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COUR

ère
1 ANNEE
LICENCE EN
DROIT
Introduction Historique au
Droit

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 1

1er Thème : Les soubassements de la culture juridique


Européenne Partie 1 L’apport romain : l’autonomie
du droit

1. Introduction

Ce cours présente 2 intérêts : révéler la relativité du phénomène juridique. Le droit que l’on connait n’est pas un
modèle absolu, le droit n’est pas le même partout. Constatation que nous enseignent aussi le droit comparé et
l’anthropologie juridique. Et le droit change dans le temps. Second intérêt : montrer l’héritage de notre droit. Un
droit est le fruit d’une histoire. Notre conception du droit est le fruit de notre histoire. Chaque époque a apporté
quelque chose de durable. Nous commencerons l’histoire dans l’antiquité, à Rome. Le droit à exister bien avant
mais Rome constitue un point de départ dans l’histoire du droit occidental.
L’histoire dont nous allons commencer l’étude ne concerne pas seulement la France c’est une histoire
partagée par d’autres pays d’Europe. A partir du 12e siècle, des ensembles nationaux se sont formés en Europe.
Ce sont des ensembles politiques qui ont commencé à organiser leurs droits mais ils l’ont fait différemment les
uns des autres. De nos jours en Europe coexiste 2 grands types de systèmes juridiques. Le premier type fixe le
droit dans un corps fermé de normes écrites par voies d’autorités, les parties les plus importantes du droit sont
réglementées sous formes de codifications détaillées. Le second système conçoit le droit comme une somme de
solutions de cas d’espèces, les règles sont révélés par les décisions judiciaires dans des cas individuels : c’est un
système qui connait peu de lois. Le 1 type est appliqué dans les droits du continent européen dont la France fait
partie, on appelle communément ce système romano-germanique ou encore le système romaniste. Le 2nd est un
système représenté par le droit anglais et anglo-saxon en général. Ces 2 types de systèmes juridiques présentent
donc de grandes différences mais au-delà de leurs différences ces systèmes appartiennent à une famille de droit
plus vaste, une famille de droit occidentale. Cette famille a en commun une certaine conception du droit et
notamment l’idée d’un droit autonome.
2. Présentation de Rome

Rome incarne une expérience unique à la fois dans l’espace et dans la durée. Dans l’espace car elle est passée
d’une modeste citée à un empire gigantesque. Cet empire a couvert une bonne partie de l’Europe actuelle et l’a
d’ailleurs dépassé. Unique dans la durée, Rome en effet passe pour avoir été fondé en 753 avant JC, l’histoire de
l’empire romain s’achève pour l’occident en 476 mais l’empire romain d’orient à duré jusqu’en 1453. Du point de
vue du droit l’empire d’orient ne nous intéresse que jusqu’à la mort de l’empereur Justinien en 575. 14 siècles au
cours desquels Rome a connu différents régimes politiques. Rome à d’abord connu la royauté qui dure jusqu’en
509. En cette année est fondée la république dont les institutions s’agencent au tour de 3 éléments : magistrats,
hommes politiques élus en général pour 1 an, un sénat et le peuple qui s’exprime dans des assemblées. Au 1 er
siècle avant notre ère, Rome traverse une crise engendrée essentiellement par la conquête. Le jeu des
institutions républicaines est faussé et Rome s’achemine par le pouvoir personnel. Ce pouvoir personnel s’installe
en janvier 27 avant Jésus Christ quand Auguste instaure le régime du principat. Ce régime a une façade
républicaine mais derrière ce régime dissimule une réalité monarchique. Toute l’histoire du principat est marquée
par un renforcement continu des pouvoirs impérial à travers 4 dynasties. Le principat est suivi d’une période
d’anarchie militaire qui s’ouvre en 235 après JC et qui s’achève en 284 lorsque dioclétien installe un régime fort. A
ce moment, débute la période du bas empire. Dans cette période, l’empereur détient un pouvoir absolu. Au cours
d’une histoire aussi longue le droit a évolué. Traditionnellement on retient 3 phases : ancien droit qui part des
origines pour s’achever vers 150 avant JC. La principale caractéristique de ce droit ancien c’est d’être marquée
par le formalisme. La deuxième c’est celle de la période dite classique. Elle commence en 150 avant JC et
s’achève au 3e siècle de notre ère. Période de l’âge d’or du droit romain, celle ou il va acquérir ses traits
essentiels. Enfin, la troisième coïncide avec le bas empire, c’est dans cette période que sont réalisées les
grandes compilations du droit romain, celles de Justinien. Ces compilations sont importantes car c’est grâce à
elles que l’héritage de Rome a été conservé. L’héritage de Rome est immense, de cet héritage on retient 3
éléments : l’autonomie du droit, l’invention de la science juridique, un modèle de système juridique.

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3. Qu’est ce que l’autonomie du droit ?

Le droit, participe de son milieu d’origine, il en subi les influences et en traduit les inspirations. De très nombreux
facteurs façonnent le droit en société. Le droit est vraiment lié au contexte extra juridique, il est tributaire de toutes
les forces qui agissent dans la vie sociale. A partir de là 2 attitudes sont possibles. Certaines civilisations
organisent leur ordre social sans distingué le droit d’autres modèles de conduite principalement issus de la
religion, morale. D’autres civilisations comme la notre, connaissent un droit autonome par rapport à ces modèles
de conduite. Exemple de droit non autonome dans l’antiquité : le droit de la Mésopotamie. Un droit profondément
marqué par la religion. Cela se voit sur son plus célèbre monument législatif : le code d’Hammurabi. Il était le roi
de Babylone aux alentours de 1750 avant JC. Ce code présente le droit comme un droit révélé : c’est un dieu qui
passe pour avoir dicté le droit au roi. Parce qu’il a été donné par un dieu, le droit n’est pas destiné à changer et le
code maudit à l’avance celui qui oserait changer la loi. De fait, le droit a peu changé, le code d’Hammurabi a été
promulgué au 18e avant JC mille ans plus tard il s’appliquait encore. Un autre signe de l’imprégnation religieuse
de ce droit c’est l’ordalie. Qu’on appelle souvent jugement divin, est un mode de preuve qui fait appel aux dieux.
Quand il n’y a pas d’autres preuves, le plaideur est soumis à une épreuve matérielle destinée à révéler la vérité.
En Mésopotamie, l’ordalie prend souvent la forme fluviale. Le plaideur doit entrer dans le fleuve et il doit y
parcourir une certaine distance. S’il surnage son innocence est prouvée, s’il coule c’est qu’il est coupable. Voila
un droit qui n’est pas autonome par rapport à la religion. C’est un droit qui n’est pas plus autonome par rapport à
la morale. Les infractions à la morale, notamment les manquements à la morale sexuelle et familiale occupent
une très large place dans les normes juridiques en Mésopotamie. D’autres civilisations comme la notre
connaissent un droit autonome. L’autonomie ne signifie pas que le droit soit coupé de toute influence extérieur.
L’autonomie veut dire que le droit a un objet propre, des sources propres, méthodes propres qui ne se confondent
pas avec l’objet, les sources ou les méthodes d’autres modes de contrôle social. C’est Rome qui, pour la
première fois de l’histoire de l’humanité, a marqué les frontières du droit. Elle a dégagé son objet propre.

4. Le droit isolé

Rome a d’abord séparé le droit d’autres systèmes de régulation sociale comme la religion et la morale. Isolé de la
religion : comme dans les autres sociétés antiques, le droit plongea Rome ses racines dans la religion. Mais le
droit a été de bonne heure séparé de la religion. Cette séparation a été l’œuvre des pontifes. Durant des siècles,
ces prêtres ont eu autorité à la fois sur la religion et sur le droit. Ces hommes avaient un grand souci d’efficacité
qui posait un partage des taches. A la religion ont a assimilé la tache de maintenir la paix entre les dieux et les
hommes. Au droit on a assigné la tache de maintenir la paix entre les hommes. Ce sont 2 vocations
complémentaires mais distinctes. La laïcisation du droit a été précoce à Rome. Le premier grand texte juridique
de l’histoire romaine, la loi des 12 tables de 450 avant JC ne comprend déjà plus que quelques résidus sacrés.
Un siècle plus tard, au milieu de la république, le monde du divin et de l’humain sont rigoureusement étanches, ils
ne se chevauchent pas et ils ne peuvent donc pas entrer en conflit. La question d’une hiérarchie ne se pose donc
pas. Voilà un grand apport de Rome au monde occidental. Comme le droit est séparé de la sphère religieuse, le
droit peut être analysé, critiqué, modifié sans que ce changement soit ressenti comme un sacrilège, comme une
atteinte à l’ordre divin. Isolé de la morale : inscrit dans les sources du droit, le droit est fixe et objectif sa violation
est sanctionnée en justice. Par opposition au droit, la morale est mouvante, subjective les romain ne sont pas
indifférents à la morale mais la sanction des actes contraires à la morale ne passent pas par le droit. Elle est
confiée à des magistrats spéciaux, élus tous les 5 ans, ce sont les censeurs. Ils ont la possibilité d’infliger des
blâmes ou des dégradations civiles pour sanctionner certains actes permis au point de vue du droit mais qui sont
répréhensibles du point de vue de la morale. Ex : un père de famille peut se voir sanctionner par les censeurs s’il
éduque mal ses enfants alors que du point de vue du droit la puissance paternelle est absolue, tellement absolue
que le père a le droit de vie et de mort sur ses enfants. Les romains ont été encore plus loin Non seulement le
droit n’est pas confondu avec les exigences de la religion ou de la morale, mais il n’est pas non plus asservi au
faits. Les romains ont très tôt isolé le droit du fait. La procédure civile romaine a longtemps divisé l’instance en 2
parties : première phase se déroulant devant le magistrat chargé de la justice c’est alors que sont réglées les
questions de droit. Les magistrats organisent le procès avec la collaboration des parties, ils leur indiquent le droit.
Une deuxième phase se déroule en suite devant un juge, qui est un simple particulier. C’est le juge qui va
s’occuper des faits.

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C’est à lui de vérifier le bien fondé des allégations des parties, examiner les preuves avant de rendre la sentence.
Ont distingue le droit du fait mais cette distinction ne se matérialise pas seulement dans la procédure, c’est cette
distinction qui va permettre l’emploi de la fiction. La fiction c’est un artifice qui consiste à faire comme si un fait
existait ou bien comme s’il n’existait pas au contraire pour parvenir à un résultat que l’on juge souhaitable. Le droit
romain a produit des fictions de toute sorte, ex : un enfant à naitre est considéré comme déjà né à chaque fois
qu’il y va de son intérêt ou encore on peut déplacer fictivement la date de la mort d’un homme dans certains cas.
Le droit peut ainsi déplacer la naissance ou la mort. On voit le droit n’est donc pas asservi à l’ordre des choses il
n’est pas asservi aux évidences de la nature. C’est ainsi que le droit a été libéré de l’empirisme. Alors il a pu se
construire en science. Pour construire une science, la philosophie grecque proposait un modèle, elle se répand à
Rome à la fin du 2e avant JC. Pourtant les juristes romains n’ont pas adopté le modèle qu’elle proposait. Le droit
romain est resté pragmatique, pour les juristes il n’était pas question d’enfermer le droit dans un système, il n’était
pas question d’enfermer le droit dans un système. Il ‘était pas question d’accepter les catégories des philosophes,
et de s’appuyer sur un dogme philosophique pour en tirer des corolaires juridiques. Le droit a conservé son
autonomie. Le travail d’isolement, les romains l’ont poursuivi à l’intérieur du droit lui-même. En effet parmi les
règles de droit toutes n’ont pas le même but ni le même domaine d’application, c’est ainsi que les juristes romains
ont été amenés à distinguer le droit public du droit privé. Le critère de cette distinction sera tiré des intérêts que le
droit prend en considération, l’utilité publique ou des particuliers.

5. Le droit divulgué

Il faut savoir que pendant longtemps la connaissance du droit a été tenue secrète. Sa divulgation a donné lieu à
un combat politique sous la république. Lorsque la république s’installe en 509 avant JC ce n’est pas une
démocratie. C’est un régime aristocratique. Le pouvoir est aux mains d’un groupe : le patriciat. Seuls les
patriciens peuvent accéder aux magistratures et aux sacerdoces. Face à eux, il y a les plébéiens qui sont tenus à
l’écart. Entre ces 2 groupes sociaux la tension politique va devenir très vive et un des points de friction concerne
le droit et la justice. Seuls les pontifes, tous patriciens connaissent le droit et les magistrats chargés de rendre la
justice étaient tous patriciens. On les soupçonnait de profiter du caractère secret du droit dans l’intérêt de leur
groupe. Par exemple pour empêcher un plébéien d’engager une procédure judiciaire contre un patricien. La plèbe
réclamait donc la divulgation du droit. La plèbe a sur ce point obtenue satisfaction au terme de 3 étapes. Il s’agit
de la publication des règles de droit, de la publication des formules judiciaires et enfin de la divulgation de leur
mode d’emploi. La publication des règles de droit. Au milieu du 5e siècle avant JC, le patriciat est obligé de céder
à la pression de la plèbe. Un collège de 10 magistrats extraordinaires est chargé de codifier le droit. Cette tache
débouche sur la loi des 12 tables en 450 avant JC. Cette loi les romains la considérait comme la base de leur
droit. Elle va consacrer l’égalité juridique entre patricien et plébéien. Elle va mettre un terme à l’arbitraire dans
l’exercice de la justice. Le magistrat est désormais lié par la loi. On y trouve les principaux actes juridiques, les
droit qu’on appelle absolus : la liberté, la propriété, la puissance paternelle. On y trouve les crimes de droit
commun punis de mort ainsi que les procédures en justice. Et tout le monde peut prendre connaissance du
contenu de la loi puisque la loi a été gravée sur 12 tables de bronze affichée au forum la ou se rend la justice. La
publication des formules judiciaires : en 450 la loi n’avait publié que les règles de droit or pour mettre en œuvre
ces règles dans les procès il fallait employer des formules précises. L’ancien droit romain en effet était très
formaliste. Et en justice la moindre erreur dans la formule faisait perdre irrémédiablement un procès. Ces
formules rituelles n’avaient pas été divulguées, elles restaient secrètes. Seuls les pontifes les connaissait, le
plaideur restait donc tributaire des pontifes. Et le plaideur l’est resté jusqu’en 304 avant JC. En 304, les formules
ont été publiées par Gnaeus Flavius. Il était le scribe d’un pontife, Appius Claudius Caecus, Flavius a très
probablement agi à l’instigation de son patron, Claudius était patricien mais il était connu pour avoir été un
patricien de gauche comme on dira aujourd’hui. La divulgation du mode d’emploi. En 254 avant JC, les plébéiens
peuvent enfin accéder au pontificat. Le premier grand pontife plébéien s’appelle Tiberius Coruncanius. Et ce
premier a introduit une grande nouveauté, il admet que des auditeurs assistent à des consultations juridiques et il
leur explique oralement les raisons qui motivent ses avis. Jusqu’alors, l’initiation au droit se faisait en secret voila
qu’on peut y accéder plus ouvertement, on peut apprendre comment se servir des règles de droit et de la justice.
Le droit est alors complètement divulgué. Très vite les pontifes vont perdre leur monopole et on va voir apparaitre
les premiers jurisconsultes laïques.

