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sociologie et tiers monde

FERNANDO HENRIOUE CARDOSO

sociologie
du développement
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Tous droits réservés
socio/ogie et tiers monde

FERNANDO HENRIQUE CARDOSO

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SOciologie
du dévelOppement
en amérique latine

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éditions anthropos paris
15. rue Racine. PARIS 6'
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CHAPITRE PREMIER

l ANALYSES SOCIOLOGIQUES
DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE •

Les schémas abstraits d'analyse qui dominent les


sciences sociales ont pénétré dans les études sur
le «processus de développement» aussi bien que
dans les efIorts pour' expliquer la formation des
sociétés industrieIles.
Débutant par cette notion de «développemer.'t»
déjà si ambigue par eIle-même, les analyses du
passage des sociétés agraires traditionneIles aux so-
ciétés modernes se font souvent à partir de points
de vue fondés sur des critêres qui, d'un cõté, élói-
gnent I'analyse économique des conditions sociales
de développement et d'un autre,ne voient seule-
ment que les forces sociales qui Iibêrent le proces-
sus d'ihdustrialisation ó sous-estimant I'importance de
la « structure du systême productif». De cette ma-
hiêre, le 'changement social apparait comme le résuI-
- tat d'un mécanisme dans lequel « des facteurs éco-

l * Ce travail correspond à 'un fragment du second chapitre


du livre de l'auteur, Ohef d~entrepri8e industrielle êt déve-
loppement économique au Brésil. (8ao Paulo, Diffusion Euro-
péenne du Livre, 1964;) , -, ,
8 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

nomiques» déterminés agissent pour produire un


« résultat» économique, sans aucune référence aux
modifications qui se vérifient dans les relations entre
les hommes et dans les projets d'action collective ;
ou bien le «décollage» vers la modernisation de
l'économie devient le résultat de l'interférence de -
motifs psycho-sociaux chez un ensemble d'hommes
qui tiennent le rôle « d'élite dirigeante» et qui as- r
sument les risques pour l'avenir, en essayant d'im- I
primer à toute la société la marque particuliêre ~
des desseins du groupesocial particulier aU'luel ils I
appartiennent.
Il semble alors que l'ancienne image schumpete-
rienne des chefs d'entreprise, qui dynamisent le réel,
ait été réduite à l'un des types possibles d'impulsion
du processus de développement économique et que
les nouvelles élites dirigeantes agissent avec des
variables ou des facteurs qui restent neutres en ce
qui concerne le destin final, de la société contempo-
raine: dans cette interprétatiop, l'industrialisation
n'estpas une déesse bicéphale, mais ell~ suit un
chemin fatalement tracé dans l'histoire moderne
comme les personnages de la tragédie grecque.

1. Uindustriçxlisation par étapes

Les analyses de Rostow donnent bien l'exemple


du type de point de yue indiqué plus haut, oú le
processus de déveJoppement économique est conçu
comme un ensembJe de « éhangement d'état». Cha-
que étape du développement social se caractérise par i
la maniêre qu'9nt Jes communautés d'utiliser les res-
sources économiques naturelles ou créées, pour· pas- JI
ser d'uné' sitúatión de stagnation à une situation de
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ~

dynamisme: La transition ,subit l'impulsion d'un mê-


canisme' complexe, mais qui consiste, à la base, en
une opérationéconomique simple:« en' défini-
tive, nous pou','ons convenir que l'essence de la tran-
sition peut se décrire comme' une augmentation du
taux d'investissement à u,n. niveau plus important,
qui dépasse l'accroissement de la population; ce qui
ne veut pas dire que la hausse du taux d'investis-
sement constitue .la cause fondamentale» (1),
Dans un exposé de ce 'genre, le proce~sus social
concret de transformation d'un modéle ,de sociétê·
dans un autre subit une 'dçJUple réduction: d'un
côté, l'analyse structurale du systéme productif s'an-
nule et d'un autre côté, les différences entre les
.formes possibles de, réintégration des systémes pro-
ductifs dans des genres particuliers de sociétés glo-
bales s'éliminent. En d'autres termes, le «dévelop-
pement économique» finit par se mesurer à l'aide
d'indices qui visent des relations entre d~;'x varia-
bles, l'une, morphologique (accroissement de popu-
lation), et l'autre, économique, (taux d'investisse-
ment) .. .toutes deux abstraites, dans le sens qu'elles.
n'expriment pas les formes d'être qui unissent et
régularisent socialement leurs maniéres d'exister.
Ainsi, le Venezuela et le Koweit, par ~){emple ..
présentent- de grands taux de développement; mal-
gré tout, comme on le sait, ce sont des pays ou
la majoritê de la population vit· à des niveaux sous-

1. W.W. Rostow, The stages of economic growth. A non-


communist manifesto, Cambridge, The University Press, 1960.
Nous citons, suivant la version espagnole: Les étapes de la
croissance économique. Un manifeste non_ communiste, trad.
de Rubén Pimentel, México, Fonds de CuIture, Economique,
1961, p. 34.
------------------------------------------------ ---

10 ;SOCIOLOGIE DU -DÉVELOPPEMENT EN AmRIQuE LATim:

humains 'd'existence et· OU les noyaux dynamiques


dépendent de façon directe de I'extérieur. Parallé-
lement, dans la seconde réduction, que l'onimagine à
travers les transformations sociales et I'augmentation
dutaux d'investissement, la· difÍérence qui existe est
bien peu significatlve, par exemple, entre l'indus- "I'
trialisation de la Tchécoslovaquie, dans une écono-
mie .>ocialiste et de' I'Italie, dans une économie capi-
taliste; il est certa in que pour' mesurer le degré
de charfgement, il y a assez de similitude dans le .'
systéme productif de ces deux pays pour pouvoir
les placer sur un même plan de développement
économique.
L'étape méthodologique suivante dans ce genre
d'analyse du développement est la mise en place
d'un ensemble qui varie de la société traditionnelle
à l'ére de consommation massive. En réalité, le
concept même de «société traditionnelle» pourra
être remplacé' par celui d'« économie relativement
stagnante» ; d'ailleurs, dans la définition de Rostow,
«Ia société traditionnelle est celle dont la struc-
ture se développe à I'intérieur d'une série limitée
de fonctions de production» (2), et les limites sont
d'ordre technique et économique : «,Mais le fait fon-
damental en relation avec la société traditionnelle
était qu'il existait une limite au niveau, de la pro-
duction qu'on pouvait atteindre per capita. Cette li-
mite provenait du fait que les possibilités scienti-
fiques et techniques modernes n'étaient pas acces-
sibles, ou bien, qu'elles ne pouvaient pas s'appliquer )'
de maniére réguliére, et systématique (3) ». La dé-

2. Ibid., p. 16.
3. Ibid., p. 16.
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 11

politisationde la lransformation sociale est totale


dans ce' texte' et 'l'idêe même de « sociêtê tradition'
nelle;) s'accorde mal avec l'êébnomisme dont elle
esf imbue.
Dans l'iuiályse des phases de transition rêappa-
rait, la prêoccupation qui a trait aux forces d'im-
pulsion' du dêveloppement. Donc, la caractêri'sation
abstraite des' êtapes de dêveloppement est remplacêe
par une analyse, qui prêtend être dynamiqúe, ét
dans laquelle le «moteur de l'histoire ». semble êire
le rêsultat de l'heureuse rencontre de deúx ol'dres
de facfeurs: recours naturels favorables à: l'indus-
trialisation en plus de 'la sciencemoderne et objec-
tifs sociaux capables de motiver l'action modifica-
trice des hommes (dignitê nationale, profit privê,
bien-être gênêral, meilleures' conditions de vie pour
les enfants). La conjonction favorable de ces fac-
teurs crêe les conditiOlis prêálables 'pour le « dêcol-
lage» économique, compris dans le se'ns de l'aug-
mentation gênêralisêe de la productivitê, qui s'ac-
croit 'en progression gêomêtrique grâce à: la technó-
logie scientifique et â l'intensification des investis-
sements.
A partir du «dêcollage », passêes quelques an-
nêes, l'êconomie atteint une phase de «maturitê»
qui se dêfinit essentiellement ',comme «l'étape dans
laquelle l'êconómie démontre sa capacité â dê-
placer les premiêres industries, propices à: son êlan
'initial et à: absorber et appliquer, effectivement, à:
un três vaste ensemble de ses ressources - ou à:
leur totalitê -"- les fruits les plus avancês de' lá
technologie considêrêe donc comme moderne,» (4).

4. Ibid., p. 22.
12 ,SOCIOLOGIE DU otVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

De l'étape de maturation à l'ére de consommation


massive la différence consiste dans le transfert de la
direction· du développement jusqu'au secteur des ser,
vices et des produits de consommation durables;
Dans cette étape le revenu réel per capita dépasse
les nOl'll1es de consommation de la majorité de
la population et la structure de l'emploi se mo-
difie; la production de la population urbaine aug-
mente en relation avec le total, tout comme augmen-
tent les emplois spécialisés et. les fonctions admi-
nistratives.
Pendant ce temps, dans l'analyse de «l'étape de
transition", Rostow continue de considérer certai-
nes conditions histod.co-sociales concrétes qui dis-
tinguent le passage de la société traditionnelle à la
société moderne. En effet, il y aurait deux moments
différents sur le chemin de la modernisation: la
formation des conditions préalables pour le déve-
loppement et le décollage proprement dito A l'étape
initiale, il y '11 deux modalités historiques de base.
Dal)s Ia pr!"miére, qui est le cas le plus général,
«la création .des ~ol)ditions préalables pour l'im-
pulsion initiale a eu besoin des changements fon-
damentaux dans une société ·traditionnelle bien
établie ; .modifications qui ont affecté et. altéré subs-
tantiellement aussi bien la structure sociale et le
systérne po.litiqueque les techniques de produc-
tion" (5). Dans. la seconde étape, les nations ou
le décollage a eu lieu, «sont nées libres", comme 'ij
les Etats-Unis; I' Australie, la Nouvelle-Zélande, le
Canada eb quelques autres : .« elles ne se· virent ja-
mais enveloppées par les structures politiques et les

5. Ibid., p. 30.
ANALYSE SOCIOLOGIQUE riu iitVELOPPEMENT' If:CONÓMiQUE 13

valeurs de la société traditionnelle et, 'pourtant, leur


processus de transitionvers la croissance moderne
fut .. essentiellement, de caractere technique et éco-
nomique» (6). Cependant, les conditions préalaliles
pour le dévéloppement ne se rédtiisent pas à la for-
mation de nouvelles potentialités économiques dans
un pays déterminé. Ilest ~certain - et l'analyse de
Rostow est succincte et consistante sur ée point -
qti'il filUt développer les sources de ce que l'auteur
appelle «le capital productif» ét qu'à la base, dans
sa conception, il faut augmenter la productivite de
I' agriculture et· des industi'ies des mines' pour :
1) procurer plus de produits alimentaires,
2) augmenter le revenu fiscal et obtenir des de-
vises par I'exporta tion,
3) céder une partie du revenu au secteur mo-
derne de l'économie,
et qu'il faut· enfin un «capital social fixe », sous
la forme de moye,ns de communication et de trans-
porto Mais parmi les conditions nécessaires à ce
décollage, il y a quelques «cllangements non-éco-
nomiques» parmi lesquels ressortent la formation
d'une nou"elle élite dirigeante, ainsi. que la' capa-
cité gouvernementale d' « organiser )e pays de .telle
maniere que des ma,chés commerciaux unifiés se
développent; ~il faut créer et maintenir un systeme
fiscal qui dirige les ressources du pays vers des ap-
plications mOdernes, même si c'est aux dépens des
anciens percepteurs; et montrer le chemin, dans
tous les aspects de la poli tique nationale·- depuis
les tarifs douaniers jusqu'à l'éducation et la salu-

6. Ibid., p. 30.
"14 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEME~ EN AMÉRIQUE LATlNE,

prité publique - vers la, modernisation de l'écono-


mie ·ét, la sÇ>ciét,~ dont elle fait partie». (7),
D'une maniére al1alogue, dans l'analyse du. pro-
eessus de décollage, Rostow ne se, limite pas aux
aspects é'conomiques, comme on pourrait le suppo-
ser étant donné sa' définition du développement.
Ainsi, il écrit.: «Le principe de l'élan il]itial pro- qj.'
vient d'une forte stimulation spécifique .. Celle-ci peut
adopter la forme d'une ,révolution poli tique qui a}-
'fecte directement l'équilibre du pouvoir social et les ,.
valeurs effeêti~es, la nature des insÚtutions écono-
miques, la dist~iblltion' du revenu et la, régle des dé-
penses d'investissement (8) .
.De plus, en effet l'élàn initial peut dépen-
dre de «'facteurs sociaux» :cette mêm\, caractéri-
sation de l'étape de décollage inclut, en plus de
l'augmentation du taux d'investissemeíit brut de 5
à 10 pour cent du P,N.N. (produit national net) et
du développement de l'un ou de l'autre des sec·-
teurs de manufacturesde base, un 'composant extra-
économique: «"':l'existenc"e, ou l'apparition d'une
structuration 'politique, sociale et ·institutionnelle
qui profite' de l'expansion du secteur moderne et
des effets de l'essor de l'économie extérieure et
confére à. cette croissance un caractére de conti'
nuité» (9). Done, pour l'analyse des étapes de dé'
veloppement, l'élite dirigeante apparait comme un
facteur important :on attend d'elle la dynamisation
du systéme productifet de la société.
En d'autres termes, un certain groupé·'doit 'tenir
le tôle que les protestants, guidés par l'éthiqüe cal-
7. Ibid., p. 44.
8. Ibid., p. 50.
9. Ibid., pp. 53-54.
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU, DfVEI!>~PEMENT ,fCONOMIQUE 15

viniste, 'ont joué dans Ja formation ,du. capitalisme


européen. L'élan .qui permettra la galvanisation des
forces modernisatrices de ,la société ne doit pas, se
réduire à de pures motivations de profit: «Les
criteres quLont rapport à l'obtention maximum de
I bénéfices privés ne coincident pas nécessairement
.'
avec les cri teres de taux et de norme d'accroisse-
ment. dans divers secteurs» (10). Il .doit néanmoins
exister un certain groupe :depersonnes qui se
conduise. ,comme si le mobile de ses actes était
l'obtention d'un certain profit dans une économie
dynamique, qui possede. des fonctions variables ..de
production'» ,CU), même. 'si Jes principalesentrepri-
ses à capital social fixe sont créées par l'initiative
de I'Etat, au moyen .,de stibsides.
Laissons de côté la critique, aussi tentatrice. que
facile,.qui consisterait à montrer que le modele
mêmede rationalité supposépar Rostow exprime
un mode particulier de réalisation de, la production,
quiest .\e systeme capitaliste (le texte cité dit, que
l'action modificatrice de l'équilibre traditionnel doit
être motivée par d'autres facteurs que l'idée .de pro-
'fit) , pour 'fixer notre attention sur le procédé: métho-
dologiqué qu'on suppose dans ce genre d'analyse.
A la base, la transition etle «décollage »' sont
vus comme le résultat 'de la combinaison de facteurs'
économiques. et de fucteurs extra-économiques; dont
la différence spécifique se mesure 'par. la rela-
tion taux d'investissement/croissance démographi-
que, bien que'sa.'genese dépende d'autres variables.
Cómme il n'y a pas ,de références' systématiques

10. Ibid., pp. 66-67.


11. Ibid.: p. 67.
16 SOCIOLOGIE nü DÉVELOPPEMENT EN Ã:M~IÜQUE- LATINE

au contexte de significations soéiales et à la struc-


'ture, particuliéré de la société ét du systéme 'produc-
tif des Iieux qui subirent le processus de .décollage,
la notion de société « traditionnelle » aussi bien que
cellé de « société moderne » s'appliquent à un grand
nombre detypes de formations sociales concrétes,
l/ensemble qui définit la relation entre les deux
pôles sert à c1assifier (ce 'qui n'est pas critiquable
en soi' mais est arbitraire). Le genus proximum se
«constitue par la sélection' aléatoire de variables »
(augmentation de 5 à 10 pour cent du P,N,N, comme
taux d'investisseinent brut, ou «modification de
la structure de consommation» à I'époque de con-
sommation massive, etc.,,), .dont la diversité établit
les différences entre les économies.
Les variables non écoriomiques interviennent pour
éxpliquer la dynamique qui .établit :lepa~age, d'une
étape à une autre. Pendantce temps, ellesagissent
comme « condltions» pour, la production d'un effet
déterminé (Ia modernisation) déjà contenu dans le
schéma général de l'ensemble.
C'est seulement incidemment, comme dans le, cas
de I'analyse du «,nationalisme », qu'i1 est fait réfé-
rencé à la structure de domination et à la compé-
tition dans le marché international. Mais, même
dans ce cas, le «nationalisme économique» s'in-
corpore comme un ersatz des raisons de type « éthi-
que calviniste» nécessaires pour pousser legroupe
dirigeant dans le sens de la modernisation.
Ainsi donc, la lutte pour l'indépendance natio-
nale est' la condition essentielle et préalable du dé-
veloppement, celui-ci pouvant être remplacé par
tout autre type de motif. li n'y aura aucune relation
nécessaireentre un stimulus déterminé et un résul-
I,
"
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU':DJ!:VELOPPEMENT J!:CONOMIQUE 17

tat pariiculier dans le systême productif. N'importe


quel genre de stimulus débouche sur la « moderni-
sation », et, comme I'analyse retombe sur les pha-'
ses de ce processus, les types de stimulation entrent
dans I'interprétation comme ,un mal nécessaire:
supposons un Dieu sans intention définie, 'Ie monde
existant déjà; les lois qui le régiraient ne résul-
teraient pas de la nature de la divinité mais de la'
force incoercible de la créature.
Donc, l'analyse n'est pas typologique dans le sens
weberien, puisque I'idée de genus proximum, diffé-
rence spécifique, empêche la définition de contextes
significatifs, et que, par son arbitraire, le schéma ne
s'appuie pas sur l'idée de probabilité objective ; elle
n'est pas non plus structurale; puisque 'Ies relations
nécessaires entre les variables qui définissent la
structure des étapes de développement ne sont pas
évidentes; elle n'est pas marxiste, puisque ce livre'
est une «réponse à Marx»: à l'empirisme de la
« preuve », qui consiste en unesélection d'exemples"
la méthode de Rostow ajoute Ufl.. psét.ido'f6rmalisme
descriptif (qui parait être l'effortthéorique maxi-
mum auquel arrivêrent les analyses de ce genre
comme revers de l'empirisme), 'dans lequel la juxta-
position de variables abstraites se substitue à la ri-
gueur de I'enchainerrient des propositions.

2. Uindustrialisation comme systeme

Comme couronnement d'un tel effort pour expli-


quer la formation des' sociétés industrielles moder-
nes, les travaux' sur le' mécanismede fonctionnement
-et"de stabilisation du «systême indusfriel» de, vie
proposent d'établir une typologie de ces sociétés.

2
18 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

L'exemple le plus remarquable ,et peut-être le meil-


leur de ces analyses est le travail collectif or-
ganisé par The lnter-University ,Study of Labour
Problerns in Econornic Developrnent. Voyons les ré-o
sultats généraux des recherches effectuées, conte-
nus dans Harbison et,Myers (12), et dans Kerr (13).
Contrairement, à l'étude de Rostow, dans laquelle •
les cC'nditions 'naturelles, économiques et démogra-
phiques constituent la préoccupatioq dominante,
de ces recherches, la problématique central e
porte sur le «'facteur humain» considéré sociolo-
giquement. Les auteurs partent de la vision métho-
dique de l'existence de certaines conditions uni ver-
selles qui se manifestent dans n'importe quelle
société industrielle et qui prod1.lisent un type,
d'homme nouveau: «L'homme de cette nouvelle
société industrielle ,posséde une meilleure éducation,
jouit d'une meilleure santé, vit plus longtemps et
dispose de plus' de temps libre que les membres des
sociétés traditionnelles. Son niveau de vie est 'maté-
riellement supérieur et il désire obtenir toujours
davantage de cette société en cours d'industrialisa-
tion» (Kerr et d'autres auteurs, page 26) (14).
Il y aurait donc une logique de l'industrialisme

12. F. Harbison et'C.A. Myers, Management in the industrial


world. An international analysis J New York, Mac Graw-Hill,
1959.
13. G. Kerr, J.T. Dunlop, F.H. Harbison et G.R. Myers, In-
dustrialism, and industrial mano The problems of labor and
management in economic growth J Cambridge, Harvard Uni-
versity Press, 1960.
14. Naus citons suivant la version espagnole: L'industria-
lisme et lJhomme industriel. Les problêmes du travail et la
direcÜon dans 1e développement .économique, trad. par Rolando
qonz~lez Zanzani, Bs, As., ,~udeba, 1963, p. 26.
ANALYSE SOCIOLOGIQUE nu DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 19

qui assurerait des traits communs au cours et aux


effets" de la transition des sociétés traditionnelles
aux sociétés industrielles. A la base, les modêles uni-
versels de l'industrialisme résultent du caractêre des
méthodes de production eL de distribution mises en
pratique dans la civilisation industrielle et réglées
par la science et par la technique": «Les change-
ments continus dans la science, Ia technologie, et Ies
méthodes de production inhérentes ,á l'industrialisa-
tion ont une série de conséquences décisives pour Ies
travailleurs, les gérants, I'Etat et leurs relations ré-
ciproques» (15).
Parmi les traits communs des "systêmes produc-
tifs industriels dans n'importe quelle société, il y
a donc, parmi ceux qui se réfêrent aux travailleurs :
1) une variété de spécialisations et une abondance
de professionnels compétents,
2) une mobilité sociale et une société ouverte, en
fonction des échanges continus dans le systême pro-
ductif,
3) la formation de systêmes d'éducation en rela-
tion fonctionnelie avec les impératifs de la techno-
logie moderne, capables d'accroitre le niveau" général
de l'instruction scolaire,
4) une différenciation ac~~ntuée de Ia structure de
la force de travail.
L'industrialisation impose á l'ensemble de la so-
ciété :
1) une urbanisation croissante,
2) une action des gouvernements sur une grande
échelle,

15. Ibid., p. 42.

~
20 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

'3) la formation d'un ensemble de lois qui reglent


les relations entre administrateurs et administrés
,de maniere à ce 'que la ~ociété industrielle soit le
résultat d'un accord général en ce qui concerne les
valeurs de base ,de la civilisation industrielle.
A savoir:
a) respect pour la ,technique et pour la science,
b) démocratisation de l'éducation,
c) généralisation de l'effet de démonstration qui
permet l'espoir constant de vivre conformément aux
modeles les plus élevés de l'existence,
d) culte du travail.
Par la formation de sociétés ,industrielles, on
arrive à trouver la solution aux problemes de
population et la création d'une espéce de «un
monde unique» (The industrial society is an
integrated world, to use Myrdal's phrase, disent les
auteurs) ; cette unité dérive du fait que la science
et la technique manquent de frontiéres 'nationales.
Cependant, à l'unité assurée par la technique mo-
derne de production, commune à toute société
industrielle, s'oppose la diversité des stratégies
des élites dirigeantes et la particularité des cultures
des différentes sociétés traditionnelles. Le proces-
~us d'industrialisation implique, comme le ,prouvent
les caractéristiques communes à toutes les' sociétés
industrielles, une transformation des anciennes cul-
tures. Celles-ci sont affectées à cinq niveaux fon-
damentaux:
1) le systéme familial,
2) la structure de classe et de race,
3) les valeurs éthiques et religieuses,
4) l'ordre juridique,
5) le concept d'Etat-Nation.
ANAL YSE SOCIOLOGIQUE nu ntvELOPPEME~ tCONOMIQUE 21

Les cultures traditionnelles oupréexistantes li-


mitent le processus d'industrialisation, même' si
elles ne constituent pas des obstacles insurmonta-
bles. Elles affectent le genre d'orientation que les
élites dirigeantespeuvent donner à la marche vers
l'industrialisation, elles se font sentir dans le rythme
du processus de changement et, finalement,elles in-
fluent SUl' les mécanismes par le moyen desquels
les transformations se réalisent.
On remarque dans la conception de ces auteurs
que deux facteurs appal'aissent qui conditionnent le
.processus d'industrialisation : les nécessités :impéra-
tives et universelles du «type de pl'od~ction» et,
dans une acception suffisamment large de culture
qui englobe la structure sociale et juridique, les ré-
sistances opposées par la culture traditionnelle.
Comme médiation entre les forces universalistes,
représentées par la science et par la technique et
les résistances particularistes, offertes par les cul-
tures traditionnelles, apparaissent les élites dirigean-
tes avec leurs stratégies.
Pour remplacer .l'ancienne idée que l'industrialisa-
tion résulte' de l'action des entreprises qui se dé-
veloppe aU niveau du marché, le~ auteurs proposent
cinq types de groupes capables de donner une, im-
pulsion au processus de transformation, chacun
d'eux motivé par d~s stimulations ét dés valeurs
différentes et, jusqu'à un certain point, prétendant
obtenir des résultats différents, en ce qui concerne
la forme de la société, mais produisant réellement,
'tous, un Brave new world, devenu familier et
routinier, sans enchantements mais aussi sans pé·
rils: la Société industrielle ,des masses.
Les cinq types d'élites dirigeantes capables de

."lI
"
..
22 SOCIOLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

donner l'impúlsion à l'industrialisation seraient:


1) les élites dynastiques,
2) les classes moyennes,
3) les intellectuels révolutionnaires,
4) les administrateurscoloniaux,
5) les leaders nationalistes.
Chacun de ces types d'élite développe une straté- r~
gie au moyen de laquelle il prétend modeler la so- 1.'
ciété future et lui donner une forme consistante et
compatible avec les idéaux qu'il se propose.
Les administrateurs coloniaux, cependant, consti-
tuent un type transitoire d'élite créatrice; car ils
manquent, de par leur situation et de par leur vi-
sion du monde, des possibilités de développer des
formes culturelles durables.
Les cinq groupes dirigeants qui constituent les
types de base des «moteurs» du processus d'in-
dustrialisatiol1 se différencient entre eux par nom-
bre d'objectifs, de façons d'agir et de façons
d'établir des relations avec les autres groupes so-
ciaux.
Malgré tout, dans la. mesure ou la «logique de
l'industrialisation » impose l'accomplissement de cer-
taines conditions poul' que le processus suive son
cours normal, elle provoque des résultats semblables
en ce qui concerne la création d'un accord caracté-
ristique des sociétés industrielles et les transforma-
tions dans le mode de vie des, peuples qui les in-
tégrent. De' cette maniére, les stratégies particu-
liéres des diverses élites finissent par produire le
Systéme industriel qui redéfinit les aspirations des
hommes qui l'ont créé.
Dans ce genre d'explication du processus de chan-
gement des sociétés industrielles, réapparait, bien I
ANAL YSE SOCIOLOGIQUE nu DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 23

que sous une autre forme, le « schématisme ,àbs-


trait» que nous remarquons chez Rostow: ce ne
sont pas des « facteurs» qui opérent aveuglément
sur des conditions déterminées, mais, en apparence',
ce sont les desseins humains présentés en eux-
mêmes, c'est-à-dire sans l'analyse des 'conditions ,de
leur articulation, en tant que mobile de l'histoire.
A l'ensemble des étapes, succéde uÍldualisme plus
sim pIe 'de « situations d'existence» (société tradi-
tionnelle, société industrielle), dont le « passage»
dépend des élites dirigeantes. En plus de cela, non
seulement les élites sont arbitrairement sélection'
nées (pourquoi par exemple ne pas distinguer dif-
férents 1:ypes de nationalisme ou discerner, parmi
les « intellectuels révblutionnaires », ceux d'extrac-
tion et d'órientation « aristocratique» des «popu-
listes », et ainsi de suite ?), imais elles n'ont rien à
voir avec le destin final du systême auquel elles
donnent l'impulsion; en vérité, sous le masque de
la diversité des stratégies et de la variabilité des
'cultures, le ressort du processus d'industrialisation
devient de fait la technologie scientifique moderne,
qui, plus que la logique, est à la rigueur I' « ontolo-
gie du systême ».
Par conséquent, quand bien. même ce type de vi-
sion est plus riche, en ce qui concerne l'analyse' de
la dynamique sociale à laquelle il se réfêre, que
celui dont nous avons discuté en premier lieu par
rapport à· l'intégration de la stratégie des groupes
qui sont dans la phase d'industrialisation, il est
d'un autre côté plus pauvre en ce qui 'a trait aux
conditions de l'industrialisation; les deux ont en
commun le défaut d'isoler un aspect du processusde
changement de l'autre.

~
•• ~._-_. _--"':'-T'--

24 SOCIOLOGIE DU DfvELOPPEMENT EN AM~RIQUE LATINE

Evidemment les auieurs 'sont conscientsdu fait


que le processus de. croissance industrielle et que la
modernisation de Ia sociétédépendent des conditions
économiques et politiques établies et créées par les
hommes ; .mêmes'ils supposent que, dans le genre
d'analyse qu'ils font, il est possible d'écarter •
Ces conditions pour s'intéresser aux « modéles uni- .,:7
ver:;els du systéme industriel de production ». ét aux '1i
forces sociales qui .libérent le processus d'industria-
lisation; comme si elles étaient indépendantes des
formes concrêtes de domination sociale en vigueur
et 'des relations économiques entre lespeuples. Une
fois de plus la validité .théorique de cette réduc-
tion est, en vérité, la conception sous-jacente de
toute cette 'analyse : les motifs et les buts sociaux
des groupes qui déclenchent eindustrialisation en-
trent dans le schéma d'interprétation comme « con-
ditions» nécessaires bien que variables (d'oú
les différents types d'orientation possiblesl, et in-
,dépendantes du processus qui imprime réellement du
dynamisme à l'histoire (qui pour ces auteurs est la
production rationnelle, de base scientifiquel et, pour
cela, même, indifférentes aux résultats de l'action
qu'elles déchainent.
Cette interprétation est d'autant plus certaine que,
dans le chapitre final de IndustriaZism and Indus-
·triaZ Man, aprés l'analyse succincte de certains fac,
teurs particuliers qui expliquent la différenciation
.entre les éli tes dirigeantes (la société préexistante,
les caractéristiques géographiques, le stade histori-
que de. chaque société et les péripéties de l'histoire 1
et aprês avoir discuté des facteurs différentiels des
systémes industriels (oú on fait référence aux sta-
des du développement en tant que source de. diver-
ANALYSE SOCIOLOGIQUE·DU D~VELOPPEMENT ~CONOMIQUE 25

sité) , les auteurs arrivent à 'une «conception dyna-


mique» des sociétés .industrielles. Or, le. dynamisme
est dqnné par la lutte entre attributs tout aussi
universels dela condition humaine, qui poussent
vers la diversité, et l'uniformité croissantes impo-
sées par la technologie. «U:ndustrialisme pluraliste
n'atteindra jamais un équilibre final.· La lutte entre
les forces de l'uniformité et de la diversité devra
lui donner vie, mouvement et changement. C'est une
bataille qui. n'arrivera jamais ,à, une solution dé,
finitive. Une autre batailleéternelle sera celle qui
se développe entre le chef et l'employé dans toute
l'ampleur des hiérarchies qui partageront le monde;
des conflits mineurs se développeront continuelle-
ment sur toute I'étendue du panorama social. Les
thêmes d'uniformité et de diversité, de ,chefs et de
stibalternes qui partagent le monde d'aujourd'hui le
caractériseront aussi demain. Il y aura de constants
réajustements entre ces thêmes en éternel couflit,
mais il n'y al!ra pas de solution permanente. Ils
constitueront les fils' éternels 'de l'histoire: l'uni,
formité qu'apporte la technologie et la diverslté
qu'améne l'individualité; l'autorité qui émane des
chefs et la rebellion, même devenue muette, qui
trouve son origine chez ceux qui 'sont dirigés.
Ces fils du conflit continueront même iorsque la
guerre des classes et Ia lutte autour de la confron-
tation de l'initiative privée et de l'initiativepubli-
que, ainsi que la bataille entre '.ies idéologies monis-
tes et atomistiques auront été dépassées, enterrées
sous )es couches sédimentaires de l'histoire» (16).

16.- Ibid., p. 308.


26 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

Les oppositions entre les groupes dans les socié-


tés industrielles '.seront «naturelles» et non pas
« sociales'» : ,dominés et dominateurs se' transfor-
ment en administrateurs et administrés, comme si
ces deux catégories exprimaient des façons d'être
inhérentes à des «types naturels d'hommes» ; et
enfin, la « grande opposition »' subsistera seulement
entre la machine qui uniformise et l'homme qui
diversifie. Pendant ce temps, dans la nouvelle so-
ciété, la, problématique de l'aliénation n'existera
plus, même sous sa forme la plus rudimentaire,
c'est-à-dire l'homme face à la machine, indépendam-
ment des conditions sociales et de la structure qui
les insere dans un contexte économique et social
déterminé.
De fait, dans la société industtielle, bien que les
auteurs préviennent, que utopia never arrives :« Le
monde .sera pour la premiére fois' un monde totale,
,ment lettré (alphabétisé) . Ce sera la société de
l'organisation (organizationsociety), mais elle
n'aura pas besoin d'être peuplée par des « hommes
de )'organisation» (organization men) dont les vies
seront totalement réglées par leurs rôles et leurs
occupations ».
Le rêve de. jeunesse de Marx doit se réaliser dans
le meilleur des mondes, obtenu par différentes voies,
parmi lesquelles celle qu'il a entrevue - la lutte
dés classes - aura éte, malgré tout, la plus pénible
de toutes. La domination de classes et de nations
sera balayée par ,le soufle de la «Iogique de l'in-
dustrialisme », et la relation administrateurs-admi-
nistrés aura une signification politiquement 'neutre
dans la' civilisation de l'abondance, ou celui qui au-
jourd'hui est pêcheur, demain deviendra chasseur,
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 27

réalisant, loin de la contrainte des statuts profes,


sionnels, l'essence de l'homme; qui sera' peut-être
I'H omo 'ludens. Pour atteindre à de telles grandeurs,
la stratégie variable. des élites dirigeantes sera sa
propre. dupe conduite par le fil d'Ariane de la 10-
gique de l'industrialisme.

3. Modeles et ·histoire

n est indéniable que les formules courantes sur


le processus d~ développement, dans le genre de
celles que nous avons étudiées, gardent quelque
chose de vrai et que, peut-être à cause de cela, elles
exercent une certaine fascination sur les chercheurs
en sciences sociales : l'expansion croissante de l'in-
dustrie et les modifications 'dans la structure des 50-
,ciétés industriellesfont revivre l'idée de la possi-
bilité d'universaliser.la civilisation industrielle.
D'un autre côté, les théorlciens non - marxistes
du «développement », dont fait partie Schumpeter,
avaient limité le «décollage », et la continuité du
processus d'industrialisation, à la sphere économique
de la 'vie sociale et âv'aient restreint à une 'classe
ou à un type de fonction sociale dans le sein de
cette classe, la possibilité de pousser la société vás
l'industrialisation: la bourgeoisie et les chefs d'en-
treprlses résument, par leur histoire, la saga de la
civilisation capitaliste industrielle, des cendres de
laquelle le prolétariat surgira peut-être avec, en
héritage, lâ possibilité defaire avancer la production
moderne.
Dans les conditions présentes du monde, l'idée
des étapes nécessaires pour faire revivre les «elas-
c ., . , , , • •
"28 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMl!:R~QUE LATINE

ses» et les « types d'homnie» capables de répéter


dans les « pays en développement » l'histoire du ca-
pitalisme"occidental semble être définitivement aban-
donnée : du 'sous'développement au 'développément il
y a, 'des chemins qui ne passent pas par la voie du
capitalisme. Les liens de fait entre: la bourgeoisie
- les chefs d'entreprises - et le développement in-
dl:striel étant ainsi rompus, la version kaléidoscopi-
que du processus de transformation sociale a pu
voir son cours facilité : le processus 'est représenté
par la technologie scientifique et par le foyer de
projection qui permet 'de multiples combinaisons.
Cette version a été incarnée par l'idée de «civili-
sation industrielle ».
Schumpeter lui-même, face aux transformations
de l'économie capitaliste moderne, admet la fin de
la bourgeoisie et des chefs d'entreprise. Dans le
marché dominé par les grandes compagnies, le ca-
pitalisme donnerait lentement, origine à. Ia civilisa-
tion ,capitaliste. Le systeme de, la libre entreprise
succomberait ainsi à une mort technique et non
.pas poli tique, mais en tous cas définitive, qui per-
.mettrait 'lá réalisation totale de ,Ia « civilisation
Índustrielle » • « Pour résumer .cette partie de notre
these : si l'évolution capitaliste- le « progres »
cesse d'exister ou s'automatise completement, la
base economique de la bourgeoisie industrielle se
réduira en définitive à des salaires analogues à ceux
qui se payent pour le traván administratif courant,
à l'exception des .résidus de quelques rentes et de
quelques gains de monopales, qu'il faut s'attendre
à vair se prolonger pendant un certain temps.
« Comme l'entreprise capitaliste ,tend, en vertu de
ses investissements; à 'automátiser le progres, naus
ANALYSE SOCIOLOGIQUE nu n'ÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 29

en concluons qu'elle tend à devenir superflue, à


s'effriter sous la pression de son propre succes,
«L'uni'té industrielle géante, parfaitement. bureau,
cratisée, non seulement déloge la petite et moyenne
entreprise et exproprie leurs propriétaires, mais fi-
nit aussi par déloger le chef d'entreprise et par
exproprier la, bourgeoisie en tant que classe, qui
dans ce processus est en danger de perdre non seu,
lement sa rente, mais aussi, ce qui est infiniment
plus important, sa fonction » (17),
L'histoire et la réflexion sociologique ne vont pas
pendant ce temps pari passu; les modifications
prévues ne se produisent passous la forme
esperee, Face à la multiplicité du réel, 'i! semble
que le recours interpré~atif utiiisé l'ait été chaque
fois un peu plus, la construction de modeles abs-
traits capables de retenir des variables simples et
universelles qui, par ces caracteres mêmes, suppor-
tent 'la preuve de l'histoire:' de «réduction» en
« réduction » les théories de la transition se rappró-
chent de l'ineffable de la sociologie systématique~
expliquant' avec elle des processus differenciés qui,
par leur nature, sont historico-sociaux, Le' résul-
tat de ceci a été d'éliminer peu à peu, en plus
de la préoccupation des «pourquoi», la préoc'
cupation de la «nature» des procéssus sociaux
servant à maintenir le «comment» des combinai~
sons possibles 'entre variables abstraites,

17. J.A. Schumpeter,9apitalism, Socialism and ,Dernocracy;


London, George AIlen et Unwin; 1947.. Nous citons selon la
version espagnole: Qapitalisme, Socialisrne et Démocratie,
trad. de José Diaz Garcia, México, Aguilar, 1952, p. 187.

"
30 SOCIOLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN, AM~RIQUE LATINE

Pour conserver les formes adéquates des schémas


interprétatifs, ces théories ont appauvri les expli-
ca tions sur la «transition» des sociétés tradition-
nelles aux sociétés modernes. N on seulement le mé-
cánisme de transformatibn a pris des formes abs-
traites (c'est-à-dire: qu'on a l'habitude de le voir
comme un jeu de facteurs qui 'ne sont pas unis
entre eux par des liens nécessaires et qui n'expri-
ment pas et n'impriment pas au processus social
une façon d' être particuliére), mais ces mêmes situa-
tions sociales de départ et d'arrivée doivent se fon-
dre dans des concepts généraux qui ne gardent rien
des conditions concrétes de la vie sociale.
Le cadre de référence de Parsons sur les orien-
tations alternatives de base pour l'action, dans le-
quel sont énoncées les cinq paires fondamentales de
« pattern variables» (modéles de variables) de défi-
nition des rôles (role definition) (18), peut servir
alors de base théorique pour la caractérisation des
«sociétés traditionnelles» et, des «sociétés moder-
nes ». Même un auteur comme Hoselitz, qui est
d'accord sur le fait que « l'aspect crucial d'une théo-
rie ,du développement économique ~ distincte, d'une
théorie du reyenu et de l'emploi - est, comme
nous l'avons indiqué ,antérieurement, la nécessité
d'expliquer la transition d'un état de sous-dévelop-
pement à un état de progrés» (19), et qui en arrive
à douter de la portée des explications abstraites sur
le développement fondées sur la théorie de la « so-

18. T. Parsons, The social system J Glencoe, The Free Press


1951, pI>. 66-67. (11 y a une version espagnole )
19. Bert F. Hoselitz, SOCiological aspects 01 economic
growth J Glencoe, The Free· Press, 1960, p. 28. (11 Y. a une ver~
sion espagnote)
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENr ÉCONOMIQUE 31

cial-deviance» (20) ,surement parce qu'il pense, que


«la forme de transformation sociale qui est appli-
cable, à n'importe quelle société, peut être seulement
déterminée par une analyse três méticuleuse de son
organisation sociale et des forces qui, en elle, ten-
dent à, stimuler sa croissaIÍce économique» (21), ac-
cepte cependant des critêres abstraits pour caracté-
riser les, sociétés traditionnelles 'et les sociétés mo-
dernes. Dans l'analyse des relations entre structure
sociale et développement économique, par exemple,
il laisse de côté, les relations entre «culture et so-
ciété» et ajoute l'analyse économique tout courf
(du type de: «economic development is measured
by the growth of per capita real output of a so-
ciety )!). L'attention spéCiale qu'il apporte «à quel-
ques aspects seulement du comportell)ent social qui
gardent une certaine signification pour l'activité
économique, particuliêrement lorsque ces activités
affectent des conditions' qui peuvent influer ou pru-'
voquer des changements dans la production des
biens et des services d'une société» .(22),
D'un point de vue typologique, les « sociétés sous-
développées» et les «sociétés avancées» se distin-
guent analytiquement par l'application de trois des
cinq modêles alternatifs de Parsons:
a) l'élection parmi les modalités de l'objet social,
polarisée entre « réalisation» (sociétés avancées) et
« adscriptions» (sociétés sous-développées),
'b) l'option entre des types de standards d'orien-

20. Ibid., p. 57- et suivantes.


21. Ibid:; 'p. 82.
22. Ibid., p. 30.
32 SOCIOWGIE DU DtvEWPPEMENT EN AMtRIQTJE LATINE

tation, de choix de valeurs polarisées entre «uni-


versalisme » et «' particularisme »,
c) la définition de finalitéd'intérêts dans l'objet
économique quand la polarisation existe entre « spé-
cificité» et « diffusivité» (difuseness).
On peut ajouter à ces trois modéles un autre cri-
tere parsonien, qui se référe au dilemme entre l'in-
térêt privé et l'intérêt collectif, qui se polarise en
valeurs «d'orientation individuelle» (self-orienta-
tion) versus «orientation collective ».
A partir de ce schéme, Hoselitz pense caractéri-
ser sociologiquement les économies «avancées» et
« sous-développées » : en résumant l'analyse des as-
pects socio-structurels de la différenciation entre
économies « avancées» et « sous-développées », nous
pouvons dire qu'il est permis d'espérer que les pre-'
miéres offrent des normes à prédominance univer-
saliste dans la détermination du processus de sélec-
tion en vue de la réalisation des rôles' économiques
les plus ,importants; que ces rôles soient par eux-
mêmes fonctionnellement tres spécifiques; que les
normes prédominantes au moyen desquelles le pro-
cessus de sélection pour ces rôles est ordonné,se
basent sur le principe de « réussite» (achievement)
ou de « réalisation» (performance) et que ceux qui
détiennent les positions dans l'élite dirigeante et
même dans d'autres élites, malntiennent des rela-
tions avec les objets sociau~ de signification écono-
mique. orientés par l'idée de «collectivité ». Dans
une société sous-développée, en revanche, le parti-
cularisme, la diffusivité fonctionnelle et le principe
d'adscription prédominent en tant que régulateurs
des relations socio-structurelles, spécialement dans
sa dimension économique ; l'orientation des acteurs !
I
;1
1

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li
!I'
i
ANALYSE SOCIOLoGIQUE OU DÉVELOPPEMENT· ÉCONOMIQUE 33

dans les rôles d'influerice' ,éconófuique 'se 'détermine


de maniére prédominante, en considération de
l'ego (23).
Le pr()bléme qui subsiste aprés avo ir, caractérisé
les deux types, de sociétés, pense Hoselitz, est celui
du mécanisme de changement. A ce niveau, l'expli-
cation acquiert i:I'autres contours méthodologiques:
du niveau structurel-abstrait de l'analyse (parmi les
sociétés sous-développées, par exemple, on va des
«groupes archaiques» :- qui, par définition, ,ne
changent pas - jusqu'aux pays comme ceux de
I' Amérique Latine), on passe à la réponse à trois
questions de base, qui impliquent non seulement
un type particulier de société et de civilisation,
mais qui présupposent" des alternatives histo-
riques (24).
a) Quels sont les aspects particuliers de compor'-
tement divergeant en termes de valeurs' d'une cul-
ture «traditionnelle» et «non industrialisée » qui
altérent l'équilibre du systéme traditionnel ?
b) Quel groupe d'individus dans une culture dé-
terminée peut et devient le porteur du comporte-
ment innovateur ?
c) Ce groupe apparait-il' comme une conséquence
d'un ensemble socio-structurel particulier de' la cul-
ture dans laquelle il a son origine, ou est-il socio-
logiquement marginal ?
Parmi les réporises, éertaines sont simplistes, elles
font appel à des hypothéses qui, d'aprés nous, doi'
vent s'assujettir à beaucoup d'autres recherches pour
expliquer le changement 'social, mais qui, de toute

23. Ibid., pp. 41-42.


24. IbiCl., pp.,46-50.

3
34 SOCIOLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN AMtRIQUE _LATINE

façon, retiennent des aspects significatifs du com-


portement social effectif : '
a) la plus grande énergie pour altérer l'équilibre
traditionnel vient des «plans» pour le développe-
:ment économique,
b) il faut faire une redistrihution du pouvoir dans
les pays sous-développés pour que les anciennes éli-
tes éconómiques, qui détiennent aussi le contrôle
politique, laissent la place à une nouvelle élite. C'est
seulement de cette maniêre que, le nouveau leader-
ship économique aura accês au pótivoir.
De toute maniêre, la nouvelle élite doit avoir oc-
cupé une position de marginalité ethnique, linguis-
tique ou sociale, dans la vieille société.
Dans le noyau des recherches et des réponses,
dans lesquelles Hoselitz passe du plan des orienta-
tions valorisantes en ce qui concerne l'action éco-
nomique, au plan des caractéristiques spécifiques
des groupes sociaux innovateurs et au plan du sys-
tême de pouvoir, réapparaissent, de façon plus
concréte, certains problêmes dont l'exposé implique
une critique sévére de l'idée abstraite de « moderni-
,sation », sous-jacente dans les analyses du passage
de la société traditionnélle à la société industrielle,
passage conçu comme I'effet d',une opération entre
variables et alternatives d'action qui «affectent»
la structure de la société. Pour insuffisante qu'elle
soit,. I'idée de planning à laquelle recourt Hoselitz
pour expliquer I~ décollage, et pour vagues que
soient. ses références à la dynamique des élites du
pouvoir, I'idée du planning exprime, en même temps,
le dessein de rationalité et la possibilité d'option
(c'est-à-dire, modification dans la direction de quel-
ANALYSE SOCIOLOGIQUE ou OÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 35
qué chose), qui permettent dé caractériser ·en ·ter-
mes concrets I'idée de «modernisation» et les
références à la dynamiquedes' ·élites du pouvoir
donnent un corps historico-social ·concret à' I'os'
sature de la transition; sans référence aux situa-
tions de domination, qui .expriment et impliquent
un type déterminé de relations de production, le
concept de développenient devient un euphémisme
de la notion de« retard culturel. », d'autant plus
inutile que cette notion est appliquée à des grou-
pes dont l'histoire ne dépend pas de la relation avec
les économies déjà développées, comme c'est le cas
des groupes primitifs. C'est peut-être pour cela que
dans un essai· postérieur à ceux:indiqués plus haut,
Hoselitz propose une classification des modéles de
croissance économique ou il y a au moiris. l'inten-
tion d'intégrer à l'histoire les modéles abstraits,
sans faire de celle-ci, à I'opposé, un déroulement de
cas particuliers d'explication fermée en 'elle-mêine :
«si I'on pouvait prévoir quels changements seraient
possibles dans un pays actuellement sous-développé
et quels obstacles on rencontrerait dans son pro-
cessus de développement, nous pourrions avoir des
modéles plus solides et plus concrets que ceux que
peut nous procurer une. théorie qui rassemble quel-
ques variables trés générales de maniére purement
abstraite» (25).
Pour atteindre cet objectif, Hoselitz propose la
distinction de trois ensembles de dichotomies, selon
que le développement sera régi par les modéles sui'
vants:

25. Ibid., p. 86.


36 sçCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN, AMÉRIQUE LATINE

a) expansionniste (incorporation de nouveaux ter-


ritoires) .ou intrinseque (combinaison interne de. re-
cours matériels relativement. rares avec un capital
additionnel et un travail abondant),
b) dominant (nation économiquement autarchique
et indépendante 'des nations étrangeres) ou 'satellite
(nation.qui reçoit du dehors les capitaux pour les
investir en produits d'exportation),
c) autonome (quand les .décisions qui affectent
la croissance économiquedépendent d'individus qui
ne détiennent pas le pouvoir 'politique) ou induit
(quand les décisions économiques sont déterminées
par une agence centrale de planning) o
La combinaison' de ces orientations du dévelop-
pement. donne comme résuItat la construction de
huit types idéaux du processus de croissance éco-
nomique:
a) expansionniste, dominant, autonome (U.SoA. de
1830 à 1890),
b). expansionniste, dominant, induit (UoR.SoSo de
1928 à aujourd'hui),
c) expansionniste,sateIlite, autonome (Australie
depuis 1914 ou Canada depuis 1900),
d) expansionniste, sateIlite, induit (Mandchourie I
sous la domination japonaise, Congo belge, Colo-
nies portugaises),
e) intrinseque, dominant, autonome (Franceou
AlIemagne au XIX' siecle), ,i
f) intrinseque, dominant, induit (Japon ou Tur-
quie depuis 1922),
g) intrinseque, sateIlite, autonome (Danemark et
Suisse avant 1914),
h) intrinseque, sateIlite, induit (démocraties po-
pulaires de I'Europe de I'Est) o
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU,D~VELOPPEMENT fCONOMIQUE 37

Comme jeu de variables qui décrivent des situa-


tions qui ont déjà existé et sans vouloir englober
dans l'analyse de hí structure du développement
la relation entre les fins poursuiviés 'par les groupes
qui assumerit la direction, "du développement et
lê résultat dtiprocessus d'industriàlisation, les
liens entre ces «paires de variables» sOnt beau-
coup plus complexes, puisqu'i!s' commencent à dis-
tinguer des relations entre les variables capables de
produii'e destypes de développement (forme de pro-
cessus '+ 'degré d'autonomie économique '+ type
de développement). '
'Les modéles, pour 'complexes 'qu'i!s soient, ne ré-
solvent pasle probléme de l'histoire entrevu par
Hoselitz: En vmilant dónner',« chair et muscles » au
« squelette » des modéles, Hoselitz introduit de nou-
velles variables, comme si la concrétion de; l'histoire
faisait suíte à la somme des relations 'abstraites.
Devant le fantasme des' pluralités historiques
.concrétes et irréductibles, ,i! a fait appel à la mui'
tiplicité de variables indifférenciées qui,même s.i
elles réduisent le réel aux catégories d'uneclassifi-
cation, n'expliquent 'pas comment et pourquoi un
« typ'e de développement » résulte de la combinaison
d'un énsemble de variables, et moins encore en 'quoi
consiste concrétement le développement~ End'autres
termes, 'i! n'a pas cherché' à distinguer, parmi les
variables, celles qui déterminent des relations es'
'sentielles, c'e:~t-à-dire celles dôht le mouvement pro-
duit 'un type de croissance économique ou 'de stagna-
tion, ni par 'celá rnême, ce' quipeut provoquer .la
critique des caractéres abstraits des « sociétéssous-
développées» ét des «sociétés avancées» à ses
conséquences ultimes.
38 SOCIOLOGIE DU Dfv'ELOPPEMENr EN_ ~~RIQUE LATINE

