forces
et faiblesses des liens sociaux », tenu à l’EHESS courant 2003-2004, mais ce modèle n’a, à notre connaissance,
pas encore donné lieu à publications.
71
Paugam S., Le salarié de la précarité, Paris, PUF, coll. Le lien social, 2000
72
Tousigant M., « Ecologie sociale, résilience et santé », in Joubert M. (dir), Santé mentale, ville et violence,
Paris, Erès, coll. Questions vives sur la banlieue, 2004, pp. 21-34
61
Le besoin de pouvoir est défini ainsi : « Dans le monde animal, le besoin de pouvoir
s’exprime dans la territorialité et dans le statut hiérarchique. Chez l’humain, avec
l’intériorisation psychologique des instincts, l’évolution de ce besoin dans la vie en société
prend la forme de l’image de soi et de l’estime de soi. Il n’est pas nécessaire que la personne
soit au faîte de la hiérarchie sociale pour être comblée, mais il importe qu’elle possède un
statut social, une reconnaissance 73 de ses supérieurs et de ses proches qui confortent son
amour-propre » (Tousignant, 2004, p 22).
Le besoin d’attachement quant à lui est développé comme suit : « Depuis Bowlby 74 en
particulier, les cliniciens sont conscients de l’importance du lien affectif qui unit d’abord la
mère et l’enfant puis les partenaires d’un couple. Cet attachement à l’autre permet de
combler le besoin primitif de sécurité qui assure notre survie physique aussi bien que
psychique. Le mécanisme d’attachement s’exprime par deux mouvements complémentaires :
l’un consiste à materner, à donner des soins et une nourriture affective, et aboutit parfois au
don de soi au profit du groupe (altruisme) ; l’autre se situe au pôle plus récepteur de
l’affection et de la protection73 , il s’exprime dans la confiance dans l’autre, dans l’assurance
que ses besoins de dépendance seront remplis » (Tousignant, 2004, p 23).
La non satisfaction du besoin de pouvoir conduirait à la dépression entendue comme
perte d’estime de soi, quand l’incomplétude du besoin d’attachement renverrait à l’anxiété,
reflet de l’insécurité et du manque de protection.
73
C’est nous qui soulignons
74
Pédiatre et psychanalyste anglais, John Bowlby a développé la théorie de l’attachement en montrant son
importance cruciale dans les premières années de la vie. Voir notamment Bowlby J., Attachement et Perte, Paris,
PUF, 1978
75
De résidence pour notre cas précis, mais le modèle s’appliquerait tout aussi bien à d’autres types de territoires
comme les territoires de projet par exemple.
62
ressource. Tout comme nous avons montré que la reconnaissance et la protection sont très
liées dans le cadre des liens sociaux et dans celui de la santé mentale, les fonctions identitaires
et ressources du territoire sont aussi très proches, comme en témoignent les conclusions du
projet URBEX déjà présentées, où l’image du quartier de résidence est considérée comme une
véritable « ressource identitaire » (Musterd et al., 2002).
B. Problématique
Notre problématique entend mettre à l’épreuve la thèse du cumul des inégalités qui
frappent les catégories sociales les plus défavorisées et qui participe du processus de
disqualification sociale (Paugam, 2000a). Nous allons ainsi étudier dans quelle mesure
l’appartenance à un quartier repéré par les pouvoirs publics comme étant en difficulté, peut
représenter ou non, une inégalité supplémentaire venant se surajouter aux inégalités dont sont
déjà victimes les personnes résidant dans ces territoires76 . Plusieurs auteurs ont tenté de mettre
à jour l’effet imputable au contexte dans la survenue de certaines difficultés sociales ou
économiques, notamment au niveau de la recherche d’emploi ou de la réussite scolaire. Pour
notre part, nous concentrerons notre analyse sur l’influence de l’image du territoire, entendue
comme représentation socialement construite d’un espace « approprié », sur l’image de soi,
entendue comme reflet de l’identité pour soi et reflet intériorisé de l’identité pour autrui, étant
admis que l’identité des personnes se construit aussi dans le quartier de résidence, avec et
contre celui-ci. En ce sens, notre étude s’intéressera à la dimension symbolique du territoire,
considérée notamment comme outil de production et de reproduction des inégalités sociales,
qui conduit, via les structures de l’espace physique, à l’incorporation mentale des structures
de l’espace social (Bourdieu, 1993) 77 . Par choix méthodologique (enquête quantitative) aussi
bien que théorique (via le modèle des déterminants sociaux de la santé présenté au chapitre
précédent), nous appréhenderons la question de l’image de soi et de son intégrité par
l’intermédiaire notamment d’un sondage de la souffrance morale et d’une mesure de
76
Par inégalités nous entendons essentiellement les inégalités socio-économiques dites traditionnelles : revenu,
logement, situation professionnelle, qualification scolaire, conditions de vie. Nous les considérons comme des
différences entre populations qui correspondent à une hiérarchie et qui s’opposent à la justice sociale. Nous
reconnaissons que ces inégalités deviennent éprouvantes pour les individus lorsqu’elles les maintiennent, de
façon durable, dans une position inférieure jugée dégradante et qu’elles les empêchent de choisir ce qui est
souhaitable pour eux. (Paugam, 2002)
77
« Plus généralement, les sourdes injonctions et les rappels à l’ordre silencieux des structures de l’espace
physique approprié sont une des médiations à travers lesquelles les structures sociales se convertissent
progressivement en structures mentales et en systèmes de préférences » (Bourdieu, 1993, p. 163).
63
caractéristiques psychosociales comme l’estime de soi (self esteem), en admettant que la
souffrance psychologique peut se concevoir comme une pathologie de l’identité (Ehrenberg,
2000).
Consécutivement, nous nous interrogerons sur les ressources offertes par les quartiers
urbains étudiés, susceptibles d’influer tant sur l’image des lieux que sur l’image de soi. Parmi
ces ressources nous nous pencherons tout particulièrement sur les réseaux sociaux (compris
comme systèmes de relations unissant des individus) dont on connaît l’effet positif sur la
santé mentale (Berkman et Glass 2000), mais dont l’existence et la force sont fortement
dépendantes du contexte local (Villechaise, 1997, Bidou-Zachariasen, 1997).
Dans les deux cas, nous attacherons une importance particulière à la dimension vécue
des expériences 78 , notre problématique reposant sur l’hypothèse que les effets des inégalités
sociales varient selon la manière dont elles sont vécues.
C. Hypothèses
1- L’image des lieux interagit avec l’identité pour soi et l’identité pour autrui et peut
ainsi conduire à des problèmes spécifiques de souffrance psychologique.
Cette première hypothèse a déjà été largement exposée dans la partie introductive de
ce document. Méthodologiquement, il s’agira pour nous de tenter, par le contrôle de variables
pertinentes dont la littérature nous a indiqué l’influence sur la souffrance psychologique
(cumul des difficultés sociales aux différents âges de la vie (Paugam et Clémençon, 2002),
sexe, âge, isolement social (Berkman et Glass, 2000), soutien social (Tousigant, 1988),
habitudes de vie (Berkman et Glass, 2000), etc.), d’isoler un effet spécifique, imputable au
rapport entretenu par les individus avec leur territoire de résidence.
78
Tant celles concernant la santé que les relations sociales ou le rapport au territoire.
64
2- L’image des lieux (et son effet sur le bien-être) est liée, par une relation
réciproque, à l’usage fait du territoire par les individus.
L’image des lieux, entendue comme construction sociale (« produit et processus d’une
élaboration sociale et psychologique du réel » (Jodelet, 1994)), est fortement dépendante de
l’expérience vécue au sein du quartier et des pratiques sociales auxquelles s’adonnent les
individus en son sein. Ainsi, les pratiques relevant d’un investissement local comme la
participation associative, les pratiques de sociabilité locales (de voisinage notamment) et les
ressources accessibles dans le quartier, contribuent à édifier une image positive de celui-ci, à
même d’influer positivement sur le bien être. Vu dans le sens opposé, il est aussi possible de
considérer que ces pratiques sociales à dimension spatiale sont dépendantes d’une condition
initiale de bien-être. La causalité pourra ainsi, dans le cadre de cette hypothèse notamment,
être difficile à mettre en évidence. Nous tenterons au minimum de mettre à jour de possibles
corrélations et d’explorer les pistes permettant une interprétation causale.
3- L’effet délétère d’une image négative des lieux concerne de manière plus
fréquente les populations considérées comme les plus précarisées.
Cette hypothèse visera, dans le cas des territoires constituant notre échantillon, à
vérifier les résultats obtenus en épidémiologie (Stafford et Marmot, 2003, Gatrell et al., 2004)
et en sociologie (Bidou-Zachariasen, 1997, Bacqué et Sintomer, 2002) concernant la
dépendance particulière des populations les plus fragiles envers le territoire, notamment
lorsqu’on le considère comme vecteur identitaire.
65
Musterd et al., 2002). Dans le cadre de notre étude portant sur des quartiers appartenant à la
géographie prioritaire de la Politique de la Ville à Paris, nous tenterons ainsi de mettre en
évidence des différences entre quartiers sur le plan de l’appréciation globale du territoire par
les habitants dans un premier temps, et sur celui de l’influence potentiellement délétère de
l’image des lieux dans un second temps.
66
Méthodologie et terrains
Vis à vis d’un tel objet de recherche, aucun choix méthodologique ne s’impose de
manière évidente. La dimension vécue des expériences et le rapport subjectif à l’espace vers
lesquels il nous appelle à nous pencher plaiderait plutôt en faveur de l’enquête qualitative,
utilisée par la majorité des études consultées, tant en sociologie qu’en épidémiologie. Si
l’entretien permet en effet une exploration – plus fine parfois que le questionnaire – des
représentations sociales qui constituent l’une des matières premières privilégiées du travail
sociologique, les contraintes méthodologiques que cet outil impose, limitent le plus souvent la
taille des échantillons envisageables et le nombre des terrains d’enquête. L’enquête par
questionnaire permet quant à elle d’embrasser des échantillons plus importants et, par
l’analyse secondaire des données qu’elle autorise79 , permet de multiplier les terrains
d’enquête et le cas échéant, la comparaison des terrains et des résultats entre eux. Qui plus est,
dans le cas précis de notre problématique, le matériel quantitatif et les outils de l’analyse
statistique qui permettent de l’exploiter, s’ils n’autorisent pas toujours un raisonnement en
terme de causalité (nous aurons maintes occasions d’y revenir), permettent en revanche de
mesurer des corrélations et des « effets » entre variables, de comparer des populatio ns ou des
territoires avec une maîtrise d’un grand nombre de paramètres d’analyse que ne peuvent
réaliser les outils de l’analyse qualitative.
Loin d’opposer les deux outils dont de nombreux travaux ont bien montré la
complémentarité80 , nous aurions aimé no us aussi, conjuguer les deux types d’approches
appelées par l’objet. Il nous aura fallu cependant revoir nos prétentions à la baisse, au moins
dans le cadre du DEA. En effet, si conjuguer une enquête qualitative et l’exploitation
secondaire de données quantitatives 81 eut été envisageable dans les limites des délais impartis,
faire de même en construisant soi- même son matériel quantitatif depuis l’échantillonnage
(1000 personnes) jusqu’à l’analyse principale des données, en passant par le suivi du travail
des enquêteurs, devenait un sport nettement plus acrobatique !
Après ces premières considérations, nous pouvons présenter le cadre méthodologique
dans lequel s’inscrit notre travail, ainsi que les matériaux utilisés.
79
Les enquêtes qualitatives sont a contrario bien souvent à usage unique.
80
Voir notamment l’usage mixte des deux types de matériaux que fait Pierre Bourdieu dans son étude sur la
Distinction (P Bourdieu., La Distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979) ou celui qu’en fait Serge Paugam dans
son étude sur la disqualification sociale (S. Paugam., 2000a, op. cit.).
81
Du type Enquête Permanente sur les Conditions de Vie des Ménages de l’INSEE, par exemple pour notre sujet
67
1. Cadre méthodologique et protocole de l’enquête de terrain
A. Une enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers
de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris…
82
Unité INSERM 444, équipe « Déterminants sociaux de la santé et du recours aux soins » dirigée par Pierre
Chauvin, Faculté de Médecine Saint-Antoine 27, rue Chaligny 75 517 Paris Cedex 12
68
En toile de fond : le projet de recherche international Santé, Inégalités et Ruptures
Sociales
83
Les enquêtes au sein des sites cités n’ont à l’heure actuelle pas toutes abouti. Paris et New York par exemple
restent à l’état de projet bien que des enquêtes pilotes aient été menées, à Paris tout du moins.
69
Les trois « objets » qui constituent le cœur du programme de recherche (inégalités,
santé et ruptures sociales) correspondent à quatre relations que le programme entend analyser
dans un esprit de sociologie comparée : la relation entre inégalités et santé, la relation entre
inégalités et ruptures sociales, la rela tion entre ruptures sociales et santé et enfin la relation
synthétique santé / inégalités / ruptures sociales.
Une première exploration de cette problématique générale et de ces 4 relations, dans le
cas français, a été réalisé en 2001.
L’enquête mise sur pied en 2001 par les trois équipes de recherche précitées
correspond à une enquête pilote du programme SIRS international qui a permis notamment de
tester le questionnaire constituant la base commune aux enquêtes menées dans les différentes
métropoles du programme. Cette préenquête a été réalisée à l’automne 2001 avec le soutien
de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), de l’INED et de
l’INSERM. L’enquête finale du programme pour l’Ile-de-France doit comprendre deux
échantillons : l’un représentatif de la population générale de la région, l’autre correspondant à
des territoires en difficulté. La préenquête s’est concentrée sur ce deuxième échantillon, elle a
ainsi concerné 525 personnes appartenant à cinq zones urbaines sensibles (ZUS) d’Ile-de-
France : le quartier « La Rose des Vents » à Aulnay sous Bois (93), La ZUS « des Mureaux »
aux Mureaux (95), la ZUS de Grigny 2 à Grigny (77), la ZUS « Cergy – Saint Christophe » à
Cergy (95) et la ZUS « HBM Belleville » à Paris (75). Le choix des cinq sites d’enquête ne
visait pas la constitution d’un échantillon représentatif des territoires en difficulté d’Ile-de-
France – même si la représentativité était recherchée au sein de chaque quartier étudié.
L’équipe a tenu à approcher la diversité de ces territoires et en particulier, la diversité des
processus d’exclusion socio-territoriale. Elle s’est pour cela appuyée sur la typologie élaborée
par Daniel Behar et Philippe Estebe 84 . Dépassant le seul constat d’une situation défavorisée
pour relier l’échelle du quartier à celle de l’agglomération, cette typologie distingue cinq
types de territoires représentatifs des processus socio-historiques de la pauvreté en Ile-de-
France : les territoires « historiques » de l’industrie et de l’habitat ouvrier, les poches de
84
Cf. Rapport présidé par Jacques Bravo pour l’évaluation de la politique de la ville en Ile-de-France, Préfecture
d’Ile -de-France et Conseil Régional d’Ile-de-France, 29 janvier 1999.
70
pauvreté de l’ouest de la métropole, les quartiers disproportionnés dans leur environnement
local, le tissu urbain récent, les centres dégradés de Paris et de la petite couronne.
L’enquête a donné lieu à un rapport85 et à plusieurs publications dans le cadre des
travaux de l’ONPES notamment 86 .
Les origines d’une collaboration : l’enquête sur la santé et le recours aux soins dans
les quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris
L’enquête sur laquelle nous avons été amenés à travailler est issue d’une sollicitation,
courant 2003, de la Mission Ville de la préfecture de Paris, désireuse d’informations fines sur
la santé et le recours aux soins des habitants résidant dans les quartiers prioritaire de la
Politique de la Ville. Pour le commanditaire, cette enquête était préparatoire à la mise en place
d’« Ateliers Santé Ville », destinés à favoriser la coordination et la cohérence des différentes
actions de santé au sein des quartiers dont il a la charge 87 . Cet aspect du cadre
méthodologique est important à mentionner car il n’est pas sans effet sur le travail de
recherche proprement dit. En effet, depuis le choix du périmètre d’enquête jusqu’à celui de la
forme finale du questionnaire, tous les pans de la méthode ont ainsi fait l’objet d’une
négociation et d’un arbitrage entre des considérations d’ordre scientifique et d’autres plus
administratives et politiques. Nous reviendrons dans l’exposé de la méthode sur les
implications de ces nécessaires arbitrages. Pour l’équipe « Déterminants sociaux de la santé et
du recours aux soins », cette enquête offrait aussi l’opportunité d’approfondir l’exploration de
la problématique SIRS et de préparer, en rodant questionnaires et méthodes, l’enquête en
population générale qui devrait concerner courant 2005, 3000 personnes dans toute l’Ile-de-
France.
Pour la réalisation de cette enquête, la jeune équipe par ailleurs fortement sollicitée, a
décidé de s’adjoindre un « chef de projet » à qui serait confié, en tandem avec Isabelle Parizot
(sociologue de l’équipe), la réalisation de l’enquête depuis l’échantillonnage jusqu’au rendu
du rapport au commanditaire. C’est de cette manière et pour mener à bien le travail d’enquête
85
I. Parizot, P. Chauvin, J.M. Firdion, S. Paugam, Santé, Inégalités et Ruptures sociales dans les Zones Urbaines
Sensibles d’Ile-de-France, Rapport pour l’Observatoire de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, Inserm/Ined,
Octobre 2001
86 I. Parizot, P. Chauvin, J.M. Firdion, S. Paugam., « Santé, inégalités et ruptures sociales dans les Zones
Urbaines sensibles d'Ile-de-France ». In : Coll. Les travaux de l'Observatoire national de la pauvreté et de
l'exclusion sociale 2003-2004. Paris, La Documentation Française, 2004, p. 367-412.
87
Fuertes C., Mise en place des Ateliers Santé Ville à Paris, Rapport d’étape, Mission Politique de la Ville de la
préfecture de Paris, Avril 2004.
71
que nous avons intégré l’équipe INSERM, d’Août 2003 jusqu’en Mai 2004. Initialement
inscrit en DEA avec pour projet l’étude du rapport à l’espace des catégories sociales les plus
modestes, cette proposition de collaboration s’est avérée être – en plus d’un mode de
financement appréciable et d’une précieuse expérience de réalisation d’une enquête
quantitative – un moyen de collecter un matériau pertinent pour la mise à l’épreuve de notre
objet de recherche.
88
Chargées de l’application de la Politique de la Ville au sein des arrondissements parisiens.
89
Nous reviendrons plus en détail sur ces questions au cours de la présentation des territoires de l’enquête.
72
20ième arrondissement, la Porte de Vincennes, à cheval sur le 12ième et le 20ième
arrondissement ; et enfin la Porte de Montreuil.
De manière peut-être plus marquée que pour les autres arrondissements parisiens, les
différents périmètres d’action définis par les pouvoirs publics dans le 20ième arrondissement ne
se superposent pas exactement. De surcroît, du fait de la multi- localisation des problèmes
structurels, économiques et sociaux, ces périmètres sont répartis dans l’arrondissement sans
continuité comme l’indique la carte les recensant, présentée en annexe 1.
90
Au sens où l’entend la Politique de la Ville.
91
Grand Projet de Renouvellement Urbain de la Porte de Montreuil, Projet de Territoire, Mairie de Paris,
Septembre 2003.
73
En ce qui concerne le dernier quartier relevant de la Politique de la Ville dans le 20ième
arrondissement (Fougères), l’équipe de recherche – en concertation avec l’EDL concernée – a
fait le choix de ne pas l’inclure dans le périmètre d’étude étant donnée sa petite taille (2950
habitants), sa localisation géographique sans continuité avec les autres quartiers de
l’arrondissement et son rattachement au « GRPU Porte des Lilas ».
Le périmètre final de l’étude comprend donc les deux ensembles géographiques
présentés sur le plan ci-dessous et que l’on nommera dans un premier temps quartier
Belleville - Amandiers et quartier Saint Blaise - Porte de Montreuil.
Belleville Amandiers
Saint Blaise –
Porte de Montreuil
74
? Echantillonnage
92
Une combinaison de chiffres, fournis aléatoirement par l’ordinateur pour chaque adresse, nous indiquait ainsi,
en fonction du nombre d’étages de l’immeuble, de cages d’escaliers, de portes palières, par quel appartement ou
boite aux lettres commencer notre décompte. La méthode totalement exploratoire semble s’être avérée pertinente
quoique fastidieuse (trois semaines de terrain pour une personne).
75
Au sortir de cette première phase, l’échantillon maître comprenait 1000 adresses
correspondant à autant de ménages. Etant données les contraintes liées à la réalisation de
l’enquête (refus de la passation du questionnaire, impossibilité de localiser le ménage tiré au
sort, etc.) les enquêteurs de l’Institut Synovate qui a réalisé l’enquête, ont dû procéder à des
remplacements de ménages selon une procédure convenue à l’avance. Les changements
d’adresse, de rue ou d’îlot devaient avoir quant à eux, un caractère plus exceptionnel. La
dernière phase de l’échantillonnage était confiée aux enquêteurs eux- mêmes ; au sein du
ménage sélectionné par nos soins, si ses membres parlaient suffisamment bien le français 93 ,
était tirée au sort une personne de plus de 18 ans, suivant une méthode dite de la «date
anniversaire » : la personne concernée par l’enquête était celle dont l’anniversaire était le plus
proche à compter du jour de l’enquête.
? Questionnaire
Le questionnaire de l’enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers de
la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris comporte la même base que les
enquêtes SIRS internationales, ce qui permet dans une certaine mesure les comparaisons.
Nous en userons notamment dans le courant de ce travail, en proposant sur certains pans de
l’analyse, des comparaisons avec les résultats de la préenquête SIRS réalisée en 2001 dans
cinq ZUS franciliennes. Passée cette base commune – que l’on retrouvera dans le tableau
présenté plus bas et qui s’appuie sur quatre piliers principaux que sont : les caractéristiques
93
Le budget de l’enquête ne permettait malheureusement de prévoir des enquêteurs multilingues et des
questionnaires traduits. Cela constitue un handicap réel dans des quartiers pluriethniques comme ceux sur
lesquels se penchait l’enquête. Qui plus est, quelques ménages tirés au sort semblent s’être réfugiés derrière le
prétexte de la barrière de la langue, notamment les personnes appartenant à la communauté asiatique dont on
déplore la sous-représentation dans notre échantillon.
94
Au sens INSEE
76
socioéconomiques ; les données relatives à l’intégration sociale ; les éléments de santé et de
recours aux soins ; les caractéristiques psychosociales – notre questionnaire comportait
quelques variantes. En effet, du fait de la problématique spécifique du commanditaire, le
nombre de questions concernant la santé et le recours aux soins a été largement augmenté,
avec notamment des questions spécifiquement locales comme celles interrogeant les lieux du
recours aux soins. Pour que le questionnaire reste d’une dimension acceptable, plusieurs
questions posées en 2001 ont du être supprimées, dont certaines se seraient avérées précieuses
vis à vis de notre problématique ; le soutien financier de la recherche est à ce prix ! Le
questionnaire comporte au final, plus de 200 questions réparties dans 15 « chapitres » : fiche
ménage ; logement et quartier ; couverture maladie ; santé ressentie ; recours aux soins ; santé
psychologique ; habitudes de vie ; santé des femmes ; attitudes, représentations et expériences
de santé ; formation et expérience professionnelle ; ressources ; enfance et jeunesse ; couple et
famille ; vie sociale et familiale ; rapport aux institutions.
Notre questionnaire peut finalement être schématisé de la façon suivante, sans respect
pour l’ordre des questions :
95
Les termes présentés ici seront explicités au cours du chapitre d’analyse les faisant intervenir (cf. Partie 3
chap. 2)
77
? Déroulement de l’enquête
L’enquête s’est déroulée du 2 octobre au 15 novembre 2003. 889 personnes ont pu être
interrogées : 594 sur la zone de Belleville et 295 sur la zone de Saint-Blaise. L’enquête de
terrain a mobilisé une vingtaine d’enquêteurs et trois chefs d’équipe de l’Institut Synovate. Le
détail du déroulement de l’enquête est consigné en annexe 3 du présent document, notons
simplement que si le taux de refus s’est avéré plus faible qu’en 2001 (17% vs 25%), les
difficultés d’accès aux logements se sont avérées encore plus importantes que dans les cinq
ZUS enquêtées alors (du fait des digicodes principalement). 41% des questionnaires ont pu
être réalisés à l’adresse prévue par l’échantillon maître, les autres ont été réalisés suivant la
procédure de remplacement élaborée par l’équipe. L’une des principales difficulté de
l’enquête, outre l’accès aux logements, aura finalement été la réticence de certaines
communautés, comme la communauté asiatique qui ne représente que 1,1 % des personnes
interrogées par notre enquête alors que 3,3 % des personnes résidant à Paris en 1999
appartenaient à cette communauté et que la concentration la plus forte de celle-ci est repérée
dans le 13ième et le 20ième arrondissement (Sources : RGP, 1999) Dans 95,3 % des cas au final,
les enquêteurs ont considéré que l’entretien s’était bien déroulé. En aval, la réception des
questionnaires dans le courant de l’hiver a représenté pour l’équipe de recherche un travail
pour le moins conséquent : recodage des questions ouvertes, des PCS (« PCS », remplaçant
l’ancienne nomenclature des Catégories socio-professionnelles « CSP »), vérifications en tout
genre, ajustement des revenus déclarés au moyen d’un modèle complexe afin de rendre cette
variable fréquemment non renseignée utilisable, etc.
L’analyse principale des données nous a occupés de Janvier 2004 à Mai 2004, elle a
abouti à la production d’un épais rapport d’enquête 96 qui a donné lieu à plusieurs articles dans
la presse 97 . Plusieurs présentations des résultats ont été effectuées dont certaines lors des
séminaires de recherche mensuels organisés par le réseau SIRS Ile-de-France et dont on
trouvera les comptes rendus sur le site Internet du programme SIRS.
Cette exploitation terminée, une autre pouvait commencer.
96
Cf. I. Parizot, S. Pechoux, F. Bazin, P. Chauvin, Enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers
de la Politique de la Ville du 20ème arrondissement de Paris. Rapport pour la mission ville de la préfecture de
Paris, INSERM U444, Avril 2004, 203 p.
Rapport téléchargeable à l’adresse : http://www.u444.jussieu.fr/sirs/Region/Rapport2004.pdf
97
« Derrière le Paris « bobo », les oubliés de la santé », in Le Parisien, 10-06-2004, « Santé, inégalités et
ruptures sociales à Paris. Deux quartiers dans la tourmente », in Le Quotidien du Médecin, 07-06-2004
78
B. …qui offre dans un second temps, l’opportunité d’une analyse des
liens entre images des lieux et images de soi
Pour l’heure, avant de passer à la partie spécifiquement dédiée aux résultats, il nous
reste à présenter les territoires sur lesquels s’est déroulé l’enquête, ainsi que les principales
caractéristiques de l’échantillon réalisé.
79
2. Disqualification spatiale et gentrification dans le 20ième
arrondissement de Paris
Lorsque l’on s’intéresse à Belleville, haut lieu de Paris s’il en est98 , deux images
concurrentes ne peuve nt manquer de venir frapper l’esprit de l’observateur. Au fil des lectures
et des discussions, Belleville y est décrit tour à tour comme un véritable « village dans la
ville »99 où cohabiteraient paisiblement « prolos » et « bobos », français et étrangers dans une
joyeuse et gouailleuse mixité ; mais l’image est aussi parfois celle d’une poudrière, véritable
cité dans la ville, où la dégradation du bâti n’aurait d’égal que celle des relations sociales,
interethniques notamment, à l’intérieur du quartier 100 . Comme souvent, la réalité semble se
situer quelque part entre ces deux extrêmes. De son passé d’ancien village de la « petite
banlieue » parisienne au XIXième siècle, Belleville a certes conservé une certaine configuration
spatiale et surtout un « esprit des lieux » qui participent du « mythe de Belleville » (sur lequel
nous reviendrons) qui attirent un nombre croissant de membres des classes intellectuelles et
supérieures, à la faveur d’une certaine « fétichisation de la culture populaire » (Simon,
1995b). Cependant, le quartier reste une réelle enclave de pauvreté dans la ville, à l’instar
d’autres quartiers du nord parisien situés dans le 18ième arrondissement notamment. La
dégradation du bâti, paradoxalement engendrée en partie par la lutte des habitants contre les
projets de rénovation urbaine, a favorisé l’implantation de ménages précarisés trouvant à
Belleville l’ultime étape résidentielle avant la relégation « hors des murs de la ville ». Si la
vigueur de la vie sociale dans le quartier ne tient pas que du mythe, comme le note Patrick
Simon « la réelle solidarité qui lie les habitants ne suffit pas à compenser l’extrême précarité
de nombreuses familles et le quartier constitue l’un des points noirs de l’action sociale
parisienne » (Simon, 1994, p. 13).
A l’intersection d’un double mouvement d’embourgeoisement de certaines portions de
son territoire et de précarisation croissante de certaines autres, le quartier de Belleville, mais
98
Roger Brunet donne une ainsi définition des hauts lieux qui s’applique, nous semble-t-il, particulièrement au
cas de Belleville : « les hauts lieux sont des lieux de mémoire ; leur valeur symbolique est plus ou moins élevée :
locale, nationale, internationale, mondiale, ou propre à une religion, à une culture ; ils sont l’objet de
vénérations, de pèlerinages, qui sont souvent sources d’identité collective et, aussi, d’activités économiques »
(Brunet, 1992, p. 232)
99
Voir notamment T. Fayt, Les villages de Paris. Belleville, Charonne, Auteuil et Passy : mythes et réalités d’un
espace communautaire, Paris, L’Harmattan, 2003
100
Pour une vision désenchantée de Belleville, voir notamment T. Jonquet, Jours tranquilles à Belleville, Paris,
Seuil, 2003
80
plus globalement l’ensemble des quartiers du périmètres, se prêtent à une analyse croisée en
terme de disqualification spatiale et de gentrification101 , lot commun de nombre de quartiers
anciens de centre ville comme ceux analysés par Catherine Bidou-Zacharisasen ou Monique
Sélim en particulier (Bidou-Zachariasen, 1997, Sélim, 1982).
Comme l’ont bien montré certains auteurs (Tabard, 1993, Marpsat et Champion, 1996)
les quartiers relevant de la Politique de la Ville sont caractérisés par une grande diversité de
situations – entre quartiers, mais aussi à l’intérieur de ceux-ci. Ceci est particulièrement vrai
dans le cas du périmètre de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement pour lequel une
analyse globale de la situation aurait peu de sens (dans le cadre de notre étude tout du moins).
C’est pourquoi nous nous pencherons au cours de cet exposé, sur les caractéristiques des
différents quartiers aux particularités très marquées et aux situations bien différentes, qui
composent notre périmètre d’étude.
101
« Mot anglais désignant la réoccupation des centres de villes par les classes aisées après rénovation et
réhabilitation » (Brunet et al. 1992, p 214)
81
la proportion d’ouvriers dans la population active du quartier passe de 51% à 25%, tandis que
celle des professions libérales et des cadres supérieurs et moyens augmente de 9% à 35%.
L’implantation des nouvelles classes moyennes et supérieures du quartier ne se fait cependant
pas au hasard ; ainsi comme le précise Patrick Simon, « loin d’être homogène, l’espace
bellevillois se hiérarchise selon la qualité des constructions et les caractéristiques sociales et
ethniques des habitants. La répartition des différents groupes qui composent la population
bellevilloise fait ainsi ressortir des inégalités d’accès aux différents segments du parc de
logement » (Simon, 1994, p. 15). En suivant cet auteur, l’analyse du territoire de Belleville –
Amandiers peut être réalisée au travers du prisme de la ségrégation. Chaque zone possède un
peuplement spécifique, déterminé par les paramètres du bâti. Dans le cas du Bas Be lleville par
exemple, la différenciation spatiale s’appuie sur une forte corrélation entre la vétusté de
l’habitat et l’origine immigrée – le quartier abrite en effet la plus forte concentration
d’étrangers de la zone, résultant d’une dynamique de ségrégation engagée depuis plusieurs
décennies (Simon, 1995b).
Pour aller plus loin dans la présentation, il est nécessaire de présenter les différents
quartiers qui composent la zone de Belleville – Amandiers. Au nombre de cinq, ils couvrent le
périmètre et s’agencent les uns par rapport aux autres comme l’indique la carte suivante :
82
Piat-
Faucheur- Mare-Cascades
Envierges
Une première analyse globale des 5 quartiers 102 permet de repérer trois ensembles
caractéristiques : deux quartiers concentrant les difficultés sociales et économiques : le Bas
Belleville et Piat-Faucheur-Envierges, deux quartiers nettement plus privilégiés et
relativement attractifs : Ménilmontant et Mare-Cascades, enfin, un quartier intermédiaire :
Amandiers. Nous passerons volontairement un peu de temps sur le descriptif assez fin des
quartiers, celui-ci étant nécessaire aux analyses parfois comparatives qui vont suivre. Il
permet en outre d’introduire un peu de «qualitatif » dans des résultats somme toute assez
quantitatifs, afin de rapprocher des situations concrètes nos analyses qui pourraient,
l’abstraction statistique aidant, s’en éloigner par trop.
102
Analyse réalisée à partir notamment, du travail effectué par l’Equipe de Développement Local de Belleville-
Amandiers, à partir des données issues du Recensement Général de la Population de 1999, de l’Enquête
Logement de 1999 de la DRE, de l’enquête triennale de l’OPAC de 2000 et d’une enquête auprès des agences
immobilières du 20ième arrondissement. Cf. EDL Belleville -Amandiers, Les caractéristiques du territoire de la
Politique de la Ville Belleville-Amandiers. Une approche d’ensemble, une approche par quartiers, Novembre,
2001
83
Le Bas Belleville : un quartier populaire à l’environnement dégradé abritant une
population paupérisée
En 1999, le quartier du Bas Belleville compte 7789 habitants. Sa population est plutôt
jeune (30% de moins de 20 ans et 10% de plus de 60 ans), comptant une très forte proportion
d’ouvriers (16% contre 10% à Paris à la même date), très peu de cadres (15% contre 35% à
Paris à la même date) et de professions intermédiaires (13% contre 23% à Paris à la même
date). Le taux de chômage y est extrêmement élevé (20%), le plus élevé d’ailleurs de
l’ensemble du périmètre de la Politique de la Ville Belleville-Amandiers. Le chômage touche
autant les hommes que les femmes, y compris pour le chômage de longue durée qui concerne
un actif sur dix.
Sur le plan urbanistique, le quartier du Bas Belleville se caractérise par la juxtaposition
de constructions anciennes (près de 70% des logements ont été construits avant la seconde
guerre mondiale) et de constructions très récentes, postérieures à 1982. Comme nous l’avons
mentionné plus haut, le quartier n’a bénéficié d’aucune construction nouvelle entre 1950 et
1980 du fait du projet de ZAC 103 , ce qui explique la grande insalubrité des logements. Au sein
du parc privé, 41 immeubles font ainsi l’objet d’une déclaration d’insalubrité 104 et une forte
proportion de logements manque d’au moins un équipement sanitaire et souvent de plusieurs
(11% de l’ensemble du parc privé). Les petits logements sont sur-représentés (60% de F1 et
F2 sur l’ensemble du parc, 80% dans le parc privé), induisant de fréquents cas de sur-
occupation : 168 ménages de 4 personnes ou plus vivaient dans des F1 ou des F2 en 1999, soit
10% de la population. La dynamique de rénovation lancée dans le cadre des OPAH a permis
de réduire l’insalubrité mais le parc reste largement dégradé et inconfortable. Le quartier
compte aussi un nombre conséquent d’hôtels meublés logeant 67 ménages en 1999, ainsi
qu’un foyer de travailleurs immigrés logeant 174 personnes. A côté de ce qui ressemble à un
gigantesque parc social « de fait », le parc social officiel recouvre 29% des logements du
quartier ; un tiers de ces logements a moins de 20 ans. Le parc se paupérise, il capte
principalement des ménages à faibles revenus avec par exemple, une proportion de 50% de
bénéficiaires APL (28% en moyenne sur l’ensemble du secteur Politique de la Ville
Belleville-Amandiers). Au sein du parc, un groupe immobilier en particulier (l’îlot Bisson-
103
Zone d’Aménagement Concertée
104
Sources : OPAH Bas-Belleville, rapport d’activité 2000
84
Tourtille-Palikao) connaît d’importantes difficultés sociales avec une population très
précarisée (un ménage sur 10 vit des minima sociaux).
Malgré cela, le quartier conserve une image positive de quartier populaire liée
notamment à l’existence d’une vie sociale développée et d’un certain dynamisme, sur le plan
associatif en particulier. L’importance de la population d’origine immigrée et la diversité des
communautés étrangères auxquelles elles se rattachent est à l’origine d’une vitalité culturelle
et commerciale bien analysée dans les écrits de Patrick Simon (cf. notamment Simon, 1997).
Traditionnellement, le quartier abrite de nombreux artistes et continue à attirer, à la marge
cependant, une population aisée (construction de lofts, fréquentation des restaurants et autres
lieux de sortie, ainsi que du parc de Belleville par une population extérieure au quartier).
Néanmoins, le cadre de vie est considéré comme déprécié ; la présence de friches liées aux
travaux de rénovation, une voirie en mauvaise état et un déficit de propreté générale donnent à
certaines zones une allure de quartier de faubourg d’un autre temps. Les faits de délinquance
sont nombreux (trafics de drogue, agressions avec violence, etc.) ce qui cont ribue parmi
d’autres causes à la faible attractivité du quartier sur le marché immobilier comparativement
aux quartiers environnants notamment.
L’image positive de ce quartier, foyer populaire dans lequel le « mythe de Belleville »
(Simon, 1995) puise sa vigueur, est ainsi de plus en plus sévèrement mise à mal.
85
logements datent d’avant la première guerre mondiale et la même proportion sont des F1 et
F2, on compte par ailleurs peu de cas d’inconfort, et peu de cas de sur-occupation. Le
pourcentage de propriétaires occupants s’élève à 20% ce qui laisse supposer une certaine
stabilité de l’occupation du parc privé. Le parc social connaît des fortunes diverses ; avec 28%
des logements du secteur, il est important en volume, assez récent (années 80) et diversifié
(50% de F3 et F4 et 20% de F1). La part des résidents à faibles revenus est importante, ainsi
40% des familles sont bénéficiaires des APL. Au sein du quartier, un groupe immobilier
concentre de manière importante difficultés sociales et économiques (groupe Piat-Faucheur-
Envierges). Il compte 70% de logements sociaux et 9% des ménages qui y résident sont
dépendants des minima sociaux. Le groupe se caractérise par un fort marquage
communautaire avec notamment une concentration importante de familles originaires
d’Afrique subsaharienne.
Le quartier bénéficie d’une très bonne situation, sur les hauteurs de Paris – il dispose
d’ailleurs, au sommet du Parc de Belleville de la plus belle vue panoramique sur la capitale.
Le niveau d’équipements scolaires et la présence d’équipements tel que le parc cité à l’instant,
en font un territoire attractif, dont l’image se dégrade cependant de façon progressive en
raison de nombreux problèmes d’insécurité et de la présence d’une délinquance importante et
structurée, au niveau du groupe Piat-Faucheur-Envierges. La tension sociale est perceptible
dans ce quartier où l’Equipe de Développement Local note un « processus de dévalorisation à
l’œuvre » (problèmes de gestion urbaine, propreté, chute des valeurs immobilières en lien
avec la dépréciation du cadre de vie : les prix pratiqués sont les plus bas de la zone, hausse
des demandes de mutation des ménages les plus solvables du parc social).