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6. Les sources du droit romain

L’autonomie du droit aussi marquée par l’existence de sources propres. C’est les romains qui ont inventé la
métaphore de source pour désigner les modes de création des règles de droit. Elles n’ont aucun liens avec le
sacré, le droit résulte toujours d’une activité humaine. Le droit est fait pour les hommes par les hommes. Au cours
de son histoire le droit romain a connu plusieurs sources du droit. La loi : son nom technique est lex publica. Elle
est proposée par un magistrat et votée par les citoyens réunis en assemblée : commis. De la loi il faut rapprocher
le plébiscite voté par l’assemblée propre à la plèbe, le concile de la plèbe. Le plébiscite à la même valeur que la
loi : acquise en 286 avant JC. La loi joue un grand rôle en droit public mais occupe une place très modeste en
droit privé. C’est pourquoi on dit que le peuple du droit n’a pas été un peuple législateur. La lex publica a été
utilisée pendant 7 siècles. On dénombre environs 800 lois. Sur ces 800 à peine une 30 concernent le droit privé.
Les sources les plus fécondes du droit privé sont ailleurs : jurisprudence

Jurisprudence : ne désigne pas les décisions des tribunaux à Rome, le terme désigne la science du droit. Elle
résulte de l’activité des juristes. Cette activité connait 2 formes : l’équivalent de notre doctrine et l’activité de
consultation. Les juristes écrivent des commentaires et délivrent des consultations qui portent le nom de
responsat : réponse. Dans les 2 cas il contribue à la création du droit par l’interprétation.

L’édit du préteur : source principale du droit privé romain entre le 2e avant JC et le 2 après. Le préteur c’est le
magistrat judiciaire élu pour 1 an, il intervient dans la 1e phase du procès. Lors de son entrée en fonction, le
préteur publie un édit. Il constitue son programme d’activité pour l’année à venir. Il énumère les cas dans lesquels
le magistrat délivrera des actions. Comme notre droit moderne, le droit romain distingue le droit et l’action. En
droit moderne le droit est défini par la loi et le moyen d’assurer la sanction de ce droit, l’action en justice, va de
soit. Le droit précède l’action, l’action n’est la que pour le faire respecter. Il en va tout autrement du droit prétorien.
Le préteur peut délivrer des actions dans un domaine ou la loi ne s’est pas prononcée et c’est ce qu’il fait lorsqu’il
estime qu’une situation doit être protégée. Dans ce cas l’action précède le droit. Le droit ne nait qu’à partir du
moment où l’action est offerte par le préteur. Le préteur romain ne promulgue pas des règles de fond, il délivre
des moyens de procédure. Mais en réalité cela revient à créer du droit, c’est en créant des actions toujours plus
nombreuses que le préteur a allongé la liste du droit. L’édit c’est un catalogue de toutes les actions qu’il propose,
il annonce à l’avance toutes les situations qu’il protégera. Cet édit valable toute l’année porte le nom d’édit
perpétuel. Que faire s’il se présente une situation inédite ? Le magistrat peut prendre un édit spécial. Il ne vaut
que pendant l’année de charge du préteur qui l’a promulgué. Chaque année l’ouvrage est refondu. Mais le préteur
suivant reprend l’essentiel de son prédécesseur mais l’édit n’en est pas moins remis à jour, révisé. C’est donc une
source du droit très souple, capable de répondre rapidement aux nécessités pratiques. Les sénats us : ils portent
ce nom les textes votés par le sénat. Le sénat est une espèce de grand conseil ou siègent ce qui ont géré une
magistrature. Le sénat ne rend que des avis sous la république, des avis exprimés sous une forme courtoise. En
pratique il est très difficile pour les magistrats de ne pas suivre les avis du sénat. Sous le principat, le senatus
consulte devient une source directe du droit lorsque les assemblées du peuple vont tomber en léthargie. Le
sénatus consulte prendra alors le relai de la législation comiciale avec la bénédiction de l’empereur. L’empereur
dissimule souvent ses propres décisions derrière l’autorité du sénat, un sénat qu’il convoque, qu’il préside et il
surveille de près la composition. Les constitutions impériales : portent le nom de constitution à Rome non pas la
loi fondamentale de l’état mais un texte normatif qui émane de l’empereur. Source qui n’apparait donc qu’avec le
principat. Cette source est promise à un bel avenir puisqu’elle se substituera progressivement à toutes les autres
sources. Il existe 4 types de constitution impériale : les édits, décrets, rescrits et les mandats. Les édits : textes de
portée générale, décrets : jugement rendus par l’empereur, rescrits : réponse écrite adressée par l’empereur à
une requête qui porte sur un point de droit. Les mandats : instructions de caractère administratif adressé aux
magistrats ou fonctionnaires impériaux. La coutume : source du droit fondée sur la répétition d’une même
pratique. A Rome, son rôle est reconnu sans difficulté en droit public, mais en droit privé la coutume est
régulièrement absente des catalogues de source du droit proposé par les juristes classiques. Parce que le
système juridique romain n’a pas besoin de la coutume. Il dispose de 2 sources qui lui permettent d’absorber
quasi instantanément les nouveautés de la pratique. Ces 2 sources : l’interprétation jurisprudentielle et l’édit du
préteur. La coutume n’a même pas le temps de se former. Elle pénétrera pourtant dans l’ordre juridique romain
par l’intermédiaire des provinces conquises. Rome a en effet toujours admis que les peuples conquis conservent
leurs droits, ces droits locaux deviendront des coutumes provinciales de l’empire Romain.

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7. L’invention du juriste

Création originale de Rome, aucun autre peuple de l’antiquité n’a connu de spécialiste autonome du droit. En latin
le juriste est nommé jurisprudence celui qui est compétent en droit on dit prudent. Il est encore nommé juris
consultus jurisconsulte un mot qui met l’accent sur son activité de consultation. Ce juriste est autonome et c’est lui
qui va être le véritable artisan du droit romain classique. Le juriste est un personnage autonome, son activité
professionnelle est consacrée à la science juridique et c’est une activité purement privée, sans attache directe
avec les pouvoirs de l’état. Cette activité ne s’inscrit pas dans les cadres dont nous sommes aujourd’hui habitués.
De nos jours nous connaissons plusieurs professions juridiques : avocats, notaires ... Rome connait aussi ces
catégories mais elles ne supposent pas la maitrise de la science juridique. L’avocat c’est un orateur, un expert en
rhétorique, son activité à lui consiste à composer et à prononcer des discours convainquant. Le notaire est un
scribe, le juge un simple particulier. Sous l’empire le juge deviendra fonctionnaire. Quant aux magistrats ce sont
des hommes politiques. A l’occasion, le juriste peut exercer une de ces activités. Ex : il peut être désigné comme
juge ou il peut être élu magistrat. Mais son activité propre est ailleurs. Elle se limite aux questions de droit. Cette
activité recouvre 3 fonctions : donner des consultations juridiques, rédiger des actes juridiques, prêter dans des
procès une assistance juridique aux parties, avocats ou juges. Cette activité est d’autant plus impartiale que le
juriste l’exerce gratuitement, il ne se fait pas rémunérer. Les juristes appartiennent à des familles aristocratiques.
Les juristes jouissent à Rome d’un grand prestige et d’une grande autorité, quand un juriste réputé a rendu un
responsum, le juge a naturellement tendance à le suivre si les faits allégués par le plaideur sont avérés. En
réalité, le juriste est l’artisan du droit romain classique. Nous avons évoqué les nombreuses sources formelles du
droit romain, leur diversité ne doit pas faire illusion, la loi et la coutume occupent une place modeste en droit
privé. Le droit privé romain repose sur la jurisprudence, l’édit du préteur et les constitutions impériales. Le juriste
est le véritable artisan de ces 3 sources. Pour la jurisprudence c’est l’évidence puisqu’il s’agit du fruit de son
activité, à la fois doctrinale et consultante. Mais l’édit du préteur et les constitutions impériales sont en réalité
élaborés par les juristes. Normalement c’est le préteur qui fait l’édit mais le préteur est un homme politique il ne
possède pas forcément les connaissances juridiques nécessaires. Aussi les juristes collaborent à sa confection.
Même remarque pour les constitutions impériales : formellement elle émane de l’empereur, en pratique elle est
élaborée par les juristes qui nourrissent la chancellerie impériale et qui siègent au conseil impérial. En somme
l’essentiel du droit romain a été l’œuvre d’experts. Ce sont eux qui ont travaillé à le construire durant des siècles
et c’est à eux qu’il doit ses qualités techniques.

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Partie 2 L’apport romain : Invention de la science du


droit et modèle de système juridique

1. Introduction
Toujours consacré à l’apport romain, cette deuxième émission portera sur l’invention de la science du droit et sur
le modèle de système juridique que Rome nous a légué. Commençons par l’invention de la science du droit, nous
avons vu que le droit avait acquis chez les Romains un objet autonome. Cette discipline a son spécialiste et c’est
ce spécialiste qui va lui donner un caractère scientifique. Là encore Rome tranche avec les civilisations qui l’ont
précédé. Par comparaison, reprenons l’exemple du droit mésopotamien, ce droit est resté empirique, il n’a fait
l’objet d’aucunes réflexions théoriques. Il ignore complètement la doctrine, il ignore même toute abstraction, il
l’ignore à ce point qu’il n’existe pas de termes spécifiques pour désigner par exemple les contrats ou les
mariages. On connait les contrats et les mariages, on les pratique, mais on ne les désigne pas par des mots
abstraits. Dans l’Antiquité, c’est en Grèce, que pour la première fois, on rencontre une réflexion théorique sur le
droit, cette réflexion a été l’œuvre des philosophes. Pourtant aucun d’entre eux ne s’est consacré exclusivement
au droit. Surtout les philosophes grecs qui se sont intéressés au droit, l’ont fait dans le cadre des méthodes
propres à la philosophie. Ils ont en quelques sortes coulé le droit dans la philosophie. Par opposition, Rome va
inventer la science propre au droit. Nous examinerons successivement quatre points : Une science suppose
d’abord, une réflexion théorique, cette réflexion est le fait des spécialistes du droit qui écrivent des ouvrages
spécialisés. C’est avec Rome que naît la doctrine juridique. Une science ensuite dispose d’outils qui lui sont
propres, Rome nous a légué le principe d’un langage technique pour le droit, elle nous a aussi légué une méthode
de raisonnement. Une science enfin, s’apprend et se transmet. Les Romains ont été les premiers a organisé
l’enseignement du droit.

2. Naissance de la doctrine juridique

C'est principalement dans le domaine du droit privé que s'est épanoui le génie juridique romain. Car c’est le droit
privé qui a été construit par les juristes. Les juristes n'ont pas pu faire la même chose pour le droit public car la
maîtrise du droit public leur échappait. Il faut noter au passage la conséquence de cela. C'est parce que les
juristes romains ne nous ont pas légué un droit public déjà construit scientifiquement que le droit public a pendant
si longtemps accusé un tel retard par rapport au droit privé. Il a fallu le construire et évidemment cela a pris du
temps. La science du droit public est une science très jeune dans l’histoire du droit. En droit privé au contraire, la
science du droit est très ancienne. Elle est née à Rome, nous allons voir comment.

La science du droit privé trouve sa source dans la loi des XII Tables. La loi était difficile à comprendre, il fallait
l'interpréter. Cette tâche d'interprétation incombe d'abord aux pontifes et ils l’accomplissent sous une forme orale.
C'est après la divulgation des formules judiciaires qu'apparaît une littérature spécialisée.

L'interprétation du droit fait l'objet d’écrits, désormais, elle fait l'objet de deux séries d’écrits. Les premiers
sont consacrés à l'interprétation des XII Tables, les seconds à l'interprétation des formules judiciaires.

Dans les deux cas cependant, l'interprétation ne dépasse encore guère l'explication de texte, il s'agit d'une
interprétation littérale, elle colle au texte, elle les traduit en un langage plus clair.

Au début du IIe siècle avant Jésus-Christ, on voit apparaître deux premières synthèses, l'une sur l'interprétation
des XII Tables, l'autre sur les formules judiciaires.

Le commentaire des XII Tables va se poursuivre jusqu'au IIe siècle de notre ère, mais la loi est de plus en plus
vieillie et c'est le commentaire du formulaire qui va engendrer la littérature la plus féconde. C'est une littérature
baptisée « libris juris civilis », les livres du droit civil.
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 7
Au milieu du IIe siècle avant Jésus-Christ, trois juristes passent pour avoir fondé la science du droit civil. D'abord
ils constituent de meilleur formulaire, ensuite et surtout ils abandonnent l'interprétation littérale pour adopter un
exposé continu. Peu de temps après, Quintus Mucius Scaevola introduit dans cet exposé des classifications et il y
joint des propositions doctrinales. À partir de cas d'espèce en effet, il dégage des règles. La voie est alors ouverte
à la généralisation.

A partir de là, la doctrine progressera dans le sens de l'abstraction et de l'énoncé de règle générale. Cela lui
permet de simplifier les traités, on en donnera un seul exemple : l'ouvrage de Quintus Mucius Scaevola
comportait 18 livres, un siècle plus tard, Massurius Sabinus compose un ouvrage sur le même thème mais cet
ouvrage ne comprend plus que trois livres. Ce mince traité va devenir à son tour la base de grands commentaires
par les plus grands juristes. Il faut mesurer le chemin parcouru, à partir d'un simple formulaire, s'est élaboré tout
un corps de doctrine.

Ce qui s'est produit pour la loi des XII Tables et le formulaire de Flavius, s'est également produit pour l’édit du
préteur. Il a fait l'objet d'amples commentaires.

Enfin la doctrine a fait des synthèses, des synthèses qui juxtaposent le droit civil et le droit prétoriens. Ces traités
complets de droit privé portent le nom de « Digeste ».

À la fin de l'époque classique, la doctrine aura fini par submerger sous ses commentaires toutes les anciennes
sources du droit : les lois, l’édit du prêteur, les sénatus-consultes. Tout a été englouti par le commentaire doctrinal.
C'est ce que l'on appellera au IIIe siècle le vieux droit.

On doit ici réserver quelques mots au droit public. La distinction entre droit public et droit privé a été faite par les
Romains dès l'époque la plus ancienne.

Au début du IIIe siècle de notre ère, le grand juriste Ulpien va prendre comme critère de cette distinction les
intérêts que le droit prend en considération. Le droit public prend en considération l'utilité publique ; le droit privé
prend en considération l'utilité des particuliers. Mais ce grand juriste, pas plus que les autres d'ailleurs, ne livrera
pas d'exposés synthétiques du droit public. La science du droit public fait à Rome un peu figure de parent pauvre
par rapport à celle du droit privé.

Pourquoi ? Il y a à cela deux


raisons.
• La première c'est que les juristes romains abordent le droit à partir de la procédure. Et en droit public,
ils se sont heurtés à une impossibilité technique, celle de soumettre toute cette branche du droit à un contrôle
juridictionnel.

• La deuxième raison tient aux circonstances politiques et elle concerne essentiellement le droit
constitutionnel. Le droit constitutionnel a d'abord beaucoup souffert de la crise de la république qui s'est
terminée avec une succession de coups d'Etat. Ensuite, le droit constitutionnel a souffert du régime impérial
parce que l'empereur ne veut pas que le droit constitutionnel soit exposé à la discussion et à l'analyse
scientifique, il ne veut pas laisser enfermer son absolutisme dans un cadre juridique.
Mais l'activité des juristes a pu s'exercer dans des domaines du droit public qui donnaient lieu à des jugements,
par exemple le droit fiscal, ou encore le droit des fonctions publiques. C'est encore un héritage de Rome que cette
idée que les règles de droit privé ne conviennent pas forcément aux rapports dans lesquels l'État se trouve peu
ou prou engagé. La propriété de l'État est autre chose que la propriété appartenant à un particulier. Un agent de
l'État n'est pas un particulier comme un autre.

