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ABORD CLINIQUE

D’UNE MISSION
HUMANITAIRE
Springer
Paris
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New York
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Tokyo
BERNARD HÉBERT

ABORD CLINIQUE
D’UNE MISSION
HUMANITAIRE
Bernard Hébert
1, ruelle des Eaux sauvages
60440 Nanteuil-le-Haudouin

ISBN-13 : 978-2-287-99175-2 Springer Paris Berlin Heidelberg New York

© Springer-Verlag France, Paris 2010


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La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de dosage et des
modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les informations données par comparai-
son à la littérature existante.

Maquette de couverture : Nadia Ouddane


Photo de couverture : © Bernard Hébert
Collection Abord clinique, dirigée par Paul Zeitoun

La collection « Abord clinique » est composée d’ouvrages destinés aux profes-


sionnels de santé confirmés ou en formation, intéressés par le point de vue de
spécialistes ayant une grande expérience clinique et un goût affirmé pour l’en-
seignement.
On trouvera dans ces ouvrages la description des symptômes et de leur expres-
sion, des signes physiques et de leur interprétation, ainsi que des aspects rela-
tionnels avec le patient et son entourage.
Témoignant du vécu de l’auteur, ces ouvrages ont pour objectif la description
du plus grand nombre possible de paramètres utiles à la prise en charge de la
maladie ou des symptômes et au suivi du malade.

Dans la même collection


Ouvrages parus :
– Abord clinique en cancérologie
Bernard Hoerni, Pierre Soubeyran, février 2003
– Abord clinique en gastro-entérologie
Paul Zeitoun, François Lacaine, février 2003
– Abord clinique en gynécologie
Bernard Blanc, Ludovic Cravello, juin 2004
– Abord clinique des malades de l’alcool
Dominique Huas, Bernard Rueff, juin 2005
– Abord clinique des urgences traumatiques au cabinet du généraliste
Jean-Claude Pire, Carole Carolet, juin 2005
– Abord clinique en urologie
Ariane Cortesse, Alain Le Duc, septembre 2006 réimprimé en 2007
– Abord clinique du malade âgé
Robert Moulias, Sophie Moulias, décembre 2006
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

– Abord clinique en obstétrique


Florence Bretelle et Marianne Capelle, mars 2008
– Abord clinique des urgences au domicile du patient
Jean-François Bouet, mars 2008
– Abord clinique des affections du rachis par le chirurgien
Vincent Pointillart, septembre 2008
– Abord clinique de l’hypertension artérielle
Antoine Lemaire, mai 2009
À paraître :
– Abord clinique en neurologie
Jean-Claude Turpin

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SOMMAIRE

■ INTRODUCTION ............................................................................. 11
Six milliards d’hommes dans notre salle d’attente .......................... 12
L’éthique médicale ne souffre aucune exception .............................. 12
Travailler en harmonie avec les structures existantes .................... 12
Un maître mot, la précarité ................................................................... 13
Travailler dans la durée .......................................................................... 13
■ PREMIERS CONTACTS ................................................................. 15
Inventaire de la précarité ....................................................................... 15
Éloignement du poste de santé ............................................................. 17
Médicaments ............................................................................................. 17
Respecter les coutumes .......................................................................... 18
■ ABORD CLINIQUE .......................................................................... 21
Généralités ................................................................................................. 21
Examen clinique ....................................................................................... 22
Pathologies les plus fréquentes ............................................................ 23
■ LA CONSULTATION ....................................................................... 25
Affections spécifiquement féminines .................................................. 25
Consultations de l’enfant ....................................................................... 37
Fièvres ......................................................................................................... 54
Problèmes rhumatologiques .................................................................. 72
Pathologies gastro-intestinale et hépatique ....................................... 75
États de famine ......................................................................................... 83
Affections ophtalmologiques ................................................................ 86
Affections cutanées et lymphangites ................................................... 98
Hémopathies ............................................................................................. 110
Problèmes urinaires ................................................................................. 115
Problèmes cardiovasculaires .................................................................. 119
Manifestations psychiatriques et neurologiques .............................. 122

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ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

ANNEXES
■ ANNEXE I ............................................................................................ 131
Accouchement .......................................................................................... 131
Déroulement de l’accouchement : présentation céphalique .......... 134
Accouchement par le siège .................................................................... 137
Délivrance .................................................................................................. 138
Quand doit-on transférer une femme en urgence
à la maternité ? ....................................................................................... 140
Soins au nouveau-né ............................................................................... 141
Suites de couches et allaitement maternel ......................................... 141
Conclusion ................................................................................................. 143
■ ANNEXE II ........................................................................................... 145
Sida et hépatite B ..................................................................................... 145
■ ANNEXE III ......................................................................................... 153
Organisation d’une campagne de vaccination .................................. 153
■ ANNEXE IV ......................................................................................... 157
Les serpents ............................................................................................... 157
Attitudes thérapeutiques ........................................................................ 158
■ ANNEXE V ........................................................................................... 161
Les agents vecteurs et quelques problèmes non résolus ................ 161
■ ANNEXE VI ......................................................................................... 167
Banque de verres correcteurs ................................................................ 167
■ INDEX ................................................................................................... 169

8
REMERCIEMENTS

À Jacqueline et à nos quatre enfants qui m’ont laissé partir,


À mon père et mon arrière-grand-père qui m’ont fait aimer la médecine, à ma
petite-fille Marie,
À Bibi Marie, Wazir, Johny abd er Rahman, Étienne, Aïda, Meta, Khadi,
Josuah, Joël, Evelyne, Régis, Fabrice, Tashi Nima, le moine Gaïa et à tous ceux
qui m’ont accompagné et m’ont aidé à comprendre,
Au petit Africain, au petit Tibétain, aux Malgaches et aux pauvres Talibans qui
sont nés dans les années quatre-vingt et ont toujours vécu dans un pays en
guerre,
À toutes les petites bêtes qui grattent, qui piquent et qui font mal au ventre,
À toutes les femmes et les hommes de bonne volonté par qui la vie sur terre, qui
est si dure, est également si belle.
Je remercie particulièrement le docteur Françoise Muth, le docteur Gérard Hébert
et le professeur Paul Zeitoun qui m’ont aidé chacun dans leur spécialité.

9
INTRODUCTION

Médecine humanitaire. Le serment d’Hippocrate, prononcé voici deux mille


cinq cents ans, portait en germe les fondements de ce pléonasme et les origines
de la médecine humanitaire sont sans doute aussi anciennes que la médecine.
Les hommes n’ont pas attendu la découverte de l’anesthésie, du librium‚ ou de
la pénicilline pour tenter de soulager leurs maux. Pourtant, les progrès galo-
pants de la médecine occidentale depuis le XIXe siècle et la transformation des
moyens de la connaissance ont donné aux artisans de la santé une nouvelle
dimension éthique. Les premiers balbutiements de la notion de médecine
humanitaire remontent sans doute à la fin du XIXe siècle. La bataille de
Solferino, Henri Dunant et la Croix Rouge française, la Croix Rouge et le
Croissant Rouge international, l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
Médecins sans frontières (MSF) et de nombreuses associations et organisations
non gouvernementales (ONG) humanitaires, marquent les étapes fondatrices
d’un exercice atypique de la médecine qui fait voyager d’un bout du monde à
l’autre des médecins et des professionnels de santé au chevet de populations
dans la détresse ou tout simplement dans le dénuement.
Si cette jeune spécialité a déjà acquis ses lettres de noblesse, elle
attend encore sa consécration universitaire, elle n’est pas enseignée dans les
facultés et les médecins ou professionnels de santé qui s’y engagent se posent
à juste titre de multiples questions que cet ouvrage va tenter de cerner.

11
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Six milliards d’hommes


dans notre salle d’attente
Le champ d’action de la médecine humanitaire est infiniment vaste, couvrant
des situations multiples qui vont de l’assistance ponctuelle auprès d’une popu-
lation déshéritée jusqu’à l’intervention massive auprès d’une population fragi-
lisée par une catastrophe humanitaire comme une guerre civile, une famine,
une sécheresse, une épidémie ou une catastrophe naturelle.

L’éthique médicale
ne souffre aucune exception
Elle s’impose particulièrement dans les conditions extrêmes. Elle conditionne
l’honneur de notre métier, mais aussi l’adhésion des confrères locaux et la
confiance que nous accordent les patients au-devant de qui nous sommes allés.
Pourtant, elle réserve parfois quelques problèmes de conscience, par exemple
la nécessité du tri des malades en cas de catastrophe ou encore la priorité aux
soins et la résistance à des pressions extérieures qui n’ont rien à voir avec
l’exercice de la médecine. Chacun découvrira les subtilités de la négociation et
y introduira sa propre dose d’autorité et de diplomatie.

Travailler en harmonie
avec les structures existantes
La réussite d’une mission humanitaire repose sur une évaluation des besoins,
une analyse de la morbidité et un audit des structures en place. Il convient
d’identifier les référents médicaux et administratifs, de leur faire connaître
l’existence de la mission et de les y associer, de façon à collaborer avec eux
dans les meilleures conditions possibles.

12
INTRODUCTION

Un maître mot, la précarité


Formé pour répondre à une exigence déontologique d’excellence, le médecin
moderne est apte à donner le meilleur, mais il n’est pas toujours préparé à
affronter le pire.
Au fil des années, et à la mesure des progrès de l’art de soigner, l’es-
poir de guérir et de vivre mieux devient une réalité, mais tous n’y ont pas accès.
Le fossé se creuse dramatiquement entre les pays favorisés qui proposent à
leurs ressortissants des soins affinés, des médicaments coûteux et une longue
espérance de vie, face à de nombreuses populations sans protection sociale,
condamnées par la misère à une médecine de deuxième ordre. Même à l’inté-
rieur d’un pays donné, l’écart reste considérable entre les capitales relativement
bien loties et la brousse où le monde agricole reste privé de toute structure de
santé.
Lorsqu’il se rend sur le terrain, le professionnel de santé mesure sou-
vent avec désespérance la fragilité de ses moyens face à l’immensité des
besoins qu’il va devoir affronter. Il mesure également la précarité des popula-
tions liée à l’absence de structures médicales, à l’éloignement ou à un revenu
dérisoire qui ne leur permet pas d’accéder à la protection de la santé. La préca-
rité touche également le niveau d’instruction qu’il convient d’évaluer et d’amé-
liorer par un travail de formation.

Travailler dans la durée


Précaire et urgente, l’action humanitaire est le plus souvent limitée dans le
temps. Le jour arrive inexorablement où, sa mission terminée, le professionnel
de santé ferme son cabinet provisoire ; il lui faut alors évaluer ce qui restera
après son départ. Les médicaments se sont épuisés et le matériel rouillera dans
un coin si l’on n’en a pas expliqué le mode d’emploi. Seuls persisteront les
techniques, le savoir et le savoir-faire, par nature transmissibles et inépuisables.
Au devoir de soigner s’ajoute un devoir de formation.

13
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La médecine humanitaire n’échappe pas aux règles de l’éthique


médicale qui est universelle et ne souffre pas d’exceptions.
Pourtant, son champ est infiniment vaste et le médecin occiden-
tal peut se trouver en prise avec des situations auxquelles sa for-
mation classique ne l’a pas préparé. La précarité en est le
dénominateur commun. Au-delà de cette constatation, il doit se
préparer à travailler dans un pays étranger dans le respect des
coutumes et du système de santé. Au devoir de soigner s’ajoute
le devoir de transmettre ses connaissances et son savoir-faire.

14
PREMIERS
CONTACTS

Aucune situation n’est, à elle seule, exemplaire, les systèmes de santé sont tous
différents et chaque situation originale. La nature des pathologies, le taux de la
morbidité dans la population, les réalités sociales et politiques obligent le pro-
fessionnel de santé à reconsidérer sans cesse son approche des problèmes.
Toutefois, un certain nombre de critères restent constants et, pour aborder sous
l’angle clinique les spécificités de la médecine humanitaire, nous avons choisi
de suivre la situation d’un médecin ou d’une équipe médicale intervenant dans
un village de brousse, en Afrique par exemple.

Inventaire de la précarité

Le plus souvent, il n’y a sur place qu’un interprète et une matrone ou un auxi-
liaire de santé communautaire, tous deux dotés d’une formation médicale
sommaire. L’électricité, le téléphone n’arrivent pas jusque-là, l’eau potable est
au fond du puits à vingt mètres de profondeur et le poste de santé se trouve à
plusieurs heures de « calèche ». On donne ce nom en Afrique à un lourd cha-
riot de bois traîné par un ou deux bœufs. Le centre hospitalier et les recours
spécialisés sont encore plus loin. L’ambulance rouille devant la case de santé et
elle n’a plus de roues.

15
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Il fait chaud, le soleil brille, plus de cent personnes savent que vous
êtes arrivé et font la queue pour la première consultation.
Muni d’un tensiomètre, d’un stéthoscope, d’un otoscope, d’une boîte
de doigtiers et d’une lampe de poche, vous voilà bien démuni et, sauf à être
inconscient, vous vous sentez envahi par un curieux sentiment d’impuissance :
sans échographe, sans scanner et sans le secours d’un laboratoire, il vous faut
retrouver des repères oubliés de sémiologie clinique : écouter les plaintes,
regarder les corps, les palper et les ausculter.
La veille, en arrivant au village, vous avez été reçu par le comité de
santé, les femmes ont dansé, les jeunes ont battu le djembé ou joué de la kora,
vous avez fait la connaissance de l’équipe avec laquelle vous allez devoir tra-
vailler. L’avant-veille, à la préfecture, vous avez rencontré les autorités adminis-
tratives, vous avez bavardé avec le médecin de district, vous vous êtes entendu
avec lui sur l’objet de votre mission et il a promis de vous rendre une visite au
cours de votre séjour. Avec vous, il a fait le tour du dispositif de santé.
Le village est souvent doté d’une case de santé, un modeste bâtiment
et quelques médicaments. Il couvre cinq à six mille habitants sous la responsa-
bilité d’une matrone ou d’un auxiliaire communautaire de santé. Ces agents
n’ont fait aucune étude médicale, ils ont reçu une formation professionnelle
très inégale et trop souvent sommaire et représentent la branche extrême du
système pyramidal de santé. Ils assurent les soins primaires et ils sont aptes à
recevoir les plaintes des malades ; ils assurent le suivi des grossesses et le suivi
des nourrissons, expliquent aux villageois les règles d’hygiène et les pro-
grammes nationaux de santé : lutte contre le paludisme et la tuberculose, espa-
cement des naissances, prévention du Sida. Ils préparent également les
campagnes de vaccination en répertoriant les enfants et en tenant à jour un
registre.
Ils assument, dans tous les cas, la lourde responsabilité de premier
recours de santé et leur rôle essentiel est de distinguer ce qu’ils peuvent faire
avec des moyens dérisoires, de ce qui doit être référé.
Ailleurs, il n’y a rien, la case de santé est en désuétude, les matrones
ou auxiliaires de santé communautaire ne sont pas formés, ils sont en voyage,
en congé ou en désaccord avec le comité villageois de santé, ou encore vous
vous trouvez dans un campement nomade dont les habitants vont et viennent
au gré des pâturages.

16
PREMIERS CONTACTS

Éloignement du poste de santé


À plusieurs heures de marche se trouve le poste de santé sous la direction d’un
infirmier-chef de poste et parfois d’une sage-femme. Ils sont assistés par un ou
plusieurs auxiliaires de santé communautaire et des matrones. On y pratique la
petite chirurgie et les accouchements. Ce poste de santé est le premier référent
en cas de problème grave ; il dispose d’une salle de soins et de consultation, de
quelques salles d’hospitalisation pour les patients fébriles, les malades sous
perfusion ou les femmes qui viennent d’accoucher. Il dispose également d’un
dépôt de médicaments choisis dans la liste des 150 génériques de l’OMS dont
la gestion est sous la responsabilité du comité villageois de santé. Il dispose
enfin d’un réfrigérateur où sont conservés les vaccins.
L’infirmier-chef de poste, sans en avoir le titre ni la formation, assume
les responsabilités d’un médecin généraliste.
Le centre hospitalier de référence, les spécialistes, le radiologue, le
laboratoire d’analyses médicales, le chirurgien et la maternité sont parfois très
éloignés. Renseignez-vous sur la nature des examens que vous pouvez deman-
der.
Vous avez pu apprécier les distances et l’état des routes, les véhicules
dont vous pouvez disposer et évalué la fiabilité des communications télépho-
niques. Assurez-vous enfin d’une ou deux pièces pour les consultations, de
deux chambres d’hospitalisation. Faites le ménage et assurez-vous que vous
disposez d’un matériel de stérilisation qui se limite parfois à un réchaud à gaz
et une casserole.

Médicaments
La case de santé est en principe pauvrement équipée et ne dispose que de
quelques substances efficaces. Pour travailler, il vous faut évidemment des
médicaments. Soit vous avez apporté dans votre bagage ce qu’il faut pour exer-
cer la médecine pendant le temps de votre séjour, soit vous disposez d’une
somme d’argent qui permet d’acquérir les médicaments et le matériel néces-
saire auprès de la pharmacie centrale, soit encore vous prescrivez les traite-
ments que les patients iront chercher auprès du poste de santé.

17
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Faites l’inventaire du matériel de perfusion, des pansements, des


boîtes de petite chirurgie, rangez les médicaments sur une ou plusieurs éta-
gères, tenez-en la comptabilité, n’attendez pas la dernière plaquette pour
renouveler votre provision d’antibiotiques et restez en contact avec l’infirmier-
chef de poste qui peut renouveler son stock de médicaments en s’adressant à
la pharmacie centrale généralement située au centre hospitalier.
Il existe également, dans les grandes villes, un réseau ténu de pharma-
cies privées chez qui l’on peut acheter des médicaments de bonne qualité tan-
dis que les bazars offrent pêle-mêle des échantillons médicaux souvent
périmés et des médicaments sans aucune garantie.

Respecter les coutumes


Il convient de vous renseigner sur les pathologies locales. Bon élève, vous
l’avez fait en principe avant de partir en mission, vous avez dans votre mallette
un bon ouvrage de médecine tropicale, mais il n’est pas superflu de vous entre-
tenir avec le médecin de district et avec l’infirmier-chef de poste.
Le contact avec la population conditionne le bon déroulement de
votre mission. Dès votre arrivée, vous êtes allé saluer le chef de village.
Gageons qu’il vous a invité à manger en compagnie de quelques notables. Le
deuxième jour, vous vous arrangerez pour déjeuner chez le maître d’école et le
troisième chez la matrone. Ils vous en apprendront plus que tous les autres
notables.
Respectez les coutumes et n’oubliez pas de proposer à vos hôtes de
venir vous consulter, même et surtout s’ils n’ont rien. Évitez de les faire
attendre et ne refusez pas d’examiner dès le premier jour leur frère et leur père,
voire leur femme. C’est peut-être du favoritisme, mais ça arrange souvent bien
des choses. Si votre hôte vous offre un poulet, un chevreau ou quelques pois-
sons, vous saurez que vous avez passé avec succès votre examen de passage.
Vous n’avez pas besoin de répondre à ces cadeaux, votre présence suffit et dès
lors vous pourrez travailler en toute indépendance.
Prenez contact avec vos collaborateurs directs, assurez-vous d’un
interprète, réglez une fois pour toutes le problème du bénévolat et des salaires
ou des cadeaux éventuels. Créez rapidement un climat de confiance et fixez les
responsabilités de chacun. Expliquer n’est jamais un temps perdu.

18
PREMIERS CONTACTS

Six milliards d’hommes dans sa salle d’attente, des systèmes de


santé déficitaires et un champ d’action infini, la médecine huma-
nitaire ne peut se résumer. Parmi une légion d’exemples pos-
sibles, l’auteur a choisi comme modèle un village de brousse. Il
fait l’inventaire des ressources en hommes, en médicaments et
en matériel et donne quelques clés pour créer une cellule de soins
efficace, là où il faut tenir compte de l’isolement, de la distance,
de l’ignorance et du dénuement.

19
ABORD CLINIQUE

Généralités

Vous apprenez à relativiser et vous retrouvez les repères sémiologiques un peu


oubliés par la médecine moderne. Vous devinez qu’il va falloir éviter les pres-
criptions de radiologie et de biologie car le premier recours spécialisé se trouve
au mieux à plusieurs heures de calèche ou de pirogue. Désormais, sans perdre
de vue le risque toujours possible d’une erreur d’appréciation, votre diagnostic
et le suivi du malade reposeront presque exclusivement sur l’examen physique,
sur l’interrogatoire, la palpation et l’auscultation, sur l’épidémiologie et sur les
arguments de probabilité. Une fièvre élevée sous les tropiques à la saison des
pluies a plus de chance de correspondre à une crise de paludisme qu’à une
grippe et, dans un autre registre, il n’est pas indispensable de pratiquer une
échographie pour identifier un problème grave devant une métrorragie au hui-
tième mois de grossesse.
Quatre-vingt-quinze pour cent des patients consultent pour des
pathologies universelles, mais vous rencontrerez parfois des maladies qui ne
vous sont pas familières : bilharzioses urinaires ou intestinales, maladie du
sommeil, lèpre, choléra, trachome, onchocercose et bien d’autres maladies tro-
picales. Selon le pays où vous vous trouvez parachuté, vous noterez la préva-
lence inattendue de certaines pathologies spécifiques. Sans céder au désir de
raconter des histoires de chasse, je me souviens d’un village en Casamance et
de ses nombreux aveugles qui correspondaient sans doute à un foyer méconnu
d’onchocercose, de la fréquence au Tibet des malades souffrant de l’épigastre,

21
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

dont l’ulcère gastrique ou duodénal était souvent compliqué par des hématé-
mèses (tous signes rapportés sans aucune preuve à la consommation de viande
boucanée et sans doute avariée) guéris en moins de dix jours par un traitement
antiulcéreux. Je me souviens aussi des innombrables tuberculoses ganglion-
naires rencontrées en Afghanistan.
Il vous faut apprécier le niveau d’hygiène. La propreté du village, l’état
du puits, les latrines, les dépôts d’ordure, la fumée, les mouches, les mous-
tiques, le bétail, les marigots, les flaques d’eau stagnantes. Toute action sur les
conditions d’hygiène apporte une amélioration sensible et rapide de la morbi-
dité.
Vous avez discrètement regardé si les plats dans la cuisine sont correc-
tement protégés contre les mouches, si les lits sont couverts d’une mousti-
quaire. Regardez également autour de vous si les enfants semblent bien
nourris, regardez l’état des yeux qui sont un véritable miroir de la santé. Vos
premières impressions seront corroborées dans quelques heures par l’examen
des premiers patients, et déjà vous notez sur un calepin l’objet de vos pre-
mières causeries villageoises.

Examen clinique

« Je suis fatigué, j’ai mal au ventre, j’ai mal au dos, j’ai mal partout, les yeux me
piquent, je ne vois pas, ça me gratte, je saigne tout le temps. » La description
de ses symptômes par le malade est parfois déroutante : le ventre qui coule, la
jambe gâtée, les vers du ventre, ceux qui grattent et ceux qui tombent dans le
pantalon, les yeux rouges ou les dents creuses. Son imaginaire est différent du
nôtre et son vocabulaire séméiologique est pauvre. Il n’a généralement aucune
notion d’anatomie et on le surprendra en lui montrant sur un dessin que le
ventre d’une femme contient outre la poche à bébés, un estomac, un tube
digestif et quelques autres organes qui tous peuvent saigner ou faire mal. Les
gestes expressifs qu’il utilise pour décrire ses souffrances et les scarifications
qu’il porte en regard de l’organe malade aideront rapidement le médecin à
identifier les mots qui désignent le foie, le ventre ou l’utérus. Néanmoins, il est
presque toujours nécessaire de recourir à un interprète. Il faut s’assurer de son
concours et, si possible, de sa fiabilité.

22
ABORD CLINIQUE

Un minimum de matériel est nécessaire. Citons un tensiomètre, un


stéthoscope, un marteau à réflexes, un thermomètre, un otoscope et un oph-
talmoscope. Et pourquoi pas un électrocardiographe avec ses piles. Pour la sur-
veillance des grossesses, un centimètre, un stéthoscope de Pinard et une boîte
de doigtiers stériles. Dans la salle de pansements, compresses, bandes, vase-
line, gants, boîtes d’instruments, fils de suture, matériel de contention, atelles,
bandes plâtrées, antiseptiques, alcool. Une bonne provision d’eau bouillie et
du savon.

Pathologies les plus fréquentes


La plupart de vos patients n’ont jamais été examinés et ils vous présentent, à la
phase de complication avancée, des pathologies que vous avez coutume, en
Europe, d’appréhender à leur phase de début : des ulcères phagédéniques, des
endocardites avérées, des rhumatismes, des maux de Pott ou des coxalgies évo-
luées, des rachitismes historiques. Les problèmes infectieux et parasitaires sont
pour la plupart liés à la méconnaissance des règles élémentaires d’hygiène. Il
ne sert à rien de distribuer où de prescrire des médicaments si on n’enseigne
pas aux populations les bonnes conduites de protection de la santé : dire et
redire, sans cesse répéter les mêmes conseils.
Les pathologies exotiques sont déroutantes dans la mesure où elles ne
nous sont pas familières ; nous avons choisi de les présenter par appareil en
signalant leurs particularités épidémiologiques et leurs aires de répartition. Une
place à part est laissée aux grands problèmes de santé, communs à la plupart
des pays, que sont la tuberculose, les infections sexuellement transmissibles et
le paludisme. Cette dernière maladie reste la principale cause de morbidité
dans les pays chauds et humides. Enfin, une place majeure est consacrée dans
cet ouvrage à la protection maternelle et infantile, à l’accouchement médicale-
ment assisté et au contrôle des naissances.

23
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Avant de commencer la première consultation, il importe de se


familiariser avec la précarité : le respect de mesures très simples
d’hygiène suffit à réduire la morbidité de façon drastique.
Bien que la plupart des patients consultent pour des maladies uni-
verselles qui nous sont familières, il faut s’informer des patholo-
gies spécifiques auprès des médecins locaux ou des infirmiers. Ces
pathologies revêtent toutefois souvent un aspect déroutant et il
faut se préparer à recevoir des plaintes inaccoutumées, à retrou-
ver les bonnes pratiques de l’examen somatique et à oublier la
plupart des aides que sont le laboratoire ou le diagnostic radiolo-
gique. Le truchement d’un interprète est presque toujours néces-
saire et il faut l’associer à la formation des villageois.
L’enseignement de l’hygiène et des soins primaires de santé
résume ce qui restera de notre séjour après la fin de la mission.

24
LA
CONSULTATION

Prenons pour guide la première de vos consultations. Les malades se pressent


dans la salle d’attente. Faites distribuer par l’interprète des tickets pour mettre
un peu d’ordre dans la cohue qui ne cessera qu’à l’approche du coucher du
soleil, au moment où le bourdonnement des mouches fait place au coassement
des grenouilles et au vrombissement des moustiques.

Affections spécifiquement féminines


Avant de présenter, appareil par appareil, les pathologies ordinaires que vous
risquez de rencontrer, deux grands chapitres sont consacrés aux maladies de la
mère et de l’enfant. Elles représentent sans doute près de la moitié des consul-
tations : consultations prénatales, soins au nouveau-né, allaitement maternel,
planning familial. La mortalité périnatale reste élevée. Plus le centre hospitalier
ou la maternité sont éloignés, plus la grossesse est mal surveillée et plus l’ac-
couchement est risqué.
Dans toutes les sociétés, la mère reste la gardienne du foyer et c’est
elle qui transmet et protège la tradition dans ce qu’elle a de bon et de mauvais.
L’enfant lui-même est particulièrement perméable aux leçons et aux explica-
tions. En dehors de toute pathologie, c’est par eux qu’on transmettra la
connaissance dans les meilleures conditions.

25
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Les causeries éducatives peuvent se faire à l’école pour les enfants, à


la case de santé, sous la tente ou sous l’arbre à palabres dans tous les cas. La
formation aux soins primaires de santé porte sur les soins au nouveau-né, sur
l’allaitement maternel, le planning familial, l’hygiène individuelle ou l’impor-
tance des vaccinations. On peut également associer tel ou tel notable, le direc-
teur d’école, le chef de village ou l’infirmier à des discussions d’ordre plus
général comme la protection des points d’eau, l’incinération des déchets, la
propreté des concessions, mais également sur des problèmes de société
comme les dangers du mariage précoce et l’importance du planning familial.
Enfin, il faut être attentif aux désirs de la communauté villageoise. C’est ainsi
que j’ai été sollicité un jour pour faire des cours d’anatomie et expliquer aux
femmes le mystère des règles.

■ Suivi de la grossesse
Généralités
Le village dispose exceptionnellement de l’assistance d’un médecin ou d’une
sage-femme et il est capital, tout au long de la grossesse, de dépister les élé-
ments péjoratifs qui impliquent un accouchement en milieu spécialisé sous
contrôle médical. Ce fascicule n’est pas un traité d’obstétrique et je ne peux
que rappeler sommairement un certain nombre de jalons indispensables à la
surveillance de la grossesse (fig. 1).

OU

Fig. 1 – Examens de routine de la femme enceinte. La pesée mensuelle comme


la mesure de la pression artérielle et l’examen des urines sont systématiques.
Le bec Bunsen, qui est représenté au milieu de l’image, symbolise le moyen
rustique qui reste à la disposition du laboratoire de brousse pour identifier une
albuminurie quand les bandelettes sont épuisées.

26
LA CONSULTATION

Dans certains pays, la tradition ou les interdits religieux empêchent


les médecins de sexe masculin d’examiner une femme enceinte. La confiance
que nous accordent les villageois est généralement suffisante pour dépasser ces
tabous, mais il est parfois préférable de constituer une équipe médicale mixte,
l’idéal étant évidemment la présence d’une sage-femme.
Bien souvent, il n’existe au village qu’une matrone ou accoucheuse
traditionnelle, et il est capital de nouer avec elle des relations de confiance et
d’échanger nos connaissances avec les siennes.
On s’assurera de l’existence d’un local dédié aux consultations préna-
tales et à l’accouchement. Son équipement doit comprendre au moins les élé-
ments suivants : un lit d’examen et d’accouchement avec ou sans étriers, de
l’eau, un réchaud, du savon, une source de lumière, l’éclairage électrique si
possible, un pèse-personne, une toise, un centimètre de couturière, un stétho-
scope de Pinard, une grande quantité de gants jetables, une poubelle, un inci-
nérateur, un cahier de consultation et, pour chaque patiente, un livret
obstétrical sur lequel seront notés les examens et leurs résultats. Le tensiomètre
et les bandelettes urinaires seront généralement absents ; il faut les apporter
avec nous et les laisser en cadeau après avoir appris à la matrone comment s’en
servir.
Pour l’accouchement, il faut également prévoir des linges propres, une
boîte d’instruments stérilisables comprenant une paire de ciseaux et au moins
deux pinces, de l’alcool, un antiseptique et un collyre au nitrate d’argent. Au
pèse-bébé, on préférera souvent un dynamomètre, moins précis, mais plus
facile à utiliser, il n’a pas besoin d’être taré ni de reposer sur une surface hori-
zontale.
Les conditions de vie des femmes en milieu rural restent éprouvantes
tout au long de la vie. C’est à elles que revient la gestion d’une famille souvent
nombreuse, et c’est elles également qui assument les travaux les plus pénibles.
Elles vont puiser l’eau au puits, la ramènent sur leur tête (cf. chapitre
« Problèmes rhumatologiques » page 72), lavent le linge à la rivière, traient les
vaches et parfois même participent aux travaux des champs. La mauvaise pla-
nification familiale les expose à des grossesses rapprochées. Enfin, la drépano-
cytose et la thalassémie sont responsables en Afrique d’anémies parfois
importantes (cf. chapitre « Hémopathies »). Il n’est pas exceptionnel de voir à la
consultation prénatale une femme amaigrie. Son ventre distendu témoigne de
la grossesse, le bébé dans son dos a moins de 1 an, elle souffre de douleurs
rachidiennes et l’examen attentif de la conjonctive mesure le degré d’anémie.

27
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Fatima, qui m’a servi de modèle pour cette évocation, avait 25 ans, elle en était
à sa sixième grossesse.
La grossesse est un événement physiologique dont le déroulement et
l’heureux dénouement reposent sur la surveillance régulière d’un certain
nombre d’items généraux et obstétricaux. La surveillance requiert idéalement
cinq ou six examens mensuels, au moins trois.
La palpation de l’abdomen permet de suivre le développement de
l’utérus à partir du troisième mois, de préciser la position du fœtus et de déce-
ler des contractions abdominales ou un début de travail.
L’auscultation de l’abdomen recherche les bruits du cœur fœtal
audibles à partir du quatrième mois.
On examinera également les urines à l’aide de bandelettes urinaires à
la recherche d’albumine, de sucre et d’une infection urinaire latente qui se
manifesterait par une leucocyturie.
Le toucher vaginal et l’examen au speculum doivent être pratiqués
avec circonspection ; il faut mettre en parallèle les renseignements limités qu’ils
peuvent apporter à une matrone villageoise peu au fait de sa pratique, et le
risque infectieux qu’ils comportent.

Premier examen
Le premier examen est capital. Il permet de confirmer la grossesse sur la notion
d’arrêt des règles et de prévoir la date de l’accouchement par la formule simple :
– date de début des dernières règles (DDR) + 15 jours + 9 mois (ou moins
3 mois + 1 an).
Il permet surtout de dépister les problèmes récurrents qui laissent prévoir
une grossesse et un accouchement difficile chez des femmes qui devront accou-
cher à l’hôpital. Ce sont les femmes de moins de 15 ans, les grandes multipares
chez qui les risques de rupture utérine et de présentation transversale sont aug-
mentés. Les femmes ayant des antécédents de grossesse à risque ou d’accouche-
ments compliqués : césarienne, enfants mort-nés, hypertension gravidique,
œdèmes, hémorragies, rhésus négatif. Les femmes de petite taille et les boiteuses
courent le risque d’une dystocie. Les femmes malades devront également accou-
cher en milieu hospitalier, notamment en cas de : maladies cardiaques, hyperten-
sion artérielle, diabète, hépatite chronique, tuberculose, sida, paludisme.
L’examen du périnée précise les séquelles éventuelles d’accouche-
ments précédents ou les mutilations sexuelles – décrites plus loin – qui peuvent
être aggravées par un nouvel accouchement ou être sources de dystocies.

28
LA CONSULTATION

La pression artérielle reste aux alentours de 11 ou 12 au cours de la


grossesse. Le traitement d’une hypertension artérielle connue doit être adapté.
L’hypertension qui survient pendant le cours de la grossesse fait redouter l’ins-
tallation d’une maladie gravidique. C’est une affection autonome qui réagit mal
aux hypertenseurs et appelle un traitement spécifique. La patiente doit être
transférée.
Cette première consultation vérifie également le statut vaccinal : fièvre
jaune en Afrique et en Amérique tropicale, hépatite B et tétanos. On est éven-
tuellement amené à pratiquer les rappels sauf pour la fièvre jaune pour laquelle
le rappel est contre-indiqué en début de grossesse.
La prévention du paludisme, systématique en région endémique,
comporte l’administration de trois comprimés de Fansidar® au 4e et au 6e mois
de grossesse, ainsi que la distribution gratuite d’une moustiquaire imprégnée.
La correction de l’anémie est également systématique par la prescrip-
tion de fer et d’acide folique, 1 comprimé par jour pendant six semaines.
L’hygiène alimentaire repose sur une alimentation suffisante et variée
comprenant des aliments constructeurs, des aliments énergétiques et des ali-
ments protecteurs, entendez protéines, hydrates de carbone, vitamines calcium
et micro-éléments.

Examens suivants
Les examens suivants vont surveiller l’évolution normale. Ils nécessi-
tent au moins trois consultations, au mieux une tous les mois. L’examen géné-
ral comprend la pesée, la mesure de la pression artérielle, la recherche
d’œdèmes des membres inférieurs et la recherche d’albuminurie. La prise de
poids normale s’élève en fin de grossesse à 15 % du poids initial, soit, pour une
femme de 60 kg, à 1 kg par mois, un peu plus au cours des deux derniers mois.
Un amaigrissement est toujours pathologique, faisant évoquer un surmenage,
une malnutrition ou une maladie générale (fig. 1).
La taille de l’utérus, mesurée entre le fond utérin et la symphyse
pubienne, permet de suivre le développement et de confirmer l’âge de la gros-
sesse. À 3 mois, le fond utérin est palpé à mi-chemin de l’ombilic, il atteint
l’ombilic à 4 mois et demi. Il mesure 24 cm au-dessus de la symphyse
pubienne à 6 mois, 27 cm à 7 mois, 30 à 8 mois et, arrivé à terme, il mesure
entre 33 et 35 cm en fonction de l’adiposité de la mère. Certaines matrones
mesurent la circonférence abdominale, mais nous ne voyons pas l’intérêt d’un
tel examen. En revanche, le schéma ci-dessus, fondé sur des mensurations à
l’aide de la main et par rapport à des repères anatomiques, même s’il n’est pas

29
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

très précis, permet d’évaluer le temps qui reste avant la date probable de l’ac-
couchement (fig. 2).
La palpation de l’abdomen permet encore de préciser la présentation
à partir du 7e mois en identifiant les pôles céphalique et caudal, en identifiant
la place de la colonne vertébrale. Des mains d’accoucheur expérimenté sauront
reconnaître une grossesse gémellaire.
L’auscultation au stéthoscope de Pinard retrouve les bruits du cœur
fœtal vers 4 mois dans une zone périombilicale ; les battements sont fins et
réguliers de fréquence comprise entre 120 et 140 par minute. La qualité des
bruits du cœur témoigne de la vitalité du fœtus à partir du 4e mois jusqu’à la
naissance.

Fig. 2 – Terme de la grossesse. Le fond utérin est repéré avec le bord cubital
de la main. Les repères figurés permettent d’évaluer la date probable de la
naissance.