En somme, le quartier Piat-Faucheur-Envierges est emblématique d’un processus de
disqualification spatiale à l’œuvre, tel que nous l’avons présenté au cours de la première partie
de ce document.
Au recensement de 1999, le quartier Amandiers (non strictement situé dans les limites
habituellement retenues du quartier Belleville) comptait 9506 habitants avec un équilibre
relatif des classes d’âge (23% de jeunes de moins de 20 ans, 60% de 21-59 ans et 17% de plus
de 60 ans). Le quartier est composé majoritairement de classes moyennes (40% d’employés et
de professions intermédiaires), même si la part des ouvriers reste importante (10%) ; les
cadres quant à eux sont sous-représentés par rapport à Paris (15% vs 35%). Le taux de
86
chômage est très important (19%), notamment masculin (21%), le chômage de longue durée
se situant dans la moyenne du secteur (8%).
L’habitat est globalement de bonne qualité, dominé par la présence d’un parc social
très important (50% des logements). Le parc (privé notamment) compte un nombre de grands
logements supérieur à la moyenne du secteur (2,5 pièces en moyenne contre 2,4 sur le reste de
la zone), les logements sont par ailleurs bien équipés avec des taux d’équipements sanitaires
très supérieurs à la moyenne du secteur et à la moyenne parisienne. Le quartier compte de
nombreux foyers d’hébergement abritant des ménages et personnes seules en situation de
grande difficulté économique et sociale. Deux foyers de travailleurs accueillent ainsi 510
personnes, un centre d’hébergement pour femmes loge 35 personnes et une maison de retraite
pour personnes âgées en difficulté compte 118 places. Le parc social est dominant sur le
quartier, concentré dans la ZAC des Amandiers au cœur du territoire. Le parc est récent (2/3
des logements datent des années 80-90). Il est par ailleurs diversifié, se caractérisant
notamment par des loyers plus élevés que la moyenne du secteur ; ainsi la proportion de
bénéficiaires APL est de 19% soit très inférieure à la moyenne de la zone (28%).
Pour l’observateur, le quartier peut schématiquement se scinder en deux zones : la
zone basse concentrant la majorité des logements sociaux et la partie haute, proche de la place
Gambetta, qui se caractérise par une architecture et une composition sociale plus proche de
celle du quartier du même nom, un des quartiers en vogue du 20ième arrondissement. Ainsi, si
le quartier dispose dans l’ensemble d’un bon niveau d’équipements publics, notamment
scolaires et espaces verts, la ZAC se caractérise de manière inverse, par sa monofonctionnalité
avec une absence d’activité économique et commerciale en son sein. Elle souffre des mêmes
« erreurs » d’un certain type d’aménagement urbain marqué par une faible lisibilité des
espaces, par une absence de centralité et par une pauvreté réelle des aménagements des
espaces publics, conduisant in fine à une dévalorisation du cadre de vie. Souvent associée à ce
type d’urbanisme, la zone se caractérise par une petite délinquance très territorialisée qui sans
être de la même ampleur que celle repérée à Piat-Fauche ur-Envierges notamment, contribue à
ancrer un certain sentiment d’insécurité. De ce fait notamment, le parc social enregistre une
baisse de son attractivité avec un taux de vacance de moins de trois mois relativement élevé
pour le secteur (3,4%), traduisant des difficultés de relocation.
Moins formellement en difficulté que les deux quartiers précédents, le quartier
Amandiers n’est cependant pas exempt de problèmes liés à l’urbanisme et à la concentration
de ménages en difficulté dans certaines portions du territoire, lesquels tendent à scinder le
quartier en deux ensembles aux situations peu comparables.
87
Ménilmontant : un quartier mixte et animé
Avec 9192 habitants en 1999, le quartier de Ménilmontant (qui est tout comme
Belleville un ancien village de la proche banlieue parisienne au 19ième siècle), est le quartier le
plus peuplé de la zone Belleville-Aamandiers. La répartition par classes d’âge est équilibrée
(20% de moins de 20 ans, 18% de plus de 60 ans), plus conforme d’ailleurs aux taux parisiens
(18% et 19% respectivement) que le reste du secteur. Là encore le quartier est composé en
majorité de classes moyennes (37% d’employés et de professions intermédiaires), les ouvriers
sont légèrement sur-représentés (11%) quand les cadres et professions intellectuelles et
supérieures sont sous-représentés par rapport à Paris (17% vs 35%), mais plus nombreux
cependant que dans les trois quartiers déjà cités. Le taux de chômage est le plus bas du secteur
(15%), y compris de longue durée (moins de 8%), mais reste néanmoins supérieur à la
moyenne parisienne.
L’habitat est particulièrement diversifié dans le quartier de Ménilmontant et tous les
cas de figure s’y rencontrent du point de vue du logement. Ainsi, le parc privé est
majoritairement ancien (60% de logeme nts d’avant la seconde guerre mondiale), la taille
moyenne des logements est importante et la densité d’occupation est moins importante que la
moyenne du secteur. Au delà des effets moyens, l’inconfort est cependant très présent avec un
logement sur dix souffrant d’un sous équipement sanitaire, et les cas de sur-occupation le sont
également : 138 ménages de 4 personnes ou plus vivent dans des F1 ou F2, soit 7% de la
population. Le quartier compte un nombre important d’hôtels meublés logeant 108 ménages
en 1999, ainsi qu’un foyer de travailleurs immigrés dans un état dégradé qui accueille 144
personnes. Le parc privé ancien reste cependant attractif dans certaines zones, notamment
autour de l’axe commercial de la rue de Ménilmontant. La dotation en équipements culturels
et scolaires est assez importante, ce qui, ajouté au cachet et à l’animation de certaines zones,
contribue à faire progresser le coût de l’immobilier, dont les valeurs restent cependant
moyennes et inférieures à d’autres quartiers du 20ième arrondissement.
Le parc social est important (30%) des logements mais peu intégré dans son
environnement. Ainsi, la moitié nord-ouest du quartier concentre une zone dense de grands
ensembles hérités de l’urbanisme des années 60. Ces barres imposantes, issues du premier
programme de rénovation à entrer en application sur le quartier de Belleville, représentent une
fracture considérable dans la morphologie du quartier (trame urbaine non conservée, absence
totale de commerces). Pour autant, le parc est considéré comme relativement stable et même
88
plutôt favorisé par rapport à la situation observée dans les autres quartiers du périmètre. On
compte ainsi seulement 16% d’allocataires des APL, soit le taux le plus bas du secteur de la
Politique de la Ville (28% en moyenne). L’ancrage locatif y semble durable puisqu’on ne
comptait en 1999 que 7% d’emménagement récent.
Le quartier de Ménilmontant est donc un quartier mixte au sein duquel la cohabitation
sociale semble ne pas poser de problèmes excessifs. C’est aussi le quartier le plus
« homogène » de la zone. Ainsi, en suivant les analyses de Patrick Simon portant sur une
portion de territoire recouvrant globalement le périmètre du quartier Ménilmontant, on
apprend que c’est dans ce quartier que l’indice de dissimilarité 105 entre personnes nées en
France et immigrés est le plus faible de l’ensemble de la zone de Belleville ; sur le plan de la
PCS comme sur celui du confort dans le logement (Simon, 1995).
Des cinq quartiers de la zone Belleville – Amandiers, Mare-Cascades est, avec 4324
habitants en 1999, le moins peuplé et assurément le plus singulier. Sa population est dans
l’ensemble assez jeune (21% de moins de 20 ans, 14% de plus de 60 ans), mais son originalité
tient surtout dans sa composition sociale vis à vis des autres quartiers du périmètre. On
recense en effet 18% de cadres et professions intellectuelles et supérieures et 20% de
catégories intermédiaires qui ensemble, constituent près de 40% des actifs, chiffre le plus
élevé de l’ensemble du secteur. A l’opposé, il ne compte que 10% d’ouvrier, chiffre en deçà
de la moyenne parisienne mesurée à la même date. Le taux de chômage s’élève à 16%, moins
elevé que dans les autres secteurs, mais le taux de chômage de longue durée se rapproche des
moyennes de la zone avec un peu plus de 8%.
Sur le plan de la structure physique, le quartier a conservé un habitat traditionnel, les ¾
des constructions datent d’avant la seconde guerre mondiale et 54% d’avant 1915. Les
logements sont petits dans l’ensemble (65% de F1 et F2) et rencontrent de fréquentes
situations d’inconfort sanitaire : près d’un logement sur 10 est ainsi sous-équipé, parmi
lesquels près de 5% n’ont ni salle de bain ni WC, ce qui est supérieur aux moyennes de la
zone (un peu plus de 3%) et à celles de Paris (3%). Malgré la petite taille des logements, la
densité d’occupation est faible (1,9 personnes par logement quand la moyenne du secteur est
105
Indice qui évalue la somme des écarts entre deux distributions du point de vue de différentes variables (ici :
personnes nées en France et immigrés). On le trouve notamment utilisé dans l’étude de Yves Grafmeyer portant
sur le cas de la ville de Lyon (Grafmeyer, 1991)
89
de 2,1) d’ordre de grandeur similaire à la moyenne parisienne. Autre originalité, l’habitat est
mixte avec 3% de maisons individuelles et 23% de propriétaires-occupants.
Le parc social est quant à lui moins développé que dans les autres quartiers étudiés (21%
des logements) et est réparti de manière diffuse dans le quartier. 44% des logements sociaux
datent d’après 1990 et le parc présente dans l’ensemble des grands logements (56% de F3 et
F4 quand un logement sur dix est un F5). La composition du parc est diversifiée et préserve
un certain équilibre social, les loyers sont élevés par rapport à la moyenne du secteur, ¼ des
ménages sont bénéficiaires des APL (28% en moyenne sur la zone).
Le quartier ayant conservé une trame viaire et un habitat traditionnels, typiques d’un
Paris « villageois », le cadre de vie y est particulièrement attractif. Le cœur du quartier
présente un certain déficit en équipements mais sa proximité avec la rue des Pyrénées et ses
équipements scolaires et commerciaux limite ce handicap. Ce cadre de vie préservé se traduit
par des valeurs immobilières supérieures aux autres quartiers de la zone mais restent
cependant inférieures à d’autres quartiers du 20ième arrondissement.
Le cadre de vie et la composition sociale du quartier en font un secteur particulièrement
atypique, dont l’insertion dans le périmètre prioritaire de la Politique de la Ville semble
relever du mystère. Mare-Cascades est emblématique d’un processus de (re)conquête des
centres anciens populaires par les nouvelles classes supérieures qualifiées dans le cas précis,
de « multiculturels » (Simon, 1995).
La zone de Saint Blaise – Porte de Montreuil correspond à une situation bien différente
sur certains aspects, à celle décrite au cours des pages précédentes. En effet, s’il est possible
ici de parler de disqualification spatiale, sur un mode particulièrement intense d’ailleurs, on ne
repère nulle trace d’un quelconque embourgeoisement. Dans le périmètre sticto sensu tout du
moins, l’analyse une fois encore étant fortement dépendante du cadre spatial considéré. En
effet, comme on le verra, si le quartier Saint Blaise peut être considéré comme l’un des plus
en difficulté de la zone – sur le plan social tout du moins – il suffit de franchir une modeste
rue, la rue Vitruve, au nord du quartier, pour se retrouver encerclé de maisonnettes et de
terrasses qu’on pourrait croire transplantées des hauts de Montmartre : c’est le « village » de
90
Charonne 106 . De manière anecdotique, mais pas seulement cependant dans une recherche
s’intéressant à l’image des lieux, nous pouvons pour l’illustration, citer ces quelques lignes du
guide du Routard qui nous convie à une « balade bucolique dans un village secret »107 : « La
rue Saint Blaise est l’axe principal du vieux village depuis toujours […] Très jolies maisons
basses, tout du long, magnifiquement restaurées. […] A l’angle des rues Saint Blaise et
Vitruve, la croquignolette place des Grès ; en continuant, joli square. La rue Vitruve marque
la limite du village. De l’autre côté, c’est comme partout ailleurs. Manque d’imagination et
architecture totalitaire ». De l’autre côté, c’est le quartier Saint Blaise et c’est véritablement
un autre monde. Proximité spatiale et distance sociale 108 : certaines formules célèbres
s’avèrent parfois bien à propos pour décrire l’espace urbain.
La zone de Saint Blaise – Porte de Montreuil ne correspond pas, comme dans le cas
précédent, à un assemblage de quartiers à proprement parler. Si le quartier de Saint Blaise
peut être considéré comme formant une unité «cohérente », celui de la Porte de Montreuil
correspond plus à une construction propre à l’intervention politique. Nous verrons d’ailleurs
que la configuration du territoire n’autorise pas réellement le développement d’une « vie de
quartier » qui pourrait donner un sens au territoire : celui des pratiques sociales.
Avant d’exposer par le détail les caractéristiques des deux quartiers, la carte présentée
ci-dessous en précise la localisation géographique, à l’extrême est du 20ième arrondissement.
106
A son propos voir T. Fayt, 2003, op. cit.
107
Le Guide du Routard Paris, Hachette, 2001, p. 640
108
J.C. Chamboredon, M. Lemaire, 1970, op. cit.
91
Porte de
Montreuil
Saint Blaise
92
1990109 , 19% des actifs du quartier. Les cadres et professions intellectuelles et supérieures
composent 17% des actifs quand le pourcentage d’employés s’élève à 35%. Près de 16% des
actifs sont au chômage (chiffre 1999).
Concernant l’urbanisme et le logement, le quartier Saint Blaise se caractérise par la
part ultra- majoritaire du parc social qui représente 90% des logements (soit 3047 logements),
à tel point que le diagnostic social urbain concernant le quartier considère que c’est là « la
véritable identité du quartier Saint Blaise » 110 . Les 10% restants correspondent à un parc
ancien et contemporain de copropriétés, en faible nombre, ainsi qu’à un parc privé locatif
récent de bailleurs institutionnels. Près de 55% des logements ont été réalisés après 1975, dont
une bonne partie sous la forme d’immeubles imposants de grande hauteur, bâtis autour de
« squares ». Le peuplement est caractéristique du logement social avec certaines
spécialisations par îlots : certains comptent ainsi plus de 50% de familles monoparentales.
Dans certains îlots les revenus d’une majorité de locataires sont très faibles, la part des
locataires dont les ressources sont inférieures à 60% du plafond de ressource pour accéder aux
HLM est ainsi toujours supérieure à la moitié des locataires.
Le quartier est enclavé et peu traversé, il est très mal desservi par les transports en
commun, ce qui conduit à en faire un « « vase clos », autarcique, résidentiel, propice au
développement d’une relation identitaire et d’une appropriation du territoire par des bandes
de jeunes » (ACT, 2002). Le cadre de vie est du reste fortement dégradé et les problèmes de
délinquance sont nombreux (trafic de drogue, vol de voiture, etc.), favorisés par
l’indéterminatio n du statut des nombreux passages ou cours destinés à briser la monotonie du
grand ensemble. Sur le plan des équipements, le quartier est insuffisamment équipé,
l’armature commerciale est disqualifiée ou peu valorisée avec un manque de diversité des
services offerts.
Le quartier Saint Blaise est finalement décrit par les consultants qui s’y sont intéressés
comme « relativement disqualifié par son traitement, sa gestion et son entretien ». On
retrouve dans ce quartier toutes les caractéristiques des grands ensembles de banlieue décrits
notamment par David Lepoutre (Lepoutre, 2001), Cyprien Avenel (Avenel, 2000) ou Anne
Villechaise-Dupont (Villechaise-Dupont, 2000). Nous verrons dans la suite de l’analyse que
Saint Blaise peut constituer un cas idéal typique pour l’étude de la disqualification spatiale
109
Nous ne disposons malheureusement pas des données de PCS du recensement de 1999 pour ce périmètre
précis : le document Analyse des données du recensement de 1999 appliquée aux quartiers de la Politique de la
Ville édité par l’APUR en 2001 fait d’ailleurs l’impasse sur les PCS pour 1999.
110
ACT Consultants, Diagnostic Social Urbain du quartier Saint Blaise et des cités Félix Terrier, La Tour du
Pin, Les Fougères. Synthèse, orientations, Avril, 2002
93
La Porte de Montreuil : un quartier périphérique en voie de paupérisation
111
Grand Projet de Renouvellement Urbain de la Porte de Montreuil, 2003, op. cit.
94
représentent d’importants obstacles physiques qui nuisent au développement d’une vie sociale
de proximité. Le tissu associatif sur le périmètre de la Porte de Montreuil est très peu
développé ; seules quelques associations proposent des structures de proximité. L’offre en
équipements publics est par contre importante, notamment sur le plan sportif, mais peu
adaptée aux besoins de la population, car sans accès libre.
Le quartier de la Porte de Montreuil apparaît donc au final comme un territoire
cumulant difficultés sociales et difficultés d’aménagement qui s’accompagnent d’une
paupérisation croissante de sa population. Le diagnostic de territoire déjà cité résume ainsi sa
situation : « La « couronne » comprise entre les boulevards extérieurs et les limites de Paris
est un territoire fragmenté qui souffre d’une image négative ».
95
Etant données ses caractéristiques physiques et socio-économiques (état du bâti, taux de
chômage, proportion de ménages rencontrant des difficultés économiques et sociales, etc.), le
20ième arrondissement de Paris fait l’objet – depuis le milieu des années 90 et, en particulier, la
création des Zones Urbaines Sensibles – de plusieurs mesures d’intervention publique qui
délimitent chacune des périmètres spécifiques d’action. Sans entrer dans les détails des
différentes procédures, de leurs objectifs et de leur enchaînement historique 112, on peut
présenter rapidement les périmètres principaux d’intervention de la Politique de la Ville sur
l’arrondissement, que l’on pourra retrouver sous forme cartographique en annexe 1.
112
Pour plus de détails, voir par exemple le n°784 de la revue « Problèmes Politiques et Sociaux », qui traite
précisément ces questions : Damon J. La Politique de la Ville. Paris, La Documentation Française, Problèmes
Politiques et Sociaux, mai 1997 n°784
113
Le contrat de ville signé en 2000 entre la Ville, l’Etat et la Région prolonge et amplifie l’action engagée dans
le cadre de la politique de la ville en élargissant dans certains cas les périmètres des ZUS et en créant dans
quelques arrondissements, de nouveaux périmètres d’intervention.
96
2002 : Les Grands Projets de Renouvellement Urbain (GRPU) 114
D’une focale très resserrée en 1996 avec la création des ZUS (et avant cela avec celle
des ZAC dont nous n’avons pas parlé ici), le regard institutionnel porté sur les « problèmes
urbains » du 20ième arrondissement s’est donc considérablement élargi depuis une vingtaine
d’années. Il en résulte, pour la dimension qui nous intéresse dans cette étude, que le marquage
institutionnel se fait sans doute aujourd’hui moins pesant sur certains territoires, auparavant
repérés comme épicentres des problèmes de l’arrondissement, mais que ceux-ci gardent
cependant le poids « historique » de leur désignation précoce. Nos analyses portant sur les
appréciations de la réputation des différents quartiers par leurs habitants pourront donc
utilement être mises en regard avec ce court exposé des évolutions d’un des moteurs puissants
de la constitution de l’« image des lieux ».
114
Dans la dynamique du contrat de ville 2000-2006, la Ville de Paris a engagé un programme de Grands Projets
de Renouvellement Urbain qui a donné lieu à un avenant du contrat de ville signé le 20 Mars 2002.
115
Grand Projet de Renouvellement Urbain de la Porte de Montreuil, 2003, op. cit.
97
3. Les visages multiples d’une population d’étude hétérogène
116
La correspondance n’est pas totale puisque les données du recensement à notre disposition ne permettent de
travailler que sur la classe 20-39 ans (18-39 ans pour le cas de notre échantillon).
98
(14,8% vs 24,0%) 117. On retrouve là une tendance commune à de nombreux territoires de la
Politique de la Ville, en particulier en Ile de France, constitués dans leur majorité d’une
population plus jeune que celle des territoires environnants. Si la répartition par sexe ne
diffère pas significativement suivant les quartiers, l’âge des enquêtés est significativement
plus faible à Belleville - Amandiers qu’à Saint Blaise - Porte de Montreuil dont près de la
moitié de la population ayant répondu à l’enquête a entre 40 et 59 ans.
TABLEAU 2 : REPARTITION PAR AGE ET PAR SEXE SUIVANT LES QUARTIERS DANS NOTRE
ECHANTILLON (EN %)
Saint Blaise –
Belleville-
Porte de Ensemble Paris 1999
Amandiers
Montreuil
Sexe (ns)
Homme 44,9 41,7 43,9 46,9
Femme 55,1 58,3 56,1 53,1
Age (p<0,001)
20 - 39 ans 55,5 41,1 50,8 44,0
40 - 59 ans 28,7 44,6 34,0 32,0
60 - 74 ans 11,6 9,4 10,9 14,3
75 ans et plus 4,2 4,9 4,4 9,7
Sources: enquête INSERM-20ième arrdt. 2003 ; Recensement Général de la Population 1999.
La classe des 18-19 ans non représentée ici par souci de comparabilité avec les
données du recensement correspond à 2,9% de notre échantillon (2,9% à Belleville -
Amandiers, 3,0% à Saint Blaise - Porte de Montreuil). La comparaison avec les données du
recensement concernant le 20ième arrondissement (34,4% de personnes âgées de 20 à 39 ans,
17,7% de personnes âgées de plus de 60 ans) et les données appliquées aux quartiers que nous
avons présentées au cours du chapitre précédent, confirment cette tendance à la sur-
représentation des jeunes dans les territoires de l’arrondissement concernés par la politique de
la Ville.
117
Même remarque, les pourcentages pour Paris sont calculés sur la population âgée de 20 ans et plus.
99
proche de l’analyse concernant les quartiers de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement (stricto sensu) qui en recensait en 1999, 80,4% (85,5% à Paris en 1999). La
proportion d’étrangers avec 20,6% est, elle aussi, proche des chiffres de 1999 ; c’est-à-dire
très supérieure à la moyenne parisienne (14,5%). Il s’agit d’ailleurs d’un autre point commun
entre de nombreux quartiers de la politique de la Ville.
La proportion d’étrangers ne diffère pas significativement entre les deux quartiers
étudiés. Du point de vue du détail des nationalités, la première remarque concerne la quasi
absence dans notre échantillon de représentants de la communauté chinoise et asiatique de
manière générale. Comme cela est exposé dans l’annexe méthodologique (annexe 3), notre
dispositif d’enquête semble s’être avéré impuissant à vaincre les résistances de cette
communauté. Nous sommes conscients d’avoir perdu ici, comme d’autres, une source
importante d’informations sur cette communauté sur laquelle les données manquent par
ailleurs. Les responsables d’établissements scolaires du quartier rencontrés dans le cadre de la
préparation de l’enquête déclarent ainsi perdre la trace de nombreux jeunes asiatiques au sortir
du collège.
Les « communautés » les plus représentées sont celles originaires du Maghreb (8,8%)
et d’Afrique Noire (5,7%), qui forment à elles seules près des trois quarts de la population
étrangère de notre échantillon. La distribution des différentes nationalités n’est pas
significativement différente entre les deux quartiers étudiés.
Dans notre échantillon, les étrangers représentés vivent en France depuis plus de 10
ans pour la grande majorité d’entre eux (63,7%). Seuls 5,6% des étrangers ne sont en France
que depuis moins d’un an. C’est sur ce point que les quartiers divergent, même si la différence
n’est pas statistiquement significative. Les étrangers établis à Saint Blaise – Porte de
Montreuil sont 72,4% à être en France depuis plus de 10 ans, alors que cette situation ne
concerne que 59,7% des étrangers établis à Belleville – Amandiers. Ce résultat tend à
confirmer les vocations différentes des deux quartiers au regard de l’accueil de population
étrangère.
La proportion des français issus de l’immigration est importante puisqu’ils
représentent 18,7% des individus interrogés. On verra tout au long de cette étude, l’intérêt
qu’il peut y avoir à prendre en compte ce critère d’origine géographique et à ne pas se
contenter de la nationalité actuelle.
100
TABLEAU 3 : REPARTITION DE LA POPULATION PAR NATIONALITE ET ORIGINE GEOGRAPHIQUE
DANS NOTRE ECHANTILLON (EN %)
Saint Blaise –
Belleville-
Porte de Ensemble Paris 1999
Amandiers
Montreuil
Français (ns) 79,0 80,3 79,4 81.8
Dont :
1 parent étranger 5,4 3,4 4,7
2 parents étrangers 12,6 16,7 14,0
Etranger (ns) 21,0 19,7 20,6 18.2
Dont:
Maghreb 8,6 9,2 8,8 4.7
Afrique Noire 6,2 4,7 5,7 2.4
Europe de l’Ouest 3,2 2,4 2,9 4.4
Europe de l’Est 1,5 1,7 1,6 1.8
Asie 1,0 1,4 1,1 3.3
Moyen Orient 0,8 0,3 0,7
Amérique centrale et du Sud 0,8 2,7 1,5
1.26
USA, Canada 0,5 0,0 0,3
ième
Sources: enquête INSERM-20 arrdt. 2003 ; Recensement Général de la Population 1999.
101
plus représentés à Belleville – Amandiers (8,6% de la population de l’échantillon y est
étudiante) qu’à Saint Blaise – Porte de Montreuil qui ne compte que 5,8% d’étudiants).
Saint Blaise –
Belleville - Paris 1999
Porte de Ensemble
Amandiers (20-74 ans)
Montreuil
Composition des ménages (p<0,02)
Personne vivant seule 43,1 35,3 40,5 52,4
couple sans enfant 18,9 17,3 18,3 20,0
couple avec enfant 21,5 26,4 23,2 16,3
dont nombre moyen d’enfants dans le ménage 2.0 2.1 2.1
famille monoparentale 10,6 16,6 12,6 7,3
dont nombre moyen d’enfants dans le ménage 1.8 1.8 1.8
ménage familial* 1,3 2,4 1,7
4,1
ménage non familial** 4,5 2,0 3,7
ième
Sources: enquête INSERM-20 arrdt. 2003 ; Recensement Général de la Population 1999.
* on entend par "ménage familial" les ménages constitués de personnes apparentées mais sans lien de filiation
directe ou si lien de filiation directe, l’« enfant » est un adulte de plus de 30 ans.
** on entend par "ménage non familial" les ménages constitués de personnes non apparentées et n’ayant pas une
vie de couple au sein de ce ménage (par exemple collocation).
102
TABLEAU 5 : REPARTITION SELON LE NIVEAU D’ETUDE ATTEINT DANS NOTRE ECHANTILLON
(EN %)
Saint Blaise-
Belleville-
Porte de Ensemble
Amandiers
Montreuil
Niveau Scolaire (p<0,05)
jamais scolarisé ou primaire 12,5 13,6 12,8
secondaire 1er cycle (collège) 15,2 22,4 17,6
secondaire 2ème cycle 24,3 23,7 24,1
supérieur 48,1 40,3 45,5
Sources: enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
Plus encore que pour le niveau d’étude, les quartiers étudiés présentent des différences
concernant le niveau de diplôme obtenu. Sur Saint-Blaise - Porte de Montreuil en effet, 33,6%
de la population ne dispose d’aucun diplôme supérieur au BEPC (contre 27,6% à Belleville -
Amandiers) et la proportion de diplômés du supérieur est deux fois plus faible : seuls 17,3%
ont un diplôme de niveau au moins égal à Bac+3, contre 33,1% à Belleville - Amandiers.
Nous allons voir dans un instant que cette distribution différentielle des diplômes selon les
quartiers suit celle des PCS, globalement plus élevées à Belleville - Amandiers qu’à Saint
Blaise - Porte de Montreuil, ce qui est en conformité avec les présentations de territoires du
chapitre précédent.
Sur l’ensemble de notre échantillon, 55,7% des enquêtés occupent un emploi, 14,5%
sont à la retraite ou en pré-retraite, 12,8% se déclarent au chômage, 7,6% en cours d’étude,
6,9% inactifs au foyer et, enfin, 2,4% se déclarent invalides (qu’ils soient ou non indemnisés
pour leur situation d’invalidité).
103
TABLEAU 6 : SITUATION VIS -A-VIS DE L’EMPLOI SUIVANT LES QUARTIERS DANS NOTRE
ECHANTILLON (EN%)
Saint Blaise –
Belleville - Paris 1999
Porte de Ensemble
Amandiers (15-74 ans)
Montreuil
TOTAL actifs ayant un emploi 57,2 52,5 55,7 46.0
CDI 36,2 41,4 37,9
CDD 13,3 6,8 11,1 12.4
Emploi aidé, contrat d'apprentissage ou en
1,7 0,7 1,3 1.5
alternance, CES, emploi jeune…
Formation rémunéré, programme TRACE… 0,7 0,3 0,6 1.0
A son compte, aide familial 4,5 3,4 4,2
Travail non déclaré 0,8 0,0 0,6
TOTAL chômeurs 10,8 16,9 12,8 6.4
Dont au sein des actifs 15,6 24,4 18,6 12.0
Chômeur indemnisé, inscrit à l'ANPE 5,1 10,2 6,7
Chômeur non indemnisé, inscrit à l'ANPE 3,9 4,1 3,9
Chômeur non inscrit à l'ANPE 1,9 2,7 2,1
TOTAL inactifs 32,0 30,5 31,5 47.0
Etudiant 8,6 5,8 7,6 10.7
Au foyer 6,4 7,8 6,9
32.0
Malade, invalide ou handicapé indemnisé 1,7 3,4 2,2
Malade, invalide ou handicapé reconnu non
0,3 0,0 0,2
indemnisé
Retraité(e) ou préretraité(e) 15,0 13,6 14,5 15.5
Sources: enquête INSERM-20ième arrdt. 2003 ; Recensement Général de la Population 1999.
Vis-à-vis de l’emploi, la population de notre échantillon est donc marquée par un taux
de chômage important, supérieur aux moyennes de l’arrondissement, de Paris et de
l’ensemble de la Région Ile-de-France. Les jeunes de mo ins de 25 ans sont les plus touchés
par le chômage (23,8% des actifs âgés de 18 à 24 ans) et par les statuts précaires (35,2%). En
d’autres termes, moins de la moitié des actifs de cette classe d’âge peut compter sur un emploi
« pérenne » (CDI), nous allons y revenir. Les étrangers et les français d’origine étrangère sont
particulièrement touchés, et significativement plus souvent que les français de parents
français, par le chômage et la précarité de l’emploi (p<0,05). On compte ainsi 25,8% de
chômeurs parmi les actifs étrangers contre 16,1% parmi les français ayant au moins un parent
français.
Plus d’un tiers (37%) des chômeurs est au chômage depuis moins de 6 mois, 12,0%
depuis un mois ou moins, et un quart (25,0%) depuis une durée comprise entre 2 et 5 mois.
Cependant, dans l’ensemble, le chômage tend à s’inscrire dans la durée. Ainsi, 46,1% des
personnes au chômage sont dans cette situation depuis plus d’un an, ce qui est un peu
supérieur à ce que l’on observe sur l’ensemble de la France (où 42.7% des chômeurs étaient
104
dans ce cas au premier trimestre 2003 118 ). En moyenne, les personnes sont au chômage depuis
environ 1 an et demi.
Du point de vue des Professions et Catégories Sociales, notre échantillon reflète bien
la situation observée en 1999 sur l’ensemble des quartiers de la Politique de la ville du 20ième
arrondissement. Les emplois occupés par la population enquêtée sont en effet d’un niveau
inférieur à ceux occupés en moyenne par la population parisienne. Si l’on compare le niveau
des emplois à la situation parisienne, les professions intermédiaires, employés et ouvriers
représentent plus de 50% de la population enquêtée contre près de 30% à l’échelle de Paris.
Les artisans sont deux fois moins nombreux que dans l’ensemble de Paris. Les cadres
représentent 13,2% du total des enquêtés, contre 18,5% de l’ensemble des résidants parisiens.
TABLEAU 7 : DISTRIBUTION DES PCS PAR ZONE DANS NOTRE ECHANTILLON (EN %)
Saint Blaise-
Belleville- Ensemble Paris
Porte de
Amandiers (18 ans et +) 1999
Montreuil
artisans, commerçants et chefs d'entreprise 1,7 1,7 1,7 3.2
cadres et professions intellectuelles supérieures 15,8 7,8 13,2 18.5
professions intermédiaires 19,0 23,1 20,4 12,2
employés 22,1 26,5 23,5 13,0
ouvriers 8,9 8,2 8,7 5,5
retraités 14,5 13,6 14,2 15,5
autres sans activité professionnelle 18,0 19,0 18,4 32,0
P<0,05 (Chi2 calculé sans les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, pour raison d’effectifs)
Sources: enquête INSERM-20ième arrdt. 2003 ; Recensement Général de la Population 1999.
118
Bigot JF, Goux G., Enquête sur l’emploi du premier trimestre 2003, Insee Première, n°909, Juillet 2003
105
Des secteurs d’activité différents selon le quartier de résidence
L’étude de la répartition des emplois par secteur d’activité permet de caractériser plus
finement la situation professionnelle dans les quartiers étudiés, au regard de notre échantillon.
Parmi les actifs ayant un emploi, plus de 22% des enquêtés déclarent travailler dans le secteur
des services et près de 12% sont salariés d’une administration. Avec 10,8% d’emplois, le
commerce arrive en troisième position dans notre échantillon, suivi de près par la santé
(9,3%) et l’enseignement (8,5%). La culture occupe 7,5% des actifs mais le chiffre réel est
supérie ur puisqu’une part non négligeable des « autres » (6,5%) est en fait composé d’actifs
de ce secteur 119 . On remarque une forte disparité suivant les quartiers (p<0,001 calculé sur les
effectifs supérieurs à 5) : Saint Blaise - Porte de Montreuil est marqué par la place
prépondérante qu’occupent les salariés de l’administration, comparativement au quartier
Belleville - Amandiers. Dans ce dernier quartier par contre, on observe une sur-représentation
relative des enseignants et des actifs de la culture. Les secteurs les moins « protégés » comme
ceux du bâtiments ou de la restauration sont plus présents à Belleville-Amandiers, tandis que
ceux du commerce et du transport sont davantage représentés à Saint Blaise - Porte de
Montreuil.
Parmi les actifs ayant un emploi, la proportion de statuts précaires s’élève à 23,4%,
contre 12,8% au niveau de l’Ile de France
La précarité de l’emploi est importante dans notre population d’étude. Elle concerne
directement près des trois quarts des actifs qui travaillent. En effet, parmi les personnes qui
occupent un emploi au moment de l’enquête (n=496), 67,9% ont un contrat à durée
indéterminée (CDI), 20,0% sont en contrat à durée déterminée (CDD) et 8,7% travaillent à
leur compte ou de façon non déclarée ; 3,4% bénéficient de mesures d’aide à l’emploi (contrat
aidé, emploi jeunes, etc.), du programme TRACE ou sont en stage de formation rémunéré. La
précarité de l’emploi est particulièrement fréquente chez les personnes de moins de 25 ans, et
diminue avec l’âge : 43,6% des 18-24 ans sont en CDD ou en contrat aidé, contre 13,7% des
45-59 ans. Par contre, dans notre échantillon, le statut de l’emploi occupé n’est pas
statistiquement différent selon le sexe et la nationalité.
119
Cette remarque est valable pour les secteurs de la culture, du social, du tourisme, de la restauration et presse –
média pour lesquels les autres n’ont pas toujours pu être recodés.
106
Sur le plan du statut de l’emploi, les quartiers étudiés diffèrent de façon significative.
Ainsi, Saint-Blaise-Porte de Montreuil compte davantage d’emplois «stables » (CDI) que
Belleville-Amandiers. Ce dernier accueille en effet plus de 16,7% de travailleurs au statut
précaire, soit deux fois plus qu’à Saint Blaise (7,8%). En revanche, bien que marqué par une
plus forte précarité de l’emploi, Belleville est, on l’a vu, le quartier du périmètre d’étude où le
pourcentage d’actifs occupés est le plus fort.
Une précarité des statuts principalement chez les ouvriers et les professions
intellectuelles et artistiques
La question des revenus des ménages est un point de passage délicat pour toute enquête
statistique tentant d’en approcher empiriquement une mesure. Cette question est toujours la
moins acceptée par les personnes enquêtées et celle qui conduit à des refus de réponse les plus
fréquents et ou aux réponses les plus biaisées. Notre enquête n’a pas dérogé à la règle et les
données manquantes ou erronées sur la question des revenus ont été nombreuses. Pour
dépasser cet obstacle et tenter une analyse des ressources des ménages habitant les quartiers
repérés par l’étude, l’équipe de recherche a mis au point un modèle statistique permettant
d’estimer les données de revenus manquantes. Ce modèle linéaire construit à partir de
diverses caractéristiques des individus appartenant aux ménages enquêtés, tant
démographiques (age, sexe) que socioprofessionnelles (situation au regard de l’emploi, niveau
107
d’éducation, CSP, durée du travail, etc.), a permis d’affecter aux revenus manquants une
valeur prédite par le modèle et jugée proche de la situatio n réelle.
L’approche par la pauvreté monétaire consiste à considérer comme pauvres les ménages
dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil dont la définition est un moment décisif de
l’analyse. Un niveau de pauvreté peut ainsi varier du simple au triple sur une zone donnée en
fonction du seuil choisi (50% du revenu médian de l’ensemble des ménages, 40% ou 60%,
etc.) et du concept retenu (référence nationale ou régionale, etc.) 120 . Classiquement nous
retiendrons ici le seuil de pauvreté défini par l’Insee et utilisé par l’Observatoire National de
la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, à savoir la moitié du revenu médian de l’ensemble des
ménages français. Afin de tenir compte de la composition des ménages, les revenus sont
calculés par Unité de Consommation121
120
Martinez C. Une mesure de la pauvreté en Ile de France en 2000, Insee, Ile de France à la page, Octobre
2003
Guillemin O., Roux V., Comment se détermine le niveau de vie d’une personne ?, Insee Première, n°798, Juillet
2001.
121
Le revenu du ménage par unité de consommation correspond au revenu mensuel total divisé par le nombre
d’unités de consommation du ménage (le premier adulte comptant pour une unité, les autres pour 0,5 unité
chacun de même que les mineurs âgés de 14 ans et plus, les mineurs de moins de 14 ans comptent pour 0,3 unité
chacun).
122
Le seuil de pauvreté calculé par l’INSEE équivaut à la moitié du revenu médian de la population totale – soit,
pour une unité de consommation en 2003, 650 Euros par Unité de Consommation/mois.