3. Le langage juridique

Notre droit use d'un langage technique. Quel est l'intérêt d’un langage propre au droit ? C'est un facteur de
précision et c’est aussi un facteur de sécurité pour l'application du droit. Plus le langage est précis, moins il y a de
place pour les fantaisies individuelles. L'usage du droit est simplifié, avec un mot précis, par exemple, on sépare
une périphrase plus ou moins confuse.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 8


C'est à Rome que nous devons le principe d'un langage technique spécifique au droit. Un langage, cela signifie
deux choses : d'abord des mots, un vocabulaire ; et ensuite une certaine façon d'assembler ces mots, un style.

Le vocabulaire, d’abord. Les juristes romains ont littéralement construit leur vocabulaire, ils l'ont fait par deux
voies différentes.
• La première a consisté à forger un terme spécifique pour baptiser une institution ou une notion
juridique.
• La seconde voie, et c’est de loin la plus fréquente, a constitué à prendre un mot du vocabulaire courant et à lui
attribuer un sens juridique, ce sens juridique est second par rapport au sens courant. Prenons un exemple : Le
mot fructus, fruit, tout le monde sait ce que c'est qu'un fruit dans le langage courant. Dans le langage juridique, les
juristes romains ont donné au mot fruit une signification abstraite qui désigne globalement tout revenu pécuniaire
que l'on tire d'un bien.

Durant des siècles ils se sont ainsi livrés à un travail gigantesque de construction et d'affinage du vocabulaire. Ce
travail a produit un très riche arsenal de mots techniques, ou d'expressions techniques. De ce travail, nous
sommes les héritiers. Pourquoi ? Parce que non seulement nous avons repris de Rome le principe du vocabulaire
technique pour le droit mais aussi parce que nous avons également repris le vocabulaire romain lui-même. Nos
termes juridiques sont issus des termes romains. Leur sens a parfois été refondu, notamment dans les universités
médiévales, mais les mots viennent du latin juridique. Et derrière les mots, il y a les concepts qu'ils recouvrent.

Nous vous avons également repris de Rome un certain style propre au droit. Il ne suffit pas de connaître des mots
techniques, il faut aussi savoir les assembler. Le style juridique est fait de concision, de clarté. C’est l’ennemi
même de la verbosité. Il joue la sobriété sans s'embarrasser de développement inutile. Et c'est ce style
qu’employaient les juristes romains par exemple pour rédiger un responsum, la réponse à une demande de
consultation juridique : en quelques lignes, ils présentaient le cas et ils donnaient la solution.

4. Une méthode de raisonnement

Le droit romain, le droit ancien et le droit classique, a été un droit casuistique, un droit des cas, né de la pratique
contentieuse. Les Romains alors ne produisaient pas des normes générales qu'ils appliquaient ensuite au cas
d'espèce. Ils résolvaient des cas d'espèce et à partir de ces cas concrets ils dégageaient des règles générales.

Le droit prétorien est une somme de cas d'espèce pris en compte par le préteur. Les décrets et les rescrits
impériaux plus tard, reposeront également sur des cas d'espèce puisqu'il s'agit de jugement ou de consultation
juridique. Et les juristes résolvent également des cas d'espèce dans leur consultation. Rien d’étonnant alors que
les juristes romains nous aient livré tant de recettes pour résoudre un problème juridique.

Comment résoudre un problème juridique ? Voilà ce que nous ont appris les juristes romains à travers leurs
consultations.

Les juristes s'attachaient d'abord à poser le problème de façon correcte et c'est ensuite seulement qu'ils
pouvaient en trouver la solution.

Poser le problème en termes juridiques est donc la première tâche. Quand un client venait consulter un juriste
romain, comme de nos jours, il lui racontait à sa manière des faits. L'exposé du client traduisait une expérience
humaine, il comportait de multiples détails et une bonne part d'affectivité. La tâche du juriste était d’isoler dans ce
récit les seuls éléments importants au point de vue juridique, il s'agissait de transformer une situation de fait en
cas juridique. Pour ce faire, il faut éliminer tous les détails qui n'intéressent pas le droit. Mais aussi il ne faut
oublier aucune des circonstances qui, elles, présentent un intérêt du point de vue du droit. C'est un travail
d'analyse et ce travail d'analyse est essentiel.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 9


Prenons un exemple simple : Un client éploré vient raconter au juriste que son esclave qui avait de beaux
cheveux bouclés a été tué par le méchant boulanger, et qu'il est mort dans d'atroces souffrances. Le juriste va
éliminer les détails insignifiants : par exemple la profession du tueur, sa méchanceté, les beaux cheveux de
l'esclave, ses souffrances atroces. En revanche, le juriste retiendra que l'esclave du client a été tué, ce qui
constitue un préjudice pour son maître et que celui qui l'a tué s'appelle X. C’est donc celui-ci que le maître devra
assigner en justice pour obtenir réparation du préjudice. Dans cette hypothèse, la solution était simple, elle était
donnée par une loi. Il suffisait aux juristes de l'indiquer au client.

Mais il arrive que la solution ne soit pas expressément donnée par les textes dont dispose le juriste. Il faut alors
recourir à l'interprétation pour trouver la solution.

Pour justifier une solution à partir de cas prévus par la loi, ou prévus par l’édit du préteur, ou encore à partir de
cas déjà résolus par la jurisprudence, les juristes romains utilisent des types d'arguments qu’ils ont été puisés
dans la philosophie grecque. Il s'agit d'arguments rationnels que nous employons toujours pour appuyer notre
raisonnement juridique et interpréter les textes dont nous disposons. En voici quelques-uns parmi les plus
courants :
• L'argument d’analogie. C'est cet argument qui permet d'étendre une solution à un cas voisin plus ou moins
semblable.
• L'argument a contrario. Quand un texte dit quelque chose, il est censé nier le contraire. Prenons un exemple.
On a demandé à un juriste romain si une femme pouvait témoigner en justice. Aucun texte ne le prévoyait
expressément. Mais le juriste s'est appuyé sur une disposition d'une loi Julia consacrée à l'adultère. Cette
disposition précise que la femme condamnée pour cause d'adultère ne peut témoigner en justice. Le juriste en
a conclu a contrario qu’en dehors de ce cas, la femme pouvait témoigner en justice.
• L'argument a fortiori. C'est l'argument à plus forte raison, celui qui sert à étendre une solution valable dans un
cas à un autre cas où la justification se retrouve encore avec davantage de force. Ainsi, le juriste Ulpien a-t-il pu
écrire : « Celui à qui il est permis de faire le plus, peut à plus forte raison faire le moins ». Ce ne sont là que
quelques exemples d'arguments rationnels. Ils sont évidemment bien plus nombreux.

Ajoutons enfin que pour interpréter les textes, les juristes romains nous ont appris à distinguer entre l'esprit et la
lettre. À une application brutale du sens littéral d'un texte, il faut parfois préférer une interprétation conforme à son
esprit. À Rome, on prenait comme exemple, celui qui prétendait respecter la trêve de 40 jours qu'il avait conclue
avec l'ennemi, tout en ravageant le territoire ennemi pendant la nuit. Le texte de la trêve parlait bien littéralement
de jours, mais l'esprit du texte comprenait évidemment les nuits qui séparaient ces jours.

5. L’enseignement du droit

Les Romains ont été le premier peuple à organiser un enseignement du droit. Le premier professeur de droit de
l'histoire a été ce Tiberius Coruncanius qui a admis des auditeurs lorsqu'il rendait ses consultations et qui leur a
expliqué les raisons qui motivaient les solutions qu'il rendait.

Pendant des siècles, l'enseignement du droit à fait l'objet de ces cours privés. On y admettait les jeunes gens de
la bonne société. On était admis sur recommandation auprès d'un juriste. Le jeune homme devait être présenté
aux juristes et le juriste devait l'accepter. Sous l'Empire, l'enseignement quitte ce cadre confidentiel. Les
consultations sont rendues en public et l'assistance est nombreuse. De qui est composée cette assistance ? Elle
est composée non seulement d'apprentis juristes, mais aussi de curieux.

Au IIe siècle avant notre ère, cet auditoire reçoit en quelque sorte un domicile fixe, des lieux où l'enseignement
est dispensé. Mais l'enseignement reste privé, les professeurs sont des particuliers sans attaches avec l'État et ils
sont libres d'enseigner comme bon leur semble. Il faut attendre le Bas Empire pour que l'État organise un
l'enseignement officiel du droit et s'intéresse à ces programmes. Nous y reviendrons.

L'enseignement du droit à Rome a produit un genre d'ouvrage qui occupe une place tout à fait à part dans la
littérature juridique. Il s'agit du manuel d'enseignement.

La littérature juridique romaine avait un point faible. Ce point faible était sa


présentation.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 10


Les ouvrages étaient évidemment composés avec un certain l'ordre, un ordre utile où le juriste retrouvait
facilement le thème qu'il cherchait. En revanche, on n’y relève aucun souci de présenter cette substance selon un
ordre systématique, c'est-à-dire cet ordre auquel nous sommes habitués aujourd'hui. Il faut pourtant faire une
exception pour les manuels d'enseignement. Car c'est dans ce type d'ouvrage que l'on rencontre pour la première
fois, chez les juristes, un souci de présentation systématique. Ce type d'ouvrage porte le nom d'Institutes.

Les premières Institutes que nous connaissons datent du IIe siècle de notre ère. Elles ont été rédigées vers 160
par un juriste qui s'appelait Gaius. Pour la première fois, on est en présence d'une œuvre qui regroupe les
matières d'une façon cohérente, qui constitue une systématisation. Pourquoi ? La raison en est simple. C'est par
souci pédagogique. L'ouvrage est destiné aux jeunes gens qui commencent leur apprentissage du droit et il leur
présente la discipline selon une forme didactique. Gaius commence par annoncer le plan qu’il va suivre. Tout le
droit dont nous usons, dit-il, concerne soit les personnes, soit les choses, soit les actions. En quelques mots, sont
ainsi distingués le droit civil et la procédure civile. Puis est posée au sein du droit civil la summa divisio entre les
personnes et les biens. Gaius n'a pas inventé la distinction entre des personnes et des biens ; elle était connue
déjà de l'ancien droit Romain mais Gaius en a fait la base d'une classification. Cette classification, Gaius la
poursuit ensuite, systématiquement à l'intérieur de chaque thème. De divisions en subdivisions, tout le droit est
ainsi ordonné avec simplicité. Cette méthode d'exposition du droit est promise à un grand avenir, elle va devenir
la nôtre. Le plan de Gaius sera d'ailleurs repris jusque dans notre Code civil.

6. La mutation du système juridique romain

Au cours de sa longue histoire, le système juridique romain a


évolué. On peut même opposer deux systèmes juridiques
successifs.
• Le premier ressemble au système anglais actuel. Le droit naît de la pratique contentieuse, il est constitué par
une somme de solution de cas d'espèce. Ces cas sont ceux que prévoit notamment l’édit du préteur, ou ceux
qui sont résolus dans les responsas des prudents.
• Le second système est bien différent. Le droit consiste en un ensemble de normes édictées par le pouvoir
central. À terme, l'ensemble de ces normes fera l'objet d'une codification. C'est ce modèle-là que l'Europe
continentale va adopter après l'avoir retrouvé au Moyen Âge. Ce modèle, c'est celui du Bas Empire romain.

Comment Rome est-elle passée d'un système à l'autre ? À partir du premier empereur Auguste, l'histoire des
sources du droit romain, c'est l'histoire d'une confiscation. L'autorité impériale va s'emparer peu à peu des forces
créatrices du droit. Nous verrons d'abord comment s’est produit cet accaparement. Nous verrons ensuite que
l'empereur a si bien substitué ses propres constitutions à toutes les autres sources du droit, qu’au Bas Empire, la
législation impériale devient la source quasi exclusive du droit.

Dès Auguste, l'empereur prétend faire lui-même le droit. Mais par prudence politique, l'empereur ne peut afficher
ouvertement sa prétention à créer lui-même du droit. Aussi il va s'abriter d'abord derrière l'assemblée du peuple ;
les premiers empereurs proposent des lois à l'assemblée du peuple qui les vote comme sous la république.

A la fin du Ier siècle de notre ère, on votera la dernière loi. Pourquoi ? A cette époque, l'empereur a trouvé un
meilleur moyen pour camoufler ses propres décisions : le sénatus-consulte. Le sénatus-consulte va prendre
la place de la loi disparue.
En réalité, le Sénat n'est que le prête-nom de l'empereur. Un empereur qui n'ose pas encore légiférer tout seul.
L'empereur propose un texte au Sénat et le Sénat se borne à l'entériner. Le Sénat d'ailleurs n'a pas le choix. C'est
l'empereur qui le convoque, qui le préside, qui surveille sa composition. À l'occasion, l'empereur sait se
débarrasser des sénateurs récalcitrants. À ce petit jeu, le sénatus-consulte a commencé par perdre son nom. De
sénatus-consulte, il est devenu discours de l'empereur tenu au Sénat. Puis le sénatus-consulte a fini par
disparaître complètement lorsque le pouvoir législatif a été ouvertement reconnu à l'empereur.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 11


Il restait deux sources rivales des prétentions impériales : l’édit du préteur et la
jurisprudence.

L'empereur n'était pas préteur. Il ne maîtrisait pas la confection de l’édit. Mais il n'était pas question pour lui de
laisser le préteur occuper le terrain de l'innovation. L'empereur s'est alors ingénié à le tenir à l'écart, avec une telle
hostilité, que les préteurs n'ont bientôt plus osé prendre la moindre initiative. Peu à peu, l’édit a cessé de
s'enrichir, il s’est dévitalisé. Au début du IIe siècle de notre ère, son texte n'évolue plus. L'empereur Hadrien prend
acte de cette pétrification et il charge le grand juriste Julien de codifier l’édit une fois pour toutes. L’édit du préteur
fera encore partie des sources du droit mais il a cessé d'en être une source créatrice.

La jurisprudence enfin, les juristes. Voilà bien des concurrents redoutables et d'autant plus redoutables qu'ils
jouissent d'un immense prestige et qu’ils sont indépendants du pouvoir. Certains juristes affichent d'ailleurs
ouvertement leur hostilité au nouveau régime. Mais Auguste était habile. Il va diviser pour régner. Il va diviser les
juristes en créant le jus respondendi. Il s'agit d'un brevet officiel de juristes consultants. Seuls les titulaires de ce
brevet, un brevet délivré par l'empereur évidemment, seules les titulaires de ce brevet peuvent donner des
consultations. Les autres juristes sont libres d'enseigner, de composer des ouvrages de doctrine mais ils ne
peuvent plus de donner de consultation. Évidemment, les juristes vont chercher à obtenir ce brevet. C'est une
faveur. C'est une faveur que l'empereur n'accorde au Ier siècle qu'avec parcimonie.

Au IIe siècle, l'empereur accordera plus largement le jus respondendi. Pourquoi ? Parce que l'empereur n'a plus
rien à craindre des prudents, la jurisprudence est alors définitivement engagée dans la voie de la collaboration
avec l'empereur. Elle va retrouver toute sa vitalité. Mais cette vitalité, elle l'a payée d'un prix très lourd. Du prix de
son indépendance. À la fin de l'époque classique, tous les grands noms du droit sont au service de l'empereur. Et
ce sont eux qui élaborent le droit qui s'exprime dans les constitutions impériales.

