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Économie de la culture

David Throsby
Février 2002

David Throsby est un pionnier de l’économie de un essai tente de montrer que les artistes ne sont pas
la culture, qui combine dans ses travaux recherche intéressés par l’économie , et que les économistes
théorique et études empiriques. C’est en outre un n’ont rien à dire sur l’art. Il lui fut doublement
musicien très en contact avec les milieux artistiques. donné tort.
L’économie de la culture est aujourd’hui un do- L’étape suivante est marquée par l’ouvrage de
maine de recherche très dynamique après un long Belmont et Bowen. Ce fut la première fois que les

temps de marginalité. Il y a bien des indications sur techniques de l’économie étaient appliquées aux
les arts chez les auteurs classiques, mais ce n’est arts. Ce fut une avancée importante, qui faisait en-
que depuis une trentaine d’années que la culture trer l’art dans le champ des objets d’étude de l’éco-
fait l’objet d’études économiques systématiques. nomie .
D. Throsby s’exprime dans un mélange de fran- Depuis, plusieurs sujets ont été abordés. Dans
çais et d’anglais. Ce qui suit est la retranscription les années 1970 dominait la question des subven-
de notes prises sur le moment. tions publiques. Il s’agissait de trouver une justifi-
cation économique aux subsides gouvernementaux.
Dans les années 1980, l’attention se porta vers la
Table des matières notion des arts comme une industrie. Les indus-
tries de la création fournissaient alors le contenu
1 Première partie : 13 Février 2001 1
essentiel de la «nouvelle économie», ce qui en fai-
1.1 Premiers développements . . . . . . 1
sait un secteur moteur de l’ensemble de l’économie .
1.2 La «maladie de Baumol» et l’écono-
Aujourd’hui, le champ est devenu beaucoup plus
mie des arts du spectacle . . . . . . 2
large, principalement via une définition très exten-
1.3 Le soutient public aux arts . . . . . 3
sive de la culture, incluant les sens sociologique et
1.4 L’artiste, aspects économiques de
anthropologique du terme. En particulier, le rôle
son activité . . . . . . . . . . . . . . 3
de la culture dans la croissance des pays en voie de
2 Deuxième partie : 27 Février 2001 4 développement est un sujet majeur. La notion de
2.1 Le marché de l’art . . . . . . . . . . 4 capital culturel est également très étudiée.
2.2 Les industries culturelles . . . . . . . 5 C’est donc aujourd’hui un champ de recherche
2.3 Culture et développement . . . . . . 7 très large, plein de chantiers.
2.4 Le patrimoine culturel . . . . . . . . 7 Une des difficultés de ce champ est de cerner ce
que sont les biens culturels. Il faut en effet identifier
clairement les propriétés particulières de ces biens
1 Première partie : 13 Février pour justifier une étude spécifique. Trois définitions
sont particulièrement intéressantes.
2001 – La première est fondée sur leur caractéristiques
propres. Les biens culturels, en particulier les
1.1 Premiers développements
objets d’art,
Adam Smith, Ricardo, Mill ont exprimé un inté- – nécessitent de la créativité dans leur produc-
rêt personnel pour les arts, mais l’histoire de l’éco- tion ;
nomie de la culture commença vraiment avec J. K. – transmettent un sens symbolique ;
Galbraith et The Liberal Hour. Dans cet ouvrage, – impliquent la propriété intellectuelle, ils

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peuvent être soumis au copyright. problème pour l’économiste est de savoir ce que
Il y a certainement des problèmes aux li- maximisent de telles institutions. Elles peuvent ten-
mites de cette définition, avec les sports, par ter de maximiser deux éléments ;
exemple. Mais globalement, cette définition – la production, mesurée en général par l’au-
fonctionne bien. dience ;
– La deuxième repose sur le fait que les biens – la qualité de la représentation.
culturels produisent une forme de valeur qui La fonction-objectif comprend donc ces deux élé-
ne se ramène pas à leur valeur économique, ments. Cette analyse s’applique à toutes les entre-
une valeur culturelle. Qu’est-ce à dire ? C’est prises du tiers secteur. La contrainte est alors celle
un des points de l’exposé qui suit. de coût, qui ne peut excéder la somme des recettes
– La troisième porte sur la spécificité de la de- et des subventions. Beaucoup de recherche a porté
mande adressée aux bien culturels. Cette de- sur cette contrainte. Avec la contrainte devenant
mande a la particularité d’être accumulative. plus stricte, des arbitrages doivent en effet être réa-
La demande de biens culturels tend en effet lisés. On peut choisir de diminuer la qualité, ce qui
à croı̂tre avec la consommation, produisant rend difficile de jouer des œuvres peu populaires,
des comportements proches de l’addiction, au comme la musique contemporaine. Cela signifie que
sens de Gary Becker (addiction rationnelle). ces institutions doivent rechercher des formes alter-
C’est une demande spécifique, construite sur natives de revenu, via les donations et parrainages.