108
de la France en 2001 (10,3 %) 123 . En partant des chiffres donnés en 2002 par l’INSEE, il est
possible de reconstituer approximativement la limite supérieure d’une classe dite des ménages
modestes (970,6 €/UC/mois). Notre population d’étude se répartit alors de la façon suivante :
75,0
65,1
50,0
25,0 19,3
15,5
0,0
ménages pauvres ménages modestes autres ménages
<650€/UC/mois <970,6€/UC/mois
FIGURE 10 : REPARTITION DES MENAGES SUIVANT LES SEUILS DE REVENU INSEE DANS
NOTRE ECHANTILLON (EN %)
La différence entre les classes d’âge vis à vis du niveau de vie déclaré est très
significative. Les jeunes (18-24 ans) semblent beaucoup plus affectés que leurs aînés par la
faiblesse des revenus ; en effet, 27,5% des personnes de cette classe d’âge vivent dans un
ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Ces résultats n’ont rien de
surprenant, plusieurs études tendant à confirmer que les moins de 25 ans ont un niveau de vie
plus faible que le reste de la population.
Toute catégories d’âge confondues, les ménages monoparentaux sont ceux qui sont les
plus touchés par les difficultés économiques (appréhendées par le revenu mensuel par unité de
consommation). Un quart (26%) d’entre eux se situent en effet en dessous du seuil de
pauvreté, la situation se dégradant fortement quand le nombre d’enfants augmente. Ainsi, si
26,4% des familles monoparentales ne comptant qu’un enfant sont situées sous le seuil de
pauvreté, cette situation concerne deux tiers des familles monoparentales comptant 4 enfants.
Après ajustement sur l’âge, le nombre d’enfant, l’activité, la PCS et le niveau de
diplôme, les étrangers sont dans notre échantillon significativement plus pauvres que les
123
Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, Les travaux 2001-2002, Paris, La
Documentation Française, 2002.
109
français ; 30% des ménages dits étrange rs (dont la personne de référence est étrangère)
peuvent être considérés comme des ménages pauvres contre 16% des ménages français.
La différence entre zone sur le plan des revenus n’est pas significative mais elle l’est
pas contre au niveau des 7 quartie rs du périmètre. Les quartiers comptant le plus de ménages
pauvres dans notre échantillon sont Bas Belleville (41,2%), Porte de Montreuil (40%) et Piat
Faucheur Envierges (36,7%), ceux qui en compte le moins sont Mare-Cascades (31,8%) et
Saint Blaise (29,0%). La disparité des distributions des classes de revenu entre les quartiers
est un phénomène qui comprend plusieurs déterminants fortement liés entre eux. On ramènera
ainsi les distributions observées au type de logement majoritaire sur le quartier (logement
social, locatif privé, propriétés, etc.), à la vocation de ces logements (petits studios pour
couple ou personne seule, grands appartements du parc social destiné aux familles
nombreuses, etc.), aux prix de l’immobilier dans le quartier, à la distribution des PCS en son
sein, etc.
110
80
72
60
49 propriétaire/ accédant à la propriété
43
38 36 locataire d'un logement HLM
40
0
Belleville Saint Blaise Ensemble
Ce portrait très partiel de notre échantillon étant dressé, nous pouvons à présent entrer
dans le vif du sujet en abordant les résultats de la confrontation empirique de la problématique
et des hypothèses de ce travail, aux données.
111
Quartiers socialement disqualifiés et images de
soi : résultats de l’étude dans les quartiers de
la Politique de la Ville du 20ième arrondissement
de Paris
Après cette présentation du cadre méthodologique dans lequel s’inscrit notre travail de
recherche, ainsi qu’un premier aperçu synthétique sur les territoires et les populations
enquêtés, la troisième partie qui s’ouvre avec ces lignes entend rendre compte du travail
d’analyse proprement dit. Elle se compose de trois chapitres correspondant à trois moments
de l’enquête, qui suivent la progression « logique » de l’analyse.
Dans un premier temps, nous allons ainsi explorer les dimensions et déterminants de
l’image des lieux, ainsi que certaines des pratiques sociales qui prennent pour cadre le quartier
et qui interviennent de ce fait dans la constitution des représentations attachées à celui-ci.
Un second chapitre nous invitera ensuite à analyser de manière assez approfondie la
problématique de l’image de soi, en abordant notamment la question de la santé mentale et du
bien-être des individus enquêtés. Là encore, un accent particulier sera porté à l’exploration
des déterminants de l’image de soi.
Enfin, un troisième chapitre synthétique partira des apports des deux précédents pour
aborder le fond de notre problématique, à savoir le lien entre image des lieux et image de soi.
112
1. Vivre dans un quartier disqualifié : pratiques du quartier et
images des lieux
Le regard porté sur les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, tant par ceux qui
y vivent que par ceux qui en sont extérieurs, est un sujet particulièrement sensible pour les
institutions en charge de ces quartiers. De ce fait, cette question donne lieu à de fréquentes
études qui renseignent sur la forme que prennent les représentations sociales de ces territoires
de part et d’autre de leurs frontières. Ainsi, un récent sondage du CSA commandité par le
Ministère de la ville et de la rénovation urbaine s’interrogeait courant 2003 sur le « regard des
français et des habitants des quartiers prioritaires de la rénovation urbaine sur la vie des
quartiers et la politique de la ville »124 . Parmi les conclusions du sondage, on apprend ainsi
que les habitants des 163 quartiers prioritaires de la rénovation urbaine 125 « se déclarent
largement satisfaits de vivre dans leur quartier (72% dont 21% tout à fait satisfaits) » mais
que ces derniers 126 apparaissent divisés sur l’évolution de leur quartier au cours des dernières
années, « puisque 43% jugent que celui-ci a changé plutôt en bien tandis que 40% estiment
qu’il a changé plutôt en mal ». Le regard extérieur, représenté par quelques 1003 personnes
représentatives de la population française, est lui aussi invité à se positionner face à la
situation des quartiers « les plus en difficulté ». On apprend ainsi que parmi les 12 causes
proposées comme étant celles qui expliquent le mieux les problèmes des quartiers en
difficulté, « les français » mettent en exergue le manque d’autorité des parents (54%), les vols
et trafics de drogue (49%), le chômage (40%) et enfin l’urbanisme et le logement (32%). La
même question posée aux « habitants des 163 quartiers prioritaires » conduit à une hiérarchie
quasiment identique même si les vols et trafics de drogue devancent à présent d’un point le
laxisme parental à la tête du classement (50% vs 49%). Le chômage et le couple
urbanisme/logement sont cités par respectivement 39% et 31% des habitants des 163 quartiers
enquêtés. Sans épiloguer sur les objectifs et la méthodologie d’un tel sondage, il ressort tout
de même une frappante proximité entre les deux images recueillies, l’une à l’intérieur des
quartiers l’autre à l’extérieur, proximité qui ne va pas sans rappeler les remarques d’Elias et
124
CSA, Le regard des français et des habitants des quartiers prioritaires de la rénovation urbaine sur la vie
des quartiers et la politique de la ville, synthèse du sondage de l’institut CSA, Novembre 2003.
125
Les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris ne font pas partie des
quartiers prioritaires de la rénovation urbaine.
126
L’échantillon est composé de 300 personnes âgées de 15 ans et plus
113
de Goffman notamment sur l’effet d’intériorisation et de conformation du stigmate dont nous
avons déjà parlé (Elias et Scotson, 1997, Goffman, 1975).
D’autres études menées cette fois dans le cadre de l’INSEE, se sont aussi intéressées à la
question de la perception de leur territoire de résidence par les habitants des quartiers
prioritaires. La plupart prennent appui sur l’exploitation des enquêtes permanentes
« Conditions de Vie des Ménages » (dispositif dit « EPCV ») de l’INSEE et certaines des
exploitations qui en ont été faites vont nous intéresser dans le cadre de ce DEA. Ainsi, Jean
Luc Le Toqueux127 s’est penché sur l’enquête réalisée en 1993-1994 et plus particulièrement
son extension à des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (qui a d’ailleurs donné lieu
à un ouvrage collectif sur une thématique proche de la notre 128 ). Cyril Rizk quant à lui,
propose dans un court et récent article, un aperçu de quelques résultats de la version 2001 de
cette enquête (avec un regard particulier sur sa désormais partie variable « Vie de
quartier ») 129 . Les analyses de ces deux auteurs nous renseignent tout à la fois sur
l’appréciation de leur quartier par les habitants des quartiers prioritaires de la Politique de la
Ville et sur les déterminants de celle-ci. Si du fait de leur format, ils ne sont pas toujours
approfondis d’un point de vue sociologique, ces travaux constituent néanmoins de précieuses
références que nous allons utiliser au cours de ce premier chapitre de présentation des
résultats de l’enquête menée dans le 20ième arrondissement de Paris.
Afin d’explorer la problématique de l’image du quartier, nous aborderons donc
successivement les résultats liés à l’appréciation des quartiers par les enquêtés, ceux relatifs à
leur investissement social et affectif dans celui-ci, pour enfin tenter de préciser quels sont les
déterminants principaux du rapport entretenu par les individus rencontrés avec leur quartier.
127
Voir notamment Le Toqueux J.L, « Qualité du logement, sociabilité et image des quartiers de la politique de
la ville », in Mattei M.F., Pumain D., Données Urbaines, n°3, Paris, Anthropos, 2000
128
Collectif, En marge des villes au cœur des cités : ces quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, Editions de
l’Aube, 1997
129
Voir notamment Rizk C., « Citadins, votre quartier est-il agréable à vivre ? », INSEE Première, n° 934,
décembre 2003
114
porte sur un périmètre défini (correspondant à celui de l’intervention publique) 130 , les
enquêtés ont pu, au travers du terme « quartier », se référer à la réalité qui leur convenait. Le
quartier dont parlent les enquêtés est donc leur quartier « vécu »131 , évidemment propre à
chacun et qui est du reste, probablement différent pour chacune des questions traitant du
territoire 132 . Ce choix méthodologique qui est aussi celui du dispositif EPCV de l’INSEE, est
finalement adopté par de nombreux travaux dans le champ de la sociologie urbaine 133 . Il
dispose certes d’inconvénients comme celui de savoir si l’on peut de ce fait, agréger des
réponses portant sur l’image du quartier par exemple, mais a le grand avantage de ne pas
imposer à l’enquêté une définition de frontières qui n’auraient pas de sens pour lui.
Notre questionnaire permettait de recueillir plusieurs avis des enquêtés sur leur quartier
de résidence. Parmi ces avis, certains ressortissent plutôt de l’image renvoyée par l’extérieur
comme la réputation du quartier 134 , d’autres ont plus trait à l’image que se forgent eux- mêmes
les habitants à partir de leur expérience, c’est le cas du sentiment de sécurité par exemple ou
de l’appréciation de certains équipements et services 135 .
Sur l’ensemble du périmètre de l’enquête, il apparaît qu’un habitant sur deux considère
que son quartier a mauvaise réputation (50,1% vs 49,9%). L’analyse par quartier est parlante
et nécessaire puisque si aucun des quartiers n’est considéré comme ayant une très bonne
réputation, le pourcentage d’avis favorables pour Belleville-Amandiers s’élève à 56,8% quand
il n’est que de 36,2% à Saint Blaise – Porte de Montreuil. A titre de comparaison, l’analyse de
Jean Luc Le Toqueux sur les quartiers prioritaires investigués en 1993-1994 dans le cadre de
l’EPCV, montrait que 36% des enquêtés considéraient alors que leur quartier avait plutôt une
130
Rappelons que le choix du périmètre d’étude était avant tout contraint par le cadre institutionnel (Mission
Ville de la Préfecture de Paris) dans laquelle celle-ci se déroulait.
131
Dans un sens proche de celui d’« espace vécu » définit par le géographe Armand Frémont comme
« l’ensemble des lieux fréquentés –par l’individu- mais aussi des interrelations sociales qui s’y nouent et les
valeurs psychologiques qui y sont projetées et perçues » (Frémont, 1976, cité par Di Méo, 1991, op. cit. p 364)
132
Pour un même enquêté, le périmètre correspondant au quartier dans sa réponse sur l’insécurité ne sera pas
forcément le même par exemple, que celui qu’il entendra dans sa réponse à la question de la présence ou non
d’amis et de famille dans le quartier.
133
Voir par exemple les enquêtes présentées par Jean Yves Authier que l’on a déjà plusieurs fois mentionnées
(Authier et al. 2001)
134
La question était : « D’une manière générale, quelle est la réputation de votre quartier ? »
135
La dimension socialement construite de ces deux dernières représentations n’est cependant pas niée, loin s’en
faut.
115
bonne réputation136 . La préenquête SIRS de 2001 révèle quant à elle des pourcentages allant
de 23,1% d’habitants considérant que leur quartier a une bonne réputation, dans la ZUS
d’Aulnay sous Bois jusqu’à 41,6% dans celle de Belleville, avec un pourcentage moyen de
l’ordre de 34,5%. Les chiffres que nous obtenons sont donc compris dans les fourchettes
classiquement observées avec toutefois un score plus élevé à Belleville-Amandiers que ce que
l’on observe dans les autres quartiers prioritaires de la Politique de la Ville.
Dans notre enquête, les disparités concernant la répartition s’accentuent encore lorsque
l’on réduit l’échelle d’observation comme le montre le tableau suivant :
Piat
Bas Mare Saint Porte de
Faucheur Menilmontant Amandiers Total
Belleville Cascades Blaise Montreuil
Envierges
Très bonne 1,0 1,6 4,7 5,2 7,9 0,6 2,5 3,4
Bonne 41,7 49,2 50,0 79,2 50,6 27,7 44,5 46,5
Mauvaise 45,6 40,2 41,5 13,0 37,6 60,1 42,9 42,4
Très mauvaise 11,7 9,0 3,8 2,6 3,9 11,6 10,1 7,7
P<0,001. Le chi² a été calculé après agrégation des réponses positives et des réponses négatives, pour raisons
d’effectifs.
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
136
La question était : « êtes vous d’accord avec la proposition suivante : « mon quartier a mauvaise
réputation » ? ». 36% des enquêtés répondent non, 60% oui et 4% sont sans avis (Le Toqueux, 2000)
116
hommes (OR=1,44, p<0,05) 137 , plus les français que les étrangers (OR=1,97, p<0,001), l’âge
n’ayant par contre pas d’effet significatif.
137
Lecture : A quartier contrôlé, le fait d’être une femme multiplie par 1,44 la probabilité de considérer que son
quartier a mauvaise réputation par rapport au fait d’être un homme. D’une manière générale, un ODDS Ratio
(OR) supérieur à 1 indique une augmentation de la probabilité, quand une valeur inférieure à 1 indique une
diminution.
138
L’ODDS Ratio d’avoir eu honte à cause de la réputation de son quartier est alors de 2,05, ce qui signifie que à
réputation également considérée, la probabilité d’avoir déjà eu honte à cause de celle-ci est deux fois supérieure
quand on habite Saint Blaise – Porte de Montreuil plutôt que Belleville – Amandiers.
117
A titre de comparaison, ces trois questions posées au sein des 5 ZUS franciliennes en 2001
avaient amenées respectivement des pourcentages de 15% pour la nuisance vis à vis des
relations, 12% pour celle relative à la recherche d’emploi et 12% pour la honte 139 .
139
Pour ce dernier cas, la proposition était alors : « Est-ce que cette réputation a déjà nuit à votre dignité ? »
140
La classe d’âge de référence est 18-24 ans.
118
Image du quartier et appréciation du quartier : deux représentations non totalement
concordantes
Les résultats que nous avons passés en revue jusqu’à présent concernaient l’image du
quartier, représentation qui peut être considérée (au moins dans le cas de la réputation)
comme construite par chaque enquêté, à partir de l’assemblage d’éléments issus de sa propre
appréciation et d’éléments perçus ou interprétés de l’appréciation d’un ou – plus
vraisemblablement – plusieurs « autrui », suivant un dosage propre à chacun. L’enquête
sociologique représentant par ailleurs une situation particulière d’interaction sociale mettant
en jeu la présentation de soi141 , on peut aussi considérer que dans certains cas, la qualité de la
réputation livrée à l’enquêteur sera celle que l’on imagine que le monde extérieur considère,
alors que dans d’autres elle visera à se rassurer soi- même et à « sauver la face » en présentant
une vision idyllique du quartier, etc. On touche là aux limites de l’enquête quantitative qui ne
nous permet pas le repérage et donc l’interprétation de telles nuances.
Une même limitation va concerner l’apprécia tion du quartier repérée par la question
« Aimez vous habiter dans ce quartier ? ». Si les réalités recouvertes par l’expression « aimer
habiter dans son quartier » sont probablement nombreuses, il n’en reste pas moins que 8
enquêtés sur 10 (79,2%) répondent à cette question par l’affirmative. Les habitants de
Belleville-Amandiers sont plus nombreux que ceux de Saint Blaise – Porte de Montreuil à
aimer habiter dans leur quartier (83,9% vs 69,8%, p<0,001). La situation par sous quartier est
là encore très hé térogène avec des quartiers « aimés » par 97,4% de leurs habitants comme
Mare-Cascades, et d’autres qui ne recueillent les suffrages que de 68,8% des personnes qui y
vivent comme la Porte de Montreuil. L’enquête « Vie de quartier » de 2001 posait quant à elle
la question « votre quartier est- il agréable à vivre ? ». S’il convient de noter que le contenu de
cette question diffère de celui que recouvre la notre, les résultats peuvent cependant être
rapprochés. Dans l’enquête INSEE, 90% des citadins âgés de plus de 15 ans déclarent que
leur quartier est agréable à vivre, mais ce chiffre varie fortement puisque plus de 30% des
habitants des ZUS déclarent que leur quartier n’est pas agréable à vivre, et que l’on atteint
même 40% dans les ZUS de l’Unité Urbaine de Paris (Rizk, 2003). Dans notre enquête, le fait
de ne pas aimer son quartier ne varie pas en fonction du sexe et de la nationalité, il croît par
contre de façon significative avec l’âge, 15,9% des 18-24 ans déclarant ne pas aimer habiter
141
Entendue comme le comportement qui vise à influencer la manière dont nous sommes perçus par les autres
(Argyle, 2000, p. 98)
119
leur quartier qua nd 29,0% des plus de 60 ans sont concernés (p<0,05). L’effet reste identique
avec un contrôle du quartier (OR=2,04 142 p<0,05)
Un résultat intéressant est donné par la non-concordance exacte des variables relatives
à l’image du quartier et à l’appréciation de celui-ci. Ainsi, considérer que son quartier a
mauvaise réputation et ne pas s’y sentir en sécurité n’induit pas une absence d’attache
affective vis à vis de lui et vice versa, comme l’indique le tableau suivant.
Si l’on ne considère qu’un seul sens de lecture du tableau, la réputation paraît avoir
moins d’« effet » sur l’appréciation du quartier que le sentiment d’insécurité qui semble
bousculer l’équilibre de l’appréciation. En réalité, un modèle de régression visant à expliquer
l’appréciation du quartier et intégrant ces deux variables en tant que variables explicatives
permet de montrer que les effets comparés des deux variables sur l’appréciation du quartier
(aimer son quartier) sont quasiment identiques, les deux coefficients de régression ß étant
respectivement égaux à 1,73 pour la réputation et 1,78 pour le sentiment d’insécurité.
142
La classe d’âge de référence est 18-24 ans.
120
précis à un coefficient a de Cronbach égal à 0,70 143 . Ce résultat nous permet de conclure en la
pertinence d’un rapprochement statistique entre les trois variables que sont la réputation du
quartier, le sentiment d’insécurité et le fait d’aimer ou non son quartier. Les deux aspects
d’image du quartier et d’appréciation du quartier rapprochés au sein de l’indicateur nous
semblent synthétiser ce que l’on pourrait nommer l’« attachement au quartier », compromis
entre un rapport personnel (images et liens affectifs) avec celui-ci et des images le concernant
construites à la fois dans et hors du quartier.
L’indicateur d’attachement au quartier ainsi créé correspond à un score obtenu en
agrégeant les réponses aux trois variables prises en compte 144 . Le score global obtenu suit la
distribution suivante :
21,6
19,4
18,2
12,3
8,9
8,1
3,2 3,9
2,3
1,6
0,4 0,2
1,00 1,33 1,50 1,67 2,00 2,33 2,50 2,67 3,00 3,33 3,67 4,00
143
En sciences humaines, on considère par convention qu’un indicateur est pertinent quand le coefficient de
Cronbach entre les variables considérées est supérieur à 0,60. Rappelons que ce dernier varie en valeur absolue,
entre 0 et 1 ; 0 se rapportant à une totale indépendance entre les variables prises en comp te et 1 à une parfaite
corrélation.
144
Les non réponses sont aussi considérées
145
Un score de 1 indique que l’enquêté a répondu « oui tout à fait » ou « très bonne » aux trois questions posées
quand un score de 4 indique quant à lui trois réponses « non, pas du tout » ou « très mauvaise ».
121
« continue » pour être utilisé tel quel dans différentes analyses statistiques, de régression
notamment lorsque l’on s’intéresse à l’effet de chaque unité de score supplémentaire sur la
variation de la variable à expliquer. On peut aussi, pour la clarté et la commodité de l’analyse,
choisir d’interpréter le score obtenu en le catégorisant. Cette phase du travail est hautement
subjective et doit être explicitée nous semble-t- il146 , pour ne pas laisser dans l’ombre les choix
et arbitrages du chercheur. Pour notre part, la catégorisation en trois classes (fort attachement,
attachement moyen et attachement nul) est le fruit d’une exploration de la distribution de
l’indicateur et de son croisement avec d’autres variables qui donnent du sens au choix. Le
découpage effectué partitionne notre échantillon en trois classes d’effectif inégal : le fort
attachement concerne 44,0% de l’échantillon, l’attachement moyen 43,9% et le non
attachement 12,1%.
Vis à vis des trois variables de départ, l’indicateur d’attachement au quartier se
décompose comme suit :
Sentiment d’insécurité
Se sent tout à fait en sécurité 66,9 33,1
Plutôt en sécurité 46,6 53,4
Plutôt pas en sécurité 56,0 44,0
Plutôt pas du tout 31,1 68,9
Réputation du quartier
Très bonne réputation 96,7 3,3
Bonne réputation 86,7 13,3
Mauvaise réputation 77,7 22,3
Très mauvaise réputation 64,2 35,8
Appréciation du quartier
Aime tout à fait habiter ce quartier 62,1 37,9
Plutôt 49,9 56,1
Pas tellement 43,2 56,8
Pas du tout 39,7 60,3
NB : les pourcentages sont totalisés en ligne
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
146
Bien que la plupart des travaux en sociologie quantitative comme qualitative laisse cette manipulation
hautement subjective dans l’ombre.
122
L’étude d’autres variables relatives à l’appréciation du quartier confirme cette première
appréciation. Ainsi, les enquêtés étaient interrogés sur qualité de différents équipements
présents dans leur quartier147 ; on constate sans surprise que les plus véhéments vis à vis de la
qualité de ces différents équipements sont aussi ceux qui sont le plus fréquemment non
attachés à leur territoire de résidence. Si le pourcentage d’individus non-attachés n’évolue pas
de façon linéaire suivant l’intensité du score global de satisfaction des équipements créé (un
score plus élevé indique une moindre satisfaction générale), le pourcentage de personnes
fortement attachées suit quant à lui une courbe ascendante quasiment sans défaut : plus les
personnes sont satisfaites des équipements présents dans le quartier, plus elles sont attachées à
ce dernier et vice versa.
Une question permettait aussi d’appréhender l’image du quartier dans sa dimension
politique et institutionnelle. Il s’avère ainsi que 45,4% de notre échantillon considèrent que les
décisions qui sont prises dans le quartier ne tiennent pas compte de l’avis des habitants
(46,2% considèrent que oui et 8,4% sont sans avis). Les chiffres sont ici éloquents puisque
17,8% des personnes jugeant que l’avis des habitants n’est pas pris en compte peuvent être
considérées comme non-attachées quand ceci n’est le cas que de 7,8% des personnes estimant
que l’avis des habitants est pris en compte dans les décisions qui concernent le quartier, ainsi
que le cas de 4,1% des sans avis (p<0,001) 148 . La proportion la plus importante de personnes
fortement attachées se situe par ailleurs dans cette catégorie des sans avis, pouvant laisser
penser à une relative déconnexion, pour certains tout du moins, entre l’attachement au quartier
et la vitalité de la démocratie locale en son sein.
147
Commerces, services médicaux, écoles et établissements d’enseignement, entretien et propreté de la voie
publique, équipements culturels, équipements sportifs. 5 réponses étaient possibles de très satisfait à pas du tout
satisfait avec une possibilité de ne pas se prononcer.
148
Les différences entre quartier sont ici très significatives, les habitants des quartiers de La Porte de Montreuil
et ceux du Bas Belleville étant les plus véhéments (57,4% et 54,3% considèrent que l’avis des habitants n’est pas
pris en compte dans les décisions qui concernent le quartier, p<0,01). Ceci nous semble à relier, pour le cas du
Bas Belleville tout du moins, à l’intense lutte des habitants contre la rénovation anarchique du quartier menée il
y a quelques années via notamment l’association La Bellevilleuse, emblématique de ce combat que l’on trouvera
relaté dans la thèse de Patrick Simon (Simon, 1994)
123
90
80
70
60
50 attachement fort
attachement moyen
40 non attachement
30
20
10
Amandiers
Amandiers
Blaise - Porte
Menilmontant
Montreuil
Piat Faucheur
Cascades
Saint Blaise
Porte de
Belleville -
de Montreuil
Bas Belleville
Global Saint
Envierges
Global
Mare
NB : par grand quartier (global) comme par sous-quartiers, les différences sont hautement significatives
(p<0,001)
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
124
Conclure à un lien direct entre les caractéristiques physiques du quartier et
l’attachement de ses habitants serait cependant très imprudent et réducteur, la littérature nous
l’indique clairement (Sélim, 1982, Bidou-Zachariasen, 1997, Villechaise, 1997, Pétonnet,
2002) et ces premiers résultats le laissent d’ailleurs apparaître. Ainsi, avec 70% de logements
antérieurs à 1948, près d’une cinquantaine d’immeubles faisant l’objet d’une déclaration
d’insalubrité, un manque persistant de confort dans les logements et un surpeuplement
conséquent (168 ménages de 4 personnes vivaient en 1999 dans un F1 ou un F2) 149 , le quartier
du Bas Belleville n’est pas, sur l’ensemble de notre périmètre, le quartier comptant les plus
faibles pourcentages de fort attachement, ni celui qui enregistre le plus de non attachement.
149
EDL Belleville-Amandiers, 2001, op. cit.
125
fort pouvoir explicatif » pour reprendre une terminologie propre à l’analyse multivariée ou
encore « variable fortement corrélée » pour user d’une expression plus classique. Nous aurons
l’occasion de rediscuter par ailleurs de la modestie dont doit faire preuve le chercheur qui
s’attache à explorer les « déterminants » principaux de deux objets aussi difficilement
saisissables que sont l’image des lieux et l’image de soi. Modestie rendue nécessaire
également par l’importance des zones d’ombres que l’analyse ne peut aborder.
Pour l’heure, ce deuxième temps de l’analyse qui s’appuiera largement sur les acquis de
la littérature sur la question, devrait nous permettre de mieux cerner quels sont les individus et
les groupes les plus attachés au quartier, d’en donner leurs principales caractéristiques et de
préciser les modalités diverses de leurs « liens aux lieux ».
150
En analyse univariée tout au moins puisque ces auteurs n’utilisent pas d’outils statistiques élaborés.
126
Concernant notre enquête et plus particulièrement l’indicateur d’attachement au
quartier, une première approche univariée des variables démographiques donne les résultats
suivants :
Sexe (p<0,05)
Homme 49,1 41,4 9,5
Femme 40,0 46,0 14,0
Age (ns)
18-24 ans 43,5 48,6 8,0
25-34 ans 47,6 43,3 9,0
35-44 ans 47,7 40,4 11,9
45-59 ans 37,8 47,7 14,5
60 ans et plus 42,7 39,7 17,6
On remarque ainsi que si l’âge ne semble pas significativement discriminant (bien que
l’on observe un accroissement du pourcentage de non attachement avec l’âge) et que
(contrairement à ce que l’on aurait pu attendre), l’ancienneté dans le quartier ne l’est pas non
plus, même si en tendance, il semble que le fort attachement soit plutôt une caractéristique des
habitants les plus fraîchement arrivés dans le quartier.
127
Le sexe et la composition familiale sont par compte des variables discriminantes de
l’attachement au quartier. Ainsi, les femmes apparaissent plus fréquemment détachées de leur
quartier que les hommes. Les personnes vivant en famille monoparentale apparaissent, dans
cette première approche, beaucoup moins fréquemment détachées du quartier que les
personnes vivant dans d’autres types de ménage même si elles ne sont pas celles qui montrent
le plus fort attachement. Rappelons que la catégorie ménage « autre » renvoie à différentes
compositions de ménage que nous avons qualifiés de « ménages non familiaux »
(typiquement collocation) et de « ménages familiaux » (typique ment personne adulte seule
avec un ou plusieurs parents).
En restant encore très prudent dans l’interprétation, ces premiers résultats tendraient
ainsi à aller dans le sens de l’hypothèse concernant l’importance du quartier pour les individus
les plus fragilisés, représentés ici en première approximation par les personnes seules (qui
montrent le plus fort pourcentage de fort attachement) et les personnes vivant en familles
monoparentales (qui montrent un des plus faibles pourcentages de non attachement). Nous
verrons au cours du chapitre 3 que ce résultat peut être validé de manière plus formelle.
128
Différenciation sociale de l’attachement au quartier
L’attachement au quartier des individus est décrit par les différents travaux
s’intéressant à cette question, comme très dépendant du profil socioéconomique de ceux-ci.
On ne rappellera pas ici les travaux de Monique Pinçon et Michel Pinçon Charlot ou ceux de
Michel Verret ou Richard Hoggart, mais notre analyse s’inscrit dans le cadre que ces auteurs
ont élaboré. La différenciation sociale des manières d’habiter est bien décrite notamment par
Jean Yves Authier qui note que l’attachement au quartier et le couple mobilité/ancrage est
dépendant du niveau d’instruction et – de manière évidemment liée – de la catégorie
socioprofessionnelle (Authier, 2002). Dans une veine similaire, les analyses de Jean Luc le
Toqueux mettent en avant le niveau de ressources financières comme l’un des déterminants
principaux de l’image que les habitants des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville se
font de leur quartier (Le Toqueux, 2000). Cette caractéristique apparaît par ailleurs liée de
manière forte avec le sentiment d’insécurité, celui-ci progressant dans le même sens que
l’insécurité économique (Le Toqueux, 2003). La situation vis à vis de l’emploi, appréhendée
par l’expérience du chômage, donne quant à elle des résultats moins nets dans la littérature,
certains montrant, dans le cadre d’analyse de régressions, que le fait d’être chômeur n’influe
pas de manière significative sur le fait de considérer son quartier agréable (Rizk, 2003).
129
TABLEAU 12 : ATTACHEMENT AU QUARTIER SUIVANT DES VARIABLES SOCIOECONOMIQUES
(EN %)
Attachement très
Attachement moyen Non attachement
fort
Diplôme (p<0,01)
Aucun ou CEP 52,3 37,9 9,8
BEPC, CAP, BEP 37,8 47,4 14,8
Bac pro, techn, général 35,9 46,1 18,0
Bac+2 39,7 50,8 9,5
Bac+3 ou + 50,2 40,6 9,2
PCS (p<0,01)
Artisans, commerçants et chefs
25,0 43,8 31,3
d'entreprise
Cadres et professions intellectuelles
51,7 41,5 6,8
supérieures
Professions intermédiaires 42,5 50,3 7,2
Employés 44,0 40,7 15,3
Ouvriers 51,3 42,1 6,6
Retraités 41,7 39,4 18,9
Autres sans activité professionnelle 39,9 47,2 12,9
Situation vis à vis de l’emploi (p<0,05)
Actif ayant un emploi 45,9 45,1 9,1
Chômeur 43,4 40,7 15,9
Inactif 40,9 43,1 16,0
NB : les pourcentages sont en ligne
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième arrdt de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
151
Niveau de diplôme partagé par la grande majorité (70,1%) des cadres et professions intellectuelles et
supérieures de notre échantillon.
130
ce type d’attachement s’observe aussi à l’autre extrémité du spectre social puisque 51,3% des
ouvriers de notre échantillon peuvent être considérés comme très attachés à leur quartier ainsi
que 52,3% des personnes ne disposant d’aucun diplôme ou du seul CEP. L’observation des
pourcentages de personnes non-attachées amène à un constat similaire.
Si la situation au regard de l’emploi ou la dépendance aux minima sociaux ne laissent
pas apparaître de différences réellement significatives et signifiantes, une analyse fine des
ressources économiques dont dispose le ménage (tableau non reproduit) vient renforcer la
bipolarité observée au sein de notre échantillon vis à vis de l’attachement au quartier. En effet,
en considérant uniquement les deux formes extrêmes de l’attachement (fort attachement et
non attachement), on observe qu’un fort attachement concerne 45,3% des personnes vivant
dans des ménages que l’on peut qualifier de « pauvres » au sens de l’INSEE, ainsi que 45,7%
des personnes pouvant compter sur plus de 970€/Unité de Consommation/Mois pour vivre
(ménages considérés comme ni pauvres, ni modestes et qualifiés de « autres »). Les personnes
appartenant à un ménage modeste, dont le revenu mensuel par unité de consommation est
situé entre le seuil de pauvreté (650€ pour 2003) et 970€, ne sont que pour 37,8% d’entre-
elles fortement attachées à leur quartier. Le non attachement concerne 17,2% des personnes
appartenant à cette dernière catégorie, soit près du double du chiffre observé pour les
personnes appartenant à un ménage pauvre. La pauvreté économique ressentie, mesurée par
plusieurs indicateurs dans notre enquête, ne fait par contre pas apparaître de différence
significative sur le plan de l’attachement au quartier entre ceux qui considèrent être à l’aise
financièrement et ceux qui déclarent y arriver difficilement.
131
l’immigration est très ancienne ». Cette image, du reste largement irréelle, est entretenue et
médiatisée par les nouvelles classes moyennes et supérieures du quartier justement attirées par
son côté populaire et qui entendent préserver cet « effet paysage ». Si cet effort participe pour
eux d’un souci de construction symbolique de leur lieu de vie, inscrit dans une optique de
distinction sociale, il profite également aux classes populaires et aux immigrés, devenus au
sein du quartier des « héros malgré eux » disposant d’une notoriété à laquelle ils n’auraient
jamais pu prétendre, mais sur laquelle ils n’ont cependant pas de maîtrise. Ainsi, bien que les
usages et la localisation résidentielle maintiennent soigneusement les deux populations à
distance, une sorte de « collaboration interclasse » se met en place entre des groupes sociaux
« à préserver » et une élite gestionnaire d’une identité qui ne lui appartient pas mais qui en
manipule les codes (Simon, 1995b).
Dans la première partie de ce mémoire, nous avons montré que le rapport au logement
était une dimension importante à prendre en compte dans une analyse du rapport entretenu par
les individus avec le territoire (de résidence notamment), et ceci tout particulièrement lorsque
l’on entend lier la problématique du territoire à celle de l’identité. Le logement constitue en
effet un repère privé dans l’espace public du quartier qui médiatise les rapports entre les
habitants et le quartier. Il peut ainsi dans certains cas être perçu comme un refuge plus ou
moins imperméable permettant de s’isoler d’un environnement local non apprécié,
l’appartement étant alors « considéré comme la barrière physique qui assure la protection de
soi, à la fois contre les atteintes de la condamnation collective qui pèse sur le quartier, et
contre les intrusions du malheur des autres, de leur déchéance, de leur passivité »
(Villechaise-Dupont, 2000, p 197). Dans d’autres configurations au contraire, le logement va
être le lieu à partir duquel se construit l’appropriation du territoire de résidence dans son
ensemble, il en devient ainsi « l’un des pôles autour desquels s’organisent les sociabilités »
(Grafmeyer, 2001, p 103).
L’importance du rapport au logement sur les modalités du rapport au quartier transparaît
de manière particulièrement nette dans l’ensemble des travaux publiés en 2001 sous la
direction de Jean Yves Authier 152 , ainsi que dans les analyses déjà citées de Jean Luc Le
152
Authier et al., 2001, op. cit.
132
Toqueux. Ce dernier montre ainsi que l’image du quartier ainsi que le sentiment d’insécurité
sont très corrélés avec la qualité du logement (Le Toqueux, 2000).
Attachement très
Attachement moyen Non attachement
fort
133
Authier et al. l’obtenaient aussi dans leur étude portant sur cinq centres anciens (Authier et al.
2001, Authier, 2002). La position singulière des locataires de logement HLM se détachant
clairement avec seuls 33,9% de personnes fortement attachées, est elle aussi souvent
rapportée dans la littérature. Dans un article déjà cité s’appuyant sur l’étude du quartier de
Belleville, Patrick Simon notait aussi ce particularisme en avançant une hypothèse explicative
liée au mode d’attribution des logements sociaux. Les locataires HLM en effet, ne choisissent
a priori pas leur quartier comme peuvent le faire les propriétaires ou les autres types de
locataires (du moins dans une certaine mesure, étant entendu que le coût de l’immobilier
contraint évidemment l’étendue du choix), ce qui expliquerait leur moindre attachement au
quartier153 . Il pourra aussi être particulièrement surprenant de relever que les personnes logées
de façon précaire semblent être, en proportion, celles qui sont les plus fortement attachées à
leur quartier. Ceci concerne notamment les 18 personnes logées en hôtel meublé et en foyer
de migrants ou de travailleurs (77,8% d’attachement très fort et 0,0% de non-attachement). Ce
résultat surprenant cache en fait un effet de structure et s’effondre ainsi lorsque l’on tient
compte de la nationalité très corrélée avec la précarité du logement (77,8% des personnes
résidant en hôtel meublé ou foyer sont des étrangers (p<0,001).
L’attachement au quartier diffère de façon significative suivant l’appréciation du
logement, les personnes se sentant bien dans leur logement étant plus souvent fortement
attachées que les autres.
Enfin, une hypothèse visait à considérer l’ancienneté dans le logement, en postulant
que l’attachement au quartier augmenterait avec elle. Nos résultats démentent cette hypothèse
et indiquent même exactement le contraire ; les personnes les plus récemment arrivées dans
leur logement sont significativement plus attachées au quartier que les autres, dont
l’attachement semble diminuer avec l’ancienneté 154 .
L’image qu’ont les habitants de leur quartier apparaît dans la littérature, très liée aux
sociabilités qu’il développent à cette échelle, ce qui renvoie à notre hypothèse selon laquelle
153
Patrick Simon va même jusqu’à dire à propos de ces locataires qu’il nomme les «transplantés » que
l’environnement du quartier est pour eux « fondamentalement perçu comme hostile et inadapté à leurs attentes »
(Simon, 1995b, op. cit. p 186).
154
« Semble » seulement car nous ne travaillons pas avec des données longitudinales et ne pouvons donc pas
conclure à de telles évolutions temporelles.