Au fur et à mesure, en effet, que l'empereur dépossède les sources traditionnelles du droit, il leur substitue ses
propres constitutions. Les constitutions impériales, comme vu précédemment, sont de quatre types :
• Les mandats nous intéressent peu ici car il s'agit d'instruction à caractère
administratif.
• Les édits sont des textes de portée générale.
• Les décrets sont les jugements rendus par l'empereur.
• Les rescrits enfin assurent une fonction de consultation juridique. Dans le rescrit l'empereur répond à une
question qui lui a été posée sur un point de droit.
Sous le principat, l'activité normative de l'empereur prend rarement la voie de disposition générale. L’édit est peu
utilisé. L'empereur prend essentiellement des décrets et surtout il prend des rescrits. C'est à dire, qu'il prend
surtout des décisions de nature contentieuse.

L'empereur légifère, certes, mais il légifère sur des cas individuels, à l'occasion d'un procès. Il ne rompt pas avec
la tradition romaine de création du droit. Le droit reste un droit d'origine casuistique.

Pourtant, déjà s'annonce à la fin de l'époque classique, la mutation du système juridique


romain.
• D'une part, le pouvoir législatif est ouvertement reconnu à l'empereur au IIIe siècle. Ce qui a plu au prince à
force de loi, dira le grand juriste Ulpien. La volonté impériale est alors identifiée à la loi.
• D'autre part, la législation impériale est diffusée par les juristes dans leurs œuvres
doctrinales.

Mais comment est présentée cette législation impériale ? Les constitutions sont détachées de leur origine
casuistique, elles sont présentées comme des normes abstraites de portée générale. Petit à petit, le droit passe
d'un ensemble de solutions de cas d'espèce à un ensemble de règles émanant du pouvoir central. Cette évolution
s'achève au Bas Empire. L'empereur exerce alors pleinement le pouvoir législatif. Désormais, ces constitutions
portent le nom de lois.

Le droit antérieur subsiste, il est contenu dans les ouvrages des jurisconsultes et il prend le nom général de jus
(droit) ou jus vetus (vieux droit). Il continue à s'appliquer mais seulement dans les cas où il s'appliquait
auparavant. On ne peut plus l'étendre à d'autres hypothèses.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 12


Toute innovation appartient à l'empereur et l’empereur légifère désormais résolument par voie de dispositions à
caractère général. Non seulement, la législation impériale est devenue l'unique source créatrice du droit mais elle
a aussi abandonné la voie casuistique. La mutation du système juridique romain est achevée.

7. Les instruments préparatoires de la codification

Un des traits de l'évolution du droit au Bas Empire, c'est sa tendance à la


codification.

Avant d'examiner les grandes compilations qui résultent de cette tendance, commençons par voir quels ont été
les instruments qui ont permis cette codification. Ces instruments se sont le codex mais aussi la scolarisation de
l'enseignement du droit.

Premier instrument, le codex.

Le codex a donné le mot français de code. Et l'avènement du codex est né d'une nécessité pratique. Il fallait
consulter facilement les constitutions impériales.
Au début du IIIe siècle de notre ère, la masse des constitutions impériales devient extrêmement volumineuse.
Volumineuse et très difficile à consulter en raison du support des textes. Les textes sont en effet écrits sur des
papyrus et rassemblés en rouleaux. On les colle les uns aux autres par leurs extrémités et puis on les enroule.
Pour les consulter, il faut dérouler les rouleaux jusqu'à ce que l'on trouve le texte que l'on cherche.

Il apparut plus pratique d'adopter une autre technique pour réunir les textes. Les différentes feuilles sont
attachées par un côté. Et bien, c'est ce que l'on appelle le codex.

Le mot codex, à l'origine, a simplement un sens matériel, il désigne la forme du recueil. Cette forme n'est autre
que le livre que nous connaissons. Mais, ce mot de code va connaître un bel avenir dans la langue du droit parce
que c'est dans un codex que l'on conserve les constitutions impériales. On finira par baptiser du nom de code le
recueil officiel du droit promulgué par l'autorité centrale.

Deuxième instrument, l’organisation d’un enseignement officiel de droit. C'est une innovation du Bas
Empire.

À côté de l'enseignement privé, l'État organise un enseignement officiel du droit. Il ouvre des écoles de droit et il
en organise le programme. Au Bas Empire, nous sommes à une époque où les grands juristes ont disparu. Les
seuls juristes qui sortent alors de l'anonymat, ce sont justement les professeurs des écoles de droit. Évidemment,
ils n'ont pas l'envergure de leurs prédécesseurs, mais pour les besoins de l'enseignement, ils rassemblent les
textes, les mettent à jour, et c'est un travail qui prépare efficacement l'œuvre de codification.

8. Les compilations officielles du Bas


Empire

À partir de 364, l'empire romain se divise en deux parties : une partie occidentale et une partie orientale. Ces
deux parties sont chacune pourvue d'une capitale : Rome pour l'Occident, Constantinople pour l’Orient.
Théoriquement, l'empire reste unitaire. En pratique, chaque partie est isolée de l'autre, chacune dispose de sa
propre administration, de sa justice, de son armée, de son droit. Chaque empereur légifère de son côté, même si
une constitution est placée officiellement sous l'égide des deux empereurs régnants. C'est dire que la masse des
textes devient impressionnante. Il devient impérieux d'y mettre un peu d'ordre. C'est à quoi vont s'attacher
successivement deux empereurs d'Orient. L'entreprise débouchera sur le Code théodosien puis sur les
compilations de Justinien.

• Le Code théodosien

L'empereur d'Orient Théodose veut réaffirmer l'unité de l'empire, et en 435 il donne l'ordre de compiler
officiellement les constitutions impériales dans un code qui s'appliquera uniformément en Orient et en Occident.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 13


Une commission de 16 membres est nommée qui s'attelle à cette tâche et en 438 le Code théodosien est
promulgué. C'est un recueil de l'essentiel de la législation impériale émise depuis Constantin. On a supprimé les
textes désuets et les contradictions car l'ouvrage veut être pratique. Le code se compose de 16 livres subdivisés
en Titres. Dans chaque Titre, les constitutions sont classées par ordre chronologique. Le Code théodosien est
promulgué en 438, il entre en vigueur le 1er janvier 439. Ce code a valeur officielle dans les deux parties de
l'empire. En Occident, l'empire romain s'effondre en 476 mais l’essentiel de ce Code théodosien sera repris dans
une compilation connue sous le nom de Bréviaire d’Alaric. Elle restera, jusqu'au XIe siècle, la principale source du
droit romain car la seule connue. En Orient le Code théodosien sera vite remplacé par les compilations de
Justinien.

• Les compilations de Justinien

En 527, Justinien devient empereur d'Orient. À cette époque, l'empire romain d'Occident a disparu depuis une
cinquantaine d'années. Justinien a l'intention de rétablir la grandeur de Rome. Il entreprend une reconquête
militaire de l'Occident. Cette reconquête ne lui survivra pas d'ailleurs. Mais Justinien entreprend aussi de rénover
l'empire et surtout de rénover son droit. Et cette œuvre-là va lui survivre. Pour mener à bien cette tâche, Justinien
a fait appel à un professeur de l'école de droit de Constantinople, Tribonien. Tribonien va prendre la tête d'une
équipe formée de professeurs et d'avocats. De leur travail, vont sortir quatre recueils : le Code, le Digeste, les
Institutes, et les Novelles dont nous allons dire quelques mots tour à tour.

o Le Code de Justinien

C'est un recueil de constitutions impériales. Les plus anciennes datent d'Hadrien, les plus récentes émanent de
Justinien lui-même. L'empereur avait souhaité que l'ensemble soit le plus concis et le plus clair possible. Alors les
textes ont été débarrassés du superflu et au besoin ils ont été remaniés.
Après une première version qui n'a pas été conservée, une deuxième édition a été promulguée en 534.
Le Code se compose de 12 livres, en hommage à la loi des XII Tables. Ces 12 livres sont divisés en Titres dans
lesquels les constitutions sont classées par ordre chronologique. Chaque constitution est précédée par l'indication
de son auteur et de son destinataire, et elle est suivie de la date et du lieu de sa publication. Qu'il s'agisse d’édits
ou de rescrits, chaque constitution reçoit, en tout cas par le code, une autorité générale et obligatoire.
o Le Digeste

Le Digeste, publié en 533, est un recueil du jus, c'est-à-dire de la jurisprudence classique. La masse dépouillée
était immense, environ 3 millions de lignes dispersées en 2000 volumes. De cette masse, les compilateurs ont
extrait 150 000 lignes provenant de 38 jurisconsultes différents. Le Digeste est un best off dirions-nous de nos
jours. Le Digeste se présente comme une gigantesque mosaïque de petits fragments classés en 50 livres,
subdivisés en Titres. A l'intérieur de chaque Titre, chaque fragment est numéroté et il indique le nom de son
auteur et le titre de l'ouvrage dont il est extrait. Mais, tous les fragments ont reçu une égale autorité, comme si, dit
Justinien, ils avaient été émis par notre bouche divine. Voilà l’ultime victoire de l'empereur qui s'approprie ainsi la
jurisprudence classique.
o Les Institutes

Les Institutes ont été promulguées en 533. C'est un nouveau manuel d'enseignement, un manuel qui emprunte
beaucoup aux Institutes de Gaius dont on a d'ailleurs repris le plan. Mais le manuel de Justinien a lui, force de loi.
Il accompagne d'ailleurs une réforme des études de droit. L'enseignement est interdit en dehors des écoles
officielles, et les professeurs sont sommés de s’en tenir au droit désormais fixé dans les textes officiels.
o Les Novelles

Après la publication de son Code, Justinien a régné encore 31 ans et son activité législative est restée
extrêmement féconde. Les nouvelles constitutions qu'il a promulguées sont appelées Novelles. Leur publication a
permis l'élaboration de recueils. Il s'agit ici de recueils privés. Après avoir reconquis l'Italie, Justinien y envoie une
copie de ces compilations. Peu après sa mort, l'Italie retourne aux barbares et les compilations vont entrer alors,
en quelque sorte, en hibernation. Il faudra des siècles avant qu’on les redécouvre, des siècles avant que
l'Occident soit capable de se servir de ce précieux héritage.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 14

Partie 3 IVe-XIe siècles : Les fondations d’une identité


juridique originale en occident

1. Présentation générale de la période

• L’histoire politique

La période qui court du IVe au XIe siècle ne présente pas d'unité sur le plan de l'histoire politique. En effet, le
cadre politique passe, nous le verrons, du plus grand au plus petit. Au IVe siècle, il s'agit de l'empire romain. Au
XIe siècle, il s'agit de la seigneurie banale. De cette évolution politique, il faut connaître les grandes lignes.

Au IVe siècle de notre ère, l'empire romain doit affronter de multiples menaces. Des révoltes, des émeutes
entretiennent à l'intérieur des foyers d'insécurité mais la principale menace vient de l'extérieur. Cette menace est
ce qu'il est convenu d'appeler les invasions barbares.

Un empereur unique ne peut plus faire face, le pouvoir doit se répartir. C'est ainsi que l'empire est partagé en
deux parties. La partie orientale dont Constantinople est la capitale et la partie occidentale qui garde Rome
comme capitale. À partir de cette division, l'Occident va connaître une destinée propre et c'est cette destinée qui
nous intéresse ici. Peu à peu, l'empereur perd la maîtrise des provinces occidentales. Les unes après les autres,
ces provinces deviennent des royaumes barbares.

Vers 460 l'autorité impériale est pratiquement limitée à l'Italie. C'est en 476 qu'arrive le coup de grâce quand le
barbare Odoacre dépose le dernier empereur d'Occident. L'empire d'Occident disparaît. Sur ses ruines se sont
édifiés des royaumes barbares.

Dans ce qui avait été la Gaule romaine on compte trois royaumes barbares : le royaume des Wisigoths au sud-
ouest, il s’étend jusqu'au nord de l'Espagne ; le royaume des Burgondes, c'est un royaume qui est centré sur la
Savoie, la Bourgogne, la Provence ; Enfin, le royaume des francs au Nord.

C'est le roi des francs qui va réunifier la Gaule. En 481, Clovis devient roi des francs, il fonde la dynastie
mérovingienne, cette dynastie tire son nom du grand-père de Clovis qui s'appelait Mérovée. Clovis, et ses fils
après, lui soumettent les autres barbares de la Gaule à la domination franque.

Au VIIIe siècle, la dynastie régnante change dans le royaume franc. La dynastie mérovingienne et remplacée par
la dynastie carolingienne. C'est l'effet d'un coup d'état opéré en 751 par Pépin le Bref. Pépin le Bref, puis son fils
Charlemagne sont des conquérants et le royaume franc s’étend considérablement. A la fin du VIIIe siècle, il
couvrira non seulement la Gaule mais aussi l'Italie, la Germanie, le nord de l'Espagne. Cette dilatation amène un
événement majeur. En 800, l'empire d'Occident est restauré au profit de Charlemagne.

L'empire carolingien ne survivra pas beaucoup à la personne de son fondateur. Dès la mort de l'empereur Louis le
Pieux, fils de Charlemagne, l'empire éclate. Sur ses ruines, vont s'édifier plusieurs royaumes. À l'ouest se trouve
le royaume de Francia occidentalis, ce royaume constitue le berceau de la France. Dans ce royaume, les rois
auront de plus en plus de difficultés à assurer leur pouvoir. Ces rois se sont d'abord des rois carolingiens, puis à
partir de 987, des rois capétiens.

En 987 en effet, se produit un changement définitif dans la dynastie régnante, lorsqu’Hugues Capet monte sur le
trône. C'est un changement définitif, en effet, car jusqu'à la révolution de 1789, et même au-delà, tous les rois de
France appartiendront à la dynastie capétienne.

Mais carolingien ou capétien, le roi est confronté à ce que l'on a appelé la mutation féodale. La mutation féodale,
c'est un phénomène complexe qui se traduit notamment par une dislocation de l'autorité publique. Le pouvoir
échappe au roi.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 15


L'autorité, désormais, va s'exercer dans le cadre de nouvelles entités politiques qui sont de plus en plus petites.
Trois étapes vont se succéder. D'abord les dignitaires du royaume, les plus entreprenants, vont former des
principautés territoriales qui échappent au contrôle du roi. Puis ces principautés se disloquent à leur tour au profit
de comtés autonomes. Enfin, ces comtés se disloquent au profit d'une foule de petites entités que l'on appelle les
seigneuries banales. Ces seigneuries banales deviennent à la fin du Xe siècle les cellules politiques de base,
elles ont en général à peu près la taille d'un canton actuel. Voilà pour l’histoire politique.

• L’histoire du droit

L'histoire du droit se ressent évidemment de tous les événements politiques qui affectent la période qui va du IVe
au XIe siècle. Mais le déroulement de l'histoire du droit déborde les clivages des régimes politiques et c'est
pourquoi ces huit siècles peuvent être rassemblés. C'est alors, en effet, que l'on voit se mettre en place les
fondations d'une nouvelle identité juridique. Cette troisième émission sera consacrée à ces fondations dont notre
droit se ressent encore aujourd'hui. L’émission suivante abordera les handicaps qui grèvent l'ordre juridique
durant cette même période du IVe au XIe siècle.