30
LA CONSULTATION

Les mouvements spontanés du fœtus sont ressentis par la maman


vers 3 mois et demi.
Le toucher vaginal n’est généralement pas souhaitable en médecine de
brousse. Il est source de transmissions microbiennes et n’apporte pas d’élé-
ments interprétables par une matrone sans formation. Lorsqu’on le pratique, le
toucher vaginal se fait avec un doigtier à usage unique qui vérifie l’état du col
utérin, l’examen au spéculum est utile pour s’assurer de l’aspect du col et des
sécrétions vaginales. Il nécessite des instruments stériles et un bon éclairage.

Dernière consultation
La dernière consultation a lieu à l’approche du terme de la grossesse. La hau-
teur utérine est mesurée : elle est de 33 cm (± 3 cm) à la fin du 9e mois.
Les bruits du cœur réguliers et rapides sont recherchés sous l’ombilic,
plus fréquemment à mi-distance de l’aile iliaque. Ils sont faciles à identifier par
leur fréquence rapide 120-140 et doivent être distingués des battements de l’ar-
tère utérine, synchrone avec le pouls radial, qui vient parfois parasiter l’auscul-
tation.
La palpation abdominale précise la position du fœtus. Dans la présen-
tation céphalique, on sent au-dessus de la symphyse pubienne un pôle dur,
régulier donnant une sensation de ballottement. Dans la présentation du siège,
on reconnaît au-dessus de la symphyse pubienne un pôle plus mou, irrégu-
liers ; au niveau du fond utérin, on sent la tête ronde, mobile.
Il est utile de préciser la position du dos pour prévoir le mécanisme de
l’accouchement. Une façon simple de l’identifier est d’appuyer sur le fond uté-
rin pour que le fœtus fasse le « gros dos ».
On a vu plus haut que le toucher vaginal ne doit pas être systéma-
tique. Il permet d’apprécier la dilatation et l’effacement du col. Il confirme la
présentation et la situera par rapport au détroit supérieur du bassin : présenta-
tion mobile, engagée, etc.
L’examen du périnée recherche les cicatrices laissées par un accouche-
ment antérieur : déchirement du périnée, fistules, épisiotomie et de mutilations
sexuelles : excision ou infibulation qui sont décrites plus loin.
À l’occasion de chacune des consultations prénatales, un bilan pro-
nostique est établi, une information rigoureuse doit être donnée à la femme sur
les risques obstétricaux et sur la nécessité d’un accouchement assisté auprès de
la sage-femme. Les grossesses à risque et les femmes malades seront systéma-
tiquement transférées au centre hospitalier. Une attention particulière sera

31
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

accordée aux primipares, aux femmes petites, aux femmes trop jeunes et aux
boiteuses ainsi qu’aux grandes multipares qui courent le risque d’une présen-
tation transverse, d’une atonie utérine ou de la rupture d’une poche utérine fra-
gilisée par des grossesses trop nombreuses.

■ Événements anormaux au cours de la grossesse


Hémorragies

Les hémorragies sont toujours péjoratives. Au cours du premier trimestre de la


grossesse, elles doivent faire redouter deux événements de gravité très diffé-
rente : la grossesse extra-utérine et l’interruption de grossesse.
On pense à une grossesse extra-utérine devant une métrorragie peu
importante, du sang rouge ou noir, sans caillots, souvent accompagnée de dou-
leurs abdominales. Le toucher vaginal est indispensable et confirme le diagnos-
tic en déclenchant une violente douleur dans le cul-de-sac de Douglas. La
grossesse extra-utérine est une urgence vitale, la grossesse est irrémédiable-
ment compromise et la mère risque une hémorragie interne, mortelle.
L’interruption de grossesse est l’autre grande cause de métrorragies au
cours du premier trimestre. L’hémorragie est composée de sang rouge avec
caillots, elle peut être abondante. Il faut avant tout s’assurer de l’évacuation de
l’embryon et surveiller la patiente jusqu’à l’arrêt du saignement. Si on a la
notion de manœuvres abortives et si la patiente est fébrile, il faut administrer
des antibiotiques, un vaccin antitétanique et la plupart du temps la référer pour
un curetage.
Au cours du 3e trimestre, la survenue d’une hémorragie a une signifi-
cation toute différente et correspond à deux éventualités également graves qui
mettent en danger la vie de la mère et de l’enfant : le placenta praevia et l’hé-
matome rétro-placentaire. Dans un cas comme dans l’autre, elles justifient le
transfert urgent vers la maternité.
On dit d’un placenta qu’il est praevia quand il est inséré au regard de
l’orifice interne de l’utérus. On peut distinguer le placenta recouvrant et le pla-
centa marginal, mais quoi qu’il arrive, il empêchera l’accouchement de se
dérouler normalement. À l’approche du terme, soumis aux pressions intra-uté-
rines, il se déchire et se met à saigner, parfois très abondamment. Il s’agit d’une
urgence chirurgicale absolue qui relève de la césarienne. Le diagnostic précoce
du placenta prævia est pratiquement impossible par le seul examen clinique.

32
LA CONSULTATION

En revanche, il est facile à repérer sur une échographie pratiquée au 8e mois. Si


l’examen est praticable à une distance raisonnable, il faut le faire savoir à la
matrone afin qu’elle le prescrive systématiquement au cours du 8e mois.
L’hématome rétro-placentaire entraîne des hémorragies peu impor-
tantes, de sang noir, généralement associées à des signes de mort fœtale :
absence de mouvements spontanés et arrêt des bruits du cœur. Il s’agit d’une
complication de la toxicose gravidique qui peut être suspectée chez une femme
qui présente, en cours de grossesse, la triade suivante : albuminurie, œdèmes
des membres inférieurs et hypertension artérielle. La constatation de l’un de
ces trois symptômes ne doit pas être négligée et la matrone doit impérative-
ment référer ces patientes avant la survenue des accidents.

Autres incidents
Les patientes présentant des œdèmes des membres inférieurs doivent être
transférées pour avis.
L’hypertension artérielle est détectée au cours de l’examen de sur-
veillance. S’il s’agit d’une hypertension ancienne, il suffit d’adapter la thérapeu-
tique en évitant certaines classes de médicaments. Les ß-bloquants sont
généralement préférables à toutes les autres classes.
En revanche, le développement d’une hypertension artérielle au cours
de la grossesse évoque la maladie gravidique et doit faire rechercher l’existence
d’œdèmes et d’albuminurie. La maladie gravidique est une pathologie placen-
taire dont le traitement ne relève pas des hypotenseurs classiques. Elle guérit
spontanément après la délivrance, mais elle menace gravement le bon déroule-
ment de la grossesse (risque élevé d’hématome rétro-placentaire ou de mort du
fœtus in utero). Elle met en jeu le pronostic vital et doit être vue par un spécia-
liste. Son traitement relève de l’aspirine à faible dose.
L’augmentation anormale de la taille de l’utérus peut correspondre à
une grossesse gémellaire, à un hydramnios ou à un gros bébé. Aucune de ces
trois situations n’est du ressort de la case de santé et les parturientes doivent
être transférées.
Ici s’arrête le chapitre consacré à la surveillance de la grossesse. Si le
travail a été bien fait, si tout laisse prévoir un accouchement eutocique, la par-
turiente, à l’approche de la date de son accouchement, se rendra au poste de
santé où elle bénéficiera d’un accouchement assisté sous la surveillance d’une
sage-femme compétente. Ailleurs, elle aura été orientée vers l’hôpital qualifié
pour prendre en compte un accouchement difficile. En fait, beaucoup de

33
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

femmes accouchent encore en brousse et la conduite d’un accouchement en


situation précaire est traitée brièvement en annexe (Annexe I).

■ Planification des naissances


Sa nécessité est reconnue de façon planétaire et sa pratique recommandée par
la plupart des gouvernements. Toutefois, à l’échelon de la communauté tribale,
la planification des naissances se heurte à la conscience ancestrale qui associe le
taux des naissances à la force et à la survie de la communauté menacée par la
guerre, la famine ou l’esclavage. Une grande progéniture est également pour un
patriarche un gage d’honneur et de sécurité pour ses vieux jours. Certaines reli-
gions interdisent enfin la pratique de la contraception. Il appartient au profes-
sionnel de santé d’expliquer et de convaincre ; la fréquence des avortements en
brousse n’est pas le moindre argument en faveur d’une maîtrise de la natalité.
Les techniques proposées sont de trois ordres. Le préservatif est théo-
riquement idéal, car il protège simultanément contre les infections sexuelle-
ment transmissibles et contre les grossesses non désirées, mais il coûte cher et
il est à usage unique.
Pour la contraception hormonale, l’emploi des pilules œstroprogesta-
tives en prise discontinue nécessite un minimum d’explications et présente un
taux élevé d’échecs en milieu non alphabétisé. Les mini-progestatifs leur sont
souvent préférés. Ils sont présentés en pilules à prise quotidienne et l’on peut
les prescrire pour une durée prolongée après avoir informé la femme des inci-
dents et des problèmes de tolérance. Ils peuvent également être administrés en
piqûre à effet retard (3 mois) ou en implants à effet prolongé (3 ans) réversible
après ablation de l’implant.
Les autres techniques et notamment les dispositifs intra-utérins néces-
sitent des contrôles et leur taux d’inefficacité les rend d’utilisation difficile en
milieu précaire.
La contraception des adolescentes pose un problème spécifique. Les
grossesses inopinées sont le plus souvent liées à des rencontres fortuites et le
préservatif reste dans ces cas la contraception idéale. La pilule du lendemain et
sa délivrance dans les établissements scolaires sont loin d’être accessibles dans
la plupart des pays.
Le mariage précoce est une autre cause de grossesse chez les
lycéennes. L’âge légal du mariage est très diversement apprécié par les lois des
pays dans lesquels nous travaillons et combien de directeurs d’établissements

34
LA CONSULTATION

scolaires voient des élèves de cinquième ou de quatrième abandonner leurs


études à l’occasion d’un mariage arrangé par la famille ? Ce problème interpelle
de plus en plus souvent la société. Enseignants et associations de femmes
conduisent le combat, et les professionnels de santé ont un devoir d’informa-
tion : la jeune fille est physiologiquement apte à être fécondée à partir de l’âge
des règles, mais elle n’a pas encore pris la forme d’une femme adulte et les gros-
sesses précoces sont un réel danger. Sur le plan psychologique, est-elle apte à
faire une bonne épouse, une bonne mère et que dire sur le plan personnel ?

■ Mutilations sexuelles

Avec ce sous-chapitre on entre dans l’horreur. Il a fallu beaucoup de courage


aux sages-femmes et aux matrones qui ont révélé, voici seulement quelques
dizaines d’années, ces pratiques contraires à la dignité et à l’intégrité de la per-
sonne. Elles génèrent de nombreuses maladies féminines, des drames obstétri-
caux et marginalisent de malheureuses infirmes.
Les interventions sanglantes sur les organes sexuels des enfants sont
pratiquées le plus souvent dans un contexte rituel, en dehors de toute compé-
tence chirurgicale de l’opérateur et sans asepsie, exposent les victimes à des
complications septiques, au tétanos et à des séquelles somatiques. Cette
remarque vaut pour les mutilations infligées aux fillettes et, dans une certaine
mesure, pour la circoncision.
On estime – selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – le
nombre de femmes et de fillettes victimes de mutilations sexuelles à plus de
cent millions, principalement dans les populations originaires des pays
d’Afrique. Compte tenu du taux de la natalité, ce sont encore plusieurs millions
de fillettes qui sont mutilées chaque année. Pratiquées de façon ancestrale, ces
mutilations sont officiellement récusées par les religions (!) et elles ont été qua-
lifiées contraires aux droits de l’homme par l’OMS. Plusieurs pays commen-
cent à les interdire par voie législative (au Sénégal par exemple, ces pratiques
sont illégales depuis 2001). Cependant, la tradition est tenace et il est encore
délicat d’aborder un tel sujet en public. Notre rôle de médecin est pourtant
d’informer les populations sur ses dangers et d’apporter notre appui à ceux qui
luttent pour l’abolition de telles pratiques. On pourra se faire assister à l’échelle
du village par les notables : instituteur, marabout, prêtre ou comité de femmes
etc., à condition de les avoir préalablement convaincus.

35
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

L’excision consiste en l’ablation totale ou partielle du clitoris et des


petites lèvres. La mutilation va d’une excision limitée au prépuce clitoridien,
jusqu’à la nymphectomie totale qui consiste en une ablation complète des
organes de la copulation. L’infibulation aggrave l’excision, visant à empêcher
les rapports sexuels au moyen d’un anneau ou d’une suture qui est laissée en
place jusqu’au moment du mariage : après clitoridectomie et mutilation de
l’appareil labial, les grandes lèvres sont suturées pour ne laisser persister qu’un
pertuis destiné à l’écoulement des urines et des règles. La cicatrice est souvent
de mauvaise qualité, dure, asymétrique. La vulve ainsi cousue est incisée au
moment du mariage ou lors de la naissance du premier enfant.
Ces mutilations sont d’ordre artisanal et généralement pratiquées en
dehors de tout contexte médical par des femmes spécialement désignées pour
cette tâche ou par le barbier. Moins décrite, l’introcision consiste au contraire
en une incision de l’hymen et une dilatation de l’orifice vaginal d’une fillette
pour permettre la pénétration par un mari adulte. Un rapport documenté de
l’OMS fait état de manipulations sexuelles chez le jeune garçon. Un anneau
passé à travers le prépuce est ramené en avant du gland.
Les complications immédiates peuvent être une hémorragie, des dou-
leurs et une infection. Elles entraînent aussi le risque de lésion des organes voi-
sins : vessie, urètre, rectum, vagin, périnée. Ces interventions hautement
septiques exposent notamment au tétanos.
Les complications tardives et les séquelles irréversibles accompagne-
ront la femme pendant toute sa vie : la fermeture de l’orifice vaginal est respon-
sable de synéchies, d’infections urinaires, d’hématocèle, de dyspareunie, de
troubles sexuels et plus encore de difficultés relationnelles et psychologiques.
Les complications postobstétricales consistent en des lésions
périnéales majeures et des infections génitales à la source de nombreuses
répudiations.

La mortalité périnatale et l’accouchement en brousse restent des


aventures dangereuses qu’il faut rapporter à la formation insuffi-
sante des matrones villageoises, à leur isolement et à la mécon-
naissance des grossesses à risque. Ce chapitre rappelle, à
l’attention du praticien qui les aurait oubliés, les éléments de sur-
veillance qui permettent de prévoir un accouchement eutocique
▼▼▼

36
LA CONSULTATION

et d’orienter la femme enceinte vers le poste de santé où l’accou-


chement sera assisté par une sage-femme. Ils signalent surtout
les éléments péjoratifs qui imposent de prévoir l’accouchement
dans une structure hospitalière.
La planification des naissances et les dangers du mariage précoce
font l’objet d’un autre sous-chapitre et un paragraphe documenté
par les publications de l’OMS traite des mutilations sexuelles qui
sont pratiquées de façon très inégale dans de nombreuses
régions. Ces deux derniers problèmes interpellent de façon signi-
ficative les sociétés africaines.

Consultations de l’enfant
■ Généralités
L’objectif majeur de la pédiatrie vise les conditions optimales d’une croissance
harmonieuse. En situation précaire, ces conditions sont difficiles à réunir et,
plus que dans tous les domaines de la clinique, l’action sera centrée sur la pré-
vention : qualité de l’alimentation, hygiène et vaccinations.
Rappelons brièvement pour ceux à qui ces notions ne sont pas fami-
lières quelques repères de croissance. Ils n’ont qu’une valeur indicative et doi-
vent être interprétés en fonction du contexte.
Un enfant moyen pèse 2,5 kg à la naissance, double son poids à
6 mois et le triple à 1 an.
Il mesure 50 cm à la naissance, 75 cm à 6 mois, 85 cm à 1 an et atteint
1 m à l’âge de 4 ans.
Il se tient assis à 6 mois et debout à 9 mois.
Il marche entre 11 et 18 mois.
Il sourit à 1 mois.
Il roucoule à 4 mois et dit ses premiers mots vers 10 mois. Il s’exprime
en phrases simples entre 2 et 3 ans. Il raconte une histoire à 4 ans.
Les premières dents surviennent vers 6 mois, deux incisives en bas
puis deux en haut. Le bébé a 6 dents à 1 an.

37
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

L’examen du nouveau-né normal vérifiera de mois en mois l’évolution


de la courbe staturo-pondérale, l’apparition des repères de développement har-
monieux et appréciera le tonus, l’évolution des réflexes, la fermeture des fon-
tanelles et le tour de crâne avec un centimètre de couturière.

■ Alimentation et croissance
Généralités
L’alimentation exclusive au sein assure des apports équilibrés, elle est la règle
pendant les six premiers mois. Les modifications de la composition du lait
maternel s’adaptent à l’évolution des besoins nutritionnels de l’enfant. Le lait
maternel protège le nourrisson contre les risques des laits reconstitués, d’une
eau polluée, d’une malnutrition liée aux erreurs de dilution. Il les protègent
enfin contre la famine pure et simple en cas de rupture de la chaîne alimentaire.
Vers l’âge de 6 mois, l’appétit de l’enfant ne peut plus être satisfait par
le seul lait de sa nourrice et il convient d’ajouter des suppléments : soit du lait
de vache donné à la tasse ou à la cuillère, soit une alimentation variée emprun-
tée à la cuisine familiale : riz, mil, manioc, sauce, poisson, poulet, mouton, jus
de fruits, épinards, etc.
Les seuls incidents de l’allaitement maternel, qui se poursuit jusqu’à
l’âge de 18 mois, sont liés à des problèmes touchant la lactation : abcès du sein,
maladie générale de la mère, famine ou séparation de la mère et de l’enfant. Il
convient alors de trouver une nourrice de remplacement dont le choix obéit à
des règles traditionnelles qu’on ne peut contourner. En pays musulman, par
exemple, où la polygamie est de règle, une mère répugnera à confier la nourri-
ture de son enfant à une femme qui n’est pas de sa propre lignée, elle choisira
pour nourrice une tante ou la grand-mère de l’enfant.
Les exceptions à l’allaitement maternel sont du ressort de situations
institutionnelles : orphelinat ou centres de réfugiés qui disposent de quantités
suffisantes de lait en poudre, d’eau potable et d’un matériel propre et adapté.
Le sevrage vers 18 mois est l’époque de tous les dangers. Il est capital
d’expliquer aux mères la nécessité d’une alimentation variée. Les aliments éner-
gétiques comportent les céréales, les légumineuses et les aliments sucrés – le
mil, le riz, les farines, etc. Les aliments constructeurs sont le lait, la viande, le
poisson et les légumineuses. Les aliments protecteurs sont représentés par les
fruits, les légumes, les huiles de poisson et le sel iodé.

38
LA CONSULTATION

Maladies dues à des carences alimentaires


Les carences alimentaires sont propres à cette époque du sevrage.

Kwashiorkor
Le kwashiorkor prend quelques semaines à se développer. Il s’agit d’une carence
protéique chez des enfants nourris exclusivement avec des bouillies de
céréales. L’enfant est gros, apathique, ses cheveux décolorés sont rares et cas-
sants, il a souvent des œdèmes des membres et une ascite. Les noms donnés à
cette maladie rendent compte de l’agressivité des symptômes : maladie des
enfants tristes en Afrique, de la peau de serpent en Amérique du Sud ou bouf-
fissure d’Annam en Extrême-Orient. Le mot kwashiorkor en dialecte ashanti
signifie « maladie des jeunes séparés de leur mère à l’occasion d’une nouvelle
grossesse ». Le traitement consiste en la reprise d’une alimentation protidique
équilibrée et de produits lactés. Sur le plan médicamenteux, on peut envisager
dans un premier temps une alimentation parentérale (protéolysats par voie
intraveineuse ou sous-cutanée) l’adjonction d’oligoéléments, de vitamines,
traitement systématique antiparasitaire. La reprise d’une alimentation lactée et
l’institution d’un régime diversifié sont à instaurer. Les antibiotiques intesti-
naux sont souvent justifiés par le délabrement des muqueuses digestives.
L’information nutritionnelle des mères s’impose évidemment. Bien traité, le
kwashiorkor peut guérir sans séquelles.

Marasme
Le marasme correspond à une carence globale, qualitative et quantitative.
L’alerte est donnée par le fléchissement de la courbe de croissance bientôt sui-
vie de la fonte des tissus adipeux. L’enfant crie famine, les membres sont amai-
gris, les muscles atrophiés, les os sont saillants, la peau du visage amincie et
fripée lui donne un aspect vieillot. Il manifeste sa faim par des cris et des gémis-
sements et celle-ci ne peut s’apaiser du fait d’une intolérance alimentaire qui
entraîne des vomissements à la moindre tentative d’alimentation. La mort sur-
vient dans un contexte de déshydratation. Le traitement repose sur une alimen-
tation parentérale avec réhydratation suivie d’une reprise alimentaire
progressive riche en protides et en calories, une réhydratation : si on le peut,
on utilise la préparation LHS faite de lait, de sucre et d’huile, facile à préparer.
La récupération est inconstante, entachée de troubles staturaux, de troubles
hormonaux et de retentissement psychomoteur.

39
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Xérophtalmie
La xérophtalmie correspond à une carence en vitamine A. Elle affecte des popu-
lations entières et se manifeste par des troubles oculaires. La conjonctive est fri-
pée et desséchée. Elle se creuse de lésions cornéennes, taies et ulcérations.
Cette carence est une grande cause de cécité et, dans les formes mineures, se
complique à l’âge adulte d’un trouble de la vision crépusculaire, l’héméralopie.
La vitamine A se trouve dans le jaune d’œuf, le lait, le beurre, la papaye, les
carottes et les mangues. Le programme de santé recommandé par l’OMS com-
prend l’administration systématique de vitamine A sous forme orale au cours
des deux premières années de la vie, conjointement avec la vitamine D (fig. 3).

Lait Sucre
en poudre 6 mesures 2 mesures

Mélanger

Mélanger
1 mesure

Huile

LHS

Fig. 3 – Composition du LHS (lait, huile, sucre). La formule de ce liquide de


réalimentation fait appel à des éléments standardisés, lipides-glucides-protides.
Il n’est pas très différent en fait du lait concentré sucré dont les effets sont
remarquables dans la réalimentation d’urgence d’un sujet dénutri.

Rachitisme
Le rachitisme résulte d’un déficit alimentaire en vitamine D et surtout d’un
défaut d’exposition au soleil. Il est fréquent dans les pays froids et dans les
régions sylvestres. Les signes d’appel à rechercher systématiquement sont le

40
LA CONSULTATION

chapelet costal et le craniotabès (élargissement des fontanelles). Non traité, le


rachitisme donne lieu à des déformations osseuses spectaculaires : jambes
arquées, scoliose, thorax en bréchet, déformations du crâne, de la mâchoire ou
du bassin responsables de dystocies. Le traitement repose sur l’administration
de vitamine D à forte dose en prise unique. Les déformations osseuses avérées
sont précoces et relèvent du traitement orthopédique (fig. 4). La prévention est
du ressort de la vitamine D (Sterogyl®, Uvesterol®) administré quotidienne-
ment jusqu’à l’âge de 18 mois.

Anémie
L’anémie survient chez le nourrisson au sein dont la mère est elle-même ané-
miée. Cette anémie maternelle relève la plupart du temps d’une carence nutri-
tionnelle en fer et en acide folique, souvent aggravée en pays tropical par de la
drépanocytose, la thalassémie et l’hémolyse due au paludisme chronique, d’où
l’importance au cours de la grossesse d’une supplémentation systématique en
fer plus acide folique et de la prévention du paludisme.

Myxœdème
Le myxœdème congénital est spécifique de régions continentales et monta-
gneuses. Il est lié à une carence en iode de l’air et du sel. Fréquent dans les val-
lées de l’Himalaya, il est curieusement inconnu dans d’autres régions du Tibet
qui possèdent d’immenses réserves de sel naturellement iodé. Alors que la
carence en iode se manifeste chez l’adulte par de simples goitres, le myxœ-
dème congénital est responsable de complications psychomotrices, de créti-
nisme et de surdi-mutité. La prévention repose sur l’administration de lugol à
la femme enceinte et sur l’utilisation de sel iodé dans l’alimentation.
Citons la carence en vitamine B qui engendre le béri-béri ou la carence
en vitamine C qui engendre le scorbut.

■ Hygiène et péril fécal (fig. 5)


Poussières, fumée, parasites, microbes, confinement, eau non potable, mains
sales, yeux qui coulent, latrines et tas d’ordures en plein air, mauvaise gestion
des déchets, proximité du bétail, absence de savon, hardes mal lavées, etc.
L’enfant qui grandit dans un environnement si difficile finira par se constituer
un excellent capital immunitaire à moins qu’il n’y succombe.

41
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Fig. 4 – Rachitisme. L’examen clinique de cet enfant et les déformations impor-


tantes de la structure osseuse évoquent une séquelle majeure de rachitisme.

42
LA CONSULTATION

© Franck Sillonville

Fig. 4 – Péril fécal. Mouches, déjections, mains sales, eaux polluées, ce schéma
résume plus de la moitié des voies de contamination ordinaire. Un enseigne-
ment des règles d’hygiène élémentaire peut faire chuter la morbidité dans une
population donnée. Avec l’aimable autorisation des Éditions Karthala.

43
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Conjonctivites
Les conjonctivites se manifestent par un œil rouge qui pique, larmoyant, irrité
par la fumée, par la poussière ou par le vent sec, qu’on frotte avec des mains
sales et que la mère essuie avec un voile souillé. La prophylaxie repose sur le
lavage fréquent du visage et des mains, l’utilisation d’un linge propre, sur la
propreté de l’environnement et la lutte contre les mouches, sur l’éviction du
bétail qui ne doit pas vaticiner dans les rues du village. Le traitement repose sur
le lavage oculaire avec quelques gouttes de sérum physiologique ou, à défaut,
avec de l’eau légèrement salée, sur l’utilisation éventuelle d’une pommade oph-
talmique à l’Auréomycine® ou à la Terramycine® : apportez-en la plus grande
quantité possible dans vos bagages et, s’il en reste à la fin de votre mission, ne
les remportez surtout pas. Les conjonctivites banales représentent une part
importante et potentiellement très grave de la pathologie infantile courante.
Négligées, elles aboutissent à une ophtalmie mucopurulente avec blépharite
sur lesquelles viennent se poser les mouches. L’enfant ne peut que se frotter les
yeux avec des mains sales qui deviennent alors des mains souillées qu’il plon-
gera un quart d’heure plus tard pour se nourrir dans le plat de mil familial.

Parasitoses intestinales
Les parasitoses intestinales sont, pour plusieurs d’entre elles, les mêmes qu’en
France.
L’oxyurose est extrêmement fréquente chez l’enfant. Les œufs sont
déposés sur la marge de l’anus et la réinfestation directe se fait par ingestion.
Le diagnostic est évoqué devant des douleurs abdominales, parfois pseudo-
appendiculaires, par un prurit anal ou généralisé ou par un état neurotonique.
Un simple coup d’œil sur la marge de l’anus suffire au diagnostic.
Les ascaris sont responsables de douleurs abdominales et le diagnos-
tic est confirmé par l’émission dans les selles d’un ou de plusieurs longs vers
blancs.
Le traitement efficace de ces deux maladies fréquentes est représenté
par le mébendazole, généralement présent dans la dotation de la case de santé.
L’amibiase intestinale a un mode de contamination sensiblement
identique – les mains sales – et reste l’une des parasitoses universelles les plus
répandues, particulièrement en zone tropicale. Les manifestations patholo-
giques sont essentiellement digestives : dysenteries aiguës mucoglaireuses,
souvent afécales, 5 à 15 émissions par jour, associées à des douleurs abdomi-
nales variables, parfois de simples pesanteurs ou endolorissement, parfois de

44
LA CONSULTATION

véritables coliques, ailleurs des épreintes démarrant dans la région cæcale et


parcourant le cadre colique jusqu’à l’ampoule rectale ou, au contraire, un
ténesme qui se traduit par une envie douloureuse d’aller à la selle, contrariée
par un véritable spasme du sphincter anal. En dehors des formes dysentériques
très évocatrices, le diagnostic clinique n’est pas facile à affirmer et, en zone
endémique, il est prudent de recourir au métronidazole (Flagyl®) qui reste l’an-
tiamibien de référence.
Le Taenia saginata ou ver solitaire est un cestode. Ver plat, solitaire,
parasitant l’intestin grêle de l’homme, le scolex se fixe par quatre ventouses sur
la paroi intestinale et il prolifère au moyen d’anneaux plats qui peuvent
atteindre plusieurs mètres de long. La contamination se fait par l’ingestion de
viande mal cuite. La symptomatologie est pauvre ou latente : fatigue, amaigris-
sement, neurotonie, douleurs abdominales non spécifiques. Le diagnostic se
fait sur la présence d’anneaux dans les selles ou par leur chute dans les sous-
vêtements. Le traitement est représenté par la Tredemine®. Ce médicament ne
se trouve qu’en pharmacie. Il existe également de nombreuses préparations
phytothérapiques traditionnelles comme la graine de courge dont on ne peut
affirmer l’efficacité à 100 %.
Parmi les parasitoses de tous les jours qui menacent l’enfant, citons
encore deux maladies. La bilharziose ou maladie des pataugeurs touche les
enfants qui se baignent dans des mares parasitées (Annexe V). Elle entraîne des
troubles digestifs et des hématuries décrites au chapitre des maladies urinaires
(page 115). L’ankylostomiase, décrite au chapitre des maladies digestives
(page 77), entraîne des troubles digestifs mineurs et une anémie. Ces deux
parasites pénètrent par voie transcutanée. Leur prophylaxie repose d’une part
sur le port de chaussures, l’utilisation des latrines, l’abandon des engrais d’ori-
gine humaine et la perte de l’habitude d’uriner dans les marigots ni dans les
rizières. Tout un programme, souvent irréalisable.

Gastroentérites

Les gastroentérites et les diarrhées virales, bactériennes ou très souvent parasi-


taires, sont le plus souvent en rapport avec un défaut d’hygiène : l’eau, desti-
née à la consommation, devrait être filtrée et bouillie, le puits protégé contre
les contaminations d’origine animale. Les mains sales, avant de toucher au plat
familial et de le porter à la bouche, ont souvent servi à gratter le derrière ou à
manipuler des objets agricoles souillés. Les mouches enfin, avant de se poser
sur le plat familial, ont parfois butiné une bouse de vache ou pire encore !

45
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Le traitement de ces gastroentérites extrêmement fréquentes après le


sevrage reste la plupart du temps symptomatique et vise essentiellement à pré-
venir la déshydratation tout en assurant un apport énergétique suffisant. Il faut
arrêter l’alimentation normale et la remplacer exclusivement pendant trois
jours par le sérum de réhydratation orale (SRO) qui se présente en sachets de
poudre à diluer dans 1 L d’eau filtrée et bouillie. Si l’on n’en possède pas, il est
aisé de le reconstituer avec 40 g de sucre, 2,5 g de sel, 1 L d’eau ou mieux
encore d’eau de cuisson du riz. Le traitement antibiotique, Ercefuryl®, ou
Flagyl® ne se justifie que devant l’association de fièvre.
La déshydratation est redoutable ; elle s’installe rapidement chez l’en-
fant dont la diarrhée se complique de vomissements ou de fièvre. Elle est
aggravée par la grande chaleur et par le confinement. Diagnostiquée sur la
dépression de la fontanelle et la persistance du pli cutané, elle nécessite une
réhydratation parentérale : perfusion sous-cutanée de ClNa à 5 %. Le retour à
l’alimentation normale se fait ensuite de façon progressive : eau de riz, prépa-
rations hypercaloriques de type LHS (lait en poudre, huile et sel) (fig. 6).

Fig. 6 – Composition du SRO (sérum de réhydratation orale). En l’absence de


signes de gravité, vomissements, selles sanglantes, fièvre ou déshydratation, le
SRO administré pendant trois jours, résume le traitement des diarrhées
simples.

46
LA CONSULTATION

■ Quelques incidents de la première enfance


Écorchures et plaies souillées

Les écorchures et les plaies souillées se compliquent au minimum de cicatrices


chéloïdes inesthétiques et, bien souvent, d’abcès, de furoncles, d’ulcères et ser-
vent de porte d’entrée au redoutable tétanos. La prévention de celui-ci repose
sur la vaccination et le traitement des plaies banales et comprend le lavage à
grande eau et la désinfection avec Bétadine®. L’Unicef a conçu des mallettes de
premier secours contenant des compresses stériles, un désinfectant et tout ce
qui est nécessaire pour empêcher des bobos de tourner au désastre. Il convient
de toujours vérifier le statut vaccinal contre le tétanos.

Brûlures

Les brûlures sont fréquentes et particulièrement dangereuses. On doit traiter


sur place la brûlure simple et limitée et lutter contre la douleur qu’elle pro-
voque. Pour cela, on applique en urgence de l’eau froide qui apaise la souf-
france, stoppe l’effet destructeur de la chaleur sur la peau et limite l’extension
des lésions, puis on nettoie les corps étrangers et enfin on place un tulle gras et
un pansement protecteur. On fera usage d’antalgiques et d’antibiotiques si
nécessaire et pour assurer la prophylaxie antitétanique. Le pansement sera
changé deux jours plus tard.
En revanche, une brûlure étendue ou grave – vêtements en flammes,
brûlure étendue, brûlure de la face ou des mains, etc. – doit être transférée. En
urgence, on asperge les vêtements avec de l’eau froide, on découpe les vête-
ments autour de la brûlure car on considère qu’ils sont stérilisés par la chaleur
et qu’ils assurent, dans un premier temps, une certaine protection, on réalise
un enveloppement stérile, on lutte contre la douleur et le choc, on fait boire
abondamment et on transfère vers l’hôpital le plus accessible.
En dehors d’un contexte médicalisé, les traitements traditionnels de la
brûlure sont plus dangereux qu’utiles. Ils reposent sur l’application d’emplâtres
faits de beurre et de végétaux qui sont une porte d’entrée pour la surinfection
et le tétanos.

Piqûres et morsures

Parmi les piqûres et les morsures, celles des puces et des poux, des aoûtats et
des tiques sont responsables de prurit intolérable, les lésions de grattage se sur-

47
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

infectent et plusieurs de ces insectes sont également vecteurs d’agents patho-


gènes variés.
Le traitement repose sur un déshabillage complet, un étuvage des
vêtements souillés et de la literie. Le traitement du prurit repose sur les pom-
mades antihistaminiques et celui de l’inflammation sur les antiseptiques. Parmi
les petites bêtes qui piquent, qui grattent et qui font mal, les acariens (sarcopte
de la gale entre autres) sont responsables d’une dermite prurigineuse dont le
diagnostic repose sur les sillons galeux spécifiques associés à des lésions de
grattage. La gale est une affection à transmission interhumaine très conta-
gieuse. Elle nécessite déshabillage, douche et étuvage. Il existe un traitement
spécifique Ascabiol‚ (benzoate de méthyle) qui est appliqué en savonnage pro-
longé : une application unique sur une peau propre à ne rincer qu’après plu-
sieurs heures (fig. 7).

Fig. 7 – Traitement et prophylaxie de la gale. © Franck Sillonville.Avec l’ai-


mable autorisation des Éditions Karthala.

48
LA CONSULTATION

Les asticots (myiases) qui se développent sur les plaies ou au pourtour


des orifices faciaux (yeux narines) sont dus aux mouches. Plus que leur traite-
ment, il est important d’en assurer la prophylaxie par les soins oculaires et le
traitement des plaies, leur désinfection et la couverture par un pansement fré-
quemment renouvelé, ainsi que par la lutte contre les mouches.
Les serpents ne sont pas tous également dangereux, mais certains le
sont terriblement, à tel point que le problème est traité en Annexe IV. Les
enfants sont particulièrement exposés aux morsures de serpents. Ils marchent
pieds nus dans le sable et dans les broussailles. Retenons particulièrement les
najas en Afrique et en Orient, les crotales en Amérique, les vipéridés en
Afrique. Les conséquences de la morsure tiennent à la toxicité du venin (hémo-
lyse, paralysie, nécrose, état de choc). Le traitement comprend une sérothéra-
pie précoce : plusieurs sérums polyvalents existent, adaptés au risque
spécifique de chaque région du monde, et un traitement symptomatique :
repos, traitement de l’agitation, de la douleur, antibiothérapie, prophylaxie
antitétanique, traitement antichoc. La pose d’un garrot (en aval ou en amont ?)
et les saignées sont sans effet, la succion est dangereuse pour le secouriste, elle
doit être prudente. Les cas graves vont nécessiter, dès les premières heures, une
réanimation et seront systématiquement transférés.
La piqûre du scorpion présente quelque analogie avec les morsures de
serpents. Elle est infiniment plus fréquente et appelle essentiellement un traite-
ment général qui peut être assuré avec les moyens de la case de santé.
Les morsures de chien ou d’animaux sont particulièrement déla-
brantes et septiques. Désinfection, antalgiques et prophylaxies contre la rage et
le tétanos sont les mesures immédiates à appliquer. La suture des morsures de
chien doit être limitée et prudente car les plaies sont infectées en profondeur.
La rage est une méningoencéphalite transmise à l’homme par la morsure d’un
animal enragé : chien, âne, cheval, animal sauvage. La maladie fait suite à une
longue incubation de 15 jours à 2 mois, marquée par des fourmillements et des
douleurs au niveau de la morsure. On décrit une rage furieuse et une rage para-
lytique. La maladie est constamment mortelle. L’instauration du traitement est
décidée après la morsure par un animal clairement enragé ou suspect. Le trai-
tement consiste en l’injection aussi précoce que possible de vaccin antirabique
pendant 14 jours consécutifs. Ce traitement est évidemment hors de portée de
la plupart des situations de médecine en milieu précaire et la décision du trans-
fert de l’enfant mordu se fait devant la gravité de la morsure et sa proximité des
centres nerveux et en fonction de l’état de l’animal mordeur : chien errant ou
chien demi-sauvage, chien qui meurt dans les jours qui suivent la morsure ou

49
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

chien qui présente des symptômes inquiétants : paralysie des mâchoires, alté-
ration du comportement relationnel et alimentaire, agitation. On insiste aussi
sur les caractéristiques de l’aboiement furieux qui se termine sur une tonalité
aiguë.