134
l’image du quartier serait fortement dépendante de la manière de vivre celui-ci et des
pratiques sociales qui prennent pour cadre ce territoire. La causalité est difficile à interpréter
dans le sens où une appréhension positive de l’espace de résidence peut encourager à y
développer des relations, mais que celles-ci, pour peu qu’elles soient agréables, contribuent
sans nul doute en retour à renforcer l’image positive du territoire 155 . Dans les analyses de Jean
Luc Le Toqueux sur quelques quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, ainsi que dans
d’autres travaux également, la sociabilité de proximité, souvent très réduite dans ce type de
quartier, apparaît comme un facteur très associé à l’image du quartier. L’analyse factorielle
présentée par cet auteur dans un article récent montre ainsi que les personnes développant le
moins de sociabilité dans le quartier comme d’une manière générale, sont aussi celles qui
formulent le plus de critiques à l’encontre de leur quartier et dont le sentiment d’insécurité est
le plus fort (Le Toqueux, 2000). Sur la question des sociabilités de proximité notre analyse ne
pourra se contenter d’un simple et rapide croisement avec l’indicateur d’attachement au
quartier. En effet, l’existence et la qualité d’un réseau social localisé constitue un sujet
premier pour notre étude, à rattacher à la fonction ressource du territoire. Pour cela nous
allons donc passer en revue et préciser les différents modes de sociabilité locale des habitants
des quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris, mis à jour par notre
enquête.
155
Cf. les analyses de Popay et al. présentées en première partie qui montrent bien l’importance de la qualité des
relations sociales locales dans le cadre normatif décrivant un quartier agréable (proper place) (Popay et al., 2003,
op. cit.)
135
ou de voisinage) » et la seconde comme « celles qui semblent être davantage orientées vers
une vie sociable à l’extérieur du foyer (amitié et relations de travail) » (Forsé, 1981, p 44).
156
Héran F., « Comment les Français voisinent », in Economie et Statistique, n°195, 1987, p. 43-59
157
Sur les champs considérés : aide financière ou matérielle, aide dans la vie quotidienne ou coup de main,
soutien moral et affectif.
136
deux fois plus souvent avoir aidé leurs voisins au cours de l’année précédant l’enquête qu’ils
affirment ne l’avoir été par eux, ce qui est un constat récurent des études portant sur les
relations de voisinage (Héran, 1987). L’analyse suivant la batterie d’indicateurs
socioéconomiques et démographiques classiques indiquent que la PCS est la variable où l’on
observe les plus gros écarts d’appréciation d’aide potentielle du voisinage, les cadres et
professions intellectuelles et supérieures étant la catégorie au sein de laquelle on compte le
plus de personnes considérant leur voisinage comme une ressource potentielle (46,6%). Ceci
se confirme lorsque l’on observe l’aide effectivement reçue et l’aide apportée, les personnes
appartenant aux catégories socioprofessionnelles les plus hautes étant les plus « gros »
consommateurs d’aide de voisinage. La relative coexistence spatiale des membres de cette
catégorie sociale que nous avons mis en évidence dans la présentation des quartiers du
périmètre de l’étude, invite à penser que l’on voisine plus vraisemblablement entre membres
d’une même catégorie sociale. C’est ainsi à Mare Cascade et à Amandiers que sont recensés
les plus forts soutiens potentiels de voisinage.
La fonction ressource du voisinage pour les personnes les plus en difficulté n’est
cependant pas négligeable. Ainsi un écart a été calculé entre l’aide potentielle et l’aide
effectivement reçue du voisinage pour les trois catégories : actifs ayant un emploi, chômeurs
et inactifs – la perception de l’aide potentielle étant dans tous les cas plus fréquente que l’aide
effectivement reçue. Sans contrôle possible sur la demande de soutien exprimée au cours de
l’année précédant l’enquête, il apparaît cependant que les chômeurs sont ceux pour qui l’écart
potentiel/effectif est le plus faible avec 4,6 points contre 12,2 pour les actifs avec un emploi et
9,2 points pour les inactifs.
137
depuis plus de 15 ans contre 5,9% des Africains originaires d’Afrique subsaharienne et 17,1%
des personnes d’autres nationalités.
158
En 2001, d’après l’Enquête Permanente sur les Conditions de Vie des Ménages de l’INSEE. Cf. Andrieux V,
Herviant J. « Les Franciliens bien insérés dans leur quartier ». INSEE Ile-de-France à la page, n°215, 2002, 4 p.
159
Voir notamment Héran F. « Un monde sélectif : les associations », Economie et Statistique, n°208, 1988
138
lieu de l’investissement, c’est aussi sûrement un type d’association différent qui est pratiqué
par les uns et les autres, ce que notre questionnaire ne nous permet cependant pas
d’approcher. L’analyse du lieu d’investissement au travers du prisme de la composition des
ménages permet cependant de faire quelques hypothèses sur le type d’associations locales
fréquentées. En effet , on repère que l’investissement associatif local concerne plus les
familles (bi ou mono-parentales) avec enfants que les personnes appartenant à d’autres types
de ménage, ce qui laisse présager de l’importance des associations liées aux pratiques
enfantines ou scolaires (club de sport, de musique, associations de parents d’élèves, etc.).
Cependant, encore une fois les différences ne sont pas significatives.
Un lien enfin peut être fait avec la deuxième dimension de la sociabilité externe :
l’existence de relations amicales à l’échelle du quartier. Tout d’abord, conformément au
modèle cumulatif des pratiques de sociabilités (Forsé, 1981, Héran, 1987), il apparaît
clairement que la participation associative est très corrélée avec l’existence d’un réseau
amical à l’échelle du quartier. En analyse multivariée, après ajustement sur le sexe, l’âge, le
statut d’activité160 , la nationalité et la PCS, les personnes qui participent à une association ont
une probabilité presque deux fois supérieure à celles qui ne participent à aucune activité
associative de disposer d’un réseau amical à l’échelle du quartier (OR=1,8 p<0,01).
160
L’analyse globale montre en effet que l’expérience du chômage s’accompagne d’un moindre investissement
associatif (25% des actifs ayant un emploi vs 18% des chômeurs dans notre enquête), ce qui rejoint les analyses
de Paul Lazarsfeld et de son équipe montrant que l’expérience du chômage, bien que génératrice de besoins
d’une part et de temps libre d’autre part, tend à éloigner fortement de l’investissement associatif. Cf. Lazarsfeld
P., Jahoda M. Zeisel H., Les chômeurs de Marienthal, Les éditions de Minuit, coll. Documents, Paris, 1981 et
Paugam S., Zoyem J.P., Charbonnel J.M., Précarité et risques d’exclusion en France, Paris, La Documentation
Française, documents du CERC, n°109, 1993
139
Les personnes présentes depuis un temps important dans le quartier sont logiquement
celles qui rendent compte le plus souvent de l’existence d’un réseau amical à l’échelle du
quartier, mais la relation n’est cependant pas linéaire – les plus récemment arrivés n’étant pas
ceux qui sont le plus « pauvres » sur ce plan. En analyse multivariée 161 , le fait d’avoir moins
de 24 ans, d’être un cadre ou d’exercer une profession intellectuelle et supérieure sont, avec
celles qui concernent l’ancienneté dans le quartier, les seules modalités dont le Odds Ratio
reste significativement différent de 0 au seuil de 5%.
161
avec contrôle de la PCS, de l’âge, du niveau d’étude et de l’ancienneté dans le quartier
162
Pour ce dernier cas, puisque le caractère multiforme ou non du réseau local nous importe plus dans un
premier temps que sa qualité, les mauvaises relations ont été rapprochées de l’absence de relation.
163
La limite de l’indicateur est donc qu’une personne n’ayant qu’un membre de sa famille, qu’un ami dans le
quartier et des relations uniquement avec ses seuls voisins de palier, apparaîtra avec une sociabilité locale plus
forte qu’une autre n’ayant que des relations amicales dans le quartier, mais en grand nombre.
140
forte sociabilité locale que celles vivant dans les autres types de ménage. Ceci est vrai
notamment pour les personnes seules qui apparaissent comme celles dont la sociabilité locale
est la plus faible. L’ancienneté dans le quartier est logiquement corrélée à l’intensité de la
sociabilité en son sein, avec un degré croissant suivant celui de l’ancienneté, allant de 8,5% de
forte sociabilité locale pour les nouveaux résidants présents depuis moins d’un an dans le
quartier (tous quartiers confondus), à 21,7% pour les personnes habitant le quartier depuis 15
ans ou plus. Encore une fois, le statut d’occupation du logement s’avère être une variable très
discriminante puisque 12,8% des locataires d’un logement HLM se caractérisent par une forte
sociabilité locale contre 29,6% des propriétaires de leur logement (p<0,001). Le rapport au
logement est aussi déterminant puisque 63,2% des personnes ne s’y sentant pas bien ont aussi
une faible sociabilité locale contre 49,4% des personnes s’y sentant bien (p<0,01).
Tout comme pour les pratiques détaillées, l’indicateur dévo ile une stratification sociale
des pratiques globales de sociabilité de proximité, renvoyant aux conclusions tirées par de
nombreux auteurs dont Yves Grafmeyer qui déclare : « selon les niveaux socioculturels et les
trajectoires de vie des citadins, leurs réseaux relationnels sont inégalement ouverts,
inégalement articulés à des territoires, et inégalement sensibles aux effets de proximité »
(Grafmeyer, 1994b, p. 91). Dans notre cas précis, l’analyse relève néanmoins une certaine
convergence des modes de sociabilité locale aux deux extrémités du spectre social qui
transparaît dans le tableau suivant :
141
TABLEAU 14 : DIFFERENCIATION SOCIALE DE LA SOCIABILITE LOCALE (EN %)
164
Ce qui n’est pas un résultat courant des analyses quantitatives sur la question, lesquelles placent généralement
les ouvriers à un niveau moyen de sociabilité de voisinage comparativement aux autres PCS (Héran, 1987)
142
intense que les ménages disposant de sources de revenus plus conséquentes. La catégorie des
ménages modestes se distinguant quant à elle par une très faible sociabilité locale.
Il convient cependant de préciser, ce que notre enquête ne nous permet
malheureusement pas de vérifier, que les deux groupes sociaux que l’on peut considérer
proches sur le plan de l’intensité de leur sociabilité locale, ont toutes les chances de se
différencier fortement sur le plan du volume global des sociabilités. Les études sur la question
de la différenciation sociale des pratiques de sociabilité montrent ainsi qu’une des
caractéristiques sur ce plan des catégories sociales de statut élevé, réside dans leur capacité à
tisser des réseaux relationnels non dépendants de la proximité géographique, ce qui est
beaucoup moins le cas des catégories de plus faible statut social (Forsé, 1981).
70
60
50
faible sociabilité locale
40
27 23 sociabilité locale moyenne
30
17 18 20 forte sociabilité locale
20 16
12 6 9
10
0
rs
il e
ise
t
es
die
tan
uil
ev
Bla
ad
tre
an
on
ge
s
sc
el
on
ier
ilm
Am
ier
int
sB
...
Ca
d
M
Sa
nv
en
de
an
Ba
rE
are
e
M
rte
ed
eu
-A
M
Po
ort
ch
ile
P
e-
au
lev
ais
tF
Be
Bl
Pia
int
al
ob
Sa
Gl
al
ob
Gl
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
Le graphique montre ainsi que c’est bien dans les quartiers de Saint Blaise et de la Porte
de Montreuil que la sociabilité locale est la moins forte. Par contre, la hiérarchie entre
quartiers évolue dans la zone de Belleville – Amandiers, puisque c’est dans le quartier du Bas
Belleville que semble se développer la sociabilité locale la plus intense, juste devant le
143
quartier de Mare Cascades, même si cela paraît concerner une minorité active (puisque par
ailleurs, près de 50% des habitants du Bas Belleville sont caractérisés par une faible
sociabilité locale).
144
Le croisement des deux indicateurs créés indique que la force de l’attachement au
quartier croît avec celle des sociabilités de proximité, quand une faible sociabilité locale
renvoie par contre plus fréquemment à un faible attachement que ne le font les autres degrés
de sociabilité considérés. On note cependant que 40,7% des personnes caractérisées par une
faible sociabilité locale témoignent malgré tout d’un fort attachement au quartier, ce qui laisse
entendre que la correspondance entre l’investissement social dans le territoire de résidence et
l’attachement à celui-ci n’est pas systématique, nous aurons l’occasion de le démontrer par
ailleurs. L’attachement ne nécessiterait donc pas la participation effective de la personne à la
vie sociale du quartier, ce que Patrick Simon parmi d’autres montre bien quand il mentionne à
propos des nouvelles classes supérieures (les « multiculturels ») installées à Belleville que
« l’aspect superficiel de leur insertion dans l’organisation sociale du quartier ne les empêche
pas d’en vanter les mérites » (Simon, 1995b, p 182).
De manière plus détaillée, l’étude met en évidence que les diverses formes de
sociabilité de proximité sont globalement liées à l’attachement au quartier mais avec des
nuances cependant suivant les formes considérées.
La qualité des relations de voisinage renvoie par exemple à des modes d’attachement au
quartier très différents. L’absence de relation s’accompagne ainsi (sans préjuger du sens de la
causalité) d’un non-attachement au quartier plus fréquent que lorsque des relations existent
quelle qu’en soit la qualité. La présence d’amis dans le quartier influe aussi notablement sur
l’attachement au quartier et tout particulièrement sur le non-attachement puisque les chiffres
observés varient alors du simple au double, suivant la présence ou l’absence d’amis. En
revanche, avoir ou non de la famille dans le quartier ne semble pas différencier notablement le
rapport au quartier. Ceci s’inscrit somme tout assez bien dans le schéma théorique élaboré par
Michel Forsé où l’interne comme mode de sociabilité peut être défini, au-delà du seul lieu
géographique, comme une valeur ou une norme (Forsé, 1981). Dans cet esprit, la sociabilité
familiale au sein du quartier ne s’accompagnerait pas d’une ouverture particulière sur
l’extérieur et donc sur le quartier, contrairement au type de sociabilité externe que constituent
les relations amicales. Enfin, contrairement à nos hypothèses et à ce que la littérature met
couramment en avant, la participation associative caractéristique d’un mode externe de
sociabilité, ne semble pas entraîner dans notre cadre précis, d’attachement particulier au
quartier. Ceci reste vrai par ailleurs lorsque l’on oppose plus précisément les personnes ayant
au moins un investissement associatif dans le quartier à toutes les autres.
145
Le sentiment d’isolement a été pris en compte dans cette analyse des sociabilités locales
comme témoin d’une expérience vécue de la solitude et d’une faible sociabilité locale (près
des trois quarts (71,7% p<0,001) des personnes se sentant seules ou très seules sont
caractérisées par une faible sociabilité locale). Ce sentiment concerne sans surprise
significativement plus fréquemment les personnes vivant seules et les personnes vivant en
famille monoparentale (34,1% et 23,4% vs moins de 18% pour tous les autres types de
ménages). Néanmoins, un simple tri croisé ne permet pas de repérer de différence
significative sur le plan de l’attachement au quartier entre les personnes se sentant isolées et
les autres.
Enfin, la fonction support du réseau social, sur laquelle nous aurons l’occasion de
revenir, apporte des éléments plus tranchés. Si on observe tous les degrés de support potentiel
que l’on a appelé « privé » (famille, amis, voisins), on remarque que l’attachement au quartier
suit un gradient identique à celui de l’estimation de la force du support. Ainsi, 48,1% des
personnes pensant pouvoir compter sur un fort support témoignent d’un fort attachement au
quartier, quand cela ne concerne que 40,6% des personnes jugeant faible leur réseau
mobilisable en cas de besoin. Les chiffres sont finalement encore plus parlant si l’on
considère le non-attachement puisque le pourcentage de personnes non-attachées est deux fois
supérieur parmi les personnes à faible support potentiel, à celui que l’on observe chez les
personnes pouvant s’appuyer sur un fort réseau. L’analyse des variables simples composant
l’indicateur donne des ordres de grandeur similaires puisque 43,8% des personnes rapportant
un faible réseau d’aide privée potentielle ne se sentent pas en sécur ité dans leur quartier,
quand cela ne concerne que 24,8% des personnes disposant potentiellement d’un fort soutien
(p<0,01).
L’exposé précédent, à base de tris croisés, a permis une première exploration des
différents déterminants semblant influencer l’attachement au quartier. Etant données les
corrélations parfois importantes liant certaines des variables prises en compte, le tableau
dressé, s’il n’est pas incorrect masque cependant certaines dimensions de l’analyse que seule
la prise en compte simultanée des différentes variables peut faire apparaître. La régression
logistique qui constitue l’un des outils particuliers de l’analyse multivariée peut ainsi nous
aider à préciser quels sont, parmi les déterminants pris en compte, ceux dont le pouvoir
146
« explicatif » vis à vis l’attachement au quartier est le plus fort. Les différents modèles
présentés ci-dessous permettent d’apporter un éclairage sur cette question.
L’analyse multivariée des déterminants d’un fort attachement au quartier est riche en
enseignements qui précisent le premier portrait dressé. Avant de passer à l’analyse des
147
résultats proprement dits, nous voudrions apporter en premier lieu quelques précisions sur les
caractéristiques des trois modèles présentés, qui ne relèvent pas uniquement de détails
techniques mais ont une véritable importance sociologique et qui sont en général non
discutées dans les travaux de sociologie quantitative impliquant des modèles de régression.
Sans entrer dans le détail mathématique des deux coefficients reproduits dans l’item « qualité
du modèle », précisons simplement pour le lecteur non familier avec l’analyse quantitative,
que le premier (- 2logL) est une estimation de la qualité de l’ajustement du modèle aux
données : plus le coefficient diminue par rapport à un modèle simple, plus on se « rapproche »
des données. La succession des modèles indique dans notre cas précis que l’ajout de variables
dites explicatives d’un modèle à l’autre améliore l’ajustement du modèle. Le coefficient R² 165
mesure quant à lui, la part de variance exp liquée par le modèle, c’est à dire qu’il donne la part
d’explication des différences entre individus du point de vue de la variable à expliquer (ici le
fort attachement), imputable aux variables dites explicatives introduites dans le modèle. Plus
le R² se rapproche de 1, plus cette part est importante ; 1 renvoyant au cas où une variable à
expliquer serait entièrement « déterminée » ou « expliquée » par une autre. Dans le cas de nos
modèles, on repère ainsi que la valeur maximale du R² obtenue est de 0,20, ce qui indique que
l’on peut considérer que les variables prises en compte «expliquent » 20% des différences
entre les individus de notre échantillon du point de vue de l’attachement au quartier166 . Ceci
nous invite à la modestie dans la présentation des résultats, considérant que l’attachement au
quartier est un phénomène complexe à saisir, tant sur le plan analytique que sur les plans
théorique et conceptuel d’ailleurs. Il semblerait, mais nous y reviendrons, que la part
imputable dans les mécanismes de l’attachement au quartier aux données purement
biographiques – renvoyant à des histoires personnelles et à autant de modalités singulières du
rapport au territoire et à l’espace d’une manière générale – soit importante.
Ces quelques précisions nécessaires étant faites, l’analyse des différents modèles fait
apparaître plusieurs éléments intéressants. Sur le plan des variables sociodémographiques tout
d’abord, l’analyse multivariée confirme ce que nous avions déjà pressenti, à savoir que le fait
d’être un étranger plutôt qu’un français augmente significativement la probabilité de
manifester un fort attachement vis à vis de son quartier, les autres variables présentes dans le
165
Le R² pris en compte ici est un R² ajusté (Nagelkerke R Square)
166
On pourrait évidemment, par l’ajout d’un nombre plus grand de variables, faire progresser la valeur du R²,
mais on risquerait alors de complexifier par trop le modèle. N’oublions pas que la modélisation statistique
constitue toujours une forme de compromis entre parcimonie (ou simplicité du modèle) et fidélité de la
description (ou qualité de l’ajustement du modèle aux données).
148
modèle étant tenues constantes (toutes choses égales par ailleurs). Le Odds Ratio associé au
paramètre estimé est de 1,5 ce qui signifie que les étrangers ont toutes choses égales par
ailleurs, 1,5 fois plus de chance de se caractériser par un fort attachement avec leur quartier
que les français. La persistance du coefficient associé à la modalité étranger se maintenant
dans les trois modèles avec même une légère accentuation, nous pouvons en conclure que
quel que soit le quartier de notre périmètre considéré, il semble constituer un territoire
ressource pour les étrangers dans le sens où ceux-ci manifestent un fort attachement par
rapport à lui. Une analyse plus approfondie par nationalité (tableau non reproduit) semble
indiquer que l’origine « Afrique Subsaharienne » est, parmi les diverses origines considérées,
(« Maghreb » et « autres »), celle dont l’effet est le plus important (OR=1,81) mais le seuil de
significativité statistique n’est pas atteint.
Une autre variable sociodémographique d’importance était prise en compte dans le
modèle : le diplôme. L’observation des résultats la concernant indique que ne pas avoir de
diplôme s’accompagne, toutes choses égales par ailleurs, d’une probabilité significativement
plus grande de manifester un fort attachement au quartier que lorsque l’on possède un CAP,
BEP ou BEPC, ou tout autre diplôme d’ailleurs. Ceci persiste et s’accentue même, y compris
dans le troisième modèle lorsque l’on introduit les quartiers dans l’analyse. Ce résultat
tendrait ainsi à confirmer par l’usage de méthodes quantitatives, l’hypothèse de l’importance
particulière jouée par le territoire de résidence (ici le quartier) pour les catégories sociales aux
statuts les plus faibles, que de nombreux travaux de nature qualitative ont élaborée (Bidou-
Zachariasen, 1997, Villechaise-Dupont, 2000, Pétonnet, 2002). La symétrie des
comportements vis à vis de l’attachement au quartier de part et d’autre du spectre social
n’apparaît pas de façon nette en analyse multivariée, cependant l’analyse des coefficients
estimés par le modèle montre que, bien que non significatif, celui associé aux diplômes élevés
(Bac+ 3 ou +) est largement plus élevé que ceux associés aux autres types de diplômes (aucun
diplôme excepté). L’analyse sur le plan des PCS (tableau non reproduit) ne permet pas de
repérer de résultat statistiquement significatif mais conduit à une interprétation similaire
puisque les coefficients estimés les plus élevés sont à mettre au crédit des cadres et
professions intellectuelles et supérieures d’une part, et des ouvriers d’autre part.
Comme l’un des paragraphes précédents l’avait déjà laissé pressentir, le statut
d’occupation du logement est une variable déterminante du rapport au quartier et d’un fort
attachement en particulier. Les locataires de logement HLM apparaissent ainsi, toutes choses
égales par ailleurs, caractérisés par une plus faible probabilité d’être fortement attachés à leur
149
quartier (ou pour le dire autrement par une plus forte probabilité de ne pas être fortement
attachés) que les personnes propriétaires, les personnes logées de façon autre ou les locataires
d’un logement non-HLM (qui constituent la référence du modèle). La va leur du coefficient est
d’ailleurs assez élevée (ß=-0,84) et sa significativité statistique est importante, l’Odds Ratio
associé vaut 0,43 ce qui revient à considérer que la probabilité de manifester un fort
attachement par rapport aux personnes logées en logement non-HLM est divisée par plus de
deux lorsque l’on réside dans un logement HLM (toutes choses égales par ailleurs). Une fois
encore, les constatations de plusieurs auteurs ayant travaillé sur des données qualitatives se
trouvent confirmées par l’analyse statistique. Le rapport au quartier des habitants de logement
HLM que notre travail met en évidence peut être ainsi mis en relation avec celui que dépeint
Patrick Simon à leur propos et que nous reprendrons malgré la longueur de la citation : « Purs
produits du système d’attribution des logements, ils sont venus résider à Belleville par le
hasard du cheminement des dossiers administratifs. […] Si leur profil social diffère peu de
celui des « multiculturels », leurs pratiques […] n’ont rien de comparables. Peu sensibles à
l’animation du quartier, ils sont venus y chercher des conditions d’habitat optimales pour un
loyer modéré. Mais les qualités de l’habitat ne fournissent pas toujours un contrepoint
suffisant aux nuisances de l’environnement. […] Ils ne vivent pas dans le quartier, évitent ses
rues et leurs réseaux de relations les emmènent ailleurs. En d’autres termes, ils ne sont pas
insérés dans la vie locale » (Simon, 1995b, p. 185-186).
Concernant le logement toujours, l’analyse met en évidence que l’état de celui-ci est
déterminant dans l’attachement qui pourra se nouer avec le quartier. Les personnes qui ne
rencontrent aucun problème dans leur logement ont ainsi une probabilité près de une fois et
demie supérieure (OR=1,37) de manifester un fort attachement envers leur quartier, à profil
social et économique identique (sur les variables contenues dans le modèle), que celles qui
sont soumises à au moins un problème 167 . L’insalubrité des logements semble donc avoir un
effet direct sur la tendance à s’attacher à son quartier et sur l’intensité de cet attachement, ce
qui rejoint les résultats classiques portant sur le logement confirmés par différentes études que
nous avons rappelées au cours des paragraphes précédents (Lévy et Lévy-Vroelant, 2001, Le
Toqueux, 2000, 2003, Rizk, 2003).
167
Parmi les trois problèmes possibles : logement trop petit, logement en mauvais état, logement trop cher.
150
sociabilités à cette échelle géographique. Contre les tenants de la « fin des quartiers » (Ascher,
1998), notre étude tend à montrer que le quartier reste une échelle pertinente pour le
développement des pratiques de sociabilité168 . De plus, si le questionnaire utilisé ne permet
pas de repérer la part des sociabilités propres au quartier, nous serions tentés de conclure en
reprenant les propos d’un auteur déjà cité, que les quartiers que nous avons étudiés
représentent pour un grand nombre de leurs habitants, un point d’ancrage substantiel de leurs
modes de vie urbains (Authier, 2002). Les résultats obtenus confirment du reste ceux que
proposait l’INSEE en 2002 en décrivant les Franciliens comme bien insérés dans leur quartier,
lequel resterait, malgré la mobilité, une échelle pertinente dans leur vie quotidienne 169 .
L’étude qui se basait sur les résultats de l’enquête « Vie de Quartier » de 2001 met par ailleurs
en évidence que si la sociabilité apparaît moindre dans les quartiers les plus pauvres de la
région Ile-de-France, à profil socio-démographique équivalent, les différences s’estompent :
les contacts sociaux sont surtout caractérisés, dans les quartiers modestes, par une part
sensiblement supérieure des relations avec des personnes qui résident le même quartier
(Andrieu et Herviant, 2002).
Enfin, l’introduction de la variable « quartier » dans le modèle amène des résultats qui
rappellent et fortifient ceux que l’analyse univariée avait pu laisser entrevoir sur le plan de la
différenciation spatiale de l’attachement. Il apparaît ainsi, le quartie r de la Porte de Montreuil
étant pris comme référence, que le fait de résider à Mare Cascade augmente significativement
(ß=1,41 OR=4,09) la probabilité, toutes choses égales par ailleurs, de manifester un fort
attachement au quartier, quand résider à Saint Blaise (ß=-0,96 OR=0,38) ou à Bas Belleville
(ß=-0,72 OR=0,49) la diminue de manière importante. Les caractéristiques propres des
quartiers (dégradation du bâti dans le cas du Bas Belleville, urbanisme à base de grands
ensembles dans le cas de Saint Blaise, criminalité localisée dans les deux cas, etc.) ont donc
probablement une influence importante sur l’attachement que manifestent à leur égard leurs
habitants.
Mais au-delà des problèmes « objectifs » spécifiques que rencontrent chacun des
quartiers – qui les touchent cependant de manière inégale comme nous l’avons montré tout au
long de ce chapitre – c’est bien la disqualification spatiale différentielle à l’intérieur même du
périmètre de la Politique de la Ville qui semble expliquer le moindre attachement manifesté
168
Nous verrons plus loin si elle l’est du point de vue des solidarités.
169
Andrieux et Herviant, 2002, op.cit.
151
par les habitants de certains quartiers. Le graphique qui suit est parlant sur ce point ; les deux
quartiers ayant selon leurs habitants la plus mauvaise réputation sont mis en évidence : Bas
Belleville et Saint Blaise.
90
80 72
70 64
58
60 53
50
50 45 42 43 bonne réputation
40 mauvaise réputation
30
20 16
10
0
Porte de Montreuil
Bas Belleville
Mare Cascades
Saint Blaise
Amandiers
Montreuil
NB : p<0,001
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
152
définition du bien être donnée par Antoine Bailly, que nous avons déjà citée était : « rapport à
la conscience, rapport à la société, rapport à l’espace, le bien-être est une notion qui fait
appel à la fois aux analyses individuelles et collectives. Il nous renvoie à la totalité des
relations entre la société, les hommes et le milieu » (Bailly, 1981). En prenant de l’avance sur
nos analyses ultérieures nous pouvons déjà considérer que l’image du quartier et
l’attachement à celui-ci ont donc presque toutes les dimensions que nous pouvons relier au
bien-être.
Ceci nous invite ainsi à analyser les autres dimensions du bien-être présentes dans cette
définition, c’est l’objectif du second chapitre de cette troisième partie.
153
2. Images de soi, discriminations et mal-être dans les quartiers
de la Politique de la Ville du 20 ième arrondissement de Paris
170
Pour des premiers résultats publiés voir notamment : Houseaux F., « La famille, pilier des identités », INSEE
Première, n°937, décembre 2003
171
Voir notamment le travail de Serge Paugam et Mireille Clémençon (2002) déjà cité, ainsi évidemment que les
différents travaux inscrits dans le programme SIRS.
154
type d’indicateurs qui permettent, en outre, de dépasser certaines des limites des travaux
qualitatifs s’étant intéressés à une problématique similaire à la nôtre ; nous pensons
notamment à la délicate question de la mesure de la souffrance psychologique. Néanmoins,
avant de pouvoir prétendre établir un lien entre les images d’un lieu et celles de soi, il
convient dans un premier temps d’en explorer les ressorts et déterminants respectifs. C’est ce
que nous avons fait dans le premier chapitre à propos de l’image du quartier, penchons- nous à
présent sur l’image de soi. Pour ce faire, nous aborderons successivement la question de la
mesure et des déterminants de l’image de soi, puis détaillerons la thématique des
discriminations, éléments destructeurs s’il en est pour l’image de soi, pour finir par une
analyse de la souffrance psychologique et du mal-être transparaissant au travers des
symptômes de dépression, révélateurs d’une véritable « insécurité identitaire » (Ehrenberg,
2000).
Nous avons plusieurs fois au cours de ce document, défini l’image de soi dans son
acception sociologique. Cependant, en préalable à la présentation des indicateurs
psychosociaux d’estime de soi, d’efficacité personnelle ou de sens de la cohérence, il est
nécessaire de préciser quelque peu cette notion d’un point de vue psychologique ou
psychosociologique. L’image de soi (self concept) renvoie de ce point de vue, au concept
psychologique de « soi » qui correspond à « la « théorie » globale d’un individu sur lui-même
qui est toujours actualisée comme critère ou guide du comportement lorsque surviennent des
situations nécessitant un ajustement, et vécues avec un fort engagement du moi » (Fröhlich,
1997, p. 385). Dans cette optique, le concept de « soi » (qui correspond à ce qu’est l’individu
d’après lui- même 172 ) repose sur une réalité expériencielle – expérience intra-personnelle
particulière – qu’il est possible d’explorer à l’aide de méthodes quantitatives (Baugnet, 1998,
p. 34). Plusieurs outils reposant sur des présupposés psychologiques parfois différents,
permettent ainsi de mesurer certaines des dimensions de cette « théorie de l’individu sur lui-
même ». La plupart sont issus d’expérimentations cliniques menées à grande échelle et sont
172
Michael Argyle précise : « l’image de soi est l’ensemble des idées qu’un individu a sur lui-même, y compris
sur son rôle (métier, classe sociale, etc.), ses traits de caractère et son corps » (Argyle, 2000, p 98)
155
commentés et améliorés de manière continue à chaque utilisation. Ils reposent sur le principe
d’un pool de questions combinables en un indicateur global permettant de caractériser l’état
psychologique de la personne enquêtée. Les enquêtes SIRS et par voie de conséquence
l’enquête INSERM-20ièmearrdt. utilisent de tels outils en complément d’une autodéclaration
par l’enquêté de son état de santé psychologique. Cette mesure « objective » complémentaire
est rendue nécessaire par le constat sociologique que l’appartenance sociale est déterminante
du rapport au corps et à la santé (Goldberg et al., 2002) et que de ce fait, l’identification de
certains phénomènes comme les symptômes de la maladie ou le recours aux soins médicaux
varient selon le milieu social (Fassin, 2000) 173 . Nous allons rapidement présenter ces outils et
les résultats auxquels ils ont conduit dans le cadre de notre enquête.
173
Si cette différenciation sociale est en soi un résultat intéressant et un véritable objet de recherche, il est
souvent nécessaire, en épidémiologie notamment, de pouvoir la dépasser lorsqu’il s’agit de rendre compte de
l’état de santé d’une population.
174
Bariaud, F., & Bourcet, C. « Le sentiment de la valeur de soi ». in L’Orientation scolaire et professionnelle,
23 (3), 1994, p. 271-290
175
Rosenberg, M. Society and the adolescent self-image, Princeton, Princeton University Press, 1965
156
enquête, l’estime de soi est mesurée à l’aide d’une version abrégée en français du Rosenberg’s
Self-Esteem Scale comprenant 5 items que nous détaillerons tout en en présentant les
résultats 176 .
176
Blascovitch J., Tomaka J., “Measures of Self-Esteem (Rosenberg’s Self-Esteem Scale, 1979)”, in Robinson
J.P., Shaver P.R., Wrightsman (eds), Measures of Personality and Social Psychological Attitudes, Ann Arbor,
Institute for Social Research, 1993, p. 115-160
177
Chapelle G., « « J’y arriverai » : le sentiment d’efficacité personnelle. Rencontre avec Albert Bandura », in
Sciences Humaines, n° 148, Avril 2004, pp. 42-45.
178
Schwarzer R., Fuchs R., “Self-efficacy and health behaviors”, in Conner M., Norman P. (eds), Predicting
health behavior: research and practice with social cognition models, Buckingham, Open University Press, 1996,
pp. 163-196
179
Antonovsky A., “The Sense or Coherence as a Determinant of health”, in Matarazzo J.D. et al. Behavioral
Health, New York, John Wiley, 1987.
157
Coherence, abrev. SOC), qui se définit essentiellement par la conviction du sujet que ses
« environnements internes et externes » ont un sens et une évolution prévisible. Si le SOC est
rompu, le monde apparaît inorganisé, les actions à entreprendre ne sont plus claires ;
finalement, on arrive au conflit et à la confusion, ce qui peut avoir des effets majeurs sur la
santé et la vie des personnes (Loslier, 1997). Dans notre enquête, le sens de la cohérence est
mesurée par trois questions empruntées à Lundberg et al. 180
Un premier tri à plat des questions relatives aux multiples dimensions de l’image de
soi permet, via la « mesure » de l’appréciation de soi des enquêtés par eux- mêmes, de dresser
en quelque sorte un portrait général de l’estime que porte notre population d’étude envers
elle- même. Ce portrait n’a évidemment de sens que considéré de manière relative, c’est à dire
en référence à d’autres portraits, se rapportant idéalement à la population générale. Ne
disposant pas de tels résultats à propos d’échantillons représentatifs de la population
française 181 , nous mobiliserons deux enquêtes déjà évoquées dans les premières parties de
notre document : la préenquête SIRS menée dans 5 ZUS d’Ile-de-France en 2001 182 et
l’enquête OSC-Fnars «Personnes en détresse » menée en 2001 auprès de 1160 personnes
s’adressant aux services d’accueil, d’hébergement et d’insertion183 . Malgré la petite
gymnastique d’esprit que cela impose, les libellés des questions ont été reproduits (de manière
180
Lundberg O., Nyström-Peck M., “A simplified way of measuring sense of coherence”, in European Journal
of Public Health, n°5, 1995, p. 56-59
181
L’un des projets du programme SIRS pour la France est justement la réalisation d’une enquête en population
générale, sur l’Ile-de-France, qui permettrait notamment d’analyser ce que peuvent avoir de spécifiques les
territoires disqualifiés tels que ceux que nous avons étudiés.
182
Cf. Parizot et al., 2001, op. cit.
183
Cf. Paugam et Clémençon, 2002, op. cit.
158
intentionnelle), tels qu’ils étaient formulés dans le questionnaire et tels que les échelles
officielles que l’on a présentées précédemment les proposent.
Enquête
Enquête
Enquête SIRS OSC-FNARS
20ième arrdt 2001 « Personnes
2003 en détresse »
2001
Estime de soi (Self Esteem)
Dans l’ensemble je suis satisfait de moi 83,1 80,9
Parfois, je me sens réellement inutile 22,0 38,2
Je pense que j’ai de bonnes qualités 96,4 84,1
Je suis capable de faire les choses aussi bien que la
91,0 87,8
plupart des gens
Il n’y a pas grand chose en moi dont je puisse être fier 8,8 16,5
Confiance en soi
J’ai confiance en moi pour résoudre les problèmes qui se 77,4
présentent 87,6
(voir note 1)
Image de soi pour autrui
Je me sens rejeté(e) par les autres 5,9 9,4 32,0 (note 2)
Certaines persones me jugent négativement à cause de
12,9 21,0
mes revenus ou de ma situation professionnelle
Bien-être et stress
Je me sens bien dans ma peau 87,3 87,6 70,0
Je prends les choses du bon côté 86,9 83,7 84,0
Je suis constamment sous pression 27,5 26,3 45,8
Sentiment d’efficacité personnelle (Self Efficacy)
Si quelquechose me paraît trop difficile, je ne prends pas
27,9
la peine d’essayer
Quand j’ai quelquechose d’important à faire, je fais tous
91,3
les efforts nécessaires
Si je n’arrive pas à faire quelquechose, je continue à
87,7
essayer jusqu’à ce que j’y arrive
Sentiment de la cohérence (Sense of Coherence)
J’ai le sentiment que les choses qui m’arrivent dans la vie 50,5
sont prévisibles et explicables 65,1
(voir note 3)
J’ai le sentiment que les choses valent la peine que je m’y
89,2
intéresse
J’ai le sentiment de pouvoir controler les choses qui
63,5
m’arrivent dans la vie
Effectifs 889 525 1160
NB : Les pourcentages sont calculés en agrégeant les réponses « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord » avec
les propositions citées. Ils sont calculés sur l’ensemble des réponses (y compris les « ne sait pas ») et des non
réponses.
Note1 : si je suis coincé je sais toujours quoi faire
Note2 : je me sens rejeté, dévalorisé
Note3 : réponse négative à la question « j’ai le sentiment que les choses qui m’arrivent dans la vie sont difficiles
à comprendre »
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003, Enquête SIRS Ile -de-France 2001, Enquête OSC-Fnars
« personnes en détresse » 2001.
159
La première analyse est comparative. Ainsi, le tableau nous permet de constater que
l’appréciation de l’image de soi par les enquêtés dans les quartiers de la Politique de la Ville
du 20ième arrondissement semble globalement plus positive que celle des enquêtés des 5 Zones
Urbaines Sensibles étudiées en 2001. D’une manière logique puisque le champ de leur
enquête était justement les personnes en détresse, on remarque aussi que les mesures du bien-
être effectuées en 2001 par Serge Paugam et Mireille Clémençon sont, pour la plupart, très
différentes des nôtres. C’est le cas notamment du sentiment d’être rejeté par autrui qui
concerne 32,0% des « personnes en détresse » étudiées contre moins de 6% (5,9%) des
individus interrogés dans les quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement.