4. Structure ,et stratégie


Notre problé~e consiste,; par conséquent, à pré-
ciser ce qu'on entend par une analyse concréte du
développement" par oppositiOl;' avec les anályses abs-
traites que nous ,avions caractérisées. Si' nous en-
tendions par cela la, simple description de ce qui
arrive, nous assumerioIls la positio!, qu'Hoselitz cri-
tique avec raison et nous devrions alors nous con-
tenter, d'une tautologie : les Jaits se produisent d'une
maniére déterminée puisqu'ils se sont produits
comme cela. L'objectif de l'analyse scientifique
n'est pas l'ordination des faits tels qu'ils se produi-
sent et le modéle suivant lequel ils se produisent
n'est pas, accidentel. Le probl.éme s'oriente alors
vers la détermination de, la «nature» du dévelop-
pement et, vers la ,délimitation du type de rela-
tion qui permet, de distinguer les sociétés sous-
,développées des sociétés géveloppées et parmi ~lles,
celles pour lesquelles laca,tégorie de «développe-
ment» n'est pas explicative.
En d'autres termes, I'analyse scientifique doit
s'acheminer non "ers la constru~tion de modi>les de
développement, mais' vers la détermination des struc-
tures qui 'expliquent le développement - et le sous-
développement -, et vers la détermination de la
dynamique du passage d'up type de structure à un
autre.
Précisons d'avantage cette distinction. Quelle re-
lation y a-t,il entre une croissance expansionniste,
satellite, induiteet une croissa!lce intrinséque, do-
minante, autonome ?
Il est évident que la relation est externe à ces
éléments :. on suppose que l'opération conjuguée de
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU OtVELOPPEMENT tCONOMIQUE 39,

ces trois "ordres opposés de variables produit dans


chaque société un résultat identique qui est appelé
développemenL C'est pour cela que'le· résultat (éco-
nomiquel se dissocie implicitement des facteurs (so-
ciaux, culturels et économiques) qui l'ont produit.
Dans ce genre d'analys'e il n'y a 'aucun maillon né-
cessaire entre; disons, l'augmentation de l'épargne
et par conséquent des investissements ou l'augmen-
tation du P,N,N, (produit nationalnet), comparés
avec la croissance démographique - dont le lien
définit, dans ce cas, le dévelappement - et le type
de société en vigueur, c'e~t-à-dire les: formes d'ap-
propriation, le type d'exploitation du travail, la, dis-
tribution du revenu par groupes sociaux, la struc-
ture du pouvoir, le degré d'autonomie des décisions
d'in"estissements dans chaque pays, la proportion
entre les investissements en biens de capital et en
biens de ,consommation, les mouvements politi-
ques, etc ...
I! est vrai qu'en pratique, personne ne peut con-
fondre la différence de nature qui existe entre, par
exemple, le développement du Congo belge et le
développement pe la Belgique, Les, relations que les
deux sociétés (et économies) ont maintenues entre
elles sant celles de, deux pôles qui sont liés mais
qui s'opposent, l'impérialisme et le colonialisme, et
non pas celles de deux façons ,d'exprimer une même
variable indépendante (qui serait le développement
tel que nous l'avons défini plus haut) ,
Par conséquent, si nous ordonnons dans une clas-
sification unique des modeles construits par un en-
semble de variables sans considérer Je type de struc-
ture dans lequel ils s'inserent, le résultat sera la,
caractérisation ,que- naus appelons abstraite! pa~ce
4Ó SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN _AMÉRIQUE LATINE

qu'elIe ne tient pas compte des" façons" d'être" structu-


ralement déterminées, "des "types et de';" possibilités
diverses de" développement ,et c'est pour cela aussi
que la valeur explicative "de ces schémas est res"
treinte : le résultat qu'on. veut expliquer à I'aide de
ceux-ci ne dérive pas "de l'action ni du type" de
relation des variables qui cómposent le modéle.
Dars la notion de détermination des types struc- I
turels de développement est contenue la nécessité J
de mettre Em rapport les conditions de l'action et
les types d'action avec leurs résultats: les « varia-
bles» ne se juxtaposent pas les unes aux autres et
ne peuvent pas se substituer l'une à I'autre sans
affecter les possibilités de développement (de plus,
dans les modéles réellement formeIs qui ne sont
pas -seulement des. «schémas abstraits », comme
les analyses sociologiques que nous venons de criti-
quer, les modifications dans une variable introdu i-
sent des modifications dans les autres et dans le
modéle d'équilibre atteint) ..
Les «variables» ne se combinent pas dans le
vide pour déterminer un type de structure: elles
ont un poids spécifique différent, les unes assu-
ment le rôle déterminant, les autres assument les
rôles secondaires ; la configuration structurelle reste
définie par le ·jeu des relations que les variables dé-
terminantes maintiennent entre elles" C'est pour
cette raisonque I'anitlyse doit nécessairement; dis-
tinguer quelles sont l<:'s déterminations essentielles
qui cónstituent la structure de· la société.
Oh évite ainsi· qu'à la multiplicité de cas histori-
ques cohcrets et de faits produits corresponde une
multiplicité de « classes» - dans le sens logique -
sans signification explica tive·; dans lecas contraire,
ANALYSE SOCIOLOGIQUE nu nÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 41.

le travail scientifique se réduiniit à la reproduction


dU'perçu, dans un. langage plus élaboré. Et on .évite·
aussi la .çonstitution d'ensembles sans. aucune signi~
fication structurelle, dans le genre de. ceux que nous
venons de critiquer.
End'autres termes, du point de vue.:sociologique;·
la décantation scientifique de l'histoire ne consiste
pas en sa transformation eli schémas de classifica-
tion abstraits ni en rétention des méandres effective-
ment parcourus, mais en détermination des types de
structure qui dérivent de l'action collective des hom-
mes, qui définissent les modes d'existence, sociale.
Nous ne prétendons pas résumerdans ce travail
ce qui est connu de tous: pour que' la notion du
développement ait une significationconcréte, il est
nécessaire de déterminer de maniére scientifique les
conditions qui donnent un sens à la' notion de dé-
veloppement.
Ceci dito en termes plus simples': l'économie cap:'
talisted'une part, avec J'appropriation privée des
moyens de production et le monde' particulier .de
production qui :la caractérise, et la société bour-
geoise qui lui correspond d'autre part, avec. Ia for-
mationet la superposition des classes sociales, ser-
vent de cadre de référence de base pour fairecom-
prendre le conceptde « sociétés.développées ».On dé-
finit déjà le développement. comme une relation en-
tre variables .économiques et démographiques, sans
prendre en considération le type de structure sociale
dans lequel opérent ces variables;; on souligne la
oasê sociale de la. circulation économique ; on insiste
SUl' lé fait que' ]es moyens et. les .résultats du déve,
10ppement varient selon que la production.est la con-
séquence. du processus ordoimé socialement:pOur ,te-
42 ·SOCIOLOGIE DU :DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUEi LATINE

nir compte de la riécessité sociale; ·enfin et queJle


que soit l'hypothése, les auteurs qui pensent au dé'
veloppement économique ou aux sociétés développées,
avancées, modernes, etc ... ne se réferent pas seule-
ment à une distinction entre sociétés traditionneJles
d'économies stationnaires et sociétés dynamiques OÚ il
y a une expansion économique. Au contraire, ils tien-
nenti r.ompte d'un type particulier de société : ,ceJle
dont le fonctionnement peut s'expliquer seulement
par référence au mode ·de production industriel-ca-
pitaliste,
Ces .conditions fondamentales sont valables aussi
pour les sociétés socialistes, puisqu'elJes supposent
logiquement l'existence antérieure du mode capi-
taliste-industriel de production,
De maniêre analogue, le concept de« sous-déve-
loppement» ne correspond pas à celui de « sociétés
traditionnelJes» ou à celui de «sociétés archai-
ques », pas plus d'ailleurs qu'à celui ,de sociétés (ou
économies) agraires.' La notion de société sous-dé-
veloppée· devient significative seulement lorsqu'eJle
fait impliCitement .référence à une. relation détermi-
née entreun type particulier de société et une
société.« 'développée », On pourrait objecter qu'au-
jourd'hlii presque tous les groupes humains pos-
sédellt' des formes définies de relation avec les socié-
tés développées : l'hypothése confirme seulement l'as-
sertion antérieure, dans la. mesure oú eJle est une
maniére de dire que l'impérialisme et le socialisme
maintiennent des' relations de domination ou de
coopération 'avec le monde :entier;De .toute façon,
la notion de « sous-développement» manque de sens
historico-structurel et cette notion est par consé-
quent abstraite, lorsqu'eJle'est appliquée à des grou-
ANÁLYSE SOCIOLOGIQUE nu ntvELOPPEMENT tCONOMIQUE 43

pes, à de·s peuples ou à des typesde société dont


l'existence fait abstraction de relations politiques et
économiques avec les pays développés et dont les
formes d'être, pour cette raison même, se définis-
sent par des structures constituées par d'autres
types. de relations essentielles, parmi lesquelles on
ne tient pas compte de la division internationale du
travail ni du type de domination corrélative.
Ce qui signifie que· les notions de « sous-dévelop-
pe~ent» et de « processus de. développement », qui
se réferent aux «sociétés déveioppées'», supposent
des types déterminés de domination et des proces-
sus sociaux qui ne sont pas purement économiques,
dans l'acception traditionnelle oú le march,é est le
principe régulateur de la vie économique.
La compréhension plus générale de cet énoncé
dépend. de l'analyse - que nous ne ferons pas ici
et quiéchappe à notre compétence parce qú'elle est
essentiellement économique - du dédoublement des
économiesindustrielles développées sur ies régions
appelées sous-développées. .
II serait nécessaire d'étudler le colonialisme, l'im'
périalisme "t le néo-capitalisme (ou néo-colonia-
lisme) , pour déterminer le type de relation qui
existe entre les régioris sous-développées et les ré-
gions développées. En plus'de cela, deux conditions
sont fondamentales pour la position des pays sous-
développés dans la structure du marché mondial et'
dans la structure internationale des .Etats-nations
qui rendimf plus complexe l'analyse de la question :
en premier lieu, les altérations dans I'économie des
pays capitalistes développés qui donnerent naissance
aux monopoles et à I'interférence de. l'Etat .dans le
marché ; en deuxieme Iieu,l'existence du type !Ie so-

>
44 SOCIOWGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRI.QUE LATINE

Ciéfé, dans, le monde' socialiste, qui ,interfere aussi


bien 'dans le, marché 'mondial que 'dansTéquilibre' po-
litique 'entre les'peuples.
De toute façoh', ce qu'il importe de faire ressor-
i:ir; c'est que le sous-développement n'éÍIuivaut pas
àu «sans développement »en général, maJs qu'au
contraire c'est une façon de définirun type de dé-
veloppenlent, sans référence à celui vers lequel tend
'une notion' abstraite; Il faut donc partir de l'analyse
des relaÜons' essentielles entre ces deux formes de
société qui expriment le mode capitaliste de produc-
tion, pour corriprendre scientifiquement le proces-
sus de développerrient dans le «monde occiden-
tal» (26).
En termes clairs et à partir d'une perspective' qui
dépasse la mise en équations «économiques» de la
question, Perroux fait, une critique analogue de l'uti-
lisation des modeles 'pour expÜquer le développement
'et, la mantere de 'ie c,oncevoir de .fàçon statique
comme la réalisation d'un circuit économico-social
«déjà donné », ,qui pourraif entrainer, seulement
la «croissance, économique ».
La croissance expliquée par, des quasi-mécanismes
,et construite comme une croissanceéquilibrée sur
les modeles ,de R:F. HarrQd, E. Domar, J.R. Hicks

26. On ·pourrait 'fàire une analyse semblable pár rapport


au concept de «modernisation ». Nous la la,issons de côté

!
pour ne pas mener le Iecteur vers des digressions encore plus
grandes. De toute façon, ou la « modernisation » exprime ou elle
se réfere à un mode d'existence déterminé du monde .capita-
liste, ou bien, elle est·abstraite. A moins qu'on préfere exprimer
avec le concept la ·simple intensification' de «l'effet .de dé- 1

~I
monstratiO'n» dans son extériorité. et de cette maniere le
distiirgúer de la notion- de - 'développement Jéconomique.
ANAL YSE SOCIOLOGIQUE DU DItVELOPPEMENT, tCONOMIQUE 45

(modeles H.D.H.) est 'définie comme .l'augmentation


du revenu (revenu global).
Cette augmentation est liée' à 'l'investissement gío-
bal et à la consommation globale.Ces modeles sont,
par définition, étrangers 'aux ensembles sous-déve-
loppés et aux cultures archaiques. TIs' admettent
implicitement des représentations collectivesi des mo-
tivations et des réactions quasi-automatiques qui"'ne
se rencontrent pas dans ces milieux; ils excluent
l'analyse de la propagation de nouvelles idées, de
l'investissement du revenu additionnel de certains
secteurs et de certaines régions dans d'autres : cette
propagation est la conditionfondamentale de la
croissance des économies sous-développées.
Enfin, 'Ies modeles se construisent comme si les
institutions étaient d'onnées et constantes: 'Ie re-
venu 9scille, à .travers les siecles, entre les « toits »
et les «sois », ou autour d'un trend d'équilibre,
comme si les institutions, leurs formes et les chan,
gements de leurs formes ne signifiaient rieri en ce
qui concerne l'accélération positive ou négative du
taux d'augmentation du rev.enu. Ces
, . modeles sont
il)lperméables au développement et, au progres (pro.-
gres au singulier). Dans les éconoinies occidentales,
ce type d'analyse est tres insufflsant: les relations
de pou~oir entre les groupes sociaux changent p~n­
dant le processus, de ,cro)ssance comme dans la réa-
lisation, des progres; de plus, les sociétés humaines
se révelent capables de réfiexion sur la conduite
économique et' sur le rendement de leurs institu-
tions., Dans les économies sous-développées, les Te-
lations sociales et la réforme des institutions pos-
sedent un dynamisme économique dont l'importance
j
46 SOCIOLOGIE DU, DtVELOPPEMENT EN "AMtRIQUE LATINE

décisive" ne peut "échapper même à I'ééonomiste le


plus routinier (27).
Finalement, il est nécessaire" de .considérer que
la représentation du « processus Jie développement »
en tant que résultat d'un « jeu de variables » est
en elle-même abstrai te.
En effet, l'action qui modifie doit être réintégrée
dans: « la structure» qui, à son tour est en train
de se modifier.
Sociologiquement, le développement. tout comme
la transformation d'un type de structure (dans le
sens le plus large ': non seulement l'intensification
de la division du travail, 'de la spécialisation eles pro-
fessions et· de .l'utilisation d'une technologie scien-
tifique, mais aussi la formation correspondante de
nouveaux "ordres sociaux, la redistribution du pou-
voir et la transformation des institutions et des re-
présentations sodales garantes de l'ordre ancieri),
en un autre type de structure économico-social
doit être "compris en '1:ermes de «mouvement so-
cial ».
Dans le « passage »de la situation de sous-dé-
veloppement à une situation en "« développement », I
la résistance et .les progrés ne. sont pas des « fac- .'
teurs» mais des « intérêts» et des « oppositions »
sociales.
Ceci veut dire que,. entre la stagnation et le
dynamisme, aucune ,force. n'agit, dans. le sens que,
par ,exemple, une conjoncture économique quelcon-
que favorise la formation des conditions requises

27. F. Perroux, L'économie des jeunes nations. Industria-:


lisation et groupements de nations, Paris, Presses Universi-
taires de France, 1962, pp. 200-201.
:1
l
ANALYSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE -47

pour .l'industrialisation et; comme si. la société bouil-


lait à 100"; le développement s'instaure tout à coup
comme une forme, d'ébullition.
A ,un moment ou à un autre de l'hi~toire dcune
société, existe la médiation d'une lutte qui refléte la
tension entre intérêts et objectifs sociaux différents
et ce dans un double sens : la position de la .société
particuliére dans.!'ensemble des sociétés s'altére et la
position descouches de la société qui. sont en train
de se développer se modifie intérieurement.
Pour cela même, les mouvements "sociaux qui
expriment ces relations ne sont pás seulement le ré-
sultat d'une situation « objective,» (c'est-a-dire', des
conditions pour le développement), mais' ils impri-
ment dans le cours du processus de développement
la marque des intéi'êts et. des buts qui les animent.
La structure 'etl la stratégie ne gardent pas entre
elles de relations de parallélisme: elles s'interpé-
nétrent.
L'homme de science définit les déviations en-
tre les intérêts défendus" les objectifs recherchés et
l'action ·effective des groupes .impliqués dans le
processus de développement ; ainsi, la 'conscience so-
ciale et les intérêts réels des. groupes peuvent ne
pas coincider. Pendant ce temps, de la même' ma-
niêre que les stratégies se conçoivent scientifique-
'ment comme .une idéologie, il faut que l'analyse
scientifique fournisse le lien entre· les stratégies
et les structuresen vigueur et avec les processus
sociaux en cours. Pour cela, il est. nécessaire de
dépasser la simple vérification de J'existence de
stratégies multiples et variables et l'idée que,quelles
qu'elles soient dans chaque société' particuliêre, elles
exprimentun même état, qui serait.le systême in-
48 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN' AMtRIQUE LATINE

dustriêl de~ production à base' technique et scienti-


fique.
L'analyse réellement sociologique commence
quand, ~en plus des distinctions entre « croissance »
et « développement », le processus de différenciation
structurelle est considéré comme le résultat de
mouvements sociaux qui circonscrivent Ies détermi-
nantes universelles du développement (représentées
par le. systéme productif de base technico-scienti-
fique et par les progrés généraux d'accroissement
de la division et, de la spécialisation du travail qui
résultent de ,l'augmentation du revenu national brut)
à l'intérieur des configurations d'existence sociale
qui expriment un type particulier de structure so-
ciale.
La constitution scientifique des rapports néces-
saires entre types de stratégies et modéles struc-
lurels permet l'explication de la discontinuité entre
« buts» et « résultats» et rend à son tour possible
la détermination des nreuds qui existent entre les
mouvements sociaux effectifs (qui n'arrivent pas
nécessáirement- à prendre conscience du rôle qu'ils
jouent) et les objectifs atteints.
La portée de l'explication de la dynamique so-
ciale sera fonction de la précision avec laquelle on
arrivera à déterminer à la 'tois les «possibilités
structurelles» qui s'ouvrent'aux mouvemenls sociaux
comme les idéologies, les motivations, les stratégies
et les buts qui déchainent et orientent socialement
l'action. Il est certain que les possibilités structu-
relles, .dans la mesure ou' elles ont un rapport avec
les conditionnements extra-sociaux du développe-
ment, ne dépendent pas exclusivement des idéolo-
gies: elles déterminentles modes possibles du
ANAL YSE SOCIOLOGIQUE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 49

processus de développement dans son autonomie


et sa réalité. Mais la concrétion historique d'un type
de développement dans une société particuliêre quel-
conque dépendra toujours de la dimension addition-
nelle représentée par la direction suivie par les mou-
vements sociaux : socialisme, capitalisme, étatisme,
privatisme, ne sont pas des résl.lltats « nécessaires »
d'une situation «donnée ». Ils se construisent, en
tant qu'invention historique, à partir de mouve-
ments sociaux concrets; sans cette explica tion il
peut y avoir une analyse du développement, mais
il ne peut pas y avoir de sociologie du dévelop-
pement.

4
CHAPITRE II

LES AGENTS SOCIAUX DE TRANSFORMATION


ET DE CONSERVATION
EN AMERIQUE LATINE'

Le développement économique et les transforma-


tions sociales en Amérique Latine se situent dans
* Ce travail est une version légerement modifiée de
l'exposé. initial d'un sujet .de recherche, présenté en mars '1965,
à la Division de programmation du développement social dL
I'ILPES. On a repris en partie iei les exposés que certains
fonctionnaires de la Divisio'n, dont les travaux Bont men_
tionnés dans le texte, étaient eu train d'élaborer.
L'auteur" assume absolument la responsabilité de ses pro-
poso Beaucoup des questions proposées furent l'objet d'ana-
lyses postérieures qui les out précisées et redéfinies.
Voir, spécialement, F.H. Cardoso et' Enzo Faletto, «Dépen-
dance et développement en Amérique Latin(~ (Essai d'inter-
prétation sociologique) ,», ILPES, 1967. Edelberto Torres,
«Possibilités et modalités du développement en Amérique
Centrale », ILPES, 1967. J.L. Reyná, «Quelques dimensions
poZitiques du Mexique », ILPES, 1967. Ponciano Torales,
« Essai sur la réalité pér'llvienne », ILPES, 1966.
Pour les themes spécifiques, voir Francisco Welfort, «Par-
tiCipation économique et par:ticipatibn sociaZe », ILPES, 1967.
Carlos Filgueiras, «Le cnel d'entreprise industrielle en Amé-
rique Latine », ILPES, 1965. Adolfo Gurrieri et F. Zapata,
«Secteu1's ou·vriers et déveZoppement au Ohili », ILPES,-1967.
,F.H. Cardoso et J.L. Reyna, «lndustrialisation, structure
occupationnelle et stratilication sociale en Amérique Latine »,
ILPES, 1966.
52 SOCIOLOGIE DH DÉVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

un cadre structurel ou - à cause de la condition


périphérique particuliére et dépendante des socié-
tés latino-américaines - le comportement des grou-
pes et des classes sociales, tout comme les mouve-
ments sociaux, constitués par eux, ont des caracté-
ristiques particuliéres. En effet, la façon même
qu'ont les groupes sociaux, et les classes sociales
d'être en rapport dans les «sociétés dépendantes»
redéfinit non seulement les formes qu'assume le pro-
cessus de développement -'--' en comparaison avec
le développement capitaliste 'des économies des pays
centraux ou de « développement originaire » - mais
,aussi les formes d'organisation, les idéologies, les
systémes normatifs et les possibilités d'action des
agents sociaux de changement et. de conservation.
Il ne serait pas hors de propos de souligner que
même certains concepts utilisés pour décrire la
structure sociale, la'tino-américaine, empruntés au
vocabulaire créé pour caractériser la situation cu-
ropéenne ou nord-américaine, manquent de la pré-
cision nécessaire et dénaturent souvent le contenu
historique qu'ilstentent d'exprimer:
Ainsi, les concepts comme «féodalisme », «aris-
tocratie », etc ... , sont,manifestement inadéquats pour
discuter la situation latino-américaine... D'autres,
cOIl)me «bourgeoisie », «prolétariat », «classes
moyennes », etc ... requiêrent une réélaboration, puis-
que les modes :particuliers de relation et d'affronte-
ment entre les groupes sociaux et les classes sociales
dans lei; sociétés périphériques rendent nécessaire
leur redéfinition à cause de leurs formes de compor-
tement et de leur conscience sociale.
Sans multiplier les arguments, il est évident que
le processus de formation du capitalisme aussi bien
AGENTS SOCIAUX oDE TRANSFORMÁTION;ET DE CONSERVATION 53

que son 'dévéloppement ultérieur eurent un point


de départ différent dans les économies périphéri-
ques, Cette distinction ne se base pas seulement
sur un simple «décalage» - différences dans les
degrés ou les étapes du développement - mais
bien avant, sur l'existence d'un mode déterminé
de relation distincte à l'intérieur d'unemême struc-
ture productive,
Les uns exportent vers le centre certains genres
de marchandises, les autres vendent à la périphérie
des produits industrialisés qui requierent un niveau
élevé d'avance teehnologique ~t une plus grande
densité de eapitaux accumulés,
De maniere corrélative, les classes et les grou-
pes' sociaux qui rendent possible le processus éco-
nomique dans l'un et l'autre cas, maintiennent et
, ,

expriment différentes relations de force, que ce soit


intérieurement ou que ce sait ",dans'les rapports
dessociétés les unes avec les autres dans le marché
internationaL Pour la compréhension et' l'expli'ca-
'tion adéquates du déveioppement en tant que pro-
cessus social, il est nécessaire par conséquent,' de
définir les aspects et les points d'interrogation, qui
délimitent et qui donnent un sens à la spécifiéité
des forces sociales qui jouent dans les sociétés
dépendantes. Nous signalero~s q'ailleurs dans cet
0l\vrage ce,tains de ceul' que pous considérons
comm~ fondamentaux.
L'hypothese la plus probable et la plus implicite
ilans les questions qui se posent est que la constitu-
tion et l'action des agents sociaux de transforma-
tionet de conservation en Amérique Latine sont
soumis 'à un conditionnement général déterminé par
la maniere dont les sociétés pationales' ont fondé
54 ,SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT 'EN AMÉRIQUE. LA-:r1NE

leurs économies par rapport au marché internatio-


nal (1).
On peut distinguer dans ce sens deux sitilations
fondamentales: une dans laquelle laconstitution
des états nationaux et la formation des sociétés
civiles apparurent à travers l'action des groupes
sociaux qui obtinrent le contrôle ,du 'systeme produc-
tif exporta teur en se transformant, bien que de
façon embryonnaire, en bourgeoisies de caractere
national, Tautre - 'historiquement postérieure à la
premiere -, dans laquelle la poussée économique
fondamentale du systeme exportateur s'est fondée
sur l'accaparement de la production pour l'expor-
tation par des enclaves étrangeres.
Dans ce second type de société, ies groupes do-
minants locaux perdirent leur influence économi-
que dans le march€ international et se transforme-
rent en classe politique dominante, non seulement
par leur condition de propriétaires terriens, mais et
'principalement, par leÍlr action en tant que chefs. TIs
patronnêrent lesrapports et les liaisons entre I'Etat,
la société civile et le seeteur étranger «enclavé»
dans le systeme productif, dynamiqueet expor-
tàteur.
En dernier liéu, dans une troisieme sitilation de
dépendance, lorsque la poussée de ce que les éco-
nomistes appellent « la croissance vers l'extérieur »,
fondée sur les exportations, fut remplacée par le
dyn'amisme du marché interne et par les efforts

1. Les situationa de développement et de dépendance men-


tionnées dans ce paragraphe furent l'objet d'analyse .dans
l'essai de Cardoso et Faletto, cité dana la note antérieure,
1
sur «Dépendance et, développement en Amérique Latine"».
AGENTS SOCiAUX ,DE TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 55

d'industrialisation, apparut danscertains pays un,


n01,lvel accord socio-économiquequi facilita la for-
matjon d'une économie industrielle plus ou moins
avancée, constituée .en partie par lesecteur public
associé, dans une. grande mesure, au secteur privé
'national et principalementau secteur étranger.
Dans cet .ouvrage, nous ne discuterons pas les
facteurs de. conditionnement mentionnés plus haut
ni Je .processus de leur transformation, pas plus
que la nature sociale de I'Etat ou les alliances entre
les classes et les groupes qui constituérent ou qui
sont en train de constituer les forces sociales qui
mettent en mouvement les sociétés sous-développées
et dépendantes, bien qu'on, puisse aspirer ,à caracté-
riser la. thématique que les groupes, les classes et les
institutions sociaux ont établie pour l'analyse socio-
logique du développement.
En termes succincts, on pourrait se dire que pour
l'analyse du développement ,il faut isoler à l'in,
térieur de I'ensemble des forces etdes mouvements
sociaux qui participent au jeu politique en. Améri-
que Latine, les groupes et les chlsses appelés, pour
employer le jargon à la mode, « stratégiques ». Ceux
qui agissent, souvent comme protagonistes sur la
scéne sociale urbaine sont: les masses populaires,
les noyaux du mouvement ouvrier, les chefs d'en-
treprises et les « secteurs moyens », ou plus pré-
cisément, les groupes professionnels et techniques,
aussi bien civils que milita ires. Certains de ces
groupes et de ces classes trouvent leur propre
expression, ils s'organisent, définissent des orien-
tations politiques, donnent un sens pratique à cer-
taines idéologies, ,etc... D'autres, à cause de leurs
particularités - comme les masses ,-c i participent
56 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT- EN~AMJf:RIQUE LATINE

et agissent à travers l'influence qu'ils exercent indi-


rectement sur la' structure politique ou sur le sys-
téme économique, en. faisant pressionou· en dyna-
misant d'autres groupes sociaux spécifiques, capa-
bles d'agir de maniére organisée ou institutionnelle. -,
Pour terminer, quelques secteurs acquiérent de

I
l'importance par leur capacité d'agir 'comme grou-
pes de pression directe 'sur l'appareil de l'Etat; ces
groupes peuvent 'avoir une' influence considérable
dans la, définition des poli tiques, de développement
et dans le processus productif lui-même. I
On fera référence, de façõi1 synthétique, aux dits
groupes ou classes et au rôle qui correspond àTEtat
- ainsi qu'aux groupes qui agissent par son inter-
médiaire,-.dans,'le processus dedéveloppement. Ce-
pendant, il sehlit, assez 'jncomplee de décrire lepro'
blême du développement sous l'angle des forces so-
ciales qui lui donnent son impulsion, sans se rap-
porter au rôle que jouent :Ies ." secteurs tradition-
nels »', dont. le nom d'ailleurs est. fort impropre, et
en particulier dans: son expression rurale.
En effet" ainsi quenous le verrons, la perméabi'
lité de la structure 'traditionnelle 'de production et
de domination en Amérique llatine permit, dans
certains pays, non seulement I'assimilation d'élé-
ments novateurs par, la «société traditionnelle »,
mais aussi, montra, dans des circonstances déter-
minées, une capacité de rénovation suffisante pour
malntenir le contrôle partieldes sociétés "en voie
de développement».
D'un autre côté, le monde 'agraire est souvent,
aujourd'hui encore, la limite structurelle de base qui
,permet les transformations des sociétés latino-amé-
ricaines à I'intérieur des, voies choisies pour un dé,

\
I
I
AGENTS SOCIAUX DE'·TRANSFORMÃTION"ET DE CONSER,iATION -57

veloppement capitaliste. "Dans ce sens, le rôle des


masses· ·paysannes estextrêmement signiftcatif,
mêmequand on les considere dans leur simple con'
dition de non-participantes. La recherche des for-
mes possibles de réaction paysanne, même corrime
rechercheau niveau· des possibilités structurelles de
cette action, est à plus forté raison essentielle pour
un examen objéctif des forces de transformation et
de conservatioil en Amérique Latine.

1. Les secteurs· populaires

Il n'y a rien dénôuveâú dans l'énoncé que l'exis-


tence d'une « situation de masse »'*, due à "la' crois~
sancede la populatíon, àl'expansion du marclié·, à
l'urbanisation, à la désorganisation de l'économie
agraire traditionnelle et à l'incorporation pariielle
du peuple dans le processus poli tique, c'onstiiue la
donnée la plus suggêstive dé la transformation so-
ciale dans les pays latino-américains qui commen-
cent à s'industrialiser. Le mouvement "·populiste»
constitue, à son tour, la forme la plus fréquente

* La formation de secteurs, populaires - urbains et· semi-


urbains en rapport avec le systeme social et politique global,
sans l'entremise d'organisations propres (poliÜques -et sodales)
et sans la définition de perspectives et d'idéologies authen~
tiques pour exprimer la spécificité de ces secteurs à· .I'inté-
rieur -de la structure sociale, a rendu possible sa caractéri-
sation en -tant que «situations ;de 'mà.sse's ». Dans ce f:leris;
le cçncept de «masse.» se distingue de_ celui de «classe» :...-
sans le remplacer --: puisque dans ,une, situation de classe on
suppose que des organisations propres de la classe se cris_
tallisent (syndicats, partis, assoCiations, etê ... ) et que pour' le
moins il est possible, virtuellement, de definir une perspec-
,tive et de développer des formes de ,conscience sociale qui
exprimenti cette position structurelle.
58 SOCIOLOGIE Dl! DÉVELOPPEMENT .EN AmRIQUE LATINE

d'expression politique et de pression des masses en


Amérique Latine. En effet, parallelement aux trans-
formations sociales survenues dans la plupart des
pays, on observe fréquemment certains mouvements
capables de mobiliser tes !l1asses, comme par exem-
pIe le peronisme, IE! varguisme, I'aprisme, le gaita-
nisme, le battlisme, etc ...
En tant que mouvement autonome, la pression
des masses' au travers du populisme s'exerce en
vue d'obtenir une plus grande consommation et une
participation plus intense. Or, dans quelles condi-
tions cette force, qui ne contient pas nécessaire-
ment des éléments favorables all développement,
peut-elle se transformer en un populisme compa-
tible avec le développement? Quelles sont les limi-
tes que ce type de pression, bien que son caractere
ait été légerement transformé, impose à la crois-
sance économique ? ,Comment. les tendances contrai-
res qu'implique ledit modele de développement peu-
vent-elles se concilier politiquement et socialement·?
Pour répondre à ces questions iI ne suffit pas
d'analyser le rôle des masses et du populisme dans
le processus de développement. Pour rechercher le
sens concret des divers mouvements populistes iI
faudra découvrir' le type d'alliances que les classes
et les groupes sociaux établissent 'entre eux et avec
les masses, en tenant compte des situations sociales
typiques qui se présentent' en Améri,que Latine. En
d'autres termes, iI n'est possible de donner à I'ana-
Iysé du populisme un contenu concret, capable de
définir les caractéristiques qui assument la dyna-
mique sociale et le développement quand i1s subis-
sent la poussée de mouvements de ce genre, que
si on détermine le cadre structurel du processus
AGENTS SOqAUX. DE .TRANSFORMATION ET DE.CONSERVATION 5~

historico-politiquedans lequel prirent naissance les


mouvements de masses.
En ,conséquence, l'interprétation devra tenter de
trouver les rapports entre les caractéristiques du
modele de dépendance, la structure de· l'emploi, le
degré de différenciation du systeme productif, la
phase ,de croissance économique, ·etc... et les ef-
fets qu'j] faut espérer du populisme sur le déve-
loppement.
La question fondamentale à .1'intérieur de la pro-
blématique du populisme serait de déterminer quel-,
les possibilités possêdent politiquement ces mouve-
ments populistes de stimuler, en tant que 'mouve-
ments de masses, la réorganisation du systeme de
pouvoir, en altérant les bases .structurelles qui lui
donnerent, naissance avec toutes les conséquences
que ces processus ont sur le plan économique. La
question prend un sens si nous considérons que la
participation des .masses dans le domaine poli tique
sevér:ifie à travers les mouvem,ents populistes quand
existent deux conditions spécifiques (2) :
a) Le systeme traditionnel de domination (de
type « oligarchique» dans le cas de nombreux pays
latino,américains) perd de son efficacité devant. les
nouvelles çonditions économiques et sociales que
créent les «situations de masses.» et ne retrouve
plus .jamais sa légitimation. Ce ,fait oblige à élargir
le systeme, traditionnel, de pouvoir au moyen de
l'acceptation de nouveaux groupes dans le contrôle
et le maniement de l'appareil de I'Etat.

2. Voir Francisco C,. Weffort, «VEtat et. les ma8ses au


Brésil »" Instituto ,Latino-améri-cano de Planificacion Econo-
mica et Social, Santiago, 1964 (Institut latino-américain de
planification économique et sociale) ..
60' SOCIOLOGIE nu nÉVELOPPEMENT' EN A.MÉRIQUE LATINE

b) Dans' la lutte pour le contrôle de l'Etat; un


groupe particulier de l'oligarchie ou bien un nouveau
groupe prenant de I'importance (militaires, 'techno-
cr'ates, ch"efs d'entreprises, politiciens, professionnels
liés à' des secteurs moyens urbams, etc ... ) arrive à
se servir des masses comme factetirde pouvoir, en
les manipulant et en cédant même' à leurs revendi-'
cations' immédiates tantéconomiques que poli tiques.
Dans cette situation, caractérisée par son ambi-
guité, les masses deviennent aussi bien une menace
qu'un composant de' validité du cadre de domination
qui se restructure à l'intérieur de la limite en vi-
guei.lr dans la société. En conséquence, le, ptoblélne
se pose de connaitre' les limites de ce 'jeu de pen-
dule, sous l'angle du mouvemerit des masses et les
possibilités'structurelles que présente cette 'situation
pour' la détérioration dece type 'de, domination et,
en conséquence, pourla transformation "du systéme.
Dans cette ,analyse, l'explicatitmdes effets des
situations populistes 'par rápp6rt à la dynamique de
I'ensemble de la société dépend' aussi des iriterpré-
tations globales qui relient la maniére d'agir des
autres groupes sociaux aux « conditionnants» struc-
turaux qui donnent un: sens à, .l'action de chaque
groupe en particulier. A premiére vue, ainsi que
nói.ls l'âvor\s dit en faisar\t allusion au cas dupo-
pulisme favorableau développement;,il paraitrait
que l'impulsion de la croissance économique et de
I,a transformation sociale que les mouvements po-
pulistes impriment aux sociétés des pays périphé-
riques est contradictoire en elle-même et cherche
à ne pas permettre que la situation qui lui
donne naissance soit dépassée. Eri dernier lieu, la,
pression pour augmenter.la consommation détériore
AGENTS SOCI~UX DE .TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 61

la croissance économique;' la viabilité, politiqué du


populisme s'épuise quand un cycled'expansion se
termine (par. exemple, quand se termine la :phase
appelée' substitution facile d'importations); et' peut
seuIement se, renouer quand on passe á un autre
cycle ascendaht. Chaque fois que le' déyeloppement
stagne, se créent des conditions pour la transfor'
mation du populisme; .soit par. l'orgahisation des
situations demasses, avec la possibilité, de défini-
tion autonome des objectifs correspondante, soit
par la décantation des «situations de classes» qui
sont sous-jacentes dans le populisme.
De toute. Jaçon, en tant qu'élémentpour définir
Ia nature même du populisme dans ses relations
avec le systeme économique et avec I'Etat, il con-
vient de rechercher dans quelles conditions lepôle
négatif du populisme dans le systeme qui le met 'eh
vigueur (son caractere de menace constanteau statu
quo) ,a des possibilités deprédominer sur le pôle
positif. Ce dernier exprime lerapport des masses
avec le systeme, à travers 'une plus grande parti-
cipation politique et de plus grandes opportunités
de consommation, en échange de la pérte de la· pos-
sibilité de définir, ses propres buts .et donc de réor-
ganiser en profondeur la structure de. dorrtination
en vigueur.
Poursuivant avec la problématique de l'action des
groupespopulaires, il est nécessaire d'exprimer so-
ciologiquement l'autre probleme .f~ndamental qui est
relié au populisme et audéveloppement, à savoir
l'examen des possibilités structurelles qui existent
pour la transformation des pressions populistes en
• mouvements orgánisés à participation populaire ef-
fective dans la vie économique et politique.? Dans
62 'SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AMt:RIQUE .LATlNE

quelles conditions la transformation sociale, issue


des«.,mouvements de masses », acquiertcelle une
continuité. par la voie d'autres· mécanismessociaux
de. pression .. suffisamment forts pour menacer I'ordre
établi et en même 'temps, suffisamment flexibles et
modernes pour permettre la définition d'objectifs
propres, susceptibles d'être acceptés par la société,
ou, delui être imposés et,être I'àppui d'une politi-
que rationnelle qui. assure les investissements au
détriment .de laconsommation immédiate?
.11 est .facile de comprendre, à la lumiere de ce
qui précede, que I'hypothêse .sur laquelle s'appuie
cet exposé est que le. «populisme », comme forme
d'intégration sociale et politique des masses,
apparait dans sa plénitude dans le cas des efforts
de. transformation du premier type de sous-déve-
loppement mentionné :dans cet ouvrage, c'est-à-
dire; celui qui est caractérisé par un secteur pro-
ductif national 'dynamique, D'un autre côté, dans
.Ies situations ou se. forme un secteür industriel re-
lativement Jort, tourné vers Je marché interne, la
« pression de masses» présente des caractéristiques
eí des possibilités d'action différentes,
.Ces transforinatións rendent nécessaire I'étude 'de
deux formes essentielles departicipation politique
et économique, organisée par les groupes popu-
laires : le syndicalisme et les partis du type «tra-
vailliste» ou «de. gauche », Peu d'études ont été
faites sur 'ce 'sujet (3) et cela pour des raisons
évidentes: iI a toujours été habitueI en Amérique

3. Voir Enzo Faletto, Incorporacion de los sectores obreros


l~ clase obrera;)
aI proceso de desarrollo (Imagenes sociales de
ILPES, Santiago', 1965.
ÂGENTS SOCIÁUX DE"TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 63
Latine d'assister à ,la forination de ,forts mouve-
ments populistes et nationalistes qui finissent par,
perdre de vue - 'dans J'ambigulté de la participa-
tion politique et revendicatrice caractéristique des
situations de masses - l'autonomie de leurs buts
et l'organisation des' syndicátset des partis po-
pulaires. "
De phlS, ces 'modalités de participation institu-
tionnelle présentent souvent la caractéristique d'être
imposées plus comme une condition de mise en
ordre des relations politiques et sociales qui se
présentent dans la sphére de l'Etat et de la société,
que comme un moyen d'expression et de participa-
tion élaboré par les masses populaires pendant lEi.
processus de lutte pours'intégrer à la société glo-
bale; c'est pour cela qu'en ,Amérique Latine ces
institutions sont en général trésfragiles.
Cependant, il semble qu'au moins dans deux
cas les «mouvements de masses» tendent à
assumer, sur le, Continent, de nouveaux modéles
d'organisation et de nouvelles formes d'orientation
de l'action; qui redéfinissent le sens et les condi-
tions de la participation des classes populaires et
agissent directement sur le processus de développe-
ment : le syndicalisme post'péroniste de l'Argentine
et l'intégration partidiste des mouvements populai-
res comme dans le cas du PRI. TI semblerait qu'au
Chili aussi apparaissent les mêmes traits de com-
portement ,populaire, bien qu'avec, un caractére moins
marqué.
La détermination précise des conditions et du
sens de cette transformatioll" parait avoir une signi-
fication, décisive, non ,seulemenf pour répondre à
la question posée, au, sujet ,des possibilités de cr~a-
64 SOCIOLOGIE DU. DtVELOPPEMENT EN -AMtRIQUE LATINE

tion de -noyaux populaires suffisamment forts et


organisés pour donnerson essor au développement,
mais aussipour savoir jusqu'à quel point la possibi-
lité. de transformations sociales -qui, en 'définitive,
affectent le modéle de domination en vigueur, est
implicite dans. Ia' -dynamique sociale déchainée par
ces forces. Ou en d'autres termes : la captation des
pressions des masses au moyen de mécanismes de
partis 0t de syndicats, suppose-t-elle dans les condi-
tions actuelles de I' Amérique Latine, des altéra-
tions de base dans le systéme de' domination de
classes ou, au contraire, contribue-t-elle à renfor-
cer, en le modernisant, le. cadre structurel qui dé-
finit les conditions actuelles du jeu poli tique ?
Il ne s'agit pas ici d'une seule possibilité mais
de plusieurs. A premiére vue, dans aucun des cas
mentionnés he se dessine une situation oú les
groupes populaires, même -quand ils se transfor-
ment en groupes représentatifs des classes ouvriéres;
deviennent dynamiques et s'organisent à partir de
valeurs « de classe» et élaborent des projets sociaux
pour la société globale, fondés SUl' leurs perspec-
tives de classe.
Dans tout' cela, sauf dans le cas de I' Argentine,
il semblE' exister une autonomie relative de classe
ou de groupe dans le jeu des forces sociales qui
suscite un affrontement sociaL plus que poli tique ;
dans le cas du Mexique, les idéaux de la Nation
sémblent suffisamment forts, tout au !Uoins dans
les conditions de croissance du systéme économi-
qúe, pour garantir une coalition pluri-classiste d'ap-
pui à une politique commune dedéveloppement. Il
est clair que dans ce dernier cas, la -destruction du
« porfirisme» obtenue par J'élimination du pouvoir
AGENTS ~ÇIA~JX:--DE TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 65

et les bases économiques de l'oligarchie' ,de la, pro'


priété terrienne, ainsi que la proximité et la me-
nace « ,historique » de l'hégémonie du voisin, contri-
buêrent à la formation de ladite alliance.
D'autre part, l'analyse de la problématique de la
transition des mouvements populistes vers des for-
mes organisées de pression populaires ne sera pas
épuisée tànt que ne seront pas étudiés et attentive-
ment interprétés d'autres types de situation sociale,
dans lesquels il,a été 'possible decapterou de pro-
voquer les pressionsdes masses au moyen des « par-
tis' de classe» et de la pression des' syndicats, dans
lesquels les valeurs de type politico-idéologique ont
été plus fortes' que les valeurs de type, « participa-
tion et contrôle».
Quels effets cettê situation a-t-elle sur le proces-
stis de développement ? La situationde masses, gé-
néralisée 'en Amérique Latine, pourra-t-elle compter
parmi ses possibilités de développement historique
avec celle qui s'exprime dans le' cadre typique
des partis, des organisations et des mouvements de
nature à base mono-classiste? ·Jusqu'à quel point
la transformation économique, qui rend, difficile' le
jeu populiste apres l'avoir permis (comme en Ar-
gentine apres Péron, au Brésil en ce moment), fa-
vorise-t-elle la création de nouveaux moyens ,de
participation des masses dans la vie politique et, re-
définit-elle les valeurs qui,les orientent ? Ou encore,
la «modernisation» du comportement ouvrier -
même, en atteignant certains secteurs ,des classes
;populaires - est-elle viable et 'implique-t:élle'hi"ca~
nalisation de la protest;ltionquyrÚ~~e vers' des :f~r­
mes de participation économique sans rapport avec

5
66 SOCIOLOGIE' DU' DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATlNE

des objectifs de contrôle politique sur la ,société


globale ?
Finalement, et toujours à l'intérieur de la pro-
blématique des couches popúlaires comme agents
de transformation en. Amérique Latine, il semble
que dans le cas des, sociétés qui s'organiseront se-
lon le modéle .des situations d'enclave, des formes
frustr2es de populisme et. desformes « régressives »
de participation politique au moyen des noyaux or,
ganisés d'action populaire apparaitront simultané-
ment. La petite marge de manreuvres que la situa-
tion d'enclave permet aux groupes dominants locaux,
fait que ceux-ci essaient de limiter de différentes
maniéres la participation populaire; ils peuvent
même arriver tinalement à son exclusion totale.
Dans les cas plus complexes, quand un pays pré-
sente simultanément des caractéristiques aussi bien
de ce genre d'~conomie que de l'autre dans lequel
le secteur productif national est important, comme
par exemple au Pérou, l'essor «populiste» peut
même entrainer des tentatives révolutionnaires,
Cependant, 'les mêmes caractéristiques sociales et
politiques des sociétés de' ce type rendent difticile
la formation de « partis de classe» à J'intérieur des
moules classiques. Des, « formes régressives» de re-
présentation classiste apparaissent souvent et peu'
vent tinir par ne conserver de la situation qui leur
a dónné naissance que la structure bureaucratique
et autoritaire de l'organisation de partis - comme
dans le cas de «l'aprisme» - sans que l'élan po-
puliste soit remplacé par une politique de contenu
et de direction 'révolutionnaires, ses expressions doc-
trinaires même deveriant plus conciliantes.
AGENTS SOCIAUX;DE'TRANsFORMATION ET DE CONSERVATION 67

Apparemment; dans le cas qui correspond au


modéle des pays à économie d'encJave, dans la
phase de' plus grande pression des masses et de
plus grande résistance des secteurs dominants, quand
le mouvement populaire obtient des appuis imp9r-
tants et arrive à s'aIlier aux noyaux d'autres sec-
teurs de la société qui sont eux aussi contre le
statu quo, naissent les conditions d'une réorganisa-
tion du systéme des relations sociales dans leur en-
semble. C'est ce qui est arrivé par exemple au Mexi,
que, en Bolivie, à Cuba et au Venezuela. La réponse
politique des groupes dominants traditionnels à ce
genre de pression est la dictature militaire, comme
contre-stratégie; les soulévements populaires sont
souvent violents. La forme et les limites de la ri-
posté donnée p~r les mouvements « démocratico-po-
pulaires» dépendront des forces qui soutiennent la
pression populaire tant sur le plan interne que sur
le plan externe. II peut 'y avoir «, I'institutionnali-
sation » révolutionnaire, comme au Mexique ou, avec
d 'autres caractéristiques, dans une autre phase
historique, au Veriezuela. II peut aussi se pré-
senter des situations qui entrainent une réorgani-
sation radicale du systéme social, comme ,à Cuba,
ou des formes frustrées d'action révolutionnaire,
comme le MNR bolivien, selon ce que sont, dans cha-
que cas, les conséquences des aIliances internes sur
les alliances externes. De toute façon, il semblerait
qu'il y ait dans ces situations un potentiel révolution-
'naire indubitable.
2. r"es secteurs d'entreprises
La forme et le contenu de I'action populaire en
Amérique Latine ne peuvent se préciser sans I'ana-
68 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

lyse sim!1ltanée des perspectives" d'action et ,d'inté-


gration' structurelles qui s'ouvrent' 'pour les nou-
velles classes' dominantes dans les sociétés latino-
américaines.
Du point de vue du dévéloppemênt, le probléme
fàndamental est de comprendre commént se for~
ment et agissent les groupes capables d'imprimer du
dynamisme au systéme économique et d'assumer
aussi le contrôle du processus politique à l'inté-
rieur dês classes dirigeantes.
Il faut observer en même temps les rapports qui
sont en train de se créer, dans le jeu politique et
dans l'implantation de la politique de développement,
entre ces groupes et les masses populaires d'un côté
et les masses dirigeantes traditionnelles (groupes
politiqiJ.es et groupes économiques liés au systéme
agraire-financier-exportateur) de I'autre.
A l'intérieur de cette problématique, il semble
qu'il y ait trois problémes essentiels : dans quelles
conditions économico-sociales et issus de quels mou-
vements sociaux, les groupes d'entreprises moderni-
sateurs sont,ils nés et ont-ils agi? Quelles sont Ies
orientations valorisantes, les caractéristiques d'ac-
tion économique qui .ont penpJs d'infuser un dyna-
misme aux entreprises de l' Amérique Latine? A
l'intérieur dequels cadres, structurels les options
et Ies tendances d'appui de .ces groupes à la trans-
formation sociale sont-elles limitées ? et jusqu'à quel
point, dans leur effort pour contrôler le systéme du
pouvoir, sont-elles perméables aux pressions popu-
laires, d'une part, et aux arrangements avec les élas-
ses dominantes traditionnelles ou avec les groupes
d'entreprises étrangers, d'autre part?
AGENTS SOCIAUX DE TRANSFORMATION. ET DE CONSERVATION 69

Pour donner 'une réponse à ces questions,' il sera


nécessaire d'approfondir l'anàlyse sur les conditions'
historiques et sociales de l'industrialisation, en Amé-
rique. Latine, Sur la base des travaux' existants, on'
peut affirmer que la croissance indusirielle a obéi
à un double' modéle dans presque tous les pays de
la: région qui sont en train de .s'industrialiser, TI y
eut â'un'e part. une lente croissance' du systéme
artisanal etmanufacturier, soutenu, en général, par
la· croissance «végétative» du marché interne (en
relation, naturellement, avec' ;l'expansion des expor-
tations de produits primaires et avecl'urbanisation
croissante et accélérée par I'immigration provoquéé
à son tour parl'expansion de l'économie exporta-
trice). D'autre parti eut lieu un rapide processus
dynamisateur qui se produisit à des moments de
corijoncture ·favorable au marché (guerre, dévalua-
tion pour protéger le secteur de I'exportation, me-
sure qui, de son côté, s'est traduite par le protec-
tionnisme, etc ... ). La persisiance des .. élansdépend,
en grande pàrtie, de la capacité des groupes diri-
geants de formuler 'une poli tique, adéquate d'inves-
tissements dans 'ies secteurs de base, ou de la créa-
tion de possibilités permettant à ces mêmes groupes
dirigeants' d'accepter les points de vue des secteurs
techniques qui ont défini ladite poli tique d'irivestis-
sements. TI est facile de comprendre que le pro-
bléme principal, du point de vue sociologique, ré-
side dans l'analyse de· la maniére dont les groupes
d'entreprlses utilisent les influences favorables de
la croissance automatique du marché (soit celle à
longue échéance, lente, soit celle plus' rapide, favo-
risée par une conjoncture exceptionnelle) pour la
transformer en une poli tique de développement et
70 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATJNE

quelles que soient les conditions ayant donné nais-


sance à ce, processus.
Quel rôle les chefs d'entreprises, ont-i1s joué "dans
la création et dans I'utilisation des facilités qu'of-
fre une politique de développement? Comment les
intérêts entre les divers groupes dominants ont-i1s
pu se concilier et quel est le degré de divergence,
réelIe entre: les différentes classes qui participent au
processus de développement? Comment les diver-
gences entre les groupes intéressés, dans le secteur
de I'exportation, et ceux reliés à la production pour II
le marché interne ont-elles été posées et ont-elles 'I
i
été résolues ? Quelle opposition y a-t-i1 entre «!'in-
térêt économique étranger» et les groupes natio-
naux et comment se concilient-ils ?
De nouveau, la réponse dépendra dans ce cas de
I'analyse ,concréte des situations sociales typiques :
I'élan initial du systéme peut se vérifier dans un
cadre général de pression large et violente des
groupes populaires urbains contre les formes de
domination traditionnelles en vigueur (Mexique),
comme il peut naitre au moyen d'une alliance entre
les mouvements populistes, les intérêts traditionnels
et les groupes d'entreprises (Brésil au moment de
Vargas), dans des conditions plus proches d'une
situation de forte action des entreprises au niveau
économique, y compris de, la part des groupes expor-
tateurs, dans un moment d'antagonisme et de sé-
paration poli tiques de ces groupes devant les pres-
sions de masses (cas de I'Argentine de Peron) et
dans des situations oú la pression des entreprises
en faveur du développement trébuche sur !'indiffé-
rence des autres groupes sociaux (comme en .Co-
lombie).
AGENTS SOCIAUX J?E TRANSFORMATION .ET DE c.O~.~~!tVATION 71

Comment ces, ,différentes situations se ,répercu-


tent-elles sur les facilités ,de développement ? Dans
quelles conditions les, classes d'entreprises ont-elles
dirigé vers le ,développement ,Ies élans de transfor-
mation sociale déchainés par d'autres groupes 'ou,
d'autres classes qui souhaitent atteindre des objec-
tifs différents ?
L'analyse de ces questions suppose, par sa na-
ture même, 'un effort de synthéseet une référence
constante à, la constellation de forces qui agissent
dans l'ensemble'de la société, tout comme agissent
les caractéristiques structurelles, économiques et so-
ciales signalées dans le' paragraphe antérieur,
Cependant, reste la nécessité' d'exposer la situa-
tion latino-américaine avec la problématique classi-
que des analyses de la mentalité et de l'action des
entreprises. Ce qui équivaut.à rechercher comment
se sont constitués; sur le plan de l'entreprise, des
noyaux de modernisation et quels types de che!,s
d'entreprises, provenant de quels groupes sociaux,
orientés par quelles valeurs ~t stimulés par quelles
situations sociales, et 'économiques de pression, ont
eu ou peuvent avo ir une action significative dans
le développement.
Sur ce point, l'analyse, doit sans aucun doute· être
axée sur le probléme des régles d'investissement et
sur les mécanismes d'action des entreprises. La
structure et le fonctionnement des classes économi-
ques en Amérique Latine sont, étant donné le type
de croissance industrielle indiqué, en grande mesure
conditionnés par j'utilisaÚon .de la:capac,ité d'entre,
prise, des immigrants qui se consacrent: à l'lndustrie
ou par l'utilisation que font, leso chefs d'entrepri~es
dont I'activité originale est liée au secteur agraire-
72 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AM~RIQUE LATINE<

exportateur, des conditions favorables du marché.


