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UE 123  RELATIONS

PROFESSIONNELLES 1

Année 2013-2014

Ce fascicule comprend :
La série 4
Le devoir 6 à envoyer à la correction

LA COMMUNICATION ORALE

En collaboration avec
le Centre National Anne-Sophie CONSTANT
d’Enseignement à Distance Francine DANIN
Institut de Lyon

W1231-F4/4
Relations professionnelles 1 • Série 4

Les auteurs :
Anne-Sophie CONSTANT : Agrégée de lettres, docteur ès lettres, maître de conférences au
Cnam-Intec en sciences de l’information et de la communication.
Francine DANIN : Agrégée de lettres, consultante, enseignante au Cnam-Intec et à l’Institut du
développement social de Rouen.

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ment réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » (art. L. 122-5).

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••• OBJECTIFS •••

Appréhender les spécificités de la communication orale.


Connaître les principaux types de communication orale professionnelle.
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Table des matières

Partie 1. La communication orale 7

I. Une situation de « direct ».......................................................................8


A. Prendre en compte les registres de communication...........................8
B. Tenir compte de l’auditoire..................................................................9
II. Le « verbal »............................................................................................10
A. Sélectionner les informations............................................................10
B. Composer un plan.............................................................................10
C. Répéter son exposé..........................................................................11
D. Savoir l’oublier !.................................................................................11
III. Le paraverbal..........................................................................................12
A. La voix...............................................................................................12
B. La prononciation................................................................................13
C. L’articulation......................................................................................13
D. La prosodie........................................................................................13
E. Le débit..............................................................................................14
F. La respiration.....................................................................................14
IV. Le non-verbal..........................................................................................14
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A. Le regard............................................................................................14
B. La distance........................................................................................15
C. La posture..........................................................................................15
D. La gestuelle.......................................................................................16
E. La respiration.....................................................................................17

Partie 2. La communication orale professionnelle 19

I. Des particularités...................................................................................19
II. L’écoute...................................................................................................21
III. La réunion...............................................................................................22
A. Qu’est-ce qu’une réunion de travail ?...............................................22
B. La conduite de réunion......................................................................23
IV. L’entretien...............................................................................................24
A. Qu’est-ce qu’un entretien ?...............................................................24
B. L’entretien de recrutement.................................................................25
V. La communication téléphonique..........................................................27

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Partie 3. La présentation orale en entreprise 33

I. Présentation – Représentation.............................................................33
II. Le contenu d’une présentation orale...................................................34
III. L’oralisation de l’écrit............................................................................35
IV. La structure de l’exposé........................................................................36
A. L’introduction.....................................................................................36
B. Le développement.............................................................................36
C. La conclusion et la clôture.................................................................37
V. La préparation de la présentation orale...............................................38
A. Les visuels.........................................................................................38
B. Le conducteur de la présentation orale.............................................44
C. Le document écrit d’accompagnement............................................45

Exercices autocorrigés 49
Index 101
Devoir 6 103

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6
1

partie
La communication orale

Communiquer oralement est à la fois bien simple et bien complexe. Nous faisons de la commu-
nication orale tous les jours, tout le temps, mais peut-être, contrairement à l’écrit, ne nous
sommes-nous jamais interrogés sur ce qui se passait dans une situation de communication
orale. En fait nous avons tous (plus ou moins bien) appris à écrire. L’école consacre beaucoup
de temps à cet apprentissage et la plupart des exercices ou des examens sont fondés sur une
maîtrise de la rédaction. L’oral est beaucoup moins valorisé dans notre système scolaire alors
qu’il constitue, et de loin, l’essentiel de nos communications.
Ce deuxième volet de la communication, complémentaire du premier – c’est pourquoi la plupart
des examens de fin d’étude articulent les deux aspects en prévoyant une soutenance – partage
bien évidemment un certain nombre de caractéristiques avec le premier. Les règles de la logique,
de la langue, de l’attention au destinataire ou au référent, etc. sont bien les mêmes mais le canal
de transmission comme les situations de communication sont très différents, réagissent sur les
caractéristiques communes et modifient les paramètres à prendre en compte pour qu’il y ait une
communication orale réussie.
À l’oral, en effet, interviennent différents éléments qui ne sont pas tous de nature intellectuelle.
Les spécialistes ont l’habitude de distinguer trois domaines : le verbal, le paraverbal et le non-
verbal. Le verbal a trait aux mots, au « verbe » ; le paraverbal concerne la production orale du
verbe, la voix et la prosodie, le non-verbal comprend tout ce qui entre dans la communication,
tout ce qui est reçu, indépendamment du « verbe » : les gestes, les postures, l’émotivité, l’image
corporelle.
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C’est dans le paraverbal et le non-verbal que va jouer aussi toute la diversité des codes culturels.
Chaque culture et, dans une même culture chaque groupe social, a une façon différente de se
placer dans l’espace, d’entrer en relation, de mener une conversation, d’interagir avec l’interlo-
cuteur, de le toucher ou pas, d’accepter ou non son regard.
« Cependant, ces aspects-là sont moins évidents que la dimension proprement linguis-
tique. Ils risquent donc de passer inaperçus et d’être la source de malentendus ou d’in-
compréhensions d’autant plus complexes que les interlocuteurs n’en ont pas conscience.  »1

Ainsi a-t-on pu imaginer une « ethnographie de la communication ». John Gumperz, un de ses


fondateurs, a analysé par exemple :
« Les difficultés de communication qui surgissaient dans un restaurant britannique entre
les clients et les serveuses indiennes perçues par ceux-là comme revêches et peu coopé-
ratives. Il montre que l’incompréhension venait d’habitudes intonatives différentes :
lorsqu’elles posaient une question aux clients, elles utilisaient une intonation descendante
(signe de l’interrogation dans leur culture) alors qu’une telle intonation a valeur affirmative
et non interrogative en anglais. D’où le malentendu et l’impression des clients qu’elles ne
respectaient pas les règles de politesse (en affirmant au lieu de questionner). »2

Ainsi, sans reprendre tous les éléments du schéma de Jakobson, nous insisterons ici sur les
spécificités induites par l’oral.

1. Edmond Marc LIPIANSKY, « La communication interculturelle », La communication, Cahiers français


n° 258, La Documentation française, octobre-décembre 1992.
2. Ibid.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

I. Une situation de « direct »


La grande caractéristique de la communication orale, ce qui en fait la spécificité par rapport à
l’écrit, c’est la présence commune de l’émetteur et du récepteur et la possibilité de l’échange.
C’est la situation la plus fréquente, celle de la discussion, de la réunion, de la négociation, de
l’exposé avec questions/réponses. Au téléphone, la présence physique n’est pas la même (on
entend une voix, un ton, un souffle, des signes vivants auxquels on est peut-être d’autant plus
attentif qu’on ne voit pas son interlocuteur) mais elle existe quand même et, surtout, le téléphone
permet un échange direct, comme les réunions par visioconférence qui tendent à se développer
dans les entreprises.
Il y a aussi des situations de communication orale sans échange direct ou plus exactement sans
dialogue. Le récepteur et l’émetteur sont bien en présence, comme dans le cours magistral, le
discours politique ou la pièce de théâtre, mais le récepteur n’a pas une égale possibilité de
parole. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une forme d’échange, mais elle est rudimentaire.
Un bon orateur sent si son public le suit ou non. L’attention ou l’inattention des auditeurs, la
qualité du silence, les applaudissements ou les murmures sont des réponses au discours
entendu. L’orateur peut aussi passer la parole au public pour des questions, mais celles-ci seront
forcément limitées et le statut des intervenants n’est pas équivalent au sien.
Bien sûr, il y a de l’oralité sans présence immédiate et sans échange quand on enregistre un
discours, qu’on parle à la radio ou à la télévision, mais ce sont des situations particulières qui ne
vous concernent pas directement. Plus fréquemment, vous vous trouverez confrontés à des
situations de communication directe où vous parlerez à des interlocuteurs présents eux aussi.
Cette présence a des conséquences directes sur les composantes de la communication. À
l’oral, on ne s’adresse pas à des intelligences désincarnées ou à des êtres purement rationnels
mais à des êtres vivants, corporellement présents dans un temps donné et limité. On peut ima-
giner que votre lecteur essaiera de lire votre texte à un moment où il sera en forme pour le faire,
qu’il y reviendra sinon. Votre auditeur, lui, est obligé de vous écouter au moment et au jour fixés,
qu’il soit en forme ou non, réceptif ou non.
Les interactions, déjà importantes à l’écrit à travers le choix des mots, la construction des
phrases, la composition du plan, ce qu’on appelle le style, toujours révélateur d’une personnalité
(même s’il est sérieusement gommé par le choix d’un style neutre, professionnel) deviennent

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extrêmement importantes à l’oral. La communication orale fait appel à tout le corps et ne
concerne pas que la parole. Tout fait signe à un auditoire même s’il n’en a pas intellectuellement
conscience et s’il ne sait pas l’analyser. Selon une enquête internationale, menée par le cabinet
Robert Half que cite l’hebdomadaire L’Express du 1er février 20073, 20 % des recruteurs déclarent
qu’il leur suffit de cinq à dix minutes pour se forger une opinion. « Le premier contact compte
pour beaucoup, le premier geste, la façon de sourire et de tendre la main comme de suivre le
recruteur jusqu’à son bureau ou de s’asseoir », indique Jean-François Roquet, président de
Syntec Recrutement, le syndicat professionnel.

A. Prendre en compte les registres de communication


À chacune des situations de communication vont correspondre des attitudes, des tons, des
façons de parler et des façons de préparer ce qu’on veut dire, différents. Ici, comme pour l’écrit,
il y a à prendre conscience du « genre » de la communication, de ses objectifs, du destinataire,
avant de déterminer un contenu et un style.
Nous retrouvons à l’oral les mêmes domaines que ceux que nous avions définis à l’écrit. Dans le
registre professionnel et universitaire, il ne s’agira pas de raconter des histoires ni d’envoûter
votre auditoire par la magie de votre voix et de votre verbe. Le directeur du personnel qui vous
reçoit pour un entretien d’embauche, votre jury le jour de la soutenance, votre client dans un
cabinet d’expertise comptable ne vous demandent pas de les captiver par votre faculté à leur

3. Cédric MORIN, « Entretien d’embauche. Les dix premières minutes. », L’Express, 1er février 2007.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

faire revivre des événements bouleversants. En revanche, ils demandent de pouvoir comprendre
clairement ce que vous souhaitez leur exposer, au besoin d’être convaincus et peut-être même
séduits, mais de façon discrète, pour adopter votre point de vue.
Si vous voulez expliquer une nouvelle procédure, démontrer une formule mathématique, expo-
ser les différents aspects de votre sujet de rapport de stage, vous n’aurez pas besoin de jouer
sur le suspense ou de chercher à tenir en haleine votre auditoire. Il ne faut pas l’ennuyer non
plus, il risquerait de «  décrocher  » et de ne plus suivre  ! Il faut lui donner les moyens de comprendre­
intellectuellement un raisonnement. Les qualités de clarté et de précision des termes comme de
la composition sont indispensables pour qu’il puisse suivre.

B. Tenir compte de l’auditoire


On ne peut pas bien parler, c’est-à-dire parler en étant compris, si on ne s’intéresse pas à son
interlocuteur, à ses objectifs, sa connaissance du sujet, son niveau de langue, son intérêt, etc.
Tout ce que nous vous avons dit sur la prise en compte du destinataire dans la communication
écrite reste bien évidemment essentiel. Quand votre exposé est prévu, que vous n’êtes pas
obligé d’improviser, vous devez comme pour l’écrit « anticiper » les réactions de l’auditoire et
veiller à répondre par avance à ses interrogations. Mais le jour de l’exposé ou de l’entretien (ou
si vous êtes obligé d’improviser), il vous faudra de plus être attentif à ses réactions réelles, de
façon à réagir efficacement, à ajuster votre argumentaire, à savoir vous adapter à la lassitude ou
aux sautes d’attention de votre public. C’est en cela que résident à la fois l’intérêt et la difficulté
spécifiques de l’oral.
Il faudra être capable aussi de l’écouter comme d’écouter les membres du jury ou votre client
pour répondre ensuite aux questions de façon adaptée. Cette capacité d’écouter l’autre ou de
sentir ses réactions s’il ne parle pas, fait partie intégrante des qualités requises pour la commu-
nication orale.
Écouter, c’est se rendre disponible physiquement, intellectuellement et affectivement pour per-
cevoir par tous ses sens les informations dites et non dites par l’interlocuteur, dans un esprit
de neutralité bienveillante, perceptible dans sa propre attitude. Aider l’autre à parler et l’accom-
pagner dans sa parole constitue le travail de l’écoute.
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L’écoute ne consiste donc pas seulement à « écouter » au sens physiologique. C’est une atti-
tude active qui s’appuie sur quelques outils dont les plus fréquents sont la reformulation comme
écho, reflet, synthèse de ce qui a été dit et la question (non l’interrogatoire). On peut y ajouter
le silence pour établir une respiration dans un entretien tendu ou pour donner le temps de la
réflexion, le geste régulateur (acquiescement, accompagnement des propos de l’autre). Bien
parler, c’est aussi savoir bien écouter.
C’est, de plus, tenir compte de la difficulté particulière de l’exercice pour vos auditeurs. Les
bruits de toute nature (les vrais bruits qui peuvent masquer votre voix un moment, mais aussi ce
qu’on appelle bruit dans les théories de la communication et qui renvoie à tout ce qui affecte la
transmission du message, la distraction du récepteur, un moment d’inattention, des instants de
fatigue, etc.) perturbent le message. Les langues pallient cet inconvénient par les redondances,
c’est-à-dire par le fait de répéter un certain nombre d’informations sous des formes diverses. On
évalue à 50 % le taux moyen de redondance des langues. (Ainsi écrire « les langues pallient » est
une forme de redondance syntaxique puisque nous pouvons noter trois marques différentes du
pluriel). À l’oral, le taux de redondance est beaucoup plus important qu’à l’écrit et suppose qu’on
réexprime les idées importantes, qu’on synthétise régulièrement des éléments d’information,
qu’on reformule mais aussi qu’on souligne ce qu’on dit par le ton ou le geste.
Un autre moyen de savoir si le message a été compris est le « feed-back » ou vérification par un
effet retour de la compréhension du message transmis. L’orateur peut poser des questions, il
peut aussi se satisfaire de l’attitude des auditeurs qui signalent par leur sourire ou un hochement
de tête que tout va bien ou au contraire, en s’agitant sur leur chaise par exemple ou en se pen-
chant sur l’épaule de leur voisin pour regarder ses notes, qu’ils ne peuvent plus suivre. Encore
faut-il que là aussi l’orateur soit attentif à son auditoire et prêt à capter ses signaux de détresse !

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Relations professionnelles 1 • Série 4

II. Le « verbal »
La plupart des situations de communication, en dehors des discussions informelles ou des
échanges spontanés (plus ou moins brefs) supposent qu’on ait préparé ce qu’on avait à dire. Un
exposé de soutenance se prépare. Les réunions gagneraient en clarté et en efficacité si chacun
connaissait l’ordre du jour et avait préparé ses dossiers.
Cette préparation est indispensable si vous avez à mener un entretien, à animer une réunion, à
proposer un exposé, etc. Ne croyez pas que bien parler soit l’équivalent d’être capable d’impro-
viser sur n’importe quel sujet. Les qualités d’improvisation sont importantes en ce qu’elles mani-
festent de présence d’esprit, de facilité linguistique et d’empathie, mais ne définissent pas à
elles seules le bon orateur.

A. Sélectionner les informations


Préparez donc sérieusement ce que vous avez à dire.
Comme à l’écrit, il faut être très précis sur :
• son sujet ;
• son objectif ;
• les attentes de son auditoire.
C’est ce qui vous permettra de rassembler l’information, de sélectionner les éléments importants
en fonction de vos objectifs et de la personnalité de l’auditoire. Si dans un entretien d’embauche,
vous voulez permettre à votre interlocuteur de savoir qui vous êtes, il vous faudra être capable
de sélectionner les informations pertinentes étant donné l’objectif de la rencontre, le poste que
vous seriez susceptible de remplir, les caractéristiques de l’entreprise, etc. Il faut que vous repé-
riez et mettiez en lumière dans votre présentation ce que vous souhaitez que « lui » retienne…,
pas ce qui vous intéresse « vous » d’abord !

B. Composer un plan
Comme à l’écrit encore, il vous faut composer un plan pour organiser ce que vous avez à dire en
fonction de la conclusion à laquelle vous voulez parvenir : un plan qui, dans une situation profes-

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sionnelle ou universitaire, privilégiera la clarté, la cohérence, l’articulation du raisonnement.
Votre exposé devra être plus rigoureusement composé encore qu’à l’écrit puisque vos auditeurs
ne peuvent pas revenir en arrière, s’ils ont mal compris. Il vous faudra insister sur les articulations
logiques, indiquer très précisément les objectifs, vous faire aider et aider vos auditeurs en proje-
tant des schémas, le plan de votre intervention, les noms et les chiffres à retenir, etc. Vous veille-
rez à guider votre public par des phrases d’annonce précises, par des transitions claires, en
mettant l’accent sur les articulations, en répétant au besoin les titres.
Vous essaierez de trouver une structure de plan plus conforme aux exigences de l’oral, en indi-
quant d’abord très clairement où vous voulez en venir, les enjeux du sujet, le contexte dans
lequel vous vous situez. La capacité de concentration du public est vite atteinte. Il faut éviter de
le perdre dans des détails. Si vous vous lancez dans des précisions, des explications, un
exemple, utiles, il faudra revenir à l’idée générale en montrant clairement comment cette expli-
cation, ce détail, cet exemple que vous venez d’évoquer s’y rattachent. Il faut donc avoir sélec-
tionné une idée directrice précise, trouvé un axe, montré une logique.
Un bon plan d’exposé est souvent le plan démonstratif synthétique qui explique et justifie les
résultats plutôt que de retracer les diverses étapes de la méthode ou de la recherche. Il est ainsi
plus intéressant pour votre client de savoir dès le début de l’exposé quel est le statut que vous
préconisez, de connaître ensuite les raisons qui vous l’ont fait proposer avant que vous lui mon-
triez les limites des autres statuts que vous avez éliminés, plutôt que de commencer par entendre
un exposé complet sur les différents statuts sans savoir où vous voulez en venir. Le plan de l’ex-
posé s’apparente ainsi au plan journalistique qui dit l’essentiel dès le départ, annonce d’abord

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UE 123 • Relations professionnelles 1

l’événement avant de remonter ensuite aux causes qui l’expliquent. Mais là aussi tout est affaire
d’adéquation entre le sujet, la matière disponible, l’orateur et son public.
Vous préparez ainsi votre intervention en rédigeant un plan détaillé avec les indications claires de
ce que vous voulez dire et non pas un texte entièrement rédigé. Vous ferez une exception pour
l’introduction et la conclusion qui devront être rédigées pour vous permettre de bien commencer
au moment où vous êtes le plus ému, de prendre ainsi de l’assurance et de bien finir en sachant
où et comment poser votre voix.

C. Répéter son exposé


Vous devez aussi préparer votre exposé en le répétant ! D’abord pour être sûr de tenir dans le
temps imparti. Rien de plus ennuyeux que ces orateurs qui débordent et ne savent pas s’arrê-
ter ! Ils finissent par dire à toute allure l’essentiel après s’être perdus et avoir perdu leur public en
remontant au déluge. Rien de plus inefficace que ceux qui parlent trop peu de temps et restent
secs alors qu’on attendait plus d’informations. Ils finissent par les fournir dans le désordre, faute
d’avoir bien prévu leur temps d’intervention.
Ensuite pour vous sécuriser et bien savoir ce que vous avez à dire. Il ne s’agit pas d’ap-
prendre par cœur. Vous n’êtes pas un acteur et vous ne saurez pas dire votre texte avec la
conviction qu’il faut si vous récitez. Par ailleurs si vous êtes interrompu pour une raison ou une
autre, vous ne saurez pas reprendre facilement et risquez de rester bouche bée ! Enfin si vous
avez trop rédigé votre texte, fait des phrases un peu trop jolies, vous aurez tendance à oublier
votre auditoire, vous ne vous adresserez plus à lui, mais vous vous efforcerez de vous remémo-
rer des formules. D’où ce regard vide, flottant qu’ont certains orateurs qui ont l’air de s’adresser
au plafond !

D. Savoir l’oublier !
La base de la communication orale, c’est l’échange, la rencontre entre des personnes vivantes
qui réagissent les unes en fonction des autres. Bien préparer son exposé, c’est donc tout à la
fois savoir très exactement ce que l’on veut dire et où on veut en venir, mais c’est aussi savoir
s’adapter à son auditoire. Il faut donc faire confiance aussi à votre imagination. C’est elle qui
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vous rendra capable d’improviser et de rendre vivant votre message.


L’imagination est la capacité à dépasser le domaine des choses trop connues pour inventer. Elle
a un lien direct avec la sensibilité. C’est votre attention à ce que transmet, même inconsciem-
ment, votre auditoire, votre perception de qui il est, de sa façon de réagir, qui vous fera vous
adapter à ses attentes. Vous quitterez alors vos notes pour avancer avec lui. Tous les acteurs
savent que ce texte (toujours le même pourtant dans leur cas) qu’ils jouent tous les soirs, se joue
différemment selon les publics, sonne, résonne différemment selon l’auditoire. Lors d’un exposé,
il est nécessaire d’oser l’improvisation, de faire confiance à sa propre capacité d’invention, afin
d’inventer son texte au fur et à mesure.
Le regard planté dans le public, l’orateur, qui a devant lui quelques notes succinctes, crée la vie,
et le mouvement, et la musicalité, et les ruptures de ton, parce qu’il se fait confiance et fait éga-
lement confiance à cette relation qu’il sollicite en permanence dans le public. C’est cette relation
recherchée, acceptée, assumée, qui va permettre la créativité, l’inventivité du discours, des
images, des métaphores, ainsi que la liberté d’expression des émotions.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

III. Le paraverbal4
Dans la communication orale, le canal de transmission, pour reprendre un des éléments du
schéma de la communication de Jakobson, c’est la personne elle-même. L’orateur est corporel-
lement présent et cette présence physique, de même que la qualité du lieu dans lequel il parle et
le moment de l’intervention, sont indissociables de ce qu’il dit. L’auditoire perçoit, avec les mots,
les gestes, le ton, l’attitude, l’humeur, etc. de l’orateur et tout cela va interférer dans sa compré-
hension de ce qui est dit. Le destinataire perçoit un message global dans lequel il est difficile
pour lui de faire la part entre les mots et ce qui les accompagne.
Certains psychologues évaluent à 17 % la part du verbal dans la communication orale, 33 %
celle du paraverbal (ton, intonations, volume de la voix) et 50 % le non-verbal (regard, attitude,
gestes, etc.). D’autres accordent 20 % au verbal, cette différence s’expliquant par les diffé-
rences de situation de communication. On n’écoute pas avec la même attention un cours (on
sera bien évidemment plus attentif à ce qui est réellement dit) qu’une opinion donnée dans une
discussion informelle ! Quels que soient les chiffres il est important de remarquer l’énorme part
de ce qui est non-verbal dans la communication orale. Cela explique en partie l’influence, incom-
préhensible quand on lit à tête froide leur discours, de certains orateurs sur les foules.
À l’oral, la manière « d’émettre » phonétiquement une phrase revêt une grande importance : lors
d’un exposé, par exemple, l’articulation, le débit, la hauteur de la voix ont leur importance, ils vont
servir le discours ou le desservir si l’orateur « mange » ses mots, s’exprime d’une manière mono-
tone, ne sait pas faire retomber sa voix en fin de phrase, laissant ses auditeurs en suspens, etc.
Il faut donc veiller à améliorer les aspects suivants.

A. La voix
La voix est un révélateur de votre personnalité et de votre humeur. On vous reconnaît à votre voix
et on peut même savoir en vous entendant quand on vous connaît bien, si vous êtes en forme,
joyeux et paisible ou au contraire triste et angoissé, etc. La voix est bien évidemment un des
éléments clefs de la communication. Le trac va jouer en amplifiant ses caractéristiques. Une voix
légère, un peu haute deviendra aiguë, une voix grave s’assourdira encore. Apprenez donc à
« écouter » votre voix de l’extérieur comme les autres l’entendent. Vous serez surpris et peut-

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être même déçus ! Peu de gens en effet aiment leur voix quand ils l’entendent enregistrée, mais
il est important de savoir l’écouter pour mieux savoir ensuite comment atténuer les effets de
l’émotion et mieux la placer.
La voix est le produit de la vibration de l’air à travers les deux cordes vocales qui se trouvent
dans le larynx. Le son ainsi produit par cette vibration est ensuite dirigé sur des résonateurs qui
vont l’amplifier. Ces résonateurs sont les suivants : poitrine, larynx, pharynx, nez, os du visage,
crâne. Pour que la voix résonne au mieux, il faut qu’elle soit « dans le masque » c’est-à-dire
qu’elle résonne au niveau des os du visage. Une fois dans le masque, enrichie par les vibrations
des autres résonateurs, on pourra la placer dans la salle et moduler son intensité. Elle est dite
dans le « médium » quand elle est placée sur une note de confort qui varie d’une personne à
l’autre et qui correspond pour chacun à une note « moyenne », de plus grande aisance. Il faut
trouver votre médium pour être à l’aise et pouvoir parler assez longtemps sans « casser » ou
« forcer » votre voix, mais une fois que vous l’aurez trouvé vous pourrez alors jouer de tous vos
registres et animer votre exposé.
On appelle timbre de la voix, la couleur personnelle à chaque voix : chaude, métallique, étouffée,
voilée, etc.
L’étendue de la voix est appelée tessiture : on retrouve toute la tessiture de la voix, c’est-à-dire
l’ensemble des notes et des octaves entre la poitrine (notes les plus basses) et le sommet du
crâne (notes les plus hautes).

4. D’après Jean-Luc SOLAL, « Prise de parole en public : les paramètres de l’expression », communica-
tion du 24/05/2007.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

L’intensité de la voix (ou son volume) est modulable en fonction de la distance qui nous sépare
du dernier rang de spectateurs, de l’acoustique de la salle, de l’intensité des émotions. Le trac,
en vous serrant la gorge, diminue l’intensité de la voix et vous risquez d’être peu audible. Pensez
à vous adresser au dernier rang et parler un peu plus fort pour que votre discours passe.
Le ton est une composante essentielle du message. La même phrase, selon le ton avec laquelle
vous la prononcez, peut être perçue de façon très différente par votre interlocuteur. « Passez-moi
le dossier, s’il vous plaît » peut sonner, selon le ton employé, comme une demande courtoise, un
ordre cassant, un reproche agacé ! Cette idée du ton est si importante qu’on explique bon
nombre d’incompréhensions dans la communication par mail par son absence. Expliquons-
nous : le mail, par sa rapidité, donne parfois l’impression d’une communication orale. La formu-
lation est rapide, peut être relâchée et on ne se rend pas compte que ce qu’on a écrit, avec
humour pensait-on, sans le ton qui l’aurait accompagné à l’oral, peut être perçu comme une
agression ou une familiarité déplacée.

B. La prononciation
La prononciation est l’art de proférer les voyelles. Chaque voyelle possède une sonorité particu-
lière que l’on appelle timbre : le timbre de A = son de A ; le timbre de E = son de E ; etc. On
distingue des voyelles ouvertes (le a de « chatte » par exemple) et fermées (le a de « pas » par
exemple). Plus le point d’articulation de la voyelle (opéré par le contact de la langue avec le
palais inférieur ou supérieur) est loin des dents, plus la voyelle est ouverte.
La pureté et l’élégance sont les qualités d’une bonne prononciation et sont aussi l’indication
d’un niveau de langue. Il y a des prononciations relâchées ou familières et des prononciations
correctes, d’autres pédantes ou snobs… Les accents régionaux ou étrangers interfèrent aussi
avec la prononciation et certains accents un peu trop prononcés rendent quelquefois la compré-
hension difficile. Il ne s’agit pas de bannir tout accent, (l’accent peut donner de la vie, de la
chaleur, de la personnalité à ce que vous dites) mais de l’atténuer s’il vous rendait peu clair. Pour
ce faire, prenez conscience de ce que vous déformez ainsi par rapport à une prononciation plus
classique, entraînez-vous à parler plus lentement, en articulant plus nettement.

C. L’articulation
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L’articulation est l’art de proférer les consonnes. On articule avec les lèvres mais d’abord avec
le ventre (par un mouvement rentrant de la paroi abdominale qui chasse en quelque sorte l’air
vers le haut de la trachée). Pour articuler, il faut ouvrir la bouche, faire l’effort de bouger les lèvres
pour projeter l’air comme il convient. L’articulation donne du relief à la parole et permet de mieux
comprendre la structure du mot. Si vous n’articulez pas correctement, vous pouvez donner l’im-
pression d’une bouillie de mots et décourager votre auditoire d’y chercher un sens. Les qualités
d’une bonne prononciation sont la netteté, la vigueur, la légèreté, et la virtuosité.

D. La prosodie
On appelle prosodie l’ensemble des règles musicales qui régissent la parole : règles d’accen-
tuation, de rythme et d’intonation. Cet ensemble de règles qui définissent la mélodie de la phrase
est très important. Voyez comment un enfant, quand il apprend à lire et découpe mal les diffé-
rents éléments de la phrase, ne les modulant pas comme il faut, peut rendre un texte incompré-
hensible. C’est une des difficultés importantes aussi quand on apprend une langue étrangère.
Toute phrase possède des accents. On distingue accents toniques et accents rythmiques.
Les accents toniques créent de la variété et des ruptures d’intensité dans la phrase. Ce sont des
accents qui font ressortir artificiellement telle ou telle syllabe, mettant ainsi en valeur tel ou tel mot.
Les accents rythmiques scandent le rythme du discours : lent ou rapide en fonction de la véhé-
mence plus ou moins grande des émotions. Par le retour régulier d’un accent, ils dessinent des
mouvements dans le discours qui correspondent généralement à l’expression d’un sentiment ou
d’une émotion.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

On appelle intonation la note musicale qui accompagne un groupe de mots, une proposition ou
une phrase. En français, l’intonation est toujours placée à la fin d’un groupe de mots, d’une pro-
position ou d’une phrase. On appelle inflexion le changement d’intonation dans une même
phrase. Il est important de soutenir les attaques et les finales de chaque phrase.
La phrase comporte 3 temps : la protase (la montée), l’acmé (le sommet) et l’apodose (la des-
cente). L’acmé est le sommet de la phrase, on la marque par une intonation montante. L’apodose
se termine par une intonation descendante.
Le son exprime le sens. Bien prononcer et articuler le son, c’est contribuer à la clarté et à la force
du discours. Il est important de « tomber » la finale de chaque phrase (note finale basse), car on
touche et on exprime l’émotion par la chute musicale de la finale. Des intonations perpétuelle-
ment montantes créent un effet de lassitude et d’inachèvement. Elles donnent à voir le stress de
l’orateur qui semble toujours courir après ses phrases sans en clore le sens.

E. Le débit
C’est le nombre de mots à la minute. Si un débit lent agace l’interlocuteur, un débit trop rapide
le fatigue, le décourage. On remarque que le stress induit généralement un débit rapide. Il
convient donc de respirer en fonction de la prosodie, de marquer les fins de phrases. N’essayez
pas d’avoir un rythme monocorde et neutre. Essayez au contraire de le varier pour souligner
votre propos, mettre en relief une phrase essentielle ou réveiller votre auditoire. Et surtout n’ayez
pas peur des silences !
Les silences sont la ponctuation du discours oral. Dans toute phrase il y a des pauses et micro-
pauses (effectuées en apnée dans une même expiration) à respecter pour élargir la diction et
provoquer l’attention des auditeurs. Dans les silences vibrent la pensée et les émotions. C’est
cette vibration qui porte le sens et procure un confort d’écoute. Il existe deux types de silence :
les temps froids (vides) et les temps chauds (pleins). Il ne faut pas confondre les silences qui
s’imposent quand, d’un coup, on ne sait plus quoi dire, et ceux que l’orateur, qui maîtrise son
exposé et sent bien son public, se ménage pour mettre en relief ce qu’il dit. L’un et l’autre types
de silence ne résonnent pas de la même façon et ne créent pas le même effet dans l’auditoire :
de la gêne s’il se prolonge dans le premier cas, une attention plus intense dans le second.
Le sens, le son, la respiration et l’émotion se prolongent dans le silence et le regard et créent
ainsi une émotion commune.

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F. La respiration
Pour tout ce qui concerne la voix et la prononciation du discours, c’est bien évidemment la res-
piration qui est essentielle. C’est le moteur de la phonation (émission des sons). Elle participe
à la prononciation mais aussi à l’articulation. Souvent nous ne savons pas respirer comme il
convient et le trac, en nous serrant la gorge, va aggraver ce défaut. Or nous avons besoin de
souffle pour parler, pour émettre en particulier les consonnes dont l’émission demande plus de
souffle que les voyelles, pour soutenir la mélodie de la phrase, pour aller jusqu’au bout en restant
audible. Il convient donc de s’entraîner à respirer et de penser à le faire ! Certains candidats ont
l’air de vouloir battre le record du monde de l’apnée pendant leur exposé de soutenance. Non
seulement alors, ils ont une voix peu claire et découpent mal leur phrase, mais leur état de
malaise se reporte sur leur jury qui se met, lui aussi, à mal respirer.

IV. Le non-verbal
Dans la communication orale, le non-verbal concerne le corps, la sensibilité et l’affectivité de
l’orateur.

A. Le regard
Le regard est primordial. C’est, dans notre culture, un appui fondamental et incontournable.
Dans d’autres cultures, regarder en face son interlocuteur, surtout si on est plus jeune que lui ou

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UE 123 • Relations professionnelles 1

d’un niveau hiérarchique inférieur, est considéré comme une indélicatesse. Mais en France et
dans les pays occidentaux en général, c’est par le regard qu’on établit le contact. Il faut donc
commencer par regarder votre interlocuteur ou votre public. Un vrai regard qui distingue ceux
qu’il voit, qui les rend présents, qui vous permet de leur faire comprendre que vous vous adres-
sez bien à eux. Or très souvent on voit des regards qui partent en l’air, qui sombrent vers le sol,
voire cherchent à s’échapper vers les fenêtres latérales (lorsqu’il y en a…).
La tentation commune est en effet de fuir pour éviter d’affronter l’impressionnante convergence
de regards dont l’orateur est l’objet et qu’inconsciemment il redoute. La solution est au contraire
d’accepter le contact, de « rentrer » dans le « dur » des regards du public. Comme dans l’aï-
kido, on se sert de l’énergie de l’adversaire pour la retourner à son avantage : on accepte donc
le regard du public et on en fait une force, un atout, et un appui.
Le regard doit embrasser l’ensemble de l’auditoire. Il ne doit pas se fixer de façon trop prolongée
sur une personne au détriment des autres. Celle-ci pourrait finir par se sentir gênée alors que les
autres, se sentant exclus, pourraient se désintéresser de ce que vous dites. Le regard doit rester
libre et passer d’un auditeur à l’autre sans ordre préconçu.
Un regard direct et franc redresse tout le haut du corps : buste, épaules, cou, tête. Si on baisse
le regard, le cou a tendance à partir en avant, les épaules se voûtent, le buste fléchit légèrement
et on perd la tonicité et la tenue du corps.

B. La distance
Sachez aussi vous placer à la bonne distance par rapport à votre interlocuteur. Celle-ci tient
évidemment compte à la fois du genre de la communication orale (un discours n’est pas une
intervention, même préparée, dans une réunion), du nombre d’auditeurs, de la taille et de la
configuration de la salle et aussi de normes culturelles ! Ce sont les travaux de E.T. Hall en par-
ticulier qui ont attiré l’attention sur ce qu’il a appelé la proxémique dans son ouvrage La dimen-
sion cachée, publié en 1969. Il distingue 4 types de distance : la distance intime, la distance
personnelle, la distance sociale et la distance publique.
La distance intime est celle de la plus grande proximité corporelle : on peut sentir et toucher
son interlocuteur, on le voit de très près. C’est la distance de la tendresse ou de l’agression ! La
distance personnelle, en éloignant un peu les interlocuteurs, rend la communication plus aisée,
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ils se voient bien, n’ont pas besoin de parler ni trop fort ni trop bas, peuvent se toucher ou se
passer des documents en étendant la main mais ne sont pas en contact. La distance sociale
est celle de la relation professionnelle. Elle correspond à l’espace d’une table ou d’un bureau. La
distance publique est celle de l’orateur. On s’éloigne pour parler à un plus grand nombre, on
parle plus fort, on y voit bien mais de manière globale, etc.
Sans connaître exactement la mesure de ces distances qui varient selon les pays, nous savons
pourtant tous, dans une culture donnée, les respecter. Nous connaissons aussi tous des gens qui
parlent de trop près, entrent dans notre espace intime, nous obligent à reculer. Celui qui parle doit
tenir compte de cette dimension de même que de sa position par rapport à ses interlocuteurs
parce qu’elle conditionne aussi sa façon de parler et la façon dont son message va être reçu.

C. La posture
Votre corps aussi parle « pour » vous ou « contre » vous. Il dit quelque chose de vos émotions et
de votre attitude profonde par rapport à ce que vous êtes en train de faire. Il dit quelque chose
qui inconsciemment se répercute sur votre auditoire et va l’influencer. Quelqu’un qui se recro-
queville, baisse les épaules, regarde par en dessous, s’éponge nerveusement le front sans pou-
voir réprimer le tremblement de sa jambe gauche, met tout le monde mal à l’aise.
La posture idéale du bon orateur a cinq qualités essentielles :
• La verticalité : le dos est droit, le menton horizontal, le plafond de la tête parallèle au plafond
du ciel ou de la salle.
• La stabilité : il faut être bien stable sur ses pieds, les genoux souples, être attentif à ne pas se
laisser dominer par une nervosité et une tension excessives (ce que l’on retrouve souvent dans
les mains : éviter le stylo que l’on tourne dans tous les sens ou les mains qui battent la mesure

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Relations professionnelles 1 • Série 4

contre les cuisses ; ou encore des mouvements désordonnés de la tête ou des bras, des jambes
agitées de soubresauts, ou qui avancent d’avant en arrière ou de droite à gauche de façon
métronomique, ou des balancements d’un pied sur l’autre). L’écartement des pieds doit corres-
pondre grosso modo à celui des hanches. La posture est alors stable : on est fermement ancré
dans le sol, ce qui confère fermeté et solidité tout à la fois à l’orateur et à son intervention.
• La tonicité : lorsqu’on est assis, on ne s’affale pas sur son siège ; c’est mauvais pour la respi-
ration car cela déforme la colonne d’air et empêche une correcte émission des sons ; c’est
aussi le signe d’un affaiblissement de la personne, d’une mollesse, et c’est mauvais pour le
dynamisme général de l’intervention.
• L’aisance : pas de rigidité, on doit respirer aisément. Entre la mollesse et la rigidité il y a un
juste milieu : fermeté et souplesse.
• L’ouverture : le corps est ouvert vers le public, on évitera les mains croisées (qui parfois
viennent se placer devant le pubis dans un geste inconscient et ô combien révélateur de pro-
tection…) ou les bras croisés, ou encore un bras ballant avec une main qui vient se ficher sur
le coude. La position idéale (ou neutre) est la suivante :
–– pieds légèrement ouverts vers le public ;
–– bras souples le long du corps ;
–– paumes légèrement tournées vers le public.
À partir de cette position neutre et ouverte, on pourra « gestuer » son discours et évoluer dans
l’espace sans paraître nerveux ni agité.

D. La gestuelle
Il ne faut pas confondre les mouvements inconscients qui disent pourtant quelque chose à votre
interlocuteur avec les gestes conscients qui lui disent ce que vous avez décidé de lui dire. Le
geste, quand il est conscient et volontaire, va aider à la compréhension de la parole. Le mouve-
ment inconscient, la mimique involontaire, le tic, parasitent au contraire ce que vous dites.
L’idée ici, comme toujours en expression, n’est pas d’imposer à tous une gestuelle commune
mais d’apprendre à chacun à utiliser au mieux sa façon d’être. Certains parlent avec les mains
et soulignent leur propos de gestes. Il suffit pour eux d’en avoir conscience et de savoir qu’au
début de leur exposé, ils risquent d’avoir des gestes trop nerveux et qu’il vaut mieux qu’ils
commencent­en posant leurs mains sur la table. Ce n’est qu’ensuite, quand ils seront plus à

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l’aise, qu’ils pourront souligner leur propos de la main. D’autres sont plus mesurés dans leur
gestuelle. Il faudra seulement qu’ils veillent à ne pas être complètement pétrifiés.
Les bras ne sont pas des appuis mais des instruments au service de l’expression : on ne s’ap-
puie donc pas sur les coudes quand on est assis. Les gestes sont souples (pas de rigidité),
variés (attention à la répétitivité : tout ce qui est répétitif est lassant), posés, amples (épaules
basses mais thorax ouvert), maîtrisés (attention à la nervosité ou à une trop grande impulsivité),
« respirés ».
Avec le corps et sa gestuelle intervient le mouvement. Le mouvement physique doit être libre
(avant, arrière, droite, gauche), maîtrisé et « respiré » comme les gestes. Les déplacements doi-
vent accompagner le discours et non le parasiter. Un mouvement est dit fondé quand il n’est pas
l’expression d’une nervosité, d’une gêne ou d’un mal-être mais qu’il est motivé par le contenu
de l’intervention, l’illustration d’une image ou d’une métaphore, l’utilisation d’un accessoire
(tableau, rétroprojecteur, etc.).
Réussir à maîtriser tous ces éléments, à être efficace tout en restant spontané est une gageure !
Pour améliorer votre communication orale il faudra donc vous entraîner. Plus on parle, mieux on
se connaît, mieux on se maîtrise, moins l’exercice fait peur. Plusieurs éléments vont jouer dans
cette connaissance de soi et dans cette maîtrise. Il faut être à la fois détendu et concentré. La
concentration est un état du corps plus qu’un acte volontaire. Elle associe disponibilité et spon-
tanéité. Elle suppose que l’on soit pleinement dans le présent, ici et maintenant, ouvert et dispo-
nible à tout ce qui se passe, en soi et hors de soi. Donc aussi détendu. Là aussi la respiration
joue un rôle primordial. Elle fait disparaître les tensions par la maîtrise et la régulation du souffle.
Il est donc conseillé de faire avant toute intervention quelques mouvements et de se relaxer.

16
UE 123 • Relations professionnelles 1

E. La respiration
C’est aussi le régulateur de la gestuelle, du mouvement (en plus de la phonation). Il est impor-
tant de bien respirer quand on bouge ou parle.
On distingue deux respirations fondamentales : l’abdominale (ou ventrale, la plus naturelle, celle
du bébé, que nous perdons ensuite à cause de l’éducation, du stress, des diverses contraintes
qui pèsent sur l’individu) et l’intercostale (ou diaphragmatique), ainsi appelée car elle écarte les
côtes en fin d’inspiration. En réalité la respiration fait participer tout le corps : on peut la sentir
dans le bas du dos, au niveau des omoplates, et même dans la plante des pieds : si on prolonge
un peu la fin de l’expiration, on sent comme une poussée qui s’exerce dans les jambes jusqu’au
pied, donnant ainsi la sensation que l’air est expiré jusqu’aux pieds à travers le sol ; de même,
ensuite, à l’inspiration on a la sensation d’inspirer l’air par les pieds.
C’est la respiration qui permettra par une découpe aérée des mots, des segments des phrases,
l’intelligibilité et la netteté du discours ainsi que la force de son impact.
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2

partie
La communication orale
professionnelle

Le monde professionnel est celui de l’efficacité, ce qui ne signifie pas que l’on puisse ignorer,
oralement comme par écrit, les règles élémentaires de la langue française.
Bien plus, s’exprimer efficacement en entreprise, c’est avoir un discours clair, précis pour éviter
les ambiguïtés, les incompréhensions, sources d’erreurs et donc… de manque à gagner !
Un langage simple est la règle d’or. La phrase comporte un sujet et un verbe. Le vocabulaire est
juste, précis, voire technique mais compréhensible par celui à qui on s’adresse. Qu’il s’agisse
d’un entretien informel « entre deux portes » ou d’une présentation orale, l’interlocuteur doit sai-
sir parfaitement le propos. Il est inutile de dire :
« Dans le cadre de l’optimisation des relations clients, le schéma horaire des unités
ouvertes au public subira une révision, applicable le premier jour ouvré du mois prochain. »

quand on peut dire :


« Les horaires d’ouverture des bureaux à la clientèle changeront le 2 mai prochain ! »

Un langage efficace est aussi un langage précis. Pour reprendre l’exemple précédent, dire :
« Les horaires des bureaux vont changer » est source de malentendus : s’agit-il des horaires de
travail des employés de bureau ou des horaires d’ouverture des bureaux au public ? Quand
vont-ils changer ?
De même, des formulations comme « Ce résultat est surprenant ! » sont ambiguës : doit-on
comprendre que le résultat n’est pas conforme aux prévisions, ou qu’une erreur a dû se produire,
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ou encore que c’est un excellent résultat, inespéré ?


Enfin, on a remarqué l’efficacité du style assertif, qui consiste à dire « les faits » (et non les juge-
ments) et de manière positive (et non négative). Il est préférable de dire « Nos ventes devront
progresser de 5 % pour retrouver le niveau de l’année dernière » plutôt que « Vous avez été
mauvais : vos chiffres ont chuté de 5 % de manière inexplicable ! »

I. Des particularités
Nous allons retrouver, dans la communication orale en milieu professionnel, les mêmes compo-
santes qu’à l’écrit. Le schéma de Jakobson reste pertinent pour étudier ce qui va affecter la
relation, la communication, la transmission orale de l’information.
Le canal et le code de communication sont spécifiques : les informations circulent « verticale-
ment », selon la voie hiérarchique, qu’il s’agisse de reporting oral, d’entretien annuel, de présen-
tation orale de bilans, et « horizontalement » entre collègues en réunion de travail, en négociation
avec les clients et les fournisseurs, voire auprès du distributeur de boissons. De plus, chaque
situation de communication orale (entretien d’embauche, informations et conseils à la clientèle,
conversation téléphonique, conférence de presse, etc.) a ses codes, ses conventions à respec-
ter, qu’il s’agisse du ton, du niveau de langue, de la forme de l’échange ou de l’exposé.
N’oublions pas que les canaux matériels de la communication orale se sont diversifiés : le face
à face demeure, bien sûr, mais l’usage du téléphone s’est considérablement développé depuis
la généralisation des mobiles, la visioconférence est couramment utilisée dans les grandes
entreprises.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Le référent joue pleinement son rôle : le style de management, la culture d’entreprise influent,
comme nous l’avons dit précédemment à propos de la communication.
Les objectifs de la communication sont liés à l’activité de l’organisation (entreprise, laboratoire,
cabinet d’études), du service ou de la personne et visent principalement à informer, à expliquer,
à convaincre, à négocier, à faire agir, à décider. Ce sont des objectifs utilitaires, même si les
échanges humains désintéressés ne sont pas absents.
Les enjeux sont évidemment économiques. Une mauvaise remontée ou une mauvaise circula-
tion de l’information peuvent avoir des conséquences catastrophiques : des erreurs de factura-
tion, des défauts de fabrication, des retards de livraison, autant de dysfonctionnements qui,
répétés, peuvent mettre l’entreprise en danger.
Les situations de communication orale sont multiples, de la présentation orale devant un
auditoire de clients ou de prospects (dans un salon professionnel) au simple entretien improvisé
entre collègues pour résoudre un problème. Aucune n’est anodine : les codes, les objectifs et
les enjeux dont nous venons de parler sont toujours présents. Il convient d’y être attentif et de
ne pas confondre une réunion de travail détendue avec une discussion entre amis !
Parmi les situations de communication orale, nous développerons plus particulièrement ici la
réunion de travail et la conduite de réunion, l’entretien (entretien d’embauche ou de recrute-
ment) et la négociation, en terminant par quelques remarques pratiques sur la conversation
téléphonique. Nous présenterons l’exposé ou « présentation orale » dans le chapitre suivant.
Toutes ces situations ont en commun la nécessaire prise de parole, redoutée par certains, sur-
tout devant un public. C’est pourquoi nous terminerons cette présentation des situations de
communication professionnelle par ce tableau récapitulatif.