La deuxième remarque concerne la proportion d’individus pouvant être considérés
comme ayant une mauvaise image d’eux- mêmes. Les résultats sur les différents items
montrent ainsi que pour chacun d’entre eux, c’est entre 6% et 30% des personnes interrogées
qui répondent dans un sens témoignant d’une dégradation de l’image de soi. Ces différents
items et les indicateurs généraux qui les réunissent sont évidemment très corrélés, mais il
convient de remarquer tout de même que les différentes dimensions de l’image de soi ne se
superposent pas, puisque par exemple 74,6% des personnes relevant d’une estime de soi
plutôt faible sont par contre caractérisées par un sentiment d’efficacité personnelle plutôt
haut 184 .
Enfin, il faut noter que les chiffres présentés ici de manière atomisée cachent une
disparité de situations parfois importante entre individus suivant certaines caractéristiques
individuelles, mais que les différences à ce niveau suivant les différents items considérés, sont
assez peu souvent significatives. Sans traiter pour l’instant des difficultés personnelles,
remarquons que le sexe et l’âge semblent (dans notre enquête tout du moins et en première
approximation) ne pas entraîner de différences réellement significatives au niveau de l’image
de soi, même si en tendance, les femmes apparaissent plus « fragiles » que les hommes, et que
les moins de 25 ans et plus de 60 ans le sont plus que les autres classes d’âge (ce qui
correspond à des résultats par ailleurs bien connus). Parmi les nombreuses caractéristiques
individuelles investiguées, l’origine géographique des enquêtés, leur niveau de diplôme ou
leur statut marital semblent avoir les influences les plus significatives. Ainsi, sans contrôle sur
184
La mesure globale de l’estime de soi, du sentiment d’efficacité personnelle et du sentiment de cohérence
repose sur la catégorisation des scores obtenus sur chacun des items composant les indicateurs (échelle de 1 à 4
de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord »). Dans ces considérations, 14,6% de la population d’enquête
peut être caractérisée par une estime de soi plutôt faible, 16,3% par un sentiment d’efficacité plutôt faible et
25,6% par un sentiment de la cohérence plutôt bas.
160
les problèmes personnels potentiels, il apparaît que près d’une personne française issue de
l’immigration185 sur 5 (19,3%) déclare ne pas être satisfaite d’elle-même quand cela concerne
17,8% des français ayant deux parents français et 8,8% des étrangers (p<0,05). Pour le même
item, 20% des personnes vivant seules (sans partenaire ou conjoint) affirment ne pas être
satisfaites d’elles- mêmes quand seuls 12,3% des individus vivant en couple le considèrent
(p<0,01). Enfin, le sentiment de cohérence renvoyant à la « prise » que l’individu estime avoir
sur sa vie et à son appréciation du sens du monde extérieur, apparaît plutôt haut pour 81,6%
des personnes ayant atteint un niveau d’étude de Bac + 3 ou +, quand cela ne concerne que
62,8% des personnes qui n’ont qu’un BEPC, CAP ou BEP (p<0,001).
Si les caractéristiques individuelles de type sociodémographique ne semblent pas
vraiment déterminantes de l’image de soi, l’expérience des difficultés passées et présentes
renvoie quant à elle à un réseau de facteurs fortement liés à l’appréciation de soi.
185
Nous avons considéré dans ce cas précis comme « français issus de l’immigration », les français ayant au
moins un de leurs deux parents de nationalité étrangère.
161
Dans le cadre de notre enquête sur le 20ième arrondissement de Paris, nous distinguions
les deux ensembles de difficultés que sont les difficultés survenues avant 18 ans et celles
survenues à l’âge adulte. Ceci nous permet d’en analyser à présent les effets sur l’image de soi
appréhendée au moment de l’enquête.
Les difficultés survenues avant l’âge de 18 ans et prises en compte dans notre enquête
peuvent être résumées sous la forme du tableau suivant :
0 1 2 3 4à6
Nombre de
domaines où des 34,8 24,4 23,7 10,4 6,7
difficultés ont été
connues
0 1 2à4 5à7 8 à 13
Nombre total de
34,8 21,1 37,3 6,0 0,8
difficultés
NB : les pourcentages sont donnés en ligne
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième arrdt de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
162
La première conclusion à tirer de cet état des lieux est l’ampleur de la répartition des
difficultés dans l’enfance. En effet, plus de deux enquêtés sur trois (75,2%) ont connu au
moins une difficulté avant l’âge de 18 ans parmi celles que nous prenions en compte, et près
de la moitié (48,1%) en a connu au moins deux. De manière plus détaillée, il apparaît que la
rupture du lien de filiation dans l’enfance est la rupture la plus fréquente puisqu’elle concerne
35,7% des enquêtés, juste devant la fragilisation de l’environnement familial (24,5%) et les
problèmes de santé des parents (23,7%). Les problèmes reliés à la cellule familiale
apparaissent ainsi plus fréquents que ceux qui concernent l’individu lui- même. Une
exploration plus « qualitative » de chacune de ces difficultés avec notamment le repérage des
individus et groupes sociaux les plus concernés par l’une ou par l’autre nous emmènerait trop
loin dans le cadre de ce travail de DEA. Des exploitations complémentaires de l’enquête
INSERM-20ièmearrdt. devraient s’attacher dans un futur proche, à l’analyse fine de ce vaste
pan de l’enquête.
Pour ce qui nous concerne plus directement, il apparaît qu’avoir expérimenté une ou
plusieurs ruptures avant l’âge de 18 ans est corrélé à l’image de soi que nous recueillons au
moment de l’enquête. Du point de vue de la satisfaction de soi par exemple, l’enquête montre
que 18,1% des personnes ayant subi au moins une difficulté rendent compte d’une moindre
satisfaction quand cela ne concerne que 12,5% des personnes indemnes de difficulté dans
l’enfance (p<0,05). Par ailleurs, quand 90,8% des personnes ayant eu une enfance non
marquée par l’un ou l’autre des problèmes que nous évoquions déclarent se sentir bien dans
leur peau, le pourcentage chute à 86,2% à partir du premier problème rencontré. Si ce n’est
pour ces quelques résultats et quelques autres encore que nous n’avons pas retenus, la
dichotomie «pas de problème »/« au moins un problème » ne semble pas la plus pertinente
puisqu’il apparaît que le lien entre image de soi et difficultés s’affirme plus nettement avec le
cumul de celles-ci. Par ailleurs, tous les types de difficultés et les dimensions de l’image de
soi ne sont pas corrélés de manière identique. Il est ainsi intéressant de remarquer que si les
problèmes liés à la cellule familiale dans l’enfance ne semblent pas affecter significativement
la confiance en soi à l’âge adulte ou le sentiment d’inutilité, les problèmes d’intégration
personnelle (problèmes à l’école ou durant les études) eux le sont. La satisfaction personnelle
apparaît comme l’une des dimensions de l’image de soi les plus corrélées avec les différents
types de ruptures (exceptée la rupture du lien de filiation) ; c’est en effet à son égard que l’on
observe les écarts les plus significatifs. A l’opposé, certains résultats pourraient laisser penser
163
aux phénomènes de « résilience »186 (Cyrulnik, 2000, Tousignant, 2004) puisque l’on
remarque par exemple, que le sentiment d’efficacité personnelle apparaît plus développé chez
les personnes ayant rencontré une ou plusieurs difficultés dans l’enfance – notamment celles
appartenant aux types « fragilisation du lien de filiation » ou « problèmes personnels ». Plus
fréquemment dans le sens « logique » cette fois, de nombreux autres résultats témoignant d’un
effet significatif des ruptures dans l’enfance sur l’estime de soi, pourraient encore être
présentés ; nous nous contenterons cependant de ce petit échantillon.
Les difficultés à l’âge adulte étaient aussi repérées par notre enquête, observons quels
sont les liens qui les unissent à l’image de soi.
Les difficultés survenues à l’âge adulte sont des éléments plus classiquement pris en
compte dans les études portant sur la situation à un temps t de tel ou tel groupe social. De ce
fait, et parce que nous avons déjà abordé certaines de ces difficultés dans la présentation de
notre échantillon et dans le premier chapitre d’analyse des résultats, nous n’adopterons pas ici
une présentation identique à celle retenue pour le cas des ruptures dans l’enfance, pour nous
concentrer plus rapidement sur l’essentiel de l’analyse. Les difficultés et ruptures à l’âge
adulte peuvent être classées par type : difficultés personnelles, difficultés dans la sphère
familiale, difficultés concernant l’emploi et la dimension économique, etc. Nous laisserons
intentionnellement de côté les ruptures ayant un rapport avec le quartier ou le voisinage que
nous analyserons plus en détail dans le troisième chapitre.
L’analyse du lien entre difficultés à l’âge adulte et images de soi peut être résumée par
le tableau suivant :
186
Entendue comme la capacité d’un individu à réussir à vivre et à se développer de manière socialement
acceptable en dépit du stress et d’une adversité qui comporte le risque grave d’une issue négative (Cyrulnik,
2000).
164
TABLEAU 19 : QUELQUES DIMENSIONS DE L’IMAGE DE SOI ET LEURS LIENS AVEC DES
DIFFICULTES ET DES RUPTURES SURVENUES A L’AGE ADULTE (EN %). ANALYSE UNIVARIEE .
Ne se sent
N’a pas Faible Répartition
pas bien
confiance en estime de globale dans
dans sa
soi soi l’échantillon
peau
Handicap *** ** ***
Pas de handicap ou non limitant 9,0 10,0 13,0 83,9
Difficultés personnelles
(voir note 1)
sphère familiale
** * *
sur le plan
Difficultés
165
L’effet d’un certain nombre de ruptures et difficultés survenues à l’âge adulte sur
diverses dimensions de l’image de soi est ainsi sans grande surprise. Pour les trois dimensions
retenues (se sentir bien dans sa peau, avoir confiance en soi et ind icateur d’estime de soi), le
tableau indique que les personnes ayant été soumises (ou l’étant toujours) à un certain nombre
de difficultés dans l’une ou dans l’autre des sphères considérées, développent une image de
soi significativement plus négative que celles qui n’ont pas eu ou n’ont pas ce type de
problèmes. L’analyse univariée proposée semble mettre en évidence – au vu des écarts de
pourcentage constatés et de la significativité des écarts – que les difficultés se rapportant à des
relations sociales ou à leur absence auraient un effet particulièrement fort sur la dégradation
de l’image de soi, de même que les problèmes de santé, quand les difficultés de type
économique notamment seraient moins discriminantes. Les écarts observés vis à vis de
l’estime de soi mesurée par l’indicateur issu du Rosenberg’s Self-Esteem Scale, sont
particulièrement importants. Les pourcentages de personnes ayant une faible estime de soi
parmi celles qui rencontrent des difficultés à l’âge adulte sont ainsi fréquemment 2 à 3 fo is
supérieurs à ceux observés au sein de la population ne rencontrant pas ces difficultés.
Les trois variables retenues pour appréhender l’image de soi n’épuisent évidemment
pas l’analyse mais permettent un repérage assez synthétique du lien entre image de soi et
difficultés à l’âge adulte. Au final, notre étude des effets des difficultés et ruptures sociales,
dans l’enfance comme à l’âge adulte sur l’image de soi, met en évidence un lien effectif qui
concerne aussi bien les difficultés dans l’enfance que celles survenues plus tard. La relation
apparaît cependant complexe, toutes les difficultés n’altérant pas l’image de soi, qui elle-
même est diversement affectée suivant les dimensions que l’on retient d’elle. A première vue,
les difficultés à l’âge adulte semblent plus directement corrélées à l’image de soi que celles
survenues dans l’enfance, mais seule une analyse statistique plus poussée nous permettrait de
mesurer les effets respectifs de ces deux types de ruptures. Ce n’est cependant pas un objet
privilégié de notre recherche.
Parmi les éléments agressifs pour l’image de soi non encore pris en compte dans
l’analyse, figurent les discriminations qui peuvent aussi être considérées comme des ruptures
sociales. En attribuant une identité négative à l’individu, les discriminations contribuent à
rendre plus difficile la synthèse entre « identité pour soi » et « identité pour autrui » dont la
réussite peut être considérée comme un pré requis du bien-être.
166
B. L’expérience de la discrimination
L’image de soi est dépendante de nombreux facteurs dont nous avons donné quelques
exemples au cours des paragraphes précédents. L’« identité pour soi » comme l’« identité
pour autrui » se construisant dans l’interaction directe ou médiatisée, les multiples
discriminations dont peuvent être victimes par ce biais les individus et les groupes sociaux ont
un lien direct avec l’image de soi (Goffman, 1975, Elias et Scotson, 1997). Le questionnaire
utilisé dans notre enquête interrogeait directement et en plusieurs endroits, le thème des
discriminations en précisant le type de discrimination(s) subie(s) et le contexte de celle(s)-ci.
Il apparaît globalement que 35,3% de la population enquêtée déclare avoir été victime
au cours de l’année précédant l’enquête, de discriminations dans l’un ou l’autre des domaines
interrogés. Le racisme est le sentiment de discrimination le plus souvent ressenti : il a
concerné 20,3% des enquêtés. La discrimination sexuelle est aussi importante : 12,1% des
personnes enquêtées déclarent avoir été victimes de discrimination liée au fait d’être un
homme ou une femme au cours des 12 mois précédant l’enquête – essentiellement des
femmes cependant (19,8% des femmes contre seulement 2,3% des hommes). La
discrimination liée au lieu de résidence (qui nous intéresse tout particulièrement) concerne
quant à elle 7,8% des enquêtés, sans qu’il n’y ait de différence significative entre les quartiers.
La distribution générale des discriminations par type et fréquence peut être synthétisée
comme suit :
167
3,3
état de santé, maladies ou handicaps 1,5
6
lieu de résidence 1,8
7,3
situation sociale ou financière
1,9
8,7
être un homme ou une femme
3,4
0 5 10 15 20
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
187
La formulation trop large de cet item nous empêche malheureusement de repérer précisément la dimension
locale des pratiques discriminatoires.
188
La somme des pourcentages est supérieure à 100 dans la mesure où une même personne pouvait déclarer des
expériences de discrimination dans plusieurs sphères sociales.
168
Des discriminations plus souvent ressenties par les chômeurs
189
Algava E, Beque M. Le vécu des attitudes intolérantes ou discriminatoires : des moqueries aux
comportements racistes. Etudes et Résultats Drees, n°290, février 2004.
169
Les étrangers plus fréquemment soumis, entre autres, aux discriminations liées au
quartier de résidence
Les discriminations liées au lieu de résidence ont concerné nous l’avons vu, 7,8% des
enquêtés au cours de l’année précédant l’enquête (1,8% souvent, 6,0% de temps en temps),
sans différence significative selon le quartier de résidence. Cependant en tendance, avec
respectivement 11,4 et 10,7% des habitants déclarant avoir été discriminés du fait de leur lieu
de résidence, les quartiers du Bas Belleville et de Piat-Faucheur-Envierges paraissent ceux qui
soumettent le plus leurs habitants à ce genre de discrimination ; à titre d’exemple le quartier
de Saint Blaise, dont nous avons pourtant mesuré au cours du premier chapitre la mauvaise
réputation et vu le faible attachement que lui manifestent ses habitants, ne compte quant à lui
que 5,2% d’habitants déclarant avoir subi une discrimination imputable au quartier. Ce type
de discrimination est corrélé (p<0,001) avec les 6 autres types de discriminations proposés,
mais c’est plus particulièrement avec la discrimination liée à la situation sociale et financière
que le lien est le plus fort, puisque près de 40% des interviewés ayant déclaré l’une ont aussi
déclaré l’autre. On ne constate pas de différence vis à vis de la discrimination relative au
quartier de résidence selon le sexe ou l’âge. Par contre, les étrangers apparaissent plus soumis
(ou sensibles) à ce type de discrimination que les français (14,3% vs 6,1% p<0,001). Les
français issus de l’immigration sont par contre beaucoup moins nombreux à rapporter avoir
été discriminés du fait de leur quartier (2,4%). Enfin, si la différence n’est pas statistiquement
significative entre les statuts d’occupation des logements, les locataires de logements HLM
déclarent cependant en tendance, plus ce type de discrimination que les autres.
170
observables entre l’exposition à des actes ou propos discriminatoires dans l’année précédent
l’enquête et la qualité de l’image de soi recueillie au moment de l’enquête.
Victime de discrimination
au cours de l’année précédant l’enquête
oui non
Dans l’ensemble je suis satisfait de moi (p<0,001)
Oui 76,8 87,7
Non 23,2 12,3
Parfois je me sens réellement inutile (p<0,05)
Oui 26,3 20,0
Non 73,7 80,0
Self-Esteem (ns)
Plutôt haute 82,4 86,8
Plutôt basse 17,6 13,2
Je me sens constamment sous pression (p<0,001)
Oui 36,0 23,0
Non 64,0 77,0
Je me sens rejeté par les autres (p<0,001)
Oui 11,2 3,2
Non 88,8 96,8
Certaines personnes me jugent négativement à
cause de mes revenus ou de ma situation
professionnelle (p<0,001)
Oui 21,4 7,2
Non 78,6 92,8
Se sent dévalorisé par les personnes rencontrées
dans la vie professionnelle (p<0,001)
Oui 20,5 7,2
Non 79,5 92,8
Note : les pourcentages se lisent en colonne
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
171
Appréhender l’appréciation de l’image de soi par le bia is d’indicateurs psychosociaux
est l’un des moyens dont nous disposions pour qualifier la qualité de cette appréciation et
identifier le mal-être qui peut, le cas échéant, en découler. Une image perturbée de soi a de
forte chance d’entraîner l’individu dans un état de véritable « insécurité identitaire » qui
caractérise la pathologie mentale qu’est la dépression (Ehrenberg, 2000). Considérant comme
cet auteur que cette « maladie » est un révélateur de l’état d’une société autant que de celui
des individus qui la composent, nous allons à présent l’approcher afin de poursuivre
l’exploration des ressorts de l’image de soi et partant, de l’identité, via l’étude d’un cas limite
les concernant.
Près d’un tiers des habitants des quartiers enquêtés présente des symptômes de
dépression
Un des constats les plus alarmants de l’enquête menée sur les quartiers de la Politique de
la Ville du 20ième arrondissement de Paris concerne l’état de santé psychologique et
émotionnel déclaré par les enquêtés. Un quart d’entre eux en effet ne s’estime pas en bonne
santé sur ce plan (19,8% le considèrent « moyen » et 5,6% l’estiment « mauvais » ou «très
mauvais »). Un tiers (34,1%) rapporte s’être senti triste, cafardeux, déprimé régulièrement au
cours des deux dernières semaines. 17,1% des personnes composant l’échantillon déclarent
que durant les deux semaines précédant l’enquête, ils avaient presque tout le temps le
sentiment de n’avoir plus goût à rien, d’avoir perdu l’intérêt ou le plaisir pour les choses qui
leur plaisaient habituellement. De surcroît, nous l’avons vu au cours des paragraphes qui
précèdent, 12,3% des enquêtés répondent ne pas se sentir bien dans leur peau, 12,1% ne pas
prendre les choses du bon côté, 27,7% disent se sentir constamment sous pression, 6,0% et
13,1% déclarent respectivement se sentir rejeté par les autres et être mal jugé par certaines
personnes du fait de leur situation professionnelle ou de leurs revenus.
Ces diverses évocations d’un mal-être psychologique et social peuvent se traduire, dans
certains cas, par des symptômes de dépression. Dans le cadre de ce travail, de nature
sociologique bien que construit avec l’apport d’autres disciplines, nous ne nous aventurerons
172
pas du côté de l’« impossible définition » (Ehrenberg, 2000) médicale ou psychiatrique de la
dépression. A la suite des travaux de cet auteur 190 et des analyses récentes et déjà citées de
Claude Dubar sur la « crise des identit és » (Dubar, 2000), nous considérerons la dépression
comme une « pathologie de l’estime de soi », se situant entre la pathologie de l’identification
et celle de l’identité. Dans son ouvrage, Ehrenberg analyse en effet la dépression comme une
« maladie » inhérente à une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la
discipline, mais sur la responsabilité et l’initiative. Le nouveau contexte de libération
psychique et d’élargissement du spectre des possibles plonge l’individu « qui s’est affranchi
de la loi des pères et des anciens systèmes d’obéissance ou de conformité à des règles
extérieures », dans une situation d’« insécurité identitaire » liée à l’injonction qui lui est faite
de « devenir soi-même ». Identité et dépression sont donc dans cette perspective,
indissolublement liées.
190
Ehrenberg A., La fatigue d’être soi. Dépression et société. Paris, Odile Jacob poches, 2000 (1° ed. 1998)
191
Le Pape A., Lecomte T., « Prévalence et prise en charge médicale de la dépression en 1996-1997 », Questions
d’économie de la santé, n°21, 1999, 6p.
192
Sheehan D.V., Lecrubier Y., Sheehan K.H. et al., “The Mini-International Neuropsychiatric Interview
(M.I.N.I.): the development and validation of a structured diagnostic psychiatric interview for DSM -IV and ICD-
10”, in Journal of Clinical Psychiatry, n°59 (suppl 20), 1998, p. 22-33, quiz 34-57.
173
d’un ensemble de symptômes s’apparentant à ceux observés en cas d’épisode dépressif
majeur.
Ainsi, avec cet outil, lorsque nous ne définissons plus explicitement ces troubles
psychologiques en tant que « maladie grave ou chronique », la proportion de personnes
souffrant de tels troubles s’avère beaucoup plus élevée. Les résultats du Mini-Diag indiquent
finalement que 29,0% des enquêtés, soit près d’un tiers de l’échantillon, peuvent être
considérés comme présentant un ensemble de symptômes pouvant évoquer des troubles
dépressifs. Ce taux est bien supérieur à celui observé avec la même méthode en population
générale, que le CREDES estimait à 12% en 1996-1997. Il est aussi supérieur à celui que la
préenquête SIRS avait relevé en 2001 au sein de cinq ZUS franciliennes, où de tels
symptômes concernaient 22,8% des personnes interrogées.
Au total, si l’on compare les résultats obtenus avec les deux modes de collecte de
l’information, il apparaît de façon similaire avec ce que d’autres études ont constaté, que la
population déclarant spontanément une dépression ne se superpose pas totalement à celle des
personnes dont les réponses au Mini-Diag évoquent un diagnostic de dépression. Ainsi, une
personne sur cinq dans l’échantillon ne déclare pas spontanément une dépression alors qu’elle
en présente les symptômes. Seuls 1,8% de l’échantillon se déclarent finalement dépressifs
sans en avoir les symptômes. Dans ce cas, la dépression déclarée a de fortes chances d’être en
fait ce que les psychologues nomment l’anxiété (ou peut être le témoin d’une prise en charge
médicale réussie puisque la maladie est repérée mais les symptômes semblent avoir disparus).
Bien que la déclaration de dépression sans symptôme puisse être également considérée
comme la manifestation d’un mal-être, par souci de rigueur, lorsque nous invoquerons la
population souffrant de dépression dans la suite de l’analyse, nous nous limiterons aux 29,0%
d’enquêtés dont le Mini-Diag s’est avéré positif et laisserons de côté les 1,8% de dépressifs
uniquement déclarés.
174
Mal-être, dépression et difficultés sociales
193
Nous adopterons dans le cadre de cette recherche la définition du concept donnée par Michel Tousignant qui
nous semble particulièrement bien correspondre à notre objet : « [Le concept de santé mentale] n’est pas un
simple euphémisme pour référer aux maladies mentales et à la psychopathologie […], mais propose une vision
plus dynamique de l’être humain en recherche d’équilibre avec son environnement physique et social »
(Tousignant, 2004, p. 21)
175
TABLEAU 21 : QUELQUES DIMENSIONS RELIEES AUX SYMPTOMES DEPRESSIFS (MINI-DIAG)
EN % (A NALYSE UNIVARIEE)
Variable
Symptômes Répartition
considérée Modalités globale dans
de
(significativité l’échantillon
dépression
statistique, p)
Homme Sexe 24,4 43,8
sociodémographiques
Origine
Français de parents français 25,0 60,7
géographique
Français de parent(s) étranger 35,5 18,7
Etranger (<0,001) 35,0 20,6
Structure familiale
Personne seule 29,3 24,2
(<0,05)
Personne vivant dans un couple sans enfant 22,8 22,1
Personne vivant dans un couple avec enfants 28,3 33,8
Personne vivant dans une famille 41,4 12,5
monoparentale
Autre 28,8 7,4
Niveau scolaire Aucun ou primaire 32,5 12,9
(<0,01) Secondaire 1er cycle 32,9 17,5
Secondaire 2ème cycle 35,0 24,1
Supérieur 23,2 45,6
Caractéristiques socioéconomiques
minima social
(<0,01)
Handicap Très sévèrement limité 68,0 2,8
(<0,001) Sévèrement limité 60,7 3,1
Limité 57,8 10,2
Non limité 23,2 83,9
Sentiment de Se sent très seul 69,0 4,7
Solitude Se sent plutôt seul 50,3 16,4
(<0,001) Se sent plutôt entouré 22,3 51,5
Se sent très entouré 22,1 27,4
Total 29,0
Lecture : Au sein de notre échantillon, 24,4% des hommes présentent des symptômes de dépression.
L’échantillon est composé de 43,8% d’hommes.
Note 1 : Revenu mensuel par unité de consommation. Le seuil de pauvreté retenu est celui proposé par l’INSEE
en 2003.
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième arrdt de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
176
Ce repérage très succinct et nécessairement incomplet des grandes caractéristiques de
la population présentant des symptômes de dépression au sein de notre échantillon, permet
d’en dresser un portrait somme toute classique au regard des résultats obtenus pas ailleurs 194 .
Concernant les données strictement démographiques, l’enquête met en évidence que la
dépression concerne significativement plus les femmes que les hommes. On ne repère par
contre, pas de différence significative entre les classes d’âges mais les âges de la vie les plus
sensibles semblent tout de même être l’entrée dans l’âge adulte (30,4% des 18-24 ans
présentent des symptômes de dépression) et le passage de la cinquantaine (36,8% des 45-59
ans sont concernés). La nationalité est aussi discriminante en analyse univariée puisque 35,0%
des étrangers de l’échantillon apparaissent dépressifs suivant notre méthodologie quand ceci
concerne 27,5% des français (p<0,05). L’analyse devient plus intéressante encore lorsque l’on
se penche sur le détail de l’origine géographique des interviewés. Comme le tableau l’indique,
on repère alors que les français nés de parents étrangers (que l’on a aussi appelé « français
issus de l’immigration » et qui représentent près d’un cinquième de notre échantillon (18,7%))
sont 35,5% à présenter des symptômes de dépression.
Toujours sur le plan des variables sociodémographiques, ce sont classiquement les
personnes seules et les personnes appartenant à une famille monoparentale qui semblent le
plus affectées par les troubles psychologiques dont la dépression, avec au sein de cette
dernière catégorie de personnes, plus de 40% d’individus souffrant de tels troubles.
L’étude synthétique des variables socioéconomiques laisse entrevoir que les catégories
socioprofessionnelles les plus concernées par la dépression au sein des quartiers étudiés, sont
les employés et les ouvriers, ce qui pourrait tendre dans ce dernier cas et à condition de
renforcer l’analyse 195 , à illustrer la thèse du malaise ouvrier que relatent de nombreux auteurs
(Beaud et Pialoux, 1999, Schwartz, 1991). La situation au regard de l’emploi est évidemment
un facteur très corrélé avec l’existence ou non de symptômes dépressifs, la proportion de
personnes touchées augmentant avec la précarité de l’emploi. La décroissance observée
suivant la durée du chômage (inférieure à deux ans et supérieure à deux ans) est difficilement
interprétable sans analyse plus poussée. Elle se rapproche cependant en première
approximation, des observations faites par plusieurs auteurs (Hayes et Nutman, 1983,
194
Voir notamment les résultats de l’étude SIRS 2001, (Parizot et al., 2001, op. cit.) et ceux de l’enquête du
CREDES (Le Pape et Lecomte, 1999, op. cit.)
195
Qui n’est cependant pas l’objectif de ce travail
177
Schnapper, 1994) et peut s’interpréter en suivant le schéma d’évolution de la « carrière morale
des assistés » que décrit Serge Paugam, montrant que, avec la rationalisation progressive de
l’assistance et l’installation dans celle-ci, « le discrédit qui généralement s’attache [au statut
d’assisté] ne représente plus […] un coût symbolique intolérable » (Paugam, 2000a, p 107).
L’enquête met enfin en évidence, sans réelle surprise que les personnes vivant au sein de
ménages considérés comme économiquement pauvres au sens de l’INSEE, sont sujettes à la
dépression de manière plus fréquente que celles vivant dans d’autres types de ménage. La
même analyse effectuée en considérant la pauvreté subjective interrogée par notre enquête
(tableau non reproduit) – dont nous avons montré qu’elle ne coïncidait pas totalement avec les
indicateurs de pauvreté économiques élaborés 196 – donne des résultats similaires, montrant
par-là que l’expérience vécue de la pauvreté est sûrement au moins aussi importante à prendre
en compte dans une analyse relative au mal-être, que les données purement économiques.
Enfin, plusieurs difficultés sociales étaient repérées dans le tableau au moyen de divers
indicateurs. Leur étude montre, mais nous aurons l’occasion d’y revenir, que la dépression
concerne de manière accrue les personnes souffrant d’un sentiment d’isolement, ce dont
toutes les études épidémiologiques consultées témoignent (Berkman et Glass, 2000,
Tousignant, 1988). Les deux autres indicateurs choisis renvoient à des difficultés sociales et à
leur potentiel stigmatisant puisqu’il s’agit de l’assistance au travers de l’attribution de minima
sociaux pour le ménage et du handicap physique. Dans les deux cas, les personnes concernées
par ces attributs apparaissent nettement plus touchées, en proportion, par la dépression que les
personnes non concernées, ce qui encore une fois va dans le sens de la littérature et se
rapproche des conclusions de Goffman sur le stigmate et les usages sociaux du handicap que
nous avons déjà exposées (Goffman, 1975).
Notons pour finir un élément de première importance pour notre analyse : la fréquence
observée des symptômes de dépression n’apparaît pas liée de façon significative au quartier
même si certains d’entre eux apparaissent, en analyse univariée, beaucoup plus touchés que
d’autres (35,2% d’enquêtés montrant des symptômes dépressifs à Piat-Faucheur-Envierges
contre 23,4% à Mare Cascades).
196
Voir le chapitre « Ressources financières » du rapport de l’enquête sur la santé et le recours aux soins dans les
quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris.
178
Synthèse sur quelques déterminants de l’image de soi et du bien-être psychologique
Pour conclure de manière provisoire sur notre exploration des ressorts de l’image de
soi, un modèle statistique a été produit dans l’objectif de synthétiser la question des
déterminants du bien-être psychologique et de repérer parmi eux, ceux dont le pouvoir
« explicatif » semble le plus important et que nous serons ainsi amenés à considérer dans la
suite de nos analyses. L’analyse statistique multivariée donne les résultats suivants :
179
TABLEAU 22 : REGRESSION LOGISTIQUE SUR LA PROBABILITE DE PRESENTER DES
SYMPTOMES DE DEPRESSION (MINI D IAG)
180
Comme pour les modèles présentés au cours du chapitre 1, nous débuterons l’analyse
par un passage en revue des indicateurs de qualité des modèles obtenus. On remarque tout
d’abord que l’ajustement du modèle aux données progresse, avec une « chute » nette lorsque
l’on introduit quelques variables relatives à des difficultés personnelles, de santé en
particulier. La part de variance expliquée par les modèles est au départ très faible (de l’ordre
de 5%) lorsque l’on ne considère que les variables démographiques ; elle atteint finalement
20% dans le dernier modèle. Quoi-qu’il en soit, là encore, il convient de noter l’importante
part d’ombre laissée hors de l’analyse. Ceci n’a dans ce cas précis rien d’étonnant cependant,
étant donnée la complexité de l’objet que l’on tente de modéliser : la dépression, face à
laquelle les spécialistes eux-mêmes déclarent : « nous savons de mieux en mieux la traiter,
mais de moins en moins ce que nous traitons » (Ehrenberg, 2000).
181
d’Abdelmalek Sayad 197 sur la souffrance identitaire des immigrés – ou qu’il ait un effet de
« second plan » via sa liaison forte avec les difficultés économiques, le caractère « étranger »
doit être considéré comme un facteur renforçant la probabilité de présenter des troubles
dépressifs. La seconde interprétation plus directement issue des modèles 2 et 3 voudrait que
toutes choses égales par ailleurs, et notamment à difficultés sociales et économiques
identiques, les étrangers n’aient pas significativement plus de chance de présenter des
symptômes de dépression que les français. Nous laisserons le choix de l’interprétation aux
spécialistes de la question, dont l’exploration fine n’est en effet, pas l’objet de ce travail de
recherche.
Les difficultés dans la jeunesse, dont on a vu plus haut l’effet dépréciatif sur l’image
de soi, semblent ici aussi très liées aux troubles dépressifs, avec cependant une forte chute lors
de l’introduction des variables relatives à des problèmes personnels survenus à l’âge adulte (la
valeur du paramètre estimé est divisée par deux et il n’est plus significatif). Là encore deux
interprétations sont possibles. On peut ainsi considérer que l’effet des difficultés dans
l’enfance a pu être absorbé par d’autres, comme ceux liés à la précarité de l’emploi ou à
l’expérience des discriminations (l’analyse univariée indique que c’est parmi les personnes
ayant eu au moins un problème avant 18 ans que l’on trouve le plus d’emplois précaires et
d’expériences de la discrimination). Mais on peut aussi estimer, au vu du modèle 4, que à
difficultés lourdes identiques (santé notamment), l’expérience de problèmes dans l’enfance ne
renforce pas significativement la probabilité de présenter des symptômes de dépression.
Sans surprise, les personnes vivant dans un ménage pauvre au sens de l’INSEE, étant
privées d’emploi ou ne disposant que d’un emploi précaire, ont toutes choses égales par
ailleurs, une plus forte probabilité de témoigner d’une souffrance psychologique que
respectivement, les ménages non pauvres et les personnes en emploi stable ou inactives (qui
constituent la modalité de référence). Par rapport à l’inactivité, la précarité de l’emploi fait
plus que doubler cette probabilité (OR=2,19).
Au final, ce sont les variables relatives à la santé, les handicaps potentiellement
stigmatisants et l’expérience des discriminations qui semblent le mieux expliquer la
probabilité de présenter des symptômes de dépression. Leur introduction dans le modèle
augmente d’ailleurs considérablement la part de variance expliquée, indiquant que l’on touche
197
Sayad A., La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999
182
là à des facteurs clés. Etre limité dans son quotidien par un problème de santé, plutôt que ne
pas l’être multiplie par plus de 4 (OR=4,23) la probabilité toutes choses égales par ailleurs
(âge et maladie notamment), de souffrir de dépression. L’atteinte à l’intégrité physique de la
personne représentée par la maladie, a un effet similaire bien que de moindre ampleur, ce qui
est conforme avec ce que la littérature consultée sur la question met en avant. L’expérience
des discriminations renvoyant au stigmate goffmanien multiplie par près de 2 (OR=1,71) la
probabilité toutes choses égales par ailleurs, de présenter des symptômes dépressifs, par
rapport à celle modélisée pour des personnes n’ayant pas été dis criminées au cours de l’année
précédant l’enquête.
183
3. Images du quartier et images de soi
Après ces deux chapitres abordant successivement les thèmes de l’image du quartier et
de l’image de soi, no us en arrivons au cœur de notre analyse qui consiste à analyser le lien
entre l’image du quartier (positive ou négative) que se forgent les individus, et celle qu’ils
construisent d’eux- mêmes. Par là, nous tacherons d’apprécier le rôle joué par le territoire dans
les mécanismes de construction ou de déstabilisation de l’identité, ce qui nous permettra peut-
être d’amener notamment des éléments de réponse à la question : le territoire constitue-t- il
encore un vecteur identitaire d’importance ? Et si oui, pour qui ?
Le cadre d’analyse que nous avons mis en place repose sur une théorie de la bipartition
du lien au territoire en deux fonctions essentielles : la reconnaissance et la protection. Nous
avons indiqué que ces deux facettes du lien au territoire renvoyaient aux deux dimensions de
tout lien social que l’individu est amené à développer au cours de son processus de
socialisation. Par ailleurs, la théorie psychologique indique aussi que l’être humain, dans ses
dimensions aussi bien sociale que biologique, est soumis à deux besoins fondamentaux que
nous avons présentés comme étant le besoin de pouvoir et le besoin d’attachement – le
premier renvoyant justement à la dimension de la reconnaissance et l’autre à celle de la
protection.
Dans cette optique, toute rupture sociale affectant l’un ou l’autre des différents liens
sociaux a de fortes chances de se traduire par une fragilisation de l’une ou des deux
dimensions qui composent le lien atteint. Le licenciement économique par exemple affectera
diversement la dimension du lien relative à la protection et donc à la sécurité, si la personne
licenciée peut retrouver rapidement de quoi subvenir à ses besoins. Par contre, comme nous
l’indiquent les travaux portant sur l’expérience du chômage (Lazarsfeld et al., 1981, Hayes et
Nutman, 1983, Schnapper, 1994, Paugam, 2000a), la dimension liée à la reconnaissance et
donc à l’identité restera probablement plus durablement affectée, mê me avec un retour rapide
à l’emploi – l’image de soi ayant été souvent profondément atteinte. L’équilibre semblant être
184
une des conditions du bien-être aussi bien physique que psychologique et social, on peut
émettre l’hypothèse que face à la fragilisation d’un lien ou d’une des deux dimensions d’un
lien, l’individu fragilisé tende à compenser par d’autres liens le vide ou le manque ainsi créé.
Cette hypothèse est du reste étayée par de nombreux travaux touchant à des thèmes très
divers. Pour ne retenir que ceux qui nous concernent plus directement ici et ne citer qu’un
exemple, cette hypothèse apparaît bien illustrée par la stratégie d’évitement du stigmate
spatial consistant en un repli sur le foyer et la sphère privée, analysée par Anne Villechaise-
Dupont comme un moyen pour les habitants des cités disqualifiées de « préserver leur dignité
et être quelqu’un, protéger leur part de décision souveraine et restaurer dans l’amour des
proches une identité malmenée » (Villechaise-Dupont, 2000, p 197).
Cependant, à la suite des travaux de Serge Paugam notamment, qui mettent en avant les
phénomènes de cumul des difficultés et d’engrenage des ruptures (Paugam, 2000a, Paugam et
Clémençon, 2002), on peut aussi considérer que la fragilisation d’un lien a de fortes chances
de s’accompagner de la fragilisation d’autres liens. Dans leur étude auprès des populations
s’adressant aux services d’accueil, d’hébergement et d’insertion, ces deux derniers auteurs
notent ainsi : « on peut donc retenir que les ruptures sont fortement corrélées entre elles. Les
sphères de socialisation auxquelles ces différentes ruptures renvoient sont interdépendantes.
Il existe un risque élevé de reproduction à l’âge adulte des difficultés dans l’enfance ainsi
qu’un risque élevé d’engrenage et d’enchaînements des difficultés au cours des trajectoires
individuelles, ce qui explique le processus de disqualification sociale » (Paugam et
Clémençon, 2002, p. 81)
Ces deux hypothèses ou possibilités, l’une renvoyant en quelque sorte à ce que certains
nomment la «résilience » (Cyrulnik, 2000, Tousignant, 2004) et l’autre à un processus de
disqualification sociale progressive, peuvent être appréhendées, dans une certaine mesure et
avec une grande prudence dans l’interprétation, par le biais de l’image du quartier que se
forge chacun de ses habitants. En effet, l’indicateur d’attachement au quartier que nous avons
conçu et utilisé au cours des chapitres précédents, se compose de trois variables dont deux ont
été reliées à l’image du quartier 198 : le sentiment d’insécurité et la réputation. Ces deux images
du quartier ne sont pas sans lien avec les deux dimensions que nous reconnaissons au
territoire, puisque la première renvoie assez directement à la fonction protectrice du territoire
198
considérée rappelons le, comme une représentation issue de la synthèse entre une appréhension personnelle et
intime du quartier (un « quartier-pour-soi ») et une image dépendante du regard extérieur (un « quartier-pour-
autrui »).