■ Affections contagieuses fréquentes ou graves

La rougeole reste fréquente en dépit des campagnes de vaccination. Cette affec-


tion virale est redoutable en zone tropicale et, d’une façon générale, en milieu
précaire : camps de réfugiés, bidonvilles, etc. Il s’agit d’une rhinopharyngite
hyperfébrile accompagnée d’un exanthème malaisé à identifier sur une peau
colorée et d’un énanthème caractéristique : signe de Koplick, marbrures du
voile palatin. Les complications graves et potentiellement mortelles tiennent
aux pneumopathies, aux otites et aux méningo-encéphalites.
La coqueluche est évoquée devant une toux qui dure et qui s’aggrave,
accompagnée de vomissements entraînant une véritable dénutrition. En
Afrique, on la décrit comme une toux qui fait mourir de faim. Maladie bacté-
rienne, elle est sensible aux antibiotiques, particulièrement aux macrolides
(Josacine®, Rovamycine®).
Très contagieuses et grevées d’une lourde morbidité, ces maladies
font des ravages quand elles surviennent dans une communauté isolée, non
vaccinée et dénuée de toute immunité. Je me souviens avoir traversé dans
l’Indou Kouch, un village dépourvu de tout et qui n’avait probablement pas
plus de trois cents habitants, dont les vingt-cinq enfants étaient morts en l’es-
pace d’un hiver.
La scarlatine est une angine à streptocoque hyperfébrile avec vomisse-
ments. Le diagnostic clinique est assuré sur l’exanthème suivi de desquamation
cutanée. Cette maladie est accessible au traitement antibiotique. Sa gravité
tient aux complications rénales et aux endocardites.
Le rhumatisme articulaire aigu (RAA) complique généralement une
angine à streptocoque négligée ou passée inaperçue. La maladie est longue,
douloureuse et génère des endocardites. Son traitement repose sur les corti-
coïdes associés à l’amoxicilline.
La scarlatine et le rhumatisme articulaire aigu restent fréquents dans
tous les pays où l’angine traitée comme une affection bénigne se voit trop sou-
vent confiée au guérisseur traditionnel et ne bénéficie pas du traitement anti-
biotique.

50
LA CONSULTATION

La méningite cérébrospinale succède plus ou moins rapidement à une


angine. Son tableau est réalisé par une fièvre élevée avec vomissements et
signes d’irritation méningée : raideur de la nuque, rachialgies, signe de Kernig,
photophobie et glissement progressif ou rapide vers un état de stupeur, de
coma marqué par des convulsions. Le pronostic vital est en jeu, les séquelles
neurologiques fréquentes. L’angine initiale est accessible aux antibiotiques,
mais le médecin est souvent pris de court par l’apparition des troubles neuro-
logiques. Chez le jeune enfant et le nourrisson, le syndrome méningé se traduit
par la triade vomissements, plafonnement du regard et tension de la fontanelle.
La méningite cérébrospinale sévit par épidémies saisonnières dans la « ceinture
de la méningite », une zone sahélienne qui s’étend de l’Éthiopie au Sénégal.
L’encombrement des services hospitaliers en période épidémique impose la
prise en charge décentralisée du traitement. Appliqué dès les premiers symp-
tômes qui sont aisés à repérer en période épidémique, le traitement repose sur
une injection unique d’un antibiotique qui se dilue convenablement dans le
liquide céphalorachidien. Le chloramphénicol par voie intramusculaire est le
traitement de choix, seulement contre-indiqué chez la femme enceinte ou allai-
tante. Le produit se présente en ampoules de 500 mg, la posologie est de quatre
ampoules, deux dans chaque fesse chez l’enfant de moins de 5 ans à huit
ampoules, quatre dans chaque fesse chez l’adulte. La dose est répétée le lende-
main en cas d’aggravation. D’autres protocoles existent qui font appel à la cef-
triaxone (céphalosporine).
Il existe un vaccin contre la méningite à méningocoque. La campagne
de vaccination est entreprise dès le franchissement du seuil épidémique dans
une zone soigneusement circonscrite. L’organisation d’une campagne de vacci-
nation fait l’objet de l’Annexe III.
Le paludisme de l’enfant est particulièrement ravageur. Il est rare pendant
les premiers mois de la vie où le nourrisson est protégé par les anticorps mater-
nels. Il est particulièrement dangereux ensuite jusqu’à l’adolescence. Cette
période correspond à la constitution de l’immunité. Le diagnostic doit évidem-
ment être évoqué devant une fièvre, mais également devant une gastro-entérite
fébrile ou des convulsions.
La poliomyélite que les Africains appellent maladie de la jambe gâtée ou
encore la paralysie flasque fébrile, reste, en dépit des campagnes de vaccina-
tion, une cause fréquente de mortalité et de séquelles graves. Il n’est que voir
le nombre des mendiants handicapés dans les rues de Dakar, de Lagos ou de
Bombay. La contamination interhumaine se fait par voie digestive et bucco-
pharyngée. Le rôle des porteurs sains est considérable. Le virus possède un

51
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

tropisme pour la corne antérieure de la moelle épinière : il est responsable de


paralysies douloureuses avec amyotrophie. La période initiale est marquée par
une fièvre élevée avec myalgies et syndrome méningé. En période épidémique,
la ponction lombaire n’est pas nécessaire pour affirmer une méningite de type
lymphocytaire ; elle est de plus susceptible d’aggraver l’évolution. Les paraly-
sies apparaissent de façon dissymétrique, elles sont parfois fugaces et peuvent
toucher successivement plusieurs groupes musculaires. Il s’agit de paralysies
de type périphérique avec hypotonie, amyotrophie, abolition du réflexe rotu-
lien et du réflexe cutané plantaire en flexion. Elles touchent indifféremment les
membres, les muscles respiratoires et la commande bulbaire, cette dernière
étant responsable de fausses routes alimentaires. Le risque d’extension des
paralysies s’estompe à la fin de la période fébrile. La récupération partielle reste
imprévisible. La mortalité est lourde et le bilan des séquelles se fait après plu-
sieurs semaines. Le traitement reste symptomatique, repos, appareillage des
membres paralysés pour éviter les positions vicieuses, kinésithérapie, assis-
tance respiratoire.
La prophylaxie très efficace repose sur la vaccination qui peut faire
disparaître la maladie.

■ Programme élargi de vaccination


La plupart de ces fléaux qui touchent l’enfance peuvent être éradiqués par la
vaccination. Plusieurs maladies sont universelles et relèvent du programme
élargi de vaccination (PEV) proposé par l’OMS, qui reste applicable pour tous
les pays.
Deux vaccins sont recommandés dès la naissance :
– le vaccin BCG protège contre la tuberculose. Il faut le pratiquer aussitôt que
possible après la naissance. L’efficacité du BCG n’est pas de 100 %, mais ce
vaccin ne nécessite pas de rappel. Il se pratique par voie intradermique ou par
scarification. Il est présenté en flacons de dix doses et il semble convenable
de recenser dans une population le nombre des enfants à vacciner pour orga-
niser une vaccination groupée. La vaccination des adultes se pratique en cas
de risque particulier : contexte épidémique ou camp de réfugiés. L’expérience
montre qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer une cuti-réaction préalable et
plutôt que de voir certains sujets ne pas se présenter au contrôle, il semble
préférable de revacciner inutilement un sujet déjà protégé.
– le vaccin antipoliomyélite oral est administré à la naissance puis trois fois au
cours de la première année suivi d’un rappel un an plus tard.

52
LA CONSULTATION

Le vaccin pentavalent protège contre cinq maladies, la rougeole, la


coqueluche, la diphtérie, l’hépatite B et le tétanos. Il se pratique en trois injec-
tions au cours de la première année suivies d’un rappel un an plus tard.
Trois maladies relèvent de stratégies vaccinales particulières, ce sont la
fièvre jaune, la rage et la méningite cérébrospinale.
La fièvre jaune sévit en Afrique et en Amérique du sud. Il faut vacci-
ner tous les enfants à l’âge de 3 ans. Le vaccin ne doit pas être pratiqué chez la
femme enceinte. Il est particulièrement fragile.
Nous avons vu plus haut les indications et la pratique de la vaccina-
tion antirabique.
La méningite cérébrospinale possède un contexte épidémiologique
particulier. La maladie est loin d’être universelle et sévit particulièrement dans
la zone dite ceinture de la méningite qui s’étend dans la zone sahélienne, du
Yémen au Sénégal et au golfe de Guinée. Elle s’étend de façon saisonnière
selon un rythme pluriannuel de cinq à dix ans. L’acmé de la maladie corres-
pond à la fin de la saison sèche et disparaît avec la saison des pluies. Les cam-
pagnes limitées de vaccination sont décidées devant le franchissement, dans la
zone endémique, d’un seuil défini par l’augmentation significative en une
semaine, de nouveaux cas pour 100 000 habitants.
Plusieurs pays préconisent des programmes de vaccination particu-
liers ; la Chine par exemple a choisi de protéger son immense population
contre les maladies cosmopolites, mais également contre un certain nombre de
maladies comme l’encéphalopathie japonaise, le Hantavirus (fièvre hémorra-
gique avec syndrome rénal, transmise par les rongeurs, voir page 70) et le cho-
léra, etc. Le calendrier chinois de vaccination s’attaque officiellement à
quatorze maladies.
L’organisation d’une campagne de vaccination fait l’objet de l’annexe IV.

La pédiatrie est avant tout consacrée à l’enfant en bonne santé et


l’abord choisi dans ce chapitre est essentiellement préventif.
L’alimentation au sein est la règle pendant 18 à 24 mois et pro-
tège efficacement le nourrisson, pourvu que la mère soit en
bonne santé. En revanche, le sevrage est l’époque de tous les
dangers. Les différentes carences nutritionnelles sont passées en
revue. De nombreuses affections de l’enfant sont liées à la
▼▼▼

53
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

méconnaissance de règles d’hygiène élémentaire tandis que le


péril fécal est responsable de conjonctivites, de diarrhées, de
déshydratation et de parasitoses intestinales qui sont ici passées
en revue. Les maladies contagieuses sont rapidement évoquées
et le diagnostic parfois difficile d’une éruption sur peau pigmen-
tée rappelle que la scarlatine est avant tout une angine tandis que
la rougeole est une rhinopharyngite. Le chapitre se termine sur le
programme élargi de vaccination.

Fièvres

En climat froid ou tempéré et en altitude, la survenue d’une fièvre et la conduite


à tenir nous sont familières. En revanche, dans la plupart des autres pays, la
fièvre répond souvent à des pathologies spécifiques.
Le paludisme et la tuberculose dominent le tableau, tant par leur fré-
quence et leur gravité que par leur universalité. Il faut également se préparer
mentalement à rencontrer d’autres situations qui sont loin de nous être fami-
lières : la dengue, le chikungunya ou la fièvre jaune qui appartiennent toutes
trois au groupe des maladies virales transmises par des piqûres d’insectes ou
d’arthropodes (arboviroses) ou les maladies dues aux Hantavirus transmises
par les rongeurs, mais aussi des affections qui sont loin d’être éradiquées,
comme la poliomyélite, la rougeole ou la coqueluche.

■ Paludisme
Quelques notions de base

La maladie est pratiquement universelle, elle est liée à la présence d’un parasite,
le Plasmodium, dont il existe quatre variétés :
– Plasmodium vivax et Plasmodium ovale, plutôt répandus dans les zones tempé-
rées, sont jugés responsables de formes généralement bénignes ;

54
LA CONSULTATION

– Plasmodium falciparum, répandu dans les zones intertropicales, est responsable


des formes les plus graves de la maladie et des formes chloroquino-résis-
tantes ;
– Plasmodium malariae enfin dont la distribution géographique n’est pas systé-
matisée. Le problème des insectes vecteurs est abordé dans l’Annexe V.
La transmission du paludisme est liée à la présence d’anophèles qui
vivent en climat chaud ou tempéré, dans des zones humides. Ce moustique ne
s’adapte pas aux altitudes supérieures à 1 500 mètres. Pratiquement éradiqué
en Europe et en Russie, il sévit presque partout ailleurs : à Madagascar, en
Afrique et même, semble-t-il, dans certaines oasis sahariennes, en Inde, dans la
péninsule arabique, le golfe persique, l’Asie du Sud-Est et la Chine, l’Amérique
centrale et du sud, l’Océanie, la Nouvelle Guinée et l’Australie du nord. On
considère qu’il est éradiqué à La Réunion, à l’île Maurice et dans les Antilles
françaises.
En région équatoriale, le risque paludéen est permanent et en zone
tropicale, il est maximum à la saison des pluies (hivernage ou mousson).
À l’inverse de la mouche qui bourdonne dès le lever du soleil, le
moustique se plaît dans la pénombre ou l’obscurité, il pique essentiellement la
nuit ou dans les zones sylvestres humides.
Enfin, l’anophèle est un moustique sédentaire, mais il peut se trouver
entraîné par le vent, être embarqué dans une automobile, un cargo ou un avion
et piquer parfois à distance de sa patrie. De même, le voyageur peut avoir été
infecté dans une zone à risque et développer la maladie dans un pays où per-
sonne ne sait comment soigner le paludisme.
Les sujets vivant en zone impaludée constituent progressivement,
après plusieurs accès palustres, une immunité relative et les piqûres itératives
semblent protéger contre les formes graves de la maladie. Cette immunité
acquise est transmise par la mère à l’enfant et celui-ci se trouve protégé pen-
dant les premières années de la vie. En revanche, cette immunité acquise est
labile et disparaît après un séjour prolongé en zone non impaludée. Ainsi, les
Africains résidant en France et rentrant dans leur pays après plusieurs années,
se comportent sur le plan immunitaire comme des sujets neufs, ils n’ont plus
aucune immunité et doivent, à l’occasion d’un séjour occasionnel, recourir à la
chimioprophylaxie pendant au moins les trois premiers mois de leur séjour.
Le risque abortif est important à toutes les époques de la grossesse.
Sans qu’on s’en explique le mécanisme, les sujets atteints de drépano-
cytose (voir le chapitre sur les maladies hématologiques page 112) posséde-

55
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

raient une immunité relative contre les formes graves du paludisme à


Plasmodium falciparum.
Devant une maladie aussi fréquente et grave, il n’est pas nécessaire
d’attendre le pire pour se protéger. L’assèchement des marais et la mise en cul-
ture des zones humides ont permis d’éradiquer l’anophèle de la plupart des
pays d’Europe où il faisait des ravages (fièvre des marais) jusqu’au XIXe siècle.
Les insecticides ne représentent pas une solution efficace et le rapport
risque/efficacité les fait de plus en plus souvent écarter.
Le développement des mesures d’hygiène et la protection individuelle
contre les piqûres de moustiques représentent un sujet majeur de santé
publique et pourront faire l’objet de causeries villageoises. La première des pro-
tections est l’utilisation d’une moustiquaire imprégnée ; elle protège efficace-
ment le dormeur contre les piqûres de moustiques pendant les heures
nocturnes où ils sont le plus actifs. La protection des téguments est assurée par
des vêtements couvrants à porter systématiquement dès le coucher du soleil
tandis que l’utilisation de répulsifs et de crèmes protectrices est une protection
accessoire pour des gens qui sont exposés en permanence.
Il faut encore expliquer l’intérêt de l’élimination des flaques d’eau, la
couverture des puits et la protection des abords des points d’eau et des forages.
Les villages doivent être construits à distance des marigots.
La chimioprophylaxie est capitale pour les voyageurs ; ils ne sont pas
immunisés et courent le risque de formes graves. Toutefois, elle n’est pas indi-
quée en cas de séjour d’une durée supérieure à trois ou quatre mois. En effet,
il existe un risque d’accoutumance, la toxicité des produits n’est pas nulle en
cas d’utilisation prolongée et on considère que les résidents développent une
immunité relative au fil des piqûres de moustique. En dehors des voyageurs, la
prévention médicamenteuse est indiquée chez la femme enceinte.

Étude clinique

L’infirmier-chef de poste vous dira sans doute qu’il considère et soigne comme
un paludisme toute fièvre qui dure plus de quarante-huit heures en saison des
pluies. En revanche, l’interne des hôpitaux à Dakar ou à Lomé lèvera les bras
au ciel devant cette attitude simpliste et vous expliquera longuement qu’il ne
met jamais en œuvre un traitement antipaludéen avant d’avoir le résultat de la
goutte épaisse.
L’un possède un laboratoire et l’autre pas.

56
LA CONSULTATION

Comme nous n’en possédons pas et comme malgré tout nous cher-
chons à faire de la bonne médecine, nous allons oublier qu’il existe plusieurs
sortes de Plasmodiums et nous souvenir que Plasmodium falciparum est de loin le
plus fréquent en région tropicale et qu’il est également le plus dangereux. Nous
allons retenir trois tableaux qui conditionnent trois attitudes thérapeutiques.
Dans tous les cas, la piqûre d’insecte remonte à une quinzaine de jours et elle
est passée inaperçue.

Premier tableau
L’accès simple associe une fièvre à 39-40 °C, continue ou rémittente avec plu-
sieurs clochers quotidiens, des frissons, une transpiration abondante et des
courbatures. Au bout de cinq à six jours, les clochers thermiques s’espacent,
une fois par jour puis tous les deux ou même tous les trois jours. Courbatures,
nausées, céphalées, malaise général, le malade se sent exténué. L’examen révèle
inconstamment une pâleur des conjonctives et une discrète hépatomégalie, la
rate est le plus souvent normale. Le malade ne vomit pas et on pourra instau-
rer un traitement oral.

Deuxième tableau
Le paludisme compliqué correspond à une invasion parasitaire massive avec
une hémolyse notable. La fièvre s’accompagne de nausées et de vomissements.
Les céphalées dominent le tableau, le malade est en proie à de véritables salves
de frissons. Il est obnubilé, déshydraté, l’examen révèle un subictère plus ou
moins grave, une hépatosplénomégalie, les urines sont ictériques. Le traite-
ment oral n’est plus de mise.

Troisième tableau
L’accès pernicieux ou neuropaludisme est responsable de la plupart des formes
mortelles. Il se développe chez des sujets non immunisés, jeunes enfants,
voyageurs sans prophylaxie. C’est le grand drame, il correspond à une inocu-
lation massive. La multiplication extrême des Plasmodiums à l’intérieur des
hématies (hématozoaires) entraîne simultanément une hémolyse, des phéno-
mènes toxiques et l’agglutination des hématies parasitées créent des thrombus
capillaires viscéraux et une anoxie cérébrale. Les organes les plus fragiles res-
tent le cerveau, le foie et les reins. Vomissements, signes généraux drama-
tiques, on a vu la fièvre monter au-delà de 42 °C, la pression artérielle
s’effondrer, le pouls s’accélérer jusqu’à 200. Parfois, il se dissocie et parfois se

57
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

ralentit. La transpiration entraîne rapidement une déshydratation avec des


désordres électrolytiques. Le patient tombe doucement dans un coma d’inten-
sité variable en rapport avec l’anoxie cérébrale. Les autres complications neu-
rologiques de mauvais pronostic sont les convulsions. D’autres formes
cliniques de l’accès pernicieux associent à une fièvre toujours élevée, des
troubles psychiatriques où le coma fait place à des désordres confusionnels ou
délirants, des formes ictériques en rapport avec l’hémolyse intense, des tubu-
lonéphrites dont le pronostic est lié aux possibilités d’épuration extrarénale.
Le pronostic de cet accès pernicieux est lié à un diagnostic rapide et à
l’instauration immédiate d’un traitement par les sels de quinine en perfusion.
L’apparition des signes de gravité, coma profond, persistance d’une fièvre éle-
vée et anurie justifient la prolongation du traitement et le transfert vers un ser-
vice hospitalier.
La fièvre bilieuse hémoglobinurique est une complication tardive qui
associe un tableau septicémique et une oligoanurie. Selon Gentilini, cette affec-
tion extrêmement rare obéirait à un mécanisme immunoallergique mal élucidé
chez d’anciens paludéens considérés comme guéris.

Diagnostic

En médecine de brousse, le diagnostic de paludisme se base sur l’extrême pré-


valence de cette maladie en période des pluies. La clinique reste toutefois
essentielle pour éliminer les autres causes de maladie fébrile et pour évaluer la
gravité de l’état du patient. Outre la fièvre, les frissons, le subictère et l’hépa-
tosplénomégalie inconstante, on évalue l’état de conscience du malade et sur-
tout l’existence de vomissements qui conditionne les possibilités
thérapeutiques. Le paludisme est une maladie potentiellement grave, la morta-
lité du neuropaludisme est élevée et un diagnostic rapide est capital. Chez la
femme enceinte, la fièvre est responsable de la fréquence des avortements.
Le diagnostic biologique spécifique repose sur l’identification des
hématies parasitées par l’examen dit de la goutte épaisse colorée par la méthode
Giemsa. Cet examen est simple et donne un résultat immédiat, mais il néces-
site un laboratoire sommaire et un laborantin expérimenté dont les postes de
santé en brousse sont généralement dépourvus. Plutôt que de perdre un temps
précieux et considérant que la précocité du traitement est garante de sa réus-
site, la plupart des malades sont traités sur les arguments cliniques de pré-
somption.

58
LA CONSULTATION

Traitement
Face à une maladie aussi grave et cosmopolite, la recherche thérapeutique est
en mobilisation constante et la panoplie des médicaments s’enrichit régulière-
ment. Il n’existe pas encore de vaccin. Les médicaments efficaces appartiennent
principalement à trois classes chimiques : les antipaludéens de synthèse, les
sulfamides et les sels de quinine. Chacun de ces médicaments possède ses indi-
cations propres et les résistances induites obligent à une révision périodique
des schémas thérapeutiques.
Nous indiquons ici les protocoles adoptés par la majorité des pays
africains, considérant quatre situations. Cette présentation est loin d’être
exhaustive, elle a le mérite d’être claire.

Trois protocoles thérapeutiques


Accès simple sans vomissements ➞ amodiaquine 3 jours ou
Fansidar® en prise unique.
Formes graves avec vomissements et troubles de la conscience ➞ sels
de quinine en perfusion 3 jours, puis amiodaquine 3 jours.
Femme enceinte ➞ sels de quinine par voie orale.

Traitement de l’accès simple


Les antipaludéens de synthèse représentés par l’amodiaquine (Camoquine®,
Flavoquine®) sont indiqués pour le traitement de l’accès simple de paludisme.
Leur action est rapide et leur élimination lente, ils se présentent en comprimés
à 200 mg. Le traitement comprend 16 comprimés à absorber en trois ou quatre
jours. Il existe une forme sirop pour enfant qui a pour seul démérite d’être fort
amère. Le médicament serait à éviter chez la femme enceinte. Paradoxalement,
l’amodiaquine est trop souvent absente de la plupart des cases de santé qui res-
tent approvisionnées d’un bout à l’autre de l’Afrique, en chloroquine, un anti-
paludéen de synthèse de première génération qui reste efficace contre
Plasmodium vivax, mais généralement impuissant contre le Plasmodium falciparum.
Les sulfamides sont représentés par le sulfadoxine-pyrithamine
(Fansidar®) ; association d’un sulfamide et d’un antifolinique, cet antipaludéen
est indiqué en cas de résistance ou de contre-indication à l’amodiaquine. Il se
prescrit en dose unique de trois comprimés chez l’adulte. Il est contre-indiqué
au cours des trois premiers mois de grossesse.

59
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Traitement de l’accès grave, avec vomissement et troubles de la conscience

Les sels de quinine injectables (Paluject® ou Quinimax®) sont utilisés en perfu-


sion continue pendant trois jours contre le paludisme grave (avec fièvre élevée,
vomissements et troubles de la conscience). La posologie est de 2 à 4 ampoules
de 500 mg/j, diluées dans 1 litre de sérum salé isotonique. Chez l’enfant, la
dose quotidienne est de 25 mg/kg et par jour. À partir du 4e jour, quand le
malade est apyrétique et que les vomissements ont cessé, reprise du traitement
classique par amodiaquine pendant quatre jours.
Le traitement symptomatique associé comprend la rééquilibration
hydroélectrique, les antipyrétiques, les anticonvulsivants (Valium®), les anti-
émétiques, les corticoïdes et les antibiotiques.

Paludisme de la femme enceinte

En raison du risque abortif lié aux accès thermiques, le paludisme fait l’objet
d’une prévention particulière : distribution, dès la première visite prénatale,
d’une moustiquaire imprégnée et chimioprophylaxie par Fansidar® : 3 compri-
més en prise unique au 4e et au 7e mois de grossesse. Quand au traitement de
l’accès aigu, il fait appel aux sels de quinine (Quinimax‚ ou Paluject‚) qui sont
dénués d’effet abortif. Ces deux médicaments existent en comprimés et sous
forme injectable.
En pratique, en période d’hivernage, la multiplication des cas de palu-
disme et l’encombrement des services hospitaliers sont tels qu’il faut traiter sur
place la majorité des cas. Devant un cas grave, la mise en œuvre rapide du trai-
tement antiparasitaire est garante d’un résultat favorable et, si l’on dispose des
moyens de perfusion, on peut traiter efficacement la plupart des accès palu-
déens. Seul l’examen clinique et l’appréciation des signes de gravité (coma pro-
fond, troubles respiratoires, anurie, hémolyse) inclineront à évacuer le patient.

Chimioprophylaxie

Elle ne s’applique que dans le cas des femmes enceintes et des voyageurs. Le
médecin en mission appartient généralement à cette dernière catégorie et il est
particulièrement exposé. Le risque est évalué en fonction des zones géogra-
phiques et de la prévalence de tel ou tel Plasmodium, mais la plupart des pays
concernés par notre action étant infestés par Plasmodium falciparum, il appartient
au médecin de s’assurer une protection maximale.

60
LA CONSULTATION

La chloroquine (Nivaquine®) est généralement insuffisante, il faut


l’oublier. La Savarine® est une association de chloroquine et de proguanil. Une
prise quotidienne est nécessaire.
La Malarone® est une association d’atovaquone et de proguanil. Une
prise quotidienne est nécessaire.
La mefloquine (Lariam®) est une molécule originale. Une prise hebdo-
madaire est nécessaire.
La doxycycline 100 mg possède, outre son action antibiotique bien
connue, une remarquable efficacité contre les souches les plus résistantes du
Plasmodium. Elle constitue une excellente prévention dans les pays les plus
infestés comme l’Extrême-Orient. Son coût est modéré. Elle est contre-indi-
quée chez l’enfant et la femme enceinte. Une prise quotidienne est nécessaire.
Tous ces médicaments doivent être pris quelques jours avant le départ
(identification d’une éventuelle intolérance) et poursuivis trois semaines après
le retour. Il est inutile et dangereux de poursuivre une chimioprophylaxie pour
un séjour supérieur à trois mois.
À titre personnel, j’utilise la doxycycline et je prends, en plus, trois
comprimés de Fansidar® dès mon arrivée en zone endémique.

Autotraitement d’urgence
L’Européen est dépourvu en principe de toute immunité et il se trouve particu-
lièrement exposé aux formes graves. En cas de fièvre, il est recommandé d’ini-
tier immédiatement un traitement de trois jours par doxycycline, deux
comprimés par jour, et, si le diagnostic de paludisme se confirme, d’initier un
traitement spécifique tel qu’il a été présenté plus haut.
La chimioprophylaxie de doit pas faire négliger les mesures de préven-
tion contre les piqûres de moustique : moustiquaire imprégnée, répulsifs, crèmes.

Le paludisme est un fléau majeur et presque cosmopolite. Le


Plasmodium, parasite responsable, est transmis par la piqûre de
l’anophèle et la maladie se présente sous des formes de gravité
diverses, responsables au bout du compte d’une grande morta-
lité. Il n’existe pas de vaccin contre le paludisme, mais un arse-
nal de traitement et plusieurs schémas thérapeutiques adaptés à
▼▼▼

61
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

la gravité des symptômes. La chimioprophylaxie n’est indiquée


que chez les femmes enceintes et chez les voyageurs pendant les
trois premiers mois de leur séjour en zone endémique.

■ Tuberculose
Quelques notions de base

Alors que dans les pays occidentaux à niveau de vie élevé, la vaccination sys-
tématique, le dépistage et l’amélioration des conditions d’hygiène et de loge-
ment ont fait reculer cette maladie redoutable, la tuberculose reste un
problème majeur de santé publique dans les pays où s’exerce la médecine
humanitaire. Elle est favorisée par la surpopulation, les mauvaises conditions
d’hygiène et la pauvreté. Il serait dangereux d’en minimiser les ravages et de ne
pas y voir une menace planétaire. Neuf à dix millions de cas nouveaux sont
diagnostiqués chaque année de par le monde. L’émergence du sida complique
singulièrement les modalités du traitement et le pronostic. En effet, la tubercu-
lose est la plus grave sinon la plus fréquente des maladies opportunistes qui
marquent pour le sujet séropositif, l’entrée dans la maladie. Le traitement anti-
tuberculeux, qui dure au minimum six mois et fait appel à trois molécules,
alourdit les protocoles thérapeutiques du sida. Enfin, c’est chez les sidéens
qu’on rencontre les chimiorésistances les plus difficiles à contourner.
Il existe pourtant un vaccin contre la tuberculose. Le BCG (Bacille de
Calmette et Guérin) reste, dans la situation épidémiologique actuelle, un
moyen indispensable de protection des populations exposées : population
urbaine, bidonville, contexte endémique, camp de réfugiés. Il doit être pratiqué
dès la naissance, son efficacité est estimée entre 70 et 75 %. On vaccine égale-
ment des enfants ou des adultes en bonne santé. La pratique d’un test tuber-
culinique préalable n’est plus systématique, les rappels de vaccination ne sont
pas nécessaires
La tuberculose tue près de deux millions de personnes par an, presque
exclusivement dans les pays pauvres : 95 % des patients atteints d’une tuber-
culose active vivent dans les pays en voie de développement et 99 % des décès
liés à la maladie surviennent dans ces pays. Les régions du monde les plus tou-
chées sont par nombre décroissant de cas : l’Inde, la Chine, l’Indonésie, le
Bangladesh, le Nigéria, le Pakistan, l’Afrique du Sud, les Philippines, la
Fédération russe, l’Éthiopie, le Kenya, la République démocratique du Congo,

62
LA CONSULTATION

le Viet Nam, la Tanzanie, le Brésil, la Thaïlande, le Zimbabwe, le Cambodge,


le Myanmar, l’Ouganda, l’Afghanistan et le Mozambique (rapport MSF
octobre 2004).

En pratique de brousse

La suspicion de tuberculose repose sur l’association d’une fièvre avec altération


de l’état général, amaigrissement et asthénie.
La fièvre chronique est peu élevée, oscillante ou en plateau, accompa-
gnée de sueurs nocturnes.
Certains signes sont très évocateurs, mais ils sont tardifs et toujours
signes de gravité : une hémoptysie, la toux et l’expectoration bacillifère dans
les formes pulmonaires, la boiterie, les douleurs articulaires et les abcès froids
dans les formes osseuses, les adénopathies froides dans les formes ganglion-
naires
L’examen physique du malade garde une grande valeur partout où il
est impossible de demander un examen radiologique. On appréciera le degré
d’amaigrissement, l’insomnie, les sueurs, l’épuisement du malade, les carac-
tères de la toux et de la dyspnée. On se souciera de la couleur et de l’abondance
des crachats. L’auscultation ne montre pas grand-chose dans les tuberculoses
fibrocaséeuses, nodulaires ou ganglionnaires, en revanche, elle est précieuse
dans toutes les autres formes respiratoires pour caractériser un souffle caver-
neux, un frottement pleural ou un foyer de condensation, une zone d’atélecta-
sie. Elle permet de suivre l’évolution.
L’auscultation permet aussi d’apprécier le retentissement cardiovascu-
laire : rythme cardiaque, anomalie des bruits du cœur, frottement péricardique.
En Afrique, plus de 20 % des tuberculoses sont osseuses et les
malades consultent souvent très tardivement pour une boiterie, un abcès froid,
voire même un abcès froid fistulisé. Le mal de Pott et la coxalgie fistulisent fré-
quemment dans la région fessière et crurale.
Les adénopathies tuberculeuses doivent être systématiquement
recherchées dans toutes les chaînes accessibles à l’examen direct : creux axil-
laire, chaînes cervicales, région inguinale. Typiquement, il s’agit de deux ou
trois gros ganglions non inflammatoires, fluctuants et indolores.
La tuberculose viscérale se manifeste par des troubles digestifs divers
et la présence fréquente d’une splénomégalie considérable (voir également
page 79).

63
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La confirmation du diagnostic de tuberculose nécessite un minimum


d’examens complémentaires tant les éléments fournis par l’état général et les
signes physiques restent banals et polymorphes. L’idéal serait évidemment de
disposer de tests tuberculiniques (intradermoréaction), d’un laboratoire avec
un microscope, quelques colorants et un bon laborantin et au moins un appa-
reil de radioscopie.
L’examen bactériologique des crachats affirme la maladie et sa conta-
giosité. Cet examen est spécifique mais ce n’est pas un outil diagnostique suf-
fisant. Les statistiques menées sur une très grande échelle confirment qu’il n’est
positif que chez 50 à 60 % des malades tuberculeux pulmonaires et qu’en
outre, il n’a aucune valeur pour le diagnostic des formes extrapulmonaires.
La radiographie reste indispensable. Elle identifie les adénopathies
médiastinales, les images nodulaires, les infiltrats, les ulcérations, les cavernes,
les tuberculoses miliaires. Elle est indispensable pour mettre en évidence pré-
cocement les images de tuberculose osseuse dont le diagnostic sur les seuls
signes cliniques est tardif.

Programme DOTS

L’OMS a mis au point un programme rationalisé de dépistage et de traitement


de la tuberculose. Le programme DOTS (Directly Observed Treatment, Short
course, ou traitement de courte durée sous supervision directe) a été mis en
œuvre progressivement à partir de 1990 dans la plupart des pays où la tuber-
culose reste un problème majeur. Conçu dans une optique de santé publique,
le programme DOTS considère en premier lieu la dangerosité des malades qui
crachent des bacilles de Koch (BK) et leur rôle majeur dans la dissémination de
la maladie. Il tient compte de la difficulté d’imposer les mesures d’isolement
aux malades contagieux et de la difficulté de persuader les malades à se sou-
mettre à un traitement prolongé.
Les protocoles thérapeutiques du programme DOTS prennent en
compte ces trois éléments.
La tuberculose est diagnostiquée sur la base des antécédents du sujet,
d’un examen clinique et de tests bactériologiques. Seuls sont considérés
comme dangereux et inclus dans le protocole thérapeutique les patients
bacilifères.
Le traitement de brève durée (6 à 8 mois) se déroule en deux phases
pendant lesquelles les services nationaux de santé, subventionnés et encadrés

64
LA CONSULTATION

par l’OMS, offrent un éventail de services gratuits dont les malades ont besoin
pour poursuivre et terminer leur traitement.
Le traitement intensif pendant les deux premiers mois doit parvenir à
la stérilisation des crachats. Il associe deux ou trois molécules choisies parmi
les antituberculeux puissants : isoniazide, rifampicine, pyrazinamide
(Pirilène 500®), streptomycine et éthambutol. Durant cette période, dite de sur-
veillance directe, l’isolement du malade contagieux est souhaitable. S’il ne peut
pas être réalisé, il appartient à l’agent de santé de contrôler visuellement la prise
des médicaments. Les résultats sont suivis sur les tests habituels et la stérilisa-
tion des crachats conditionne le passage au traitement de consolidation qui
sera poursuivi pendant les mois suivants.
Le principe même du DOTS est cependant fortement remis en cause.
Lancé depuis une quinzaine d’années, ce programme a certes permis une rela-
tive amélioration des ravages de l’endémie tuberculeuse et une stabilisation du
nombre des nouveaux cas. Toutefois dans une analyse critique, fondée sur une
longue expérience sur tous les fronts de la maladie, les spécialistes de MSF esti-
ment que cette stratégie de santé publique a trouvé ses limites. Son objectif est
de stopper la contagion en concentrant les efforts sur les malades dont l’exa-
men microscopique des crachats est positif. Ce faisant, elle ne prend en charge
que la moitié des tuberculoses pulmonaires et néglige les patients dont le dia-
gnostic est le plus difficile mais dont l’espoir de guérison est le meilleur. Il ne
détecte pas les tuberculoses extrapulmonaires et surtout il n’est pas adapté à la
prise en charge de la maladie chez les malades co-infectés par le sida qui souf-
frent fréquemment de tuberculoses extrapulmonaires.
De plus, les cas de résistance à un ou plusieurs des antituberculeux
majeurs utilisés dans le cadre du DOTS sont de plus en plus fréquents. Le rap-
port de MSF sur la tuberculose conclut sur un appel à la recherche : l’efficacité
de la lutte antituberculeuse est freinée par la vétusté des moyens utilisés, le vac-
cin BCG, seul vaccin existant, n’est efficace que pour 75 % des sujets vaccinés
et le diagnostic bactériologique repose sur un test microscopique qui date de
1882. L’arsenal thérapeutique, enfin, n’a guère évolué depuis les années 1960
et aucune molécule innovante n’est attendue avant 2015 (réf. MSF).

65
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Technique de la vaccination intradermique

Le vaccin BCG se fait par voie intradermique au-dessus de l’in-


sertion distale du muscle deltoïde, la peau entre le pouce et l’in-
dex. L’aiguille, presque parallèle à la surface de la peau, doit être
insérée lentement (biseau en haut) environ 2 mm dans la couche
superficielle du derme. Elle doit être visible au travers de l’épi-
derme pendant l’insertion. La papule pâle en peau d’orange qui
apparaît est le signe d’une injection correcte. Les injecteurs sous
pression sans aiguille ne sont pas indiqués pour le BCG, même
en vaccination de masse.