Commençons donc par les fondations d’une nouvelle identité juridique. Cette nouvelle identité intéresse d'abord
le droit occidental dans son ensemble. Le droit occidental a été marqué par trois événements majeurs que nous
étudierons successivement.
Il s'agit d'abord de la rupture avec l'Orient, puis des migrations barbares, enfin du
christianisme. Les conséquences de ces trois événements se feront durablement sentir
jusqu'à nos jours.

C'est au IVe siècle qu'il faut faire remonter leur apparition décisive. En effet, c'est alors que l'empire romain se
sépare en deux parties, c'est alors que s'accélère les migrations barbares, c'est alors enfin que le christianisme
devient religion d'État. Mais au sein du monde occidental, l'immigration barbare n'a pas produit partout les mêmes
effets.

Et nous verrons que s'annonce déjà une fracture entre l'Angleterre d'une part, et les pays d'Europe continentale
d'autre part. Dans les pays d'Europe continentale, l'héritage romain sera beaucoup mieux préservé et il sera
amalgamé avec les traditions barbares. Deux étapes seront distinguées.
• La première montrera comment les vainqueurs barbares, les francs en ce qui nous concerne, ont d'abord fait
coexister les deux types de tradition juridique sans sacrifier la tradition romaine, même si elle subsiste sous
une forme assez rudimentaire ;
• La deuxième étape s'intéressera à un moment essentiel dans l'histoire de la famille romano-germanique :
l'empire carolingien. C'est un moment essentiel, en effet, car c'est sous les carolingiens que s'annonce
l'identité commune aux pays d'Europe continentale.

2. La rupture avec l’Orient

Cette rupture intervient au IVe siècle lorsque l'empire romain est


divisé.

Théoriquement, il n'y a qu'un seul empire romain divisé en deux


parties.

En pratique, chaque partie est de plus en plus isolée de l'autre. Chacune dispose de son administration, de sa
justice, de son armée, de son droit. Et un fossé se creuse toujours davantage entre les deux parties : l'Orient
parle grec, il a conservé sa richesse, sa monnaie, ses échanges, il garde une civilisation urbaine, commerçante ;
l'Occident, quant à lui, parle lui latin et il vit de plus en plus replié sur une économie rurale.

Jusqu'à la mort de l'empereur Théodose I en 395, l'empire romain, même divisé, menait encore une politique
commune. À la mort de Théodose, chaque partie de l'empire va suivre sa propre orientation politique.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 16


L'Orient refuse désormais d'établir les barbares germaniques de façon permanente sur son territoire. Et ces
barbares, l'Orient va les détourner vers l'Occident.

L'Occident qui était déjà très exposé de son côté aux invasions. L'Occident ne peut plus repousser les barbares,
alors il va chercher à les rendre inoffensifs en les intégrant. Des communautés entières sont établies durablement
sur le sol de l'empire.

Les modalités de l'installation des barbares varient mais, dans les cas les plus favorables, un peuple barbare
reçoit un territoire où il est joui d'une indépendance réelle moyennant une obligation de service militaire au profit
de l'empire. En quelques décennies, ces enclaves deviendront complètement indépendantes. L'empire d'Occident
sera démembré au profit des royaumes barbares. À ce stade, la rupture est complètement consommée avec
l'empire romain qui subsiste en Orient.

Cette rupture aura des conséquences importantes sur le droit, à court et moyen terme, mais aussi à plus long
terme.

À court et moyen terme et bien les compilations de l'empereur Justinien n'entreront pas en vigueur en Occident.
Certes l'Occident va conserver le droit romain mais sous la forme qu'il revêtait avant l'œuvre du Justinien. C'est
cette forme que l'on qualifie de vulgaire. Nous reviendrons sur ce droit vulgaire.

À plus long terme ensuite, la rupture avec l'Orient produira également des effets. À la fin du XIe siècle, l'Occident
va redécouvrir les compilations de Justinien. Alors il va pouvoir renouer, grâce au Digeste, avec le droit romain
dans sa pureté classique.

Entre-temps, dans l'empire byzantin, le droit de Justinien était resté un droit vivant et naturellement, il s'était
profondément modifié.

3. L’Occident, terre de migrations

Pour comprendre l'immigration barbare, il faut remonter au IIe siècle de notre ère. À cette époque, l'Europe,
l’Afrique, l'Asie sont partagées entre 4 grands empires : les empires romain, perse, hindou, chinois.

Ces quatre empires connaissent tous un très haut degré de civilisation, ils ont en quelque sorte monopolisé les
espaces où le climat était hospitalier. Ces empires sont entourés de terres beaucoup plus ingrates, des terres où il
fait très froid ou très chaud et des terres qui sont couvertes par des marécages, des forêts, des steppes, des
déserts : des espaces donc inhospitaliers. Dans ces espaces inhospitaliers vivent des barbares ; ces barbares en
sont encore à l'âge du fer. Et ces barbares sont de plus en plus comprimés par les grands empires.

Au IIe siècle, ils se mettent en mouvement. C’est le début de grandes migrations qui vont bouleverser la carte du
monde. Aucun empire n'en sortira indemne, à commencer par l'empire romain.

Qui sont les peuples en question ? Il s'agit d'abord de peuples maritimes germaniques qui vivent en bordure de la
mer du Nord et de la Baltique, et dans la péninsule scandinave. Il s'agit ensuite de peuples germaniques et slaves
qui vivent dans les forêts du nord de l'Europe. Il s'agit enfin de nomades qui vivent dans les steppes des
Sarmates, des Huns, des Arabes et des Berbères.

Entre le IIIe et le Xe siècle, plusieurs vagues de migrations se sont succédées. Nous allons évoquer brièvement
les principales étapes avant de revenir aux premières vagues pour examiner quelles conséquences elles ont eu
sur le droit.

Entre le IIIe et le Xe siècle plusieurs vagues de migrations se sont donc succédées. Chaque vague a été porteuse
de profondes transformations politiques. Les premières vagues vont contraindre l'empire romain à se partager.
Les secondes vagues vont avoir raison de l'empire d'Occident à la fin du Ve siècle.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 17


Au VIIIe siècle, se produit l'invasion musulmane. Elle est directement à l'origine du changement de dynastie sur le
trône franc. C'est, en effet, le père de Pépin Le Bref qui arrête les Arabes à Poitiers en 732. Il transmettra son
prestige et son savoir militaire à son fils qui saura en faire bon usage et qui deviendra roi.

Au IXe et Xe siècle se produit un nouvel assaut d'invasion. Au Nord et à l'Ouest ce sont les Normands,
littéralement les hommes du Nord, ceux que l'on appelle encore les vikings. Ces Normands viennent de
Scandinavie et se livrent à des raids dévastateurs ; ils remontent par les fleuves jusqu'au cœur des royaumes.
L’Est, de son côté, est en proie aux attaques des hordes hongroises et slaves.

Le sud enfin est ravagé par les pirates


sarrasins.

Cette dernière vague d'invasion va entraîner d'abord la ruine de l'empire carolingien, puis la dislocation politique
dans les royaumes qui se sont construits sur les ruines de l'empire carolingien.

A chaque fois, on verra se reproduire le même schéma : l'autorité centrale est coupée de ses agents locaux et
ces agents locaux en profitent pour prendre leur indépendance.

Pour l'instant, nous nous en tiendrons aux premières vagues, celles qui ont affecté l'empire romain d'Occident et
qui ont débouché sur les royaumes barbares.

La pénétration des barbares dans l'empire romain a commencé dès les premiers siècles de notre ère mais elle
s'accélère au IVe siècle. Elle s'accélère au point que l'on a pu parler d'invasion.

Pourquoi cette accélération ? La cause de cette accélération tient à un mouvement déclenché par les Huns. Les
Huns sont des peuples de race mongole venus d'Asie centrale. Ils ont commencé par ravager la Chine et l’Inde.
Mais au IVe siècle, ils se retournent vers l'Ouest et ils vont progresser en chassant devant eux les peuples
germaniques établis en dehors de l'empire romain. Mais il s'ensuit une réaction en chaîne. Ces peuples
germaniques vont se pousser les uns les autres jusqu'à pénétrer dans l'empire romain. Plus la pression des Huns
se rapproche, plus les germains franchissent les frontières de l'empire, en Orient comme en Occident, mais
l'Orient s'opposera à l'installation permanente des germains sur son sol. La pression s'accroît donc en Occident.

Faute de pouvoir repousser les barbares, l'empire d'Occident décide de les


utiliser.
Rome va utiliser les barbares d'abord comme soldats ou comme main-d’œuvre paysanne. C'est ainsi que l'on a
intégré les barbares dans l'armée, au point qu'ils vont vite former le gros de l'armée d'Occident. Une armée,
d'ailleurs, où ils peuvent faire carrière jusqu'à devenir généralissime.

Rome a aussi utilisé les barbares comme main-d’œuvre paysanne : c'est le système des Lètes. On concède aux
barbares des lots de terres situés en deçà de la frontière de l'empire dans des endroits que les romains avaient
abandonné en raison de l'insécurité. Remettre ces terres en culture devient une véritable obsession de l'État
romain.
Alors on concède ces terres aux Lètes, à charge pour ces barbares de les cultiver et en cas d'attaque
de la frontière de participer à la défense de l'empire. Les barbares alors s'installent avec leurs familles.

Enfin, c'est parfois par tribus entières que certains peuples ont réussi à se faire admettre au sein de l'empire de
Rome. Pour cela un traité - un traité en latin porte le nom de foedus - est passé au nom de l'empereur avec tout
un peuple ; ce peuple devient un peuple fédéré, du latin federatus qui signifie lié à un traité. On octroie à ce
peuple un territoire où il va s'établir aux côtés des romains, avec le droit d'administrer le territoire en question. En
contrepartie, le peuple fédéré doit le service militaire dans les armées de Rome.

À certains peuples fédérés, Rome a accordé le régime très favorable de l'hospitalitas (hospitalité en français). Les
propriétaires romains sont tenus, en vertu de ce régime, de partager leurs terres avec les barbares. Cela a été
pour un temps le prix de la tranquillité : cela valait mieux que de s'exposer à des incursions violentes.

Voilà donc dans l'empire romain, des peuples barbares qui sont arrivés avec leur religion païenne et avec
leurs droits.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 18


Ce droit est bien rudimentaire par rapport au droit romain, constitué de coutumes immémoriales dont la tradition
est purement orale.

Ce droit ignore donc l'écrit, il ignore l'abstraction, il ignore la généralisation, il est mal distingué de la religion, il ne
connaît pas la différenciation entre droit public et droit privé. Du point de vue du fond également, les droits
barbares tranchent avec le droit romain. Ils tranchent notamment en matière de droit pénal, lequel droit pénal
n'est d'ailleurs pas vraiment distingué de ce que l'on appelle droit civil.

Chez les barbares, la solidarité du clan est très forte. Il en va ainsi des peuples qui se sont formés dans un milieu
hostile, et c'est une condition de survie pour l'individu d'être protégé par un groupe. Cette solidarité engageait le
clan tout entier dans la vengeance, lorsqu'un des membres du clan était victime ou coupable d'une agression. La
vengeance privée était un droit, elle pouvait déboucher sur des vengeances en chaîne qui décimaient des clans
entiers. Les barbares avaient beau être en minorité dans l'empire romain, leurs traditions n’en créaient par moins
des tensions. Ces traditions barbares, et notamment la vengeance, menaçaient la discipline militaire, elles
menaçaient également la cohabitation pacifique avec les populations romaines.

C'est pourquoi Rome a aménagé par écrit les relations juridiques entre les barbares et les Romains, à l'occasion
des traités par lesquels elle installait une tribu barbare sur son sol. Elle l’a fait également d'une autre manière.
Rome, en effet, a été jusqu'à donner à certaines de ces populations barbares des Lètes, des lois qui réalisaient
un compromis entre leurs coutumes et le droit romain. C'est ce qui s'est produit vers 350 pour les populations
franques de l'actuelle Belgique, et en 445 pour les Bretons d'Armorique.

C'est ainsi qu’au contact de Rome, certains droits barbares ont pour la première fois connu l'écriture et se sont
dépouillés de leurs traits les plus archaïques. D'une façon générale, les barbares intégrés dans l'empire se sont
civilisés au contact de la romanité. Ce trait les distingue profondément des barbares qui sont arrivés les derniers,
ceux qui sont arrivés peu avant la chute de l'empire, ou même après cette chute, ceux là ils n'ont jamais connu la
romanisation.

C'est ce type de barbares qui s'est installé dans la Bretagne, c'est-à-dire en Grande-Bretagne. Ces barbares, qui
n'ont jamais connu la romanisation, ont imposé leurs traditions. Sur le continent, en revanche, et notamment en
Gaule, les barbares ont subi l'influence de la culture romaine, ils ont d'ailleurs adopté la langue latine.

4. L’Occident, terre chrétienne

C'est sur une base religieuse commune que les empereurs romains ont assis leur autorité sur la population de
race et de civilisation très différentes. Le lien religieux est, en effet, un facteur d'unité et de cohésion.

D'une façon générale, Rome s'est montrée très tolérante envers les religions locales. Au besoin, elle ne
dédaignait pas de récupérer les dieux qu'elle essayait d'assimiler à des dieux romains. Ceci-dit, au-dessus de la
multitude des dieux locaux, il y avait un ciment commun. Au temps du paganisme, le lien religieux s'exprime
surtout par le culte rendu dans les provinces à Auguste et à Rome : l'empereur, au caractère sacré, est associé au
culte de Rome.

Après la reconnaissance du christianisme, les empereurs feront jouer ce rôle à la religion


nouvelle.

La religion chrétienne s'est d'abord développée en Orient et en Grèce. Au IIe siècle elle s'étend en Occident et
elle ne va plus cesser de faire des adeptes notamment en Gaule. Pendant les trois premiers siècles de notre ère,
l'État romain est hostile au christianisme.

Que reproche-t-il donc aux chrétiens ? Il leur est essentiellement reproché de menacer la cohésion de l'empire en
refusant de s'associer à son culte officiel, le culte païen. Le christianisme n'en progresse pas moins. L'État romain
hésite entre la tolérance et la persécution. Mais l'église va l'emporter.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 19


En 312, l'empereur Constantin se convertit au christianisme, l'année suivante il reconnaît officiellement la religion
chrétienne.
En 380, l'empereur Théodose Ier en fera la religion d'État de l'empire romain. Par l’édit qu’il prend cette année-là
à Thessalonique, la foi romaine est imposée à tout l'empire.

Le christianisme apporte dans l'Antiquité une idée totalement nouvelle : la distinction entre le spirituel et le
temporel, la distinction entre le religieux et le politique. Cette distinction radicale a été affirmée par le Christ lui-
même, « Mon royaume n'est pas de ce monde », « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu
» a-t-il dit. Cela signifie que le pouvoir civil et le pouvoir religieux n’ont pas les mêmes buts. Le pouvoir civil
s'occupe du bien temporel des hommes et on doit lui obéir ; le pouvoir religieux, l'Eglise, s'occupe du salut éternel
de ses membres. La mise en œuvre de cette distinction n'a pas toujours été facile mais le principe est posé.

Dans l'empire romain, même lorsque le christianisme sera religion d'État, l'Eglise ne sera jamais entièrement liée
à l'État romain. Elle restera distincte de lui, surtout en Occident. Alors lorsque l'empire s'effondre en Occident,
l'Eglise n'est pas entraînée dans sa chute.