185
(ou plutôt dans le cas précis au défaut de fonction protectrice) et la seconde à sa fonction
identitaire (reconnaissance).
Pour tester cette intuition, le travail d’analyse a consisté à repérer, parmi les quelques
200 questions du questionnaire, les items se rapportant de près ou de loin à des ruptures
sociales ou à des événements susceptibles d’avoir atteint l’individu sur le plan de la sécurité
dans un premier temps et sur le plan identitaire dans un second. Nous avons ensuite procédé à
un croisement de toutes ces variables appartenant à tous les thèmes traités par le
questionnaire, avec les deux variables renseignant sur la réputation du quartier et sur le
sentiment d’insécurité. Bien qu’il s’agisse d’une analyse univariée qui ne contrôle donc pas
d’autres variables que celles qu’elle considère deux à deux, le résultat obtenu nous semble
assez parlant et significatif, du fait notamment de l’abondance d’observations allant dans le
même sens. Pour ne pas surcharger la présentation, nous ne retiendrons que quelques résultats
parmi les plus pertinents.
186
TABLEAU 23 : EVENEMENTS FRAGILISANTS SUR LE PLAN IDENTITAIRE ET AVIS SUR LA
REPUTATION DU QUARTIER (EN %). ANALYSE UNIVARIEE.
Répartition
Réputation du quartier globale dans
l’échantillon
Bonne Mauvaise
Emploi
Perpectives de carrière (p<0,01) (Voir note 1)
Très satisfait 55,3 44,7 7,6
Plutôt satisfait 59,6 40,4 43,6
Plutôt pas satisfait 41,5 58,5 26,9
Pas du tout satisfait 41,9 58,1 22,0
Santé
Etat de santé psychologique et émotionnel
(p<0,01)
Bon ou très bon 52,5 47,5 74,7
Moyen 46,6 53,4 19,8
Mauvais ou très mauvais 30,6 69,4 5,6
Couple et famille
Sans interprétation sur la causalité des phénomènes, les résultats sélectionnés dans ce
tableau semblent plutôt aller vers une hypothèse de cumul des appréciations négatives
(images de soi dans différentes sphères + image des lieux), plutôt que vers une hypothèse de
187
« résilience » qui pourrait interpréter une appréciation positive du territoire comme une
« réponse » à la dégradation de l’image de soi. Ceci semble, en première analyse, pouvoir être
appliqué à la question de l’identité (reconnaissance), puisque les différents évènements
repérés renvoient de manière assez claire nous semble-t- il, à différentes atteintes à l’identité
des personnes. C’est le cas de l’absence de perspective de carrière dans l’emploi, des
évènements graves survenus dans la vie de couple (parmi lesquels se trouvait notamment
l’item « comportements violents de votre conjoint à votre égard »), d’un sentiment d’inutilité
ou du sentiment d’être mal jugé par autrui, ainsi que de plusieurs types de discriminations
dont le racisme. Les individus victimes de ce type de rupture considèrent plus fréquemment
que les autres que leur quartier a mauvaise réputation et les différences sont statistiquement
significatives. Le fait (précisé par un renvoi en note dans le tableau) que la plupart des
variables considérées aient un lien statistique uniquement avec la variable de réputation du
quartier et non avec celle relative à la sécurité dans le quartier, renforce l’idée selon laquelle
l’analyse ne sur-interpréterait pas en considérant qu’elle croise des variables (réputation du
quartier et évènements personnels) qui ont en commun une dimension liée à l’identité et à la
reconnaissance.
Un exposé similaire peut être proposé pour la dimension protectrice des liens sociaux
et des liens au territoire.
188
TABLEAU 24 : EVENEMENTS CONDUISANT A UNE AUGMENTATION DE LA VULNERABILITE ET
SENTIMENT D’ INSECURITE DANS LE QUARTIER (EN %). ANALYSE UNIVARIEE.
Répartition
Sentiment d’insécurité dans le
globale dans
quartier
l’écha ntillon
Se sent en Ne se sent pas
sécurité en sécurité
Emploi
189
Les variables choisies nous semblent correspondre à des évènements ou des états
conduisant à une certaine incertitude concernant la situation actuelle ou l’avenir, à même de
fragiliser la personne qui y est soumise. C’est le cas par exemple des types d’emplois
précaires recensés, ainsi que des situations de non-emploi, d’un mauvais état de santé
physique général, de l’isolement relationnel, de plusieurs dimensions de l’image de soi se
rapportant au mal-être et enfin de l’expérience vécue de discriminations vis à vis de la
situation sociale ou financière. Les personnes qui vivent de telles situations fragilisantes sont
significativement plus nombreuses que les autres à ne pas se sentir en sécurité dans leur
quartier. L’insécurité ressentie du quartier semble donc ici faire écho à l’incertitude des
conditions de vie. Le fait que toutes les variables présentées soient significativement liées
uniquement avec la variable « insécurité » et non avec l’appréciation de la réputation du
quartier, autorise à penser qu’elles renvoient effectivement à une dimension proche de
l’incertitude ou l’insécurité.
Attachement au quartier
Fort Moyen Aucun
Cumul des discriminations (p<0,05)
Aucune 47,7 41,6 10,8
Au moins une 37,5 48,3 14,3
Symptômes de dépression (Minidiag) (p<0,01)
Non 46,6 43,4 10,0
Oui 37,6 45,3 17,1
NB : les pourcentages se lisent en ligne
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
190
Les personnes ayant subi au moins une discrimination au cours de l’année précédent
l’enquête sont sensiblement plus nombreuses que celles qui n’ont subi aucune discrimination
à pouvoir être considérées comme non-attachées à leur quartier (14,3% vs 10,8%), mais c’est
surtout au niveau du fort attachement que l’écart se creuse puisque la différence est alors de
plus de 10 points entre les personnes ayant subi au moins une discrimination et les autres. Il
faut bien noter que lorsque l’on considère les discriminations séparément, cette tendance ne
s’observe pas uniquement pour la «discrimination liée au lieu de résidence », mais que la
liaison statistique est aussi significative dans le cas du racisme et de la « discrimination liée
aux opinions et aux activités politiques et syndicales ». Les autres cas de discrimination
n’entraînent pas de différences statistiquement significatives vis à vis de l’attachement au
quartier, mais la tendance générale est respectée.
Les personnes manifestant des symptômes de dépression sont dans des ordres de
grandeur similaires, moins fortement attachées et plus souvent non-attachées que celles qui ne
subissent pas de tels troubles psychologiques.
Cette première analyse univariée semble valider l’hypothèse considérant que image de
soi et image du quartier sont intimement liées. L’obtention d’un résultat solide nécessite
cependant de pousser l’analyse un peu en avant.
L’un des objectifs de notre enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers
de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris était l’analyse des liens entre la
situation sociale considérée au sens large d’une part, et la santé et le bien-être d’autre part.
Pour ce faire, nous disposions d’un ensemble de matériaux et d’outils permettant, par le biais
de l’analyse statistique, de mettre à jour de telles corrélations. L’avis des enquêtés sur la
question n’était cependant pas éludé ; ainsi, un sous thème du questionnaire s’intéressait aux
rapprochements effectués par les enquêtés eux- mêmes entre leurs conditions de vie et leur
santé ou leur bien-être. Ces relations subjectivement ressenties ont été interrogées dans les
deux sens de la relation : l’impact ressenti des conditions de vie sur la santé et le bien-être, et
l’impact ressenti des évènements de santé et d’une potentielle souffrance psychologique sur
191
les conditions de vie. Nous allons aborder plus particulièrement le premier sens de la relation
en renvoyant le lecteur intéressé par le second, à la lecture du rapport de l’enquête 199 .
18,4% des enquêtés considèrent que les conditions de vie dans leur quartier influent
négativement sur leur bien-être
La première constatation est le nombre conséquent de personnes qui font un lien direct
entre leurs conditions de vie et leur santé ou leur bien-être 200 . En effet, près d’un enquêté sur
deux (48,6%) répond par l’affirmative à cette question, et cette proportion reste identique quel
que soit le sexe, la nationalité ou le quartier de résidence considéré. Les principaux problèmes
évoqués sont les problèmes économiques ou financiers (34,4%), les problèmes liés aux
conditions de travail (30,1%) et les conditions de logement (25,1%). Viennent ensuite le
sentiment d’isolement (23,0%), l’alimentation et les habitudes de vie (21,7%), les conditions
de vie dans le quartier (18,4%) et les conflits avec les personnes de l’entourage (17,6%).
La catégorie «autres raisons » a également été citée par 34,6% des enquêtés ayant répondu
que des éléments de leurs conditions de vie nuisaient à leur santé ou à leur moral (soit 16,8%
de la population totale) ; ceux-ci se sont alors exprimés librement. Le recodage de leurs
réponses fait apparaître trois grandes catégories : les problèmes liés à la vie citadine
(pollution, transports, stress…) pour 27,0% des « autres », les problèmes de santé (la sienne
ou celle de son entourage) représentent 22,1% des « autres », les difficultés liés au travail et –
surtout – à l’absence d’emploi sont citées par 18,5% des individus ayant répondu «autres
cas ».
Ainsi, si de façon générale les éléments des conditions de vie les plus cités pour leur
impact négatif sur la santé et le bien-être sont les conditions de travail (et de non-travail), les
conditions de vie dans le quartier sont cependant considérées par près d’un enquêté sur 5
comme néfastes à sa santé physique, psychologique ou à son moral. L’analyse globale indique
que l’âge est une variable très discriminante vis à vis de la déclaration d’un lien entre
conditions de vie et bien-être et vis à vis du type de condition de vie considérée comme
délétère. Ainsi, si les deux tranches d’âge extrêmes de notre distribution (moins de 25 ans et
plus de 60 ans) font état globalement moins souvent d’un tel lien que les autres tranches
199
Chapitre « Liens ressentis entre conditions de vie et santé », p. 124-127
200
La question était : « Selon vous, est-ce que certaines choses dans votre vie nuisent à votre santé physique,
psychologique et à votre moral ? ». Sept propositions étaient faites mais les enquêtés pouvaient préciser
librement d’autres éléments qui ont été par la suite recodés par grands thèmes.
192
d’âge, sur un plan « qualitatif », les plus jeunes déclarent plutôt des problèmes liés aux
habitudes de vie et aux conditions de travail (36,4% et 23,6%201 ) alors que les plus âgés (plus
de 60 ans) rapportent massivement (40,5% 202 ) le sentiment d’isolement comme un élément de
leur vie ayant un impact négatif sur leur santé ou leur moral. Deux domaines des conditions
de vie sont ressentis de plus en plus fréquemment en fonction que l’âge augmente, comme
ayant un effet néfaste sur la santé ou le moral : d’une part les conditions de vie dans le
quartier, que seuls 12,5% 203 des moins de 25 ans considèrent comme nuisant à leur santé
physique, psychologique ou à leur moral, alors que c’est le cas de 30,2% 204 des personnes
âgées de 60 ans et plus ; d’autre part l’isolement, cité par 15% des jeunes de moins de 25 ans,
mais par 41% des personnes de 60 ans et plus 205 .
Si la déclaration générale d’au moins un aspect des conditions de vie ayant un effet
néfaste sur la santé et le moral ne varie pas suivant les quartiers considérés, la perception que
les conditions de vie dans le quartier influent sur la santé physique ou mentale est quant à elle
très différente suivant les quartiers, comme l’indique le schéma présenté ci-dessous.
201
Parmi les personnes de moins de 25 ans ayant répondu que au moins une condition de vie nuisaient à leur
santé.
202
Parmi les personnes de moins de plus de 60 ans ayant répondu que au moins une condition de vie nuisaient à
leur santé.
203
Même précisions que précédemment.
204
Idem.
205
Idem
193
100 95
88
83 84
81 80
80 75 76
71
60
Non
Oui
40
29
25 24
19 20
20 17 16
12
5
0
Bas Belleville
Montreuil
Menilmontant
Piat Faucheur
Mare Cascades
Amandiers
Saint Blaise
Amandiers
Belleville -
Blaise - Porte
Porte de
de Montreuil
Global Saint
Envierges
Global
N= 433 (personnes ayant répondu qu’au moins une de leurs conditions de vie nuisait à leur santé ou à leur moral.
p<0,05
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
Les quartiers dont l’influence est jugée la plus néfaste correspondent à ceux que nous
avons décrits à partir des données du recensement comme ayant les plus forts taux de
logement insalubre (Bas Belleville) ou ayant un environnement rendu peu agréable par
l’urbanisme, la présence du périphérique, de nombreuses voies de circulation, etc. (Saint
Blaise et Porte de Montreuil). Ce sont aussi ceux qui ont la plus mauvaise réputation et pour
lesque ls les habitants témoignent de l’attachement le moins fort (cf. Chapitre 1). La
perception des conditions de vie est ainsi liée à l’appréciation globale du quartier puisque, en
ne considérant que le sous échantillon composé des 433 personnes ayant répondu qu’au moins
une de leurs conditions de vie nuisait à leur santé, on observe que cette considération d’un
effet néfaste du quartier est rapportée par 48,0% des personnes n’aimant pas habiter leur
quartier (vs 9,1% des personnes aimant habiter leur quartier (p<0,001)), 28,8% des personnes
considérant qu’il a mauvaise réputation (vs 5,7% des personnes considérant qu’il a bonne
194
réputation (p<0,001)), 50% des personnes ne s’y sentant pas en sécurité (vs 8,0% des
personnes s’y sentant en sécurité (p<0,001)) et globalement 63,0% des personnes non-
attachées (vs 5,2% des personnes fortement attachées et 16,9% des personnes moyennement
attachées (p<0,001)).
Cette considération que le quartier nuit à la santé physique ou mentale n’est par contre
pas rapportée de manière significativement différente par les personnes dépressives
comparativement aux personnes qui ne le sont pas – au sein du sous échantillon tout du
moins. Ceci est un résultat important qui rappelle ceux mis en avant par Sooman et McIntyre
(1995), montrant que les dépressifs n’ont pas l’apanage d’une moindre considération de leur
quartier. Cependant, dans l’échantillon complet, les personnes souffrant de symptômes de
dépression sont 70,9% à considérer qu’au moins une de leurs conditions de vie nuit à leur
santé (vs 30,5 des non dépressifs (p<0,001)) et 14,0% à considérer que les conditions de vie
dans leur quartier influent négativement sur leur santé ou leur moral (vs 7,0% des non
dépressifs (p<0,001)).
Pour synthétiser les multiples regards portés sur notre objet tout au long de cette partie
d’exposé des résultats, nous pouvons faire appel à l’outil de régression logistique déjà utilisé,
qui permet un tri profond des données faisant disparaître les « fausses » corrélations ou du
moins celles qui masquent ou témoignent d’un phénomène qui ne les implique qu’à un second
degré. C’est ainsi par exemple que plusieurs études récentes (Vallet et Caille, 1996, Cibois,
2002) ont pu contredire par ce biais une idée communément admise considérant que les
enfants d’immigrés réussiraient moins à l’école du fait de cette caractéristique même. Il
s’avère en fait, par le contrôle des variables de PCS et diplôme des parents, de taille des
familles, de nationalité, etc. que les enfants issus de l’immigration ne réussiraient pas moins
195
bien que les autres enfants, toutes les autres variables considérées étant tenues identiques,
voire même pour ces auteurs, ces enfants manifesteraient une meilleure « volonté scolaire »
que les jeunes français de structure familiale et sociale identique.
206
Sans autre contrôle, cela veut dire qu’on ne repère pas d’effet particulier du quartier sur l’existence de
symptômes de dépression.
196
d’« image des lieux », l’appréciation par l’enquêté de la réputation de son quartier. Les
modèles 1’, 2’, 3’ utilisent quant à eux l’indicateur d’attachement au quartier.
UC (voir Note 1)
moment de l’enquête
limitant
Handicap limitant 1,52*** 1,47***
Maladie grave déclarée
l’enquête
197
Classiquement, nous commencerons l’analyse par un rapide regard sur les indicateurs
rendant compte de la qualité des modèles. Leur interprétation est très proche de celle que nous
avons pu faire concernant le modèle présenté au chapitre 2 : l’ajustement des modèles aux
données et la part de variance expliquée s’améliorent de façon substantielle à l’introduction
des variables concernant des problèmes de santé ou des expériences de discrimination.
Nous ne nous appesantirons pas sur l’analyse des effets des difficultés économiques,
sociales et personnelles sur la probabilité de présenter des symptômes de dépression car le
constat est similaire à celui développé en fin de chapitre 2. Il tend ainsi à monter que toutes
les difficultés considérées ont, toutes choses égales par ailleurs, un effet aggravant sur
l’image de soi dont la perturbation est repérée par l’existence de symptômes de dépression.
Les difficultés personnelles liés à l’existence d’un handicap ou de maladie(s) grave(s) ont un
pouvoir explicatif fort, celles relatives à la discrimination également, même s’il n’est pas aussi
élevé.
Concernant les variables qui nous intéressent plus directement dans le cadre de ce
troisième chapitre, l’analyse proprement dite révèle que, quelle que soit la variable
d’appréciation de l’image du quartier retenue, une moindre qualité de cette appréciation
renforce significativeme nt la probabilité, toutes choses égales par ailleurs 207 , de présenter des
symptômes de dépression. La série des modèles 1 à 3 indique ainsi que considérer que son
quartier a mauvaise réputation multiplie, toutes choses égales par ailleurs, par une fois et
demie (OR=1,42), dans le cas du modèle le plus complet (modèle 3), la probabilité de souffrir
de tels troubles psychologiques par rapport une considération positive de la réputation du
quartier. La série des modèles 1’ à 3’, indique de façon similaire que le non attachement au
quartier double (OR=1,90), toutes choses égales par ailleurs et dans le modèle le plus
complet (modèle 3’), la probabilité de souffrir de dépression vis à vis d’une situation de fort
attachement au quartier.
En considérant cependant les résultats obtenus avec toute la prudence nécessaire, nous
pouvons donc affirmer à l’aune de ceux-ci, que l’image de soi (dont la qualité est mesurée par
la présence ou non de symptômes relatifs à une pathologie de l’identité) et l’image du quartier
(repérée en dernière instance par l’attachement que les individus montrent à son égard),
207
Avec notamment un contrôle du quartier de résidence visant à « annuler » l’effet propre du quartier sur
l’attachement à celui-ci ou en d’autres termes de s’affranchir de l’effet dû à l’appartenance à un quartier
particulier, sur la variable d’attachement.
198
apparaissent effectivement liées, y compris lorsque différentes ruptures sociales en viennent à
dégrader aussi l’image de soi. Le pouvoir « explicatif » d’une image du quartier négative vis à
vis des troubles dépressifs n’est certes pas aussi important que celui lié à certaines difficultés
et ruptures sociales, mais il ne peut pas être considéré comme nul, y compris lorsque les
autres difficultés sont prises en compte. Le travail de modélisation tend donc à confirmer la
première de nos hypothèses que nous avions formulée ainsi : « l’image des lieux interagit
avec l’identité pour soi et l’identité pour autrui et peut ainsi conduire à des problèmes
spécifiques de souffrance psychologique ». Avec toutes les précautions d’usage, on pourrait
donc affirmer qu’il est possible d’isoler un effet spécifique, imputable au rapport entretenu
par les individus avec leur territoire de résidence, sur leur santé mentale et leur bien-être. Pour
conforter ces résultats, il est possible de les rapprocher de ceux obtenus par Tulle-Winton en
1993, dans une étude déjà citée portant sur des quartiers disqualifiés de Glasgow. A partir
d’une méthodologie similaire à la nôtre, l’auteur montre ainsi que percevoir son voisinage
comme inhospitalier est significativement associé à un faible score sur une échelle de bien-
être (General Well-Being Index). Et ce résultat reste valable en analyse multivariée après
contrôle de différentes variables, dont celles relatives à la santé (poor health), aux difficultés
personnelles (private troubles et not working), à l’isolement (no friends et lone parent), ainsi
qu’à la dépendance envers les services sociaux (state benefits) (Tulle-Winton, 1997). Une fois
encore, dans le cas de notre étude comme dans le cas de la recherche citée à l’instant, on ne
peut, en l’absence de données longitudinales, que constater cet effet d’une image dépréciée
sur le mal-être et la dépression, et non pas parler de causalité, puisque appréhender le monde
de façon négative peut aussi être considéré comme une conséquence de la dépression
(Tousignant, 1988).
La question de savoir si une image des lieux dégradée agit de la même manière sur
l’image de soi quelque soit l’individu considéré correspond à l’une de nos hypothèses de
recherche. En effet, certains auteurs ont pu parler à propos du territoire et du quartier en
particulier, d’« ultime vecteur identitaire » pour les catégories sociales les plus disqualifiées
par ailleurs (emploi, famille, etc.) (Bidou-Zachariasen, 1997). Méthodologiquement, le travail
de vérification empirique de cette hypothèse dans un cadre d’analyse quantitative, consiste à
repérer les effets d’interactions entre différentes variables. Dans le cas précis de l’analyse en
cours, il s’agit de repérer l’effet des interactions attachement x caractéristiques des individus
199
ou celui des interactions réputation du quartier x caractéristiques des individus, sur la
probabilité de présenter des symptômes de dépression. Ceci constitue en fait un exercice
délicat, tant du point de vue de la manipulation des données que de celui de l’interprétation
des résultats obtenus. Nous avons tout de même tenté d’apporter une réponse à cette
hypothèse fondamentale, mais les conclusions auxquelles nous aboutissons ne sauraient en
rien disposer d’un caractère définitif.
Nous avons ainsi testé deux types d’interactions correspondant à l’hypothèse et faisant
intervenir des variables présentes dans les deux séries de modèles présentés quelques pages
plus haut : l’interaction réputation du quartier x nationalité et l’interaction réputation du
quartier x précarité de l’emploi
En se plaçant dans la configuration du modèle 3 présenté plus haut, et en observant
dans un premier temps l’interaction réputation du quartier x nationalité, on obtient le tableau
suivant :
200
Odds Ratio des étrangers dans le modèle n°3 sans interaction était de 1,59 (p<0,05). Ce
résultat tendrait à montrer que la réputation du quartier et en particulier une mauvaise
réputation, dans le cas des territoires sur lesquels portait notre analyse, a un effet beaucoup
plus négatif sur l’image de soi et le bien-être pour les étrangers que pour les français (de
même profil suivant les variables prises en compte dans notre modèle de régressio n).
Une autre interaction pouvait s’avérer pertinente pour la vérification empirique de nos
hypothèses : celle concernant le couple de variable réputation du quartier x précarité de
l’emploi. Partant des mêmes bases (le modèle de régression n° 3), le tableau des interactions
obtenues est la suivante.
Situation de référence
Inactifs Inactifs
Mauvaise Réputation Bonne réputation
Interaction
[CDI x Mauvaise réputation] 0,49*
[Emploi précaire x Mauvaise réputation] 0,45ns
[Chômage x Mauvaise réputation] 0,83*
[CDI x Bonne réputation] -0,19ns
[Emploi précaire x Bonne réputation] 0,23ns
[Chômage x Bonne réputation] -0,40ns
Configuration du modèle 3 (cf. plus haut)
Significativité des coefficients estimés : *** : p<0,001, ** : p<0,01, * : p<0,05, ns : non significatif
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris .
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
L’analyse indique que seules les interactions CDI x mauvaise réputation et chômeur x
mauvaise réputation sont significatives. Vis à vis de la référence (inactifs), ces interactions
peuvent s’interpréter en dis ant : à profil identique 208 , les personnes disposant d’un emploi
stable et considérant que leur quartier a une mauvaise réputation ont une probabilité
supérieure de présenter des troubles de dépression. Cette probabilité est cependant largement
inférieure à celle des chômeurs considérant que leur quartier a mauvaise réputation, pour qui,
toutes choses égales par ailleurs et par rapport à la même référence, le Odds Ratio vaut 2,30
(p<0,05). A titre de comparaison, dans le modèle n°3 sans interaction, le Odds Ratio des
chômeurs valait 1,90 (p<0,05). On ne peut par contre rien conclure concernant les personnes
208
sur les variables d’ajustement du modèle n°3, exceptées « réputation » et « précarité de l’emploi » dont les
effets simples n’ont pas été conservés dans le modèle avec interactions.
201
en emploi précaire, puisque les paramètres estimés ne sont pas significatifs. On pourra par
contre rappeler que près d’un précaire sur cinq (18,5%) dans notre échantillon déclare
travailler dans le domaine de la culture, ce qui renvoie dans bien des cas, à la situation
spécifique des intermittents du spectacle, à rapprocher plutôt des nouvelles couches
intellectuelles et supérieures particulièrement attachées au quartier (les « multiculturels »
(Simon, 1995b)) que des catégories sociales de faible statut.
Si l’on considère le cas spécifique des chômeurs comme le cas extrême de la rupture
du lien d’intégration209 , on peut donc conclure avec prudence, que le territoire et l’image de
celui-ci semblent constituer un enjeu plus crucial – ayant potentiellement des effets négatifs
plus importants – pour les personnes privées momentanément ou durablement du vecteur
identitaire que représente le travail, que pour les personnes qui n’en sont pas privées210 .
Ces deux analyses partielles semblent donc aller dans le sens de la confirmation de
l’hypothèse considérant le territoire comme un ultime vecteur identitaire pour les individus les
plus fragilisés. Une confirmation plus rigoureuse nécessiterait cependant la mise en place d’un
protocole d’analyse qui dépasserait le cadre de ce DEA. C’est en tous cas un champ de
recherche fécond qui n’a – à notre connaissance – encore jamais été traité de manière
approfondie.
209
Relatif à la sphère professionnelle (Paugam et Clémençon, 2002)
210
Ou pas dans les mêmes conditions, comme les inactifs (retraités, étudiants, au foyer, etc.)
202
d’exclusion sociale (Palomares et Simon, 2002, Musterd et al., 2002) ou souffrant sur le plan
psychologique (Tousignant, 1988, Berkman et Glass, 2000, Goldberg et al. 2002). A la suite
de ces travaux notamment, nous avions ainsi formulé une hypothèse concernant un potentiel
effet « ressource » du quartier et des réseaux sociaux qui peuvent s’y développer, sur le bien-
être et la santé mentale des habitants. Cette hypothèse reposait en particulier sur une
interrogation quant à la pertinence de l’échelle spatiale représentée par le quartier vis à vis du
développement de solidarités réelles ; interrogation polémique qui fait d’ailleurs
régulièrement l’objet de débats passionnés dans le champ de la sociologie urbaine (Genestier,
1999, Bacqué et Sintomer, 2002).
Nous avions aussi proposé, à la suite de nombreuses études principalement qualitatives
(Bidou- Zachariasen, 1997, Villechaise-Dupont, 2000, Musterd et al., 2002), de vérifier
l’hypothèse postulant que, au sein d’un même périmètre de la Politique de la Ville, tous les
quartiers et sous-quartiers ne disposeraient pas des mêmes ressources à offrir à leurs habitants.
Les chapitres précédents ont déjà apporté quelques éléments de réponses à ces deux
hypothèses, l’analyse qui arrive entend les préciser. L’exposé peut se décomposer suivant
trois moments relatifs à la déclinaison des hypothèses présentées à l’instant : l’image du
quartier comme ressource, l’effet du support social local et enfin, la différenciation spatiale
des ressources.
L’étude menée dans le cadre du programme URBEX, par Elise Palomares, Hakima
Rabhi et Patrick Simon (Palomares et al., 2001, Palomares et Simon, 2002) va servir
d’introduction à notre analyse de la dimension ressource de l’image des lieux. Le travail
portait, rappelons- le, sur deux territoires bien particuliers : le Bas Montreuil à Montreuil et la
cité des 4000 à La Courneuve, situés tous deux dans le département de la Seine Saint Denis,
en proche banlieue parisienne. En plus d’une localisation géographique, ces deux quartiers
partageaient 211 aussi les difficultés économiques et sociales propres à ce département
« devenu emblématique d’une certaine forme de crise urbaine et sociale » (Palomares et
Simon, 2002). Au sein de ces deux quartiers, les auteurs ont cherché à mettre en évidence les
ressources disponibles pour les habitants et en particulier pour les plus précarisés d’entre eux,
211
Nous utilisons l’imparfait car une partie de la cité des 4000, cible du plan de rénovation urbaine de Jean Louis
Borloo, a été dynamitée il y a quelques semaines.
203
en s’attachant aussi à pointer les différences éventuelles entre les deux quartiers sur ce plan.
Qu’il s’agisse des opportunités d’emploi, des solidarités informelles ou de la redistribution via
l’Etat Providence, les ressources se sont avérées faibles et peu différentes d’un quartier à
l’autre. C’est finalement le différentiel d’image qui s’est avéré déterminant. En effet, les deux
quartiers assez semblables par ailleurs, différaient fortement du point de vue de leur
réputation : particulièrement dégradée dans le cas de la cité de grands ensembles des 4000 et
relativement préservée dans le quartier de type centre ancien du Bas Montreuil. L’analyse des
entretiens qualitatifs 212 , a permis aux auteurs de conclure que cette image, offrant – lorsqu’elle
est positive – « un registre de réassurance des identités sociales des plus démunis »,
constituait précisément une « ressource stratégique à plusieurs niveaux de l’intégration
sociale », à l’intérieur des frontières socio-spatiales du quartier comme à l’extérieur
(Palomares et Simon, 2002).
Dans le cas de notre étude, si nous laissons de côté dans un premier temps la question
des images différentielles repérées d’un quartier à l’autre, la fonction ressource de l’image des
lieux peut être mise en évidence, de manière quantitative, en réinvestissant la série de modèles
de régression présentés à l’instant. Un changement d’optique par rapport aux résultats, via la
simple inversion de la modalité de référence de la variable « attachement », permet de
conclure que, toutes choses égales par ailleurs, considérer que son quartier a une bonne
réputation atténue la probabilité de présenter des troubles dépressifs par rapport à la situation
où le quartier est considéré comme ayant une mauvaise réputation. Dans le cas du modèle le
plus complet (modèle 3), le Odds Ratio vaut 0,71 (p<0,05), ce qui correspond à une division
par approximativement 1,4 de la probabilité de référence (devenue « mauvaise réputation »).
De la même manière, être très fortement attaché à son quartier a un effet significativement
amoindrissant sur la probabilité de présenter des troubles dépressifs, puisqu’elle la divise par
1,9 (OR=0,53, p<0,05), toutes choses égales par ailleurs, dans le cas du modèle le plus
complet (modèle 3’) et vis à vis de la probabilité de référence (à présent « non attachement »).
Ceci est évidemment obtenu après un contrôle du quartier qui « annule » l’effet spécifique de
tel ou tel quartier et indique que, pour deux personnes de profil social et économique
identique suivant les variables incluses dans le modèle et qui appartiennent de surcroît au
même quartier, celle qui se fait de son quartier une image positive ou qui est plus fortement
212
Il nous semble du reste difficile de pouvoir conclure à un effet « ressource », toutes choses égales par
ailleurs, à partir d’entretiens qualitatifs.
204
attachée à celui-ci, a une probabilité moindre de présenter des symptômes de dépression.
Conclure à une causalité n’est une fois encore, pas d’actualité.
Ces résultats, que l’on considérera toujours avec prudence, sont cependant confortés
par plusieurs études dont certaines ont déjà été citées, qui concluent aussi en un effet positif
sur le bien-être, du sentiment d’appartenance à un quartier. Il en est ainsi de l’étude de Biegel
et al. qui observent à partir d’une enquête croisée menée en parallèle à Baltimore et
Milkwaukee, en 1980 dans des quartiers « composés de minorités culturelles », que la santé
mentale des habitants (les plus âgés et les me mbres des minorités notamment), est
particulièrement corrélée avec le sentiment d’appartenance au quartier (Tousignant, 1988).
Effets du support social de proximité sur la relation entre images des lieux et images
de soi
L’effet du support social sur la santé en général et la santé mentale en particulier, est
considéré comme l’un des résultats les plus robustes qui soit en épidémiologie sociale
(Berkman et Glass, 2000). L’un des principaux effets de l’échange avec l’entourage réside
d’ailleurs, dans le sentiment d’identité et d’estime de soi reconnus comme des éléments
centraux dans l’acquisition et le maintien de la santé mentale (Tousignant, 1988). Sur ces
bases, un nombre conséquent d’études épidémiologiques, américaines notamment, ont montré
205
que le support social (et sa force en particulier) était associé aux symptômes de dépression213 ,
avec un sens qui n’est certes pas toujours celui attendu (voir les effets pervers du soutien
présentés lors de notre exposé de la littérature) mais malgré tout, et dans la plupart des cas,
allant vers une atténuation des symptômes de dépression. Cette hypothèse d’un effet
« tampon » du support social sur la souffrance psychologique, peut notamment être vérifiée
dans le cas de notre propre recherche, en incluant dans les modèles précédents, deux variables
concernant l’existence et la force d’un réseau social local : l’intensité des sociabilités de
proximité que l’on a présenté au cours du chapitre 1 et un indicateur de réseau local d’aide
privée potentielle, déclinaison locale de l’indicateur présenté dans ce même premier
chapitre214 . Pour faciliter la lecture et parce que l’introduction des variables relatives au
réseau social local ne modifie pas de façon substantielle les coefficients estimés avant
introduction, l’intégralité des modèles n’a pas été reproduite mais seulement les parties
concernant les variables d’« image des lieux » et celles qui se rapportent à ce que l’on peut
qualifier de « capital social de proximité ». Les modèles 3 et 3’ présentés sont rigoureusement
identiques (sur le plan des variables explicatives considérées) à ceux mis en place plus haut,
excepté l’inversion des modalités de référence des variables « réputation » et « attachement »,
qui se traduit par l’inversion du signe de leurs coefficients estimés. Les modèles 3a, 3b et 3’a,
3’b sont des déclinaisons de ces modèles initiaux avec ajouts successifs des variables relatives
au « capital social de proximité ».
213
Voir la liste conséquente de tels travaux que dressent Berkman et Glass (Berkman et Glass, 2000).
214
L’indicateur de réseau local de support potentiel concerne ainsi uniquement les supports disponibles
localement (amis habitant le quartier, famille habitant le quartier et voisins).
206
TABLEAU 29 : EFFETS PROPRES DU CAPITAL SOCIAL DE PROXIMITE SUR LES SYMPTOMES DE
DEPRESSION (REGRESSION LOGISTIQUE )
L’interprétation des modèles 3a, 3b et 3’a, 3’b indique que le capital social de
proximité représenté dans un premier cas (3a et 3’a) par un indicateur de sociabilité locale, et
dans un second (3b et 3b’) par le réseau local d’aide privée potentielle, a un effet
« atténuateur » supplémentaire qui réduit la probabilité, toutes choses égales par ailleurs, de
présenter des symptômes de dépression. Dans tous les modèles, l’une comme l’autre des
mesures du capital social de proximité indique une division de l’ordre de 1,6 en moyenne, de
la probabilité de présenter des troubles dépressifs. Le fait que l’on observe des résultats
similaires dans le cas de la sociabilité « réelle » et dans celui des solidarités « potentielles »,
nous permet de conclure avec une certaine assurance cette fois, que le risque de mauvaise
interprétation, due à la perception biaisée que peut avoir l’enquêté du soutien potentiellement
disponible dans son entourage (biais imputable aux troubles dépressifs et à propos duquel la
littérature met en garde (Tousignant, 1988, Berkman et Glass, 2000)), semble être évité.
207
L’introduction dans les modèle 3 et 3’ du type de soutien effectivement reçu215 au
cours de l’année précédant l’enquête (tableau non reproduit) indique assez logiquement que le
soutien moral et affectif est très significativement lié aux troubles dépressifs (ß=0,84 p<0,001
dans le modèle 3, ß=0,87 p<0,001 dans le modèle 3’). En l’absence de données
longitudinales, il n’est pas possible de mesurer l’effet du soutien effectif sur l’évolution des
symptômes dépressifs. Les chiffres obtenus indiquent simplement que les personnes souffrant
de symptômes dépressifs sont significativement plus soutenues que les autres sur le plan
moral ou affectif.
Du point de vue de l’origine de l’aide effective à présent, l’introduction dans les
modèles de l’origine du soutien216 (tableau non reproduit) indique, parmi les trois origines
ayant un effet significatif (amis, voisins et institutions), que les personnes ayant effectivement
reçu de l’aide de leurs voisins au cours de l’année précédant l’enquête, ont une probabilité
significativement plus élevée (ß=0,49 p<0,05 dans le modèle 3, ß=0,50 p<0,05 dans le modèle
3’), toutes choses égales par ailleurs, de présenter des symptômes de dépression. En
l’absence de données longitudinales là encore, ce résultat peut s’interpréter en disant que les
personnes dépressives semblent avoir été significativement plus aidées par leurs voisins dans
l’année qui a précédé l’enquête, que celles ne souffrant pas de cette pathologie. Un modèle de
régression simple introduisant l’aide effective par les voisins comme variable à expliquer et
les symptômes de dépression comme variable explicative (tableau non reproduit), confirme
cette interprétation (ß=0,53 p<0,01). Avec cette même double vérification statistique, l’aide
reçue par les amis semble aussi avoir été plus importante parmi les personnes dépressives
(ß=0,46 p<0,01), quand celle de la famille apparaît non significative dans les deux types de
modèle (complet 3 et 3’ et simple avec « dépression » comme variable explicative).
Le résultat obtenu en considérant l’appui des relations de voisinage, confirme
l’hypothèse de l’importance du capital social de proximité (et en particulier du voisinage)
dans le maintien d’une bonne image de soi.
Notons enfin que l’introduction du capital social de proximité dans le modèle, sous
l’une ou l’autre des formes considérées, n’infléchie pas (ou très peu) l’effet propre associé à
l’image des lieux qui reste un facteur explicatif important.
215
Trois types de soutien étaient renseignés : aide financière ou matérielle, aide dans la vie quotidienne, soutien
moral ou affectif.
216
4 origines possibles : famille, amis, voisins, institutions
208
Différenciation spatiale de la dimension « ressource » du quartier
L’étude de Palomares et al. citée quelques pages plus haut, ainsi que d’autres maintes
fois sollicitées tout au long de ce travail (Bidou-Zachariasen, 1997, Villechaise-Dupont, 2000)
ont mis en évidence la dotation différentielle des territoires les plus défavorisés en un certain
nombre de ressources, ainsi que leur capacité variable à constituer en eux- mêmes (via une
identité locale positive) une ressource pour leurs habitants. A la suite des travaux ayant porté
sur l’extrême hétérogénéité des territoires appartenant à la géographie prioritaire de la
Politique de la Ville (Tabard, 1993, Champion et Marpsat, 1996), nos analyses du cas précis
des quartie rs prioritaires du 20ième arrondissement de Paris semblent confirmer la grande
variabilité inter-quartiers sur le plan de la disqualification spatiale, sur le plan de l’effet
délétère de l’image des lieux et finalement sur le plan des fonctions ressources du quartier.
