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Approches théoriques en analyse de politique étrangère

Par Ali Guidara (2015)

« Ceux qui étudient la politique étrangère doivent,


par la force des choses, s’intéresser à la politique
sous toutes ses formes. »
James N. Rosenau.
New Directions in the study of Foreign Policy

Cet article met en exergue les fondements conceptuels de l’analyse de la politique


étrangère ainsi que les principaux cadres d’analyse et approches théoriques qui ont
marqué cette discipline. Cette revue de littérature permet de dégager les spécificités des
approches théoriques choisies et la manière dont ces approches abordent la décision et
le processus décisionnel en politique étrangère.

1. Introduction paradigmatique

Dans un ouvrage consacré à l’étude des relations internationales, Battistella affirme


que : « [L]a politique étrangère constitue la matière première par excellence des
Relations internationales, étant donné que l’objet de celles-ci […] inclut par définition
les actions et décisions des États envers les autres acteurs – étatiques et non étatiques
– de la scène internationale. » (2012, p. 373). Cette définition met en évidence
l’interdépendance étroite entre le champ des relations internationales et celui de
l’analyse de politique étrangère. Ces deux champs qui continuent à s’influencer
mutuellement et l’analyse de politique étrangère continue à enrichir l’étude des
relations internationales (Hudson et Vore, 1995).

La théorie des relations internationales, qui a émergé au lendemain de la Première


Guerre mondiale, tente d’expliquer le monde à travers le prisme de l’architecture
mondiale et de la politique internationale, du point de vue global. Cette discipline a
élaboré des approches théoriques qui prennent la structure internationale pour unité
d’analyse. Or, tel que Waltz précise, « International political theory does not include
factors at the level of states. » (1959, p. 55)1. D’où l’émergence du champ de l’analyse

1
Waltz a élaboré, depuis 1959, les bases conceptuelles qui font la distinction entre la théorie des
relations internationales et de l’analyse de la politique étrangère en termes de niveau d’analyse. Voir :
Kenneth N. Waltz, 2001.
de politique étrangère comme un champ à part entière dont l’objectif principal est, selon
Hudson (2005), d’analyser la prise de décision par les individus agissant seuls ou en
groupe au nom de l’État. Mais aussi et surtout d’analyser les facteurs et les mécanismes
qui influencent la prise de décision.

Cette propriété confère à l’analyse de la politique étrangère un aspect spécifique à la


compréhension des actions d’un État, vu comme unité d’analyse principale de la
politique étrangère (Charillon, 2002), que ce soit en termes d’extrants des décisions ou
en termes de processus décisionnels.

Par ailleurs, l’analyse de la politique étrangère nécessite de prendre en compte des


facteurs aussi bien reliés à la politique internationale qu’à la politique interne 2. Cette
double préoccupation rend l’analyse de politique étrangère complexe et diversifiée,
mais elle ajoute une couche explicative aux actions des États.

Pour résumer la distinction entre la théorie des relations internationales et l’analyse de


politique étrangère, Alden et Aran affirment que : « While I[nternationa] R[elations]
scholars understood their role as being to interpret the broad features of the
international system, FPA specialists saw their mandate as being a concentration on
actual state conduct and the sources of decisions. The FPA focus on the foreign policy
process as opposed to foreign policy outcomes… ». (2012, p. 1). Constat auquel
Hudson ajoute que : « From its inception, FPA has involved the examination of how
foreign policy decisions are made […] In essence, FPA takes a foreign policy decision-
making approach to the study of I[nternational] R[elations]. » (1995, p. 210-211).
L’objectif principal de l’analyse de politique étrangère consiste donc à ouvrir la « boîte
noire » décisionnelle afin d’expliquer les actions d’un État sur la scène internationale.
Nous présentons dans ce qui suit les fondements de certaines approches analytiques en
politique étrangère et la façon dont ces approches analytiques ont abordé et traitée la
« boîte noire » décisionnelle.

2. Diversité de l’analyse décisionnelle en politique étrangère

L’analyse décisionnelle en politique étrangère est, toutefois, riche en approches


théoriques. Nous nous limitons dans cette partie à quelques approches traditionnelles

2
Pour une exploration de l’influence des déterminants internes en politique étrangère, voir : Kim
Richard Nossal, 1983/1984.
qui traitent de la décision en politique étrangère sous des perspectives différentes, mais
complémentaires.

2.1. Finalités des approches théoriques

Avant de traiter de cet aspect, commençons par définir ce qu’est une approche
théorique. Selon Mace et Petry, une approche théorique est :

Une structure potentielle d’explication qui comporte un certain


nombre d’éléments. Elle comporte d’abord des postulats
(principes premiers indémontrables ou indémontrés) qui
traduisent la vision des choses sur laquelle elle s’appuie ainsi
que des concepts qui permettent de cerner et de classifier les
phénomènes à étudier. Elle précise, par des propositions,
l’ensemble des relations postulées entre les concepts de
l’approche et pose quelques hypothèses sur des relations entre
concepts qui, si elles peuvent être vérifiées et confirmées,
pourront être transformées en lois générales ou en
généralisations théoriques.

(Mace et Petry, 2000, p. 30)

Nous retrouvons dans cette définition le caractère relatif, voire limité, de toute approche
théorique. Ce constat nous pousse à la prudence lorsque nous faisons usage de ces
approches, d’autant plus que : « plusieurs approches théoriques rivales coexistent à
l’intérieur de chaque sous-champ d’une discipline scientifique… Chacune de ces
approches théoriques met l’accent sur des problématiques et des questionnements
différents… et que certaines approches théoriques seront mieux appropriées que
d’autres au problème spécifique… » (Mace et Petry, 2000, p. 30-31).

Les approches classiques que nous présentons dans cette partie proviennent de
l’analyse de la politique étrangère canadienne et de la théorie des relations
internationales et permettent de soulever des aspects différents de la prise de décision
étatique.
2.2. Les paradigmes dominants en analyse de politique étrangère canadienne

Dans cette section, nous abordons les courants et idées qui ont prédominé dans
l’analyse de la politique étrangère canadienne depuis la fin de la Deuxième Guerre
mondiale. En effet, à la sortie de cette guerre, le Canada a émergé comme un acteur
important sur la scène internationale, après qu’il eut obtenu son autonomie octroyée
par le Statut de Westminster en 1931, lui permettant d’agir d’une façon autonome dans
la conduite de sa politique étrangère.

D’entrée de jeu, rappelons que, selon Michaud : « Le premier secteur qui vient à l’esprit
lorsqu’on traite de politique étrangère est probablement celui de l’image projetée à
partir du rôle qu’un État joue sur la scène internationale. » (2010, p. 459). Ce rôle
détermine, a priori, le statut qu’un pays occupe sur la scène internationale et sa
puissance dans l’échiquier mondial. C’est cette notion de puissance qui a dominé les
analyses en politique étrangère canadienne (Appel Molot, 2007; Kirton, 2007; Nossal,
Roussel et Paquin, 2007). Ces analyses reliées au thème de la puissance ont donc
émergé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu le Canada s’affirmer «
d’abord timidement, puis de plein droit, comme acteur international. » (Michaud, 2010,
p. 451).

La recherche universitaire a engendré trois approches théoriques de nature structurelle,


devenues classiques en analyse de politique étrangère canadienne. Ces approches
traitent du rang ou du statut du Canada en tant que puissance moyenne, puissance
principale ou État satellite3.

Ces deux dernières conceptions « constituent en grande partie une réaction à cette
notion de puissance moyenne. » (Nossal, Roussel et Paquin, 2007, p. 106). Les trois
conceptions se sont associées à des paradigmes provenant de la théorie des relations
internationales, à savoir, respectivement le libéralisme international, le néoréalisme
complexe et la dépendance périphérique.

Nous nous penchons sur ces approches afin d’examiner leur potentiel explicatif du
processus décisionnel puisqu’elles ont constitué un prisme à travers lequel les actions
du Canada en politique étrangère ont été traditionnellement analysées.

3
Pour une revue complète et historique de ces trois conceptions, voir : Kim Richard Nossal, Stéphane
Roussel et Stéphane Paquin, 2007, John Kirton, 2007 et Kim Richard Nossal, 1997.
2.2.1. La conception de puissance moyenne

Cette conception est étroitement reliée au paradigme de l’internationalisme libéral, qui


est, selon Nossal, Roussel et Paquin, « un corpus doctrinal qui suppose une attitude
active face aux conflits internationaux et un engagement déterminé dans les
organisations chargées de maintenir la paix. » (2007, p. 254).