Après avoir été ciment d'unité de l'empire romain, l’Eglise devient le ciment d'unité de l'Occident qui, au point de
vue politique, est morcelé en de nombreux royaumes barbares.

Au moment où l'empire disparaît, l'Eglise va assurer la relève de la romanité. Son organisation se calque sur le
modèle romain, avec un chef, le pape, qui est d'ailleurs installé à Rome. D'une certaine manière, le pape apparaît
comme le successeur des Césars, des empereurs. Les cadres territoriaux de l'Eglise sont repris de ceux de
l'empire romain, et son droit - le droit canonique- va s'inspirer des techniques et des formes romaines.

En Occident, l'Eglise devient le soutien de la culture romaine, son dernier soutien sans doute, mais le plus ferme.
C'est le clergé qui transmettra cette culture au Moyen Âge.

Le clergé transmettra d'ailleurs d'autant plus fermement cette culture que les monarchies barbares ont adopté le
christianisme, au départ, pas forcément sous la forme du catholicisme. En effet, la plupart des royaumes barbares
étaient favorables à une hérésie, l'hérésie arienne. Cette hérésie tendait à nier la divinité du Christ ; elle heurtait le
catholicisme dominant dans la population romaine, et la population romaine constituait tout de même l'écrasante
majorité des sujets de ces royaumes barbares.

Quand Clovis se convertit en 497, il a un coup de génie : celui d'embrasser le catholicisme. Il s’attire alors la
sympathie non seulement de ses sujets gallo-romains, mais aussi des sujets des autres royaumes barbares de la
Gaule, ainsi que le soutien de l'Eglise. Et cela va grandement faciliter l'expansion du royaume franc.

Le christianisme a joué un rôle-clé dans la culture européenne. Il a été un élément d'intégration des barbares qui,
vague après vague, sont arrivés. Leur conversion a été le prix de leur intégration.

Ainsi au IXe siècle, Charlemagne a-t-il christianisé les païens germains venus d'Europe centrale après les avoir
vaincus. De même, au début du Xe siècle, le roi Charles le Chauve scelle la paix avec les Normands en les
installant officiellement dans le territoire qui prendra le nom de Normandie. Mais cette paix est assortie d'une
condition : la conversion des Normands.
Le christianisme, en revanche, ne sera pas un facteur de rapprochement avec l'empire byzantin. Au contraire, les
deux chrétientés ont développé chacune leurs propres rites, leurs propres traditions et même quelques
particularités théologiques. Petit à petit, la distance va s'accentuer. Le dernier pas est franchi lorsque les Eglises
orientales refusent de reconnaître la primauté de l'évêque de Rome.

En 1054 le schisme est consommé. Dès lors les Eglises orientales se désigneront comme orthodoxes, celles qui
ont une droite doctrine. L'Eglise occidentale conservera le caractère de catholique, c'est-à-dire universel.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 20

5. Le maintien des différentes traditions juridique en Europe


continentale

L'application du droit peut connaître deux formes : la territorialité du droit ou la personnalité du


droit.
• La territorialité du droit suppose l'application du même droit à tous les résidents d’un même
territoire.
• Dans le système de la personnalité du droit, au contraire, deux ou plusieurs droits coexistent sur le même
territoire. Chaque droit est applicable à un groupe déterminé de personnes.

Le choix entre ces deux formules se pose notamment quand un territoire fait l'objet d'une conquête. Le vainqueur
peut imposer son droit au vaincu. Tous les habitants du même territoire obéissent alors aux mêmes droits, c'est le
système de la territorialité du droit. Ou bien, le vainqueur laisse les vaincus conserver leur droit propre sur le
territoire conquis. Il n'applique son droit qu'à ses propres citoyens. C'est le système de la personnalité du droit.

Le choix entre ces deux systèmes est bien plus politique que proprement
juridique.

En effet, il est très difficile d'imposer un droit à des communautés qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas,
l'accepter. Dans l'Antiquité, les romains l’avaient bien compris. Et ils ont accepté que les multiples peuples de leur
empire conservent leur droit. Cette tolérance est l’un des secrets de la réussite romaine. La romanisation devait
ensuite faire son œuvre avec le temps.

Cette leçon de tolérance ne sera pas perdue. Les Francs en effet suivront l’exemple de Rome. En unifiant la
Gaule, Clovis et ses fils ont donné à tous les peuples qui y vivaient un même droit public, une même organisation
judiciaire mais ils n'ont pas uniformisé le droit privé. Dans le royaume mérovingien puis carolingien, le régime
juridique est celui de la personnalité du droit.

Les droits des vaincus ont été respectés, à commencer par le droit des vaincus romains - le droit romain - mais
aussi le droit des différents peuples barbares vaincus. Sur un même territoire coexistaient donc différentes
traditions juridiques, chacune contenue dans une loi personnelle. Nous examinerons d'abord ces différentes lois
personnelles avant de voir comment s'appliquait, en justice, le système de la personnalité des lois.
• Les lois personnelles

Qu'entend-on par lex (loi) à l'époque franque ? Il ne s'agit pas des ordonnances prises par les rois, lesquelles
s'appellent en général capitulaires, contiennent du droit public, et s'appliquent à tous dans le royaume franc.

Ce que l'on appelle lex, désigne la loi personnelle de chaque peuple, celle qui régit son droit privé, son droit civil,
son droit pénal. C'est dans la lex que l'on trouve par exemple l'âge de la majorité, le régime du mariage, le droit
des successions, les peines. Et le tout varie d'une loi à l'autre. Ces lois personnelles ont été rédigées à l'initiative
des rois barbares qui avaient appris de Rome les vertus d'un droit écrit.

Il existe deux grands types de loi personnelle : celle des romains, c'est-à-dire des gallo-romains, la population qui
se trouvait en Gaule à l'arrivée des barbares ; puis celle des barbares ensuite.

o La loi romaine

La plus célèbre, c'est la loi romaine des Wisigoths. Elle a été rédigée à l'initiative du roi des Wisigoths, Alaric II et
été promulguée en 506. À partir du XVIe siècle, on appellera ce texte le Bréviaire d'Alaric.

Que contient le Bréviaire d'Alaric ? Du droit romain évidemment, mais il ne s'agit pas d'une nouvelle rédaction du
droit romain. C'est une compilation assez hétéroclite qui a été réalisée à partir du Code théodosien, avec des
constitutions impériales publiées après le Code théodosien et aussi quelques œuvres de la doctrine romaine.
C'est un recueil officiel, en tout cas, il abroge tout le droit romain antérieur et lui seul ne peut être invoqué en
justice.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 21


Quand Clovis a vaincu Alaric en 507, il a repris son recueil et l'a rendu applicable à toute la Gaule. Dans le
royaume franc qui, rappelons-le, va s'étendre encore sous les carolingiens, le Bréviaire d'Alaric sera le droit
romain utilisé pour tous les sujets romains du droit franc. Ce sera le seul recueil de droit romain utilisé jusqu'au
XIe siècle, puisque les compilations de Justinien ne sont pas entrées en vigueur en Occident. A côté du droit
romain utilisé pour les sujets romains du roi, il y a un droit barbare destiné aux divers peuples germaniques. o

Les lois barbares

Jusqu'aux invasions, les différentes tribus barbares étaient régies par de simples usages oraux. Les barbares ont
repris de Rome le principe d'un droit écrit.

Pour certains, une première ébauche de rédaction a d'ailleurs été réalisée du temps de l'empire romain. Nous
l'avons vu, Rome y avait pourvu notamment lors des traités qui installaient une tribu barbare sur son sol : cela a
été le cas pour les Wisigoths et pour les Burgondes par exemple. Ou bien, Rome avait, hors traité, fait
unilatéralement rédiger des lois à l'usage des barbares. C'est notamment le cas pour les Francs-Saliens, la tribu
de la famille de Clovis.
Après l'effondrement de l'empire romain, cette ébauche a été complétée et enrichie. C'est le cas, dès 476, dans le
royaume des Wisigoths, où le roi Euric promulgue une loi des Wisigoths. En 502, c'est au tour du roi des
Burgondes, Gondebaud, de promulguer la loi des Burgondes plus connue sous le nom de loi Gombette. À la fin
de son règne, Clovis fera compléter la loi des Francs-Saliens, autrement appelée Loi salique.

Que contiennent ces différentes lois barbares ? Elles contiennent les coutumes propres au peuple concerné en
matière de mariage, de succession, mais c’est surtout le droit pénal qui prime.

Les lois barbares, en effet, veulent éliminer, ou au moins fortement limiter l'usage germanique de se faire justice à
soi- même. C'est pourquoi elle prévoit que la vengeance sera rachetée par une composition pécuniaire accordée
en justice. Le principe, c'est que l'indemnisation de la victime ou de sa famille rachète la vengeance. Les lois se
présentent alors comme de très longs tarifs de composition. Pour chaque infraction un prix est fixé. Prenons
l'exemple de la loi salique : en matière d'homicide, le prix du Franc ordinaire est fixé à 200 sous d’or, celui d’un
Romain est fixé à 100 sous d'or simplement mais un Franc de qualité vaut lui jusqu'à 600 sous. La femme, en
général, vaut moins cher, sauf si elle est enceinte. De même, les coups et blessures, les vols font l'objet de
tarification. Par exemple, il en coûte 100 sous de couper une main. Et ainsi de suite.

Ce système de règlement des conflits nous paraît bien primitif mais il ne faut pas oublier qu'il met un frein à un
système bien plus archaïque encore qui était celui de la vengeance privée. Une vengeance qui n'était pas
proportionnée au dommage subi par la victime et qui par ailleurs entraînait une nouvelle vengeance en retour.
Avec la composition pécuniaire, la réparation est proportionnée au dommage et la vengeance s'arrête.

Au fur et à mesure que le royaume franc se dilate, le nombre des lois personnelles va se multiplier. Ou bien les
rois francs ordonnent la rédaction de loi pour les peuples tombés sous leur domination, ou bien, ils conservent, au
moment de la conquête, les lois que ces peuples avaient rédigées du temps de leur indépendance.

Examinons maintenant comment s’applique en justice la personnalité des


lois.

Chacun est jugé selon sa loi personnelle, celle de l'ethnie à laquelle il appartient. Dans chaque procès, il faut
donc déterminer la loi applicable. C'est pourquoi le procès commence par une question rituelle posée aux
plaideurs : « Sous quelle loi vis-tu ? » demande le juge. Les intéressés répondent alors : « Mon père et mes
ancêtres vivaient sous telle loi ».

Pas de problème si les deux parties vivent sous la même loi. C'est plus compliqué s’ils obéissent à des lois
différentes. On a dû adopter quelques principes généraux pour résoudre ce problème. Par exemple, en matière
pénale on finira par retenir la loi de la victime. Dans les domaines où les lois barbares sont muettes, on applique
la loi romaine. On notera ici que l'Eglise vit sous la loi romaine.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 22


Selon le principe de la personnalité des lois, le justiciable obéit à sa loi personnelle en quelque endroit qu'il se
trouve et cette loi est déterminée par son origine ethnique. Mais avec le temps, il va devenir très difficile de fixer
l'origine ethnique d'un individu en raison notamment des mariages mixtes. Alors, on va, dès le IXe siècle,
présumer que l'on appartient à la loi dominante du lieu où on est né. C'est donc un critère territorial – le lieu de
naissance - qui fait présumer l'appartenance à une loi. Par exemple, on présume qu'un barbare né en Bourgogne
relève de la loi Gombette. Dans les régions où les barbares sont en faible nombre, on présume l'appartenance à
la loi romaine.

Avec le temps et les mariages mixtes, la loi dominante devient peu à peu la loi appliquée dans toute la
région.

6. L’avant-garde de la famille romano germanique : l’empire


Carolingien

En 751, l'avènement de Pépin le Bref marque le début de la dynastie carolingienne. Pour légitimer son pouvoir,
Pépin se fait sacrer et ses successeurs le seront également après lui. Son fils, Charlemagne règnera de 768 à
814. C'est Charlemagne qui ressuscitera l'empire d'Occident en l’an 800. L'empire d'Occident avait disparu en
476, mais son souvenir était resté très vivace dans l'esprit des lettrés, des clercs qui lisaient Saint-Augustin.
L'empire d'Orient, quant à lui, était toujours debout et il fascinait les occidentaux, même s’il était bien amoindri du
fait des conquêtes arabes.

Toute une série de circonstances vont permettre au passé romain de reprendre vie à l’approche de
l'an 800.
• D'abord l'expansion franque qui a dilaté le royaume franc. Une bonne partie du monde occidental est tombée
sous la maîtrise des Francs.
• Deuxième circonstance : les difficultés que traverse, à l'époque, l'empire d'Orient. À Constantinople, les
difficultés s'amoncellent. En effet, en 797, l'empereur régnant est dépossédé par sa mère Irène qui lui fait
crever les yeux et qui prend le titre d'impératrice. Avec une femme sur le trône on a tendance à considérer, en
Occident, ce dernier comme vacant.
• Troisième circonstance : la personnalité du pape. En 795, avait été élu un nouveau pape, Léon III, qui n'avait
pas l'envergure de son prédécesseur. Léon III n'était pas très considéré: c'était un pape menacé, impuissant.
Charlemagne va profiter de la situation pour lui offrir sa protection. C'est Charlemagne qui va d'ailleurs
réintégrer le pape sur son trône alors qu'il avait fait l'objet d'un attentat manqué et qu'il avait dû s'enfuir.

En somme, ni l'empereur byzantin, ni le pape ne sont aux alentours de l'an 800 en mesure de défendre la
chrétienté. Et l'idée va s'imposer qu'il faut rehausser la dignité du seul qui soit en mesure de le faire : À la Noël de
l'an 800, Charlemagne est couronné empereur par le pape dans la basilique Saint-Pierre de Rome. On utilise le
cérémonial pratiqué à Constantinople : on pose le diadème impérial sur la tête de Charlemagne, on le fait
acclamer par le peuple. Le rituel comporte également une adoratio, une prosternation devant l'empereur, c'est ce
qu'a fait le pape lui-même.

Il en résulte pour Charlemagne un pouvoir d'une ampleur inouïe. Car deux traditions se sont jointes sur sa tête :
celle de la royauté sacrée et celle de l'empire romain.
Pour l'Eglise et pour son chef, il ne fait aucun doute que l'empire romain est reconstitué. La capitale de l'empire
romain reconstitué en Occident est installée à Aix-la-Chapelle.

Dans l'esprit des intellectuels de l'époque, cette notion d'empire romain restauré s’accompagne nécessairement
d'un renouveau de l'idée d'Etat. Une idée que l'époque mérovingienne avait bien compromise. Mais c'est une idée
qui a nécessairement des incidences et notamment quant à l'unité de l'empire.

Cet empire carolingien couvre tout l'Occident chrétien à l'exception de l'Angleterre. Il comprend, non seulement
toute la Gaule, mais aussi une grande partie de l'Italie et de la Germanie, ainsi que le nord de l'Espagne. Ses
contours ne correspondent pas à ce qu'avait connu l'empire romain d'Occident. D'abord, il 111a beau être étendu,
il est tout de même moins vaste que ne l'avait été l'empire romain mais il comprend, au nord et à l'est, des régions
qui n'avaient jamais fait partie de l'empire romain. Et dans ces régions vivent des barbares, des germains païens
qui n'ont jamais connu la romanisation. En intégrant ces germains, l'empire carolingien va jouer un rôle clé.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 23


L'empire carolingien, c'est un empire très disparate. Il était plus facile de faire revivre le nom du défunt empire
romain d'Occident que de faire revivre sa réalité. Il fallait donner une certaine unité à cet ensemble, ce qu'ont
entrepris les princes carolingiens. Leur empire va recevoir une unité, une unité relative mais une unité si réelle
qu’apparaît déjà, au point de vue juridique, le premier noyau de la famille romano-germanique. Cette unité repose
sur deux éléments que nous évoquerons successivement : une culture commune d'abord, une loi commune
ensuite.