A l’échelle mico- locale à laquelle nous travaillons, l’analyse des effets d’une dotation
différentielle en équipements n’a pas véritablement de sens. En effet, la présence
d’équipements administratifs, de santé ou culturels ne se raisonne pas à l’échelle de ces sous-
quartiers, ni du point de vue des aménageurs, ni du point de vue des habitants/usagers
d’ailleurs. Il est avéré cependant – le rapport de l’enquête s’en fait d’ailleurs l’écho – que la
situation de Saint Blaise – Porte de Montreuil diffère de celle de Belleville – Amandiers sur
ce point. En effet, si la première compte formellement plus d’équipements publics (complexes
sportifs par exemple) que la seconde, leur adaptation aux besoins de la population n’est pas
toujours évidente217 , les auteurs du Diagnostic Social Urbain du quartier Saint Blaise allant
même jusqu’à considérer la localisation des équipements dans ce quartier comme « sans
cohérence et sans lisibilité », la plupart jouant certes « un rôle d’équipements de proximité »
mais « sans couvrir tous les besoins culturels, éducatifs et sociaux »218 .
Cela étant dit, les différences de ressources entre quartiers concerneraient plutôt
l’image du quartier et l’importance du développement des réseaux sociaux dans chacun d’eux.
217
Les grands complexes sportifs de la Porte de Montreuil sont par exemple uniquement accessibles aux
licenciés de clubs sportifs.
218
ACT Consultants, 2002, op cit.
209
habitants, les images de ceux-ci apparaissent plutôt préservées dans quelques quartiers comme
Mare Cascade ou Amandiers et particulièrement dégradée dans deux quartiers en particulier :
Bas Belleville et Saint Blaise, les 3 quartiers restant se situant dans une situation proche de
l’équilibre : approximativement 50% de leurs habitants les considérant comme ayant une
mauvaise réputation. L’analyse a par ailleurs montré que l’attachement au quartier renvoyait à
un classement similaire des quartiers, Bas Belleville et Saint Blaise étant les quartiers où
l’attachement pouvait être considéré comme le moins fort. La présentation initiale des
quartiers (cf. partie 2) conforte enfin cette répartition des réputations, puisque l’on a vu que au
sein des deux zones de l’enquête, les quartiers présentant le plus de difficultés structurelles,
économiques et sociales étaient justement Bas Belleville et Saint Blaise.
Situation de référence
Porte de Montreuil Porte de Montreuil
Mauvaise réputation Bonne Réputation
Interaction
[Bas Belleville x Mauvaise réputation] -0,03ns
[Piat Faucheur Envierges x Mauvaise réputation] 1,06***
[Ménilmontant x Mauvaise réputation] 0,66ns
[Mare Cascades x Mauvaise réputation] 0,92ns
[Amandiers x Mauvaise réputation] 0,30ns
[Saint Blaise x Mauvaise réputation] 0,37ns
[Bas Belleville x Bonne réputation] -0,25ns
[Piat Faucheur Envierges x Bonne réputation] 0,17ns
[Ménilmontant x Bonne réputation] -0,16ns
[Mare Cascades x Bonne réputation] -0,67ns
[Amandiers x Bonne réputation] -0,17ns
[Saint Blaise x Bonne réputation] -0,70ns
Configuration du modèle 3 (cf. plus haut)
Significativité des coefficients estimés : *** : p<0,001, ** : p<0,01, * : p<0,05, ns : non significatif
Champ : Individus de plus de 18 ans résidant dans le périmètre de la Politique de la Ville du 20ième
arrondissement de Paris.
Sources : Enquête INSERM-20ième arrdt. 2003
210
L’analyse indique que seule l’interaction Piat Faucheur Envierges x mauvaise
réputation est significative. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les quartiers de
Bas Belleville et de Saint Blaise ne sont pas les quartiers où considérer que son quartier a
mauvaise réputation conduit, toutes choses égales par ailleurs et par rapport à la référence
(Porte de Montreuil), à la plus forte augmentation de la probabilité de présenter des
symptômes de dépression. Considérer en tant qu’habitant de Piat Faucheur Envierges, que son
quartier a mauvaise réputation, multiplie par contre la probabilité de présenter des troubles
dépressifs par près de 3 (OR=2,89) par rapport à un habitant de même profil 219 , habitant Porte
de Montreuil. L’effet associé à l’interaction Bas Belleville x mauvaise réputation apparaît
quant à lui quasiment nul.
Ces résultats, surprenants au premier abord, peuvent en fait trouver deux types
d’explications rationnelles et satisfaisantes bien qu’hypothétiques.
219
sur les caractéristiques prises en compte par le modèle n°3, exceptées « réputation » et « quartier » dont les
effets simples n’ont pas été conservés dans le modèle avec interactions.
211
celles développées jusqu’à présent, impliquant l’interaction quartier x sociabilité locale,
conduit certes à des coefficients estimés non significatifs, mais laisse entrevoir qu’en
tendance, le coefficient associé à l’interaction Bas Belleville x sociabilité locale forte est celui
dont la valeur absolue est la plus élevée. La sociabilité locale dans le quartier du Bas
Belleville serait ainsi, toutes choses égales par ailleurs, la plus « efficace » de toute vis à vis
de la diminution de la probabilité de présenter des troubles dépressifs (ß=-0,44 p=0,41), quand
celle associée à l’interaction Piat Faucheur Envierges x forte sociabilité locale n’a par
exemple, qu’un coefficient estimé égal à -0,20 (p=0,72). Les coefficients ne sont pas
significatifs il est vrai. Cependant, l’analyse pourrait conclure en une plus grande efficacité
des réseaux sociaux dans le quartier de Bas Belleville pouvant amoindrir l’effet du stigmate
associé au quartier. Les apports « qualitatifs » issus du terrain rajoutent du poids à cette
hypothèse. En effet, l’équipe de développement local du quartier de la Politique de la Ville
Belleville – Amandiers considère que c’est dans le quartier du Bas Belleville (où les locaux de
cette structure sont d’ailleurs implantés), que l’on trouve le dynamisme et le maillage
associatif le plus important du quartier (« ethnique » notamment) (EDL Belleville –
Amandiers, 2001).
Pour ce qui concerne enfin le cas du quartier Piat Faucheur Envierges, la présentation
faite en début de document le décrivait, à partir des analyses de l’équipe d’acteurs locaux
précités et des données du recensement de 1999, comme un quartier « au fonctionnement dual
perdant de son attractivité en raison de problèmes d’insécurité ». Notre étude a par ailleurs
mis en évidence que c’est dans ce quartier que l’on compte, le plus fort pourcentage
d’individus estimant avoir été discriminés au cours de l’année précédant l’enquête, du fait de
leur lieu de résidence Sur la base de ce résultat et d’autres présentés tout au long des trois
chapitres écoulés (réputation, insécurité, etc.), mais aussi des constats d’observateurs attentifs
du quartier, nous pouvons ainsi mettre en évidence un mouvement pouvant laisser penser à un
processus de disqualification spatiale progressive. Dans ces conditions, une hypothèse restant
évidemment à vérifier par de plus amples investigations empiriques, pourrait consister à
considérer que la phase où se trouve rendu un quartier dans un processus de disqualification
spatiale est déterminante de l’effet délétère de son image. Cette hypothèse n’est pas pure
spéculation et renvoie aux analyses de Serge Paugam sur la disqualification sociale (Paugam,
2000a), tendant à montrer que c’est précisément la phase de fragilisation qui précède la
rupture, conduisant à la « constitution progressive d’une identité négative » qui s’accompagne
de la plus intense souffrance psychologique. C’est ainsi au cours de cette étape transitoire que
212
la déstabilisation identitaire est la plus forte, l’individu perdant ses repères anciens mais n’en
ayant pas encore acquis de nouveaux lui permettant de résister en renégociant son identité.
Toutes ces hypothèses dont certaines nous semblent assez inédites, resteraient bien sûr
à valider par d’autres analyses croisées pour lesquelles nous allons, après quelques éléments
de conclusion générale, donner quelques pistes.
213
Conclusions et ouvertures
Inscrite dans une double problématique d’étude des processus de cumul des inégalités
sociales et d’analyse des recompositions des formes identitaires dans un contexte de «crise
des identités » (Dubar, 2000), notre étude du lien entretenu par les individus et les groupes
sociaux avec le territoire 220 nous a amené à nous intéresser au cas- limite représenté par des
quartiers disqualifiés appartenant à la géographie prioritaire de la Politique de la Ville à Paris.
Du fait du marquage institutionnel qu’ils subissent et des représentations négatives qui
peuvent être véhiculées à leur encontre, ces quartiers peuvent exercer sur leurs habitants une
pression susceptible de rendre difficile toute identification positive au territoire de résidence.
Dans ce contexte, si le territoire agit encore comme un vecteur identitaire d’importance, le
conflit qui peut naître chez certains habitants entre une « identité pour autrui » dégradée et
une « identité pour soi » parfois fragilisée, peut conduire à une dégradation de la santé
mentale et du bien-être. L’appartenance à un territoire stigmatisé agirait alors comme une
véritable inégalité supplémentaire venant se sur-ajouter à celles déjà nombreuses qui frappent
habituellement les habitants des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville.
Pour cette étude du lien entre images des lieux et images de soi, nous avons ainsi
élaboré en préalable un cadre théorique considérant le territoire à l’aune de deux dimensions
habituellement reconnues aux liens sociaux : la reconnaissance et la protection. Dans ce cadre,
plusieurs hypothèses de travail, issues de l’abondante littérature sur la question, ont tracé les
contours d’une vérification empirique de l’objet de recherche.
Celle-ci a pu s’effectuer sur un mode original, à la faveur d’une collaboration
interdisciplinaire avec une équipe de recherche de l’INSERM. Notre participation à la mise en
place et à la réalisation d’une enquête quantitative auprès de 1000 personnes habitant les
quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris, nous a permis de
collecter un matériau quantitatif d’une grande richesse permettant la mise à l’épreuve de la
problématique.
220
entendu à la fois comme espace produit (par l’histoire, les pratiques sociales, l’intervention publique, etc.) et
producteur (de liens sociaux, d’histoire, d’identités, etc.), ainsi que comme espace « approprié » (Brunet, 1990)
214
L’analyse nous a amenés dans un premier temps à nous intéresser à la formation et aux
déterminants de l’« image des lieux », que développe chaque enquêté à propos de son
quartier. L’étude des rapports pratiques et symboliques entretenus par les habitants des
quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris avec leur territoire de
résidence est ainsi riche en enseignements qui pour certains, confirment les résultats obtenus
par différents auteurs et pour d’autres amènent des conclusions originales. L’une des
particularités des quartiers enquêtés réside en effet dans la situation paradoxale qui voit près
d’un habitant sur deux considérer que son quartier a mauvaise réputation quand huit sur dix
déclarent tout de même aimer y habiter. Cette tension entre une image attribuée et un rapport
affectif avec le territoire nous a amenés à élaborer un indicateur d’attachement, compromis
entre un rapport personnel (images et liens affectifs) avec le quartier et les images le
concernant, construites à la fois dans et hors de son périmètre. Dans cette perspective y
compris, l’attachement que manifestent les habitants des quartiers de la Politique de la Ville
du 20ième arrondissement de Paris envers ceux-ci reste fort, même si l’analyse fait déjà
apparaître la situation très contrastée des différents territoires du périmètre. L’attachement au
quartier est spatialement mais aussi socialement différencié et c’est autour de ces deux axes
de clivage que l’analyse produit les résultats les plus intéressants. On remarque en effet que
l’attachement n’est pas relié de façon strictement linéaire aux qualités intrinsèques du
quartier, même si celles-ci n’ont pas un effet nul : les quartiers envers lesquels est témoigné
l’attachement le moins fort ne sont pas ceux qui connaissent par ailleurs les plus grosses
difficultés tant sur le plan social qu’urbanistique. L’attachement semble ainsi en partie lié à la
façon dont les habitants vivent leur quartier et notamment aux pratiques de sociabilité locale
auxquelles ils s’adonnent en son sein. Sur ce dernier plan, contre les tenants de la « fin des
quartiers » (Ascher, 1998), notre étude tend à montrer que la figure spatiale du quartier, au
moins dans notre cas précis, reste un espace pertinent pour le développement de tout ou partie
des sociabilités et dans une certaine mesure des solidarités. De ce fait, et puisqu’il est aussi
largement dépendant de l’appréciation portée sur d’autres dimensions comme la qualité du
logement, celle des services offerts localement ou encore celle de la vie sociale et politique
locale, l’attachement au quartier a pu être rattaché à une notion de bien-être social et
individuel plus général, auquel il participe.
Le résultat le plus stimulant parmi ceux que ce premier moment de l’analyse a fait
émerger, concerne plus spécifiquement le grand quartier de Belleville - Amandiers, qui
accueille depuis plusieurs années, au profit d’une certaine « fétichisation de la culture
populaire » (Simon, 1995b), un nombre croissant de représentants des catégories sociales
215
supérieures. En son sein en effet, l’analyse montre un certain parallélisme du point de vue des
comportements spatiaux aux deux extrémités du spectre social. Un fort attachement au
quartier combiné à une importante sociabilité de proximité concerne en effet aussi bien les
individus appartenant aux catégories de plus haut statut culturel et économique et celles que
l’on place habituellement au plus bas de l’échelle sociale. Si la localisation résidentielle et les
pratiques sociales de ces deux groupes sociaux semb lent conduire au développement de deux
« entre-soi » différenciés plutôt qu’à celui d’une mixité et d’une proximité qui réduirait la
distance sociale (Chamboredon et Lemaire, 1970), notre analyse met cependant en évidence à
partir de données quantitatives, ce que certains ont qualifié de véritable « collaboration
interclasse » (Simon, 1994), spécifique au quartier. Le « Mythe de Belleville » élaboré autour
de la double image du quartier populaire et du quartier d’intégration, est ainsi le fruit de cette
collaboration tacite entre deux groupes sociaux : l’un soucieux de conserver un certain « effet
paysage » qu’il est venu chercher en s’installant dans le quartier, l’autre bénéficiant, sans en
avoir la maîtrise, de cette image redorée de son statut social.
Le premier volet de l’étude conduit ainsi à la vérification partielle de certaines des
hypothèses autour desquelles nous avons construit notre objet. L’image des lieux apparaît
dépendre certes des qualités intrinsèques des quartiers et de leur réputation, mais aussi et
surtout peut-être, de l’usage fait du territoire par ses habitants. Cependant, l’analyse montre
qu’au sein d’un même périmètre «prioritaire », les différents quartiers souvent analysés de
manière atomisée, se distinguent fortement les uns des autres du point de vue de l’image et
partant, de la surface identitaire et des ressources qu’ils offrent potentiellement à leurs
habitants. Parmi ces derniers enfin, l’étude confirme à la suite de nombreux travaux de nature
sociologique ou épidémiologique, que l’échelon spatial du quartier constitue un « référent »
important pour les populations les plus fragilisées (ménages pauvres, personnes isolées,
personnes en emplois précaires et étrangers notamment).
216
pour autrui » (Laing, 1971), au plus proche des mécanismes psychosociaux qui en constituent
le fondement. L’étude des différentes dimensions de l’image de soi mesurées par le
questionnaire révèle que, sur chacune d’entre-elles, la dégradation de l’image de soi concerne
entre 6% et 30% des individus interrogés. Ce premier bilan de l’image qu’une population se
fait d’elle-même, mis en relation avec d’autres bilans effectués dans des contextes différents,
montre que l’image de soi développée par la plus grande partie des habitants des quartiers de
la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris est plus positive que celle qui
caractérisait par exemple, les habitants de cinq Zones Urbaines Sensibles d’Ile-de-France
interrogés sur la même base en 2001 (Parizot et al., 2001). L’image de soi, et en particulier
l’estime de soi, entendue comme « le sentiment plus ou moins favorable que chacun éprouve
à l’égard de ce qu’il est, ou plus exactement de ce qu’il pense être » (Bariaud et Bourcet,
1994), est évidemment dépendante d’un nombre important de facteurs que l’étude a tenté
d’appréhender. Au delà des résultats «classiques » concernant la différenciation de l’image
de soi suivant les variables démographiques (sexe notamment) et sociales (statut social et
économique, isolement, nationalité, etc.), le travail d’analyse met en évidence, à la suite
notamment des travaux de Serge Paugam et Mireille Clémençon portant sur le cumul des
inégalités et des ruptures sociales (Paugam et Clémençon, 2002), l’importance des difficultés
rencontrées dans l’enfance et à l’âge adulte, les premières annonçant fréquemment la
survenue des secondes. Parmi les difficultés à l’âge adulte, ce sont celles qui concernent les
relations sociales (au sein de la famille notamment) et celles qui ont trait au rapport au corps
(maladie, handicap) qui apparaissent les plus déterminantes de l’image de soi. Les difficultés
économiques par exemple, n’apparaissent comparativement ne correspondre qu’à des effets
modérés.
Du fait de l’importance accordée, tout au long de cette étude, aux conséquences de
l’imposition d’une image (des lieux ou de soi) par l’extérieur, notre travail s’est penché tout
particulièrement sur la question des discriminations. Celles-ci sont fréquentes dans les
quartiers enquêtés, en particulier celles qui relèvent du racisme. Leur lien avec l’image de soi
est indéniable, tous les types de discrimination ne touchant cependant pas les mêmes
dimensions de cette image, et ne le faisant pas non plus avec la même intensité.
Dans un dernier temps, l’analyse des symptômes de dépression (entendue comme
pathologie de l’identité (Ehrenberg, 2000)) mesurables au sein de notre population par
l’intermédiaire d’outils classiquement utilisés par l’épidémiologie (Mini Diag), révèle l’un des
résultats les plus alarmants de l’enquête portant sur la situation des habitants des quartiers de
la Politique de la Ville du 20ième arrondissement : près d’un enquêté sur trois présente des
217
troubles de dépression. Ce chiffre est deux fois supérieur à celui relevé en population générale
par le CREDES avec la même méthode en 1996-1997 (Le Pape et Lecomte, 1999).
L’exploration des facteurs les plus « explicatifs » des troubles dépressifs confirme les résultats
obtenus avec l’estime de soi et met en évidence que cette pathologie renvoyant à une situation
d’« insécurité identitaire » (Ehrenberg, 2000) concerne, toutes choses égales par ailleurs, plus
particulièrement les individus et les groupes sociaux fragilisés sur ce plan : étrangers et
français « issus de l’immigration », catégorie socioprofessionnelle des ouvriers, ménages
pauvres, chômeurs et personnes en emploi instable, personnes seules et personnes appartenant
à une famille monoparentale, etc.). Ces résultats renvoient assez nettement à ce que certains
ont nommé la « crise des identités » (Dubar, 2000), qui touche – notre étude le met en
évidence – toutes les sphères traditionnelles d’identification. Dans ce cadre, il était alors
intéressant de se pencher sur la question du rapport au territoire considéré lui aussi comme un
vecteur identitaire traditionnel et dont nous avons mis en évidence, au cours du premier
chapitre d’analyse, la dimension potentiellement stigmatisante.
218
quartier semble, selon cette perspective, faire écho à l’incertitude des conditions de vie
(emploi instable, chômage, mauvais état de santé, etc.).
L’utilisation de la modélisation statistique nous a offert ensuite un outil performant
pour la confrontation empirique de nos hypothèses de recherche. L’utilisation de modèles
contrôlant un grand nombre de variables parmi celles repérées au cours des chapitres
précédents 221 , a permis de mettre en évidence plusieurs résultats intéressants. Il apparaît ainsi
que, toutes choses égales par ailleurs, considérer que son quartier a mauvaise réputation ou
ne pas y être attaché a un effet significatif sur la probabilité de présenter des troubles
dépressifs ; et ce, y compris lorsque l’on contrôle une batterie importante de facteurs. Soumis
à diverses vérifications, ce premier résultat semble robuste ; il conduirait à établir un lien
entre l’image des lieux – en particulier lorsque celle-ci est dégradée – et l’image de soi.
En prenant toutefois certaines précautions sur lesquelles nous allons revenir, ce
résultat semblerait ainsi apporter une validation quantitative aux analyses d’Elias et Scotson
sur le sujet, dont nous voudrions ici citer in extenso, une conclusion importante : « L’exemple
du lotissement de Winston Parva montre, en miniature, à quel point le destin des individus,
via l’identification par d’autres et par eux-mêmes, peut dépendre, même dans les sociétés
contemporaines, de la nature et de la situation d’un de leurs groupes. Du seul fait qu’ils
vivaient dans un quartier spécifique, les individus étaient jugés et traités – et dans une
certaine mesure se jugeaient eux -mêmes – conformément à l’image que d’autres avaient de
leur quartier » (Elias et Scotson, 1997, p. 182)
Si notre étude met effectivement en évidence l’existence d’un lien entre l’image des
lieux développée par les individus et l’image qu’ils se font d’eux- mêmes, elle ne met pas pour
autant en évidence une relation de cause à effet entre ces deux éléments. L’imputation causale
est en effet l’un des grands défis de la sociologie qui reste malgré tout, souvent hors de portée
du chercheur, à moins de disposer de données répondant à plusieurs exigences. En effet,
conclure en une causalité entre deux phénomènes représentés par deux variables X et Y
221
comme ayant un effet significatif sur l’attachement au quartier d’une part et la dégradation de l’image de soi
représentée par la dépression d’autre part
219
nécessite au minimum, sur un plan strictement statistique 222 , que les trois propositions
suivantes soient vérifiées 223 :
Si les conditions 1 et 3 sont a priori remplies dans le cadre de notre étude 224 , la
condition 2, se rapportant aux recommandations de Durkheim affirmant que « la cause
déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents »
(Durkheim, 1937) n’est quant à elle, pas vérifiée. Conclure en une causalité, toutes choses
égales par ailleurs, entre la résidence dans un quartier disqualifié et la dégradation de l’image
de soi nécessiterait ainsi des données permettant de contrôler cette temporalité. Nous verrons
que des données de type longitudinal judicieusement collectées, pourraient permettre
d’avancer sur cette question.
Ceci étant dit, notre résultat n’a rien d’aberrant puisqu’il est conforté par un nombre
conséquent de travaux, sociologiques pour quelques-uns 225 , mais plus fréquemment
épidémiologiques, qui concluent eux-aussi en un lien plus ou moins direct entre l’imposition
d’un stigmate spatial et la dégradation de l’estime de soi (Sooman et Macintyre, 1995, Tulle
Winton, 1997, Popay et al., 2003, Castro et Lindbladh, 2004). Si l’appréciation négative de
son environnement physique et social peut être une résultante d’une situation de souffrance
psychologique représentée par la dépression notamment (Tousignant, 1988), nous avons aussi
montré que le lien entre une appréhension négative de l’image des lieux et une appréhension
négative de l’image de soi n’était pas exclusivement repéré chez les personnes souffrant de
symptômes de dépression. Qui plus est, les analyses de Goffman et d’Elias et Scotson sur
222
L’abstraction statistique peut aussi tendre, par le contrôle des variables, à créer un univers factice éloigné des
configurations réelles du monde social. C’est pourquoi le travail statistique ne peut faire l’impasse d’une réelle
réflexion sociologique visant à éviter les interrogations absurdes, analogues à celle du paradoxe de Simiand,
c’est à dire cherchant « comment vivrait un chameau si restant chameau il était transp orté dans les régions
polaires, et comment vivrait un renne, si restant renne, il était transporté au Sahara. »
223
Voir notamment Boudon et Bourricaud, 1994, op. cit. et Des Nétumières F., « Causalité statistique », in
Akoun A., Ansart P. (dir), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999, p.65-66
224
Cependant, malgré toutes les précautions prises dans l’analyse et les lectures faites en préalable sur le sujet,
nous ne saurions être à l’abri de l’omission d’une variable clé ayant un lien avec l’image de soi ou l’image des
lieux et susceptible d’influer sur la corrélation établie.
225
Qui ne s’embarrassent d’ailleurs pas toujours de commentaires sur la causalité réelle ou supposée des
corrélations mises en évidence.
220
l’imposition stigmatique et ses conséquences vis à vis de l’identité, nous incitent à une
relative sérénité. Leurs travaux indiquent ainsi que le stigmate spatial, lorsqu’il ne peut être
évité par la fuite, provoque un conflit entre « identité pour soi » et « identité pour autrui »,
dont la disharmonie peut conduire à la souffrance psychologique : c’est précisément ce que
nos analyses semblent conclure. Notre première hypothèse serait ainsi validée.
Plus précisément ensuite, nous cherchions aussi à repérer quels étaient les individus ou
les groupes sociaux les plus dépendants envers le territoire, susceptibles ainsi d’être
également les plus sensibles à la disqualification de leur lieu de résidence. Pour ce faire, nous
avons introduit plusieurs types d’interactions dans les modèles de régression élaborés
précédemment. Les résultats obtenus montrent que ce sont pour les personnes les plus
fragilisées sur le plan des vecteurs traditionnels d’identification et pour les « groupes »
sociaux de plus faible statut socioéconomique (ici chômeurs et étrangers) que le fait de
considérer que son territoire a mauvaise réputation a, toutes choses égales par ailleurs, l’effet
le plus aggravant sur la dépréciation de l’image de soi et en particulier sur la probabilité de
présenter des symptômes de dépression. Avec certaines précautions là encore, notre étude
tendrait à confirmer l’importance du territoire et du quartier en particulier, pour les catégories
sociales les plus précarisées, pour qui il semblerait jouer le rôle d’« ultime vecteur
identitaire » (Bidou-Zachariasen, 1997).
221
L’image du quartier n’est pas la seule ressource disponible localeme nt à même
d’influer positivement sur l’image de soi. Notre étude montre ainsi que le soutien social a un
effet positif sur la santé mentale, ce qui est un résultat aujourd’hui classique de
l’épidémiologie sociale 226 . Plus précisément, nos analyses indiquent que le soutien social de
proximité, que nous avons aussi appelé « capital social de proximité », joue un rôle important
dans le maintien d’une bonne image de soi. Le soutien social de voisinage notamment semble
avoir un effet très net quand celui imputable à la famille par exemple, est beaucoup moins
évident. Ce résultat invite à réinvestir de manière plus fine la question du capital social et
celle des solidarités de proximité pour lesquelles il semblerait qu’une analyse en terme de
fonction et de provenance du soutien soit pertinente.
Tous les quartiers du périmètre n’offrent cependant pas les mêmes ressources à leurs
habitants, ce qui tend à confirmer les travaux concluant à la grande diversité des situations
observables à l’intérieur et entre les périmètres prioritaires de la Politique de la Ville (Tabard,
1993, Marpsat et Champion, 1996). C’est sans doute autour de ce dernier élément que se situe
notre résultat le plus important sur les effets de l’image des lieux sur l’image de soi. En effet,
tout au long des trois chapitres d’analyse, plusieurs quartiers de notre périmètre d’étude sont
apparus comme cumulant à la fois les difficultés «objectives » (urbanisme, insalubrité des
logements, concentrations des problèmes sociaux, paupérisation de la population résidante,
etc.) et les difficultés « symboliques » représentées par la mauvaise réputation et un moindre
attachement des habitants. L’analyse finale renverse ce schéma lorsqu’il s’agit de considérer
plus précisément l’effet imputable à la réputation du quartier sur la déstabilisation identitaire
se traduisant par la dépression. Dans cette perspective, il apparaît que ce ne sont pas les
images des quartiers les plus en difficulté du périmètre 227 qui ont, toutes choses égales par
ailleurs, l’effet le plus délétère sur l’image de soi et le bien-être. Cette conclusion importante
confirme au passage le résultat tendant à montrer que l’image des lieux est en grande partie
liée à l’usage qu’en font leurs habitants ainsi qu’à la façon dont ils se positionnent par rapport
à eux. Elle n’a pas été retrouvée sous cette forme dans la littérature mais peut par contre être
utilement éclairée par des conclusions produites dans d’autres cadres, qui permettent de poser
les bases d’une construction théorique de la disqualification spatiale.
226
Pour une revue de la littérature sur la question voir : Tousignant, 1988, op. cit. et Berkman et Glass, 2000, op.
cit.
227
pour lesquels les déclarations de mauvaise réputation sont les plus nombreuses
222
Dans les quartiers les plus disqualifiés, l’analyse montre que l’effet de la mauvaise
réputation sur la probabilité de présenter des troubles dépressifs est quasi- nul ou de faible
valeur. Ce résultat peut renvoyer à plusieurs hypothèses explicatives. Il peut ainsi être
interprété dans un premier temps, à la lueur des mécanismes d’intériorisation du stigmate dont
parlent Goffman (1975) ou Elias et Scotson (1997). La résolution du conflit identitaire
provoqué par l’imposition stigmatique passerait, suivant cette hypothèse, par une acceptation
de l’identité attribuée et par une redéfinition consécutive de l’« identité pour soi ». L’analyse
mettant en avant la force des réseaux de sociabilité locale dans au moins un des quartiers les
plus disqua lifiés de notre périmètre, une autre explication envisageable serait la compensation
du stigmate par une sociabilité locale valorisante, renvoyant alors aux mécanismes de
retournement collectif du stigmate spatial (Gruel, 1985). Enfin 228 , dans une veine proche, ce
résultat concernant les quartiers les plus disqualifiés en apparence surprenant, peut être
rapproché des analyses de Serge Paugam sur les formes élémentaires de la pauvreté229 .
L’auteur distingue ainsi trois types de pauvreté suivant le contexte socié tal considéré : la
« pauvreté intégrée » (caractéristique de la situation des pays « en voie de développement »),
la « pauvreté marginale » (renvoyant à une pauvreté résiduelle dans un contexte de société
industrielle de plein emploi avec une protection sociale avancée) et la « pauvreté
disqualifiante » (telle qu’on la trouve dans les contextes sociétaux marqués par le chômage de
masse, la précarité des emplois et une certaine inadaptation de l’Etat providence). Dans un
contexte de « pauvreté intégrée », « celle-ci touche une part importante de la population
d’ailleurs peu distincte des autres couches de la population, les « pauvres » ne forment pas
une « underclass », au sens anglo-saxon, mais un groupe social étendu ; ils ne sont donc pas
non plus fortement stigmatisés. Leur niveau de vie est bas, mais ils restent fortement insérés
dans des réseaux sociaux organisés autour de la famille et du quartier » (Paugam, 2002, p.
4). Si on ne peut assurément pas parler de « pauvreté intégrée » dans le cas des quartiers
disqualifiés étudiés, puisque ceux-ci sont pleinement inscrits dans un contexte sociétal et
spatial plus général, les éléments relatifs à la fréquence des situations de précarité et à
l’inscription dans des réseaux sociaux peuvent être relevés. Ceci semble adapté en particulier
au cas du quartier du Bas Belleville, caractérisé par une forte implantation de communautés
ethniques, pour certaines bien structurées.
228
mais d’autres interprétations sont évidemment possibles
229
Paugam S., « Les formes contemporaines de la pauvreté et de l’exclusion. Le point de vue sociologique », in
Genèses, n°31, 1998, p. 160-182.
223
L’effet le plus fort d’une mauvaise image des lieux sur la dégradation de l’image de
soi est finalement mis en évidence, dans notre enquête, dans le cas de quartiers qui ne sont pas
les plus disqualifiés du périmètre. Par contre, ceux-ci apparaissent, à la lueur de nos analyses
et des conclusions du diagnostic de territoire mené par les professionnels de l’intervention
sociale du quartier 230 , inscrits dans un processus de disqualification sociale progressive
(paupérisation du parc social, aggravation des problèmes d’insécurité, chute des valeurs
immobilières, fuite des ménages du parc social qui le peuvent, etc.). Cette vision dynamique
de la disqualification spatiale peut être rapprochée des analyses de Serge Paugam sur le
processus de disqualification sociale (Paugam, 2000a). Dans ce processus de refoulement hors
du marché de l’emploi, qui peut conduire progressivement à l’installation dans l’assistance et
à l’intériorisation d’une identité négative, voire à la marginalisation complète, l’auteur
distingue trois phases : la fragilité, la dépendance et la rupture. La fragilité correspond à
l’épreuve douloureuse du déclassement social qui voit la perte du statut social antérieur et qui
se caractérise souvent par un sentiment d’angoisse vis à vis de l’avenir : la peur de tomber
plus bas. Cette phase correspond à l’apprentissage de la disqualification sociale ; c’est de
toutes, celles où l’identité est la plus incertaine et la plus menacée, les repères anciens ayant
disparu sans que de nouveaux aient encore pu être mis en place. Serge Paugam décrit ainsi les
« fragiles » rencontrés à La Cité du Point du Jour : « [Ils] ont le sentiment que l’échec qui les
accable est visible par tout le monde. [Ils] supposent que tous leurs comportements
quotidiens sont interprétés comme des signes d’infériorité de leur statut, voire d’un handicap
social […] A Saint Brieuc, les chômeurs de la Cité du Point du Jour avouaient qu’il leur
arrivait de rentrer chez eux par la cave pour ne pas avoir à supporter le regard des autres
dans la cour où à leur fenêtre ». (Paugam, 2000a, p. 6-8).
Appliqué à la dimension territoriale, cette phase de fragilité pourrait correspondre aux
premiers moments de la disqualification spatiale qui semble caractériser notamment le
quartier Piat-Faucheur-Envièrges dans la zone de Belleville - Amandiers.
Nous pourrions donc conclure cette analyse en posant l’hypothèse, restant évidemment
à confirmer par de plus amples vérifications empiriques, que la phase où se trouve rendu un
quartier dans un processus de disqualification spatiale est déterminante de l’effet délétère de
son image. La phase de fragilité caractérisée par la « constitution progressive d’une identité
négative » serait ainsi celle au cours de laquelle l’image des lieux aurait l’effet le plus fort sur
230
Cf. EDL Belleville – Amandiers, 2001, op. cit.
224
l’image de soi. Revisitant les causes du suicide, Maurice Halbwachs apporte par ailleurs des
éléments qui vont dans le sens de cette hypothèse. Ainsi, dans son analyse minutieuse des
effets de la conjoncture économique sur le taux de suicide, Halbwachs remarque que celui-ci
est à son maximum dans les phases de dépression qui suivent les périodes de forte prospérité
économique (Halbwachs, 1930). Il en tire la conclusion que les phases de changement
(individuel ou social) qui s’accompagnent généralement d’une perte, d’un affaiblissement –
ou pour le moins d’une évolution des repères – est propice à la souffrance psychologique et au
suicide. A difficultés sociales et personnelles identiques, résider dans un quartier en voie de
disqualification serait ainsi plus « nocif » pour l’image de soi que résider dans un quartier déjà
disqualifié.
231
Notons tout de même que de nombreuses questions du questionnaire utilisé par l’enquête INSERM-20ième
arrdt. présentaient un caractère longitudinal puisque divers évènements survenus dans le cours de la vie étaient
renseignés.
225
de l’image des lieux que de l’image de soi, en repérant le parcours résidentiel des individus ou
l’enchaînement temporel des difficultés survenues au cours de leur vie par exemple. Un bilan
rétrospectif de la santé mentale pourrait aussi permettre de mieux cerner les phases de
ruptures de l’image de soi et de les relier de manière plus assurée à divers évènements :
l’aménagement dans un quartier disqualifié par exemple.
Sur le plan de la méthode toujours, l’analyse pourrait être utilement enrichie par
l’usage de méthodes d’analyse statistique dites « multiniveaux » qui permettent de tenir
compte à la fois des données individuelles et des données de « contexte » et d’en estimer les
contributions respectives, et qui font entrer dans l’analyse la structure hiérarchique des
données 232 . Il serait alors possible de différencier les effets de composition des effets
proprement contextuels (facteurs proprement environnementaux, sociaux ou physiques) à
différents niveaux (immeuble, quartier, ville) et d’explorer ainsi des dimensions non
abordables par l’analyse multivariée classique, comme celles qu’agrège très probablement la
variable « quartier » que nous avons utilisée dans nos analyses. Même si leur usage s’avère
particulièrement complexe, ces outils ouvrent des perspectives de recherche extrêmement
riches comme en témoignent les travaux sociologiques portant sur la question de l’effet de
territoire (Marpsat et Laurent, 1997, Marpsat, 1999, Choffel, 2002). Dans cette optique,
l’obtention de données de comparaison hors des périmètres des quartiers disqualifiés serait
requise, ce qui permettrait – y compris par l’usage de méthodes d’analyse plus classiques – de
mieux mettre en évidence les spécificités des territoires et populations étudiés.
232
Pour un utile passage en revue de ces méthodes voir : Chaix B., Chauvin P., «L’apport des modèles
multiniveaux dans l’analyse contextuelle en épidémiologie sociale : une revue de la littérature », in Rev
Epidémiol Santé Publique, 2002, 50, p. 489-499
226
Enfin, dans une étude s’intéressant aux objets si « intimes » et subjectifs que sont
l’image des lieux et l’image de soi, une exploration complémentaire sous un mode qualitatif
semble incontournable afin, par un enrichissement mutuel entre les différents types de
matériaux et les différents types d’analyses, de pouvoir élaborer de nouveaux
questionnements et de nouvelles hypothèses de recherche et d’en vérifier par la double
analyse, la validité. Plus que jamais à l’issue de cette recherche, analyses quantitative et
qualitative apparaissent infiniment plus complémentaires que concurrentes.
227
Annexes
228
Annexe 1 : Les différents zonages de la Politique de la Ville dans le
20ième arrondissement de Paris et les périmètres de l'enquête
229
Annexe 2 : Répartition géographique de l’échantillon réalisé
comparé à l’échantillon maître tiré par l’Agence Parisienne
d’Urbanisme (APUR)
Pour la constitution de notre échantillon, l’Agence Parisienne d’Urbanisme nous avait fourni
une liste de 1000 adresses tirées au sort sur les deux quartiers, respectant la taille de chacun
des quartiers et plus finement, la taille des îlots composant chacun de ces quartiers et celles
des ensembles d’habitation. C’est pourquoi, plusieurs ménages pouvaient être tirés au sort à
une même adresse. Pour chacune des adresses fournies, l’équipe de recherche s’est rendue sur
le terrain pour procéder à un tirage au sort aléatoire de ménages, sur boites aux lettres, listes
de résidents ou porte palière, de manière fournir aux enquêteurs une liste de ménages la plus
proche possible du réel. Un certain nombre d’adresses fournies par l’APUR ont donc ainsi dû
être remplacées (immeubles en réparation ou démolis, adresse inexistantes…). Etant données
les contraintes liées à la réalisation de l’enquête (refus de la passation du questionnaire,
impossibilité à localiser le ménage tiré au sort, etc.) les enquêteurs ont dû procéder à des
remplacements de ménages selon une procédure convenue à l’avance. Les changements
d’adresse, de rue ou d’îlots devaient avoir un caractère plus exceptionnel.
L’échantillon finalement réalisé comprend 889 personnes contre 1000 initialement prévues,
les nombreux jours supplémentaires que s’est imposés l’Institut de Sondage n’a pas permis de
dépasser ce nombre (épuisement de la liste d’adresse et des possibilités de remplacement,
risque de sur-représentation de certains îlots, etc.). L’étude concerne un total de 90 îlots
(contre 91 initialement prévus), 66,8% des ménages enquêtés l’ont été à Belleville contre
67,5% initialement prévus.