La conception de puissance moyenne considère que le Canada, sans faire partie des
grandes puissances, peut avoir un impact significatif sur les affaires internationales.
Cet impact se traduit par la promotion de certains principes, valeurs et actions à
l’échelle internationale qui sont, selon Appel Molot, « support for international
organizations, peace-keeping, promotion of international dialogue (and it was hoped
agreement) in functional areas such as law of the sea and human rights, and concern
to improve conditions in the Thrid World. » (1990, p. 79-80).

Cet internationalisme libéral a notamment été fondé sur les valeurs du multilatéralisme
et le respect de la règle de droit, deux préceptes qui ont caractérisé la politique
internationale du Canada pendant des décennies4 et sont considérés en phase avec les
valeurs sociales.

Afin d’expliquer la prédominance de l’internationalisme libéral au Canada, certains


analystes n’hésitent pas à le relier au sentiment identitaire même des Canadiens 5.
Nossal, Roussel et Paquin affirment en effet que : « cette harmonie avec les valeurs
dominantes dans la société pourrait bien expliquer la longévité de l’internationalisme
qui, encore aujourd’hui et peut-être par défaut, constitue le système de pensée dominant
en politique étrangère canadienne. » (2007, p. 280). Par contre, d’autres soutiennent
que le succès du multilatéralisme canadien est en partie associé au principe de
contrepoids, démarche qui aurait permis au Canada de se faire valoir sur la scène
internationale dans un ensemble plus vaste, en évitant de transiger avec la seule
puissance des États-Unis6.

Toujours est-il que l’emphase mise au Canada sur la conception de puissance moyenne
et l’approche institutionnaliste libérale pendant plusieurs décennies « has tended to

4
À ce sujet, voir : Tom Keating, Canada and World Order: The Multilateral Tradition in Canadian
Foreign Policy, Toronto, McClelland and Stewart, 1993.
5
À ce sujet, voir : David B. Dewitt, « Directions in Canada’s International Security Policy »,
International Journal, vol. IV, n° 2, printemps 2000.
6
Cette thèse est développée dans un ouvrage de John W. Holmes, Canada : A Middle Aged Power,
Toronto, McClelland and Stewart, 1976.
ignore considerations of national interest in Canadian action, despite emphasis in the
larger international relations literature on precisely this issue. » (Appel Molot, 2007,
p. 64).

Ce qui n’est pas l’opinion de Keating (2001), qui soutient que ce sont surtout les
principes du multilatéralisme qui guident l’action canadienne en politique étrangère, et
ce, pour mieux se positionner sur l’échiquier international. En d’autres termes, le
soutien canadien aux diverses formes de multilatéralisme n’est pas inconditionnel ou
simplement idéologique, mais il est surtout motivé par la défense des intérêts
nationaux, avec toutefois un engagement envers la paix et la sécurité dans le monde.

L’internationalisme libéral, exprimé à travers le multilatéralisme, a servi de grille de


lecture et d’analyse de la politique étrangère canadienne pendant des décennies. Or,
malgré l’attrait conceptuel que cette perspective exerce, certains formulent des
reproches à son égard. Appel Molot, par exemple, soutient que ce paradigme « remains
a significant analytical perspective, though more for its hortatory connotations than its
analytical rigor. » (1990, p. 80). L’auteure soutient que cette prédominance de
l’internationalisme libéral dans la tradition académique canadienne a surtout été
soutenue par une opposition à la tradition réaliste, fortement ancrée dans les milieux
universitaires des États-Unis, mais amplement critiquée au Canada.

Pour ce qui est de la conception de puissance moyenne, Black et Smith soutiennent


que : « this approach suffered from a number of significant weaknesses. » (1993,
p. 760). Ces auteurs ajoutent que : « the middle power idea had a certain crude utility,
but was of little value in explaining foreign policy behaviour. In particular, it ‘‘black-
boxed’’ the state, neglecting the impact of governmental and societal influences on
foreign policy. » (1993, p. 760). Ce constat traduit la faiblesse analytique du paradigme
de la puissance moyenne, surtout que, la posture multilatéraliste et internationaliste
dans la tradition politique canadienne a fortement été ébranlée par la fin de la Guerre
froide, laissant, les acteurs de la politique étrangère canadienne, selon Keating,
« without any clear sense of future plans or direction. »7 (2001, p. 163).

7
Au sujet du multilatéralisme canadien après la fin de la guerre froide, voir Tom Keating, Canada and
the World Order : The Multilateralist Tradition in Canadian Foreign Policy, Toronto, Oxford
University Press, 2001.
2.2.2. La conception de puissance principale

Appel Molot affirme qu’il y a deux raisons qui expliquent l’émergence de la conception
de puissance principale : « a frustration with the middle power view of Canada because
it did not capture the reality of Canadian capabilities and, second, the assessment that
the realist view of the international system had to be rethought in terms of its
appropriateness to a changed global environment.30 » (2007, p. 65).

Cette conception puise ses arguments dans les travaux de plusieurs auteurs, tels que
Eayrs (1975), Lyon et Tomlin (1979). Elle est théorisée notamment par Dewitt et
Kirton (2003) qui affirment que les changements du système international et le recul
de l’hégémonie américaine offrent au Canada une occasion de s’affirmer en tant que
puissance principale. Ces auteurs ont été les pionniers du néoréalisme complexe en
théorie des relations internationales, paradigme qui tente d’expliquer la politique
étrangère canadienne sous la perspective de puissance principale.

La politique étrangère canadienne serait donc, selon Dewitt et Kirton, basée sur la
défense des intérêts nationaux et des valeurs canadiennes à travers des actions
unilatérales et un appui à la high politics afin de créer « a world order directly
supportive of Canadian purposes. » (1983, p. 38). Sur ce dernier point, Michaud
soutient : « [qu’]au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Canada est l’une des
grandes puissances militaires de la planète. » (2010, p. 465).

Malgré cette interprétation stimulante de la position du Canada dans le système


international exprimée par Dewitt et Kirton, Appel Molot affirme que : « the principal
power formulation has not had a major impact on Canadian foreign policy analysis. »
(2007, p. 65).

L’auteure conclut que : « the theory of complex neorealism is neither easily nor
convincingly applicable to the Canadian experience. » (2007, p. 65). Elle appuie ses
conclusions par l’absence d’études subséquentes ayant fait usage du paradigme
néoréaliste complexe pour évaluer sa teneur paradigmatique et épistémologique.

Appel-Molot précise par ailleurs que : « With the exception of Canadian political-
economy litterature, there has been little interest in recent years in macroanalyses of
Canada’s global status. » (2007, p. 66).
2.2.3. La conception de l’État satellite

Cette perspective conçoit le Canada comme un pays dépendant dans une architecture
continentale dominée par une puissance majeure. Le Canada serait passé de
l’hégémonie britannique à celle des États-Unis, ce qui ne lui permet pas d’agir d’une
façon autonome dans ses actions en politique étrangère.

Cette conception s’est greffée au paradigme de la dépendance périphérique. Un


paradigme basé notamment sur des critères et des indicateurs de nature économique,
tels que les termes de l’échange qui induisent une inégalité entre les pays 8, les plaçant
dans la catégorie de dominant ou de dominé.

Sans remonter aux origines historiques de cette conception, précisons qu’elle fut
élaborée au Canada par A.R.M. Lower (1946), James M. Minifie (1960) et soutenue
par des études concernant le bilan politique des conservateurs (1984-1993), selon
Nossal, Roussel et Paquin (2007). Dans leurs travaux, ces derniers auteurs ont peint un
portrait de dépendance du Canada vis-à-vis des États-Unis, lors de la période étudiée,
et affirment que cette situation a transformé le Canada en État satellite de la puissance
étatsunienne. Cette situation a réduit son autonomie et sa marge de manœuvre en
matière de politique étrangère9. Dans un autre ouvrage, Stephen Clarkson, de son côté,
décrit le Canada comme « État périphérique » dans l’espace Nord-américain, en état de
dépendance vis-à-vis la puissance étatsunienne 10.

Appel Molot affirme que les tenants de cette perspective soutiennent que : « the
structure of the Canadian economy […] has produced a political-economy that
resembles that of a less rather than a more developed state with the attendant
limitations that such status imposes on state economy. » (2007, p. 66). L’auteure
conclut que cette vision a négligé la position relative du Canada par rapport au reste du
monde. Quant à Nossal, Roussel et Paquin (2007), ils affirment que cette perspective
ignore l’intégration régionale et l’interdépendance entre le Canada et les États-Unis.