• Une culture commune

Au VIIIe siècle, la culture était tombée bien bas en Occident, l'Occident faisait tout de même pâle figure à côté
des brillantes civilisations de Byzance et de l'islam.

Cependant, il existait quelques foyers de culture dans les monastères et Charlemagne a voulu étendre à tout son
empire les expériences déjà tentées dans ces centres privilégiés. Il fallait à Charlemagne des clercs et des
administrateurs instruits et c'est pourquoi il a initié une vaste politique culturelle.

C'est un moyen d'unification, parce que cette politique diffuse une idéologie unitaire. Cette idéologie, est une
idéologie d'abord chrétienne. Le prince a pour mission de propager le christianisme et de promouvoir la justice de
Dieu.

Des écoles sont créées dans tout l'empire, les instruments de la culture sont restaurés. On invente une nouvelle
écriture baptisée du nom de « caroline », c'est l'écriture que nous connaissons sous le nom d'italique. Elle est
beaucoup plus rapide à tracer que l'écriture capitale. Et cette écriture caroline va permettre de copier beaucoup
plus rapidement et donc en plus grand nombre des œuvres de toutes sortes, principalement des œuvres
antiques.

L'effort va se porter également sur la langue latine dont la maîtrise est nécessaire à la compréhension des
œuvres antiques. On va restaurer l'usage correct du latin. Et le latin va devenir la langue du savoir, il redevient
une langue universelle. Un fond culturel commun se constitue ainsi, une culture partagée par une communauté
intellectuelle qui parle et qui écrit la même langue. Cette élite sauvera de l'oubli l'héritage antique.

• Une loi commune

L'entourage intellectuel du monarque carolingien est constitué de clercs et l'un des thèmes les plus chers de ces
hommes d'Eglise est celui de l'unité des chrétiens.

Les chrétiens forment un seul peuple, un peuple uni. Les clivages ethniques doivent donc s'effacer devant
l'appartenance à la communauté chrétienne. Alors, l'Eglise encourage la fusion des races, et au point de vue
juridique, prône l'unification du droit. Un seul peuple, un seul droit.

Comment le monarque carolingien a-t-il répondu aux vœux de ses conseillers? Il n'a pas abrogé les lois
personnelles mais il a développé une législation qui s’est superposée aux droits particuliers et qu'il a complétés
ou modifiés. Ces textes portent le nom de capitulaires.

Les capitulaires ont contribué à l'unification juridique de deux façons. D'abord en modifiant, ou en complétant les
lois barbares pour en niveler les différences. Ensuite, en prescrivant des règles applicables à l'ensemble des
sujets de l'empire. Il s'agit donc là d'un droit territorial comparable à celui de l'empire romain sur lequel il prend
modèle. Ces capitulaires puisent une bonne partie de leur inspiration dans les préceptes du christianisme.

L'empire carolingien n'a pas longtemps conservé son unité, il se disloque après la mort du fils de
Charlemagne.

Mais si l'unité impériale a été éphémère, elle va laisser des traces durables pour le droit des pays qui en sont
issus. D'ores et déjà, sont esquissés les premiers contours de la famille romano-germanique.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 24


On perçoit d'ailleurs mieux sa spécificité lorsqu'on la compare avec les droits qui entourent l'empire carolingien.
La démarcation est particulièrement visible au Sud, où l'empire carolingien touche le monde musulman.

Dans le monde musulman, le droit n'a pas d'autonomie par rapport à la religion. La démarcation est également
visible à l'ouest où se développe le droit anglo-saxon, les barbares installés en Angleterre - l'Angleterre, c'est
littéralement la terre des Angles - n'ont, pour la plupart, jamais été romanisés. La civilisation romaine a dépéri en
Angleterre, les barbares y ont imposé leurs traditions. Les rois anglo-saxons ont fait rédiger des lois dans leur
royaume respectif mais déjà ces lois présentaient une particularité par rapport à celles du continent, elles étaient
écrites en langue anglo- saxonne. De tous les peuples germaniques installés en terre romaine, les Anglo-Saxons
ont été les seules à ne pas adopter le latin comme langue officielle. L'Angleterre, déjà, commençait à suivre sa
propre voie.
Au nord, et à l'est enfin, la démarcation se fait également sentir. Le système juridique de ces peuples reste encore
très rudimentaire. Au nord, le monde scandinave est peuplé de païens qui ignorent le droit écrit. La rédaction de
leurs coutumes n'aura pas lieu avant le XIIe siècle. Alors, le fond germanique sera mieux préservé que dans le
reste de l'Europe. À l'Est, ce sont les peuples slaves qui bordent l'empire carolingien. Ils ont échappé à l'influence
carolingienne mais ils subiront en revanche l’influence de l'empire romano-byzantin et de son droit, avant de subir
l’influence de la domination mongole qui commence au XIIIe siècle.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 25


Partie 4 : Les handicaps de l’ordre juridique
aux IVe-XIe siècle

1. Introduction

Nous traiterons ici la période qui court du IV au XIe siècle. L’émission précédente en a présenté des apports
durables pour le droit occidental. Maintenant, nous allons aborder les handicaps qui entravent l’ordre juridique.
Nous y insisterons pour deux raisons. D’une part, c’est l’occasion d’examiner un ordre juridique profondément
diffèrent du notre. Tellement différent qui va nous apparaitre bien exotique. D’autre part, bien des traits que nous
allons observer maintenant, grèvent toute une histoire postérieure. Et les Etats nationaux qui se mettront en place
à partir du XIIe siècle seront obligés de composer avec eux.

Quels sont donc les handicaps de l’ordre juridique du IVe au XI


siècle ?

Ils sont de deux ordres. D’abord, forcer de dresser un procès-verbal de carence. Les données politiques,
économiques et sociales évoluent considérablement au cours de ces 8 siècles. Le droit est donc nécessairement
appelé à se modifier. Le droit romain classique, celui de la fin du III siècle, pouvait-il s’adapter au besoin
nouveau ? Sans doute, il l’a bien fait en Orient. Mais, tel n’a pas été le cas en Occident. Le droit romain classique,
c’était un droit sophistiqué, abstrait. Il avait besoin d’une source vive pour s’adapter. Il avait besoin de support
intellectuel de juriste. Mais, précisément, le juriste disparait en Occident, dès le IVe siècle. L’héritage du droit
romain, n’a donc pas pu être entretenu. Il n’en fallait pas moins, tout le droit s’adapte à des besoins nouveaux. Et,
il a dû le faire sans une véritable force structurante. La place du juriste est donc vacante. La pratique judiciaire n’a
pas pu combler ce vide car la pratique judiciaire était impuissante à engendrer une véritable jurisprudence.

Enfin à partir du IXe siècle la législation elle-même s’efface. Donc, pas de juriste, pas de jurisprudence et pour
finir même plus de loi. Ce sont ces trois points que nous étudierons successivement dans ce procès-verbal de
carence.

Ensuite, nous constaterons qu’il s’est instauré dans l’ordre juridique une véritable confusion de genres et le recul
est particulièrement criant par rapport au droit romain. Alors que le droit romain a séparé le droit du fait, voilà
maintenant le droit se trouve dominé par le fait.

Alors que le droit romain avait été isolé de la religion et de la morale, le phénomène s’inverse, l’autonomie du
droit recule par rapport à la religion et la morale chrétienne.

Alors enfin, que le droit romain distinguait le droit public du droit privé, on constate maintenant, au contraire, la
confusion entre le droit public et le droit privé.

Autant d’éléments que nous évoquerons


successivement.

2. La disparition du juriste laïque


Nous avons vu que l’âge d’or du droit romain se situe à l’époque classique qui s’achève au III e siècle de notre
ère. Au siècle suivant l’Empire romain se partage. En Orient, on parvient à maintenir un enseignement de droit de
qualité mais en Occident la culture juridique s’effondre complètement. L’Occident a bien connu des grands esprits
au IVe et Ve siècle. Mais ces grands esprits ne se sont pas tournés vers le droit. Ils se sont consacrés à la
théologie.

Pour apprendre le droit, on ne dispose guère que des écoles du trivium où on enseigne la grammaire, la
dialectique, la rhétorique... Au passage, on y donne des cours de droit. Ce qu’on y apprend est tout juste bon à
former des praticiens de qualité douteuse. Le résultat, c’est la vulgarisation du droit. Apparait, en effet, un droit
que l’on a qualifié de vulgaire. C’est un droit romain mais un droit romain en quelque sorte parallèle au droit
officiel. Il s’est passé pour le droit ce qui s’est passé pour la langue latine. A côté du latin littéraire, se forme un
latin vulgaire, fruit de la langue parlée.

Le droit vulgaire, c’est le fait de praticien qui ne maitrise pas la technique savante du droit romain classique. Alors
ces praticiens vont simplifier. Ils vont simplifier les textes d’abord, en substituant à leurs versions originales un
résumé plus au moins exact. Ils vont simplifier les concepts théoriques ensuite, en accord avec les priorités ou la
réalité économique.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 26


On se soucie assez peu de constructions subtiles. Bien, à force de simplifier, on a fini par dénaturer. Aux mains de
ces praticiens médiocres, les grands outils romains se sont dégradés, les notions se sont confondues.

Après la chute de l’Empire romain, la situation ne s’améliore pas en Occident. Le juriste laïque disparait
complètement. La culture se réfugie chez les clercs. Certains de ces hommes d’Eglise vont s’intéresser au droit.
Toutefois, aucun ne s’y consacrera exclusivement. De toute façon, sur quels instruments juridiques pourraient-ils
s’appuyer. Les Compilations de Justinien sont inconnues en Occident. Ce qui subsiste du droit romain est
contenu dans le Bréviaire d’Alaric. On y trouve un droit qui a déjà fait l’objet d’une simplification pour être mis à la
portée d’utilisateur plus au moins ignorant. Et ces utilisateurs l’ont ensuite accommodé à leur façon. La
vulgarisation du droit avait commencé sous l’Empire romain, elle va s’amplifier encore. Certes, on conserve les
termes romains mais ils perdent souvent leurs sens techniques. Quant aux catégories romaines, elles se
dégradent continuellement quand elles ne disparaissent pas carrément.

3. L’impossibilité d’une jurisprudence

A partir de l’époque Francs l’organisation juridique rend impossible l’existence d’une jurisprudence. En effet, les
tribunaux du Haut Moyen Age tranchent fortement avec les juridictions du Bas Empire romain. L’Empire romain
connaissait un ensemble hiérarchique des tribunaux avec possibilité d’appel jusqu’à Rome. C’est grâce à l’appel
que l’unité du droit avait pu être préservée. Les juges romains qui étaient des professionnels, ces juges romains
appliquaient des règles précises et détaillées à des faits qui étaient établis aux moyens de preuves rationnelles,
des écrits, des témoignages, des expertises. Dans les monarchies barbares, tout cela disparait. Les juges
professionnels cèdent la place à des juges occasionnels, sans formations, sans qualifications particulières. Les
tribunaux hiérarchisés cèdent la place à un réseau de juridictions locales. L’appel hiérarchique disparait. Pas de
professionnalisation, pas de centralisation non plus. Ce n’est donc pas du système judiciaire qu’on peut attendre
une harmonisation de droit par le biais de ces décisions.
Même au plan local, la justice peut difficilement dégager et imposer une solution de droit en tranchant les litiges.
Cette justice, en effet, doit tenir compte des habitudes germaniques et ces habitudes germaniques prédisposaient
à se faire justice à soi-même. La puissance publique n’est pas toujours assez forte pour imposer sa justice. Les
nobles par exemple, les nobles considèrent que la voie de fait, la justice qu’on se rend à soi-même, est bien plus
honorable que la voie du droit. C’est donc déjà une performance d’attirer les justiciables devant le juge. Et ces
juges alors, ils parent au plus pressé. Il faut par tous les moyens apaiser le conflit pour que la vengeance ne se
rallume pas. Et dans une société, où l’individu compte moins que le groupe auquel il appartient, un conflit met en
jeu non seulement deux plaideurs mais deux groupes familiaux. Il faut coûte que coûte éviter l’affrontement
violent entre ces groupes. Alors, tout est fait pour aboutir à une solution acceptable et acceptée par les deux
parties. Parmi les moyens mis en œuvre pour aboutir à cette solution, nous retiendrons les modes de preuves. On
a coutume d’opposer les procédés rationnels de preuve ou procédés irrationnels.

Les procédés rationnels ce sont ceux que nous connaissons, l’écrit, les
témoignages.

Les procédés irrationnels, eux, ce sont le serment purgatoire et


l’ordalie.

Au Moyen Age, la distinction entre ces deux types de procédés est artificielle. En effet, l’écrit n’a de valeur que s’il
est appuyé par des témoins et le témoignage ne compte que par le serment que prête ces témoins. En somme,
l’écrit et le témoignage sont liés au serment, c’est pourquoi les deux modalités essentielles de preuve en justice
restent le serment et l’ordalie.

Le serment purgatoire, c’est celui que prête un accusé pour se purger c’est-à-dire pour se disculper de
l’accusation dont il fait l’objet. Il faut noter au passage que les catégories du civil et du pénal se sont estompés. La
même procédure, une procédure accusatoire (cf. fiche 29 – Droit Civil) s’applique à tous les procès. L’accusé doit
donc se purger de l’accusation par serment.

Mais son serment seul ne suffit pas. Il faut qu’il fournisse un certain nombre de co-jureurs qui vont se porter
garants de ce qu’il a juré. Ces co-jureurs ne sont pas de témoins. Ordinairement, d’ailleurs, ils n’ont rien vu, ils
n’ont pas assisté aux faits. En outre, ils sont habituellement obligés de venir assister l’accusé en justice parce ’ils
sont liés à lui par une solidarité familiale ou autre. Ils ne sont d’aucun secours réel dans la recherche de la vérité.
En revanche, leur présence atteste du soutient familiale, sociale dont jouit l’accusé.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 27


Voilà des hommes prêts à soutenir sa cause et au besoin par les armes si le litige dégénère en conflit armé. La loi
fixe le nombre minimum des co-jureurs. De 6 à 72 selon le cas. Mais l’accusé peut en produire bien davantage s’il
le veut. Pour les grands personnages cela peut aller jusqu’à plusieurs centaines de co-jureurs. Le procès dès lors
met en quelque sorte en scène un rapport de force. La partie la moins forte, celle qui sait que si on en vient aux
armes, elle perdra. Alors cette partie a tendance d’accepter un compromis.

A l’époque merovingienne, le serment constitue la reine de preuve. Mais ensuite, le serment va perdre du terrain.
Les parjures se multiplient et le serment d’une partie peut être « faussé » par le serment de l’autre partie. On se
trouve dans l’impasse. C’est pourquoi on va recourir à l’ordalie.
Nous reviendrons plus tard sur les modalités de l’ordalie durant le Moyen Age. Ce qui nous importe ici, c’est sa
finalité.