La prise de parole dans les différentes situations de communication orale


Définition
Type Objectif(s) Difficulté(s)
Particularités de la situation
La présentation orale : Une personne se trouve face • Se faire comprendre • Dialoguer avec l’auditoire, sans
• exposé devant à un auditoire. Il n’y a pas de • Intéresser échange verbal, par le regard, les
un auditoire : « dialogue » au sens propre. • Convaincre gestes, les adresses à l’auditoire
––de collègues, La priorité porte sur le • Être attentif aux réactions de

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clients, devant contenu, sa présentation, l’auditoire sans perdre ses moyens
la hiérarchie ; mais la relation n’est pas • Être clair, rigoureux et convaincant
• soutenance de indifférente. à la fois
rapport, de thèse ;
• rapport d’activité,
d’enquête.
La participation Le participant intervient Apporter une contribution • S’affirmer sans agresser, dénigrer,
à une réunion volontairement dans le débat au débat : interrompre, ni se conformer
(réunion de service, pour exprimer et affirmer un • idée nouvelle ; • Participer sans monopoliser la
d’information, conseil point de vue personnel. • objection ; parole : écouter, prendre en compte
de direction, etc.) • point de vue original. ce qui a été dit (le noter)
• Prendre le temps de la réflexion
La conduite de réunion Une personne dirige une Parvenir à une synthèse, • Connaître (ou élaborer) et faire
réunion, régule les débats, est une décision, une position accepter l’objectif de la réunion
responsable de l’efficacité commune ou consensuelle ou l’ordre du jour
des échanges. en un temps donné. • Écouter, reformuler les positions
Son autorité peut être des participants
institutionnelle ou légitime • Recadrer les débats (digressions,
(compétence) ou encore aparté)
aléatoire (tirage au sort, choix • Faire circuler la parole
du plus jeune !). Gérer les conflits
• Être attentif au temps, au contenu,
aux relations à la fois

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UE 123 • Relations professionnelles 1

Définition
Type Objectif(s) Difficulté(s)
Particularités de la situation
L’entretien avec L’entretien fait généralement Permettre à l’auditoire : • Rester maître de soi, contrôler
un auditoire : suite à un exposé. • de compléter ses émotions
• un public ; L’auditoire choisit le contenu son information ; • Prendre le temps de la réflexion
• un jury. qui peut être inattendu. • d’asseoir son jugement ; • Installer un dialogue, dans une
L’entretien semble porter • d’explorer des voies relation « adulte »
uniquement sur le contenu délaissées lors • Ne pas s’installer dans
mais la relation de l’exposé initial. l’interrogatoire ou le plaidoyer pro
interpersonnelle n’est pas domo
absente.
L’entretien d’embauche Une personne dialogue avec Avoir une relation directe, • Atteindre l’objectif de l’entretien
(de recrutement), une autre personne. L’une interpersonnelle avec (se méfier des dérives lors d’une
d’évaluation ; des deux dirige l’entretien. quelqu’un dont les relation interpersonnelle)
d’enquête La relation prime souvent propos, le comportement, • Établir une relation de qualité
sur le contenu. les réactions seront une (honnêteté, clarté, empathie)
Les objectifs, les formes et source précieuse sans tomber dans la naïveté
les règles des entretiens sont d’informations. • Avoir conscience de la stratégie
variés, parfois assez codifiés. de l’autre
• S’adapter à l’autre, « se
synchroniser »
L’entretien Une personne souhaite Obtenir ou donner • Arrêter les bavards
téléphonique obtenir une information, une l’information ou la réponse • Obtenir/donner des réponses
réponse sur un sujet précis, à la question dans un précises
ponctuel, circonscrit. temps idéalement court !

II. L’écoute
Le psychologue américain E. H. Porter propose une typologie de six attitudes de base, repé-
rables seules ou en combinaison chez un sujet en interaction :
a. attitude de jugement : « vous avez raison, tort, c’est bien, mal » ;
b. attitude d’enquête : « pourquoi, comment avez-vous choisi, fait, accepté, dépensé… ceci et
cela ? » ;
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c. attitude d’interprétation : « En fait, vous… », « Si je comprends bien, vous… » ;


d. attitude d’aide et de soutien : « Mon pauvre ami ! je vais vous aider, donnez-moi cela… » ;
e. attitude de conseil : « Si j’étais à votre place… », « Vous devriez… » ;
f. attitude d’empathie ou de reflet : « Vous me dites que… », « J’entends que… ».
Parmi les six attitudes de Porter, une seule permet d’assurer une bonne communication : l’écoute
empathique.
L’écoute empathique doit permettre une communication équilibrée : on peut s’exprimer libre-
ment et on entend ce que dit l’autre.

Exemple
Un cadre annonce à un des commerciaux de son équipe que ses objectifs du semestre ne sont
pas atteints. Le commercial lui répond que la clientèle est morose, que la conjoncture est mau-
vaise. Le cadre peut lui répondre :
a. Vous n’êtes pas assez performant, vous manquez de dynamisme.
b. Comment se fait-il que vous n’ayez fait que tel chiffre ? Pourquoi ne changez-vous pas votre
argumentaire ?
c. En fait, vous mettez sur le dos de la conjoncture votre manque de dynamisme.
d. Je sais que c’est difficile et que votre bonne volonté n’est pas en cause.
e. Vous devriez revoir les clients réticents ; si j’étais à votre place, je reprendrais la liste de mes
commandes du semestre et j’essaierais de voir…
f. La conjoncture est mauvaise et les clients ne prennent pas de risque. Voyons quels sont les
arguments à mettre en avant et les produits phares sur lesquels nous pouvons améliorer les
ventes.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Il convient en quelque sorte de créer (ou de rétablir) un climat de confiance qui permette au
cadre d’entendre les difficultés de son collaborateur et d’être entendu quand il apporte l’informa-
tion ou la méthode, les conseils.
Concrètement, pratiquer l’écoute empathique consiste à :
• écouter réellement (!) le message et la relation (les émotions, les sentiments) sans pour cela s’y
soumettre, de manière à pouvoir « piloter » la communication ;
• encourager l’expression, suspendre les jugements de valeur ;
• communiquer sur les faits et non sur les jugements ;
• clarifier des ambiguïtés, des zones d’ombre ;
• reformuler ce que l’on a entendu : un message et une relation ;
• avoir des objectifs de communication clairs et précis (convaincre, s’informer, négocier, construire)  ;
• rester neutre, ne pas prendre parti ni s’engager au-delà de ce que l’on peut tenir.
L’écoute est particulièrement requise dans un grand nombre de situations de communication
professionnelles :
• pour répondre aux questions d’un auditoire après une présentation orale ;
• pour conduire une réunion et un entretien ;
• pour entendre une réclamation et y répondre ;
• pour réagir de manière équilibrée à une situation émotionnelle forte : l’annonce d’un événe-
ment personnel grave, l’échec d’une négociation importante qui semblait acquise ;
• pour exprimer un reproche, demander à un collègue ou un subordonné de modifier un compor­
tement gênant pour le service.

III. La réunion
Une maladie, bien française dit-on, s’appelle la « réunionite », autrement dit l’illusion qu’en pro-
grammant une réunion, on va pouvoir résoudre des problèmes, informer ses collaborateurs,
motiver ses équipes, planifier une campagne, faire le point sur un projet en cours, élaborer un
calendrier, etc. ! Or, les réunions sont souvent décevantes, inefficaces et pour deux raisons prin-
cipales : elles ne sont pas préparées, elles ne sont pas conduites, ou médiocrement.

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A. Qu’est-ce qu’une réunion de travail ?
C’est le regroupement de plusieurs personnes, dans un même lieu ou à distance (téléréunion,
visioconférence), dont l’objet est de travailler sur un ou des sujets précis et de parvenir à un
résultat en fin de réunion.

1. Les participants
Pour être efficace, une réunion doit toujours réunir des participants qui participent certes, mais
aussi un animateur qui anime (et ne dirige pas, ou alors il s’agit d’une conférence), un secré-
taire qui prend des notes en vue d’un compte rendu, voire un observateur ou un modérateur qui
intervient en cas de conflit.
Les « simples » participants reflètent la variété des comportements humains : les taciturnes, les
bavards, les badauds, les spectateurs, les pressés, les rêveurs, les pessimistes critiques, les
optimistes naïfs, les spontanés imaginatifs, bref, toutes sortes de personnalités qui n’ont pas
a priori le profil idéal du participant rigoureux, pertinent, constructif, concis, méthodique…
C’est le rôle de l’animateur de mobiliser ces personnalités diverses, de « conduire » cet attelage
hétéroclite afin que chacun puisse apporter sa pierre au travail commun, dans l’intérêt du groupe.
Leur nombre varie de trois à neuf, l’idéal étant sept, semble-t-il. En dessous de cette fourchette,
la productivité sera plus limitée, au-delà aussi, compte tenu du nombre de propositions et
réflexions que l’animateur peinera à canaliser.
L’animateur va donc avoir une lourde tâche : accueillir, exposer le sujet de la réunion, structurer
le travail du groupe, l’aider à produire des résultats : décision, simple consensus sur les sujets
traités ou constat de désaccord en dernier ressort.

22
UE 123 • Relations professionnelles 1

2. Le sujet de la réunion
Les réunions de travail permettent d’informer, d’échanger, de négocier, de décider. Ces objec-
tifs ne sont pas exclusifs : on peut informer, échanger et décider ou bien échanger et négocier.
Chaque participant devrait, en entrant dans un lieu de réunion, savoir exactement de quoi il va
être question. En effet, si l’on veut que le travail soit productif, il est nécessaire que chacun arrive
avec les documents utiles, en ayant réfléchi aux sujets à traiter, recueilli les informations néces-
saires. Encore faut-il que chacun ait reçu une invitation ou une convocation avec un ordre du
jour réaliste. Connaissant la durée de la réunion (mais ce n’est pas toujours le cas…), on peut
raisonnablement en fixer l’objet en quelques points précis et explicites que l’on communique
aux participants dans la convocation.

3. Le lieu de la réunion
Il n’est pas anodin. Il doit être adéquat au nombre de participants : trois personnes réunies dans
une grande salle de conseil, ou dix personnes entassées dans une pièce réservée aux entretiens,
ne facilitent pas la tâche d’animation de la réunion. Par ailleurs, la disposition des tables a son
importance. Elle peut prendre les formes suivantes :

Échanges faciles mais attention Échanges faciles, tous sont


C'est la classe ! aux bavards dans les coins ! égaux mais pas d'ouverture
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Bon compromis entre la facilité


C'est la confrontation !
des échanges et l'ouverture
Les camps sont face à face.
vers un écran ou vers l'extérieur.

Le résultat de la réunion dépendra en partie de ces préalables. Mais il s’y ajoute l’essentiel
peut-être : la conduite de réunion. Sans une bonne animation, la réunion risque de s’enliser, de
tourner court, de ne produire aucun résultat.

B. La conduite de réunion
L’animation d’une réunion commence avant son début, dans la préparation. L’animateur doit
d’abord clarifier pour lui-même quel(s) sujet(s) il veut traiter raisonnablement. Ainsi, une réunion
au cours de laquelle on n’a abordé que le premier des quatre points à l’ordre du jour laisse une
impression négative d’inachevé, de mauvaise organisation et fait naître chez les participants une
certaine défiance à l’égard de l’animateur et de ses prochaines réunions. L’animateur doit aussi
se fixer des objectifs : souhaite-t-il un simple échange de points de vue ou au contraire l’adop-
tion d’une position commune ? À partir de ces éléments, il pourra bâtir le plan de sa réunion et
fixer des durées acceptables pour chacun des sujets.

201231TDPA0413 23
Relations professionnelles 1 • Série 4

Il dressera ensuite la liste des participants à convoquer. Dans une organisation, une entreprise,
si l’organigramme oblige à convoquer tous les collaborateurs d’un même niveau ou d’un même
service, rien n’interdit de doubler la convocation officielle par un message ou par une note à ceux
dont on pense qu’ils sont plus particulièrement responsables d’un domaine qui sera abordé,
concernés par l’ordre du jour, compétents pour intervenir et faire avancer le travail. On les invi-
tera plus explicitement à préparer tel sujet ou tel point à l’ordre du jour.
L’invitation ou la convocation, selon le vocabulaire employé dans l’organisation, comporte natu-
rellement :
• le jour, le lieu, l’heure et la durée de la réunion ;
• l’ordre du jour précis ;
• les documents annexes joints à l’invitation s’ils doivent être lus et étudiés avant la réunion.
Enfin, il conviendra de s’assurer que la salle est libre, équipée du matériel nécessaire, qu’on y
trouve suffisamment de tables et de chaises, que les participants ont bien reçu l’invitation.
La réunion en elle-même comporte plusieurs phases. Après avoir accueilli les participants, l’ani-
mateur doit énoncer les « règles du jeu ». S’il n’est pas connu de tous, il se présente, ce qui doit
asseoir sa légitimité (soit par son statut hiérarchique, soit par sa compétence). Il précise la durée
de la réunion, voire de l’examen de chaque point à l’ordre du jour, les contraintes et exigences
(départ d’un participant à telle heure pour une autre obligation, etc.). Il rappelle ou précise les
objectifs à atteindre (prise de décision ou consensus sur tel sujet, etc.). Si les participants ne se
connaissent pas, l’animateur proposera un tour de table pour que chacun se présente.
Lors des échanges, on observe généralement au début un certain enthousiasme, une produc-
tion un peu anarchique d’idées et d’arguments. Dès les premiers désaccords, l’atmosphère
s’alourdit, des silences et des conflits s’installent. Enfin, lorsque l’animateur a recentré, synthé-
tisé les débats, invité à avancer, la discussion reprend sur des bases plus fermes et avec plus
d’efficacité.
Le rôle de l’animateur s’exerce :
• au niveau du contenu de la réunion : il veille à ce que les points à l’ordre du jour soient exami-
nés, à ce que le travail progresse et que l’on atteigne le résultat prévu ;
• au niveau de la méthode de travail : chacun doit pouvoir s’exprimer, écouter, exposer avec les
moyens nécessaires, dans le temps prévu ;

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• au niveau de la relation entre les participants : il régule les tensions, arbitre les oppositions si
nécessaire.
Il est donc amené à jouer un rôle de facilitation (de la parole, de l’approfondissement des idées),
d’élucidation (reformulation, questions, explicitation), de production (régulation des prises de
parole, structuration des échanges, relance, recentrage sur le sujet).
Enfin, l’animateur doit conclure une réunion. Il peut faire le constat des objectifs atteints et de
ceux qui ne le sont pas. Dans ce cas, il propose ou décide de la suite de la réunion. Il synthétise
les décisions prises, les tâches ou missions qui reviennent à chacun, le plan d’action à mener,
etc. Il fixe éventuellement la date et l’objet de la réunion suivante. Il remercie les participants.
La tâche de l’animateur ne s’arrête pas là. Il doit assurer le suivi de réunion qui consiste d’abord
à rédiger un compte rendu (ou à le faire rédiger par le secrétaire de séance) et à le faire parvenir
aux participants dans les meilleurs délais : un compte rendu reçu plusieurs semaines après la
réunion a perdu son intérêt… (Pour la rédaction du compte rendu, voir la série 3).

IV. L’entretien

A. Qu’est-ce qu’un entretien ?


La définition des dictionnaires est la suivante : c’est l’action d’échanger des propos avec une ou
plusieurs personnes, de mener une conversation suivie sur un sujet.

24
UE 123 • Relations professionnelles 1

On comprend alors que l’entretien en milieu professionnel comporte un aspect intersubjectif


ou interpersonnel important : l’échange, la conversation y invitent. Naturellement, le registre de
l’organisation et celui du contexte socioculturel ne sont pas absents pour autant.
Les objectifs dépendent du type d’entretien considéré.
L’entretien d’embauche ou de recrutement (selon que l’on est recruteur ou candidat !) vise à
sélectionner parmi des candidats celui ou celle dont les compétences, le profil, les qualités
personnelles conviennent le mieux pour un poste vacant ou créé.
L’entretien individuel annuel (dit « entretien d’évaluation » dans certaines entreprises) a pour
but de faire le point sur la situation d’un salarié, sur son activité au cours de l’année écoulée,
sur les objectifs pour l’année à venir, sur ses projets de carrière, sa motivation, éventuellement
ses demandes de formation.
L’entretien professionnel vise à élaborer avec le salarié un projet professionnel et à détermi-
ner, si nécessaire, les actions de formation qui permettent d’y accéder. Il peut être l’occasion de
définir une action de formation à suivre, par exemple au titre du DIF (droit individuel de forma-
tion). Il permet aussi de demander un bilan de compétences ou une validation des acquis de
l’expérience (VAE).
On voit donc que la nature et l’objectif de l’entretien sont bien de l’ordre de l’échange de propos
entre deux personnes. Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’une conversation à bâtons rompus : il
faut s’y préparer, que l’on soit celui qui conduit l’entretien ou celui qui y est convié.
La préparation d’un entretien sera donc différente, dans son contenu, selon la place que l’on
occupe : supérieur ou subordonné, recruteur ou candidat. Cependant, dans sa méthode, elle
exige que l’on s’attache à répondre à l’avance aux questions suivantes et que l’on recherche les
informations et arguments qui permettront de réussir l’entretien.
• Qui est la personne que je vais rencontrer ? son statut ? son objectif ? ses attentes à mon
égard ?
• Sur quoi va porter l’entretien ? Ai-je toutes les informations utiles sur le sujet ?
• Que vais-je lui dire ? Quelles questions vais-je lui poser ? Quelles informations vais-je lui
demander ?
• Quel est mon objectif ? Quels arguments puis-je faire valoir ? Jusqu’où suis-je prêt à négocier ?
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La conduite de l’entretien présente des points communs avec la conduite de réunion : il s’agit
de faciliter l’échange, d’élucider les propos, de parvenir à un résultat, dans un climat d’empathie.
On y ajoutera l’écoute (et la reformulation) qui aura pour but de lever les malentendus, les non-
dits, d’expliciter les allusions. Une autre fonction de la conduite d’entretien est la régulation de
l’émotion ou de l’affectivité qui peuvent se traduire par la réserve ou l’agressivité. Compte tenu
de la dimension intersubjective de l’entretien, de la proximité des interlocuteurs, le climat, l’envi-
ronnement, les valeurs des personnes, la personnalité de l’interlocuteur, joueront un rôle plus
important que dans une réunion.
De nombreuses formations à l’entretien proposent de se préparer à toutes sortes de « ren-
contres » ! Avec des dépressifs, des anxieux, des manipulateurs, des rebelles, etc. Aucune
n’épuisera la diversité humaine et les surprises qu’elle nous réserve… L’expérience permettra
d’améliorer ses techniques d’entretien ; le contrôle de soi, la respiration, le retour à ses notes
préparatoires, l’écoute et la reformulation permettent généralement de faire face à des situations
imprévues.

B. L’entretien de recrutement
1. Du côté du recruteur
L’entretien s’inscrit dans un contexte professionnel qui doit être parfaitement clair ou clarifié. Le
profil humain et technique du poste doit avoir été validé par la hiérarchie et par le service ou
l’unité où travaillera le futur salarié.

201231TDPA0413 25
Relations professionnelles 1 • Série 4

La préparation de l’entretien consiste à analyser chaque CV, ce qui permet de relever les
points qui semblent obscurs ou à développer, ainsi que les interrogations sur le parcours du
candidat. À partir de ces questions, le recruteur élabore un plan d’entretien plus ou moins for-
malisé, mais il doit savoir précisément ce qu’il attend de l’entretien : ce qu’il cherche à savoir, ce
qui devrait lui permettre de se forger un jugement sur le candidat.
L’entretien se déroule, de manière classique, en quatre phases :
• une présentation de l’entreprise ;
• une présentation du candidat, de son cursus, de sa formation, de son projet, de ses motivations ;
• une discussion sur le poste, ses exigences, ses contraintes, la manière dont le candidat l’abor-
derait ;
• une conclusion qui peut être précédée d’un échange plus personnel avec le candidat.
La conduite de l’entretien ne vise pas à déstabiliser le candidat mais à mieux le connaître. C’est
pourquoi il importe d’instaurer un climat qui lui permette de s’exprimer, de lui poser des ques-
tions ouvertes, de relancer la discussion. L’écoute est importante. Toutefois, c’est le recruteur
qui doit conduire l’entretien : un candidat qui cherche à imposer son discours (par timidité par-
fois ou au contraire par un excès d’assurance) est un candidat qui n’écoutera pas lorsqu’il sera
dans l’entreprise…

2. Du côté du candidat
Se préparer à l’entretien de recrutement consiste d’abord à se renseigner sur l’entreprise, sur
son statut, son chiffre d’affaires, sa date de création, de rachat, etc. c’est-à-dire à vérifier la
santé de l’entreprise. Ensuite, il est utile d’en connaître l’organigramme et de savoir situer à peu
près le poste à pourvoir dans la hiérarchie et l’organisation ou de noter déjà une question à poser
lors de l’entretien à ce sujet. On pourra ainsi affiner la compréhension du poste et avancer dans
la connaissance de la réalité de l’entreprise.
Il faut évidemment connaître l’activité de l’entreprise, ses produits ou services, son implantation ;
il peut être habile de se familiariser avec ses sigles, son vocabulaire. Tout cela est généralement
possible en visitant son site Internet (presque toutes en ont un aujourd’hui).
Une fiche peut être rédigée sur laquelle on note, afin de la relire avant l’entretien, les questions à
poser et les arguments à développer pour répondre à la question : « Pour quelles raisons essen-

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tielles le recruteur devrait-il m’embaucher ? » (mes atouts pour occuper le poste, ma motivation,
mon intérêt pour le métier, le poste, l’activité de l’entreprise)
Enfin, le candidat doit emporter les documents qu’il pourra montrer ou donner au recruteur au
cours de l’entretien, à l’appui de ce qu’il a avancé dans son CV.

3. L’entretien
Le premier contact avec le recruteur est essentiel. Dans les premières minutes, le verbal, le
paraverbal, le non-verbal jouent un rôle essentiel : le recruteur découvre une personne alors qu’il
ne disposait que d’informations. Autant dire que la présentation vestimentaire, la relation établie
(poignée de main, sourire, position assise, posture, etc.) doivent donner envie de connaître
davantage le candidat, de le rencontrer, voire de le recruter. La subjectivité occupe une place
importante dans cette première phase de l’entretien. Si l’accueil du recruteur est froid, distant,
cela ne doit en rien induire chez le candidat une réponse de « retrait », de fermeture.
Lorsque le recruteur demande au candidat de se présenter, c’est à la fois pour vérifier certains
points du CV, pour connaître ses motivations et pour tester ses capacités de synthèse, sa conci-
sion, sa clarté. Il est donc utile d’avoir préparé un bref exposé mais sans le réciter, en restant
ouvert à une question, à une demande de développement.

26
UE 123 • Relations professionnelles 1

Lors des échanges avec le recruteur, certains candidats ont tendance à vouloir en faire trop, à
imposer leurs arguments et oublient d’écouter. Écouter et réfléchir aux questions posées,
décoder quel doute, quelle incertitude ont motivé une question, se donner le temps de répondre
de manière pertinente et argumentée, sont aussi une preuve de maîtrise de soi et d’ouverture
d’esprit (être capable de se mettre à la place de l’autre).
Le recruteur demande généralement au candidat s’il a des questions à poser. Elles auront été
préparées ou suscitées par le contenu de l’entretien : le poste, la fonction, la vie de l’entreprise
sont des sujets classiques.
À la fin de l’entretien, on peut aborder la question de la suite, du délai dans lequel on obtiendra
un retour, une réponse à sa candidature.
Après l’entretien, une courte lettre ou un courriel permet aussi de remercier le recruteur de l’en-
tretien qu’il a accordé au candidat et de revenir sur un ou deux sujets que le candidat a le senti-
ment de n’avoir pas suffisamment développés.

V. La communication téléphonique
Ces quelques lignes se veulent un simple guide pour ceux qui ne réussissent pas toujours à
téléphoner efficacement.
Il faut d’abord prendre conscience des différences qu’implique le « médium » téléphone (cf. Mac Luhan
« Le médium est le message »…) par rapport à l’entretien en face à face. C’est ce que résume le tableau
ci-après.

L’entretien face à face L’entretien téléphonique


L’identification des interlocuteurs est aisée L’appelant et l’appelé doivent s’identifier.
(rendez-vous, secrétariat, annonce, etc.).
La relation est fixée dans un espace connu, selon La relation est immédiate, directe, sans information
la disponibilité supposée de l’interlocuteur sur l’identité, l’environnement de l’interlocuteur, sur
(RV, attente, entrée dans une pièce). sa disponibilité (erreur sur la personne ? occupée
à d’autres tâches ? pressée ? en conversation ?).
La politesse voudrait que l’appelant demande
à l’appelé s’il le dérange…
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L’interlocuteur est annoncé (ou s’annonce), L’appelant peut s’adresser à des interlocuteurs
accueilli, présenté. successifs jusqu’à ce qu’il obtienne la bonne
personne, les relais sont parfois aléatoires, il doit
répéter son identité et l’objet de son appel.
L’objet de l’entretien est établi à l’avance : L’objet de l’appel est informatif, factuel, pratique.
négociation, réunion de travail, etc. L’entretien peut
avoir une certaine durée, il peut aborder un sujet
complexe.
La communication est verbale, paraverbale La communication est exclusivement verbale
et non‑verbale (regard, mimiques, gestuelle). et paraverbale.
La voix (ton, débit, volume) et le discours doivent
suppléer au non-verbal pour exprimer :
• le registre de la communication (familier,
respectueux, officiel, convivial, etc.) ;
• l’écoute et le feed-back (termes phatiques,
reformulation, etc.)
Il convient aussi d’être clair dans ses propos,
d’avoir préparé l’objet de l’appel, d’articuler.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

1. Vous êtes appelé.

Vous êtes le bon interlocuteur.


Vous êtes libre et seul : traitez l’appel, concluez, résumez, saluez.
Vous n’êtes pas libre ou pas seul.
Demandez de patienter (2 mn).
Demandez de rappeler. Donnez un délai, une heure et votre n° de tel.
Traitez rapidement l'appel (2 mn). Saluez.

Vous n’êtes pas le bon interlocuteur.


Interrompez le plus tôt possible votre correspondant. Réorientez-le en l’en informant. Saluez.

2. Vous appelez ou vous attendez un appel.

Préparez matériellement l’appel : papier, crayon, notes, agenda, dossier.


Préparez l’entretien téléphonique :
– comment vous présenter brièvement au standard ;
– comment présenter l’objet de votre appel ;
– quelles questions poser, quels renseignements obtenir (liste).

3. Vous composez le numéro.

Vous obtenez le standard.


Présentez-vous clairement, demandez une personne (ou son secrétariat),
un service, ou expliquez succinctement l’objet de votre appel.

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Vous obtenez un secrétariat.
Présentez-vous :
– exposez brièvement l’objet de votre appel ;
– demandez à parler à la personne souhaitée.
La personne souhaitée est absente, en réunion, etc. :
– demandez un RV téléphonique, demandez qu’on lui transmette un message ;
– proposez d’envoyer un fax et de rappeler ultérieurement.
Un(e) secrétaire est pour vous une aide, un(e) allié(e) et non un obstacle. Considérez-le
(la) comme un(e) partenaire et non comme une personne subalterne.

Vous obtenez la personne souhaitée.


Présentez-vous et expliquez d’abord succinctement l'objet de votre appel. Allez à l’essentiel,
proposez des choix, soyez ouvert. Écoutez, reformulez. Concluez vous-même, résumez,
rappelez vos coordonnées.
Remerciez, saluez.
Votre correspondant semble réticent, mal disposé. N’insistez pas, restez aimable. Proposez
d’envoyer un courriel, un dossier et de rappeler.
Remerciez, saluez.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

Exercice

Énoncé
Vous êtes adjoint(e) de la directrice générale du site français d’une multinationale qui conçoit,
fabrique et vend des articles de papeterie. Le site français a une activité uniquement commer-
ciale. Votre directrice vous demande de recevoir une candidate parmi cinq, avant de s’entretenir
avec les deux qui lui sembleront les plus aptes à occuper le poste à pourvoir.
L’offre d’emploi diffusée sur Internet est la suivante :

Catégorie de poste : Gestion, Comptabilité et Secrétariat


Type de poste : comptable
Contrat : CDI
Date d’embauche : immédiatement

Description de l’offre :
Lieu de travail : PRINCIPAT D’ANDORRA
Expérience souhaitée : Expérience sur marché international souhaitée
Années d’expérience : 3 ans
Diplôme souhaité : BTS/DUT Comptabilité
Rémunérations variables : salaire : 1 500 € net + prime d’intéressement + mutuelle de groupe
Description des tâches du métier : Passer toutes les écritures comptables jusqu’au bilan, gérer le
social - Connaissance de SAGE
Contraintes métier : Habiter obligatoirement en Andorre – Bilingue ANGLAIS
Ce qui peut être un + : Espagnol courant

Voici la lettre de motivation et le CV et qu’un des candidats a déposés en réponse à l’annonce.


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Lettre de candidature
Madame, Monsieur,
Arrivant dans le département, je recherche activement un emploi et suis opérationnelle immédia-
tement pour le poste que vous proposez.
Deux années en cabinet comptable m’ont permis de maîtriser la diversité du métier et tous ses
aspects. Aussi, suis-je autonome aussi bien dans les fonctions administrative que comptable, en
gestion du personnel ainsi que pour les déclarations fiscales et sociales. Je suis tout à fait apte à
centraliser les informations financières de l’entreprise (amortissement, provisions, etc.).
Souhaitant vous avoir convaincu de l’intérêt de ma candidature, de ma grande motivation à inté-
grer un groupe pouvant me permettre une évolution de carrière, je me tiens à votre entière dispo-
sition afin de convenir d’un rendez-vous.
Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, en mes sincères salutations.
Marianne PRÉVOST

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Madame Marianne PRÉVOST


65100 LOURDES

Informations personnelles
Date de naissance : 27/01/1980
Situation de famille : PACS avec un enfant

Situation actuelle
Fonction actuelle : Sans emploi

Études
Type d’études Diplômes :
2005 : DPECF
2003 : Comptabilité – Gestion + UV 5
2001 : Certificate of Award (USA Allentown)
1998 : Baccalauréat S

Expérience
Durée : 2 ans
Du 22 novembre 2006 au 15 mai 2007
CDD Cabinet BRIDGE (Expert Comptable) SAINT-ÉTIENNE
Collaboratrice (Gestion portefeuille clients : Tenue, Révision, Dossiers de contrôle, Bilans – Paie –
Déclarations Fiscales & Sociales)
Du 9 janvier 2006 au 2 juin 2006
CDD LEGRAND et Fils (Cabinet comptable) - LYON
Assistante (Comptabilité : Saisie – Révision – Dossiers de contrôle – Préparation Bilan – Déclara-
tions fiscales et sociales)
Du 5 juin au 12 décembre 2005 (liquidation judiciaire)

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CDD SARL « RENOV’BAT » – AMBERT
Comptable (Comptabilité : Clients –  Fournisseurs –  Banques, Paie, Déclarations fiscales et
sociales, Gestion personnel, Recrutement, Gestion prévisionnelle – Dossier liquidation judiciaire)

Poste recherché
Type de contrat souhaité : CDI ou CDD ou Intérim
Fonctions : comptable
Secteur d’activité : indifférent
Secteur géographique : Pyrénées-Orientales
Date de début de la disponibilité : 05/09/2007
Salaire souhaité : 30 000 €

TRAVAIL À FAIRE
Préparez l’entretien.
Quelles questions allez-vous poser à cette candidate ? Pourquoi ?

Corrigé
Il convient de hiérarchiser les questions : d’abord vérifier des informations clés, ensuite appro-
fondir le profil de la candidate et sa motivation.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

Les premières questions à poser (pas nécessairement en premier, mais elles sont cruciales)
concernent les contraintes du poste : si la candidate ne peut les accepter, il est inutile de prolon-
ger l’entretien.
1. Est-elle prête à habiter en Andorre ? Son domicile actuel n’en est pas éloigné mais elle réside
en France…
2. Parle-t-elle couramment l’anglais ? Son « Certificate of Award » le laisse supposer mais il date
de 2001. A-t-elle pratiqué l’anglais depuis cette époque ? Éventuellement l’espagnol ?
Ensuite, l’expérience internationale souhaitée ne figure pas dans le CV, mais peut-être la can-
didate a-t-elle fait des stages pendant ses études qui l’ont familiarisée avec les normes comp-
tables internationales IFRS, la fiscalité internationale, la consolidation, etc.
Dans le domaine des compétences, il est vraisemblable qu’elle connaisse le logiciel SAGE,
compte tenu de son expérience, mais il faut le vérifier.
Troisième vérification : la rémunération. La candidate demande 30 000 €. Il faut bien s’entendre
sur ce qu’elle entend par là : salaire annuel brut (c’est la coutume) ou net. Le salaire proposé est
inférieur mais il est augmenté d’une prime d’intéressement et du bénéfice de la mutuelle du
groupe. Globalement, l’offre et la demande sont voisines, mais la prime d’intéressement peut
être plus mince certaines années…
Viennent ensuite les questions sur son expérience et sa motivation. On remarque qu’elle a tou-
jours occupé des postes en CDD, dans la région stéphanoise. Il peut être utile de lui demander
d’expliquer, de développer son parcours professionnel et son histoire personnelle, sans être
indiscret bien sûr.
De plus, son expérience est majoritairement en cabinet d’expertise comptable. Elle a travaillé
6 mois en entreprise artisanale, dans le contexte d’une liquidation judiciaire. Comment envisage-
t-elle une responsabilité de comptable dans une société ?
Naturellement, au-delà de ces questions, une bonne écoute pendant l’entretien suggérera cer-
tainement d’autres questions. Mais il est important de faire la liste des imprécisions, obscurités
ou ambiguïtés à lever d’emblée.
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3

partie
La présentation orale en entreprise

La présentation orale est aujourd’hui une forme de communication banale en entreprise. Lors
d’une réunion de service (pour faire le bilan de l’activité, pour informer sur une nouvelle procé-
dure ou un nouveau texte réglementaire à appliquer), devant un client à qui l’on souhaite présen-
ter l’entreprise ou le cabinet, à la fin d’un stage (dans l’entreprise devant le maître de stage, le
directeur administratif ou financier), on ne fait plus un simple exposé mais une « présentation
orale ».
Si les termes ont changé, ce n’est pas un simple effet de mode. L’exposé est la présentation
magistrale (de magister, le maître) d’une expérience, d’une activité, d’une réflexion ; il ne sup-
pose pas de document écrit préalable ou futur, il vise essentiellement à transmettre un savoir. La
présentation orale fait au contraire référence à un écrit : elle le simplifie ou au contraire le
complète­, elle en expose l’esprit, la problématique, elle accompagne le lecteur ou le prépare à
lire, parfois elle l’en dispense…
C’est le cas, par exemple, lorsque l’équipe dirigeante d’une entreprise veut savoir rapidement
quelle est l’évolution des ventes depuis les six derniers mois, sans devoir lire un épais dossier de
bilans, de statistiques, de rapports, etc. Le directeur commercial va alors faire une présentation
orale. C’est donc un exercice qui vise à informer, à expliquer, à persuader aussi. Pour le directeur
commercial, il est crucial de montrer qu’il maîtrise bien le sujet, qu’il a une bonne analyse de la
situation par rapport à la stratégie de l’entreprise, que sa direction a raison de lui faire confiance.
On voit donc que la présentation orale est stratégique… Pour l’étudiant qui va faire une présen-
tation orale de son stage devant le jury, l’enjeu est tout aussi important. Cela implique de la
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préparer très soigneusement : le contenu, la présentation formelle qui inclut très souvent un
support projeté sur écran (diapositives PowerPoint® ou transparents), le conducteur, le docu-
ment qui sera remis à l’auditoire.
Nous avons bien dit que l’étudiant va présenter son stage, et le rapport qui en découle. Cela
signifie que, si la présentation orale fait référence à un écrit, elle n’est pas un résumé de l’écrit :
l’oral est une situation spécifique, la présentation orale est un moment d’échange relationnel,
intellectuel, professionnel avec son auditoire. C’est ce que nous verrons dans la partie consa-
crée à l’oralisation de l’écrit. Mais pendant son intervention, le présentateur parle seul, il est en
quelque sorte « en représentation ».

I. Présentation – Représentation
On peut dire qu’une présentation orale ressemble à une représentation théâtrale. Que cette
compa­rai­son n’effraie pas les plus timides : si le trac est toujours là (en entreprise ou sur la
scène), l’orateur a toutes les cartes en main pour « faire… un carton » !
Commençons par ce qui effraie le plus : le public. Une seule solution : en faire son interlocu-
teur et non le fuir, autrement dit, lui parler (par la voix, le geste, le corps) et le regarder. On ne
reprendra pas ici ce qui a été dit sur le paraverbal et le non-verbal, on redira simplement qu’il faut
absolument accepter le contact, accepter le regard du public, en faire un appui, une force.
La « scène » est à la disposition de l’orateur : un espace lui est réservé, en bout de table, de
salle. C’est un espace à sa disposition : à lui de l’occuper à sa convenance, mais de l’occuper.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

En se réfugiant dans un quart de mètre carré, on exprime une sorte de refus de tenir sa place et
donc d’assumer d’être l’orateur. Inversement, en occupant l’espace disponible, on habite le lieu
de la communication qui est attribué à l’orateur, on donne de la vie, de l’émotion, on véhicule de
la persuasion. Cette scène n’est pas nue. L’orateur a des accessoires, un décor qu’il va pouvoir
utiliser pour mettre en valeur, appuyer son discours : le rétroprojecteur, le tableau, le vidéopro-
jecteur, le pointeur, etc.
Le texte de la pièce, c’est le discours de l’orateur : il est l’auteur et l’interprète ! C’est une
chance et une responsabilité. Cela signifie qu’une présentation bien préparée, répétée, a toutes
les chances de plaire, de convaincre.
La présentation, comme la représentation théâtrale, a une durée limitée : on a donné la parole
à l’orateur en lui précisant de combien de temps il dispose. Généralement, il le sait déjà ; c’est
pourquoi il est indispensable de répéter sa présentation pour savoir avec précision quelle est sa
durée et au besoin pour être en mesure de choisir des coupes si ce temps a été réduit « puisque
nous sommes déjà très en retard » !
Reste le comédien, l’interprète… À lui de défendre son sujet, de convaincre l’auditoire de son
intérêt. Bien sûr, il a le trac. Mais nous avons déjà vu précédemment qu’une bonne respiration
(abdominale surtout) peut aider à le calmer. Évidemment, pour respirer convenablement, il ne
faut pas avoir une ceinture ni des vêtements serrés ! Le « costume » doit être confortable. Une
autre manière de se rassurer consiste à prendre son temps pour disposer les documents, véri-
fier le matériel, se placer au mieux par rapport aux documents, au public, à l’écran s’il y en a un.
Enfin, n’oublions pas que le trac est une réaction de l’organisme à une situation d’attente angois-
sante : il est provoqué par une sécrétion d’adrénaline qui accélère le rythme cardiaque, pro-
voque une hypertension, une élévation du taux de sucre et de globules rouges dans le sang, et
d’autres réactions musculaires et dermiques. Mais ce phénomène n’a pas que des inconvé-
nients : l’adrénaline a des effets positifs. Elle accroît l’excitation intellectuelle, la vitesse de réac-
tion, les capacités de concentration. C’est pourquoi il est tout à fait déconseillé d’absorber des
tranquillisants avant une présentation orale.
Il reste à entrer en scène, c’est-à-dire avancer vers le public (faire un pas réel ou mental), à
prendre une posture ouverte, à entrer en contact avec lui par le regard, à respirer, et à commen-
cer avec une voix bien posée et claire.

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II. Le contenu d’une présentation orale
Pour définir ce que l’on va exposer (en présentation orale, en soutenance), il faut se poser
quelques questions de bon sens :
• Qui est le public ? Qu’attend-il ? En situation professionnelle, on peut s’adresser à un direc-
teur, un commercial, un financier, un client, etc. Que savent-ils sur le thème ? Tous n’ont pas la
même connaissance du sujet. Que veulent-ils savoir, comprendre, retenir ? Il faut penser aux
différents publics et à leurs différentes attentes.
• Quel est l’objectif ? Informer, expliquer, convaincre, faire agir ?
• Que veut-on dire au public ? Que veut-on qu’il retienne ?
• Quelle différence existe-t-il entre ce qui « passe bien » à l’écrit et à l’oral ? Comment présenter
oralement un rapport, une étude, un dossier ?
• Comment construire le plan en fonction des attentes du public, de l’objectif de l’exposé et de
l’orateur, de la stratégie de communication orale ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de se mettre à la place de l’auditoire, de
se décentrer.
Par exemple, si l’on souhaite présenter à l’équipe de direction de son entreprise un nouveau
logiciel de gestion afin que l’entreprise l’achète en multilicence, on visera à :
• l’informer : lui donner les informations nécessaires et suffisantes pour qu’elle comprenne ce
qu’est ce logiciel ; il est inutile d’entrer dans le détail des fonctionnalités, de l’architecture
­logicielle  ;

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UE 123 • Relations professionnelles 1

• la convaincre de l’intérêt de son acquisition : qu’apporte-t-il à l’entreprise ? en efficacité ? en


précision ? en rapidité ? en qualité de suivi ?
• faire agir l’équipe, c’est-à-dire décider de l’achat en argumentant : problèmes récents résolus,
avance sur la concurrence, gain de temps et d’argent.
Le contenu et le plan de l’exposé sont pratiquement trouvés :
• présentation du logiciel ;
• ses avantages par rapport à celui actuellement utilisé ;
• ses atouts pour l’entreprise.
Le sujet et l’objectif d’un exposé, d’une conférence, d’une soutenance, peuvent consister à pré-
senter oralement un travail écrit : rapport de stage, étude, enquête, bilan. Dans ce cas, après
avoir déterminé quel est le public, ce qu’il attend, quels objectifs on vise, il convient de réfléchir
à ce qui peut être présenté oralement à partir d’un travail écrit. En effet, il ne s’agit pas de faire
un résumé oral qui serait nécessairement décevant pour l’auditoire, incomplet, voire ennuyeux :
le contenu de la présentation orale doit être choisi en fonction de ce qui « passe » le mieux à
l’oral. Il faut en quelque sorte « oraliser l’écrit ».

III. L’oralisation de l’écrit


On a vu précédemment que les transitions, la forme de la conclusion révèlent des différences
entre l’écrit et l’oral. L’oral se différencie de l’écrit, tant du point de vue de la nature, des outils et
des conditions de communication, que du point de vue intellectuel : les activités à l’œuvre, les
contenus privilégiés à l’écrit et à l’oral sont de nature différente.
L’écrit est verbal et iconique (images, graphiques, cartes, photos, symboles), l’oral est verbal,
paraverbal et non-verbal. Mais une présentation orale utilise aussi l’image sous la forme de
visuels projetés ou reproduits au tableau. Il faut donc tenir compte de cette possibilité de dialo-
guer en direct avec le public en prenant appui sur l’image et le contenu verbal : on ne dialogue
pas sur une page de chiffres, sauf si certains nombres sont mis en valeur, « mis en scène ».
L’écrit est linéaire et global : le document écrit parvient en totalité au lecteur dans l’instant, il
dispose du rapport dans sa globalité, il peut le lire dans sa continuité, s’interrompre, revenir en
arrière, passer plus de temps sur un paragraphe que sur un chapitre : il est le maître de la totalité
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du document écrit, c’est lui qui décide du temps de la lecture. L’oral est linéaire et successif :
l’auditoire est prisonnier de l’orateur, il doit se plier à son rythme, il ne peut l’interrompre, lui
demander de revenir en arrière, etc. C’est un avantage pour l’orateur mais aussi un risque : il doit
être attentif au public, à ses réactions d’incompréhension, d’ennui ou d’intérêt. Il impose au
public le temps et le rythme de l’écoute.
L’écrit se prête parfaitement à l’analyse : l’auteur peut développer pour le lecteur des considéra-
tions, des explications très fines, pointues. L’oral privilégie la synthèse : la faculté d’écoute a
ses limites (15 à 20 minutes au plus, avec des décrochages) et la concentration de l’auditoire ne
peut être sollicitée en continu sur des analyses complexes. L’environnement le distrait, le rythme
de l’activité intellectuelle lui est imposé, il ne peut vraiment suivre que des développements syn-
thétiques, illustrés d’exemples, d’arguments.
Par conséquent, on comprend bien que l’écrit est le canal adéquat pour l’information quantitative
et analytique alors que l’oral est le canal de l’information qualitative et synthétique. Cela ne
signifie pas qu’il faille s’interdire tout nombre à l’oral, mais les nombres ne seront pas présentés
pour eux-mêmes, comme information, mais comme exemples, comme illustration d’une idée.
Par exemple, si l’on présente un bilan financier d’entreprise, ce ne sont pas les « 125 678 k€ »
d’actif et les « 117 803 k€ » de passif, chiffres trop précis pour être mémorisés, qui doivent être
soulignés mais le rapport ou la différence entre le passif et l’actif ; de même une comparaison
entre un bilan et celui de l’année précédente n’insistera pas sur les montants portés sur chaque
ligne budgétaire mais sur l’évolution, l’augmentation ou la diminution de x %.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Il faut donc accepter d’emblée que, si l’écrit apporte une information et une réflexion complètes,
l’oral est « le mode de l’incomplet » ! Il est impossible de restituer en dix minutes trente pages
de rapport d’enquête, d’étude de marché, etc. Il faut accepter de sélectionner et prévenir l’au-
ditoire qu’il trouvera des développements sur tel aspect, telle partie, des précisions, des détails
chiffrés, dans… l’écrit qui est à sa disposition.

IV. La structure de l’exposé


Comme tout discours structuré (oral ou écrit), une présentation orale comporte une introduction,
un développement, une conclusion auxquels on ajoutera une clôture de l’exposé.

A. L’introduction
Elle établit le contact avec l’auditoire : présentation du présentateur puis du sujet, en montrant
son intérêt.
Elle expose ensuite le sujet dans son contexte, elle introduit le thème globalement, avant d’an-
noncer le plan ou plutôt la progression qui va être suivie dans l’exposé. L’essentiel est d’accro-
cher l’attention des auditeurs : une référence à l’actualité, un exemple caractéristique, une
anecdote permettent d’éveiller la curiosité des auditeurs et de leur donner envie d’écouter la
présentation.

B. Le développement
Une présentation orale, on l’a vu, ressemble à une représentation dont le texte serait essentiel-
lement constitué de séquences synthétiques, illustrées d’exemples. C’est pourquoi le plan d’une
présentation n’est pas nécessairement aussi cartésien que celui de l’écrit. Il s’approche davan-
tage du synopsis d’un film, constitué de séquences divisées en plans : l’auditoire suit l’exposé
comme un récit, il ne l’analyse pas, le crayon à la main. On définira donc le thème général de la
présentation, que l’on divisera en séquences, lesquelles seront composées de deux ou trois
« idées » (informations, démonstrations, explications).