8
Pour une revue théorique, voir : Immanuel Wallerstein, 1988. Selon Roche (2001), Wallerstein s’est
inspiré de Fernand Braudel en reprenant le concept d’« économie-monde », développé autour de
l’ouvrage de référence que constituait La Méditerranée à l’époque de Philippe II.
9
D’autres études brossent un portrait plus nuancé de celui évoqué par ces auteurs concernant le bilan
des Conservateurs à cette période. Voir à ce sujet Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, 2007.
10
Voir à ce sujet Stephen Clarkson, An independent foreign policy for Canada?, McGill-Queen's
University Press, 2003.
La revue de ces conceptions basées sur la notion de puissance, démontre qu’elles
peignent un portrait global de la prise de décision au niveau de l’État et ce, selon des
orientations en matière de politique étrangère canadienne. Ces orientations ne
dépendent pas d’un processus décisionnel en particulier mais elles sont guidées par un
certain comportement sur la scène internationale déterminé par des principes, des choix
et des valeurs ou encore par un état de fait. Ces conceptions ne reflètent pas la
complexité de la prise de décision en politique étrangère, elles ne prennent pas en
considération les facteurs de politique interne ni les multiples niveaux d’analyse
nécessaires à la compréhension du processus décisionnel.

De plus, elles demeurent de nature descriptive (Appel Molot, 2007) et ne permettent


pas d’explorer le processus décisionnel d’une manière approfondie et détaillée.
D’ailleurs, Nossal, Roussel et Paquin (2007) concluent que : « Les termes de puissance
majeure, puissance moyenne et petite puissance posent certains problèmes. Ils
constituent non seulement une distorsion au concept de « puissance », mais ils ne
permettent pas de déterminer comment les attributs de puissance façonnent la politique
étrangère » (2007, p. 134).

2.2.4. L’émergence du néocontinentalisme

Dans une étude récente, Massie et Roussel (2013) soutiennent que la politique
étrangère canadienne est en mutation depuis près d’une décennie, avec notamment un
investissement significatif dans les programmes de défense et une participation aux
missions de combat en Afghanistan et en Libye. Ces auteurs affirment que la culture
politique canadienne est en train de subir un changement culturel stratégique passant
de l’internationalisme, qui serait en déclin depuis la fin de la Guerre froide, au
néocontinentalisme, approche rivale qui serait l’expression d’un néoconservatisme
social et politique au Canada.

En effet, Massie et Roussel affirment que : « The neocontinentalist approach in CFP


is increasingly becoming the external expression of a growing domestic neo-
conservatism. In this sense, domestic politics is playing a direct role in the emergence
of new ideas about the place and the role of the country at the international
level. » (2013, p. 37). Les auteurs ajoutent que cette tendance néocontinentaliste
conçoit le Canada comme une puissance disposant d’un grand potentiel d’influence sur
la scène internationale, « if it plays its cards well and accepts the responsibilities that
come with such rank » (2013, p. 45). C’est donc une conception qui semble a priori
renouer avec la conception de la puissance principale et la notion de hard power qui
semble se confirmer depuis l’accès des Conservateurs au pouvoir en 2006, selon
Massie et Roussel (2013).

En effet, aussi bien la plateforme électorale de la campagne électorale 2005-2006 que


le discours du Trône prononcé qui a suivi l’élection du premier gouvernement Harper
insistent sur les intérêts nationaux du Canada et sa sécurité, sur l’importance des
relations bilatérales avec les États-Unis, présentés comme le plus grand ami et le
meilleur allié du Canada, et sur le renforcement de l’appareil militaire canadien, en
procédant à l’augmentation massive des dépenses militaires11 et la nomination du
général à la retraite Gordon O’Connor à la tête du ministère de la Défense nationale.
Or, ce continentalisme, qui s’exprime plutôt comme un régionalisme renforcé, risque
tout de même de compromettre la marge de manœuvre du Canada 12 en politique
étrangère.

De plus, la tendance conservatrice en politique étrangère canadienne, telle que


présentée par Massie et Roussel, s’accommode difficilement avec l’esprit des
institutions internationales et la collaboration multilatérale, à titre d’exemple, dans un
environnement international de plus en plus mondialisé.

2.2.5. Conclusion

Appel Molot (2007) soutient que les approches traditionnelles reliées à la perception
de puissance ne seraient plus adéquates pour décrire toute la complexité de la politique
étrangère canadienne et analyser ses prises de décision.

De plus, il y a lieu de rappeler que « la politique étrangère d’un État est élaborée à la
jonction de trois sphères politiques – internationale, nationale (ou intérieure) et
gouvernementale –, il n’est pas possible de l’analyser sans bien connaître chacune de
ces sphères. » (Nossal, Roussel et Paquin, 2007, p. 33).

Notre projet consiste à explorer et à interpréter le processus décisionnel en prenant en


considération les facteurs influents qui proviennent de toutes ces sphères politiques

11
Certains croient que ces augmentations seraient rendues nécessaires après les coupes drastiques
effectuées par les Libéraux. À ce sujet, voir Nelson Michaud, « La politique étrangère canadienne.
Mythes persistants et réalité confuse ? », dans Robert BERNIER, dir. L’espace canadien : Mythes et
réalités. Une perspective québécoise, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2010, p. 448-473.
12
À ce sujet, voir : Andrew F. Cooper, Canadian Foreign Policy: old habits and new directions,
Scarborough: Prentice-Hall and Bacon Canada. 1997.
pour procéder à une analyse décisionnelle complète et argumentée. Kessler (2002)
affirme que l’analyse de la politique étrangère ne se cantonne ni à l’étude d’un système
international qui fait abstraction des unités qui le composent, ni à l’étude de processus
décisionnels isolés de l’environnement international. La prise en compte de diverses
entités et dynamiques est donc nécessaire, surtout que : « L’analyse de politique
étrangère n’est pas que multiniveau et multidisciplinaire, elle est résolument
multicausale. » (Morin, 2013, p. 17).

Face aux limites que présentent chacune des avenues que nous venons de décrire, nous
devons explorer davantage d’autres perspectives.
2.3. Les approches en théorie des relations internationales

Dans cette section, nous présentons quelques approches analytiques provenant de la


théorie des relations internationales afin de tester leur potentiel de traiter le processus
décisionnel en politique étrangère.

2.3.1. Paradigme réaliste classique ou modèle de l’acteur rationnel

Ce paradigme appelé aussi modèle de l’acteur rationnel est un classique en analyse


décisionnelle. Selon Mintz et DeRouen, « Many scholarly analyses of FPDM proceed
from the rational actor assumptions. » (2010, p. 7).

Le paradigme réaliste, longtemps ancré dans la théorie des relations internationales,


attribue à l’acteur étatique, unique et incarné par un chef d’État ou de gouvernement,
le pouvoir de décider au nom de l’intérêt national. Hans Morgenthau (1948), un des
pères fondateurs de l’école réaliste du 20e siècle, affirme que l’intérêt national
s’exprime en termes de puissance. Alden et Aran soutiennent que : « Although a much-
disputed term, national interest remains a central preoccupation of foreign policy
decision makers and a reference point for realist scholars seeking to interpret state
action. » (2012, p. 3).