Tuberculose et sida
Treize millions d’humains sont co-infectés par les deux maladies : tuberculose
et sida. La tuberculose vient au premier rang des maladies opportunistes et
constitue la principale cause de décès. La prise en charge de ces deux maladies
au sein des systèmes nationaux de santé relève d’équipes différentes. Cette
séparation engendre une grande confusion, voire une incompréhension totale
sur les médicaments à prendre pour l’une ou l’autre maladie, et débouche sur
des abandons de traitement dangereux.

La tuberculose est un problème majeur de santé publique, tant


par son omniprésence que par sa contagiosité. On distingue la
tuberculose pulmonaire bacillifère ou non et la tuberculose
osseuse ou tuberculose ganglionnaire. Les méningites tubercu-
leuses touchent plutôt les enfants. Cette grave maladie est de
plus en plus fréquemment intriquée et avec le sida. Au-delà des
aspects cliniques, ce chapitre tente de faire la synthèse des
abords épidémiologiques et de la limite des programmes mon-
diaux de lutte contre cette maladie. Trouver des médicaments
▼▼▼

66
LA CONSULTATION

innovants et les produire à un prix acceptable pour des popula-


tions notoirement démunies représente un défi permanent pour
l’industrie pharmaceutique, l’OMS et les différents acteurs de la
médecine humanitaire.

■ Fièvres éruptives
La plupart des affections de ce groupe appartiennent à une classe de virus
transmis d’homme ou d’animal malade à homme sain par un arthropode. Ces
ArBoVirus (ARthropod Born Virus) seraient responsables d’une soixantaine de
maladies identifiées. Les arthropodes vecteurs sont l’Aedes egypti très fréquem-
ment, mais aussi les phlébotomes ou les acariens. Nous en décrirons trois : la
dengue, le chikungunya et la fièvre jaune (Annexe V) puis nous citerons rapi-
dement pour mémoire quelques-unes des nombreuses arboviroses qui rappel-
leront à certains leurs cours universitaires : notamment le groupe des
encéphalopathies américaines, australienne, japonaise, russe, équine ovine ou
bovine, etc. Le groupe des arboviroses recense plus de 250 virus responsables
d’une soixantaine de maladies dont l’inventaire relève d’ouvrages spécialisés.

Dengue

La dengue mérite la première citation du fait de sa fréquence. C’est une mala-


die généralement bénigne, extrêmement répandue sur tous les continents dans
la zone intertropicale, dans la vallée du Nil et dans les îles du pacifique, Tahiti
notamment. Elle est transmise d’homme à homme ou de singe à homme par
une piqûre d’Aedes aegypti. Les formes les plus courantes se manifestent cinq à
huit jours après l’inoculation du virus par frissons, fièvre élevée, rachialgies et
douleurs ostéoarticulaires responsables de l’aspect guindé du malade, dit aussi
denguero mot espagnol pour guindé. L’examen révèle une éruption inconstante,
des adénopathies, mais pas de splénomégalie. Le traitement est essentiellement
symptomatique, l’évolution vers la guérison spontanée est la règle au prix
d’une longue convalescence marquée par asthénie et douleurs. Les atteintes
répétitives de la maladie déterminent une immunité relative dans les popula-
tions exposées, chez qui l’affection est probablement récurrente. Le diagnostic
est essentiellement clinique.

67
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Les formes graves sont en relation avec une thrombopénie importante


et leur mortalité atteint 15 %. Elles réalisent des fièvres hémorragiques qui
associent de façon variable un syndrome fébrile, une hémolyse et une atteinte
hépatique ou encore une thrombopénie : fièvre élevée, pétéchies, purpuras,
hémorragies d’organe, troubles confusionnels. Décrite depuis longtemps, la
fièvre hémorragique d’Extrême-Orient correspond à une atteinte gravissime
par le virus de la dengue.
En situation précaire, le diagnostic différentiel de la dengue est prati-
quement impossible avec le chikungunya ou avec les autres fièvres éruptives.
En milieu spécialisé il repose sur des analyses sérologiques.

Chikungunya et l’O’Nyong Nyong


Ces deux mots désignent la même maladie, le dernier signifie maladie des os
brisés dans le dialecte des Acholi, ethnie principale de l’Ouganda. Cette affec-
tion est très proche de la dengue et la symptomatologie la plus frappante est
l’intensité des douleurs ostéoarticulaires. Comme pour la dengue, le diagnos-
tic clinique se suffit à lui-même, étayé par la présence d’un exanthème morbi-
liforme ou scarlatiniforme et par le développement de nombreuses
adénopathies. Il a fallu la récente explosion de la maladie dans l’île de la
Réunion où le niveau de vie est élevé et les moyens diagnostiques pointus,
pour préciser par des analyses sérologiques l’originalité virale de la maladie qui
sévit probablement à l’état endémique dans une aire géographique importante.
Le traitement reste symptomatique. La convalescence longue, le pro-
nostic à long terme généralement favorable.

Fièvre jaune
Aire géographique
Elle sévit dans les zones tropicales en Amérique du sud et en Afrique. Elle est
jusqu’à présent inconnue en Asie et en Océanie. Les réservoirs de virus amarile
(amarillo = jaune en langue espagnole) sont l’homme malade, mais également
les singes, les vautours, les hérissons et les lémuriens. L’agent vecteur est un
moustique de la famille Aedes, dont le développement ne nécessite que de
petites quantités d’eau. Les épidémies se développeraient à partir de la piqûre
accidentelle d’un homme par un moustique infecté par un animal malade, puis
par la transmission interhumaine. Une épidémie de fièvre jaune a pratiquement
décimé les ouvriers qui participaient au creusement du canal de Panama à la fin
du XIXe siècle. Une autre épidémie au Sénégal en 1926, a permis la détermina-

68
LA CONSULTATION

tion du virus et la fabrication d’un vaccin. Depuis cette époque, en dépit des
programmes élargis de vaccination, la maladie évolue par foyers sporadiques.

Signes cliniques

Il s’agit d’une hépatonéphrite hémorragique grave dont l’évolution est décrite


en deux phases :
– la phase rouge. Après une incubation de 6 jours, le début brutal réalise un
syndrome septicémique : fièvre élevée, frissons, délire, urine rares et foncées,
haleine fétide. La couleur rouge de la langue et des conjonctives donne son
nom à cette première phase ;
– la phase jaune ictérique. Elle associe un ictère de type hémolytique et une
néphrite tubulaire théoriquement réversible. Après une courte rémission de
la température apparaissent des troubles digestifs majeurs : soif intense,
vomissements, violentes douleurs abdominales, accompagnés d’un ictère
parfois difficile à identifier du fait de la congestion des conjonctives. Le syn-
drome hémorragique s’affirme : pétéchies, purpura, gingivorragies, épistaxis,
parfois hématuries, ménorragies ou hémorragies digestives. L’atteinte rénale
se manifeste par des urines rares et foncées et une albuminurie massive.
Un tel tableau justifie évidemment de transférer le malade. À l’hôpi-
tal, les examens biologiques et sérologiques confirment l’atteinte hépatique
avec cytolyse (élévation des transaminases) et la tubulonéphrite.
L’évolution est redoutable : en l’absence de traitement, la mort sur-
vient en moins d’une semaine dans un tableau de choc hémorragique, de coma
hépatique ou de coma urémique. Si les moyens de réanimation peuvent être
appliqués et permettent de passer le cap du 12e jour, le jauneux guérit habituel-
lement sans séquelles.
Outre cette forme classique gravissime existent, en milieu épidé-
mique, de nombreuses formes frustes ou infracliniques.

Prévention et traitement

La prévention comprend l’isolement des malades, la protection contre les


piqûres d’insectes et surtout les campagnes de vaccination. Le vaccin antiama-
ril est proposé dans les zones endémiques dans le cadre du programme élargi
de vaccination (PEV). Il est obligatoire pour les voyageurs entrant dans une
zone endémique, de même pour les voyageurs ayant séjourné depuis moins de
six mois dans une zone endémique et se rendant dans un pays tropical où la

69
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

maladie n’est pas endémique. Il est contre-indiqué chez la femme enceinte en


dehors d’un contexte épidémique avéré.
Le traitement est symptomatique. La guérison du malade est condi-
tionnée par la possibilité de mettre en œuvre une réanimation lourde.

Fièvres hémorragiques

Parmi toutes ces maladies, certaines formes particulièrement graves réalisent


des fièvres hémorragiques au pronostic réservé : les formes graves de la dengue
se retrouvent en Asie du Sud-Est, réalisant la fièvre hémorragique d’Extrême-
Orient. Les formes graves de la fièvre jaune donnent des hépatonéphrites
hémorragiques, ces deux affections sont des arboviroses (transmises par des
arthropodes).
Les fièvres hémorragiques à Hantavirus ont été décrites pendant la
guerre de Corée dans les années 1950 chez des soldats qui vivaient dans les
tranchées au contact de rongeurs. L’agent vecteur est un campagnol, porteur
sain du virus, qui est transmis à l’homme par voie aérienne à partir des déjec-
tions, urine et salive de l’animal. Dans le groupe des Hantavirus ont été depuis
dénombrés plusieurs sous-groupes responsables de maladies plus ou moins
graves qui sévissent dans les régions froides en Europe, en Sibérie, en Chine et
dans l’hémisphère sud en Patagonie. Les formes graves associent une fièvre
avec thrombopénie, des hémorragies diffuses qui atteignent particulièrement
l’aire rénale et respiratoire. Les formes rénales associent successivement une
baisse de pression artérielle, une néphrite oligurique suivie d’une phase de diu-
rèse intense avec hypovolémie. Les manifestations pulmonaires associent une
polypnée, une tachycardie et une anoxie. Il existe un vaccin contre le
Hantavirus qui entre dans les protocoles vaccinaux en Extrême-Orient. Un
virus de cette famille, Puumala est responsable de formes généralement
bénignes qui sévissent en France dans les régions forestières de Picardie et des
Ardennes par épidémies tri- ou quadriannuelles. Le problème des animaux vec-
teurs est abordé dans l’Annexe V.
La fièvre hémorragique due au virus Ebola ou à son proche voisin, le
virus de Marburg, réalise un tableau foudroyant presque constamment mortel
qui associe une fièvre élevée, un syndrome hémorragique et une véritable cyto-
lyse atteignant tous les organes.
Après une incubation rapide de deux à six jours, purpura et pétéchies
se développent dans un contexte de fièvre élevée, rapidement suivis de
troubles liés à la cytolyse et à l’hémolyse. La dermatite maculopapulaire

70
LA CONSULTATION

hémorragique avec épidermolyse est évidente. Le virus Ebola attaque égale-


ment les tissus conjonctifs avec une férocité qui lui est propre. Il se multiplie
dans le collagène détruisant littéralement la structure de la peau. Celle-ci
s’amollit et s’affaisse au point que l’on pourrait la déchirer en la touchant. La
bouche est le siège d’une stomatite hémorragique et ulcéronécrotique et d’une
glossite particulièrement grave : rouge vif dans un premier temps, la langue
pèle et peut s’arracher au cours des vomissements. Le globe oculaire se remplit
de sang, et les lésions de la sclérotique laissent couler sur les joues un sang
incoagulable. Les troubles viscéraux, tous très graves, obéissent à des méca-
nismes physiopathologiques divers : myocardite, hémopéricarde, hémiplégies
par ramollissement cérébral, qui répondent à des infarctus microbiens.
L’examen anatomopathologique décrit également une nécrose des cellules
hépatiques, des infarctus spléniques, testiculaires, une néphrose, des métrorra-
gies, des avortements.
La phase terminale est marquée par des convulsions et des vomisse-
ments en jet avec hématémèse, hautement contagieux.
La mortalité atteint 90 %. Les guérisons sont grevées de graves
séquelles.
Le diagnostic de cette affection foudroyante peut prêter à confusion
avec d’autres fières hémorragiques et notamment la fièvre jaune, de telle sorte
que la maladie n’a été formellement identifiée qu’en 1976 à Ebola dans l’est du
Congo. Depuis cette date, une vingtaine d’épidémies ont fait plusieurs milliers
de morts. Survenant dans des collectivités restreintes, les épidémies ont jusqu’à
présent été relativement bien circonscrites grâce aux mesures de quarantaine, à
l’enfouissement des morts et à l’incinération des cases infectées, toutes
mesures qui entrent dans la tradition des populations concernées, grâce peut-
être aussi au caractère foudroyant de la maladie qui tue l’homme malade en
quelques jours et circonscrit les risques de contagion. Le virus de Marburg,
proche cousin de Ebola, a été identifié en 1967 dans un laboratoire de la ville
de Marburg en Allemagne. La maladie a touché presque simultanément vingt-
cinq personnes qui préparaient des cultures de cellules à partir de reins de singe
en provenance d’Ouganda. Sept en sont mortes. Le virus de Marburg serait res-
ponsable de plusieurs des épidémies attribuées à Ebola. Évoqués dans
l’Annexe V, de nombreux problèmes liés au rôle des agents vecteurs et des
hôtes intermédiaires ne sont pas résolus.

71
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Les arboviroses comme la fièvre jaune, la dengue et le chikungu-


nya font l’objet de ce troisième sous-chapitre. La fièvre Ebola ou
le virus de Marburg, les maladies a Hantavirus et les fièvres
hémorragiques surviennent par foyers isolés. Outre leur gravité,
ces fièvres suscitent encore des recherches épidémiologiques.
Pour ne pas alourdir ce chapitre des affections fébriles, nous
avons évité d’évoquer la rougeole, la poliomyélite et de la ménin-
gite cérébrospinale qui posent en milieu tropical des problèmes
spécifiques et qui sont traitées dans le chapitre consacré aux
maladies infantiles.

Problèmes rhumatologiques
■ Arthrose
Une vingtaine de patients sont déjà passés devant vous. La femme sans âge qui
vient de s’asseoir a rejeté le voile qui couvre ses épaules, elle est en train de
déplier le large pagne enroulé autour de sa taille et sans prendre garde au fait
que vous n’entendez rien à son discours, porte les mains sur ses épaules ses
genoux et son cou, son visage ridé se fend d’une large grimace qui découvre
une mâchoire édentée. Son corps porte les stigmates d’une longue vie de tra-
vail. Les os pointent sous sa peau parcheminée, les seins pendants témoignent
de nombreuses grossesses, Son corps semble ratatiné par l’aggravation de la
cyphose dorsale et une scoliose plus ou moins évidente, mais, paradoxale-
ment, elle trotte en dépit de ses douleurs. Vous vous tournez vers l’interprète
qui résume en deux mots les plaintes que vous avez déjà entendues dix fois
depuis le début de la consultation. Elle ne peut plus travailler, elle ne dort pas
la nuit, quand elle est assise par terre ou quand elle s’accroupit, elle ne peut se
relever seule. Enfin elle est fatiguée. Elle ne peut plus rien faire.
Le secret de ce tableau clinique d’une polyarthrose probablement évo-
luée, vous l’avez identifié en examinant des patientes moins âgées. Ces
quelques jeunes femmes plutôt minces qui tiraient en chantant l’eau du puits
ou qui pilaient le mil, vous les avez regardées poser la lourde calebasse sur leur

72
LA CONSULTATION

tête et marcher d’un pas déhanché jusqu’à la concession sans se départir du


bébé dans leur ventre et de l’autre sur leur dos. Puis quelques heures plus tard
vous les avez retrouvées à la consultation : elles viennent se plaindre d’une
grande fatigue et de douleurs dans la région lombaire, inconstamment au
niveau du rachis cervical et presque toujours au niveau de la poitrine. L’examen
révèle une contracture assez banale des muscles paravertébraux et la douleur
qu’elles localisent faussement à la poitrine correspond en fait à une contracture
ou à une tendinite des muscles de l’abdomen, attestée par une douleur à la
pression de l’appendice xiphoïde.
Lombalgies, tendinites ou contractures musculaires sont le lot fré-
quent de populations rurales astreintes à un travail physique intense et répéti-
tif. Les hommes ne sont d’ailleurs pas exempts de ces affections douloureuses
qui aboutissent avec l’âge à la constitution de syndromes polyarthrosiques.
Le développement de ces affections rhumatologiques dégénératives
est favorisé par la grande taille, la malnutrition, la maigreur et bien sûr par les
grossesses rapprochées.
Le meilleur médicament reste le paracétamol. Les anti-inflammatoires
au long cours comme l’aspirine doivent être maniés avec prudence chez des
gens qui souffrent fréquemment, on le verra plus loin, de douleurs épigas-
triques et d’anémie. Le meilleur abord me semble en fait de nature informative
et préventive et on peut utiliser, pour le faire, de petites histoires illustrées sim-
plement.

■ Traumatologie
C’est une grande pourvoyeuse de séquelles ostéomusculaires : lombalgies
chroniques, déformations osseuses, fractures mal soignées, cals vicieux, ostéo-
nécroses.

■ Boiteries
Elles sont fréquentes et sources de dystocies. Elles sont particulièrement pro-
blématiques chez les fillettes et chez les jeunes femmes. Devant un adolescent,
un jeune adulte ou une femme enceinte qui boite, on évoquera une séquelle de
dysplasie de la hanche, une tuberculose osseuse (mal de Pott, coxalgie) ou
encore une poliomyélite que les Africains désignent sous le nom de « jambe
gâtée ». Les séquelles de ces trois affections sont fréquentes en milieu rural et
dans les zones de nomadisme où de nombreux enfants échappent à toute sur-
veillance médicale et à toute campagne de vaccination.

73
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Le diagnostic différentiel peut s’aider, devant une boiterie, un blocage


de la hanche ou un raccourcissement d’un membre inférieur, par la recherche
d’une cicatrice de fistule tuberculeuse, par la notion d’antécédents évocateurs
et justifie le plus souvent de transférer le patient dans un centre d’orthopédie,
où le traitement se limite le plus souvent à la prescription d’une radiographie
et d’une semelle compensatrice.

■ Séquelles de rachitisme
Elles sont fréquentes et graves. Elles se manifestent très tôt chez l’enfant :
déformation des jambes en parenthèses (voir fig. 3, page 40) scolioses, défor-
mations thoraciques, dysplasies du bassin qui sont causes de dystocie, défor-
mations du crâne et mauvaise implantation dentaire.
La prophylaxie repose sur l’administration systématique de
Stérogyl 15® ou d’Uvestérol® en prise unique et surtout sur la recherche systé-
matique, au cours de la consultation d’un enfant, du chapelet costal et de l’élar-
gissement de la fontanelle. Ces signes précoces permettent d’entreprendre
immédiatement le traitement.
Plus qu’à des troubles de la nutrition infantile, la maladie est liée au
manque d’ensoleillement, particulièrement fréquent dans les régions froides ou
montagneuses, mais également en forêt tropicale.

La douleur est partout dans le monde le motif de consultation le


plus fréquent. La maladie de ces patients relève souvent de l’ar-
throse et de la pénibilité de la vie agricole. La traumatologie, les
dysplasies de la hanche, la tuberculose osseuse et les séquelles de
rachitisme rendent compte du reste. Les moyens thérapeutiques
et les recours orthopédiques sont souvent dérisoires et les
maîtres mots restent souvent la prévention et la formation aux
soins primaires de santé.

74
LA CONSULTATION

Pathologies gastro-intestinale
et hépatique
La clinique reprend ici tous ses droits : « Je vomis, j’ai des brûlures, ça me gar-
gouille, j’ai le ventre ballonné, le ventre qui coule, j’ai des vers. » Le geste
accompagne la parole exprimée souvent d’une façon inhabituelle. Voilà des
plaintes bien familières pour le médecin généraliste, mais qui sont si répétitives
qu’on est porté très rapidement à les banaliser.
L’abord de ces patients est d’autant plus déroutant que, très ignorants
de leur corps, ils prennent facilement pour des problèmes digestifs des dys-
fonctionnements urogénitaux ou gynécologiques.
Sans radiographie, sans échographie, sans laboratoire et sans la possi-
bilité d’adresser votre patient au cher confrère qui pratiquerait une gastrosco-
pie ou une coloscopie, vous éprouvez un instant de panique. Et pourtant,
l’examen clinique d’un ventre est plein d’enseignements. Soulevez la chemise
et vous découvrirez presque toujours trois ou quatre rangs d’amulettes entou-
rant l’abdomen incriminé, ou encore des séquelles de scarifications qui dési-
gnent l’organe souffrant. Recherchez des signes d’infection, de suppuration ou
d’hémorragie. Évaluez la fièvre, mesurez le pouls et appréciez les signes d’alté-
ration de l’état général, la pression artérielle, les signes de déshydratation,
l’existence d’un pli cutané, la dyspnée, etc.
Examinez la figure du malade : l’œil comme la bouche savent parler à
qui sait les regarder. Évaluez l’état dentaire, le coefficient masticatoire, les caries
et les dents manquantes, la pyorrhée. Il est difficile de reconnaître une anémie
ou une jaunisse sur la peau d’un Africain, d’un Asiatique ou d’un Amérindien,
mais soulevez la paupière pour apprécier la pâleur de la conjonctive ou sa cou-
leur ictérique. Évaluez l’amaigrissement ou au contraire l’obésité et les signes
de déshydratation.
La palpation de l’abdomen vous fera cerner un point douloureux,
recherchez une défense, une contracture, distinguez une plainte de ballonne-
ment d’un véritable météorisme, palpez les organes pleins, le foie, la rate, les
reins, la vessie. Examinez les selles si le malade a eu la bonne idée de vous les
apporter. Elles peuvent abriter le long ascaris, le minuscule oxyure ou quelques
anneaux de Taenia saginata. Regardez si elles sont glaireuses ou striées de fila-
ments de sang. Faites uriner le malade et regarder les urines : leur couleur, leur
odeur sont presque aussi parlantes qu’un examen cytobactériologique.

75
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Et à l’issue de l’examen, portez trois diagnostics, de gravité, d’urgence,


de nature, et quand vous aurez de la chance, mettez un nom sur la maladie.
Une pathologie haute est faite d’aigreurs ou de lourdeurs d’estomac,
de vomissements, de douleurs pré- et post-prandiale, mais aussi de pesanteurs,
d’hématémèses, d’hépato- ou de splénomégalie. Il ne faut pas négliger de
rechercher une mycose buccale ou œsophagienne.
La pathologie basse en situation d’hygiène précaire est dominée par
les parasitoses, les diarrhées et la déshydratation, corrélées par les mains sales,
la qualité de l’eau, trop souvent non potable, et par les nombreuses négligences
autour de ce qu’on peut appeler, en Afrique, le péril fécal (voir page 43).

■ Pathologies banales et fréquentes


Pathologie gastro-intestinale
La pathologie gastrique répond le plus souvent à des manifestations dyspep-
tiques ou à une gastrite en rapport avec une alimentation fortement épicée,
avec la malnutrition ou avec le mauvais état dentaire des personnes âgées. Le
patient consulte habituellement pour des brûlures postprandiales, des régurgi-
tations, des pesanteurs ou une mauvaise haleine. Mais attention, il ne faut pas
minimiser la fréquence des pathologies graves que sont l’ulcère de l’estomac et
les œsophagites.
La pathologie basse correspond essentiellement aux parasitoses et aux
conséquences du péril fécal : ballonnements, douleurs en barre, borborygmes,
flatulences, constipation, diarrhée, voire méléna ou dysenterie. Il faut se méfier
des hémorragies occultes.
Les mouches et les mains sales sont les principaux vecteurs de gastro-
entérites et d’affections parasitaires. Apprendre aux ménagères à faire bouillir
l’eau, à incinérer les déchets, à couvrir les aliments et plus de la moitié du tra-
vail sera fait.

Parasitoses
La plupart d’entre elles sont liés au manque d’hygiène, principalement au péril
fécal. Plusieurs sont les mêmes qu’en France. Mais ne nous trompons pas, ici,
elles infestent profondément 70 à 90 % de la population. Oxyures, ascaris,
amibes et taenia touchent indistinctement adultes et enfants. Leurs symptômes
et leur traitement ont été abordés dans un chapitre précédent (page 44).
La forme chronique de l’amibiase intestinale est très fréquente, réalisant
une colopathie banale avec son cortège de douleurs et de troubles du transit.

76
LA CONSULTATION

L’amibiase hépatique, beaucoup plus rare, peut être considérée comme


une complication de la forme intestinale, elle résulte de la colonisation des
veines porte et du parenchyme hépatique. Elle évolue vers la constitution d’ab-
cès du foie : fièvre et syndrome général de suppuration, douleur de l’hypo-
condre droit, hépatomégalie inconstamment associée à un syndrome
pleuropulmonaire de la base droite. L’abcès amibien s’accompagne habituelle-
ment d’une splénomégalie.
Le traitement de l’amibiase fait appel au Flagyl® ou à la Rovamycine®.
L’ankylostome est un petit ver blanc rosé, centimétrique, on ne le voit
jamais car il reste ancré sur la paroi du duodénum au moyen de petites pinces
tranchantes. Parasite hématophage, il sécrète un « venin » anticoagulant. La
symptomatologie digestive est pauvre, mais il est responsable d’anémies
sévères (voir page 110, le chapitre dédié aux maladies hématologiques).
L’infestation se fait par voie transcutanée, à partir des excréments humains. La
prophylaxie passe par la généralisation des latrines et par le port de chaussures,
par l’éradication des engrais d’origine humaine. Comme l’oxyure et l’ascaris, il
est sensible au mébendazole.
Citons encore l’anguillulose, responsable de manifestations digestives
banales et de prurit cutané associés à de possibles troubles respiratoires en rap-
port avec l’hyperéosinophilie. L’anguillule présente le même cycle de contagion
que l’ankylostome et reste sensible au même traitement qui peut être prescrit
sur une simple présomption (mébendazole : 2 comprimés par jour pendant
5 jours).
La bilharziose est la maladie des pataugeurs, due à un ver plat, le schis-
tosome, qui pénètre dans l’organisme par voie transcutanée et colonise le
système circulatoire. Son hôte intermédiaire est un mollusque d’eau douce, le
cestode (Annexe V), le réservoir de virus est l’homme malade et l’infestation
des marigots et des rizières se fait par ses déjections dans l’eau. Il en existe
quatre espèces dont deux ont un tropisme digestif. La bilharziose à Schistosoma
mansoni sévit en Afrique, sur la côte est de Madagascar et en Amazonie. Elle
associe des manifestations cutanées : prurit, fièvre, œdèmes qui marquent la
période d’invasion, et des manifestations intestinales assez banales tandis que
les complications hépatospléniques évoluent vers une pseudocirrhose et des
complications hémorragiques par rupture de varices œsophagiennes. La pro-
phylaxie repose sur l’hygiène individuelle. Le traitement des bilharzioses
repose sur le niridazole ou le praziquantel, qui s’administre en
comprimés.

77
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

■ Diarrhée
La diarrhée de l’adulte réalise un tableau simple fait de selles molles, liquides
ou glaireuses, associées inconstamment à des douleurs abdominales.
L’amibiase aiguë décrite plus haut réalise la forme typique de la diarrhée para-
sitaire. Les diarrhées infectieuses et virales restent fréquentes. Toutes étiologies
confondues, le rôle de l’eau et la contamination du bol alimentaire par les
mains sales sont prépondérants.
Les diarrhées graves associent fièvre, vomissements et surtout déshy-
dratation. Le traitement associe la diète hydrique, la réhydratation par le SRO
et, selon l’étiologie et les signes de gravité, l’administration éventuelle d’un
antiseptique intestinal, Ercefuryl®, Flagyl®, voire d’un antibiotique, rovamy-
cine ou streptomycine. L’intolérance alimentaire et les vomissements aggravent
la déshydratation et peuvent imposer la pose d’une perfusion.
Les diarrhées de l’enfant revêtent une gravité particulière liée à la rapi-
dité d’installation des signes de déshydratation aggravés par la chaleur. Leur
gravité s’apprécie sur la fièvre, les vomissements et les signes de déshydrata-
tion appréciés sur l’état de la fontanelle, la tonicité des yeux et le pli cutané.
Le traitement des diarrhées de l’enfant est codifié par les recomman-
dations de l’OMS.
Chez l’enfant au sein, il faut poursuivre l’allaitement maternel avec
supplémentation au moyen de SRO de l’OMS (voir page 47 chapitre sur les
maladies de l’enfant) pendant trois jours et assurer ensuite une réalimentation
progressive avec une composition LHS (voir page 46) en surveillant la courbe
de poids.
La diarrhée simple ou compliquée chez le grand enfant est soignée
comme celle de l’adulte. Le recours à la lopéramide est généralement apprécié,
mais pas toujours disponible.

■ Splénomégalies
Les splénomégalies tropicales impliquent plusieurs diagnostics dans des
contextes spécifiques et généralement évocateurs.
Au cours du paludisme aigu, une splénomégalie modérée est présente
dans un tiers des cas. Elle n’a pas de signification particulière et régresse géné-
ralement en quelques semaines. Elle n’est qu’un élément du tableau fébrile déjà
exposé dans un chapitre précédent.
Le Kala-azar est une leishmaniose liée à la présence de l’insecte vec-
teur, le phlébotome, qui vole et pique de préférence à la fin du jour et la nuit.

78
LA CONSULTATION

La maladie est présente en Orient, en Chine, en Inde et au Pakistan, en


Amérique du sud, autour du bassin méditerranéen et en Afrique noire. L’hôte
intermédiaire est l’homme, mais aussi le chien et quelques animaux sauvages.
Le tableau clinique est dominé dans un premier temps par une splénomégalie
considérable évoluant dans un contexte fébrile, associée à des adénopathies et
à une hépatomégalie inconstante. La gravité de la maladie tient aux localisa-
tions cutanéomuqueuses : Il s’agit d’ulcères extensifs touchant la face et l’oro-
pharynx, laissant des séquelles invalidantes. Il existe un traitement efficace
associant la glucantine par voie intramusculaire et la Fungizone® locale.
La tuberculose hépatosplénique, fréquente en Afrique, peut être évoquée
devant l’association d’une grosse rate avec une tuberculose pulmonaire ou
osseuse, sur des réactions tuberculiniques fortement positives.
L’abcès amibien est fréquemment associé à une splénomégalie.
Enfin on citera la bilharziose à Schistosoma mansoni dont les formes intes-
tinales bénignes ont été décrites plus haut. Les formes hépatospléniques sont
caractérisées par un gros foie, lisse et douloureux et par une grosse rate. Elles
correspondent à une hypertension portale. En l’absence d’intervention chirur-
gicale, le pronostic est réservé du fait des hémorragies digestives.

■ Pathologies graves
Nous sommes dépourvus de tout recours aux examens complémentaires, sans
radiologie, ni endoscopie et nous disposons d’un laboratoire de brousse aléa-
toire. Quand les choses sont graves, elles le sont donc parfois de façon catas-
trophique. Imaginons une péritonite négligée depuis quarante-huit heures, une
cholécystite en l’absence de médicaments efficaces ou encore un cancer du foie
qui évolue à bas bruit. En pathologie abdominale, plus qu’en aucun autre
domaine, l’examen clinique raisonné est capital pour préciser l’organe malade,
le degré de gravité et l’urgence.

Ulcère gastroduodénal
C’est une pathologie souvent méconnue. Les troubles dyspeptiques et les dou-
leurs épigastriques évoquent, en analyse rapide, des pathologies banales qui
conduisent logiquement à la prescription d’un pansement gastrique assorti de
quelques conseils alimentaires. Pourtant, un diagnostic rassurant fondé sur un
examen trop superficiel risque de faire méconnaître un ulcère gastroduodénal
apparemment bien plus fréquent qu’en Europe et difficile à confirmer en l’ab-
sence de contrôle endoscopique. Il est indispensable de préciser les caractères

79
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

et l’horaire des douleurs et l’existence de signes d’accompagnement comme les


nausées, les vomissements et une hématémèse.
L’attitude thérapeutique est simple et peu coûteuse : le traitement spé-
cifique de l’ulcère de l’estomac consiste à prescrire, pendant une période courte
de sept à dix jours, un inhibiteur de la pompe à protons associé à un antibio-
tique qui élimine une fois pour toutes l’infection à Helicobacter pilori et permet la
cicatrisation de l’ulcère. Le traitement est court, sans danger et aboutit généra-
lement au soulagement définitif des symptômes.

Diarrhées graves
Les diarrhées graves avec intolérance alimentaire et vomissements sont parti-
culièrement préoccupantes chez l’enfant et chez le sujet de petit poids qui se
déshydratent plus rapidement. Il faut donc recourir aux perfusions sous-cuta-
nées ou péridurales de sérum salé isotonique ou de sérum glucosé intraveineux
pendant les trois premiers jours. Ce traitement sera associé à un antibiotique
digestif, Intetrix®, Ercefuryl® ou Imodium® et éventuellement à un anti-
émétique.

Choléra
Le choléra a causé de grandes épidémies mondiales qui ont décimé le monde
et l’Europe, en particulier au XIXe siècle. Sans qu’on sache exactement pour-
quoi, elles se sont raréfiées sans disparaître pour autant et la maladie sévit de
façon endémique en Afrique et en Orient. Les facteurs favorisants sont les
bidonvilles, la surpopulation, les mauvaises conditions d’hygiène et les catas-
trophes naturelles. Une source permanente de diffusion de la maladie est sans
doute le pèlerinage de La Mecque, mais la maladie reste endémique dans de
nombreuses régions de la zone intertropicale.
Son agent bien connu, le vibrion cholérique, est une bactérie à Gram
négatif. La transmission interhumaine par les vomissements, les excréments et
les cadavres explique le caractère épidémique de la maladie et l’exposition par-
ticulière du personnel soignant. Ailleurs, il s’agit de la mauvaise qualité de l’eau
de boisson, les canalisations défectueuses, les réservoirs souillés ou la pollution
d’un puits. Le rôle des mains sales est également capital. On considère comme
majeur le rôle des porteurs sains dans la diffusion de la maladie.
Il s’agit d’une toxi-infection intestinale entraînant une déshydratation
hydrique et électrolytique. L’incubation est brève, le début brutal, marqué par
des évacuations massives. Les vomissements en fusée et le relâchement des

80
LA CONSULTATION

sphincters réalisent une véritable inondation. L’importance et la rapidité des


pertes hydriques, de plusieurs litres par vingt-quatre heures, déterminent un
état de choc. L’hypothermie et l’arrêt de la diurèse emportent le malade non
traité en moins de trois jours.

Le traitement associe une perfusion masse pour masse avec du liquide


de Ringer Lactate® (Na, K+ et Ca) ou avec une association de sérum salé isoto-
nique et de sérum bicarbonaté. On doit perfuser 1 L pendant les quinze pre-
mières minutes puis 10 % du poids corporel en cinq heures. La persistance de
la diarrhée peut justifier 20 ou 24 L de perfusion (fig. 9). L’antibiothérapie est
capitale pour éviter la dissémination du vibrion ; on utilise le Fanasil®‚ par voie
intraveineuse : 2 g en injection unique. À défaut, on peut également utiliser du
Bactrim® ou des tétracyclines en prises fractionnées pendant 4 jours.

Fig. 9 – Lit de traitement pour cholérique. Ce modèle facile à fabriquer artisa-


nalement permet de compenser masse pour masse les pertes hydroélectriques.

81
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Il existe un vaccin, mais son utilisation n’est pas systématique et, lors
de la déclaration d’un foyer épidémique, il est plus efficace d’utiliser les anti-
biotiques. La prophylaxie individuelle repose sur une prise unique de Fanasil® :
4 comprimés à 0,50 mg ou des tétracyclines : 2 g/j en 4 prises pendant 4 jours.
Le vaccin, en revanche, est fortement recommandé pour les équipes
soignantes.
Le traitement est remarquablement efficace, mais sa mise en œuvre
est compliquée par l’abondance des malades et la rapidité impérative de sa
mise en œuvre.

Manifestations digestives du sida


Les manifestations digestives du sida ne doivent pas être méconnues : candi-
dose buccale souvent étendue à l’œsophage, diarrhée chronique avec amaigris-
sement, assortis de manifestations digestives allant de la triade
nausées-vomissements-douleurs abdominales jusqu’à la douleur en barre évo-
quant une pancréatite (cf. page 151).

■ Hépatites et hépatomégalies
Cirrhoses et cancers
La prévalence de l’hépatite B est beaucoup plus grande en Afrique et en
Extrême-Orient qu’en Europe et ce, depuis sans doute très longtemps, mais
cette situation devrait s’améliorer, la vaccination contre l’hépatite B étant main-
tenant largement répandue.
Cette maladie virale est très probablement responsable de la fré-
quence des cirrhoses tropicales qui ne présentent pas de particularité clinique
notable, associant une dégénérescence des cellules hépatiques, une hyperten-
sion portale, une ascite et des varices œsophagiennes. Le pronostic à moyen
terme de ces cirrhoses est réservé.
Le cancer primitif du foie est également une spécificité africaine,
représentant 15 à 25 % des cancers dans plusieurs pays d’Afrique noire, contre
1 à 3 % en Europe. Le rôle de l’hépatite B est probable.

82
LA CONSULTATION

Comme nous sommes privés de tout recours aux examens


complémentaires, la pathologie digestive requiert de notre part
une analyse sémiologique attentive. Les plaintes mineures sont
légion, allant de la brûlure gastrique aux douleurs abdominales et
aux troubles du transit. Les parasitoses digestives sont fré-
quentes, mais ne doivent pas masquer des pathologies graves qui
mettent en jeu le pronostic vital. L’accent est mis sur plusieurs
affections fréquentes : les ulcères gastroduodénaux, le choléra et
les manifestations digestives du sida.
Les cirrhoses et les cancers du foie sont fréquents, ils sont corré-
lés par le nombre de sujets primo-infectés par le virus de l’hépa-
tite B.
Quant à la splénomégalie, ce symptôme en pathologie tropicale
se rencontre dans les accès de paludisme, il complique les formes
évoluées de la bilharziose intestinale et il domine la symptoma-
tologie du kala-azar. La tuberculose hépatosplénique, enfin, est
souvent décrite en Afrique : une rate énorme déforme l’abdomen
et seule la palpation permet de faire la différence avec une ascite.