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Thème
Sélection du contenu
Détermination des séquences

Séquence 1 Séquence 2 Séquence 3


Idée 1 Idée 4 Idée 7
Idée 2 Idée 5 Idée 8
Idée 3 Idée 6 Idée 9

Idée 1 Idée 2 Idée 3 Idée 7 Idée 8


Objectif Objectif Objectif Objectif Objectif
Visuel 1 : carte Visuel 2 : schéma Visuel 3 Visuel 6 : tableau Visuel 7 :
Commentaires Commentaires Exemple, analyse Commentaire de Mots clés
de l'exemple quelques chiffres

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UE 123 • Relations professionnelles 1

Exemple applicatif 1

Le marché de l'automobile
en France

Séquence 1 Séquence 2 Usage de


l'automobile
Le parc automobile Les constructeurs
français

Les immatriculations L'industrie automobile Etc.


de VL, PL et cars en France :
Visuel : tableau Effectifs de salariés
simplifié Visuel : symboles et
chiffres clés
Les immatriculations
de véhicules selon L'industrie automobile
le type d'énergie en France : poids
Visuel : diagramme économique
Véhicules, équipements,
Les immatriculations carburants
selon l'état neuf Visuel : diagramme
ou d'occasion
Visuel : « camembert » L'industrie automobile
en France :
Les immatriculations évolution sur 10 ans
selon les marques Exemple et visuel :
françaises et étrangères courbe
Visuel : « camembert »
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Il convient d’énoncer clairement chacune des séquences et à l’intérieur de chaque séquence


chaque idée principale : trop de présentateurs abordent directement le détail d’un tableau,
d’un schéma sans avoir préalablement exposé quelle idée ce schéma ou ce tableau illustrent.
Entre chaque idée, entre chaque séquence, il est nécessaire de faire une transition orale : à l’écrit
les titres, les sauts de ligne indiquent au lecteur que l’on passe à une autre idée, à une autre
partie, mais à l’oral rien ne joue ce rôle, sauf la transition du présentateur. Ces liaisons et ces
reprises doivent être plus insistantes oralement : elles suppléent l’absence de titres, sous-titres,
numérotation, retraits, auxquels le lecteur se réfère à l’écrit et qui facilitent la compréhension
d’une démarche, d’une réflexion, d’une recherche. Ainsi, un simple « donc » ne suffit pas pour
indiquer que l’on passe de l’exposé d’une situation à l’analyse de ses conséquences. Par
exemple, on dira : « Nous venons de présenter les nouvelles directives européennes qui s’appli-
quent aux industriels de l’automobile. Elles sont lourdes de conséquences, et au titre de ces
conséquences, nous allons aborder l’aspect technologique, l’aspect financier mais également
les implications dans la gestion du personnel et sa formation ».

C. La conclusion et la clôture
La conclusion découle du développement. Il n’est pas nécessaire, à l’oral, de synthétiser les
différentes séquences du développement (comme on le ferait à l’écrit), il faut plutôt récapituler la
démarche générale de l’exposé et insister sur l’idée clé à laquelle on est arrivé, le message final.
Naturellement, l’auditoire doit savoir que l’exposé est terminé, c’est pourquoi une « clôture »
s’impose, plus élaborée que « Bon, voilà, c’est fini » ! On remercie le public pour son attention,

201231TDPA0413 37
Relations professionnelles 1 • Série 4

on propose de répondre à des questions ou de développer une idée qui n’a été que brièvement
exposée, on peut aussi terminer sur le ton de l’humour ou sur une citation… La personnalité du
présentateur peut se donner un peu plus libre cours.

V. La préparation de la présentation orale


La préparation d’un oral passe par l’élaboration d’une sorte de synopsis, la création de visuels
pertinents et efficaces sur lesquels s’appuiera le discours oral du présentateur, la rédaction d’un
« conducteur » (comme pour une émission ou un journal télévisés) qui permettront au présenta-
teur de dérouler son exposé.
Comme on le voit, dès la construction du synopsis, il faut envisager une illustration de chaque
idée, soit par l’exemple, soit par l’image (des visuels), soit les deux ensemble. Dans le cas ci-
avant, on peut expliquer le poids social de l’industrie automobile avec trois silhouettes dont la
taille sera proportionnelle au nombre de salariés dans les secteurs « construction automobile »,
« équipements », « vente et maintenance ».

A. Les visuels
Un exposé, une soutenance, une présentation font appel à l’oral et à l’écrit sous la forme de
transparents et plus couramment aujourd’hui de diapositives PowerPoint®. En effet, la mémoire
auditive et la mémoire visuelle sont inégalement réparties en chacun d’entre nous ; il est utile
de les solliciter toutes les deux. De plus, certaines données (chiffrées ou discontinues) sont plus
difficiles à retenir (au-delà de 10 secondes) lorsqu’elles sont données oralement : les énuméra-
tions, les chronologies, les noms propres. Il est nécessaire d’en donner une image que la mémoire
visuelle pourra enregistrer, en écrivant les noms propres, en réalisant des listes simplifiées de
nombres, de dates.
Par ailleurs, on connaît le proverbe « un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ». Il est plus
aisé d’expliquer le fonctionnement d’un service, une méthodologie, une procédure, en les sché-
matisant et en appuyant l’explication sur le schéma.

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1. Les caractéristiques d’un bon visuel
Un bon visuel est incomplet voire incompréhensible seul ! Si ce que dit l’orateur est déjà écrit
en clair sur le visuel, il peut se taire ! Le public est naturellement attiré par ce qui est projeté : il lit
donc ce qui est écrit sur la diapositive et n’écoute pas l’orateur. Le visuel ne doit montrer que ce
qui doit être mémorisé visuellement (mots, chiffres, noms propres) ou qui ne prend sens qu’avec
le commentaire et les précisions du présentateur.
Le présentateur :
• complète (précisions, définitions) ;
• commente (sens) ;
• explique (analyse).

Exemple applicatif 2

Ce que dit l’orateur Ce qui est écrit sur le visuel


Dans un premier temps nous dresserons un tableau de la situation 1. Le parc français
du parc automobile français. VL – PL – Cars
Nous verrons quelle est la part respective des véhicules légers, Énergie
des poids lourds et des véhicules de transport en commun etc.
dans les immatriculations.
Puis nous nous intéresserons au type d’énergie des véhicules neufs,
notamment la part du diesel par rapport à l’essence et la part
des véhicules hybrides.

38
UE 123 • Relations professionnelles 1

Ainsi, le plan d’un exposé sera écrit à l’écran de manière à ce que le public soit aidé visuellement
mais qu’il conserve une écoute attentive à ce que développe le présentateur :

Un plan projeté Un plan écrit dans un rapport ou une étude


L’industrie touristique française : L’industrie touristique française
Les types de tourisme 1. Les types de tourisme
Les touristes 1.1. Le tourisme de loisirs
Les destinations 1.2. Le tourisme culturel
1.3. Le tourisme vert
1.4. Le tourisme d’affaires
1.5. Le tourisme familial
2. Les touristes
2.1. Les touristes français
2.2. Les touristes étrangers : européens et extra-européens
3. Les destinations
3.1. La mer, la montagne, la campagne
3.2. Les destinations de loisirs : parcs d’attraction, parcs sportifs
3.3. Les lieux culturels : sites, châteaux
etc.

2. Des visuels lisibles


Le défaut le plus fréquent des transparents et des diapositives PowerPoint® est leur manque de
lisibilité. Ce qui est lisible sur une feuille ou sur un écran d’ordinateur (à une distance de 30 à 50
centimètres) ne l’est pas à 5 mètres d’un écran, même avec l’agrandissement de la projection et
pour plusieurs raisons. Un écran de projection n’est pas une feuille de papier. Notre œil ne peut
s’approcher pour lire des caractères plus petits, nous ne disposons pas du même temps pour
lire une page et pour « lire » un visuel tout en écoutant ce qui est dit, il nous faut suivre le rythme
imposé par l’orateur. De plus, notre cerveau est habitué à une extrême lisibilité de l’image parti-
culièrement développée par la publicité (affiches, spots, etc.), le cinéma et la vidéo, la télévision.
Enfin, les vidéoprojecteurs et les rétroprojecteurs couramment utilisés ne restituent pas fidèle-
ment sur l’écran l’intégralité des détails ou nuances de l’original projeté.
C’est pourquoi on doit s’efforcer de respecter les consignes suivantes :
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• un titre ne devrait pas excéder cinq mots ;


• un tableau doit comporter 7 colonnes et 5 lignes au maximum ; il est parfaitement inutile de
projeter un tableau directement copié de l’écrit, en s’excusant : « Ah, on ne voit pas bien, mais
dans le rapport, c’est plus clair… » ;
• le format paysage ou l’utilisation des 2/3 du format portrait sont recommandés pour les trans-
parents : le bas du transparent est souvent invisible à partir du deuxième rang d’auditeurs ;
• les caractères de style normal doivent impérativement être de taille supérieure à 14, notam-
ment en police « Times New Roman » ;
• les caractères de style gras sont toujours de taille supérieure à 12 ;
• les caractères en italique sont moins lisibles que les caractères droits et sont à éviter ou à uti-
liser avec une taille plus grande.
• Certaines polices, élégantes et originales, sont presque illisibles :

Voici un bon exemple Voici un mauvais exemple (Arial narrow 11)


(Arial 14 gras) Voici un mauvais exemple (Arial 12)
Voici un bon exemple Voici un mauvais exemple
(Times New Roman 14 gras) (Bernard MT 11)
Voici un bon exemple Voici un mauvais exemple
(Palatino Linotype 14 gras) (Monotype Corsiva 14)
Voici un bon exemple Voici un mauvais exemple
(Verdana 10 italique)
(Verdana 14)

201231TDPA0413 39
Relations professionnelles 1 • Série 4

La mise en page d’un visuel utilise le plus possible l’espace et réduit les blancs :
• pour la mise en page des paragraphes, on utilise des interlignes simples, on restreint l’espace-
ment « avant » et « après » à 0 point, on n’effectue pas de retrait de 1re ligne ;
• dans un tableau, l’espace de chaque cellule est occupé par les mots ou les nombres.

Ce qu’il faut faire Ce qu’il ne faut pas faire


Année Résultat Évolution Année Résultat Évolution
2005 + 33 907 + 3,1 % 2005 + 33 907 + 3,1 %
2006 + 45 078 + 4,2 % 2006 + 45 078 + 4,2 %

Dans un tableau où figurent une trentaine de données, le présentateur n’en commentera que
trois ou quatre. Il convient donc de les mettre en valeur afin que le public ne les cherche pas et
qu’il retienne visuellement celles qui sont importantes.

Achats de véhicules 2005 2006 2007 Total Évolution


Véhicules légers 78 891 84 675 93 567 257 153
Camions 341 879 158 408 178 555 678 842
Camionnettes 128 121 0 97 056 225 177

Les couleurs sont à utiliser avec précaution, compte tenu de la perte de qualité lors de la
projection. On veillera à :
• bannir les couleurs pastel, notamment le jaune, mais aussi le vert et le bleu « fluo » qui perdent
leur fluorescence sur l’écran ;
• choisir des couleurs bien contrastées, par exemple sur un graphe comportant plusieurs courbes ;
• préférer les couleurs franches (bleu, rouge, vert, noir) aux couleurs nuancées (violet, marron clair) ;
• prendre en compte la symbolique des couleurs comme le suggère le tableau ci-après.
Sans verser dans un symbolisme de bazar, on peut choisir les couleurs en fonction de ce qu’elles
représentent communément dans nos sociétés occidentales.

Couleur Symbolique
noir Mort, deuil, nuit, mystère.
bleu Paix, vertu, méditation, sagesse, rêverie.
rouge Force, passion, puissance, interdiction, danger.

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jaune (À éviter pour une projection)
vert Espérance, nature, repos.
marron Énergie, robustesse.
violet Politesse, mystère, spiritualité, mélancolie.

Les symboles doivent également être clairement et facilement vus et identifiés : une flèche vers
le bas (↓) est moins visible qu’un triangle la pointe en bas (). On peut user avec profit des sym-
boles disponibles, dans le logiciel Word®, avec la commande d’insertion de caractères spéciaux
(sous l’onglet « Symboles », choisir la « Police » « webdings » ou « wingdings »).

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UE 123 • Relations professionnelles 1

Ainsi, il peut être plus simple de signifier que les délais sont impératifs avec les symboles sui-
vants plutôt qu’avec quelques mots :   ou  

3. La conception des diapositives PowerPoint®


Les bons connaisseurs du logiciel de présentation PowerPoint® ont tendance à en exploiter
toutes les possibilités, les jeux de couleurs, les animations, les transitions d’une diapositive à
l’autre, en usant de force effets de diagonales, flash, balayages, etc. jusqu’à donner le vertige au
public qui a l’impression d’assister à un festival d’effets spéciaux ! Ils oublient l’essentiel : le
public de leur exposé est venu écouter un exposé, s’informer, éventuellement discuter avec le
présentateur et non admirer un savoir-faire bureautique qui le distrait de l’essentiel ; pour les
effets spéciaux, il va plutôt au cinéma…
La sobriété s’impose donc mais non l’austérité ennuyeuse ni la pauvreté en information. Une
diapositive PowerPoint® est un support de communication qui doit aider le présentateur à
commu­ni­quer plus efficacement qu’avec le seul discours oral.
Nous avons vu ce qui, dans la typographie, la symbolique, les couleurs, pouvait améliorer la pré-
sentation et la communication d’une information. Examinons les fonctions utiles de ce logiciel.

4. Le « masque des diapositives »


On y a accès par la commande « Affichage/Masque/Masque des diapositives ». Ce masque
permet une mise en page, l’insertion de logos, de la date, etc. qui seront appliquées à toutes les
diapositives :
• on définit une fois pour toutes le style des titres et des sous-titres, ce qui assure une homogé-
néité des diapositives et évite de recommencer cette mise en forme à chacune ;
• on rappelle sur toutes les diapositives en pied de page qui est le présentateur (étudiant,
employé, entreprise, etc.), en zone de « date et heure » la date bien sûr, mais aussi le titre de
l’exposé ;
• on peut insérer un logo, un arrière-plan de couleur, etc.
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Relations professionnelles 1 • Série 4

Ce qui permettra d’obtenir, par exemple, la diapositive suivante :

De plus, on peut agrémenter ses diapositives en utilisant des « modèles de conception » tout
prêts ; il suffit de choisir dans le « volet Office » le modèle qui convient pour le sujet. Cependant,
les fonds en couleurs peuvent gêner la lisibilité : écrire en vert ou en rouge sur un fond bleu
sombre n’est pas recommandé ; en revanche, un jaune vif conviendra dans ce cas alors qu’il est
à proscrire sur fond blanc.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

5. La transition entre les diapositives et l’animation


Le logiciel PowerPoint® dispose de deux fonctionnalités intéressantes lors d’un exposé : la tran-
sition (comment passer d’une diapositive à l’autre) et surtout l’animation (comment apparais-
sent sur l’écran les éléments qui composent une diapositive).
La transition (dans le menu déroulant du volet Office, choisir « Transition ») doit être cohérente
avec le contenu de la diapositive qui va apparaître.
S’il s’agit de texte (titre, mots-clés, à lire de gauche à droite évidemment), les choix suivants
s’imposent : « Recouvrir à partir de la gauche », « Poussée vers la droite », « Découvrir vers la
droite », « Balayage à droite. » Dans tous les cas, on préférera la vitesse « lente » ou « moyenne »,
sinon la transition ne présente pas d’avantage par rapport à un simple passage « brusque » à la
diapositive suivante.
S’il s’agit d’un tableau, d’un schéma, d’un organigramme que l’on veut projeter dans sa totalité,
en une fois, on choisira « découvrir vers l’extérieur » ou « fondu léger » ou encore « en forme de
cercle ». Ce sont les transitions les plus sobres qui ne distrairont pas le public. Les diagonales,
flashs, dissolutions, etc. sont inutilement voyantes.
L’animation (dans le menu déroulant du volet Office, choisir « Personnaliser l’animation ») est
beaucoup plus intéressante que la transition : elle permet de ne faire apparaître le contenu de
la diapositive que progressivement, à chaque clic du présentateur. Ainsi, lorsque le présenta-
teur veut expliquer un processus en plusieurs étapes ou énumérer une liste de causes, il va
dévoiler les étapes ou les causes les unes après les autres, au fur et à mesure de son
commen­taire. Le public sera en quelque sorte captif, il ne découvrira pas les différents éléments
de la diapositive avant que le présentateur ne les commente. La méthode à suivre est expliquée
dans l’aide de PowerPoint®.
Les numéros qui apparaissent auprès de chaque élément de la diapositive renvoient chacun à
l’animation définie pour son apparition. On dispose de la liste des animations et de leur descrip-
tion dans le volet Office : on peut supprimer, modifier, changer l’ordre des animations. Il est
recommandé d’effectuer une lecture ou un diaporama pour vérifier que l’ensemble des anima-
tions est cohérent avec le commentaire oral prévu.
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201231TDPA0413 43
Relations professionnelles 1 • Série 4

B. Le conducteur de la présentation orale


Comme on l’a vu précédemment (la structure de l’exposé), il faudra annoncer, présenter, enchaî-
ner par des transitions, conclure et remercier. On peut aussi projeter à nouveau la diapositive du
plan initial entre chaque grande partie de manière à ce que le public suive mieux la progression
de l’exposé : il suffit de la copier entre la dernière diapositive d’une séquence et la première dia-
positive de la séquence suivante.

Déroulement Support Commentaires et liaisons


Présentation : accroche Oral Actualité, exemple, anecdote, etc.
Annonce du thème Oral Justification du thème, circonstances de
l’étude, du stage, etc.
Annonce du plan Visuel avec « plan » Développement des titres : compléter les titres
simplifié succincts du visuel, les expliciter.
Introduction du thème Exemple : visuel On expose une problématique, une démarche
symbolique et synthétique générale, des objectifs.
(organigramme, schéma,
etc.)
Séquence 1 Visuels de la séquence 1 : On sélectionne sur chaque visuel quelques
un visuel par idée détails pertinents, on les commente, on apporte
des compléments, des précisions, des
explications.
Synthèse de la phase 1 Oral « En résumé… »
Lien avec la phase 2 Oral et visuel En utilisant le passé pour la séquence 1 et le
avec plan simplifié futur pour annoncer la séquence 2, on souligne
oralement le passage à une autre partie :
« D’abord, ensuite, maintenant. »
On énonce une question nouvelle, une autre
direction.
Phase 2 Visuels de la phase 2 : Anecdote, exemple type.
un visuel par idée Détail commenté.
Synthèse de la phase 2 Oral « Nous avons vu que… »
« En somme, on peut dire que… »
« Nous savons maintenant que… »

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Lien avec la phase 3, Oral et visuel Question nouvelle, autre direction, etc.
etc. avec plan simplifié
Synthèse générale Oral « Ce qu’il faut retenir/Le plus important… »
Il faut indiquer à l’auditoire que l’on conclut,
que l’on résume, que l’on tire les enseignements
de l’étude, etc.
Remerciements et Oral
ouverture aux
questions de l’auditoire

Pratiquement, le conducteur peut être préparé en utilisant les « pages de commentaires » de


PowerPoint® que l’on peut afficher sur son écran d’ordinateur, compléter et imprimer. Le présen-
tateur pourra y noter les rubriques de la première colonne, éventuellement quelques phrases de
liaison s’il craint de chercher ses mots.

44
UE 123 • Relations professionnelles 1

C. Le document écrit d’accompagnement


Une fois la présentation orale terminée, il est bon de distribuer aux participants un document
écrit qui sera un support permanent et fiable des idées ou informations essentielles.
On peut aussi distribuer ce document avant l’exposé s’il prévoit des marges, des espaces pour
le compléter au cours de la présentation. Le risque, si le contenu est assez complet, est que le
public suive la présentation sur son document et que l’orateur parle devant un auditoire de têtes
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baissées et de personnes distraites…

Quels types de documents d’accompagnement ?


Il faut tenir compte d’une part du sujet et du contenu de l’exposé, d’autre part des besoins sup-
posés du participant après l’exposé. Ainsi, si la présentation orale porte sur l’exposé d’une
politique générale (d’entreprise, de collectivité), le document écrit peut être la simple reproduc-
tion des diapositives qui ont servi à l’exposé. On peut l’imprimer à partir du logiciel PowerPoint®,
en choisissant dans le menu d’impression « Document » et « 6 » ou « 3 » diapositives par page.

201231TDPA0413 45
Relations professionnelles 1 • Série 4

En revanche, s’il s’agit de présenter oralement les résultats financiers d’une entreprise, il est
évident que le public aimera disposer des chiffres après l’exposé. Il faut donc lui remettre une
copie des comptes (tableaux) accompagnés des graphiques préparés pour la présentation.
De manière plus générale, les données quantitatives, les faits et dates, les schémas, les cartes
ou les tableaux, tout ce que le participant ne peut mémoriser ou noter pendant la présentation et
qui peuvent lui être utiles, figureront sur le document d’accompagnement de l’oral.

Exemple applicatif 3
Après une présentation sur le poids de l’énergie dans la balance des paiements, on pourra don-
ner aux participants, sous la forme d’une page de commentaires, le diagramme de l’évolution
des cours du pétrole depuis 20 ans.

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46
UE 123 • Relations professionnelles 1

On peut également imprimer les diapositives comprenant des tableaux et des diagrammes
comme pour cette présentation du budget d’une collectivité locale.

Autre cas de figure :


Si l’exposé consiste à rendre compte d’une étude (de marché, d’une enquête) ou d’un rapport
et à en présenter les conclusions, le document d’accompagnement ne reprend pas la totalité de
l’information ou de la démarche présentées oralement mais seulement la structure générale.
Complément de l’exposé, il n’en adopte pas la démarche explicative, démonstrative mais la
récapitule. L’exposé étant structuré en phases, elles-mêmes composées de plusieurs idées
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(c’est le synopsis, voir plus haut), on rédige alors un plan détaillé avec des titres et des inter-
titres qui peuvent être plus explicites que les titres de l’exposé. On intègre ensuite quelques
visuels de l’exposé dont le format aura été réduit ; on choisira ceux qui pourront être utiles ulté-
rieurement au participant.
Enfin, une ou deux courtes phrases entre certains visuels assurent la cohérence générale,
récapitulent la démarche.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Exemple applicatif 4

Document d’accompagnement sur les aspects économiques des gaz à effet de serre (GES)

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48
UE 123 • Relations professionnelles 1

Exercices autocorrigés

Ne pas envoyer à la correction

Exercice 1

Énoncé
Voici trois diapositives extraites d’une présentation orale sur l’activité touristique.

TRAVAIL À FAIRE
Pouvez-vous en faire la critique, du point de vue de la conception et de la mise en forme ?
Diapositive 1
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Diapositive 2

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Diapositive 3

Corrigé

Diapositive 1
Le texte est beaucoup trop « bavard » : le présentateur sera amené à lire exactement ce qui est
écrit sur la diapositive. De plus le premier paragraphe est beaucoup trop long, il comporte des
détails, il est mal ponctué (il faudrait un point après « filière touristique »).
On aurait pu synthétiser les idées par des titres composés des mots-clés :
• Information statistique pertinente ;
• L’initiative Virtins ;
• L’implication locale ;

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• Virtins : modèle.

Diapositive 2
Le titre de la diapositive est trop explicite, long et négatif (« désavantages », « assimilant »). On
pouvait le remplacer par « Pour gagner : une destination = une entreprise », par exemple.
Les caractères du tableau sont beaucoup trop petits : ils sont ridicules par rapport à la taille des
flèches. De même que précédemment, le texte pouvait être simplifié :
Coopération horizontale = économies d’échelles
Val Tour = échange des données stratégiques → management de destination

Diapositive 3
Le titre « TUI » (Touristik Union International, le plus grand groupe de tourisme mondial) est illi-
sible : le contraste entre le fond et le texte est insuffisant (bleu sombre sur rouge sur la diaposi-
tive originale).
Le texte contenu dans le triangle est trop long et explicite : il suffisait d’écrire « Intégration de la
valeur », voire simplement « Valeur » ou « Poids ». Plus le texte est long, moins il est aisé de l’in-
sérer dans une forme, plus il est redondant par rapport au commentaire du présentateur.

50
UE 123 • Relations professionnelles 1

Exercice 2

Énoncé
TRAVAIL À FAIRE
1. Voici deux diapositives extraites d’un diaporama PowerPoint de l’IDDRI (Institut pour le
développement Durable et les Relations internationales)5 pour un séminaire sur « Pays émer-
gents et aide publique au développement »6 puis trois définitions de la CNUCED7.
Les deux diapositives ne conviennent pas pour une présentation orale.
Refaites-les (on peut en faire deux ou seulement une) et rédigez le commentaire oral que vous
feriez à l’appui de ces ou cette diapositive(s).
Matériellement, il suffit de dessiner un cadre sur papier ou une zone de texte sur traitement de
texte et d’y écrire ce qui devrait figurer sur cette ou ces diapositive(s) de présentation orale.
Séminaire Iddri - 10 avril 2007

Questions de définition

• Du concept de Tiers-Monde (Sauvy) après la seconde guerre


mondiale, on est passé à celui de Pays Sous-Développé,
puis à celui de Pays en Voie de Développement (PVD)
dans les années soixante, toujours utilisé depuis.

• D’autres concepts vont émerger dans les années soixante-dix :


celui de « Nouveau Pays Industrialisé » ou encore de pays
semi industrialisé, d’une manière plus imagée on désignera
ainsi les « dragons » et les « tigres ».
• Puis pour tenir compte des problèmes des pays les plus
pauvres on inventera le concept des Pays Moins Avancés.
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Séminaire Iddri - 10 avril 2007

Questions de définition (suite)

• Enfin le concept de pays émergent apparaîtra d’abord


dans la littérature financière : il s’agit de l’ouverture des marchés
boursiers de certains pays en développement qui deviendront
l’objet d’intenses spéculations boursières. Concept flou,
à définition variable, le critère financier est dominant.

• Pour la Banque mondiale le classement des pays est


un problème pratique puisque l’aide internationale est fonction
du classement du pays dans différentes catégories.

• Plus on est pauvre plus peut prétendre bénéficier de l’aide


internationale même si d’autres critères sont pris en compte
(gouvernance, respect des droits de l’homme,
de l’environnement etc…).

5. http://www.iddri.org/Activites/Seminaires-reguliers/oeuoee’oe_seminaireAPD_pstationFouquin.pdf
6. Michel Fouquin, Iddri, 10 avril 2007.
7. Conférence des nations Unies sur le Commerce et le Développement.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

• Pays émergents
Pays dont la croissance économique est sérieusement amorcée (croissance du PIB et des expor-
tations de produits manufacturés, augmentation des flux internationaux de capitaux) et qui ont une
infrastructure financière présentant des risques. Fragiles, ils ont été en butte aux crises financières
de la décennie 90, tels l’Argentine, le Brésil, la Turquie à la fin des années 1990. Ils ont connu sur
une période longue des taux de croissance très forts, ce qui leur a permis de combler une partie
de leur retard. L’écart tend à se creuser entre les pays « intermédiaires » et les pays les plus
pauvres, alors qu’il y a une forme de convergence entre pays riches et pays intermédiaires.
• Pays en transition
Pays d’Europe centrale et orientale, pays de la Communauté des États indépendants (CEI),
Chine, Cuba, ainsi que certains États africains ou asiatiques qui passent d’une économie étati-
sée et centralisée à une économie de marché ouverte aux échanges. Bénéficiant d’un traitement
préférentiel de la part de nombreuses organisations, le FMI notamment, ils sont de ce fait privi-
légiés par rapport à des pays en développement plus classiques.
• Pays les moins avancés (PMA)/LDC (Less Developed Countries)
Les PMA correspondent à une catégorie définie par la CNUCED sur la base de trois critères : le
PIB (produit intérieur brut) par habitant, la part des industries manufacturières dans le PIB et le
taux d’alphabétisation. Le groupe des PMA, qui ne recensait que 25 pays à sa création par les
Nations unies en 1971, en compte 49 en 2004, dont 34 en Afrique.
« Cette catégorie de pays est constituée sur la base des critères suivants : bas revenu
national (produit intérieur brut par habitant avec un seuil d’entrée à 900 dollars), faible
niveau de développement du capital humain (indice composite incorporant des indica-
teurs de santé, de nutrition et d´éducation) et vulnérabilité économique (indice composite
incorporant des indicateurs sur l´instabilité, la production et les exportations agricoles, le
manque de diversification, et le handicap d´être un petit pays). En outre, pour être admis-
sible dans la catégorie des PMA, le nombre d’habitants ne doit pas dépasser 75 millions. »

CNUCED, communiqué de presse, 2002.

2. Les deux textes suivants peuvent constituer des sources d’information suffisantes pour
une brève présentation orale.
a. Vous choisirez un titre général pour cette présentation.
b. Puis vous remplirez le schéma du synopsis tel que figuré ci-après en l’adaptant si néces-

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saire. Les idées devront être résumées en style télégraphique. Si vous rédigez votre devoir à
la main, il est facile de dessiner des rectangles et d’écrire à l’intérieur de manière télégra-
phique le contenu : titres et idées résumées. Au besoin, utilisez votre feuille dans sa largeur.
Si vous utilisez un traitement de texte, ne perdez pas de temps à construire un organigramme,
insérez simplement des zones de texte que vous déplacerez et remplirez à votre convenance.

Titre général
de la présentation

Titre de la première séquence Titre de la deuxième séquence Titre de la troisième séquence

Première idée Première idée Première idée


de la séquence 1 de la séquence 2 de la séquence 3

Deuxième idée Deuxième idée Deuxième idée


de la séquence 1 de la séquence 2 de la séquence 3

Troisième idée Troisième idée Troisième idée


de la séquence 1 de la séquence 2 de la séquence 3

52
UE 123 • Relations professionnelles 1

Quels pays en développement ?


Du tiers-monde aux PED (pays en développement), en passant par les PVD (pays en voie de déve-
loppement), les termes ne manquent pas pour qualifier cet ensemble qui accueille plus des trois
quarts de la population mondiale en 2004.
En 1964, la première conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)
voit l’émergence d’un bloc du Sud avec le groupe des 77 (qui regroupe 133 pays aujourd’hui),
groupe qui œuvrera pour un nouvel ordre économique international (NOEI) au cours des années 60
et 70.
Aujourd’hui les pays en développement constituent un groupe de plus en plus hétérogène : les
écarts de revenu y sont considérables, et la convergence d’intérêts toute relative.

Un groupe de pays hétérogènes


« Le tiers-monde du début du xxie siècle offre une vision contrastée entre, d’une part, des pays
émergents, au sommet de l’échelle en termes de revenus, mais à la merci des fluctuations erra-
tiques des capitaux privés, donc marqués par le poids de crises financières récurrentes (Asie de
l’Est et Amérique latine émergente surtout), d’autre part, des pays très pauvres au contraire, situés
tout en bas de l’échelle en termes de revenus, (PNB inférieur à 900 dollars par an), qui sont d’au-
tant plus vulnérables qu’ils dépendent de mono-exportations de matières premières et d’une aide
publique au développement de plus en plus chichement accordée (Afrique subsaharienne surtout).
Entre les deux, un ensemble fourre-tout et hétéroclite de pays dits à revenus intermédiaires
regroupe à la fois des pays importateurs de pétrole (Côte-d’Ivoire) et des pays exportateurs
(Congo), des pays géants (Nigeria) et des micro-États (ceux du Pacifique par exemple), des pays
qui sont sur le point d’entrer dans le clan des pays émergents (Indonésie) et d’autres au contraire
qui sont tirés vers le bas en raison de dysfonctionnements politiques graves (Zimbabwe, Argen-
tine) » selon Sylvie Brunel8.
Les pays émergents eux-mêmes, recouvrent des situations très différentes comme le rappelle
Rubens Ricupero, secrétaire général de la CNUCED, dans le rapport sur le commerce et le déve-
loppement 2003 : « Entre 1960 et 1973, l’Amérique latine et l’Asie de l’Est ont enregistré un taux de
croissance relativement semblable et en 1973 les quatre nouveaux pays industriels (NPI) de la
première vague avaient un revenu moyen par habitant inférieur de 850 dollars à celui des cinq plus
grands pays d’Amérique latine. Après cette date, l’évolution de ces deux groupes de pays a
commen­cé à être divergente, le taux de croissance en Asie de l’Est étant plus du double du taux
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moyen enregistré en Amérique latine entre 1974 et 2000. En outre, ce ralentissement est allé de
pair avec une instabilité croissante en Amérique latine : dans la plupart des pays de la région, la
croissance a été plus lente et moins stable pendant la période 1980-2000 que pendant les deux
décennies précédentes. »

La fracture Nord-Sud
Cependant, quelles que soient leurs différences, la césure entre pays du Nord et pays du Sud reste
bien réelle et l’écart de revenu entre le groupe des pays riches et celui des pays pauvres est plus
important aujourd’hui qu’en 1975. Car, si on assiste à une réduction globale de l’écart de revenus
entre pays développés et l’ensemble des pays dits « en développement », le rapport du revenu par
habitant des quinze pays les plus riches et celui des quinze pays les plus pauvres de la planète est
passé, lui, de 11,6 en 1960 à 46,2 en 2001.
Cette fracture a même repris de l’importance avec la montée des mouvements altermondialistes,
et la tentative de constitution de front des pays du Sud au sein de l’OMC (Organisation mondiale
du commerce).
C’est en particulier la leçon de l’échec de la 5e conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en sep-
tembre 2003, avec la constitution du Groupe des 22, regroupant vingt-deux pays émergents, conduits
par le Brésil, la Chine et l’Inde, et celle du Groupe des 90, coalition rassemblant les PMA (pays les
moins avancés), les pays de l’Union africaine et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

•••/•••

8. Source : Cahiers français, Développement et mondialisation, n° 310, sept-octobre 2002.

201231TDPA0413 53
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Les crises financières de la fin de la décennie 90, qui ont secoué certains PED parmi les plus avan-
cés, Thaïlande, Turquie, Argentine, Brésil, d’un côté, et la crise de la dette qui n’en finit pas de
miner l’économie des plus pauvres, de l’autre, ont contribué à l’émergence de critiques très viru-
lentes des institutions financières internationales, par les gouvernants des pays du Sud.

Un fossé qui se creuse avec les pays les plus pauvres


« On estime à environ 2,9 milliards le nombre de personnes sur terre vivant avec moins de 2 dollars
par jour. Plus inquiétant encore, 1,2 milliard d’entre elles survivrait avec moins de 1 dollar par jour.
L’Afrique est, en valeur relative, le continent le plus concerné puisqu’un Africain sur deux n’atteint
pas ce seuil. Mais d’autres zones géographiques sont également très touchées. Ainsi, en Asie de
l’Est, 880 millions d’hommes et de femmes reçoivent moins de 1 dollar par jour. En Asie du Sud,
ce sont près de 500 millions de personnes qui vivent en situation de dénuement absolu. En Europe
centrale et orientale, les chiffres se sont considérablement détériorés depuis 1990 puisque le pour-
centage de la population ayant moins d’un dollar par jour pour subsister était de 8 % à l’époque
contre 20 % en 1999.
Le fossé entre les pays industrialisés et les pays en développement ne cesse de se creuser. Un
pays comme la Suisse a aujourd’hui un PIB par habitant 400 fois supérieur à celui de l’Éthiopie et
115 fois supérieur à celui de l’Inde. »9
La Documentation française, Dossier « Développement et mondialisation ».

Globalisation. Un entretien avec Kemal Dervis, chef du Programme


des Nations unies pour le développement

« La crise sera plus grave pour les pays pauvres »

Le dirigeant du PNUD estime que la crise financière « a ouvert un débat sur la gouvernance
économique mondiale », et plaide pour « une vision véritablement supranationale ».
Les conséquences économiques de la crise financière seront beaucoup plus graves pour les pays
en développement que pour les riches, prédit Kemal Dervis, qui dirige le Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD). Cet ancien ministre des finances turc, chaud partisan du
multilatéralisme, plaidait jusqu’à ce jour dans le désert pour que les pays du G7 tiennent enfin leur
promesse d’augmentation de leurs aides.

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Que pensent les pays en développement de la crise financière ?
Ils pensent qu’ils n’y sont pour rien, mais qu’ils vont en subir les conséquences. Car ce qui était à
l’origine une crise financière occidentale est en train d’affecter leur économie réelle. Leur demande
baisse, leur croissance baisse et la volonté de leur accorder des crédits baisse. Autrement dit, ils
vont disposer de moins de recettes, de moins d’investissements étrangers et de moins d’exporta-
tions. Les conséquences seront beaucoup plus graves pour eux que celles de la défaillance du
secteur financier dans les pays riches.
Tout n’est pas noir. Les pays d’Asie de l’Est vont accuser le coup, mais leur croissance demeurera
élevée, à l’image de celle de la Chine qui demeurera au-dessus de 7 % de rythme annuel. Leur
développement est en partie autonome par rapport à l’économie des pays riches et c’est une
chance pour l’économie mondiale, qui évitera peut-être un effondrement grâce au dynamisme de
ces pays émergents.

Le G24, qui regroupe des pays en développement, a prévenu que ceux-ci n’auraient pas
les moyens de faire face à cette crise. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai. Je rappelle que l’aide publique mondiale s’élève grosso modo à 100 milliards de dollars
(74 milliards d’euros) par an. En revanche, les budgets de défense pèsent 1 300 milliards de dollars
(965 milliards d’euros), et ce que les pays avancés injectent dans leur système financier pour éviter
son effondrement dépassera ce montant.
•••/•••

9. Source : Klause Werner Jonas, « Améliorer les perspectives des PED », Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe, document 10013, 10 décembre 2003.

54
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Nous avons tous intérêt à ce que le système financier mondial résiste, mais cela n’enlèverait pas
grand-chose à ses dépenses de défense, par exemple, de tenir la promesse faite par les pays
avancés à l’Afrique, en 2005 à Gleneagles, de lui accorder 25 milliards de dollars (18,5 milliards
d’euros) de plus par an pour lui permettre de diviser par deux la pauvreté de ses populations d’ici
à 2015. Si les pays riches prenaient prétexte de la crise financière pour ne pas tenir parole, cela
poserait un problème moral.

Quelles sont les causes des bouleversements économiques mondiaux ?


L’économie de marché pratiquée à outrance pousse à des prises de risque inconsidérées qui finis-
sent par perturber les sociétés elles-mêmes. II faut rétablir un équilibre entre la recherche du
risque, donc du profit, d’un côté, et de la sécurité, de l’autre. La stabilité économique aussi a de la
valeur. Après tout, on ne construit pas les avions de ligne pour qu’ils soient efficaces, au sens
financier du terme, mais pour qu’ils soient sûrs et solides !

Quels remèdes préconisez-vous ?


Il est temps d’attaquer le mal par la racine et de mettre au point une nouvelle régulation du système
financier international, plutôt que d’utiliser les instruments macro-économiques, monétaires ou
budgétaires, qui satisfont tout le monde à court terme, mais qui préparent la tempête financière
suivante.
Le seul mérite de la crise est d’avoir persuadé le monde entier que nous sommes tous dans le
même bateau et que tous les pays sont interdépendants les uns des autres. Je ne crois pas à ce
que certains, notamment l’Américain Robert Kagan [politologue néoconservateur], nous prédi-
sent : le retour des États nations. L’Histoire continue et elle nous enseigne que les problèmes du
temps présent doivent être traités par la coopération, dans un cadre multilatéral renouvelé.

C’est-à-dire ?
La crise a ouvert un débat sur la gouvernance économique mondiale. Qui doit décider ? Le G7, le
G8, le G8 élargi à treize pays selon les vœux de Gordon Brown et de Nicolas Sarkozy ? Un G14
cher au président de la Banque mondiale, Robert Zoellick ? Est-ce qu’il faut renforcer le Comité
monétaire et financier international du FMI [Fonds monétaire international] qui a le mérite de ras-
sembler des représentants de toutes les nations ? Est-ce que tous les pays auront la même voix ?
Quels poids accordera-t-on aux petits et aux pauvres que l’on oublie en général ?
Beaucoup de propositions ont été, mises sur la table, mais aucune ne s’impose. Je pense que
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nous aurons un grand débat dans les prochains mois à ce sujet, car une nouvelle administration
américaine se mettra en place après les élections du 4 novembre. Ce que pensera l’Amérique de
cette coopération sera très important.
Le monde est devenu très intégré, très interdépendant, alors qu’il fonctionne toujours sur la base
d’États souverains. Une autre vision véritablement supranationale doit l’emporter et donner nais-
sance à un cadre juridique nouveau. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) en est un
exemple, en ce que ses décisions s’imposent aux États. C’est ce nouvel ordre supérieur que le
xxie siècle nous fait obligation de réussir.

Propos recueillis par Alain Faujas, Le Monde, samedi 18 octobre 2008.

Corrigé

Question 1
Les deux diapositives de l’IDDRI présentent des défauts pour une présentation orale :
• elles sont trop « bavardes », le présentateur est amené à lire ce qui est écrit, ce qui ne présente
aucun intérêt ;
• elles ne permettent pas de visualiser les mots clés importants ;
• elles mélangent les définitions historiques, actuelles, les particularités économiques et politiques.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Il faut donc les recomposer comme suit :

Développement : définitions
Terminologie Caractéristiques
PSD PVD
NPI Pays en transition Privilégiés
Pays émergents (PE) Spéculation
PMA Économie et développement

On pouvait aussi scinder ce tableau en deux et faire deux diapositives, l’essentiel étant de dis-
tinguer la définition des catégories de pays et leurs caractéristiques, le tout de manière synthé-
tique, en se limitant aux mots clés.
Le commentaire pourrait être le suivant :
La manière de classer les différents pays de la communauté internationale, en fonction de leur
niveau de développement, a évolué au cours de la seconde moitié du xxe siècle.
Les pays pauvres, longtemps appelés « Tiers-Monde » à la suite d’Alfred Sauvy, sont devenus
des pays « sous-développés », terme à connotation négative, puis pays « en voie de développe-
ment » ou PVD.
Mais cette appellation ne recouvre plus tous les pays plus ou moins pauvres, par rapport aux
pays riches, improprement dits « occidentaux » puisque le Japon, l’Australie, par exemple, font
partie des pays riches et ne sont pas occidentaux.
On a désormais recours à des termes qui précisent le degré de pauvreté, la progression écono-
mique, l’histoire économique et politique cause de leur « retard » par rapport aux pays riches.
Ainsi les NPI (nouveaux pays industrialisés) également appelés « pays en transition » se carac-
térisent par un moindre développement que les pays riches, principalement en raison de leur
passage effectif ou probable d’une économie étatisée à une économie libérale mais de struc-
tures économiques (industrielles, financières) qui les rapprochent des pays riches : pays de l’an-
cien bloc soviétique et de l’Europe de l’Est, Chine, Cuba. Ils bénéficient d’un statut de privilégiés
pour l’aide au développement, les fonds de soutien de la part du FMI et d’autres organismes
internationaux.

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La notion de « pays émergent » est floue. Elle comprend des PVD qui ont commencé leur décol-
lage économique, souvent avec des taux de croissance importants (Inde, Brésil), des pays en
transition (Chine, Russie), et des pays anciennement riches qui ont connu ou connaissent encore
des crises économiques importantes (Argentine). Leur point commun est leur ouverture aux
marchés boursiers et/ou l’extraordinaire champ de spéculation boursière qu’ils représentent
pour les places financières des pays les plus riches.
Enfin, les pays les moins avancés (PMA) se caractérisent par un PBI faible (moins de 800 $ par
habitant et par an), un développement humain insuffisant (santé, éducation, espérance de vie,
etc.) et une grande fragilité économique (manque de diversification, dépendance).

Question 2
Le titre général de la présentation orale devait indiquer clairement qu’il s’agissait de présenter
les effets de la crise financière des pays « riches » sur les pays en voie de développement et les
pays les moins avancés. L’interview de Kemal Dervis, chef du PNUE, abordait clairement ce
sujet et le premier texte extrait d’un dossier de la Documentation française, sans faire référence
à l’actualité de la crise boursière, exposait les liens et la fracture entre les pays riches du Nord et
les pays pauvres du Sud (pour simplifier).
Le titre pouvait donc être libellé de plusieurs manières :
• crise économique et développement (un peu trop elliptique),
• la crise au Nord, la pauvreté au Sud (le poids de la première sur la seconde n’est pas très clair),
• pays riches en crise : pays pauvres plus pauvres. C’est un peu long mais plus fidèle au sujet,
le signe [:] marque la relation entre les deux phénomènes.

56
UE 123 • Relations professionnelles 1

Les deux textes se recoupaient sur certains aspects de la problématique, notamment la dépen-
dance des pays pauvres à l’égard des pays riches. Toutefois, le premier s’attachait à décrire
« l’état du monde » en matière de développement et de richesse et la dépendance des pays
pauvres par rapport aux pays riches, tandis que le second développait la problématique de la
dépendance aujourd’hui, dans le contexte de crise financière et boursière.
On pouvait donc construire la présentation en deux séquences, l’une descriptive, l’autre problé-
matique.

Pays riches en crises :


pays pauvres plus pauvres

Pays pauvres Économie mondiale


et pays riches et dépendances

Des pays plus ou moins pauvres : Dépendance des pays pauvres :


– PE, PMA, pays à revenus intermédiaires ; – aides au développement ;
– disparité entre pays en Amérique du Sud, – investissements des pays riches ;
Asie. – mono–exportations vers les pays riches ;
– poids de la dette.

La fracture Nord–Sud : Conséquences de la crise boursière


sur les pays pauvres :
– écart croissant entre pays riches et pauvres – moins de crédits ;
(entre 1960 et 2001) ; – moins d’investissements ;
– opposition aux pays riches (OMC : groupes – moins d’exportations.
de 22, groupe de 90).

Paupérisation des personnes : Quels remèdes ?


– 3 milliards de pauvres ; – tenir les engagements (modestes) à l’égard
– paupérisation croissante dans les pays des pays pauvres ;
en transition ; – stabilité économique = équilibre
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– écarts scandaleux (Suisse vs Éthiopie). risque/sécurité ;


– régulation financière ;
– vision mondiale.

Naturellement, d’autres synopsis étaient possibles.


La diapositive présentant le plan reprend le titre général et les titres des séquences, en les
simplifiant toutefois, de manière à les compléter à l’oral au lieu de lire ce qui est déjà sur la dia-
positive.
À noter : L’introduction et la conclusion du sujet se feront oralement. S’il est nécessaire de pré-
senter le sujet, on fera alors une séquence que l’on pourrait intituler ici : « Contexte d’actualité »
ou « Nouveau contexte ». De même, la « conclusion » pourra s’intituler « Développement écono-
mique durable » si l’on choisit de terminer sur un nécessaire changement de l’ordre économique
mondial. Quoi que vous décidiez, il ne faut pas écrire de titre creux (« introduction », « conclu-
sion ») sur une diapositive.

Pays riches en crise :


pays pauvres plus pauvres
Contexte d’actualité
1. Riches et pauvres
2. Dépendances économiques
Développement économique durable

201231TDPA0413 57
Relations professionnelles 1 • Série 4

Les idées principales de chaque séquence ne doivent pas apparaître sur la diapositive de pré-
sentation du plan. On projettera au début de chaque séquence une diapositive annonçant les
idées principales en veillant toujours à simplifier, à ne garder que les mots clés à retenir.

Pays riches en crise : Pays riches en crise :


pays pauvres plus pauvres pays pauvres plus pauvres
Riches et pauvres Dépendances économiques

Des pays plus ou moins pauvres Dépendance des pays pauvres


La fracture Nord-Sud Conséquences de la crise
Paupérisation des personnes Quels remèdes ?

La conclusion
Elle dépend naturellement de votre synopsis, de la dernière idée ou du thème de la dernière
séquence que vous aurez développés.
Ici, elle pouvait être ainsi rédigée :
« Si la crise boursière d’aujourd’hui fragilise le système économique des pays développés et
émergents, on voit qu’elle accentuera encore la misère dans les pays les moins avancés.
Toutefois, on peut trouver quelques raisons d’optimisme prudent dans la convergence de plu-
sieurs mouvements d’opinion : les tenants de la régulation naturelle par le marché conviennent
aujourd’hui – même timidement – qu’une ou des instances mondiales de régulation sont néces-
saires, dans l’intérêt même des pays riches ; les mouvements altermondialistes demandent
depuis longtemps que des règles supranationales mettent fin au pillage des ressources des pays
pauvres par les pays riches ; le concept même de développement durable repose sur trois
objectifs qui doivent confluer : une écologie durable, un commerce équitable et une vie sociale
digne.
Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour développer certains points
abordés rapidement ou répondre à vos questions. »

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Exercice 3

Énoncé
Paru dans la Revue mensuelle Sciences Humaines de juin 2010 (n° 216), voici un dossier intitulé
« Les épreuves de la vie ». Celui-ci regroupe plusieurs articles ayant pour objet l’analyse de dif-
férentes situations, différents événements, qui, au-delà de leur apparente diversité, constituent
des « épreuves » auxquelles chacun peut être confronté au cours de son existence, et qu’il
conviendra de surmonter avec ses moyens propres, ses ressources individuelles, sa personna-
lité, son environnement, son contexte social, etc.