L'un' comme'.!'autre sont, contraints de subir les ca-
dres de «I'entreprise familiale ». C'est pourquoi la
nécessité d'obtenir des résultats·économiques à breve
échéance s'oppose aux pôssibilités d'effectuer
de grands investissemenfs dans des' entreprises, de
base et ,empêche la création d'organisations econo-
miquesmodernes. 'Dans ces dernieres, la, rapidite de
I'obtention du profit est remplacée par une moda-
Iité d'action dont la rationalité et l'efficacité peu-
vent se' mesurer à la capacité de garantir, à longue
échéance, des avantages fondés sur une différencia-
tion productive croissante, sur la spécialisation téch-
nique et sur l'épargne d'une production en masse.
Comment a-tcon pu passer, sur le· plan de I'entre-
prise, de I'ancien modele d'action d'entreprise à un
modele plus dynamique? Quel rôle «I'entreprise
étrangere » tient-elle dans ce: nouveau processus?
Quelles valeurs ont orienté les 'anciens propriétaires
d'entreprise dans leur transformation au point de
les convertir en capitaines d'industrie ou en mo-
dernes dirigeants d'entreprise? Jusqu'à quel point
'ce processus 's'est-i! développé grâce à la différen-
ciation interne des classes propriétaires qui se mo-
derniserent, ou fut-i! précipité par des pressions
étrangeres au monde de I'entreprise? Quelles limi-
tations la situation «d'indépendance» introduisit-
elle dans le processus de modernisation de I'entre-
prise ?
En partant de I'hypothese que' le développe- II
,
ment est un processus global qui possede des foyers
de dynamisme étrangersà J'écoriomie de l'entre- '[
prise et qui dépend de ,I'expression d'une politique \
relative à la société dans' son ensemble, i! est ne-
-AGENTS SOCIAUX DE TR-ÃNSFORMATION'ET DE CONSERVATION 73

cessaire de discuter en premier Iieu du probléme,


général qui se référe à I'orientation des, groupes'
d'entr!~prises 'en relation avec, I'Etat et lasociété.
A, ce, ,sujet, I'analyse doit se concentrer sur les pos-,
sibilités et les limites ,qu',ont les chefs d'entreprises
en Amérique Latine, pour agir en dehors du plan
de I'entreprise, en facilitant les «conditions pour
le développement» et en se, transformaIft à' la fois
en c1asse-' politique dominante' (bourgeoisi'e). ,. , "
A ce point'de.' yue, iI y a deux, problémes qui sont
plus importants que les autres :
1) le degré' de bonne volonté des chefs d'entre-
prises vis-à-vis des politiques qui reflétent ,Ia «si~
tuaÚon traditionnelle,» (avec des corollaires comme
la non-participation politique; I~ restrictlón à I'~ctior:i
de I'Etat, 'rejet ,de toute intrusion syndicale dans la
yie publique, recherches de capitaux étrangers,
etc ... ) ;
2) lá, capacité qu'ont certains groupes de chefs
d'entreprises de formuler un «, projet de participa-
tion sociale », qui accepte la légitimité et I'exécu-
tion de la pólitique de développement.
C'est-à-dire, à I'intérieur de quelles limites Jes grou-
pes acceptent-i1s que la lutte pour le contrôle du
destin des investissements déborde du plan de I'en-
treprise au plan de la nation et quels scnt les grouC
pes sociaux restants dont la participation dans la
définition de la politique naÜonale rencor.t:re, pour
des raisons strÍlcturelles,' un accueil favorable' de la
pari: des cnefs d'entreprises? Dans quelles condi'-
tions une «politique nationaliste prend-elle son
sens ? Quelles possibilités 'y a-t-il que le secteur du
populisme favonibleau développement' coincide avec
une politique d'investissements contrôlée par les
74 SOCIOLOGIE DU_ DÉVELOPPEMENT EN -AMÉRIQUE_ LATINE

groupes: 'de chefs d'entreprises et dans :quelles li-


mites ceci peut-il arriver,?
Cette problématiquese' réfêre clairement,aux si-
tuations de sous-développement ,du prerhiêf et du
dernier type meritionnés dans l'introduétion de' cet
ouvrage.
'li est évident quedans 'Ie cas des économies'
d'enclave, le rôle dynamisateur 'du secteur d'entre-
prise provient «,du dehors » et par définition ne dé-
passe pas, en tant que processus innovateur, les li-
mites du«' secteur moderne» de f'économie. Et, au
con'traire, dans le cas des pays avec un secteur
exportateur contrôlé par des intérêts nationaux,
lorsque s'épuisent les possibilités de développement
en fonction du marché externe, le :point de eonver-
gence politico-éconómique des «'pressions de fiasse »
avec le' développement, tout comme les possibilités
mêmes de succês de ce dernier, dépendront dans
une mesure significa tive du comportement· 'politi-
que et économique des secteurs des entreprises.
L'alternative déjà signalée entre «nationalisme»
et <<, politique de développement» comme :voies de
la, politique de développement constitue l'option
extrême qui se pose aux secteurs d'entreprises. Les
répercutions sociales et politiques, tant sur le plan
interne que sur le 'plan externe, de ces deux mo-
dalités d'orientation du développement gardent une
relation directe avec le type de rapport structurel
et d'alliance de groupes et de classes qui se forment
dans chaque situation.
Il sellll:>le illdllbitableque le ,P!lssage <l,u type I au
type III de société (c:est-à,dire, d'une situation ,ca-
ractérisée .par un fort, secteur productif orienté vers
AGENTS SOCIAUX DE'-TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 75

le marché interne) implique, une profonde réorgani-


sation des secteurs productifs et la réorientation de
l'action de l'entreprise au niveau de l'entreprise et
au niveau de la société globale. Du point de vue so-
ciologique, l'analyse du rôle des groupes des entre-
prises dans le développement s'intér:esse à l'étude
du regroupement social et politique qui existe,
danschacune des deux situations typiques men-
tionnées entre les groupes populaires, aussi bien
qu'au comportementdes classes traditionnelles, à
la couche d'Émtreprises nationaies et aux nouveaux
groupes industriels qui établissent le pont entre le
marché interne et lemarché externe. 11 est facile
de comprendre que la transition d'une Jorme de
société à une autre dépendante, améne avec elle
une réarticulation sociale au niveau interne et
externe, d'une énorIl).e importance SUl' le type
d'action possible pour n'importe quel agent social
de conservation ou de transformation des sociétés
sous-développées.

3. Le8 secteurs traditionnels

L'hypothêse générale SUl' laquelle reposent les


recherches déjà exposées est celle de la perméabi-
lité des classes dominantes traditionnelles aux effets
de la transformation sociale. 11 sel'ait simpliste de
supposer que les groupes d'entreprise représentent
la «modernisation» et que poul' cela ilserait na-
turel de les voir faire alliance avec les groupes po-
pulaires de pression, que ce serait suffisant pour
modifier l'équilibre traditionnel. L'expérience histo-
rique latino-américaine prouve bien avant cela la
flexibilité de la fameuse «société traditionnelle ».
76 SQCJOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT- EN AMÉRIQUE I.:ATINE

'En conséquence, la prise en .considération des


« classes traditionneIles » parait s'imposer dans toute
analyse du développement qui Íle part pas de I'idée
préconçue que I'action des 'groupes économiques
industriels et modernisateurs suffit par eIle-même
ou alliée à la pression populaire, pour détruire les
cadres de la société traditionneIle et réorienter le
développement en' vue d'obtenir une plus grande
distribution du revenu, un plus grand 'dynamisme
économique eL une plus large participation popu-
laire dans les décisions politiques et économiques
nationales.
Dans ce programme d'études on ne peut attribuer
aux classes traditibnneIlés au sens strict, la même
signifiêation qu'bn donne aux autres agents histo-
'riques du développement. L'importance du théme
ne réside pas tant dans le dynamisme que peuvent
avoir les groupes traditionnels que dans la com-
préhension de la société traditionneIle, qui permet
I'analyse des limites de I'action modernisatrice des
nouveaux secteurs sociaux, C'est précisément au
moyen de l'analyse de ce théme qu'on arrivera à
définir les limites du développement possible à I'in-
iérieur des structures en vigueur et à éclaircir,
par conséquent, ses possibilités de stagnation.
Cependant, il-ne serait pas adroit d'admettre dans
le développement latino-américain une dichotomie ra-
dicale -entre «groupes modernisants» et «groupes
archaisants ». ,Admettons par principe que les dits
groupes traditionnels furent ceux qui donnerent
I'élan aux formes de, structure sociale et de domi-
nation qui permirent ,1'intégration de J'économie la-
tino-américaine au marché mondial.
AGENTS SOCIAUX DE .TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 77

D'autre parti la structure de' la «,hacienda »et


l'exportation des produits primaires constituerent
dans le passé ' - et à un degré significatif, elles
continuen't à. les constituer aujourd'hui - .les' actie
vités fondamentales des nations du ,continent. Il
n'y a aucun doute, que, dans certains pays, parmi
ce,!x qui se, sont le, plus industrialisés, l'élan initial
pour la modernisation et la croissance, partit des
groupes agraires-expo~tateurs, comme c'est arrivé
notamment en Argentine. De plus, les « classes ·tra-
ditionnelles» réagissent souvent .aux pressions ré-
novatrices nées dans les autres groupes ; cette réac-
tion se produit souvent dans deux sens : sur: le plan
économique, en s'associant auxinitiatives du sec-
teur moderne de la société ou sur le plan politico-
social, en montrant assez de souplesse pour assimiler
et, amortir les pressions rénovatrices. ,De toute fa-
çon, il est bon de ne pas oublier' dans la problé-
matique du développement et de la stagnation, 'a
vitalité de la structure de domination fondée 'sur
«l'économie exportatrice» ainsi que la solidarité
d'intérêts qui se crée entre cette structure ef le sys,
teme urbain industriel naissant. C'est, de cette ma-
niere que pourront se déflni;: de façon plus, nuancee,
aussi bien les possibilités de développement ql.le pos-
sedent les pays latino-américains, que la dénatura-
tion dont souffrent les impactsde ritódernisation
(dynamisés pOlitiquement par les masses populaires
et, économiquement, par les secteurs des eritrej:iri-
ses publiques 'et'privéesl, en raison de la force' de
ce secteur.
Sur le plan sociologique, la structure de la
« hacienda» dans la société' traditionnelle se carac-
térise par le fait, comme l'adéjà. signalé Medina
78 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

Echavarria (4), que cette structure fut tradition-


nelle'ment une cellule de pouvoir politico-militaire,
joint au pouvoir économique. Elle a servi de mo-
dele à une forme d'autorité et elle a créé un 'type
humain de caractere spécifique .. Dans la probléma-
tique plus générale du 'développement, lnotre hypo-
these de base est que ce type de structure a été capa-
ble de subsister économiquement et socialement et
a su se modifier devant les pressions urbano-indus-
trielles.
De cette maniere' la structure traditionnelle, bien
qu'ayant perdú s'on ancienne vigueur, continua à
être présente non seulement en tant que secteur
traditionnel qui coexiste avec le «secteur mo-
derne », mais dans beaucoup ·d'occasions comme par-
tie intégrante de la « nouvelle société ».
Cette possibilité, bien qu'en vérité elle eut lieu
aussi dans le «développement original », a des
caractéristiques et des effets différents dans les
pays d' Amérique Latine. Dans ceux-ci la «hacien-
'da» fut capitaliste des le début; ce qui facilita le
passage de la structure « traditionnelle» à la struc-
ttire .« moderne» et les rapports entre le secteur
industriel et le secteur agraire-exportateur, établis
au moyen de liens bancaires.
D:un ,autre côté, la problématique des secteurs
dominants traditionnels en. Amérique Latine se li-
mite souvent au rôle tenu par Ies propriétaires
terriens. Une serriblable. limitatiim se' justifie mal

4. 'José- Medina Echavarria, Consideraciones sociologicas


sobre- el desarrollo ,economico (Considérations sociologiques
sur, le développement économique), So]arfHa~<hettê, Buenos
"Aires, 1964, p. 30 et suivantes.
AGENTS"SOCIAUX DE"·TRANSFORMATION ET"DE CONSERVATION 79

si on prend en considération le 'fait 'que dans beau-


coup de pays le' contrôle de l'appareil de, l'Etat se
maintient au moyen de l'organisation politique de
secteurs commerciaux, importateurs et exportateilrs;
Il semblerait' donc que le poids relatif des deux
branches des groupes traditionnels en Amérique' La-
tine dépende du type de'situation de,sous-développe-
ment: dans le cas: des économies d'exportation
contrôlées par des producteurs locaux, 1"« oligar-
chie> de la terre », joue un rôle prépondérant, dans
le cas des 'économies d'enclave, le' secteur local do-
minant doit 'économiquement plus au commerce qu'à
l'écono~ie rurale;
Cependant, même dans les situations du premier
type, le commerce et les finances ont servi de porit
entre le secteur interne et le secteur, externe et par
la suite, dans les 'moments' d'expansion «vers I'in-
térieur », ils jouérent le rôle de mécanismes' de réin-
'tégration des secteurs traditionnels dans les nou-
velles conditions du développement.
Quand se présentent des situations o.u les secteurs
traditionnels arrivent à se moderniser (comme dans
la période d'expansion vers I'extérieur dê l'écono-
mie' de I'élevage ou de celle du café dans le cas de
pays du premier type indiqué) ou quand, dans le
cas des situations d'enclave, ils utilisent des élans
favorables de transformation des seçteurs populai,
res et des secteurs moyens, pour obtenir du' secteur
externe de nouveaux accords surles conditions
d'exploitation des ressources nationales, dans ces
cas, les groupes traditionnels' tendent à se considé-
rer comme «I'ensemble de la Nation », et dans êe
sens, ilstiennent le rôle dirigeant dans la société,
80 ;SOCIOLOGIE, DU· Dll':VELOPPEMENT EN. AMÉRIQUE LATINE

De plus, Ia réintégration de'la structurede pou-


voir enregistrée ,dans Ia phase d'élargissement du
marché, interne se produisit, commenoús l'avons
déjà signalé, dans des conditions qui, supposent
l'existence d'une pression constante et: qui menace
les masses..Même si les limites structurelles 'sont
suffisantes, en général, pour contenir Ia force réno-
vatrice de la pression des masses urbaines, les nou-
velles classes dirigeantes craignent les conséquences
que ce processus pourrait avoir sur le, contrôle
poli tique de la société. Ceci les prédispose à réagir
plus en « classes propriétaires » qu'en secteur indus-
triel ou qu'en groupe modernisant, toutes les fois
que, réelle ou imaginaire, s'est développée une situa-
tion dangereuse sous la pression des masses.
Donc, les alliances entre la classe politique tra-
ditionnelle et les groupes d'entreprises en plein
développement s'élargissent. En faveur de cette
alliance, équivoque en apparence quand l'analyse se
fait à travers le schéma des étapes nécessaires du
développement social, on peut alléguer le fait que,
contrairement à ce qui arrivait souvent à l'époque
du développément original, le marché mondial et
le systeme d'alliances internationales sont mainte-
nant divisés. Ceci justifie l'appui extérieur apporté
aux situations nouvelles, surgies des impasses créées
par des mouvementsanti~oligarchiques contrôlés par
'des secteursd'inspiration radicale qui ne sont pas
liés au sta'tu quo.
Ces, particularités garantissent, à ce qu'on a
appelé, ayec inexactitude, les ,« secteurs tradition-
nels », une large marge d'action et une importance
disproportionnée par rapport au poids réel qu'ils
AGENTS SOCIAUX DE TRANSFORMATION ET ~E CONSERVATION 81
-
possédent, tant économique que politique. Vn tel
ça,s !lPpar~it souvent dans les périodes .initiajes de
restructl.\ration de la société,dans le passage vers
ce que nous ayõns appelé ·Ie type III de sous-déve-
loppement. -
Cependant, il faut signaler que, quand ce mo-
déle tend à se généraliser dans une société natio-
nale, c'est une' erreur de continuer à' penser que
«l'oligarchie de la terre» permet aux cadresde
mener une act~on P9litique et qu'elle a la même
importance économique garantie par la prédomi-
nance sociale, comme dans le cas du modéle I,
c'est-à-dire des sociétés organisées en fonction du
secteur exportateur, nationalagrair,e et de I'élevage.
Les voies de la vie politique et économique natio-
nale se forment, âans cette circonstance, en fonc-
o _. _ • • ." •

tion des nouveaux groupes de ·pression qui expri-


ment la réintégration de,s çouches sociales' à partir
des .nouveaux types de rapport interne et exterlJe
du systéme productif. Le .r:ôle tenu par les secteurs
traditionnels. stricto sensu, dans le. nouvel ordre
établi est, d'un côté, symbolique et d'll!l autre dé~
pendant. Dans ce cas, la % véritableoligarchie» a
déjà son origine, et ses bases dans les sectel!rs fi-
nanciers-industriels Ilrbains, pendant que «1'Çlligar-
chie de la terre» se dissotit, soit. par I'intégratjgn
sur· des bases modernes dans la. nouvelle. situation,
soit parce qu'elle joue un .,rô}e ,secondaire en accord
avec les intérêts émergents .
La problématique du «secte1.!.r traditionnel»
s'achéve en quelque sorte avec ces recherches: il
faudrait considérer aussi les conditi0ns d'action et
les aspirations' des masses paysannes. Il est cer-
tain, que ladynamique des sociétés, .1atino-,al!l.~ri-


82 SOCIOLOGIE DU DÉVEWPPEMENT EN- AMÉRIQUE LATINE

caines qui s'industrialisent dépend de progrés essen-


tiellement 'urbains, mais' iJ existe 'au moins deux
questions qu'on ne peut laisser de côté dans une
étude sur le âévelóppernent, bien qúe, comme cela
arrive dans ce cas, iJ n'ait jamais été attribué de
place spéciale à I'analyse de la société' rurale. Ces
deux questions sont: les limites que «I'équilibre
rural» icnpose à la dynamique du développement, et
les répercussions que le «probleme agraire» peut
avoir sur la politique de démocratisation des grou-
pes urbains. En réalité, les possibilités de voir le
progrés économico-social et la participation crois-
sante des màsses utbaines se développer sur uri
rythme raisonnable dans les 'phases de la crois-
sance économique, et aussi la possibilité de voir
s'établir un équilibre tolérable dans les moments
'de stagnation: dépendent, en' derniére instance, du
fàit que les' masses rurales demeurent absolu-
ment exclues des' bénéfices obtenus par l'industria-
Iisation et le développement. Cette situation a des
conséquences directes, dans deux directions, en ce
qui conéerrie I'équilibre éconOmique.
D'une part, elle permet' une plus grande flexibi-
lité dans la ,négociation, des conventions entre les
secteurs de' 'propriétaires urbano-industriels et les
masses en voie, de prolétarisation 'et d'intégration.
D'autre part, elle' assure aux secteurs des proprié-
'taires ruraux le compromis implicite que les rela-
tions de domination (politique et économique) qu'iJs
exercerit sul' les masses rurales resteront intactes.
De toute maniére, iJ' semblerait, que la moderni-
sation urbano-industrielle ne peut affecter le sec-
teur rural que' de façon lente et indirecte. Tous les
groupes intéressés socialement au. développement
9
AGENTS.SOCIAUX DE TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 83:

sont d'accord pour le maintien d'une situation de


retard ,de la, masse rurale:
Dans.les situations de transformation soCialé plus
rapide, avec une croissance économique simul-,
tanée"le rythme des transformations .rurales s'accé-.
lere et iI est. possible' d'obtenir un nouvel' équi-
Iibre, urbano,rural plus satisfaisant pour, tous (Ar-
gentine), mais c'est un cas extrême en Amérique
Latine. En général, la situation agraire est le ta-
lon d'Achille du" développement; I'effet des chan-
gements qui se sont produits ,dans la. sphere ur-
baine se fait ,sentir avant qu'i1 soU: possible d'accé-
derpolitiquement et économiquement aux revendi-
cations des masses rurales. Ainsi, certains secteurs
restreints du monde rural peuvent exercer une
pression afin d'obtenir de meilleures conditions de
vie, répondant de 'cette maniere à la poussée des
effets de la croissance urbaine. Lorsque ces reven-
dications sont acceptées ,par les groupes urbains, et
soutenues par des attitudes politico-idéologiques, la
pression rénovatrice urbano-rurale qui s'exprime po-
Iitiquement dans I'enceinte nationale devient «dan-
gereuse ». Si ce processus arrive avant qu'existent
les ,conditions économiques permettant de prendre
en considération les nouvelles .revendications et de
soutenir I'amélioration, des conditions de vie des
masses urbaines et d'assurer la continuité du rythme
de croissance, iI peut naitre une situation qui
amoindrit le modele courant de développement 'Iati-
no-américain.
En effet, ,dans ce cas, la limite à I'intérieur de
laquelle peut être conservée la perméabilité des
classes traditionnelles dans un climat d'acceptation
croissante des pressions des masses, reste manifeste.
84 '.SOCIOWGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

La nort-intégration des masses paysannes et la, mar-.
ginalisation urbaine des «migrants» constituent la
condition nécessaire pour que ce processus ait lieu.
C'est pour cette raison que les revendications en
faveur' des réformes agraires prennent 'un carac-
tere explosif qu'elles ne 'póssedent pas par elles-
mêmes: elles équivalent .. à dévoiler les contradic-
tions du systeme politico-socialen vigueur. Sur le
plan économique, des solutions techniques permet-
tant les «étranglements,» de la: structure agraire
peuvent exister, mais politiquement, la modernisa-
tion des relationssociales dans ce domaine 'ne peut
arriver qu'une fois écartée une redéfinition radicale
de l'équilibre poli tique, quand le 'cours, mondial des
produits de base de l'agriculture et de l'élevage
essentiels pour l'économie du pays, permet l'obten-
tion de grands bénéfices et ceci toujours à condi-
tion que les techniques et les modalités de produc-
tion rurale se modernisent (Argentine). Dans le
cas contraire, on maintient une regle de' développe-
ment déséquilibré entre la campagne' <it la ville.
Dans cette derniere hypothese, il regne, un climat
politico-social d'euphorie relative - , sauf, naturel-
lemenLdans les secteurs marginaux que ,nous avons
mentionnés - à condition que les revendications
des campagnes n'aient pas la possibilité de se faire
sentir ou que lesmasses rurales ne les remarquent
pas.
L'analyse' des' conséquences' de: cette situationest
essimtielle pour déterminer les possibilités et les
limites dú ,développement capitaliste. Dans sa forme
extrême,cette problématique 'arrive à dépasser la
question du «développement» pour se placer sur
le plan° des transformations 'de tout le systéme
AGENTS SOCIAUX DE TRANSFORMATION ET 'DE CONSERVATION 85

social. -En effet, l'hypothese déjà mentionnée nous


met en garde contre la possibilité théorique de dé-
velopper le systeme au moyen d'un. modele politico-
social quj suppose qu'on institutionnalise ·la. pression
des masses.à ]'jntérieur du cadre élargi de la domina-
tion traditionnelle. Sauf situation exceptionnelle-
ment favorable pour le marché exportateur dans
des paysou on manque de main-d'reuvre rurale, la
pression simultanée des masses. rurale~ et des masses
urbaines pour obtenir une augmentation dans sa
participation éconQmique, .met en péril l'accord po-
litique en vigueur et met en relief un probleme
fondamental pour la croissance : ]'excédent créé. par
une économie «en développement» ne suffit pas
à maintenir un taux élevé deconsommation des
classes traditionnelles, un haut degré d'irrationalité
des entreprises (comme il en existe souvent) et des
rémunérations raisonnables pour les classes salariées
en général.Certains d'entre eux' ou même la ma-
jorité, doivent payer le coüt du développement, que
ce. soit par Ia perte de Ieurs privileges -ce, sont les
moins nombreux - ou bien par le retour à de três
bas niveaux de salaires-les plus .courants.
Une telle problématique se pose dans ces. termes
a vec netteté quand le PI"0cessus de développement
accentue' les tensions Bociales dans.le cas des socié-
tés ou prédomine .le type I d'intégration dans le
marché international signalé ici.. Dans le' cas des
économies d'enclave, principalement quand H s'agit
de «plantations », I'expansion économique conduit
directement à l'augmentation des tensions .rurales
et, en conséquence, à I'accroissement despressions
urbaines .. C'est seulement pour 'Ie type III de .société,
lorsque les ressources natu~elles existent' el! ,abon-
:86 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

~dance; qu'il faut repensei' le probleme rural d'une


autre maniere. Cependant, 'dans le cas des pays dont
le développement antérieur s'est fóndé sur l'expor-
tation de marchandises qui ont exigé Ia participa-
tion des grandes masses de population rurale ou
dans I'exploitation massive de main-d'reuvre indi- ,~
gene - les conditions technologiques' les plus im-
portantes dans le modele III !1e développement di-
minuent les possibilités de transition vers une in-
tégration complete du marché et vers une large
utilisation de la main-d'reuvre disponible.

"4. Le rôle de l'Etat

Enfin, et lié avec la thématique des conditions


sociales de contrôle des investissements et de la
consommation dans les sociétés sous-développées,
nous avons le probleme de l'Etat, considéré comme
centre des décisions adoptées pour le développe-
ment 'et, en conséquence, comme institution capa-
ble de. planifier. La rupture de :J'équilibre politique
traditionnel en Amérique Latine .est en partie la
conséquence de la volonté d'intégration des masses
(bien que dans la plupart dês cas, cette pression se
produise par la simple présence' de masses politi-
quement disponibles qui infusent du dynamisme à
I'action d'autres groupes sociaux) et ~d'autre part,
la canalisation de cette pression, orientée vers le
développement, peut se faire quand les groupes de
chefs d'entreprises-propriétaires et de chefs d'en-
treprises publiques 'orientent les investissements
vers les secteurs de base du systeme économique,
. obtenant de cette façon la différenciation du sys-
teme productif.
AGE~~ SOC.~A~~, P.ç, TF.~~~fORMATIO!:! ,ET DE. CO~SERyATION 87

Dans ce processus, l'harmonisation entre les in-


térêts antagonistes des classes, dans certaines cir-
constances, et, la pré'dominance,' des .u;{s "sur lEis
autres au moyen de.la domination sociale passe par
le crible de I'Etat.
, Evidemment, I'Etat est l'expression d'im ensemble
de forces et de mouvements sociaux qui établissent
entre eux .des relations. de domination, il ne vien-
drait donc à l'esprit de personne. d~ penser à un
Etat supra-social. L'Etat· acquiert en Amérique La-
tine, en général, la nature «d'état oligarchique >', à
cause d'associations d'intérêts degroupes dominants,
divers mais limités qui, en dernier lieu, tendent à
trouver par des critêres aussi traditionnels que le
« droit à dominer», la légitimité de l'usage de la
force de contrôle et de la répression de I'Etat.
Cependant, quand l'.équilibre traditionnel se rompt
(c'est une étape vers la formation de I'état mo-
derne) , se présentent alors. des sltuations de pou-
voir extrêmement fluides qui caractérisent ce que
certains auteurs appellent I' «Etat populiste» (5).
L'étude des problêmes que pose la formation des
Etats nationaux et qui ont des répercuss'ions sur le dé-
veloppement, débute par la recherche des condiÍions
structurelles et par des recherches sur .le .sens du
processus politique que les dites transformations
occasionnent. Les deux derniêres questions de la
problématique de la formation . de l'Etat national
'en Amérique Latine dans ses relations avec le dé-
veloppement, se formulent ainsi :
1) Dans quelles' concÍitions le vide qu'il y a, dans
les sociétés en développement, entre la légitimation

5. Voir à ce sujet l'article. de Francesco Weffort déjà cité.


88 SOCIOLOGIE nu D~vELOPPEMENT EN- AM~RIQUE LATINE

du pouvôií"que conférent les masses et son armée,


qui dépend de groupes dé' pressibn et du confrôle
qui se forment lorsqu'ils sontstrictement liés aux
groupes traditionnels et auxgroupes économiques,
permet-il l'accord efficace et. nécessaire pour que
l'action de I'Etat aitsimultanément un sens éco- .,J
nomique en ce qui concerne les «intérêts de la
Nation » et urí conténu politique ?
2) Quelles possibilités Y iH:il ,pour que se ma in-
tiennent l'idéal et la réalité des Etáts nationaux ~
dans 'les pays dépemlants, quand déjà s'esqtiissent
avec clartédes régles d'associations pluri-nationales;
sous la tutelle des pays centraux ?
Les portées de la seconde question tendent di'-
rectement vers la próblématique des blocs régionaux
(une Amédque Latine de plusieurs parties?)
comme tentative de réponse aux défis des orga-
nismes supra-nationa!lx et. à la question de la ou
des «intégrations économiques ». La nouveauté et
l'importance des thérilEis demandent beaucoup de
précautíons dans leurs développements éventuels.
En ce qui concerne le SUjei auquel se référe la
premjére question, quand on regardela prolÍléma-
tique de l'Etàt du 'point de vue de la structure et
des processus politiques qui donnent. un sens à sa
'formation en Amérique Latine, les, thémes dépas-
sent les limites de l'anafyse « institutionnélle» pour
atteindre le plan de recherche plus général contenu
dans la question antérieure: quelles sont les condi-
tions de légitimité e( d'efficacHé de I'Etat quand J
il se 'structure dans des pays dépendants ou le déve- ,
loppement, dans une premiére étape, se produit aussi
bien par la pression des décisions de consomma-
tion que par celles de l'investissemerít, dans un jeu
AGENTS SOCIAUX DE TRANSFOR:MATION ET DE CONSERVATION 89

poli tique auquel participent les masses urbaines


avec les secteurs traditionnels et les nouveaux grou:
pes économiques' qui montent? Dans quelles 'condi-
tions l'Etat peut-il modifier cette tendance, et' se
transformer en un complexe de décisions d'investis-
sements ? Sur quelles forces, quels groupes et quels
mouvements soéiaux l'Etat peut-il s'appuyer pour
orienter I'axe économique' et politique versles déci-
sions sur la production ?
Répondre 'à ces questions supposé qti'il faut trans-
poser I'analyse du 'plan de l'Etat à celui de la so'-
ciété, ce qui equivatità se demander quel est le
modéle de dominaiion en vigueur' avant et aprés
que ne commencele processus de développement.
Comment les élasses, 'lei; groupes et 'Ies mouvements
sociaux agissent-ils et s'orientent-ils politiquement
dans les conditions structurales et historiques'actuel-
les en Ãmérique Latine ? Ilfaut' considérer ce qui a
été' exam'iné dans I' analyse de chacune des forces
qui 'interviennent dans le maintien des conditions
sociales et dans leur transformaticin er. Amérique
Latine (spécialement dans ce qui se référe à la
pression populiste des masses et à' la flexibilité des
groupes traditionnels), afin de. donner une iâée de
cet aspect de ia problêmatique de l'Etat.
Toujours en ce qui concerne la problématique de
l'Etat, les chercheurs ,doivent effecttier les diverses
analyses correspondant aux types de base des ques-
tions 'générales que nous.présentons sur le sujet et
qui' prennent tout leur sens rlans le type I de sous~
'développement: dans ce cas, l'Etat serait l'expres-
sion natlonale des groupes économiques e't aspire-
rait àêtre représentatif de «tout lepeuple »: La
légitimité démocratique se transforme dans le con-
90 ~ÇIpr.gQ.IE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

tenu idéologique de, I'Etat en instittl~i(m juridique.


Les conditions de sa possibilité et de s~s limites
deviennent le thême essentiel de l'investigation so-
ciologiqu~.
Les conditions formelles et réelles de I'Etat dans
le cas des sociétés fondées sur les économies d'en-
clave serai<~nt-elles semblables ? Apparemment, dans
cette situation, l'équilibre relatif des deux termes
sur lesquels s'organise l'instituiion de l'Etat comme
forme de domlnation - la force et la légitimité -
se rompt en faveur du premier. Dans cette situa-
ti~n, l'e;<clusion ou la proscription poli tique se pré-
sente souvent comme l'étroit sentier qui. garde ja-
lousement la domination des classes possédantes,
car les possibilités du «populisme» en tant que
forme de parÚcipation poli tique des masses sont
peu nombreuses et rares les choix positifs offerts,
par la participation organisée des masses, en vertu
des difficultés mêmes qui se présentent, sur le plan
économique et sur le plan social, pour une partici-
pation ~ de la, majorité ». De plus, comme la possi-
bilité, même d'arriver à être propriétaires dépend
en grande partie de la manipulation du pouvoir, le
pouvoirse 'transforme directement en objet d'appro-
priation exclusive des groupes minoritaires domi-
nants.
L'autre thême, nécessaire dans les analyses du
dével'oppement est celui de la formation de. I'Etat
en sociétés dont l'intégration. économique est. fondée
sur des enclaves et qui réussirent à créer, 'aprês ou
fIJmê,me ,temps, des secteurs productifs nationaux
ou qui, pour diverses circonstances, assistêrent à la
,montée des couches moyennes ét à leur liaison avec
.l'appareil. de J'Etat. '
AGENTS SOCI~mCDE',TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 91

F'inalement, la recherche sociologique ,doit discu-


ter le :rôle de J'Etat dans, le cas des économies qui
s.e développent par .Ia poussée du marché interne,
mais ou 'les investissements 'externes 'accaparent' le
secteur productif industriel le plus moderne. Comme
nous l'affirmons dans l'introduction de' cet ouvrage,
la réaction des groupes et ,des mouvements sociaux
nationaux en faveur de l'autonomie 'desdécisions
tend en Amérique, Latine à transformer I'Etat en
organe' productif qui impose les réglements. Quelles
sont les conditions formelles et effectives qui font
qu'un tel processus peut avoir lieu quand les éco-
nomies se fondent sur un marché interne ouvert
généreusement aux capitaux étrangers ? Nous ,avons
déjà signalé qu'une des conditions pour que cela
arrive consiste dans la modernisation et dans l'or-
ganisation des, groupes ouvriers et des secteurs tech-
niques, ,par le dépassement du populisme. Quelles
sont· les conditions sociales requises pour, que les
nouveaux groupes d'entreprises acceptentde parti,
ciper aux accords qui assurent aussi bien l'intégra-
tion politique et sociale ,des masses que l'autonomie
du systélJ1e des décisions économiques, de telle ma-
niere que I'Etat regle le sens du développement et
ceci, sans confondre le plan économique (la produc-
tion) et le, plan politique (le contrôle) ?
Y a-t-il réellement dans les ,conditions latino,amé-
ricaines actuelles de véritables, possibilités pour éta-
blir ce genre de ,rapport, entre les, secteurs ,écono-
miques et .Ies secteurs, politiques? Ou, à l'inverse,
comme les situations recentes paraissent l'indiquer,
la -forme de développement adoptée, avec 'une, crois-
sante participation des ,grandes 'unités productives
à caractere de monopoles, orientée par une poli-
92 SOCIOLOGIE nu nÉvELoPPEMENT -EN" AMÉRIQUE LATINE"

tique de dévelrippément de «capital intensif », est-


elle incompatible avec une participation des masses
à l'intérieurdu systéme politique ef tend-elle néc
cessairement vers des formesautoritaires de l'Etat ?
Quand on ne pense pas aux relations de I'Etat
avec la, dynamique globale de la société, mais seu'
lement aux possibilités d'efficacité et à la capacité
de. décision politique et économique de la machine
de I'Etat, la question fondamentale vise la forma-
tion des 'secteurs poli tiques et bureaucratiques
n'ayant relativement pas de rapport avec les inté-
rêts de groupes, capables de donner une direction
nationale' aux déeisionsde I'Etat. A ce point de
vue, l'arialyse de. la constitution de la bureaucratie
(dans le sens sociologique) et de ses relations avec
le processus' poli tique, prend une signification réelle
pour l'interprétatirin du développement.
Le' déplacement des fonctions régulatrices tradi-
·tionnelles de. I'Etat. vers des fonctions d'entreprises,
comme par"exemple lã rãtiónaJisation de la politique
économique générale, va dépendre 'daris une grande
mesure des conditions sociales et des valeurs qui
ont orienté la formation et la modernisation pose
térieure dcs fonctionnaires de I'Etat.
Un ,des,obstacles parmilesplus courants, 'dans les
pays latino-américains, pour la création d'une 'vé-
ritable bureaucratie à forination technique, réside
dans ;le fait que la transition de la société tradition-
nelle se fait sous la 'pression des' mouvements popu-
listes" d'ou les revendications' concernant la distri C
bution du revenu et lEi prix' des faveurs électo-
rales se répercutant au niveau' dê I'Etat et transfor-
mant l'administration 'en un mécanisme de politi-
que: de clientéle,bien qu'avec, 'un 'sens différent de
AGENTS SOCI~UX DE TRANSFORMATION_ ET DE CONSERVATION 93

celui·qu'elle, avait dans la période de sélection exclu-


sivement patrimoniale 'des fonctionnaires: c'est-à-
dire, qu'on 'ne tient compte que ,des exigences de
la «..clientéle. de masses» et .non pas des critéres
et des objectifs impersonnels et techniques' que cré-
clame une bureaucratie moderneo En .résumé, il a
été possible dans certaines conditions, de 'former
des noyaux bureaucratiques, capables de. donner à
l'Etat les ç\lractéristiques d'une organisation exem-
plaire, non s~ulemel)t el) fonction de l'efficacité
technique, ,mais aussi en fonction de.la caP!lc!t~ dç
décision au niveau politique et économique (plani-
fication) o Quelles conditions politiques .et sociales
conduisent à ce résultat ?
Le sujet n'a :pas. été ,~tudié en Amérique Latine,
c'est pour. cette raison que peu .de questions pré,
cises s'yrapportant peuvent être poséeso
En relation avec ce probléme, les études' et les
spéculations sur le role des classes nioyennes, spé-
cialement .celles qu'on appelle classes rrioyennes
« nouveÜes» ou «professionnelles », prennent un
senso La pression de certains groupes techniques dês
classes omoyennes, principalement miÍitalres, ceux
qui trouvérent un écho dans l'administration publf-
que et dans l'administration technifiée. (ingénieurs,
économistesl. s'est manifestée .en fonction de cer-
taines des principales décisi6ns én matiére d'inves-
tissements dans des secteurs stratégiques 'pour le
développement de I'Amérique Latine (sidérurgie et
'pétrole, par exemple, dans des pays, comme ]' ArgeiJ.-
tine et le Brésil, pour'ne pas citer 'le Mexique)o
Sans óctroyer une trop' grande, autonomie à :ces
groupes (ici aussi se présentent les mêmes condi-
tions générales qui favorisent ou engourdissent la
94 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPE:MENT EN" AMÉRIQUE LATINE

transformatiim socialeet que nous avons déjà si-


gnalées en ,tant qu'éléments qui, conditionnaient
l'action d'entreprise), ilconvient malgré tout de re-
chercher leur importance dans'un projet national de
développement.
Le probleme central consisteraJt dans l'analyse
de l'inrlépendance relative avec laquelle les secteurs
techniques ,de la bureaucratie peuvent faire face, le
cas échéant, aux pressions des groupes d'entreprises,
'des classes traditionnelles et des masses populaires
et de leur capacité d'exprimer, dans des circons-
tances déterminées,les «intérêts de la collectivité »
enfonction du développement.
Ainsi, ~omme ,pour Jes autres « groupes stratégi'
ques », il faudrait appliquer à cette étape une mé-
thodologie qui soit simultanément analytique et syn-
thétique.
Dans le preniier cas, il serait nécessaire d'ana-
lyser ceux qui pourraient s'appeler • chefs d'entre-
prises publiques », concept qui comprend aussibien
les créàteurs et les, dirigeants des entreprises de
l'Etat, que les responsables de la proposition des
plans et des projets de développement.
Pour le second cas, il faudrait déterminer, au
moyen d'une interprétation, les conditions struc-
turelles et Jes orientations à partir desquelles ces
groupes " moyens» agissent. TI s'agit de ,découvrir
le mécanisme au moyen duquel ils ont acces aux
décisions, les limites de leur autonomie et les consé-
'quences des politiques et des alliances qu'ils éta-
blissent avec, d'autresgroupes sur le sens du proces-
sus de transformation sociale.
AGENTS SOCIAUX DE TRANSFORMATION ET DE CONSERVATION 95

Pour terminer, nous pouvons dire qu'il .ne serait


pas hors de propos d'insister sur la nécessité absolue
d'une vision intégrée des possibilités d'action de
chacun des « groupes stratégiques» mentionnés ici,
dans les situations typiques de développement en
Amérique Latine et aussi sur la nécessité d'appro-
fondir l'analyse jusqu'à découvrir quelles sont les
limites que les structures économico-sociales et les
valeurs typiques (idéologies) de chacun d'eux im-
posent à l'action de chaque «protagoniste social»
et au développement lui-même.
CHAP I TRE .lII

,INDUSTRIALISA TION.
STRUCTURE DE L'.EMPLOI
ET SniATIFICATION· ,SOCrALK
EN AMERIQUE LATINE·

1, Introduction

La bibliographie socioIogique spécialisée dans


I'anaIyse du déveIoppement de. l' Amérique Latine a
concentré en généiaI son attention sur Ies « obsta-
cI~s à Út,· tninsf~rmafjon.» et sur I'étude des .forces
capabIes de d()nner du dynamisme à une situation
de stagnation et de sous-déveIoppe~enL
Certaines des hypothéses principaIes. se ,éférant
aux conditions sociaIes du déveIoppement, eL beau-
coup d'essais pubIiés sur Ia situation sociaIe de
I'Amérique Latine supposent, .comme point de ,dé-
pàrt, J'existence d'une 'classe d0n:tinante tradition-
neIle, oligarchique, et .même, seIon certains auteurs ó
% aristocratique· », qui contrôIerait .Ie systéme poli-
tique et économique de Ia région" Cette classe tra-
ditionneIle ~~t présentée comn:te opposée, au chan-
gement .
• Cet ouvrage fut écrit en collaboration àvec José Luis
Re:yna.
o

7
98 SOCIOWGIE DU DtvEWPPEMENT EN AM~RIQUE LATlNE

D'autre part, on a émis l'idée que Ies masses


«mobilisées mais non-incorporées» constituent Ia
base de Ia dynamisation du systeme politico-social.
Ces masses, seIon Ies préférences idéoIogiques des
anaIystes, sont conçues de façons diverses: comme
« classe en puissance », comme « masses citadines »
régies par Ies motifs et Ies orientations de consom-
mation que «I'effet de démonstration» des pays
déveIoppés stimuI~ chez ~Ile, ou comme «masses
marginaIes », qui menacent' Ia société constituée,
de Ia même mànieré qu'à d:autres époques, Ies
« barbares» mirenten péril 'Ia «civilisation occi-
dentaIe ».
On a aussi beaucoup insisté sur Ies effets qu'im-
pliquerait Ia forme du processus de déveIoppement
de Ia situation sociaIe de l' Amérique Latine. L'in-
suffisance dynamique du déveIoppement' économique
se manifeste dans!'incapacité dli' systeme productif
de créer des empIois' en 'nombre suffisant et de cette
maniere d'absorber Ia croissance démographique de
Ia région. En conséquence, quand un début d'indus-
trialisation se présente ou quand Ie taux d'urba-
nisation s'accéIere,Ies conditions typiques du sous-
déveIoppement se manifestent souvent 'tres vite.
Tant 'que Ies regIes des économies agraires' pré-
dcífuinent, ces conditions typiques du sous-déveIop-
pement ne se pé'rçoivent pas de' façon dramatique;
bien qu'eIles n',m gardent pas moins Ieur impor-
tance. Au contraire; l'industrialisation'eí 'l'urbani-
sation rendentmanifeste Ia précai"ité de Ia situation
en vigueur. Ainsi, Ia: formation de Iarges surfaces
de «favelas », «barriadas», «vilIas miseria»,
« caIlampas »' (ouqueI que soit Ie nom de ces
.(N. d. T.): Les noma donnés à ces zones misérables· dif-
ferent selon les pays d'Amérique Latine et équivalent à nos
« bidons-villes :..
STRUCTURE DE "L'EMPLOI 'ET STRATIFICATION SOCIALE' 99

pópulations d'aspect. rriisérable)', incorpore aux villes


mêmes les plus basses conditions de salubrité, de
vie, d'éducation, etc ... , dans lesquelles vit une partie
considérable de la population. Si on ajoute' à ceci
le taux élevé d'accroissement démographique de,,'
zones rurales et des couches les plus pauvres de la'
société, il est facile de comprendre pour que! motif
on parle constamment du potentiel dynamique que
le mécontentement populaire ajoute à la' rigidité
qu'on attribue à l'orare établi, ordre politico-social
traditionnel.
Malgré tout et sans nier la sitúation d'indigence
dans laquelle vit réellement' la plus grande pártie
de la population ~ disons enpassant qu'on note
même une tendance à l'augmentation du nombre
absólu de 'ceux qui ont des niveaux de vie 'trés
ba~ - il semble nécessaire d'évaluer soigneusemen!
la grandeur, la portée et 'la sigílification des trans-
formations qui ont .eu lieu dans les derniéres dé-
cades en Amérique Latine.
Evidemment; de telles' transformations auront une
importance différente dans les divers pays de la
zone, tout comme elles se manifestero'nt aussi à
des niveaux différent:s de la st'ructure économique
et sociale, de la structur'e dérhógraphique, du sys-
teme productif et de la structure de l'emploi.
Dans le présent ouvrage, nous tenterons de. re-
chercher cestransformations en partant'des infor-
matiomi disponibles. Afin d'éviterl'erreur de dé-
battre de manier'e générále de I'Amérique Latine,
cómme s'il s'agissait d'une région à 'problemes
homogénes et à perspectives similaires, nous' con-
centrerons notre attention seulement.. sur certains
pays.· Comme critfre de sélection, nous avons défini
100 SOCIOLOGIE.DU ,'DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE, LATINE

une: dimension de base: lEi, degré d'importance du


systeme. productif jndustriel.
Par, conséquent, ,l'objet 'immédiat âu travaÜ sera
de, déterminer 'les transformations qui ont eu lieu
dans Ia «structtife socio-éconorriique.» des pays
d'Amérique 'Latine qui parvinrent 'le plus à s'in-
dustrialiser, choisis en fonction de certains signes
éviâents, 'En nous fondant sur J'analyse de ces don-
nées, nous essayerons .de dém'ontrér qu'il est trom-
peur de pretendre que dans le processus de dévelop~
pement des pays périphériques se répetent les étapes
qui earactél-isentTévolution des pays développés, dont
i'industriaIÍsation 'se 'rit: de façon a'utonome, CeIl~
,des pays que nous étudions ici se maintient dans
ún ,cadre oú l'avance technico-économique des pays
industi'iels impose certaines normes qui conduisent
nécessairement à un modele de croissance établie
sur une concentration élevée de capital et sur une
utilisation réduite de Ia main-d'ceuvre,
En conséquence, le secteur industriel absorbe peu
de main:d'ceuvre tandis que le secteur services en-
registre une croissance de main;d'ceuvre, tres impor-
tante aux dépens d'une diminution de. Ia population
active à I'intérieur du ~ecteur primaire,
Cependant, Ia perspective, adoptée dans le présent
ouvragesouligne que les ehangements ,qui se gont
produits furent eonsidérables et done que l'image
d'une Amérique Latine contrôlée politiquement par
des classes 'traditionneIles peu disposées à se. mo-.
,derniser ne eorrespondpas si faeilement à Ia situa-
tion réeIle des pays eonsidéi'és,
D:autre part; ,à partir des données disponibles, iI
'faut utiliser eertaines hypotheses sur 'lestransfor-
SrRUCTURE"'"DE L'EMPLO"x" -Ej-"STRÃTIFICATION'SOCIALE 101

niations des rêgles d'intégration' sociale "et politique


qui considêrent, de maniêre' peut'être' plus réaliste,
les nouvelles conditións strudurelles existantes
dans les pays les plus iiidüstriàlisés de la région.
En effet, bien qu'il y ait eu des trlmsformations
structurelles effectives, certaines à, un rythme, accéc
léré et avec de profondes conséquences, les dónnées
disponibles ne permettent pas,comme' on le .verra
par la suité, d'avancer des hypotheses' qui soutien-
'nent que les avances vers l'industrialisation et la
fransformation de la structure socio-économique,
même dans ,Ies paysles phis développés de la zone ó
assurent la réussite des rêgles d'intégration sociale
et économique semblables à celles qui prévalent
dans les pays développés, 'quand ceux-CÍ constituent
.le «centre» du systême économique auquel serap-
'portent les économies latino-américaÚl~s.
Dans les conclusions nous rechercherons une in-
terprétation possible' du .type de développement que
.l'Amerique Latine' est en train d'atteindre, Nous
essayerons de dégager certains traits de la struc"
ture sociale en fórmation qui diminuent le but expli~
catif aussi bien des hypothêses' qui soutiennent le
schéma oligarchie-peuple, que de celles qui suppo-
sent la « modernisation » de 'Iarégion en termes de
formation de «socié'tés industrielles de masses ».
2, ,Les transformatlons st'ructurelles
, ', . en Amérique
Latine
Même s'il est vrai que la' transformation' tentée
par I'ÁmériquéLatine,dans' les' derniêres années,
a acquis des carac1:éristiques parÜcúliêres 'dans cha-
que pays,il n'en n'est pas 'moins certain qu'elle
s'est manifestée par 'dês ·tendances générales dans
102 SOCIOLOGIE DU, DtVELOPPEMENT. E},i AMtRIQUE LATlNE

l'ensemble ~de la. zone. La transformation est per-


eeptible . à plusie~rs, 'niveaux'. Les eritéres ,1es plus
signifieatifs sont l'urbanisation; la eomposition de
la population éeonomiquement aetive et I'évolution
de.laproduetion industrielle.
Le proqessus d'urbanisation
Pendant .Ia, période eomprise entre 1925,1962,
I' Amérique Latine s'est earaetérisée par une erois-
sanee urbaine rapide, fondée principalement sur le
déplaeement de la population rurale vers les zones
urbaines. Le tableau suivant montre avee elarté le
phénoméne:
Tableau 1
TRANSFORMATIONS
DANS LA POPULATION RURALE ET uRBAINE
EN AMERIQUE LATINE, 1925-1962
(Pourcentages)
Population 1925 1950 1955 1960 1962
Rurale 70,5 60,7 57.3 53,9 52.6
Urbaine (a) 29,5 39.3 42,7 46.1 47.4

100% 100% 100% 100% 100%

(b) (92.869) (156)46) (178,880) (105,941) (217.826)

Sources: S1awinski Z. «Les transformations


structurelles de I'emploi dans le dévelóppement de
I' Amérique Latine >. (Dans Boletin Economico de
América ,Latina, Vol. X, N° 2, octobre 1965, p. 161).
a) On considêre commeurbaine la popu)ation qui
vit dans des )!?Calités de 2 000 habitants et p)us.
b) Milliers de personnes. Nous calculons les pour-
centages en no~s basant sur ces chiffres.
STRl!ST!!RE, D~ l:-'E~L~I E.~ §lTR~TIF:ICAT~O.N :~.C.I~ALE, 103

La population rurale a augmenté en nombre


.absolÍLpendant la .période ,c()n~idérée, tandis que Ia
part relative de la pop~ation urbainea considéra,-
blement augmenté.
En 1925, plus des deux tiers de la popuIation
habitait des localités de moins de 2000 habitants,
alors qu'en 1962, presque la moitié de la cpopulation
se trouvait dans des centres de plus de 2000 habi-
tants.
De plus, le taux d'accroissement de la popuIation
est plus élevé dans JEC>S capjtales et dans les grandes
villes (100000 habitants etplus) ce qui, à la lon-
gue, aura comme conséquencé des modifications
três accentuées dans leso maniêres d'agir des groupes
sociaux.
Entre 1925 et 1950, il y. a eu une diminution,
de 'la popuIation 'rurale plus ou moins marquée, qui·
a atteint un rythme plus accéléré pendant la dé-
cade 1950-1960 (1). La période appelée de « substi-
tution d'importation » a été caractérisée, entre autres
choses, par l'accélération du processus. Malgré cela,
'le rythmed'accroissement de l'urbanisation dépasse,
'en Amérique Latine, celui dudéveloppement indus-
triel et dans certaines conjonctures, il y a urbani-
sation sans industrialisation.

