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par Washington, sans encourir les foudres de


l’administration américaine. Ce sont ces dérogations
Pétrole: le coup de force risqué de Donald
qui vont être supprimées.
Trump
PAR MARTINE ORANGE Pour l’Italie, la Grèce et Taïwan, ces interdictions
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 30 AVRIL 2019
sont sans conséquence : bien qu’autorisés à importer
Prenant tout le monde par surprise, Donald Trump du pétrole iranien, ces pays n’en ont plus acheté
a décidé le 22 avril de renforcer l’embargo contre depuis l’instauration de l’embargo en novembre.
l’Iran. À partir du 2 mai, plus une goutte de pétrole Pour les autres, les conséquences sont plus lourdes.
ne doit être achetée à Téhéran. Le marché pétrolier se Dès l’annonce des mesures américaines, la Chine,
retrouve plongé en pleine incertitude, et avec lui toute la Turquie et l’Inde, qui sont les premiers clients
l’économie mondiale. pétroliers de l’Iran, en ont dénoncé l’unilatéralisme.
La Turquie, en froid avec Washington, étudie
C’est devenu l’une des marques de fabrique de
les possibilités de contournement de l’embargo
la présidence Trump : il faut s’attendre à tout
américain.
moment à voir les équilibres économiques, politiques,
géopolitiques mondiaux bousculés sur un coup de « Si les États-Unis nous empêchent d’utiliser le détroit
tête ou un tweet du président américain. La décision d’Ormuz, nous le fermerons. En cas de menace, nous
annoncée par l’administration Trump le 22 avril n’aurons pas la moindre hésitation à protéger et
n’échappe pas à cette règle. défendre les voies maritimes de l’Iran », a prévenu
Alireza Tangsiri, commandant des forces navales des
Prenant tout le monde par surprise, sans la moindre
Gardiens de la révolution iraniens, après l’annonce des
concertation, la Maison Blanche a annoncé que toutes
nouvelles sanctions américaines.
les dérogations accordées sur les exportations de
pétrole iranien depuis la mise en place des sanctions Fermer le détroit d’Ormuz, par où transite tout le
contre Téhéran en novembre étaient annulées. À partir commerce maritime des pays du Golfe, est une
du 2 mai, plus aucune goutte de pétrole ne doit menace que l’Iran a plusieurs fois agitée mais jamais
sortir d’Iran, a expliqué le secrétaire d’État américain, mise à exécution : ce serait vu comme un acte
Mike Pompeo. «Nous continuerons à appliquer les de guerre, entraînant des représailles internationales
sanctions et à surveiller leur respect. Toute nation ou imprévisibles.
toute entité qui entretient des relations avec l’Iran doit La violence de la réaction iranienne montre toutefois
faire preuve de prudence », a-t-il prévenu. combien le renforcement des sanctions américaines
touche le pays. Celui-ci est déjà durement frappé par
l’embargo, les pénuries et les inondations. L’inflation
y est galopante et pourrait dépasser les 40 %. Avant
même les nouvelles interdictions américaines, le FMI
estimait que l’Iran risquait de connaître une récession
de l’ordre de 6 % cette année.
Le nouveau durcissement de l’embargo décrété par les
Mike Pompeo et Donald Trump le 25 mars à la Maison Blanche. © Reuters
États-Unis est donc un tour d’écrou supplémentaire
L’avertissement vise précisément huit pays : la contre Téhéran. Donald Trump justifie la mesure « afin
Chine, l’Inde, la Turquie, la Corée du Sud, le de contraindre Téhéran à négocier ». Avec l’espoir
Japon, Taïwan, l’Italie et la Grèce. En raison de secret, selon certains observateurs américains, que
leurs liens économiques, ceux-ci avaient obtenu la détérioration de la situation économique en Iran
le droit de continuer à importer du pétrole amènera un renversement du régime iranien.
iranien malgré l’embargo décrété unilatéralement

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Un espoir assez vain, selon Philippe Chalmin, « La suppression des approvisionnements iraniens
économiste spécialiste du pétrole et des matières resserre un marché pétrolier déjà sous tension. Il y a
premières, qui y voit plutôt un risque de renforcer de fortes chances pour que le prix du pétrole continue
les « faucons » du régime iranien. « Donald Trump à monter », écrivent dans une note les analystes de
pense à sa réélection de 2020. Mais à part faire plaisir Sanford C. Bernstein & Co.