États de famine
La famine représente un phénomène complexe caractérisé par une insuffisance
prolongée des apports alimentaires ; elle touche simultanément un grand
nombre d’individus. Il ne s’agit généralement pas d’un cataclysme brutal, mais
d’une catastrophe progressive dont les effets sont prévus depuis des mois : un
nuage de criquets, une mauvaise récolte, une dévastation par la guerre. La com-
munauté a pris les devants en restreignant les rations alimentaires, mais les
effets négatifs de la famine seront d’autant plus rapides et graves que le groupe
aura été soumis préalablement à des carences occultes.
Une autre forme de famine urbaine est liée à la pauvreté et touche des
familles incapables de subvenir à leurs besoins vitaux.

83
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Sur le plan clinique, les signes les plus faciles à appréhender sont
l’amaigrissement, la sécheresse des téguments, la chute des cheveux, l’arrêt des
règles, une oligurie, les céphalées, une asthénie intense, des crampes et l’appa-
rition de troubles psychiques de type hallucinatoires et dépressifs.
L’amaigrissement est lié à la disparition des réserves adipeuses et à la
fonte des masses musculaires.
L’oligurie est en rapport avec une insuffisance rénale fonctionnelle.
Les crampes, céphalées et hallucinations rendent compte de la soif et
de troubles électrolytiques.
Plusieurs catégories de personnes sont particulièrement sensibles aux
effets de la famine :
– les enfants dont les besoins nutritionnels sont proportionnellement plus éle-
vés que ceux des adultes tant sur le plan des aliments énergétiques que des
aliments plastiques et des oligoéléments. Les carences sont diverses et ont
déjà été décrites (voir page 39) ; le marasme, le kwashiorkor, la xérophtalmie,
le rachitisme, la pellagre, le scorbut ou encore les goitres de la carence en iode
représentent les risques immédiats ou à moyen terme des états de famine
chez l’enfant ;
– les femmes enceintes et allaitantes ont des besoins protéocaloriques supé-
rieurs et sont naturellement plus sensibles aux effets de la famine. Leurs
besoins en protides et en micronutriments, en fer et acide folique sont parti-
culièrement élevés. En période de famine, on note une fréquence accrue des
accouchements prématurés et une diminution moyenne, de l’ordre de 10 %,
du poids des enfants à la naissance. L’alimentation au sein par une mère
carencée est compromise.
L’homme adulte producteur est affaibli par la famine et pourtant son
aptitude au travail et à la créativité conditionne le retour du groupe à une situa-
tion économique normale.
Inversement, les vieillards possèdent une aptitude étonnante à s’adap-
ter aux conditions métaboliques néfastes.
À l’échelle de l’ensemble de la population, les effets de la famine se
manifestent indirectement par un accroissement de la morbidité générale, une
fragilisation aux maladies microbiennes et parasitaires, aux épidémies, une
augmentation de la morbinatalité, de la prématurité et probablement des arrié-
rations mentales chez l’enfant carencé.
Du point de vue strictement médical, le traitement d’un état de
famine repose sur la reprise d’une alimentation équilibrée sur le plan calorique
comme sur le plan qualitatif. Il est bien sûr préférable de recourir aux aliments

84
LA CONSULTATION

autochtones, encore faudrait-il les trouver. Il n’est même pas toujours possible
de trouver dans les régions avoisinantes des aliments en quantité suffisante et
on est bien souvent contraints de faire appel à l’importation d’aliments étran-
gers qui risquent de ne pas correspondre aux habitudes et aux goûts des popu-
lations locales.
Un schéma assez simple distingue, pour un pays donné et compte
tenu des habitudes alimentaires, les aliments énergétiques, les aliments
constructeurs et les micronutriments.
Voici quelques exemples d’aliments riches en protides et en vita-
mines :
– Amérique du sud : maïs, farine de soja, farine de graines de cotonnier ;
– Afrique du sud : maïs, arachides, soja, sucre, sel iodé, levures, germes de blé ;
– Afrique du nord : blé, pois chiches, lentilles, lait ;
– Sénégal : manioc, bananes, arachides, mil et plus récemment soja, poissons.
– L’Asie du sud est vouée au riz et l’Asie centrale au maïs et à l’orge.
– Dans tous les cas, chez les adultes comme chez les enfants : le lait en poudre
ou le lait concentré sucré.
L’alimentation au sein du petit enfant n’est plus de mise en situation
de famine et il faut envisager des substituts : lait concentré sucré, éventuelle-
ment lait en poudre vitaminé, LHS, qui associe du lait, du sucre et de l’huile
(voir page 46), laits enrichis distribués gratuitement par l’UNICEF.
Dès la première semaine, en l’absence de vomissements, il faut admi-
nistrer des vitamines A et D, et C par voie orale.
Il faut aussi traiter la diarrhée, les affections buccales, les infections
cutanées et vacciner. Il est prudent de suivre l’évolution sur au moins trois
semaines en tenant compte de l’état général, du poids et de l’épaisseur du pli
cutané.
Les cas les plus graves doivent bénéficier d’une réhydratation paren-
térale par voie sous-cutanée ou par perfusion intraveineuse, qui entraîne géné-
ralement, en moins de deux jours, l’amélioration des intolérances alimentaires
et permet la reprise de l’alimentation orale.

Les conditions d’installation d’un état de famine, l’évaluation du


degré de dénutrition, les carences et les difficiles problèmes de la
réalimentation sont traités dans cette partie.

85
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Affections ophtalmologiques
La pathologie oculaire n’est pas familière au médecin non spécialiste qui se
trouve rapidement dérouté devant une multiplicité d’affections mal ou pas trai-
tées, parvenues à un stade irréversible, qui évoluent trop souvent vers la cécité.
La prévention peut régler en amont la plupart de ces problèmes. Elle
repose sur la formation à l’hygiène, les soins donnés au nouveau-né, la vitami-
nothérapie A, la lutte contre les mouches et les mains sales. Mais une petite
formation préalable permet au médecin non spécialiste de comprendre un
grand nombre de plaintes et parfois d’y répondre. Mieux vaut s’informer avant
de partir que se sentir impuissant une fois rendu sur place.
Les plaintes du patient se résument à trois ou quatre phrases. Je vois
flou, je ne vois pas du tout, j’ai l’œil rouge ou encore j’ai l’œil qui gratte et qui
coule. L’équipement de la case de santé se résume le plus souvent à quelques
tubes de pommade ophtalmique antibiotique.
La réponse à la plainte « j’ai l’œil rouge ou encore j’ai l’œil qui gratte »
passe par les soins ophtalmologiques de premier recours.
La réponse la plainte « je vois flou » passe par un diagnostic d’orien-
tation entre myopie, presbytie et cataracte. Nous expliquerons les méthodes
simples de l’examen du cristallin et de la mesure de l’acuité visuelle. Nous
expliquerons en annexe (Annexe VI) le principe d’une banque de verres correc-
teurs.
La réponse à la plainte « je ne vois plus du tout » passe par l’examen
concerté de la conjonctive, de la cornée, du cristallin et du fond d’œil et une
mesure empirique de la tension oculaire. Quatre ou cinq affections se situent
parmi les principales pourvoyeuses de cécité :
– la xérophtalmie qui est une conséquence du déficit en vitamine A dès la pre-
mière enfance ;
– le trachome et l’onchocercose qui sont des affections tropicales spécifiques ;
– la toxoplasmose ;
– la cataracte et le glaucome.

86
LA CONSULTATION

■ Examen ophtalmologique
Matériel nécessaire
Une boîte à verres correcteurs, un ophtalmoscope disposant d’un éclairage à
fente et en lumière bleue, un tonomètre à indentation, des collyres anesthé-
siants, colorants, antibiotiques et cortisoniques.

Acuité visuelle
L’examen de l’œil précise l’acuité visuelle chiffrée de loin et de près, sans cor-
rection et avec correction. Si la personne est illettrée, il faut utiliser des opto-
types spéciaux E ou O. On peut également utiliser des tableaux à image, mais
il faut se méfier des problèmes d’identification ; le patient est-il capable et rem-
placer l’image d’une vache par celle d’une antilope ou celle d’une maison par
une yourte ? On orientera correctement les dessins à la demande sur un pan-
neau accroché à 4 mètres et bien éclairé ; la lumière extérieure est souvent la
meilleure. L’acuité de près se mesure à 35-40 cm.
Cette mesure de l’acuité doit être systématique, elle reflète l’état fonc-
tionnel du globe oculaire.

Examen du globe oculaire


L’examen du globe oculaire doit être rigoureux : état des téguments autour de
l’œil, état des paupières, recherche d’un œdème, positionnement des cils,
tonus de la paupière inférieure qui peut tomber (ectropion) ou s’inverser
(entropion). Il faut apprécier l’aspect de la conjonctive, rechercher des sécré-
tions purulentes dans les culs-de-sacs conjonctivaux, évaluer l’état du sac lacry-
mal, rechercher des granulations sur la conjonctive. Une rougeur localisée sur
le blanc de l’œil évoque une épisclérite, une rougeur autour de la cornée (péri-
kératite) évoque une atteinte cornéenne ou une uvéite.
La cornée est normalement transparente et s’examine après avoir mis
une goutte de fluorescéine. En lumière bleue, les lésions de la cornée se tein-
tent en vert : on cherchera à identifier un corps étranger, une ulcération, une
cicatrice blanche (taie cornéenne). Une lésion blanche et douloureuse fait évo-
quer un abcès.
Les lésions situées en arrière de la cornée sont à explorer à l’aide de la
fente de l’ophtalmoscope. La chambre antérieure située entre l’iris et la cornée,
doit être optiquement vide. Un dépôt de sang ou de pus réalise un niveau
horizontal.

87
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La pupille se referme normalement à la lumière vive. Le réflexe pupil-


laire doit être symétrique. Une pupille en myosis avec rougeur périkératique est
le signe d’une uvéite ou d’une kératite. Une pupille en mydriase est plutôt le
signe d’une affection neurologique. Un œil dur, rouge, douloureux en
mydriase signe un glaucome aigu : c’est une urgence ophtalmologique.
La tension oculaire peut s’apprécier au doigt, mais nécessite une
bonne pratique. L’idéal serait de disposer d’un tonomètre portable dont le
maniement nécessite une formation.
L’étude du cristallin à l’aide d’un ophtalmoscope est facile : la pupille
doit être noire et s’ouvre sur le cristallin qui est transparent. L’examen à l’œil
nu suffit souvent pour affirmer l’existence d’une cataracte : présence sur le cris-
tallin d’une tache blanchâtre ou jaunâtre. Dans les formes évoluées, le cristal-
lin devient opalescent.
Le fond d’œil est vu après dilatation de la pupille à l’aide de deux ou
trois gouttes de collyre Mydriaticum® aidé d’une goutte de néosynéphrine col-
lyre. Il faut être très vigilant devant un œil qui deviendrait rouge et douloureux
après dilatation pupillaire, il s’agit probablement du réveil d’un glaucome aigu.
On évaluera :
– l’état de la rétine : taches noires, ardoisées ou blanches ;
– l’état des vaisseaux rétiniens, croisement, hémorragie ;
– l’état de la macula : atrophique ou œdématiée ;
– l’aspect du nerf optique qui est normalement blanc rosé ; une décoloration
évoque une névrite optique, des bords flous évoquent un œdème papillaire,
une couleur grisâtre, avec excavation plus ou moins marquée, un glaucome.
L’étude du champ visuel se fait avec l’index : fixer le nez de l’exami-
nateur qui éloigne son doigt en écartant les bras, et chiffrer le point où le sujet
ne voit plus bouger l’index.
L’étude de la mobilité des yeux renseigne sur un strabisme ou
une paralysie des nerfs moteurs. Une vision trouble oriente plutôt vers une
paralysie.
Le reste du bilan passe par un examen général : recherche d’un dia-
bète, d’une hypertension artérielle, de lésions cutanées, examen des aires gan-
glionnaires, hygiène, mouches, eau, poussière.

88
LA CONSULTATION

■ Principales affections
Troubles de la réfraction
Ils sont universels et pas si faciles à diagnostiquer. Les problèmes pratiques et
les limites posés par l’organisation d’une banque de verres optiques sont trai-
tés en Annexe VI.

Myopie
Le patient doit se rapprocher de ce qu’il lit pour voir correctement. Son trouble
de l’accommodation se mesure par l’adjonction progressive de verres bicon-
caves (cerclés de rouge dans les boîtes de verre étalonnées). Si vous disposez
d’une telle boîte, commencer par – 1 et augmenter progressivement.

Hypermétropie
La fatigue et la gêne visuelle sont plus marquées de près, la lecture est difficile.
La correction se fait avec des verres biconvexes (cerclés de vert). Commencez
par + 3 et diminuer progressivement jusqu’à la correction satisfaisante en
vision de loin.

Astigmatisme
L’œil voit mal de loin comme de près, la correction est difficile, faisant appel à
des verres complexes.

Presbytie
La presbytie est différente de l’hypermétropie dans la mesure où il s’agit d’un
trouble de l’accommodation. Elle se corrige avec des verres biconvexes + 1 à
+ 3 que l’on combine avec la correction éventuelle de la myopie.

Conjonctivites
Elles sont particulièrement fréquentes. L’œil est rouge, irrité, prurigineux, une
rougeur diffuse, les larmes font bientôt place à des sécrétions jaunes ou vertes,
les paupières sont collées. Il faut éverser les paupières supérieures à la
recherche de follicules.
Dans les conjonctivites bactériennes, les sécrétions dominent le
tableau. Elles sont jaune verdâtre, adhérentes, les yeux sont collés, les cils
englués, les conjonctives palpébrales et bulbaires sont hyperhémiées. Un trai-

89
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

tement local antibiotique est généralement suffisant, associé à des lavages ocu-
laires. Ces conjonctivites microbiennes sont liées à une mauvaise hygiène, il
faut donc insister sur le lavage des mains et le nettoyage des sécrétions qui évi-
tent la contamination par les mouches.
La conjonctivite trachomateuse mérite une place à part. C’est la mala-
die de la poussière, des mains sales et des mouches. Au stade de primo-infec-
tion, il s’agit d’une conjonctivite sous-palpébrale folliculaire. Les sécrétions
stagnent entre les gros follicules. Les réinfections entraînent une inflammation
du tarse (cartilage de la paupière supérieure) qui finit par s’atrophier, entraînant
une inversion des cils qui frottent sur la cornée et créent des ulcérations irré-
versibles et, en phase ultime, une perforation du globe qui n’est plus protégé
(figs. 10 et 11).
L’attitude, avant tout préventive, passe par le lavage des mains, le net-
toyage des sécrétions et la lutte contre les mouches. Les antibiotiques locaux
tétracycline, auréomycine, rifamycine, doivent être appliqués pendant plu-
sieurs semaines.

Follicules

Retournement
de la paupière

A B
Fig. 10 – Follicules trachomateux. La conjonctivite folliculaire est pathogno-
monique à la phase initiale du trachome. Un traitement antibiotique (cyclines)
local et général, poursuivi pendant plusieurs semaines sous contrôle, suffit à
guérir la maladie dépistée à ce stade. La prophylaxie du trachome repose sur la
lutte contre la misère et le respect des règles d’hygiène.

90
LA CONSULTATION

Fig. 11 – Trachome évolué. L’atrophie scléreuse du tarse et l’éversion des cils


(entropion) caractérisent la phase tardive qui évolue vers l’ulcération de la cor-
née et la cécité. Le traitement aléatoire à ce stade est chirurgical.

Les lésions anatomiques du trachome évolué relèvent d’un traitement


chirurgical : soit enlever les bulbes ciliaires, soit éverser la paupière.
Les conjonctivites allergiques sont très fréquentes dans un contexte de
poussières, pollens et moisissures. Le prurit est intense, les sécrétions peu
abondantes, l’hyperhémie conjonctivale prédomine au niveau des paupières,
associée parfois à de discrètes lésions de kératite dont l’examen justifie un test
à la fluorescéine. Leur traitement symptomatique repose sur un collyre antibio-
tique et corticoïde. Le traitement au long cours justifie des lavages d’œil fré-
quents avec du sérum physiologique pour éviter l’accumulation, sous les
paupières, de particules allergisantes pendant la nuit. On utilise un collyre aux
chromoglycates.
Les conjonctivites virales ne présentent pas de caractère particulier par
rapport à ce que nous connaissons en pratique métropolitaine.
La conjonctivite de l’onchocercose sera traitée avec cette maladie
(page 96).

91
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Ptérygion

Le ptérygion est une tumeur plane ou peu saillante, triangulaire, qui envahit pro-
gressivement la cornée à partir du segment nasal. Le ptérygion évolue par
poussées. Très fréquent dans les pays chauds et secs, il entraîne peu de troubles
visuels. Son seul traitement est une ablation chirurgicale. Les récidives sont fré-
quentes (fig. 12).

Fig. 12 – Ptérygon évolué. Cette tumeur plane envahit progressivement la cor-


née à partir de l’angle nasal. Particulièrement fréquente dans les pays chauds et
secs, elle entraîne des troubles visuels dès lors qu’elle recouvre l’iris et la
pupille. Son traitement est chirurgical.

Lésions oculaires par corps étranger


Elles sont très fréquentes et passent souvent à la chronicité car le corps étran-
ger n’a pas été retiré à temps. Il s’agit le plus souvent de morceaux d’insectes,
de particules végétales, de grains de poussière et, moins souvent, de particules
métalliques.
L’œil est rouge, douloureux, le traumatisme initial n’est pas toujours
rapporté. L’examen du globe oculaire est facilité par l’instillation d’une goutte
d’anesthésique local et d’une goutte de fluorescéine qui permettent la visuali-
sation d’une ulcération de la cornée. Le corps étranger est le plus souvent cor-
néen, il faut l’enlever avec un petit coin de papier, moins dangereux qu’une
pique à corps étranger. Le corps étranger est parfois coincé sous la paupière
supérieure et il faudra éverser celle-ci pour le voir et l’enlever.

92
LA CONSULTATION

Affections dégénératives
Les affections dégénératives ne sont pas spécifiques à la pathologie tropicale.
Leur gravité vient souvent de la méconnaissance des pathologies associées.

Cataracte
La cataracte reste l’affection cécitante la plus fréquente au monde chez la per-
sonne âgée comme chez l’adulte. Elle semble plus précoce que dans les pays
développés et est diagnostiquée plus tardivement. La baisse de vision est pro-
gressive, le malade consulte alors que son acuité visuelle est déjà réduite 2/10e
ou 3/10e. L’œil est calme et l’ophtalmoscope permet de repérer une blancheur
laiteuse dans l’aire pupillaire. Le cristallin peut apparaître brun. La dilatation de
la pupille permet de mieux voir le cristallin, mais elle ne permet pas de distin-
guer la rétine et ne donne aucune indication sur l’état du fond d’œil. L’acuité
visuelle, inférieure à 2/10, signe l’indication chirurgicale. Les interventions de la
cataracte peuvent se pratiquer en brousse entre les mains d’un chirurgien expé-
rimenté à la condition qu’il dispose d’une asepsie suffisante.

Glaucome
Le glaucome est l’association d’une hypertension du globe oculaire et d’une
atteinte du nerf optique. Cette affection touche toutes les tranches d’âge et s’il
n’est pas diagnostiqué précocement, il évolue vers la cécité définitive. Son trai-
tement reste difficile. À un stade précoce, les collyres sont efficaces mais sou-
vent indisponibles ou trop coûteux et, de plus, le patient n’est pas motivé pour
se confier au chirurgien car l’affection est encore silencieuse. Le diagnostic pré-
coce repose sur la mesure systématique de la tension oculaire.
Malheureusement, le malade se présente trop souvent alors qu’une cécité irré-
versible est déjà installée. L’œil est dur mais il n’est ni rouge, ni irrité, et l’acuité
se réduit à la perception lumineuse. L’atteinte est assez souvent asymétrique, le
regard ne se fixe pas, l’œil est dur. L’examen du fond d’œil permet, souvent
même sans dilater, de voir le nerf optique gris ou blanchâtre au lieu d’être blanc
rosé et anormalement creux.
Le traitement du glaucome fait appel aux β-bloquants en collyre ; le
plus utilisé est le Timoptol®, 1 goutte deux fois par jour. La chirurgie est un bon
recours à condition d’être pratiquée à un stade pas trop tardif.

93
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Rétinopathies
Le diabète est souvent associé à la cataracte et au glaucome. Il est aussi respon-
sable de rétinopathies. L’acuité visuelle est réduite. Si l’examen du fond d’œil
n’est pas gêné par la cataracte, on recherche les nodules cotonneux et blan-
châtres des hémorragies rétiniennes, souvent nombreuses. Ces hémorragies
siègent sur toute la rétine. L’ischémie rétinienne se manifeste par une pâleur
périphérique. Le fond d’œil est parfois masqué par des voiles blanchâtres qui
correspondent à des néovaisseaux et par des hémorragies rétiniennes plus ou
moins massives. Dans le contexte habituel des pays tropicaux, la rétinopathie
diabétique est incurable, tout au plus peut-on espérer, en stabilisant le diabète,
stabiliser l’évolution de la maladie.

Atteintes uvéales
L’uvée est une membrane intermédiaire, située entre la sclérotique et la rétine,
vascularisée et permettant de nourrir l’œil. Elle comprend l’iris, le corps ciliaire
(élément anatomique auquel sont reliés les ligaments retenant le cristallin), et
la choroïde. Si, malgré un cristallin clair, une correction optique correcte, une
glycémie normale et une tension normale du globe oculaire, le patient conti-
nue à mal voir, il faut suspecter une maladie uvéale choriorétinienne ou une
affection du nerf optique. Les uvéites sont souvent unilatérales. Leurs causes
sont diverses : allergiques, infectieuses, oto-rhino-laryngologiques (ORL) ou
dues à la tuberculose, à la toxoplasmose ou à l’onchocercose.
Les atteintes antérieures affectent l’iris : la pupille est en myosis plus
ou moins serré, l’œil est douloureux et la rougeur prédomine autour de l’iris.
On remarque souvent des taches blanchâtres sur la face postérieure de la cor-
née. Le traitement symptomatique fait appel aux anti-inflammatoires corti-
coïdes et à une dilatation de la pupille par une goutte d’atropine qui soulage
instantanément. Le traitement curatif est celui de l’affection causale.

Choriorétinites et névrites optiques


Elles correspondent à une atteinte de la membrane postérieure. Le tableau
d’une choriorétinite aiguë associé à l’iritis, déjà décrit, un œil inflammatoire et
douloureux. Les lésions de la rétine prennent un aspect blanc cotonneux.
L’association à une névrite optique est fréquente. Les choriorétinites nécessi-
tent un examen du fond d’œil après dilatation.

94
LA CONSULTATION

Le tableau classique est celui d’un stade cicatriciel : des lésions noires
ou grises, étendues, avec des troubles majeurs de la vision, évoquent une
onchocercose tandis que des lésions plus petites arrondies, bordées d’un liseré
noir polylobé évoquent plutôt une toxoplasmose.

Onchocercose
Il s’agit d’une filariose extrêmement répandue en Afrique et en Amérique dans
la zone intertropicale. Elle affecte des populations considérables et elle est res-
ponsable de la majorité des cécités. En région hyperendémique, certaines
populations sont infectées à 90 %. L’Onchocerca volvulus, parasite exclusivement
humain, est transmis par la piqûre d’un moucheron noir hématophage : la simu-
lie. Celle-ci sévit en zone humide dans des eaux vives. Le ver adulte mâle
mesure 3 cm tandis que la femelle atteint 50 cm. Il se niche dans le derme où
il forme des nodules fibreux ou des kystes. Sa longévité est de dix à quinze ans
et la gravité de la maladie est liée aux microfilaires, embryons qui sont émis par
la femelle, qui se répandent dans le derme et possèdent un tropisme particulier
pour l’œil. La taille des microfilaires est de 300 μ.
Les premiers symptômes et le traitement sont décrits dans le chapitre
dédié aux affections cutanées (page 106). Ils risquent de passer inaperçus aux
yeux d’un clinicien non averti et pourtant il est capital de les prendre en compte
car les redoutables complications oculaires ne surviennent que dix à quinze ans
plus tard et sont alors inaccessibles au traitement.
Les complications oculaires se manifestent après une longue évolu-
tion, par une héméralopie, un prurit conjonctival et une amputation progres-
sive du champ visuel lié aux lésions de la chambre antérieure. L’examen
ophtalmologique constate des lésions à tous les niveaux. L’œil est en myosis,
iritis, la cornée est le siège de taies plus ou moins invalidantes et l’examen du
fond d’œil montre une choriorétinite grisâtre associée à une atrophie optique
qui fait toute la gravité de cette maladie qui évolue inexorablement vers la
cécité. Le traitement à ce stade est inefficace (fig. 13).

Filariose à Loa Loa ou loase


Très différente de l’onchocercose, la loase est également une filariose. L’hôte
intermédiaire est le Chrysops, mouche rouge qui abonde dans les forêts équa-
toriales. Après une incubation silencieuse qui dure trois à quatre semaines, la
symptomatologie initiale est dominée par une dermite irritative qui correspond
à la reptation du ver sous la peau, un œdème fugace et migrateur (œdème de

95
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Fig. 13 – Lésions oculaires de l’onchocercose. La sclérose atrophique touche


tous les éléments de l’œil. L’examinateur peut encore voir les microfilaires
infestant la chambre antérieure, devant le cristallin.

Calabar) et une conjonctivite très spécifique : on peut voir les filaires sous la
conjonctive. L’incident est bénin, mais suffisamment étonnant pour être
signalé. La maladie est susceptible de complications et son traitement repose
sur la notezine (fig 14).

96
LA CONSULTATION

Fig. 14 – Filariose à Loa loa. La filaire adulte est visible sous la conjonctive.
Cette affection n’a pas la gravité de l’onchocercose.

Xérophtalmie
C’est la complication classique des carences en vitamine A, grandes pour-
voyeuses de cécité dès l’enfance. L’enfant souffre d’abord d’héméralopie : il se
repère mal dans la pénombre. Ces troubles sont réversibles par l’administration
à doses curatives de vitamine A. Sinon, l’évolution se fait vers la xérophtalmie :
des taches blanchâtres, mousseuses se dessinent sur le blanc de l’œil qui est
sec, les larmes deviennent gluantes, les paupières gonflent et la cornée s’ulcère
entraînant une cécité irréversible à cornée blanche. Le traitement consiste en la
supplémentation en vitamine A sans attendre les premiers symptômes et à une
diversification alimentaire dès le sevrage : lait et produits lactés, jaune d’œuf,
fruits légumes, agrumes, huiles végétales, poissons.

97
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La réponse à la plainte « j’ai l’œil qui gratte » ou « j’ai l’œil qui


coule » passe la plupart du temps par des considérations d’hy-
giène et par un traitement local adapté. Les plaintes « je vois
flou » ou « je ne vois plus ou presque plus » passent par un exa-
men ophtalmologique le plus complet possible pratiqué avec des
moyens réduits. On envisage successivement les troubles de la
réfraction : myopie, presbytie, hypermétropie et astigmatisme
qui peuvent être précisés grâce à une batterie d’examens relati-
vement simple, et les affections dégénératives que sont le glau-
come et la cataracte. Un certain nombre d’affections spécifiques
et graves sont ensuite envisagées : le trachome, l’onchocercose,
la xérophtalmie. L’accent est mis sur le dépistage et le traitement
précoce, seul capable d’éviter la cécité.

Affections cutanées et lymphangites


La peau est l’habit du corps, sa parure et sa protection. L’homme, pour l’em-
bellir, la farde de cosmétiques et de scarifications. Comme un vêtement, elle
garde la trace des déchirures et la marque des blessures de la vie. Certains (au
Tibet par exemple) estiment que l’enduit graisseux qui se développe spontané-
ment en l’absence d’eau et de savon, est utile à la peau et développe ses quali-
tés protectrices contre le froid, l’humidité, les gelures et les agressions
extérieures. Directement exposée au regard du clinicien, la peau permet, mieux
qu’aucun organe, un diagnostic précoce et affiné. Ses blessures ouvrent l’orga-
nisme à la contagion par les agresseurs exogènes.

98
LA CONSULTATION

■ Généralités
Le manque d’hygiène, la poussière, la promiscuité avec le bétail, les mouches,
la chaleur ou le froid extrême ne sont pas le reflet d’une quelconque négli-
gence, mais le reflet des conditions difficiles de la vie en situation précaire.
Surinfecté, remanié par les lésions de grattage, un eczéma peut ressembler à un
impétigo, à un herpès ou se compliquer d’ulcère ou de bourgeonnements.
Selon les latitudes et selon les couleurs de la peau, l’aspect des lésions
est parfois déroutant. La mélanine des peaux noires masque les érythèmes ou
les transforme en zones plus noires. Les déficits pigmentaires qu’on retrouve
dans le vitiligo se transforment en plaques de dépigmentation comme dans la
lèpre ou dans le pitiriasis versicolor. Il en est souvent de même des cicatrices de
plaie ou de morsure, des chéloïdes et des hyperkératoses. Enfin Gentilini
signale, dans son traité de médecine tropicale, la fréquence des comédons sur
les peaux africaines. Elle serait en relation directe avec la croissance hélicoïdale
des poils crépus de la barbe ou du thorax, qui les amène à se réincarner.
L’utilisation fréquente du khôl en orient, du henné en Afrique du nord
et des parfums un peu partout, serait responsable de dermites aux cosmé-
tiques. Les incisions rituelles ou les scarifications pratiquées par les guérisseurs
entraînent fréquemment des cicatrices chéloïdes.
Le froid et l’humidité en Asie centrale (Kurdistan, Afghanistan, Népal,
Tibet) sont responsables de gelures, d’engelures, de crevasses pour lesquels le
meilleur traitement de première intention est la vaseline.
La plupart des dermatoses sont des affections cosmopolites dont nous
ne connaissons que les formes de début, vite améliorées par le traitement
approprié. En situation précaire, on les retrouve parvenues à la période d’état
ou même au stade des complications. Avant de faire le bilan des lésions et
avant de porter un diagnostic, il faut souvent s’armer d’eau et de savon de
Marseille, puis nettoyer le pourtour des lésions, utiliser la Bétadine‚ sans parci-
monie et recourir parfois à l’antibiothérapie locale ou générale. La consultation
a souvent lieu dans une case ou dans un bâtiment sombre et il ne faut pas hési-
ter à regarder la peau malade au soleil.
La plupart des lésions sont cosmopolites, appartiennent au domaine
de la médecine générale et ne présentent pas de problèmes diagnostiques par-
ticuliers : eczémas, urticaire, piqûres d’insectes, psoriasis, herpès, acné, ulcères,
pour ne reprendre que les affections cutanées les plus habituelles. Il en est de
même de la teigne du cuir chevelu, des mycoses, candidoses ou dermatophy-
toses, des brûlures, plaies et morsures.

99
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

■ Troubles de la pigmentation
Ils évoquent trois diagnostics : le pityriasis versicolor et le vitiligo qui sont des
affections bénignes, et la lèpre.

Pityriasis versicolor et vitiligo


Le pityriasis est une affection mycosique bénigne qui se résume à des taches
planes dépigmentées aux contours polycycliques, recouvertes des squames
qu’on peut détacher à la curette. L’évolution spontanée se fait vers l’achromie.
Affection contagieuse, elle répond assez bien au traitement général par
Griséofulvine® et local par econazole, deux molécules initialement assez coû-
teuses dont le prix d’achat a été considérablement réduit par les dispositions
sur les génériques de l’OMS.
Le vitiligo est d’aspect assez identique, n’est pas prurigineux, ses
contours sont hyperpigmentés. Il s’agit très probablement d’une maladie auto-
immune pour laquelle on ne connaît pas de traitement. Le vitiligo pas plus que
le pityrisasis versicolor n’est spécifique des peaux foncées. Ces deux affections
sont simplement plus inesthétiques sur une peau noire.

Lèpre
Cette maladie n’est pas un diagnostic d’exception, elle est parfaitement
curable.

Généralités
Maladie bactérienne, elle se manifeste au début par des troubles cutanés. Son
agent pathogène, le bacille de Hansen (BH), est acido-alcoolo-résistant, assez
facile à identifier avec un microscope de brousse sous forme de bâtonnets
rouges après coloration appropriée de la préparation. La ressemblance du BH
avec le BK, bacille de la tuberculose, s’arrête là. En effet, le BH est difficile à cul-
tiver, à inoculer aux animaux de laboratoire et c’est sans doute ce qui explique
la difficulté à concevoir un vaccin contre la lèpre.
Cette maladie cosmopolite touche par le monde dix millions d’indivi-
dus, particulièrement en Asie des moussons et en Afrique tropicale. Elle sévit
également en Amérique du sud et aux Antilles. La lèpre, en dépit de sa sinistre
réputation, est une maladie d’évolution lente et parfaitement curable si elle est
identifiée au stade de début clinique.

100
LA CONSULTATION

La transmission est interhumaine, les malades les plus contagieux


sont ceux porteurs de lépromes tuberculoïdes associés à une rhinopharyngite.
La contamination se fait d’homme malade à homme sain, la transmission se
ferait par voie cutanée et par inhalation des gouttelettes de rhinopharyngite.

Formes de début (forme L)


Elles surviennent après une incubation de deux à cinq ans, très difficile à pré-
ciser si l’on n’a pas la notion de contagion.
Le diagnostic précoce repose sur l’analyse de plaintes banales : four-
millements, démangeaisons, sensations de ruissellement sous-cutané, troubles
de la sudation. Le clinicien averti recherche des léprides, zones maculaires
dépigmentées qui sont le siège de troubles sensitifs discrets ou d’hyposuda-
tion. Le diagnostic précoce est un bon gage de guérison définitive et on peut
être tenté d’instaurer un traitement précoce sans confirmation biologique, mais
il s’agit d’une décision grave : le traitement sera long et le diagnostic de lèpre
comporte des conséquences sociales graves. La confirmation biologique de la
lèpre est inconstante à ce stade : elle repose sur une intradermoréaction, la réac-
tion de Mitsuda, qui est spécifique et facile à pratiquer. Elle se lit au bout de trois
ou quatre semaines mais elle est souvent négative au stade de début de la mala-
die. En cas de doute il ne faut pas hésiter à demander un conseil spécialisé : le
test de Jurgensen Milnor consiste à badigeonner avec une solution d’alcool
iodé la zone dépigmentée puis à provoquer une violente sudation et à saupou-
drer enfin la zone suspecte avec une poudre d’amidon. Les téguments sains
noircissent tandis que les léprides restent claires. Simple à pratiquer, ce test doit
être lu par un œil avisé.

Évolution
La maladie évolue de façon imprévisible. En l’absence de traitement, l’évolu-
tion des formes mineures se fait parfois vers la régression spontanée, surtout
chez l’enfant, mais dans la règle, l’aggravation des lésions cutanées et neurolo-
giques grève lourdement le pronostic fonctionnel. La maladie évolue pendant
plusieurs années vers :
– une forme T (tuberculoïde) caractérisée par la persistance des léprides qui
deviennent papulo-nodulaires, toujours dépigmentées et peuvent évoluer
vers des infiltrations tuberculoïdes majeures, déformant le visage, les
membres, les épaules et le dos sans aucune symétrie. À ces lésions cutanées
se joignent des troubles neurologiques très évocateurs : les névrites périphé-

101
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

riques touchent par ordre décroissant les territoires du nerf cubital, du scia-
tique poplité externe, du facial, du médian, du radial. Il s’agit de troubles dis-
sociés de la sensibilité thermique et tactile associés à des douleurs et à une
hypertrophie moniliforme des troncs nerveux. La maladie se complique avec
l’évolution de troubles moteurs, de troubles trophiques, une peau amincie,
des ongles cassants, des maux perforants plantaires, des altérations squelet-
tiques, des géodes ostéolyse, etc. La confirmation biologique repose sur deux
examens qui sont toujours positifs à ce stade :
- l’intradermoréaction de Mitsuda à la lépromine, qui se lit au bout de trois ou
quatre semaines ;
- l’étude histologique d’une biopsie cutanée. En revanche, la recherche du BH
dans les sécrétions nasales est généralement négative dans la forme T. Les
formes T sont sensibles au traitement et de relativement bon pronostic, au
prix de séquelles qui dépendent de l’état évolutif de la maladie au jour du
diagnostic. Le traitement doit être poursuivi un an et le malade reste sous
surveillance pendant deux ans. Les séquelles sont le fait d’un traitement
trop tardif ;
– une forme L (lépromateuse) qui est particulièrement contagieuse. Elle associe
des lésions cutanées et des lésions muqueuses avec écoulement nasal respon-
sable de la contagiosité de ces formes. Les atteintes neurologiques et viscé-
rales sont différentes de la forme T, il s’agit de névrites hypertrophiques et
douloureuses du médian et du cubital.
Le léprome est une lésion maculaire ou nodulaire de petite taille,
volontiers coalescente, voire diffuse, elle se développe sur le thorax, les
membres et surtout le visage auquel il confère l’aspect léonin considéré comme
caractéristique d’une lèpre évoluée.
Les lésions muqueuses presque constantes sont éminemment conta-
gieuses, la rhinite lépreuse consiste en un écoulement purulent hémorragique
qui correspond à l’atteinte lépromateuse de la muqueuse pituitaire. Les
troubles viscéraux majeurs (foie reins ovaires, etc.) et les troubles neurolo-
giques sont plus discrets que dans la forme T.
La confirmation biologique repose sur la présence de BH sur les
frottis cutanés et dans le mucus nasal. En revanche, la réaction de Mitsuda est
négative dans cette forme. Le traitement est délicat, s’accompagne souvent
d’aggravations liées à la pathogénicité des débris microbiens lysés par le
traitement.

102
LA CONSULTATION

Diagnostic différentiel
Devant cette maladie protéiforme, l’inexpérience peut amener le médecin à
porter des diagnostics par excès, dont le retentissement social et personnel est
considérable. Il est bon de les faire confirmer par un confrère, voire un spécia-
liste familier de cette maladie.