La population économiquement active (P,E.A.)


Parallêlement au processus d'urbanisation, se pro-
duisirent des transformations dans la. structure de

1. Les localités de plus' de 2000 habit8.nts pendant 1950-


1960, subirent une augmentatton de 55 %, alors que dans la
décade antérieure elle fut de 44 %. Slawins~i. '?,l!' cU, p. 161.
104 SoCIOLOGiFi -nu -DÉVEWPPEMENT EN AMtRIQUE LATrNE

la population economiquement active. La diminu-


'tion de 'lá' population des zones rurales et 1'augmen-
tãtion dê cell'('des zones urbaines eut pour résultat
de voir dimiriuer la population agricole ,et augmên~
ter en conseqúénce la ,population noncagricole. '
Si nous prenoris la 'période de '1925-1962, les
'transformations fÍlrent lés suivantes ,:'

Tableau 2
TRANSFORMATIONS
DANS LA POPULATION
ECONOMIQUEMENT ACTIVE
EN' AMERIQUE LATINE,1925-1962
(Pourcenfages)

~- ,.
Population 1925 1950 1955 1960 1962
Agricole 61.3 53.1 50,0 47.3 46.1
N,on. agri~ol~ 38.7 46,9 50.0, 52.? 53,9

1'60 100 100 100 100

(a) (32.743) (53,130) (60,160) (68:201) (72.060)


.. '"
Source. : Slawinski, iijJ. cit., p. 161.
a) Milliers de personnes. Nous calculons'les pour-
centages en nous basant sur ces chiffres.

D'autre part, lesnouveaux ,secteurs, de popula-


tion, à la formatlon desquels contribue. le proc~s­
sus de déplacement rural-urbain, tendent à être
absorbés principalement par le tertiaire. Ceci indi-
querait ,qu'en' Amérique. Latine, l'accroissemerit du
secteúr industrielse réalise à un rythme relative,
inerit inférieúr à celui des services.
-'STRUCTURE DE"L'EMPLOi--"ET ST'RATIFlCATION' SOCIÀLE 105

Tableau 3
DISTRIBUTION DE LA POPULATION'
ECONOMIQUEMEN'TI ,ACTIVE NON'-AGRICOLE
,EN.AMERIQUE LATINE, 1925'1960'
(Pourcentages)
. 1925 1950 ;1960.

Non agricoie':' 38.7 46.9 52.7


a) Mines 1.0 Lt 1.0
b) Manufacture 'l3.7 14.4 13.4
'L Usine 3.5 6.9 7.5
2 .. Artisanale 10.2 7.5 6.8
c) Construction 1.6 3.7 ~.9
d) Serviees basiques 3.2 4.2 5.2
e) Commeree et fmances 6.7 7.9 9.2
f) Gouvemement 2.2 3.3 3.7
,g) Services divers .7.9 9.9 '12.1 I
h) Aétivitçs ,,~n ,pé~ifiques 2.4, 2.4 ).3
-- ----- ...

Saurces :SiawiÍlski, op. cit., p. 164.

En 'effet, on peut obser.ver dans le tableau pré,


cédent que' le secteur de I'industrie .est, resté
pratiquement sans variations, même s'i! s'esf accru
en nombre absolu pendant les 35 annees' considé-
rées. Cepimdant, malgré cette stabilité relative: on
notê· de façon tres nette, que le secteur des' acti'
vités artisanales tendà dimiriuer et qu'én 'revanche,
le secteur industriel tend, à se développer. L'augmeri1
tation du secteur de la construction 'est ellé' aussi
considérable.
j, - - ' ~

L~.s ~e<;t'i'.!ll"s non- indu~triels se iléveloppent à'iun


rythme plus accéléré. Ceci est prouvé si nous' met-
106 SOCIOLOGIE -DU . D~VELOPPE:MENT EN, AMi:RIQUE, LATINE

tons les chiffres correspondants pour chacune des


années considérées, des secteurs « services de base »,
« commerce et finances» et «services divers ».
Or" toute la population qui passe du 'sectetÍr rural
au secteur urbain (que l'on considere comme étant
la principale source génératrice de nouveaux em-
plois) n'est' pas absorbée, puisqu'ilreste un résidu
qui devient" marginal au systeme économique.
'I! ressort de ce que nous avons signalé que le
systeme traditionnél de domination, basé sur la:
terre perd peut-être, en partie, sa signification ou
tout au moins se voit obligéde se redéfinir à cause
de la diminution de l'importance du secteur rural'
et de la prédominance du secteur urbain.
,Evollttion de la production industrielle
,La structure productive de la zone a subi de
,sensibles transformations. Dans Je cadre de. cet
ouvrage, la modification la plus significative se ré-
fere à l'importance croissante du secteur indus-
triel à l'intérieur de, l'économie. Bien que la crois-
sance dans ce secteur ait été mains importante en
comparaison avec le développement du secteur non
industriel" il est indéniable qu'il a subi une trans-
formation.
Evidemment, I'expansion du secteur 'industriel ne
s'est. pas produit de ia même maniere dans les dif-
férents pays. Au cantraire, certaines différences
apparaissent qui correspondent' à 'des types au à
des groupes distincts' de pays, et qu'em pourrait
c1asser!!n t r a i s : ' ."
I. Pays à industrialisation ancienne.
11. Pays à industrialisation récente.
IH. Pays avec un degré' riàissant d'industriali-
sation.
STRUCTURE. DE L'EMPLOI ET STRATIFlCATION SOCIALE :107
En nous ~ondant sur ces catégories, nous élabo-
rons le tableau suivant, ou I;on peut observer en
détai1l'évolution, industrielle. .
Tableáu 4
EVOÜmON
DE LA PRODUCTION iNDU:STRIELLE
PAR HABiTANT DANS 18 PAYS
DE L'AMERIQUE LATINE, 1930-1960
(Produit par personne dans le secteur industriel.
'DoUars de 1960)
Groupe I 1930 1940 1950 1960

I. ArFntiite 152.5 172.6' 234 277


2. Chili 44.2 54.3 98.2 108.5
3. Uruguay (0)97.9 84.7 103.6 169
Groupe 11
4. Brbil 24.8 32.9 56.8 101.6
S. Colombie 13 23.6 42.8 60.5
6. Mexique 34.4 46.2 75.5 112.1
7. P~rou b) b) 36.2 56.1
8. V~nézue1a b) 38 51.3 87.6
9. Costa Rica b) b) 45.4 57.5
Groupe 111
10. Bolivie b) b) 26.6 20.1
11. Equateul b) 23.7 34.4 40.5
12. Salvador b) b) 15.7 16.4
13. Guatemala b) b) 22 24.1
14. Halti b) b) 1 8 .8 1 9 .5
15. Honduru 9.9 10.4 15.8 22.6
16. Nicarquo b) b) 21.7 30.9
17. PanIlDl b) b) 33.6 43
18. Paraguay b) b) 53.3 47.1
SOUTCe3: Slmposlo LatinoamerlcanO" de _indus-
trial~cion: Le proce.s8UB d'industriali3ation e7I
Amérique LatiM:~ Anexo Estadistico, Santiago,
CEPAL, 1966. Page 23.
a) Année 1935.
b) D n'y a pas de données disponibles.
Note: Nous n'avans pas inclus CUba nl la Répu-
blique Dominicaine, faute de données. '
lôs Sõê:IÕWGIE' 'riU·oDÉVELOPPEMENT 'EN-' AMÉRiQUE UTINE

I3es données proposées 'perméttent' de distinguer


certainesiendan-ces dans le dé'veloppement de Ia
production industrielle par haliitant.En effe't : dans
le premier groupe de pays, ceux à industrialisation
ancienne, l'industrialisation ~óntinue avec une crois-
sance d'à peu (irês .100 % (elle~, presq1,le ,doublé en
ArgenÚne ; elle ,a atteini plus dti double en Uruguay
et au Chili) , dans, la production industrielle per
capita entre 1930 et1960. 'Le second groupe, à
industrialisation récente, a eu un accroisseinent
plus prononcé, d'environ trois -ou quatre. fois. II n'en
a pas été de même ,dans letroisiême groupe, qui
avait si bien démarré à partir d'une production três
basse, mais ,n'a pas 'eu de croissance d'un'ê ampleur
globale considérabledans la 'période étudiée.
Eri fonction de ces données on considérera, dans
la suite, de la présente ,éttide, les pays ,des deux
premiers' groupes oú 'i! est possible de parler' d'une
économie. industrielle. On; éliminera pourtant le der-
nier pays de chaque ,groupe, I'Uruguay' et Costa
Rica qui sont ,des économies qui présentent des
différences considérables dans leur évolution histo-
rique à l'intérieur de leurs gl-oupes re.spectifs.
La transformation et ie processus d'industrialisation
.
duns certàins pays 'latino-américains
Nous indiquerons ensuite, de façolÍ sommaire,
de quelle .maniêre les 'transformations deviennent
évidentesdans chacun des pays sélectionnés., L'ana-
lyse s'effectuera d'aliord en partant de, deux dimen-
sions: le produit réel per capita, défini comme
relation entre le produit brut interne et 'Ie nom-
bre d'habitants e~_ l'urbanisation, enconsidérant
STRUCTURE DE. L'EMPLOI ET ,STRATIFICATION SOCIALE, 109

lapopulation qui vit dans des localité~, d~ plus de


2000 habitants. Ensuite, et de façon détaillée, nous
étudÚ~rons les transforÍnations survenues -dans,ia
structure de Cempioi et les conséquences sociales
de ces processus.
Le produit réel per éapita
S'i! y a eu en ·effet des transformations impor-
tantes dans la structure de I' Amérique Latine en
genéral, 'àplus forte raison ces transforÍnations
affectent-elles les pays que \10US '{,tudions,en' créant,
une modifieation du produit réel. En tenant compte
de ces différences, le produit' réel s'esr transformé,
éviderriment à des degrés et à des vitesses diffé-,
rents. Le tableau suivant illustre cette situation:
TABLEAU 5
EVOLUTION OU PROOUIT REEL PER CAPITA
POUR CERTAINS PAYS O'AMERIQuELATINE
PENOANT LA PERIOOE 1950-63
(En dollars de i960 et indices. 1950. . 100)
, Argentine Brésil Colombie Chili Mexique Pérou Vénézuela

S Ind. S lnd:' S Ind. S Ind. ' S. Ind. S Ind, S Ind.

1950 720 100 248 100 319 100 393 100 249 100 172 100 870 100
1955 751 104 285 li5 358 li2 410 104 289 li6 198 li5 IOB5 125
1960 788 109 322 130 378 li8 431 liO 330 133 221 128 1226 141
1963 721 101 341 137 398 125 562 li8 344 138 248 144 1257 145

SOUTU': Données de CEPAL, ajustêes ct cor-


rigées par, Patrlcio Orellana, fonctionnaire du ILPES.
C'est en nous basant sur ces données que nous
calcuJons les indices .
110 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT' ÉN' AMÉIÍIQUE UTINE

Comme on peut' I'observer, les modifiCations dans


le produ:U réel per capita sans être spectaculaires
n'en furent- pás fi'oins considérables,
'Si nous étudions d'abord les indices, nous re-
marquons que pour l'année 1963 et le début ,1950,
il y aeu une variation relativement accentuée dans
les pays en question, la plus basse, 'correspondant
à I' Argentine et' la plus, élevée au Vénézuela,
'I! est nécessaire de signaler que les pays qui
ont eu des accroissements plus accélérés furent ceux
qui en1950 étaient les moins -développés. L' Argen-
tine,qui déjà depuis le début du siecle et spéciale-
merít à partir de 1930 peut être considérée comme en
partie industrialisée accuse cependant une stagnation
relil.tive dims la derniere déc~de (1950-60). Tandis
que des pays comme le Brésil, la Colombie, le Mexi-
queet le.Pérou ont eu un,accroissement relativement
intense pour la période des 13 années considérées.
Au Vénézuela, la production pétroliere contribue
substantiellement à accroitre la production réelle
et lui donne des valeurs aussi élevées, que ce soit
dans l'indiée ou dans le total en dollars. Ce secteur
d'activité économique est lé seul qui contribue, de
maniere significative, à l'accroissement de la pro-
duction réelIe (2). C'est pótirquoi' on peut consi~
dérer ie Vénézuela comme un cas de développement
particulier,
Mêmé quànd certains des autres pays consiilérés
ont eu de forts accroissements dans Jeur produc-
tion, si nous les comparons avec I' Argentine ou

2. En 1962, 1,3 % de la, population économiquement active


se trouvait occupée dans ce secteur d'activité. contribuant
à la formation du produit brut intern,e avec 31 % du total.
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE 111

avec le Vénézuela, ils se trouvent bien au-dessous'


des chiffres que ceux-ci obtiennent dans leurpro-'
duction per capita.
Ainsi, le Chili qui, au début de 1950, avait aussi
une production qui pourrait 'être considérêe comme
élevée en comparaison avecies autres pays, excep-
tion faite de l'Argentine et du Vénézuela,a
cependant un accroissément relativement bas dans
cette période de 13 ans par rapport àcelui des
autres pays.
En tenant compte des cas du Brésil et âu Mexi-
que et en considérant que les' deux pays comptaient'
pour l'année' 1963 environ '120 'millions 'd'hàbitants,
on voit que l'accroissement enregistré esf signifi-
catif. Ils passent d'une valeur indicielle égale à 100
en 1950 à 137 et 138 respectivement en 1963. La
Colombie aussi subit une trànsformation 'impor-
tante, même quand c'est'à;un rythme relativement
plus' faible si nous le comparons au Brésil et au
Mexique.
Le Pérou, qui accuse ,un produit rêel plus faible
que n'importe quel pays choisi, présente malgré tout
un rythme d'accroissement qui est parmi. les plus
élevés, dépassé de tres peu et uniquement par le
Vénézuela, qui est un cas spécial.
En résumé, s'i! est vrai qu'on peut noter une
augmentation dans la production rêelle per capita
(qui peut être probablement reliée au degrê de dê-
yeloppement industriel obtenu), ilest' Jl1d~niable
que ni l'accroissement de ce produit ni J'essor in-
dustriel óbtenu n'atteignent des chiffres d'une vê-
ritablê ampleur, si on considere .les rtécessités
d'accroissement indispensables pour,que 'les dites
~12 SOCIOLOGIE nu n~VE;LOPPEMENT EN AMÉRIQUE ~TlNE

transformations arrivent, à affecter l'ensemble de,


la, population;
L'urbanisation
Le tableau suivant signale, pour chacun de, ces
pays, j'augmentatio~' de' 'son pourcentãge de popu-
lation·urbaine entre les ·années1950-i960. .
. L'augmentation de la population urbaine ést per-
cepi:ibie dans toU:s les pays, bien qu'il. convienne
toujours .de souligner ses particularités. Au Chili
etprincipalement ·en Argentine, il y avait déjà, une
prédominance urbaine avant la période étudiée,
l'accroissement relatif de cette populaÜon n'a fait
que renforcer la cOl)dition antérieure.

Tableau 6
POURCENTAGE DE POPULATION URBAINE
DANS CERTAINS p,AYS
DE L'AMERIQUE LATINE, 1950. et 1960
(Pourcentages)

Argentina 8résil é~lombie Chili Mexique Pérou Vénézuela

1950 64 31 36 58 46 28 49
1960 68 37 48 66 51(a) 41 61

Sources: 1950: DolÍnées' 'de CEPAL 1960: Cf.


Simp08io Latinoomericano de' industrializacion, op.
cit., tableau 1-30, p. 32.

a) Pour 1960- on a, pris comme source. de doeu-


'mentation le 7' recensell)ent· ~énéral de, 'la po~ula­
tion.
STRUCTURE DE L'EMPLOI -ET STRATIFICATION SOCIALE 113

En COlombie, au Mexique et au Vénézuela


l'accroissement de la population urbaine par rap-
port à la population rurale montre que des pays
à prédominance rurale deviennent des pays à pré-
dominance urbaine. Si ce n'est pas absolu en Co-
lombie, au Vénézuela au çontra'ire le saut, est
presque spectaculaire.
Au Brésil el au Pérou, le pourcentage de popu-
lation urbaine augmente par rapport à celui de la
population i'urale ;' dans le 'cas du Pérou, l'augmen-
tation est trés importante. Mais malgré tout, "ce
sont des pays oú la' population agricole coritiilUe li
avoir une grande importance.
3. La structure de l'emploi
En utilisant l'information disponible pour éva-
luer les tendances de répartition de la population
économiquement active en fonction· de deux dimen-
sions caractéristiques, à savoir si le travail est agri-
cole ou non, et comment. se répartissent les em-
plois entre les secteurs primaires, secondaires et
tertiaires, les résultats ne permettent pas d'avoir
le moindre doute en ce qui concerne letype de
transformation qui a eu Iieu dans les derniéres
années:
Tableau 7
LA STRUCTURE DE L'EMPLOI
DE CERTAINS PAYS D'AMERIQUE .LATINE,
1925,1960 (['-ourcentages )
.....'''''' Bn!1iI ChlII

I. A&ricole
2.N~
1925

.
"20 "
1950 1960

22 .
1925 1950

61
1960

52

"
1925

J7
1950

30
1960

2S
l.MmufloCl.
IL Non.manufacl.
"
76
23
78
21
57
""'., 'J9
13 13
63
21
70
,19
7S
17

11111%
53

100% 100% 100%


"
.100%
3S

100%
"
100%
" 100%
100%
"
(.) (<0lI0) (6850) (8040) (10310 (111(9) 22480) (1350) (2061) (2600)

8
114 SQCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN-' AMÉRIQUE LATINE

... ~-

Colombie
.. .Meltique

1925 1950 I~ 1925 1950 1960

I. Apicole :65

".7
51
43 ,..,
4' 70
30 "42 53

".7
.,
2. NOJI1IIÍCoIe
I. Manufact. .4 11 .2
••
..... ..... .....
30 39 39

....."
11. NOD1IWluf.
..... 11m
(2650) (4030) (5150) (5000) (8111) (11873)

1925
. ~

1950 .960 1925


V~lII!zue11

1950 .'60
I. Agricole
2. Non-.grkole
I. hlanufact.
6.
39
••
".0
4. ..
,.
u
63
37

.
.0
.. ".0
58
32

.2
U.NOII'"l1lIIluf. 2.
.....
(1750)
....."
(2788)
.... .... .... .....
3.

(3490)
27

(822),
~o

(2416)
(1685)

Sources: Cf: Simposio Latinoamericano de In~


dustrializacion, ap. cit., Tableau 1'13, p. 13.
a) Milliers de personnes. C'est en nous basant
sur ces chHfres que naus calculons les pourcen~
tages.
En partant de ces données, il faut distinguer deux
groupes parmi les pays que nous considérons : ceux
dont plus de la móitié· des emplois sont agricoles
et ceux qui offrent en grande partie des emplois
nOn - agricoles. Dans lés premiers se trouvent pour
1960 : le Brésil, le Mexique et le Pérou. Tandis que
dans les seconds il y a l'Argentine, le Chili, la Co-
lombie .et le Vénézuela.
Cependant, si la tendance se maintient, en1970
aUCUn de ces pays n'aura plus de. 50.% de ses
emplois constitués par des 'emplois agricoles, et, ce.
STRUÇJ'~LRE DE L-'EMPLOI- ET S~RATIFICATION SOCIALE. 115

qui est encore ,plus' significatif, dans tous, le sec-


teur ,seco~dair~ (emplois industriel~) resterait [>~ó­
portionnellement à peu prés stable, tandis que le,
troisiéme augmenterait considérablement.En 'd'au-
tres termes, le secteur primaire diminuerait au
bénéfice. du secteur ser:~ic\,s: '.
Cett~ tendance ,est claire et semble aussi se ma-
nifester proportionnellement avec une plus g,ande
force dans les pays dont. l'industrialisation est plus
ancienne et ,a d~jà atteint une c~rtaine maturité,
comme en Argentil).eet auChili.
Par conséquent, la conclusion de divers travaux
fondés sur des analyses particuliéres à chaque pays,
et qui soulignent les différences des effets de !'in-
dustriàlisation sur la structure de I'emplói et sur
lastratification sociale des pays sous-développés
- quand' on les compare avec les pays de dévelop-
pement « classique » - paraitrait être valable pour
la totalité de la région (3).
En effet, alors que 'dans 'Ies pays à développe-
ment « classique », le secteur prima ire de l'économie
a diminué au bénéfice du secondaire, en Amérique
Latine au contraire I'expansion rapide du tertiaire
a lieu depuis le commencement du processus d'in-
dustrialisation. Ainsi, ce qui fut un effet tardif d'in-
dustrialisation en Europe' Occideniale et aux Etats-
Unis - la formation de, larges secteurs tertiaires
- se manifeste depuis les débMts mêmes du pr,?-
cessus
. d'industrialisatiori en- Amérique Latine.
_. Les
données cOlT!paratives qui se rapprochent de la
3. Par exemple, le travail de Soares, G.A.D; The- new In-
dustrialization (lnd the Brazilian Political System, Santiago,
FLASCO 1966, miméographié. C'est là que nous avons pris
comme référence le procédé méth~odologique employé pou~
analyser l'évolution eomparée de .la population économique-
ment aetive. . .
- -.
.. ---'-.

116 SOCIOLOGIE DU o!l::vEa.ôPPEMENT 'EN" AMÉRIQUE LATINE

cÓlllpósition dEi la structure de 'I'emploi nelais-


sent aucún dóute; Nous étudierons d'abord le groupe
de pays qui avaient enéore en 1960 plus de la moi-
tié· dela population occupée' à des activités' agri-
coles et nous les comparerons avec certains pays
qui commencerent à s'industrialiser dans le siecle
passé sans maintenir de relations du typé péri-
phérie-centre (4).
En considérant les dates oú ces pays avaient I
plus de la moitié de la population occupéeà des I'
activités agricoles, la· répartition est la suivante:
Tableau 8
LA STRUCTURE DE L'EMPLOI
DE TROIS PAYS, LATINO-AMERICAINS (1960)
EN COMPARAISON AVEC D'AUTRES PAYS
EN PROCESSUS D'INDUSTRIALISATION
(Pourcentages)
Pays Années Primaire Secondaire Terciaire

Brésil 1960 52% 13% 35%


Mexique 1960 53 17 30
Pérou 1960 54 15 31
'Áutriche 1880 50 28 22
France 1886 51 26 23
Italie 1871 52 34 14
U.SA. 1880 50 24 26
Irlande 1841 51 31 15
Saurces: Cf. Slmposio Latinoamericano de In-
dustrializacion, ap. cit., pp. 11 et 13.

4.' Nous' exc1uons du tableau la Colombie car 5a population


économiquement aetive se distribue dans des proportions
presqu'égales entre la campagne et la ville.
STRUCTURE DE ,L'EMPLOI ET .STRATIFICATIO~ SOCIALE 111

Ilne semble y avoir aucun doute sur l'expansion


du secteur tertiaire et l'importance :relativement
moindre' du secondaire .dans Jes ·pays. latino-améri-
cains. Ce qui indique que Je degré d'industrialisation
obtenu est sensiblement' plus .réduit que celui que
présentent les pays européens aux dates corres-
pondantes.
En ce qui concerne les pays latino-américains à
structure de l'emploi constituée par moins de 50 %
d'emplois .non.- agricoles, les données sont les sui.-
vantes:
Tableau 9
LA STRUCTUREDE L'EMPLOI
DE TROIS PAYS LATINO-AMERICAINS
EN COMPARAISON AVEC D'AUTRES PAYS
DEJA INDUSTRIALISES
OU EN PROCÉSSUS. D'INoUSTRIALISATION

Pay, Année, Primaire : Secondaire Terciaire

Argentino 1960 '2i 21 57


Chili 1960 25 J7 58
Vénézuela 1960 32 12 56
Franco 1954 28 37 35
V.SA. 1900 38 27 35
AlIemagno 1929 30 41 '29
Greco 1940 29 36 35

SauTce8: Cf. ,Simposio Latinoamericano 'de 'In-


dustrialización, ap. cit., pp. ll.et 13.
118 SOCIOWGIE" nu DÉVÉi.OPPEMENT:EN":AMÉRIQUE LATINE

Quand on considere les structures de l'emploi ty-


piques de pays à industrialisation avancée, comme
le sont les Etats-Unis etl'Angleterre, et qu'on ana-
Iyse le processus de leur évolution, le profil de
I'emploi est extrêmement distinct de celui qui cor-
respond aux pays latino-américains à secteur pri-
maire réduit:

Tableau 10
LA STRUCTURE DE L'EMPLOI DESETATS-UNIS
ET DE L'ANGLETERRE
AU XIX' ET AU XX' SIECLES
(PoU1:centages)

Etats:Unis Grande-Bretagne

'1870 1900 1950 1881 1901 1951


Agricole 53 .38. 13 13 9 .5
Industriel 22 27 37 50 47 49
Ser~ces 25 35 50 37 44 46

100% 100% 100% 100% 100% 100%

Sources.' Cf. Simposio Latinoamericano de In-


dustrializaci6n, op. cit., p. 11.

Les conclusions s'imposent : les proportions entre


les .secteurs. iSecondaire. et tertiaire ·restent· plus ou
moins équilibrées dans les pays industrialisés
même quand le secteurprimaire se réduit énor-
mément comme en Angleterre et dans un pays
STRUCTURE DE L~LOI ET STRATIFICÀTION SQCIALE 119

comme les Etats-Unis oc. le secteui' tertiaire est


tres large. De toute façon, l'expansion ·du secteur
tertiaire n'arrive jamais à compromettre l'expansion
du secondaire. Par conséquent; il ne faut pas tirer
deconclusion hàtive en signalant que la diminution
du secteur primaire de pays comme l'Argentine, le
Chili et le Vénézuela, l'accroissement du secteur ter-
tiaire et la stabilisation du secteur secondaire,
peuvent caractériser le « degré d'avance» de la
structure «industrielle-moderne» de ces pays. Ou
bien ceux-ci se développent selon des regles struc-
turellement distinctes de celles qui présiderent à
I 'industrialisation des pays développés, ou bien les
données exposées indiquent qu'il y a «contamina-
tion» dans les relations entre les variables ana-
lysées. li est donc nécessaire de procéder à une
analyse plus minutieuse avant d'effectuer des gé-
néralisations à partir de Úl comparaison.
En effet, l'hypothese que la distorsion caractéris-
tique de la structure urbaine de l'emploi en Amé-
rique Latine peut être' due au fait qu'avec un nom-
bre plus réduit de personnes occupées dans. le sec"
teur secondaire, on obtient une production indus-
trielle d'un volume équivalent' àcelle des pays de
développement «classique », quand ceux-ci onf ,un
secteur primaire d'égale ampleur, ne semble ni sa-
tisfaisante ni plausible. '
Cette hypothese consiste 'à admettre l'existence
en Amérique Latine d'un développement jndustriel
basé sur des conditions technologiques niode.rpes,
qui permettent de produire plus avec moins de main-
d'reuvre. Cette tendance est indéniable, ,lá' plus
grande expansion de la production industrielle com-
120 SOCIOLOGIE "ou' DÉVELOPPEMENT 'EN AMÉRIQUE LATINE

paréeà ,l'accroissement du secteur secondair~ le,


démontre. Cependant, les facteurs. favorables à I'in-,
dustrialisation montrent qu'avec l'actuelle distri-
bution de l'emploi en Amérique Latine, iI est impr.o-
bable qu'on puisse obtenir une production. indus-
trielle équi'éalenie à celle que les pays développés
obtenaient par 'Ie passé avec un secteur secondairE\
plus large.

Tableau 11
PRODUCTION D'ENERGIE ELECTRIQUE
CAPACITE INSTALLEE EN MILLIONS DE KW
EN AMERIQUE LATINE (1963)
ET DANS DIVERS PAYS INDUSTRIALISES
(1928) !

,1928 <a)
Etats-Unis

82.794
F"".,.
12.976
Allem,nc

2i.870
GrãD.dc.-B.~ctagnc U.R.S.S.

10.879 5.007
,-
9.630
·r,
.~
I,
:/
" ,

~ntinc Brisil Colombic ChiIi Mcxiquc P6rou V6n6zucla


·1
(1%2)

1963 (b) 4.584 6.379 1.158 1.136 4.192 Í.041 1.977


..
SOUl'ces: a) UitlteJ Nations, Statistlcal Year-
bo()J{, 1948, pp. 258-262.
b) United Nations, Statistical Yearbook, 1964,
pp. ~43-349.
STRUCTURE -DE L'EMPLOI"ET. STRJ\TIFICATI9N SOCIALE 121·

Par conséquent, les données imposent une grande


prudence en ce qui concerne les concIusions qui
peuvent être tirées au sujet de la formation, en
Amérique Latine, d'une structure de l'emploi dif-
férenciée du type caractéristique des «sociétés in-
dustrielles ». S'ensuit-il qu'il n'y a pas eu de trans-
formations significatives dans la structure de l'em-
ploi et que, par voie de conséquence, quand on la
pren'd comme 'signe de stratification 'sociaie il n'y
a pas eu de formation de «couéhes moyennes» ni
d'élargissement de différenciatiol) du «secteur po-
pulaire » ?
Les tendances ,de l'urbanisation, la formation du
secteur tertiaire et l'évolution de l'industrialisation
semblent tendre vers autre chose. Les sociétés. la,
tino-américaines considérées ici ont subi des trans-
formations qui ne sont pas à dédaigner, elles s'in-
dustrialiseront, mais malgré tout, elles continuent
à présenter des différences significatives par rap-
port aux sociétés des pays développés quand on com-
pare leurs structures socio-économiques respectives.
Analysons' cette contradiction apparente en par-
tant des données dont nous disposons .. et avec 'le
but aussi bien de déterminer les transformations
du secteur secondaire et leurs implications possibles
dans les rêgles de stratification, que d'analyser la
significaÍion du «secteur tertiaire» en Amérique
Latine.

Les transforniations dans le secteur secondaire

En premier lieu, nous considérons les transfor-


mations dans, la part de I'emploi manufacturier. 'par
122 SOCIOLOGIE DU DÉVELQPPEMENT EN ÁMÉRIQUE' LATINE

rapport au tofal de l'occupation riõn - agi'icole :

Tableau 12
PART DE L'EMPLOI INDUSTRIEL
DANS L'ENSEMBLE DE L'EMPLOI
NON-AGRICOLE
DANS DIVERS PAYS DE L'AMERIQUE LATlNE
ET AMERIQUE LATINE MEME,1925-1960
(Pourcentages)
I
...
1925 1940 1950 1960
Argentine 30% 32% 30% 26%
Brésil 36 34 33 28
Chili 33 26 26 23
Co1ombie 48 35 33 29
Mexique 36 32 29 30
Pérou 46 41 39 34
Vénézuela 27 21 18 18
Arnérique Latine 35 33 31 27

Sources: Cf. ·SimpOsio Latinoamericano de In-


dustrialización, a;,.
cit., p. 14, tableau· 1-14.

La tendance à la diminution proportionnelle des


emplois industriels dans l'ensemble de l'emploi
non -agricole est évidente (secondaire et tertiaire).
Pratiquement dans tous les pays les plus indus-
STRUCTURE DE L'EMPLOI" ET STRATIFICATION SOCIALE 123

trialisésde I'Amérique Latine, on observe la


même régle, qui, vue sous le même arigle, est seu-
lement' le résultat de'ce que nous 'avons signalé
plus haut : I'accroissement du secteur' tertiaire aux
dépens du primaire. 'Malgré cela et en' nombre abso-
lu, ir y a une augmentation continue entre 1925
et 1960 dans le nombre de personnes qui s'intégrent
au secteur secondaire de l'économie. Ainsi, le 'nom~
bre de personnes employées dans' les industries
en Argentihe double pratiquement' dans le laps de
temps signalé, fait plus que doubler' au Brésil, triple
au Mexique, plus que tripler au Vénézuela; mêmê
au Chili, en Coiombie ét au Pérou, qui présentent
des accroissements plus faibles, I'augmentation de
l'emploi dans le' secteur 'secondaires'éléve d'envi~
ron 60 %.
Par conséquent, la masse de personnes qui se
déplacent des activités agricoles vers les usines n'est
pas à dédaigner,malgré l'acCroissement relative-
ment réduit du secteur secondaire.
Cette tendance tend vers une conclusion d'ordre
général, encore provisoire, qui souligne l'importance
numérique des secteurs 'de I'emploi nouveaux dans
les pays d' AmériqueLatine considérés ici. li con-
vient donc de rechercher plus en détail les «nou-
veaux secteurs,» industriels. Analysons, d'abord, les
transformations au seiIl du secteur industriel (voir,
tableau 13) .
Quand on compare les dates initiales 'et finalés
du tableau mentionné,on note que l'emploi artisa-
nal continue à préçlominer seulement' au Pérou et
en Colombie p!!-r rapport au total du secteur indus-
triel.
124 SOCÍOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMt:RIQUE LATlNE

Dans tous les autres pays l'accroissement de l'em-


ploi in!lustriel dépasse celui de l'emploi artisanal.
TI faut soulignet: qu'au Mexique les deux tiers du
total sont des emplois industriels et un tiers seu,
lement sont des emplois artisanaux_ Le Brésil aussi
présent(O!. une différence significative en faveur de
l'emploi industriel. Dans ces deux pays, l'augmen-
tation dàns le laps de temps considéré - en mil-
liers de personne~ - a été de 6 à 4 fois.
D'un autre cõté, le tableau indique que la diffé-
renciation dq secteur industriel s'est accentuée
entre 1940-1950, 'période pendant laq!-,elle, évidem-
ment, les conditions duo marché. international, en
raison de la guerre, favorisérent l'intensification du
processus de «substitution ,d'importations ».
Tableau 13
POURCENTAGEDEPERSONNESOCCUPEES
DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL SELON LA
DISTRIBUTION ENTRE L'EMPLOI INDUSTRIEL
ET ARTISANAL POUR DIVERS PAYS
DE,L'AMERIQUE LATINE (1925-1960)
1925 1940
Manufac- Artisanal Manufac- Artisanal
turier tuÍier

Argentine 40 60 49 51
Brésil 32 68 49 51
ChiIi 29 71 48 52
Colombie 11 89 24 76
Mexique 30 70 50 50
Pérou 6 94 '16 84
Venezuela 14 86 44 56
A. Latine 26 74' 41 59
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE 125

1950 1960

Manuf.c· Artisanal Manuf.c· Artisanal


turier turier

Argentine 61 39 58 42
Brésil 52 48 56 44
Chili 49 51 54 46
Colombie 30 70 34 66
Mexique 55 45 64 36 ,
Pérou "28 71 38 62
VénézueI. 47 53 60 40
A. Latine 48 52 52 48

SOItrCe..: Cf. Pourcentages obtenus en utilisant


1es chlffres publiés dans le Simposio Latfnoameri.
cano de Industrialización, op. cit., pp. 17·18.

Afin de confirmer I'importance du. « secteur mo-


derne» dans la structure de l'emploi des pays consi-
dérés, on pourrait ajouter certaines données' sur la
répartition de I'emploi industriel selon l'importance
des établissements: .

l...
126 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT, EN AMÉRIQ~E LATINE

Tableau 14
POURCENTAGE DES PERSONNES OCCUPEES
DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL
SELON L'IMPORTANCE DES ETABLISSEMENTS

.1960 1963 1957 1961

Oúsil CoIombic Chili (a) Vénézuela (b)

1 à 4 Penonnes 8 4
5 à 19 pcnonnes 15 18 15 37
20 à 99 pcnonnes 21 26 28 26
IDO et plus 56 52 57 37
Total 100% 100% 100% 100%

(1.798.8)(,) (254.1) (206.7) (156.9)

'Sources: Cf. Simposio Latinoamericano de In·


dustrializacion, op. cit., annexe, p. 35.
a) Paur le ·Chill il n'y a pas de dannées de« 1
à 4 personnes» màis uniquement dans les caté·
garies supérieures (5-19, etc.).
b) Pour le Vénézuela,les calculs se font sur des
établissements de 5 à 20 persannes; 21 à 100 et
101 ef plus ...
c) En milliers de personnes. C'est en nous ba·
sant sur ces chiffres que nous calculons les pour·
centages.

Hormis le Vénézuela, dans les autres pays I'em-


plõi indústrieldans des établissements de 100 ou-
vriers et plus atteint la moitiê e't même plus du
total des 'personnes occupées dans les industries,
ce qui "enforce les affirmations antérieures con-
cel'nant l'importance du secteur industriel mo-
STRUCTURE 'DE L~EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE 127

derne dans l'ensemble de l'emploi industriel. De


plus, bien que le secteur secondaire diminue rela-
tivement par rapport à l'ensemble de l'emploi des
pays considérés, la contribution du secteur indus-
triel à la formation de la production interne brute
(PBI) augmente dans presque tousles 'pays (voir
tableau, 15). '
Les données isolées dont nous disposons indiquent
que, parallélement, la rémunération moyenne par
personne dans le secteur industriel estplus impor-
tante dans les entreprises de 100 personnes et
,plus . Tout ceci suggére qu~ des. couches reiati-
Vement mieux ,.rémunérées se forment dans le sec-
teur' industriel-urbain. Si ces couches ne sont pas
considérables en chiffres relatifs, elles ont, en nom-
,bre absolu, un poids spécifique suffisant pourqu'on
puisse parler de la consolidation d'un secteur' in-
dustriel moderne avec certaines possibilités de
consommation.
D'un autre côté, la différenciation interne à l'in-
térieur du secteur industriel s'accentue. Ainsi, les
salaires payés par personne employée dans ce que
nous appelons les «industries dynamiques» - qui
sont celles qui se forment ,quand le processus de
développement se retourne vers le marché interne
et que se constitue un processus substitutif d'im-
portations - sont sensiblement plus forts que ceux
des autres secteurs industriels. A son tour, le nom-
bre de personnes employées dans ce type d;indus-
trie a augmenté contimiellement dans les derniéres
années (5).
5. Le P.B.1. a été ,calculé en utilisant les valeurs au coo.t
des facteurs, excepté pour le Mexique qui sont des valeurs
à prix d_e marché de 1950. .
'128 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT'EN AMÉRIQUE;LATlNE

Tableau 15
CONTRIBUTION
DU SECTEUR INDUSTRIEL
A LA FORMATION
DE LA PRODUCTION BRUTE INTERNE
ET POPULATION ECONOMIQUEMENT ACTIVE
OCCUPEE DANS CETTE BRANCHE
D'ACTIVITE (1951, 1960)
(Pourcentages)
Argentine Bn!sil CoIombie Chili Mexique . ~ V'Mzuela

1951 1960 1951 1960 1951 1960 1951 1960 1951 1960 1951 196 1951 1960

%du PBI
Dénvé de
la manuf.
27 J2 2S
(.)
26
(.)
I' 17 19
I' 21 23 16 19

(6)
11
(b)
%de la
P.IO,A. dans
la manuf.,
23 'I 13 \3 I' 15 19 17 12 17 16 15 la 12

a) Comprend la construction, les mines et les


gisements, l'électricité, le gaz et l'eau.
b) Comprend le pétrole.

Sources: United Nations, Statistical BuUetin


for Latin América, vol. IH, N° 1, February 1966.
Simposio Latinoamericano de IndustriaIizacion,
.AnexoEstatistico, op. cit., pp. '17 et 18. Estimations
basées. sur les statistiqu.es officielles. Les données
80nt de .1950 et 1960.
Les répercussions de ces tendances sur la strati-
ficau"on sociale à l'intérieur du secteur industriel
sont considérables. II se crée, au côté d'un secteur
ouvrier .ayant une certaine capacité de consomma-
tion, un secteur secondaire :
'SfRUCTURE DE L"EMPLOI ET STRATIFICÂTION SOCIALE 129

Tableau 16

SECTEUR INDUSTRIEL :'

_.... .....
POURCENTAGE D'OUVRIERS PAR RAPPORT
AUX NON-OUVRIERS (a)

19,. 1960
Chili
1957
Mexique

1960
N","

1960
V6nhuela

1961

Ouvrierl 70 79 87 65 84 75
I N()Iloo()UY[ierl 30 21 !3 35 16 25

SOUrce8: Cf. Slmposlo Latinoamericano de In.


dustrializaci&n, op. cit., p. 52.
a) Comprend les employés, les membres des fa-
milles et les proprlétaires. '

La conclusion qui se dégage des données pré-


sentées estpar conséquent sans équivoque en ce
qui concerne les effets des transformations struc-
turelles signalées sur la formation et la différen-
ciation du secteur secondaire. TI reste à analyser
l'importance et la composition du secteur tertiaire
pour avoir :une idée claire des effets, sociaux des
transformations qui oilt eu lieu dans les pays in-
dustriels de I'Amérique Latine.
Les 'transformationB dans le, 'secteur tertiaire
En réali tê, si I'accroissement du sectelir tértiaire
représentait, comme c'est arrivé pour lÊ! secon-
daire, la crêation d'emplois liês directement ou indi-
rectement à' l'élan du secteur industriel-dynamique,
on pourrait: alors affirmer que' :Jes 'transformations
structurelles' atteindraient ,un degré teldans la


,130 SOCIOLOGIE' ou. DÉVELOPPEMENT:, EI"! AMÉRIQUÇ .LATINE

structure socio-économique d' Amérique Latine que


dans cette zone, le concept de «sociétés indus-
trielles post-automation» "serait seut capable de la
décrÍl:e. Cependant,. nous l'avonssignalé, ce n'est
pas le cá;'. i..'ampleur du secteur tertiaire et son
accroissement continu aurai ent demandé une base
lndustrielle beaucoup plus développée que celle qui
existe actuellement 'pour qu'il soit possible d'expri-
mel' .réellement la différenciation .du secteur urbain
de services.
Dans une premiére approximation, la répartition
du tertiáire. à, J:intérieur duo secteur. urbain est la
suivante :
Tableau 17
POURCENTAGE DE L'EMPLOI
NON-INDUSTRIEL SUR LE TOTAL
DE L'EMPLOI NON-AGRICOLE
POUR DIVERS PA YS
DE L'AMERIQUE LATINE
ET POUR TOUTE L'AMERIQUE LATINE

1925 1940 1950 1960


Argentine 70 68 70 74
Brésil 64 66 67 72
Chili 67 74 74 77
Colombie 52 65 67 71
Mexique 64 68 71 70
Pérou 54 59 61 66
Vénézue13 73 79 82 82
Amérique
Latine 65 67 69 73
Sources: Cf. Simposio Latinoamericano de
dustrializacion, CY[J. cit., p. 13, ~bleau 1-13.
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE ,131

Evidemment, le, tableau précédent indique, dans


les pays considérés, un énorme pourcentage de per-
sonnes dans le secteur tertiaire quand ón le cÇ>ll)-
pare avec· le secondaire. Pour expliquer le phéno-
mêne du «tertiaire surchargé », on a déjà soutenu
plusieurs hypothêses.
À vant tout il 'convient de signalér que la maniêre
d'énoncer les données est en genéral insúffisante:
le secteur administratión va des branches d'acti-
vités économiques qui complêtent l'économie urbaine
industrielle, comme les transports, les services pu-'
blics, etc... jusqu'aux sous-employés qui déguisent
leur condition de chómeurs au moyen de l'exercice
sporadique d'activités insuffisamment rémunérées.
D'un autre côté, nous avons insisté sur le fait que dáns
le tertiaire les' emplois bureaucratiques recouvrerit
une proportion démesurée de personnes et il s'agit
d'expliquer le phénomêne enfonction du rôle du ser-
vice public de l'Etat comme canal d'absorption
des classes traditionnelles en décadence. Cependant;
les données pour I' Amérique Latine présentées pIús
haut (tableau 3), indiquent' que SUl' I'ensemble du
secteur tertiaire, les emplóis gouvernementaux
ont atteint un accroissement modéré : 2,2 'l< de la
P.E.A., en 1925, pour 3,7 en, 1960. Quand on consi-
dêre le pourcentage de ce secteur par rapport à I' en-
semble de la population, l'accroissement· estde 0,8
à 1,2 'ié. De la même façon, le table:J._u ,,"uqljel nqus
nous référons permet de mieux évaluer la signi-
fication du tertiaire: certaines de ses branches se
réfêrent directement à des emplois liés à l'accrois-
sement des-secteurs modernes de l'économie, comme
celaarrive avec les secteurs de la construction
132 SOCIOLOGIE DU otvELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

ou les services de base, qui eurent un accroissement


en 1925 et 1960, respectivement, de 1,6 à 4,9 %
et de 3,2 à 5,2 0/0. ' ..

Par conséquent, les proportions élevées d'accrois-


sement ·du secteur tertiaire dans les pays. en déve-
loppement de l' Amérique Latine, qui, même si
elles dépassent cêlles des pays à industrialisation
plus ancienne (de telle ll1aniêre qu'on ,ne peut
oublier les différences entre les rêgles de déve-
loppement des deux groupes de pays) n'en expri-
ment cependant pas moins un certain degré de
formation de couches urbano-industriE!lles modernes
dans, la structure sociale. La difficulté pour
analyser la signification précise de ce processus
naU, d'un côté, de I'indétermination relative à
l'intérieur du secteur tertiaire des, « seCteurs mar-
ginaux» (composés par des chômeurs, des sous-
employés; etc... ) et de I'autre, dans I'évaluation du
poids .spécifique des, secteurs "col et cravate»
(~hite collar workers) et des activités manuelles
à I'intérieurde I'ensemble du tertiaire.

Les informations qui suivent, et qui se référent


à certains des pays' que 'nous analysons (6) donnent
une idée plus claire de la composition .du, secteur ter-
tiaire. (Voir tableau 18).

'6. 'Les pourcentages globâ,üx dU tertiaire qui auivent ne


coincidentllpas avec les pourcentages antérieurs parce qu'ils
ont été tirés d'estimations nationales différentes des criteres
antérieurs,
STRUÇTpRE ,DE L'EMPLOI, ET STRATIFlCATION. SOCIALE 133

n, est indéniable q\le, malg~é l'expansion normale


et modérée des secteurs commerce, finances, trans-
ports et communications,. le secteur, « services » pré-
sente en tant que tel un plus grand accroissement.
Il convient donc de considérer certaines .hypotheses
quL;permettentd'évaluer quelle, partie correspon-
drait à la marginalisation des populations urbainés.

Les statistiques dont nous disposons ne permet-


tent pas ,d'évaluer correctement la proportion du
manque d'einplois en Ainérique 'Latine, puisque le
phénoinene se ,présente le plus souvent dans la zone,
en termes de chômage déguisé (7) - sa présence
dans le. secteur tertiaire .est, noto ire dans )es bran-
ches «services variés et activités non spécifiées ».
Pres de 10 millions de personnes sont occupées
théoriquement à ce genre d'activités '(aux alen-
tours de 15 % de la force de travail) et ce sont
pratiquement les seuls secteurs ou la productivité
a baissé entre 1950-60 ,(8).

7. Les exp!,e~sions «chômage déguisé:to et «sous-emploi»


font allusion aux occupations avec des revenus três bas ou
à des situations dans lesquelles on travaille_ un nombre de
jours inférieur à la normale. Pour les fins de ~cette analyse
on ne considêre pas I'inoccupation à -proprement parler par
l'insuffisance de données disponibles, ce qui signifie que les
évaluations. présentées sont provisoires et probablement au-
dessous du niveau réel.

8~ Ces affirmations sont tirées' de Hopenhaym Benjamin.


Occupations et développement -économique en, Amérique Latine~
Santiago Institut, 1966, p. 17 miméographie. Les données
qui suivent sont basées sur le même travail.
:134 SOCIOLQGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

Tableau 18
PART DELA P.E.A.
DANS LE SECTEUR TERTIAIRE
(Pourcentages)

Argentine Chili Mexique Vénézuela ,


1. Commerce et
1950 1960 1952 1960 1950 1960 1951 1962
l
Qnances 11 12 9 9 8 9 9 13

2. Transports
et Communicat. 6 7 5 6 3 4 3 4

3. Services
comprenant
gouvernement
privés et
occupations
non spécifiées. 23 28 24 26 15 17 21 26

40 47 38 41 26 30 33 43

Sources: Argentine, Simposio Latinoamericano


de Industrializaciôn, Le développement industriel
de l'Argentine, Santiago,CEPAL, 1966, p. 22.
Chili, Simposio Latinoamericano de Industriali-
zacion, Le développement indu"triel au Chili.
Mexique, 1950: VI Recensement Général de la
Population. 1960: Direction Générale de la Statis-
tique et de la Na tionale Financiêre, Bulletin de
1961.
Vénézuela~ Simposio Latinoamericano de Indus-
trializacion, Le développement industriel du V éné-
zuela, p. 14.
STRUCTURE DE LJEMPLOI -ET 'STRATIFICATION SOCIALE 135

On peut calculer· que dans les activités indiquées


plus haut, et selon des enquêtes ~péciales réalisées
au Chili et au Pérou, il y a aux alentoUrs' de· 25 '}'o
de "déguisé»·. Si nous ajoutons à ces calculs le
chômage qui existe dans les activités commerciales
et dans:la construction; on peutévaluer de. maniére
plus exacte la signification des populations « margi-
nalisées» dans la structure économique urbaine. Il
ne faut pas négliger par ailleurs que dans le
secteur de I'industrie artisanafe aussl ce phériom,me
doit affecter à peu' prés 15.9'0 de Ja population .em-
pÍoyée, ce qui:correspond
. -. au riiveau
. attribué, à
l'inoccupation J:urale .<9}.. En se fondant sur ces
hypothéses, n est possible de formuler un jugement
par rapport au .total minimum présumé, que I'inoccu-
pation et l'inoccupation déguisée atteignent dªps les
pays que nous étudions.
A titre, de considération provisoiJ:e on pourrait si-
gnaler que la différenciation indiscuÜlble de ,l'emploi
urbain, même si q.ªn~ l!9.· ~ertain sens elle ~xprime
la formation de couches moy.ennes,cache aussi
l'existence de r:nasses «,marginalisées ».
,En considérant les effets,·de l'industrialisation et
de, la, modernisation de 1'économie latino,améri-
caine, ·nous ,nous trouvons une fois .enco-re àvec
l'image d'un mouvement contradictoire: la forma-
,tion rapide et notable du point ,de vue numérique;
de germes d'une structure de classes ~ relative-

9. En partant de ces prémisses, Hopenhayn a calculé qu'il


y R~ait au minhnum 8200000' travailIeurs en état d'irioccupa-
tion déguisée en 1960 (12 %. de la P,E:A,), 9200000. en 1965 et
qu'il'y.en aura 10,8 millions' en.1970. '
136 SOCIOLOGIE, DU DMLOPPEMENT- ~-,AMÉRIQUE LATINE

ment intégrée, dynamique; et, peut-être 'ouverte à


d'intenses 'processus de, mobilité: sociale - à côté
de -la formati,o!1' non moins, accélérée de larges cou-
ches sociales qui restent en permanence nón -inté-
grées et même« en disponibilité» en ,ce qui cem-
cerne sa forme de :relation avec les valeurs, les
institutions et en un mot, le «mode de vie» de
la société industrielle en formation.
4. La stratification sociale .
,
Les donnéesque: nous avons présentées mon-
trent maJgré: tout des transformations dans la struc,
ture de l'emploi en Amérique Latine 'et spéciale-
ment dans les pays les plus industrialisés de lá
zone. Il est donc légitime de considérer qu'i! y a
eu aussi des alterations dans lesystéme de strati-
fication sociale.
Eil etfet, on a vu' comment,' à l'intériéur du sec-
teur secondaire, les groupes d'ouvriers atteignimt
une importance relátive alors que le secteur indus-
triel dépasse lui aussi le secteur 'artisanal. En ce
qui concerne le' tertiaire;· on riê peut pas le consi-
dérer en bloc comme un° indice de 'Inodernisation ou
de :l'importance' du ,secteur, ,d'emplois non-manuels
dans .!e·s sociétés en' voie d'industrialisation, mais
toutefois l'accroissement de 'certains secteurs comrrie
le secteur commercial, ou.le secteur financler· nous
conduit à supposer' .l'élargissement des couches
d'emploi non-manmil dans l'ensemble du systéme
socio-professlonnel.
AnalysOlls, de 'maniêre directe et pour l'ensemble
de la P.E.A" les données dont nous' dlsposons, qui \
permett~nt d'indiquer les tendances de répartitions ~
professionnelles :
srRUCTURE DE L'EMPLOI ET srRATIFICATION SOClALB ,137

Tableau 19
POPULATION PAR GROUPES DE PROFESSIONS
DANS DIVERS I'AYS·p'A~RIQVE LATINE,
1950-1960
(Pourcentages)
CoJombie (a) lktIil (a) V......b ,,~

1950 1960 1950 1960 1950 1960 1950 J960

Prof_
technicielll et
lCientifiques 2 3 2 2 4 4 3 3

Glrmtset
Administrateun 6 7 , , I I I ·2

Employts 2 3 3 3 4 8 4 ,
Veudtun 2 2 4 4 8 .11 S ?
ApicOlel et
adj.::ents S3 47 57 57 41 31
'I 49

Mines I I I I O. I I I

'Trmsports et
eommunications 2 2 3 3 4 7 2 2

Artisãns et
ouvrien IS 17 13 13 16 19 18 IS

Serviees 11 12 , , 10 12 7 9

Non~i~. 6

100%
6

100%
7

100%
7

100%
.'2
100%
l_
6

I_
8
I_
9

( b) (40293) (4550.3) (1706.1) (2234.1) (1843.3) (2?9~.0) (2737.8) (3013.8)

801trces: Recensement de la ·Population et don-


nées de ·la CEPAL: Ces données ont été aimable-
ment établies par Marcos Altman, fonctlOnnaire de
I'Institut.
a) Projec1;ions du ReCensement de 1950. A noter
qti'il existe- des variations dans les données pré-
'sentées·par la Colombie et qu'il n'eO' -n'est pas 'de
'138 'SüCiOLOGIE ~DU D~VELOPPEMENT:'EN· AM-ÉRIQUE "LATINE

même pour te Brésil. -Ceci est compréhensible si


on tient compte du fait ,que pour le ,premier 'pays
on a disposé d~étúdes addit.ionnelles, qui ,oni contri~
búé â 'un raffinemenf de la projection, éê qui n'est
pas le cas pour le second pays dont nous ne possé~
dons qu'une projectiqn'brute.
b) Milliers de personnes. C'est en 'nousbasant
sur· ces chiffres que nous calculons les pourcen-
tages.