Le tableau ci-dessous donne un aperçu de la fidélité de l’échantillon final vis à vis de
l’échantillon théorique :
TAUX DE RECOUVREMENT ECHANTILLON REALISE / ECHANTILLON THEORIQUE , AU NIVEAU
DES ILOTS
Cumul
Plus de 0% 97,6%
Plus de 50% 94,0%
Plus de 75% 85,6%
100 % et plus 43,4%
supérieur à 100 % 2,4%
N=90
Lecture : Dans 43,4% des îlots, le nombre de ménages enquêtés a été égal
ou supérieur à 100% de ce qui avait été proposé par l’échantillon théorique
230
Annexe 3: Déroulement de l’enquête de terrain
L’enquête s’est déroulée du 2 octobre au 15 novembre 2003. 889 personnes ont pu être
interrogées : 594 sur la zone de Belleville - Amandiers et 295 sur la zone de Saint-Blaise –
Porte de Montreuil. L’enquête de terrain a mobilisé une vingtaine d’enquêteurs et trois chefs
d’équipe. La passation des 889 questionnaires a nécessité le recours à des remplacements vis à
vis de l’échantillon maître dans 60% des cas. Le détail est consigné dans le tableau suivant :
Au total, 59% des ménages de l’échantillon initial n’ont pas pu être interrogés, et ont
été remplacés par d’autres ménages selon une règle d’échantillonnage complémentaire définie
à l’avance. Une part importante de ces remplacements est due au fait que les enquêteurs n’ont
pas pu pénétrer dans les immeubles échantillonnés, du fait de digicodes, d’interphone ou de
systèmes de sécurité par cartes magnétiques. D’autres remplacements d’adresses ont été
effectués après contact avec un ou plusieurs membres du ménage échantillonné. Ainsi, sur
l’ensemble des ménages contactés, 45,6% n’ont pas répondu à l’enquête. Différentes raisons
expliquent ce chiffre. Tout d’abord le refus d’un membre du ménage ou de celui de la
personne éligible. Le taux de refus correspond globalement à celui observé dans des enquêtes
de ce type, puisque 17 % des foyers contactés ont refusé de participer à l’enquête. Notons que
bon nombre de ces refus ont été annoncés par interphone – la personne du foyer répondant à
l’interphone refusant d’ouvrir la porte. Le taux de refus parmi les personnes désignées comme
éligibles n’est que de 2,6%. La deuxième raison des remplacements d’adresse, qui touche
8,6% des ménages contactés, est liée au fait que la personne éligible ou les personnes
présentes dans le foyer à chacun des passages de l’enquêteur ne parlaient pas suffisamment
bien le français. Ce chiffre est très probablement sur-estimé : il semble en effet qu’un certain
nombre de ménages aient utilisé l’argument linguistique pour éviter d’avoir à répondre à
l’enquêteur. Il semble en outre les personnes originaires d’Asie aient largement mis en avant
cet argument. Enfin, dans 4,6% des ménages contactés, la personne éligible était trop malade,
231
fatiguée ou âgée pour répondre au questionnaire. Les raisons du refus détaillées du refus sont
indiquées dans le tableau suivant
232
Annexe 4 : Comparaison de l’échantillon réalisé avec le données du
Recensement Général de la Population de 1999
233
COMPARAISON DE L’ECHANTILLON REALISE AVEC LES DONNEES DU RGP DE 1999
Saint Blaise -
Belleville – Saint Blaise -
Belleville - Porte de
Amandiers Porte de Ensemble
Amandiers Montreuil
RGP 99 Montreuil
RGP 99
Sexe
Nationalité
Catégorie socio-professionnelle
234
Annexe 5 : Rosenberg’s Self-Esteem Scale
235
Annexe 6 : Le MINI DIAG (Mini International Neuropsychiatric
Diagnostic) dans sa version abrégée et en français
QUESTION 1
Au cours des deux dernières semaines vous êtes-vous senti(e) triste,
OUI.. NON
cafardeux(se), déprimé(e), la plupart du temps au cours de la journée
et ce presque tous les jours ?
QUESTION 2
Au cours des deux dernières semaines, avez-vous presque tout le
OUI NON
temps le sentiment de n'avoir plus goût à rien, d'avoir perdu l'interêt ou
le plaisir pour les choses qui vous plaisaient habituellement
Si OUI au moins à une des deux questions , passer aux questions suivantes
236
Table des tableaux et figures
Tableaux
237
Tableau 23 : Evènements fragilisants sur le plan identitaire et avis sur la réputation du quartier (en
%). Analyse univariée. _______________________________________________________ 187
Tableau 24 : Evènements conduisant à une augmentation de la vulnérabilité et sentiment d’insécurité
dans le quartier (en %). Analyse univariée. ________________________________________ 189
Tableau 25 : Attachement au quartier et perturbations de l’image de soi (en%)______________ 190
Tableau 26 : Effets propres de l’image des lieux sur les symptômes de depression (Régression
Logistique) _______________________________________________________________ 197
Tableau 27 : Interactions réputation du quartier x nationalité dans le cas du modèle de régression n °3
________________________________________________________________________ 200
Tableau 28 : Interactions réputation du quartier x précarité de l’emploi dans le cas du modèle de
régression n°3 _____________________________________________________________ 201
Tableau 29 : Effets propres du capital social de proximité sur les symptômes de depression
(Régression Logistique) ______________________________________________________ 207
Tableau 30 : Interactions réputation du quartier x quartier dans le cas du modèle de régression n°3
________________________________________________________________________ 210
Taux de recouvrement Echantillon réalisé / Echantillon théorique, au niveau des îlots_________ 230
Raisons des remplacements d’adresse après contact avec le ménage______________________ 232
Comparaison de l’échantillon réalisé avec les données du RGP de 1999 ___________________ 234
238
Figures
Figure 1 : L’opposition Est-Ouest en Ile -de-France (communes de plus de 2000 habitants) ______ 18
Figure 2 : Quatre stratégies de gestion du stigmate spatial et leurs discours associés __________ 44
Figure 3 : Cadre normatif décrivant un quartier agréable (proper place) ___________________ 50
Figure 4 : Perception du territoire et dissonnace normative _____________________________ 51
Figure 5 : Risques individuels et collectifs associés aux différentes stratégies de gestion du stigmate
spatial. ___________________________________________________________________ 52
Figure 6 : Cadre théorique des déterminants sociaux et psychosociaux de la santé. ____________ 56
Figure 7 : Quartiers étudiés dans le cadre de l’enquête sur la santé et le recours aux soins dans les
quartiers de la Politique de la Ville du 20ième arrondissement de Paris, en 2003_______________ 74
Figure 8 : Les 5 quartiers de la zone Belleville – Amandiers_____________________________ 83
Figure 9 : Les 2 « quartiers » de la zone Saint Blaise – Porte de Montreuil __________________ 92
Figure 10 : Répartition des ménages suivant les seuils de revenu INSEE dans notre échantillon (en %)
________________________________________________________________________ 109
Figure 11 : Statut d’occupation du logement pour les ménages locataires ou propriétaires, par
quartier dans notre echantillon (en %) ___________________________________________ 111
Figure 12 : distribution des scores obtenus sur l’indicateur d’attachement au quartier (en%)____ 121
Figure 13 : Intensité de la sociabilité locale suivant les quartiers (en%) ___________________ 143
Figure 14 : Répartition des réputations des différents quartiers telles que perçues par leurs habitants
(en %)___________________________________________________________________ 152
Figure 15 : Discriminations au cours de l’année precedant l’enquête dans les quartiers de la Politique
de la Ville du 20 ième arrondissement de Paris (en %) _________________________________ 168
Figure 16 : Perceptions des conditions de vie dans le quartier comme néfastes pour la santé physique,
psychologique ou pour le moral suivant les quartiers (en%) ____________________________ 194
239
Bibliographie
Sociologie : ouvrages et chapitres d’ouvrages
Akoun A., Ansart P. (dir), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999
Ascher F., « La fin des quartiers ? », in Haumont N. (dir.), L’urbain dans tous ses états. Faire vivre, dire la ville,
Paris, L’Harmattan, coll. « Habitat et sociétés », 1998, p. 183-201
Augé M., Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Le Seuil, 1992, p 68-69
Authier J.-Y.(dir.), Bensoussan B., Grafmeyer Y., Lévy J.-P., Lévy-Vroelant C., Du domicile à la ville. Vivre en
quartier ancien. Paris, Economica/Anthropos, coll. Villes, 2001
Beauchard J., La bataille du territoire. Mutation spatiale et aménagement du territoire, Paris, L’Harmattan,
1999
Beaud et Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux- Montbéliard, Paris,
Fayard, 1999
Beck U., The brave new world of work, Polity Press, 2000
Blondiaux L., « Représenter, délibérer ou gouverner ? Les assises politiques fragiles de la démocratie
participative de quartier », in CRAPS-CURAP, La démocratie locale. Représentation, participation et espace
public, Paris, PUF, p. 307-405, cité par Neveu C., « Une « petite fabrique de territoire » : quartiers et citoyenneté
à Roubaix », in Ethnologie française, XXXIV, 1, 2004, p. 59-66
Bourdieu P., Chamboredon JC, Passeron JC, Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1973
Bourdieu P., La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de minuit, « Le sens commun », 1979
Bourdieu P., « Effets de lieu », in Bourdieu P. (dir), La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 159-167
Bourdieu P., « L’espace des points de vue», in Bourdieu P. (dir), La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p.
9-11
Bourdin A., « L’ancrage comme choix », in Hirschhorn M. Berthelot J.M. (eds), Mobilités et ancrages. Vers un
nouveau mode de spatialisation ? Paris, L’Harmattan, 1996, p. 37-56
Bungener M., Horellou-Lafarge et Louis M.V., Chômage et santé, Paris, Economica, 1982
Bungener M., Pierret J., « De l’influence du chômage sur l’état de santé ? », in Bouchayer F. (coord),
Trajectoires sociales et inégalités. Recherches sur les conditions de vie, Paris, Erès, Mire/INSEE, 1994, p. 43-62
Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995
Coing H., Rénovation urbaine et changement social, Paris, Les éditions ouvrières, 1966
240
Collectif, En marge des villes au cœur des cités : ces quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, Editions de
l’Aube, 1997
Damon J. La Politique de la Ville. Paris, La Documentation Française, Problèmes Politiques et Sociaux, mai
1997 n°784
Des Nétumières F., « Causalité statistique », in Akoun A., Ansart P. (dir), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le
Robert/Seuil, 1999, p.65-66
Donzelot J., Mével C. et Wyvekens A., Faire société. La politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Paris,
Le Seuil, 2003
Dubar C., La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Paris PUF, coll. Le Lien Social, 2000
Dubet F., « Comment nommer les classes populaires ? », in Collectif, En marge des villes au cœur des cités : ces
quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1997 p.39-66
Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, Quadrige, 2002 (1° ed. 1937)
Ehrenberg A., La fatigue d’être soi. Dépression et société. Paris, Odile Jacob poches, 2000 (1° ed. 1998)
Elias N., La société des individus, Paris, Fayard, 1991a (1° ed en allemand 1987)
Elias N., Qu’est-ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991b, (1°ed. en allemand 1970)
Elias N., Scotson J.L., Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, coll. Agora, 1997, (1° ed. Londres,1965)
Fitoussi J.-P., Laurent E., Maurice J., Ségrégation urbaine et intégration sociale, rapport du Conseil d’Analyse
Economique, Paris, La Documentation française, 2004
Frischt P., « Espace », in Akoun A., Ansart P. (dir), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/ Seuil, 1999,
p.193-194
Gans H. The Urban Villagers : Group and Class Life o f Italian-American, New York, The Free Press, 1962
Gobillon L. et Selod H., « Les déterminants spatiaux du chômage en Ile-de-France », Complément B à Fitoussi
J.P. et al., Ségrégation urbaine et intégration sociale, Paris, La Documentation française, 2004
Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne, t.1 : La présentation de soi, Editions de Minuit, « Le sens
commun », 1973, 254 p.
Goffman E. Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Minuit, coll. Le Sens commun, 1975, (1° ed. 1963)
Grafmeyer Y., Joseph I. (eds), L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier, 1990
Grafmeyer Y., Habiter Lyon. Milieux et quartiers du centre-ville, Lyon, CNRS-Presses Universitaires de Lyon,
1991
Grafmeyer Y., « Regards sociologiques sur la ségrégation », in Brun J., Rhein C. (eds), La Ségrégation dans la
ville, Paris, L’Harmattan, coll. Habitat et Sociétés, 1994a, p. 85-117
241
Grafmeyer Y., « La ségrégation spatiale », in Paugam S. (dir), L’exclusion : l’état des savoirs, Paris, La
Découverte, coll. textes à l’appui, 1996, p. 209-227
Grafmeyer Y., « Les sociabilités liées au logement », in Authier J.-Y.(dir.), Bensoussan B., Grafmeyer Y., Lévy
J.-P., Lévy-Vroelant C., Du domicile à la ville. Vivre en quartier ancien. Paris, Economica/Anthropos, coll.
Villes, 2001 p. 103-132
Halbwachs M., Classes sociales et morphologie, Paris, Minuit, coll. Le sens commun, 1972
Halbwachs M., Les causes du suicide. Paris, PUF, Le Lien Social, 2002 (1° ed. 1930)
Haumont N., Les pavillonnaires. Etude psychologique d’un mode d’habitat, Paris, L’Harmattan, 2001
Hayes, J. et Nutman, P., Comprendre les chômeurs, P. Merdaga, Bruxelles, 1983 (1° ed. 1981).
Khosrokhavar F. « A Argenteuil, une mémoire dépossédée par les médias, in Collectif, En marge des villes au
cœur des cités : ces quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1997 p.177-218
Lazarsfeld P., Jahoda M. Zeisel H., Les chômeurs de Marienthal, Les éditions de Minuit, coll. Documents, Paris,
1981
Le Bras H., Le sol et le sang, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, coll. monde en cours, 1994
Le Toqueux J.L, « Qualité du logement, sociabilité et image des quartiers de la politique de la ville », in Mattei
M.F., Pumain D., Données Urbaines, n°3, Paris, Anthropos, 2000
Le Toqueux J.L., « Lieux de résidence et sentiment d’insécurité », in Pumain D. et Mattei M.F, Données
Urbaines, n°4, Paris, Anthropos, 2003
Lepoutre D., Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob Poches, 2001 (1° ed 1997)
Lévy JP et Lévy-Vroelant C, « Habiter son logement : présences et usages » in Authier J.-Y.(dir.), Bensoussan
B., Grafmeyer Y., Lévy J.-P., Lévy-Vroelant C., Du domicile à la ville. Vivre en quartier ancien. Paris,
Economica/Anthropos, coll. Villes, 2001, p. 75-100
Paul-Lévy F., Ségaud M, Anthropologie de l’espace, Paris, Editions du Centre Pompidou, 1983
Maffessoli M., Notes sur la postmodernité. Le lieu fait lien, Paris, Editions du Félin, 2003
Marpsat M., Laurent R., « La question de l’ « effet quartier » », p. 323-348, in Collectif, Ces quartiers dont on
parle, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1997
Mauss, M., « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et
Anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 142-280
Musterd S., Murie A. (eds.), The spatial dimensions of URBan social EXclusion and integration, Final report,
Urbex series n°22, Amsterdam, June 2002
Oberti M., « Ville, quartier et cité », in Roman J. (dir), Ville, exclusion et citoyenneté, Entretiens de la ville II,
Paris, Esprit, Série Société, 1993
Oberti M., « La relégation urbaine, regards européens », in Paugam S. (dir), L’exclusion, l’état des savoirs, Paris,
La découverte / textes à l’appui, 1996, p. 237-247
242
Oberti M., « « Mixité » résidentielle et sociale à Paris », in Parizot I., Chauvin P., Firdion J-M., Paugam S., Les
mégapoles face au défi des nouvelles inégalités, Paris, Flammarion Médecine-Sciences, 2002. p. 87-94
Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, Les travaux 2001-2002, Paris, La Documentation
Française, 2002.
Palomares et al., « Spatial dimensions of urban social exclusion and integration. The case of Paris, France »,
Urbex n°18, Amsterdam, AME, 2000
Parizot I, Chauvin P, Firdion JM, Paugam S., Santé, Inégalités et Ruptures sociales dans les Zones Urbaines
Sensibles d’Ile-de-France, Rapport pour l’Observatoire de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, Inserm/Ined,
Octobre 2001
Parizot I., Chauvin P., Firdion J-M., Paugam S., Les mégapoles face au défi des nouvelles inégalités, Paris,
Flammarion Médecine-Sciences, 2002.
Parizot I, Chauvin P, Firdion JM, Paugam S. « Santé, inégalités et ruptures sociales dans les Zones Urbaines
sensibles d'Ile-de-France », in coll. Les travaux de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion
sociale 2003-2004. Paris, La Documentation Française, 2004, p. 367-412.
Parizot I., Pechoux S., Bazin F., Chauvin P., Enquête sur la santé et le recours aux soins dans les quartiers de la
Politique de la Ville du 20ème arrondissement de Paris. Rapport pour la mission ville de la préfecture de Paris,
Inserm U444, Avril 2004, 203 p.
Park R., (1926) « The urban community as a spatial pattern and a moral order », in Grafmeyer Y., Joseph I.
(eds), L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier, 1990
Paugam S., Charbonnel J.M., Zoyem J.P., Précarité et risque d’exclusion en France, Paris, La Documentation
française, Documents du CERC, n°109, 1993
Paugam S., Clémençon M., Détresse et Ruptures Sociales, Enquête auprès des populations s’adressant aux
services d’accueil, d’hébergement et d’insertion, Rapport pour le PUCA, Observatoire Sociologique du
Changement, Février 2002.
Paugam S., Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle. Paris, PUF, coll.
« Le lien social », 2000b
Paugam S., « Santé, Inégalités et Ruptures Sociales dans les grandes métropoles », in Parizot I., Chauvin P.,
Firdion J-M., Paugam S., Les mégapoles face au défi des nouvelles inégalités, Paris, Flammarion Médecine-
Sciences, 2002.
Pérec G., Espèces d’espace, Paris, Galilée, 2000 (1° ed. 1974)
Pétonnet C., On est tous dans le brouillard, Paris, Editions du CTHS, 2002 (1° ed 1979)
Pinçon M. et Pinçon-Charlot M., Dans les beaux quartiers, Paris, Le Seuil, 1989
Pinçon M., Pinçon-Charlot M., « La ville des sociologues », p. 53-61, in Paquot T., Lussault M., Body-Gendrot
S. (eds), La ville et l’urbain : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2000
Remy J. et Voyé L., La ville, vers une nouvelle définition, Paris, l’Harmattan, Collection « Ville et entreprises »,
1992
Remy J., « Mobilités et ancrages : vers une autre définition de la ville », in Hirschorn M. et al., Mobilités et
ancrages. Vers un nouveau mode de spatialisation ?, Paris/Montréal, L’Harmattan/Inc, 1996, p135-153
Sassen S., The global city. New York, London, Toky, Princeton, Princeton University Press, 1991,
243
Sayad A., La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999
Schelling T., La tyrannie des petites décisions, Paris, PUF, 1980 (New York, 1978)
Schwartz O., Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, « Pratiques théoriques »,
1991
Simmel G. « Métropoles et mentalité », (1903), in L’école de Chicago, Naissance de l’écologie urbaine, prés.
par Grafmeyer Y. et Joseph I., Paris, Aubier, 1990
Simmel G., Sociologie. Etudes sur les formes de socialisation, Paris, PUF, coll. Sociologies, 1999, 1° ed.
allemande 1908
Simon P., « La société partagée. Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation.
Belleville, Paris 20° », Thèse de doctorat en démographie et sciences sociales sous la dir. de Le Bras H., Paris,
EHESS, 1994
Tabard N., Martin-Houssart G., Représentation socio-économique du territoire. Typologie des quartiers et
communes selon la profession et l’activité économique de leurs habitants, n° F0208, série des documents de
travail de la Direction des statistiques démographiques et sociales, INSEE, Septembre 2002
Veltz P., Des lieux et des liens. Politiques du territoire à l’heure de la mondialisation, Editions de l’Aube, 2002
Vieillard-Baron, H., Banlieue, ghetto impossible, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 1996
Villechaise-Dupont A., Amère banlieue. Les gens des grands ensembles, Paris, Grasset / Le Monde, 2000
Whyte W.F., Street Corner Society: la structure sociale d’un quartier italo-américain, Paris, La Découverte,
2002 (Chicago, 1943)
Young M. Willmott P., Le village dans la ville, Paris, CCI, 1983 (Londres, 1957).
Sociologie : articles
Alphandery P., «Territoires en questions : pratiques des lieux, usages d’un mot », Ethnologie Française,
XXXIV, 2004, 1, p. 5-12
Althabe G., « Eléments pour une analyse interpersonnelle des espaces communs d’immeubles HLM »,
communication au colloque de Montpellier. Cf. « Actes du Colloque », Annales de la Recherche Urbaine,
février, 1978, cité par Gruel L., « Conjurer l’exclusion. Rhétorique et identité revendiquée dans des habitats
socialement disqualifiés », in Revue française de sociologie, n°26, 1985, p. 431-453
Authier J.-Y., « Habiter son quartier et vivre en ville : les rapports résidentiels des habitants des centres
anciens », Espaces et Sociétés, n°108-109, 2002, p. 89-109
Avenel C., « Les jeunes hommes et le territoire dans un quartier de grands ensembles », Lien Social et
Politiques, RIAC, 43, printemps 2000, p. 143-154
Avenel C., « Les territoires de la ville entre mixité et ségrégation », Informations Sociales, n°104, 2002, p. 60-69
244
Bacqué M.-H., Sintomer Y., « Affiliations et désaffiliations en banlieue. Réflexions à partir d’exemples de Saint
Denis et d’Aubervilliers », Revue Française de Sociologie, XXXXII, 2, 2001, p. 217-249
Bacqué M.-H., Sintomer Y., « Peut-on encore parler de quartiers populaires ? », Espaces et Sociétés, n°108-109,
2002, p. 29-45
Bidou-Zachariasen C., « Les rigidités de la ville fordiste, réflexions sur la genèse des dysfonctionnements dans
les banlieues françaises », in Espaces et Sociétés, n° 82-83, 1995, p. 159-165
Bidou-Zachariasen C., « La prise en compte de l’ « effet de territoire » dans l’analyse des quartiers urbains »,
Revue Française de Sociologie, XXXVIII, 1, 1997, p. 97-117
Bourdieu P., « Le capital social, notes provisoires », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol 31, 1980,
p. 2-3.
Chamboredon J.C., Lemaire M., « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur
peuplement », in Revue Française de Sociologie, XI, 1970, p. 3-33.
Chamboredon J.C., Mathy J.P., Mejean A., Weber F., « L’appartenance territoriale comme principe de
classement et d’identification », Sociologie du Sud Est, n°41-44, juin -juillet, 1984, p. 61-85
Champion J.-B., Marpsat M., « La diversité des quartiers prioritaires : un défi pour la politique de la ville »,
Economie et Statistique, n° 294-295, 1996, 4/5, p.47-65
Choffel P., Emploi et chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Quelques repères
statistiques, DIV, Mission Observation, Veille scientifique, Evaluation, 2002, 39 p.
Cibois P. "La bonne volonté scolaire. Expliquer la carrière scolaire d'élèves issus de l'immigration" in Philippe
Blanchard et Thomas Ribémont (Dir.), Méthodes et outils des sciences sociales. Innovation et renouvellement,
L'Harmattan, coll. "Cahiers politiques", 2002, p.111-126
Coleman, J., “Social capital in the creation of human capital”, in American journal of sociology, vol. 94, 1988,
cité par Fitoussi et al., Ségrégation urbaine et intégration sociale, Paris, La documentation française, 2004
Danserau F., Germain A., « Fin ou renaissance des quartiers ? Les significations des territoires de proximité dans
une ville pluriethnique », Espaces et Sociétés, n°108-109, 2002, p. 11-27
Estebe P., « Instruments et fondements de la géographie prioritaire de la politique de la ville (1982-1996), Revue
Française des Affaires Sociales, n°3, juillet-septemb re 2001, p. 2-13
Faure A., « Review of Brun J., Rhein C. (eds.), La ségrégation dans la ville, Paris, l’Harmattan, 1994 », H-
Urban, H-Net Reviews, Novembre, 1997
Genestier P., « Le sortilège du quartier : quand le lieu est censé faire lien. Cadre cognitif et catégorie d’action
politique », in Annales de la Recherche Urbaine, n°82, 1999, pp. 142-153
Gruel L., « Conjurer l’exclusion. Rhétorique et identité revendiquée dans des habitats socialement disqualifiés »,
in Revue française de sociologie, n°26, 1985, p. 431-453
Helluin J., « Entre quartiers et nations : quelle intégration des politiques territoriales de lutte contre les
ségrégation socio-spatiales en Europe ? », Espaces et Sociétés, n°104, 2001, p. 43-62
Héran F., « Comment les Français voisinent », in Economie et Statistique, n°195, 1987, p. 43-59
245
Hilal M., Sencébé Y., « Espaces et territoires périurbains: des logiques de déplacement aux logiques d’ancrage »,
Communication au colloque Travail et Territoires. Confrontation d’approches disciplinaires en économie,
histoire et sociologie, Maison des Sciences de l’Homme de Bourgogne, Dijon, 13 et 14 mars 2003
Marpsat M., « La modélisation des « effets de quartier » aux Etats Unis. Une revue des travaux récents », in
Population, n°54(2), 1999, pp. 303-330
Oberti M., « L’analyse localisée de la ségrégation urbaine. Ville, quartiers et cités dans une commune de la
banlieue parisienne. », Sociétés Contemporaines, n°22-23, 1995, p. 127-143
Palomares E., Simon P., « Les dimensions spatiales de l’exclusion sociale : l’expérience d’une enquête
européenne comparative », Communication au séminaire Comparaisons Européennes, INED, déc. 2002
Paugam S., « Les formes contemporaines de la pauvreté et de l’exclusion. Le point de vue sociologique. », in
Genèses, 1998, n°31, pp. 160-182
Pinçon M., Pinçon-Charlot M., « Espace social et espace urbain », Socius, juillet-novembre 1986, p. 55-67
Préteceille E., « Division sociale de l’espace et globalisation. Le cas de la métropole parisienne », Sociétés
Contemporaines, n°22-23, juin-sept 1995b, p. 33-67
Ramadier T., « Rapport au quartier, représentation de l’espace et mobilité quotidienne : le cas d’un quartier
périphérique de Québec-Ville », Espaces et Sociétés, n°108-109, 2002, p. 111-131
Roch M., « La spatialisation du social à l’épreuve de la mobilité : l’exemple de l’espace péri-urbain », Espaces et
Sociétés, n° 94-95, 1998, p. 135-151
Sélim M., « Rapports sociaux dans un quartier anciennement industriel. Un isolat social », L’Homme, XXII, 4,
1982, p. 77-86
Sencebé Y., « Etre ici, être d’ici. Formes d’appartenance dans le Diois (Drôme) », Ethnologie Française,
XXXIV, 2004, 1, p. 23-29
Simon P., « La politique de la ville contre la ségrégation ou l’idéal d’une ville sans divisions », in Les Annales de
la Recherche Urbaine, n°68-69, 1995a, pp. 26-33
Simon P., « La société partagée. Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation.
Belleville, Paris XXe. », in Cahiers internationaux de sociologie, vol. XCVIII, 1995b
Simon P., « Les représentations des relations interethniques dans un quartier cosmopolite », in Recherches
sociologiques, n°2, 1997
Tabard N., « Des quartiers pauvres aux banlieues aisées : une représentation sociale du territoire », Economie et
Statistiques, n° 270, 1993, p. 5-22
Vallet L. -A. et Caille J.-P., « Les élèves étrangers ou issus de l’immigration dans l’école et le collège français.
Une étude d’ensemble », in Les dossiers d’éducation et Formations, n°67, Ministère de l’éducation nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la recherche, Direction de l’évaluation et de la Prospective, 1996
Villechaise A., « La banlieue sans qualités. Absence d’identité collective dans les grands ensembles », Revue
Française de Sociologie, XXXVIII, 1997, p. 351-374
246
Wacquant L., «Banlieues françaises et ghetto noir américain : de l’amalgame à la comparaison », French
Politics & Society, vol.10, n°4, 1992, cité par Simon P., « La politique de la ville contre la ségrégation ou l’idéal
d’une ville sans divisions », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°68-69, 1995a, pp. 26-33
Argyle M., « Les compétences sociales », in Moscovici S.(dir), Psychologie sociale des relations à autrui, Paris,
Nathan Université, Fac. Psychologie, 2000, p. 87-118
Bandura A., Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle, Paris, De Boeck, 2002 (1° ed. 1997)
Berkman LF, Glass T, « Social integration, social networks, social support and health », in Berkman LF,
Kawachi I, Social Epidemiology, New York, Oxford University Press, 2000, pp. 137-173
Blascovitch J., Tomaka J., “Measures of Self-Esteem (Rosenberg’s Self-Esteem Scale, 1979)”, in Robinson J.P.,
Shaver P.R., Wrightsman (eds), Measures of Personality and Social Psychological Attitudes, Ann Arbor,
Institute for Social Research, 1993, p. 115-160
Bozzini L., Tessier R., « Support social et santé », in Dumont F. et Dufresne J. (eds), Traité d’anthropologie
médicale, Montréal, Presses de l’université du Québec, 1985, p.905-941, cités par Tousignant M., « Soutien
social et santé mentale : une revue de la littérature », in Sciences sociales et santé, vol. 6, n°1, 1988, p. 77-115
Brunet R. et al., Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Montpellier-Paris, Reclus, La Documentation
Française, 1992
Chauvin P., « Santé et inégalités sociales : de nouvelles approches épidémiologiques », in Parizot et al. Les
mégapoles face au défi des nouvelles inégalités, Paris, Flammarion, 2002, pp. 52-62
Fassin D., « Qualifier les inégalités », in Leclerc A., Fassin D., Grandjean H., Kaminski M., Lang T. (eds), Les
inégalités sociales de santé, Paris, La Découverte, 2000, p. 123-144
Frémont A., L’espace vécu, Actes du colloque de Rouen, Publications de l’université de Caen, Orléans, Paris 1,
Rouen et Vincennes, 1976, cité par Di Méo G., « De l’espace subjectif à l’espace objectif : l’itinéraire du
labyrinthe », in L’espace géographique, n°4, 1990-1991, pp. 359-373
Fröhlich W.D., Dictionnaire de la psychologie, Paris, Le Livre de poche, Encyclopédies d’aujourd’hui, 1997
Lin et al., Social support, life events, and depression, New York, Academic press,1986 cité par Berkman LF,
Glass T, « Social integration, social networks, social support and health », in Berkman LF, Kawachi I, Social
Epidemiology, New York, Oxford University Press, 2000, pp. 137-173
Orth-Gomér, K., et al. « Lack of social support and incidence of coronary heart disease in middle -aged Swedish
men », in Psychosom Med, 55, 1993 , p.37-43, cité par Berkman LF, Glass T, « Social integration, social
networks, social support and health », in Berkman LF, Kawachi I, Social Epidemiology, New York, Oxford
University Press, 2000, pp. 137-173
247
Rosenberg, M., Society and the adolescent self-image, Princeton, Princeton University Press, 1965
Salem G., (sous la dir.de), Atlas de la santé en France, vol.1, Paris, Editions John Libbey, 2000
Schwartzer R., Fuchs R., “Self-efficacy and health behaviors”, in Conner M., Norman P. (eds), Predicting health
behavior: research and practice with social cognition models, Buckingham, Open University Press, 1996, pp.
163-196
Tousignant M., « Ecologie sociale, résilience et santé », in Joubert M. (dir), Santé mentale, ville et violence,
Paris, Erès, coll. Questions vives sur la banlieue, 2004, pp. 21-34
Antonovsky A., “The Sense or Coherence as a Determinant of health”, in Matarazzo J.D. et al. Behavioral
Health, New York, John Wiley, 1987.
Bariaud, F., & Bourcet, C. « Le sentiment de la valeur de soi ». in L’Orientation scolaire et professionnelle, 23
(3), 1994, p. 271-290
Berkman L.F. et Syme S.L., « Social networks, host resistance and mortality : a nine year follow-up study of
Alameda county residents », American Journal of Epidemiology,1979, 109, p.186-204
Berkman, L.F., “Social networks, support and health : taking the next step forward”, in American Journal of
Epidemiology, 123, 1986, p.559-562
Berkman L.F., « The changing and heterogeneous nature of aging and longevity : a social and biomedical
perspective, in Annual Review of Gerontology and Geriatric, 8, 1988, p. 37-68
Biegel D., Naparstek A., Khan M., « Social support and mental health : an examination of interrelationship »,
Conférence présentée à la 88° réunion de l’American Psychological Association, Montréal, septembre, 1980,
cités par Tousignant M., « Soutien social et santé mentale : une revue de la littérature », in Sciences sociales et
santé, vol. 6, n°1, 1988, p. 77-115
Bowling A., Browne P.D., « Social networks, health, and emotional well-being among the oldest in London, J
Gerontol, 46, 1991, p. 20-32
Cassel, J. 1976. «The contribution of the social environment to host resistance ». American Journal of
Epidemiology. 104(2): 107-123.
Castro P.B., Lindbladh E., “Place, discourse and vulnerability—a qualitative study of young adults living in a
Swedish urban poverty zone”, Health & Place, n° 10, 2004, pp. 259– 272
Chaix B., Chauvin P., « L’apport des modèles multiniveaux dans l’analyse contextuelle en épidémiologie
sociale : une revue de la littérature », in Rev Epidémiol Santé Publique, 2002, 50, p. 489-499
Chapelle G., « « J’y arriverai » : le sentiment d’efficacité personnelle. Rencontre avec Albert Bandura », in
Sciences Humaines, n° 148, Avril 2004, pp. 42-45.
Cobb, S. 1976. « Social support as a moderator of life stress ». Psychosomatic Medicine. 38(5): 300-314.
Curtis S., et Rees Jones I., « Is there a place for geography in the analysis of health inequalities ? », in Sociology
of health and illness, n°20, 1998, p. 645-672
Di Méo G., « De l’espace subjectif à l’espace objectif : l’itinéraire du labyrinthe », in L’espace géographique,
n°4, 1990-1991, pp. 359-373
Elliott M., « The stress process in neighbourhood context », in Health and place, n°6, 2000, p. 287-299
248
Gatrell A.C., Popay J., Thomas C., “Mapping the determinants of health inequalities in social space: can
Bourdieu help us?”, in Health and Place, 10, 2004, p. 245-257
Gesler W.M., « Therapeutic landscapes : Medical issues in light of new cultural geography. in Social Science &
Medicine, 44(5), 1992, p. 657-671.
Goldberg et al., « Les déterminants sociaux de la santé : apports récents de l’épidémiologie sociale et des
sciences sociales de santé », in Sciences Sociales et Santé, vol. 20, n° 4, Décembre 2002, p. 75-128
Grembowski D., Patrick D., Diehr P., Durham M., Beresford S., Kay S., Hecht J., « Self efficacy and health
behavior among older adults », in J health Soc Behav, 34, 1993, p. 89-104
Jackson L.E., « The relationship of urban design to human health and condition », in Landscape and urban
planning, n°64, 2003, p. 191- 200
Kasl SV, Jones BA. “Social epidemiology: towards a better understanding of the field.” in Int J Epidemiol 2002,
n° 31, pp. 1094-1097
Loslier L ., « Contrôle, ambiocontrôle et santé », in Actualité et dossier en santé publique, n°19, 1997, p. 31-32
Lundberg O., Nyström-Peck M., “A simplified way of measuring sense of coherence”, in European Journal of
Public Health, n°5, 1995, p. 56-59
Piolle X., « Proximité géographique et lien social, de nouvelles formes de territorialité ? », in L’Espace
Géographique, n°4, 1991, pp. 349-358
Popay J. et al., « Theorising inequalities in health : the place of lay knowledge », in Sociology of health and
illness, 20 (5), 1998, p.619-644,
Popay J. et al., “A proper place to live : health inequalities, agency and the normative dimensions of space”,
Social Science & Medicine, n° 57, 2003, pp. 55-69
Sheehan D.V., Lecrubier Y., Sheehan K.H. et al., “The Mini-International Neuropsychiatric Interview (M.I.N.I.):
the development and validation of a structured diagnostic psychiatric interview for DSM-IV and ICD-10”, in
Journal of Clinical Psychiatry, n°59 (suppl 20), 1998, p. 22-33, quiz 34-57
Sooman A. et Macintyre S., « Health and perceptions of the local environment in socially contrasting
neighbourhoods in Glasgow. », in Health and Place, Vol. 1, n°1, pp. 15-26, 1995
Stafford M. et Marmot M., «Neighbourhood deprivation and health : does it affect us all equally ? », in
International journal of epidemiology, 32, 2003, p. 357-366,
Tousignant M., « Soutien social et santé mentale : une revue de la littérature », in Sciences sociales et santé, vol.
6, n°1, 1988, p. 77-115
Tulle -Winton E., « Happy in Castlemilk ? Deprivation and depression in an urban community », in Health and
place, vol.3, n°3, 1997, p. 161-170
ACT Consultants, Diagnostic Social Urbain du quartier Saint Blaise et des cités Félix Terrier, La Tour du Pin,
Les Fougères. Synthèse, orientations, Avril, 2002
Algava E, Beque M. « Le vécu des attitudes intolérantes ou discriminatoires : des moqueries aux comportements
racistes ». Etudes et Résultats Drees, n°290, février 2004.
Andrieux V, Herviant J. « Les Franciliens bien insérés dans leur quartier ». INSEE Ile-de-France à la page,
n°215, 2002, 4 p.
249
APUR, Analyse des données du recensement de 1999 appliquée aux quartiers de la « Politique de la Ville »,
APUR-Mairie de Paris, Décembre, 2001
APUR, Esquisse d’un portrait sociodémographique des parisiens. Eléments de diagnostic sociodémographique,
APUR-PLU, Janvier, 2002
Bigot JF, Goux G., Enquête sur l’emploi du premier trimestre 2003, Insee Première, n°909, Juillet 2003
CSA, Le regard des français et des habitants des quartiers prioritaires de la rénovation urbaine sur la vie des
quartiers et la politique de la ville, synthèse du sondage de l’institut CSA, Novembre 2003.
Fuertes C., Mise en place des Ateliers Santé Ville à Paris, Rapport d’étape, Mission Politique de la Ville de la
préfecture de Paris, Avril 2004
Guillemin O., Roux V., Comment se détermine le niveau de vie d’une personne ?, Insee Première, n°798, Juillet
2001.
Houseaux F., « La famille, pilier des identités », INSEE Première, n°937, décembre 2003
Le Pape A., Lecomte T., « Prévalence et prise en charge médicale de la dépression en 1996-1997 », Questions
d’économie de la santé, n°21, 1999, 6p
Martinez C. Une mesure de la pauvreté en Ile de France en 2000, Insee, Ile de France à la page, Octobre 2003
Pan Ké Shon J.L, « Isolement relationnel et mal-être », Insee Première, n°931, Novembre 2003
Rizk C., « Citadins, votre quartier est-il agréable à vivre ? », INSEE Première, n° 934, décembre 2003
250