des goûts acquis. Cependant, cette caractéris-
tique peut s’appliquer à d’autres biens, comme 1.2 La «maladie de Baumol» et
les voitures de sport ou les drogues.
l’économie des arts du spectacle
Les deux premières définitions nous seront les
plus utiles. En 1799, un quatuor de Mozart prenait 25 mi-
nutes et 4 interprètes. C’est la même chose aujour-
Il faut réserver une place particulière aux arts d’hui : pas de gains de productivité, semble-t-il,
vivants (performing arts). en 200 ans. C’est ainsi que Baumol introduisit le
Du point de vue de la demande, il est possible paradoxe des arts vivants. N’étant pas le lieu de
d’appliquer les techniques économiques d’analyse gains de productivité, le monde des arts devrait être
de la demande au théâtre, à la musique,... On condamné au déclin. En effet, les hausses salariales
trouve alors que la demande est très similaire à la dans les secteurs où il y a des gains de productivité
demande des biens non-culturels. Elle dépend néga- se répercutent dans le monde des arts via la mobi-
tivement du prix, du prix des biens substituables, lité du travail. Les coûts de production augmentent
positivement du revenu et de la qualité antici- donc, mais pas les revenus.
pée de l’expérience. Mais empiriquement, des diffé- Baumol suggéra que de ce fait, les arts vivants
rences apparaissent. Les caractéristiques de qualité étaient condamnés au déclin. il est vrai qu’ils sont
tendent à dominer les autres facteurs. On va sou- sous pression du fait de ce problème. Cependant,
vent au théâtre pour voir une pièce, voire un acteur des changements technologiques s’y produisent, gé-
précis. Le revenu est significatif. L’élasticité est po- nérant des hausses de productivité. Le progrès
sitive, mais comme la consommation de ces biens de l’amplification sonore et de l’ergonomie per-
culturels demande beaucoup de temps, les coût as- mettent aux théâtres d’augmenter leur capacité et
sociés (transport, restaurant, baby-sitter) sont éle- leur confort. Les progrès dans l’enregistrement per-
vés, et croissent avec la hausse du coût d’oppor- mettent de vendre plusieurs fois une même inter-
tunité du temps libre. Néanmoins, la demande est prétation, ce qui constitue une importante source
bien comprise. de revenus pour les orchestres. Même si écouter un
Dans les arts vivants, il y a à la fois des compa- disque n’est pas la même expérience que d’aller au
gnies commerciales et non-commerciales. Les com- concert, c’est le même bien et le même producteur
pagnies non-commerciales sont généralement finan- qui sont en jeu.
cées par le gouvernement. Il existe une littérature De plus, les hausses salariales dans les autres
importante concernant ce tiers-secteur, ni État, ni secteurs ne sont pas toujours transmises aux arts.
secteur privé (universités, hôpitaux, théâtre,...). Le Les artistes sont souvent volontaires pour travailler

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pour un salaire inférieur à celui qui correspondrait en faveur des subventions culturelles, dans la me-
ailleurs à leur niveau de qualification. C’est un fac- sure où de telles externalités en sont pas prises en
teur fondamental dans la survie des arts vivants. En compte par le marché.
Australie par exemple, les artistes gagneraient si- Q [Menger] : Comment vérifier l’existence d’une
gnificativement plus s’ils travaillaient dans d’autres telle disposition à payer ?
secteurs. on peut ainsi dire que les artistes subven- R : On peut faire cela par un sondage. On se
tionnent leur propre activité. rend alors compte que non seulement les gens sont
Un autre élément est l’augmentation de la de- prêts à payer, mais aussi plus que n’alloue le gou-
mande avec le niveau général d’éducation. Certes, vernement. Ce peut aussi être fait par la voie ré-
cela affecte la nature de la demande, qui passe de férendaire, comme en Suisse. Les arts génèrent un
la musique classique à la pop. Mais cela donne un support large. À Zurich, un référendum a approuvé
bon espoir aux arts vivants. la rénovation de l’opéra, alors que peu de personnes
y vont.