Récemment, plus que le nombre relatif des erÍl-


plois «non - manuels» (professionnels, techniciens
et savants, gérants :et administrateurs, employés et
vendeurs), daris l'ensemble des emplois et peut-
être plus que les tendan'ces d'accroissement de
:ces emplois (puisque dans certains cas il ~s'agit
:de projections qui ne concernent pas les trans-
iformations économiques qui ont eu lieu entre 1950-
:1960), il est nécessaire de souligner que numé-
riquement dans les pays considéres, les couches de
population urbáine composées par des personnes qui
exercent des, professions non - manuelles sont três
importantes.
A l'aide des données déjà présentées et si nous
laissonsde côté les emploisdes secteurs «ser-
vices» et «I!0n - spécifiés» (oú~ on suppose une
grande cóncentration de groupes marginaux), il est
possible d'obtenir une image relativement réaliste
de ~la straiificatii:mprofessionnelle des pays consi-
dérés.
La proportion des emplois nori - manuels par
rapport à ceux qui 'le sont a augmenté dans tous
les' pays. ,l\ialgré le caractêre peu satisfaisant de
ces informations et I~ procédé adopté pour l'élabo-
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE ,139

rationdes données, il estpossible de construire


un indice sim pIe de répartitionqtii -indique lecom-
portement des deux secteurs professionnels étudiés
(Voir tableau 20 ). .

Cette re'lation s'exprime, naturellement, de ma-


niére beaucoup plus claire, quand on exclut du
dénominateur les secteurs agraires et les secteurs
de l'élevage (Voirtableau 21>.
Oans I'ensemble, le rappoft entre les emplofs
manuels et les emplois non-manuels tend à augmen-
ter, ce qui signifie, évidemment, gue le poids
relatif aes «secteurs intermédia ires » tend à aug-
menter dans le systême de re,'partition
, . sociale.

O'autre part, les rares enquêtes dont nous dispo-


sons SUl' la composition des classes moyennes et
SUl' les « élites' dirigeantes» (les chefs d'entreprises
capitalistes, urbaines ou rurales), commencent à
fonder des hypothéses sur la structure, le compor-
tement et l'orientation ,de ces classes et de ces grou-
pes, qui imitent les classes dominantes d'Amérique
Latine. En effet, actuellement, on .remarque sou-
vent dans ce domaine, la persistance' et la rénova-
tion des couches dominantes traditionnelles qui, dans
une grande mesure, sont arrivées à s'adapter aux
transformations de c9mporte!l1ent imposées' par
l'étape de développement fondé SUl' l'exportation
de produits prima ires à une grande échelle et, plus
récemment, font face avec une certaine efficacité,
à Ia phase d'adaptation aux conditions sociales chan-
,140 SQCIOLOGIE nu DtVELOPPEMENT EN AMt:RIQUE LATINE

geantes de la période. d'expansion .industrielle fondée


sur le marché interne (lO).

Tableau 20
POURCENTAGE DE LA P.E.A. NON-MANUELLE
PAR RApPORT A LA P.E.A. MANUELLE
(1950-1960)
(Indice de répartition
Non·manuels· /Manuels

Argentine Brésll Chili Colombie Mexique Pérou Vénézuela


(a) «) «) (o)

1950 (b) 17.8 13.2 20.7 12.3 d) d) 16.3


1960 38.17 '15.39 31.27 13.89 24.40 19.29 33.23

a) Basé sur un échantilIon. du recensement de


1960.
b) Les couches professionnelIes moyennement ~t
hautement qualifiées dans les emplois secondalres et
tertiaires. DOnnées de Gino Germani dans «Sira-
·tégie pourstimuler la mobilité sociale >, dans
J, Kahl, L'lndustrialisation en Amérique Latiile,
Fondo de Cultura Economica, Mexique, 1965,
pp. 274-306.

10. Pour ún résumé critique de -ces t'endances et pour la


bibliographie qui s'y rapporte, :voir 'F.H. Cardoso, Entrepre-
neurial 1!Jlite8~ communication, présentée au Congres Man-
e

dial de Sociologie, Evian, septembre 1966. Voir en .plus


S.M. Lipsét, Elites, Education and Entrepreneurship in Latin
America, travail présenté au Sémin-airê. lríternational sur la
Formation des Elites en Amérique Latine, Montevideo, juin
1965. José Medina Echavarria. Oonsidérations sociolog-iques
sur 1e développement économ-ique, Buenos Aires. Solar/
Hachette. 1964. .
STRUCTURE DE L~MPLOI ET STRATIFIéATION SOCIALE 141

c) Les chiffres de 1960 sont basés. sur des pro,


jections des recensements de 1950, faites par Mar-
cos Altman, fonctionnalre de l'lnstitut.
·d) TI n'y a pas de données.
e) On doit signaler·que le'recensement du Pérou
.considere comme gérants une grande partie des per-
sonnes qui travaillent" à la campagne, même quand
ils soni: seuIement propriétalre. d',un petit ,lopin de
terre. En les incluantdans la catégorie des «Pro-
fessionnels, des chefs d'entreprises» leur poUÍ'cen-
tage augmente.
•. Non·manuels comprend les professionnels, tech-
niciens et assimilés, gérants et administrateurs, em-·
ployés de bureau et vendeurs.
.. Manuels comprend les agriculteurs, éleveurs, pê-
cheurs et bücherons, mineurs et cantonniers, cnn-
ducteurs de transport, artisans et ouvriers, jour-
naliers et travailleurs-employés de maison et même
ceuX qui n'ont pas de qualification.

Tableau 21
POURCENTAGE DES MANUELS
PAR RAPPORT AUX NON-MÚWELS
COMPRENANTSEULEMENT
LA P.E.A. URBAINE (a)

Argentine Bresil Colombie Chili Mexique ~rou V~Mzue11


..
51.03 45.22 35.16 (b) 73.01 46.05 56.31
_._- -- --

a) Voir les notes du tableau 20.


b) TI ri'y a Pas. de données.
142 SOCIOLOGIE DU DtVELOPP.EME~ E,N AMtRIQUE LATINE

La souplesse des classes dirigeantes tradition-


nelles s'inscrit à l'intérieur d'un "tableau rl'un cer-
tain dynamisme économique," cgInnÍe le révêlent les
données présentées dans cet ouvrage; Dynamisme
insuffisant pour incorporer - comme nous l'avons
démontré - l'ensemble" de la popÍllation au systeme
économique en expansion, mais qui, cépendanf, per-
mel" un processus""de mobilité sOclale ascendant suf-
fisaht pour, d'un côté obliger les classes dominantes
traditionnelles à «partager le commandement»
avec les ,nouveaux secteurs ,politiquement ou éco-
nomiquement puissants (les chefs" d'entreprises ca-
pitalistes d'origine immigrante, les secteurs techni-
ques ou professionnels - principalement les mili-
taires - des anciennes ou desnouvelles classes
moyennes, etc .. ") et d'un autre côté pour perm"eUre
jusqu'à un cértain point l'ascension sociale dans les
classes populaires.
On voit mal apparaitre l'image d'une couche diri-
geante imperméable au flux de l'ascension sociale
à travers .les premiéres enquêtes sur sa compo-
sition. En effet, les données disponibles (11) in-

11. L'Institut est en ''train de réaliser une série d'enquêtes


sur Ies groupes d'entrep'rises en Argentine, au Brésil et au
Chili. Les résuItats partieIs, obtenus dans le premier tnivail
indiqué dans la note antérieure, nóus servent dans cette
affirmation. Voir. spécialement Luciano Martins, Dislocations
entre les secteurs dans la fOl'mation des élites industrielle8
brésiliennes, document préliminaire de discussion prépar,é
dans l'ensemble des enquêtes auxquelles nous faisons réfé-
rence et C. FiIgueira, Le chef -d'entreprise, industrielle au Chili,
Santiago, Institut, 1965, manuscrit. .Sur «Ies classes diri-
geantes» et les différentes élites professionnelles, parmi les
ouvrages les pIus significatifs voir ceIui de José Luiz de
Imaz, Los que mandan (Ceux qui commandent), Buenos
Aires, Eudeba, 1964.
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFICATION SOCIALE 143

diquent plutôt qu'il ,ya, incorporation de nouveaux


groupes et individus aux, élites dirig!,antes, tant
éconOIniques que politico-administratives ou milJ-
taires,
De plus ces imquêtes signalent une 'certaine « mo-
bilité' intersectorielle» des élites, qui changent de
fonction et d'activité·, soit ·en passant du domaine éco-
nomique au domaine politique comme forme
d'adaptation à des circonstances économiquemeht
défav~rables pour certai'ns groupes, soit en chan-
geant d'activité dans le domaine économique, ·en
passant de l'agriculture aux services, de ceux-ci à l'in-
. à.la banque, etc .. , assurant aihsi' une certaine
du.strie, ,

continuité entre lesdivers secteurs; des classes dom i-


,nantes et établissant dans la' pratique un large. sys-
téme de solidarité entre les élites traditionnelles
et les « nouveaux riches »,
Les rares traváux réalisés sur' le processus de
mobilité sociale en 'Améiique Latlne ont signalé
,à leur .tour que les effets des transformations dans
ia stru~ture des professions, encouragées par le dé-
veloppement économique, p~rmettent sans doute
et à un degré considérable, d'accélérer la «mobi-
lité structurelle» comme l'appellent certains. au-
teurs, ou la mobilité suscitée par la création de
nouveaux emplois.
Cependant, la « mobilité de ,remplacement:», .pour
utiliser l'expression ·de Germani, ou ·de «position»
dans la nomenciature de Hutchinson, c'est,à-dire,
celle qui est due au changement deposie sans consi-
'dérer l'augmentation de' l'offre de nouveaux emplois
supérieurs, semble être extrêmement réduite, íriême
144 SOCIOLOGIE DU DtvELOPPEMENT EN AmRIQUE LATINE

daris les zones dynamiques comme à Sao Paulo (12).


L'étude de 'Hutchinson montré de maniêre in-
espérée que, si on compare les résultats obtenus
a vec des références similaires par une société consi-
dérée comme peu fluide, comme celle de la Grande-
Bretagne, la rigidité de la structure sociale de la
ville de Sao Paulo est encore meilleure.
Par conséquent, eertaines des affirmations anté-
rieures'se vérifient une fois de ,plus de maniêre in-
directe: s'i! est certain que le développement dans
les pays qui se sont le plus industrialisés en Amé-
rique Latine a produit des transformations dans la
structure professionnelle 'ei par suite; dans les for-
mes dé répartition sociale, cela n'a pas eu pour ré-
súltat le déplacement des groupes traditionnels pri-
vilégiésau béhéfice de la formation d'une «so-
ciété ouverte de classes». li n'" pas permis non plus
I'autre extrême, c'est-à-dire que les anciennes for-
mes de .répartition sociale et de contrôle social se
soient maintenues de façon .inaltérable : les nouveaux
groupes sociaux n'exclurent pas les ancien~ pour
occuper leurs. positions, mais Jls se constituerent
avec un dynamisme ascendant d'une importance suf-
fisante pour permettre que certains des nouveaux
ségments atteignent les IÚveaux supérieurs du sys-
teme de c1as~es' et en tous cas, pour encourager

12. Pour de plus amples .détails, voir les études de- 'Gino
Germani et .Bertram Hutchinson: li y a une sélection .de ce
dernier «Mobilité .et travail» dans le livre de Kahl, L'indu8-
triali8àtion en Amériqtie Latine~ op, cU, pp. 307-336. En ce
.qui concerne les travaux de Germani, en plus de celui auquel
nous avons fait.·référence, on peut voir Politique et 80ciété
à une époque de' transition., Buenos Aires, Ed. Paidos, 1962.
On peut regarder aussi Structure .. sociale .de, .Z~Argentine~
BU~l;l~s Air~s, R~igal
STRUCTURE DE L'EMPLOI' ET STRATIFICATIQN SQCIALE 145

l'espéranee d'aseension à presque tous les 'niveaux


des populaticins urbaines (13).
Pour eonclure, un bilan sur la signifieation du
proeessus, de transformation qui a eu lieu par rap-
port au type de société qui est en trairi. de se for-
mer en Amérique Latine s'impose done.

5. Développement économique et transformation


sociale

Les eonsidérations que nous avons exposées limi-


tent la validité aussi bien des interprétations « pes-
simistes» - du 'type de eelles .qui nient l'évidenee
du dynamisme existant. dans les sociétés latino-
américaines qui s'industrialisent - que des inter-
prétations «ingénues» qui établissent une relation
directe entre les profits limités de l'industrialisation
et du développement éeonomique et l'obtention de
régles de développement social earaetéristiques des
«soeiétés industrielles de masses»; il semblerait
done, que le vieux concept. de «société double»
serait le point d'équilibre intermédia ire entre les
deux positions extrêmes. Cependant, l'idée de so-
ciété double trouble plus qu'elle n'éclaire.
En effet, les données. présentées et les tendanees
dégagées .ne permettent pas de eonclure, eomme
on lepourrait si on admettait l'idée que les sociétés
latino-américaines sont doubles, que deux seeteurs
isolés se forment dans leso sociétés en question,

13. Il est souvent significatif que dans Ies enquêtes qui


sont faites avec des échantillons de groupes appartenant aux
classes populaires, le motif d'ascension sociale se -réfêre
aux enfants pour lesquels on souhaite en général une pro-
fession de « col blanc » ou une profession libérale.

10
146 SOCIOLQGIE DU DtVELOPPEMENT EN ÁMtRIQUE LATINE

c'est-à-dire, I'un dynamique ou moderne et l'autre


tràditiunnel ou stagnant. En réalité, c'est au con-
traire au sein. même de ce qu'on appelle souvent
le secteur urbain-moderne que se constituent les
« groupes marginaux» non incorporés par la dyna~
mique de l'expansion économique.
D'autre part, com me nous l'avons déjà démontré,
les nouveaux groupes sociaux ne déplacent pas tota-
lement les secteurs traditionnels et ceux-ci sont en
apparence beaucoup moins rigides que ne le sup-
posent les théories courantes sur les « oligarchies ».
Il reste donc I'impression que si on admet n'im-
porte quelle hypothése, les sociétés latino-améri-
caines ont subi des transformations d'une certaine
importance et ceci même à la campagne, bien que
cet aspect ne ressorte pas dans I'analyse, lasuccion
continuelle des populations rurales par les villes
altére I' équilibre traditionnel. Le rythme et la direc-
tion de la transformation ne sont cependant pas
les mêmes pour les divers secteurs de la société.
Tandis qu'autour de la société pré-industrielle se
structure rapidement un « centre» policlassiste qui
absorbe une partie des nouveaux contingents so-
ciaux, il se constitue dans sa périphérie - urbaine
et rurale ~ et peut-être avec une plus grande ra-
pidité, un secteur massif de population, dont l'exis-
tence est fonction directe des' transformations dues
à I'expansion de la nouvelle structureéconomique,
bien que les lois de ce mouvement ne s'emboitent
paS totalement à l'intérieur des cadres du systéme
urbano-industriel.
Par conséquent, il est certain que les sociétés la-
tino-américaines industrialisées présentent deux
faces, l'une étant fonction de l'autre. Le dyna-
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET STRATIFlCATION SOCIALE 147

misme ,du nouveau secteur urbano-industriel accen-


tue I'accroissement du secteur périphérique, sans
que pour ceia le centre policIassiste moderne ait fini
d'imposer sa loi à I'ensemble- de la société dans les
paysque nous avons considérés.
L'interprétation suggérée souligne par conséquent
que dans le processus de réorganisation. sociale que
traversent les dites sociétés, se prodílit un 'systeme,
d'aIliance, entre les sec{~urs dominants des soctétés
pré-industrieIles et les nouveIles couches sociales
privi!égiées, constituées par I'industrialisation,
D'autre part, les couches sociales pauvres se
fragmentent en deux, groupes distincts: ceux qui
s'incorporent au systême éconorni.que en expansion
et ceux qui restent dans la périphérie. II serait.
malgré tout prudentde ,nous fonder sur les infor-
mations dont nous disposons et de mieux qualifier
les résuItats de ce dernier :processus en signalant
que; d;un côté, i! y"a le secteur «moderne» ou
« centre policIàssiste » 'comme nous préférons I'appe-
ler, celui qui détermine les tendances du «mouve-
hient» des sociétés qui s'industrialisent et d'un
autre côté, que la fragmentation des secteurs popu-
laires, pour cette ,même raison, est relative. Non
seulement la: périphérie de la société se constitue en
fonction du centre capitaliste-indusfriel, mais en
plus, eIle lui est subordonnée.
Ce dernier point requiert des écIaircissements
supplémentaires. Les données présentées et certaines
enquêtes spéciales suggerent que, même s'i! est cer-
tain que le «tertiai,e rechargé» et la présence
des «groupes marginaux» attestent de la spécifi~
cité des conséquences sociales de l)ndus1:rialisa-
tion latino-américaine et de I'incapacité du, systême
148 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT .EN _AMÉRIQUE LATINE

économique d'absorber l'excédent. de main-d'reuvre


que provoque son fonctionnement, il serait trop
hâtif .d'affirmer. qu'il y a une rupture compléte
entre le .noyau relativement plus intégré du systéme·
social et la périphérie que beaucoup supposent ano-
mique et K en disponibilité ».
De fait, les résulfats présentés dans cet ouvrage
et certaines tendances ·de l'expansion du systéme
économique, tendent vers des conciusions plus pru-
dentes qui soulignent que le systéme en formation
dispose d'une certaine capacité réelie d'absorption
et, en tout' cas, dispose toujours de nombreux re-
cours pour élargir 'les canaux de contrôle social. En
óutre, les v'oies' de la promotion sociale sont lentes
mais restent appréciables, et bien qu'apparemment
un peu mythiquesi elies gardent leur efficacité (14).
Dans le cas contraire, si les hypotheses cou-
rantes sur la rupture totale de l'équilibre entre le
centre et la périphérie ou sur l'incapacité du sys-
teme capitaliste-industrielen formatiori de main-
tenir un systeme de contrôle étaient valables, les
sociétés latino-américaines industrialisées seraient
déjâ en pleine effervescence révolutionnaire, ce qui
n'est .pas le ~as. Des situations de ce genre se sont I
présentées aussi dans les pays ou les régions d' Amé-
rique Latine' oul'impact de l'j~dustriali~ation n'est \
14. Parmi les rares ouvrages d'enquêtes sur le comporte_
~
ment des individus appartenant aux «couches marginales»
et, sur leurs regles de vie et leurs. valeurs, un des plus signi-
ficatifs est ceIui de A. Gutierri, Situation et peTspectives de
la jeunesse dans une population urbaine populaire, pré-
senté à la Conférence Latino-AmériCaine sur l'Enfance et la
Jeunesse dans Ie développement national, Santiago, novembre-
décembre 1965.
STRUCTURE DE L'EMPLOI ET" STRATIFICATION SOCIALE 149

pas arrivé à modifier l'ensemble de la structure


nationale et de semblables ,mouvements ont eu leur
origine précisémenf dans les zones urbaines non-in-
dustrialisées.
Eviden,t,ment, re~te cp,mme proglé!lle pratique ppur
le lype de trànsfbr'matión futtire de' la région et
comme probléme théorique pour la' détermination
scientifique du type de société'qui est en train de se
former, la nécessitéde préciser les limites de la ca-
pacité d'absorption des secteurs économiques ca-
pitalistes dynamiques et les formesd'adaptation et
de réaction des masses mobiliséeset nono intégrées.
,En raison du manque d'informations systéma-
,tiques ,sur ce point précis, on ne, peut alle~ au-delà
des hypotheses antérieuresqui soutiennent que,
paul' le moment, i! est toujours prudent ,de parler
de ]'existence de liens entre les deux secteurs des
'classes populaires et: avec le «centre policlass'iste >~
et de' la capacité de ce dernier Íle maintenlr der;
formes de contrôle social qui aglssent SUl' la péri-
phérie de façon relativement efficace.
Pour terminer, nous dirons qu'apres 'avoi'r' 'écarté
l'idée de l'existence de «sociétés doubles~, i! con-
vient de souligner que dans ,Iecentre de ce type
de société, la différenciation et la répartition des
groupes sociaux forment aussi bien, un prolétariat
industriel qlle des secteurs moyens numériquement
et s~ratégiquement impor~ªnts.
Ceci refléte,c'est' évident, Cexistence de couches
d'entrep~ises actives dans le secteur privé ou pu-
blic de l'économie. En effet, s'i! est certain que
dans l'ensemble, de la société les populations rurfolles
et les populations «non-intégrées», ,dans beaucoup
des pays considérés" continuent à constituer la plus
150 SOCIOLOGIE nu ntvELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

grande partie de la population, le trait distinctif de


ces sociétés est justement la présence de nouveaux
groupes sociaux qui essayent des'imposer à I'in-
térieur de I'ensemble de la société.
II semble donc que le. mouvement contradictoire
qui est apparu au moyen de I'analyse des secteurs
spécifiques de la structure professiqnneIle des pays
.qui s'industrialisent en Amérique Latine aient un
caractére généraL
Les deux dimensions du mouvement de transfor-
mation des sociétés latino-américaines se produi-
sent de façon concomitante à chaque pas du pro-
cessus de développement et jusqu'à aujourd'hui rien
ne fait supposer que ce processus se développe
comme une étape transito ire.
Au contraire, s'il est vrai que la différenciation
et l'industrialisaÚon des groupes à I'intérieur du sys-
téme capitaliste-industriel s'accentuent dans les pays
les plus industrialisés, malgré tout, les couches pé-
riphériqu~~ augmentent en nombre absolu.

Tout d'abord, iI n'en n'est pas moins vrai qu'un ,.


processus semblable a eu Iieu aussi daifs les étapes
initiales de I'industrialisation européenne. Mais tan-
dis que dans ce cas le dynamisme du secteur in'
dustriel et sa capacité d'absorp·tion de main-d'reuvre
a réduit de façon croissante « I'armée de réserve »,
en Amérique Latine, pour les motifs déjà signalés,
se vérifie la formation de sociétés de type indus-
triel et le maintien dans leur péi'iphérie de larges
couches sociales, qui, même si eIles ne sont déjà
plus traditionneIles-rurales, n'arrivent pas· non plus
à être urbano-industrieIles au sens strict.
CHAPITRE IV

INDUSTRIALISATION
ET SOCIETE DE MASSE •

Pendant les derniéres années, on note une aug-


mentation· considérable du nombre de travaux socio-
logiques concernant les effets de l'industrialisation
et de l'urbanisation croissantes du monde contem-
porain sur l'organisation sociale et en particuiier;
sur les mécanismes de distribution du pouvoir 'et
la légitimation de l'exercice de l'autorité dans les
sociétés industrialisées,
En réalité; nous ne nous. tromperions pas si nous
disions: qu'i1 y a en élaboration une théorie sur le
Welfare State (1) et les conditions qui rendraient
son existence possible. Les spécialistes se préoc-
• Version revue et complétée d'uu travail publié en socio-
logie. Sao Paulo, juin -1964, vaI. XVI, N° 2, pp. 153-170. Ecrit
en 1962 pour le Deuxiême Congrês de la Société Brésilienne
de Sociologie.
1. Gunnar Myrdal, Beyond 'the. Welfare 8tate: Economic
pZanning and its lnternational Implications (Au-delà du Wel-
fare State: planning économique et ses -implicatiolls inter-
nationales), New-Haven, 'Yale University Presa. '195)0.
152 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

cupent surtout de l'énorme développement atteint


par les forces productives de «l'êre de l'automa-
tiOIl », celles qui permettent de produire et de
consommer sur 'une grande échelle, ils cherchent
aussi à déterminer quels effets a ce type d'orga-
nisation de la production et de la consommation sur
{
les formes de participation des couches populaires
à la richesse et aux mécanismes de contrôle poten-
tiel de la production et du même coup sur le pou-
voir.
\,
La transformation profondec dont le monde contem-
porain fait l'expérience préoccupe, à beaucoup de
1
points de vue, aussi bien leséconomistes que les
autres spécialistes en sciences social~s. Ainsi, tan-
dis que certains examinent le probléme des nou-
velles fonctions sociales de I'Etat moderne (Myr-
dai 1960, pour ne citer qu'un seul exemple), d'.au-
tres recherchent la valeur même du modéle tradi-
tionnel de compr:éhension de la société industrielle.
capitaliste, en fonction ,du, schéma classique de la
structure et de la dynamique de. Ia société de clas-
ses, comme l'entendait Marx (2).
D'autres, de leur côté, se préoccupent des' trans-
formations que les nouvélles conditions d'existence
aménent dans l'entreprise moderneselori la ma'
niére de s'organiser et de se développer (à ce sujei
il suffit d'indiquer l'anthologie de Haire '(3) ; d'aÍl-

2: .Ralph Dahrendorf,- Class and Class Conllict in ,Indus-


trial Society (Classe et conflit de classe dans la société in-
du_str~elle). Londres, Routledge & Keg~n Paul, 1959.
'a'. Mason' Haire, Modet'n" Organization Theory, (Théorie 'J
pour une organisation moderne), 'New York, John Wiley
& Sons, 1959.
INDUSTRIALISATION ET SOCIÉTÉ DE MASSE 153

tres s'intéressent aussi aux résultats que les for-


mes d'inter'action~ et les processus de domination
en vigueur dans les organisations économiques mo-
dernes ont sur la personnalité' ~ statut de « l'homme
organisation», - (voir dans 'ce sens les études
parues dans la ,série patronnée par la Inter-Uni ver-
sity Study of Labor Problems in Economic De-
velopment, spécialement les recherches 'conjointes
de I'Université de Pr'inceton et I'Institut Technologi-
que du Massachusetts).
Abondent aussi les études sur les effets que l'en-
treprise bureaucratisée a sur les formes de, com-
portement du « salarié » moderne, qui a remplacé le
« prolétaire ». Pour beaucoup d'auteurs, le salari~
apparait comme le nouvel interlocuteur du chef d'en~
treprise (devant les hauts salaires du salarié, la
figure du chef d'entreprise a disparll), dans le
grand dialogue établi sur la possibilité d'un monde
prospére et ~capable d'offrir la sécurité à tous, du
temps libre, le bien-être social et la liberté de
mouvements.
A l'intérieur de ce panorama, des expressions
comme société capitaliste et société socialiste sem-
blent perdre de leur importance devant le fait es-
sentiel de l'industrialisation et de la technique, qui
donne naissance à des formes de domination, à
des mécanismes de contrôle et à des niveaux d'as-
pirations qui tendent vers un «Monde unique ».
Dans un ouvrage récent sur l'ad~ministration, on
tente aussi d'examiner les couches sociales' des chefs
d'entreprises et des administrateurs dans un effort
pour obtenir une analyse culturelle comparée, qui
englobe les entreprises capitalistes privées, les en-
154 SOCIOLOGIE nu Dlf:VELOPPEMENT EN AMJ.!:RIQUE LATINE

treprises de I'Etat et les entreprises soviétiques (4).


Le nouveau grand probléme de- I'humanité de-
viendrait. celuL du « Bien-être commun », but vers
lequel, convergent les préoccupations des cercles~ in'
tellectuels qui, jusqu'à présent ne partagent pas les
prédictions, fortement teintées de connotations idéo-
logiques, du nouveau capitalisme (style de Peter
Druckner), mais qui maintenant se font I'écho des
problémeset des possibilités du Welfare State comme
le signale la revue Arguments (2" trimestre de
1961) (5).

Devant ce tableau théorique, le sociologue latino-


américain qui assiste au processus d'industrialisation
dans des nations de « structure traditionnelle» (éco'
nomie agraire et latifundiaire et formes de domi-
nation du patrimoine) et essaye de comprendre
la signification. de la transformation sociale en
cours dans ces pays, court le risque de recourir
à des schémas de référence fort trompeurs. Oublions
pour un moment si le probléme est ou n'est pas
pertinent pour comprendre les transformations en'
registrées dans les pays hautement industrialisés, en
ce qui concerne I'attitude aussi bien méthodologique
que pratique dans .1es analyses mentionnées plus
haut.

4. F.H. 'Harbison et C.A. Myers, Management in the In-


dustrial World. An International Analysis (La gestion dans
le Monde industriel. Une analyse interhationale), New York,
Mac Graw-Hill,_,1959.

5. Peter F._ Drucker, The New 8ociety. (La Société' Nou-


·velll7 New York, Harpers & Brothers. 1950.
INDUSTRIALISATION ET -soCIIf:TÉ DE MASSE 155

Il est indiscutable que la production à grande


échelle et la consommation à grande échelle' qui
en découle, conséquence et condition du développe-
ment des économies de technique avancée, ont donné
de nouvelles caractéristiques à la société contem-
poraine.
Les analyses de Mannheim (6) s'éclairent au
fur et 'à mesure que se déroulent' le développement
des formes modernes de production et la participa-
tion de I'homme dans 'Ie contrôle de la vie sociale.
La société de masses se structure partout ou le
systeme est fondé sur 'Ia production à grande échelle,
quel que soit le type d'organisation du pouvoir en
vigueur et le moyen d'atteindre la propriété des
moyens de production.
Il n'y a aucun doute que, I'antique Moloch du cá-
pitalisme Iibéral s'est transformé sous I'action du
nouveau Jupiter puissant et respecté, en capitalisme
monopoliste de, fait, courant et contrôlé.
Il y a toujours l'Enfer et le Paradis, la terre
et le, ciel. Avec cette différence, qu'une fois ense-
velie la démocratie Iibérale, les ,prolétaires viverit à
I'époque de la « société de ,masses », entremêlés aux
patrons et à toute la gamme des fonctionnaires,
soumis les uns et les autres aux intérêts des socié-
tés anonymes. Sociétés qui, malgré la «démocrati-

6. Karl Mannheim, Freedom, Power and Democratic Plan-


ning (Liberté, Pouvoir et Planning Démocratique), New. York,
Oxford University Press, 1950. Voir. de plus, toujours de
Mannheim, Libertad y Planification Social (Liberté et :Pla-
nification sociale) trad. de Manuel Duran GUi. Mexico, Fondo
de Cultura Economica, 1953.
0156 SOUOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

sation du capitaL»continuent à être Jinanciérement


contrôlées par des groupés minoritaires de proprié-
taires et de rentiers (7).
Deux problémes principaux en relation avec l'ana,
lyse. de la formation des sociétés de masses en tant
que conséquence de l'industrialisation. semblent' alors
préoccuper les sociologues qui veulent comprendre
le développement économique :
1) Quelle est la signification réelle des sociétés
de masses en ce qui concerne le contrôle du pou-
v.oir et les formes d'acquisition de la propriété écono-
mique? '
2) Quelles sont les possibilités de formation de
sociétés de, masses à partir dti développement éco-
nomique .qui, a son origine dans des, sociétés,tradi-
tionalistes ? .'"
'Les réponses posslbles à la seconde question dé-
'pendent des résultats de l'analyse du premier pro-
bléme.
Lorsque les deux questions auront été ,éclairc!es,
il sera alors possible de se faire une idée plus
nette de la nature et dU sens des tnlnsformations
quele développement écono~ique provoquera dans
la structure des sociétés i:raditionnelle~.
Bien 'que dans lesanalyses sociologiques plus ré-
centes, l'optimisme initial se rapportant à la possi-

7. C. Wright lMills, 'Tlie _power 'Elite (L'élite du pouvoir),


New"York, Oxford University 'Press.1956. De plus, :voir, White
Collar.' The A merican Middle Classés. (Les càls blancs. Les
classes moyeimes américaines), 1951, New r York,' Oxford -Uni_
versity Press. Livre traduit aux Editions· François Maspero.
INDUSTRIALISATION ET SOCItTÉ DE MASSE 157

bilité de modification essentielle du capitalisme et à


son dépassement non révolutionnaire par le «~capi'
talisme social» semble se dissiper, cet optimisme
existe encore dans les idées de certains. économistes
et. de certains sociologues en tant qu'idéologie, dans
la pratique politique des' hommes d'Etat qui ont
une plus large vision dans les paysçapitalistes.
Mills ne fut pas le seul qui essaya de changer le
tableau qui avait été dressé de la société capi-
taliste actuelle. Sans la même intention polémiQue.
certains auteurs ont utilisé des éléments parti eIs',
aussi. bien produits de I'analyse que de la syn-
thése, pour dissiper l'idée du capitalisme démocra,
tique de l'époque des sociétés anonymes, fondé sur
la bureaucratisation des entreprises et sur la dé-
centralisation de la propriété au moyendes actions.
Ainsi, renait parmi les décombres de I'idéologie
du patron, l'àncien chef d'entreprise en tant que
figure centrale ·du capitalisme. Pendant la recons-
truction allemande, aprés la guerre, le capitalisme
a trouvé dans le chef d'entreprise autoritaire l'élan
essentiel de l'économie. Ce chef est conscient de
son origine, il est le défenseur bien connu de la
propriété privée, de sa vocation de chef et de' Ia
nécessité d'une élite dirigeante (Hartmann, 1959).
Devant les gérants, le chef d'entreprise allemànd
ne cache pas l'orgueilleux mépris des innovateurs
devant les routiniers. En France, on note moins
clairement I'attitude méprisante des chefs d'entre-
prises vis-à-vis des « bureaucrates », il y a plus de
souplesse dans les formes de persuasion et de com'
mandement; cependaht, persorine ne doute .du rôle
158 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

essentiel que joue le 'propriétaire non bureaucrate


dan~ les'entreprises (8).
La 'théorie sociologique actuelle doit considérer,
combien sont limitées les possibilités de concevoir
l'entrepiise à partir de modéles traditionnels de
bureaucratisation. Cette théorie, tout en enrichis-
sant li? concept de bureaucratisation au moyen d'une
casuistique qui englobe celui de « fonctionnalisa-
tion », ne pense déjà plus que la bureaucratisation
totale soit une caractéristique inhérente à l'esprit
de rationalité de I'entreprise capitaliste moderne (9).
Personne ne nie, évidemment, que le capitalisme
actuel soit différent du capitalisme antérieur à la
premiére Guerre Mondiale. Il est manifeste que la
société anonyme et le trust international se. sont
substitués à l'entreprise familiale qui développait ses
activités dans un marché compétitif.
Personne n'ignore non plus le rôle dévolu à I'Etat
dans la stimulation et la réglementation de l'éco-
nomie moderne, même dans les pays profondément
capitalistes.
De la même maniére, la «théorie de l'organisa-
tion », si bien acceptée encore aujourd'hui aux Etats-
Unis, ne constitue pas une simple rationalisation,
mais elle exprime une circonstance de fait: l'en-
.treprise économique moderne exige d'être imper-
simnelle, tout comme elle e'l'ige la création de

8. 'François Borriêaud, «Mala"íse patronal », dans' Socio:'


logie du Travail, Paris, IIlQannée ·N° 3, juillet-septembre 1961,
pp. 221:-235.
9. Alain Touraine, «L'organisation pror'essionnelle de l'en-
treprise », dans G. Friedmann et P. Naville, Traité de- Socio-
logie du Travail, Paris, A. Colin, pp. 407-427.
INDUSTRIALlSATION ET SOCIÉTÉ DE' MASSE 159

normes pour intensifier I'efficacité et la légitimation


rationnelle de I'autorité. En d'autres mots, ies nor-
mes bureaucratiques sont aussi chaque fois plus
complexes et offrent des options chaque fois plus
nombreuses (10).
De la même maniére, i! y eut jusqu'à un certain
point une scission entre la proprié'té de I'entreprise
et son contrôle direct.
Le probléme consiste provisoirement dans le fait
de savoir quelle est la portée de ces processus SUl'
le schéma structurel de la société en ce qui con-
cerne l'obtentionde la propriété des moyens de
production; pour ce qui se rapporte au contrôle
de l'Etat, dans la mesure oú celui-ci agit de deux
façons différentes SUl' I'ordre établi: en mainte-
nant et en permettant la redistribution du prestige
et de la richesse entre secteurs des groupes domi-
'nants; en d'autres mots: la notion de «classes
ouvertes » posséde-t-elle encore une efficacité d'expli-
cation pour la compréhension des sociétés capita-
listes modernes ?
Cependant, s'i! y a eu un certa in changement
dans la situation de fait qui arendu possible, le
concept de « société de classes ouvertes» pour qua-
lifier la structure des sociétés capitalistes, ceci n'a
pas non plus signifié une plus grande limitation
dans le processus de sélection sociale pour l'accom-
plissement des fonctions créées avec le progres in-
dustriel. Il ne faut pas penseI' non plus que dans
les pays typiquement capitalistes i! y a eu des

10. Alvin Gouldner, Patterns 0/ Industrial Bureaucracy


(Modeles de bureaucratie industrielle), Glencoe, The· Free
Press, 1954.
160 SOCIOLOL~E-DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATI.NE

limitations dans le processus d'augmentation du re-


venu réel parhabitant.
Malgré tout, et ,ceci est I'aspect essentiel, dans
la mesure oú le progrés croissant a permis que
la structure de classes continue à être « ouverte »,
le systême capitaliste n'a pas souffert jusqu'à pré-
sent et dans aucun pays du monde, de pressions, de
la part de ce même développement qui puissent
mettre en péril le fondement même du capitalisme,
c'est-à-dire, la propriété privée des moyens de pro-
duction.
Au contraire, il semble s'être produit un proces-
sus d'aliénation à une écheIle que les théories ré-
volutionnaires du siécIe passé n'auraient jamais pu
suspecter. En effet, à mesure qu'ont augmenté les
facilités d'ascension sociale et de réalisation per-
sonneIle au moyen du succés économique, et ceci
grâce au progrés croissant et au maintien de « l'éga-
]itarisme» comme valeur de base, la société de
masses a permis que cette même participation des
masses dans le systéme de consommation à une
grande écheIle contribue â les écarter des problemes
liés au contrôle poli tique.
Dahrendorf a raison sur ce point quand il
dit (11) : dans la société moderne, la distribution
et l'exercice de l'autorité (ou autrement dit, la dis-
tribution et le contrôle du pouvoir) constituent la
pierre de tçlUche de la différenciation sociale.
II nous semble seulement - et ici nous ne som-
mes pas d'accord avec Dahrendorf - que'les effets
de la rupture entre la propriété et le' contrôle ef-
fectif des moyens de production dans la société ca-

11.. R. Dahrendorf, op. cit., p. 136.


INDUSTRIALISATION ET" SOCIÉTÉ DE MASSE 161
pitaliste moderne sont" en premier lieu, moins si-
gnificatifs que ne le suppose l'auteur, et en second
lieu, même s'ils étaient certains, ils altéreraient
uniquement la face, externe .de la structure de clas-
ses qui, d'accord avec le, modêle classique, continue
à se fonder sur la distribution et le contrôle de la
propriété,
En effet, bien que les gérants, les directeurs et
les présidents de sociétés anonymes exercent. leur
autorité à l'intérieur .de larges limites et jusqu'à
un certain point, indépendamment de la volonté des
actionnaires et des' propriétaires, 7 7 la marge ne
parait pas aussi significa tive qu'il semble youloir
s'en convaincre - ils l'exercent toujours au bé-
néfice de l'entreprise, c'est-à-dire, avec un objectif :
l'augmentation des bénéfices et le maintien du sys-
tême~
Dans la: mesure oú la complexité et la rationali-
sation progressive des entreprises économiques mo-
dernes favorisent ce type de rêglement entre Ies
propriétaires et les directetirs, leur résultat sera
non seulement de renforcer la propriété privée, base
même du systéme, mais de provoquer un effet ines-
péré': l'aliénation croissante des administrateurs, qui
assumeront le rôle de «fonction et conscience»
des propriétaires, même .s'ils .continuent à exister en
qualité d'experts :mercantiles pour ce qui est de leurs
attributs humains et le. résultat ,semble bi~n être
I' « humanisation »progressive des propriétaires,
Dansce cas, ceux-ci i )ibérés des objets qu'ils pos-
sédent, commencent à profiter, en tant que seigneurs
et maitres de leurs destins, du résultat d'un travail
auquel ils n'ont contribué en aucune façon, .pas
même comme exploitants directs de la plus-value ou

11
162 SOCIOLOGIE ou nfvELoPPEMENT EN AMfRIQUE LATINE

comme' organisateurs' de 'Ia productión, processus


qui, dans le passé, les 'convertissait en doni.inateurs
c'est-à-dire, en esclaves.
Le seul 'point sur lequel on 'pourrait fOllder l'espé-
rance du Welfare State, construit :indépendamment
de l'affrontement classique prévu de la lutte de
classes (qui en détruisant la domination de classes
et I'Etat détruirait la société et poserait les bases
de la communauté: formation sociale capable d'hé-
berger sans contradictionsdans son sein, un Etat
de Bien-être commun), serait celui de l'analyse de
lá formation de groupes de pression à 'l'intérieur
'des sociétés de masses, qui pourraient influer sur
le pouvoir et par son intermédiaire, redistribuer la
ríchesse sociale.
C'est pour êela que les hypotheses moins 1'11'-
mentaires qui ont été énoncées sur la possibilité
d' obtenir le bien-être commun se fondentsur deux
points : laplanification de I'Etat et les groupes de
p'ression sur I'Etat. Cependant, l'éloignement des
masses et la manipulation de celles-ci par I'emploi
de moyens d'information massifs permettraient qlle
s'installe entre lé pouvoir et cesmasses un vide
que seuls les groupes liés à la propriété pourraient
remplir (propriétaires ou agents de la propriété pri-
vée) . Les organisations des partis politiques, la
presse et en général les moyens de communiCfition
ôteraient, dans la société moderne de masses, toute
possibilité d'influence active sur les couches' popu-
laires en ce qui concerne les questions essentielles
qui ont trait à l'avenir de la société globale et ceci
'paree qu'ils détruiraient le point de départ de cette
réaction : la conscience de 'Ia situation réelle de do-
Imination.
INDUSTRIALISATION, ET, SOCIÉTÉ DE MASSE 1.63.

L'analyse de' Merton (12) montre que cela arrive


dans la vie politique d'un pays démocratique, avec,
élections formellement libres'; les analyses de Lip-,
set (13) signalent la fonction sociale « intégratrice»
des, syndicats dans l'économie capitaliste la plus.
prospere du monde, et les mécanismes de domina-
tion appliqués'au sein de' lª structure syndicale.-
En, partant de. ces travaux, il semblerait que le
prixdu Welfare State à l'intériem; du systeme ca-
pitaliste de production dans une société démocrati-,
que de masses, serait l'aliénation et l'adhésion mas-
sive aux valeurs et aux objectifs ·des groupes do-
minants.
En considérant ces analyses, nous voyons qu'elles
ont une ,rare importance explicative pour la com-
préhension de la dynamique et de la, nature des
sociétés de masses, des ressemblances indiscutables
que présentent le comportement et les formes de vie
sociale. ,dans des pays à régimes politiques diffé-
rents et, qui sont les conséquences de, l'industriali-
sation et de la consommation sur une :grande
échelle.
-En effet, une explication sociologique qui met en
relief les différences essentielles existantes dans la
dynamique des systemes sociaux globaux et qui
accentue l'importance des particularitésqui don-
nent un caractere historique et social distinct aux
divers types de structure, reste valable.

12. Robert K.·"Mer'fon, Social 'Theory and Social Structure


(Théorie sociale et structure sociale), Glencoe, The Free
Press, 1949, pp'. 72-82. -
13. Seymour M. Lipset, «Le syndicalisme américain et les
valeurs de la société américaine» dans Sociologie du Travail,
Paris, 1961, Partie N° 2; PI=!o 161-181 et N° 3, pp. 268-286.
164 SOCIOLOGIE' DU DÉVELOPPEMENT· EN' ,·AMÉRIQUE LATINE

Aucun sociologue, ne pourra nier, en 'tenan t


compte des transformations, actuelles' de' la société
soviétique et 'de la forme, de participation sociale
des couches populaires 'dans les sociétés _qui se, ré- ,
'!
férent à la soéiété de masses, qu'il y a des, points
de rencontre avec la société nord,américaine. L'im,
pératif poli tique qui se propose' ,comme objectif, d'at-
teindre des niveaux de viemeilleurs pour la' popu-
lation et d'assurer le contrôle des informations et
desmoyehs de communications par des groupes
restreints, est assez évident.
Cependáht, d'aprés ce qu'on peut en juger au
moyen de l'information dont on dispose, la vo-
lonté de partiCipation poli tique des masses et ]es
valeurs qui orientent la propagande et l'éducation
en Union Soviétique indiquent une différence es-
sentielle: les masses, même si elles agissent dans
le cadre structurel de la société soviétique qui subit
l'influence des techniques de comportement de mas-
ses, ces massesne sont pas tenues éloignéesdes
problémes de éontrôle politique par leur socialisa'
tion. Entre I'Etat et le peuple il y a le parti et
l'idéologie de participation poli tique des masses.
Jusqu'à un certain point, le ,contrôle bureaucratique
et autocratique' à l'intérieur du parti, et de celui-ci
sur le pe'uple, a permis, c'est tres clair, l'éloignement
poli tique des masses.
Cependant, à la différence de la, culture 'du capi'
talisme avancé, ou les valeurs centrales de la réali-
sation personnelle permettent que le cont~ôle des
majorités par des ,petitsgroupes cesse d'être en
contradiction flagrante avec les idéaux égalitaires,
dans les pays, socialistes, la, consci~J).ce de la néces-
sité' de participer ,n'arrive pas à se reléguer, ,tout
INDUSTRIALlSATIQN ET SOCltTt DE MASSE" 165
au moins comme valeur, ni dans l'idéologie offi-
cielie (pour le cas le moins. important) ni dans le
comportement de groupes importants de la popu-
lation. comme I'ont démontré les mouvements et la
,poli tique postérieurs .à la rupture du «centre hé-
gémonique» et à la formati<;m du poli-centrisme.
Les considérations faites. jusqú'ici font ressortir
que la définition d'un type de société comme so-
ciété de ·masses· est insuffisante' pour expliquer les
processus de distribution' du pouvoir et d'accês à la
propriété économique qu'iJ y a en elle. D'un autre
côté, ces· considérations montrent que lesmodifica-
tions provoquées par ·Ia: formation de sociétés de
masses dansla participation pólitique dé· la popula-
tion et dans la division du pouvoir, ne suffisenf pas
pour justifier l'élimination hâtive, que font de. nom-
breux auteurs, des problêmes classiques de 'Ia so-
ciologie de la civilisation industrielle d'Occident.
Le socialisme et le capitalisme ne sont pas des
formes d'organisation 'poli tique secondaires en re-
lation avec l'accroissement industriel fondé sur la
technologie moderne et la rupture inévitable des
anciens cadres de la «démocratie restreinte ». Ils
ont plutôt une grande signification pour compren-
dre le sens des sociétés de masses.
Si nous partons de ce qui a été dit plus haut, nous
.pourrons essayer d'éclairer les problêmes liés, au
développement économique fondé sur le rôle essen-
tiel de l'industrie dans les sociétés traditionnelles,
en évitant d'établir des échelles continues et for-
melles qui mesurent le passage de la domination
patrimoniale à·la société de. masses, comme si elles
prétendaient vérifier la ·transformation des socié-
:166 SOCIOLOGIE :DU rrl:vELOPPEMENT"EN .Al\.d':RIQUE LATINE

tés contrôlées par des, élites traditibnnelles en so'


ciétés contrôlées par les masses.
I! est indéniable que le développemént économi-
que industriel change le sens même de la' contri-
bution des «sociétés de masses» daits lés pays
sous-développés, dont le pouvoir poli tique était or-
ganisé sur une base· patrimonialiste., ,La concen-
tration démographique urbaine et l'incorporation
massive 'des populations rurales au systême indus-
triel a altéré les formes de participation des couc
,ches populaires à l'usufruit des biens matériels et
spirituels produits, par la civilisation industrielle;
elle a aussi modifié les formes traditionnelles de
rapports entre les diverses couches dans la struc-
ture de domination.
Cependant, .le problême consiste .à déterminer le
,sens qu'aura la participation des couches populaires
dans la vie politique du pays.
La distinction utilisée par Gino Germani (14)
entre mobilisation et intégration des masses dans
le processus, poli tique semble valable et utile. Le pre-
mier cas se réfêre aux situations oú la participa-
tion des masses suppose la fin de la passivité qui
les caractérisait dans la modalité traditionnelle de
domination et l'acquisition d'une certaine capacité
de comportement délibératif, avec de nouvelles aspi-
rations vers l'action'politique.
Dans cette étape, la participation poli tique des
masses peut se tradulre par des mouvements orga-
nisés de protestation, des explosfons révolutionnai-

14. Gino Germani, «Démocratie représentatiye et classes


populaires en Amérique Latine », dans Baciologie du Travail~
Paris, 1961, N0 4, pp. 96-113. -
"INDUSTRIALlSATION ET SOCI~T~ ,DE MASSE 167

res ouvertes, des mouvements religieux, des activi-


tés politiques partisanes, électorales, etc ...
Dansle second cas, la participation des masses ,se
borne aux voies institutionnalisées dans le cadre
OU régime politique' dominant. D'autre part, cette
pahicipation est sentie ei: vécue com,me !, légitime »
par les groupes mobilisés, en même temps qu'elle
est sanctionnée comme telle par lasbciété.
La possibilité qu'une forme de 'participation se
transforme en une autre dépendra, dans chaque cas
historique concret, de 'nombreux facteurs, parmi les-
quels nous mentionnerons le rythme de I'accroisse-
ment industriel et la souplesse dei; anciennes élites
dominantes face au processus de redéfinition des
cadres dirigeants du pays; ce dernier rendu obli-
gatoire par la pression des groupes d'entrepi'ises
apparus avec le développemE!nt industriel. Le degré
de résistance qu'oppose la structure traditionnelle à
la participation des masses semble être un des
points fondamentaux polir comprendre la dynami-
que des sociétés de masses en' formation, toujours
dans le cas des pays sous-développésoÍl iI a été
possible de maintenir I'élan d'accroissement. Ger-
mani, dans ses analyses sur le péronisme, a montré
avec c1arté que cela peut arriver lorsque la « mobi-
lisation» intense des masses dépasse la capacité des
cadres institutionnalisés du pouvoir à assimiler les
élans de. participation des couches populaires: iI
se produit alors des mouvements autoritaires, na-
tionaux, « gauchistes» en apparence, bien que pres-
que toujours démagogiques et conservateurs, qui
tentent de rétablir I'équilibre perdu par le jeu des
influences sur le pouvoir.
168 SOCIOLOGIE' OU" J;ltVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

Celso Furtado (15) de. son côté, a essayé de for'


muler une théorie sur les alternativesdu dévelop-
pement social deyant la pression diffuse des masses
qui désirent atteindre un plus grand degré de par-
tiéipation dans la gauche nationale et
dan~ les des-
tiriées du pays. Quand il y a une ~xtrême rigidité
de l'ordre traditionnel et qu'il y a rejet de tout
dialogue 'politiqu\! (cas de Cuba), la «mobilisation
spontanée» des masses peut favoriser un type de
comportement de style révolutionnaire. classique, qui
peut provoquer ,la destruction de l'ancien ordre po,
litique et sociai et aussi la substitution des,classes
dominantes. L'autrepossibilité 'serait l'assimilation
(les paroles et l'interprétation sont de moi) et le
contrôle, par les voies institutionnelles d'une «so-
ciété ouverte », des revendications et de l'effort po-
sitir de reconstruction sociak né de l'insatisfaction
et des nouveaux niveaux d'aspiration des couches
populaires qui n'ont pas reçu les bénéfices du 'pro-
grês économique. Dans ceprocessus «,I'Etat de
compromis » embryon du Weltare State, joue le rôle
décisif: l'intervention' de .I'Etat cesse de servir les
intérêts d'une classe, bien que .I'!êtat' continue tou-
jours à agir sous son égide, pour favoriser les mo-
difications capables, d'assurer les transformations
nécessaires pour éviter son écroulement.
Pour la compréhension du mécanisme dei; socié-
tés de masses, il resterait à so'uligner les répercus-
sions théoriques des analyses de ces auteurs et

15. Celso' Furtado; Conférence prononcée dans le second


cycle d'Etudes d'intégration du nord-est. dont le texte a parU
dans O EStado} 'de "l'Etat de Sao Paulo", du 26 janvier 1962,
p. 12.
INDUSTRIALISATION ET:-SOCltTÉ DE -MASSE 169
aussi les options sous-jacentes des divers chemins
que. 'peut adopter la. participationdés masses' dans
lessociétés ou se développe le processus de dé-
veloppement- économique.
En premier'lieu, l'accroissenient industriel rapide
provoque indéniablement, tout au moins dans la
premiére étape du processus, la réorganisation de
l'ordre social dà"ns les pays de structure tradition-
nelle avec des arrangemerits qui prennent des voies
différentes de celles adoptées pendant la transfor-
inàtion suscitée par l'industrialisation en Europe
Occidentale et aux Etats-Unis. L'histoire du capi-
talisme ne se répéte. pas. II ne se. produit pas' de
cristallisation de ses classes, bourgeoisie et prolé-
tariat. Il n'est pas possible non plus de maintenir
les institutions et les mécanismes clasfiques de
pression poli tique en vigueur dans ces régions: la
démocratie représentative (voir Germanil, les par-
tis représentant les classes urbaines, les syndicats
qui se préoccupent des revendications poli tiques et
économiques, etc ... parce que, d'abord, ces institu-
tibns dont la forme est semblable à celle des situa-
tions classiques se réélaborent dans les zones in-
dustrialisées des pays sous-développés.Malgré tout,
leur signification est « fonctiónnellement » distincte :
en Europe (nous excluons les Etats-Unis parce
que le processus de formation déjà mentionné
d'une société «ouverte» redéfinit les termes de
la situation), la dynamique de la société de clas-
ses 'a trouvé les bases de son développement dans
le prolétariat urbain et dans' les aspirations de. li-
bertés· publiques qui ont leur origine ·dans les popu-
lations urbaines, ce qui' s'est traduit par unerela-
tion directe entre la tradition urbaine et prolétaire
170 SOCIOLOGIE ou OtVELOPPEMENT· EN_ AMtRIQUE LATINE

et par' une plus .grande Tapidité de transformation.