Évolution
En l’absence de traitement, l’aggravation est inéluctable, grevée de troubles
cutanés, neurologiques et trophiques tandis que le malade reste contagieux et
la mort survient en quelques années.

Prophylaxie
La lutte contre la lèpre repose sur le dépistage et le traitement de tous les
malades, la distribution gratuite des médicaments et un suivi de qualité. Ces
actions sont souvent assurées par des équipes itinérantes. La réclusion en
léproserie terrorise les malades et elle n’est pas justifiée dans la plupart des cas.
En effet, la grande majorité des lépreux n’est pas contagieuse et seules les
formes L avec jetage nasal justifient l’isolement jusqu’au blanchiment dans des
centres spécialisés où les patients bénéficient de soins infirmiers, rééducation,
orthopédie.

Traitement
Le traitement de la lèpre fait appel aux sulfones (Disulone®) et aux sulfamides
(Fanazil®). La Disulone® s’utilise en comprimés dosés à 100 mg ; 1 comprimé
par jour chez l’adulte. Ce traitement relativement mal toléré est institué à poso-
logie progressive. Le Fanazil® : 3 comprimés à 500 mg une fois par semaine est
plus facile à administrer et reste efficace et bien toléré. On préconise un traite-
ment de deux ans dans les formes T et de neuf ans avec surveillance la vie
durant, dans les formes L. Le traitement adjuvant des formes graves et défor-
mantes, fait appel aux corticoïdes et à la thalidomide.

■ Lésions prurigineuses
En dehors des prurits cosmopolites que sont l’eczéma, les réactions allergiques,
le prurit essentiel ou les piqûres d’insecte, la gale reste une affection préoccu-
pante du fait de sa contagiosité. Souvent vues à un stade évolué, les classiques

103
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

galeries larvaires s’associent à des lésions de grattage et à des surinfections


purulentes. Avant de confirmer le diagnostic, il faut laver, désinfecter, s’aider
éventuellement d’un traitement antibiotique. Le traitement de la gale repose
sur la douche, l’application d’Ascabiol® sur le corps entier et la désinfection
des vêtements et de la case. Le traitement doit également être appliqué aux
sujets contacts.

■ Ulcères
Le patient consulte généralement à un stade évolué et présente des ulcérations
étendues, profondes et surinfectées. L’ulcère phagédénique décrit dans les trai-
tés de médecine tropicale correspond à l’aggravation d’une plaie minime qui
n’a pas été désinfectée, mais recouverte d’emplâtres indigènes d’une asepsie
douteuse. Il est étendu, suintant, souvent surinfecté et sa fermeture semble
devoir prendre des mois, même avec les pansements hydrocolloïdes dont l’uti-
lisation est problématique en médecine précaire du fait de son coût. En fait, le
traitement repose sur des bases simples : lavage à l’eau stérile, excision des
peaux mortes, pommades antibiotiques ou de Bétadine® rouge suivies de l’ap-
plication de pansements stériles et humides. Le vaccin antitétanique est systé-
matique. Il est parfois nécessaire, après une longue préparation, de recourir
à l’autogreffe pédiculée. Plus l’ulcère est étendu, plus son pronostic est
défavorable.

■ Dermites aiguës
Elles sont dues à la sciure des bois tropicaux : teck, palissandre, acajou. Les
lésions caustiques sont dues aux sucs d’euphorbe, d’agave, de bétel, de figuier
de barbarie. Les allergies sont fréquentes : eczéma à la vanille, aux moisissures
des roseaux ou prurits dus aux parasites, que l’on rencontre chez les coupeurs
de cocotier, ananas, sisal. Citons encore, dans ce catalogue exotique, les brû-
lures dues aux cantharides, à la chenille ou aux ailes de certains papillons.

■ Maladie de Kaposi
Elle est aujourd’hui associée au syndrome d’immunodéficience acquise, mais
elle a été décrite depuis longtemps en Afrique équatoriale et autour du bassin
méditerranéen. Elle est caractérisée par la prolifération de lésions cutanées
à type de nodules et d’angiomatose et constamment associée à des lésions

104
LA CONSULTATION

viscérales, osseuses et pleuropulmonaires. Son évolution est celle d’un cancer


généralisé.

■ Charbon
La pustule maligne est une enzootie dont l’agent pathogène est le Bacillus
anthracis qui a la propriété de sporuler et se transmet à l’homme par le contact
avec les animaux malades. C’est une maladie des éleveurs, équarrisseurs, vété-
rinaires cardeurs, tanneurs. Au bout de trois jours apparaît une esquarre noi-
râtre avec œdème, lymphangite, adénopathies qui évoluent dans nombre de
cas vers une septicémie mortelle. Le traitement repose sur la pénicilline ou le
chloramphénicol pendant dix jours aux doses habituelles.

■ Onchocercose
Toute la gravité de cette maladie repose sur les lésions oculaires (voir page 96)
qui apparaissent après dix ou quinze ans d’évolution non traitée. Mais pour
être efficace, le diagnostic se doit d’être précoce et repose sur l’attention du cli-
nicien porté à des troubles cutanés évocateurs. On est aidé par la notion d’en-
démicité dans la zone concernée. L’agent vecteur, la simulie, est une petite
mouche qui vit à proximité des eaux vives en climat tropical. Le parasite,
Onchocerca volvulus, est un petit vers filamenteux de 2 à 3 cm de long qui se
développe dans le derme. Le syndrome cutané consiste en un prurit intense
évoquant une gale localisée aux points de piqûre. Érythème ou pachydermie
inconstante évoquent une peau de lézard. À ce prurit s’associent les lésions
caractéristiques de l’onchocercose cutanée, des nodules durs et fibreux allant
de la taille d’un pois à celle d’une mandarine. Ces nodules correspondent à
l’enkystement de filaires adultes et recèlent de nombreuses microfilaires, Ils
peuvent évoquer une maladie de Recklinghausen. Leur extraction à ce stade est
facile.
L’examen de ces nodules permet un diagnostic précoce et l’instaura-
tion du traitement. Pour cela, un copeau de nodule est prélevé au ciseau, sous
anesthésie locale et immergé dans quelques millitres de sérum physiologique.
Trente minutes plus tard il est possible de voir, au microscope, les microfilaires
longues de 300 mm s’agiter dans le liquide.
Le diagnostic est fortement étayé par une forte éosinophilie, confirmé
par la biopsie des nodules.
Le traitement est capital à ce stade. Contre les microfilaires, on utilise
la Notézine® en cures itératives et à posologie progressive pour éviter les into-

105
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

lérances : 4 comprimés par jour pendant 10 jours. Contre les filaires adultes, on
utilise le Moranyl® injectable. Il faut également procéder à l’ablation des
nodules et des kystes qui restent des réservoirs potentiels de filaires adultes. Le
malade doit être suivi au fil des années pour prévenir l’installation des lésions
oculaires. La prévention repose sur la désinsectisation des zones d’endémie et
sur la protection individuelle.

■ Dracunculose (filaire de Médine)


C’est également une filariose. Son agent pathogène est la filaire de Médine ou
ver de Guinée.
Sa répartition géographique couvre les zones tropicales depuis le delta
du Gange jusqu’à l’Afrique de l’ouest. La filaire de Médine est un ver cylin-
drique mesurant à l’état adulte, 35 à 100 cm de long. Il se développe sous le
derme.
Le vecteur est un cyclops, crustacé microscopique d’eau douce.
L’homme est le seul réservoir de parasite, il s’infecte en buvant une eau non fil-
trée, non désinfectée. La digestion du cyclops libère les larves qui se dévelop-
pent en un ou deux ans. Le ver adulte colonise le derme (fig. 15), perfore la
peau et libère les microfilaires. Si cette libération a lieu dans l’eau, le cycle est
bouclé par infestation des cyclos.
La symptomatologie est essentiellement cutanée au niveau des zones
déclives (scrotum et malléoles) sous la forme d’un cordon vermineux.
Œdèmes, prurit et phlyctènes laissent présager la perforation et la sortie du ver
qui éjecte ses embryons et meurt. L’extirpation du ver adulte est possible à ce
stade par la méthode indigène qui consiste à enrouler le vers sur l’extrémité
d’un bâtonnet et à en extirper 3 à 4 cm par jour. L’intervention chirurgicale est
délicate mais s’impose en cas de complications septiques délabrantes. Il ne faut
pas négliger les antibiotiques et la prophylaxie antitétanique.
Les abcès filariens à distance sont liés à la dissémination des microfi-
laires lors de la perforation de la phlyctène.
Les médicaments filaricides sont inefficaces, le mebendazole serait
plus actif, on a essayé également le praziquantel, traitement spécifique des bil-
harzioses.
La prophylaxie repose sur la protection des points d’eau potable, la
lutte contre le pataugeage et la filtration de l’eau potable (fig. 16).

106
LA CONSULTATION

Fig. 15 – Dracunculose. Ce schéma reproduit un cliché sans préparation des


parties molles. Il montre les filaires de médine calcifiées dans le derme, ce qui
est une forme de guérison.

Fig. 16 – Filaire de médine et prophylaxie. La transmission de la maladie se fait


à partir d’une eau contaminée, par pénétration transcutanée et par ingestion.
Ce schéma résume les mesures de prévention contre tous les parasites dont
l’hôte est un crustacé – dracunculose, bilharziose, dystomatose, etc.). La filtra-
tion de l’eau de boisson est une mesure d’hygiène élémentaire.

107
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

■ Filaire de Bancroft

Outre les causes banales des lymphangites sur lesquels nous ne nous éten-
drons pas, les filarioses représentent, dans tous les pays tropicaux, y compris la
vallée du Nil, une cause fréquente et spécifique d’affections invalidantes.
La filaire de Bancroft adulte est un ver rond mesurant 4 à 10 cm qui
vit dans le système lymphatique de l’homme. Sa longévité est d’une quinzaine
d’années pendant laquelle la femelle pond à intervalles réguliers des microfi-
laires qui assurent une autoréinfestation permanente par dissémination des
microfilaires dans la lymphe et dans le sang. L’homme infesté reste donc le
réservoir exclusif du virus par l’intermédiaire de différents moustiques (Aedes,
Culex, etc.).
La symptomatologie est essentiellement lymphatique : en période
d’infestation primaire ou d’autoréinfestation aiguë surviennent des œdèmes
inflammatoires douloureux, la peau est chaude et luisante avec adénites dans
les territoires satellites, accompagnées de signes généraux intenses : fièvre et
asthénie. Ces épisodes fugaces rétrocèdent en quelques jours et on pense que
les récidives correspondent aux périodes de ponte avec dissémination de
microfilaires.
Plusieurs localisations de cette maladie réalisent de véritables infirmi-
tés. Au niveau des organes génitaux, une lymphangite du scrotum, voire un
véritable éléphantiasis, mais aussi des orchiépididymites, funiculites, hydro-
cèles chyleuses et, au niveau des membres inférieurs, une lymphangite aiguë
avec œdèmes inflammatoires et douloureux. Les atteintes lymphatiques des
réseaux profonds et de la citerne de Pequet sont responsables des complica-
tions respiratoires, abdominales et rénales. La survenue d’une fièvre associée à
des douleurs thoraciques ou abdominales doit faire évoquer, chez le filarien
connu, une lymphangite aiguë profonde.
Les manifestations chroniques réalisent des infiltrations lymphatiques
plus ou moins intenses et invalidantes. Au niveau des organes génitaux, épan-
chement chyleux de la vaginale, dans lequel on peut souvent retrouver des
microfilaires, orchiépidydimite génératrice de stérilité, au niveau du scrotum et
des membres inférieurs, l’éléphantiasis réalise une infiltration du derme et de
l’hypoderme avec pachydermie. La chylolymphurie, caractérisée par des urines
laiteuses riches en microfilaires, correspond à une fistule profonde entre la
citerne de Pecquet et le bassinet. Le diagnostic est évoqué puis confirmé par la
présence de microfilaires dans les urines. L’évolution est capricieuse avec des

108
LA CONSULTATION

phases de rémission et de rétention grevées possiblement de complications


septiques.
Le traitement efficace des lésions primitives, qui correspondent sou-
vent à une infestation vieille de plusieurs mois ou années, repose sur la note-
zine, un microfilaricide actif et puissant. Le traitement des complications
chroniques, éléphantiasis ou varicocèle, est chirurgical (fig. 17).
La prophylaxie repose sur la protection individuelle, la lutte contre les
moustiques et surtout sur le traitement par notezine de tous les sujets en phase
aiguë de la maladie, pour diminuer la dissémination. Une chimioprophylaxie
des populations exposée, par notezine, nécessite un demi-comprimé par jour
pour chaque sujet.

Fig. 17 – Pathologies de la dracunculose. La filaire de Bancroft obstrue la cir-


culation lymphatique. Ses manifestations les plus graves sont le lymphœdème
et l’éléphantiasis. Ce schéma résume l‘ensemble des manifestations cliniques.

109
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La plupart des affections cutanées présente en situation précaire


des aspects inattendus : aux allergies communes s’ajoutent un
certain nombre d’allergènes spécifiques et la mauvaise hygiène
rend compte de la fréquente aggravation de maladies courantes
que nous sommes habitués à diagnostiquer et à blanchir dès leur
phase de début : gale, eczémas ou ulcères surinfectés revêtent
dès lors une gravité à laquelle nous ne sommes pas accoutumés.
Les affections autochtones sont nombreuses. La lèpre est une
infection par le bacille de Hansen. Elle se présente sous de mul-
tiples aspects parfois trompeurs. Le charbon ou pustule maligne
est une autre affection bacillaire qui évolue rapidement vers la
septicémie.
Nous avons également regroupé dans ce chapitre plusieurs affec-
tions parasitaires appartenant au grand groupe des filarioses dont
les signes initiaux sont cutanés. La gravité de l’onchocercose est
le fait de lésions oculaires tardives, mais les signes précoces qui
permettent de mettre en œuvre un traitement efficace sont cuta-
nés. La filaire de Médine est responsable de la dracunculose ou
ver de Guinée tandis que la filaire de Bancroft détermine une
pachydermie et se complique de lymphangites et d’éléphantiasis
au niveau des membres inférieurs et du scrotum.

Hémopathies
Dans les populations en situation précaire, toutes contrées confondues, les
anémies liées à des problèmes parasitaires et nutritionnels sont fréquentes. En
outre, les régions tropicales sont sujettes à deux hémoglobinopathies génoty-
piques, la drépanocytose et la thalassémie.

110
LA CONSULTATION

■ Anémies
Le diagnostic clinique d’anémie est généralement aisé sur l’association d’une
asthénie à une pâleur des conjonctives. La gravité de l’anémie peut être appré-
ciée sur l’adjonction d’une tachycardie et d’une dyspnée. Le diagnostic sera
étayé par la recherche des signes annexes comme l’aspect de la langue, l’exa-
men des ongles et la recherche d’une splénomégalie. Même en brousse, il est
aisé d’obtenir un hémogramme avec dosage de l’hémoglobine et hématocrite.
En dehors des situations évidentes comme une grosse hémorragie ou
un état cachectique, les anémies microcytaires avec chute de l’hématocrite sont
dues soit à une carence en fer, soit à une spoliation sanguine.

Anémie par carence en fer


Elle correspond à un déficit alimentaire ou à une situation de demi-famine. On
la constate alors sur l’ensemble de la population. Elle est assez fréquente chez
la femme enceinte dont l’accroissement des besoins liés à la grossesse n’est pas
suppléé par une alimentation carnée.

Anémie par spoliation sanguine


En dehors des hémorragies facilement identifiables, la spoliation sanguine
résulte très souvent d’hémorragies occultes dues à l’ankylostome. Extrêmement
répandu dans tous les pays chauds et humides, ce parasite affecte un quart de
l’humanité.
La contamination est liée au péril fécal : l’infestation se fait par voie
transcutanée, favorisée par la marche nu-pieds sur un sol souillé par les engrais
naturels ou par les excréments humains. La prophylaxie passe par la générali-
sation des latrines, par le port de chaussures, par l’éradication des engrais d’ori-
gine humaine. La larve se développe dans le système circulatoire et
l’ankylostome adulte se fixe sur la paroi du duodénum où il reste ancré au
moyen de petites pinces tranchantes. Parasite hématophage, il sécrète un
« venin » anticoagulant ; sa durée de vie est de l’ordre de quatre années. La
symptomatologie digestive est pauvre, mais les anémies sévères dominent le
tableau. Le traitement des formes communes associe un antiparasitaire com-
mun, le mébendazole et des sels ferreux. Les formes graves réalisent des ané-
mies préoccupantes.

111
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Anémie macrocytaire
D’autres anémies sont dues à des carences multiples et tout particulièrement
en acide folique. L’acide folique est assimilé aux vitamines et on le trouve à
l’état naturel dans les fruits, les levures et les céréales. On rencontre fréquem-
ment ces anémies chez la femme en fin de grossesse. Le traitement passe par
l’administration systématique de 20 mg/j d’acide folique + fer, pendant la
seconde partie de la grossesse.

■ Hémoglobinopathies
Drépanocytose
C’est une affection génotypique spécifique des populations noires en Afrique
subsaharienne, Madagascar et Inde du sud. Elle est caractérisée par la présence
d’une hémoglobine anormale qui a tendance à coaguler à l’intérieur des héma-
ties. Le diagnostic de cette anémie généralement microcytaire est assuré par
l’identification des drépanocytes, hématies falciformes ou en forme de feuilles
de houx.
La forme hétérozygote affecte 5 à 25 % des populations en Afrique
équatoriale, c’est-à-dire plusieurs dizaines de millions de personnes.
Généralement asymptomatique, l’anémie est associée à des épisodes doulou-
reux au niveau de l’abdomen qui doivent faire demander, outre l’hémogramme
standard, la recherche de drépanocytes. Lorsque la drépanocytose est associée
à une autre cause d’anémie, comme l’ankylostomiase, les manifestations liées
à l’hypoxémie imposent la prudence devant toute cause supplémentaire d’hy-
poxie comme l’anesthésie générale ou le voyage aérien.
Du fait de la fréquence de la maladie, les formes homozygotes ne sont
pas exceptionnelles et constituent un diagnostic à ne pas manquer (fig. 18).
Elles donnent lieu à des hémolyses, des infarctus capillaires au niveau des os
qui sont fréquemment déformés. Elle est pratiquement inconciliable avec une
survie prolongée. Nous décrivons donc la forme de l’enfant qui apparaît vers le
6e mois. Le syndrome hématologique consiste en une anémie hémolytique,
avec splénomégalie et ictère. Les douleurs ostéoarticulaires répondent à des
thromboses capillaires, évoluent vers des ostéonécroses et des ostéomyélites
fébriles. Les troubles osseux entraînent des malformations diverses : grosse tête
et visage asiatoïde avec saillie du front et bosses pariétales. Les déformations
des membres prédominent aux pieds et aux mains qui sont tuméfiées
douloureuses, déformées. On observe des tassements vertébraux en vertèbres
de poissons.

112
LA CONSULTATION

Fig. 18 – La drépanocytose homozygote. La maladie est rare, mais elle ne


devrait pas être méconnue devant le polymorphisme des symptômes.

113
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Les micro-embolies sont également responsables de thromboses céré-


brales, rétiniennes, hépatiques ou rénales. Les complications infectieuses don-
nent dès l’âge de 4 ans des ostéomyélites. Peu d’enfants atteignent l’âge de la
puberté.
Le traitement est symptomatique et décevant : transfusions, anticoa-
gulants, anti-inflammatoires. Le risque génétique est encore insuffisamment
codifié pour donner lieu à un conseil lors de la visite prénuptiale.

Thalassémie
Son aire de répartition couvre le bassin méditerranéen et la zone tropicale,
depuis la Mauritanie jusqu’à l’Extrême-Orient. Elle n’est pas spécifique de la
race noire. L’anomalie responsable porte sur un polypeptide entrant dans la
composition de l’hémoglobine, qui génère de gros troubles de la synthèse de
l’hémoglobine et une anémie hypochrome microcytaire.
Comme dans la drépanocytose, le diagnostic de certitude repose sur
une analyse de l’hémoglobine qui est du ressort d’un laboratoire spécialisé. Il
est évoqué sur les notions génétiques et devant des anomalies spécifiques de
l’hémogramme qui montre une anémie microcytaire, hypochrome, avec aniso-
cytose. L’important est d’y penser devant une anémie et de savoir y rattacher
des troubles cliniques a priori incompréhensibles. Les formes minimes sont
asymptomatiques tandis que les formes létales sont marquées chez le nourris-
son par un ictère et une anémie avec hépatosplénomégalie. Les formes inter-
médiaires comme dans la drépanocytose sont marquées par des troubles de la
croissance avec une dysmorphie caractérisée de type mongoloïde. Le diagnos-
tic est facilité, si l’on a pensé à pratiquer chez la mère de l’enfant, un sérodia-
gnostic témoignant d’une thalassémie hétérozygote.

Le groupe des hémopathies spécifiques est dominé par le pro-


blème des anémies. Les anémies de carence sont sans particula-
rité si ce n’est leur fréquence chez les femmes enceintes ou parmi
les populations exposées aux troubles nutritionnels. Les carences
les plus fréquentes sont corrigées par l’administration de fer et
d’acide folique. L’ankylostome, parasite du tube digestif (duodé-
num) est responsable d’hémorragies occultes très fréquentes. Les
▼▼▼

114
LA CONSULTATION

hémoglobinopathies (drépanocytose ou thalassémie) représen-


tent en Afrique une autre cause fréquente d’hypoxémie. Les
formes hétérozygotes très fréquentes donnent peu de manifesta-
tions cliniques, en revanche, on doit penser à évoquer le diagnos-
tic d’une hémoglobinopathie homozygote chez un enfant qui
présente l’association anémie microcytaire, hépatosplénoméga-
lie, dysmorphisme et retard psychomoteur. Les ressources théra-
peutiques sont restreintes et décevantes.

Problèmes urinaires
Mictions douloureuses, cystites, problèmes prostatiques, coliques néphré-
tiques, la nature des problèmes urinaires est sans particularité. Leur fréquence
est liée à certaines pathologies exotiques.

■ Bilharziose à Schistosoma hematobium


Devant une hématurie en milieu tropical, on pense presque toujours à une bil-
harziose à Schistosomia haematobium dont l’hôte intermédiaire est un mollusque
d’eau douce, le Cestode, qui vit accroché sur la tige de certaines plantes aqua-
tiques (fig. 19).

Fig. 19 – Épidémiologie de la bilharziose. © Franck Sillonville. Avec l’aimable


autorisation des Éditions Karthala.

115
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Diagnostic
L’épidémiologie est sensiblement identique à celle de Schistosoma mansoni qui
est responsable d’une pathologie digestive (décrite page 77), mais de réparti-
tion géographique différente. Ainsi à Madagascar, la côte occidentale riche en
rizières est infestée par Schistosoma haematobium qui affecte le système urinaire
tandis que les canaux de la côte orientale sont infestés par Schistosoma mansoni
responsable d’une symptomatologie digestive. Dès votre arrivée, les médecins
régionaux vous indiqueront la prévalence de tel ou tel parasite dans leur dis-
trict.
C’est une maladie des pataugeurs et des ouvriers des rizières.
L’infestation se fait par voie transcutanée marquée quelques minutes plus tard
par un prurit banal. Les troubles urinaires se manifestent plusieurs mois plus
tard : hématurie associée à des douleurs vésicales et une pollakiurie. Le dia-
gnostic peut être étayé par l’existence d’une éosinophilie et la recherche du
parasite dans les urines. La cystoscopie serait un examen intéressant, mais elle
relève d’une structure hospitalière. Elle confirme le diagnostic en précisant la
nature des lésions implantées sur la muqueuse vésicale et sur les uretères,
accessoirement et tardivement sur l’urètre. Il s’agit de vésicules en grain de
sable, hémorragiques. Elles s’assemblent pour former des pseudotumeurs d’as-
pect framboisé, responsables des complications.

Évolution
Si la bilharziose est précocement traitée, l’évolution se fait vers la guérison.
Sinon, les complications sont de trois ordres : une anémie modérée par spolia-
tion sanguine, des sténoses urétérales pouvant entraîner une dilatation pyélo-
calicielle et même donner une image d’hydronéphrose. Les lésions urogénitales
sont fréquentes et graves, responsables de stérilité dans les deux sexes.
L’examen au spéculum d’une femme atteinte de bilharziose montre des lésions
inflammatoires du col qui répondent souvent à des lésions plus graves au
niveau de l’endomètre et des annexes.

Traitement
Le traitement repose sur l’administration de praziquantel, 500 mg 3 comprimés
par jour pendant 7 jours chez un adulte de 60 kg.
La prévention de cette maladie est délicate. On a proposé la chimio-
prophylaxie appliquée aux populations exposées, mais on s’oriente plutôt vers
le traitement précoce des sujets malades de façon à limiter les risques de conta-

116
LA CONSULTATION

mination de l’eau. L’assèchement périodique des marigots et des rizières se


révèle difficile à réaliser car les marigots sont par ailleurs créateurs de richesse.
On a proposé le fauchage des herbes aquatiques et on a expérimenté l’intro-
duction de poissons prédateurs des cestodes. L’éducation sanitaire reste sans
doute l’arme la plus efficace, comportant l’utilisation des latrines et la précau-
tion de ne pas souiller l’eau avec de l’urine ou des matières fécales.

■ Coliques néphrétiques
Elles sont fréquentes, liées en milieu saharien à une déshydratation chronique.
En zone d’infestation bilharzienne, elles répondent au développement de pseu-
dotumeurs framboisées au niveau des uretères.

■ Complications urologiques de la filariose de


Bancroft
Cette filariose déjà étudiée au chapitre des affections lymphatiques (page 109)
est responsable de complications urinaires qui découlent indirectement du blo-
cage des systèmes de drainage lymphatique : au stade aigu, les localisations les
plus typiques sont au niveau des organes génitaux : lymphangite du scrotum,
orchiépididymite, funiculite, hydrocèle chyleuse. Le diagnostic fortement évo-
qué dans une zone d’endémie est conforté par l’association à un syndrome
fébrile et à une lymphangite des membres inférieurs avec œdèmes inflamma-
toires et adénopathies.
Les manifestations chroniques réalisent des infiltrations lymphatiques
plus ou moins intenses et invalidantes. Au niveau des organes génitaux, on
retrouve : épanchement chyleux de la vaginale, dans lequel on peut souvent
retrouver des microfilaires, orchiépididymite génératrice de stérilité, éléphan-
tiasis du scrotum qui consiste en une pachydermie, infiltration du derme et de
l’hypoderme. La chylolymphurie, caractérisée par des urines laiteuses riches en
microfilaires, correspond à une fistule profonde entre la citerne de Pecquet et
le bassinet. Le diagnostic est évoqué puis confirmé par la présence de microfi-
laires dans les urines. L’évolution est capricieuse avec des phases de rémission
et de rétention grevées possiblement de complications septiques.

■ Infections sexuellement transmissibles


Elles représentent un véritable fléau dont la gravité et l’amplitude sont en rap-
port direct avec la sous-médicalisation, l’absence de prévention et de médecine

117
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

de premier recours. Toutefois, elles ne présentent pas d’originalité particulière :


blennorragies, chlamydioses, syphilis. Le sida et l’hépatite B font l’objet de
l’Annexe II.

■ Autres causes de problèmes urinaires spécifiques


Les accouchements en situation précaire par des matrones souvent mal quali-
fiées sont responsables de séquelles génito-urinaires dramatiques : fistules,
incontinence, affaissement du périnée. La mauvaise pratique de la délivrance et
les rétentions placentaires sont responsables de complications hémorragiques
immédiates et de leurs séquelles sous forme d’infections génitales et de stéri-
lité. Toutes ces complications avec leurs conséquences sociales condamnent
les pauvres femmes qui en souffrent à une vie de paria. La maladie du ventre
qui pue est décrite en Afrique (et ailleurs…) et désigne les femmes qui gardent
dans leur ventre un fœtus mort ou un résidu d’avortement.
Les mutilations sexuelles sont décrites dans le chapitre consacré aux
femmes (page 35). Elles sont responsables de nombreuses complications uro-
logiques : fistules, incontinences et infections urinaires. On a décrit dans cer-
taines tribus des mutilations sexuelles masculines : castrations, infibulations.

Les hématuries sont les manifestations les plus fréquentes de la


bilharziose à Shistosoma haematobium, un parasite qui sévit dans
les marigots d’eau stagnante et dans les rizières. Les coliques
néphrétiques sont fréquentes dans les populations des régions
désertiques et sahéliennes. Ce chapitre traite également des
séquelles urinaires de la filariose de Bancroft et des infections
sexuellement transmissibles, tandis que les problèmes spéci-
fiques du sida sont traités en annexe. Les séquelles urinaires de
l’accouchement, de la délivrance et des mutilations sexuelles
sont responsables d’une pathologie invalidante.

118
LA CONSULTATION

Problèmes cardiovasculaires
Stéthoscope et tensiomètre constituent le minimum indispensable, mais pour-
quoi ne pas se munir d’un électrocardiographe et de ses piles rechargeables ?
Quoi qu’il en soit, la pratique raisonnée de l’examen clinique doit nous réap-
prendre à identifier un souffle valvulaire, un frottement péricardique, un galop,
un dédoublement du deuxième bruit, à repérer un épanchement, à ausculter les
carotides et à apprécier au pouls, l’épuisement d’un cœur malade.

■ Endocardites
Dans tous les pays où j’ai promené mon stéthoscope, j’ai été frappé par le
grand nombre d’endocardites graves chez l’adulte, corrélé par la fréquence du
RAA chez l’enfant. Cette affection reste la conséquence d’angines streptococ-
ciques méconnues et non traitées. Si elles sont moins fréquentes qu’en Europe,
les angines existent partout, notamment dans les pays de mousson ou dans les
zones tropicales en fin d’hivernage. Elles sont souvent négligées dans la mesure
où leur guérison spontanée est la règle. Confiées au guérisseur, elles ne sont
vues ni par le médecin, ni par l’infirmier-chef de poste, ni par personne suscep-
tible de prescrire de la pénicilline et rien ne vient limiter la fréquence des com-
plications rénales et cardiaques.
Les possibilités chirurgicales sont limitées devant une endocardite
constituée, mais le praticien doit toujours conserver le réflexe des soins den-
taires préventifs et de la couverture antibiotique systématique.

■ Particularités de l’électrocardiogramme
Décrites par Gentilini, on les constate chez la plupart des Africains : aspect
diphasique ou inversion de l’onde T dans les précordiales droites, associés à un
sus-décalage du segment ST, élargissement habituel du complexe QRS. Elles
n’ont aucune signification pathologique et ne doivent pas induire à tort les dia-
gnostics de troubles de la repolarisation ou de surcharge ventriculaire.

■ Maladie de Chagas
C’est une trypanosomiase. L’agent vecteur est le réduve, gros arthropode qui
ressemble à une punaise et se cache le jour dans les fentes des murs et dans les
toits de chaume. La maladie sévit exclusivement en Amérique tropicale, depuis

119
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

le Mexique jusqu’au nord de l’Argentine. Elle est la principale cause répertoriée


d’insuffisance cardiaque au Brésil et au Venezuela, elle est considérée comme
une priorité médicale en Guyane.
La phase initiale de la maladie survient après une incubation silen-
cieuse de dix à vingt jours. Elle comprend :
– une fièvre élevée ;
– le développement d’une réaction majeure au niveau du point d’inoculation :
œdème des paupières, dacryocystite et adénopathies en cas d’inoculation au
niveau de l’œil, chancre cutané nécrotique et inflammatoire en cas d’inocu-
lation cutanée, syndrome oculo-palpébral ou chancre au niveau du point
d’inoculation cutanée ;
– des adénopathies satellites.
Le parasite a un tropisme essentiellement musculaire et la phase d’état
correspond à une myocardite aiguë fébrile allant de manifestations purement
électriques jusqu’à l’insuffisance cardiaque aiguë avec anasarque. Les signes
associés sont inconstamment une méningo-encéphalite, des adénopathies, un
rash cutané et une hépatosplénomégalie. La mortalité est de 10 %.
L’évolution vers la cardiopathie chagasique survient après un délai de
plusieurs années : douleurs angineuses, troubles du rythme, insuffisance car-
diaque et accidents emboliques.
Le diagnostic clinique établit la présomption qui peut être confirmée
en laboratoire par la technique de la goutte épaisse pendant la phase aiguë par
une réaction immunologique pendant la phase tardive des complications.
Le traitement est aléatoire. On a essayé, avec des succès inconstants,
en phase aiguë le mébenprazole, la primaquine, l’amphotéricine et les nitrofu-
ranes. La phase chronique est actuellement incurable. Elle fait l’objet de
recherches coordonnées par l’OMS.
La prévention réside dans la lutte contre l’arthropode vecteur : elle est
décevante car les réservoirs de virus sont nombreux. L’hygiène et l’amélioration
de l’habitat restent la meilleure prophylaxie, les toits de chaume, le sol en terre
battue et le confinement avec les animaux restant les principaux responsables
de la contamination.

■ Hypertension artérielle
Elle a longtemps été considérée – à tort – comme un problème de santé
publique propre aux pays « développés ». C’est une erreur qui semble liée
essentiellement à la rareté des tensiomètres là où la piste s’arrête (!). Former un

120
LA CONSULTATION

auxiliaire de santé à prendre la tension et lui faire cadeau de son tensiomètre en


partant est généralement un geste apprécié et utile. Le traitement de cette mala-
die chronique pose un problème économique. Il s’agit d’une affection de
longue durée et la plupart des molécules sont coûteuses dans des pays sans
protection sociale. On utilisera si possible un médicament choisi dans la liste
des génériques de l’OMS qui propose une gamme réduite, mais généralement
suffisante. En dehors d’une indication particulière, on évitera la prescription de
diurétiques dont les effets sont synergiques avec ceux d’une transpiration
intense due à la chaleur.

■ Diabète
Considérée pendant longtemps et sans aucune raison comme un problème
spécifique des pays à niveau de vie élevé, cette maladie est cosmopolite. Les
diabètes de type I, insulinodépendants, sont une maladie métabolique, aussi
fréquente ici qu’ailleurs. Les diabètes de type II voient leur fréquence augmen-
ter avec la modification des habitudes alimentaires et l’introduction de bois-
sons sucrées consommées sans discernement.
Mal dépistées et insuffisamment traitées, ces deux maladies sont res-
ponsables de complications cardiovasculaires, cutanées ou ophtalmologiques.
Là encore, le coût des médicaments et des éléments de surveillance
obère la prise en charge thérapeutique et il faut s’attacher aux informations dié-
tétiques et à la prévention. Pour tous les malades qui relèvent d’une prise en
charge médicamenteuse, la surveillance biologique et la prescription des médi-
caments doivent répondre aux généralités qui ont été exposées à propos de
l’hypertension.

■ Obésité
Elle se rencontre surtout chez les femmes dans les milieux aisés.

Les affections cardiovasculaires, le diabète et l’hypertension sont


ni plus ni moins fréquentes dans les pays pauvres qu’en
Occident. Leur traitement au long cours pose un certain nombre
de problèmes particuliers, notamment son coût. Toutefois, un
certain nombre de molécules efficaces sont disponibles auprès
▼▼▼

121
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

des pharmacies centrales dans le cadre des génériques de l’OMS.


Un aspect insolite de la pathologie cardiovasculaire est la fré-
quence des endocardites qui viennent compliquer des angines à
streptocoques non traitées. La maladie de Chagas est une infec-
tion à trypanosome transmise par un arthropode ; elle est la prin-
cipale cause d’insuffisance cardiaque en Amérique tropicale.

Manifestations psychiatriques
et neurologiques
■ Maladies mentales
L’abord clinique des maladies mentales par le médecin occidental est sans
doute le chapitre le plus déroutant en médecine humanitaire.
Les troubles psychologiques sont extrêmement fréquents dans des
populations traumatisées par une catastrophe ou fragilisées par des conditions
de vie difficiles. Leur abord est difficile face à un patient qui s’exprime dans une
langue que généralement on ne maîtrise pas.
La genèse de certains troubles est liée à des contextes culturels et
sociaux profondément différents d’une société à l’autre (Bouddhisme, chama-
nisme, vaudou…) et leur appréhension ne nous est pas toujours directement
accessible.
Comme devant toute maladie chronique, nous sommes mal armés
avec nos médicamenteux coûteux, en l’absence de structure psychiatrique face
à un abord clinique ancestral largement dédié aux chamans, aux prêtres et aux
guérisseurs. Nous sommes d’autant plus enclins à la modestie que ces moyens
apparemment irrationnels, exorcisme, sacrifices, prières, enchaînement des
malades agités, sont souvent assez efficaces.
Les états névrotiques sont légions. Dans un camp de réfugiés ou en
situation de guerre, les patients sont souvent traumatisés par la rupture, l’écla-
tement familial, les deuils. Les problèmes les plus fréquemment rencontrés
sont les troubles du sommeil, l’anxiété, les manifestations anxiodépressives.

122
LA CONSULTATION

Dans un bidonville ou en situation de misère urbaine s’ajoutent à ces


pathologies les conséquences psychologiques du dénuement, de la drogue, de
l’esclavage ou de la prostitution. On est également confronté aux problèmes
majeurs des enfants des rues, souvent prostitués, abandonnés à eux-mêmes et
privés de repères.
À l’inverse, dans le village de brousse que nous avons pris comme
modèle de référence, l’équilibre est la règle et les troubles sont banalisés.
Toutes les pathologies qui nous sont familières se retrouvent sans doute avec
une fréquence analogue à celle qui nous est coutumière, mais la prise en charge
de l’individu par le groupe et la grande cohésion de la famille réduisent heureu-
sement la fréquence et l’impact social des maladies mentales.
Rien n’empêche de soigner une crise d’angoisse avec quelques com-
primés d’anxiolytique ou une insomnie avec un hypnotique, mais devant une
détresse mentale qui plonge ses racines dans un contexte que nous ne maîtri-
sons pas, il faut, la plupart du temps, avoir la modestie d’établir une relation de
confiance avec une médecine traditionnelle qui a beaucoup à nous apprendre.
La drogue enfin fait des ravages considérables.