1.3 Le soutient public aux arts [interruption]
Il est intéressant pour un économiste d’écouter
Q [Menger] : Comment en France se joue le jeu à les questions que lui pose un sociologue. Ce dernier
trois partenaires entre compagnes, consommateurs s’intéresse aux mécanismes exacts des relations de
et gouvernement ? pouvoir, fondamentales dans la compréhension des
R : En France, le niveau des subventions est subventions publiques aux arts. En termes écono-
très élevé. Dans ce jeu, ni le gouvernement ni les miques, on modélise cela par des comportements de
compagnes ne sont passifs. Mais il y a aussi un recherche et de capture de rente. Les musées et gal-
quatrième acteur, les entreprises, qui peuvent être léries proposant des biens dont la valeur culturelle
persuadées de parrainer les arts vivants. De là dé- est reconnue bénéficient ainsi de rentes de situation.
coule la notion de partenariat avec le secteur privé, Parfois, le support accordé aux arts est vu comme
les entreprises y gagnant en notoriété. Ce gain est un problème, car il bénéficie le plus aux couches
d’ailleurs parfois excessif. À Londres, la construc- les plus aisées de la population. Il se pose ainsi
tion du Millenium Dôme a coûté 500M de Livres, un problème de redistribution. C’est cependant un
est devait être une expression de la créativité bri- mauvais argument. Toute intervention du gouver-
tannique. Il fut le lieu d’une exposition pour l’an nement modifie la distribution des richesses. Le but
2000, divisés en secteurs, chacun parrainé par une d’une subvention n’est pas d’abord son effet re-
entreprise. Celle-ci ne versèrent que l’équivalent distributif, mais de pallier un échec du marche à
d’1/5 des coûts de construction, mais firent une prendre en compte certains facteurs jugés impor-
telle publicité qu’elles éclipsèrent la vocation d’es- tants. À partir de ce moment, la question de la dis-
pace d’expression culturelle. tribution trouve sa solution via les nouveaux méca-
[Menger] De même, en France, de nombreuses nismes du marché. en d’autres termes, ce n’est rien
entreprises s’accrochent à des événements financés d’autre que la querelle du luxe.
majoritairement par l’État et en retirent des gains
sans commune mesure avec leur mise. 1.4 L’artiste, aspects économiques
Il faut néanmoins noter que si les collections ap-
de son activité
partiennent à l’État, de plus en plus de musées na-
tionaux ou locaux sont gérés comme des entreprises Ici, «artiste» signifie toute personne impliquée di-
commerciales. Cela pose une question de principe : rectement dans une activité de création. Pour l’éco-
dans ce jeu, comment sont représentés les intérêts nomiste, il est intéressant d’étudier les spécificité de
des consommateurs ? Du point de vue de l’écono- ce marché du travail.
mie, les arts peuvent être considérés comme des Il faut commencer par définir, à des fins d’étude
biens publics, dans la mesure où l’existence d’une empirique, ce qu’est un artiste. En 1982, l’Unesco
tradition culturelle ajoute de la valeur à la commu- tenta de produire une définition pour son propre
nauté dans son ensemble, une valeur pour laquelle usage. Il fut décidé qu’était un artiste toute per-
la communauté est généralement prête à payer via sonne qui avait une volonté de dédier sa vie à l’art,
ses taxes. pour l’économiste, c’est une raison claire ce qui en fait une définition très générale, dans la

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mesure où il suffit d’avoir l’intention d’être un ar- sible à l’activité générale. L’essor des impression-
tiste pour être compté comme tel. Cette définition nistes est lié à l’émergence de la classe moyenne
donne droit à l’universalité de la vocation artis- industrielle capitaliste. Souvent, ces situations gé-
tique. C’est une noble intention, mais cette défi- nèrent en effet des revenue destinés aux artistes en
nition est inutilisable en termes de recherche. tant que tels. Les artistes vont répondre à une aug-
La définition de l’artiste s’est donc déplacée vers mentation de revenu en fonction de sa nature. Par
la notion de l’artiste comme un professionnel de exemple, si leur activité alternative devient mieux
l’art. Cela pose d’autres problèmes. Les enquêtes rémunéré, ils vont lui consacrer moins de temps, à
sur l’activité se fondent en effet sur l’activité de la fois parce qu’ils atteignent plus vite le seuil de
la semaine précédant l’enquête. Or, de nombreux subsistance et parce qu’ils anticipent une augmen-
artistes ont des activités très irrégulières, et sont tation de la demande.