En revanche, dans les pays. sous'développés d'Amé-
rique Latine, les élans dynamiques .qui ontJ la plus
forte ·répercussion dans I'étape de' formationdes
sociétés de masse~ se trouvent. d'une. part, dans
les masses ur:bair,es d' origine rurale récente et
d'autre part, dans les masses rurales, qui, bien que
n'ayant, pas été favorisées par le progres matériel
entrainé' par le développement économique, le furent
en revanche par I'espoir d'améliorer leurs niveaux
de. v!e et d'augmenter leur participation dans la
"ie de Ia n",tion.
Il faudrait. signaler à ce sujet que les tentatives
de réorganisation sociale ont de plus grandes chan-
cesde succes pour apporter des modifications pro-
fondes dans la structure du pouvoir et de provoquer
des altérations dans ,le jeu des forces sociales,
quand il est possible en partant. de leurs inquié-
tudes de mobiliser de plus en plus des masses ur,
baines à condition bien entendu que le jeu des par-o
tis poli tiques légaux n'aboutisse pas à leur inté-
gration. Eri effet, quand les masses urbaines peu-
vent canaliser leurs désirs de progres matériel et
exprimer, à I'intérieur de I'ordre .établi, leur point
de vue en ce qui concerne le processus politique
général (au moyen de I'organisation, par exemple,
de. partis. populaires nationalistes) et peuvent expo-
ser aussi leurs revendications concernant les
conditions de travail (au moyen de syndicats re-
connus comme légitimes par toute la société), elles
agissent comme des facteurs qui. rendent· difticiles
les pressions' .sur I'ordre social, pressions qui onJ
trouvé naissance dans les noyaux dynamiques non
intégrés à la société urbil!ne de masses.
INDUSTRIALlSATION ET .SOCIÉTÉ. DE MASSE 171
Ceci semble, prédominer lorsqu'une yariable· ;indé-
pendante se maintient, à savoir, le développement in-
dustriel capitaliste, constant et qu'en conséquence,
comme variable dépendante, il soit: possible d'abso~­
ber économiquement les populations marginales. Cela
dit, et si la tendance exprimée plus haut. était, vraie,
les perspectives qui s'ouvriraientaux sociétés de
masses .en train de seformer dans les régions sous-
développées, sous l'intervention de I'Etat accélérant
·Ia réorganisation et I' « intégration» croissante des
populations urbaines, impliqueraient inévitablement
le même type d'aliénation que celui signalé pour la
société nord-américaine. ,li .y aurait à chaque fois
plus de. possibilités de perfectionner les,aspects for-
meis de la démocratie, et. par suite l'influence des
groupes dominants, fuinoritaires sur le comporte-
menLdes masses serait chaque fois plus grande, jus-
qu'au moment ou l'ancienne pression externe de
domination serait remplacée parIa « spontanéité des
normes intériorisées ». (16).
Dans ces conditions, le probleme du .contrôle du
pouvoir finirait par dépendre des relations entre
les anciennes élites agro-commerciales et les nou-
veaux groupes de la bourgeoisie industrielle ur-
baine ,reliés ·au capitalisme international. La capa-
citéqu'ont les élites anciennes pour redéfinir leurs
attitudes et « l'assimilation» possible des nouveaux
groupes dominants par les plus anciens, ne parait
pas du tout hors de propos dans la société, capi-

16. Gino Germani, op. cito Voir en plus, Politica y 8ocie-


dad en una época de transicion. De la sociedad, traditional
a. la., 80ciedad de masa8 (Politique et société à une époque
de fransition. De la société traditionnelle à la société de
masses), Buenos Aires, Ed. Paidos, 1962.
'172 SOCIOLOGIE "DU. DÉVELOPPEMENT EN -AmRIQuE LATINE

taliste de masses en voie de formation dans les


régions, sous-développées.
Le ,choix réside précisément dans un, modele, ,de
dévelopvement social qui ne conçoit. pas' 'I'Etat
eomme le ,pont quLrelie les intérêts traditionnels
aux nouveaux désirs de réorganiser, par un arran-
,gement' particulier, la structure de domination et
d'élever sirnultanément les 'masses à des situations
de plus grand bien-être 'matériel et à mieux domi-
ner leur propre destino En d'autres mots, un Wel-
Iare State qui signifie de façon 'effective un progres
dans le double sens de plus grand bien'être et de
plus grande conscience de la, situation sociale, ne
pourra être átteint dans les pays sous-déveloPl:iés
qu'au moment ou la conjoncture économique' et so-
ciale 'empêchera, précisément, que la «mobilisation
des masses» soit accompagnée de leur «intégra-
tion », ,et que' les forces 'potentielles' des «sociétés
ouvertes» pour assimiler les élans non-conformis-
tes n'éclatent pas avant que' les noyaux dynamiques
soieht capables de définir des buts et des aspirations
politiques, non compromises dans l'engrenage d'ac-
commodationsociale 'des sociétés modernes capitalis-
tes de masse. Si c'était le contraire, la production
et la consommation sur une grande échelle agi-
raient comme des mécanismes de préservation du
pouvoir, d'un type de 'domination exercé par des
gr()upes restreints sur les masses.
Dans ce cas le pouvoir de décision et d'élection
des masses grandira seulement de façon apparente
et le processus d'aliénation prendra de nouvelles
significations. .
CflAPITRE V

LES ELITES D'ENTREPRISES

I., IntroductÚJn

Certains ,eclairCissements préliminaires et une" dé-


,limitation du sujei sont indispensables pour préciser
le théme. En effet, les dirigeants d'entreprise ont
constittié la bàse même de la "éolonisation. Il est
possible que' l'esprit' d'àventure et le risque aient fait
ressortir en "Amérique l'histoire espagnoleplus que
l'histoire anglo-saxone. Mais il nefaut pas soute-
nir que l'entreprise tentée n'avait pas d'objectif
économique, puisqu'elle faisait partie du mouve-
ment général d'expansion duo capitalisme européen.
D'autre part, si le concept d'élite se référe à de
« petits groupes choisis », recrutés non° en vertu de
leur classe rriais' de leurs' 'aptitudes, même dans ce
cas il serait difftcile d'éliminer de la problématique
générale des élites d'entrepiises d' Amérique Latine,
l'analyse des origines, des fonctions et des types
d'intégration "sociale quior'ientaient dans leur action,
les riches;les maitres des esclaves ou les "commer-
çants de'Íacolonie.
174 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

Face aux aspectshistoriques, déjà signalés, des


concepts « d'élite » et « d'entreprise », l'analyse théo-
rique de leur problématique peut, dégager le sens
spécial qu'elles prennent dans une autre perspective,
Considérée sous une· inspiration weberienne, I'en-
treprise économique indiquerait l'adoption de pra-
tiques systématiques et rationnelles pour l'accumu-
lation de bénéfices et donc I'expansion des activités,
Elite signifierait non seu!ement une maniere de
caractériser n'importe quel groupe privilégié, mais
aussi un concept de base qui correspond à un type
spécial de répartition sociale globale: les sociétés
«des élites », Dans de telles sociétés, l'existence
des «masses », qui, par définition sont amorphes
et incapables d'exprimer elles-mêmes leurs intérêts,
se completerait avec d'autres formes dê 'struCtura-
tion,
Comme appui théorique plus général, on accep-
terait que le contrôle, la domination qu'exerce l'élite,
deviennent à divers degrés indépendants du systeme
de distribution de la .propriété, .La superposition de
« classes» serait reniplacée par une nouvelle.forme
de ,répartition, fondée sur la dimension politique de
la relation entre les, groupes pltitôt que sur l'éco-
nomie.
En conséquence, les «élites d'entreprises» se-
raient les groupes de contrôle, structurés ou semi-
structurés, qui se forment parmi les personnes qui
dirigent les organisations' économiques modernes,
De telles formations posséderaient une emprise spé-
ciale sur les sociétés de masses. (ou «d' élites» :
les concepts seraient des homologues) qui seraient
en train de se former en Amérique Latine, puis-
LES ÉLITES~.D'ENTREPRISE 175

qu'elles constitueraient une partie importante du


nouveau systeme d'adoption des décisions.
Les avances théoriques dans cette direction et la
constitution effective de Jormations sociales régies
par cette structure ne permettent pas;cependant,
l'adoption sans réserves de ce point de vue. 'I! n'y
a pas unanimité parmi,les spécialistes sur la nature
théorique du 'concept d'élite·. I! est beaucoup
plus difficile de trouver les traits caractéristiques
des sociétés «d'élites» de masses en Amérique
Latine.
Dans cette région, les' élites ne constitueraient pas
l'expression organisée de secteurs de masse de la
société, ;mais elles correspondraient plutôt h. de pe-
tits groupes aristocratisants - les oligarchies·-
qui contrôlent la propriété et le pouvoir dans, un
contexte ou la participation des masses est extrê-
mement réduite.
Il serait aussi difficile de soutenir qu'une élite
d'entreprise moderne est née dans le sens indiqué,
du processus de transformation sociale en Amérique
Latine, élite qui serait en train d'imposer son esprit
aux sociétés latino-américaines en opposition avec
les élites traditionnelles, ou en dépit de tels grou-
pes, lesquels exprimeraient «Ie leadership» des
classes sociales de « I'ancien régime »(propriétaires
terriens, ,exportateurs, commerçants, industriels you-
tiniers, etc ... ),
I! semblerait aucontraire, que la modernisation"
du systeme productif et la réorganisation des so-
,176 SQC10LOG1E DU -DtVELOPPEMENT EN AMtR1QUE LAT1NE

ciétés latino,américaines atteignent un noiiveau point


d'équilibre qui prend racine. dans les pressions- ini-
tiales, quelquefois extérieures à -Ia «société ira-
ditionneIle,», au moyen d'un systéme d'alliances en-
tre groupes qui a comme axe les élites qui constituent
Ia sóciété traditionneIle (1)_
D'autre part, on ,n'est pas arrivé à établir une
théorie concluante de Ia notiond'élite, c'est-à-dire
qu'on n'est pas arrivé à savoir jusqu'à quel point
les fonctions des minorités, dans les sociétés indus-
trieIles modifient les formes de leadership de classe
en même temps qu'eIles donnent 'un nouveau type de
structuration sociale. Derriere Ia manifestation ou-
verte d'un comportement politique et social en ter-
mes dedirigeants et dirigés, ne -remplaceraient-eIles
'pas les structures de classes en tant que principes
régulateursde Ia hiérarchie sociale et du compor-
tement des masses et des élites ?
Ces considérations précisent les précautions à
prendre et la délimitation qui s'impose.
L'examen des «élites' d'entreprises» d' Amérique
Latine se lfera en donnarít au concept une accep-
tion un peu ambigue : parfois il représentera Ia for'
mation de nouveaux groupes à l'intérieur des clas-
ses appelées productrices, parfois il se référera à
la question fondamentale de la transformatión du
modele 'structurel dês sociétés latino-américaines.
Dans ce cas, l'existence «d'élites d'entreprises»

1. Cf. J'osé Medina Echavarria, Considérations sociologiques


sur le développement économique, Solar-Hachette, Buenos
Aires, 1964 et aussi Fernando H.' Cardoso, Le proce88us de
développement en Amérique LatineJ Institut Latino-Améri-
cain de Planification Economique et sociale. ILPES, San-
tiago, 1965. .
LES ÉLITES D'ENTREPRISE In
dans I'acception moderne du terme; s.,ra un indi'
cateur du type de transformation sociale par lequel
passent ces sociétés. Dans l'autre cas, il indiquera
aussi bien l'hétérogénéité du systeme de classes et
le leadership que peuvent exercer des sous-groupes
déterminés pour la définition des objectifs politiques
à l'intérieur d'une même .. classe.
Pour déterminer historiquement la problématique,
il convient de montrer que les élites d'entreprises se-
ront considérées par rapport à la for:nation de mar-
chés nationaux. Par conséquent, les élites .de la
période coloniale sont exclues de l'analyse, mais
par contre, on inclut ceIles qui sont liées au pro-
cessus que les économistes appeIlent le « développe-
ment vers I'extérieur », dans la mesure ou, pendant
ce· développement, eIles consoliderent les bases d'une
« organisation nationale ».
Ces deux types d' « élites d'entreprises» ont leur
place dans I'analyse de l'origine, de la formation,
des fonctions et des objectifs de ceIles qui se sont'
constituées pendant la période de développement du
marché intérieur (<< vers l'intérieur»), en même
temps qu'eIles représentent les conditions,la stimu-
lation et. les obstacles à ce processus. Ce travail se
limitera à ces dernieres et à ceIles qui sont Hées au
processus d'industrialisation.
En conséquence, les élites ,d'entreprises seronJ
considérées ici à partir de la formation d'un mar-
ché interne pour la production nationale, c'est-à-
dire à partir du moment ou l'industrialisation com-
mençante, complémentaire de l'économie exporta-
trice, obtient son autonomie dans le sys.teme pro-
ductif national.

"
178 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

Sociologiquement parlant, an pourraitdire avec


plus de~ précision que les élites d'entreprises seront
examinées dans ce travail ~à partir du moment ou
l'acception traditionnelle d'élite; en tant que groupe
aristocratisant, qui suppose l'exclusion du peuple
duprocessus politique, commence à êtredéplacée
par la nouvelle acception due au fait que le proces-
sus même ~de création de marchés internes, même
si c'est en fonction d'une économie exportatrice,
donne naissance à une masse de consommateurs.
Dans la: mesure ou, en Amérique Latine, ce pro-
cessus est relativement dépendant des transforma-
tions des économies ~centrales, il entraine nécessai-
rement l'existence, au niveau superficiel de la vie
sociale et poli tique, de traits caractéristiques de for-
mations «d'élites» qui sont typiques des 'sociétés
de masses.
En iéalité, dims les, deux cas, le doute subsiste
súr la signification des élites comme expression de
I'un ou de l'autre des types de répartition sociale
dont nous avons déjà parlé.
Cependant, face à de tels arguments, on suppose
comme point de départ; tout au moins dans le cas
latino-américain, que par la formation d'élites d'en-
treprises on comprenctra l'apparition, dans la limite
des classes productrices, de quelques sous-groupes
avéc une suffisante capacité de leadership pour im-
poser une réorientation de' l'activité économique,
avec 'toutes les conséquences que cela entraine sur
le plan du recrutement social des nouveaux chefs
d'entreprises, sur le 'plan de leurs nouvelles fonc-
tions et sur celui de"la formation de nouveaux prin-
cipes capables d'orienter I'action.
LES ÉLITES D'EmREPRlSE < ;179

Par conséquent; les ,conjectures sur l'apparition


de systêmes de contrôle poli tique qui ne correspon-
dent pas à un type, déterminé d'économie restent
exclues.

lI. Les éli tes d' entreprises dans la période de la


formation des Etats nationaux

li est .caractéristiqueque la constitution des en-


tités nationales en Amérique Latine se soit produite
en maintenant les liens des ·économies locales avec
le marché mondiaL On a essayé de .faire en sorte
que la rupture du « pacte colonial» n'occasionne
pas une interruption dans le systême productif na-
tional ni une désorganisation presque compléte de
I'économie interne et ne diminue pas les possibilités
d'exercice du .pouvoir de la part de I'élite économi-
que qui assumait les fonctions poli tiques dans les
difféqmts pays. Pour cela, il fallait garantir la
continuité des exporta tions. Cependant, la forma-
tion des Etats nationaux, apporta des changements
significatifs dans la sélection, dans l'orieritation et
dans les fonctions des élites nationales. Ces transfor-
mations présentêrent deux aspects principaux:
'a) Les Iiens commerciaux à I'intérieur du mar-
ché mondial s' orientérent directement en fonction
de I'économie qui dirigeait le systême capitaliste, et
qui était évidemment I'économie anglaise; et grâce
à elle, s'accéléra un processus déjà en marche, et
inscrit dans les rêglements coloniaux, qui, dês la
.!in du XVII' siécle et au début du XIX' assuraient
des tarifs douaniers préférentiels à I' Angleterre.
Cette puissance, en tant que garante de I'indé-
pendance des colonies ibériques, donna un premier
180 SOCIOLOGIE DU DtvE"LOPPEMENT 'EN 'AMtRIQUE LATINE

« élan de' modernisation » au coinportement 'des 'agri-


culteurs et des 'commerçants latino-américains. Cet
élan trouva son expression la plus visible dans la
pression exercée pour adopter la main-d'reuvre li-
bre dans les économies d'Amérique Latine (2). Ce-
pendant, sasignification la plus vraie était d'avoir
réorganisé le systéme de commercialisation en Amé-
rique Latine, par l'introduction d'agents commer-
ciaux britanniques et par la formation, au sein des
élasses productrices locales, d'unsecteur commer-
cial étroitement lié à ceux-ci. Ce secteur a servi de
germe à ,la formation d'un systéme financier lié à
Londres.
b) Les fonctions proprement politiques des élites
nationales, comme l'élaborátion dú systéme d'al-
liances 'des pays récemment formés, restérent en-
tiérement contrôlées par les nouveaux gouvernants.
Ceux,ci constituaient l'expression poli tique des in-
térêts économiques établis pendant la période co-
loniale, qui les coupaient de la métropole. En d'autres
termes, ils représentaient les agriculteurs, les éle-
veurs,et,en proportion plus modeste, les mineurs.
Cependant, le probléme fondamental d'assurer la
continuité des exportations se traduisait politique-
ment par la réorganisation du pouvoir, aussi bien
interne qu'externe, afin d'ériger une structure qui
rende possible le transfert du pôle prinCipal de l'éco-
nomie nationale des pays ibériques' en Angleterre.

2. Voir dans Eric Williams (Capitalism & Slavery, The


University of· North Caroline. Press, 1944), la signification
réelle de cette position du point de vue de l'hégémonie du
groupe industrialiste anglais, eu opposition au groupe agraire
esclavocrate basé sur ·les possessions des Antilles anglaises.
L~~ tJ,.!TES p'}~~R.E~RISE 181

Cet objectif fut atteint par I~s nouvelles nations


avec plus ou moin§ de ,difficulté, et avec la partici-
pation ou l'exclusion des divers secteurs des classes
productrices conformément ,à deux variables fonda-
,

mentales : l'importance du secteur agraire, d~riv~e


du degré de pénétration: que le produit essentiel
de l'économie locale auraitgagné dans le, marché,
mondial pendant la période coloniale et la capacité
de rénovation du secteur de commercialisation,
Ces deux conditions permettent une premiêre ap-
préciation de la maniêre dont, les nouvelles nations
s'insérerent daris le systeme économique mondial et
par conséquence, des limites des fonctions que les
élites nationales pouvaient,remplir.
D'un côté, iI y a lespays qui ,hériterent' de la
colonie une activité exportatrice organisée etsta-
ble; d'un autre, ceux' qui n'étaient pa. arrivés à
se constituer en exploitations typiqúement coloniales
mais qui étaient des entreprises commerciales et
des points de passage; ceux dont les activités
avaient considérablement baissé, comme c'est ar-
rivé dans les pays miniers. Dans les pays ou., ~l
ne fut pas possible de maintenir un fort secteur
exportateur, la prédominance du secteur commercial
sur le secteur agrario-minier se fit sentir de, façon
intense, en proportion inverseà l'importance qu'avait
le marché externe pour les produits agricoles .. Dans
lesautres,' qui présentaientauss~ un fort secteur
commercial, l'histoire "des élites économiques peIl-
dant le XIX" siecle nous mon1 re la lutte, qui se
mene et les alliances qui s'établissent- entre le sec-
teur agraire.et le secteur commercial, lequel, comme
on le dit souvent; était financierement três diffé-
rent, puisqu'iÍ servait aussÍ de· prêteur.
182 SOCIQLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN AM€:RIQUE LATINE'

En général, les groupes agraires et -d'élevage


étaient contrôlés localement par les «criollos»'
(créoles) 'qui réalisêrent l'indépendance, tandis que:
les secteurs commerciaux étaient, en premier lieu,
sous le' contrôle des métropoles -et en second lieu,
sous le contrôle des « criollos» et des représentants
des entreprises européennes. C'est pour cette- rai-
son que dans ces pays, la lutte pour l'indépendance
contre les « Portugais» ou les « Espagnols» se dé-
doubla en luttes internes contre les commerçants, jus-
qu'à ce que le systême agrario-exportateur se soit
ré-articulé au moyen de certaines formes d'accord
entre ceux qui contrôlaient les ports, les lignes de
commercialisation, ,le financelllent, et la production.
La consolidation de ce systême d'alliances a rendu
possible le schéma de «développement vers l'exté-
rieur» qui a servi de condition, de stimulation et
d'obstacle pour la, période postérieure de formation
d'un marché interne pour les marchandises de pro-
duction locale.

lII. Les élites d'entreprises et le marehé interne dans I


la période dedéveloppement vers l'extérieur

Cependant, les dimensions 'du renouveau écono-


'mique et le renforcement politique se présentent
de maniêre distincte pour les élites d'entreprises
dans les deux types de pays que nous avons signaC
lés. Elles prennent aussi des caractéristiques :diffé-
'rentes selon le recrutement social ou les fonctions
et les orientations que, dans chaque cas, prennent
les- élites d'entreprises qui,- à la fin du siêc\e der-
nier et au cours de celui-ci, font face au problême
de la formation du marché national.
LES IllLITES D'ENTREPRISE 183

1. Elites d'entreprises à base rurale et groupes in-


dustriels non élitaires

Dans les économies exportatrices agraires et d'éle-


vage, comme l'étaient typiquement les pays de
l'Atlantique, la formation "du systéme économique
et du systéme politique s'effectue au moyen du
contrôle du systéme productif et des mécanismes de
décision ,Poli tique de la part des groupes de pro-
priétaü'es terriens"
Les conditions économiques de ce processus dépen-
daient de l'existence (l'une aboridimte disponibÜité
de terre. A la base, la fonction de l'entreprise con-
sistait dans la création de mécanismes qui assu~
raient la fourhiture satisfaisante de main-d'reu\ire
et la consolidation d'un systéme juridique de la
propriété. Les deux processus "exigeaient de ma-
niére immédiate le contrôle de I'Etat par les grou-
pes de propriétaires terriens. "Soit, dans le cas dli
Brésil; pour garantir le droit de propriété sur les
esclaves et assurer le commerce de noirs, soit; en
Argentine et en Uruguay, pour élargir la zone de
terres susceptible d'être dominée (au moyen de la
guerre' contre les Indiens dans le premier de ces
pays) et faciliter l'immigratión. Avec la lutte con-
tre le trafic d'esclaves par les Anglais (à partir de
1850) et l'abolition de l'esclavage au :Brésil (1888),
l'immigration devint aussi pour ce pays le pro-
bléme essentiel des entreprises.
La capitalisation dans le cas de ces économies
ne dépend pas tant des .« décisions d'épargne» de
la classe capitaliste que de l'approprhition desexcé.-
184 SOCIOLOGIE nu ntVELoPPEMENT EN AM~RIQUE LATINE

dents de travai! agricole (3). Tant qu'i! y avait de


la terre, la capitalisation était fonction direéte de la
disponibilité de main-d'reuvre, c'est pour cette rai-
son que l'économie de ces pays se caractérise par "
la « production extensive».
Le contrôle politique national une fois assuré par
les groupes propriétaires, « l'esprit d'entreprise » des
tenanciers de la terre fut mis à l'épreuve sur un
autre terraill' la formation d'un systéme propre de
commercialisation (et de transports) et d'un sys'
téme bancaire et c'est ici que justement des condi-
tions s'établirent pour que se dégagent les pre-
miéres élites dynamiques dans lapériode de conso-
lidation des économies nationales. La vitalité d'en-
treprise des « clas§es traditionnelles », eut à se me-
s~rer dans ces secteurs, à la domination des grou-
pes commerciaux reliés à l'extérieur; Il se pro-
duisit alors la premiére division « moderne» du
travai!, et des forces entre le secteur national de
l'économie et le secteur interne qui :exprimait les
lien§ exterlles. En, géllét;al, le degré .de contrôle
pational des systémes bancaires - le succés ou
J'échec dans la constitutionde banques centrales ou
de banques commerciales de, I'Etat inclus - et
'l'extension du réseau ferroviaire sous le contrôle
nationaJ, sont les indices de la force des groupes
de propriétaires terriens.
On arrive, 'par, ces moyens à délimiter la zone
de dépendance économique par rapport au mar-
ché international. En effet, essayer d'i.nfluer sur la

3. Voir ·Celso Furtado, «DéveZoppement et stagnation en


Amérique' Latine: un angle de vue structuraliste », miméo-
graphie, Yale,,1965. >.
LES tLITES OJENTREPRISE 185
poli tique des prix des produits d'exportation était
la tâche fondamentale de I'Etat national, 'considéré
ainsi, conformément à sa fonction d'exprimer l'in-
térêt corporatif des producteurs locaux.
Dans le cas du Brésil 'et de I'Argentine, l'élite
d'ehtreprises qui s'orienta dans cette direction était
composée 'd' « hommés nouveaux », recrutés de pré-
férence parmi les commérçants qui s'enrichirent
dans la seconde moitié du XIX' siecle et qui ou-
vrirent les frontieres agricoles (4).
D'une certaine maniere, ils furent les créateurs
aussi bien des entreprises nationales dans le systeme
bancaire, dans le systeme des transporfs, etc ... que
des idéologies de « développement vers l'intérieur ».
Au Brésil, on eut recOlirs aux républicains fédéra-
'listes, pour disputer le pouvoir ilÍlpérial centralisa-
teur qui se trouvait aux mains de l'ancienne oligar-
chie bureaucratico-esclavagiste. En Argentine, pour
des raisons différenfes, ce furentles hommes du
centre: poúr organiser l'économie nationalesous
l'égide de Buenos Aires, qui ildmettait malgré tout
les pressions des oligarchies régionáles. .
Cependant, dans les deux' cas, le trait distinctif
'de l'orientation politique de ces élites ·se trouvait
'dans leur désir de Javoriser l'immigration, puisque
c'était, comme nous l'avons signalé, la condition
essentielle pour la formation des capitai·es. En Um-

4. Sur le cas du Brésil. voir Pierre Momheig, Pionniers et


planteu.rs de Sao Paulo, Librairie Armand Colin, Paris, 1952.
Sur le cas de l'Argentine, DOrfman, Histoire de lJindustrie
argentine, Ecole d'études argentines, Buenos Aires, 1942 et
Cornblitt, Gallo, O'Connel, «La génération de .80 et son
I>rojet: antécédents .et conséquences:t. Développement Eco-
nomique, vol.. I, janvier-mars 1962.,
186 SOCIOLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN AM~RIQUE LATINE

guay, de la. même. maniére et avec des caractéristi-


.ques identiques à celles de I' Argentine, I'économie
du pays s'est reconstituée aux alentours de 1870
sur la base des exportations de produits d'élevage.
A I'origine de ce· développement on retrouve, iI .est
vrai, des personnes et des familles des « classes pri-
vilégjées tr.aditionnelles », mais le gros de I'élite des
élev.eurs était composé d'éléments nouveaux, sortis
directement de la masse immigrante.
Dans le pays, n'existaient ni le· poids de la struc-
ture bureaucratico-esclavagiste, comme au Brésil, ni
la force des oligarchies régionales, comme en .Argen-
tine (5), ce qui facilita I'ascension de nouveaux
groupes sociaux.
La réorganisation du systéme productif et du
contrôle poli tique dans les sociétés de ce type, sup-
posait donc I'organisation des décisions autour d'in-
térêts différents de ceux qui motivérent le compor-
tement des « groupes de transition» qui firent I'in-
dépendance. Une organisation, productive, plus mo,
derne, plus subordonnée aux régles du capitalis~e
international, qui exigeait des modifications aussi
bien dans le mode .de production que dans les rela-
tions productives internes fut mise en place. Les
premiéres modifications, à cette époque, se manifes-
taient à la base au moyen du systéme financier. En
effet, certains banquiers londoniens étaient toujours
disposés à financer la construction de chemins de
fer, I'amélioration des ports, quelques spéculations

5,·-Sur cette période de la vie de 'l'Uruguay, voir Aldo


Solari, «Situation dê lá soéiété 1iruguayenne» '(daCtylogra-
phié), ou on montre la significatiori de la «nouvelle élite »,
son origine sociale et 'les fonctions 'qu'elle a remplies, pp, 28-30
et suivantes,
LES· tLITES D~ENTREPRlSE 187
sur lEis produitsd'exportatión surtout 'si I'Etat oc-
troyait sa garantie aux opérations, ou assurait les
remboursements «captifs» au moyen de pourcen-
tages sur les dróits de douane ou d'autres entrées
du même genre. Les secondes modifications se tra-
duisaient par la généralisation de l'emploi de main-
d'reuvre libre et salariée, par la transformation de
la «hacienda» en une entreprise relativement su-
jette aux rêgles de comptabilité et avec une gestion
d'inspiration phis rationnelle et par l'apparition des
premiéres innovations technologiques à la campa-
gne: grillages polir fermer les pâturages, sélection
de prodtJits d'élevage, utilisation de machines
pour l'élaboration du café, etc ...
Ces régles se traduisaient par la formation de
villes et par la concentration urbaine ; il en résulta,
sur le plan économique, une premiére possibilité
d'industrialisation et sur le plan poli tique; la con-
solidation de systémes plus ou moins stables de
domination «oligarchique».
Effectivement, la différenciation du systême éco-
nomique exigée par la nouvelle phase exportatrice
et par l'emploi de main-d'reuvre sur des bases plus
rationnelles, supposait une division sociale du travail
plus intense, une séparation plus nette entre la pro-
duction de subsistance et la production pour l'expor-
tation et, en conséquence, une commercialisation
infense des produits de consommation, une ramifica-
tion adéquate du systême de transport et en un mot,
une division du travail plus prononcée entre la
campagne et la viUe. La pénétration pionniéredans
une nouvelle économie exportatrice laissa derriêre
elle un réseau de petites villes et renforça tou-
jours certains centres de domination urbaine, comme
188 SOCIOLOGIE DU DtvELOPPEMENT EN AMÍ:RIQUE LATlNE

Buenos Aires, Montevideo, Sao Paulo, Rio ou San-


tos, qui exerçaient, des .fonctions commerciales ou
portuaires en relation directe, avec l'activité expor-
tatrice agricole ou d'élevage .
.Dans ces villes -,- .et en plus faible proportion,
dans celles qui leur étaient subordonnées dans
l'exercice des fonctions de distribution mercantile
vers l'intérieur - se, Jorma. un premier marché in-
terne de consommation de proportion raisonnable.
Autour de cette demande et de celle qui est liée
directement à la ,modernisation de l'activi!é eXP9r-
tatrice (frigorifiques, équipements agricoles, etc ... )
s'organisa une fonction industrielle, dans ees .pays
à partir de la fin du XIX' siécle.'
La production a dane, entrainé une différenciation
qui permit un nouveau type d:activité industrielle.
Ainsi que nous l'avons déjà signalé, celle.-ci fut de
deux ordres: «de consommation locale », pour ré-
pondre à la demande d'aliments et de denrées péris-
sables, surtout dans le dOll1aine textile et dans le
domaine « d'équipements agricoles ». Da~s les deux
cas, elle se constitua au moyen de l'accroissement
du systéme artisanal et des, petits ateliers qui s~
transformérent lentement en fabriques. Dans l'une
ou. dans l'autre de ces, hypothéses, le dynamisme du
systéme industriel était une fonction de l'économie
exportatrice, soit parce qU'eÍle signlfiait la base du
marché interne, soit parce que. les capitaux qui
soutenaient l'industrie provenaierü des activités agro-
exporta trices.
Cependant, :l'origine des capitaux qui affluaient
pour former le systéme industriel au XIX' siécle et
dans le premier quart du XX~i ou bien, dit en ter-
mes 'd'agents sociaux" .la, sélectiondes chefs d'en-
LES, tLITES D~ENTREPRISE 189

treprises industrielles, était dedeux types distincts.


D'un.côté, ."n· y avaW Jes fabriques organisées par
les producteurs agricoles avec les excédents de leurs
commerces, de maniére directe ou en association
avec des groupes étrangers (on inclut ici les plus
importantes, comme les frigorifiques et les ateliers
de réparation des chemins de fer) et d'un autre côté,
les ateliers montés par des immigrants enrichis, sur-
tout par le commerce dans les zones rurales,. éta-
blissements qui, dans beaucoup de cas, se transfor-
ment en véritables fabriques.
A quel point cette différencia,tion dans Tactivité
productrice, avec toutes les possibilités d'innovation
qu'elle apporta avec elle, a-t-elle favorisé la forma-
tion d'une nouvelle élite d'entreprises? La signi-
fication des groupes industrialisateurs, comme nous
l'avons indiqué, est restée limitée aux marchés du
« développement vers l'extérieur» dans la mesure
oú la fonction productive qu'ils exerçaient était su-
bordonnée, directement ou indirectement, à l'expan-
sion agro-exportatrice: La dichotomie existant ·à
l'intérieur de cette couche. industrielle, en raison
de 'son double recrutemént social, permit depuis le
commencenient, qu'en général, les activités institu-
tionnellés se réalisent dans les limites d'une même
association de classe, comme t'Association Rurale
Uruguayenne ou l'Union Industrielle. Argentine, ce
qui supposait l'exclusion de la plus grandepartie
des industriels de l'ensemble de ce qu'on appelle
les « classes dirigeantes ». Celles,ci accueillaient les
secteurs de l'activité. industrielle qui avaient surgi
en leur sein et qui se confondaient avec elles,
comme cela arrivait avec les propriétaires et. les
ádmiílistrateurs des frigorifiques, de. « magasins gé-
,190 SOCIOLOGIE nu ntvELOPPEMENT EN AMfRIQUE LATINE

néraux », des grands moulins, exclusion faite des


secteurs plus liés à l'ihdustrie de. consommation
locale.
L'alliance entre les groupes dominants dans les
'pays d' Amérique Latine dont l'évolution obéissait à
cette régle, s'exprima politiquement au moyen de
ce qu'on. nomme. «1'oligarchie ». Dans ce cas, l'oli-
garchie ne signifie pas la domination des « maitres
d'esclaves » ou celle des potentats de l'intérieur, .mais
l'accord politique des groupes exportateurs avec les
nouvelles activites urbaines, aussi bien commercia-
les que financiéres, articulés avec le «secteur
externe », 'qui utilise les « colonels» ou les « gamo-
nales »' de l'intérieur plutôt dans le domaine poli-
tique qu'économique. 'Pendant cinquante ans entre
1870 et 1930, le « développement vers l'extérieur»
fut garanti intérieurement par cette alliance oligar-
chique, dont la vitalité - conditionnée par le suc-
cês des produits primaires dans le commerce exté-
rieur - fut capab1E! d'absorber dans certains pays
les premiêres pressions de la classe moyenne urbaine
et des classes populaires (6) , rendues plusmanifestes
par la formation des partis radicaux. Dans la me-
sure ou l'organisation de l'exportation permit aux
oligarchies d'accepter une politique de redistribution
aux classes moyennes, les élites d'entreprises recu-
lêrent sur le plan poli tique, élargissant la participa-

• Note du traducteur: Sorte de reglsseurs des propriétés


terriennes (haciendasf particulierement au Pérou. Le proprié-
taire lui-même pouvait être un «gamonal» 6'il régissait sa
terre.
6. Weffort, «Classes Populaires et Développement Social »,
Santiago, 1965; ILPES. .
LES ÉLITES D'ENTREPRISE 191

tion des groupes non - oligarchiques, même si elles


maintinrent Jeurs positions de contrôlede l'appareil
financier exportateur, c'est-à-dire, les ministeres des
finances, les directions des bureaux de change et les
juntes d'exportation (7).
En somme, dans ces pays, pendant la périodede
constitution des marchés internes fondés SUl' les
activités d'exportation, l'expression «élite d'entre-
prises» a le sens propre de prédominance político-
économique des groupes agro-exportateurs, agro-in-
dustriels, commerciaux et financiers qui réussissaient
à s'harmoniserpolítiquement avec les données de la
classe dirigeante, à l'exclusion de tous les autres et
qui, économiquement furent capables de subordonner
l'organisation économique de leurs pays respectifs
au succes du systeme exportateur. Les groupes so-
ciaux liés aux activités économiques distinctes de
celles que nous avons signalées, surtout les acti-
vités industrielles, avec leur siege dans les centres
urbains, continuerent à ne pas être «d'élíte»: le
contrôle des décisions passait loin de leur champ
d'activités.
Ce type de domination de l'élíte, exercé par des
groupes d'entreprises restreints, dont les traits ca-
ractéristiques se manifestent avec clarté dans les
pays de I' Atlantique, se répéta dans des c\mditions
variables et à des époques distinctes dans les pays
d'Amérique Latine dont le développement se basait

7. 11 est intéressant de signaler que l'opposition poli tique


de la classe moyenne en Amérique Latine ne définit pas une
politique économique distincte de celle qui était patronnée par'
l'oligarchie.
192 SOCIOLOGIE DU Dll':VELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

sur la production extensive pour le marché exté-


rieur. .La Colombie constitua un exemple d'adap-
tation dê ce modéle. En .effet, I'équilibre entre les
groupes de propriétaires terriéhs et les groupes
commerciaux se modifia en1850 en faveur' de ces
derniers, en accentuant leur prédominance quand i1s
dominent le. systéme financier .local. La meilleure
répartition de la culture du café, produit de base
du systéme exportateur, permit la consolidation de
I'hégémonie du groupe commercial exportateur, or-
ganisé plus tard en une association qui reçut le
nom significatif de Fédération Nationale des « Cafe-
taleros» de Colombie.

Cependant, jusqu'en 1930, les nouveaux groupes


industdels pénétrent seulemimt dans la structure de
prestige et de pouvoir dans la mesure ou i1s étaient
Iiés, par origine ou par alliance familiale, avec les
groupes commerçants ,?U propriétaires terriens. Les
classes industrielles trouvent une expression politi-
que par le truchement du parti traditionnellement
lié, au commerce vers l'exportation, le Parti Libéral.
Le schéma suivi par les pays de I'Atlantique qui
avaient le même systeme exportateur et une inté-
gration identique sur le marché mondial, se répéte
dane, adapté à la str!lcture deproduction locale (8).

8,. Cf. Jorge Voros, «Certains aspects de lJélite colom-


bienne », travail présenté à I'Institu't de Sciences Politiques
et SocÚJ.les de l'Université cathoÜque de Lovaina, Lovaina"
1965.
"LES tLITES D'ENTREPRISE 193

2, Elites d'entreprises commerciales et minieres

Les tentatives d'organisation d'un plan de déve-


loppement .et d'un systême de ·pouvoir qui le rende
possible, constituêrent' úi:t, problême plus complexe
pour les élites des pays qui n'héritêrent de la colonie
que d'une base commerciale mlmere, ou dans
lesquels I'agriculture d'exportation n'arriva p<\s à
surpasser les autres catégories de la rêgle commer-
cülle. Áu problême de base de toutela région, c'est-
à-dire I'organisation de I'Etat, .s'en ajouterent d'au-
tres plus directement Iiés à la vie de I'entreprise.
II ne suffisait pas d'assurer l'importation de main-
d'reuvre et de relier la production à un eommerce
dynamique relié à I'extérieur. La recnerche d'un
secteur nouveau d'activité économique et I'affron-
tement avec les problémes technologiques se .pré,
sentaient, sinon comme obstacles, du moins comme
défis.
L'attitude du Chili fut la réponse à cette situa-
tion, la mieux accueillie pendant le XIX' siécle en
Amérique Latine. Son analyse iIIustre les ,limites
qu'impose le, modéle de croissance inhérente à ce
type de pays et le rôle décisif que .Ies élites d'en-
trepr'ises peuvent jouer dans ces circonstances.
Ce cas a de commun avec les cas antérieurs 'que
nous avons décrits que ce ne furent' pas non plus
les «responsables» qui définirent les perspectives
d'incorporation de I'économie nationale au marché
mondial. Les groupes directeurs de I'économie na-
tionale se Iiérent à eux comme i1s se Iient en géné-
ral aux groupes aristocratisants, mais dans ce cas;
i1s étaient· plus, urbains et par conséquent plus com-

.3
194 SOCIOLOGIE nu ntvELOPPEMENT' EN AMÉ:RIQUE LATINE

merçants, préoccupés d'avantage des dbuahes en


tant que moyen de ·financement de I'Etat et comme
instrument de .« politiques protectionnistes'».
Cette orientation dénotait déjii une nouveauté par
rapport au coíit'portément des groupes seigneu-
riaux. Dans le 'cas du Chili, avec Portales, et jusqu'à
la période de Montt, la nouvelle élite d'entreprises
montrait, au moyen de certains de ses porte-voix~
une modernité surprenante. Elle ne comptait pas
avec' une base agricole comrJarable à celle des pays
de I' Atlantique, la classe dirigeante se consacra à
la consolidation d'une alliance poli tique née du noyau
réactionnaire de la classe agraire - les «peluco-
nes » - qui engloberait. le. secteur commercial, tou-
jours avecson dédoublement financier, et un' secteur
industriel nouveau lié à celui-ci et concentré sur la
production maritime. 'En même temps, l'entreprise
nationale, avec des traits typiques des pionniers, se
lançait dans la production d'argent et de cuivre,
ce qui assurait au pays un essor économique
exceptionnel.
De 'toutes façons, il s'agissait d'une orientation
s'intégrant dans l'organisation de l'exportation. Elle
se différenciait seulement de l'orientation typique
des pays exclusivement" agricoles par le fait que
l'exploitation. entreprise exigeait, plus de capitaux
et plus de technique. De :cette maniere, d'une part,
les actions les plus audacieuses, vers la moitié du
siecle, pour protéger l'activité iridustrielle furent
contrebalancées par une, .poussée de libre échange
plus en accord avec le sens général de l'activité
économique du pays. La dévaluation monétaire appa-
rut comme un moyen pour augmenter en monnaie
LES ll':LITES n'ENTREPRISE 195,

nationale les-'revenús produits par I'exportation (9).


D'autI'e part', dans le cadre de la compétition sur·
I'; marché international d'une. production technique-;
ment trés avancée il ne restait que lapossibilité
du cóhixôle national de l'expÍoitation du cuivre,
La production chilienne, qui eri 1880-81 fournis-.
sait 45 % 'du cuivre qui passait par le marché de
Londres, était de 7 % en 1901. Cette chute in-
dique I'épuisemént des 'gisements facilement exploi-
tables. 'Les nouveaux exigeaient une technologie
moderne et des capitaux énormes. Aux alentours de
1910, les capitaux. nord-américains prirent le con,
trôle des minéraux les plus importants du pays,
comme avaient fait les capitaux .anglais avec le
salpêtre.
Dans, ee cas, le creur même duo systéme productif
du pays sous la dépendance de l'extérieur est.atteint :
l'économie étrangéres'y taiÚe de véritables enciaves.
Les élites d'entreprises avaientla possibilité de réagir',
dans la phase de développement vers l'extérieur; en
essayant d'organiser la production agricole. Les li-
mites de cette option étaient données par deux

9. L'exemple de ceci et de la démonstration évidente du


manque d'esprit d'entreprise de la classe économique chi_
lienne de la fin du siecle, fut la remise de l'exploitation des
gisements de salpêtre conquis pendant' la· Guerre du Pacifique
à des étrangers. nans. ce eas, ni la ·teehnique' ni les capitaux
nécessaires ne "manquaient, mais' les. représentants politiques
de la classe, éeonomiquement dirigeante ne possédaient pas
une. vision adéquate en ce qui concern~it le rôle de l'Etat.
en tant qU'i-nstrument,·pOlÚ- la création de revenus, Cf. Â~'ibal
Pinto, Chili, Un cas de développement frustré, .Editoriàl
Universitaria, Santiago, 1962.
196 SQCIQLOGIE DU DÉVELOPPEME~ EN AMt;RIQUE LATINE.

ordres "de facteurs: 'l:initiative des groupes domi-


nants d'entreprises nationales et la disponibilité de
terres accessibles sans grand effort de 'capitalisation.
La 'premiêre éondiiiim était d'autàrit plús difficile
à réinplii' qúe les idéologies etles valeurs ·de. type
rentier-consommateur étaientplus enracinées dans
les classes" dominantes. "La transformation ,je "l'Etat,
sous le .. contrôle des élites locales, en appareil pour
lever les impôts des exploitations étrangêr~s ou de
I'économie d'enclave, put satisfaire les objectifs. des
classes dominantes sans' Jes contraindre à une atti-
tude d'entreprise ,(10). La seconde condition, qui
n'est,"pas fréquente"dansJe cas de I'Amérique Latine:
suppose, pour être" réalisée avec succês, un certain
degré de maturité du systême capitaliste, mais
comme ce n'est pas le cas, il en résulte un facteur
riégatif qui s'oppose à la "formation' d'une' élite
d'éhtreprise 'iIationale capable de rép6ndre aux exi-
gences d'une situation semblable.
I1.est moins difficile d'arriver à un niveau appré-
ciable de rationalisation. dans I'emploi de. Ia main-
d'reuvre pour l'exploitation agricole.
Une telle chose se réalise grâce à I'importation
d'immigrants, ce qui suppose une politique bien dé-

10: Le cas du salpêtre chilien apres la Guerre du Pacifique


est typique. En effet; certains chefa d'entreprises qui avaient
formé l'économie du salpêtre réágirEmt eri - proposant que le
Gouvernement prenne eri charge' l'exploitation pour rem~
'dip.r au, manque 'd'organisation des entreprises des· nouvelles
générations, mais le ,Gouvernement refusa de l'assumer sous
prétexte de la non-intervention ·économique et ien cédant
parfois aux manreuvres_ de spéculateurs 'européens. Voir Anibal
Pinto, QP. cit., p. 57.
LES ÉLITES D-'ENTREPRISE 197

.finie et des capitaux ou en renvoyant, de lª ma in-


d'ceuvre locale (indigénes, créoles dérac!nés par le
déplacemenLdes frontiéres, esclaves .ou leurs. descen,-
dants). Dans ce cas - qui caractérise en général
l'agriculturecomplémentaire des pays miniers, à
l'exceptiori du Chili ~ l'exploitation agricole a"eu
tendance à se baser sur la propriété terrienne avec
sei; «patrons» ,et «'caciques» de maniére claire-
ment pré-capitáliste et différente, par cons,équent,
de la «plantation» exportatrice.
On ne' peut. qualifier de chefs d' entreprises les
propriétaires terriens. de ce type, qui constituaient
la base du pouvoir poli tique local et qui;, à ce ni-
veau, servaient d'appui à la domination natkm:J,~e
des chefs d'entreprises exportatrices aussi bien. dans
les paysminiers que. dans les pays. agrair~s, et
d'élevage (11).
Le modéle. d'économie d'enclave, 'qui au C,hili a
mis 80 ans à se constituer et qui, de toutes ma-
niêres, même une fois, en yigueur dans ce p~ys,
ne put supprimer le ,.résultat économique et poli tique
de l'action antérieure des élites nationales, .a des
effets beaucoup plus généralisés dans les pays ou les
classes dirigeantes ne sont jamais arrivées à, définir
un systéme économique national stable. ,I! y..eut
même des cas extrêmes de pays qui, aI! XIX" sié-
cle, ne purent pas arriver à avojr. un~ class~~co­
nomique capable .de s'exprimer politiquement ayec
unecertaine autonomie .et qui, ,dans la pratique,

11. Dans les pays de .ce derrÍier. type, les '« c91'onels» assu-
merent le contrôle des' Í'égions marginales' et dans beaucaup
de cas, ils le maintiennent'aujourd'hui encare ...
198 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT' EN .AMtRIQUE LATINE
,
continuêrent à être des colonies de puissances non-
ibériques, jusqu'aux cas ou les effortsd'organisation "
!