à l’Arabie saoudite et Israël, qui sont les ennemis Avant l’embargo américain, l’Iran était le quatrième
jurés de l’Iran, on ne voit pas très bien où mène cette pays exportateur de l’Opep, vendant plus de 3 millions
politique, à qui elle profite », constate-t-il. de barils par jour. Depuis les sanctions américaines
La décision américaine est de fait lourde en novembre, les exportations iraniennes sont tombées
d’incertitudes. Toucher au pétrole, c’est prendre le entre 1 et 1,3 million de barils par jour. « Il restera
risque de créer un choc externe sur l’économie toujours quelques exportations, car il est impossible
mondiale déjà chancelante, de brusquer les équilibres de tout arrêter. Certaines passent par des pipelines
économiques, monétaires et politiques. « La à destination de la Turquie ou de l’Irak et sont
croissance économique mondiale étant de plus en incontrôlables, comme elles l’étaient du temps du
plus fragile, les consommateurs et les producteurs premier embargo. Mais il risque, malgré tout, de
doivent prendre des mesures pour éviter des prix du manquer 1 million de barils par jour », estime Philippe
pétrole trop élevés, qui se révéleraient douloureux Chalmin.
pour tous », avertit l’Agence internationale de Un million de barils en moins par jour, c’est beaucoup.
l’énergie, en réaction à la décision de Donald Trump. Surtout qu’en même temps que les nouvelles sanctions
D’autant que la décision américaine intervient à un contre l’Iran, Donald Trump a aussi décrété un
moment où le marché pétrolier est déjà très tendu. embargo contre les exportations pétrolières du
Depuis le début de l’année, les cours du pétrole ont Venezuela. Depuis le 28 avril, les États-Unis refusent
déjà augmenté de plus de 33 %, retrouvant presque leur tout baril de pétrole vénézuélien : ils en achetaient
niveau de l’automne dernier. 500 000 par jour fin 2018. À cela s’ajoutent les
difficultés de production en Libye et au Nigeria. «Les
prix du pétrole sont à la merci du moindre
incident d’approvisionnement », s’inquiète Julian
Lee, éditorialiste de Bloomberg.
D’autant qu’au moment même où des questions se
posent sur la sécurité des approvisionnements, la
consommation de pétrole dans le monde, elle, continue
Évolution du cours du Brent sur un an. © Boursorama d’augmenter. Elle n’a même jamais été aussi élevée.
Dès l’annonce du durcissement de l’embargo En dépit des appels à un nouveau modèle plus
américain, les tensions se sont encore aggravées : le soucieux de l’environnement et du climat, l’économie
Brent (la référence pétrolière sur le marché européen) mondiale est plus carbonée que jamais : le monde
a frôlé les 75 dollars le baril et le WTI (la référence a besoin de plus de 100 millions de barils par jour
sur le marché américain) est à plus de 66 dollars. Ils désormais, le plus haut niveau jamais atteint. Selon les
ont légèrement baissé au cours des dernières séances, estimations de l’Agence internationale de l’énergie, la
mais restent au plus haut depuis six mois. consommation devrait croître de 1,8 % encore cette
année.
« Un baril à 100 dollars n’est pas impossible »,
préviennent les économistes John Payne et Gabriel
Sterne dans une note. Si un tel scénario se réalisait,

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cela se traduirait selon leurs estimations par une budgétaire. Et il met tout en œuvre pour y parvenir. Fin
croissance mondiale inférieure de 0,6 % et une 2018, il s’est entendu avec les membres de l’Opep et
inflation supérieure de 0,7 % par rapport aux la Russie pour diminuer la production et faire monter
prévisions attendues d’ici à la fin de l’année. les cours afin d’atteindre ce niveau de prix.