L’essor du paradigme réaliste contemporain a permis d’élaborer un cadre d’analyse de


la politique étrangère qui gravite autour des résultantes axiomatiques suivantes :

• La centralité et l’unicité de l’État, et son mode rationnel d’action qui met en


première ligne de ses objectifs l’utilitarisme qui domine cette approche.
Autrement dit, dans le processus de prise de décision, l’État décideur agit
comme s’il était en possession des toutes les informations concernant les
choix qui s’offrent à lui. Il procède par une évaluation des coûts et des gains
absolus avant d’opter pour le choix qui maximise son utilité, à savoir
l’intérêt national exprimé en termes de puissance et de sécurité.
• Le postulat qui considère que le monde est par définition anarchique et les
relations internationales conflictuelles. Ceci est dû à la nature humaine
égoïste, perfide et calculatrice qui dictent le comportement en
politique (Morgenthau et Thompson, 2005, p. 4). Dans cette configuration
anarchique du monde, il n’y a pas d’autorité centrale qui régule le système
international (McLead, Dufault, Dufour, Morin, 2008, p. 358). Chaque État
cherche à accroître sa puissance et sa sécurité par les moyens qui sont à sa
portée.
• L’état anarchique du monde ne peut, par conséquent, être contrôlé que par
un certain équilibre de la puissance ou « balance of power » (Waltz, 1979)
afin de prévenir la guerre et de « préserver une paix fragilisée par les
aspirations concurrentes de la puissance. » (Roche, 2001, p. 32). En outre,
les États en tant qu’acteurs rationnels conservent « la légalité et la légitimité
du recours à la force armée. » car « la société internationale est caractérisée
par l’absence d’une instance qui détienne le monopole de la violence
légitime. » (Aron, 1962).
• Afin de comprendre la politique et le système international, il y a donc lieu
d’analyser la politique de puissance définie comme la poursuite de l’intérêt
national, principal référent de l’action internationale des États, selon le
paradigme réaliste. De plus, selon Morgenthau, il est inutile de se
préoccuper des motivations, des préférences et des qualités intellectuelles
et morales des acteurs étatiques, données qualifiées d’instables. L’intérêt est
donc « érigé comme unique justificatif à l’action internationale. » (Roche,
2001, p. 25).

En raison de cet agencement du monde et de la politique internationale, certains


affirment que : « l’existence et l’effectivité du droit international et des institutions de
coopération sont fonction de leur conformité aux intérêts des États les plus puissants. »
(Battistella, 2012, p. 129). Cette perspective constitue, pour certains États, un idéal type
et la forme la plus souhaitable de prise de décision dans la poursuite de leurs objectifs
nationaux, puisque la politique internationale est politique de puissance. Ce qui ne
laisse pas de place à d’autres considérations. Autrement dit, le processus décisionnel
en politique étrangère ne serait que le résultat « objectif » d’un calcul coûts-bénéfices
et d’une évaluation rationnelle des intérêts nationaux ayant pour objectif de maximiser
la puissance et la sécurité d’un État dans le monde. Cette déduction confine le processus
décisionnel dans un ensemble de postulats, à savoir :

a) L’État, unique décideur, a des objectifs déterminés censés accroître l’intérêt


national,
b) Dans son évaluation rationnelle, le décideur peut choisir entre un certain
nombre d’options et dont les résultats et les conséquences sont connus à
l’avance,
c) Le décideur, après un calcul rationnel des coûts et des bénéfices, est en position
de choisir l’option qui offre la maximisation de l’intérêt national, préalablement
déterminé.
Cet ensemble de postulats confère ultimement une orientation linéaire et déterministe
aux décisions des États, occultant toute la complexité de la prise de décision en
politique étrangère et du processus décisionnel.

2.3.2. Théorie de la politique bureaucratique

Poursuivant la piste d’analystes qui cherchaient des alternatives au paradigme réaliste


jugé incomplet, Graham T. Allison, (1971), à travers l’analyse de la décision
concernant la crise des missiles de Cuba de 1962, a entrepris l’analyse de la politique
étrangère en tant que processus intégrant des éléments organisationnels.

L’approche d’Allison considère que les organisations publiques, ayant leurs propres
motivations politiques et organisationnelles, jouent un rôle important dans la prise de
décision en politique étrangère, à travers l’interaction entre les acteurs au sein de la
machine gouvernementale. L’intégration de ces aspects dans la démarche analytique a
permis à Allison de mettre en lumière les rivalités entre les différentes bureaucraties et
unités qui influencent ou qui participent à la prise de décision. L’essence même de
l’approche bureaucratique d’Allison, contrairement au réalisme classique, consiste
donc à se pencher sur ce qui se passe à l’intérieur de l’appareil de l’État et du rôle des
multiples acteurs institutionnels dans le processus de prise en politique étrangère.

Selon Allison, ces acteurs sont le plus souvent guidés par des intérêts ou des objectifs
autres que stratégiques et globaux.

L’auteur décrit l’action gouvernementale et les décisions en politique étrangère en tant


que « intranational political resultants; resultants in the sense that what happens is not
chosen as a solution to a problem but rather results from compromise, conflict, and
confusion of officials with diverse interests and unequal influence; political in the sense
that the activity from which decisions and actions emerge is best characterized as
bargaining along regularized channels among individual members of government »
(Allison, 1971, p. 162). Ceci pose les jalons de la théorie de la politique bureaucratique
dont l’objectif est de rendre compte du rôle des administrations publiques dans la prise
de décision, rôle marqué par les règles administratives et les jeux de pouvoir qui
animent les bureaucraties.

Contrairement au paradigme réaliste, la théorie de la politique bureaucratique prend en


considération reconnaît la multiplicité des acteurs au sein de l’appareil gouvernemental
et l’influence de ces acteurs à travers le marchandage et les canaux d’influence au sein
de l’appareil gouvernemental.
Cette approche intègre aussi la routine administrative dans le processus décisionnel
comme un des facteurs influençant la dynamique décisionnelle et le jeu des influences.
Allison et Halperin soutiennent que : « What emerges is also importantly affected by
constraints, in particular by the routines of organisations in supplying information and
options, and by shared values within the society and the bureaucracy » (1972, p. 51).

Cette approche soulève donc des interrogations sur l’identité des acteurs et leur
influence réelle sur la prise de décision, mais aussi sur la relation et l’échange qui
existent entre les différents acteurs et bureaucraties à plusieurs niveaux.

L’importance et l’influence de chaque unité dépendent de la position qu’elle occupe


dans la pyramide du pouvoir. Allison précise que : « where you stand depends on where
you sit » (1971, p. 176). Or, dans ce jeu de « grands marchandages entre départements,
les Affaires étrangères n’ont pas toujours le dernier mot » (Smouts, 1999, p. 11). Ce
qui relativise en fin de compte la centralité de la décision en politique étrangère et
l’importance du département des affaires étrangères dans la démarche décisionnelle.

Par ailleurs, les bureaucraties ne s’imposent pas toujours d’elles-mêmes dans le


processus décisionnel. Ce sont les leaders politiques qui font appel aux organisations
publiques pour chercher de l’assistance et combler un déficit de renseignements ou
d’expertise. Or, les renseignements fournis par ces unités bureaucratiques peuvent être
biaisés et obéir aux intérêts de ceux qui les produisent. Les unités administratives ou
bureaucratiques sont susceptibles d’influencer les décisions en fournissant une
information filtrée, choisie et présentée comme fiable et appropriée aux décideurs.

Cette situation entraîne une compétition entre les différentes bureaucraties qui tentent
de faire valoir leurs points de vue et favoriser leurs choix en prenant en compte leurs
préoccupations organisationnelles et corporatistes avant toute autre considération. Ce
qui fait en sorte que la décision devient « le fruit d’une négociation entre des acteurs
stables et indépendants » (Kessler, 2002, p. 178) qui représentent des entités qui
veillent en premier lieu à la défense de leurs intérêts respectifs.

Cependant, la compétition entre bureaucraties pourrait s’avérer parfois bénéfique.


L’implication de plusieurs organisations dans la prise de decision « can result in
multiple advocacy of rival choices, thus improving the chance that all possible policy
options will be considered » (George, 1972, dans Kegley, Shannon et Blanton, 2011,
p. 65).

En fin de compte, cette dynamique bureaucratique pourrait simplement générer une


décision qui soit « un compromis ou une sorte de décision minimale, un arbitrage, ou
bien l’option de la victoire unilatérale d’une faction sur les autres. » (Legrand, 2004, p.
87), réduisant ainsi les avantages de considérer diverses alternatives.

Retenons donc les postulats de base de cette approche pour en évaluer la pertinence
pour notre projet :

• La décision en politique étrangère est le résultat de batailles politiques et de


marchandages entre diverses institutions bureaucratiques et non pas d’une
stratégie gouvernementale cohérente et coordonnée. Le processus
décisionnel est affecté par ce qu’Allison appelle « pulling and hauling ».
• Les bureaucraties défendent en premier lieu leurs intérêts et leurs
préférences et usent de leur situation et de leur poids relatif au sein de
l’appareil gouvernemental pour promouvoir leurs choix et leurs unités ainsi
que les décisions qui leur sont favorables.

La théorie de la politique bureaucratique a donné lieu à plusieurs ramifications et


certains analystes, tel que Steinbruner (2002) suggère une approche « cybernétique »
qui découle de l’approche bureaucratique. Il affirme que cette approche intégrée à des
aspects cognitifs peut dresser une image assez précise du processus de prise de
décision.