donc mal recensés. Les artistes à temps partiel
échappent ainsi à l’enregistrement. L’artiste profes-
sionnel peut ainsi vivre sur de longues périodes sans
revenu issu de ses activités artistiques, à l’image
2 Deuxième partie : 27 Fé-
d’un écrivain engagé dans la rédaction d’un long vrier 2001
roman. David Throsby a choisi d’utiliser un jeu de
critères : 2.1 Le marché de l’art
– la nature des revenus ;
– la nature de la formation ; Par «marché de l’art», on entend ici le marché
– l’utilisation faite du temps de travail et du des œuvres d’art, peinture, sculpture, etc. De nom-
temps libre de la personne ; breux travaux ont porté sur ce marché, qui ont mis
– la qualité de la production telle qu’estimée par en évidence des caractéristiques propres à ce mar-
la personne elle-même (pense-t-elle que son ché :
travail pourrait être accepté par les profession- – Les produits sont fabriqués par des individus ;
nels ?). – Chaque unité est unique et originale ;
La questions suivante est alors de savoir ce qui – L’offre des objets est fixe (en particulier si l’ar-
différencie ces travailleurs des autres, déterminant tiste est mort).
un marché du travail particulier. Cette question est Ces caractéristiques font des œuvres d’art un bien
assez similaire à celle des biens culturels. Les ar- marchand très particulier. En effet, ce sont à la fois :
tistes, en effet, ne réagissent pas de la même ma- – Des biens privés en tant qu’ils procurent
nière que les autres travailleurs aux incitations éco- des bénéfices privés à leurs acquéreurs (qui
nomiques. Dans la théorie standard, les travailleurs peuvent avoir le plaisir de les avoir dans leur
sont incités par la rémunération. Ils travaillent pour salon ;
optimiser l’utilisation de leur temps libre. La théo- – Des biens publics car ils appartiennent au pa-
rie standard différencie ainsi le travail, qui ne pro- trimoine culturel général ;
duit que de l’argent, et le temps libre, qui ne produit – Des actifs financiers en tant qu’ils peuvent être
que de l’utilité. Seulement, les artistes semblent des objets de spéculation.
avoir une préférence pour le travail, dans la me- De ce fait, il faut savoir distinguer la demande à des
sure où leur travail leur procure aussi de l’utilité. fins de consommation (décoration) de la demande
Dans une large mesure, le plus ils travaillent, le à des fins spéculatives. Dès lors, la question est de
mieux ils s’en trouvent. Le problème est souvent savoir quelle est l’influence de la réputation d’un
que leur travail artistique ne produit pas assez d’ar- artiste sur les deux côtés de la demande. Les fac-
gent. Ils ont donc un arbitrage à réaliser entre leur teurs de la demande sont en effet complexes, mêlant
travail artistique et un autre travail. On modélise goût esthétique et anticipations sur la reconnais-
cela par un seuil de rémunération minimal à at- sance future de l’artiste. Dans la pratique cepen-
teindre pour subsister. Ce modèle peut aussi s’ap- dant, les économistes ne sont pas à l’aise avec un
pliquer aux scientifiques ou aux enseignants. concept aussi vague que la réputation. Mais les prix,
Un environnement économique florissant favorise les revenus et l’influence sur les écoles de peinture
souvent les arts. l’activité artistiques est très sen- peuvent être plus facilement appréhendés.

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D’autre part, le marché de l’art lui-même a fait
l’objet de savantes études économétriques. D’après Publicite, mode
celles-ci, on peut modéliser ce marché par trois
strates : Cinema, media
– Le marché local, très dispersé, formé par les
galléries d’art, les foires, etc. C’est le lieu d’une
intense compétition, prix bas et d’artistes peu Beaux−arts, artistes
connus.
– La strate intermédiaire, beaucoup plus concen-
trée car formée des marchés des principaux Edition
centres artistiques (New York, Paris, Londres,
Tokyo essentiellement). C’est l’objectif des ac- Design, architecture
teurs des marchés locaux. Il comprend beau-
coup moins d’artistes, et présente une struc-
ture déséquilibrée, les artistes, marchands et Fig. 1 – Structure des industries culturelles
galléries ayant souvent beaucoup plus d’in-
formations sur la qualité de l’artiste que les
consommateurs. C’est donc un marché à infor- R : Sur le marché de l’art, les facteurs de varia-
mation asymétrique, le biais pouvant jouer en tion sont imprédictibles, surtout que le marché peut
faveur de l’artiste ou de la gallérie en fonction être influencé par la bonne promotion d’un artiste.
du type de contrat qui les unit. Certains acteurs peuvent ainsi bénéficier de rentes
– Le marché international attire le plus l’atten- de situation du fait de leur capacité à faire et à
tion du fait des prix très élevés. Il est contrôlé défaire la valeur d’un artiste.