TRAVAIL À FAIRE
1. Dans un premier temps, vous dégagerez rapidement, sous forme d’une prise de notes, les
idées que vous jugerez essentielles et révélatrices du sujet de chaque texte.
2. Vous réaliserez la diapositive de présentation du plan de votre exposé (cf. série 4 : La pré-
sentation orale – Les visuels).
3. Vous rédigerez ensuite une présentation orale du dossier, en confrontant les différentes
situations, en mettant en relief leurs spécificités et leurs points communs, et en insistant sur
ce qui vous paraît le plus intéressant. (Sans dénaturer les propos des auteurs, vous pouvez
vous permettre de donner votre avis et d’élargir le débat. Il ne s’agit pas de tout dire ni de
chercher à être exhaustif, mais de trouver un « angle de vue » qui vous intéresse et de le
développer).

58
UE 123 • Relations professionnelles 1

Documents d’accompagnement :
Textes extraits du dossier « Les épreuves de la vie », Sciences Humaines, n° 216, juin 2010 :
• Texte 1 : Jean-François Dortier, « Combattre, fuir, subir ? »
• Texte 2 : Francis Danvers, « Comment s’orienter dans l’existence ? »
• Texte 3 : Flora Yacine, « Séparation : le parcours du combattant »
• Texte 4 : Héloïse Lhérété, « La maladie, un voyage au bout de soi »
• Texte 5 : Christophe Roux-Dufort, « Le management de crise »
• Texte 6 : Xavier Molénat, « Gagner au loto, une “heureuse catastrophe” »

Texte 1

Combattre, fuir, subir ?


À l’école ou au travail, dans la vie privée ou dans la vie sociale, les épreuves sont multiples.
La façon d’y faire face se résume à trois stratégies fondamentales : combattre, fuir ou… ne
rien faire.
Au xixe  siècle, les voyages d’exploration étaient à la mode. En ce début de xxie  siècle, un autre
genre prolifère, la descente aux enfers suivie d’une éventuelle renaissance : traders repentis,
anciens alcooliques redevenus sobres, ex-taulards en rédemption, anciens chômeurs tirés d’af-
faire, malades sortis de la dépression, etc.
Ceux qui n’ont pas connu personnellement la galère – la drogue, le chômage, une grave maladie,
la prison ou même simplement un divorce brutal – peuvent toujours s’en faire une idée en lisant un
roman, un récit, ou une étude sur le sujet. La littérature de la déchéance, suivie de sa rédemption,
se porte bien.

Qu’est-ce qu’une épreuve ?


Ouvrons par exemple La Guerre des cités n’aura pas lieu du jeune chanteur et écrivain Abd  al
Malik10. Ce n’est pas un chef-d’œuvre mais un roman vécu édifiant. Le jeune Noir Peggy (un nom
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de fille) vit dans une cité de Strasbourg. Il connaît le destin très ordinaire d’une petite « racaille » :
une famille décousue, des embrouilles à l’école, le racisme quotidien, la petite délinquance, un
premier séjour en prison. Mais son histoire bifurque lorsqu’il fait la connaissance d’un médecin de
la cité : un jeune Français qui s’est converti à l’islam. C’est une révélation. La vie ne se résume pas
au modèle qu’il a jusque-là côtoyé. Il découvre une philosophie – le soufisme (une version mys-
tique de l’islam). C’est le début d’une renaissance. Il décide d’abandonner la vie de ses cama-
rades, la délinquance, la drogue…, pour une autre vie.
Les sociologues sont, pour une fois, à peu près tous d’accord : notre époque est marquée par
l’instabilité des statuts et des trajectoires. Les études n’ont jamais été jamais été aussi longues,
mais restent hésitantes, chaotiques et scandées de bifurcations11 ; la vie professionnelle est éga-
lement plus instable et marquée par des ruptures et reconversions, subies ou volontaires. Le
couple et la famille connaissent aussi les aléas des séparations et recompositions.
La notion d’« épreuve » vise à décrire ces situations humaines où les rêves et projets personnels
que nous portons tous en nous se heurtent à la réalité. En première approximation, on peut définir
l’épreuve comme un « défi […] que les individus sont contraints d’affronter12 ». Une définition aussi
large a le mérite de pouvoir embrasser un large spectre de situations : le doctorant qui prépare sa
thèse, le jeune créateur d’entreprise qui se lance à l’aventure, le coureur qui s’entraîne dur pour
son prochain marathon, la jeune mère qui vient de divorcer et se retrouve seule avec ses deux
enfants, cet immigré afghan sans papiers qui tente de passer les frontières pour rejoindre une terre
d’asile dans l’espoir de se construire une nouvelle vie.
•••/•••

10. Abd al Malik, La Guerre des banlieues n’aura pas lieu, Le Cherche Midi, 2010.
11. Marc Besin, Claire Bidard et Michel Grossetti (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures
et aux événements, La Découverte, 2010.
12. Danilo Martuccelli, Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Armand Colin, 2006.

201231TDPA0413 59
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Le seul point commun de ces situations est peut-être d’exiger des individus une mobilisation per-
sonnelle en vue de réaliser leur rêve ou de faire face à un obstacle sur leur chemin. Le décor est
planté et la trame du scénario ne varie guère. Un héros (vous, moi, nous tous…) est confronté à un
défi : réussir un concours, trouver un compagnon (ou une compagne), affronter la maladie, partir
en quête d’un nouveau travail. De là découle une problématique dont les ressorts sont assez uni-
versels.

Les trois stratégies


« Confronté à une épreuve, l’homme ne dispose que de trois choix : combattre, ne rien faire ou
fuir », écrivait en 1976 le biologiste Henri Laborit13. À cette époque, H. Laborit étudiait alors des
rats de laboratoire en situation de stress. Placé face à un rival agressif, un rat n’a d’autre issue que
d’affronter son adversaire, de détaler ou de courber l’échine et se soumettre aux coups de son
agresseur. Un problème, trois solutions : combattre, fuir, subir.
Il se trouve qu’à la même époque, le socioéconomiste Albert O.  Hirschman était arrivé à des
conclusions similaires, mais à partir d’un tout autre point de vue. Il étudiait quant à lui les stratégies
des salariés ou des consommateurs mécontents. Puis il a généralisé son analyse aux électeurs
insatisfaits ou citoyens frustrés. Il en a déduit un « répertoire d’actions » de portée générale se
résumant à trois formules : exit (partir), voice (protester), ou loyalty (se soumettre). Le salarié
mécontent peut décider de protester. L’autre choix consiste à partir et chercher mieux ailleurs14. Le
dernier consiste à rester fidèle, malgré ses frustrations, à son entreprise ou à son foyer.

Combattre
Quel point commun y a-t-il entre un sportif qui s’entraîne en vue d’une compétition, un étudiant qui
prépare un concours, un alcoolique qui fait une cure de désintoxication, une mère qui se bat pour
son enfant malade ? Tous sont engagés dans un combat qui, comme tout combat, exige la défini-
tion d’un but, d’une stratégie et la mobilisation de ressources.
La formulation d’un objectif de vie – scolaire, professionnel, personnel… – engage tout un ensemble
de finalités, d’idéaux et de valeurs associés. Cet ensemble se cristallise parfois autour d’un modèle
identificatoire. Dans le roman de Abd al Malik, le jeune Peggy s’identifie au médecin français qui
s’est converti à l’islam. Ce personnage clé, très différent de toutes les autres personnes de son
entourage, l’intrigue, l’attire, il voudrait lui ressembler. C’est son héros intérieur.
Le jeune footballeur qui aspire à devenir joueur professionnel, l’étudiant qui voudrait devenir cher-
cheur ou cinéaste, s’entourent d’affiches, de livres, de portraits des « héros » qui les inspirent. Le

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psychologue George H. Mead appelait « autrui significatif » ces personnages de références qui
servent de support identificatoire. Les témoignages sur les processus de changement personnel
soulignent l’importance de ces personnages de référence dans la « socialisation anticipatrice » ou
« socialisation active »15.
La transformation de soi s’appuie ensuite sur une discipline de vie nouvelle. X était alcoolique et a
décidé de sortir de la dépendance16. Il sait qu’il doit s’éloigner de certaines tentations (les sorties
avec certains amis, par exemple), fréquenter de nouveaux lieux, adopter de nouvelles habitudes.
Le recours à la volonté passe par des messages personnels (« tu dois être fort », « tu ne vas plus
te laisser tenter »). Il faut donc apprendre peu à peu à s’observer pour cerner ses propres points
faibles (« tu ne dois pas passer devant le rayon alcool au supermarché »). Un intense travail d’au-
toanalyse se met en place qui consiste à analyser ses « démons » (ses faiblesses) ou à trouver des
trucs personnels pour se mobiliser. Tous les individus soumis à des épreuves importantes – spor-
tifs de haut niveau, thésards en phase de rédaction, boulimiques en période de régime…  – le
savent bien, il faut apprendre à se connaître pour changer et agir sur soi.
Cette mobilisation psychique relève de ce que les sociologues nomment la réflexivité : une autoa-
nalyse de ses propres buts, de ses motivations et des moyens d’accomplir ses objectifs.

•••/•••

13. Henri Laborit, Éloge de la fuite, 1976.


14. C’est une stratégie que caressent de plus en plus de gens.
15. Ania Beaumatin, Alain Baubion-Broye et Violette Hajjar, « Socialisation active et nouvelles perspectives
en psychologie de l’orientation », L’Orientation scolaire et professionnelle, vol. XXXIX, n° 1, 2010.
16. Voir par exemple le récit du journaliste Hervé Chabalier, ancien alcoolique, Le Dernier pour la route.
Chronique d’un divorce avec l’alcool, Robert Laffont, 2004.

60
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Mais la volonté étant souvent fragile, l’individu sait qu’il doit aussi éviter les lieux et les moments
critiques, et trouver de nouvelles aides pour l’aider dans son combat.
Même lorsque l’on affronte seul une épreuve, le poids de l’entourage est essentiel. Le sociologue
Robert Castel a insisté sur la possibilité de « disposer de réserves de type relationnel, culturel,
économique, etc., qui sont les assises sur lesquelles peut s’appuyer la possibilité de développer
des stratégies individuelles17 ». Les alcooliques ou les drogués participent ainsi à des groupes de
soutien pour s’épauler. Les étudiants qui préparent un concours aiment parfois se regrouper pour
travailler ensemble et se soutenir dans l’effort, les sportifs savent que l’adhésion à un club ou l’aide
d’un coach est indispensable pour se soutenir, s’épauler et se conseiller.

Fuir
Face à une grande épreuve, plutôt que de combattre il peut être bon de fuir. Nombre d’élèves de
classes préparatoires aux grandes écoles, sentant qu’ils ne pourront pas tenir le rythme de travail,
« décrochent » avant la fin ; de plus en plus nombreux sont les cadres salariés, surmenés et sur-
bookés, qui décident de quitter leur emploi pour changer de vie18. Dans les couples, quand on ne
s’entend plus, il n’est plus de mise de chercher à tout prix à recoller les morceaux : on se sépare19.
Dans son Éloge de la fuite, H. Laborit rappelle que la fuite a quelque chose de sain et salutaire.
La fuite n’est pas forcément de la lâcheté : c’est une condition de survie dans le monde vivant. Il
n’est pas lâche de vouloir changer d’études si l’on s’est rendu compte qu’elles ne correspondaient
pas à ses attentes. Prendre le large, changer de travail, quitter une relation de couple devenu invi-
vable… L’exil, l’évasion et le départ pour un nouveau milieu sont l’un des moteurs de l’histoire
humaine.
Il existe plusieurs façons de fuir : le départ, la démission, l’abandon, la fugue, l’exil, l’arrêt. Des
doctorants abandonnent leur thèse, des femmes quittent leur mari, des pères fuient leur foyer, des
salariés démissionnent ou se font mettre en longue maladie, des élèves sèchent les cours, des
adolescents fuguent, des émigrés fuient leur région, etc.
La fuite n’est pas toujours un échec : on peut chercher à s’échapper vers le haut (l’ascension
sociale en est un moyen). On peut profiter d’un départ pour construire une nouvelle vie : c’est le
grand espoir des immigrés pauvres. Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. Voilà ce que
ressentent beaucoup de femmes divorcées. Après une première phase difficile, elles considèrent
après coup que leur décision de rompre a été une bonne décision qui les a « libérées ».
Il n’est peut-être pas toujours bon de chercher à résoudre les problèmes. Parfois, il est plus sain
d’abandonner. La fuite peut donc être un acte positif, même si elle emporte souvent avec elle un
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parfum d’échec ou de culpabilité.


Mais il est aussi des formes de fuite qui n’en sont pas vraiment : la fuite dans l’imaginaire. Ce faux
départ s’apparente plutôt à la troisième stratégie face aux épreuves : elle consiste à ne rien faire.

Subir
Quand une personne est mécontente de sa situation, trois solutions se présentent à elle, nous dit
A. O. Hirschmann : partir, protester ou…, se résigner, ce qu’il nomme la « loyauté ». Ce que
H. Laborit appelait « ne rien faire ».
Dans un article remarqué paru en 1988, Guy Bajois, un sociologue de l’université de Lille, a corrigé
cette typologie20. Le sociologue fait remarquer que la stratégie qui consiste à « ne rien faire »
recouvre en fait des attitudes très différentes : elle va de la participation active (loyauté) à la rési-
gnation passive qu’il nomme « apathie ». À l’appui de sa démonstration, il cite l’exemple de M. X,
un cadre salarié de 40 ans dont l’itinéraire fut le suivant : lorsqu’il a été embauché, il était relative-
ment enthousiaste et voulait apporter de nouvelles idées et projets à son entreprise. C’était la
phase de loyauté. Mais il s’est bientôt heurté à la réticence et à l’inertie de la direction. Ayant
acquis de l’expérience et de l’assurance, il est alors entré dans une logique de protestation (voice).
•••/•••

17. Robert Castel et Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard, 2001,
rééd. 2005.
18. François de Singly, Fortunes et infortunes de la femme mariée, Puf, 2004.
19. Voir Sciences Humaines, dossier « Changer sa vie », n° 205, juin 2009.
20. Guy Bajoit, « Exit, voice, loyalty… and apathy. Les réactions individuelles au mécontentement », Revue
française de sociologie, 1988.

201231TDPA0413 61
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Mais le coût humain du conflit et la difficulté à faire avancer ses propositions l’ont conduit à envi-
sager de partir ; il voulait alors faire défection (exit). Mais à 40 ans, avec des charges de famille, un
salaire convenable, le risque de départ était élevé. Du coup, bien que n’ayant plus confiance dans
l’organisation et ses dirigeants, il a décidé de rester en se contentant de « faire son boulot » a
minima, tout en profitant des avantages de son statut.
Face à une épreuve, la stratégie « ne rien faire » recouvre en fait un spectre de comportements assez
différents. La loyauté est une forme d’acceptation active malgré les désaccords et désagréments.
C’était le cas de M. X, mais aussi de millions de salariés qui s’acquittent de leur tâche faute de mieux
en rongeant leur frein, en ruminant leur rancœur et en attendant la retraite. C’est aussi le cas de
couples qui cohabitent mais ne s’entendent plus ; c’est aussi l’épreuve d’étudiants qui se sentent
pris au piège dans une formation qui ne leur convient plus et ne voient pas d’issue pour s’en sortir.
Subir sans ne rien pouvoir faire est, pour H. Laborit, la pire des situations : c’est celle du rat qui
reste en cage et doit subir les assauts du rat dominant, celle du prisonnier confiné dans sa cellule,
celle de l’élève bouc émissaire qui subit en silence les vexations de petits caïds de l’école, celles
du salarié qui se sent incompris et harcelé. La passivité face à l’épreuve est très coûteuse psycho-
logiquement. L’inhibition de l’action (impossibilité de partir ou de combattre) produit des syn-
dromes pathologiques de stress, perte de sommeil, idées obsessionnelles, dépression et troubles
somatiques.
Face aux frustrations, notre système psychique a élaboré des dispositifs de protection qui lui per-
mettent d’éviter les plus graves dommages psychologiques. Ces « mécanismes de défense » sont
autant de formes de protection psychologique. Dans Protéger son soi (Odile Jacob, 2010), le psy-
chiatre Alain Braconnier décrit la grande diversité des « mécanismes de défense » dont on dispose
pour se protéger : les formes d’évasion symbolique, de compensations psychologiques ou d’in-
vestissement parallèle (encadré ci-après).
Ces modes d’adaptation psychologique ont leur versant sociologique. Les sociologues ont repéré
depuis longtemps l’existence de stratégies de protection. Dans les usines soumises aux cadences
tayloriennes, les ouvriers adoptaient le « freinage », une forme de résistance passive consistant à
limiter volontairement des cadences. Michel Crozier a décrit les stratégies d’employés cherchant
à préserver au maximum des « zones d’autonomie » dans leur travail.
Pour faire face à l’insécurité, aux risques, aux peurs de déclassement, les individus cherchent à se
construire des niches, des digues, des boucliers de protection, des petits nids, des cocons, des
bulles protectrices21.
Le sociologue Danilo Martuccelli a mené une enquête sur les épreuves de la vie dans la France

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d’aujourd’hui22. Pour cela, il a rencontré une centaine de personnes habitant le Nord de la France,
toutes âgées de 30 à 50 ans. Chacune a été interrogée sur son parcours scolaire (l’épreuve de
l’école), sa carrière professionnelle (l’épreuve du travail), sa vie de famille (l’épreuve domestique) et
son lieu de vie (l’épreuve de l’habitat).
La façon dont les individus affrontent leurs épreuves se décline de multiples manières. Certains
sont désabusés, d’autres combatifs, certains s’engagent dans la vie citoyenne, d’autres cultivent
leur jardin privé. Tout l’arsenal des stratégies est mobilisé : l’influence des modèles (comme pour
François qui, fils d’ouvrier, a pris modèle sur un copain de classe, fils d’ingénieur qu’il admirait),
l’importance de la réflexivité (comme Jean-Claude, qui a complètement changé d’orientation et de
vision du monde suite à un voyage aux États-Unis et l’examen de conscience qui a suivi), le rôle
des supports extérieurs (Madeleine qui s’est appuyée sur le soutien indéfectible d’une assistante
sociale et de ses grands enfants lors de sa reconversion).

Les défis de nos vies


Au terme de cette exploration où se côtoient des itinéraires multiples et des stratégies diverses, il
apparaît tout de même un constat général. Chaque individu doit affronter au cours de sa vie plu-
sieurs grands types d’épreuves : scolaire, travail, domestique, sans parler des engagements col-
lectifs ou des grands projets personnels. Ces épreuves ne font pas que se succéder les unes les
autres, elles ont tendance à se chevaucher et s’entremêler. Les individus que nous sommes doi-
vent affronter des épreuves parallèles. Incapables d’être sur tous les fronts à la fois, nous sommes
donc amenés à adopter en même temps tout le spectre des stratégies disponibles.
•••/•••

21. Danilo Martucelli, op. cit., et Peter Sloterdijk, Bulles, Hachette, 2003.
22. Danilo Martucelli, op. cit.

62
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• « Les épreuves sont souvent désynchronisées et contradictoires entre elles. Des sanctions néga-
tives dans un domaine sont simultanément positives dans un autre – et, plus largement, les diffi-
cultés actuelles et passées se compensent.23 » C’est le cas pour cet ouvrier qui, ayant abandonné
l’école avant le Bac, n’a pas eu une carrière professionnelle très exaltante. Mais, excellent chan-
teur, il s’épanouit en donnant des spectacles le week-end sur les petites scènes de la région.
Nos vies sont ainsi faites de plusieurs défis avec des réussites partielles et des semi-échecs, des
fuites et des attentes, des projets différés. Les épreuves conduisent à alterner les combats et les
stratégies de fuite, les rêves avortés et les changements de cap. Aux moments d’espoir succèdent
ceux de doute. La vie nous conduit à être parfois combatifs, parfois lâches, parfois contemplatifs :
combattre, fuir ou… ne rien faire.
Jean-François Dortier, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

Texte 2

Comment s’orienter dans l’existence ?


Le choix d’un métier fut longtemps inscrit dans un destin social fixé d’avance. Aujourd’hui, il
s’apparente plutôt à une quête permanente d’un avenir toujours incertain et reconstruit.
D’où la nécessité de repenser les conditions de l’orientation.
C’est le propre de l’homme d’anticiper et se projeter mentalement dans le futur pour essayer de
concevoir son avenir. Mais cet invariant anthropologique a pris des formes et significations très
différentes au cours de l’histoire et des types de société qui se sont succédé : des sociétés tradi-
tionnelles aux sociétés modernes, puis à nos sociétés « hypermodernes ». Et les pratiques de
conseil en orientation en ont été profondément affectées.

Destin social et arts divinatoires


Dans les sociétés dites traditionnelles, la vie d’un enfant semble inscrite dans une destinée fixée
dès la naissance. Le fils de paysan cultivera la terre. Le fils d’artisan reprendra l’atelier familial.
Dans les familles aristocratiques, l’aîné hérite du rang, des biens et des charges paternelles, le
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cadet entrera dans les ordres ou dans les armes. Les petites filles deviendront de sages épouses…
Chacun est assigné à résidence sociale.
Dans ce monde disparu, le respect de la tradition est une valeur centrale. On valorise le passé, on
célèbre les ancêtres, on respecte les symboles parce qu’ils véhiculent et perpétuent l’expérience
humaine d’innombrables générations. Pour s’orienter dans la vie, les anciens représentent des
exemples à imiter. L’individu n’est pas un sujet, maître de son destin. À la question « Comment
élever un enfant ? », la réponse est inscrite dans un destin tracé d’avance : « Deviens ce que tu es. »
Pourtant, tout n’était pas toujours aussi figé. Les sociétés traditionnelles étaient aussi soumises à
l’incertitude et il fallait faire des choix de vie : à qui marier cette fille ? Où placer ce garçon ? Des
pratiques de conseil sur l’art de mener sa vie existaient déjà. Mais elles étaient largement confiées
à des chamans, oracles et devins (qui avaient toutefois plus valeur de conseil que de norme impé-
rative.)
L’oracle renvoie à l’idée de destin (fatum). Mais il ne faut pas forcément voir là une fuite dans l’irra-
tionnel et l’abandon à une sorte de fatalité. La divination est aussi un moyen de dompter le hasard
et d’affronter le doute, voire d’ouvrir la voie à une réflexion philosophique sur ses choix de vie. Face
à l’inquiétude et l’incertitude, les sociétés modernes n’ont pas complètement renoncé à l’usage
des pratiques divinatoires. L’astrologie contemporaine prétend offrir une connaissance de soi et
fournir les clés du succès et de la réussite individuelle dans les différents domaines de l’existence
(amour, argent, bien-être, etc.). Et les livrets de bord et autres guides pratiques (oracles, tarot…)
sur l’art de s’orienter dans la vie alimentent toujours un commerce fleurissant.

•••/•••

23. Ibid.

201231TDPA0413 63
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Les sociétés traditionnelles, ancrées dans la tradition, ont commencé leur déclin en Europe à par-
tir du xviie siècle. De nouveaux modes de vie et de pensée se sont imposés. Peu à peu, l’individu
s’est émancipé de la gangue des traditions, des communautés, des lois qui encadraient son exis-
tence. Ce mouvement d’individualisation a été largement étudié par les philosophes et sociolo-
gues. Cette émancipation sur le plan juridique, social, philosophique s’accompagne de l’émer-
gence du moi personnel et intérieur, comme l’explique Charles Taylor24.

L’ascension des libertés individuelles


Sur le plan social et juridique, « tous les hommes naissent libres et égaux en droit », annonce la
Déclaration des droits de l’homme. Cette ascension des libertés individuelles laisse donc à chacun
le droit formel de mener sa vie comme il l’entend. Répondant ainsi au programme des Lumières, le
philosophe Emmanuel Kant donne une formulation philosophique de ce principe sur le plan de la
pensée : « Que signifie s’orienter dans la pensée ? », publie-t-il en 178625. L’idée d’orientation est, de
ce point de vue, révolutionnaire : une véritable « révolution copernicienne » selon Jean Guichard26.
Mais l’émancipation individuelle sera contemporaine de l’industrialisation qui impose aussi de
trouver place dans une société où la division du travail impose aussi ses contraintes.
Émile Durkheim, fondateur de la « science de l’éducation » et père de la sociologie française, avait
perçu le rôle fondamental de la division sociale du travail. L’école socialise les élèves et leur donne une
culture commune, mais elle les divise aussi, procédant à la répartition inégalitaire. La division du travail
n’est pas seulement technique mais elle est aussi un fait social. Elle comporte une compo­sante sociale
et culturelle (hiérarchisation des activités), une composante sexuelle (division sexuée du travail). Le
sociologue Everett Hughes, en 1950, mentionne l’existence d’une « division morale » du travail : « Qui
fait le "sale boulot"27 ? » Autrement dit, qui occupe les activités peu ou pas prestigieuses ?
Les débuts de l’orientation scolaire et professionnelle sont contemporains de l’enseignement obli-
gatoire et de l’organisation scientifique du travail. Nous sommes au seuil du xxe siècle. À l’école,
les premiers tests d’intelligence ont été créés par Alfred Binet en 1905 pour répondre à un besoin
spécifique : sélectionner les élèves qui ne pouvaient suivre le cursus de l’enseignement général. À
peu près au même moment, l’organisation scientifique du travail (OST), promue par Frede-
rick W. Taylor, vise à rendre le travail plus efficace en le décomposant en tâches simples, et sup-
pose une répartition des activités en fonction des capacités de chacun selon le principe : « The
right man in the right place. »

Vers une société fondée sur les talents de chacun

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L’usage de la psychométrique (tests d’intelligence et d’aptitude) et le nouveau concept de travail
industriel allaient donc inspirer une vision de l’orientation qui a prévalu durant une grande partie du
xxe siècle. L’orientation consiste à mesurer les aptitudes de chacun afin de l’affecter rationnelle-
ment en fonction des métiers disponibles.
Henri Piéron, fondateur de l’Institut national de l’orientation professionnelle (Inop) en 1928, digne
héritier d’A. Binet, défendait l’idée que chacun peut exceller dans un domaine particulier et qu’il
revient au conseiller d’orientation professionnelle de déterminer ce domaine par l’analyse scienti-
fique des aptitudes de chacun. Son contradicteur, le sociologue Pierre Naville, rétorqua en 1945
que c’est le marché du travail qui commande en dernière instance le placement des individus et
leur impose sa loi28.
Avec l’essor des tests psychotechniques et psychométriques, dans la première moitié du xxe siècle,
les aptitudes, et leur mesure, sont censées fournir les bases d’une société fondée sur les talents
de chacun. À partir des années 1960, avec les critiques du concept de « don » et d’« aptitudes »,
ainsi que de l’illusion méritocratique, une nouvelle conception de l’orientation va apparaître.
Depuis les années 1970, certains sociologues ont diagnostiqué l’entrée de nos sociétés dans un
nouvel âge : un type de société qualifié par les uns de « postmoderne », par d’autres de « seconde
modernité », voire d’« hypermodernité ». L’horizon temporel de la postmodernité serait marqué par
•••/•••

24. Charles Taylor, Les Sources du moi. La formation de l’identité moderne, Seuil, 1998.
25. Emmanuel Kant, « Que signifie s’orienter dans la pensée ? », 1786, rééd. Flammarion, coll. « GF », 2006.
26. Jean Guichard, « S’orienter : se construire dans une société équitable », Questions d’orientation,
Bulletin de l’Acof, vol. LXIX, n° 4, 2006.
27. Everett Hughes, Le Regard sociologique. Essais choisis, EHESS, 1996.
28. Pierre Naville, Théorie de l’orientation professionnelle, Gallimard, 1945.

64
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• la fin des « grands récits », selon la formule de Jean-François Lyotard, la difficulté à se projeter
dans l’avenir et la préférence pour le présent. La difficulté à concevoir l’avenir à l’échelle collective
trouve son pendant à l’échelle individuelle. L’absence de projets collectifs a son pendant indivi-
duel : la difficulté à formuler des projets personnels, comme l’explique Jean-Pierre Boutinet29. Ce
que certains nomment « une crise du sens ».
Les sociologues de la seconde modernité ont mis l’accent quant à eux sur une autre caractéris-
tique de notre époque : la montée des incertitudes.

La seconde modernité, ou la montée des incertitudes


Dans La Société du risque (1986), le sociologue allemand Ulrich Beck diagnostiquait l’entrée de nos
sociétés dans une « seconde modernité » marquée par les risques industriels et économiques. Mais,
plus globalement, les vies individuelles sont désormais soumises à une incertitude plus grande du
fait de la fragilisation des liens sociaux. Dans la société industrielle, le contrat de travail et la famille
étaient deux cadres de socialisation stables et rigides au sein desquels les individus construisaient
et inscrivaient leurs trajectoires personnelles. Or, aujourd’hui, la vie familiale est soumise à une plus
grande incertitude et peut connaître plusieurs phases de décomposition/recomposition. Il en va de
même pour le travail. La carrière unique n’est plus un horizon pour les gens entrant sur le marché du
travail. De 1995 à 2009, Robert  Castel a publié un ensemble de contributions sur l’« insécurité
sociale », c’est-à-dire la montée des incertitudes portant sur le travail, les protections et le statut de
l’individu. Les mutations du travail, les menaces de la désaffiliation, la reconfiguration des rapports
de classe, l’effritement de la propriété sociale sont des facteurs de désorientation pour les individus
les plus fragiles (précariat) et la cohésion sociale dans son ensemble (risque d’exclusion).
La seconde modernité a engendré un nouveau rapport entre l’individu et son futur : l’avenir n’est
plus vécu comme une trajectoire ascensionnelle, mais un chemin plus chaotique avec des expéri-
mentations, des entrées et sorties, des bifurcations, des reconversions possibles. L’individu
contemporain doit apprendre à gérer l’imprévisibilité dans sa vie personnelle et professionnelle, à
s’orienter dans l’existence entre le risque et l’incertitude.
Sur le plan de la psychologie individuelle, le principe d’incertitude a des résonances contradic-
toires. L’incertitude est d’abord source d’inquiétude, de peur ou d’anxiété. Pour un salarié, c’est
risquer de perdre son emploi, de se retrouver à la rue (la grande angoisse des Français). Mais elle
signifie aussi que l’horizon est plus ouvert, qu’il existe des possibilités de seconde chance, de
refaire sa vie, de rebrasser les cartes, de disposer d’une marge de liberté pour reconstruire son
existence. Elle signifie enfin que les conduites de chacun sont moins encadrées dans des moules
sociaux. D’où l’importance de la réflexivité : la nécessité de s’interroger sans cesse sur ses choix
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et de définir des stratégies de changement.

Des parcours d’obstacles à répétition


Les conséquences sont majeures sur la façon d’envisager l’orientation scolaire et professionnelle.
Tout d’abord, comme il devient très difficile de forger un projet d’avenir stable dans un environne-
ment qui ne l’est pas, il faut envisager la possibilité d’une orientation permanente qui prenne le pas
sur une orientation initiale (vue comme une sorte de tremplin). Cela rend nécessaire la nécessité de
« se former tout au long de sa vie ».
L’orientation dans un monde incertain a conduit à la mise en place de toute une panoplie de dis-
positifs de formation, d’orientation, d’aide à l’insertion. Une multitude de dispositifs de reconver-
sion, réinsertion, mobilité, « flexisécurité », etc., ont vu le jour, destinés à assurer des passerelles et
transitions : formation continue, stages, aides au retour à l’emploi, diplômes qualifiants (VAE). À
cela s’ajoute enfin la multiplication des organismes et professionnels chargés de faire des bilans
de compétence, de produire du conseil, du soutien ou du coaching.
Sur le plan théorique aussi, l’orientation a changé de visage. Elle n’est plus conçue comme un
diagnostic, fondé sur des tests et aboutissant à une proposition. L’orientation se fonde désormais
sur l’aide à la formulation de projets tenant compte des motivations plus que des aptitudes. À
partir des années 1980, l’orientation a été conçue en terme de « projet » et d’« éducation des
choix ». Depuis peu, une nouvelle perspective se révèle : l’orientation s’inscrit dans un projet de vie
plus global, le « life designing ». Globalement, s’orienter, ce n’est plus choisir une formation ou un
métier, c’est s’orienter dans la vie.

•••/•••

29. Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, Puf, 2004.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Au sens large du terme, la vie est une épreuve faite de passages, transitions, ruptures biographiques,
rebonds, reconversions ou bifurcations. Dans toute société, l’individu est confronté à un nombre très
important d’épreuves. Mais dans les sociétés contemporaines, elles font partie de la perception
ordinaire qu’ont les individus de leur propre vie. L’école, le travail sont vécus par nos contemporains
comme des parcours d’orientation, c’est-à-dire des parcours d’obstacles à répétition.
Francis Danvers30, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

Texte 3

Séparation : le parcours du combattant


Divorcer, se séparer sont devenus des pratiques courantes. Pourtant, avant le retour de la
sérénité, les ruptures conjugales s’accompagnent presque nécessairement de souffrance,
de sentiment d’échec, de problèmes matériels…
Aujourd’hui, près d’un mariage sur deux se solde par un divorce. Sans compter les séparations
entre couples non mariés – de plus en plus nombreux – qui passent entre les mailles du filet statis-
tique. Longtemps réprouvé par la morale, bien qu’inscrit dans la loi depuis 1884 en France (avec
une courte apparition durant la Révolution française et l’Empire – Napoléon Ier en fut l’un des pre-
miers utilisateurs, en divorçant de Joséphine  de  Beauharnais en 1809), les procédures se sont
sans cesse simplifiées depuis l’instauration de la loi de 1975, instaurant la possibilité du « consen-
tement mutuel ».
Depuis vingt ans, le taux de mariage en France a diminué de 40 %, celui des divorces a augmenté
de 100 %31. On pourrait penser que cette banalisation des ruptures conjugales, visible dans la
plupart des pays occidentaux, rendrait les choses plus légères, mieux installées dans la norme.
Comment, alors que l’espérance de vie moyenne a dépassé 80 ans, ne pas concevoir que la vie
de couple puisse se conjuguer en plusieurs temps, avec des partenaires différents ? Les évolu-
tions sociales depuis les années 1960 devraient avoir fait leur œuvre ! Pourtant, les psychologues
placent le divorce parmi les épreuves les plus stressantes de la vie (avec un deuil familial, un licen-
ciement et une maladie grave).

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Blessure narcissique, sentiment d’échec, d’abandon, problèmes matériels, liens sociaux à recons-
truire… La séparation d’un couple (marié ou non) est rarement vécue sans souffrances, pour celui
qui rompt comme pour celui qui subit.
Ce sont, huit fois sur dix, les femmes qui décident d’engager la rupture. Pourquoi une telle asymé-
trie ? « Même si les rapports entre les sexes ont beaucoup changé au cours de ces cinquante
dernières années, les attentes des femmes sont plus concentrées sur la relation conjugale et fami-
liale », explique le psychologue Serge Héfez32. Les enquêtes sociologiques comme les analyses
psychologiques sont nombreuses à le montrer : l’insatisfaction vient pour les femmes davantage
de la qualité sentimentale de la relation, alors que les hommes sont plus souvent insatisfaits de la
relation sexuelle. Une ou des relations extraconjugales pourront combler ce manque, sans qu’ils
envisagent la rupture. Bien au contraire : toujours selon S. Héfez, la relation conjugale est « un
socle, un tremplin pour explorer l’extérieur. Pour eux, le couple c’est le repos du guerrier. »
Quoi qu’il en soit, et que l’on soit homme ou femme, la rupture est un processus long et difficile.
Avant de se reconstruire, et éventuellement de reformer un couple ou une famille, il faut en passer
par plusieurs étapes dans lesquelles les aspects matériels et organisationnels s’entremêlent avec
les remaniements identitaires nécessitant un travail sur soi. Dénouer le lien conjugal suppose du
temps, une période de la vie de plusieurs années – plus ou moins longue selon les ressources de
chacun – avant de passer à autre chose…

•••/•••

30. Professeur en sciences de l’éducation à l’université Lille-III, auteur notamment de S’orienter dans la vie :
une valeur suprême ? Essai d’anthropologie de la formation, Presses universitaires du Septentrion, 2009.
31. Statistiques du ministère de la Justice.
32. Serge Héfez et Danièle Laufer, La Danse du couple, Hachette, 2002.

66
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Les étapes de la rupture


D’abord commence le temps du doute. Une sorte de malaise, un taraudant sentiment d’inconfort,
sans que l’on veuille s’avouer que l’on a, subrepticement, entamé un inéluctable travail de deuil.
« Depuis combien de temps ne s’est-on pas fait de petits cadeaux ?, demande Maud. Depuis
combien de temps s’est-on réservé un week-end ensemble, sans les enfants ? Et s’est-on dit que
l’on s’aimait ? » « Quand le dernier enfant est parti de la maison, on s’est rendu compte que,
n’ayant plus de projet commun, on n’avait plus rien à se dire…  » Surgissent alors l’ennui, la perte
d’appétence sexuelle et affective, d’intérêt voire de respect pour l’autre. Le poète dont elle était
tombée amoureuse, qui la charmait avec sa guitare et son beau corps musclé, s’est transformé en
un mari avachi, en qui elle ne perçoit plus que niaiserie, paresse, mesquinerie… Le sociologue
Pascal  Duret33 a bien montré cette « usure du couple », qui peut engendrer des conséquences
définitives si l’on n’allume pas de contre-feu.
Dans une étude pionnière (Le Démariage) parue en 1993, la sociologue Irène Théry distinguait les
éléments « cristallisateurs » des événements « déclencheurs ». Une infidélité découverte, des
scènes de violences physiques ou de maltraitance psychologique, mais aussi la découverte de
gros mensonges (quant à sa vie professionnelle ou familiale), ou encore la venue de problèmes de
santé pour l’un des conjoints peuvent en faire partie. Sur un terreau en voie de décomposition, de
tels événements vont sonner le glas d’une relation. Il faut parfois des années pour se rendre à
l’évidence. C’est le temps de l’ambivalence, de l’oscillation entre un attachement ancien qui conti-
nue de se manifester par instants et un sentiment profond d’insatisfaction et de déni de sa propre
identité. Le psychologue Christophe Fauré décrit cette période comme celle « d’un profond stress
psychologique où l’on n’arrête pas d’analyser la situation dans tous les sens34 ». Rester ? Partir ?
Deux pas en avant, trois pas en arrière, on commence dans sa tête à évaluer les coûts et les béné-
fices possibles de la rupture.
Dans ce jeu de yo-yo s’entremêlent sentiments et calculs. La culpabilité (« pourquoi n’ai-je pas su
entretenir cet amour ? »), le renoncement aux acquis (« il va falloir vendre cette maison, repartir de
zéro »…)  ; la peur de l’inconnu (de quoi demain sera-t-il fait ?) ; l’inquiétude pour les enfants
(comment­faire en sorte qu’ils ne souffrent pas ?) ; la tristesse et le sentiment d’échec qui s’entre-
mêlent avec des filaments d’espoir : la relation que l’on a construite pourrait peut-être renaître de
ses cendres ?… Jérôme et Maud décident alors de partir en Italie : pendant une semaine, ils vont
rejouer, avec leurs enfants, la scène du couple harmonieux, complice, amoureux. Rome, Florence
et le vin envoûtant des terrasses de Sienne font illusion. Mais le projet commun n’est que de courte
durée. Dès le retour dans la voiture familiale, un silence pesant s’installe à nouveau… D’autres
expérimenteront la séparation momentanée : elle ira dormir chez une amie, ou il déménagera dans
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les combles de la maison… Certains couples décident de se séparer tout en cohabitant. Pour
simplifier les problèmes d’intendance (la garde des enfants, le paiement d’un seul loyer…), ils par-
tagent alors l’espace comme des colocataires. On fait chambre à part. On sépare les comptes. On
sort chacun de son côté…, cherchant souvent aussi à donner le change vis-à-vis de l’extérieur. Un
moment dans l’œil du cyclone, un calme qui ne fait qu’annoncer la tourmente…
Puis un jour, l’un des conjoints franchit le pas : « Je ne t’aime plus, je te quitte. »
Adviennent alors des affrontements de tout ordre. La procédure judiciaire dans laquelle il faudra
négocier au mieux de ses intérêts, le tumulte des émotions, l’amertume et le ressentiment, qui
conduisent à la dépression et à la colère, surtout (mais pas toujours seulement) pour celui qui est
quitté. Sentiment de trahison émotionnelle, d’être lésé financièrement, jalousie de voir celui ou celle
qui part exister dans un ailleurs alors que l’autre plonge dans la solitude et dans la dépression…
C’est la guerre : l’un vide le compte en banque, l’autre harcèle au téléphone, certains vont jusqu’à
démolir les objets chers, l’appartement ou la voiture de l’ex… Comme l’explique l’anthropologue
Agnès  Martial, « les liens conjugaux sont travaillés par les sentiments, tout autant que par les
règles juridiques et l’argent ». Ainsi, Christine estime-t-elle que la pension généreuse qu’elle a
obtenue a compensé l’abandon qu’elle a ressenti lorsque son conjoint l’a quittée. « Après tout,
c’était lui qui avait voulu partir, c’était normal qu’il paie », commente-t-elle35.
•••/•••

33. Pascal Duret, Le Couple face au temps, Armand Colin, 2007. Voir aussi S’aimer quand on n’a plus les
mêmes valeurs, Armand Colin, 2010.
34. Christophe Fauré, Le Couple brisé. De la rupture à la reconstruction de soi, Albin Michel, 2002.
35. Agnès Martial, « Divorce : les sentiments pour solde de tout compte », Sciences Humaines, n° 184,
juillet 2007.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Vers une nouvelle vie


Après les tempêtes de la rupture, vient le temps de la convalescence et de la reconstruction. Tout
d’abord, il faut gérer les problèmes du quotidien : « On se retrouve soudain submergé par une
infinité de tâches et d’obligations pour lesquelles on ne pense pas avoir les compétences néces-
saires36 ». Déménager, se réinstaller, prendre seul(e) des décisions importantes au sujet des
enfants, s’occuper de l’entretien de la voiture (ou du repassage des chemises), ou encore des
factures que l’autre a toujours gérées… Il faut aussi, bien souvent, affronter une réduction de son
niveau de vie (plus fréquemment pour les femmes), organiser un temps de vie soudain rétréci, et
faire face à la solitude… Maud se réveille encore régulièrement en croyant qu’elle vient juste de
faire un mauvais rêve : pourtant la maison résonne d’un lourd silence, la salle de bain n’est plus
inondée des effluves de l’eau de toilette de son compagnon…
Puis, un jour, une petite lumière commence à s’allumer… Après un temps de repli sur soi – néces-
saire selon les psychologues pour panser ses blessures –, la libido qui paraissait en berne se
réveille et l’on commence à entrevoir les perspectives nouvelles qu’offre une liberté reconquise.
C’est le moment où l’on remet en chantier des projets que la vie avec l’autre rendait impossibles.
C’est, comme l’explique le sociologue Jean-Claude  Kaufmann, le moment où les deux petites
hélices de l’identité se remettent à tourner harmonieusement : celle de la socialisation et celle des
interactions qui ont construit la personnalité au fil du temps. « L’aspect libérateur du conflit,
presque agréable, est souvent lié à la manifestation simple et rassurante de son soi individuel […],
la réaffirmation de ses propres frontières37. » Passée la colère, on conçoit alors que l’on a fait un
bout de route ensemble avant que les choix des valeurs et de vie soient devenus incompatibles et
que les chemins se séparent, ouvrant à chacun des nouvelles voies pour son accomplissement…
L’histoire des séparations ne suit cependant pas une trajectoire uniforme et toute tracée. Si cer-
tains découvrent avec bonheur une nouvelle autonomie, d’autres s’enfoncent dans une tristesse
dépressive qui peut perdurer de longues années et laisser la marque d’une blessure indélébile. Si
les uns sont prompts à « refaire leur vie » et recomposer une famille (un modèle en pleine expan-
sion), les autres devenus plus prudents initient de nouvelles formes de relation, mettant à distance
cohabitation ou rapprochement trop contraignant, susceptibles de contrevenir à leur liberté…
Question de personnalité ? Certes, mais aussi de ressources sociales, dans lesquelles la richesse
des liens sociaux, la situation matérielle, le travail et l’âge jouent comme des facteurs plus ou
moins favorables…
À lire dans Sciences Humaines
« Rupture conjugale : quels effets psychologiques ? », Marie Briand, Le Cercle psy, disponible sur :

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http://www.scienceshumaines.com/www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=24826
Flora Yacine, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

Texte 4

La maladie, un voyage au bout de soi


L’annonce d’une maladie grave marque le début d’une odyssée solitaire et radicale, d’où l’on
n’est pas certain de revenir. Comment vit-on cette expérience ? Par quelles étapes passe-
t-on ? Qu’y découvre-t-on de soi ?
Toute annonce d’une maladie grave est un coup de poing. Elle brutalise, révulse et sidère. Rien n’y
prépare, rien n’en protège. Installés dans le confort de leur existence à durée indéterminée, les
malades et leurs proches se voient soudain confrontés à l’impensé : la précarité de la vie. Une
jeune femme atteinte d’un cancer évoque ce sentiment par une analogie redoutable : « Mon méde-
cin me dit parfois, et il n’y a pas que lui, que de toute manière je peux me faire renverser par une
•••/•••

36. Christophe Fauré, op. cit.


37. Voir Jean-Claude Kaufmann, Sociologie du couple, Puf, 2007 ; et pour la socialisation en hélice, Quand
je est un autre, Armand Colin, 2008.

68
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• voiture et mourir demain sur un trottoir. Ce qui est vrai, cela arrive. Le problème quand on a un
cancer comme moi, c’est qu’on n’est plus sur le trottoir. Je suis au milieu de la route et je vois la
voiture qui va me renverser me foncer dessus. Ça fait tout de même une différence.38 »
De ce point de vue, la maladie mortelle ou chronique apparaît comme une épreuve singulière,
radicale et solitaire. Elle n’est pas seulement souffrance physique, fatigue, diminution, mutilation.
Elle transforme les rythmes du quotidien, déclenche l’engrenage des protocoles médicaux, oblige
à changer ses habitudes, diminue l’activité sociale. Elle est confrontation à soi et aux autres, dans
un contexte où plane la menace de la mort : parce qu’une personne malade pense qu’elle risque
de mourir, parce que le regard des autres le lui rappelle aussi, elle engage un voyage vers « le côté
nocturne de la vie39 ». Le sociologue Philippe Bataille, qui a réalisé une vaste enquête auprès de
malades du cancer, l’écrit sans ambages : « La mort, sa mort, mais surtout la mort laissée à vivre
aux autres, reste le problème central du ressenti psychologique et du vécu social de la maladie.40 »
Quelle que soit l’issue, qui est heureusement le plus souvent rémission ou guérison, des vérités et
des enjeux de vie se révèlent au cours de cette expérience intérieure.

Le choc de l’annonce
Tout adulte qui a été confronté à une maladie grave se souvient d’abord avec précision du contexte
dans lequel il a reçu l’annonce du diagnostic. Pour beaucoup, cette annonce résonne comme une
catastrophe. Étymologiquement, la catastrophe désigne « ce qui tourne sens dessus dessous ».
C’est littéralement le cas. En un instant, l’illusion d’immortalité, sur laquelle tout bien-portant
construit sa vie, s’évapore. Le psychologue Gustave-Nicolas  Fisher note qu’il existe plusieurs
façons d’y réagir : désarroi, colère ou dénégation. « Les premières réactions de révolte, refus ou
déni sont autant d’expression symptomatique de non-acceptation, souligne-t-il. […] En ce sens, la
maladie teste d’abord la capacité intérieure à reconnaître la réalité.41 »
À cet égard, la maladie s’apparente à une épreuve de vérité, mais elle peut tourner en même temps
à l’entreprise de dissimulation. Lors de son enquête, P. Bataille a constaté que de nombreux
malades du cancer cachent leur maladie à leurs proches, quitte à mettre au point des ruses extrê-
mement sophistiquées. D’autres personnes, à l’inverse, éprouvent le besoin d’annoncer leur mala-
die au plus grand nombre. « J’ai un cancer du sein », annonce ainsi Cécile à une connaissance
croisée dans la rue, comme si elle annonçait une nouvelle idylle amoureuse. La jeune femme, qui
vient de recevoir ce diagnostic, semble rayonnante. Elle poursuit : « Avant, je ne me sentais pas
bien, mais je ne savais pas pourquoi. Aujourd’hui, j’ai une vraie raison de me battre. Pour cette
raison, je me sens plutôt plus heureuse… »
Pour les proches, ces deux types de réaction – dissimulation ou exaltation – restent souvent
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incompréhensibles. Ils se sentent exclus, à un moment où l’angoisse les fragilise aussi : « Je me
suis chargé d’une sorte d’inquiétude existentielle, raconte Bruno, dont l’épouse se remet actuelle-
ment d’un cancer du sein. Mais je n’ai jamais parlé de ce que je ressentais : dès le départ, je me
suis dit qu’il fallait que je remballe mes angoisses […]. Nous avons vécu une période conjugale un
peu difficile. Puis j’ai pris conscience que je n’avais pas saisi tout le film. J’ai compris qu’elle s’est
autoconcentrée sur elle-même, comme un sportif, presque comme un acteur qui va faire une per-
formance et a besoin de se vider. Cela l’a sauvée ; mais c’est quelque chose qu’elle ne pouvait pas
partager.42 »

Se battre, oui mais comment ?