■ Affections neurologiques
Poliomyélite
La poliomyélite est encore largement présente en dépit de larges campagnes
nationales en faveur de la vaccination. Cette maladie est décrite page 51. Il
n’existe pas de traitement pendant la phase aiguë, hormis l’assistance respira-
toire et la kinésithérapie qui permet d’attendre la possible régression spontanée
des troubles neurologiques. Les nombreux handicapés qu’on voit mendier
dans toutes les grandes villes du monde sont souvent les malheureux rescapés
de cette terrible maladie pour laquelle la prévention vaccinale est le seul et très
efficace remède.

Méningites
Les méningites à pneumocoque et méningocoque restent fréquentes en
brousse. Gentilini décrit un cycle épidémique pluriannuel affectant, dans la
zone sahélienne, une ceinture de pays allant de l’Éthiopie jusqu’au Sénégal. Les
épidémies surviennent au mois de mai pour s’éteindre à la saison des pluies.
Leur fréquence et la persistance de la chaîne épidémique restent liées, dans un
milieu faiblement médicalisé, à l’absence de traitement antibiotique préventif.
Il existe un vaccin efficace contre certaines souches de méningocoque. La stra-

123
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

tégie vaccinale se limite à la vaccination des pèlerins vers La Mecque et à des


campagnes de vaccination ciblées en milieu épidémique. La triade fièvre-
vomissements-raideur de la nuque reste le meilleur repère clinique pour un
diagnostic précoce qui appelle un traitement efficace : vhloramphénicol hui-
leux en injection intramusculaire (voir page 51).

Épilepsie
En milieu traditionnel, son caractère de maladie est souvent méconnu.
Considérée comme une possession par les esprits, elle donne lieu à des rituels
d’exorcisme qui donnent l’illusion de l’efficacité devant une crise aiguë, mais
qui sont sans aucun effet sur les récidives. Le diagnostic clinique est bien codi-
fié et nécessite un examen attentif de la crise et de son déroulement en trois
phases. Aura, convulsion avec ou sans perte de connaissance et phase sterto-
reuse postcritique. Il faut rechercher des signes connexes que sont l’amnésie, la
perte des urines ou la morsure de la langue. Le recours à des examens complé-
mentaires se fera en fonction du contexte. Le traitement par les antiépileptiques
modernes est généralement trop coûteux. En revanche, les barbituriques
(Gardénal®, Alepsal®, Ortenal®) gardent toutes leurs indications.

Accès pernicieux du paludisme


Également appelée neuropaludisme, cette forme grave atteint des sujets
dépourvus d’immunité : les enfants entre 4 mois et 4 ans ou les voyageurs. Plus
fréquent en fin d’hivernage lorsque les Plasmodium sont particulièrement actifs,
il correspond à une multiplication massive des parasites dans le système circu-
latoire cérébral. Cet accès réalise une encéphalopathie hyperfébrile avec coma,
des convulsions, une raideur méningée, associées aux signes classiques du
paludisme aigu décrits par ailleurs (voir le chapitre dédié aux affections fébriles
page 54). Cette forme grave du paludisme est responsable de la plupart des cas
mortels, les complications rénales et ictériques aggravent le pronostic. Le dia-
gnostic d’un paludisme grave impose un traitement immédiat par perfusion de
sels de quinine (Paluject® ou Quinimax®), réhydratation, antithermiques et
anticonvulsivants.

Maladie du sommeil
Elle est exclusivement africaine. Les trypanosomes se multiplient dans le sang
du sujet contaminé qui devient infectant. L’agent de transmission est la glossine
ou mouche tsé-tsé, grosse mouche noire de taille centimétrique, dont les deux

124
LA CONSULTATION

sexes sont hématophages. La maladie est exclusivement interhumaine. L’aire


géographique de la maladie s’étend en Afrique de part et d’autre de l’Équateur,
dans des régions sylvestres et humides. On distingue deux formes cliniques
correspondant à deux parasites voisins. La forme gambienne en Afrique de
l’ouest et la forme rhodésienne qui s’étend du sud de l’Éthiopie au
Mozambique.
Toute altération neurologique insolite survenant en zone d’endémie
doit faire supposer la maladie du sommeil.
Cinq à vingt jours après la piqûre infectante, le malade présente des
adénopathies cervicales, une petite fièvre, des œdèmes et accessoirement une
splénomégalie. Cette phase précède l’apparition des signes neurologiques et sa
durée est variable. L’existence d’adénopathies cervicales évite au clinicien de
s’égarer vers un paludisme dont le traitement serait d’ailleurs inefficace. La
petite histoire rapporte qu’au temps de l’esclavage, les négriers refusaient
d’acheter des esclaves portant des ganglions, sachant qu’ils ne survivraient pas.
Les altérations neurologiques apparaissent dans un deuxième temps :
le signe de la clé correspond à une hyperesthésie profonde ; le patient a du mal
à tourner une clé dans la serrure tant les contractions musculaires sont doulou-
reuses. On décrit également des zones d’hyperesthésie cutanée. Les troubles
moteurs sont rares et inconstants.
En revanche, les troubles de l’humeur sont évocateurs. Tel malade
hyperconvivial devient apathique et tel autre triste devient hilare. Les troubles
du sommeil consistent en une somnolence diurne confinant à l’apathie, qui
contraste avec une insomnie nocturne. L’évolution spontanée se fait vers l’hé-
bétude puis vers la cachexie sommeilleuse.
Les lésions anatomopathologiques touchent les neurones sous la
forme d’une encéphalopathie démyélinisante évolutive.
Le diagnostic de certitude repose sur l’identification aisée du parasite
dans le sang, le broyat ganglionnaire ou le liquide céphalorachidien (LCR). Ce
diagnostic est capital avant d’initier un traitement relativement iatrogène par
les dérivés arsenicaux
La lutte contre la maladie du sommeil repose sur le traitement systé-
matique des sujets infectés et sur la lutte contre les glossines. L’épandage d’in-
secticide s’est révélé plus dangereux qu’efficace. On s’oriente actuellement vers
les pièges à glossine enduits d’insecticide. La prévention individuelle des per-
sonnes résidant dans une zone infectée est difficile à pratiquer, la mouche tsé-
tsé piquant sans difficulté des vêtements légers.

125
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La suramine et la pentamidine sont efficaces contre les stades san-


guins des deux formes de Trypanosoma brucei, mais ne traitent pas les atteintes
du système nerveux central. Le traitement de référence à ce stade reste un
dérivé de l’arsenic, le Melarsoprol® administré en injections intraveineuses
pendant 3 jours, à la dose de 3,6 mg/kg et par jour. Ces médicaments sont effi-
caces, mais mal supportés et relativement toxiques. Le traitement de la mala-
die du sommeil illustre les contradictions inhérentes à l’industrie du
médicament qui hésite à investir dans la recherche pour une maladie qui ne
sévit que dans des zones réputées non rentables.

Maladie de Chagas
Également due à un trypanosome, la maladie de Chagas (décrite page 119 dans
le chapitre consacré aux affections cardiovasculaires), sévit exclusivement en
Amérique intertropicale. Sa symptomatologie et sa gravité sont le fait d’une
myocardite. La méningoencéphalite de type sommeilleux reste anecdotique.

Manifestations neurologiques de la lèpre


Il s’agit d’une névropathie de type périphérique avec troubles dissociés de la
sensibilité douloureuse et thermique. Ces troubles atteignent de façon asymé-
trique les territoires du cubital, du sciatique poplité externe, du médian ou
moins souvent du radial.
Ils précèdent parfois l’apparition des lésions cutanées. Plus tard, la
névrite évolue vers la constitution de troubles moteurs et trophiques qui condi-
tionnent les séquelles :
– la main en griffe signe une atteinte du cubital ;
– la main tombante en col-de-cygne signe une atteinte du radial ;
– la perte de l’opposition du pouce signe une atteinte du médian.
Le visage léonin du lépreux correspondrait à une paralysie du facial ou
encore le steppage signe l’atteinte du sciatique poplité externe. L’examen
recherche une hypertrophie des troncs nerveux qui deviennent palpables sous
la forme de cordons indurés et douloureux, parfois moniliformes.

126
LA CONSULTATION

Les affections mentales sont d’un abord difficile pour le médecin


occidental peu au fait des réalités culturelles de populations qui
obéissent à des traditions qui nous sont étrangères (bouddhisme,
chamanisme, vaudou, etc.), mais elles sont fréquentes dans les
situations de choc comme la guerre civile ou la déportation.
Parmi les affections neurologiques spécifiques, nous avons
retenu la crise d’épilepsie, le neuropaludisme et les manifesta-
tions neurologiques de la lèpre, mais surtout la méningoencépha-
lite de la maladie du sommeil due à un trypanosome transmis par
la piqûre de la glossine, mouche tsé-tsé.

127
ANNEXES
ANNEXE I

Accouchement
■ Accouchement normal

L’accouchement en situation précaire est une réalité quotidienne pour des mil-
lions de femmes, dans la brousse africaine, dans les îles d’Océanie comme sur
les hauts plateaux tibétains. C’est une aventure périlleuse, marquée par une
morbidité périnatale sans commune mesure avec ce que nous imaginons
en Occident. Au Sénégal qui n’est pas, loin de là, le pays le plus mal loti, la
mortalité maternelle périnatale est de 510 pour 10 000 accouchements, liée
en grande partie à la formation insuffisante des matrones rurales et à leur
isolement.
Quelle que soit sa spécialité, tout médecin risque au moins une fois
dans sa vie de se trouver face à un accouchement inopiné. Il se trouve aujour-
d’hui et il l’a bien cherché, dans une situation extrême : éclairé par une simple
bougie, dans une case de santé à l’autre bout du monde au milieu des mous-
tiques, une matrone pleine de confiance vient de le réveiller pour qu’il super-
vise un accouchement en train de se faire. Pourquoi pas ? La mortalité
périnatale est énorme en brousse, liée en grande partie, nous l’avons dit, à la
formation insuffisante des matrones. Ces quelques pages rappellent le dérou-
lement d’un accouchement normal, soulignent les causes principales de mor-
bidité de l’accouchement en situation précaire et insiste sur les moyens d’y
porter remède.

131
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Analysons d’abord les raisons de la dangerosité de l’accouchement en


brousse. L’isolement a empêché nombre de femmes de se prêter, au long de
leur grossesse, à une surveillance régulière. La distance est également un fac-
teur de risque : il m’est arrivé de voir arriver au poste de santé, accompagnée
de sa belle-mère, une femme qui venait accoucher après avoir parcouru 8 km
à pied. Dans le meilleur des cas, les consultations prénatales ont permis de
repérer les grossesses à risque et de prévoir la plupart des accouchements dys-
tociques qui doivent impérativement se faire en maternité : les femmes trop
jeunes, les femmes de petite taille, les boiteuses, les grandes multipares qui ris-
quent une atonie utérine, une rupture utérine ou une présentation dystocique
(transverse ou de l’épaule). Les femmes hypertendues et celles qui présentent
des œdèmes en fin de grossesse risquent une éclampsie ou un hématome rétro-
placentaire. Même en admettant que tout ce travail de prévention ait pu se
faire, un certain nombre d’incidents ne se manifesteront qu’en cours de travail
et justifient une surveillance attentive.

■ Surveillance du travail
Le début du travail est marqué par la survenue de contractions utérines qui
durent plus de trente secondes et se suivent à intervalles réguliers. Dans cer-
tains cas, les contractions sont précédées de la rupture spontanée de la poche
des eaux : le liquide qui s’écoule doit être clair ; un liquide verdâtre implique
une souffrance fœtale. La période de travail va conduire le fœtus de sa position
intra-abdominale à l’air libre. La présentation céphalique est la plus fréquente :
le mobile fœtal va d’abord se fixer au détroit osseux supérieur. Puis il va pro-
gresser jusqu’au détroit inférieur. Un adage africain indique que le soleil ne doit
pas se lever deux fois sur un même travail.

■ Examen de l’abdomen
On apprécie d’abord le terme sur une HU de 33 cm (± 3) mesurés de la sym-
physe pubienne au fond utérin. L’imprécision du chiffre tient, d’une part, à
l’épaisseur de la paroi musculo-graisseuse, d’autre part, à la position de l’uté-
rus souvent antéversé. Une hauteur inférieure implique une hypotrophie
fœtale ou une prématurité à confirmer par le décompte de l’âge présumé de la
grossesse.
La palpation utérine apprécie les contractions : fréquence, durée,
intensité. Elle confirme la présentation céphalique par l’identification du pôle
céphalique fixé ou non fixé au-dessus de la symphyse pubienne et du pôle

132
ANNEXE I

caudal plus petit et mobile au niveau du fond utérin. La position du dos est
assez facile à préciser.

■ Bruits du cœur
L’auscultation des bruits du cœur fœtal se fait entre les contractions, tous les
quarts d’heure, avec le stéthoscope de Pinard. Entre 120 et 140, elles sont régu-
lières. Une accélération, un ralentissement ou une irrégularité sont des signes
de souffrance fœtale.

■ Toucher vaginal
C’est en soi un facteur d’infection, il doit être pratiqué le plus rarement pos-
sible, voire jamais si les contractions sont régulières et si l’auscultation ne
montre pas de signes de souffrance fœtale.
Il nécessite une certaine compétence et si on doit le pratiquer, on s’en-
tourera des règles impératives d’asepsie : désinfection du vagin, lavage des
mains au savon, port de doigtiers jetables. Cet examen permet d’apprécier la
progression du mobile fœtal, la longueur du col puis son effacement complet.

■ Rupture de la poche des eaux


Nous avons signalé la possibilité d’une rupture initiale de la poche des eaux.
Ce n’est pas le cas le plus fréquent. Généralement, la poche des eaux s’ouvre
spontanément en cours de travail. La rupture de la poche des eaux a pour effet
d’accélérer l’effacement du col et la progression du fœtus. Une rupture préma-
turée avant le début du travail risque d’entraîner une infection et justifie le
transfert, surtout si le liquide est coloré et si le travail tarde à se déclencher.
Exceptionnellement, si elle ne se rompt pas, elle pointe à la vulve et il faut pra-
tiquer une rupture artificielle au doigt ou à l’aide d’une branche de pince de
Kocher.
Lorsque le col est dilaté et effacé, la première phase du travail est ter-
minée et la femme éprouve le besoin irrépressible de pousser.

133
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

La progression du travail se juge à la qualité, à la durée et à la fré-


quence des contractions.
La palpation de l’abdomen est indispensable pour apprécier le
terme et déterminer si possible la présentation.
Le toucher vaginal n’est pas indispensable et doit être proscrit si
les conditions d’asepsie sont médiocres.
La durée du travail est extrêmement variable. Il est parfois très
rapide, mais il peut au contraire durer jusqu’à 24 heures chez la
primipare. Au-delà, il faut suspecter une dystocie et transférer la
patiente sans attendre.
Les signes de souffrance fœtale qui doivent conduire à transférer
la patiente vers une maternité sont une modification des bruits du
cœur : accélération, ralentissement ou irrégularité, confirmés à
deux auscultations successives, et un liquide amniotique verdâtre.

Déroulement de l’accouchement :
présentation céphalique
La femme commence à pousser activement quand la tête se trouve à la vulve.
La période d’expulsion ne doit pas durer plus de trente minutes.
Il convient de surveiller les signes de souffrance fœtale.
On s’est assuré avant le début de la période d’expulsion que la femme
a vidé sa vessie. On s’est lavé les mains, on dispose de gants jetables et tout est
prêt pour accueillir le bébé. Le col est complètement dilaté, le toucher vaginal
identifie les fontanelles et vérifie que la tête est bien en position occipitale.
Désormais, la tête poursuit sa progression dans le défilé pelven, chaque
contraction assure une petite progression au prix d’efforts maternels qui sem-
blent démesurés et qu’apprécie la matrone (fig. 20).
Lorsque la tête commence à appuyer sur la vulve, vient le moment ou
la femme va devoir retenir son envie de pousser tandis que la matrone (ou vous-
même) s’emploie à contrôler la distension du périnée et à contenir la progres-

134
ANNEXE I

L’accouchement

Col long fermé

Rotation de la tête 45° Déflexion de la tête

Dégagement de la tête Dégagement des épaules

Fig. 20 – De haut en bas et de gauche à droite : 1) progression de la tête dans


le détroit osseux ; 2) effacement et dilatation du col ; 3) rotation de la tête ;
4) la tête est défléchie, à la vulve, là commence la période d’expulsion au cours
de laquelle il est capital de protéger le périnée ; 5 et 6) l’enfant appartient aux
mains de la matrone.

sion de la tête. Quelques manœuvres simples peuvent faciliter cette dernière


phase de l’accouchement, toutes destinées à protéger l’intégrité du périnée :
– à l’aide de deux doigts, on appuie sur l’occiput pour faciliter son redresse-
ment ;
– par des manœuvres douces d’asynclitisme, on facilite l’assouplissement du
périnée et on évite sa rupture ;

135
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

– avec la main gauche surtout, pendant les contractions, tandis que la femme
pousse, on contrôle la progression de la tête. Incident possible : en dépit des
manœuvres précédentes, le périnée distendu menace de se déchirer. La déchi-
rure non contrôlée se fera dans la direction du sphincter anal. Il convient alors
de pratiquer une épisiotomie avec une paire de ciseau stériles à bouts ronds.
On pratique une entaille nette de 2 à 4 cm dans une direction oblique. Il suf-
fira de la suturer plan par plan après la délivrance ;
– lorsqu’on perçoit le relief des arcades sourcilières, le plus grand diamètre est
en place et tout suivra sans problème. On demande à la femme de pousser
une dernière fois ;
– lorsque la tête est sortie, il faut la tourner doucement pour la mettre dans
l’axe de la colonne vertébrale abaisser l’épaule antérieure puis relever le bébé
et faire sortir le corps en le tenant horizontalement. Incident possible : la cir-
culaire du cordon qui s’est enroulé autour du cou et risque de l’étrangler. Il
suffit de faire passer le cordon avec douceur par-dessus la tête. S’il est trop
serré il convient de le couper entre deux pinces avec des ciseaux passés à l’al-
cool ;
– moucher l’enfant et dégager les mucosités avec le doigt ;
– le déposer sur le ventre de la maman ;
– couper le cordon à 4 cm avec des ciseaux passés à l’alcool ou une lame
neuve. L’utilisation d’un couteau non stérile est responsable de la transmis-
sion du tétanos.

Les erreurs les plus fréquemment rencontrées pendant la période


d’expulsion concernent la protection du périnée et la non-répa-
ration des déchirures. Laisser évoluer une déchirure sans soins
expose à l’infection. La lésion du sphincter anal expose à des
complications graves.

136
ANNEXE I

Accouchement par le siège


Théoriquement, il aurait dû être transféré, mais la décision tardive d’un trans-
port périlleux peut s’avérer plus dangereuse qu’utile et on prendra parfois la
décision de terminer l’accouchement sur place.
Le diagnostic de présentation du siège se fait à la palpation abdomi-
nale par l’identification du pôle céphalique dans le fond utérin, les BDC sont
retrouvés au-dessus de l’ombilic.
La sortie du pôle fessier se fera sans problème, en revanche, les diffi-
cultés se présenteront au moment de la sortie de la tête si celle-ci est trop
grosse. Une dystocie peut également tenir du relèvement des bras. Une règle
absolue permet généralement de conduire l’accouchement à bon terme : ne
rien faire et surtout éviter les touchers vaginaux intempestifs.

■ Première étape
Pieds en avant ou fesses en avant, le corps du bébé sort facilement. Rien ne
s’oppose à sa progression, Il convient, sans toucher à ses pieds, d’assurer la sor-
tie en saisissant le corps du bébé au niveau du bassin et en le relevant pour
maintenir la tête fléchie et lui permettre de poursuivre sa progression. La tête
se présente par le menton tandis que la nuque du bébé reste appuyée contre la
symphyse pubienne autour de laquelle elle effectue sa rotation.

■ Deuxième étape
Pour faciliter la sortie de la tête, on pratique la manœuvre de Mauriceau : assu-
rer une flexion maximum de la nuque en ramenant le corps du bébé vers le
ventre de la maman (la matrone doit le tenir sur son avant-bras) cependant que
celle-ci continue de pousser. La matrone aide la sortie de la tête avec deux
doigts introduits dans la bouche de l’enfant.

■ Incidents
Ils font toute la gravité de cette présentation.
La tête est trop grosse et reste intra-utérine cependant que le corps est
déjà sorti et effectue sa première inspiration. La seule intervention serait l’ap-
plication des forceps, difficile à envisager au niveau de la case de santé.

137
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Le relèvement des bras correspond à un réflexe archaïque déclenché par


la sollicitation accidentelle de la plante des pieds au moment de la sortie du
fœtus. Dès lors, l’accouchement ne peut plus se faire et le remède consiste en
une extraction artificielle dite « petite extraction » envisageable seulement pour
un praticien averti. La prévention d’un tel accident consiste, répétons-le, à ne
rien faire jusqu’à la sortie du corps du bébé qu’on saisit au niveau du bassin.

Délivrance
Dix à quinze minutes après la naissance, les contractions reprennent.
On reconnaît que le placenta est décollé en exerçant une pression au-
dessus de la symphyse pour faire remonter le corps utérin, le cordon ne
remonte pas.
La délivrance se fait spontanément, aidée s’il le faut par une pression
douce exercée sur le fond utérin. Il ne faut pas tirer sur le cordon.
Une fois le placenta expulsé, l’examiner attentivement, rapprocher les
bords, vérifier qu’il est complet et que tous les cotylédons se recouvrent.
La femme doit saigner peu après la délivrance, moins de 500 mL. La
persistance d’une hémorragie correspond pratiquement toujours à une réten-
tion placentaire et justifie une révision utérine. J’ai eu la surprise au Sénégal de
constater que certaines matrones étaient formées à cette intervention capitale.
Elle requiert une asepsie parfaite et justifie une antibiothérapie postinterven-
tion. Recouverte d’un gant stérile la main est introduite, pouce plié, à l’intérieur
de l’utérus, son bord cubital effectue un tour complet en raclant la paroi uté-
rine pour recueillir les débris placentaires et les caillots.
Erreurs les plus fréquemment rencontrées à l’occasion de la déli-
vrance : la matrone tire sur le cordon avec un risque de décollement partiel du
placenta, de rupture du cordon et surtout de contracture utérine réflexe empê-
chant l’expulsion du placenta. Il faut au contraire leur apprendre à masser dou-
cement le fond utérin (fig. 21).

138
ANNEXE I

Fig. 21 – Délivrance. Elle se produit spontanément dans les quinze minutes qui
suivent l’accouchement. Un massage doux de l’abdomen peut faciliter l’expul-
sion, en revanche, il est inutile et dangereux de tirer sur le cordon. L’examen du
gâteau placentaire est capital pour dépister la rupture ou l’absence d’un cotylé-
don qui signerait une rétention placentaire justiciable d’une révision utérine.

139
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Quand doit-on transférer une femme


en urgence à la maternité ?
La bonne pratique des consultations prénatales permet à la matrone d’identi-
fier (voir le chapitre dédié à ce sujet) les grossesses à risque et de les orienter
vers une maternité hospitalière, mais certaines situations ne se précisent qu’au
dernier moment.
Le problème ne se pose pas de la même façon chez une primipare ou
chez une multipare. La primipare n’a jamais accouché et un travail trop long
peut correspondre à une dystocie osseuse. La grande multipare dont les accou-
chements précédents se sont bien déroulés a déjà fait ses preuves, mais elle
pose des problèmes liés à un utérus fragilisé et distendu : atonie utérine, rup-
ture utérine, présentations transverses ou de l’épaule.

Depuis le début du travail jusqu’aux cinq ou six jours suivant


l’accouchement, un certain nombre d’incidents doivent être
considérés comme graves :
– la tête ne s’engage pas ;
– on constate des signes de souffrance fœtale ;
– la femme saigne ;
– la femme convulse ;
– le bébé se présente par le siège (5 % des accouchements) ou par
l’épaule (grande multipare) ;
– l’accouchement est prématuré et la femme doit être transférée
pour la prise en charge du bébé ;
– l’accouchement est fébrile ;
– on constate une toxémie gravidique : HTA, albuminurie,
œdèmes, utérus dur, douloureux (hématome rétro-placentaire)
céphalée (risque élevé d’éclampsie) ;
– les lésions du périnée justifient une réparation chirurgicale ;
– la délivrance est incomplète et la femme présente des signes de
rétention placentaire.

140
ANNEXE I

Soins au nouveau-né
Le nouveau-né normal crie dès la naissance : on apprécie sa vigueur par
l’observation des mouvements spontanés et la coloration de la peau.
Il faut assurer la liberté des voies respiratoires en désobstruant l’ar-
rière-bouche avec le doigt recouvert d’un gant stérile, sécher l’enfant et le
recouvrir d’un pagne propre et sec, le déposer sur le ventre de sa mère.
Assurer les soins de l’ombilic : couper le cordon ombilical à 6 cm avec
une lame ou un ciseau stérile, puis lier l’ombilic avec un fil bouilli ou trempé
dans l’alcool et en désinfecter l’extrémité. La non-observance de cette règle élé-
mentaire d’asepsie est responsable de la transmission du tétanos obstétrical.
Nettoyer les yeux du nouveau-né avec une compresse et instiller une
goutte de collyre antibiotique.
Il faut enfin mettre le bébé au sein le plus tôt possible. Le premier lait,
riche en colostrum, semble bien préférable à la cuillère d’eau sucrée.

Suites de couches
et allaitement maternel
L’accouchement s’est en principe déroulé sous la tente, dans la case ou, au
mieux à la case de santé. Il est exceptionnel que la maman et le bébé restent
sous surveillance pendant plus de vingt-quatre heures. Un temps malgré tout
suffisant pour faire le tour des principaux problèmes :
– mettre le bébé au sein dès les premières heures. Apprendre à la maman à
laver ses tétons, les tétées doivent être courtes pour éviter les crevasses ;
– imposer le lever précoce, ce qui n’est pas un vrai problème ; contrôler le réta-
blissement des mictions normales.

141
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

■ Savoir reconnaître ce qui est fréquent et banal

Ce qui relève du banal :


– la persistance de contractions douloureuses pendant les premières heures
après l’accouchement ;
– une tension mammaire liée à l’engorgement ;
– l’écoulement modéré de sang, de débris de muqueuse utérine et de sécrétions
vaginales, ce sont les lochies ; leur odeur est fade, elles peuvent durer une
dizaine de jours.
Vérifier l’état du périnée. La fréquence des lésions périnéales chro-
niques est un véritable problème de santé publique, les femmes qui en sont
affligées sont handicapées à vie dans leur contexte familial, conjugal et social.
Toute déchirure doit être réparée. S’il s’agit d’une simple déchirure cutanée,
une suture avec du fil résorbable est suffisante et justifie un contrôle au 8e jour.
En revanche, les lésions périnéales qui touchent les trois plans cutanés, muscu-
laire et vaginal doivent être réparées plan par plan. Les déchirures qui atteignent
les sphincters sont particulièrement inquiétantes et doivent être transférées
d’urgence en milieu chirurgical sous peine d’entraîner des lésions définitives et
invalidantes.

■ Savoir identifier les incidents graves

Certains événements ne sont pas normaux et doivent être recherchés systéma-


tiquement :
– une fièvre persistante supérieure à 38 °C ;
– la persistance d’un utérus globuleux et sensible ;
– la persistance d’hémorragies.
Chacun de ces signes fait craindre une complication, justifie de pro-
longer la surveillance, voire de transférer la patiente si les symptômes s’aggra-
vent ou persistent plus de 24 heures. La principale complication est la rétention
placentaire.

142
ANNEXE I

Conclusion

Ce tout petit exposé, conçu pour des médecins non-spécialistes, ne prétend


pas faire d’eux des obstétriciens, mais s’efforce de leur donner une vision claire
des mécanismes de l’accouchement et leur permettre d’affronter dans de
bonnes conditions le déroulement d’un accouchement inopiné.

143
ANNEXE II

Sida et hépatite B
Ces deux maladies n’ont en commun que leur mode de contamination et leur
omniprésence dans les pays où s’exercent la plupart de nos missions. Là s’ar-
rête la similitude, mais nous avons choisi de les présenter ensemble car elles
sont exemplaires des enjeux inlassables de la médecine humanitaire. Elles
représentent un défi pour l’OMS, pour l’industrie pharmaceutique et pour les
politiques nationales de santé.
Derrière le paludisme et la tuberculose mais bien avant les famines et
les accidents de la route, ces deux affections font mourir précocement chaque
année des millions d’individus. Elles font partie des pandémies mondiales qui
représentent pour tous les pays, sans aucune exception, un grave problème de
santé publique. Le médecin qui s’implique dans une mission humanitaire sera
rapidement confronté à ces dures réalités : l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et d’une
façon générale, les pays à bas niveau de santé totalisent en effet 90 % de ces
deux maladies dont la progression a été exponentielle pendant de nombreuses
années.

■ Sida
Épidémie de sida dans le monde
L’identification du sida comme maladie autonome date des années 1980. En
quelques années, avant même que le virus responsable n’ait été identifié, les
projections épidémiologiques tablaient sur une extension planétaire et sur une

145
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

mortalité annuelle se chiffrant par millions d’individus. Les prospectives pour


une fois ne se sont pas trompées et, vingt ans plus tard, la maladie est solide-
ment implantée partout dans le monde avec une prévalence énorme pour les
pays dans lesquels se rendent la plupart des missions humanitaires. Elle
touche, en 2008, trente millions d’hommes et de femmes, jeunes pour la plu-
part. La survie moyenne est de dix ans. Le sida fait chaque année des millions
d’orphelins et les enfants eux-mêmes paient un lourd tribut au sida néonatal.
L’existence du syndrome immunodépressif aggrave le pronostic des maladies
associées et, pour ne prendre que l’exemple le plus grave, la mortalité de la
tuberculose et sa résistance aux antibiotiques sont considérablement aggravées
chez les malades séropositifs.

Ce qu’il faut retenir des statistiques

L’année 2005 a représenté l’acmé de l’épidémie. Le rapport ONUSIDA fait état


de trois millions de décès dont 300 000 enfants victimes de sida néonatal.
Depuis trois ans, ces chiffres ont tendance à se stabiliser et le nombre des décès
est tombé à deux millions dont 275 000 enfants.
Il faut mettre en parallèle ces données avec les trente millions de séro-
positifs recensés et le nombre de nouveaux cas dépistés chaque année, qui ne
varie pas et se situe autour de trois millions. L’emprise de la maladie reste
considérable, la survie moyenne est de l’ordre de dix ans, la diminution des
décès rend compte de l’efficacité des traitements, mais le nombre inchangé des
nouveaux cas rend compte de l’inefficacité des mesures de prévention.
La prise de conscience de la gravité de l’épidémie et l’accès aux
moyens de diagnostic ont été très progressifs. Certains pays annoncent chaque
année des résultats de plus en plus mauvais, mais cela correspond essentielle-
ment au fait qu’ils ont amélioré leurs protocoles de dépistage. Au Sénégal par
exemple, au début des années 1990, aucun cas de sida n’avait été dépisté, mais
aucun n’avait été recherché. L’Asie du Sud-Est et la Chine se sont voilées la face
pendant des années, tandis que l’Ouganda, qui s’était intéressé parmi les pre-
miers au dépistage, a vu diminuer le pourcentage des séropositifs dès lors que
le dépistage dédié au début aux seuls sujets « à risque », s’est progressivement
étendu à une population plus diversifiée.
Au-delà de l’imprécision des données statistiques qui tiennent aux
conditions du dépistage, différentes d’un pays à l’autre, il faut mesurer la dis-
parité de l’épidémie qui ferait neuf fois plus de victimes au-dessous du vingt-
cinquième degré de latitude nord. La gravité de la maladie reste fonction du

146
ANNEXE II

niveau de vie des populations, de leur exposition aux modes de contamination


et de l’accès aux moyens de prévention.

Efficacité des traitements et rôle des missions humanitaires

Les traitements permettent d’allonger la vie, de la rendre plus confortable et,


dans un certain nombre de cas, de transformer une maladie toujours mortelle
en affection chronique bien que grave. Dans l’état actuel, il s’agit donc essen-
tiellement de traitements palliatifs qui doivent la plupart du temps être pour-
suivis la vie durant. En outre, ils sont coûteux, pas toujours bien supportés et
très difficiles à mettre en œuvre là où la piste s’arrête.
Dans le cadre de la médecine humanitaire, les missions Sida se multi-
plient, initiées par les gouvernements, par les instances internationales ou par
les ONG. Optimisant au maximum les moyens de dépistage et les prises en
charge thérapeutiques, ces missions spécialisées contribuent largement à ce
que l’ONU considère à ce jour comme une stabilisation de la maladie. Les mis-
sions Sida sont implantées dans 66 pays, incluant dépistage, suivis biologiques,
identification des cohortes thérapeutiques, prise en charge financière des trai-
tements. Le sida néonatal, l’association sida et tuberculose et la prévention des
arrêts de traitement représentent les principaux objectifs de ces missions spé-
cialisées. Mais la prévention des affections nosocomiales reste un impératif
prioritaire ; la plus évidente est la transmission de la maladie au personnel soi-
gnant.
Le développement de ces missions spécialisées est ralenti par de nom-
breux obstacles, au nombre desquels le manque de médecins et d’infirmiers et
la prévalence de la maladie chez ce personnel.
Le financement des programmes et le coût des médicaments parais-
saient à juste titre des obstacles insurmontables, mais la situation s’est retour-
née à partir de l’année 2001. À la demande de plusieurs organisations
humanitaires internationales, au premier rang desquelles Médecins Sans
Frontières (MSF) et de plusieurs gouvernements, une conférence internationale
réunissait à Johannesburg en 2001, sous l’égide de l’OMS, les gouvernements
des pays pauvres, des délégations des pays riches et des représentants des labo-
ratoires pharmaceutiques. L’objectif était de réfléchir à une éthique fondamen-
tale de la médecine humanitaire qui implique pour tous le droit d’accès aux
médicaments innovants. Cette conférence qui fait honneur à l’humanité
a ouvert les consciences et a peut-être permis de concilier les nécessités de
la recherche, le devoir de solidarité et les justes intérêts de l’industrie pharma-

147
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

ceutique. Ce n’était pas en laissant mourir des millions de pauvres qu’on forti-
fierait le bien-être et la conscience des pays riches.
Progressivement depuis cette date, l’amélioration de la situation se
précise grâce à la conjonction de trois facteurs :
– la plupart des firmes pharmaceutiques propriétaires de licences commerciales
de molécules de première ligne ont renoncé à leur monopole et autorisé la
fabrication de génériques à prix très réduits. Le coût de certains médicaments
a ainsi baissé de 99 % aux alentours de l’an 2000, ce qui est considérable ;
– plusieurs pays émergents, la Thaïlande, le Brésil et l’Inde, se sont dotés de
laboratoires spécialisés dans la production de génériques considérés comme
fiables ;
– plusieurs initiatives internationales assurent des financements à la hauteur
des besoins, 1 % Chirac sur les billets d’avion, fondation Clinton, etc.
Entre 2002 et fin 2007, le nombre de personnes sous traitement par
les antirétroviraux (ARV) a pu être multiplié par dix, pour atteindre les 3 mil-
lions dans les pays à revenus faibles et moyens. Toutefois, ce chiffre représente
seulement 30 % des personnes qui en ont besoin (Source ONUSIDA), étant
entendu que la séropositivité latente ne justifie pas systématiquement l’instau-
ration d’un traitement.
On doit se réjouir de ce progrès décisif, mais le sort des sidéens reste
fragile et personne ne doit crier victoire, la lutte contre la maladie ne prendra
un tournant décisif que le jour où un vaccin sera au point et accessible à tous.
C’est dire combien la recherche scientifique reste sollicitée.

Hors des missions spécifiques, que faire ?


En dehors des missions spécifiquement dédiées au sida, le médecin en charge
d’un travail à caractère humanitaire n’a pas accès aux moyens thérapeutiques.
Cela n’implique pas qu’il n’ait rien à faire. Tout au contraire, son champ d’ac-
tion est gigantesque, à la mesure de la gravité de l’épidémie.
Trois millions de nouveaux cas chaque année, voilà un chiffre qui ne
varie pas et qui rend compte de l’insuffisance des mesures préventives.
Les certitudes scientifiques restent muettes sur la contagiosité réma-
nente des malades sous traitement. Les mesures prophylactiques restent donc
immuables pour le malade séropositif qui doit obligatoirement protéger ses
rapports sexuels sous peine de contaminer son ou ses partenaires.
Reste à protéger les bien portants et à identifier les modes de
contamination.

148
ANNEXE II

Quelle que soit son mode, la transmission sexuelle est classique.