La question du dollar refait surface Tous ont accepté, car tous y trouvent leur compte. Et en
Donald Trump se fait fort, par la seule puissance de premier lieu la Russie qui, bien que n'étant pas membre
son verbe, de juguler tous les risques. « J'ai appelé de l’Opep, se retrouve la grande bénéficiaire de cette
l'Opep et leur ai dit, vous devez faire baisser les prix politique de réduction des approvisionnements. Mais
du pétrole », a affirmé Donald Trump devant les un cours de 80 dollars convient aussi parfaitement aux
journalistes, le 26 avril. producteurs américains d’huile de schiste qui, malgré
une production record, peinent à être profitables tant
En octobre, le président américain avait déjà pratiqué ils croulent sous les dettes. Les producteurs n’ont donc
les mêmes rodomontades, intimant par tweet aux pays aucun intérêt à changer les choses, si rien ne dérape.
producteurs de pétrole de faire baisser immédiatement
le prix du baril en augmentant leur production. Dans la Même s’ils connaissent tous ces calculs économiques
foulée, le cours du baril, qui était à plus de 80 dollars, et financiers, le peu d’empressement de Riyad à
était redescendu à 50 dollars à la fin de l’année, pour soutenir au moins en paroles les désirs américains a
mieux remonter par la suite. cependant surpris de nombreux analystes du marché
pétrolier. Tous s’attendaient à ce que l’Arabie saoudite
assure qu’elle était prête à exercer son rôle de
régulateur du marché mondial pétrolier, comme elle
l’a toujours fait.
Certains pensaient même que le régime saoudien allait
répondre immédiatement aux injonctions de Donald
Trump, comme il l’a fait en octobre. Mais cette
Donald Trump et le prince héritier saoudien fois, les circonstances sont différentes. Au moment
Mohammed ben Salmane, en mars 2018. © Reuters
où Riyad relançait à toute vitesse sa production en
Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo assure, octobre, le prince héritier Mohammed ben Salmane
en confidence, avoir reçu la garantie de l’Arabie était au cœur du scandale de l’assassinat de Jamal
saoudite et des Émirats arabes unis qu’ils étaient prêts Khashoggi. Le régime saoudien était menacé de
à fournir les approvisionnements nécessaires pour sanctions internationales : il ne pouvait rien refuser à
préserver la stabilité du marché. La première réaction Donald Trump, qui lui offrait sa protection.
de Riyad, cependant, est beaucoup plus distante.
Depuis, le meurtre du journaliste saoudien a été oublié,
« Il n’y a aucune raison d’intervenir immédiatement.
Riyad peut exécuter des dizaines de personnes
Nous n’avons pas l’intention d’intervenir de façon
sans provoquer la moindre condamnation occidentale.
préventive. Pour l’instant, le marché est bien
Et même si Donald Trump répond aux souhaits
approvisionné », a prévenu le ministre saoudien de
de l’Arabie saoudite en renforçant l’embargo contre
l’énergie, Khaled al-Faleh.
l’Iran, comme Riyad le demandait depuis des mois, la
En d’autres termes, l’Arabie saoudite n’a pas confiance n’est plus totalement là entre les deux pays.
l’intention de bouger pour le moment, car la situation
Un épisode a notamment obscurci considérablement
actuelle lui convient parfaitement. Aux prises avec
leurs relations ces derniers temps. À l’automne, des
une dégradation économique et une forte inflation, le
sénateurs américains ont remis à l’étude une loi
régime saoudien a besoin d’un prix du pétrole autour
dite Nopec (No Oil Producing and Exporting Cartels
de 80 dollars le baril pour atteindre son équilibre
Act – loi sur les cartels ne produisant pas et n’exportant

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pas de pétrole) qui vise à modifier la loi antitrust lier sa monnaie et son économie au billet vert.
aux États-Unis. Ce texte permettrait de poursuivre Cette remise en cause implicite sonne comme un
pour entente les pays de l’Opep. Elle interdirait la avertissement pour les États-Unis. Ceux-ci tiennent
restriction de production de pétrole et la fixation leur suprématie et leur pouvoir de sanction autant de
des prix. Elle supprimerait l’immunité souveraine des leur monnaie que de leurs armées.