Passé le choc de l’annonce, toute personne atteinte d’une maladie grave se trouve confronté à une
nécessité vitale : il faut « se battre ». Le corps médical emploie très régulièrement un lexique guer-
rier, que le malade ne comprend pas toujours. Comment lutter quand on est épuisé par la maladie,
assommé par les traitements, voire mutilé par la chirurgie ? Et contre quoi, contre qui, quand le mal
est en soi ? « Sotte question, réplique le philosophe Marc Soriano, auteur d’un beau texte inti-
miste, Le Testamour, écrit sur son lit d’hôpital : « En fait tout se décide pour nous sans nous en
•••/•••

38. Témoignage recueilli par Philippe Bataille, « Le travail de conscientisation du sujet : les malades du
cancer et la mort », in Vincent Caradec et Danilo Martuccelli, Matériaux pour une sociologie de l’indi-
vidu, Presses universitaire du Septentrion, 2004.
39. Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, Seuil, 1979.
40. Ibid.
41. Gustave-Nicolas Fisher, L’Expérience du malade. L’épreuve intime, Dunod, 2008.
42. Témoignage de Bruno, « Couple : la traversée du cancer ».

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• nous dans cette jungle où s’entremêlent nos racines.43 » Fritz Zorn, jeune Suisse atteint d’un can-
cer et auteur d’un roman sur son expérience intitulé Mars, utilise pour sa part cette expression
frappante : « Partout où j’ai mal, c’est là où je suis. »
À ce stade, il est courant qu’un malade tente de devenir expert de sa propre maladie. Il apprend le
jargon médical, étudie les statistiques, recueille toutes les informations médicales possibles. Il
reprend ainsi le contrôle, passant du statut de « patient » passif à celui de sujet actif. Mais la
volonté de savoir se heurte au décalage entre la représentation médicale de la maladie et le vécu
du malade. Cette dissonance apparaît invariablement dans les récits de malades : il arrive un
moment où ils prennent conscience que la réalité vivante et douloureuse de la maladie déborde de
part en part le discours froid et figé de la clinique.44
La reconquête de soi doit donc passer par autre chose que la stricte anticipation médicale de
l’évolution de la pathologie. Elle suppose de consentir à abandonner son corps aux équipes soi-
gnantes, le temps du soin. Les philosophes Claire Marin et Jean-Luc Nancy évoquent tous deux
une expérience de « dépossession ». Tout se passe comme s’ils s’étaient trouvés expropriés
d’eux-mêmes à mesure que leur corps devenait objet d’analyse, d’auscultation, de palpation,
d’expérimentation, de normalisation. Le geste médical tend en prime à morceler ce corps, rédui-
sant l’individu à la défaillance de l’un de ses organes. « Comment va cette hanche, ce cœur, ce
sein ? », demande le soignant au malade qui aspire, de son côté, à être perçu comme une per-
sonne dans sa globalité. « On sort égaré de l’aventure, à la fois aiguisé et épuisé, dénudé et suré-
quipé, intrus dans le monde aussi bien qu’en soi-même », témoigne J.-L. Nancy, qui raconte dans
L’Intrus son expérience d’une greffe du cœur, puis d’un lymphome.
Après la peur et la souffrance physique, vient le temps d’une douleur moins aiguë mais plus pro-
fonde qui touche l’individu corps et âme. Certains sociologues, comme David Le Breton, perçoivent
dans ce moment « l’ouverture d’un espace sacré », qui force à regarder le monde de façon plus
métaphysique. La psychologie de la santé insiste plutôt sur l’émergence de « leviers de survie ». Au
pied du mur, il s’agit ni plus ni moins que de trouver des raisons de vivre, d’« apprendre à vouloir
vivre45 ». Le lien avec ses enfants ou avec un être aimé constitue souvent un puissant ressort. « Je
me bats pour mon fils, ma fille », expriment fréquemment les malades du cancer rencontrés par
P. Bataille. La colère contre la maladie, qui se répercute parfois sur les proches et les soignants, peut
également agir comme une énergie régénératrice.
Quelles que soient les forces rassemblées, elles travaillent à une métamorphose de soi. Dans le
creuset de la maladie apparaissent des facettes de soi insoupçonnées. Un malade peut se décou-
vrir extrêmement déterminé, quand bien même il ne se serait jamais perçu comme une personna-
lité combative. Il peut révéler un humour corrosif, en plein drame de son histoire, quand il aurait

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toujours passé pour un individu austère.

Guérir de la guérison
Que reste-t-il de cette expérience quand la menace vitale s’éloigne et quand se profile l’horizon
d’un « retour à la vie normale » ? La philosophie, depuis Sénèque, insiste sur ce paradoxe : la
maladie a pour vertu de réveiller l’existence. Souffrir, c’est ressentir. La vie, qui se déroule comme
une évidence quand tout va bien, fait l’objet de questionnements intenses quand le corps se
dérobe. La sensibilité explose. Des disputes violentes et des rencontres magnifiques aboutissent
à une recomposition du cercle amical. L’état d’esprit à l’égard de l’avenir n’est plus le même :
beaucoup d’anciens malades, une fois rétablis, disent vouloir « privilégier l’essentiel », parfois se
réaliser dans un tout autre métier, ou vivre dans un tout autre environnement, que ceux d’avant la
maladie. Le corps, lui aussi, a changé : les muscles ont fondu ou le corps a gonflé, le visage s’est
transformé, un sein ou une prostate ont été sacrifiés sur l’autel de la guérison. L’image de soi s’est
brouillée. Pour toutes ces raisons, la guérison biologique ne se résume jamais à un simple retour à
la « vie d’avant ». « Guérir n’est pas revenir…46 », note Georges Canguilhem.
L’une des attitudes les plus communes consiste en une « spiritualisation de la maladie » (Frie-
drich Nietzsche). Beaucoup d’anciens malades cherchent ainsi à tirer de la maladie une leçon de
vie. Forts de leur expérience de la faiblesse, ils déclarent avoir accès à une connaissance plus
•••/•••

43. Isabelle, Véronique et Marc Soriano, Le Testamour ou Remèdes à la mélancolie, 1982, Flammarion,
1992.
44. Lire notamment Claire Marin, Hors de moi, Allia, 2008.
45. Gustave-Nicolas Fisher, op. cit.
46. Georges Canguilhem, Écrits sur la médecine, Seuil, 2002.

70
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• approfondie de soi, des autres et du monde. L’un des exemples les plus célèbres est celui de
Nietzsche, qui affirme être devenu philosophe grâce à la maladie, et même avoir bâti toute sa pen-
sée sur la « volonté de vivre » ressentie au plus près de la mort. Il va jusqu’à expliquer par cette
épreuve « pourquoi [il] écri[t] de si bons livres » : « La maladie me dégagea lentement de mon
milieu ; elle m’épargna toute rupture, toute démarche violente et scabreuse. […] Elle me permit,
elle m’ordonna de me livrer à l’oubli ; elle me fit hommage de l’obligation de rester coucher, de
rester oisif, d’attendre, de prendre patience… C’est là précisément ce qui s’appelle penser (Ecce
Homo, 1888). » Son expérience rejoint celle que vivent aujourd’hui de nombreux malades : il appa-
raît vital de réinscrire la maladie dans la cohérence d’une existence personnelle, d’« en faire
quelque chose » pour la renaissance à venir. Cela peut passer par l’écriture, l’art, la spiritualité, un
engagement associatif…
Une autre attitude, qui succède parfois à la précédente, consiste à chercher les clés pour guérir de
la guérison. Il ne s’agit plus de « faire quelque chose » de sa maladie, mais au contraire d’en faire
le deuil. Non pas rayer la maladie de son histoire, mais la restituer à sa juste place : une parenthèse
douloureuse, subie et non voulue, qui doit se refermer. Dans les hôpitaux, des services psycholo-
giques peuvent accompagner les anciens patients. Roland Gori et Marie-José Del Vongo, cher-
cheurs en psychopathologie, expliquent ainsi l’enjeu de ce travail sur soi : « Guérir, ce n’est pas
seulement oublier une maladie que la médecine a traitée avec succès, guérir c’est aussi oublier le
savoir qu’elle procure sur la cause et l’heure de sa mort. C’est, en somme, oublier la mort pour
mieux retrouver le temps dans une durée où l’on ne sait pas quand et de quoi on va mourir. C’est
[…] rouvrir de nouveau l’énigme de son terme, de son échéance, que la maladie avait prématuré-
ment résolue.47 »
À ce stade, il ne s’agit pas tant de guérir que de vivre, ni tant de « privilégier l’essentiel » que de
renouer avec l’accessoire, petits conflits et jolies saveurs qui tissent la trame du quotidien. Recon-
naître, peut-être plus consciemment que les autres, l’incertitude de l’avenir. Savoir qu’on peut
« mourir demain sur un trottoir », mourir dans deux ans d’une rechute, ou alors mourir centenaire,
après une vie bien remplie. S’ouvrir à cette part d’inconnu, c’est authentiquement avoir surmonté
l’épreuve de la maladie.
Héloïse Lhérété, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

Texte 5
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Le management de crise
Depuis quelques années, la gestion des risques et des catastrophes a connu un essor impor-
tant dans les grandes entreprises et les administrations. Elle reste pourtant trop souvent
réduite à la communication de crise.
Depuis près d’une dizaine d’années, la gestion de crise s’est développée dans les entreprises et
au sein des grandes administrations. Il est ainsi loin le temps où la seule évocation d’une cellule de
crise, d’un exercice ou d’une simulation déclenchait au mieux des sourires bienveillants, au pire
des rejets viscéraux de la part des directions générales. Aujourd’hui, le thème est à la mode et la
crise économique que nous traversons l’a vigoureusement ravivé. Il y a encore une vingtaine d’an-
nées, en Europe et en France en particulier, le sujet ne suscitait aucunement l’intérêt. Il était surtout
perçu comme l’apanage des assureurs. La gestion de crise consistait surtout à disposer de bonnes
polices d’assurance. Comme souvent, plusieurs événements auront été nécessaires pour passer
de ce que certains ont appelé le crash management (que faire quand les dégâts ont déjà été cau-
sés ?) à une réflexion et des pratiques de crisis management (prévenir, se préparer, réagir et capi-
taliser sur les crises).

•••/•••

47. Roland Gori et Marie-José Del Vongo, La Santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence,
rééd. Flammarion, 2005.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Quelques événements fondateurs


Quelques événements ont, selon nous, servi de déclencheurs dans la prise de conscience de la
gestion de crise comme préoccupation managériale.
Le premier fut certainement l’accident nucléaire de Tchernobyl en avril 1986. Cette catastrophe
préfigurait déjà l’effondrement du bloc de l’Est survenu dans les années 1990. Tchernobyl symbo-
lisait déjà la catastrophe globale issue de l’usure d’un système de contrôle politique et social dont
les errements conduisirent à un échec industriel et scientifique qui laissa derrière lui des victimes
transcendant les générations. Tchernobyl incarne encore aujourd’hui le prototype de la crise
moderne face à laquelle nos sociétés sont définitivement impuissantes, et à propos de laquelle nos
meilleurs plans semblent paradoxalement totalement sous-dimensionnés.
La crise du sang contaminé en France fut la deuxième affaire majeure qui contribua à faire émerger
la gestion de crise comme enjeu clé au sein de la société civile. Elle incarne l’un des pics du
divorce entre les citoyens et les cercles politiques responsables. Le fameux « responsable mais
pas coupable » de Georgina Dufoix en 1991 acheva de convaincre que cette crise, au-delà d’un
drame sanitaire, remettait en cause un système politico-juridique dont les ressorts s’appuyaient
sur des mécanismes de surprotection des élites. Avec le sang contaminé, c’est un processus
d’aveuglement croissant entretenu par la protection des élites politiques qui prenait dramatique-
ment fin. L’épisode de la canicule de l’été 2003 près de quinze ans après allait de façon presque
similaire incarner les mêmes enjeux. Dans les années 1990 toujours, la crise de la vache folle, autre
événement central, révélait comment des logiques de performance économique au sein de cer-
taines filières industrielles contribuaient à mettre sens dessus dessous l’équilibre et l’agencement
naturels des chaînes alimentaires.
Les attentats du 11 septembre 2001 représentent vraisemblablement le dernier événement ayant
contribué à sceller la légitimité de la gestion de crise comme sujet d’attention à part entière. Cette
tragédie fut un véritable épisode cosmologique. Les Américains d’abord puis les citoyens des
démocraties occidentales prirent subitement et profondément conscience que l’univers dans
lequel ils vivaient n’était plus un système ordonné et rationnel, tout du moins tel qu’ils l’entendaient
jusqu’alors. Dans le village mondial, il n’existait plus un seul endroit où nous puissions nous sentir
invulnérables. Dans les mois qui suivirent, les entreprises, tous secteurs confondus, se deman-
daient si elles non plus, compte tenu des intérêts qu’elles pouvaient représenter, n’étaient pas
aussi exposées à de multiples risques aux contours et aux origines improbables. La succession
des krachs financiers allait leur donner raison…
Ces événements ont suscité une prise de conscience sans précédent au sein de plusieurs organi-

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sations. Les crises n’étaient plus uniquement le problème de tel ou tel secteur sensible ou exposé
mais s’ancraient dans le paysage économique et industriel de toutes les entreprises. Les prises de
conscience furent parfois radicales. Autant le monde de l’entreprise ne pensait jamais avoir à se
poser ces questions, autant au lendemain du 11 septembre tout devenait potentiellement source
de vulnérabilité et de crise. On passait d’une forme d’anesthésie générale à une sorte de paranoïa.
La gestion de crise s’est donc peu à peu installée au sein des grands états-majors. Les entreprises
réalisaient que certains modèles de performance conduisaient à installer des terrains fragiles et
instables. Ces événements les plaçaient à un carrefour de sens où la crise prenait une signification
nouvelle, celle que lui donne notamment Edgar Morin (1976) : un processus de décomposition-
recomposition qui nous place au cœur des logiques du développement de tous les systèmes
vivants ; un processus de régulation et de révélation qui nous offre aussi une fenêtre de lucidité sur
les limites de notre connaissance.

La gestion plutôt que la communication de crise


Cette réflexion a cependant rapidement tourné court. Le questionnement de fond sur le thème de la
crise s’est plutôt transformé en gestion de « la communication de crise ». Ainsi dès lors qu’elles sont
plongées au cœur du maelström, les entreprises veulent avant tout gagner la bataille de l’image et
de la réputation, peu importent les moyens. La diversification des grandes agences de relations
publiques anglo-saxonnes vers la communication de crise dans les années 1980-1990 a amplement
nourri ce mouvement de confusion entre la gestion et la communication de crise. Pour comprendre
cette confusion permanente, il faut revenir à une autre évolution de fond : nous évoluons dans des
sociétés où la science et le droit ont de plus en plus de difficulté à statuer sur les causes, les consé-
quences et les responsabilités. C’est le cas pour des événements tels que l’explosion d’AZF ou les
marées noires par exemple. L’érosion de ce socle de légitimité scientifique et juridique conduit à
donner une place de plus en plus importante à l’opinion publique comme nouvelle référence de •••/•••

72
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• légitimité. En situation de crise, il importe donc de convaincre avant tout l’opinion publique que,
malgré la crise, la légitimité des entreprises reste intacte. À cet endroit précis, la communication de
crise joue un rôle précieux et déterminant.
On peut alors déplorer qu’aujourd’hui la gestion de crise a principalement pris les contours d’un
ensemble d’outils et de techniques propres à réduire les risques de crise, à réagir au plus vite en
cas de problème et surtout à bien communiquer. La discipline s’est progressivement résumée à
quelques réflexes produisant un sentiment d’immunité en décalage avec la réalité complexe et
chaotique des crises.

Impasse et enjeux de la gestion de crise


Les recherches produites sur le sujet n’ont d’ailleurs pas forcément beaucoup aidé les dirigeants
à s’interroger différemment. La crise est aujourd’hui conçue comme un événement d’exception
pour lequel il s’agit de déployer des dispositifs d’urgence destinés à réduire au plus vite les consé-
quences sur les intérêts et l’image de l’organisation : élaboration de scénarios, dispositifs d’alerte,
cellules de crise et plans de communication font ainsi partie de la boîte à outils de la gestion de
crise. Si la recherche n’invite pas les dirigeants à s’interroger différemment, c’est aussi parce que
depuis plus de vingt ans, elle a opté pour une vision consistant à cantonner la crise dans le registre
des événements d’exception et donc rares et improbables.
L’intérêt académique pour la gestion de crise s’est véritablement accru vers la fin des années
1970. À l’époque en France, seuls quelques travaux fournissaient des exemples de recherche sur
la question des crises. Patrick  Lagadec s’imposait comme une référence. Aux États-Unis, au
Canada, en Grande-Bretagne puis aux Pays-Bas, les recherches sur la gestion de crise sont pour-
tant allées bon train à la fin des années 1970 et surtout dans le milieu des années 1980. Ces tra-
vaux se fondèrent principalement sur l’analyse des grandes catastrophes industrielles de l’époque
– Three Miles Island, Bhopal, Tchernobyl, Challenger, Exxon Valdez… Ces premières tentatives
donnèrent le ton à une vague de recherches intenses sur les crises et la gestion des crises du point
de vue de la grande catastrophe.
Depuis le début des années 1990, cet élan de recherche s’est tari et fait l’objet d’incursions iso-
lées. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de ce champ de recherche où il n’existe que peu de
continuité et d’accumulation de résultats. On en ressort ainsi souvent avec le sentiment d’une
recherche qui avance peu ou pas ; qui se cherche ou bien qui défriche des terrains trop vastes
pour elle, empruntant à de multiples disciplines sans qu’il en ressorte de véritables théories. Il
n’existe pas de courant de recherche sur la crise comme il en existe sur le leadership, le change-
ment, la décision ou le pouvoir. Cet état des lieux est d’autant plus frappant que plusieurs autres
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disciplines des sciences humaines comme l’économie, l’histoire, la sociologie ou les sciences
politiques ont depuis longtemps traité la crise comme un phénomène central et structurant. Peut-
on imaginer l’économie ou la science politique sans le concept de crise économique ou politique ?
Dans ces champs disciplinaires, la crise est intimement liée à l’explication des changements bru-
taux ou des évolutions accélérées. En sciences de gestion et plus précisément en théorie des
organisations, la crise est un concept inerte, source de prétexte plus que d’intérêt théorique. Pour-
tant, il est riche et porteur d’enseignement sur l’évolution des structures et des organisations.
Sans mettre en doute l’idée que l’événement exceptionnel fasse partie d’une théorie de la crise, la
crise analysée seulement sous cet angle ne donne prise qu’à l’étude des moyens de traitement de
la surprise, de l’urgence et du dérèglement. Or une théorie de la crise doit aussi explorer l’énigme
des origines avant et les futurs possibles après l’événement. C’est pourquoi la crise devrait aussi
être analysée dans une perspective « processuelle », en se fondant sur l’idée qu’elle résulte bien
souvent de la combinaison de deux processus complémentaires. D’un côté, une accumulation
sous-jacente de fragilités favorisant l’apparition de terrains de crise propices à leur déclenche-
ment. De l’autre côté, une accumulation d’ignorance managériale rendant parfois les responsables
aveugles et sourds à la présence de ces vulnérabilités jusqu’au point de rupture irrémédiable :
l’événement exceptionnel.
Ainsi la crise financière de 2008-2009 pourrait-elle être analysée comme le point de rupture ultime
d’une accumulation de déséquilibres financiers planétaires devenus insoutenables, que l’ensemble
des institutions financières s’est contenté d’ignorer tant le coût de la reconnaissance et de la
réforme préalables aurait été prohibitif. Seule une rupture comme celle que nous avons connue
pouvait donner les marges de manœuvre nécessaires à la possibilité d’une réforme du système
financier. Lorsqu’un certain seuil de vulnérabilité est atteint, le statu quo devient moins coûteux
que la remise en question. Seule une rupture forte libère la légitimité et les opportunités de rééqui-
librage. •••/•••

201231TDPA0413 73
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Une telle approche nécessite un tout autre angle d’analyse et réclame un examen des phases
préalables et préparatoires à l’événement, c’est-à-dire des processus de fragilisation rendant une
crise possible et une analyse en profondeur sur la façon dont s’articulent dans bien des cas fragi-
lités et ignorance pour passer de la détérioration à la rupture.
Christophe Roux-Dufort48, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

Texte 6

Gagner au loto, une « heureuse catastrophe »


Devenir millionnaire par un coup du sort est souvent un parcours semé d’embûches. Ce n’est
qu’au terme d’un processus d’appropriation du gain que l’argent finit par faire le bonheur.
Ils ont coché six cases…, et se sont retrouvés millionnaires. Sans autre raison que la chance.
Comment­ne pas être jaloux de ces (grands) gagnants du loto, qui se voit offrir, du jour au lende-
main, tout ce que l’argent permet ? On imagine alors les hurlements de joie, le champagne qui
coule à flots et la machine à rêver qui s’emballe : un voyage autour du monde ? Une Ferrari ? Un
loft avec vue imprenable ?…
Pourtant la richesse instantanée ne semble pas aussi facile à apprivoiser. Les sociologues
Michel  Pinçon et Monique  Pinçon-Charlot, qui ont enquêté auprès de certains de ces grands
gagnants49, montrent que ce coup du hasard est presque toujours profondément déstabilisant.
L’annonce du gain, tout d’abord, suscite des sentiments mêlés lorsque, comme le dit l’un de ces
gagnants, on n’était « pas programmé pour avoir autant d’argent ». Le bonheur se mélange à des
formes de désarroi ou d’angoisse face à l’ampleur des changements qui s’annoncent. Certains le
vivent dans leur corps : en apprenant qu’il vient de gagner 2,2 millions d’euros, Lucien Jobin voit
sa tension monter à 27. D’autres sont « tétanisés », voient apparaître des douleurs qui ne les quit-
teront plus, prennent ou perdent du poids, ne dorment plus.

Gérer le silence
Puis, très vite, des questions très concrètes se posent. Faut-il par exemple annoncer la nouvelle

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au grand jour ? La plupart des gagnants préfèrent garder le secret, pour plus de sérénité. Mais,
outre qu’il est parfois difficile à garder (comment expliquer tous ces travaux dans la maison ? Ce
4 x 4 flambant neuf ?), ce silence se révèle surtout frustrant : « Il interdit de manifester sa joie, de
susciter le regard envieux des autres. » Les groupes de parole qu’organise La Française des jeux
pour ses grands gagnants constituent à cet égard un véritable réconfort en leur permettant d’aban-
donner toute réserve, de poser toutes les questions, de donner des conseils et de partager entre
élus cette expérience incroyable. Avec en complément ses ateliers pratiques sur les produits finan-
ciers, le marché immobilier ou le don, La Française des jeux joue selon les sociologues un véritable
rôle maternel, faisant passer les vainqueurs « du gain à la richesse, c’est-à-dire de la surprise phé-
noménale à la gestion avisée », guidant leurs premiers pas dans ce nouveau monde « en espérant
qu’ils pourront un jour s’émanciper de sa tutelle ».
Car une fois l’information éventée, c’est le regard des autres qu’il faut affronter. Les voisins de HLM
qui vous reprochent d’être « tombés dans la bourgeoisie », les « bonjour madame la Marquise » sur
le chemin de l’école, les villageois jaloux qui enlèvent vos moutons… Autant de vexations pour des
gagnants qui, malgré les millions, revendiquent le plus souvent d’être « restés ce qu’ils sont ».

Être gagné par son gain


Pourtant le changement, intérieur (l’histoire personnelle est chamboulée) comme extérieur (les
autres nous perçoivent autrement), est inéluctable : le gagnant doit être « gagné par son gain ».
•••/•••

48. Professeur au département de management de l’université Laval, Québec, auteur notamment de La


Gestion de crise. Un enjeu stratégique pour les organisations, De Boeck, 1999, et de Vive l’incompé-
tence ! Transformer nos limites en talents professionnels, Pearson Education, 2009.
49. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Millionnaires de la chance. Rêve et réalité, Payot, 2010.

74
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Cependant, les changements les plus réussis, selon les sociologues, ne sont pas ceux où le nou-
veau riche devient autre qu’il était, mais ceux où, au contraire, il est arrivé « à construire de la
cohérence autour de cette richesse nouvelle ». Apprivoiser la richesse consiste finalement moins à
se transformer qu’à se réaliser.
Pour les deux chercheurs, cette cohérence s’appuie fortement sur les appuis sociaux que les indi-
vidus peuvent mobiliser. Le fait de venir d’une famille aisée, d’avoir déjà des revenus confortables,
de gérer un patrimoine facilite naturellement l’appropriation du gain, qui ne bouleverse pas le mode
de vie. De même, à partir d’un certain âge, la fortune ne suffit pas à faire disparaître les « plis » de
l’existence, et les gagnants « paraissent plus soucieux d’aménager leur ordinaire que de plonger
dans l’extraordinaire ». Marcel et Brigitte Hubert, bientôt 60 ans, ont pu devancer la retraite. Le
placement de leur argent, dont leurs enfants hériteront, leur procure en attendant un revenu de
9 000 euros mensuels. Ils se sont offert quelques beaux voyages, mais continue à séjourner dans
la résidence de vacances de l’île d’Oléron où ils ont leurs habitudes. Leur désir, désormais : acqué-
rir une maison sur les hauteurs de Périgueux (« c’est la vue qu’on veut acheter »), sans condition
de prix…
Cet infléchissement sans bouleversement de la trajectoire de vie contraste avec la désorientation
vécue d’Alexandre et Sandrine Boisset. Après des études d’espagnol et de marketing, ils cherchaient
vainement du travail et vivaient du RMI quand ils ont gagné 2 millions d’euros. Un contraste qui les a
déstabilisés : « On n’arrive pas à retrouver notre identité d’avant le gain. » Leur sensibilité aux inéga-
lités sociales et à la valeur du travail ne les aide pas non plus : « On n’est pas d’accord avec ce que
l’on est », dit Alexandre. Dans ces conditions, passer du petit 2 pièces en HLM au loft de 200 m2 avec
piscine, le tout sans encore travailler, peut entraîner des questionnements existentiels…

Ordres et désordres familiaux


Au sein de la famille, le gain tend à amplifier les logiques relationnelles qui lui précédaient. Parfois,
c’est la jalousie qui prend le dessus. La sœur de Françoise Frémy a ainsi coupé les ponts lorsque
cette dernière a gagné 1,8 million d’euros. Michel, son mari, ajoute qu’ils étaient considérés comme
des « moins que rien », et que sa famille n’a pas supporté le retournement de situation en sa faveur.
Dans d’autres cas, c’est une plus subtile « lutte des places » qui se joue avec les parents. Écono-
miquement dominant, le gagnant menace de bouleverser les hiérarchies appuyées sur la généalo-
gie. Beaucoup de parents refusent l’argent que leur offrent leurs enfants désormais millionnaires,
car ce n’est tout simplement pas « dans l’ordre des choses ». D’autres en revanche tentent de
s’approprier (symboliquement !) le gain : Richard Beaurepaire a ainsi vu débarquer, le jour même
de l’heureuse nouvelle, sa mère et son beau-père. Ces derniers, redevables de l’impôt sur la for-
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tune et fin connaisseurs de l’univers de la finance, vont prendre en charge pendant dix jours les
rendez-vous avec les banquiers, craignant de laisser leur fils se débrouiller tout seul…
Reste enfin les cas où la fortune soude encore plus fortement les membres de la famille. Ainsi de
Christiane et Roger Béranger, agriculteurs qui, après une vie de dur labeur, s’étaient fait aider par
leurs enfants pour acheter enfin une maison. Leur gain de plus d’un million d’euros leur permet de les
rembourser, de les aider à leur tour et de remettre ainsi les choses dans « le bon ordre ». De même,
la famille Vernier, où les hommes sont dockers depuis trois générations, où l’on passe les vacances
ensemble, grands-parents, parents et enfants, depuis toujours, et où l’on joue ensemble au loto. Les
15 millions gagnés en 2007 sont partagés équitablement, et servent d’abord à acheter deux cam-
ping-cars haut de gamme pour passer les vacances dans les meilleures conditions. Viendront ensuite
quelques véhicules neufs et des travaux d’amélioration dans les maisons, mais pas de déménage-
ments. « Devenus riches ensemble, (les Vernier) sont restés solidaires et ont conservé leur mode de
vie et leurs relations. » L’argent devient ici « un ciment familial supplémentaire ».
Ainsi, selon M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, « le gain joue comme un révélateur de l’insertion dans
un réseau familial et social équilibré, ou au contraire il peut exacerber des tensions préexistantes ».
Si l’argent fait (le plus souvent) le bonheur, il n’en reste pas moins que la liberté qu’il procure peut
faire peur. Les situations les plus épanouies sont celles où un rêve précis, une passion ou un projet
de vie peuvent s’accomplir « dans la sérénité d’une vie où les menaces dont l’avenir était chargé
ont disparu ».
Xavier Molénat, Sciences Humaines, n° 216, juin 2010.

201231TDPA0413 75
Relations professionnelles 1 • Série 4

Corrigé
Le court texte suivant, placé en exergue du dossier, présente l’ensemble des documents ici ras-
semblés et précise ainsi les différentes acceptions du terme « épreuve » :
« On parle d’“épreuve sportive” ou des “épreuves” d’un concours parce que c’est le
moment critique où le sportif ou l’étudiant va “faire ses preuves”, c’est-à-dire montrer ses
talents et ses faiblesses. C’est donc un défi à relever. “Épreuve” véhicule aussi l’idée d’une
puissante charge émotionnelle, et indique une souffrance subie : “épreuve de la maladie”,
“épreuve du chômage”, etc. C’est ici un obstacle à surmonter. Mais dans l’édition ou la
presse, les “épreuves” désignent encore autre chose : un manuscrit que l’on soumet à
l’imprimeur. C’est le moment où un projet, une idée, un travail longuement mûri, se révè-
lent enfin au grand jour.
En ce sens, l’épreuve est aussi un moment révélateur. »

Question 1 (8 points)

Texte 1 – Combattre, fuir, subir ?


Présentation des trois grandes stratégies possibles face à l’épreuve.
Constat unanime : notre époque est marquée par l’instabilité des statuts et des trajectoires.
Nombreux exemples pris dans tous les domaines de la vie quotidienne.
L’épreuve représente un défi dont le premier point commun est la mobilisation personnelle en
vue de réaliser un rêve ou de faire face à un obstacle.
Trois choix possibles, décrits dès 1976 par le biologiste Henri Laborit :

1. Combattre
Exige un but, une stratégie, la mobilisation des ressources.
• D’abord se trouver un modèle identificatoire, à travers des personnes de référence (cf. « héros
intérieur) ».
• Implique une discipline de vie nouvelle, et un intense travail d’autoanalyse : apprendre à se
connaître pour changer et agir sur soi.
• Nécessité de se trouver de nouvelles aides : l’entourage joue un rôle essentiel.

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2. Fuir
• Contrairement à l’idée négative reçue, « il peut être bon de fuir », « la fuite a quelque chose de
sain et de salutaire ». C’est parfois une condition de survie.
• On observe plusieurs façons de fuir : le départ, la démission, l’abandon, la fugue, l’exil, l’arrêt…
• Loin d’être un échec, la fuite peut représenter le point de départ nécessaire à une nouvelle vie.

3. Subir, ne rien faire


• La passivité face à l’épreuve est très coûteuse psychologiquement. Elle produit des syndromes
pathologiques de stress, de troubles somatiques, voire de dépression.
• Face aux frustrations, nous mettons en place des mécanismes de défense, des stratégies de
protection (cf. « résistance passive » dans les usines).

Conclusion en forme de constat général :


Chacune de nos vies est faite d’une succession de plusieurs grands types d’épreuves : scolaire,
professionnel, domestique, privé… et donc d’autant de défis, avec alternance de réussites et
d’échecs. Nul n’est épargné.

Texte 2 – Comment s’orienter dans l’existence


Le choix du métier n’est plus assuré comme autrefois : aujourd’hui = quête permanente d’un
avenir incertain.
Autrefois : la destinée est liée à la famille, au milieu social, à l’environnement sociologique, etc.,
basée sur le respect des traditions et des modèles ancestraux. Le destin individuel paraît tout

76
UE 123 • Relations professionnelles 1

tracé, même si l’on a parfois recours aux oracles et à la divination. Ce modèle a prévalu jusqu’à
la Révolution. Sa transformation a été préparée par les philosophes des Lumières, et influencée
par l’ascension des libertés individuelles.
À l’aube du xxe siècle apparaît la « science de l’éducation » et les rudiments de ce qui deviendra
la sociologie. Parallèlement, la « division du travail » impose ses règles et ses contraintes. En
pédagogie apparaissent les premiers « tests d’intelligence » (psychométriques et psychotech-
niques) et l’idéal d’une société fondée sur les talents de chacun.
Depuis les années 1970, une nouvelle conception de l’orientation apparaît, avec la société
« hypermoderne » : difficulté à se projeter dans l’avenir et préférence pour le présent immédiat.
Difficulté à formuler des projets personnels, qui va de paire avec la montée des incertitudes.
L’individu doit apprendre à gérer l’imprévisibilité dans sa vie personnelle et professionnelle, à
s’orienter dans l’existence entre le risque et l’incertitude.
Incertitude = source d’inquiétude MAIS AUSSI possibilité de seconde chance. Nécessité de
s’interroger sans cesse sur ses choix. Nécessité de se former tout au long de sa vie (de nom-
breuses possibilités sont mises en place – reconversion, réinsertion, mobilité, formation conti-
nue, VAE, etc.) L’orientation n’est plus statique (diagnostic) mais dynamique (aide à la formulation
de projets, tenant compte des motivations plus que des aptitudes. S’orienter, c’est s’orienter
dans la vie.
La vie est une épreuve faite de passages, transitions, ruptures biographiques, reconversions et
bifurcations.

Texte 3 – Séparation : le parcours du combattant


Le taux de divorces en France a doublé en vingt ans. Cet accroissement paraît en partie lié à
l’allongement de la durée de la vie. Et pourtant, le divorce reste parmi les épreuves les plus stres-
santes et les plus douloureuses de la vie.
Cette rupture est un processus long et difficile, qui passe par plusieurs étapes :
• le doute ;
• la culpabilité, le renoncement aux acquis, la peur de l’inconnu, la tristesse et le sentiment
d’échec ;
• les affrontements de tout ordre provoqués par la procédure judiciaire ;
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• sentiment de trahison, jalousie, repli sur soi ;


• puis, la « convalescence » et la reconstruction ;
• le sentiment de la liberté reconquise et la possibilité d’un « nouveau départ ».
On observe alors deux façons opposées de réagir :
• soit refaire sa vie et recomposer une nouvelle famille ;
• soit élaborer de nouvelles formes de relation dictées par la prudence (absence de cohabita-
tion, préservation de sa liberté retrouvée).

Texte 4 – La maladie, un voyage au bout de soi


La spécificité de la maladie grave est qu’elle est une épreuve singulière, radicale et solitaire.
Elle met violemment face à la précarité de la vie. Elle diminue de facto l’activité sociale et est
confrontation à soi et aux autres.
Plusieurs étapes incontournables :
1. le choc de l’annonce. Plusieurs façons d’y réagir : désarroi, colère ou dénégation. La maladie
s’apparente à une « épreuve de vérité » : quelle est la capacité du patient à reconnaître la réalité ?
2. Nécessité vitale de « se battre ». Cette attitude passe par plusieurs étapes :
• reprendre le contrôle, devenir actif, expert de sa propre maladie ;
• nécessité d’une confiance en les équipes soignantes et le traitement, accepter une sorte de
« dépossession » de soi-même ;
• trouver et cultiver des « raisons de vivre ».

201231TDPA0413 77
Relations professionnelles 1 • Série 4

L’épreuve peut être régénératrice et aboutir à une « métamorphose de soi ». Apparaissent


alors des facettes de soi insoupçonnées (détermination, combativité, humour…).
3. La maladie a pour vertu de « réveiller l’existence ». L’état d’esprit à l’égard de l’avenir n’est
plus le même. On en tire souvent une « leçon de vie » :
• on éprouve le besoin d’en « faire quelque chose » ;
• ou bien on cherche à faire le deuil de la maladie – non pas en l’oubliant, mais en la restituant à
sa juste place.
Il s’agit alors, non pas tant de guérir que de vivre, ni tant de « privilégier l’essentiel » que de
renouer avec l’accessoire qui tisse la trame du quotidien, de reconnaître, peut-être plus
consciemment que les autres, l’incertitude de l’avenir.

Texte 5 – Le management de crise


Ce thème est aujourd’hui très présent, ravivé par la récente crise économique et, depuis une
trentaine d’années, par une succession de catastrophes :
• Tchernobyl : prototype de la crise moderne, face à laquelle nos sociétés sont définitivement
impuissantes ;
• le sang contaminé, qui met à jour le délicat débat autour de la culpabilité/responsabilité allé-
gué par les politiques ;
• la canicule de l’été 2003 ;
• la vache folle ;
• les attentats du 11 septembre 2001, et la prise de conscience de l’existence d’un « village
mondial », où nous ne sommes nulle part à l’abri ;
• sans parler de l’explosion d’AZF et des marées noires les plus destructrices…
Ces différents événements ont suscité, chez les décideurs et dans l’opinion publique, une prise
de conscience sans précédent. Ce phénomène de crise, dont les manifestations semblent
aujourd’hui s’accélérer et s’amplifier, représente, pour certains penseurs comme Edgar Morin,
« un processus de décomposition-recomposition […], de régulation et de révélation qui nous
offre aussi une fenêtre de lucidité sur les limites de notre connaissance ».

Texte 6 : Gagner au Loto, une « heureuse catastrophe »


« Parcours semé d’embûches », gagner une très grosse somme d’argent par hasard est presque

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toujours profondément déstabilisant. Bonheur certes, mais aussi désarroi et angoisse face aux
changements qui s’annoncent.
Nécessité de prendre position par rapport à l’entourage : faut-il l’annoncer ? Garder le secret ?
Comment ? Combien de temps ? Comment « gérer » le regard des autres (envie, suspicion,
jalousie) ?
Risque de bouleverser les hiérarchies familiales.
Diverses attitudes possibles pour « apprivoiser la richesse » :
• transformer radicalement son mode de vie, ce qui peut désorienter et être très perturbant ;
• aménager son ordinaire plutôt que de plonger dans l’extraordinaire.
Ces choix sont souvent dictés par le statut socioculturel préalable des « gagnants ».
« Le gain joue comme un révélateur de l’insertion dans un réseau familial et social équilibré, OU
au contraire, il peut exacerber des tensions préexistantes. »

78
UE 123 • Relations professionnelles 1

Question 2 (2 points)

Question 3 (10 points)
Ce corrigé est donné à titre indicatif. D’autres propositions et d’autres points de vue pouvaient
être développés.

Introduction
Tout au long de sa vie, chacun d’entre nous se heurte, tôt ou tard, à ce qu’il est convenu d’ap-
peler du terme générique d’« épreuve », quels qu’en soient la gravité, la durée, la profondeur ou
l’impact sur notre vie personnelle.
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Notre époque, si elle a éliminé ou fait disparaître, grâce aux progrès techniques et médicaux,
bon nombre de difficultés liées aux brutales conditions de vie d’autrefois, parait néanmoins, plus
que les précédentes, génératrice d’épreuves spécifiques, dues à l’incertitude, à l’individualisme
et à la dureté de nos sociétés postmodernes.
Le numéro de Sciences Humaines de juin 2010 (n° 2165) présente un ensemble de situations hété-
roclites et apparemment sans lien, qui, toutes, représentent néanmoins un certain type d’«  épreuve  ».
La lecture de ce dossier attire l’attention sur les caractéristiques de celles-ci et permet de battre en
brèche un certain nombre d’idées reçues que véhiculent notre culture et nos traditions.

Développement
Alors qu’autrefois l’avenir professionnel des jeunes était le plus souvent tout tracé et déterminé
par le milieu familial et social, le choix d’un métier est aujourd’hui rendu plus difficile et plus
incertain. Si les possibilités semblent s’être considérablement élargies, l’incertitude économique
et les aléas de la mondialisation rendent les parcours professionnels plus chaotiques : « l’indi-
vidu doit apprendre à gérer l’imprévisibilité ». Ces difficultés mêmes sont sources d’inquiétude,
mais représentent aussi la possibilité d’une seconde chance, d’une évolution insoupçonnée et
d’un accomplissement personnel plus profond.

201231TDPA0413 79
Relations professionnelles 1 • Série 4

De même, l’évolution du droit privé a profondément modifié le regard porté sur la famille et l’ins-
titution du mariage. Jadis figée et basée sur la stabilité des traditions ancestrales et religieuses,
celle-ci était finalement peu contestée. Aujourd’hui, si les unions à la mairie ont fortement dimi-
nué, le nombre des divorces a, lui, doublé en vingt ans. Plus grande facilité de rupture du lien
conjugal, plus de souplesse dans les procédures de divorce, certes. Et pourtant, il demeure vrai
que « le divorce reste parmi les épreuves les plus stressantes et les plus douloureuses de la vie ».
Malgré la fréquence des divorces observée dans nos sociétés et la quasi-banalité de la rupture
qu’ils représentent, ceux-ci constituent bien souvent un véritable « parcours du combattant »
pour celui (ou celle) qui s’en estime victime. Doute, culpabilité, tristesse, peur de l’inconnu et des
changements qu’induit le divorce sont à affronter et réclament un véritable « temps de deuil »
pour les dépasser. Toutefois, après avoir surmonté l’épreuve, il est courant aujourd’hui d’envisa-
ger la constitution d’une nouvelle famille, qui, recomposée, tend à s’imposer comme le nouveau
modèle caractéristique des années 2000.
• Sur le plan individuel, la maladie grave représente une épreuve singulière, radicale et solitaire. Les
différentes phases par lesquelles passe chaque personne atteinte dans sa chair réclament une
mobilisation intense de toutes ses ressources, tant physiques que psychologiques, mentales,
voire spirituelles. Lointain est aujourd’hui le temps où l’annonce d’une maladie grave équivalait à
une condamnation à plus ou moins brève échéance. Les progrès extraordinaires réalisés dans la
connaissance médicale comme dans les techniques opératoires ont paradoxalement exacerbé,
d’une certaine manière, cette épreuve de vérité du patient face à lui-même dans la mesure où la
survie, la rémission, et même la guérison, deviennent aujourd’hui probables, possibles, raison-
nables, non utopiques. Les raisons d’espérer s’accentuent donc, ainsi que la légitimité de la lutte
et du combat livrés contre la maladie. L’épreuve peut être régénératrice, aboutir à une « méta-
morphose de soir », et apparaître rétrospectivement comme une véritable « leçon de vie ».
• Enfin, même l’événement heureux que constitue un gain inespéré dans un jeu de hasard peut
être profondément perturbant et déstabilisant en raison des bouleversements radicaux qu’il
induit dans la vie quotidienne de celui qui en est l’élu. Les sommes mises en jeu étant aujourd’hui
de plus en plus considérables, il devient problématique de trouver la juste attitude sociale à
adopter et de se confronter au regard des autres. « Si l’argent fait (le plus souvent) le bonheur,
il n’en reste pas moins que la liberté qu’il procure peut faire peur ». Il s’agira d’apprendre à
« apprivoiser la richesse », et cette nouvelle discipline sera plus ou moins aisée selon que l’on
sera bien équilibré, positivement entouré, et que l’on aura une passion précise, un rêve, un

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projet de vie à construire et à réaliser.
Quelle que soit la diversité des situations décrites, des similitudes instructives peuvent être repé-
rées dans la survenue de ces « épreuves ».
Tout d’abord, ce qui surprend, c’est leur caractère le plus souvent soudain, imprévu, voire impré-
visible. Que ce soit, sur le plan personnel, la maladie, le divorce, la réussite à un jeu de hasard, ou,
sur le plan collectif, une crise écologique ou financière, le sujet y semble non préparé et l’événe-
ment apparaît dès lors comme un défi qu’il s’agit de surmonter et dont l’enjeu peut être vital.
Plusieurs stratégies s’imposent alors, que certains présentent comme des choix délibérés,
d’autres comme des conduites quasi-instinctives, dictées par notre histoire, notre passé, notre
personnalité. Le biologiste Henri Laborit explicite ainsi les trois attitudes possibles devant toute
crise aiguë : combattre, fuir ou subir.
La plupart des cas analysés pointent également des situations propres à démasquer certains
paradoxes révélateurs de notre époque : alors que les sciences de l’éducation n’ont jamais été
aussi étudiées et approfondies, les jeunes se sentent de plus en plus perdus dans les méandres
souvent jugés obscurs des carrières et des cursus en perpétuelle redéfinition ; alors que les pro-
grès médecine ont permis un accroissement considérable de la longévité humaine, le patient est
aujourd’hui confronté à des situations inédites où la survie, la rémission, voire la guérison, exigent
de lui la mobilisation de toutes ses forces vitales. C’est une « nouvelle vie » et une nouvelle
conscience qu’il se prépare ainsi, accédant parfois à une plénitude insoupçonnée avant la sur-
venue de l’épreuve ; de même, malgré la crise économique et les difficultés financières de tous
ordres, les jeux de hasard (comme le Loto) ne se sont jamais autant développés, montrant ainsi
à quel point la part de rêve et d’utopie qu’ils recèlent demeure vivace : on n’hésitera pas à

80
UE 123 • Relations professionnelles 1

dépenser des sommes parfois considérables dans l’espoir de « décrocher le gros lot », ce qui
statistiquement reste très exceptionnel. Quoi qu’il en soit, une fois gagné, le « gros lot » demande
à être géré et entraîne parfois son bénéficiaire dans des situations gravissimes, s’il se laisse gri-
ser et déborder par cette opportunité inespérée.
Quant aux grandes catastrophes qui se sont récemment produites de par le monde, qu’elles
soient écologiques et/ou politiques (marées noires, pollutions industrielles, accidents nucléaires,
terrorisme), elles mettent bien en évidence à quel point, sur le plan collectif, la complexité des
progrès techniques et l’avènement d’une mondialisation grandissante engendrent et génèrent
leurs propres fragilités, qui nous laissent démunis et impuissants.

Conclusion

Remarque
Ne pas oublier de clore la présentation par une phrase qui indique à l’auditoire que vous avez
terminé. Vous pouvez également lui proposer de poursuivre l’entretien.
Il s’avère ainsi qu’au-delà de leur caractère déstabilisant et parfois angoissant, la crise fait partie
de notre condition humaine, nous permettant de nous dépasser nous-mêmes, voire, dans cer-
tains cas, d’accéder à un stade supérieur de notre condition humaine.
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » affirmait déjà Nietzsche.
Chacun d’entre vous a sûrement une certaine expérience de cette réalité. Si certains souhaitent
témoigner à ce sujet, ou entamer le débat, je leur passe bien volontiers la parole, en vous remer-
ciant de votre attention.

Exercice 4 : Présentation orale d’un dossier écrit

Énoncé
La Revue mensuelle Sciences Humaines présente, dans son n° 223, paru en février 2011, un
ensemble d’études et de questionnements réunis sous le titre générique : « Le retour de la soli-
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darité ». Les différents auteurs s’interrogent sur ce phénomène qui caractérise notre époque et
tentent d’en rendre compte, chacun en l’éclairant d’un point de vue particulier, en s’attachant à
l’expliquer ou à l’analyser à la lumière de sa spécialité. L’ensemble de ces textes constitue donc
une réflexion intéressante qu’il s’agira de dégager et de présenter dans une communication
orale construite et structurée.