par les grandes maisons d’enchères (Christie’s, Q : Quand le prix d’une œuvre baisse, peut-on
Sotherby’s, Phillips, etc.). Très sensible aux dire que la valeur esthétique diminue ?
manipulations, ce n’est en aucun cas un mar- R : En général, on préfère penser que c’est la va-
ché parfait. leur spéculative qui diminue, du moins qui diminue
La structure du marché élucidée, le problème est plus vite que la valeur esthétique.
maintenant celui de la formation du prix. La ques-
tion qui a surtout attiré les économistes était de 2.2 Les industries culturelles
savoir si les rendements étaient plus élevés. La ré-
ponse semble être qu’ils tendent au contraire à être Les industrie culturelles posent les mêmes pro-
inférieurs à ceux du marché des titres. En règle gé- blèmes de définition que les autres industries : com-
nérale, le marché de l’art est hautement imprédic- ment définir une industrie créative ? En fait, la
tible. Cependant, la différence dans les rendements question pertinente se pose en amont : est-il rai-
peut s’expliquer : il s’agit du prix que le détenteur sonnable d’appeler l’art une industrie ? Un certain
de l’œuvre paye pour la consommer tant qu’il en nombre d’artistes n’aiment pas ce terme, l’art étant
est le propriétaire, car on peut détenir une œuvre pour eux une passion, non un type de production de
d’art comme un investissement et en profiter en biens marchands. Pourtant, en tant qu’économiste,
même temps. Néanmoins, l’économiste bute sur les on peut étudier le marché de l’art sans porter de
facteurs qualitatifs, souvent inexplicables : on en jugement sur la nature marchande ou non de l’art.
revient au problème de la réputation des artistes, Il y a une demande, une offre, une production et
objet de modes auxquelles sont aussi bien soumis un marché. On peut donc légitiment parler d’une
les critiques, qui ne peuvent donc servir de guides industrie sans pour autant assimiler les biens artis-
objectifs. tiques aux autres biens. La question est donc bien
de savoir comment l’industriel culturelle s’inscrit
Q : En ce qui concerne les placements en œuvres dans l’ensemble de l’industrie.
d’art, les économistes ont surtout travaillé sur le Pour ce faire, on peut considérer un modèle
long terme. À court terme, il semblerait qu’on concentrique :
puisse observer des rendements très élevés. L’artiste créateur est ainsi placé au centre. Au

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fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre, la pro-
portion de l’élément créatif dans le processus de Consommateurs Galleries commerciales
production diminue. Dans Creative Industries, Ri-
chard Caves utilise les termes de facteurs créatifs Artistes
et de facteurs routiniers.
Illustrons cela par des chiffres sur la situation Galleries publiques
Education
australienne :
Part dans
Part dans Fig. 2 – Les acteurs de l’industrie des arts plas-
Secteur la valeur
l’emploi tiques
produite
Arts centraux 6% 24%
Autres indus-
46% 45% – Les consommateurs finaux.
tries culturelles
Industries liées à La multiplicité des acteurs met en lumière le pro-
48% 31% blème central des droits d’auteur (Copyright), car
la culture
les droits constituent des flux de revenus impor-
tants, alors que la musique peut être copiée pour un
Dans ce modèle, les arts sont le composant essen-
coût très faible. C’est une industrie qui fonctionne
tiel car les deux autres strates industrielles en dé-
par l’achat et la vente de droits, qui garantissent à
pendent, même si l’art ne représente qu’uns faible
la fois les revenus des auteurs et l’accès des consom-
part de la valeur de la production et une part plus
mateurs à leur production (car une entreprise n’a
importante de l’emploi. En effet, la culture est un
pas intérêt à ne pas publier un auteur dont elle a
secteur moteur de la nouvelle économie, fondée sur
acheté les droits).
l’information. C’est un secteur dynamique qui peut
engendrer de la croissance régionale. On a ainsi Au niveau international, cette industrie a trois
l’exemple du musée Guggenheim à Bilbao, qui a composantes principales :
participé à la régénération d’une région très touchée – Les industries d’édition musicale : c’est le
par le déclin des industries traditionnelles. Le sec- moyen par lequel les compositeurs et inter-
teur de la culture génère en effet nombre d’externa- prètes voient leur production diffusée. Ce sec-
lités positives, qui permettent l’installation d’équi- teur est dominée par une poignée d’entreprises,
pement hôteliers, de restauration, etc. On peut éga- dont deux sont nettement plus grosses que les
lement souligner que les industries culturelles four- autres. Ce sont donc des acteurs très puissants.