2.3.3. Approche cognitive : tournant psychologique dans l’analyse décisionnelle

Cette approche met l’emphase sur la cognition des décideurs et de son effet sur
l’élaboration mentale des enjeux et de la sélection des options lors de la prise de
décision. Ceci soulève la question des perceptions dues au niveau et à la qualité de
l’information, qui peut entraîner une distorsion dans le cheminement rationnel de la
prise de décision. Il faut rappeler que ce sont les individus qui prennent les décisions
et ils sont susceptibles d’avoir des biais dans leur compréhension et leur évaluation des
situations qui exigent de prendre des décisions. Alden et Aran soutiennent que :
« Foreign Policy is the product of human agency. » (2012, p. 19) et laissent entendre
que ce sont les décideurs qui identifient les enjeux, en font un jugement et agissent en
fonction des images qu’ils construisent.

L’approche cognitive soutient que les hypothèses du modèle de l’acteur rationnel ne


sont pas envisageables dans la pratique des relations internationales contemporaines.
Elle considère que les processus cognitifs « are not to be understood as “irrational” but
rather as more realistic interpretations of how the human mind really works. » (Mintz
et DeRounen, 2010, p. 8). C’est ce postulat qui est à la base de la critique du modèle
rationnel et qui a fait naître l’approche behaviouriste comme un défi au modèle
rationnel qui stipule que les individus exercent une influence déterminante dans le
processus de prise de décision et leur rôle mérite donc une analyse plus approfondie.
Ce rôle est teinté de subjectivité quant à l’évaluation de l’enjeu et la prise de decision.
Mintz et DeRouen précisent que : « if we are to understand decision making, we need
to understand how information processing is limited and how various biases, search
patterns, and decision rules affect decision making » (2010, p. 9).

Les décideurs ne peuvent donc être totalement rationnels et la décision passe par ce
qu’on appelle leur filtre subjectif. De plus, selon Alden et Aran, « human beings prefer
simplicity to complexity, seek consistency over ambiguity » (2012, p. 21), ce qui
pourrait représenter un risque d’écart entre la perception de l’acteur et une réalité
souvent plus complexe, entraînant une distorsion de la réalité lors de la prise de
décision.

Sur un autre plan soulevé par l’approche cognitive, l’état émotionnel du décideur joue
aussi un rôle dans la prise de décision. Pour cette raison, la personnalité du décideur,
ses valeurs et son influence dans la structure décisionnelle peut avoir un impact
important. Le fait de changer un acteur par un autre pourrait donc entraîner des
décisions différentes. Alden et Aran affirment que : « … leaders bring their own biases
to office and – this is most evident in the removal of one leader and the installation of
another – can exercice dramatically different influences over their countries foreign
policies. » (2012, p. 23). D’autres soutiennent au contraire que : « …personality is not
as significant as the actual role assumed by individuals holding positions of authority.
» (Hollis et Smith, dans Alden et Aran, 2012, p. 26), mettant en évidence la primauté
du rôle joué par le leader au détriment de sa personnalité et de son état émotionnel.

D’autres enfin soulèvent que dans cet environnement cognitif, la perception des
décideurs et leur construction de la réalité les poussent parfois à recourir à des
analogies, même biaisées, dans leur prise de décision ou encore pour se convaincre que
la décision prise est justifiée, voire la meilleure. Ce qui ne mène pas nécessairement
aux objectifs escomptés. Mintz et De Rouen précisent que : « Analogies can also work
in Foreign policy but are sometimes misleading and can lead to suboptimal outcomes.
» (2010, p. 5). D’autres ajoutent que des analogies non pertinentes « conduisent à des
erreurs d’appréciation des situations réelles auxquelles ils sont confrontés » (Legrand,
2004, p. 83).

Cette façon de synthétiser l’information par analogie « have the effect of generating
tendencies for premature closure or commitment for a certain course of action before
it was adequately analyzed. » (Maoz, 1990, p. 193), suggérant une prise de décision
sans une évaluation objective et rigoureuse de l’enjeu à ….

Malgré l’importance des aspects soulevés par l’approche cognitive qui mettent en
évidence l’influence personnelle des décideurs sur les choix décisionnels, l’aspect
cognitif est loin d’apporter un éclairage sur toute la dynamique décisionnelle. Raison
pour laquelle certains considèrent que « les modèles rationnels et cognitifs ne sont pas
aussi incompatibles qu’ils peuvent paraître à première vue, aucune des deux approches
n’a le monopole de la vérité et il est essentiel de tendre vers leur intégration » (Mintz,
1997 dans Legrand, 2004, p. 105).

L’approche polyheuristique propose une intégration des approches réaliste et cognitive.

2.3.4. Approche polyheuristique : combinaison de deux mondes

Tout en reconnaissant qu’il est nécessaire, dans tout choix de politique étrangère, de
prendre en considération l’intérêt national, défini en termes de sécurité et de puissance,
Mintz, le concepteur de l’approche polyheuristique, a proposé d’intégrer l’approche
réaliste en maintenant la substance du modèle du choix rationnel, et des éléments
qualifiés de « non rationnels » dans la prise de décision. Cette approche intégrée tend
à réconcilier l’analyse réaliste avec les critiques formulées à l’égard du modèle de
l’acteur rationnel. Selon Mintz et DeRouen, « Polyheuristic theory is a bridge between
rational and cognitive perspectives. » (2010, p. 78).

L’approche polyheuristique considère que la prise de décision en politique étrangère


peut être expliquée en découpant le processus en deux étapes : la première étant fondée
sur des considérations cognitives pendant laquelle « the decision maker reduces the set
of alternatives. » (Mintz et DeRouen, 2010, p. 78), et la deuxième consiste à
sélectionner, parmi les alternatives retenues, la décision convenable selon une
démarche rationnelle obéissant aux critères de l’approche réaliste, c’est-à-dire dans le
but de maximiser une utilité spécifique selon une dimension bien définie.

La première étape de l’approche polyheuristique « involves a non compensatory,


nonholistic, satisficing search. It uses decision heuristics and primarily corresponds to
the cognitive school of decision making. » (Mintz et DeRouen, 2010, p. 78), alors que
la deuxième étape « involves rational processing of surviving alternatives. It
corresponds to rational choice theory. » (Mintz et DeRouen, 2010, p. 78).
Ces auteurs soutiennent aussi qu’une des prémices clés de cette approche est
que : « leaders use more than one decision strategy when making decisions, including
strategies that are suboptimal » (Mintz et DeRouen, 2010, p. 78).

Ils citent en exemple le fait que les leaders politiques écartent une décision ou une
politique qui pourrait causer leurs défaites électorales, par exemple. Autrement dit, la
première étape consiste à rejeter les choix qui ne satisfont pas certains critères parmi
les alternatives réalisables ou adéquates avec les objectifs du décideur définis en
fonction d’un critère prédominant, ce que les auteurs appellent « non compensatory
process ». Or, ce tri préliminaire pourrait éloigner la démarche décisionnelle de toute
rationalité objective, puisque le critère de choix est susceptible d’être subjectif.

Sur un autre registre, Mintz et DeRouen apportent une précision importante concernant
l’approche polyheuristique. Ils soutiennent que : « domestic politics is ‘‘the essence of
decision.’’ … Domestic political audience costs are an integral part of foreign policy
making » (2010, p. 78 et 79). Ils marquent ainsi la prise de décision du sceau de la
politique interne qui justifie les décisions politiques et ce, au détriment d’autres
considérations.

Par conséquent, ajoutent ces auteurs, « policy makers are likely to reject outright any
alternative that poses potentially high costs, particularly on the political dimension,
even if that same alternative also yields potentially high benefits on other dimensions…
» (Mintz et DeRouen, 2010, p. 79). Ce qui confère à la démarche décisionnelle un
aspect subjectif, même si elle est suit un schéma de rationalité individuelle des
décideurs.