TRAVAIL À FAIRE
1. Dégagez rapidement, sous forme d’une prise de notes, les idées que vous jugerez essen-
tielles de chacun des textes présentés.
2. Formulez en une phrase l’idée directrice de votre exposé.
3. Réalisez la diapositive de présentation synthétique du plan de votre exposé (cf. série 4 – La
présentation orale – Les visuels).
4. Rédigez une présentation orale synthétique du dossier, en insistant sur les aspects du
débat qui vous paraissent les plus intéressants. (Sans dénaturer les propos des auteurs, vous
pouvez vous permettre de donner votre avis ou d’élargir la perspective. Il ne s’agit pas de tout
dire, ni de chercher à être exhaustif, mais de trouver un angle de vue qui vous intéresse et de
le développer.)
Documents d’accompagnement :
Textes extraits du dossier « Le retour de la solidarité », Sciences Humaines, n° 223, février 2011 :
• Texte 1 : Martine Fournier, « Le temps des bons sentiments »
• Texte 2 : Nicolas Journet, « L’empathie, des animaux aux humains »
• Texte 3 : Jean-François Dortier, « Altruiste ou égoïste, les deux faces de l’être humain »

201231TDPA0413 81
Relations professionnelles 1 • Série 4

• Texte 4 : Jacques Ion, « Bénévolat, assistance… Pourquoi s’engage-t-on ? »


• Texte 5 : Flora Yacine, « Polémiques autour du care »
• Texte 6 : Marie-Claude Blais, « L’idée de solidarité a une histoire »

Texte 1

Le temps des bons sentiments


Jean-Marie Théodat avait construit sa vie en France. Ce Haïtien devenu professeur agrégé de géo-
graphie et maître de conférences à La Sorbonne a décidé de « lever l’ancre50 ». Après le séisme
survenu dans son île natale en janvier 2010, il a abandonné le confort d’une vie professionnelle et
familiale réussie pour revenir en Haïti où il s’est installé sous une tente. « Le réconfort que j’apporte
importe plus que la précarité », écrit-il dans son blog où il relate le quotidien de ce petit pays dévasté
par le tremblement de terre. Et il a décidé d’y rester pour remettre sur pied l’enseignement supérieur.

Les bataillons d’aidants sociaux


Odon Vallet, historien français des religions, consacre depuis dix ans un héritage substantiel légué
par son père à doter de bourses des étudiants sans ressources, du Bénin ou du Viêtnam ou de
tous les pays du monde. Il s’est vu attribuer par le journal Capital « la médaille de l’altruisme ». Bill
Gates a choisi de verser à plusieurs fondations la quasi-totalité d’une fortune de quelque 30 mil-
liards de dollars plutôt que de la transmettre à ses enfants… Avec Warren Buffet, ils sont devenus
des « philanthropes planétaires » qui multiplient les programmes de soin, les constructions d’hôpi-
taux, la distribution de médicaments et d’équipements aux quatre coins de la planète…
Téléthon, Sidaction, jeux télévisés à haut budget dans lesquels les candidats jouent pour le béné-
fice d’associations de malades, d’enfants handicapés, pour financer la recherche médicale ou
assister les plus démunis…, on ne compte plus les manifestations et les actions qui s’inscrivent
dans ce qui paraît être devenu la grande cause de ce début de xxie siècle, la cause humanitaire.
Et ce ne sont pas seulement des milliardaires, des gens illustres, des acteurs et autres vedettes de la
scène médiatique qui s’engagent dans ce déploiement spectaculaire. Partout dans la société se multi-
plient des initiatives en direction des « sans », sans-abri, sans-papiers, sans-famille, venues de ces
« Robin des bois » des temps modernes qui bénéficient de la bienveillance de l’opinion51. Alcooliques
anonymes, SOS amitié…, des bataillons de bénévoles répondent au téléphone. Dans les villes, les

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quartiers, les villages, explique le sociologue Serge Guérin, on peut mesurer « l’impact des dynamiques
de proximité, la densité des actes en dehors de toute rationalité économique52 ». Des microsolidarités
s’inventent comme le covoiturage ou les échanges de voisinage et toute sorte d’aides informelles. À tel
point qu’est apparu un nouveau terme, pour qualifier les « aidants sociaux » qui consacrent une partie
de leur temps à rendre service à leurs proches comme à de parfaits inconnus.
Les intellectuels s’y sont mis aussi ces dernières années. Confiance, empathie, solidarité, coopé-
ration, sollicitude et care, altruisme, et même Éloge de la gentillesse (Emmanuel Jaffrelin, 2010),
qualité longtemps attribuée aux faibles d’esprit ou aux hypocrites, figurent parmi les titres qui
s’étalent sur les rayonnages des libraires. Ils sont publiés par des philosophes et des auteurs des
sciences humaines… Régis Debray connu pour sa plume généralement trempée dans l’acide
signe en 2009 Le Moment fraternité ; Michela Marzano en appelle à une société de confiance (Le
Contrat de défiance, 2010) ; Frédéric Worms ou Jean-Philippe Pierron, eux aussi philosophes,
invitent à une éthique du soin ; on revisite l’histoire de la morale solidariste. Un biologiste du Col-
lège de France annonce Le Temps de l’altruisme (Philippe Kourilsky, 2010), tandis que les psycho-
logues décortiquent les bienfaits de l’empathie (Serge Tisseron, 2010) et que des éthologues en
dévoilent les manifestations dans la nature animale.

•••/•••

50. Jean-Marie Théodat, « Lever l’ancre », XXI, n° 11, 2010. Disponible sur http://radiofrance-blogs.com/
radio-ibo/2010/04/28/viva-melovivi/.
51. Voir Julien Damon, Questions sociales et questions urbaines, Puf, 2010.
52. Serge Guérin, De l’État providence à l’État accompagnant, Michalon, 2010.

82
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Un basculement de paradigme ?


Que se passe-t-il ? L’empathie et la solidarité seraient-elles devenues un paradigme dominant qui
traverse les représentations collectives ? Serions-nous en train d’assister à l’un de ces bascule-
ments auxquels l’époque est accoutumée53 ? De l’individualisme et du libéralisme triomphant à
une vision portant sur l’attention aux autres ? Ce basculement s’observe effectivement aussi bien
dans le domaine des sciences humaines et sociales que dans celles de la nature…
Dans les sciences de la nature, une révolution souterraine a bien eu lieu ces dernières années. Alors
que la théorie de l’évolution était massivement ancrée dans un paradigme darwinien « individua-
liste » centré sur les notions de compétition et de gène égoïste, depuis quelques années, un nouveau
visage de la nature s’impose. La prise en compte des phénomènes de mutualisme, symbiose et
coévolution entre organismes tendent à montrer que l’entraide et la coopération seraient des condi-
tions fondamentales de survie et d’évolution des espèces vivantes, à tous les étages de la vie54.
Il est remarquable de constater qu’une même mutation paradigmatique a eu lieu dans les sciences
sociales. La période 1980-2000 a été marquée en sociologie et en économie par le retour de l’ac-
teur, l’« individualisme méthodologique », la théorie du choix rationnel, la théorie des jeux, l’individu
hypermoderne, l’autonomie des acteurs individuels, le libéralisme de marché… Depuis quelque
temps au contraire, on assiste à un retour en force de l’idée selon laquelle les êtres humains seraient
solidaires comme en témoignent l’explosion des recherches sur les fondements de la morale de
l’empathie, l’approche de « l’individu relationnel » (qui pour se réaliser à besoin de la reconnais-
sance d’autrui), les études sur l’importance du don et du contre-don dans les relations sociales.
Un primatologue tel Frans de Waal, qui travaille depuis longtemps sur les comportements d’en-
traide, d’assistance et de sympathie chez les primates, clôt son dernier ouvrage (sous-titré
« Leçons de la nature pour une société solidaire ») par une invitation à encourager l’empathie dans
les sociétés humaines, notamment en ces temps de crise économique.

Une emphase compassionnelle


Fin 2010, le sociologue Didier Fassin publie une vaste analyse critique, sur ce qui est pour lui
devenu une morale « intouchable » du temps présent, un nouvel ordre humanitaire mondial55. Les
études de cas qu’il présente (à partir d’enquêtes ethnographiques) exposent des situations appa-
remment très différentes : mise en place de lieux d’écoute pour toxicomanes dans les banlieues
françaises, distribution d’aides d’urgence aux chômeurs, régularisation des étrangers sans-papiers
pour raison médicale, mais aussi aide internationale aux victimes de catastrophes (tsunami,
séismes de Turquie et d’Haïti, ouragans Mitch et Katrina), lutte contre le sida en Afrique du Sud…
Sa démarche consiste à montrer comment une « morale humanitaire » s’est inscrite, progressive-
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ment depuis une vingtaine d’années, dans les législations nationales et dans le droit international.
Le jeu et l’interaction des associations, ONG et des autorités ont abouti à la mise en place de ce
qu’il appelle un « gouvernement humanitaire ».
De nombreux argumentaires analysent ce changement de posture comme une réaction aux méfaits
des temps contemporains. Les violences extrêmes qui ont ponctué le xxe siècle ; les crises écono-
miques et sociales qui secouent les sociétés depuis une trentaine d’années dans un contexte de
libéralisation économique où les États providence seraient, pour certains, devenus défaillants ; le
délitement du lien social dans des sociétés hyperindividualistes ; la séduction du marché dans
lequel des individus parfaitement égoïstes seraient entièrement voués à la pression des discours
publicitaires et à l’effet anesthésiant des médias56…
Certes une part de ces représentations ont leur responsabilité dans le changement de focale
auquel nous assistons. À tel point, explique Fassin, qu’aujourd’hui, « on préfère parler de souf-
france et de compassion plutôt que d’intérêt et de justice », que tout un vocabulaire des senti-
ments moraux – la misère, les victimes, l’exclusion, les traumatismes… – lié à la santé mentale
s’est imposé dans les discours, la littérature scientifique et la morale politique, dans une sorte
d’« inflation doloriste ». Dans La Fatigue d’être soi (1999), le sociologue Alain Ehrenberg parlait
déjà d’une « vogue de la souffrance », comme contrepartie de l’émancipation individuelle. Fassin,
comme bien d’autres, ne manque pas de se demander si, dans cette « emphase affective », la
•••/•••

53. Voir Sciences Humaines, « 20 ans d’idées. Le basculement », n° 222, décembre 2010.
54. Voir Jean-François Dortier, « Gaïa et la nouvelle version du vivant », Les Grands Dossiers des sciences
humaines, n° 19, juin-juillet-août 2010.
55. Didier Fassin, La Raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent, Gallimard/Seuil, 2010.
56. Serge Guérin, op. cit.

201231TDPA0413 83
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• compassion ne permet pas de faire l’économie d’actions plus exigeantes. Mais s’il considère que
le nouveau gouvernement humanitaire des sociétés « allège du poids d’un ordre mondial inégal »,
l’idéologie humanitaire est, quoi qu’il en soit, devenue notre manière d’appréhender le monde.
En définitive, les êtres humains du xxie siècle seraient-ils devenus plus altruistes que leurs ancêtres ?
Dans un monde contrasté, où chaque jour nous donne à voir des manifestations de gentillesse et
de méchanceté, de générosité et d’égoïsme, de compassion et de violence, qui pourrait se hasar-
der à une telle affirmation ? Ne sommes-nous pas nombreux à donner un jour une pièce ou un
chèque-déjeuner au SDF qui nous croise, pour la refuser le lendemain à un autre ? Nous ne
sommes en fait ni plus égoïstes ni plus altruistes que nos prédécesseurs. Mais ce que montrent les
travaux récents, qu’ils viennent des sociologues ou des psychologues, des tenants du culturalisme
ou de la psychologie évolutionniste, c’est que les émotions ont une grande part dans les conduites
humaines. La multiplicité des formes de solidarité apparaît comme une preuve que l’Homo œco-
nomicus ne saurait suffire à définir l’être humain dans sa totalité.

L’image d’une belle personne


En outre, l’altruisme ne se cantonne plus au cercle des proches (la famille, le groupe, le quartier).
Sur une planète mondialisée, médiatisée, googelisée, il s’étend à tous les malheureux de la Terre,
qu’ils soient en bas de notre immeuble ou à des milliers de kilomètres. « Dans un monde où les
identités sont multiples, métisses, évolutives, le don et les actes solidaires appartiennent précisé-
ment aux espaces d’ouverture qui fondent l’individu moderne. (…) Le souci de l’autre, la sensibilité,
la bonté participent pleinement de la construction identitaire », affirme Guérin.
En fait, plutôt qu’un retour de la morale (qu’elle soit issue de la religion ou des philosophes rationa-
listes), ce serait plutôt une nouvelle forme de lien social que les individus seraient en train de tisser.
D’autant qu’en nous rendant sensibles aux intérêts d’autrui, nous donnons aux autres l’image d’une
« belle personne », ce qui a pour avantage de fortifier notre estime de soi. Adam Smith n’affirmait-il
pas que « l’homme naturellement désire non seulement être aimé, mais être aimable » ?
Martine Fournier, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

Texte 2

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L’empathie, des animaux aux humains

Rencontre avec Frans de Waal

Les gestes de secours et de réconciliation que l’on observe chez de nombreux animaux sont
déclenchés, selon Frans de Waal, par la compassion. Cette aptitude spontanée serait le
précurseur du sens moral chez l’être humain.
La notoriété croissante de Frans de Waal se mesure facilement au délai qui sépare la parution de
l’un de ses livres du moment de sa traduction : treize ans en 1989 (De la réconciliation chez les
primates, Flammarion, 2002), quelques mois en 2010.
Né en 1948 aux Pays-Bas, Frans de Waal a mené une brillante carrière de spécialiste du compor-
tement animal qui l’a propulsé, depuis 1997, à la tête du Living Links Center de l’université Emory
à Atlanta (États-Unis), spécialisé dans l’étude des primates. Son programme est explicite : explorer
les traits génétiques, anatomiques et cognitifs communs aux grands singes et à l’homme. De fait,
c’est sa capacité à tirer des leçons de cette comparaison qui a fait de de Waal un penseur de la
sociabilité humaine comme animale. Ses premiers travaux remarqués remontent à la fin des
années 1980. Ils portaient sur les chimpanzés observés dans les zoos des Pays-Bas et souli-
gnaient combien les gestes de coopération et de réparation ont une importance stratégique chez
nos cousins simiens. Contre l’idée défendue par Konrad Lorenz selon laquelle l’agressivité, la
domination et la soumission sont les principaux ressorts de la vie sociale animale adulte, de Waal
participait à la fondation d’une nouvelle primatologie, portant un regard attentif à d’autres genres
de comportements : solidarité, entraide et actes d’altruisme. Depuis, de Waal a creusé patiemment
ce sillon, accumulant les ouvrages sur la réconciliation, le rôle pacificateur de la sexualité, la
consolation et le sens de l’équité chez les chimpanzés et les bonobos. En 2005, dans Our Inner
Ape (Le Singe en nous, Fayard, 2006), il affirmait une conviction : l’arbre de la sociabilité humaine •••/•••

84
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• n’a pas poussé sur le terrain de la conscience et de la raison, mais plonge ses racines dans le
monde animal et les instincts. La discussion qui n’a pas manqué de suivre l’a amené à préciser son
idée : l’ancêtre de la morale n’est ni une obligation ni un interdit, mais un mouvement spontané de
compassion entre les êtres, animaux comme humains. Son dernier ouvrage traduit, L’Âge de l’em-
pathie (Les Liens qui libèrent, 2010), est une longue illustration de cette thèse, à laquelle il ajoute
un conseil pratique : pour améliorer les sociétés humaines, pour lutter contre les violences, les
injustices et l’indifférence, il est plus efficace de promouvoir le sentiment d’empathie naturel parmi
les hommes que de tenter de leur imposer de nouvelles règles ou de leur fixer de nouveaux idéaux.
Comment faire ? C’est une autre histoire. La proposition elle-même met en jeu tant d’acquis sur
l’exception humaine qu’elle méritait quelques questions. La morale est-elle vraiment naturelle ?
Dans vos derniers livres, vous accordez toute votre attention au phénomène de l’empathie.
Pourquoi ?
Mon premier livre était intitulé La Politique du chimpanzé, mais signalait déjà des actes de coopé-
ration. Il décrivait les gestes de réconciliation et de consolation que l’on observe chez les grands
singes. Ce sont les principales manifestations de l’empathie chez eux. Ces notions étaient donc
déjà présentes. J’ai cependant décidé d’y accorder plus d’attention après la mort de l’un de nos
chimpanzés lors d’une bagarre entre mâles rivaux. Cet événement m’a vraiment appris à quel point
les gestes d’apaisement et de réparation, ces manières de contenir les agressions, n’étaient pas
du tout un luxe, mais se révélaient absolument indispensables pour atteindre un minimum d’har-
monie sociale. Sans ces gestes, la vie de groupe s’effondre tout simplement chez les singes. Il m’a
semblé plus intéressant de m’y consacrer plutôt que de continuer à recenser les conflits et les
luttes de pouvoir. S’il n’y avait que conflits et rivalités, le coût de la vie en groupe serait exorbitant.
Alors que, visiblement, les singes y trouvent de grands avantages.
Vous rapprochez cette capacité d’autres comportements spontanés, comme l’imitation.
Pour quelles raisons ?
L’empathie consiste à éprouver les mêmes sentiments que l’autre. L’imitation et l’empathie sont
liées parce que dans les deux cas, il faut être capable de prêter attention à autrui et même de se
mettre à sa place. Les deux démarches exigent de fusionner avec autrui, que ce soit sur un plan
pratique (imitation) ou émotionnel (empathie).
Sur un plan neurologique, il s’avère d’ailleurs que les deux comportements pourraient s’appuyer
sur un même mécanisme, le déclenchement de neurones-miroirs. Le phénomène est bien connu
que lorsque vous observez quelqu’un exécutant une action, ce sont les mêmes neurones qui sont
activés que lorsque vous accomplissez vous-même cette action. Le mécanisme s’applique à l’em-
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pathie, mais sur un plan émotionnel. L’individu qui en observe un autre en train d’exprimer une
émotion comme la peur est affecté de la même manière que s’il était lui-même en face du danger.
C’est un trait avantageux du point de vue de l’évolution. Lorsqu’une bande de moineaux est en
train de picorer au sol et que l’un d’entre eux, ressentant un danger, s’envole, la peur se commu-
nique rapidement aux autres. Ceux qui s’envolent aussi échappent au prédateur, ceux qui restent
ou tardent à partir risquent de finir dans son estomac. L’empathie n’est, au départ, rien d’autre
qu’une forme de contagion émotionnelle.
Vous décrivez également des réactions face à l’injustice chez des primates non humains.
Cela les rapproche-t-il de nos propres facultés de jugement moral ?
Les études sur la perception de l’injustice chez les animaux sont très intéressantes. Elles nous
montrent que les animaux coopératifs se préoccupent de ce qu’ils obtiennent en échange de leurs
efforts. En général, ils réagissent au fait d’être moins bien récompensés qu’un autre individu. Mais
le cas inverse existe : des études récentes montrent que des chimpanzés peuvent aussi refuser
une récompense parce qu’elle est supérieure à celle que reçoivent leurs compagnons. Le sens de
l’équité a été entouré par les philosophes de toutes sortes de justifications rationnelles complexes,
mais il repose probablement sur des sentiments simples. Au risque de choquer certains, je dirai
que ces sentiments agissent aussi bien chez certains animaux que chez l’homme. Des études sur
de jeunes enfants le confirment. Elles montrent, par exemple, des enfants qui poussent des cris
parce que leur frère est mieux traité qu’eux. Or, des travaux très récents ont observé le même
phénomène chez les chiens : si l’un de leurs congénères est récompensé devant eux pour une
tâche qu’ils ont l’habitude de réaliser gratuitement, ils refusent de l’accomplir. Cela montre qu’ils
ont le sens de l’équité, qui est aussi un aspect universellement présent de la morale humaine. •••/•••

201231TDPA0413 85
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Sur la continuité entre l’animal et l’homme, vous avez déjà mené une discussion avec des
philosophes. En insistant sur l’empathie comme fondement du sens moral dans l’évolution
du vivant, pensez-vous avoir répondu à leurs objections ?
Il y a plusieurs façons de concevoir le sens moral. Quant à moi, j’adhère aux vues du philosophe
David Hume, selon lequel tout est fondé sur les émotions qu’il nommait « sentiments moraux ».
C’était aussi l’opinion de Charles Darwin. J’admets, comme beaucoup de philosophes, que cela
n’explique pas tout. C’est pourquoi, par exemple, je ne prétends pas que les chimpanzés sont des
êtres moraux à part entière, car ils ne semblent pas tenir de raisonnements sur ce que sont le bien
et le mal. Mais ça ne fait pas d’eux des êtres fondamentalement différents de l’homme. L’important
est que la morale humaine, telle que nous la connaissons, ne pourrait exister sans les sentiments
tels que l’empathie, le désir de prendre sa revanche sur un adversaire, le sens de la réciprocité, la
sensibilité aux règles. Ces dispositions spontanées, que nous partageons avec d’autres animaux,
sont les bases sur lesquelles reposent nos systèmes moraux les plus conventionnels et raisonnés.
À propos du progrès moral des sociétés humaines, vous suggérez donc d’agir sur le déve-
loppement de l’empathie plutôt que sur la promotion de normes, d’interdits ou de conven-
tions. Quelle différence cela fait-il ?
Je pense que porter secours à autrui et s’abstenir de lui nuire sont les deux maximes qui défi-
nissent la morale humaine universelle. Mais celle-ci n’est pas uniquement liée à l’obtention du
bonheur du plus grand nombre : elle naît du besoin de coopérer au sein d’un périmètre social
donné. C’est pourquoi la morale s’adresse d’abord à nos proches. Nous aspirons à des principes
et à des normes universels, mais en pratique nous nous préoccupons surtout de notre propre
groupe et nous sommes beaucoup moins soucieux du bien-être des autres. La morale peut donc
être considérée comme un moyen de renforcer les liens sociaux à l’intérieur d’un groupe donné.
Sur ce point, je suis en désaccord profond avec le philosophe Peter Singer, qui affirme qu’un chim-
panzé intelligent mérite plus d’égards qu’un humain handicapé mental. Selon moi, les systèmes
moraux ne sont pas indexés sur la plus ou moins grande sensibilité des êtres, mais sur les liens qui
nous attachent à eux. Nous accordons plus de prix à nos propres enfants qu’à ceux des autres. Un
père qui, au beau milieu d’une famine, nourrirait les enfants des voisins et non les siens soulèverait
un déluge de reproches. Même si d’un point de vue utilitariste, il ne fait rien de critiquable, son
devoir est de nourrir d’abord ses propres enfants. Voilà sur quoi portent actuellement les discus-
sions entre certains philosophes et moi-même.
Propos de Frans de Waal57 recueillis par Nicolas Journet, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

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Texte 3

Altruiste ou égoïste, les deux faces de l’être humain


Peut-on agir de façon totalement désintéressée ? Derrière les actes généreux, n’y aurait-il
pas un égoïsme caché ? Le débat sur l’égoïsme ou l’altruisme est aujourd’hui relancé par
des recherches qui analysent les comportements des animaux ou les motivations des phi-
lanthropes.
Au milieu de la nuit, l’enfant se met à pleurer. Ses cris sont irrésistibles. Encore engourdi de som-
meil, papa ou maman se lève, va prendre son bébé dans ses bras, le bercer, le consoler. Qu’est-ce
qui pousse ce jeune papa ou cette jeune maman à se précipiter vers le petit lit de leur bébé ?
L’angoisse de voir l’enfant souffrir ? Un élan d’amour désintéressé ? Ou bien tout simplement les
cris leur sont insupportables ? Ou retrouver leur propre confort et vite retourner au lit ? Derrière
l’altruisme apparent y aurait-il un motif personnel caché ?
Voilà le genre de dilemme qui se pose quand l’on cherche à déterminer ce qui relève de l’altruisme
ou de l’égoïsme dans un comportement. On pourrait poser la question à propos de toutes les
actions altruistes. Le généreux bénévole qui va donner son sang, le fait-il par pur désintéressement
ou par sens du devoir, pour soulager sa conscience, ou encore se valoriser à ses propres yeux ?
Au fond de nous-mêmes, sommes-nous égoïstes ou altruistes ?
•••/•••

57. Primatologue, il a récemment publié L’Âge de l’empathie. Leçon de la nature pour une société solidaire,
Les liens qui libèrent, 2010.

86
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Les deux analyses se tiennent. Elles font l’objet d’une vieille controverse sur la nature humaine, qui
a agité les philosophes aux xviie et xviiie siècles. Elle a opposé les tenants de l’égoïsme naturel des
humains, comme Thomas Hobbes pour qui « l’homme est un loup pour l’homme », et ceux qui
comme Adam Smith admettaient que l’on puisse aussi « agir pour les autres sans autre but que de
les rendre heureux58 ». Ces deux thèses antagonistes, est-il possible de les départager ?
Le débat altruisme/égoïsme a, depuis trente ans, donné lieu à une immense littérature scientifique
sur les fondements (biologiques et neurologiques) de la morale, l’économie des comportements
(intéressés ou non) et la philosophie morale.

Des animaux empathiques


Charles Darwin, dans De la filiation de l’homme (1872), admet l’existence d’instincts sociaux chez
les animaux. Il évoque les soins apportés aux petits chez les oiseaux : 90 % des espèces d’oi-
seaux vivent en couple et s’occupent avec dévouement de leurs oisillons. Chez tous les mammi-
fères – chats, rats, lions, antilopes… –, la mère prend soin de ses petits. Chez de nombreuses
espèces sociales – chevaux, moutons ou éléphants –, Darwin note la richesse de la vie collective.
Il cite le cas des loups qui chassent en bandes ou des bisons qui se regroupent pour se défendre
face au danger et encercler les petits.
Selon Darwin, nombre d’animaux éprouvent de la « sympathie » quand l’un de leurs compagnons
est en détresse. Il rapporte le cas d’un vieux pélican aveugle nourri avec l’aide des siens. Il témoigne
d’un chien qui en passant à côté d’un chat malade, dont il était devenu l’ami, lui donnait quelques
coups de langue : « Ce qui est le signe le plus sûr d’un sentiment de bonté chez un chien. » L’exis-
tence de ces instincts sociaux posait d’ailleurs un problème pour la théorie de la sélection natu-
relle, qui supposait une lutte acharnée entre individus pour la survie59. À l’encontre de cette vision
individualiste de l’évolution, le prince anarchiste Pierre Kropotkine écrira en 1902 L’Entraide. Un
facteur de l’évolution. Son livre cite de nombreux cas d’insectes, de rongeurs, de loups et de
rennes qui ne vivent et survivent qu’en groupe et s’apportent des aides mutuelles, s’occupent des
petits ou se défendent en commun60.
Dans les années 1960-1970, le thème de l’altruisme animal va être repensé dans le cadre de la socio-
biologie*. L’étude biologique des insectes sociaux montrait que les comportements altruistes peuvent
s’expliquer par la parenté génétique. Les animaux se sacrifient dès lors que leur geste se fait au
bénéfice d’individus apparentés. Les fourmis, les abeilles sont stériles ; en se sacrifiant pour le
groupe (comme lorsqu’elles repoussent les prédateurs), chaque individu permet à ses gènes de se
propager. Derrière l’altruisme apparent, il y aurait donc un « gène égoïste ». Cette approche sociobio-
logique va donner lieu à de furieuses polémiques – la théorie s’applique-t-elle aux êtres humains, la
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société n’est-elle qu’une invention biologique ? – mais, dans son sillage, la sociobiologie va ouvrir un
important domaine d’étude sur les fondements de la coopération.
En trente ans, ce courant de recherche s’est considérablement complexifié. L’observation de nom-
breux comportements d’assistance entre animaux n’ayant pas de parenté entre eux allait obliger à
imaginer d’autres dispositifs que la loi du gène égoïste (favorisant les parents). C’est ainsi que sont
apparues la théorie du signal coûteux* (une stratégie de coopération destinée à séduire des parte-
naires ou s’assurer une position de pouvoir dans un groupe) et celle de l’altruisme réciproque*
(stratégie d’entraide fondée sur le donnant, donnant), la réhabilitation de la sélection de groupe*,
l’effet Baldwin*, etc.

L’homme, un mammifère social particulier


Au final, l’altruisme animal se présente aujourd’hui comme un enchevêtrement complexe de théo-
ries et de niveaux d’analyse. À la question de savoir si les animaux sont égoïstes ou altruistes, on
ne peut que répondre que tout dépend des espèces, des comportements considérés, du niveau
où l’on situe l’analyse : celle du comportement observé ou celle des causes profondes. Voyons
maintenant ce qu’il en est des humains.

•••/•••

58. Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759, rééd. Puf, 2011.
59. Charles Darwin avance l’idée d’une « sélection de groupe » (les comportements favorables permettent
la survie du groupe, même si c’est au détriment des individus qui se sacrifient). Mais cette idée restera
dans l’ombre.
60. L’individualisme est une invention moderne. Les sociétés primitives elles-mêmes sont fondées sur la
solidarité collective.http://raforum.apinc.org/bibliolib/html/Kropotkine-Entraide.html

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• Les êtres humains sont des mammifères sociaux. À ce titre, ils n’échappent pas à certaines
contraintes. Comme un chat ou un dauphin, vous et moi sommes soumis à des pulsions de vie et
de survie qui nous poussent à atteindre des buts individuels de toute sorte (de la nourriture au
sexe, de l’autodéfense au confort personnel). Or, chez les animaux sociaux, la satisfaction de ces
pulsions suppose le concours d’autrui. Cette dépendance à l’autre fait que les animaux sociaux se
sont dotés d’une gamme de comportements sociaux (dont les affects d’attachement ou d’amour)
nécessaires pour se faire des amis, des alliés, des parents et de « partager » toute sorte de choses.
Mais les humains que nous sommes ont ajouté à cela des aptitudes spécifiques : l’intentionnalité
(se fixer des buts conscients), la réflexivité (capacité d’autoanalyse), la création de cultures symbo-
liques (faites de règles, de devoirs et d’interdits)61. Tout cela fait de nous des « agents moraux »
ayant une notion du « bien » et du « mal ». Cette conscience morale enrichit considérablement le
répertoire de conduite des humains. Mais complique singulièrement leur compréhension.
Prenons le cas de la philanthropie. Voilà un comportement spécifiquement humain : ni les zèbres
ni les chimpanzés n’ont créé d’associations caritatives. Comment comprendre l’humanisme phi-
lanthropique qui consiste à donner une partie de ses biens à des étrangers que l’on ne côtoie
jamais ? On peut évoquer le devoir et l’obligation morale. Toutes les grandes religions comportent
de tels préceptes d’assistance et de générosité à l’égard d’autrui. Mais c’est souvent en échange
d’un salut personnel. Il y a donc souvent un motif égoïste caché derrière le don généreux. Qu’en
est-il alors de la philanthropie laïque ? Nul n’obligeait Bill Gates à léguer 75 % de sa fortune à une
fondation. Mais là encore, il est clair que cet acte de générosité n’est pas totalement dépourvu
d’intérêt personnel. Ces largesses font du donateur une sorte de « saint laïc » qui rachète aux yeux
de l’opinion bien des forfaits antérieurs (du temps où il régnait en maître sur l’empire Microsoft).
Bref, il a toujours des bénéfices en termes de gloire et de reconnaissance. Ces considérations
conduisent à penser qu’il y aurait donc toujours des motifs égoïstes cachés derrière l’apparence
de la pure générosité.
Des actes altruistes dépourvus de tout intérêt personnel : voilà le genre de conduite que traquent
les philosophes et psychologues de l’altruisme comportemental et psychologique. Par exemple,
lorsque je décide d’acheter un produit de commerce équitable à un prix un peu plus cher, personne
n’est au courant de cet acte. Voilà a priori un acte noble qui ne me rapporte rien et semble voiler
les critères de l’Homo œconomicus. Les psychologues ont mis au point des expériences pour
neutraliser les intérêts personnels dans les comportements altruistes (inconfort moral, recherche
de louanges).
On trouve dans de nombreuses situations historiques de telles conduites altruistes apparemment
désintéressées. Durant les grandes catastrophes (tremblement de terre, tsunami), de nombreuses

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personnes se portent spontanément au secours de parfaits inconnus ; durant la Seconde Guerre
mondiale, des « justes » ont caché des Juifs sans en attendre récompense ni médaille62. Des
parents démunis se démènent en silence pour le bien de leur famille. Évidemment, le débat raffiné
conduit à des complications. Les justes ont-ils agi par sens du devoir ou par compassion ? Avaient-
ils vraiment conscience du danger ? Mais s’entrelacent de multiples déterminations.

Un débat sans fin


La question, on le voit, est complexe. On ne peut trancher par la seule observation des comporte-
ments. Il existe certes des actions altruistes chez les animaux et les humains, mais on peut tou-
jours les rapporter à des motivations cachées égoïstes. Quand on déplace l’analyse au niveau des
motifs, on constate qu’ils se révèlent multiples et ambigus. L’analyse des causes profondes ren-
voie d’ailleurs à une multitude de théories et de cadres d’analyse différents formant des écheveaux
complexes.
Finalement, les animaux sont-ils égoïstes ou altruistes ? Et les humains ? Cela a les allures d’un
débat sans fin, d’un problème sans fond. Ni les faits, ni les motifs, ni les théories ne permettent de
départager de façon claire et unilatérale. L’énorme accumulation de données, de recherches et de
théories n’aurait-elle donc servi qu’à obscurcir un problème insoluble et insondable ?

•••/•••

61. Voir Jean-François Dortier, L’Homme, cet étrange animal. Aux usages du langage, de la culture et de la
pensée, éd. Sciences Humaines, 2004.
62. Voir Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien, La Découverte,
2005.

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•••/••• Vu de loin, c’est le cas. Il est impossible d’apporter une réponse claire à la question. Vu de plus
près, il faut admettre que nos connaissances se sont considérablement enrichies : sur la variété
des comportements d’entraide chez les animaux, sur les comportements de solidarité chez les
humains (en période de conflits ou de catastrophe notamment). De même, la panoplie des théories
conduit à distinguer les cadres de pensée : un acte peut être altruiste d’un point de vue et égoïste
de l’autre.
Ce qui nous manque cruellement, c’est une synthèse de tous ces travaux, un bilan raisonné qui
permettrait de tirer quelques leçons générales.
Il serait donc salutaire et louable qu’une bonne âme s’attelle à une telle entreprise. Fût-ce pour des
motifs égoïstes !
*Mots-clés :
• Sociobiologie : Étude des fondements biologiques des comportements sociaux.
• Signal coûteux : Selon cette théorie, les conduites généreuses (partage de nourriture, protection)
relèvent de la stratégie du courtisan. Elles visent à séduire un partenaire en montrant que l’on est
un bon compagnon.
• Altruisme réciproque : Forme de coopération où un individu accepte de venir au secours d’un
autre (comme les chauves-souris vampires qui nourrissent leurs congénères revenus bredouilles
de la chasse) et, en retour, peut être assisté en cas de besoin. C’est une forme de coopération
donnant-donnant.
• Sélection de groupe : Un groupe coopérant a plus de chances de survie, même si les actions
de coopération ne sont pas destinées à des individus apparentés. Edward Wilson, le père de la
sociobiologie, a admis récemment l’idée que la sélection naturelle ne vise pas uniquement les
individus mais le groupe.
• Effet Baldwin : Une forme de sélection naturelle qui ne porte pas sur un comportement instinctif,
mais sur la capacité à acquérir par apprentissage un comportement donné.

Jean-François Dortier, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

Texte 4
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Bénévolat, assistance… Pourquoi s’engage-t-on ?


N’est-il pas paradoxal que, dans des sociétés d’individus, les actions humanitaires se diver-
sifient et se multiplient ? Ces nouvelles solidarités attestent, selon Jacques Ion, d’une nou-
velle manière de se relier aux autres.
Dons réguliers sous formes de virements permanents pour des causes humanitaires et sociales, dons
exceptionnels lors de catastrophes (tsunami, Haïti), succès non démenti des appels médiatiques à la
charité publique (téléthon), soutiens aux causes humanitaires, développement du commerce équitable,
croissance du bénévolat associatif…, autant de signes qui témoigneraient de l’intérêt de nos conci-
toyens pour leurs semblables dans la misère, à l’intérieur de nos frontières comme à l’extérieur.
Étrangement, les discours sur la montée de l’altruisme coexistent avec d’autres exactement contraires :
montée des égoïsmes, repli sur soi, individualisme généralisé seraient tout autant la caractéristique de
nos sociétés en crise ! L’actualité récente témoigne de cette ambivalence : les très fortes et continues
mobilisations contre la réforme des retraites ont été autant l’occasion pour certains de fustiger « les
défilés des nantis » que pour d’autres de relever que beaucoup de ceux qui manifestent le font souvent
davantage pour autrui que pour défendre leurs propres intérêts (cheminots, déjà retraités, jeunes, etc.) !
Alors, nos contemporains, de plus en plus individualistes ou de plus en plus altruistes ?

Des engagements plus pragmatiques


Essayons au préalable de regarder de plus près ce dont il est question. Et d’abord, pourrait-on
apprécier quantitativement la progression de ce supposé mouvement altruiste ?
Il est certain que le nombre d’associations déclarées ne cesse de croître très rapidement (plus
trente mille environ par ans). En réalité, on ne connaît pas leur taux de mortalité et, surtout, n’ou-
blions pas que ne cesse de diminuer la part des associations polyvalentes (du type cercles parois- •••/•••

201231TDPA0413 89
Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• siaux ou amicales laïques) au profit des associations différenciées selon les activités (ainsi les
clubs sportifs omnisports sont-ils remplacés par des clubs spécialisés dans telle ou telle discipline)
et selon les publics (hommes, femmes, jeunes, seniors, etc.). Reste que, sur plusieurs décennies,
il apparaît bien que le pourcentage de personnes participant à des activités associatives ne cesse
de croître ; et, à côté du bénévolat dans les clubs sportifs, c’est de plus en plus des associations
à but humanitaire et social qui sont le lieu de ces engagements associatifs.
Mais on ne saurait apprécier l’altruisme et le bénévolat selon les seuls critères quantitatifs. Bien
des activités d’aide se déroulent au sein de la famille élargie, du quartier ou du cercle d’amis et ne
donnent pas lieu à possibilité de comptage. On peut même se demander si l’inscription croissante
des pratiques d’aide dans un cadre associatif ne va de pair avec une diminution des pratiques
d’entraide informelle au sein du cercle des appartenances primaires. Le développement des asso-
ciations d’« écoutants » (SOS-Amitié France par exemple, qui revendique 1 800 bénévoles) corres-
pond indéniablement, au moins partiellement, à une transformation des liens de sociabilité. L’ac-
croissement des mobilités géographique et professionnelle tend ainsi à distendre les relations
entre proches. Mais les enquêtes montrent aussi qu’en période de crise, les aides entre grands-
parents, enfants et petits-enfants s’intensifient. Simultanément, la place de plus en plus impor-
tante des femmes dans les associations (où elles sont aujourd’hui aussi nombreuses que les
hommes après y avoir été longtemps très minoritaires) semble correspondre avec leur émancipa-
tion par rapport à leurs rôles familiaux traditionnels.
Un autre trait significatif des engagements contemporains est la déconnexion apparente entre l’aide
concrète et les fins qui peuvent la justifier. Ainsi les engagements dans des associations hier idéolo-
giquement très opposées comme le Secours catholique et le Secours populaire tendent-ils à s’effec-
tuer aujourd’hui indépendamment des affiliations politico-religieuses qui les organisaient précédem-
ment. Comme si les pratiques d’aide se faisaient de plus en plus indépendamment des systèmes de
croyances (lesquels ont longtemps eu un rôle important dans l’organisation de l’hospitalité et des
dons) et privilégiaient l’efficacité immédiate63. La montée en puissance des engagements de type
pragmatique, à durée limitée et à la recherche de résultats concrets se traduit par un accroissement
des initiatives visant directement à aider autrui sans attente d’un changement politique. Si demain
n’est plus porteur d’espérance et risque au contraire de se révéler pire qu’aujourd’hui, l’urgence est
davantage à ravauder qu’à préparer le grand soir. Ce qui ne signifie pas la fin des idéologies mais la
prise en compte du souci d’agir dans le présent pour obtenir des résultats, même partiels.
Voici peut-être une autre façon de considérer autrui. Une telle évolution est repérable dans les
institutions et le droit. Loi sur les usagers des services de santé, loi sur le handicap, loi sur les
groupes d’entraide entre malades…, depuis deux décennies, plusieurs textes ont été votés qui
tous vont dans le même sens : favoriser une plus grande attention à la prise en charge des per-

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sonnes. L’usager des services sanitaires et sociaux n’est plus considéré comme un être sans
qualités spécifiques ou comme un assisté impuissant.
Cette évolution est tout autant repérable au sein des pratiques du travail social. L’emploi de plus
en plus systématique, dans les textes de la profession, de la notion de « personne » vient marquer
cette attention récente à la singularité de celui qui est pris en charge.

L’accompagnement se substitue à la réparation


Simultanément change la visée du professionnel : moins réparer, réformer et éduquer pour faire
évoluer vers des figures abstraites de référence (le « bon citoyen », le « bon ouvrier », la « bonne
ménagère », le « bon collégien », etc.), mais agir de concert avec l’individu tel qu’il est, considéré
d’emblée comme un être autonome et non pas comme un être inachevé ou handicapé. L’essentiel
du travail devient alors un travail de reliaison64 visant à ramener dans le monde des relations
sociales ordinaires un individu transitoirement « désaccordé » (par la perte d’emploi ou l’exclusion
sociale). Dans cette optique où la transformation de l’individu passe au second plan, la thématique
de l’accompagnement devient alors omniprésente. Il s’agit davantage de révéler l’individu à lui-
même et dans son environnement relationnel, en tout cas de l’accepter tel qu’il est, avec ses
caractéristiques propres. La visée de l’accompagnement, terme envahissant aujourd’hui l’espace
du travail social, se substitue à celle de la réparation.
•••/•••

63. Voir les enquêtes CNRS-Matisse, dite « France générosités ». Ces enquêtes montrent un accroissement
régulier des dons de toute nature, avec un fléchissement de l’intérêt pour les causes de long terme au
profit de celles de proximité.
64. Christian Laval, Des psychologues sur le front de l’insertion. Souci clinique et question sociale, Érès,
2009.

90
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Plus généralement, c’est le rapport à l’usager dans toutes les institutions qui se trouve fortement
modifié. Le sociologue François Dubet, évoquant cette relation dans les institutions telles que
l’école, l’hôpital ou le travail social, parlait de « travail sur autrui ». Il semble bien, qu’avec Isabelle
Astier, on doive aujourd’hui parler plutôt de « travail avec autrui65 ». D’ailleurs, bien des sociologues
appellent coproduction la relation de service aux particuliers. Autrui apparaît ainsi de moins en
moins comme une simple figure abstraite, seulement définissable par son statut dans l’institution
ou sa place d’ayant droit dans les rouages de l’État dit providence. De même que l’engagement ne
signifie plus pour soi-même la mise à l’écart de sa part intime, de même l’autrui lointain pour lequel
on s’engage n’est plus nécessairement un être anonyme privé d’émotions.

La deuxième individuation
Cette évolution n’est pas analysable simplement comme un infléchissement des politiques publiques,
qui se seraient ajustées à un contexte néolibéral. La cause n’est pas principalement de nature écono-
mique mais elle est bien proprement sociologique. Elle s’inscrit dans un processus général sur le long
terme, mis en lumière depuis longtemps par Norbert Elias ou Louis Dumont. À la société holiste (dans
laquelle le tout s’impose sur les parties composantes) succède une société d’individus. Pour autant
ces individus sont longtemps restés insérés et largement définis par les collectifs dans lesquels ils
s’inséraient : ordres, corporations, familles, etc. Le rôle dans la famille (père, épouse, enfant) ou celui
dans un collectif de travail ou de quartier ont ainsi longtemps permis de caractériser l’individu. Les
appartenances religieuses, familiales, professionnelles, géographiques, ou les statuts dans les institu-
tions suffisaient à définir chacun et sa place dans le monde social, même si sur le long terme, ces
systèmes d’appartenance tendaient à voir leur emprise s’affaiblir. Or, ce processus d’individuation
connaît depuis une trentaine d’années une nouvelle inflexion à tel point qu’on peut parler d’une deu-
xième « individuation », celle qui valorise les êtres dans leur particularité plutôt que dans leurs rôles et
leurs statuts de patient, d’élève ou de membre d’une famille. La femme ne peut plus seulement être
définie comme épouse ou mère ; de même l’enfant. Leurs affects deviennent partie intégrante de leur
être social. L’émancipation par rapport aux collectifs d’appartenance se signe d’une plus grande auto-
nomie, garantie par des droits nouveaux. C’est ce processus que François de Singly décrit comme le
passage de l’« individu anonyme » à l’« individu singulier »66. Change ainsi la définition sociale de l’in-
dividu. Et c’est bien aussi parce que les individus sont davantage autonomes que le besoin d’inscrip-
tions collectives se fait sentir, et que ces nouvelles formes d’engagements humanitaires se multiplient.
Si le souci d’autrui se trouve certes particulièrement valorisé dans un contexte de crise, il s’inscrit
donc surtout et principalement dans ce processus sociologique qui tout à la fois promeut l’individu
comme une personne et accroît les risques de sa vulnérabilité, puisque tout un chacun, privé des
étayages antérieurs, est conduit à constamment devoir affirmer son identité et sa place spécifique
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dans le monde social. Dans ce jeu, ce sont évidemment les plus démunis qui ont le plus à perdre.
La montée en puissance de la sollicitude – et notamment des politiques du care – dépasse ainsi
doublement la conjoncture présente. Elle dépasse d’abord la conjoncture politique illustrée par la
valorisation de l’individu libéral : il serait réducteur de voir le souci de l’autre comme une réponse
politicienne face à la promotion d’une société des égoïsmes généralisés. Elle ne peut non plus
simplement s’analyser comme une ruse du capital. Que le néolibéralisme y trouve son compte ne
signifie pas qu’il faille jeter l’émancipation de l’individu – objet de lutte depuis plus de deux siècles
– avec l’eau du bain. Que les droits de l’homme participent d’une redéfinition compassionnelle de
la politique n’implique point qu’ils soient chose négligeable. Encore faut-il se demander si la cri-
tique qui veut que le développement de l’humanitaire accompagne des formes de dépolitisation67
ne s’appuie pas sur une définition du politique qui mérite elle-même d’être interrogée.
L’individuation présente nous oblige à repenser les formes de la solidarité. Au lieu de multiplier
depuis quelques décennies les prothèses qui permettent encore à l’État social de fonctionner
(c’est ainsi que l’on qualifie l’ensemble des dispositifs, tels que les ZEP, mises en place à la péri-
phérie des grandes institutions de socialisation), sans doute serait-il temps de revoir l’ensemble de
ses rouages à l’aune des temps présents. Redéfinir l’État social, fondé hier sur la conception de
l’individu anonyme, sur la base de l’individu singulier, telle devrait être la tâche aujourd’hui.
Nous ne sommes pas plus individualistes que nos prédécesseurs, mais l’évolution de la société
nous rend plus autonomes ; nous ne sommes pas plus altruistes mais la déprise d’avec les anciens
systèmes d’appartenance a transformé les relations entre les individus, proches ou lointains. Ce
•••/•••

65. François Dubet, Le Déclin de l’institution, Seuil, 2002. Voir aussi Isabelle Astier, Les Nouvelles Règles du
social, Puf, 2007.
66. François de Singly, L’individualisme est un humanisme, L’Aube, 2005.
67. Didier Fassin, La Raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent, Gallimard/Seuil, 2010.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• qui est en cause n’est donc pas seulement de l’ordre de la psyché ou de réactions à la crise éco-
nomique et sociale mais touche à des processus de long terme qui concernent la façon dont les
individus sont liés les uns aux autres.
Jacques Ion68, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

Texte 5

Polémiques autour du care


Nouveau concept des sciences humaines pour désigner le souci des autres, le care s’est
invité de manière passionnée dans les débats politiques récents.
Nounous, assistantes maternelles, auxiliaires de vie chargés de s’occuper des malades atteints de
ces maux surgis du vieillissement démographique, bénévoles – parfois seniors – qui se livrent à
l’aide aux devoirs des enfants en difficulté, travailleurs sociaux en tout genre, s’occupant des han-
dicapés, des exclus, des laissés pour compte, mères de familles ou aides-ménagères qui assurent
les besoins du quotidien des autres… Que ce soit de manière informelle ou professionnelle, les
« aidants sociaux » deviennent de plus en plus nombreux dans les sociétés actuelles. Nous
sommes entrés dans des sociétés de care. Venu d’outre-Atlantique, cet anglicisme désigne ce
souci des autres, qui se manifeste par des pratiques de soin, d’éducation et traduit en même
temps une disposition affective, liée à la sollicitude et à la compassion.