'nationale 'se firent au moyende 'pactes avec les


nouvelles puissances hégémoniques, pactes qui se
traduisirent pa.r des concessions économiques, dispro-

I
portionnées aux avantages politiques obtenus. La
classe dominante n'obtint pas pour elle_inême plus
'que «des bénéfices marginaux» au moyen des im-
pôts, de la corruption et de la vente. aux étran-
gers des concessions obtenues politiquement.
Dahs ce dernier cas, il semblerait que le Mexi-
que de J uúrez etdé Porfirio Diaz illustre bien deux
moments des difficultés pour 'former une élite éco-
nomique nàtionale 'capable de faire entrer ce type
de pays dans un marché mondial, en s'assurant le
contrôle touf au moins d'une partie du processus
productif.
Une fois dominée la « période d'anarchie », phase
caradéristique de I' Amérique Latine pendant l'étape
antérieure àla formation d'un plan solide d'écono-
mie exportatriCe, c'est seulement à la fin du siêcle
qu'iJ' fut possible d'organiser au Mexique la Banque
Nationale, mais avec des capitaux français. La re-
distribution de la terre pour main\enir les al-
liances poli tiques slir lesquelles s'appuyait le porfi-
risme conduisit àla spéculation 'sur les gisements
miniers pour les vendre à des étrangers, puisque
selon la législation, la possession de la terre impli-
quait celle du sóus-sol. L'économie du pays, produc-
trice d'argent, d'or, de cuivre et de pétrole, resta
pendant cette période sous le contrôle des capitaux
étrangers, surtout des capitaux nord-américains.
C'est seulemenLdans ,la. zonerégionale, comme à
LES tLITES n'ENTREPRISE 199

Monterrey ou:à ruebla et naturellement dans la ville


de Mexico, bien que dans ce cas ce soit surtout
1!vec le caractére d'industrie de consommation 10-
cale, que se fit sentir la présence d'une élite d'en,-
treprises active, dont la signification aliait se mani-
fester, seulement dims la phase postérieureà la
révolution.
Même dans des situ!ltiqns intermédiaires, quand
les pays purent bénéficier du marché international
aussi bien pour des produits agricoles que pour des
produits mlmers, l'absence de base cóloniale
agraire et d'élevage soÍide, seule capable de former
localement une élite d'entreprises dans le sens éco-
nomique du terme', se fit sentir de façon persistante
pendant la période de développement vers l'extérieur.
C'est sans doute le Pérou qui illustre le mieux
ce caso L'apogée des exportations de. guano,et de
salpêtre aboutit à une réduction de l'activité agri-
cole dans le pays. Le nouveau secteur, productif per-
mit la création, à I'intérieur des classes dirigeantes,
d'un groupe d'orientation typiquement spéculative
- 'Ia ploutocratie. Pour contrôler cette activité en
accord avec les intérêts spéculateurs, se constitua
un appareil gouvernemental corrompu et une alliance
politique se forma entre les « gamonales·» qui con-
trôlaient les terres de l'intérieur (la Sierra), les
militaires amenés à, jouer un rôle chaque fois plus
important dans la répression de «I'anarchie» et
les propriétaires de ía côte strictement liés fi la
spéculation.
La difficulté que rencontra la couche dirigeante
pour s'établir en tant qu'élite dominante devint évi-
1200 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT. EN AMtRIQUE LATlNE

dente à cause de l'ampleur disproportionnée du « nii-


Iitarisme» et par le fait que ie parti civiliste; qui
la, représentait, eut à lutter 'contre ce «milita-
risme'».'
Lorsque la, Guerre du Pacifique fut perdue, la
ploutocratie ne laissa comme solde à la nation
qu'une dette considérable vis-à-vis des financiers eu-
ropéens et iJ ne lui resta d'autre remêde que de
s'accommoder de la situation d'économie d'enclave
qui réorganisa, aú Pérou )'activité miniêre et. I:acti-
vité agricole, en prenant comme base le sucre et
le coton. Une véritable élite d'entreprises n'arriva
donc pas, à se constituer au Pérou, mais, par cont.re,
iJ, se forme une «oligarchie» dans le sens le plus
strict du' mot, c'est-à:dire" que la capacité de ce
groupe pour 'contrôler les décisions dépend pres-
que 'exclusivement de saforce poli tique, en même
temps que ses revenus proviennent plus de l'acca-
parement des possibilités spéeúlatives ,- assurées
:par le eontrôle des informahons, et des mécanismes
finaneiers de I'Etat - que d'un~ aetivité produetrice
,qrga'1isée. Ce type d'oligare.hie, en tous points dis-
tinet ,de ee qu'on appelle, improprement ainsi dans
,Ies pays du, groupe mentionné ,plus haut, a une
autonomie três Iimitée.
'D'une, part, 'Ia eonservation du pouvoir politique
pblige à inaintenir, des allianees avee 'Ies «gamo-
nales », en leur faisant les Iiabituelles coneessions'.
D'autre, part, l'oligarehie exerce sur le plan éeimo-
mique des fonetions seeondaires et subordonnées au
centre vraiment dynamique ,de l'expansion vers
LES. ÉLITES' DJENTREPRISE 201

l'extérieur, qui sont lesenclaves agricoles êf minieres


contrôlées par les entrepr'ises étrangeres (12).
Par, conséquent, dans n'importe quelle hypothêse
présentêe, la formation 'd'une élite d'entreprisesna-
tionales se voit freinée dans les pays 'à' base ,com-
merciale miniere par les difficultés que cette acti,
vité a à s'intégrer réellement au systeme capi-,
taliste mondial. Les liens financiers et le volume
considérable de capitaux qu'exige ,son explohation
intense" 'aussi bien que les« bénéfices de spécula-
tion» qu'apporte l'activité commerciale'-miniere, fi-
nissent, par dominer les élites d'entreprises nationa-
les en' ce qui. concerne le contrôle externe à l'inté-
rieurmême du pays. :11 semble que l'orientation'
spéculative que :ce développement favorise, retire. à
l'esprit d'entreprise lecomposant qui permet son
évolution qui va .de l'aventure,à la routine capita-
liste, c'est-à-dire, l'esprit de systeme.
Exactement comme ce fut le cas pour les élites
d'entreprises agraires et d'élevage, celles dont nous
sommes en train de parler sontconstituées, en
Amérique Latine, par des «hommes nouveaux »,
alliés mais non pas mélangés avec les élites aristo-
cratisantes urbaines de la Colonie et de I'Indépen-
dance ni avec les.própriétaires terriens semi-féodaux.

12. La meilleure analyse sur l'oligarchie .péruvi,enne et


l'une des plus riches en sugg~stions pour comprendre la, for-'
maÚon des classes dominantes de ce .type de pays, est celle
de François 'Bo~ricaud; «Remarques sur l'oligarch'ie' péru-
vienne~, . dans Revue Française . de Science P'olitique, 1964.
C'est· de 'cet ouvrage que nous avons 'tiiré le matériei 'pour
l'élabpration des paragraphes antérieurs:
202 SOCIOLOGIE ou DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LA TINE

Cependant, il ne suffit pas, pour la formation·


d'une véritable élite d'entreprises, qu'il y ait des
mécanismes plus souplespour la sélection et la mo-
bilité sociale des nouveaux groupes économiques. 11
u'est pas suffisant non plus qu'ils s'orientent en
fonction d'un projet de nation, bien que dans n'im-
portelequel des deux cas mentionnés, le projet
existe en fonction du développement vers l'extérieur.
La base économique sur. laquelle les classes
productrices s'organisent et auxquelles correspond
à son tour une exploitation créative, impose ·aussi
ses normes et ses limites à la constitution des
groupes économiques capables de contrôler la nation.
Il faut d'ailleurs dire la même chose des réglesdu
capitalisme, que ce soit dans son aspect de systéme
d'accumulation ou que ce soit dans celui de pro-
duction à base technique. Ainsi s'expliquent les di-
verses formes par lesquelles les économies nationales
restent incorporées au marché mondial.

IV. Les élites çl'entreprises dans le processus d'in-


dustrialisation.: la phase de transition

Les facteurs proprement économiques qui stimu-


lent la transformation du schéma de développement
vers l'extérieur en un modéle de développement vers
l'intérieur, c'est-à-dire d'utilisation du marché in-
terne créé pendant la période antérieure pour ser-
vir de base à I'industrialisation et au développe-
ment, sont connus. L'élément constitutif que les dif-
férentes économies latino-américaines eurent en
commun fut la « défense du marché ». Celle-ci obéit
en partie à la poli tique de maintien de l'emploi,
LES Jl':LITES. n'ENTREPRISE 203
I dans les périodes de .crise des produits d'exportation
f (principalement depuis 1929-30), "au moyen de dé-
valorisations qui ren~aient peu compétitifs les prix

I des produits importés, mais elle obéit surtout. à


la défense naturelle du marché, provoquée par la
contraction du commerce extérieur à l'époque de la
dépression et par les conséquences économiques de
la Seconde Guerre Mondiale, qui interrompit le cou-
rant d'importations.
Les élites d'entreprises nationales durent réagir
devant les facilités qui apparaissaient pour formuler
ou stimuler une poli tique d',industrialisation. La
réaction revêtit des caractéristiques différentes dans
les divers pays de la région et le degré de consti-
tution effective d'une élite d'entreprise de l'étape
antérieure influa beaucoup sur cettedifférenciation.
Cependant, pour analyser la formation, les fonc-
tions et les orientations de~ élites industrielles, il
ne suffit pas de les diviser en deux groupes, selon
qu'elles se sont formées au. sein des classes produc-
trices à base agraire et d'élevage' ou de celles à
base commerciale-miniêre. Il ne faut pas non plus
déduire des pages antérieures que les possibilités
d'action .d'une élite industrielle dynamique étaient 10-
giquement .plus grandes dans le premier caso
'Le processus d'industrialisation amena .avec lui,
comme c'est normal, des transformations accentuées
dans la structure de l'emploi et supposa l'existence
et l'expansion du marché interne, c'est-à-dire, d'u~e
masse de consommateurs. Ces facteurs modifiêrent
le systême de stratification sociale, ainsi que l'équi-
libre poli tique entre les groupes. Pour cette raison,
l'industrialisation signifia une réorganisation des
204 SOCIOLOGIE 'DU··DÉVELOPPEMEm' EN AMÉRIQUE LATINE

fonctions de I'Etat' et occasionna l'incorporation de


nouveaux groupes auprocessus poli tique. Elle Í'endit
lle plüs possible"une' redéfinition des idéologies "na-
"tionales sur: le développement économique,
Les élites industrielles se consolident à l'intérieur
de ce cadre," lecjLuil définit le contenu concret de
leurs fonctionset de feurs orientations," "en nÍ:êm'e
teinps qu'i1 limite Ú~s voies" de recrutement et
d'ascension sociale, dans la mesure oU il influe sur
les pactes que les nouveaux groupes" établissent en-
tre eux et avec les ancienne élites d'entreprises.
D'autre part, "les "limites de participation s'établis-
sent éri fônction de ce cadre et de la perméabilité
oii dé la résistance des élites" économiques antéfieu-
res à la nouvelle étape de développement.

1. Industrjalisdtion progressive et ~lites industrielles

"La croissanceplus oii moins lente, bien que conti-


nue, des activités industrielles tourné'es vers le mar-
ché interne, continua jusqu'en 1930 dans les pays
dont le développement" obéissait au modéle' agraire
exportateur . .Elle etait, présente aussi dans les pays à
économie d'enclave, dont ]es élites parviill'eni à
réorganiser des secteurs' de la production miniere
et firent desréinvestissemenfs internes dans l'agri-
'culture et dans J'industi'ie. Elle 'connut aussi des
moments d'expansion, comme, par exemple pendant
la Prefuiére Guerre Mondiale, arrivant même à se
divérsifier de façon trés accentuée "( 13) .

13. Voir CEPAL. Le processus d'industrialisation en Amé-


rique LatineJ 1965.
!-.~_S ~~IT~~ I?'?!'IT~E~~~SE 205
Cependant, ce fut à partir de la crise mondiale
que le systéme ,industriel ~'étenditavec' plus d~,
forceet commença à agir~ur la, formatio!) d1,l, pr.o-
duit national.
Comme nous l'avons déjà dit, le contrôle de, ces
activités était, en parÚe, aux mains de groupes qui
n'étaient pas d'élites mais d'origine immigrante 'dans
lespays comme la Colombie '(14), oú l'immigration
prit une rare importance, et enpartie,aux' rilains
de groupes dont l'activité principale continuait à 'être
agro-exportatrice: Cette régle se ,modifia ,pendant 1es
années 30, dans deux sens;:
a) d'un côtê, la crise de 'l'économie exportatrice
fit que beaucoup d'industries contrôlées par l'élité
agro-exporiatrice passérent aúx mains des com-
merçants, en général d'origine immigrante ;
b) d'un autre côté, l'action de I'Etat sur la créa-
tion de l'industrie lourde se fii sentir.
Pour renfórcer la thése que pendant cette pé~
riode un nouveau groupe producteur se constitua,
il faut signaler que l'expansion du domaine indus-
triel s'effectua à partir de cette époque avec deux
types 'de capitaux: capitaux spéculatifs,favorisés
par l'inflation qui coininence alors et qui s'accentue
dans les dix' années suivantes et des, capitaux com-

14. Dans le CRa de la Colombie, la participation des chefs


d'entreprises' de la province d'Antioquia fut fondamentale
dans le processus d'industrialisation. Ces chefs d'entreprises
ne participaient pas comme ceux de Bogota, au systeme poli-
tico-économique qui prédominait dans la nation. Cf. E. Hagan,
« The Transition in Colombia », dans On' the Theory of Social
Change (<< La Transition en 'Colombie », dans La' Théorie de
Changement SOcial), Illinois, The Dorsey Press, 1962, princi-
palement p. 364 et suivantes.
206 SOCIOLOGIE DU ntvELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

rrierciaux, ou bien accumulés comme fruit du .travail


de deux générations" d'immigrants fixés dans le pays'
ou amenés pàr" de nouveaux immigrants.
En résumé, la croissance industrielle se fáit
pendant cette "période' par l'adion entreprenante de
groupes non composés d'élites,
Les conditions et les conséquences de ce proces-
sus furent importantes pour la formation de « l'élite
industrielle ».
L'ancienne division interne du groupe industriel
en deux catégories de chefs d'entreprises, reliés aux
groupes agro-exportateurs et aux hommes ,ayant
réussi par leurs propres moyens, s'accentua. D'au-
tre part, la marginalisation des «nouveaux in-
dustriels» commença à prendre une plus .grande
transcendance poli tique.
Pendant la période antérieure, la fonction indus-
trielle était subordonnée et .dépendait de. l'économie
exportatrice. Par conséquent, il n'était pas tellement
nécessaire de créer des politiques industrielles pro-
pres.· Les politiques requises pouvaient se mouvoir
à l'intérieur de, cadres déjà constitués, dans les-
quels agissaient les «directeurs» des groupes in,
dustriels liés aux groupes agro-exportateurs (15).
En s'intensifiant, le rôle 'du marché interne fit que
les décisions économiques importantes durent se

15., II est vrai 'que depuis le XIX e siêcle, dans des circons-
tances, déterminées, la position se divise en politiques «pro-
tectionnistes» ou «non_ protectionnistes »', 'nans ce cas, déjà
apparaissent des' divergences plus ou moins' accentuées au
sein des classes producthces et ces désaccords se, font sen·
tir sur le pIan des législatures.
LES tLITES D~ENTREPRlSE 207
prendre en fonction du nouveau pôle de crois-
sance. A ce moment, on commença à s'apercevoir
de l'absence d'une élite industrielle qui devint né'
cessa ire pour la continuité de l'industrialisation.
On ne peut pas affirmer que pendant la période
d'industrialisation qui remplaça les importations de
biens de consommation durable, l'élite industrielle
se soit créée au moyen de la lente acquisition de
fonctions politiques de la. rart des industriels qui
s'étai\!nf formés eux-mêmes pendant la période
exportatrice précédente.
Au contraire, les rares études dont nous dis-
posons sur ce sujet nous indiquent que la plus
grande partie des industriels de cette catégorie
s~ maintinrent en marge du processus politique
pendant les années 30 et même dans certains pays
pendant les 10 années suivantes. Ils s'orientaient
en fonction de l'entreprise comme préoccupation
centrale, sans prêter attention à la société sur le
plan politique. A l'exclusion sociale qui leur avait
été imposée, ils réagirent par la valorisa,tion <lu
travail comme activité qui excluait la ·participation
politique. On ne peut pas nier, d'autre part, que la
définition de l'activité industrielle comme « fonction
économique» contribua à la formation d'une cou-
che d'entreprise dynamique, bien que n'étant pas
d'élites, c'est-à-dire, incapable même de réordon-
ner l'ensemble du processus économique national en
fonction des objectifs «de groupe» que les indus-
triels avaient à l'intérieur des classes productrices.
La transformation des anciens «modeles» qui di-
rigeaient leurs industries comme si. elles étaiE!nt
encore des ateliers familiaux, en «capitaines d'in-
208 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT E!'J A~ÉRIQUE LATINE

du.trie» (16), préoccupés de la rentabilité et de


la" productivité des affaires et de leur .expansion
continue, c'est-à-dire, en industriels capitalistes, se
fit au" moyen de. valeurs, d'objectifs et de. fonctions
qui ne s'organisaient pas sous I'aspect poli tique qui
i;'ést inccirporé plus tarde au comportement de I'en-
treprise.
Le passage de capitaine d'industrie à «homme
d'entreprise », c'est-à-dire, au dirigeant industriel
moderne, s'effectuà par I'intervention d'autres types
de chefs â'entreprises, différents analytiquement des
hommes arrivés par leurs propres moyens. En ef-
fet, le trait distinct de .« l'homme d'entreprise »,
comme cela se passa pour les élites d'entreprises de
la. ,période d'expansion vers l'extérieur,est; une
fois de plus, sa politisation. La politique de dévelop-
pement national, le contrôle des instruments moné,
taires et de change, la poli tique de crédit, tout
ceci devient une fonction normale dans I'activité de
«l'homme d'entreprise» latino-américain.
La réorientation de ces instruments de politique
économique fut le fruit, non de l'action exclusive
et directe des chefs d'entreprises industrielles du
type que nóus avons ·mentionné, mais d'un ensemble
beaucoup plus large de dirigeants. Parmi ceux qui
partiéipaient il y avait aussi bien des dirigeants
politlques, plus préoccupés de I'industrialisation en

16. On peut voir une analyse de la transformation, des


fonctions d'entreprises dans F.H. Cardoso, Ohef d~entrepri8e
industrielle' et développement économique, Sao Paulo, Difusao
Européia do ,-Livro, "1964, espa. chap. IV. Et aussi José Luis
Imaz, Ceux qui commandent~ Editorial Universitaria -de Buenos
Aires, Buenos Aires, 1964:
LES ~~ITES- D'ENTREPRlSE 209

fonction des" « intérêts nationaux» que des intérêts


des entreprises, que les anciennes élites d'entreprises
qui contiriuaient à contrôler une partie du domaine
industriel et en tous cas, une portion considérable
de j'activité p~oductrice nationale.
Les. élans pour l'.industrialisation nés hors des
entreprises seront e~aminés" plus loin.Én ce qui
concerne le rôle des élites anté,ieu,es dans la com-
position des nouvelles élites ,à base industrielle, il
suffit de mentionner que, comme réaction à la crise
de 1930, il y eut unetransformation accentuée dans
les fonctions de. I'Etat. Dans certainspays, surtout
en Argentine, la «modernisation» de l'Etat, c'est-
à-dire, son évolution vers un Etat régulateur du
processus" économique et ef(e~tuant des investisse-
ments, se fitsous le contrôle de ce qu'.on appelait
« l'oligarchie ». De.la même maniere, dans d'autres
pays comme la Colombie ou le Brésil, ou ce pro-
cessus ne fut pas aussi net, le nouveau schéma de
domination - lequel, il convient d'insister sur ce
point, mit en place les bases de l'industrialisaÜon
- compta avec la participation active des anciens
groupes agro-exportateurs.
La co-existence des groupes de l'étape antérieure
avec ceux de l'étape de substitution d'importations
n'eut pas Jieu seulement sur le plan· politique de
réorganisation de l'élite. Aussi bien sur le plan insti-
tutionnel, c'est-à-dire sur l'organisation de clas-
ses, que sur celui de la production jndustrielle, se
trouvent présents les représentants des deux grou-
pes - les «'industriels purs» et les oligarchiques-
industriels - sans que manquent; même pendant
les étapes initiales, des représentants des nouvelles
ploutocraties, 'formées à cau~e de l'inflaÍion, du pro-

14
210 SOCIOLOGIE DU· DÉVELOPPEMENT EN "AMÉRIQUE LATINE

tectionnisme ef de la faveurpolitique .. officielle. Lés


renseignements dont nous disposons sont concluants,
même si. 'les informations sont fragmentaires.
L'incorporabon des « industriels .purs» aux grou-
pes des élites fut lente et se réalisa. aussi bien au
moyen de la «seconde génération'» que par les
'chefs d'entreprises fondateurs.Sous l'aspect social,
:les alliances de fairiille se multipliérent, comme cela
arrive souvent dans ce cas, pour permettre l'assi-
milation des groupes ehrichis par les groupes tra-
·ditionnels. La sélection de l'élite effectuée jiar les
classes privilégiées, agit, dans cette phase de l'in-
dustrialisation comme un' mééanisme régulateur de
ra promotion sóciale. Sous l'aspéct économique, la
croissance des activités des entreprisesobligea les
alliances entre entreprises, rompant la tradition de
«l'entreprise familiale» ou.. tout' au móins, l'élar-
gissant. Cela amena:, une :plus grande homogénéité
entre groupes' industriels d'origine historique dis-
tincte et prépara l'avénement d'une 'nouvelle' élite
d'entreprise à base industrielle.

:2. Action de l'Etat et développément national

La réorganisation des élitesdirigeantes pendant


la période de formati6n du systéme industriel sui-
vit des chemins différents dans les 'pays ou les éco-
nomies étaient reliées au marché mondial sans que
le secteur expórtateur soit contrôlé par les chefs
d'entreprises natiónales. Avant la formation des en-
claves, les 'réactions possibles des ',élites dirigeantes
locales variaient d'une politique de repli au contrôle
de secteurs.marginaux à l'écOll0mie d'enclave - sec-
teurs à caractéreagraire ou minier, - jusqu'à
LES tLITES n'ENTREPRISE 211

une accommodation à la situation de groupe poli-


tique parasitaire de l'activité productive. Les. consé-
quences de C!,S différentes orientations, qui se pro-
·filérent depuis le dernier siécle, :se firent sentir quand
la direction principale du systéme économique, se
détourna du 'secteur externe pour- s'orienter vers
le secteur interne.
En ,effet, la création 'd'une élite d'orientation in-
dustrielle constitua dans ce cas', une entreprise plus
compliquée que dans la situation antérieure. D'une
part, iI était; nécessaire que legroupe industriel
se superposât aux intérêts étrangers insérés dans
le systéme productif local. Ceux-ci s'articulaient .à
l'intérieur, d'un schémapurement exportateur, sans
grandes relations fonctionnelles avec le secteur semi-
industriel local. D'autre part, tandis que dans les
cas antérieurs.1'élite dirigeante locale disposait d'une
base sociale stable et d'une certaine maniére, pos-
sédait une tradition dans le maniement de I'Etat
et du systéme productif exportateur, dans ce cas,
iI fallait entreprendre Tindustrialisation dans des
conditions sociales qui se· caractérisaient par un
manque de «leadership» de la part desgroupes
économiques nationaux.
Cependant, la portée de ce manque' de «Ieader-
ship » fut différent selon le type de réaction' que les
classes 'propriétaires purent avoir pendant le proces-
sus de formation des enclaves économiques. Par
exemple, dans les pays oú, malgré les enclaves, iI fut
d'une certaine façon possible de maintenir' une élite
d'entreprise active, .comme au Chili, le passage du
développement fondé sur l'exportation à un nouveau
modéle de développement fondé sur l'industrialisa-
tion substitutive, a pu se. réaliser, avec des altéra-
212 SOCJ()LOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

tions plus ou moins profondes, dans le schéma du


·pouvoir, mais sans l'exdusion des anciennes classes
d'entreprises. En revanche, on ne pourrait pas dire
la même chose des pays ou l'économie d'éncUlve ·se
constitua comme principe ordonnateur exclusif de
la vie économique ou de ceux ,ou les classes domi-
nantes cherchérent à s'ajuster aux moules d'une
clientéle qui contrõlait I'Etat et par son intermé-
diaire, bénéficiait de la production de l'enclave.
Dansce cas, l'absence d'une couche dirigeante du
genre classe d'entreprise imposa, comme condition
au. succes de l'industrialisatiôn, la formation d'élites
d'entreprises dont l'origine sociale se·· trouvait dans
des groupesdifférents ,de ceux qui constituaient
l'ancienne classe dominante. Dans les paysde ce
type, quand apparut réellemenf l'fndustrialisation,
cette évolution dépendit,en général d'une révolution
préalable. Une telle révolution· prit un caractére' et
des nuances ·distincts sur le plan social et idéologi-
que, depuis la Révolution mexicaine, qui provoqua
la destruction des bases de pouvoir des anciebries
élites dirigeantes au moyen de l'expropriation, jus-
qu'aux révolutions de portée sociale plus restreinte
et de type démocratisant, comme celle du Venezuela.
Dans tous les cas, cependant, les élitesindustriel-
les naissantes se constituérent à partir des classes
sociales qui. étaient en ascension politique bien ,que
libérées des anciens cadres,du pouvoir.
Même dans le cas des pays qui présentaieht un
double modéle, correspondant aux deux formes de
participation au marché international, il semblerait
que dans' ,le modéle «économie d'enclave », le pas-
sage vers l'industrialisation s'effectua grâce à l'ap-
parition de nouveaux groupes sociami nationaux,
LES tLITES D'ENTREPRISE 213,

possédant la capacité de. cont~ôler· I'Etat et' par lui;,


de promouvoir l'industrialisation.
Nous n'arriverions pas avec desexemples à épui-
ser la multiplicité des 'situations 'empiriques; aussi
bien le PRI mexicain que le Frente Popular chiJien
de 1939-41 et plus récemment I' Action Démocrati-
que vénézuélienne, sontdes expressions politiques'
de la pression des groupes sociaux nouveaux, libérés
du cadre agro-exportateur d'entreprises.
Dans tous ces cas, l'industrialisa'iion fut l'reuvre
de I'Etat, qui se miE à exercer partiellement des
fondions d'éntreprises dans les industries de base'
et qui' créa de nouveaux groupes d'eritreprises, capa-
bles de mener vers I'avant le développement écono-
mique du pays.
Dans le .cas
,
de pays comme le CniJi, i! est évi- ,

dent que l'élite industrielle locale qui se forma à,


la suíte de la politiqué d'industrialisation des 10 an:
nées de 1930 à 1940, se recruta en gra'nde partje,
parmi les anciennes classes d'entreprises agraires,
commerçantes et miniéres (17). '
Au Mexique, une nouvelle bourgeoisie se créa'
réellement.
'Cependant, dans ces deux cas, I'élite industrielle
montra la perméabiJité de cette couche aÍlxnou,
veaux intégrantsi qu'i!s soient les produits, de l'élé-,
vation sociale desgroupes, immigrants qui se consa-
crent depuis ,le début au petit commerce urbain,'
qu'i!s soient des individus de lá bureaucratie de

17. Cf. ,Carlos ,FiIgueira, <t_ Le. chef d'entreprise industrielle


au, C~ili », Sa~tiago, ILPE!?, 1966.
214 SOCIOLOGIE nu nÉvELoPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

I'Etat 'qui, de diverses maniéres, se transformérent


en chefs d'entreprises privées.
Par contraste avec les pays à base agro-exporta-
trice. sous contrôle national, ou unebourgeoisie
industrielle à -laquelle se superpose un systéme d'en_
treprises de l'Etat se 'développa lentement, il parai-
trait que dans les pays dont la production fut initia-
lement de type enclave, l'industrialisation naquit,
directement sous l'influence de l'Etat, gràce à l'ac-'
tion d'une «bourgeoisie. », qui se transforma plus
tard, en partie, en «bourgeoisie progressiste»
(gràce à l'i~fluence de la pllysiocratiel, l'économie.
politiqueet l'illustration, ,au positivisme scientifique ..
Les différences extrêmes entre les deux modéles, en
ce qui concerne les voies du développement indus-
triel, vont du cas argentin, ou la vigueur du groupe
agro-exportatéur imposa d'une certaine. maniére, un
modêle «libéral» de développement économique,
avec la participation réduite de I'Etat, jusqu'au cas
mexicain, d'industrialisation orientée et fomentée par
l'Etat jusqu'à l'étape de formation d'un marché
interne capable de soutenir le secteur privé de
l'économie.
Cependant, le dynamisme du systéme économique
eut lieu surtout, dans le cas des pays qui obéirent
au modéle décrit ici, gràce à l'action économique
des groupes sociaux non - propriétaires qui arrivé-
rent à contrôler partiellement I'Etat. La clé pour
coinprendre la formation, les ·fonctions, les méca-
nismes d'élévation sociale et l'orientation des grou-
pes d'entreprises industrielles, s'appuie, dans cette
hypothêse, sur la réorganisation du systême politi-
que et sur la poussée sociale des masses et des
groupes de classe moyenne ou se recrutent les in-
LES ÉLITES D'ENTREPRlSE 215,

tellectuels et la bureaucratie favorable au dêvelop'


pement (18).
Les idêologies industrialistes' refletent, dans ces
cas, les orientations principales des groupes sociaux
prêoccupês pár· la forrriation de la " nation >, c'est-
à-dire, d'un corps'politique capable de s'imposer en
tant: qu'être autonome et de pactiser avec lessec-
teurs externes, que 'ce soit en définissant les limites
des concessions(quand' ils 'n'arrivent pas à les éli-
miner), que ce soit en assurant leso marchê's et en
fournissant les capitaux 'pour la formation du sys-
teme productif national. L'êlite industrielle formêe
dans' ces conditions 'se dêveloppe au rilórrient ou les
chefs d'entreprises se comportent comme '" .capitai-
nes d'industrie », absorbês par les acti,'itês dês en-
treprises, puisqu'ils se constituent en ensemble de
dirigeants industriels, conscients depuis le dêbut des
dimensions poli tiques du comportement d'entreprise ..

V. 'Les dirigeants économiques et la "grande


industrie »

A partir de 1950, le probleme qui se posa aux


êlites d'entreprises des pays 'en voie d'industriaÍisa-
tion fut, à odes degrês divers, celui de la consolida-
tion du systeme productif au moyen de la crêation
d'un secteur de biens de capital. Les pays lei; plus
lndustrialisês de la rêgion avaient rêussi' à former,
de diffêrentes manieres; ,un secteur d'entreprise pri-
vê et organisê, surtout au' moyend'investissements
publics, d'un minimúrri indispensable d'infrastruc-

18. 'Cf. ~... Weffort, op. cito


216 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

tures économiques et d'installations d'industries de


base. dans le butd'assurer la continuité ·de la crois-
sance économiqu~. La formation d'un secteur de
biens de. production ,etde biens ge. consommation
durable était le complément indispensable de ces
économies «en voie de développement ».
La décision essentielle qui définirait l'orientation
des élites d'entreprises, devint le choix d'une orien-
tation pour continuer,l'industrialisation. Les nouvel-
les initiatives industrielles, par leur nature, requié-
rent de grandes concentrations de capitaux et des
connaissances avancées, deu,,- facteurs relativement
rares dans les pays sous-développés. C'était comme
si les problémes auxquels avaient fait front les éco-
nomies miniéres par le passé, se posaient une fois
de plus sous de nouvelles formes. Avant cette dif-
ficulté, se présentent deux possibilités extrêmes':
l'étatisation croissante .de l'économie ou, l'investissec
ment énorme de capitaux étrangers: Entre ces deux
extrêmes, les économies latino-américaines trouve,-
rent, dans la pratique, différentes solutions inter-
médiaires. Celles-ci se traduisirent en partie par la
limitation du rôle de I'Etat dans l'exercice d'im-
portanies fonctions régulatrices et dans le contrôle
des in~estissemenis fondamentaux (pétrole, sidérur-
gie) et elles encóur~gétet;t 'l;association des ,entre-
prises nationales avec des entreprises étrangéres, en
'général dans des conditions qui octroyaient un rôle
minoritaire aux groupes nationaux.
La réorganisation de 'l'économie imposée par
l'av,qnc~. ,de i'industrialisatlon apporta - comme
cause et comme conséquence - i:les modifications
appréciables de l'élite d'entreprise. D'un côté, de
nouveaux participants aux groupes dirigeants de
LES tLITES )?~ENTREPRISE 217
,l'économie apparurent,: .les chefs d'entreprises de
J:Etat et les administrateurs, professionnels: des en-
treprises étrangéres; d'un. autre ,côté, leso hommes
<i'"lJ!reprtses du secteurprivé se, transformérent en
«dirigeants économiques », préoccupés autant par:
l'économie de l'entreprise.que par la poli tique, na,
tionale de développement.
.I! est. facile, de comprendre que, du point de vue
de l'origine et de la mobilité sociale des chefs d'en'
treprises, l'industrialisation, dans sori étápe de biens
de production et de biens de consommation durable
amena 'avec elle, étant donné les conditions que
nous avons notées, une « ouverture» de I'élite éco-
nomique des pays.
'J oints aux représentants des secteurs a gro-c9m'
merciaux-exportateurset des industries «de tradi-
tion (c;est-à-dire, de seconde génération), les fonc-
'tionnaires' des organismes de promotion économique
commencérent à prendre part imx décisions relatives
à la poli tique de développement (19), en tant qu'ad'
ministrateurs professionnels, représentants d'entre-
prises étrangéres et même d'entreprises nationales.
De 'cétte maniére, la présence de' professionnels sor-
tis des classes moyennes s'accentua dans les elites
'dir'igeantes de la vie desentreprises.
De plus, dans l'élite écónomique, la différencia,-
tion de fonctions s'intensifiadans la mesure oú le

,-~---

19. Sur la formation des nouvelles élites d'entreprises, voir


les travaux que nous avons déjà mentionnés' de Imaz, Filguei-
ra et Cardoso. En ce qui, concerne la signification «d'orga-
nismes d'Etat $o, l'expression est employée dans son sens le
plus large, depuis' les entreprises de' l'Etat jusqu'aux banques
et aux conseils de développement,- etc... '
218 SOCIOLOGIE OU Oll':VELOPPEMENT EN AM:ll':RIQUE LATINE

renforcement de la, vie industrielle se transforma


en condition pour la réalisation 'de la poli tique des
entreprises, Au moyen des' chambres et des syn-
dicats patronaux, des personnes qui ne possédaient
pas depropriété industrielle et 'qui ne contrôlaient
administrativerríent aucune entreprise commencérent
à pénétrer dans les élites d'entreprises,
La voie d'accés à ces postes fut la capacité de
servir de point de contact entre les chambres in-
dustrielles, les gouvernements et les autres secteurs
de I'économie, surtout le secteur bancaire. Dans de
nombreux cas, ces rôles restérent à la charge d'in-
dividus appartenant, par liens de famille, aux an-
ciennes élites pré-industrielles. Dans, la mesure ou
celles-ci continuérent à exercer le contrôle des posi-
tions importantes dans la structure du pouvoir po-
litique et financier, il fut utilepour les entreprises,
de maintenir des liens avec elles. La désignation
traditionnelle d'un avocat de famille, afin qu'il agisse
dans les conseils d'adrríinistration des entreprises
ou des chambres, se transforma ainsi en expédient
utile, à la vie des entreprises.
'pour ces raisons, il serait difficile de soutenir
I'hypothése que, dans les pays les plu~ industrialisés
d'Amérique Latine, ,1es élites d'entreprises présen-
tent un degré d'hômogénéité et de cohésion équi-
valentà celui qui existait pendant l'étape de dé-
veloppement vers I'extérieur et même dans la pre-
miére phase de l'expansion industrielle. Ni que le
poids pondéré des groupes qui les constituent soit
aussi importarit dans les, décisions', ni queles inté-
rêts deces groupes s'identifient par leur appui à
une poli tique commune de développement. TI ne
'faut pas affirmer non plus que Jes pratiques d'or-
LES ÉLITES, D'ENTREPRISE 219

ganisation et de gestion des entreprises soient sem-


blables dans les entreprises de l'Etat, dans les en-
treprises étrangeres et dans les entreprises indus-
trielles locales, malgré les facteurs d'uniformité que
l'ampleur et la technologie moderne imposent. pen-
dant l'étape actuelle d'industrialisation (20): Il fau-
drait distinguer analytiquement plusieurs plans dans
le comportement de la nouvelle élite économique
pour donner un sens à la diversité des orientations
qui existent, malgré le cadre commun des intérêts
qui la caractérise en tant qu'élite d'entreprises.
I! serait même nécessaire de préciser quelles sont,
les hypotheses économiques et sociilles de l'orga-
nisation interne de l'élite d'entreprises dans cette
phase du développement. Les enquêtes pour expli-
quer son comportement et ses orientations sont
tres rares (21), c'est pour· cette ;raison que les pa-
ragraphes qui suivent ont naturellement un carac-
tere de conjecture.
On pourrait se dire qu'en Amérique Latine, les
élites industrielles commen.cerent à participeI: aux
groupes dirigeants nationaux au moyen d'un systeme

20. Cette question ne sera pas examinée ici en détail.


L'affir'mation se base sur les études de F.H. Cardoso, op. cit,
I.R. Fillol, Social Factors in Economic Development. 'The
Argentine Case, Cambridge, The -M.I.T. Press~ 1961 et Albert
Lauterbach, Enterprise 'in Latin American, business" attitudes
in dereloping economy, lthaca, N.Y. Cornell University
Press, 1966. .
21. L'ILPES réalisa une étude dans ce sens. Certains' de
ses résultats préliminaires peuvent être consuItés dans Juan
Carlos Marin, «Le 'secteur d'entreprises industrielles de l'Argen-
tine », 1967; Luciano Martin, «Formatián de l'entreprise in-
dustrielle au Brésil », document miméographié de I'Institut de
Sciences Sociales' de l'Université Fédérale ·de ~Rio de Janeiro,
1966.
220 SOCIQLOGIE DU :DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

compliqué d'alliance. avec les élites financiéres et


avec les élites agro-exportatrices. Les rares études
sur la formation de «groupes économiques» (22)
montrent qu'il.·est illusoire de supposer que la par-
ticipationde la « grande industrie» dans lecontrôle.
de la vie économique se vérifia au détriment du
secteur financier et du secteur agricole ou en dehors
d'eux. n est vrai que, dans la mesure oú le marché.
interne se transforma en une condition de prospé-
rité; le poids relatif du secteur industriel sur l'orien-
tation de la politiqueéconomique s'accentua dans la
limite de I'élite dirigeante et même dans chaque
groupe économique.
Cependant, dans lá pratique, les décisions de· la
poli tique de développement dépendent d'une pondé-
ration complexe oúil faut même tenir compte des
pressions des groupes agro-exportafeurs et de la
diversité des intérêts industriels, c'est-à-dire; du sec-
teur de I'Etat, du secteur étranger. et du secteur
national.
D'autre part, les différents secteurs industriels
qui composent ]'élite des entreprises (secteur ·ná-
tional, secteur externe et secteur de I'Etat) dé-
pendent du systéll)\, d~ I'Etat pour consolider .Ieurs
'intérêts .. L'extension du .systéme de crédit de I'Etat
et le degré de contrôle du systéme financier privé
pour les groupes de l'Etat chargés de l'~conomie

22.' Sur les «groupes économiques» en Amérique Latine,


voir Eric, Calcagno. Nationalisation de Services Publics
et d'entreprises,' Buenos Aires, 1957. Mauricio Vinhas de
QUiroz, ·Ricardo Lagos E., La concentration du pouvõir éco-
nontique~ Santiago, Editorial dei Pacifico, 1961. José Luis
Cecena, Le .capital ,monopoliste. et l'économiEi d,u 1l! ~~ique;
Mexico, Cuadernos Americanos, 1963.
LES- tLITES j)'ENTREPRISE'- 221

financiére, indiquent les limites de l'autonomie rela·


tive de l'entreprise privée dans ,la définition de sa
poli tique d'expansion.
En revanche, le 'contrôle d'instruments propres
'de crédit,'de la part; des ,entreprises étrangéres et
aussi de la part des entreprises nationales, mon·
trent l'autonomie de chacun des secteurs à l'inté·
rieur du systéme économique ,des pays.
Il serait illusoire également de supposer que les
différents groupes qui composent I'élite d'entreprise
s'opposent entre eux de façon ·radicale. Au contrairei
dans la phase de constitution de la«. grande. in·
dustrie », le développement se réalisa au .moyen
d'alliances entre les divers secteurs de I'écúnomie
intéressés par I'industrialisation. Ces aIliances de·
viennent cIaires si on analyse la composition
des conseils d'administration des sociétésanonymes
ou, dans beaucoup de cas, les mêmes personnes
appartiennent auxmêmes entreprises bancaires, in·
dustieIles, commerciales et agricoles. Comment p~ut·
. on alors affirmer qu'i1 y a diversité d'intérêts?,
Les seules 'enquêtes qui offrent des éléments ·con·
crets d'appréciation, indiquent' que, sur le plan
idéologique, I'élite d'entreprise apparait homogéne,:
eIle défend la prédominance de I'entreprise privée
dans le processus d'industrialisation, el}e veut li·
miter ,le rôle de I'Etat à celui d'une entité régu·
latrice des activités économiques ou de, promoteur
économique dans les doma ines les plus risqués, eIle
défend la collaboration du capital étranger, etc.
Sur le plan économique, I'élite d'entreprise réagit
objectivement et conformément aux intérêts du
groupe économique auquel est lié ·tout dirigeant.
Par exemple, lés opinions varient sur l'intervention
222 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

de l'Etat pour garantir des :prix minimums d'im-


portation dematiéres premiéres, pour assurer la
protection du marché, etc ...
Sur le plan politique, les groupes dirigeants ont
des opinions divergentes sur le meilleur moyen
d'exercer un plus grand contrôle du processus glo-
bal de croissance, c'est-à-dire, du pays.
Malgré l'insuffisance des informations dont nous
disposons, il semble que dans ce cas, la diversité
d'orientations sur le plan politique ait lieu en fonc-
tion de la position des différents groupes dans la
structure économique et de la conception de leurs
dirigeants sur le rôle qu'ils pourraient jouer dans
l'hégémonie d'un nouveau systéme d'alliances. Celui-
Ci sera plus ou moins ouvert selon que les diri-
geants des groupes industriels-financiers croient pos-
sible d'exercer le «leadership» sur les autres élé-
ments de la société iridustrielle : les secteurs ouvriers,
les classes moyennes professionnelles, les groupes
agricoles d'orientation moderne et même les groupes
agrario-terriens traditionnels.
Dans les relations des groupes dans cette même
élite d'entreprise, il semble que le degré auquel les
groupes nationaux se compromettent avec les poli-
tiques étatisantes (appuyées par les secteurs popu-
laires et par les groupesdes classes moyennes) et
les avantages qu'ils tirent d'elles, la tolérance dé-
montrée envers les « mouvements de masses », mon-
trent deux orientations possibles pour les élites
industrielles: l'appui au «nationalisme» comme
politique de développement,fondée sur la. protec-
tion de FEtat, ou la défense d'une poli tique « de pure
promotion du développement.», oul'entreprise privée,
indépendamment du contrôle interne ou externe
LES ~LITES n'ENTREPRISE 223
des capitaux, se change en valeur de base pour
orienter l'industrialisation.
Il est évideht que dans la pratique, ces deux posi-
tions extrêmes se manient différemment selon que
les antagonistes sont, à un moment donné, la force
croissante des pressions populaires et de I'Etat ou
de la pénétration externe. En tous cas, elles défi-
nissent les limites des concessions qui peuvent être
faites aux groupes internes ou externes, aussi bien
sous l'aspect des associations économiques, sur le
plan de l'entreprise, que sous l'aspect d'alliances
politiques, sur le plan de la société (23).

23. Pour compléter les analyses que nous avons présentées,


il convient de garder présents à l'esprit d'autres travRux qui
se préoccupent aussi bien des dimensions de traditionalisme
ou de modernisme du comportement et des objectif des cheis
d'entreprises.
Dans ce sens, voir Strassmann, W. Paul, «The Industria-
list, dans Johnson. (Ed.). Continuity and Change in Latin
America, Staniord University Press, Stanford, 1964 et aussi
S.M. Lejnet.
CHAPITRE VI

LES ELITES EéoNOMIQUES

Les problêmes Íles êlites industrielles en Amêri-


que Latine se 'prêsentent, dans la littêrature spé-
cialisée, liés à l'analyse du développement. De fait,
dans lés rares ouvrages publiés 'sur ce thême, l'ar-
riêre-plan sur 'lequel· se fonÍleril. les principales
hypothêses sur les interprétations, est constitué par
le processus de modernisation du comportement des
'entreprises conime condition du développemenf. En
général, à cette préoccupatlon s'en ajoute une autre :
'celle de signaler' les caractéristiques des rôles des
chefs d'entreprises au niveau des formes apparen-
tes de comportement dans les entreprises, vues en
'même temps comme systêmes sociaux fermés.
A ce qu'il semble, dans les deux types d'étude il
y a une référence 'implicite à ce qu'on pourrait ap-
peler une «théorié générale des élites d'entrepri-
ses ». Cette théorie est la même que celle qui dérive
de l'analysé de la formatlon des groupes d'éiltrepri-
ses en Europe et aux Etats-Unis (situations de
« développement original» ) .

15
226 SOCIQLOGIE DU nÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

La modernisiltion de la gestion des entreprises


au niveau de l'entreprise même et la dynamisation
du systéme économique par l'action de l'entreprise,
au niveau de la nation, semblent être, simultané-
ment, la condition et le résultat espéré du progrés
de l'industrialisation en Amérique Latine.
Cependant, une telle présentation du probléme
arrive forcément à un schéma interprétatif qui, ou
bien se fonde sur une analogie formelle ou bien
s'exprime par une tautologie. Dans le premier cas,
les interprétations n:expliquent pas les différences
structurelles et historiques qui redéfinissent les con-
ditions, les formes et les objectifs de I'action des
chefs d'entreprises en Amérique Latine. Elles n'ar-
rivent pas à camprendre non plus les limites de
'l'action des chefs d'entreprises en tant que groupe
de pression ,et de participation politique.
Dans 'cet ouvrage, nous essayerons: premiére-
ment,de signaler briévement; les différences essen-
tielles entre la situation historique structurellequi
définit les possibilités d'action et la façon d'être des
élites d'entreprises latino-américaines, lorsqu'on les
compare avec ce qui ,est arrivé en Europe et aux
Etats-Unis. En partant de cette distinction naus pro-
poserons une typologie qui tente de caractériser les
formes, typiques de comportement dans l'entreprise,
en prenant en consid~ration les différentes possi-
pilités de son orientation, exactement comme elles
sont conditionnées par Jeur cadre historique. Plus
tard, dans ce. même, effort de réorientation théori-
que, nous signalerons les conditions spécifiques qui
semblent distinguer .la forme d'action des chefs
d'entreprises latino-américains dans plusieurs pays
ou nous réalison~ des sondages auprés des, dirigeants
LES ÉLITES ÉCONOMIQUES 227

d'entreprises, (1)'. Finalement, ,nous discuterons cer-


tains résultats d'enquêtes réalisées en Amérique La-
tine, sur le sujet qui nous intéresse. Nous essayerons
,de présenter quelques hypothéses qui puissent expli-
quer, daps une premiére,approximation, les res-
semblances ou les différences dans le comporte-
,ment et dans la mobilité sociale que nous avions
trouvées dans I'analyse empirique, des chefs d'entre-
prises latino-américains quand on les compare avec
les chefs d'entreprises des économies centrales:

II,

1. L'industrialisation du XIX· siécle se ~éalisa au


moyen de I'organisation d'entreprises administrées
et contrôlées par des chefs d'entreprises indépen-
dants. S'jJ est vrai que l'Etat tint un rôle relati-
vement important pendant la période initiale d'ac-
cumulation de capital et d'organisation du marché
mondial, ce fut I'entreprise privée qui par ses entre-
prises développa les moyens économiques. Dans ce
sens, la bourgeoisie c1assique se transforma non
'seulement en ," bourgeoisie conquérante» sur le

1. L'étude mentionnée pIus haut fut initialement écrite


SOUSI le 'patronage du Centre'"de Sociologie Industrielle et 'du
Travail de l'Université de Sao Paulo, pour l'étude des chefs
d'entreprises brésiliens. Plus tard, grâce. á une aide financiêre
du Centre Latino-Américain 'd'Investigations des Sciences 50_
ciales de Rio nous avons élargi cette étude afin, d'y inclure
des comptes rendus d'entretiens avec des chefs d'entreprises
à Buenos Aires. Santiago et Mexico.
ActueUement, les enquêtes sur ce Uiême" se contintient, "sous
les auspices de l'Institut Latino-Américain de Planification
Economique et SociaJe. non pas déjà au niveau du sondage,
mais par l'analyse d'échantillon's systématiques de groupes
d'entreprises.
228 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN -AMtRIQUE LATINE

plano externe, mais, deplus, elle fuf leressort du


développement sur le plan interne.
D'autre part, les Etats :nationaux qui se forme-
rent sous le capitalisme,·ne se heurterent pas au
probleme de l'existence d'autres Etats capables de
s'opposer à eux etpar 'conséquent, l'entreprise écoc
nomique privée ne se· trouva pas limitée 'par des
pressions externes ·puissantes.
2. Les .conditions· historiques, sociales eti écono-
miques qui déterminent les possibilités d'action des
chefs d'entreprises privées dans les pays sous-déve-
loppés actuellement sont· três différentes :
a) éconamiquement, parce que les pàrametres de'
la production et du marché apparaissént fixés
d'avance' par les économies déjà développées (tech-
nologie, commercialisation, type d'entreprise, etc ... ) ;
b) socialement, parce que ·les chefs d'entreprises
~ie heurtent aux autres grOlipés des sociétés indus-
trielles, lorsqu'ils sont déjà plus brganisés et qu'ils
sant capables de faire pression dans le sens d'une
limitation de liberté d'action des entreprises, que
ce soit directement ou par l'intermédhíire de I'Etat ;
c) politiquement, parce que l'expansion du marché
et l'instauration d'une politique de développement in-
dustriel ne furent bientôt plus une mission natio-
nale mais se transformerent en un double. exploit:
détruire les bases traditionnellesde la. domination
des prqpriétaires terriens 'lacaux etobtenir ún pacte
sur une échelle internationale qui permette de diri-
ger l'industrialisation duo pays, en général avec l'op-
position des consortiums internationaux et des Etats
dominants de la scéne mondiale.
3. Dans ce cadre, la. problématique typiquement
schumpetérienne du chef d'entreprise comme dé-
I
j
LES tLITES tCONOMIQUES 229.

miurge perd sol) sens sJ on le considére isolément,


La faculté de création économique ne se ,définit
plus dans les limites de I' '«entreprise » - en tant,
que, fOFine privée d'organisation ou de"gestion éco-
nomique - mais se déplace sur, le plan plus
large 'de l'expression et de' l'instauration d'une « po-'
litique, de: développement », Le chef d'entreprise
typique des pays sous-développés se convertit, non
seulement en industriel qui augmente ,au maximum
les, bénéfices pa~ rilJnovation sur le plan de l'en-
treprise (processus ,qui a des limites à cause de, la
condition de dépendance, technologique, dlj cllef d_'en-,
treprises dans les pays sous-développés) ou .d~s
marchés, mais principalement parce qu'il est- capa~
ble de définir une orientation adéquate de son
action, visant les possibilités de transformation de
l'ensemble de la société et (ie l'économie. La politi-,
sation des fonctions des e,ntr~PI'ises devient. alors
évidente.
,De cette mamere, l'étude de tout c~ qui touche,
aux entreprises doit prendre en considératiol) l,es
«, caractéristiques » particuliéres des chefsd'entrepri-
ses et les conditions sociales qui réglent la forma-
tion de la bourgeoisie, industrielle, mais elIe doit
aussi s'imposer d'anaIyser çes topiques en relation
avec )es conditions, concrétes des sociétés globales
de chaque pays, ou s'insé\y l~ groupe d'entreprises.
L'hypothése généralement soutenue, pour expliquer
la formation du secteur d'entreprises dans les nou-
veaux pays en voie, d'industrialisati9n estbasée, sur
le développement lent mais continu ç!lj systéme tra-
ditionnel de l'artisanatet des ateliers qui, dans les
moments favorables enfonction des conjol1cÍllre.s des
marché_s ~xternes, tiennent le rôle prépondé~an_t, i.a
230' SOCIOLOGIE DU 'DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

rapidité du processus de transformation serait' la


variable fondamentale "pour expliquer le retard et, les •
réponses inopportunes (déphasées) 'du secteur des"
entreprises face atix "« nécessités de la situation »,
L'assimilation des nouvelles régles d'àction ecóho-
mique ne serait pas immédiate 'et même si elle
l'était, elle neserait pas suffisamment forte pour
modifier l'orientation des chefs d'entreprises par
rapport à la,société globale.
Notre point de départ 'est 'différent: nous nous
proposons de reconsidérer ce point de vue parce que,
d'une part, il n'est" pas suffisamment dynamique
pour expliquei les situations dans lesquelles les chefs
d'entreprises soÍltdans une position plus avancée
que les ouvriers et que le systéme des forces pro-
ductives (Colombie) et d'autre part, parce qü'il
est unilinéaire et, de cette façon, incapable d'expli-
quer la concomitance possible de' 'types d'entreprises
di vers, depuis le commencement, dans le processus
d'indtistri3Jisation ,d'un pays comme I' Argentine par
exemple, ou il a pu exister dans 'Ie secteur des
moulins "et des frigorifiques, im type de chef d'en"-
treprises déjà déterminé et orienté par des va-
leurs d'entreprises rationnelles, même si elles né
sont pas des facteurs de développement, alors que
ceux' qui appuyaient les mouvements industrialistes
étaiént píutôt des groupes mécontents et dynami-
ques de l'économie agraire-élevage (depuis la fin du
XIX' siécle).
En conséquehce, notre premiére tâche sera un exa-
men des attributs fondamentaux susceptibles de per-
mettre une classification des types 'de base d'action
des entreprises" Comme, d'autre part, le probléme
fondamental réside dims lil compréhension des pro-
LES tLITES ÉCONOMIQUES 231

blemes de développement en tant qu'émergents des


réglements stnicturels qui naissent du jeu de re-
lations entre ouvriers, chefs d'entreprisés et Etat,
nous emploierons comme critére central de caracté'
risation entre les types ~dechef d'entreprise, l'oppo,
sition entre l'orientation vers l'intérêt collectif (ou
public) et l'orientation vers rintérêt privé. La vi-
sion de la totalité sera ici la condition. sine qua
non du développement, tandis que la perspective de
l'entreprisegarantira la prospérité en termes de
croissance, étant donné les conditions pour l'iri-
dustrialisation et la modernisation, lorsqu'une con-
duite avancée des travailleurs (avec le maximum de
mobilisation et d'assimilation M· A .) cOIncide
avec le maximum d'orientation combative des chefs
d'entreprises dans la double direction de la pros-
périté et de la planification nationales. C'est dans
cette situation que l'Etat partisan du développement
trouve de maniére idéale la légitimation et l'assen-
timent maximum dans les forces sociales qui le.
soutiennent.
Le croisement des orientations indiquées (S = so-
ciété. E = entreprise) nous permet donc de tra-
vailler initialemeilt avec quatre groupes de chefs
d'entreprises :
1) S-, E-: est le cas du chef d'entreprise-spé-
cUláteur, qui fonde sa prospérité sur des coups d'au-
dace dans le maniement de stocks, par sa capacité
de contrarier les tendances d'augmentation de sa-
laire (utilisation de main-d'<Euvre marginale), etc ... ;
2) S-. E· : est le chef d'entreprise « puritain »,
dont~ I'orientation peut le mener à un accroissement
de la rationalité au niveau purement ' interne dé
l'entreprise. Cette catégorie inclut le «chevalier
(

232 SOCIOLOGIE DU otVELOPPEMENT EN AMtRIQUE LATINE

d'industrie », qui, -en général, se ~raf.1sfor.me d'an-


'cien propriét~ire d'atelier en industriel ;
3) S + , E-:: est le chef d'entreprise 'partisan du
'développement, mais spéculateur. Il manie les 'en-
grenagesfiscaux et de change au niveau de I'Etat et
accumule des capitaux par des manreuvres plus ou
moins ,frauduleuses, sans se préoccuper d'une pro-
grammation au niveati de. Ia meilleure technique de
l'entreprise ni de la rhanipulation de salaires au
niveau de la, fabrique. Son principal effort 'tend li
s'ihsérer politiquement dans une espéce d'automa-
tisme du développement économique dont il sera le
bénéficiaire ;
-4) 8 + , E + : c'est l'homme d'entreprise moderne,
intéressé pàr la planification au riiveati de la société
et' par 'Ia rationalisatIon et Ia, bureaucratisation ãii
niveau de I'entreprise.
uil regroupement des types décrits permet de vé-
rifler- Ia double orientation possibIe des chefs. d'en-
treprises en ce qui- concerne "leur mani~re d'agir au
niveau social et aU niveau de I'entreprise :
.1) all n'iveall, de la société:
a) économistes: chefs d'entreprises puritains
(8-, E +) et hommes d'entreprises moderne~
(S+,E+);
b) poli tiques: chefs d'entreprises spécuIateurs par-
tisans du développement (S + , E-) ;
2) all niveallde l'entTepl'ise :
a) «créateurs ·d'entreprises » : chefs d'entreprises
,puritains (8-, E +) et ,spéculateurs (8-, .E-,-,-) ;
b). «organisateurs d'entreprises!'-: spéculateurs
partisans du déveIoppement, (8 + , E-) et hommes
d'entreprises modernes(8 + , E + h
LES ÉLITES ÉCONO~~QUES 233

,Ce second regroupement au niveau de l'entre-


prise suggere une observation importante dans
l'étude du oprocessus d'industrialisation.
Com me on le voit, leso deux groupes .correspon-
dent à la période historique dans laquelleles « créa-
teurs d'entreprises»
-,
,
précedent
- ,-,
les «orgarlisateurs,
'.' ' .' ....
d:entreprises ».
Çependant, comme nous l'avons o déjà signalé ,au
commencement, il est nécessaire de se 'llrémunir
contre des interprétations uni,linéaires, inspirées °par.
l'expérience du développement des pays «, centraux ».
Deux. facteurs au moins conditionnent l'appari-
tíon.d 'une telle période : ... -
a) la présence du capital étr,al)ger qui dansl~s
entreprises peut tendre des le commencement yers
le type général «organisateurs d'entreprises »0 ;
b) 'l'installation de complexes industriels qui par-
Üült d'une exigence technique 'initiale de haut~ 'ra,
iionalité et de bureaucratisation (probieme de l'in,
divisibilité des investissementsdans des secteurs pro-
ductifs de biens de capital). o'
Ce dernier probleme - qui se pose en termes
tres différents de ceux du développement industriel
des pays «centraux» auxquels nous avons fait ,al-
lusion ' - requiert une atte~tion spécia:le d~ris la
mesure, o.ú, même si les conditions les meilleures
de protection face au capital, étrà.iíger existent, le
type d'action des entreprises qui prévautpeut poseI'
de sérieuses difficultés que - selon un modéle d'ini;
tiative privée - seul I'Etat peut résoudre dans
certaines limites.
Conformément à nos hypothéses initiales, la ca-
ractérisation d'une phase du développement concret
d'un pay~ ne peut pas être §implement induite des
234 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

types de chef d'entreprise en vigueur mais de Í'in-


tér-action desdifférenis secteurs de la situation' in-
dustrielle. Malgré tout, il semble utile dans êe' cas
aussi de tenter l'élaboration d'un «pimnéliü» qui.
permette de 'se rendre compte des càtégories pré-
dominantes dans les différents moments. Pour illus-
trer de nouveau le procédé, il est possible de sou-
tenir ,que dari's j' Argentine pré-péroniste, l'action des
entreprises se défiriissait en üirmes de «créateurs
d'entreprises », avec ún poids relatif plus grand du
type «de chefs d'entreprises puritains", surtout
parce que l'absence d'un critere industrialiste au
niveau social conduisait plus à un repli «écóno-
miste " dans l'entrepr'ise qu'à une « politisation » de
léurs intérêts.
Plus tard, la guerre et l'appui de l'Etat môdi,
fierent ce tableau en favorisant une multiplication
des «clÍ.efs d'entreprises spéculateurs» (développe-
ment notable de l'indusirie iextile, par exemple),
coíncidant avec le manque d'e'mphase mis dans le
développement économique que nous avons relevé
plus haut par référence à l'Etat. Plus tard, condi-
tionné par la crise avec laquelle débutent les an-
nées 50, il va montrer ce déreglement entre' un
effori officiel pour canaliser une orientation parti-
sane du développement et le type d'action des
entreprisesqui prévaut et dont les possibilités les
plus grandes se développeront dans le, sens des spé-
culateurs partisans du développement.