Encore faut-il le dire, le répéter et tenir aux jeunes un discours recevable. J’ai
entendu au fil des années et sur trois continents le même discours infructueux
tenu aux élèves des écoles et des lycées par des parents ou par des enseignants,
sur l’abstinence et la fidélité ! On oubliait seulement de leur expliquer le mode
d’emploi de ces deux méthodes de prévention. Le préservatif en revanche est
une protection efficace pour ceux qui sont emportés par l’envie et pour les
impatients, victimes toutes trouvées du virus de l’immunodéficience humaine
(VIH), du virus de l’hépatite B et des grossesses non désirées.
L’information sur les tests de dépistage doit être impérativement affi-
chée dans les locaux du poste de santé, dans les écoles et les lycées. Et, surtout,
elle doit être apportée et prescrite, s’il le faut, par le médecin ou l’infirmier au
cours des consultations. Mon expérience privilégie un discours adulte qui
prône la pratique par les deux partenaires d’un test de dépistage à l’aube d’une
relation durable et fidèle.
L’information doit être donnée jusqu’au fin fond de la brousse sur le
risque des partenaires multiples et tout particulièrement sur les risques de la
prostitution et la nécessité de se protéger.
Mais les pratiques sexuelles ne résument pas les risques de contami-
nation. Le virus est fréquemment transmis au cours d’interventions sanglantes
pratiquées sans mesures d’asepsie : tatouages, circoncision ou mutilations
sexuelles, soins dentaires, accouchements en brousse, section du cordon avec
un instrument septique. Que l’intervenant soit une honorable matrone ou un
vilain arracheur de dents, il doit être informé des risques qu’il fait encourir à ses
patients et il doit bénéficier d’une formation appropriée sur l’asepsie.
Les interventions au poste de santé ne sont pas obligatoirement au-
dessus de tout soupçon : instruments non ou mal stérilisés, réutilisations d’ins-
truments, d’aiguilles ou de seringues à usage unique et surtout tas d’ordures
dans lequel gisent pêle-mêle des aiguilles et des lames de scalpel oubliées qui
peuvent blesser les personnes qui les manipulent.
Le personnel soignant est une cible à haut risque.
Les drogués sont particulièrement exposés ; le nombre des séroposi-
tifs y est plus élevé que partout ailleurs, la négation ou la sous-évaluation du
danger fait partie de l’effet de nombreuses drogues et les échanges de matériel
d’injection souillé sont de pratique courante.
En milieu urbain, tous ces modes de transmission existent, souvent
aggravés par la proximité d’une décharge sauvage, la promiscuité et l’absence

149
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

d’hygiène. Les enfants des rues sont des victimes exemplaires, privés de tout et
souvent illettrés, exposés à la drogue, à la prostitution et à la violence.
La transmission mère-enfant au cours de la grossesse est responsable
du sida néonatal, évalué à 10 % des cas déclarés d’infection à VIH. Le risque
pour une femme séropositive de contaminer son bébé serait de 40 % en
Afrique. La moitié des contaminations mère-enfant se ferait pendant la gros-
sesse avec un maximum pendant les deux derniers mois. Vingt-cinq pour cent
des nouveau-nés seraient contaminés au cours de l’accouchement par le
contact avec les mucosités cervico-vaginales. L’allaitement maternel est respon-
sable du reste. Le risque est évalué à 4 % par mois, il est augmenté par les cre-
vasses, les mastites, les abcès du sein et par l’aggravation, pendant la période
d’allaitement, du statut sérologique de la mère.
Certaines femmes commencent une grossesse sans se savoir séropo-
sitives. Du fait de la mutité clinique habituelle de la séropositivité, celle-ci
risque d’être longtemps méconnue.
D’autres femmes connaissent leur maladie, mais ont décidé de passer
outre. Elles doivent être informées du risque que la grossesse représente pour
l’évolution de leur maladie, du péril qu’elles font courir à leur futur enfant de
devenir orphelin et surtout du risque de transmission mère-enfant.
Les couples dont l’un des partenaires est malade et l’autre pas, s’ils
décident de concevoir un enfant, outre les dangers liés à la transmission mère-
enfant, font courir au partenaire sain, le danger de se contaminer à l’occasion
du rapport non protégé.
Le degré d’évolution de la maladie évalué par la numération des lym-
phocytes T doit entrer dans l’évaluation du risque.
Les dangers de l’allaitement doivent être mis en balance avec les aléas
du non-allaitement.
La poursuite du traitement efficace améliore sans doute les chances
pour le bébé de sortir indemne de cette conception à haut risque. Le traitement
doit donc être initié, poursuivi ou renforcé à l’occasion de la grossesse en
tenant compte toutefois de certaines incompatibilités médicamenteuses liées à
la grossesse.
En corollaire de ces éléments péjoratifs, on doit tenir compte du désir
paradoxal de maternité qui tient, selon certains confrères spécialistes du sida,
au statut de la femme dans la société, largement sous-tendu par sa fertilité. Ce
désir de maternité symbolise également le déni de la maladie et contribue chez
la malade à la volonté de guérir et de se perpétuer.

150
ANNEXE II

Manifestations cliniques du sida

La séropositivité reste cliniquement muette pendant une première période qui


peut durer plusieurs années. Elle sera révélée à l’occasion d’une maladie oppor-
tuniste ou par la pratique d’un test de dépistage. Le test simple à pratiquer, Elisa
(enzyme linked immunoabsorbent assay), est à la portée de tous les laboratoires. Il
est économique, spécifique et hautement sensible. Il peut cependant donner de
faux positifs et sa positivité doit être contrôlée et confirmée par un Western
Blot. Ce dernier examen repose sur une technique d’électrophorèse. À partir de
ce moment, la gravité de l’état du malade doit être évaluée sur l’abaissement
du nombre des lymphocytes T et, parmi eux, sur le rapport entre les lympho-
cytes CD4 et CD8. Tous les laboratoires de brousse ne sont pas, loin de là, en
mesure de pratiquer de tels examens qui sont pourtant capitaux pour décider
la mise en œuvre d’un traitement ou la simple mise en observation. Quoi qu’il
en soit, le séropositif doit se considérer comme contagieux.
L’entrée dans la maladie se fera à l’occasion d’une affection opportu-
niste au premier rang desquelles les candidoses buccales, œsophagiennes, diges-
tive ou bronchique, les infections à cytomégalovirus (CMV), le cancer de Kaposi.
Au total, une cinquantaine de situations ont été recensées et il faut laisser une
place à part au lymphome de Burkitt qui a été décrit en Afrique dès 1958 et qui
était déjà extrêmement fréquent à cette époque où le sida était inconnu, ou
méconnu. Il s’agit d’une tumeur à lymphoblastes du maxillaire supérieur qui
évolue rapidement, envahit le visage et la bouche, déforme la joue et la cavité
orbitaire. Elle touche avec prédilection les enfants, elle est constamment mortelle.
Le diagnostic du sida sera encore envisagé devant des signes digestifs
moins spécifiques tels que nausées, vomissements, flatulences, douleurs abdo-
minales, parfois, une violente douleur épigastrique évoque une pancréatite.
L’installation d’une diarrhée chronique avec amaigrissement sévère est une
manifestation fréquente.
Il peut aussi s’agir d’une pneumonie ou d’une tuberculose qui est
considérée comme la plus fréquente et la plus grave des manifestations respi-
ratoires du sida, d’un zona, de l’aggravation d’un herpès, d’un amaigrissement
incontrôlé, de la fièvre inexpliquée.
La tumeur de Burkitt et le sarcome de Kaposi sont les cancers les plus
fréquemment associés au sida.
Une fois le diagnostic porté sur un ou plusieurs des éléments dispa-
rates et confirmé par un test Elisa, le bilan de l’évolution peut être établi par la
prescription assez simple d’un bilan hématologique portant sur les marqueurs

151
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

de la charge virale, mais il est généralement plus logique d’adresser le malade


au spécialiste qui évaluera la nécessité de faire rentrer le patient dans un proto-
cole thérapeutique.
Les problèmes en aval restent multiples, touchant la prise en charge
des maladies opportunistes. Ce sont des problèmes psychologiques, des pro-
blèmes d’intégration du patient au sein de la famille et de la communauté vil-
lageoise sans oublier l’information sur les gestes qui exposent l’entourage du
malade à la contagion et ceux qui sont sans gravité.
Un aperçu trop rapide des multiples problèmes posés par cette mala-
die laisse un goût amer. Seule la mise au point d’un vaccin efficace permettra
peut-être un jour d’envisager l’éradication du sida.

■ Hépatite B
L’hépatite B comme le sida est une maladie cosmopolite dont l’impact est très
élevé en Chine, en Extrême-Orient et en Afrique. Il s’agit d’une affection iden-
tifiée depuis longtemps dont la fréquence et la gravité sont sans commune
mesure avec ce que nous connaissons en Europe. Le mode de contamination
est sensiblement identique à ce que nous avons dit du sida, en revanche, cette
affection peut bénéficier d’un vaccin efficace qui entre dans le cadre du pro-
gramme élargi de vaccination (PEV) préconisée par l’OMS. Un rappel devrait
être prescrit à l’occasion d’une première grossesse.
En pratique, la vaccination systématique dès l’enfance comprend trois
injections pratiquées à un mois d’intervalle. Le vaccin contre l’hépatite B est
associé aux vaccins contre le tétanos, la diphtérie, la coqueluche et la rougeole
dans un vaccin pentavalent préconisé par l’OMS. La pratique de cette vaccina-
tion intelligente est loin d’être généralisée et elle n’a pas concerné les généra-
tions qui arrivent à l’âge adolescent en l’an 2005. Il est donc parfaitement
justifié de vacciner les adolescents et les femmes enceintes.
La présentation clinique de la maladie est un peu particulière. En l’ab-
sence de contrôles biologiques, la phase aiguë est marquée par un ictère avec
fièvre et altération plus ou moins profonde de l’état général. Elle peut passer
inaperçue, être négligée ou être confondue avec une hépatite A de bon pronos-
tic. Dans la plupart des cas, la maladie guérit spontanément, ailleurs, elle
entraîne une insuffisance hépatique chronique évoluant dans les 20 % de mau-
vais cas, après plusieurs années, vers la cirrhose ou le cancer primitif du foie,
toujours mortel.
Il n’existe pas de traitement.

152
ANNEXE III

Organisation d’une campagne


de vaccination
■ Projet vaccinal
Quelle que soit son importance, l’organisation d’une campagne de vaccination
implique l’information, le recensement précis des populations à vacciner et sur-
tout un important volet logistique.

Information
Pour vaincre les réticences, il convient, en prenant pour référence un cas mal-
heureux, d’expliquer l’intérêt de la vaccination, insister sur son innocuité et
prévenir des effets mineurs.

Recensement précis
Il faut recenser le nombre de personnes à vacciner dans chaque village, prévoir
un site de vaccination, tenir un registre et distribuer à chacun un carnet de vac-
cination. La vaccination des populations nomades pose très régulièrement de
gros problèmes pratiques : où retrouver les familles un mois, deux mois ou un
an après ?

153
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Problèmes logistiques

Les problèmes logistiques sont importants à gérer dès la conception du projet.


Se pourvoir des vaccins et du matériel nécessaire : doses de vaccins, seringues
aiguilles, containers de récupération. La campagne de vaccination peut s’ins-
crire dans un programme national subventionné. Ailleurs, il faudra acheter les
vaccins auprès d’un laboratoire, de l’UNICEF, de la pharmacie centrale du pays
concerné ou d’un organisme spécialisé. Il faut toujours prévoir un pourcentage
de pertes estimé à 15 % et un stock de sécurité de 25 %.
L’objet de la campagne de vaccination doit être conforme aux impéra-
tifs du programme national de santé du pays concerné et doit avoir obtenu
toutes les autorisations administratives.

■ Chaîne du froid
Il faut l’organiser, en tenant compte des points de rupture possible et de la sen-
sibilité propre de chaque vaccin. Il serait catastrophique de vacciner avec des
produits inactivés. Tous les vaccins n’ont pas la même sensibilité aux variations
de température. Les vaccins robustes, les anatoxines diphtérique et tétanique,
le TAB ou le BCG peuvent supporter des différences de température impor-
tantes.
Les vaccins contre la rougeole la méningite et la fièvre jaune sont plus
fragiles et il convient, lors de la préparation de la campagne, de s’informer
auprès du fabriquant sur les recommandations. Quoi qu’il en soit, le laps de
temps entre le réchauffement et l’injection doit être aussi court que possible.
En pratique, il est indispensable que le responsable de la campagne de
vaccination contrôle personnellement la chaîne du froid de A jusqu’à Z.
Du laboratoire de fabrication au lieu de stockage dans la capitale, le
problème est en principe réglé par des containers isothermes munis d’indica-
teurs de réchauffement qui virent lorsque la température dangereuse a été
dépassée. En revanche, il faut prévoir tous les aléas du transport jusqu’aux lieux
de vaccination et leur stockage sur place. On utilise des caisses isothermes dans
lesquelles on incorpore des accumulateurs de froid régulièrement renouvelés et
régénérés en cas de transport prolongé. En cas de panne, on peut ralentir le
réchauffement en mettant le container dans un bac d’eau refroidie par des gla-
çons ou en l’entourant de linges humides refroidis par le vent.
La conservation au poste de santé doit se faire pendant un temps
limité dans un réfrigérateur à gaz, à pétrole ou électrique alimenté par des

154
ANNEXE III

panneaux solaires. Certains postes sont alimentés en électricité de ville, mais


les coupures sont trop fréquentes pour que le système soit fiable.
La dernière étape vers le lieu de vaccination au village ou au campe-
ment nécessite un sac isotherme, voire un porte-vaccins réfrigéré. Dans un cas
comme dans l’autre, il faut disposer de glaçons, donc d’un congélateur.
Il ne faut pas négliger le problème des solvants ; ils ne sont pas ther-
mosensibles, mais doivent être refroidis avant le mélange : diluer un vaccin
dans un solvant porté à haute température sur le toit d’un véhicule sous les tro-
piques revient à faire cuire un œuf à la coque !
Le matériel de vaccination comporte : coton, alcool, pansements,
ciseaux, Bétadine® en cas de blessure accidentelle, sacs poubelle, savon, ther-
momètre, glacière, accumulateurs de froid. Si les vaccins sont présentés en
seringues préremplies, il n’y a pas de problème, sinon, il faut prévoir en
nombre plus que suffisant de seringues autobloquantes et d’aiguilles. Il faut
aussi prévoir les containers de récupération pour les aiguilles et les seringues.
Les injecteurs sous pression (dermo-jet, ped-o jet, multi-jet) ne sont indiqués
que dans les vaccinations de masse. Nous n’en avons pas l’expérience, mais la
littérature fait état d’avis partagés quant à leur efficacité et leur innocuité. Enfin
il ne faut pas négliger quelques détails qui pourraient tout gâcher : fiches de
vaccination, crayons à bille, tampon dateur et registre de vaccination.

Référence : L’organisation et la validation d’une campagne de


vaccination est longuement présentée dans un guide édité par
MSF, auquel le lecteur pourra se référer (Prise en charge d’une épi-
démie de méningite à méningocoque, 4e édition, MSF Editeur, 2008,
8, rue Saint-Sabin, 75012 Paris).

155
ANNEXE IV

Les serpents
La gravité de leur morsure tient à la forme de leurs crochets et à la nature de
leur venin.

■ Forme des crochets


On distingue quatre catégories de serpents :
– les aglyphes, qui n’ont pas de crochets, mais qui possèdent des glandes veni-
meuses qui se déversent dans la bouche. Leur morsure n’est pas totalement
inoffensive. Le type en est la couleuvre ;
– les opistoglyphes, dont les crochets venimeux sont situés en arrière de la
bouche, ne sont dangereux qu’en cas de morsure sur un membre profondé-
ment engagé. Le type en est le serpent liane. On le rencontre en Afrique ;
– les protéroglyphes sont plus dangereux. Leurs crochets venimeux sont situés en
avant et sont creusés d’une gouttière par ou s’écoule le venin. Le naja ou ser-
pent à lunettes en Afrique et en Extrême-Orient, le mamba en Afrique du
sud, le serpent corail, le serpent des pharaons ;
– les solénoglyphes sont les plus redoutables. Ils sont armés d’un appareil inocu-
lateur très perfectionné. Leurs crochets antérieurs mobiles sont projetés en
avant lors de la morsure pour se rétracter sur la proie mordue lors de la fer-
meture de la bouche. Dans cette catégorie se trouvent deux familles de ser-
pents, les Vipéridés : vipère à corne, vipère des sables, vipère à écailles se
trouvent en Afrique du nord et saharienne – la vipère du Gabon mesure jus-

157
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

qu’à 1,80 m –, la vipère rhinocéros en zones sylvestres. Le venin le plus


redoutable est celui de la vipère à écaille en dents de scie, Afrique du nord.
Les crotalidés se trouvent en Amérique : le serpent à sonnette et le botrops
des Antilles dont le venin est l’un des plus rapidement mortels.

■ Caractéristiques de leur venin


Les venins neurotoxiques : le venin du naja possède une action curarisante.
Aussitôt après la morsure, peu douloureuse, la victime éprouve une sorte d’en-
gourdissement. La peau autour de la morsure (deux petits crochets) devient
bleuâtre et œdémateuse. Dans les cas graves s’installe une paralysie qui peut
atteindre les membres, les paires crâniennes et les muscles respiratoires. Le pro-
nostic vital est réservé.
Les venins générateurs d’hémorragie. C’est le cas du venin des crotalidés.
La douleur est vive et rapidement s’installe un œdème dur et noirâtre, des
ecchymoses évoluant vers la nécrose du membre mordu. Le syndrome hémor-
ragique se généralise : purpura, pétéchies, gingivorragies, épistaxis, hémorra-
gies digestives. Secondairement s’installe un syndrome nécrotique en rapport
avec des coagulations intravasculaires diffuses.
Les venins générateurs d’états de choc. C’est le cas des vipéridés. La mor-
sure est douloureuse. L’œdème sanguinolent, très douloureux, se généralise
rapidement : coma ; troubles digestifs, vomissements douleurs abdominales,
diarrhées.

Attitudes thérapeutiques
Le geste essentiel est l’administration précoce de sérum antivenimeux polyva-
lent de l’Institut Pasteur et des autres instituts nationaux, Afrique du sud,
Algérie, Brésil, États-Unis, Inde, Australie etc. Il en existe pour les différentes
régions du monde :
– en Afrique du Nord : sérum vipera lebitina ou sérum cérastes ;
– en Afrique noire, serum bitis ecquis naja.
La liste n’est pas exhaustive.
Le traitement symptomatique est souvent le seul à pouvoir, dans l’ur-
gence, limiter la gravité : mettre le malade au repos, calmer l’agitation, soula-
ger la douleur, se contenter de désinfecter la morsure. Administrer antibiotique

158
ANNEXE IV

et prophylaxie antitétanique. Les cas graves nécessitent une réanimation et


seront systématiquement transférés (je ne suis pas spécialiste des serpents et
l’essentiel des données toxicologiques est emprunté au manuel de médecine
tropicale (Gentilini M (1993), Médecine tropicale, Flammarion Médecine
Science éditeur, Paris).

159
ANNEXE V

Les agents vecteurs


et quelques problèmes non résolus
La plupart des affections auxquelles on se trouve confronté dans le cadre d’une
mission humanitaire sont des affections contagieuses. L’exposition à la conta-
gion est directement proportionnelle à la précarité ; conditions climatiques,
surpopulation, habitat insalubre, consommation d’eau non potable, conserva-
tion incertaine des aliments, mauvais traitement des déjections humaines et
animales, péril fécal. Tous facteurs généralement aggravés en situation de
catastrophe.
Le mode de contamination le plus courant est la contamination inter-
humaine, plus rarement, il s’agit d’une contamination de l’animal à l’homme.
La contamination peut être directe, c’est le cas par exemple de la grippe ou de
la tuberculose, ou indirecte faisant intervenir un agent vecteur. Dans le cas du
paludisme ou de la dengue, il s’agit d’un moustique. L’onchocercose ou la
maladie du sommeil font suite à la piqure d’une mouche infectée, la gale ou la
maladie de Chagas sont dues à des acariens, la bilharziose à un mollusque.
Chaque agent pathogène qu’il soit un virus, un parasite ou une bactérie, cor-
respond à un agent vecteur particulier dont l’écologie conditionne en grande
partie l’aire de diffusion de la maladie.

161
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

■ Contamination interhumaine
La tuberculose, la rougeole ou la coqueluche se transmettent d’homme à
homme par voie aérienne tandis que l’amibiase, le choléra et la plupart des
parasitoses intestinales se transmettant par voie fécale, le rôle des mains sales
s’expliquant assez simplement.
L’ulcère de l’estomac, dont chacun s’accorde à considérer qu’il s’agit
d’une affection à point de départ microbien, helicobacter pilori, correspond sans
doute à une contamination alimentaire.

■ Arthropodes
Ce sont les vecteurs les plus fréquents en pathologie parasitaire, virale ou bac-
térienne.

Paludisme
C’est la parasitose la plus grave et la plus répandue de par le monde. Son agent
pathogène est un Plasmodium dont il existe au moins trois types P. falciparum, P.
vivax et P. malariae dont le vecteur est la femelle de l’anophèle, moustique doué
d’une adaptabilité exceptionnelle. On le retrouve dans pratiquement toutes les
zones humides. Encore faut-il noter que seule la femelle possède des pièces
masticatoires suffisamment développées pour piquer la peau de l’homme et
aspirer son sang, tandis que le mâle, complètement inoffensif, se contente de
butiner les fleurs et de mourir quelques heures après la cérémonie nuptiale. Le
moustique est sédentaire, il pique la nuit. La maladie a pu être éradiquée dans
plusieurs régions tempérées par l’assèchement des marais. Ailleurs, dans les
très nombreuses zones ou la maladie continue à sévir, la prophylaxie repose
sur l’éradication des mares d’eau stagnantes, la protection des points d’eau et
la protection nocturne des sujets exposés (port de vêtements couvrants, mous-
tiquaires, etc.). Le moustique est sédentaire, mais il peut être transporté au loin
par une tempête, un voyage en automobile ou en avion. Cette dernière évi-
dence explique les pulvérisations d’insecticide au départ d’un avion en prove-
nance d’une région infestée.

Trypanosomiases
La maladie du sommeil sévit exclusivement en Afrique dans des zones pro-
pices au développement de la glossine, ou mouche Tsé-tsé. C’est une grosse
mouche dont la taille peut atteindre 13 mm, facilement reconnaissable à la

162
ANNEXE V

forme de ses ailes croisées sur le dos à la manière d’une paire de ciseaux (tsé-
tsé). Plusieurs sous-espèces vivent en forêt dans les galeries forestières, en
savane et même en ville. Le mâle comme la femelle est hématophage, ils
piquent le jour, se gorgent de sang et se prêtent à la multiplication des trypa-
nosomes qui deviennent infectants via la salive au bout de 15 à 20 jours. La
maladie évolue par foyers liés à la présence non contrôlée de glossines. La lutte
contre le vecteur est difficile, mais les épidémiologistes constatent, avec un cer-
tain humour, que la mouche tsé-tsé est un mauvais agent vecteur, gaspillant sa
salive à piquer des animaux rebelles à la maladie. Deux zones d’endémie sévis-
sent en Afrique tropicale, la Gambie et la Rhodésie.
Bien différente de la maladie du sommeil, la maladie de Chagas est éga-
lement due à un trypanosome dont l’agent vecteur exclusif est le réduve, gros
arthropode spécifique de l’Amérique tropicale (Brésil, Venezuela, jusqu’à
l’Arizona et le nord de l’Argentine). La maladie évolue vers une cardiopathie
responsable de la plupart des insuffisances cardiaques dans la zone concernée.
Le réduve ressemble à une punaise et se cache pendant le jour dans les fentes
des murs et dans les toits de chaume. Il sévit dans les zones rurales et des zones
urbaines périphériques. La maladie est entrée dans les villes lors des grandes
migrations urbaines des années 1970 et 1980. À cause de ces migrations, envi-
ron 300 000 personnes infectées vivent actuellement à São Paulo (Brésil) et
200 000 à Buenos Aires (Argentine). Le mâle et la femelle, tous deux hémato-
phages, sucent le sang du dormeur infecté pendant la nuit. Les trypanosomes
adultes sont rejetés dans les déjections qu’ils déposent sur les téguments d’un
sujet sain qui s’infecte par contact au niveau d’une excoriation cutanée ou par
frottement des yeux. La pénétration se fait au niveau des conjonctives, la
symptomatologie initiale est la conjonctivite.
À l’inverse de la maladie du sommeil dont la transmission est unique-
ment interhumaine, le chagas et le trypanosome, qui en est responsable, infec-
tent certains animaux domestiques, rongeurs, tatous, chiens et chats.

Arboviroses

Le groupe des arboviroses comporte des affections virales transmises par diffé-
rents arthropodes (arthropode born virus), leurs principaux agents vecteurs sont
des moustiques de la famille Aedes ou phlébotomes.
Le virus amaril, responsable de la fièvre jaune, provient de Aedes aegypti,
un moustique qui sévit dans les zones tropicales d’Afrique et d’Amérique.
L’insecte pique plus volontiers les singes que les hommes, ce qui explique le

163
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

caractère épidémique de la maladie. Les foyers de fièvre jaune humaine sont le


fait de l’inoculation accidentelle d’un homme par un moustique infecté par un
singe. Dès lors, on assiste à une adaptation du virus à son hôte humain, au
développement d’une épidémie généralement localisée dans l’espace et dans le
temps. Rappelons que c’est une redoutable épidémie de fièvre jaune qui a
décimé les travailleurs du chantier du canal de Panama. La fièvre jaune reste
une maladie d’actualité en dépit du vaccin qui constitue la meilleure prophy-
laxie. L’Asie et l’Océanie en sont jusqu’alors indemnes, ce qui justifie l’obliga-
tion vaccinale très stricte faite aux voyageurs qui s’y rendent, en provenance
d’un pays d’endémie.
La dengue est sans doute la plus répandue des arboviroses transmises
par Aedes aegypti. Ses formes les plus graves ont été décrites en Extrême-Orient.
Le chikungunya est transmis par un moustique de la famille des Aedes.
L’épidémie qui a récemment affecté l’île de la Réunion correspond à l’introduc-
tion d’un moustique infecté arrivé probablement à bord d’un avion et qui a
trouvé sur place des conditions de vie intéressantes, transmettant le virus à une
population non immunisée.
Les filarioses forment un groupe hétérogène et assez vaste d’affections
en rapport avec un ver rond blanc filiforme, long de plusieurs centimètres.
Parmi les quatre filarioses décrites dans l’ouvrage, trois sont transmises par des
arthropodes :
– les filarioses lymphatiques, dues à la filaire de Bancroft, sont transmises par la
piqûre de différents moustiques appartenant à l’ordre des Culex, des Aedes ou
des Mansonoides ;
– l’onchocercose, due à la Filaire volvulus, est responsable de millions de cécités, est
transmise par une petite mouche noire, la simulie, dont seule la femelle héma-
tophage pique la nuit. La simulie vit et pond sur les plantes aquatiques et les
rochers dans les eaux claires aérées, près des cascades. Sédentaires, elles
s’éloignent peu du lieu de leur naissance, ce qui explique le caractère local
des zones d’endémies, quelques kilomètres carrés souvent désertés par les
populations ;
– la Loa loa, transmise par le Chrysops, gros taon rouge qui vit dans les forêts
équatoriales, donne des troubles oculaires, cutanés et allergiques.

164
ANNEXE V

■ Mollusques d’eau douce


La dracunculose correspond à la filaire de Médine, gros ver qui se développe sous
la peau sous forme de cordons indurés qui s’infectent se rompent, se fistulisent
et peuvent donner des évolutions articulaires. L’agent vecteur est un Cyclops,
petit crustacé d’eau douce à la limite de la visibilité. L’homme se contamine en
buvant de l’eau infestée et il contamine l’eau en s’y baignant.
Les bilharzioses, maladies des pataugeurs, appartiennent à un groupe
différent. Nous en avons retenu deux, S. Mansoni, responsable de la bilharziose
intestinale, et S. Haematobium, responsable de la bilharziose urinaire. L’hôte
intermédiaire est le Cestode, petit mollusque d’eau douce qui assure la multi-
plication de l’agent pathogène et le libère dans l’eau. La contamination se fait
par voie transcutanée. Chaque schistosome possède un hôte intermédiaire par-
ticulier dont la répartition géographique correspond à sa diffusion. La maladie
touche des centaines de millions de personnes, elle affecte les enfants qui
pataugent dans les marigots, mais bien plus souvent les travailleurs du riz et les
ouvriers des chantiers aquatiques. La prévention est difficile, il faudrait
contraindre les travailleurs à porter des bottes pour se protéger et à ne pas uri-
ner ni déféquer dans l’eau pour ne pas infester celle-ci. En effet, le mollusque
resterait inoffensif s’il n’était contaminé par les urines ou les déjections d’un
humain malade.

■ Rôle des gros animaux


Il est également bien connu. Il y a la transmission du Taenia par la viande mal
cuite d’un animal infecté, le prion de l’encéphalopathie bovine qui serait res-
ponsable de la transmission à l’homme de la maladie de Creutzfel-Jakob. La
transmission des pneumopathies à Chlamydiae par les plumes ou les déjections
des pigeons est connue depuis longtemps tandis que la transmission à
l’homme de la grippe aviaire reste hypothétique. La rage se transmet par la
salive du chien et de plusieurs animaux domestiques ou sauvages, la psittacose
et la peste se transmettent par le perroquet et le rat, la fièvre des tranchées (han-
tavirus) se transmet par le campagnol. Le catalogue est loin d’être complet et le
sujet reste d’actualité : plusieurs maladies n’ont pas encore fait la preuve de leur
agent vecteur.

165
ANNEXE VI

Banque de verres correcteurs


Il faut rester attentifs aux effets pervers d’une « charité » mal adaptée qui étouf-
ferait les tentatives de développement d’une industrie locale à prix réduit.
Cela dit, l’utilisation de verres d’occasion est justifiée par le coût élevé
des lunettes, inaccessible pour les populations démunies, mais l’opération doit
s’entourer d’un certain professionnalisme pour assurer une bonne corrélation
entre le trouble de la réfraction et la correction proposée.
Je donne ici quelques repères techniques reposant sur une expérience
personnelle qui peut servir de modèle, mais qui reste largement perfectible.
Pour la constitution de la banque de verres, il faut établir un rapport
de confiance avec un ou plusieurs opticiens et leur demander de récupérer les
verres ou les lunettes d’occasion en bon état. Ils se chargent d’éliminer les
verres rayés ou cassés et les montures au bord de la réforme ; ils déterminent
les caractères de chaque verre, notamment leur puissance en dioptries. Ils met-
tent de côté des verres trop complexes dont la prescription relève d’une ordon-
nance personnalisée, comme ceux qui corrigent à la fois astigmatisme et
myopie ou presbytie et strabisme. Ils étiquettent enfin les verres qu’ils vous
confient.
Un verre destiné à corriger une myopie est biconcave, à bords épais,
étalonné en dioptries négatives, de – 0,25 à – 9 ou – 12. Lorsqu’on déplace le
verre devant un repère vertical, l’image du repère à travers le verre se déplace
dans le même sens.

167
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

Un verre destiné à corriger un défaut de vision de près, presbytie ou


hypermétropie, est biconvexe, à bords fins et l’image d’un repère vertical se
déplace dans le sens inverse de la translation. Il est étalonné de + 0,25 à + 4 ou
+ 5, voire plus.
Un verre bifocal est également aisé à identifier à partir des indications
portées par l’opticien et au moyen de l’épreuve de translation.
L’examen du malade qui se présente avec la plainte « je vois flou » per-
met de sélectionner les myopes et les presbytes et surtout de mettre de côté les
troubles qui ne sont pas appareillables. Ceux-ci sont abordés dans le chapitre
dédié aux problèmes ophtalmologiques (page 86).
Le tableau optique, placé à une distance de 5 m, explore la vision loin-
taine et permet de préciser l’acuité exprimée en 1/10e.
Une table de lecture, comportant des caractères de plus en plus petits,
est lue par le patient à une distance de 50 cm sous un bon éclairage. Elle per-
met d’évaluer le déficit en vision proximale exprimé en 1/10e.
L’examinateur dispose d’une boîte de verres optiques étalonnés en +
ou en – à l’aide desquels il procède par tâtonnement. À défaut de boîte optique,
il peut sélectionner, dans sa collection de lunettes, quelques verres qui lui ser-
viront d’étalon.
À partir des données de cet examen forcément sommaire, il choisira
dans la collection une paire de verres s’approchant au mieux des besoins du
malade.
Un des risques de la méthode est de délivrer des verres correcteurs
inutiles à des patients qui présentent un trouble mineur et qui sont prêts à tout
pour se faire délivrer une paire de lunettes, instrument distingué et convoité.
Un autre risque serait d’appareiller à tort une affection dégénérative,
glaucome, cataracte ou rétinite. Les indications données (page 93), permettent
d’éviter dans la plupart des cas ces écueils.
Il est toujours indispensable de prévenir le patient des problèmes
d’adaptation, de la fréquence des troubles de l’équilibre, des céphalées, de l’in-
viter pendant les premiers jours à ne pas conduire une automobile, à se méfier
dans l’appréciation des distances. Il faut revoir le malade au bout de quarante-
huit heures et ne pas hésiter à changer ses lunettes. En effet, les verres relative-
ment sophistiqués qui sont récupérés dans le cadre de cette opération peuvent
se révéler inadaptés. Un verre conçu pour corriger une grosse myopie et un
léger astigmatisme peut ne pas convenir au traitement des troubles d’un autre
malade qui ne serait que myope.

168
INDEX

A C
abcès amibien 77, 79 cancer de Kaposi 104, 151
acariens 48, 67, 161 cancer primitif du foie 82, 152
Aedes 67, 68, 108, 163, 164 cataracte 86, 88, 93, 94, 98, 168
allergies 104, 110 Cestode 45, 77, 115, 117, 165
amibiase 44, 76-78, 162 chikungunya 54, 67, 68, 72, 164
amibiase hépatique 77 chimioprophylaxie 55, 56, 60, 61,
anémie 27, 29, 41, 45, 73, 75, 62, 109, 116
77, 110, 111, 112, 114, 115, 116 choléra 21, 53, 80, 83, 162
anguillulose 77 Chrysops 95, 164
ankylostome 45, 77, 111, 114 conjonctivites 44, 54, 89, 90, 91
anophèle 55, 56, 61, 162 contraception hormonale 34
ArBoVirus 67 coqueluche 50, 53, 54, 152, 162
arthropodes 54, 67, 70, 162, Culex 108, 164
163, 164 cyclops 106, 107, 165
ascaris 44, 75-77
astigmatisme 89, 98, 167, 168 D
Dengue 54, 67, 68, 70,
B 72, 161, 164
bacille de Hansen 100, 110 déshydratation 39, 46, 54, 58, 75,
Bétadine ® 47, 104, 155 76, 78, 80, 117
bilharziose 21, 45, 77, 79, 83, 106, diabète 28, 88, 94, 121
107, 115, 116, 118, 161, 165 Dracunculose 106, 107, 109,
brûlures 47, 75, 76, 99, 104 110, 165

169
ABORD CLINIQUE D’UNE MISSION HUMANITAIRE

drépanocytose 27, 41, 55, 110, hépatite B 29, 53, 82, 83, 118,
112, 113-115 145, 149, 152
hypermétropie 89, 98, 168
E hypertension artérielle 28, 29,
échographie 21, 33, 75 33, 88, 120
Elisa 151
endocardites 23, 50, 119, 122 I
états névrotiques 122 ictère 69, 112, 114, 152
excision 31, 36, 104 infibulation 31, 36, 118
interruption de grossesse 32
F introcision 36
famine 12, 34, 38, 83,
84, 85, 111, 145 K
fièvre jaune 29, 53, 54, 67, 68, Kala-azar 78, 83
70-72, 154, 163, 164 kwashiorkor 39, 84
fièvre bilieuse
hémoglobinurique 58
L
filaire de Bancroft 108-110, 164
filaire de Médine 106, 107, 110, 165 Lèpre 21, 99, 100, 101-103,
filariose 95, 106, 117, 118 110, 126, 127
filarioses 108, 110, 164 loase 95
lunettes d’occasion 167
G lymphome de Burkitt 151
gale 48, 103-105, 110, 161
glaucome 86, 88, 93, 94, 98, 168 M
glossine 124, 125, 127, 162, 163 Maladie de Chagas 119, 122, 126,
goutte épaisse 56, 58, 120 161, 163
grossesse extra-utérine 32 maladie du sommeil 21, 124,
125-127, 161-163
H maladie gravidique 29, 33
Hantavirus 53, 54, 70, 72 marasme 39, 84
Helicobacter pilori 80, 162 mariage précoce 26, 34, 37
hématome rétro-placentaire 32, 33, méningite(s) 51-53, 66, 72, 123,
132, 140 154, 155
hémorragie 28, 32, 33, 36, 68-70, mollusque 77, 115, 161, 165
75, 76, 79, 88, 94, 111, mouche tsé-tsé 124, 125,
114, 138, 142, 158 127, 162, 163

170
INDEX

myiases 49 S
myopes 168 scorpion 49
serpents 49, 157, 159
N sérum antivenimeux 158
neuropaludisme 57, 58, 124, 127 sida 16, 28, 62, 65, 66, 82, 83,
145, 146-148, 150, 151, 152
O
simulie 95, 105, 164
onchocercose 21, 86, 91, 94, 95, stéthoscope de Pinard 23, 27, 30, 133
96-98, 105, 110, 161, 164
oxyurose 44 T
Taenia 45, 75, 76, 165
P tétanos 29, 35, 36, 47, 49,
paludisme 16, 21, 23, 28, 29, 41, 53, 136, 141, 152
51, 54, 55-61, 78, 83, Thalassémie 27, 41, 110, 114, 115
124, 125, 145, 161, 162 toucher vaginal 28, 31, 32, 133, 134
panneaux solaires 155 toxoplasmose 86, 94, 95
péril fécal 41, 43, 54, 76, 111, 161 trachome 21, 86, 90, 91, 98
pharmacie centrale 17, 18, 154 trypanosome 122, 124, 126, 127, 163
phlébotomes 67, 163 tuberculose 16, 22, 23, 28, 52,
placenta praevia 32 54, 62, 63-65, 66, 73, 74, 94,
Plasmodium 54-57, 59-61, 124, 162 100, 145-147, 151, 161, 162
poliomyélite 51, 54, 72, 73, 123 tuberculose hépatosplénique 79, 83
populations nomades 153
presbytes 168 U
préservatif 34, 149 ulcère de l’estomac 76, 80, 162
programme élargi de vaccination Ulcère gastroduodénal 79
(PEV) 52, 54, 69, 152
ptérygion 92 V
virus de Marburg 70-72
R virus Ebola 70, 71
rachitisme 23, 40, 41, 42, 74, 84
réaction de Mitsuda 101, 102 W
réduve 119, 163 Western Blot 151
réhydratation orale 46
rougeole 50, 53, 54, 72, X
152, 154, 162 xérophtalmie 40, 84, 86, 97, 98

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