Nous concluons par la formulation du postulat suivant dérivé de l’approche


polyheuristique, qui nous permettra d’évaluer le potentiel de cette approche dans le
cadre de notre projet :

Lors d’une prise de décision en politique étrangère, les décideurs ont recours à un
processus en deux étapes : le rejet, en premier lieu, des alternatives jugées inacceptables
selon un critère non négociable ou une dimension jugée critique par le décideur. Ensuite
la sélection, parmi les alternatives restantes, d’une décision qui correspond à un calcul
coût/bénéfice susceptible de maximiser les avantages tout en réduisant les risques
inhérents à la situation et ceci, selon un critère jugé très important.
2.3.5. Évaluation critique des approches décisionnelles

La revue de ces approches analytiques montre d’abord que chacune nous éclaire sur
certains facteurs et mécanismes de la prise de décision, mais aucune n’aborde le
processus décisionnel dans son intégralité. Nous passons en revue les principales
critiques de ces approches.

2.3.5.1. Le modèle de l’acteur rationnel

Ce modèle a suscité et suscite encore des critiques, car il présente des faiblesses qui
émanent de ses postulats de base.

Tout d’abord, Hudson soutient que : « the decision-making approach of FPA breaks
apart the monolithic view of nation-states as unitary actors. » (1995, p. 210). Ce qui
décrit une divergence fondamentale entre le concept principal du paradigme réaliste, à
savoir l’unicité de l’État en tant que décideur, et la conception analytique de la prise de
décision en politique étrangère, par définition plurielle et multidimensionnelle.

L’unicité de l’État comme acteur néglige par ailleurs l’influence de certains facteurs
importants de la politique étrangère, tels que la politique interne, les acteurs non
étatiques. Cette conception ignore aussi l’influence de certains facteurs jugés influents
tels que l’opinion publique, les médias et les groupes de pression.

L’influence de la politique interne est impossible de dissocier de la politique étrangère,


car ces deux politiques « émanent des mêmes institutions et s’inscrivent dans un même
projet social et politique. » (Braillard et Djalili, 1997, p. 60). En outre, « les processus
politiques internes sont mus et nourris par les dynamiques de puissance internationales.
» (Guzzini et Rynning dans Smouts, 1999, p. 57).

Kaarbo, en faisant référence à plusieurs auteurs, renchérit en soutenant


que : « Domestic politics is now seen as critical for explaining international politics
(Ferguson and Mansbach, 1991; Mastanduno et al., 1989; Moravcsik, 1993; Miller and
Risse-Kappen, 1993). » (2001, p. 170).

Sur un autre plan, la rationalité des acteurs peut s’avérer toute relative. Cette rationalité
peut être « conditionnée non seulement par des normes, par le droit, mais également
par des usages, par des pratiques institutionnelles, par la croyance en un même type de
valeurs, par une crainte partagée à l’encontre de certaines menaces. » (Kessler, 2002,
p. 180). Ceci réduit la marge de manœuvre des décideurs et leur impose certaines
contraintes, limitant ainsi leur choix lors de la prise de décision.
D’autres mettent en doute un autre fondement du modèle rationnel, à savoir la
puissance. Smouts affirme que : « la puissance politique nationale relative est difficile
à établir. » (1999, p. 57). Aron va encore plus loin en considérant « la notion de
puissance imprécise et la notion d’intérêt national comme dépourvue de signification,
car variant d’une situation à l’autre. » (Brailard et Djalili, 1997, p. 16).

La nature équivoque et la définition incertaine du concept d’intérêt national, exprimé


en termes de puissance, représente une grande difficulté opératoire et ne permet pas de
procéder à une analyse rigoureuse de l’influence de ces paramètres dans la prise de
décision en politique étrangère.

De plus, dans ses prises de décisions, l’État ne peut se soustraire à l’environnement


mondial en agissant comme un acteur unique. Cet environnement est marqué par
l’incertitude, l’instabilité et l’absence de données fiables qui permettent de procéder à
un calcul rationnel.

Dans ces conditions, l’État ne peut pas agir comme un agent calculateur qui dispose
« d’une fonction majeure lui permettant de connaître toutes les données en présence,
d’évaluer de façon cohérente toutes les alternatives auxquelles il est confronté et
d’opter pour celle qui lui sera la plus utile. » (Kessler, 2002, p. 179).

Kegley et Blanton abondent dans ce sens en affirmant que : « the available information
is often inaccurate because the bureaucratic organizations that political leaders depend
upon for advice screen, sort, and rearrange it. » (2011, p. 197), amplifiant la dépendance
du décideur quant à l’information disponible et à sa fiabilité lors de la prise de décision,
à l’intérieur même de l’appareil de l’État.

Faisant le lien avec la théorie de la politique bureaucratique, Allison et Halperin, quant


à eux, remettent en cause la rationalité vantée par l’approche réaliste par rapport à
l’action même des décideurs. Ils affirment que le modèle rationnel « obscures the
penitently neglected fact of bureaucracy: the « maker » of government policy is not one
calculating decision-maker, but rather a conglomerate of large organizations and
political actor who differ substantially about what their government should do and who
compete in attempting to affect both governmental decisions and the actions of their
government » (1972, p. 42).

Sur le registre cognitif, Legrand affirme que : « une des conditions de base pour que le
décideur puisse prendre une décision rationnelle au sens plein du terme serait [donc]
qu’il puisse disposer d’une perception objective de l’environnement opérationnel et
d’un pouvoir intégral d’anticipation dans son jeu. » (2004, p. 97).
Les auteurs qui ont étudié la perception des décideurs ont conclu qu’il est impossible
d’atteindre une objectivité totale dans l’évaluation de certains faits, ne serait-ce qu’en
raison du niveau de cognition du décideur et de son expérience.

Enfin, pour ce qui est de l’environnement mondial contemporain, le modèle de l’acteur


rationnel ignore le rôle joué par la société civile et par les organisations multinationales.
Il néglige aussi les multiples avancées du droit international dans le monde aujourd’hui.
Ces avancées réduisent, tant bien que mal, le degré d’anarchie du système international,
anarchie qui constitue la base conceptuelle du paradigme réaliste. Nossal, Roussel et
Paquin soutiennent que la « société anarchique » du système international « est
beaucoup plus ordonnée qu’elle ne le laisse paraître de prime abord » (2007, p. 55).

Enfin, certains vont encore plus loin dans la critique du modèle de l’acteur rationnel.
Legrand soutient que : « Dans la réalité, ce n’est [donc] que rétrospectivement que l’on
qualifie la décision de rationnelle, au sens classique du terme, et ce, en confondant en
fait la décision et ses résultats. » (2004, p. 97). Ce qui réduit la force analytique de
l’approche réaliste quant à la prise de décision, tel que précisé par Alden et Aran, qui
affirment que : « […] the focus of this approach traditionally is on policy outcomes. »
(2012, p. 16).

Bien qu’ « il ne faut pas renoncer à la rationalité. » (Morin, 2013, p.69), la critique est
suffisamment vive quant aux limites du paradigme réaliste à constituer un cadre
suffisamment élaboré pour analyser la prise de décision.

Ce paradigme n’aborde pas non plus la pluralité des facteurs et des mécanismes qui
constituent et qui façonnent le processus qui mène à la prise de décision.

2.3.5.2. La théorie bureaucratique d’Allison

Legrand affirme que cette approche peut « mener à la survalorisation du poids des sous-
unités administratives et de leurs éthos corporatistes, au détriment du poids des
décideurs ultimes. » (2002, p. 87).

Par ailleurs, étant donné que cette théorie est basée sur la notion de marchandage entre
administrations, Kessler soutient que ce marchandage « est impensable sans calcul,
c’est-à-dire sans acteurs intentionnels et rationnels » (2002, p. 179) qui défendent leurs
unités et leurs choix avec la possibilité de fausser la démarche décisionnelle.

D’ailleurs Kegley et Blanton précisent qu’en règle générale, « bureaucratic agencies


are parochial and [that] every administrative unit within a transnational actor’s foreign-
policy-making bureaucracy seeks to promote its own purposes and power. » (2013, p.
66). Ceci fait en sorte que : « different groups pulling in different directions produce a
result, or better a resultant—a mixture of conflicting preferences and unequal power of
various individuals—distinct from what any person or group intended. » (Allison,
1971, p. 145).

Il est donc permis d’affirmer que cette situation peut mener à ignorer l’intérêt national
dans la prise de décision, puisque chaque unité est plus encline à promouvoir ses
intérêts corporatistes et à imposer ses choix. De plus, dans leur mode de
fonctionnement, Kegley et Blanton affirment que les bureaucraties « encourages
reliance on standard operating procedures and deference to precedent rather than the
exploration of new options to meet new challenges. This results in policy decisions that
rarely deviate from conventional preferences. » (2011, p. 206). Ce mode est donc enclin
de négliger plusieurs autres facteurs et dimensions dans tout processus décisionnel.