IH

Pour éclaircir le procédé méthodologique que nous


proposons, il convient de souligner que l'analyse de
LES ÉLITES -ÉCONOMIQUES 235
chacun, de ces types dechefs d'entreprises n'apas
de signification en elle-même. En d'autres mots, la
prédominance d'un tYP2' de chef d'entreprise' dans
un pays o~ une réglon donnés, comme' par exem~
pie les chefs d'entreprises spéculateurs, n'a pas de.
superiorité en ce qui concerne la compréhension
des raisons du développement et de 'Ia modernisa-'
tion, sauf qu'i! faut tenir compte des autres forces
sociales et du moment historique. Ces ,facteurs doi-
vent être introduits, que ce soit parce que le pas-
sage d'un type de chef d'entreprise à un autre est>
possible' en fonction de transformations économiques
et sociales provoquées souvent par l'actionde chefs
d'entreprises de type « traditionÍlel » qui, à un mo-
ment déterminé, se voient obligés de ehanger d'at-
titude ou de périr économiquement (2)" soit parce
que le marché et le développement dans la sitúa-
tion latino-américaine ne sont pas fonction exclu,
sive ni directe de la conduite des entreprises.
Le premier point ne sera pas développé dans' cet
ouvrage, mais i! est évident qu'i! 'a 'colllme consé-
quence de produire des effets déterminés sur le
processus d'industrialisation et de modernisation de
la société, e'est-à-dire I'action dechefs d'entrepri-
ses qui pourrait être qualifiée de traditionnelle, à
la lumiére de la théorie générale de l'action des
entreprises, peut provoquer des transformations fa-
vorables dans le dével6ppement.
Le dernier point mérite une discussionplus dé-
taillée sur la signification qU'i! a dans.la théorie de

2. Cf. ,F.H. Cardoso, «Tradition et innovation»: la men-


talité des entrepreneurs de Sao Paulo », Sociologie du Travail,
année V, 'No 3,' Paris, juillet-septembre 1963" pp. 209-224.
236. SOCIOLOGIE DU ntvELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

l'action desentreprises dans les pays sous-dévelop,


pés. En effet, la .coupe de base permettant de ca-
ractériser l'action des entreprises fait allusion .à
l'orientatiçm des chefs d'entreprise~ par rapport au
marché et à la société. Or, la réflexion sur les
conditions de formation du marché ei' de la nation
en Amérique Latine nous, montre nettement qu'i! y
a ·eu trois types essentiels d'intégration des pays de
la zone de marché :
a) au moyen -de la ..constitution d'économies d'en-
clave du type des plantations centro-américaines,.
ou des mines boliviennes .ou.chiliennes, ou de l'exploi-
tation pétrolifere, comme au Vene.zuela·;
b) au mOy'en d'économies fondées sur des mar-
chandises d'exploitation contrôlées par des produc-
teurs locaux, comme. dans les caféieres du Brési!
ou de Colombie, ou dans les .économies d'élevage
du Sud;
c) au moyen de la substitution forcée des impor-
tations.
Dans ·ce dernier cas, le marché interne s'élargit à
parÜr du développement économique qui fut lÍi
conséquence du second type d'intégration au mar-
ché externe menÚonné icl.
Dans les premiers types de développement, i! y.
a un lien tres net entre une classe .dominante lo,
cale (<<. poli tique » dans le premier cas, «proprié-
taires terriens» dans le second), avecles représen-
tants des économies central és. Ces classes politiques
ou oligarchiques apparurent comme ressort et. con-
dition pour que la nation .surgisse.
Le lien entre le marché (externe et déjà consti-
tué depuis le début du processus historique latino-
amér'icain, ainsi que nous l'avons noté), ·et lés .in~
LES ÉLITES ÉCONOMIQUES 237

térêts.locaux, se faisait au ,moyen de .1~Etat. Celui-ci


était. contrôlé, soit par l'oligarchie improductive '10-
cale ou par les producteurs propriétaires terriens,
à l'exclusion des autres classes et. ,groupes 'sociaux.
La référence à la nation (l'ensemble de la société)
était plutôt un recours de pressiono externe, aussi
bien pour pactiser avec les groupes étrangers dans
le cas des économies d'enclave, que pour' que les
classes agraires s'assurent les instrumerits poli tiques
nécessaires dans le jeu international des forces pour
obtenir de meilleures conditions de bargaining par
'rapport aux quote-parts\!t aux prix d'expç>rtation,
dans .Ie second cas,
Cependant, c,'est seulement dans le troisiêrr:e cas
d'intégration des pays, latino-américainsau mar-
ché, qu'apparaissent les c0t:lditions qui permettront
aux chefs d'entreprises industrielleset aux hommes
d'affaires de devenir les protagonistes du développe-
ment national. L'hypothése, théorique courante en
Amérique Latine de l'analogie que nous avons men-
tionnée entre lÓhistoire du développement européen
et américain avec le même processus que les pays
périphériques, était que les groupes d'entreprises,
dans la mesure ou ils représentaient des classes éco-
nomiques urbano-industrielles, devaient donner' I'im-
pulsion au processus d'industrialisation et au déve-
loppement national, se transformant ainsi en groupes
d'avant-garde du Nouveau Monde. Cette iriterpréta-
tion supposait une double analogieavec la situation
de développement originale. La modernisation des
groupes d'entreprises était mise au point en fonc-
tion de l'existence des « chefs d'entreprises puri-
tains» (selon le style weberien) et l'autonomie de
la classe des entreprises devait correspondre aux
238 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN ,AMÉRIQUE LATINE

'rêgles 'politiques de comportement de la bourgeoisie


européenne dans sa période d'ascension. L'impor-
tance que nous avons signalée de l'action des au-
tres types de chefs d'entreprises en Amérique. La-
tine, qui n'a, rien à voir 'avec Jes formes d'ascétisme
économique, diminue la signification de la premiêre
hypothêse. En .ce qui concerne la seconde;. coles ré-
sultats des recherches sur ce thême ,.ne l'ont pas
confirmée (3).
Tout au contraire, les types préalables d'intégra-
tion d' Amérique Latine dans le marché et le rôle
conséquent des classes traditionnelles et des pro-
priétaires terriens d'une part, etjou I'Etat d'autre
pari - créé déjà par ces mêmes classes et en 'fonc-
tion de leurs intêrêts - reâéfinirent concrêtement
'Jes possibilités d'action des chefs d'entreprises ur-
baines liées au développement industriel. Dans le
schéma dedéveloppement (4) qui s'est vérifié dans
les pays eles plus industrialisés' de la région, les
conditions et les pressions sociales 'gui permirent de

3. Cf. 'F.H. Cardoso, Ohef' dJentreprise industrielle et Déve-


loppernent économique au Brésil, Difusao Européia ,do ~ivro,
Sao, Paulo, 1964.
4., Nous ne ferons' pas ici de référence aux explications
économiqu~s. du, développement en Amérique Latine, car elles
sont bien connues, principalement grâce aux travaux de Raul
:Pr~bisch' et Celso 'Furtado. Il est évident que 'les facteurs ini_
tiaux, 'de développement industriel se lierent à la crise ,de 30
et à la Seconde Guerre ,Mondiale. La désarticulation du sys-
teme mondial, de commerce à laquelle, s'ajouta postérieure-
ment la: rarété de 'devises, agirent comme' conditions de pos-
sibilité' ét éomm'é stimulation duo marché (c"est-à-dire indépen-
damment 'd'une politique éc~nomiqueT, favorables à l'indus-
trialisation.
LES ÉLITES tCONOMIQUES 239

dynamiser la société semblent .avoir été régies par


les facteurs suivants :
a) urbanisation. intense etc préalable à l'industria-
lisation, comme conséquence des résultats éçonomi-
ques propices de la période de «déyeloppement vers
l'extérieur » ; ~
b) formation de contingents ·populaires, en fonc-
tion de a, c'est-à-dire en faisant. pression pour son
intégration au marché. et sa participation ,poli tique,
au moyen de. mouvementspopulistes (varguisme,
peronisme, gaitanisf!1e, etc ... ) ;
c)forniation de groupes de classe moyenne ur-
baine (bureaucrates, professionnels, milita ires, em-
ployés de services, etc ... ) qui obtinrent un certain
degré de contrôle du mécanisme politique, grâce
à l'effet de déséquilibre sur )astructure tradition-
nelle de pouvoir que la présence des masses, même
quand elles n'agissaient pas,_ provoquait dans les
moments de crise de l'économie exportatrice. Ce
contrôle partiel des mécanismes de pouvoir, les clas-
ses moyennes purent l'obtenir par les mouvements
et les pouvoirs typiques des groupes moyens (radi-
calisme de I'Argentine ou du C;hili, battlisme de
l'Uruguay, etc ... ), ou au moyen .de mouvements
« contre l'oligarchie » mais avec l'appui des secteurs
oligarchiques (<< tenentisme brésilien»). Il semble-
rait que le premier type de mouvement est relié
à l'existence d'une nouvelle classe moyenne, d'ori-
gine immigrante, tandis que .le second est rattaché
aux. pressions des classes moyennes. traditionnelles ;
'd) avec cet arriêre-plan politico- social, dans. le-
quel l'ancienne prédominance absolue. du pouvoir
des groupes oligarchiques exportateurs commence
à se briser, les groupes nés avec J:industrialisation
240 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE ·1,

(qui" apparut pouraider l'expansion 'du marché in-


terne obtenue grâce au succes des exportations -
industrie textile et alimentaire - et accélérée par
'la période de guerre), participent marginalement au
développement politico-national, De fait, les grou-
pes d'entreprises surgissent quand un Etat agissant
existe déjà, quand un marché est constitué et quand
'les autres forces sociales, aussi bien les masses ur,
baines et les groupes moyens que les groupes oli-
ga'rchiques et' exportateurs sont déjà en train 'de
se disputer le contrôle de l'appareil de I'Etat et, par
conséquent, ela possibilité d'avoir de l'infiuence sur
les' décisions adoptées en' vue de l'investissement et
de la 'consommation;
e) il' semblerait plutôt que le «,' déséquilibre de
pouvoir» provoqué par la pression .des masses et
'le caractere de menace virtuelle que cette si-
tuation contient, se 'refiétérent au niveau des préoc-
cupations des secteurs technifiés des classes moyen-
nes (économistes, militail'es, ingénieurs, etc",), Ceux-
ci, qui participaient dans úne certaine mesure au
jeu politique et à l'appareil de I'Etat, commencerent
à favoriser une politique, industrialiste fondée sur
des investissements de l'Etat, qui avait comme' 00-
jectif d'obtenirl'indépendance nationale et de dé-
velopper une offre suffisamment grande d'emploi
pour diminuer les effets de'dislocation que la pres-
sion de masses contient ;
f) c'est seulement à un sécimdstade que 'les grou-
pes d'entreprises assument les responsabilités du dé-
veloppementindustriel. Mais alors, cela arrive sous
la ,protection de l'Etat et en conséquence, dê l'effet
multiplicateur des investissements de I'Etat (éner-
gie, pétrole, sidérurgie), qui ouvrent, de nouveaux
LES ÉLITES tCONOMIQUES 241

horizons lucratifs pour les investissements prives


de substitution ci'importaÚon.
Ce schéma, valable pour les principaux pays in-
dustrialisés de la zone' (Brésil, Chili,Mexique et
même, avec plus de di'fférence, l'Argentine), montre'
les conditions qui définissent les cimtenus' valorisants
de l'action des entreprises en Amérique Latine. La
référence áu marché, dans ce cas, n'est pás' 'ap-
pliquée par les valeurs de' libre concurrence, de pro-
ductivité, etc... parce qtl'il y a une <idéfense du
~arché », au moyen de mesures de l'Etat qui béné-
ficient aux industrieÍs, comme de ~ême la réfé-
rence à. la société n'impÜque pas nón' plus, dans
les conditions latino-~rriéricaines, l'existellce_ d'un
projet partiCulier de contrôle de la situation politico-
sociale capable de dónner des voies à la société, et
encore moins des compromis en ce qui concerne la
consolidation d'une société démocratique et de mas-
ses au meilleur style qu'on attribue aux sociétés
industrielles. De fait, les groupes d'entreprises sor-
tent d'une sittiation. de marginalité politico-sociale
relative apres que d'autres forces sociales, aussi
bien les anciens exportateurs que les groupes
moyens et ces mêmes masses soient déjà compromis
dans le jeu poli tique ou ils occupaient des, positions
clés. De plus, les groupes d'entreprises se trouvent
limités en ce' qui concerne les options qu'ils peuvent
avoir à cause de l'ambiguité de la situation dans
laquelle i1s apparaissent:' ou bien Üs s'associent
aux masses afin de faire pression sur l'Etat contre
les groupes exportateurs, ou ils craignent la possi-
bilité d'un déplacement de leurs possibilités de
contrôle politico'social à cause des mouvements de
masses. IIs appuient TEtat dans des 'conditions dé-

,.
242 SOCIOLOGIE nu ntVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

terminées, en· faveur de I'eftort de développement;


dans d'autres conditions, ils entrent en lutte avec
lui pour lui prendre des domaines d'investissement ;
ou bien ils- proposent une politique nettement pro-
tectionniste pour la défense da marché, ou bien ils
s'associent aux capitaux étrangers sous le couvert
de l'aide technologique aux pays sous-développés.
Tantôt ils se lient_ aux intérêts restrictifs de l'oli-
garchie dans la mesure. ou ils craignent, en tant"
que classe propriétaire, la perte du contrôle social
en faveur des masses. 11 faut. cependant en référer
aux types d'action des entreprises dans les écono-
mies dépendantes, aux problêmes que les sociétés de
masses, sous-développ'ées, leur occasionnenf en ce
qui concerne leur possibilité d'action. Pour continuer
nous présentons les questions principales que posent
ces thêmes. Pour le moment, il est seulem~nt pos-
sible de les signaler puisqu'il n'y a pas d'analyses
empiriques satisfaisantes qui permettent de les trai-
ter d'une autre maniêre (5) .
.Dans cette problématique, il y a, semble-t-il, trois
problêmes de base:
Dans quelles conditions économico'sociales et pro-
voqués par quels mouvements sociaux sont nés et
ont agi les groupesd'entreprises modernisateurs?
QuelIes. sont les orientations valorisantes, les ca-
ractéristiques d'action- économique qui" permirent
d'infuser du <lynamisme aux entreprises d' Amérique
üitine?

5. Les questions que nous mentionnerons ici furent abor-


dées 'dans le chapitre «Les agents sociaux de transformation
,et de conservation en Amérique Latine» de ce même livre.
LES ÉLITES ÉCONOMIQUES 243
Dans quels cadres structurels se placent les options
et; :les tendances de soutien de ces groupes à la,
tr'imSformation sociale et dans quelles limites, dans
la,' tentative pour contrôler le systeme de pouvoir,
sont-elles' perméables aux pressions populaires, d'une
part, et aux accords avec les classes dominantes
traditionnelles, d'autre par,t ?
Pour répondre à ces questions, il sera nécessaire
de continuer et de stimuler l'analyse sur les condi-
tions' historiques et sociales de l'industrialisation
d'Amérique Latine, En nous fondant sur les tra-
vaux qui existent, nous pouvons affirmer que la
croissance indusÜielle a obéi à un double modele
dans presque tous les pays de la région qui sont en
train de s'industrialiser, D'une part, il y eut une
lente croissance du systeme artisanal et manufac-
turier soutenue, en général, par la croissance « végé-
tative» du marché interne (relié, naturellement, à
l'expansion des exportations de produits primalres
et à l'urbanisation croissante, accélérée par l'immf..
gration qui rendit possible l'expansion de l'économie
exportatrice). D'autre part, il se produisiL une ra-
pide évolution dynamisatrice aux moments de, con-
joncture favorable au marc'hé (guerre, dévalorisa-
tion pour protéger ,le secteur exportateur sont des
circonstances qui se traduisent par 'le protection-
nisme, etc ... ). La persistance de ces clans dépend,
dans une grandemesure, de 'la capacité des groupes
dirigeants' pour formuler une poli tique appropriée
d'investissements dans les secteurs de base ou. des
possibilités pour que ces mêmes groupes dirigeants
acceptent 'les points de vue des secteurs techniques
qui définirent cette fameuse. poli tique d'investisse~
ments.
244 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

II est facile de comprendre que le probléme prin-


cipal, du point de vue sociologique, c'est ,de se'!ten-
dre compte jusqu'oú les forces soclales ont tliiÚié'
les influences favorables dé' 'Ia croissance automaÜ-'
que du marché (qu'elle sóit ,tr~ditionnelle, lente,
qu'elle soit rapide, favorisée par 'la conjoncture
exceptionnelle), pour le transformei' en une politi-
que de développement, et les conditions dans les-
quelles ce processus est apparu;
Quel rôle únt tenu les chefs d'entreprises indus-
trielles dans I'utilisation des facilités qu'offre une
politique de développement? Comment ont pu se
concilier les intérêts entre les différents groupes
dominants et quel est le degré de divergence réelle
entre les diverses classes qui 'participent au pro-
cessus de développement ?
Comment se sont présentées et résoluesles diver-
gences entre les groupes intéressés dans le secteur
exportateur et ceux qui étaient Iiés à la production
pour le marché intérieur? Quelle opposition y a-t-il
entre « I'intérêt économique étranger» et les grou-
pes nationaux et comment se concilient-i1s?
Dans ce cas, la iéponse dépendra de nouveau de
l'analyse concrête iles situatioris sóciales caractéristi-
ques : l'acÚviié initiale' dusystéme peut se vérifier
daÍls un cadre général de pression largê et violente
'des groupes urbano:populaires contre les formes de
domination traditionhelle en vigueur (Mexique),
Elle peut se produire ,quand existe une alliance entre
les mouvements ,populistes, les intérêts traditionnels
et les groupes' des entreprises (le Brésil de Vargas).
Elle peut exister dans des conditions plus proches
d'une situation d'action énergique des entreprises au
niveau économique, y compris de la part des grou-
LES ~LlTES ÉCONOMIQUES 245

pes exportateurs et dans l'isolement ,relatif et l'an-


tagonisme politiqúe de ces mêmes groupes de~ani
lespressions des masses (cas de I'Argéritinê' de
Perón) et elle peut arriver dans des situatioÍls oú
la pression desentreprises en fa~eur du développe,
m~nt trouve comme réponse l'indifférence des autres
groupes sociaux (comme en Colombie) ,
CorÍlment ces différentes situations se répercutenf-
ellessur le développement ? Dans quelles conditions
les groupes d'entreprises ont-ils provoqué jusqu'au
développement les élans de transformation sociale
déchainés par d'autres groupes ou d;autres classes
qui aspiraie,nt à aUeindre des objec'tifs différents ,?
L'analyse de ces questions suppose, il est vrai, par
sa nature, un effort de synthese et une référence
constante à 1'ensemble de forces qui ag!ssent dans
la société considérée comme uri tout et aux carac-
téristiques structurelles, économiques et sociales si-
gnalées dans le theme antérieur,
Çependant, la nécessité subsiste de poser de nou~
veau, devant la situati(m latino-américaine, ,la pro;
blémátique classique des analyses sur la mentalité
et l'action des entreprises, Ce qui éql!ivaut à se
demander comment se sont constitués exclusivement
sur le plan de l'entreprise, des noyaux de moderni-
sation et quels types de chefs d'entreprises, 'recru-
tés parmi quels groupes sociaux, orientéspar quelles
valeurs et stimulés par quelles s1tuations' sociàJes et
économiques' de pression, ont eu ou 'peuvent avoir
unê action significative sur le développement,
Par rapport à ce dernier groupe de, problemes,
l'analyse doit 'sans aÍlcun douie tendre principale'-
ment vers la question des modeles d'inves'tissement
et vers les mécanismes d'action âes entreprises, La
246 SOCIOLOGIE nu DÉVELOPPEMENT 'EN AMÉRIQUE LATINE

compositionet le fonctionnement des classes éco-


nomiques en Amérique Latine, étant donné le type
de cróissance industrielle indiqué, 'sont en; grande
mesure conditionnés par l'utilisation de la capacité
des entreprises d'immigrants qui se consacrentà la
petite industrie ou par l'utilisation que les chefs
d'entreprises font des conditions favorables du mar-
che dont l'activiié originale était liée au secteur
agro-exportateur, 'limités les uns et les autres à
cause des entreprises aux cadres de l'entreprise « fa-
miliale », Dans celle-ci, l'exigence d'obtenir des ré-
sultats économiques à court terme limite riaturel-
lement les possibilités d'effectuer de grands invé's-
tissements dans des entreprises de base ,et empêche
la création d'organisations économiques modernes.
La rapidité du profit est remplacée dans ces der-
nieres par une' modalité dont la rationalité et l'effi-
cacité se mesurent par la capacité de garantir, à
long terme, des avantages fondés sur une différen-
ciation productive croissante, dans la spécialisation
technique et dans I'économie de la production
massive.
Comment a-t-on pu passer, sur le plan de l'entre-
prise, ,de l'ancien modele d'action des entreprises à
un nouveau modele plus dynamique? Quel rôle a
tenu dans ce processus «l'entreprise étrangere» ?
,Quelles valeurs orienterent Íes anciens propriétaires
d'entreprises .dans leur transformation en chevaliers
d'i~dustrie. ou en dirigeants d'entreprise modernes ?
Jusqu'à quel point .ce processus se déveI9Ppa-t-il
pour. la, différenciation interne des classes' proprié-
taires qui se moderniserent ou fut-il accéléré par
des pressions étrangêres au monde des entreprises ?
Quelles' restJ.ictions la situation de «dépendance»
·LES tLITES tCONOMIQUES 247
introduisit-elle dans I\! processus de modernisation
des entreprises?'
En partant du point de vue que le développement
est un processus global qui a des foyers de dyna-
misme étrangers à l'économie de l'entreprise et qui
dépend de l'expression d'une poli tique relative à la
société dans son ensemble, il faut discuter simulta-
nément, et en premier lieu, du probleme général
qui se réfere à l'orientation des groupes d'entrepri-
ses en relation avec I'Etat et la société. Pour cela,
l'analyse doit se concentrer sur les possibilités et les
limites de la classe' des entreprises en Ámérique
Latine pour agir hors du plan de l'entreprise, pour
promouvoir les « conditions pour le développement »
en se transformant en classe poli tique dominante
(bourgeoisie). A ce point de vue. il y a deux pro-
blemes qui priment tom les autres: le degré de
compromis dei; chefs d'entreprises avec les politiques
qui refletent la « situation traditionrielle» (avec le
corollaire de non-participation politique, de Testric-
tion à l'action de I'Etat, de rejet de' toute intromis-
sion syndicale dans la vie publique, de recherche de
capitaux étrangers, etc ... ) et la capacité d'expression
d'un « projet social» par les groupes de chefs d'en-
'treprises, ce qui suppose l'acceptation de la légiti-
mité des autres groupes modernisateurs dans
l'expression de la politique de développement. C'est-
à-dire, dans quelles limites les groupes d'entrepri-
ses acceptent-ils que la luUe pour le contrôle du
destin des investissements s'élargisse du plan de
l'entreprise au plan de la nation et quels' sont les
autres' groupes' sociaux ,dont l'interférence dans la
définition de lá poliiique nationale trouve pour des
'raisons structurelles, un accueil favorable chez les
I

248 SOCIOLO«;:IE DU D~VELOPPEMENT EN ,:AMÉRIQUE LATINE

chefsd'entreprises ? Quelles possibilités y a-t-il que


le populisme favorable au développement coincide
avec une politique d'investissements contrôlée par
lés groupes de chefs d'entreprises et dans quelles
'limites ceci peut-il arriver ? '
L'hypoth'ése générale sur laquelle reposent ces
questicins est celle de la perméabilité des classes
dominantes tradiiionnelles aux effets de la, trans-
formation, sociale,. Il serait, simpliste de supposer que
les groupes, d'entreprises représentent la '« moder-
nité» et que pour cela, son alliance avec les grou-
pes populaires, de pression est naturelle ,et suffit' à
modifier l'équilibre traditionn~l. Au contraíre, l'expé-
rience historique laÚno-américaine a démontré la
souplesse 'de ce qu'on appelle la <c société tradition-
nelle ».
En conséquence, le théme des «classes tradition-
nelles» semble, s'imposer dans toute analyse du dé-
veloppement qui nepart pas de I'idée' p~éconçue que
nous avons mentionnée, c'est-à-dire que l'action des
groupes économiqúes' industriels et modernisaieurs
ou alliés à la pres-sionpopulaire suffit par elle
seule pour détruire les cadres de la société tradi-
tionn\,lle et réorienter le, développement afin d'obte,
nir, une mgilleure distribution du revenu, un plus
grand dynamisme économique et une participation
populairé plus compléte dans les décisions poli tiques
et économiques des nations.

IV
Ces quesiions, aimíi que nous I'avons signalé, ne
peuvent. pas être contestées empiriquement pour le
,mo~ent. Cependant, les résultats A~ certains Ja-
LES J!jLITES J!jCO~OMIQUES 24~

,bleaux compa,aNs, ildaptés de diverses enquêtes,


certaines d'entre elles réalisées en Amérique Latine
et ,d'autres aux: Etats-Üni~'óu' à l'extérieur duo Con-
tinent, peuvent Hlustrer la façon tiont nous .croyons
qu'i! s,era possiblé d'u,tiliser dans le ',futur
, íe, .
tabieau
_.
théorigue proposé plus haut.
:Les indications de ces analyses seront nécessai-
rerrient approximatives et limitées, étant donné que
'Ie mat<?riel empirique qúi les 'souüent n'a pas été,
d'une part, élaboré en accord avec le cadre'théori-
que qu'i! se propose Eit que, d'autre part,il n'a pas
été systématisé en ce qu'i concerne sa' 'compàrai-
son (6).
De toute mamere, les données prés~nté~s clans le
tableau annexe 1, concernant la distribution en pour-
centage de l'occupation du, pére, indiquent que l,es
caractéristiques typiques des ehefs d'entreprises e,t
l"s conditions sociales de la formation de la bour-
,geoisie en Amérique Latine ne correspondent pas
à J'hypothese généralem~.I1t soutenue, d'un recrute-
ment social dans le, cadre des profes,sions urbaines
de type artisanal ou industriel, à la tliff~rence de
ce qui a pu se passer en Amérique, du N ord. Ceci
pourrait s'expliquer par l'ancienneté relative tiiffé-
rente de l'industrialisation dans les deux zones. Ce-
pendant, m'ême quand noús comparons les données
d;Ã;"érique Latine avec les résuitats vérifiés da;'s

6. ~ont partiellement exclues de cette considération les


recherches qui se réferent à l' Amérique Latine, réalisées. par
CEPAL et signalées 'dans, les ,tableaux respectifs. Je remercie
Carlos ~'ilgueira 'pour sa collaboration dana la préparation
et d'ans la discussion-'des donnéea.
250 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

des pliases antérieures de Tindustrialisation aux


Etats'Unis, la différence se maintient (7).
Les distinctions qu'il y á entre ces deux situa-
'tions, tout comme les variations qui se rencontrent
de pays à pays en Amérique' Latine en ce qui
concerne les groupes sociaux d'ou proviennent les
chefs d'entreprises, ne, peuventêtre éclaircies si
elles ne font pas référence au ca:dre historique et
aux différentes formesd',intégration des économies
,nationales au marché mondiaI.
Par exemple, la concentration en Argentine de
chefs d'entreprises dont les parents ont leur origine
dans le secteur commercial (Tableau 1) tend clai-
rement vers une explication de ces types,
De lamême maniére, la fréquence des chefs d'en-
treprises dont les péres étaient militaires dans ce
même pays, est un fait dont lá signification ne peut
être trouvée en lui-même, mais à la lumiére de la
compréhension du jeu' du pouvoir comlÍ1e c'est le
cas en Argentine (8).
La même hypothése qui insiste SUl' l'effet relati-
vément faible de la transformation effective au
moyen de j'indústrialisation 'semble pouvoir se main-
'tenir quand' on envisage les dónnées disponibles du
point de vue des variableséducationnelles. C'est
ainsi que, dans la comparaison de ce qui se pásse
'en 'ce qui concerne' '1e niveau éducatif des dirigeants

7. Cf. Lipset et Bendix, Mobilité sodale dans la société in-


dustrielle~ Buenos Aires, Eudeba, 1963, table 4.2, p. 141. Il
convient de noter que la table se réfere à des chefs d'en-
treprises industrielles, ce qui renforce notre argumento
8; Sur ce point, voir José Luis de"Imaz, Ceux qui comman-
dent, Buenos Aires, Eudeba, ,1964, pp. 126-163. C'est un des'
rares livres sur la formation des élites en Amérique Latine.
Il apporte des' données et des interprétations valables.
LES fLITES fCONOMIQUES 251

d'entreprises en Amérique Latine avec les mêmes


en France, en Angleterre, en Espagne et aux Etats-
Unis, nous avons une distribution, conformément au
tableau 2, qui à un premier· niveau de groupe
semble indiquer une prédóminance accentuée d'un
taux élevé de scolarité des chefs d'entreprises
d'Amérique Latine en comparaison avec lés Etats-
Unis et l'Espagne. Ensuite, quand on introduit la
variable-dimension de l'entreprise, l'Espagne, sem-
blable aux autres pays européens considérés, ap-
parait aussi avec un modele différent des Etats-
Unis. Il semblerait cependant, qu'en Amérique La-
tine, des regles équivalentes à celles qui présiderent
à l'industrialisation des vieux pays d'Europe, ou il
y eut une société de type aristocratique,tendent à
se maintenir. Il est vrai qu'il y- a des différences
entre les pays mêmes de l'Amérique Latine. Le
cas de I'Argentine se rapproche du modele Nord-
Américain (9). Cependant, dans tous les cas, il reste
clair que les regles d'acces aux postes' en ce qui con-
cerne l'éducation semblent configurer le systeme 'in-
dustriel en formation, puisqu'en Amérique Latine les
carrieres humanistes et les professions libérales pré-
dominent dans 'l'enseignement moyen et supérieur
sur' les carrieres techniques ou industrielles. La
même chosese passe avec les carrieres préférées
par les chefs d'entreprises, conformément aux don-

9. De la même mamere, à Sao Paulo, il y a la distribution


suivante: primaire, 13 %, secondaire, 43 %, supérieure, 44 %.
cf. Cardoso. Ohefs 'd'entreprises industrielles, op. cit., p. 100.
Les enquêtes en Argentine ne furent pas réalisées seulement
avec de grands chefs d'entreprises, comme à Sao Paulo, ce
qui augmente le bien-fondé de l'explication que nous don-
nons, bien qu'il convienn~ de souligner les réserves en ce
qui concerne Ia précarité des donnêes disponibles.
252 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

nées obtenues dans des entrevuesque nous avons


réaliséesdans les enquêtes auxquelles nous· faisons
référence (10).
De cette maniere, on pourrait accepter l'hypothêse
qU'il" yà' en vÚíté, d'un côté, une'« classe tradi-
tionnelle·» qui semble contrôler l'industrie comme
Jaçon d'adopter la modernisation (plus évidente au
Chili et en Colombie) et d'un autre côté, les valeurs
de type tradltionnel.dans l'orientation des nouveaux
groupes industriels, qui commencent à utiliser les
regle~ de la sociét~ pré-industrielle comme recours
d'assimilation des anciens groupesdominants, sem-
"b!ent se maintenir en vigueur. . '
Même quand on considere spécifiquement .les gé-
rants des entreprises; la tendance à conserver des
cri teres de nomination dans le processus d'intégra-
tion personnelle à lastructure. industrielle se main-
tient : la simple conditionde « propriétaire» (sans
melüionner les autres moyens d'intégration de la
même nature) comme moyen d'obtentio Il d'une po-
sition de directeur atteint 40 % des cas considérés
dans les enquêtes du Chili et de la Colombie (con-
formément au tableau 3).
Ces résultats sont confirmés par les entrevues que
nous réalisons dans les pays latino-américains déjà
mentionnés. Le contrôle effectif des entreprises
continué à se maintenir à. un niv~au familial et

10. 11 Y a, cependant, des tendances pIus ,conformes au


modele 'des -sociétés.'industrielles avancées en Argentine. Au
Brésil aussi; odes transformations commencent à se produire
sur ce point particulier. De toute maniere, la «modernisa-
tion» des regles de réducation humaniste par un scientisme
polytechnique et_ à multi pies facettes, sans spécificité et sans
esprit vraiment, anaIytique" dans le meilleur. style' des écoles
« poly'techniques» ou des ~C?I~s traditiónnelles d'économie.
LES tLITES tCONOMIQUES 253-

obéit à l'élection de personnel de «confiance », des


actionnaires, en fonction de critêres et de relations
non- professionnelles.
Cependant, la réaction des chefs d'entreprises ne
pouvait pas répondre différemment à des ques-
tions tendant à obtenir des informations sur les
raisons de leur action. Dans les pays oú l'indus-
trialisation se maintient dans les limites de la « so-
ciété traditionnelle» il s'agit de répondre en fonc-
tion des valeurs dominantes du type d'industrie qui
offre des possibilités pour « aider les gens » et pour
obtenir «du prestige social », tandis qu'en Argen-
tine les valeurs de type «individualisme'» et «sé-
curité économique » prédóminent sur les Butres, con-
formément au tableau 4.
Ce genre de questions sert aussi à illustrerles
dangers qui existent quand on pose des questions
sans cadre de référence théorique. Finalement, on
démontre que les valeurs et les rêgles universelles
de l'industrialisme sont présentes à un plus grand
degré à mesure que les pays sont plusindustrialisés,
ce qui constitue une tautologie.
Cependant, quand les différences spécifiques des
conditions du marché et de la société qui donnent
le contenu concret de l'orientation valorisante des
chefs d'entreprisesexistent, les informations sur des
aspects aussi particuliers que les caractéristiques
de personnalité peuvent àvoir un senso
C'est ainsi que l'importance réduite attribuée, par
exemple, à «l'esprit de risque », par les chefs d'en-
treprises latino-américains (voir tableau 5), qui, à
premiêre vue paraitrait ou bien: une aberration
devant la théorie générale du comportement des
entreprises ou un indice de traditionalisme, n'est
254 SOCIOLOGIE nu ntvELOPPEMENT .. EN AMtRIQUE LATINE

pas plus qu'une évaluation réaliste quand on consi-


dére les conditions concrétes de l'industrialisation
en Amérique Latine, mentionnées antérieurement.
D'abord, la défense du marché et ,ensuite,l'asso-
ciation avec les monopo!es étrangers, 'liriliterit la
portée pratique du risque économiq'ue pour les
chefs d'entreprises latino-américains.
Finalement; pour ce qui est de la définition
même du chef d'entreprise, les enquêtes réalisées
sur les caractéristiques des rôles, semblent· être.
limitées par une certaine stérilité de buts, comme
nous l'indiquonsplus haut.
En effet; .il peut se dégager de l'analyse du ta-
bleau 6 un désaccord entre les .chefs d'entreprises en
ce qui concerne la définition de)eur rôle.
Le désaccord atteint son plus haut degré dans
le cas de l'Argentine et semble diminuer dans les
autres, dans la mesure ou l'industrialisa tion cóntinue
à être plus faible. Une diversification des rôles
apparait cependant, ·qui rend inconsistantes les ana-
lyses se rapportant simplement au systéme norma-
tiL D'autres fois, le résultat des données semble
tendre vers la nécessité d'un angle de vue historico-
structurel comme recours d'interprétation de la
conduite des entreprises en Amérique Latine.
Dans cet ouvrage, nous avons essayé de signaler
les conditionnants structurels de l'action des en-
treprises en Amérique Latine. C'est la raison pour
laquelle ,nous avons fait. référence au degré de con-
trôle et à la participaÍion que les chefs d'entreprises

11. Cf. .voir aussi Alexander Gerschenkrom, «Social ,att1-


tudes, entrepreneurship and economic development », dans
Econo1Jtic Backwm'dness in Historical Perspective J Cambridgp.,
Belknap Press, Harvard, 1962.
LES Il:LITES Il:CONOMIQ1?ES 255

atteignent sur le marché et ,dans la société, dans


des économies qui tentent. de s'établir, ~ur dei; bases
nationales, quand le ,marché mondial est déjà' cons-
titué ef qu'il s'oppose dans une grande mesure à la
formation. de centres nationaux de contrôle des dé-
cisions d'in\:estissement et. de consommation.
C'est seulement quand on considéreces particu-
larités historiques et structurelles, que les distinc-
tions que nous établissons entre chefs d'entreprises
spéculateurs, chefs, d'entreprises puritains, chefs d'en-
trepri~es partisans du développement et dirigeants
d'entreprises modernes, peuvent prendre un carac-
tére différent de celui qui est simplement des-
criptif.
Essayons pour continuer d'utiliser les rares et
précaires résultats d'enquêtes empiriques dont nous
disposons pour illustrer le~ limitations 'de l'orienta-
tion de certains ,types d'analyses et. aussi pour mon-
trer, la nécessité de procéder li de nouvelles recher-
ches basées sur un cadre théorique plus complexe.
Le sim pIe transfert de schérrias valables pour
expliquer le comportement des groupes sociaux dans
les sociétés, industrielles avancées des pays .d'éco-
nomie centrale, est suffisant pour orienter l'interpré-
tation de la formation des sociétés industrielles dans
les pays périphériques.
Il seml:Ílerait que la perméabilité des classes do-
minantes traditionnelles et la spécificité des condi-
tions dans lesquelles a lieu l'industrialisation de
I' Amérique Latine, rendent difficile (quand elles ne
l'empêchent 'pas) , que les groupes d'entreprises in-
dustrielles et les hommes d'affáires exercent le même'
rôle dynamique qu'ils eurent parfois dans, le .dé-
veloppement du capitalisme et ·dans la 'formation' de
256 SQCIOLOGIE DU D~VELOPPEMENT EN 'AMÉRIQUE LATINE

Ia société industrieIle. Para:JIeIement, il sembIerait


que I'explication de Ia mentalité, des vaIeurs, des
idéoIogies, des possibilités d'aCtion des chefs d'en-
treprises Iatino-aIl1éricains,qúe ee soit comme chefs
d'enÜ'eprise ou dans Ieur action organisée comme
classe soci;'Ie, dépend' d'une doubIe référence aux
conditions concretes, ambigues et queIquefois contra-
dictoires, qui donnent l'éIan au marché d'une part,
et aiix pressions et aux exigences de Ia société
d'alÍtre parto Li< confirmation de ces hypotheses dé-
pend des résúItats des recherches qui sont en
cours en ce moment, bien que )es informations et Ies
interprétations dont nous disposons jusqu'à présent
sembIent les confirmer.

TABLEAÜ 1
DISTRIBUTION PAR POURCENTAGES
DE L'OCCUPATION DU PERE o'
Chili Colombie Argeotine U.s.A.
(a) (b) (c) (d)
Industriels 38 45 24 69
Commerçants 17 20 36 -
Employés 12 7 20 3
Professionnels 28 15 12(e) 11
Agriculteurs 5 O 4 5
Paysan. - . O 4
Ouvriers O 10 4 >
9

100 100 '100 100


>

n = 46 o = 61 0=-27 n = 106
(*) Adapté de données obtenues' dans diffén:mtes enquêtes:
Le' manque de correspo"ndance êntre les catégories.·les caracté-
ristiques ,des :échantillons et la date .de; relevé.le limite, à son
caractere impressionniste. '
LES ~LITES ~CONOMIQUES 257

a) Sow'ces: Le chef d'entreprise ind1lstriel en


Amérique Latine, CEPAL, Guillermo Briones, 1963.
b) Idem, CEPAL, Aaron Lipman, 1963.
c) Idem, CEPAL, Eduardo A. Zalduendo" 1962.
d) Mobilité sodale dans la société industrielle,
Lipset, S.M. Bendia, R. 1959. Table Li 2, années
1891-1920. .
e) Correspond à « Militaires ».
TABLEAU 2
NIVEAU D'EDUCATION
DES CHEFS D'ENTREPRISES'

Argentine Chili Colombie U.S.A. France Espagne ÀngI.et. Eop.


(d) (,) (I) (.) (.) (.) (.)(,) (')(b)

PrinWre 11 o 2 15 I~ 20 4 I
Secondaire 25 40 48 28 15,1 42 16 19
Su~rieur 63 60 50 51 83,4 31 80 18

100 100 100 100 100 100 100 100

n = 21 n .46 n = 61 n .. 136 n = 248 I

Sources:
a) Niveau d'étude du chef d'entmprise espa-
gnol, de Miguel A. Linz, Juan. Madrid, 1964. Revue
Arbor, N' 219, mai ,1964.
b) Chefs d'entreprisés avec plus de 1 000 ouvriel's.
c) Chefs d'entreprises de moins de 50 ans.
d) Le chef d'entreprise industriel en' Amérique
Latine, CEPAL, Eduardo A. Zalduendo, 1962.
e) Idem, CEPAL, Guillermo Briones, 1963.
f) Idem, CEPAL, Aaron Lipman, 1963.

" Ibid., tablE:au 1.

11
'258 SOCIOLOGIE DU DtVELOPPEMENT EN AútRIQUE LATINE

TABLEAU 3

FAÇONS D'ATTEINDRE
LA POSITION DE DIRECTEUR

Chili (a) Colombie (b)

Ascension ou carriere
dans l'entreprise 23 20
Propriétaire 37 40
Par nomination de 1
l'ensemble ,des
actionnaires 18 30
Mandatou représen-
tàiion de la famille 8 2
Contrat direct de
l'entreprise 15 10

Divers O 5

100 100

n = 46 n= 61

Sources:
a) Le chef, d'entreprise 'industriel en Amérique
Latine, CEPAL, Guillermo Briones, 1963.
b) Idem, CEPAL, Aaron Lipman, 1963.
j-

LES :ÉLITES ÉCONOMI9UES 259

TABLEAU 4

STIMULANTS DES CHEFS D'ENTREPRISES (a)


Colombie Argentine Chili
(b) (c) {d)
-
Besoin d'aider les
gens 40. ,23 33
Sécurité écononúque n 46 33
'Preslige ~ocial 2: O 15
Risque dans les
affaires O 6 2
Possibilité de
commander 7 .0 6
Indépendance
personnelle 24 23 11
Sans répónse O 4 O

, 100 100 100

n = 6t n.= 27 n =·46

Sources:
a) On a retenu le premier choix. La' question
était: parmi les facteurs suivantsj quels '80nt ,ceux
que vaus recherchez surtout dans votre activité, en
tant que chef d'entrep'rise_ ?" ~
b) Le Che! d'entreprise en Amérique -Latine,
CEPAL, 4~ronLipman,,1963 ..
c) Idem, CEPÂL, Eduardo A. ZàIduerido, 1962.
d) Idem, CEPÂL, Guniermo Btiones; 1963:
260 SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT. EN AMfRIQUE LATINE

TABLEAU 5

CARACTERISTIQUES DE LA PERSONNALlTE
DU CHEF D'ENTREPRISE (a)
Argentino (c) Colombie (b)(d) Chili (e)
.- "--"

Constance lO · 18
Capaci~ de travail 10 20 9
Esprit de risque 3 · 3
Initiative 27 42 37
Capaci~ de réalisa·
tion 18 · 11
Capaci~ do
IS ,
décisions 28 ~
Capaci~ pour faire
des plans IS · '11

Sans réponse . · .
-
100 100 100

n " 27 n " 61 n = 46

aj La questíon po';;" était : Quels sont selon vous


les principaux attributs ou caractéristiques de per-
·sonnalité. que doit posséder le chef d'entreprise ? On
·a retenu le. premier ,choix.
b) Adopté de la source que: nous avons me,ntion-
née. Les résultats ne furent pas formulés en ta·
bleaux.
c) Le Che! d'entreprise en ÀméTique Latine,
CEPAL, Eduardo A. Zalduendo, 1962.
d) Idem, CEPAL, Aaron Lipman"l963.
e) Idem, CEPAL, Guillermo Briones, 1963.
r LES ÉLITES ÉCONOMIQUES 261

TABLEAU 6

LA PROPRE DEFINITION
DU CHEF D'ENTREPRISE (a)

Argentine Colombie Chili Paraguay

, Innovateur
Réalisateur
20
33
7
33
14
40
9
18
Organisateur 20 35 22 18
Imitateur O 2 4 55
Financier 15 5 4 O
Coordinateur 12 10 2 O
Traditionaliste O 2 8 O
Sans réponse O 4 O O
Divers O 2 3 O

100 100 100 100

n = 27 n = 61 n = 46 n = 16

a) La question posée était : AuqueI de ces types


pensez~vous appartenir ?

Sources :
Le Chef d'entreprise industriel en Amérique La-
tine, Paraguay. L. Faletto, 1964.

Santiago du Chili
1967
ti

I CHAPITRE I
TABLE DES MATIERES

Analyses sociologiques du développement


économique ............... '. . . .. .......... 7

CHAPITREII
Les agents sociaux de transformation et de conser-
vation en Amérique Latine .................. 51

CHAPITRE III
Industrialisation, structure de l'emploi et strati-
fication sociale en Amérique Latine ........... 97

CHAPITRE IV
Industrialisation et société de masse .......... 15 I

CHAPITRE V

t
i
Les élites d'entreprises

CHAPITRE VI
.................... 173

Les élites économiques .................... 225


Achevé d'imprimer le 30/10/1969
Imprimerie Sérifloc - 16, Cité Canrobert, Paris
Dépõt légal 4' trimestre 1969 N° 83
" Editions Anthropos
DépÕt léga14 e trimestre 1969 N° 82
FER NANDO HENRI QUE CARDOSO
Né au arésil en 1931. le professeur Fernando Henri -
Que Cardoso a terminé ses études à l 'Université de
Saõ Paulo en 1959.
Diplômé d'études supérieures et Docteur en Socio-
logie, il poursuivit ensuite des recherches au Labo -
rato ire d e Sociologia Industrielle de I'Ecale Pratique
das Hautes Etudes de Paris.
Professeur de Sciences PalitiQues et chef du Dépar-
tement des Sciences Sociales à l'Université de Saõ
Paulo ( 1958-1969). visiting-professor attaché au
Département de Sociologie de Paris- Nanterre
(1967 -1968l. directeur-adjoint à " Institut Latino-américain de recherche paur
la Planification économique ' et sociale (EC L A, Unitoo Nations) à Santiago
du Ch ili (1964-1967), professeur à I'Unillersité et à la Faculté de Sciences
Sociales de Santiago du Chili (1965-1967), F . H . Cardoso a publié différents
travau)(, de nombreux articles et des ouvrages traduits en plus ieu rs langues :

- Cór et Mobilidade Social Em Florianópolis, colecâo Brasiliana, Compa nhia


Editora Nacional. ~o Pau lo . 1960 (avec la col laboration de Octávio I nnanil.
- Ho mem e Sociedade, recuei! de conférences, Companhia Ed itora Nacio-
nal, São Paul o , 1961 .
- Capitalismo e Escrivad:io no Brasi l Meridional, Difusão Européia do Livro.
sao Paulo, 1962 .
- Empresário Industrial e Desenvolvimento Econõmico no Brasil , Difusào
Européia do Livro. 5ao Paulo, 1964 .
- Cuestiones de Sociolog;a dei Oesarrollo de América Latina, Editorial
Universitária , Santiago. 1967 .
- M udancas Sociais na A m érica Latina, Difusão Européia do Livro. São
Paulo. 1969.
Ses recherches portent pan iculiérement sur la Sociologie du Oéveloppement.
la Méthodologie. les relatioÍls entre les ethnies et I'évolution socia le.

Prix : 20,60 F.

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