États membres de l’Opep aux États-Unis. Un chiffon Si leurs décisions unilatérales de sanctionner tel ou
rouge pour tous les pays pétroliers, et en particulier tel pays ont une réalité, c’est grâce au dollar,
pour l’Arabie saoudite. seule monnaie de réserve internationale. Au nom de
Ce texte a été étudié à plusieurs reprises par le Congrès leur pouvoir d’émetteur, ils peuvent poursuivre tous
américain depuis 2000 et a été à chaque fois repoussé, les pays, tous les acheteurs, tous les intermédiaires
sous l’influence notamment de Riyad. Mais depuis financiers parce qu’ils utilisent le dollar comme
son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump fait monnaie de transaction.
une véritable fixation sur l’Opep, qui agit selon lui au Ce « privilège exorbitant » du dollar, discuté depuis
détriment des Américains. Il milite ouvertement pour des années, risque d’être une nouvelle fois interrogé
l’adoption de cette loi Nopec. Tous les émissaires du avec le durcissement de l’embargo américain contre
Golfe défilent à Washington et à Wall Street ces l’Iran. Pour éviter les représailles américaines, l’Inde
derniers mois pour mettre en garde contre les dangers avait déjà mis en place un système de troc avec
de cette loi et les risques de déstabilisation du marché l’Iran, ce qui lui permettait de payer ses importations
pétrolier et, avec lui, de l’économie mondiale. pétrolières dans sa monnaie, sans avoir à utiliser le
Début avril, le ton est monté d’un cran : si les États- dollar. Le gouvernement indien n’a pas fait part de
Unis adoptent la loi Nopec et sont prêts à poursuivre ses intentions après les décisions américaines. Mais
les pays de l’Opep pour violation de la loi antitrust rien ne dit qu’il ne continuera pas, dans les mois qui
américaine, l’Arabie saoudite est prête à vendre son viennent, à utiliser les mêmes canaux pour acheter du
pétrole dans d’autres monnaies que le dollar, ont fait pétrole iranien.
savoir plusieurs responsables de la politique pétrolière De son côté la Chine, bien que soucieuse de trouver
saoudienne auprès des responsables américains, selon un accord avec les États-Unis pour enterrer la
Reuters. guerre commerciale entre les deux pays, ne manque
La menace tient de l’arme nucléaire, tant le pétrole pas de faire valoir qu’elle a désormais les outils
et le dollar sont indissociablement liés depuis les pour contourner l’embargo des États-Unis et qu’elle
années 1970. Et Riyad le sait. Dès le lendemain, n’est plus d’accord pour se soumettre à l’ordre
les Émirats arabes unis jouaient de leur médiation. américain. Depuis l’an dernier, elle a lancé un contrat
Ils faisaient savoir que naturellement, toutes les pétrolier libellé en yuans et convertible en or. Les
exportations pétrolières resteraient libellées en dollars. échanges pétroliers entre la Russie et la Chine passent
Depuis, la question a été sagement passée sous silence aujourd’hui par ce biais.
de part et d’autre. Mais elle continue de trotter dans Demain, les achats pétroliers avec l’Iran, pour Pékin
les esprits. mais aussi pour d’autres pays, pourraient y avoir
Car ce coup de sang montre que tout n’est pas également recours, soulignent des analystes. À ce
au beau fixe entre Riyad et Washington. Jamais, stade, ce ne sont que des hypothèses. Mais elles
jusqu’alors, l’Arabie saoudite n’avait mis en question soulignent de nouveaux craquements dans l’ordre – ou
la suprématie du dollar dans le pétrole, allant jusqu’à plutôt le désordre – mondial.

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