Michaud soulève plusieurs des critiques formulées à l’égard de cette approche, même
par son propre concepteur. Il conclut que :

S'il existe une critique où la théorie de la politique bureaucratique


est plus vulnérable, c'est au niveau des lacunes méthodologiques :
l'état original du modèle nous présente une situation où il s'avère
en effet très difficile de l'opérationnaliser… surtout par le difficile
accès à l'information nécessaire à l'opérationnalisation tout autant
qu'à l'empreinte déformante que le temps peut induire.

(Michaud, 1996, p. 779)

En se limitant au rôle des bureaucraties dans la prise de décision, cette théorie néglige
plusieurs autres facteurs. Elle constitue un prisme à travers lequel il est possible
d’analyser l’influence de ces organisations dans la démarche décisionnelle mais elle
n’est pas suffisante pour explorer le processus décisionnel dans toute sa complexité.

Ce processus ne être appréhendé par la seule dimension bureaucratique et


organisationnelle.
2.3.5.3. L’approche cognitive

Parmi les critiques formulées à l’égard de l’approche cognitive, Legrand affirme que :
« l’élément mis particulièrement en avant dans le modèle cognitif de Maoz est le
raisonnement par analogie, notamment avec l’expérience passée qui fait l’impasse sur
un calcul rationnel coûts-bénéfices au regard de la situation face à laquelle le décideur
est confronté » (2002, p. 92).

Ceci soulève deux enjeux. D’une part, les biais cognitifs que suscite le raisonnement
par analogie, car les « leaders are prone to place faith in their prior prejudices, to draw
false analogies with prior events (Brunk 2008), and to make decisions on emotion
(Westen 2007) » (Kegley et Blanton, 2011, p. 199).

D’autre part, cet aspect pose le problème de l’accès aux éléments cognitions des
décideurs, car « fort souvent, au-delà des éventuels procès-verbaux de réunions, les
seules données qui sont accessibles sont celles fournies par les entretiens postérieurs à
la décision avec des personnes y ayant pris part, avec tous les biais que cela comporte
en termes de reconstruction, de rationalisation a posteriroi, …» (Legrand, 2004, p. 98).
Ceci ne permet pas de retracer le rôle et l’influence réelle lors de la prise de décision
en plus de constituer une difficulté d’opérationnalisation.

Sur un autre plan, le modèle cognitif s’intéresse aux distorsions générées par les
perceptions, les croyances, les préjugés et les limites cognitives dans le traitement de
l’information. Cet aspect le rend instable comme cadre d’analyse décisionnelle, malgré
qu’il soulève une partie des facteurs et des mécanismes qui jouent un rôle dans tout
processus décisionnel.

Sur un autre registre, les décideurs peuvent être tentés par l’exclusion d’une partie de
l’information disponible d’une façon délibérée, afin de maintenir, voire de renforcer,
leur image cognitive existante. Surtout que, dans une démarche décisionnelle,
« L’information est toujours imparfaite. Les motivations sont toujours biaisées. »
(Smouts, 1999, p. 5).

Finalement, l’approche cognitive ne représente pas une stabilité paradigmatique qui


résiste à une démarche empirique objective, puisque « nous n’avons pas un accès direct
au fin fond de l’univers mental des décideurs. » (Legrand, 2004, p. 99).

Nous concluons que cette approche ne peut constituer une alternative, qui permet à elle
seule, de traiter notre projet. Même si des facteurs psychologiques et cognitifs existent
dans tout processus décisionnel.
2.3.5.4. L’approche polyheuristique

En conjuguant les approches rationnelle et cognitive, cette méthode risque en effet de


cumuler leurs faiblesses dans sa tentative de les réconcilier. L’approche
polyheuristique n’apporte pas, non plus, de correctifs afin de pallier aux faiblesses
analytiques des approches réaliste et cognitive.

Alden et Aran affirment que : « poliheuristic theory leaves open issues such as the
nature and impact of a given decision-making structure, which essentially is depicted
by Mintz as unitary…» (2012, p. 28). C’est-à-dire que la structure décisionnelle
demeure, selon cette approche, unitaire et représentée par une entité suprême à la tête
de l’État. Entité qui a le pouvoir de décider « rationnellement » en toute autonomie.

Alden et Aran ajoutent que : « poliheuristic theory seems to dismiss matters such as
cognition and psychology factors in favor of this mono-clausal depiction of the sources
of agency. » (2012, p. 28) et ce, malgré que cette approche prend en considération des
éléments cognitifs.

Par ailleurs, il est légitime de questionner la validité du premier tri des options
disponibles lors de cette phase décisionnelle. Dans une démarche analytique, il n’est
pas facile, ni même possible, d’identifier les raisons qui ont amené le décideur à écarter
certaines options lors de la première étape décisionnelle. Ce qui rend
l’opérationnalisation de cette approche laborieuse, voire hasardeuse.

De plus, certains soulignent le fait que l’évaluation de la dimension non compensatoire


demeure tributaire des capacités d’évaluation du décideur. Ce qui relativise la
rationalité du choix effectué, notamment lors de crises. Mintz et DeRouen soutiennent
que : « Foreign policy crises are characterized by an evolving choice set out of which
policy alternatives emerge during the process. » (2010, p. 25).

Sur un autre registre, l’approche polyheuristique soutient que la politique interne


constitue l’essence de la décision, ce qui semble minimiser les impératifs d’ordre
international. Ces impératifs, ne peuvent être ignorés en politique étrangère et même
de plus en plus dans certaines politiques internes.

Finalement, l’approche polyheuristique, n’aborde pas le processus décisionnel dans


toute son intégralité, c’est-à-dire en incluant toutes ses composantes et ses divers
mécanismes. Nous ne retenons donc pas cette approche pour traiter notre projet.
2.3.6. Conclusion

Nous pouvons passer en revue d’autres modèles et cadres, puisque « différentes


logiques, différents types de rationalités, peuvent se retrouver au sein d’un même
processus décisionnel. » (Legrand, 2002, p. 93), mais l’exercice ici ne consiste pas à
faire une ontologie des approches et des modèles. Nous avons abordé des approches
reconnues dans la discipline, qui présentent des caractéristiques permettant d’aborder
la prise de décision en politique étrangère sous certains aspects et qui soulèvent des
caractéristiques différentes de la décision en politique étrangère.

Ces approches, réunies, offrent théoriquement un cadre analytique plus complet de la


prise de décision puisqu’elles traitent d’aspects complémentaires qui font partie de la
démarche décisionnelle. Or, même l’intégration de ces approches, si elle était possible,
ne saisit pas l’intégralité du processus décisionnel avec tous les facteurs et les
mécanismes des déterminants de l’analyse décisionnelle en politique étrangère. Ces
approches décisionnelles traitent de la décision selon des schémas réguliers et des
facteurs identifiés et souvent statiques. Mais, elles ne traitent pas des processus qui
sous-tendent ces schémas réguliers et qui demeurent méconnus. Ces approches
n’offrent donc pas une grille d’analyse complète et multidimensionnelle pour explorer
et interpréter la complexité du processus décisionnel qui façonne la décision.

Processus qui est, selon Yetiv, « what happens in decision-making prior to choice. »
(2011, p. 202) et qui constitue l’essence de notre recherche.

Mintz et DeRouen précisent d’ailleurs que : « Decisions are critical in foreign policy
making, but understanding decisions does not provide a complete analysis. » (2010,
p. 10). Autrement dit, l’analyse de la décision ne fournit pas une exploration complète
du processus décisionnel qui l’a générée. Par ailleurs, Le Moigne (1990) soutient aussi
que les approches analytiques classiques n’éclairent pas la décision en situation
complexe.

Cette conclusion nous pousse à explorer d’autres avenues afin de trouver des outils plus
appropriés pour appréhender le processus décisionnel.

Il nous semble donc pertinent de saisir la proximité des théories d’analyse décisionnelle
en politiques publiques susceptibles d’offrir des perspectives pour l’étude du processus
décisionnel. Nous prenons à notre compte les propos de Stern qui soutient que : « The
erosion of the distinction between domestic and international… will probably continue
unabated with the side effect of further broadening the foreign policy analysis agenda
and substantively linking foreign policy analysts with their counterparts in various
adjacent areas of public policy. » (Stern, 2003, p. 189).
Or, est-il possible de recourir à cet exercice sans rencontrer d’incohérences
paradigmatiques?