nissent l’infrastructure pour l’entrée d’autres indus- – L’industrie de l’enregistrement : consomme de
tries, en fournissant les services de base de la vie la musique éditée et la diffuse. C’est une indus-
culturelle qui rendent la région attractive pour la trie dominée par quelques très grandes entre-
main-d’œuvre qualifiée. prises (Sony, Emi, Polygram) qui représentent
Étudions plus précisément un exemple, l’indus- 80% du marché, et aux franges on trouve
trie de la musique. Il s’agit tout d’abord d’identifier une galaxie d’indépendants spécialisés dans un
qui sont les acteurs (stakeholders) de cette indus- type particulier de musique.
trie. – Les sociétés d’auteurs, qui jouent un rôle de
Dans le cas de la peinture, on connaı̂t le schéma régulation dans le commerce des droits.
suivant (Fig 2) : Dans ce jeu, les changements technologiques ont un
Pour la musique, les acteurs sont : impact rapide et important. En 1986, le CD re-
– Les artistes : musiciens, compositeurs, inter- présentait 6% des ventes, 50% en 1996, et il voit
prètes ; maintenant sa part s’éroder au profit de nouveaux
– Les agents : impresarios, etc. ; formats (DVD, MP3, etc.).
– Les éditeurs ; Dès lors, le problème essentiel pour cette indus-
– Les compagnes de disque ; trie est la lutte contre le piratage, principalement
– Ceux pour qui la musique est un bien intermé- via Internet ou les pays d’Asie du Sud-Est. Ainsi
diaire : industrie du film, etc. ; s’explique la pression qu’exerce l’OMC sur certains

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pays pour qu’ils mettent en œuvre une législation genre de musique commerciale.
protégeant les droits d’auteur. Q : La vitesse à laquelle on peut assimiler une
innovation musicale semble limiter la portée des
2.3 Culture et développement droits d’auteur, surtout quand on ne sait pas à qui
les attribuer, comme dans le cas de la musique po-
Filons l’exemple de la musique. La musique po- pulaire. Faudrait-il envisager de pouvoir breveter le
pulaire est certes un élément central de la vie cultu- patrimoine culturel d’une communauté ?
relle. Mais c’est aussi pour de jeunes interprètes R : C’est une idée intéressante, dans la mesure où
un moyen d’intégrer l’économie monétaire dans les le capital culturel génère à la fois des droits et des
pays pauvres. revenus. Mais cette question ne semble pas avoir
Dans un premier temps, la musique peut être fait l’objet de recherches approfondies.
considérée comme une forme de capital culturel
(pas au sens de P. Bourdieu) en tant que moyen
2.4 Le patrimoine culturel
de stockage et de transmission de valeur culturelle.
Pour une définition plus précise, voir supra. Les décisions de préservation du patrimoine sont
Dans un deuxième temps, la musique peut traditionnellement du domaine des historiens de
être considérée en termes économiques simplement l’art, curateurs, conservateurs de musées, etc. Ces
comme un bien marchand, et donc un moyen de experts apprécient peu l’intrusion de l’économiste
développement économique propre. dont ils pense qu’il n’a rien à dire sur les enjeux
Un genre musical appartenant à un lieu particu- symboliques de la préservation. Pourtant, dans la
lier et qui attire l’attention des éditeurs peut ren- mesure où les décisions de préservation mettent en
forcer l’économie locale. Mais ce qui arrive inévita- jeu des ressources importantes, l’économiste a son
blement, c’est que l’industrie mondiale a un impact mot à dire. En effet :
sur ces productions locale. En premier lieu, elle af- – L’économie est centrée autour des problèmes
fecte les goûts de la population locale, modifiant d’arbitrage quand les ressources sont rares, or
la structure de la demande, ce qui peut menacer on ne peut préserver tout ce que nous lègue le
l’expression de la musique locale. En second lieu, passé.
quand les entreprises locales ont atteint une taille – Les techniques de préservation sont coûteuses,
critique, elles tendent à se faire absorber par des et ces ressources pourraient être utilisées pour
groupes internationaux. C’est ainsi que le flux d’in- d’autres emplois. Cette question de l’allocation
novation musicale semble aujourd’hui aller des pays des ressources est familière à l’économie.