Une sollicitude spécifiquement féminine ?


Mais le care est beaucoup plus qu’un mot. Il est devenu un concept des sciences humaines qui
interroge la justice sociale et les nouvelles politiques d’accompagnement et de solidarité que mettent
en œuvre les États. Pour comprendre les passes d’armes récentes à ce propos, un petit rappel
s’impose. Au début des années 1980, la psychologue américaine Carole Gilligan publie In a Different
Voice (Une voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, 2008) : les femmes, plus portées
à l’empathie, au soin des autres et à la qualité de la relation, font entendre une autre voix morale,
celle du care, moins abstraite, attentive aux situations particulières. Cette position, supposant une
différence de nature féminine et masculine, a enflammé le débat au sein des gender studies. Mais

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elle a aussi engendré toute une réflexion sur la justice. Des auteures comme Joan Tronto (Un monde
vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, 2009) invitent à le déconnecter d’une morale
propre au sexe féminin. S’il est bien une réalité, qui montre ne serait-ce que statistiquement que les
aidants sociaux sont pour 80 % des aidantes, il faut, expliquent certaines philosophes, considérer
que le travail de care est souvent peu valorisé et emblématique d’un statut dominé, endossé en
majorité par les femmes qui « rémunérées ou non, composent cette armée de l’ombre reléguée dans
les coulisses d’un monde de la performance, qui veut les ignorer », écrit Sandra Laugier.

Nunucheries et bons sentiments ?


Lorsqu’en avril 2010, en France, la représentante du Parti socialiste, Martine Aubry, fait appel « à
une société du soin » et encourage « les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales,
l’attention du voisinage, l’engagement de la société tout entière », faisant référence au care, com-
mentaires ironiques et même insultes ont jailli sur ce qui a été considéré comme « une nunuche-
rie » et un « galimatias de bons sentiments », un programme politique de « boy-scout »…
D’aucuns, explique l’économiste Jean Gadrey, comme le psychanalyste Michel Schneider qui s’érige
depuis longtemps contre une féminisation castratrice de la société (Big Mother, 2002) fustigent une
« vision maternante » de l’État, dans laquelle disparaîtraient d’autres valeurs plus « viriles »…
Mais le débat porte aussi sur la manière dont devraient se concevoir les nouvelles politiques de
solidarité. Pour Jacques Attali par exemple, les réduire à l’évocation du care est dangereux car
elles renvoient à une conception paternaliste du soin. Mieux vaudrait encourager le respect des
•••/•••

68. Sociologue, il a notamment publié Le Travail social au singulier. La fin du travail social ?, 2e éd., Dunod,
2006, et, avec François de Singly et Philippe Corcuff, Politiques de l’individualisme. Entre sociologie et
philosophie, Textuel, 2005.

92
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• individus et la volonté d’agir, en portant attention aux plus faibles, que le statut de victime ou de
personne à soigner.
Quoi qu’il en soit, « le care est un concept critique, qui révèle des positions de pouvoir, et agace »,
concluent Sandra Laugier, Pascale Molinier et Patricia Paperman.
À lire • Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité
Pascale Molinier, Patricia Paperman et Sandra Laugier, Payot, 2009.
Sur ce débat, consulter les blogs de Sandra Laugier, Jean Gadrey et Jacques Attali :
www.mediapart.fr/club/blog/sandra-laugier/210410/politique-du-care-contre-societe-du-soin
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2010/05/28/les-anti-care/
http://blogs.lexpress.fr/attali/2010/05/17/le_soin_ou_le_respect/
Flora Yacine, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

Texte 6

L’idée de solidarité a une histoire


Inventée sous la IIIe République pour repenser le lien social des nouvelles sociétés indus-
trielles, socle des États providence, l’idée de solidarité revient en force aujourd’hui.
La « solidarité » est invoquée aujourd’hui comme une évidence. Elle donne son nom à des minis-
tères et à des lois (SRU, Pacs, RSA). Elle a acquis, jusque dans le traité européen, le statut d’un
principe de droit. Partout en Europe les politiques sociales prennent le nom de politiques de soli-
darité. La société civile n’est pas en reste : les organisations et entreprises solidaires se multiplient.
La solidarité est devenue une sorte d’auberge espagnole. Mais que veut-elle dire au juste ? S’agit-
il d’un sentiment de sympathie qui nous porte à l’entraide, ou bien d’une réalité, celle de l’interdé-
pendance entre tous les hommes, ou encore d’une valeur morale et même d’une obligation juri-
dique ? D’où vient le succès de cette notion qui semble appelée à se substituer à la fraternité de
notre devise ?
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Léon Bourgeois et le « socialisme libéral »


L’idée fut lancée dans la sphère politique à la fin du xixe siècle par Léon Bourgeois, éphémère pré-
sident du Conseil (de novembre 1895 à avril 1896) et futur prix Nobel de la paix. Dans un petit livre
publié en 1896, Solidarité, le militant radical ne propose rien d’autre qu’une voie médiane entre les
deux grandes causes qui divisent les sociétés, le libéralisme et le socialisme69. Il entend concilier
deux exigences apparemment contradictoires, la liberté individuelle et la justice sociale. La thèse
est convaincante : puisque chaque être qui arrive au monde retire des bienfaits de la vie sociale, il
a de ce simple fait des obligations envers ses contemporains et ses successeurs. Dès lors qu’il
accepte la vie collective et profite du patrimoine commun, chacun doit s’engager à concourir au
paiement de la dette commune, à la mesure de ce qu’il a reçu.
La doctrine vise à justifier l’impôt progressif sur le revenu, la législation sur les assurances sociales
et sur les retraites, ainsi que la mise en place de services d’intérêt général destinés à « accroître
l’interdépendance mutuelle » selon l’expression du juriste Léon Duguit. Elle cherche surtout à don-
ner un contenu à cette république radicale qui se veut anticollectiviste tout autant qu’antilibérale.
Ce « socialisme libéral », selon les mots de son promoteur, refuse la résolution des conflits par la
lutte des classes et opte pour la voie parlementaire.
Il faut dire que Bourgeois est loin d’être l’inventeur de l’idée de solidarité. En réalité, elle a traversé
tout le xixe siècle. Les lendemains de la Révolution française sont taraudés par l’énigme de ce qui
peut relier des individus désormais déclarés libres et égaux. Comment penser le lien entre ces
individus « abstraits », indépendants et détachés de leurs appartenances traditionnelles (rappe-
lons que la loi Le Chapelier de 1791 a aboli les corporations) ? Devant les révoltes ouvrières et le
risque d’éclatement de la société, des Lamennais, Pecqueur, Michelet et bien d’autres en appellent
•••/•••

69. Léon Bourgeois, Solidarité, 1896, rééd. Le Bord de l’eau, 2008.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

•••/••• à « l’unité perdue du genre humain » et à l’harmonie universelle. Ils insistent sur la réalité de l’inter-
dépendance entre tous les membres de l’espèce humaine, interdépendance devenue plus fla-
grante avec la révolution industrielle et ces nouveaux « rails de fer » qui multiplient les échanges
entre les hommes.
C’est un imprimeur progressiste, futur député à l’Assemblée constituante de 1848, qui donne le
nom de « solidarité » à cette loi d’interdépendance mutuelle (Pierre Leroux, De l’humanité, 1840). Il
dit l’avoir emprunté au vocabulaire juridique (en droit romain, l’obligation in solidum désigne « l’en-
gagement par lequel les personnes s’obligent les unes pour les autres et chacune pour tous ») dans
le but de remplacer la charité, peu en phase avec les idées laïques et surtout impossible à « orga-
niser ». Aussitôt, le philosophe Charles Renouvier prédit une immense fortune à cette magnifique
idée « à la fois humaine et divine70 ». Les chrétiens, d’ailleurs, ne tardent pas à revendiquer ce mot
dans lequel ils reconnaissent le dogme de la rédemption collective, si bien résumé par la phrase
de Saint Paul : « Nous sommes tous membres d’un même corps. » La force de la notion est qu’elle
récupère la tradition chrétienne en lui donnant des couleurs laïques. Providentielle ou naturelle,
cette loi d’interdépendance nous indique la direction à suivre : nous devons être solidaires.
La notion est d’autant plus puissante qu’elle est attestée par les sciences. Les naturalistes insistent
sur la coopération entre les organes de tout être vivant. Saint-Simon, le précurseur du socialisme,
avait proposé d’étudier le corps social comme « un corps organisé », un corps dont aucun des
organes ne peut vivre indépendamment des autres. Mais la solidarité désigne-t-elle un fait ou bien
un idéal ?, s’interrogent les éco­nomistes. « Laissons faire la solidarité naturelle », diront des libéraux
comme Frédéric Bastiat, qui refusent toute intervention autoritaire sur le mécanisme des échanges.
Cette solidarité écrase les faibles et doit faire place à une solidarité volontaire, répliqueront les
autres (parmi lesquels l’économiste Charles Gide, libéral « repenti »). Car la solidarité n’est pas tou-
jours bonne. Il y a une solidarité dans le mal, celle des associations de malfaiteurs, celle de la pro-
pagation des injustices et des maladies. La solidarité qu’il s’agit de développer est une solidarité
visant la justice, et destinée à rectifier les effets nocifs de la solidarité naturelle. Cette nouvelle soli-
darité, inspirée par l’expérience des sociétés de secours mutuels qui se sont développées depuis
les années 1830, est à la recherche d’une organisation coopérative et mutualiste. Or les premiers
sociologues, Alfred Fouillée (La Science sociale contemporaine, 1880) et Émile Durkheim (De la
division du travail social, 1893), soulignent que, dans des sociétés passées sous le régime du
contrat, les individus sont de plus en plus autonomes, mais deviennent également plus étroitement
dépendants les uns des autres. Cette solidarité « organique », contractuelle et coopérative néces-
site l’intervention de la puissance publique pour faire respecter la juste exécution des contrats.

Entre liberté et justice

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La doctrine politique proposée par Bourgeois a fait son miel de tous ces travaux. À un moment où
la République est confrontée à la « question sociale » et à la montée des luttes révolutionnaires,
elle apparaît comme le moyen de surmonter l’opposition entre l’individualisme libéral et le collec-
tivisme, en montrant comment la liberté peut générer des obligations positives qui préservent cette
liberté. Elle repose en effet sur le consentement libre des individus qui, une fois payée la « dette
commune », sont incités à s’organiser en associations coopératives ou mutualistes. À l’État revient
le rôle de garantir la cohésion collective et le respect des droits de tous. Il s’agit, dit Bourgeois, de
« mettre l’instrument de justice réparatrice aux mains, non pas de l’État, agissant par voie d’autorité
et imposant arbitrairement aux hommes les conditions de l’existence sociale, mais aux mains de
tous les hommes consentant librement au paiement de la dette commune­ ».
La doctrine eut un immense succès, au point de devenir quasiment la philosophie officielle de la
IIIe  République. Il faut souligner qu’elle fit l’objet d’intenses débats entre 1896 et 1914. Sa plus
grande épreuve fut celle de l’affaire Dreyfus. Dès 1898 en effet, la solidarité fut revendiquée par le
camp antidreyfusard mené par Ferdinand Brunetière, partisan d’une nécessaire « solidarité » avec
l’armée et la nation. Nos solidaristes ont dû alors préciser leur conception de la solidarité en affir-
mant la priorité de la justice sur tout intérêt prétendument supérieur de la collectivité. Ils durent
également rectifier le sens de cet « individualisme » revendiqué par eux et pourfendu par leurs
adversaires. Le véritable individualisme, diront Durkheim, Buisson et leurs émules, est celui de la
« personne » envisagée dans son existence sociale, et non celui d’un individu isolé et abstrait, tra-
versé par le « culte du moi ». C’est le respect des droits de l’individu, mais d’un individu concret,
assumant ses liens avec ses semblables et conscient de ses obligations envers tous. Cette difficulté
•••/•••

70. Marie-Claude Blais, Au principe de la République. Le cas Renouvier, Gallimard, 2000.

94
UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• de penser l’articulation entre l’individuel et le collectif est encore la caractéristique de notre présent.
Mais la quête effrénée des droits individuels porte les citoyens à oublier le substrat politique qui leur
permet d’être des individus.

Quelle solidarité à l’heure de la mondialisation ?


Une deuxième difficulté apparut lors de l’Exposition universelle de 1900, placée sous l’invocation
de la solidarité. Théoriquement, la solidarité n’a pas de frontières, comme le clame le député
Alexandre Millerand à l’ouverture de l’exposition : elle a vocation à l’universel ; mais pratiquement,
elle ne peut trouver ses conditions d’exercice que dans le cadre d’une communauté politique
reposant sur la volonté de ses membres. L’idée des premiers solidaristes repose sur une extension
progressive du principe à toute la planète. Le problème se pose en des termes encore plus aigus
aujourd’hui : quel peut-être le cadre d’application de la solidarité à l’heure de la mondialisation ?
Le retour vers les origines de l’idée ne donne pas la réponse à cette question cruciale. Mais elle
pourrait au moins suggérer qu’il est possible – et plus que jamais nécessaire – de mener de front
l’exigence de liberté et celle de justice, y compris à l’égard des générations futures.
Historiquement, l’idée de solidarité a perdu ses couleurs devant l’éclat de la révolution à l’Est. Après la
Première Guerre mondiale, la solution réformiste fait pâle figure. Réapparue très timidement dans la
constitution de 1946 (« la nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges
qui résultent des calamités nationales »), elle constitue le substrat du plan de Sécurité sociale élaboré
par Pierre Laroque (« la Sécurité sociale suppose une solidarité nationale : tout le monde est solidaire
devant les facteurs d’insécurité, et il importe que cette solidarité s’inscrive dans les faits et dans la
loi71 »). Mais c’est dans les années 1980 qu’elle connaît son véritable renouveau : luttes de Solidarnosc
en Pologne en 1980 ; premier ministère de la solidarité en France en 1981 ; en 1987, une encyclique du
pape Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, fait de la solidarité « la vertu chrétienne par excellence ».

Compatible avec l’individualisme radical


Avec l’effondrement du communisme, au-delà de l’analyse de la société en termes de lutte des classes
et au-delà des projets de révolution sociale, on retrouve les vertus de cette troisième voie. L’évanouisse-
ment de la perspective révolutionnaire réhabilite la primauté de la cohésion collective sur l’antagonisme
des intérêts de classe. Ouverture européenne et construction du grand marché aidant, à partir des années
1980, libéralisation financière, désinflation répétitive et dérégulation deviennent les maîtres-mots des poli-
tiques publiques. Dans ce contexte de tension entre la volonté de sauver ce qui peut l’être et l’obligation
de se plier à ce qui prend l’allure d’un irrésistible état du monde, « solidarité » devient le terme magique
qui permet de justifier l’État providence quand les assises classiques de celui-ci viennent à manquer.
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C’est sans doute la première raison de son regain de faveur actuel. Il faut en ajouter une deuxième :
comme lien d’interdépendance, la solidarité n’ayant pas de limites, ni temporelles ni spatiales, elle
permet de souligner notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, mais aussi de faire l’impasse
sur le support national de la solidarité volontaire. En cette période de mondialisation sous le signe de
l’universalisme des droits de l’homme, elle présente l’inestimable avantage d’être compatible avec un
individualisme radical qui entend ignorer les limites des États-nations. Ce même individualisme valorise
les choix personnels, le don et la participation volontaire à des actions altruistes. Voilà une autre force
de l’idée de solidarité : en tant que sentiment d’empathie et désir d’entraide, elle ne s’oppose pas aux
solidarités électives, celles qui se déclinent au pluriel et qui sont bâties sur les affinités ou la compas-
sion, le lien familial ou le voisinage. Pourtant, si nous voulons éviter que la solidarité devienne un facteur
d’exclusion, il nous reste à élaborer l’articulation entre les liens de cœur et les liens de raison, entre la
solidarité qui relève du libre choix des personnes et celle qui relève de la contrainte publique. La ques-
tion n’est plus aujourd’hui de se demander s’il faut revenir à la fraternité ou à la charité, ni même s’il faut
privilégier l’entraide ou l’action publique. L’idée de solidarité retrouve toute sa pertinence quand elle
permet de mettre en avant la dimension consciente et volontaire de toute association humaine. Mais
elle rappelle aussi que compassion et empathie ne sont pas forcément les meilleures conseillères,
lorsque, hors de tout examen rationnel, elles s’exercent aux dépens de la justice et de l’efficacité.
Marie-Claude Blais72, Sciences Humaines, n° 223, février 2011.

71. Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », Revue française du travail, n° 1, 1946.
72. Enseignante à l’université de Rouen, elle a publié La Solidarité. Histoire d’une idée, Gallimard, 2007.

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Relations professionnelles 1 • Série 4

Corrigé
La revue mensuelle Sciences humaines présente, dans son n° 223 paru en février 2011, un dos-
sier intitulé « Le retour de la solidarité ».
Placées en exergue du dossier, les quelques lignes suivantes précisent la pertinence de cette
étude et justifient qu’on s’attarde aujourd’hui sur ce phénomène.
« Empathie, coopération, générosité, care, sollicitude, compassion…
Tout un vocabulaire a envahi notre univers social et mental. Les engagements humani-
taires, les solidarités de proximité, la sensibilité aux malheurs et l’attention au bonheur des
autres sont devenus des préoccupations majeures du temps présent.
Dans les sciences humaines et sociales, comme dans les sciences de la nature, un retour-
nement de paradigme est en cours. Chez les animaux, là où l’on ne voyait que compétition
et lutte pour la survie, on trouve aujourd’hui sympathie et entraide. Dans la société, le
souci d’autrui est venu supplanter l’image d’un individu mû par ses intérêts égoïstes dans
un contexte d’économie libérale.
Pourquoi un tel retour en force de l’idée de solidarité ? »

1. Dégagez rapidement, sous forme d’une prise de notes, les idées que vous jugerez
essentielles de chacun des textes présentés.

Texte 1 – Le temps des bons sentiments


1. État des lieux
Plusieurs exemples, tirés de l’actualité, manifestent le retour d’une solidarité nouvelle :
• des personnalités qui s’engagent à titre personnel : J.-M. Théodat, O. Vallet, B. Gates,
W. Buffet ;
• des manifestations télévisuelles de grande ampleur qui se développent : Téléthon, Sidaction, etc. ;
• des initiatives fédératrices assurées par des bénévoles en direction des plus démunis : SOS
amitié, Alcooliques Anonymes, etc. ;
• et même des « microsolidarités » qui s’organisent à l’échelle individuelle : covoiturage, échanges
de voisinage, etc.

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De nouveaux termes apparaissent, comme ceux d’« aidants sociaux » et d’« éthique du soin »,
prônée et défendue par plusieurs intellectuels et philosophes contemporains.

2. Question : Que se passe-t-il ?


L’auteur constate que ce mouvement de fond s’observe tant dans le domaine des sciences
humaines que dans celui des sciences de la nature :
• dans les sciences de la nature, nouvelle prise en compte des notions d’entraide et de coopé-
ration, qui seraient des « conditions fondamentales de survie » (et non plus seulement, comme
on le croyait auparavant, la compétition et l’égoïsme) ;
• parallèlement dans les sciences sociales, développement, depuis quelques années, de l’idée
selon laquelle les êtres humains seraient essentiellement solidaires, « l’individualisme métho-
dologique » faisant place désormais à « l’individu relationnel », qui a besoin de la reconnais-
sance d’autrui.
On peut parler aujourd’hui d’un « nouvel ordre humanitaire mondial », et d’une « morale humani-
taire », qui s’inscrit tant dans la législation nationale que dans le droit international.
L’auteur conclut en se demandant pourquoi :
• probablement en réaction aux méfaits des temps contemporains : violences, crises écono-
miques, excès du libéralisme, mondialisation…
Mise en lumière de l’importance capitale des émotions dans les conduites humaines, qui nous
portent aujourd’hui à être sensibles à « tous les malheureux de la terre », au-delà de notre
cercle familial ou social restreint ;
• mais aussi parce qu’il y a, dans cette attitude, un bénéfice non négligeable : celui de donner
de soi aux autres l’image valorisante d’une « belle personne »…

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Texte 2 – L’empathie, des animaux aux humains


Frans de Waal explore les traits génétiques, anatomiques et cognitifs communs aux grands
singes et à l’homme. Ses études récentes mettent en lumière des comportements jusqu’alors
ignorés ou mal connus chez les animaux : solidarité, entraide et actes d’altruisme, voire de
réconciliation, de consolation et même de compassion, existent aussi chez eux.
F. de Waal définit l’empathie comme « la capacité à éprouver les mêmes sentiments que l’autre ».
Imitation et empathie sont liées car elles impliquent d’être capable de « prêter attention à autrui
et même de se mettre à sa place ». Ces comportements sont essentiels au maintien de la vie en
groupe.
Certaines expériences ont montré que les animaux perçoivent l’injustice et ont les sens de
l’équité et de la réciprocité. L’ensemble de ces attitudes constitue le précurseur du sens moral
chez l’être humain. Or il apparaît bien que la morale peut être considérée comme un moyen de
renforcer les liens sociaux à l’intérieur d’un groupe donné.

Texte 3 – Altruiste ou égoïste, les deux faces de l’être humain


Étude des rapports ambigus qui lient égoïsme et altruisme : quelle est leur part respective dans
les actions humaines ? N’y a-t-il pas une part d’égoïsme dans toute action altruiste ?
Il s’agit d’un débat complexe qui met en jeu les fondements de la morale, l’économie des com-
portements et la philosophie morale.
• Bref rappel sur la connaissance des comportements animaux depuis Darwin : instincts sociaux,
maternel, protection des petits, « sympathie » à l’égard de leurs semblables en détresse – et
pas seulement lutte acharnée entre individus pour la survie, comme on l’a longtemps cru.
La sociobiologie complète cette connaissance en montrant que « les comportements altruistes
peuvent s’expliquer par la parenté génétique ». Il y aurait donc un « gène égoïste » ? Cette
théorie s’applique-t-elle aux humains ?
Mais d’autres observations démentent cette affirmation et obligent à d’autres hypothèses.
• Qu’en est-il des humains ?
En tant que « mammifères sociaux », nous sommes soumis aux mêmes pulsions de vie et de
survie que les animaux, mais nous avons ajouté des aptitudes spécifiques : intentionnalité,
réflexivité, création de cultures symboliques font de nous des « agents moraux » ayant une
notion du bien et du mal. Cette conscience morale complique la compréhension de certaines
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conduites :
–– exemple de la philanthropie : derrière toute action apparemment désintéressée, il y a tou-
jours « des bénéfices en termes de gloire et de reconnaissance ». Il y aurait donc toujours
des « motifs égoïstes » derrière l’apparence de la pure générosité ;
–– et pourtant… certains actes altruistes semblent bien dépourvus de tout intérêt personnel :
exemples du commerce équitable ou du comportement des « justes » sous l’occupation
allemande.
Que peut-on donc en conclure ? Seule (et elle reste à faire), une synthèse exhaustive de tous les
travaux en cours permettrait d’apporter une réponse claire à cette difficile question.

Texte 4 – Bénévolat, assistance… Pourquoi s’engage-t-on ?


Malgré l’individualisme grandissant caractérisant nos sociétés, des actions humanitaires de
toutes sortes ne cessent de se développer.
Les manifestations d’altruisme prolifèrent aujourd’hui autant dans des circuits organisés (asso-
ciations, bénévolat) qu’au sein des familles ou des cercles de proximité. Les pratiques d’aide ou
de solidarité sont désormais indépendantes des systèmes de croyance ou des appartenances
spécifiquement religieuses, et privilégient l’efficacité immédiate, sans attente d’un changement
politique.
Le langage rend compte de l’évolution contemporaine, avec l’avènement de la notion de « per-
sonne », qui met l’accent sur la singularité de celui qui est pris en charge, et qui n’est plus consi-
déré comme « inachevé », ni comme handicapé, mais accepté tel qu’il est. Le travail social sera
davantage de l’ordre de « l’accompagnement » que de la « réparation ».

201231TDPA0413 97
Relations professionnelles 1 • Série 4

Texte 5 – Polémiques autour du care


Le care est un anglicisme qui se définit comme « le souci des autres », qui se manifeste par des
pratiques de soin, d’éducation, et traduit en même temps une disposition affective liée à la sol-
licitude et à la compas­sion.
Apparu dans les années 1980, ce terme est aujourd’hui devenu un concept des sciences
humaines et caractérise en priorité l’attitude des femmes, plus portées que les hommes à l’em-
pathie et à la qualité de la relation.
Il fait l’objet de vives polémiques : certains déplorent en effet cette féminisation effective du tra-
vail social, inscrite dans les chiffres (80 % des aidants sont des « aidantes »), qu’ils considèrent
comme castratrice et s’insurgent contre une vision maternante de l’État, au détriment de valeurs
plus « viriles ».
Ainsi apparaît, selon J. Attali, qui la regrette, une conception paternaliste du soin, qui maintient
celui qui en est le bénéficiaire dans un statut de victime, au lieu d’encourager, de la part de l’État,
le respect des individus et la volonté d’agir.

Texte 6 – L’idée de solidarité a une histoire.


Aujourd’hui omniprésente dans la vie publique, l’idée de « solidarité » n’est pas nouvelle. Proche
de la notion de « fraternité », elle comprend pourtant des acceptions différentes. Apparue aux
lendemains de la Révolution française, elle s’installe dans la sphère politique à la fin du xixe siècle
et se situe d’abord comme une « voie médiane » entre libéralisme et socialisme, en conciliant
deux exigences apparemment contradictoires : liberté individuelle et justice sociale. Notion plus
« laïque », et donc mieux acceptée que la « charité », elle met l’accent sur la nécessaire interdé-
pendance entre les hommes, au sein d’un « corps social » qui fonctionne sur le modèle d’un
corps physique organisé, dont aucun des organes ne peut vivre indépendamment des autres.
Pour la IIIe République, la solidarité apparaît comme « le moyen de surmonter l’opposition entre
l’individualisme libéral et le collectivisme, en montrant comment la liberté peut générer des obli-
gations positives qui préservent cette liberté ».
Aujourd’hui, le terme de « solidarité » met en relief la primauté de la cohésion collective sur
l’antagonisme des intérêts de classe, et permet de souligner notre responsabilité vis-à-vis des
générations futures.

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2. Formulez en une phrase l’idée directrice de votre exposé.
Pourquoi notre époque cultive-t-elle à la fois un individualisme forcené et une solidarité omnipré-
sente ?

3. Réalisez la diapositive de présentation synthétique du plan de votre exposé.

98
UE 123 • Relations professionnelles 1

4. Rédigez une présentation orale synthétique du dossier, en insistant sur les aspects
du débat qui vous paraissent les plus intéressants.
Ce corrigé est donné à titre indicatif. D’autres propositions et d’autres points de vue pouvaient
être ­développés.

Introduction
Parmi les nombreux paradoxes qui caractérisent notre époque, la revue Sciences Humaines pro-
pose, dans son n° 223 de février 2011, une étude de celui que constitue le regain de faveur actuel
pour la « solidarité ».
En effet, dans nos sociétés de plus en plus individualistes, où les compétitions de tous ordres nous
obligent à la performance permanente, fût-ce au détriment des autres, on observe aujourd’hui des
manifestations omniprésentes d’attitudes de solidarité, que ce soit à titre individuel ou à titre col-
lectif, dans les domaines les plus variés. Associations fédératrices autour de grandes causes,
relayées par les médias, organisations de collectes lors de catastrophes naturelles, appels au
soutien aux pays en détresse sanitaire, structures de proximité au sein des quartiers difficiles,
l’entraide sous toutes ses formes se développe et suscite, de la part des peuples occidentaux, des
réponses souvent efficaces et parfois spectaculaires.
Il est dès lors légitime de se poser la question de l’origine de la solidarité, de son histoire et des
motivations qui y président. Ce phénomène est-il vraiment nouveau ? Comment expliquer son
développement ?

Développement
Certains scientifiques, spécialistes de l’éthologie comme Frans de Waal, se sont interrogés sur les
racines du sentiment moral chez l’homme et ont cherché à en débusquer des traces dans le règne
animal. Ils n’ont pas manqué, à l’occasion de récentes études, de relever que, contrairement à ce
que l’on a longtemps cru, les animaux eux-mêmes connaissent déjà des comportements proches
de l’empathie, de la solidarité, de l’entraide. Loin de n’obéir qu’à des instincts de domination ou de
soumission, ceux-ci adoptent aussi des attitudes de compassion, de réconciliation, de consola-
tion, propres à maintenir la cohésion du groupe et, finalement, au même titre que l’agressivité ou
l’instinct sexuel, à assurer la survie de l’espèce. Des expériences très pointues ont en effet montré
qu’il existe véritablement, chez les animaux, ce que l’on pourrait qualifier de prémisses de « senti-
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ments moraux » que sont le sens de l’équité, de la réciprocité, et la sensibilité aux règles, tels que
les éprouvent les humains. Or, selon ces chercheurs, ce qu’on appelle communément la « morale »
apparaît bien comme un moyen de renforcer les liens sociaux à l’intérieur d’un groupe donné.
Qu’il définisse un sentiment de « sympathie » qui nous porte à l’entraide, la réalité de l’interdé-
pendance entre tous les hommes, une valeur morale ou même une obligation juridique (confor-
mément à son origine étymologique), le terme de « solidarité » n’est pas nouveau et s’inscrit
dans notre histoire depuis les lendemains de la Révolution française. L’idée se développe au
cours du xixe siècle et apparaît bientôt comme un moyen de concilier deux exigences apparem-
ment contradictoires que sont la liberté individuelle et la justice sociale. Connotation plus laïque
et républicaine que la « charité », jugée trop religieuse et cléricale, la solidarité s’impose petit à
petit. « La force de la notion est qu’elle récupère la tradition chrétienne en lui donnant des cou-
leurs laïques ». À l’aube du xxe siècle, la doctrine politique fondée par Léon Bourgeois sur l’idée
de solidarité apparaît comme le moyen de surmonter l’opposition entre l’individualisme libéral et
le collectivisme, en montrant comment la liberté peut générer des obligations positives qui pré-
servent cette liberté. Délaissée au milieu du xxe  siècle face à la montée du communisme, la
notion de solidarité connaît un véritable renouveau dans la sphère publique, depuis les années
1980 : la libération en Pologne se fait sous l’égide de Solidarnosc, la France nomme pour la
première fois un ministre de la Solidarité, et le pape Jean-Paul II reconnaît la solidarité comme
« la vertu chrétienne par excellence », réduisant ainsi à néant l’ancienne rivalité entre solidarité
laïque et charité chrétienne…
Devant le développement contemporain des phénomènes multiformes de solidarité, sociologues
et philosophes n’ont pas manqué de s’interroger sur les motivations profondes de ceux qui la pra-
tiquent, remettant ainsi au goût du jour un vieux débat qui plonge ses racines aux xvii et xviiie siècles

201231TDPA0413 99
Relations professionnelles 1 • Série 4

et une controverse permanente sur la nature humaine : derrière tout acte généreux, n’y aurait-il pas
un égoïsme caché ?
Deux thèses antagonistes s’affrontent, chacune mettant en exergue des arguments légitimes et
convaincants : ceux qui estiment que « l’homme est un loup pour l’homme » et ceux qui croient
qu’il existe des formes de philanthropie véritablement désintéressées. Toutefois, cette dernière
thèse est difficile à repérer car, derrière les actions les plus généreuses se cache toujours un
bénéfice en terme, soit de salut personnel (dans le cadre de souscription à des préceptes reli-
gieux), soit de gloire et de reconnaissance : on apparaît aux yeux des autres comme une « belle
personne », « méritante », qui jouit d’une image socialement valorisée.
Le débat n’est donc pas clos. D’autres recherches sont à entreprendre ou à approfondir pour
tenter de répondre plus clairement à cette question.

Conclusion
Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’on assiste aujourd’hui à une nouvelle manière de se relier
aux autres, affranchis que nous sommes des injonctions religieuses ou idéologiques. Plus les
limites spatio-temporelles reculent et disparaissent, plus le besoin de se sentir proches les uns
des autres se fait sentir de façon impérieuse. Ce qui prime aujourd’hui n’est plus de l’ordre du
« commandement », ni de l’obligation, fût-elle morale, mais de la recherche de l’efficacité immé-
diate, tant il est vrai que tout ce qui concerne la planète, devenue, à l’ère de la mondialisation,
un véritable « village », nous semble moins anonyme, moins impersonnel qu’auparavant. Nous
nous sentons plus concernés, ici et maintenant, et – idéal ou désenchantement ? – nous n’atten-
dons plus du politique qu’il règle seul tous les problèmes.
La sphère du travail social tiendra-t-elle compte, elle aussi, de cette évolution en substituant à la
notion d’individu anonyme celle d’individu « singulier », comme elle l’a déjà fait en reconnais-
sant, dans les textes officiels, la notion de « personne ». L’autre n’est plus, dès lors, considéré
comme un assisté impuissant ; il ne s’agit plus de le « réparer » pour le rendre conforme, mais
de « l’accompagner » dans un travail de reliaison visant à ramener dans le monde des relations
sociales ordinaires un individu transitoirement « désaccordé ».
(Ne pas oublier de clore la présentation par une phrase qui indique à l’auditoire que vous avez
terminé. Vous pouvez également lui proposer de poursuivre l’entretien.)

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Chacun d’entre vous a certainement une certaine expérience de cette réalité. Si certains sou-
haitent témoigner à ce sujet, ou alimenter le débat je leur passe bien volontiers la parole, en vous
remerciant de votre attention.

100
UE 123 • Relations professionnelles 1

Index
Auditoire 9, 11, 12, 34, 45 Plan 10, 34
Corps 8, 15, 16, 33 Regard 14, 33
Échange 8, 11, 19 Respiration 14, 17, 34
Écouter 9, 21, 27 Silence 9, 14
Entretien 24 Ton 13, 19
Geste 9, 12, 16 Transition 37
Non-verbal 7, 14 Verbal 7, 10
Paraverbal 7, 12 Visuel 38
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UE 123

Devoir 6
Relations professionnelles 1
Année 2013-2014

À envoyer à la correction
Auteur : Audrey DUPUI-CASTERES

Exercice : Présentation orale d’un dossier écrit

Le numéro 238 de la revue Sciences Humaines, publiée en juin 2012 traite du thème de l’innovation, et


se pose la question suivante : Comment naissent les idées nouvelles ?
Quatre articles constituent ce dossier. Leurs auteurs sont journalistes, spécialistes des sciences cogni-
tives ou des questions économiques, maître de conférences et sociologue, ils s’intéressent particulière-
ment à l’histoire des idées et à leur genèse, et conçoivent l’innovation comme un processus complexe.
La lecture de leurs articles conduit à une réflexion sur les éléments qui favorisent la création d’idées nou-
velles, qu’il conviendra de présenter dans une communication orale construite et structurée.

TRAVAIL À FAIRE
1. Dégagez rapidement, sous forme de prise de notes, les idées que vous jugerez essentielles de
chacun des textes présentés. (8 points)
2. Formulez, en une phrase, l’idée directrice de votre exposé. (2 points)
3. Réalisez la diapositive de présentation synthétique du plan de votre exposé. (2 points)
4. Rédigez une présentation orale et synthétique du dossier, en insistant sur tous les aspects du débat
qui vous paraissent les plus importants. (8 points)
Documents d’accompagnement :
Revue Sciences Humaines : Textes extraits du dossier « Comment naissent les idées nouvelles ? »
(juin 2012)
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• Annexe 1 : Achille Weinberg, « Dans la marmite de la création »


• Annexe 2 : Xavier de la Vega, « Steve Jobs et la machine à innover »
• Annexe 3 : Jean-Vincent Holeindre, « La fabrique des idées politiques »
• Annexe 4 : Jean-François Dortier, « Aux sources des révolutions mentales »

Annexe 1

Dans la marmite de la création


Comprendre comment s’inventent les techniques, se créent les œuvres artistiques et se forgent les
théories scientifiques : voilà un grand défi auquel se confrontent psychologues, sociologues, philo-
sophes et historiens des idées depuis un siècle. Avec l’espoir de percer le mystère de la création.
Léonard de Vinci est connu tant comme le peintre de La Joconde et de quelques autres chefs-d’œuvre de
la peinture que comme l’ingénieur qui a laissé de fameuses esquisses de machines volantes ou de sous-
marins. On sait moins qu’il fut aussi anatomiste et botaniste, architecte et urbaniste, poète et musicien à ses
heures. Enfin poète et philosophe.
Paul Valéry pensait qu’il existait un lien entre toutes ses activités créatives. Dans son Introduction à la
méthode de Léonard de Vinci (1894), il entreprend, à travers le personnage emblématique de Léonard, de
montrer qu’il existe des liens dans l’acte de création, qui unissent peinture, architecture, mathématiques ou •••/•••

201231TDPA0413 103

Relations professionnelles 1 • Devoir 6

•••/••• physique. Mais il ne dispose que de peu de matériaux d’études, son essai est brouillon, exagérément abs-
trait, bâti sur des intuitions plutôt que sur des exemples probants. En fait, son sujet est encore en friche. Il
le restera toujours : P. Valéry n’a jamais su organiser sa pensée fertile dans un exposé systématique. C’est
sa force et ses limites.

Comment naissent les techniques


Depuis lors, on a appris beaucoup sur l’histoire des inventions techniques, des découvertes scientifiques ou
de la création artistique. Et si l’on n’a pas découvert la recette magique de la création, on commence à
mieux en connaître quelques ingrédients.
Commençons par les techniques. L’un des pionniers des recherches sur l’innovation est Joseph Schumpe-
ter (1883-1950). L’économiste autrichien a voulu expliquer la dynamique du capitalisme en mettant en avant
la figure de l’entrepreneur innovateur. La Théorie de l’évolution économique (1913) est écrite pendant la
seconde révolution industrielle, celle de l’électricité et du moteur à explosion, des automobiles et de l’avion.
Cette révolution technique n’existerait pas sans ces entrepreneurs d’un genre nouveau – les Thomas Edison
ou Henri Ford –, des ingénieurs qui ont révolutionné la production en y introduisant des innovations majeures.
T. Edison a plus de mille inventions à son actif dont l’ampoule électrique au ruban adhésif. H. Ford a révo-
lutionné la production automobile avec ses nouvelles formes d’organisation du travail à la chaîne.
De l’œuvre de J. Schumpeter, on a retenu quelques idées clés, celle de destruction créatrice (toute innova-
tion en remplace et détruit d’autres), celle de « grappes d’innovations » (l’électricité a généré des décou-
vertes en cascade : la lumière électrique, le moteur électrique. le téléphone, la radio, etc.).
Par la suite, la sociologie a dévoilé d’autres leçons essentielles sur l’innovation1. Une distinction courante a été
faite entre innovation et invention. L’invention est la phase de découverte, où l’ingénieur imagine et fabrique un
objet. L’innovation proprement dite survient si l’invention est adoptée et se diffuse. Or l’une ne mène pas toujours
à l’autre. L’histoire des techniques fourmille même d’inventions sans lendemain, comme le démontre Nicolas
Nosengo dans L’Extinction des technosaures2. Le poète Charles Cros a dessiné en 1877 les plans d’un « paléo-
phone » qui est resté à l’état de schéma. La même année, T. Edison a fait construire un phonographe capable
d’enregistrer et reproduire la voix. Son appareil devait servir à enregistrer des courriers vocaux. Ce fut un échec
commercial. T. Edison ne croyait pas du tout à l’usage musical de l’enregistrement sonore. Du coup, il fut surpris
et dépassé quand un ingénieur allemand, Emil Berliner, déposa un brevet pour un gramophone, un appareil qui
grave de la musique sur des disques vinyl. T. Edison pensa que cette invention n’avait aucun avenir.
Leçon capitale : l’histoire des techniques est aussi une histoire d’inventions mort-nées. Ces inventions avor-
tées ne sont pas toutes des échecs techniques. Certaines tentatives ont échoué simplement parce qu’elles
étaient trop en avance, coûtaient au départ un peu trop cher ou n’ont pas connu la promotion qu’elles méri-

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taient. D’autres se sont imposées sans avantages techniques évidents. C’est le cas du clavier azerty de nos
ordinateurs. Ce clavier est loin d’être le plus ergonomique mais il s’est imposé assez tôt comme la norme
dominante (en fonction des contraintes techniques de l’époque). Aujourd’hui, nul constructeur d’ordinateur
ne s’aventurerait à changer la disposition des touches sur un clavier pour le rendre plus ergonomique, exi-
geant de changer nos habitudes d’écriture. En matière de technique, on appelle ce phénomène un « sentier
de dépendance ». C’est l’une des lois les plus contraignantes de la création : elle vaut pour la technique,
mais aussi pour la littérature ou la science. On ne réinvente jamais l’histoire à partir de rien, mais à partir de
trajectoires qui canalisent la créativité et le changement dans un certain sens, une fois qu’une direction ini-
tiale a été prise. Le théoricien des systèmes complexes Stuart Kaufman décrit cette contrainte évolutive
sous le nom de « possible adjacent ».
Une autre voie d’étude de l’innovation technologique concerne les « milieux innovateurs ». Tout part d’un
simple constat : les innovations ne naissent pas n’importe où. Il existe des endroits et des environnements
plus favorables à l’innovation. La Californie, avec sa Silicon Valley, est un haut lieu d’élaboration de nou-
velles technologies depuis les années 1970. Quelques années auparavant, ce même État fut aussi un labo-
ratoire d’un autre genre : hippies, expérimentation communautaires, écrivains de la contre-culture… D’où
cette question posée par les spécialistes des innovations : y a-t-il des facteurs sociaux précis favorisant
l’émergence de tels bouillons de culture ? Le marché est-il plus favorable que les institutions ? Est-ce la
coopération ou la compétition qui favorise le mieux la créativité ? À moins que ce soit un savant mélange
des deux, nommé aujourd’hui la « coopétition ».
L’innovation est donc une affaire de milieux, mais aussi d’idées. L’étude des processus mentaux des inven-
tions a longtemps été dominée par une approche cogniitive centrée sur la résolution de problème, la plani-
•••/•••

1. Gérard Gaglio, Sociologie de l’innovation, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2011.


2. Nicolas Nosengo, L’Extinction des technosaures. Histoires de technologies oubliées, Belin, 2010.

104

UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• fication des idées en buts et sous-buts, un schéma de pensée proche des grands projets industriels. Après
tout, pour fabriquer un nouvel avion, les grandes entreprises doivent planifier l’innovation et la budgétiser.
Mais à l’échelle individuelle, les modèles de pensée créatrice changent d’orientation : apparaissent alors les
schémas mentaux, les analogies, qui structurent la pensée de l’ingénieur ou de l’architecte. À cette échelle,
le modèle de Léonard de Vinci et de ses rêves créatifs reprend ses droits3.

La genèse des idées scientifiques


Des similitudes sautent aux yeux entre la logique des innovations techniques et celle des découvertes
scientifiques. En science aussi, il y a des « milieux innovateurs », des laboratoires, de paradigmes domi-
nants et des modèles déviants, des avancées décisives et des idées mort-nées. On y trouve aussi des
découvertes en avance sur leur temps, des sentiers de dépendance qui engagent dans une direction et
interdisent d’autres voies possibles.
L’étude des découvertes scientifiques a donné lieu à des milliers de publications depuis un siècle. Les
grandes révolutions scientifiques ont été examinées à la loupe, les réseaux scientifiques et les biographies
des grands savants, de Charles Darwin à Albert Einstein, passés au peigne fin.
La théorie de l’évolution n’a pas surgi, comme le veut la légende, dans l’esprit de Darwin un beau matin de
1838 (lorsqu’il a pris conscience de ce que la théorie de la population de Thomas Malthus pouvait s’appli-
quer à la transformation des espèces animales)4. Sigmund Freud n’a découvert qu’un seul territoire jusque-
là inconnu, l’inconscient, en examinant les rêves de ses patientes hystériques5.
Chacune de ces théories a fait l’objet d’une longue maturation où se mêlent des observations, des influences,
des lectures, des intuitions personnelles, un long travail de digestion mentale et de recombinaison.
On retrouve chez presque tous les grands découvreurs des moments équivalents de longues phases d’incu-
bation, de digestion, d’absorption et de recomposition des idées de leur temps couplées à des intuitions
fondatrices. Voilà pourquoi les spécialistes d’histoire des sciences vont fouiller dans les tiroirs pour retrouver
les esquisses, plans, brouillons qui ont servi à élaborer une théorie.
Les spécialistes en littérature ont même inventé une discipline à part entière, la « génétique des textes », qui
se préoccupe d’étudier les manuscrits et les brouillons des œuvres littéraires pour en comprendre la logique
de composition6. On procède aujourd’hui de la même façon dans le domaine des découvertes scientifiques.
Les esquisses de peinture de Léonard ont leur équivalent dans le domaine des sciences. Marx, Darwin,
Freud, ont, eux aussi, rédigé leurs propres esquisses. Pour inventer une nouvelle théorie, le penseur a
besoin de plans, de schémas, de modèles, de dessins griffonnés sur une page. Il a besoin de rassembler les
pièces d’un puzzle en les assemblant dans un nouvel ordre. Combien d’idées en friche, voies prometteuses,
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inachevées ou fausses pistes sont encore ainsi dormantes dans les tiroirs ?
Cette phase d’esquisse dit quelque chose d’essentiel sur la création. La pensée de l’auteur passe toujours
par un moment labyrinthique où il explore des possibles, s’engage dans une voie, revient en arrière, cherche
une nouvelle voie de passage. Avant que cette exploration mentale débouche éventuellement sur une
« découverte » d’importance. Penser la création, c’est essayer de mettre-à jour ces schéma mentaux sous-
jacents qui ont présidé à la naissance d’une nouvelle théorie, ainsi que les tensions créatrices.

De la science à l’art
Arthur I. Miller, professeur d’histoire et de philosophie des sciences, pense, comme P. Valéry, qu’il existe des
correspondances étroites entre artistes et scientifiques. Selon lui, les pensées créatrices d’un Einstein et
d’un Picasso ont des traits communs. Tous deux travaillaient en même temps sur une nouvelle façon de se
représenter le temps et l’espace7. Cette idée a longtemps été refoulée par une vision strictement rationaliste
de la science, qui se retrouve par exemple chez Gaston Bachelard. Celui-ci sépare radicalement l’esprit du
poète de celui du scientifique, qui représentent deux pôles antagonistes de l’esprit humain. Le pôle imagi-
natif du poète est animé par la puissance évocatrice des images, la force des analogies et les associations
d’idées ; le savant se plie aux contraintes des modèles abstraits et des rigueurs de la démonstration. Or
cette opposition est aujourd’hui remise en cause par de nombreux travaux sur l’imagination scientifique : la
•••/•••

3. Voir Nathalie Bonnardel, « Innovations : à la recherche d’idées », Sciences Humaines, n° 221, décembre 2010.
4. Voir Jean-François Dortier, «  Darwinisme, une pensée en évolution  », Sciences Humaines, n°  119, août-sep-
tembre 2001.
5. Voir Achille Weinberg, « Comment Freud a inventé la psychanalyse », Sciences Humaines, n° 113, février 2001.
6. Voir Pierre-Marc de Biasi, Génétique des textes, CNRS, 2011.
7. Arthur I. Miller, Einstein, Picasso: Space, time and beauty that causes havoc, Basic Books, 2001.