Nous clarifions cet aspect dans le paragraphe suivant.

2.4. La politique étrangère en tant que politique publique

À titre de rappel, Charillon affirme que la politique étrangère représente : « l’instrument


par lequel l’État tente de façonner son environnement politique international, mais elle
n’est plus seulement une affaire de relations entre des gouvernements. » (2002, p.13).
C’est-à-dire que la politique étrangère se dissocie de plus en plus des relations
internationales dans leur conception classique et elle prend un tournant conceptuel.

En effet, Zahariadis affirme que : « Allison (1971) showed that differences between
domestic and foreign policy are more imagined than real. » (2007, p. 85), ce qui offre
de nouvelles perspectives théoriques pour appréhender l’étude de la politique
étrangère.

Charillon précise d’ailleurs que la politique étrangère demeure une politique conçue,
élaborée et mise en œuvre par l’État, « Au même titre qu’une politique économique ou
qu’une politique de santé, elle peut être vue comme une politique publique. » (2002,
p. 13), mais tout en y adjoignant des éléments qui relèvent de l’environnement
international, sans s’y limiter. C’est-à-dire l’interaction avec un ou plusieurs acteurs
aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur des frontières d’un État.

Charillon souligne aussi que : « la différence entre politique intérieure et politique


extérieure est en partie effacée par une vaste interpénétration d’acteurs variés,
multinationaux, et intervenant dans un champ international où la notion de territoire
national s’estompe. » (2002, p.182).

Cette interpénétration du national et de l’international a incité Kessler à se poser la


question suivante qui nous intéresse : « l’importation de [ce] paradigme [de politique
publique] dans le secteur de la politique étrangère est-elle possible? Quels
enseignements est-elle susceptible d’apporter? », (2002, p. 167). Autrement dit, est-il
possible de faire appel à des outils et instruments conceptuels provenant du champ de
l’analyse de politiques publiques pour analyser des enjeux de politique étrangère?

À cette question, Kessler formule, sans ambiguïté la réponse suivante :


Les politiques publiques sont un construit de la recherche, riche
en méthodes et en instruments d’analyse. Les concepts qui ont
été mis au point dans ce cadre peuvent être utilisés dans la sphère
des relations internationales… la démarche intellectuelle qui
conduirait à se servir de concepts des politiques publiques pour
analyser un vaste système d’action international lié à un
processus mondial de coopération et d’action n’est pas illogique.

Kessler, 2002, p. 187-188

En nous basant sur ce constat, nous pouvons affirmer que le champ de l’analyse de
politiques publiques est susceptible d’offrir des approches analytiques convenables
dans le cadre de la politique étrangère. Or, le recours à ces approches se heurte à la
profusion des cadres d’analyse de politiques publiques et crée une difficulté quant au
choix à faire. En outre, la pertinence de tout cadre d’analyse de politiques réside avant
tout dans son potentiel explicatif et sa capacité de prendre en compte les facteurs les
plus pertinents pour fournir une explication complète et satisfaisante.

En effet, selon Moaz, lors du choix d’une approche analytique de prise de


décision, « The question is not the ‘‘best ’’ decision-making model. Rather, it is which
model is more likely to be observed under given circumstances… Hence the task
should be to identify the precise link between exogenous variables and decisional
strategy. » (dans Geva et Mintz, 1997).

Or, nous assistons à une complexification de plus en plus croissante des décisions et
des stratégies décisionnelles en politiques publiques. Cette complexification est due,
d’une part à la fragmentation du pouvoir et la multiplication des entités qui exercent
une influence sur la prise de décision; et d’autre part, à une reconfiguration de la scène
internationale post Guerre froide. Cette reconfiguration a accentué un processus
d’interdépendance entre les États et accéléré une mondialisation qui affectent de plus
en plus les décisions gouvernementales et les politiques publiques. Tout cela dans un
environnement mondial incertain, instable et complexe qui touche aussi bien les enjeux
nationaux qu’internationaux. Ce nouveau contexte dicte une adaptation permanente des
acteurs étatiques et non étatiques impliqués dans la prise de décision. Un contexte qui
modifie les règles d’élaboration des politiques et des processus décisionnels exigeant
de nouvelles méthodes pour les appréhender.

Göymen et Lewis soutiennent d’ailleurs que : « The advent of globalization has created
new and complex contexts in which policymakers must operate. Previous norms and
benchmarks for determining public policy have had to be discarded, as even the
smallest and most seemingly circumscribed local issues now take on significance at the
national, regional, and global levels. » (2014, p. 9).

2.5. Mondialisation et politiques publiques

L’irruption, durant les dernières décennies, d’une mondialisation accélérée a entraîné


donc des changements profonds qui ont fait émerger de nouveaux acteurs influents sur
la scène internationale. Ces nouveaux acteurs ont aussi obligé les États et les décideurs
à revoir leurs stratégies, mais aussi les analystes à reconsidérer les paradigmes issus
d’une interprétation déterministe, dans un monde en mutation.

Cette mondialisation intensive qui touche toutes les sphères de la vie


publique, « introduit dans la dynamique internationale et nationale des changements
considérables » (Paquin, Bernier et Lachapelle, 2010, p. 357).

Ces changements ont engendré une interdépendance entre les multiples acteurs qui
affecte le rôle des États et surtout les processus politiques. Ces processus sont
désormais influencés par un nombre croissant d’intervenants et de niveaux, du local à
l’international, même si l’État demeure un acteur clé en politique interne et
internationale. En effet, selon Kennet, « Public policy is located within an increasingly
complex, multiple and overlapping network of interactions which are embedded in a
transnational and subnational polity and economy ». Suite à ce constat, l’auteure ajoute
que : « Many of the key cornerstones of public policy analysis have become
problematic as processes of globalization have disrupted the traditional analytical and
conceptual frameworks through which policymaking and implementation have been
understood » (2008, p. 3).

Les raisons évoquées sont bien sûr la disparition des frontières habituelles entre acteurs
et sphères diverses de la vie publique et politique, métamorphosant ainsi le processus
politique traditionnel.

Conclusion : un nécessaire changement de paradigme

Le pouvoir est désormais diffus. Le système politique est fragmenté et dans lequel
« Actors are continuously shaped by (and in) the interactions, in which they relate to
each other » (Kooiman, 2003, p. 2 dans Kennet, 2008, p. 5).
Dans ces conditions, Gül affirme que « state or other national public institutions no
longer serve as the sole organizing center for public policy. » (dans Göymen et Lewis,
2014, p. 37). Ce qui fait en sorte, selon Gül, que : « The first stage of the “policy
cycle,” global agenda setting, is complex, fragmented, and indeterministic, and
characterized by uncertainty and divergent sets of debates and demands » (dans
Göymen et Lewis, 2014, p. 38).

La mondialisation dicte de nouvelles règles dans les politiques publiques et rend les
processus décisionnels de plus en plus multidimensionnels. Geyer et Rihanni (2010)
affirment que le système international contemporain doit être vu comme un système
complexe adaptatif et évolutif. Cette complexité a fait en sorte que « […] public
decision making involves networks and collaborations, intergovernmental relations,
relations with nongovernmental actors, and horizontal and vertical relationships among
all policy actors. » (Morçöl, 2014, p. 58).

Or, cette situation exige des outils appropriés pour appréhender cette complexité et qui
prennent en considération la dynamique au sein de tout processus décisionnel de plus
en plus complexe et pour lequel « l’idéal type » des cadres d’analyse conventionnelle
de politiques publiques s’avère limité. Des limitations soulevées, depuis le début du
21è siècle par plusieurs auteurs, tels que Morçöl (2002) et Fisher (2003a).

Il y a donc un consensus grandissant quant aux limites des approches classiques de


rendre compte de la réalité complexe des politiques publiques.

Certains considèrent que toute politique publique est désormais : « an emergent, self-
organizational, and dynamic complex system. The relations among the actors of this
complex system are nonlinear and its relations with its elements and with other systems
are coevolutionary. » (Morçöl, 2012, p. 266).

Un constat qui ouvre la voie pour arrimer la théorie de la complexité au champ


d’analyse de politiques publiques. Cairney soutient d’ailleurs que la théorie de la
complexité « represents a profoundly new way to examine politics; a paradigm shift in
the social sciences that will help replace rational choice theory and shift our focus of
explanation from individualistic to holistic accounts. » (2012, p.355).
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