pauvres vers les pays riches, les premiers n’en tirant – Les consommateurs de patrimoine culturel ont
aucun dividende. Un exemple caractéristique est la des préférences propres, qui ne sont pas forcé-
Salsa, originaire des Caraı̈bes. C’est une processus ment celle des experts qui détiennent le pou-
très inégal du fait de la taille et de la puissance des voir de décision. Certes, dans la mesure où ces
groupes internationaux. Néanmoins, cela n’arrive derniers sont mieux informés, les consomma-
pas toujours, et les musiques locales sont toujours teurs peuvent désirer leur laisser le choix de
jouées, mais ne constituent plus qu’une maigre part quoi préserver. Mais en tant que contribuables,
du paysage musical d’ensemble. les consommateurs ont leur mot à dire sur la
Q : Le succès de Buena Vista Social Club fut façon dont sont utilisés leurs impôts.
présenté comme une redécouverte de la musique cu- – Une large part des bénéfices de la préservation
baine. Est-ce vrai, ou est-ce une immense hypocri- du patrimoine est versée sous la forme de biens
sie ? R : C’est un bon exemple de la récupération publics, or les économistes ont étudié les solu-
d’une musique locale. Mais il est probable que la tions au fait que le marché en prennent pas en
musique de ces gens-là, ne serait-ce que du fait de compte de telles externalités. Les externalités
leur âge, ne s’est pas affadie avec le succès. Ils conti- positives du patrimoine peuvent s’étendre très
nuent simplement à jouer comme ils l’ont toujours largement. Certains des édifices classés au Pa-
fait, contrairement à nombre d’autres artistes de trimoine mondial par l’UNESCO ont une no-
la «world music». Par exemple, le rai a perdu sa toriété mondiale, et le bénéfice de leur exis-
fonction de contestation politique pour devenir un tence profite virtuellement à tous. Mais com-

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ment faire contribuer tout le monde à l’entre- monumentaux détruits par les talibans, par
tient de ces édifices ? exemple ;
Mais souvent, quand l’économiste intervient, les – la valeur d’option, qui est la valeur que nous
autres experts peuvent qu’il va tout ramener à des attribuons à la possibilité d’aller le visiter un
considérations financières. Tel ne doit pourtant pas jour ;
être le cas. – la valeur de legs (bequest value) qui mesure
notre volonté de préserver l’élément pour les
Si les économistes veulent pouvoir discuter avec
générations futures.
les experts de la culture, il faut définir un ter-
Ces valeurs dérivent de considérations très variées
rain d’entente. Le concept qui émerge actuellement
de la part des individus, mais ces différents compo-
comme tel est celui de capital culturel. En écono-
sants vont déterminer la valeur du bien. On pour-
mie, le capital s’entend en un sens particulier. Le
rait certes reproduire ce que l’on a fait à propos des
capital physique est formé des machines servant à
arts : demander aux gens combien ils sont prêt à in-
produire des biens. Le capital humain est un capital
vestir dans la préservation du patrimoine, mais on
inclus dans les personnes. On définit également un
ne pourrait distinguer les motifs. D’ailleurs, si cer-
capital naturel, formé de l’ensemble des ressources
tains économistes pensent que cette valeur forme le
disponibles dans l’écosystème. Ceci posé, on peut
tout de la valeur d’un bien culturel, cela ne va pas
parfaitement définir le capital culturel comme l’en-
de soi. C’est même une représentation très incom-
semble des actifs culturels. On peut ainsi distin-
plète de la valeur d’un bien culturel.
guer un capital culturel tangible (monuments his-
En effet, ceux-ci ont également une valeur propre-
toriques, œuvres d’art, etc.). Ce sont des biens qui
ment culturelle qui procède d’un autre discours : va-
ont nécessité temps et ressources pour leur produc-
leur esthétique, historique, sociale, spirituelle, etc.
tion, qui peuvent faire l’objet d’investissements pro-
Le problème est qu’on ne dispose pas pour mesure
ductifs (la gare d’Orsay transformée en musée, re-
cette valeur de l’étalon extraordinaire qu’est la va-
production de peintures, source d’inspiration). À ce
leur monétaire. Demander à quelqu’un à combien
titre, le capital culturel peut être un input dans une
il évalue son identité nationale n’a pas de sens. De
fonction de production comme n’importe quel autre
plus, un grand nombre de biens culturels bénéficient
bien capital. Le question est bien de savoir ce qui
à la communauté dans son ensemble sans bénéficier
différence exactement ce capital des autres types
directement à l’individu, comme les valeurs d’un
de biens capitaux. On en revient à la question de
groupe. C’est même là une caractéristique essen-
la valeur culturelle, qui sera bientôt traitée. Mais il
tielle de la valeur culturelle que de renvoyer d’abord
faut d’abord définir le capital culturel intangible :
au groupe. Mais là, on sort du cadre de l’individua-
coutumes, traditions, valeurs d’une groupe humain
lisme méthodologique un peu étroit de certains éco-
donné. C’est le stock de caractéristiques dont cha-
nomistes. Outre le fait que les mesures de la valeur
cun hérite en tant que membre d’un groupe parti-
économique sont très imparfaites, il faut donc dans
culier. La musique et la littérature se rangent dans
les opérations sur le patrimoine prendre en compte
cette catégorie.
la valeur proprement culturelle des biens.