201231TDPA0413 105

Relations professionnelles 1 • Devoir 6

•••/••• plupart des philosophes des sciences admettent aujourd’hui que l’usage des analogies et des métaphores
est nécessaire et fécond pour construire des hypothèses ou théories scientifiques. Pour penser la nature
ondulatoire de la lumière, James Maxwell a fait une analogie avec la nature ondulatoire du son, qui se pro-
page dans l’air. Et la nature ondulatoire du son a été imaginée à partir du modèle des ondes qui se pro-
pagent dans l’eau d’un étang où l’on jette une pierre.
Une autre idée a fait écran entre création artistique et découverte scientifique : celle qui assimile génie artistique
et folie. C’est une idée lointaine et tenace. Pour Freud, l’artiste est un névrosé qui sublime dans ses œuvres ses
conflits intérieurs : il avait même suspecté que Léonard de Vinci exprimait dans ses tableaux son homosexualité
refoulée8. Ce lien supposé entre l’art et la folie, décliné sous tous les angles9, pouvait d’ailleurs s’appuyer sur
nombre d’exemples : de Camille Claudel à Vincent van Gogh, d’Antonin Artaud à Fédor Dostoïevski. De ces cas
emblématiques, on peut rapidement tirer l’idée que les artistes étaient tous un peu détraqués.
Or aujourd’hui les choses sont en train de changer. Tout d’abord parce que la sociologie des œuvres présente
une vision différente de la création. Norbert Elias a consacré un livre à Wolfgang Amadeus Mozart, qui rappelle
que la figure de l’artiste tourmenté est récente dans l’histoire10. La création artistique fut longtemps intégrée et
codifiée dans le cadre de fonctions sociales précises : religieuses ou politiques. Jean-Sébastien Bach composait
des messes et des cantates pour l’Église. Mozart composait ses symphonies ou sa musique de chambre sur
commande. Mozart est justement à la charnière entre les époques de l’artiste de cour et de l’artiste autonome.
Pierre Bourdieu a voulu montrer dans Les Règles de l’art (1992) que la création littéraire s’inscrit aussi dans un
processus social de mise en forme et des jeux de position. Gustave Flaubert écrivait dans un champ littéraire
dont il connaissait les rouages et les exigences. En somme, l’écrivain est aussi un producteur qui doit apprendre
les « règles de l’art » et se plier aux normes et aux lois du genre dans lequel il écrit. Pour le sociologue, la création
artistique est donc aussi une production sociale, avec ses normes et ses contraintes11.
La contrainte sociale n’est d’ailleurs pas qu’un « encadrement » de la création : elle en est aussi l’un des
principaux stimulants. Tous les auteurs le savent bien, sans commande, sans deadline imposée, nombre
d’œuvres n’arriveraient pas au bout. L’artiste est aussi un travailleur et la contrainte un ferment de la créa-
tion. Voilà qui nous éloigne de la vision psychopathologique de l’invention. Le défi d’un sociologue des
œuvres serait même justement, selon Bernard Lahire, de montrer comment s’articulent les problématiques
personnelles et les formes sociales dans la création : ce qu’il a tenté de faire à propos de Kafka12.

L’art est-il un acte de recherche ?


Depuis quelques années, l’idée d’une convergence entre science et art est désormais admise. Publications,
colloques, sites, rencontres pluridisciplinaires entre scientifiques et artistes sont même organisées pour
célébrer cette nouvelle alliance. Pour David Edwards, biologiste et écrivain, auteur de Artscience : Creativity
in the post-Google generation, « l’art, comme la science, est un acte de recherche ».

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Voilà le genre de formule qui a le don d’irriter Jean-Marc Levy-Leblond. Dans un essai virulent, L’art n’est pas
la science, le philosophe des sciences s’élève contre ces analogies superficielles. Pour lui, l’association art
et science est devenue un poncif de la promotion culturelle contemporaine. Elle ne repose que sur de
bonnes intentions de rapprocher la culture humaniste et scientifique, et de vagues similitudes sur la « créa-
tivité » ou la quête commune de la beauté.
Il reste qu’au-delà de ces phénomènes de mode intellectuelle, l’étude minutieuse des innovations tech-
niques, scientifiques ou artistiques a permis de mettre en lumière plusieurs types de convergences :
• dans-la dynamique sociale des idées, on voit poindre des logiques communes
• milieux créateurs, sentiers d’évolution, cycles d’innovations et marginalités créatrices;
• dans les processus mentaux, un long travail d’incubation, la recombinaison de matériaux existants pour
former des idées nouvelles, le rôle de l’imagination et des analogies, etc.
Certes, nul n’a encore réussi à dévoiler la recette magique de la création, mais on commence à en connaître
certains des ingrédients.
Achille Weinberg.

8. Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, rééd. Seuil, coll « Points », 2011.
9. Voir Philippe Brenot, Le Génie et la Folie, 1997, rééd. Odile Jacob, 2011.Sophie de Sivry et Philippe Meyer, L’Art
et la Folie, Les Empêcheurs de penser en rond, 1999.Sébastien Deguiez, Maux d’artistes. Ce que cachent les
œuvres, Belin, 2010.
10. Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie, Seuil, 1991.
11. Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, nouv. éd. 1998.
12. Bernard Lahire, Franz Kafka. Éléments pour une théorie de la création littéraire, La Découverte, 2010.

106

UE 123 • Relations professionnelles 1

Annexe 2

Steve Jobs et la machine à innover


Du Macintosh à l’iPad, Apple a fait du lancement de produits innovants la clé de son succès. Cette
trajectoire est associée à l’impulsion de Steve Jobs, leader charismatique de la firme à la pomme.
L’environnement de l’entreprise a cependant joué un rôle tout aussi décisif.
Lorsque vous lisez un article comme celui-ci, il vous arrive parfois de le faire en face d’un écran d’ordinateur.
Vous fait es a lors défiler le texte en cliquant sur les bords de la page. Ces gestes vous paraissent naturels,
comme ils le sont pour les trois quarts des Français ayant un usage quotidien de la micro-informatique. Vous
en oubliez presque qu’ils étaient inimaginables il y a quelques décennies. Au début des années 1970, à une
époque où les ordinateurs occupaient encore des pièces entières et semblaient réservés à des usages
scientifiques ou militaires, quelques individus rêvaient que l’informatique entrerait dans la vie de chacun.
Parmi eux, un homme a notablement contribué à convertir ce rêve en réalité : Steve Jobs, le leader charis-
matique d’Apple, considéré comme l’un des grands innovateurs de notre époque.
S’il fallait choisir un moment clé dans la trajectoire d’Apple, ce serait le tout dé but de l’année 1984. S. Jobs
a alors 29 ans. Cela fait neuf ans qu’il a lancé avec son ami Steve Wozniak le premier ordinateur personnel
Apple. Depuis, d’autres acteurs sont entrés sur le marché, à commencer par IBM, dont le standard PC
domine le marché de la microinformatique. Le 22 janvier 1984, dans un clip publicitaire diffusé pendant le
Superbowl, la finale de la coupe de football américain, Apple met en scène de manière fracassante sa
fronde contre le monde uniforme des PC. « Le 24 janvier 1984, Apple introduira Macintosh, et vous verrez
pourquoi 1984 ne ressemblera pas à 1984 », proclame le clip, comparant l’hégémonie d’IBM à l’univers
totalitaire du roman de George Orwell (1984).
Deux jours plus tard, dans une performance publique restée dans les mémoires, S. Jobs dévoile donc la machine.
Elle dépasse toutes les attentes. Le Macintosh est le premier micro-ordinateur à intégrer une interface graphique
permettant à l’utilisateur de manipuler la machine en cliquant sur un point de l’écran par l’intermédiaire d’une
souris. Cette innovation technologique va de pair avec une ergonomie et des qualités graphiques sans précé-
dent. À l’heure de taper un courrier, le futur propriétaire d’un « Mac » pourra choisir sa typographie parmi une
longue liste de polices disponibles, voir à l’écran à quoi ressemblera son texte et le mettre en page en consé-
quence. Il pourra également organiser ses documents sur un « bureau » virtuel, en déplaçant les icônes de ses
fichiers sur l’écran et en les faisant glisser dans des « dossiers ». Le Macintosh vient d’inventer l’informatique
personnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Un dénommé Bill Gates, dont la firme Microsoft a conçu
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pour Macintosh le logiciel Word, fera plus que s’inspirer de ces innovations lorsqu’il lancera quelques années
plus tard la première version de son système d’exploitation Windows.

Un entrepreneur schumpeterien
Le lancement du Macintosh incite à dresser un portrait de S. Jobs en entrepreneur schumpeterien. L’éco-
nomiste autrichien Joseph Schumpeter est le premier à avoir mis l’innovation au cœur de la dynamique
économique. Parce qu’elle s’incarne dans un produit inédit (innovation de produit), dans un processus de
fabrication auquel personne n’avait songé (innovation de procédé) ou dans une forme d’organisation plus
efficace de la production ou de la distribution (innovation d’organisation), la nouveauté introduit, selon lui,
une rupture dans le fonctionnement routinier du marché. Ce faisant, elle enclenche un processus de « des-
truction créatrice », envoyant au rebut les usages qu’elle détrône et obligeant les concurrents à suivre. À la
différence d’une simple invention, qui peut rester à jamais remisée dans les archives du concours Lépine,
l’innovation à la particularité de transformer les usages sociaux.
Aux yeux de J. Schumpeter, l’irruption d’une innovation ne va cependant pas de soi. S’agissant d’un produit
ou d’un procédé nouveau, aucune étude de marché, aucune connaissance accumulée ne permet de prévoir
les profits qui lui seraient associés. Pour qu’elle voie le jour, il faut qu’elle soit portée par un acteur possé-
dant des qualités singulières : il doit être à la fois visionnaire pour déceler tine potentialité là où les autres ne
voient rien, suffisamment charismatique pour enrôler une pluralité de partenaires à sa cause et être doté de
l’audace nécessaire à assumer le risque d’un échec cinglant. Parce qu’il possède ces qualités-là, l’entrepre-
neur capitaliste se trouve au cœur du processus d’innovation.
Dès les prémisses d’Apple, S. Jobs possédait à l’évidence de telles qualités. Il n’a jamais été un inventeur, ni un
ingénieur hors pair, comme son ami S. Wozniak. Mais il a très rapidement été porté par une conviction que rien
dans l’état du marché informatique ne pouvait confirmer a priori : l’informatique entrerait dans le quotidien des
gens. Il fallait pour cela qu’elle possède des qualités de simplicité, d’ergonomie et de design qui la rende simple •••/•••

201231TDPA0413 107

Relations professionnelles 1 • Devoir 6

•••/••• à utiliser et en fasse un objet que les usagers pourraient facilement s’approprier. À la croisée entre la technologie
et l’art, exigeant toujours des prouesses techniques des ingénieurs d’Apple pour simplifier l’utilisation des
machines, ce cahier des charges caractérise immuablement la longue série de produits présentés au cours des
fameuses performances de S. Jobs. De l’Apple 2 jusqu’à l’Ipad 2, en passant par les transparences colorées de
l’iMac, le design immaculé du premier iPod et les performances tactiles de l’iPhone, les produits impulsés par
S. Jobs ont valu à Apple de se poser en grand rival de Microsoft et de se tailler des parts de marché majoritaires
dans les secteurs du baladeur numérique, du Smartphone et de la tablette numérique.
Ce portrait de S. Jobs en innovateur schumpeterien demande cependant à être complété, tout au moins si
l’on veut éviter de réduire la trajectoire d’Apple au génie visionnaire d’un seul homme.

Des pirates au Xerox Park


L’histoire est en effet plus complexe. En 1979, Jeff Raskin, un cadre d’Apple, travaillait à un projet d’« ordi-
nateur pour les masses ». Il se présenterait sous la forme d’une boîte qui intégrerait moniteur, unité centrale
et clavier et fonctionnerait grâce à une interface graphique. J. Raskin savait que la technologie nécessaire
au développement d’une telle machine existait à l’état de prototype au Xerox Park, le centre de recherche
que Xerox possédait dans la Silicon Valley, à quelques encablures des locaux d’Apple. Il voulut y traîner S.
Jobs. Or celui-ci était justement en train de négocier un accord avec Xerox : il accepterait que la firme entre
dans le capital d’Apple à condition qu’elle « ouvre son kimono » et lui montre les bijoux du Xerox Park. Lors
d’une visite mouvementée, pendant laquelle S.  Jobs dut menacer les instances dirigeantes de Xerox, la
firme finit par lui révéler tous ses trésors. Parmi ceux-ci, le système bitmap, sur lequel reposait le principe
d’une interface graphique, ainsi qu’un prototype peu opérationnel de souris. L’équipe d’Apple était surexci-
tée. J. Raskin avait pensé à donner un nom à son ordinateur pour les masses : Macintosh. Il ne savait pas
que S. Jobs prendrait bientôt les commandes du projet et que lui-même devrait quitter la firme.
Pour comprendre la trajectoire d’innovation d’Apple, on gagne donc à élargir la perspective dans trois direc-
tions, qui replacent l’innovation dans son environnement. L’environnement de l’entreprise dans laquelle elle
a pris place, d’abord. Son environnement local ensuite : les réseaux d’entreprises et de professionnels de la
Silicon Valley ont joué un rôle décisif dans la trajectoire d’Apple. L’environnement concurrentiel enfin, celui
d’un affrontement entre les géants de l’informatique.

L’innovation ordinaire
Derrière l’entrepreneur, il y a une entreprise. Comme le rappelle le sociologue Norbert Alter, l’innovation est
toujours un processus collectif qui suppose de mettre à contribution une pluralité de partenaires, à com-
mencer par les salariés de la firme. La trajectoire d’Apple serait incompréhensible si l’on ne prêtait pas

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attention à ce que le sociologue appelle l’« innovation ordinaire », celle qui surgit non dans les sommets de
l’organigramme mais dans l’anonymat des ateliers et des conversations de couloirs. L’originalité et l’ergo-
nomie des produits d’Apple ont toujours reposé sur la créativité quotidienne d’innombrables collaborateurs,
de cadres comme J. Raskin, mais aussi d’ingénieurs, de programmeurs et de designers qui ont apporté une
contribution décisive à l’affichage graphique du Macintosh, à l’arborescence de l’iPod ou au design de
l’iPhone. L’analyse néoshumpeterienne de la firme, celle développée notamment à la suite des travaux de
Richard Nelson et Sidney Winter, tend d’ailleurs à laisser de côté la figure de l’entrepreneur, pour replacer
l’innovation dans un processus au long cours d’apprentissage collectif. Le fil qui relie le Macintosh à l’iMac
et à l’iPhone n’est pas seulement celui des intuitions d’un esprit hors normes, mais au moins autant l’en-
semble des routines et des compétences sédimentées dans les ateliers d’engineering et de design de la
firme à la pomme. L’une des forces d’Apple tient d’ailleurs à un modèle organisationnel qui rompt avec la
segmentation de la firme en départements distincts, avec en particulier un service de recherche et dévelop-
pement, point de départ des innovations de la firme. Sous l’impulsion de S. Jobs, la création d’un nouveau
produit Apple implique d’emblée ingénieurs, programmeurs, designers et experts du marketing.
L’expérience d’Apple n’aurait ensuite probablement pas eu lieu si Paul et Clara Jobs, les parents de Steve,
n’avaient pas élu domicile à Mountain View, petite ville située dans la banlieue de Palo Alto, dans la Silicon
Valley. Dans les années 1960, la vallée était déjà la capitale américaine du circuit intégré. Parmi les amis de
S. Jobs, nombreux étaient ceux qui, comme S. Wozniak, obtenaient par leurs parents des composants
électroniques rapportés de Hewlett-Packard, le premier employeur local. Au début des années 1970, les
deux Steve, ainsi d’ailleurs que le jeune Bill Gates, fréquentaient un club d’informatique dont les membres
s’échinaient à concevoir des ordinateurs personnels. S. Jobs et S. Wozniak vinrent y présenter leur proto-
type. Les débuts des deux cofondateurs d’Apple se sont ainsi nourris du travail collaboratif qui se dévelop-
pait au sein d’un réseau de hackers (le terme signifie ici des développeurs informatiques en concurrence
pour trouver les meilleures solutions techniques) de la Silicon Valley. S. Jobs partageait cependant un point
commun avec B. Gates : tous deux refusèrent rapidement l’éthique du partage des autres membres du club.
Les plans de leurs circuits imprimés, le code de leurs logiciels devinrent bientôt payants. •••/•••

108

UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• Les réseaux de la Silicon Valley


La Silicon Valley constitue par ailleurs ce que la géographie économique appelle un « district industriel » ou
plus précisément un « district de haute technologie ». Il s’agit d’un regroupement au sein d’un même espace
géographique d’entreprises caractérisées par une forte dépense en recherche et développement. L’écono-
miste britannique Alfred Marshall a été le premier à mettre l’accent sur la particularité de telles concentra-
tions d’activité : en raison des relations fréquentes qu’y entretiennent les entreprises et leurs personnels,
chacune bénéficie de l’activité, des recherches, des innovations de toutes les autres. C’est ce que les
économistes appellent une « externalité » positive. Ce phénomène a profondément contribué à la trajectoire
d’innovation d’Apple : l’expédition de S. Jobs et J. Raskin au Xerox Park l’illustre parfaitement.
Enfin, la trajectoire d’Apple est à replacer au sein d’une structure de marché particulière, une concurrence
oligopolistique, au sein de laquelle Apple est parvenue à survivre grâce à ses innovations. Les fans d’Apple
sont connus pour vouer une haine tenace à l’égard de Microsoft et des velléités impérialistes prêtées au
géant mondial du logiciel PC. Pourtant, même dirigée par S. Jobs, leur firme préférée aurait-elle introduit
autant d’innovations dans d’autres conditions ? Si la menace du quasi-monopole IBM a donné le Macin-
tosh, celle du titan Microsoft a obligé la firme à la pomme à créer des produits radicalement différents pour
survivre.
Cette pression a d’abord engendré l’iMac, un ordinateur compact paré d’une coque colorée et translucide.
Puis, alors qu’Apple, dont les ordinateurs ne comportaient pas de graveur de CD, avait loupé le coche de la
musique numérique, la firme a rattrapé son retard. Le lancement de l’iPod, appelé à devenir le baladeur
numérique de référence, lui a même donné un coup d’avance. Initialement réservé aux utilisateurs d’ordina-
teurs Macintosh, l’iPod stimulait les ventes d’ordinateurs. Ses collaborateurs s’échinèrent cependant à
convaincre S. Jobs que le baladeur numérique devait être compatible avec Windows. Cela représentait une
véritable bifurcation technologique pour Apple : la firme ne vendrait plus primordialement des ordinateurs
personnels, mais des équipements numériques. Microsoft n’avait qu’à bien se tenir.
L’inauguration d’iTunes Store, plateforme de téléchargement légal mettant en ligne le catalogue des majors
de l’industrie musicale, fut un coup supplémentaire. Microsoft n’est jamais parvenu à égaler son challenger
dans ces domaines. C’est donc grâce à une innovation perpétuelle qu’Apple a pu continuer à exister dans
un marché dominé par la firme de B. Gates. Souvent, lorsqu’il découvrait un nouveau produit de la firme à
la pomme, celui-ci restait songeur, mi-admiratif mi-agacé. Les gars d’Apple avaient encore frappé.
Xavier de la Vega.
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Annexe 3

La fabrique des idées politiques


Les experts, souvent regroupés en think tanks, pèsent de plus en plus sur les programmes politiques.
La figure de l’intellectuel engagé, en revanche, tend à s’effacer. Une mutation profonde dans la
fabrique des idées politiques est à l’œuvre.
La scène se passe en juin 1979. Les deux intellectuels français les plus en vue de l’époque, Raymond Aron
et Jean-Paul Sartre, sont réunis à la tribune pour défendre la cause des « boat people » vietnamiens. Ces
derniers, qui tentent de fuir le régime communiste de Hanoï, disparaissent par milliers en mer. Comment
expliquer que l’éditorialiste du Figaro et le fondateur de Libération, l’homme de droite et l’homme de gauche,
sont unis dans un même combat alors que tout les oppose idéologiquement ? L’explication la plus éclai-
rante viendra de Sartre. Le philosophe déclare que les boat people vietnamiens « n’étaient sans doute pas
de (ses) amis au temps où le Viêtnam se battait pour la liberté », mais que « les droits de l’homme impliquent
(qu’on prenne parti) du point de vue humain, c’est-à-dire du point de vue moral ». Cet événement aujourd’hui
oublié annonce un changement de paradigme : la défense des droits de l’homme transcende désormais les
controverses idéologiques qui ont scandé les rapports entre la pensée et la politique à l’ère de la guerre
froide. À cette époque, les intellectuels intervenaient dans le débat public selon une logique d’opposition
entre communisme et capitalisme.
Aujourd’hui, les clivages idéologiques n’ont pas disparu, loin s’en faut. Mais d’Edgar Morin à Régis Debray,
de Michel Onfray à Alain Finkielkraut, la plupart des intellectuels manifestent, par-delà leurs désaccords,
leur attachement aux idéaux démocratiques. Parallèlement, ce consensus démocratique a favorisé l’affir-
•••/•••

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Relations professionnelles 1 • Devoir 6

•••/••• mation de nouvelles figures dans le monde des idées, comme celles de l’expert, qui est moins visible que
l’intellectuel, mais tout aussi influent. En effet, avec la chute du communisme, le débat sur les idées poli-
tiques se situe à présent moins sur l’« idéologie » que sur le fonctionnement de la société démocratique.
C’est ainsi que l’on voit monter en puissance les think tanks (« réservoirs d’idées »), qui viennent irriguer les
décideurs politiques en idées.

Les think tanks dans la bataille des idées


De Terra Nova à l’institut Montaigne en passant par la République des idées et la Fondation pour l’innovation
politique, les think tanks ont investi l’espace public et gagné une influence à la fois politique et médiatique.
Issus du monde anglo-américain. Les think tanks sont à l’origine des organisations paraétatiques qui
exercent des missions de conseil dans le domaine des relations internationales et de la défense. Le Royal
Institute of lnternational Affair a ainsi été créé en Angleterre en 1919, à la suite de la Première Guerre mon-
diale. Le phénomène se développe au États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il s’agit d’éla-
borer une doctrine de dissuasion nucléaire, après l’invention de la bombe atomique. Des organisations
comme la Rand Corporation ou la Brookings jouent alors un rôle essentiel auprès du gouvernement améri-
cain dans la formulation des politiques étrangère et militaire13. Il faut attendre les années 1970 et les débuts
de la crise économique pour que le périmètre des think tanks s’étende à la politique intérieure, particulière-
ment aux questions économiques et sociales.
Dans le monde anglo-américain, ces structures restent le plus souvent institutionnellement indépendantes,
et sont financées par des mécènes. En France, il existe quelques think tanks indépendants dans le domaine
de la politique internationale, tel l’Institut français des relations internationales (Ifri) créé dans les années
1970 par Thierry·de Montbrial. Ce think tank influent qui regroupe une trentaine de chercheurs, bénéficie de
subventions publiques, mais le gros de son financement (environ 60 %) est d’origine privée.
Ce type de structure reste néanmoins marginal en France. Dans le domaine de la politique intérieure, les
think tanks français, bien que formellement indépendants, sont en général affiliés à des partis politiques ou
bien directement à l’État. La fondation Jean-Jaurès (créée en 1992) et plus récemment Terra Nova (créée en
2008) sont proches du Parti socialiste tandis que la Fondation pour l’innovation politique, créée par le
conseiller de Jacques Chirac, Jérôme Monod, a longtemps été rattachée au parti du président, l’Union pour
un mouvement populaire (UMP). Au niveau étatique, le général de Gaulle crée en 1946 le Commissariat
général du plan (transformé en 2006 en Conseil d’analyse stratégique), qui joue un rôle de prospective et
rédige des rapports visant à définir les grandes orientations de l’État en termes de politiques publiques.

Du réseau de sociabilité au lobbying

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En France, la conception de l’« État stratège » prévaut sur la société civile et les corps intermédiaires, ce qui
n’a pas favorisé l’émergence des think tanks à l’américaine. Cela est probablement lié à une culture politique
centralisatrice et étatiste, peu portée sur la philanthropie. Aux think tanks la France a longtemps préféré les
clubs de pensée, comme Le Siècle par exemple, qui sont d’abord des lieux de sociabilité pour l’élit e, plus
que des instances de réflexion destinées à peser sur la vie politique. Le club Jean-Moulin, fondé en 1958
par les anciens résistants Daniel Cordier et Stéphane Hessel, est une exception à la règle. Il aura à cœur,
notamment, de valoriser les travaux de Michel Crozier sur La Société bloquée14.
Le fait est qu’aujourd’hui, le terme « think tank » désigne des structures aux contours très différents : cellules
administratives de réflexion prospective, mais aussi laboratoires para-universitaires, groupes d’intérêt, clubs
politiques ou bien encore états-majors de campagne15. Le point commun de ces structures, c’est d’alimen-
ter le débat public en idées « innovantes », diffusées sous formes d’articles de revue, rapports, notes, tri-
bunes dans les journaux, interventions dans des émissions de télévision. Leur rôle est d’influencer l’action
des décideurs politiques. Le think tank fournit d’abord un travail intellectuel ; ainsi le candidat François
Hollande, pour élaborer son projet fiscal, s’est inspiré des travaux de l’économiste Thomas Piketty et de son
équipe, diffusé par la République des idées, dirigée par l’historien Pierre Rosanvallon, professeur au Collège
de France et proche du Parti socialiste. Mais les think tanks peuvent aussi déployer des réseaux, à l’instar
des lobbies qui défendent des intérêts spécifiques. Ainsi l’Institut français de recherche sur l’action publique
(Ifrap), d’obédience libérale, défend l’idée d’un État minimal et produit des études visant notamment à
convaincre les politiques de limiter les effectifs de la fonction publique. Dans ce but, il produit une revue
•••/•••

13. Jean-Loup Samaan, La Rand Corporation (1989-2009). La reconfiguration des savoirs stratégiques aux États-
Unis, L’Harmattan, 2010.
14. Michel Crozier, La Société bloquée, 1970, rééd. Seuil, coll. « Points », 1997.
15. Voir Lucile Desmoulins, « Le rôle des think tanks dans l’action politique », Cahiers français, n° 364, septembre-
octobre 2011.

110

UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• mensuelle, Société civile, distribuée en priorité aux parlementaires. Il organise également des colloques et
met à disposition des médias une liste d’experts prêts à s’exprimer sur des questions relatives aux retraites
ou à la dette publique.
Le but des think tanks n’est donc pas simplement de produire des idées afin d’aboutir à une meilleure com-
préhension des processus politiques. Il s’agit de traduire ces idées en propositions concrètes, et de mettre
celles-ci à l’agenda politique afin qu’elles deviennent des mesures ou des lois votées par le Parlement. Le
think tank joue en ce sens un rôle d’intermédiaire entre l’idée et la décision politique.

Vers une démocratie des experts ?


À ce titre, les think tanks tendent à occuper la fonction « programmatique », autrefois assumée en interne
par les partis politiques. De plus en plus, les partis externalisent cette tâche, à la manière des entreprises
qui font appel à des sous-traitants. Les élus, occupés essentiellement par la conquête du pouvoir, confient
à des experts le soin d’élaborer leur programme d’action. Beaucoup y voient le signe d’une crise des partis
politiques, et plus largement de la démocratie. La « démocratie des experts » est dénoncée au nom de
l’autonomie du savoir mais aussi de la participation du peuple à la vie politique. Selon David Estlund,
l’« épistocratie », c’est-à-dire le pouvoir des savants, représente un risque : la confiscation de la parole et
des idées par des experts « autorisés »16. En effet, si le monopole des idées revient à l’expert, le risque est
de voir s’installer une élite nouvelle, s’arrogeant le monopole du savoir et du pouvoir, ce qui exclut le reste
des citoyens de la scène politique.
Les think tanks peuvent dès lors être vus comme les porte-voix de l’« idéologie dominante » et les promoteurs
d’un ordre néolibéral qui pose problème pour l’équilibre démocratique17. On l’a bien vu lors du débat suscité par
le référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005. Tandis que les partis de gouvernement, conseillés
par leurs experts, étaient engagés, par-delà le clivage droite/gauche, en faveur du oui, des collectifs citoyens se
sont formés (notamment grâce au Web) afin de critiquer cet unanimisme et donner des arguments à la fois scien-
tifiques et politiques en faveur du non. Ce qui est principalement dénoncé dans l’attitude des experts, c’est leur
collusion avec les milieux du pouvoir politique et économique, qui les conduit à légitimer scientifiquement des
choix politiques déjà pris par les décideurs, avant même toute réflexion.
À rebours de cette tendance, les chercheurs se réclamant de la sociologie critique entendent renouer avec
une conception du savoir comme contre-pouvoir, le but étant de donner au peuple les instruments « scien-
tifiques » de la critique et de l’action. Les éditions Raisons d’agir, fondées par Pierre Bourdieu, publient ainsi
des ouvrages à la fois scientifiques et militants, qui visent à dénoncer les politiques libérales (dans le
domaine de la santé, de l’emploi, de l’école, etc.). Dans la même veine, le collectif Savoir/Agir vient de
publier un ouvrage relevant du militantisme intellectuel, 2012 : les sociologues s’invitent dans le débat, qui
vise à « établir un diagnostic synthétique » de la situation politique et à jeter les bases de « ce que pourrait
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être une politique de gauche »18.


Le paradoxe de cette nouvelle critique sociale est qu’elle dénonce la démocratie des experts tout en s’ins-
crivant peu ou prou dans la même logique d’intervention publique. Son mode de production intellectuelle ne
se distingue pas fondamentalement de celui des think tanks : il s’agit toujours d’élaborer un diagnostic afin
d’imaginer de nouvelles formes d’action publique. D’ailleurs, la « gauche de gauche » possède son propre
think tank avec la fondation Copernic, dont les travaux alimentent le programme de partis comme le NPA ou
le Front de gauche.
Au-delà des positionnements politiques et des modes d’intervention dans le débat public, une véritable
mutation dans le monde des idées politiques est donc à l’œuvre. À l’époque de la guerre froide, la scène
publique était dominée par des intellectuels, le plus souvent philosophes et historiens, dont la vocation était
de fournir une vision globalisante – libérale ou socialiste – de l’histoire, de la politique et du progrès.
Aujourd’hui, dans le marché des idées politiques, l’intellectuel est concurrencé par le chercheur ou l’expert,
le plus souvent sociologue ou économiste, qui se défie du savoir totalisant. Ces nouveaux intellectuels, qui
refusent pour la plupart ce titre, produisent des enquêtes situées et spécialisées pour influencer l’action
publique dans un domaine précis, ou alimenter la critique sociale et la contestation politique. Cette spécia-
lisation croissante des savoirs produit sans doute une connaissance plus fine des phénomènes politiques
et sociaux. Mais on peut aussi se demander si elle n’empêche pas de proposer une vision éclairée et cohé-
rente de l’avenir. Cela pourrait expliquer, au moins en partie, la défiance des citoyens aussi bien vis-à-vis
des idées que de la politique, confirmée par toutes les enquêtes.
Jean-Vincent Holeindre.

16. David Estlund, L’Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Hermann, 2011.
17. Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, La Production de l’idéologie dominante, Raisons d’agir/Demopolis, 2008.
18. Savoir/Agir, 2012 : les sociologues s’invitent dans le débat, Le Croquant, 2012.

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Relations professionnelles 1 • Devoir 6

Annexe 4

Aux sources des révolutions mentales


Les révolutions scientifiques seraient le fait d’esprits originaux en rupture avec les idées de leur
temps. Les nombreuses découvertes simultanées obligent à réviser cette vision de l’histoire, pour
tenter d’articuler le rôle des individus et des milieux créateurs dans la découverte scientifique.
L’image a fait le tour du monde, a été publiée des milliers de fois. On y voit Albert Einstein, les cheveux en
bataille, tirant la langue à un photographe comme le ferait un enfant de 5 ans. La photo a été prise le 14 mars
1951, le jour de son soixante-douzième anniversaire.
Cette photo est tout un symbole. Elle nous présente le grand physicien comme un anticonformiste qui se joue
des règles et normes. À travers cette image, une représentation de la science est suggérée : les grands décou-
vreurs sont des déviants. Le slogan publicitaire « Think différent » résume cette philosophie de l’innovation.
Quand on sait que lorsque Einstein a fait ses premières découvertes majeures (sur la relativité restreinte, la
nature des quanta et l’équivalence matière­énergie), il n’était qu’un obscur ingénieur, employé au bureau des
brevets de Berne, en Suisse, tout semble confirmer l’idée que les grandes révolutions scientifiques sont le
produit d’esprits indépendants en marge des idées et des institutions de leur temps.
Pourtant, au moment même où Einstein fait la découverte de la relativité, un autre homme est parvenu à des
conclusions similaires. Cet homme est Henri Poincaré, l’un des plus grands mathématiciens de l’époque,
qui, en 1904, un an avant Einstein, a présenté une théorie de la relativité. Certains historiens considèrent
d’ailleurs Poincaré comme le vrai inventeur de la relativité19. D’autres tranchent plutôt pour un troisième
homme, le mathématicien Hendrik A. Lorentz, dont les travaux ont servi à Einstein pour élaborer sa théorie.
Dix ans plus tard, quand Einstein formulera sa théorie de la relativité générale, une même question de priorité se
posera de nouveau : il se trouve que David Hilbert, l’autre grande gloire des mathématiques, a proposé une
théorie proche. L’histoire se répète : certains n’hésitent pas à dire qu’Hilbert a anticipé Einstein. Nul ne pense que
ce dernier a plagié : en général on considère plutôt qu’il s’agit de découvertes simultanées.

Psychologie de la création
Les découvertes simultanées sont légion en science. Peu de grandes découvertes échappent à ce phéno-
mène : Isaac Newton a découvert le calcul infinitésimal en même temps que Gottfried Leibniz (les deux
hommes se sont disputé la priorité). Newton a aussi découvert sa loi de la gravitation en même temps que

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Robert Hooke. Trois savants – Antoine de Lavoisier, Joseph Priestley et Carl Scheele – ont découvert paral-
lèlement l’oxygène. Quand Darwin publie De l’origine des espèces en 1859, il sait qu’un certain Alfred Wal-
lace est parvenu aux mêmes conclusions que lui.
La multiplication des cas remet en tout cas en cause le modèle du chercheur solitaire et original, qui fait de
grandes découvertes en rupture totale avec les idées de son époque. Elles laissent entrevoir au contraire
qu’il y a des dynamiques globales qui poussent les idées au même moment, dans les mêmes directions.
D’un côté, des chercheurs isolés qui révolutionnent la pensée de leur époque, de l’autre, des dynamiques
globales. Voilà deux représentations de la découverte qui s’opposent en tous points : l’une est individuelle,
l’autre collective, l’une centrée sur les processus mentaux internes, l’autre sur les processus sociaux.
Comment peut-on articuler ces deux regards sur l’histoire des découvertes. ? Que se passe-t-il dans la tête
des génies créateurs ? La question a passionné les psychologues, savants, artistes et philosophes dès Ie
début du xxe siècle20. Poincaré – celui-là même qui a découvert la relativité en même temps qu’Einstein – se
posait lui-même la question du processus de l’invention mathématique. Dans un passage célèbre, il raconte
comment lui est soudainement venue à l’esprit l’une de ses découvertes majeures en montant les marches
d’un bus21. De cette illumination subite survenue après une longue phase de maturation, Poincaré en a tiré
une description de l’invention mathématique en quatre phases : la préparation, l’incubation, l’illumination et
la vérification22. On remarque que dans cette théorie de la découverte, la démonstration – réputée comme
•••/•••

19. Jean-Paul Auffray, Einstein et Poincaré. Sur les traces de la relativité, 2e éd., Le Pommier, 2005.
20. Voir Jean-François Dortier (coord.), « Imaginer, créer, innover… Le travail de l’imagination », Sciences Humaines,
n° 211, décembre 2010.
21. Il s’agit des fonctions fuchsiennes.
22. Henri Poincaré, Science et Méthode, 1908, rééd. Flammarion, 1947.

112

UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• le propre des mathématiques – ne vient qu’à la fin, pour confirmer son intuition initiale. Au cœur de la décou-
verte, il y aurait donc une « intuition », une réorganisation mentale, opérée presque inconsciemment.
Au même moment, en Allemagne, les théoriciens de la forme proposent aussi leur propre conception de
l’« illumination » intellectuelle avec la notion d’« insight ». L’insight est une illumination soudaine, qui survient
aussi après une phase de réflexion. L’insight est une illumination associée à l’idée de « forme » ou de « Ges-
talt », l’autre grand concept clé de la psychologie de la forme. Avoir un insight, c’est découvrir par exemple
qu’un objet peut changer de fonction si l’on ne prend en compte que sa forme : un bâton, une arme ou un
outil.
La psychologie de l’invention est donc très créative dans ces années-là. Paul Klee, qui habite Berne comme
Einstein, s’intéresse à la création artistique et élabore de son côté une théorie de la création artistique où il
est également question de forme23. Alfred Binet publie Psychologie de la création littéraire en 1904 après
que son collègue Théodule Ribot eut publié son Essai sur l’imagination créatrice (1900). Ces livres brassent
les idées d’intuition, d’imagination créatrice, d’association d’idées, de formes créatrices. L’idée d’associa-
tion de formes ou analogie n’est pas encore là, mais on s’en approche…

Des découvertes inattendues ?


Ce foisonnement intellectuel va brusquement cesser à partir des années 1920. Pour de bien mauvaises
raisons. La première tient au rejet de la démarche de « l’introspection » par la psychologie scientifique :
l’autoanalyse auquel se livraient les créateurs et découvreurs n’était plus tenue pour légitime : ce rejet a
même pris l’allure d’une véritable expulsion académique à une époque où l’on voulait faire de la psychologie
une science positive, fondée sur des faits observables24. L’autre raison est externe à la science, liée à la
longue éclipse de la théorie de la forme : un paradigme très puissant qui a été éliminé avec l’arrivée du
nazisme en Allemagne. Nombre de ses théoriciens, juifs, ont été chassés d’Allemagne et d’Europe de l’Est.
Pour voir resurgir une nouvelle théorie de la création scientifique, il faudra donc se transporter de l’autre côté
de l’Atlantique, en Amérique, après la Seconde Guerre mondiale. La psychologie de la découverte va alors
renaître autour d’une conception nouvelle, associée à un mot bizarre et exotique : la « sérendipité ».
La sérendipité est souvent associée – à tort – à l’idée de découverte inattendu. En fait, la notion signifie autre
chose : les découvertes scientifiques majeures naissent à partir de faits intrigants, qui résistent au cadre
d’analyse habituel. Ce « caillou dans la chaussure » du chercheur oblige donc à remettre en cause ses idées
habituelles et à forger de nouvelles hypothèses. L’élaboration d’une nouvelle théorie requiert de la part du
chercheur de l’imagination et pas simplement du raisonnement. Pour le physiologiste Walter Cannon ou le
sociologue Robert Merton, la sérendipité signifie que la recherche scientifique ne se résume pas à la récolte
de données ou à la vérification de théorie. La vraie invention scientifique consiste à forger de nouveaux
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cadres d’interprétation quand des faits résistent aux modèles existants.


Les études sur la sérendiplté, sur la pensée créative vont déboucher à partir des années 1980 sur de nou-
velles pistes. Pour Umberto Eco, la sérendipité est associée à la notion d’abduction. Le chercheur est
comme un policier (U. Eco parle justement de « méthode du détective ») qui construit ses hypothèses à
partir d’indices intrigants. Pour forger ses hypothèses, il doit faire appel à son imagination et non pas à la
seule déduction.
L’étude des processus mentaux de la découverte scientifique conduit peu à peu à de nouvelles théories, où
il est question de métaphores et d’analogies qui seraient au cœur de la découverte scientifiques25.
L’idée d’analogie, appliquée au domaine scientifique, signifie que les idées nouvelles proviennent souvent
du transfert d’un modèle (ou d’une « forme ») d’un domaine à un autre26. Ainsi, l’idée d’onde sonore est
venue en transférant à l’air la vision d’une onde qui se propage dans l’eau. Puis ce modèle a été appliqué à
la lumière. L’onde fait donc figure de « concept nomade », qui va permettre de repenser des phénomènes
sous un angle nouveau. Le nomadisme des concepts est d’ailleurs considéré comme un puissant outil
d’innovation intellectuelle27.
•••/•••

23. Paul Klee, Théorie de l’art moderne, posth. 1945, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 1998.
24. Voir Jean-François Dortier, « Sciences de la forme, une histoire oubliée », Sciences Humaines, n° 181, avril 2007,
et « Les intellectuels juifs en exil », Sciences Humaines, hors-série, n° 30, décembre 2000/janvier-février 2001.
25. Voir Nicolas Journet (coord.), « l’analogie, moteur de la pensée », Sciences Humaines, n° 215, mai 2010.
26. (8) Voir Marie-José Durand-Richard (dir.), L’Analogie dans la démarche scientifique. Perspective historique,
L’Harmattan, 2008, ou Dedre Gentner et Benjamin D. Jee, « Du bon usage de la pensée analogique », Sciences
Humaines, n° 215, mai 2010.
27. Voir Isabelle Shmgers (dir.), D’une science à l’autre. Des concepts nomades, Seuil, 1987, et Olivier Christin (dir.),
Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Métailié, 2010.

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Relations professionnelles 1 • Devoir 6

•••/••• Vues globales


Passons maintenant à l’autre vision de la découverte. On quitte le cerveau du savant pour observer dans
quel milieu son cerveau est plongé. L’histoire et la philosophie des sciences nous ont appris que la science
avance par bonds. L’histoire des sciences est marquée par des révolutions scientifiques successives. Il y a
eu de grandes ruptures (le miracle grec, la révolution scientifique du xviie siècle, le darwinisme au xixe, etc.) ;
la révolution des quanta ou la théorie de la relativité s’inscrivent dans cette logique. Pour le philosophe des
sciences Thomas Kuhn, la science connaît des phases successives de « science normale » et de ruptures,
quand les théories dominantes craquent et sont remplacées par un nouveau cadre de référence. Les grands
génies de la science, comme Newton ou Einstein, surviennent dans ces moments et dans ces lieux propices
aux révolutions. La construction d’une nouvelle théorie scientifique n’est donc pas qu’une question de per-
sonnalité originale, d’esprit plus ou moins conformiste, mais bien de moment favorable. Einstein ne pouvait
exister sans que des précurseurs comme James Maxwell viennent ébranler les bases de la physique new-
tonienne, ou, comme Lorentz, fournir des instruments de pensée nouveaux, mettre un caillou dans la chaus-
sure des physiciens de l’époque. Les nouvelles idées surviennent dans un ordre qui suppose une longue
gestation, des moments de crise et des innovations théoriques qui surviennent souvent « en grappes » et
expliquent donc les découvertes simultanées.
L’explication des grandes révolutions scientifiques a longtemps fait l’objet d’une grande controverse d’his-
toire des sciences entre les « internalistes » (comme Alexandre Koyré et Gaston Bachelard), qui attribuent
les révolutions scientifiques à des révolutions mentales, et les « externalistes », qui recherchent dans les
conditions matérielles de l’époque les sources de révolution. Pour les externalistes, pas de révolution scien-
tifique sans révolution industrielle, sans le travail des ingénieurs, les ressources économiques, les concen-
trations humaines qui sont les conditions indispensables de toute révolution intellectuelle28. Pour les inter-
nalistes, une révolution intellectuelle n’est possible que si des penseurs s’attellent cependant à refonder les
concepts, théories, méthodes de pensée. Et cette révolution mentale a sa propre logique.
Depuis quelque temps, cette opposition a perdu de sa vigueur. Les chercheurs ont dépassé les oppositions
globales entre les grandes forces sociales et ceux qui conçoivent les théories « en vase clos ». Au fil du
temps, les chercheurs sont passés à l’analyse fine des milieux et communautés de recherches, les réseaux
qui se tissent, les échanges, les lieux et les institutions de savoir29. En observant à la loupe son émergence,
on peut alors comprendre dans quel bassin culturel les idées incubaient la théorie de la relativité. Ainsi Eins-
tein ne pouvait pas concevoir sa théorie à l’écart complet des idées physiques de son époque. Il était certes
en marge de la communauté des physiciens, mais cela ne signifie pas qu’il en était très éloigné. Il se tenait
informé des recherches de son temps et, curieusement, a pu profiter de sa position de « marginal séquent ».
Alors que ses anciens compagnons d’université étaient insérés dans les dispositifs des laboratoires de
recherche ou des institutions scientifiques très contraignantes pour leurs recherches spécialisées, lui dispo-

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sait finalement d’un poste d’observation privilégié, non loin des grands centres de recherches, mais relati-
vement libre de se livrer à des spéculations hardies. Comment passe-t-on de l’analyse des milieux intellec-
tuels dans lequel baignait Einstein à l’analyse interne du cerveau solitaire qui capte les informations, venues
de ce milieu et les réaménage à sa manière ? On dispose aujourd’hui de tous les matériaux pour réaliser
cette jonction.
Certains spécialistes se sont plongés dans la biographie intellectuelle d’Einstein en cherchant à entrer dans
les circonvolutions de sa pensée.
On sait ainsi que les mathématiques avaient paradoxalement peu de place dans les modes de raisonnement
d’Einstein. Au cours de ses études, il n’avait jamais excellé en mathématiques. La nature de son imagination
scientifique était plutôt visuelle : « Je pense d’abord en images », disait-il.
Il lui a fallu un grand effort d’imagination pour repenser les notions de temps et d’espace dans un cadre
nouveau. Cet effort est comparable à celui qu’avaient dû faire les savants de l’Antiquité grecque, qui avaient
déjà compris que la Terre était ronde. En effet, et contrairement à une opinion courante, les savants grecs
savaient déjà que la Terre était ronde et le Grec Érathostène avait calculé sa circonférence avec beaucoup
de précision dès le iiie siècle avant J.-C. Comment penser que la Terre était ronde et s’affranchir des raison-
nements ordinaires : si la Terre est ronde, pourquoi les gens d’en bas ne tombent pas ? Les savants grecs
avaient déjà compris que « ceux d’en bas » ne tombent pas parce que la Terre agit comme un grand aimant
sur tout ce qui est à sa surface. Et que la force d’attraction fait que tout ce que l’on jette en l’air retombe
parce qu’attiré au sol. De même, si personne ne se rend compte qu’il a la tête en bas, c’est en raison d’un
effet de référentiel relatif : quand tout autour de vous est à l’endroit (pieds au sol et tête en l’air), il n’y a
aucune raison de penser que vous avez la tête en bas… C’est vrai en tout point du globe terrestre.
•••/•••

28. Voir Martine Fournier (coord.), « Géographie des idées », Sciences Humaines, n° 189, janvier 2008.
29. Christian Jacob, Lieux de savoir, Albin Michel, 2 vol., 2007 et 2011.

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UE 123 • Relations professionnelles 1

•••/••• De nouvelles voies dans les méandres des cerveaux


Voilà le genre d’abstraction auquel Einstein avait dû accéder à un autre niveau pour repenser la relativité du
temps et l’espace. C’est le même genre de construction mentale qu’il avait dû faire pour considérer la
masse et l’énergie, considérées jusque-là comme deux entités séparées, et les réunir en une for mule qui
allait devenir la plus célèbre de toute l’histoire de la physique : E = MC2.
Cette révolution mentale n’était possible que par une longue gestation des idées qui avaient préparé la
pensée d’Einstein. Des historiens de la science ont patiemment décrit le contexte, le milieu et les réseaux
dans lesquels baignait le cerveau d’Einstein. Ainsi Gérard Holton a pu dénicher l’influence déterminante
qu’a eue l’un des professeurs d’Einstein – un certain August Föppl – sur l’esprit du jeune homme. Dans l’un
de ses manuels, qui date de 1890, A. Föppl soutenait déjà que dans un espace vide et sans référentiel, il
n’existe pas de mouvement absolu. Cette idée avait beaucoup impressionné le jeune Einstein et elle aura
une influence déterminante quinze ans plus tard, quand il inventera la relativité restreinte. L’étude des
découvertes scientifiques a aujourd’hui dépassé en grande partie les grandes oppositions tutélaires qui
opposaient il y a peu encore externalistes et internalistes.
Reste maintenant à opérer la jonction des deux approches. Elle exige sans doute plus qu’une synthèse
superficielle. Elle oblige à une réorganisation mentale en profondeur des modèles explicatifs. Comprendre
comment les idées s’élaborent sur des terrains porteurs, au sein de milieux innovants, s’infiltrent un jour
dans les méandres d’un cerveau pour y ouvrir une nouvelle voie.
Jean-François Dortier.
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