On peut maintenant définir à quels types de va- Le problème est alors de mesurer cette valeur
leurs ce capital donne naissance. Il y a d’abord une culturelle. On ne peut certes pas la ramener à des
valeur économique : termes monétaires, mais on peut faire l’analogie
– Valeur d’usage, par l’utilisation directe du pa- avec l’analyse du capital culturel. Dans l’économie
trimoine, le prix des visites des bâtiments his- de l’environnement, le concept-clef est celui de sou-
toriques pouvant servir d’indicateur du béné- tenabilité (sustainability). On peut l’importer dans
fice tiré par les visiteurs ; le champ de l’économie de la culture : le capital
– la valeur passive (de non-usage), qui procède culturel devrait être géré de manière à le préserver
de : pour les générations futures, en prenant en compte
– la valeur d’existence, qui la valeur que nous à la fois la valeur économique et la soutenabilité de
attribuons à un élément de patrimoine du la valeur culturelle à long terme.
seul fait de son existence, même si nous pen- On peut ainsi parler de soutenabilité du patri-
sons ne jamais aller le voir : les Bouddhas moine tangible et intangible, comme l’on parle de

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la soutenabilité (viabilité ?) d’un écosystème, éco- de considérer ces deux éléments comme les deux
système qui supporte l’économie réelle (c’est là la faces d’un marché dual des produits culturels. La
grande percée des années 1980 et 1990). De même pertinence de l’analyse économique pourrait procé-
que pour les écosystèmes, l’héritage culturel est der de cette seule problématique du processus de
une fondation (condition nécessaire) de l’économie formation de la valeur. C’est d’ailleurs plus par ce
réelle (là certains économistes commencent à grim- bais que viennent les économistes de la cultures que
per aux rideaux). de la problématique de l’allocation de ressources
Q : Quelle distinction faites-vous entre la soute- rares.
nabilité et la valeur de legs ?
R : La valeur de legs ne porte que sur la préserva-
tion du patrimoine. La soutenabilité est un concept
bien plus large, qui à trait autant à la gestion des
actifs pour qu’ils produisent des bénéfices présents
et futurs qu’à la simple préservation. Certaines per-
sonnes refusent cette perspective, en disant que les
générations futures prendront soin d’elles-mêmes en
parvenant à des solutions technologiques aux pro-
blèmes de préservation qui se poseront à elles. En
général, cet argument cache un refus de la base
éthique de la notion de soutenabilité des systèmes.
Q : Quelle est la différence entre le capital cultu-
rel et le patrimoine ?
R : Le capital culturel est un concept servant à
interpréter non seulement le patrimoine, mais l’en-
semble des actifs culturels. c’est une notion qui
porte en elle tous les outils d’analyse du capital
développés dans d’autres branches de l’économie.
Q : Vous avez parlé principalement du problème
de la préservation. mais n’y a-t-il pas aussi des pro-
cessus de destruction créatrice du capital culturel ?
R : Si vous adoptez une approche dynamique du
capital, le stock à la fin de la période inclut aussi
bien les gains que les destructions, dont celles qui
ont causé des gains plus importants. En économie,
on tend à penser la croissance comme une progres-
sion dans l’accumulation. On forge ainsi la notion
de développement culturel, avec le problème, très
discuté à l’UNESCO, de savoir si cette accumu-
lation passe par un accès plus large à la culture,
l’augmentation de la diversité de produits ou la gé-
néralisation de l’expression de contenus culturels.
Q : Quand on parle de valeur culturelle, la pro-
blématique de la ressource rare est-elle pertinente ?
R : Sans doute oui. Un aspect non évoqué de la
valeur culturelle est qu’elle se forme par un proces-
sus de transaction, comme la valeur économique.
L’artiste fournit à la fois le marché des biens cultu-
rel (où se décide la valeur économique de la produc-
tion) et le marché des contenus culturels, qui décide
de la valeur culturelle. Il serait d’ailleurs plus juste

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