L’ordalie repose sur l’idée de qu’à travers une épreuve Dieu révèle celui qui a tort et celui qui a raison. Puisque
c’est le Dieu lui-même qui décide de l’issu du procès, la décision s’impose à tous.

Quand on considère cette manière de rendre la justice, on comprend bien qu’elle ne peut pas engendrer une
jurisprudence. L’issu du procès dépend soit d’un rapport de force soit de l’intervention divine. Elle ne dépend pas
d’un raisonnement sur lequel on pourra à l’avenir s’appuyer pour appliquer la même solution, à un litige identique.
Le droit est indissolublement lié au fait (on ne distingue pas entre le droit et le fait), tout est tranché d’un seul
coup. Ajoutons encore à cela que la procédure est orale, on ne rédige pas de procès-verbaux, on ne conserve
pas de registre. L’existence même d’une jurisprudence est impossible.

4. L’effacement de la législation

C’est un phénomène que l’on observe à partir du IX e siècle. Ce phénomène est consécutif à la dislocation de
l’autorité publique. Le roi voit, en effet, le pouvoir lui échappé au profit des Grands du royaume. Cette aristocratie
pèse de plus en plus sur les décisions royales. Dès Charles le Chauve, le roi ne peut plus légiférer sans l’accord
exprès des Grands. Les successeurs de Charles Le Chauve légiférant de moins en moins et ils finiront par ne
plus légiférer du tout. Le dernier capitulaire date de 884. La législation royale disparait à cette date, elle disparait
pour plus de 2 siècles. Bientôt, ce sont les lois personnelles qui tombent dans l’oubli. La fusion progressive des
races a entrainé la disparition du système de la personnalité des lois. Déjà par le fait de processus que nous
avons évoqué dans l’émission précédente, une de loi personnelle, celle de la population dominante avait fini par
s’imposer à tous dans un territoire donné. Ainsi la loi salique s’est-elle imposée au pays entre le Rhin et la Loire.
Dans le Midi c’est le droit romain qui s’est territorialisé pour s’appliquer à tous.

Au Xe siècle, plusieurs facteurs concourent à l’oublie de ces deux grandes lois ainsi que des capitulaires. Les
manuscrits ne sont plus transcrits, ils deviennent de plus en plus rares. D’ailleurs les juges sont analphabètes et
cet analphabétisme rend le droit écrit bien inutile. Des lois personnelles et des capitulaires ne restent plus que
quelques vestiges, quelques tarifs de compositions les plus courants, quelques formules tronqués, quelques
expressions mal comprises ou encore déformées et encore avec des variantes locales. Bref, ils ne restent plus
que des épaves d’un droit dans le reste est tombé dans l’oubli. Et, d’autant plus tombé dans l’oubli que l’évolution
de la société l’a rendu inapplicable au besoin nouveau.

La société, en effet, a beaucoup changée au Xe et XIe siècle. On a vu se mettre en place une société féodale
marquée par des nouveaux rapports de dépendance. Les puissants sont liés entre eux par des rapports féodaux-
vassaliques. On devient vassal d’un seigneur qui en contrepartie vous concède un fief. Des humbles eux, pour la
plupart des paysans, les humbles tombent sous la dépendance des puissants auxquels appartient désormais le
pouvoir. Pour régir cette nouvelle société, il faut un droit nouveau. Eh bien, le droit va se créer au coup par coup,
de façon rudimentaire et en reproduisant les mêmes solutions dans des situations identiques.

5. Le droit dominé par le fait : le mode de création du droit

Le droit, nous venons de le voir ne plus ni crée, ni imposé autoritairement par l’Etat. Dès lors, il va être
spontanément produit par le groupe qui l’est destiné à régir. Le droit va se former par l’usage. Mais nous sommes
au Xe et XIe siècle dans un contexte de désintégration politique. Et ce fait là, aussi, va avoir une incidence sur le
droit. Le morcèlement du pouvoir, va entrainer un morcèlement de la vie juridique. Ce sont les deux points que
nous examinerons successivement.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 28


Commençons donc par le mode de création du
droit.

Le droit n’est plus crée par un législateur ou par des juristes. Il procède par le fait. C’est ainsi que se forme la
coutume. La coutume, c’est une source de droit qui nait de la pratique. Elle commence par un usage, suivi par un
groupe, un usage qui répète la même pratique. La répétition est nécessaire dans la formation d’une coutume.
Mais elle ne suffit pas, il faut qu’elle se répète pendant un certain temps, avec constance. Enfin, ce qui distingue
la coutume d’un usage, c’est sa force obligatoire. La répétition constante, pendant longtemps du même usage,
traduit l’acceptation continue d’un groupe sociale et elle engendre une force contraignante pour chaque membre
de ce groupe. Un individu isolé ne peut pas enfreindre la coutume. En revanche, un groupe peut faire disparaitre
la coutume, en abandonnant la pratique qui la fait naitre.

La coutume c’est donc une source du droit souple et d’autant plus souple qu’elle ne sera pas encore fixé dans un
écrit. C’est ainsi que le droit est appelé à se former.

Repliées sur elles-mêmes, les populations se dotent des règles propres qui puisent de bric et de broc dans des
droits anciens que nous venons d’évoquer. Un peu de loi salique dans le Nord, un de Bréviaire d’Alaric dans le
Sud, quelques capitulaires par ci, par là. Pour le reste, la pratique crée des solutions nouvelles au coup par coup,
en fonction des besoins. Ces solutions reproduites dans des cas identiques, deviendront des usages suivis par
tous. C’est vraiment tout l’inverse d’un droit autoritairement et artificiellement crée par le haut. Le droit se forme
plus ou moins spontanément et il est issu de la base de l’acceptation des gens. Une acceptation qui se traduit par
le fait qui suit le même usage. Le droit est donc empirique et le temps joue un grand rôle. La tradition, apparait
comme vénérable. Dans un monde, où l’écrit disparait quasiment, il fallait bien se raccrocher à quelque chose de
fixe. Ce mode de création du droit, affecte aussi bien le droit privé que le droit public, quoi que cette distinction
n’ait plus guère de sens.

Une autre marque de l’influence des faits sur le droit, c’est son formalisme. En un temps, où l’écrit a quasiment
disparu, le droit se forme par des gestes et par des rites. Car la seule façon de le conserver, c’est de faire appel à
la mémoire des hommes. Aussi faut-il des rites propres à frapper l’imagination.

Prenons un exemple, le contrat


vassalique.

Il s’agit du contrat qui lie un vassal à un seigneur. Le contrat vassalique se forme par des rites symboliques qui
ont lieu lors d’une cérémonie publique. Le futur vassal, tête nue, sans arme, s’agenouille et place ses mains
jointes dans celles de son futur seigneur. L’inégalité des conditions est soulignée par la position de chacun. Le
geste du vassal montre sa dépendance. Le vassal prononce une formule, habituellement il dit : je deviens ton
homme, et le seigneur le déclare alors le recevoir comme son homme. Cet échange manifeste un échange des
volontés de deux protagonistes. Puis le seigneur relève le vassal et souvent il l’embrasse sur la bouche en signe
de paix et d’amitié. D’où l’expression courante, d’hommage, de main et de bouche pour qualifier cette première
partie de la cérémonie qui exprime physiquement le lien qui se crée entre les deux parties. Ensuite le nouveau
vassal jure la main tendu sur les évangiles ou sur des reliques, qu’il restera fidèle à son seigneur. Le contrat est
ainsi passé. Ce contrat engendre des obligations pour chacun de deux parties. Parmi les obligations du seigneur
figure celle d’entretenir le vassal. En général, il s’acquitte de cette obligation en concédant un fief à son vassal.
Pour concéder ce fief, là encore, on a un recours à un rite formaliste, l’investiture. Soit le seigneur montre la terre
au vassal on la parcourant avec lui, soit, et c’est le cas le plus fréquent, l’investiture est symbolique. Le seigneur
se contente de remettre au vassal une chose qui symbolise le fief. Un objet censé représenter le fief, une motte
de gazon, une branche d’arbre ou encore un objet exprimant la fonction militaire attachée au fief. Le seigneur
remet, alors, une épée, un galon, un étendard. Comme l’hommage, l’investiture se déroule en public, donc,
devant des témoins. Ces témoins vont en conserver le souvenir.

La vie juridique se présente, ainsi, sous une forme frustre, dominée par le fait. Mais les faits varient car les
besoins des hommes varient, selon les lieux et les catégories sociales. Alors le droit se forme en ordre dispersé.

6. Le droit dominé par le fait : le morcellement de la vie juridique

Nous avons déjà évoqué le processus par lequel l’autorité publique se disloque. Ce processus intéresse le cadre
politique dans lequel vont naitre les embryons des coutumes. Ce cadre politique est plus ou moins grand selon
les lieux.

Parfois l’autorité du prince territorial ne s’est pas disloquée. C’est le cas en Normandie ou en Flandre. La plupart
du temps le cadre est beaucoup plus petit. Il s’agit de la seigneurie banale.

La seigneurie banale occupe un espace variable, parfois sa dimension est très réduite. En moyenne, elle
correspond à un canton actuel. Et ces seigneuries vivent isolées les unes des autres. Les communautés
humaines sont au Xe et XIe siècle

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 29


très repliées sur elles-mêmes. L’insécurité a provoqué le déclin des relations qui étaient déjà très difficiles du fait
de l’insuffisance des voies de communication et du fait des entraves naturelles dans un pays comme la France.
Les montagnes, les fleuves, les forêts, les marécages, sont d’autant des frontières naturelles. Frontière, c’est le
mot juste, car on vit tellement replié qu’un individu extérieur à la petite communauté est considéré comme un
étranger. C’est dans ce cadre étriqué que le droit va se former.

Il en résulte un extraordinaire émiettement géographique du droit. Chaque seigneurie a ses propres usages, nés
d’une pratique répétée. C’est ainsi que le seigneur a pu imposer ses prérogatives aux populations qui habitent
dans sa seigneurie. Le seigneur exerce tous les droits régaliens.

Et le premier de ses pouvoirs, c’est le pouvoir militaire. Les sujets de la seigneurie doivent au seigneur le service
militaire. Quel est le contenu de ce service militaire ? Il s’agit d’abord d’une participation aux combats quand le
seigneur convoque ses sujets. C’est aussi un service de garde au château. Voilà un service beaucoup plus lourd
que le premier parce que c’est un service permanent avec un roulement entre des équipes des manants. C’est,
en troisième lieu, des réquisitions faites par le seigneur sous forme des fournitures de vie ou de logement pour les
gens de sa troupe. C’est, enfin, une obligation très lourde. La corvée pour une construction ou d’une réparation du
château. Ce service militaire, roturier, il est indispensable. Pourquoi ? Eh bien, tout simplement parce que les
guerres privées sont nombreuses. Aujourd’hui la guerre n’est concevable qu’entre des Etats. Mais, autant des
seigneuries, la guerre était du domaine des rapports entre particuliers. C’était un moyen de régler les conflits pour
les nobles, au moins. On lavait ses offenses en combattant. A la limite c’était pour les nobles un sport honorable.
2ème droit régalien du seigneur, la justice. Le seigneur détient une véritable plénitude des juridictions. Une
juridiction qui exerce sans contrôle en premier et dernier ressort. Il détient ce que l’on appelle la justice de sang.
Cette expression montre bien que le seigneur peut condamner à mort. Mais rendre la justice, c’est surtout pour le
seigneur, l’occasion de percevoir de l’argent. Il prononce des amendes, des amendes arbitraires, il prononce des
confiscations de bien. La confiscation c’est même la peine de prédilection des cours seigneuriales. Il prononce
aussi des peines corporelles, que les condamnes peuvent parfois rachetées en argent. A ces profits de justice, il
faut rattacher les droits d’aubaine. Le droit d’aubaine, c’est le droit du seigneur sur les étrangers. L’aubin, c’est en
effet, un étranger, un étranger au microcosme de la seigneurie. Le droit d’aubaine permet au seigneur de recueillir
la succession d’un étranger mort dans sa seigneurie. Par exemple, si un marchand en provenance d’une
seigneurie voisine vient à mourir en traversant la seigneurie, tout ce qu’il avait avec lui revient au seigneur. Ses
marchandises, son charrois, ses chevaux, ses effets personnels, des pièces de monnaie qui portaient sur lui. Tout
revient au seigneur.

Ensuite le seigneur détient le pouvoir financier. C’est à lui que les sujets versent l’impôt direct, que l’on appelle la
taille. Pourquoi la taille ? Le mot vient du geste que faisait le seigneur quand un paysan lui payer l’impôt. Il faisait
une encoche, une taille sur un bâton qui était remis au manant en guise de quittance. La taille, en général, était
versée en nature. Le plus souvent, par les denrées alimentaires, du blé, du bétail. Cet impôt est censé
représenter le prix de la protection accordée par le seigneur aux habitants de la seigneurie.

A cet impôt direct, s’ajoutait une foule d’impôt indirecte. Le seigneur percevait des taxes sur la circulation des
marchandises qui passaient par les routes, les ponts, les rivières de sa seigneurie ou encore il percevait des
taxes sur les marchés, les poids et mesures.

Le seigneur tirait aussi recette de ce qu’on appelle les banalités. Il s’agit de droit économique perçu sur des
installations dont le seigneur a le monopole. Par exemple, le seigneur était le seul à détenir un four et tous les
habitants devaient venir faire cuire leurs pains au four banal moyennant une taxe. De même pour le moulin ou
pour le pressoir.

Enfin, le seigneur exerçait certains droits sur les serfs. Sans être des esclaves, les serfs n’étaient pas des
hommes libres. Et l’infériorité de leurs conditions se traduisait par des incapacités personnelles. Par exemple, ils
ne pouvaient pas aller chercher femme ou mari à l’extérieur de la seigneurie sans autorisation du seigneur.
Naturellement, le seigneur faisait payer cette autorisation quand il l’accordait. Ensuite le serf ne pouvait pas
transmettre ses biens à cause de mort.

Sa succession appartenait au seigneur. C’est ce qu’on appelle le droit de main morte. Au XIe siècle, le servage
était si répondu, que c’était pratiquement la condition habituelle des paysans.

Tous ces droits seigneuriaux, ont été transformés en coutume par leurs répétitions dans le temps. L’acceptation
passive des manants, a transformé ces usages en coutumes. Les sujétions imposées par le seigneur ont ainsi
acquis force de droit. Mais sur un même territoire, le droit n’est pas le même pour tous. La personnalité de loi
fondée sur les critères ethniques a disparu. Eh bien, elle va ressurgir sous une forme nouvelle, reposant cette fois
sur des critères sociaux.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 30


Par l’entremise de l’Eglise, en effet, est apparue une représentation idéologique de l’organisation sociale
qui va avoir un succès considérable, puisque ce schéma d’explication de la société est resté en vigueur jusqu’à la
Révolution.

Il s’agit de l’idéologie de trois ordres. Cette idéologie repose sur la conviction que, dans un souci d’harmonie et de
paix, Dieu veut que la société soit divisée en trois ordres. Chaque ordre doit se consacrer à une fonction
particulière. Les uns prient, d’autres combattent, les autres, enfin, travaillent.

A ces trois fonctions sociales correspondent trois genres de vie qui justifient que le droit ne soit pas le même pour
tous. Que le droit, surtout, ne soit pas le même pour les humbles et pour ceux qui détiennent la puissance. Pour
les puissants, il faut des privilèges, c’est-à-dire, au sens étymologique du terme, des lois particulières, des statuts
particuliers. Seuls les hommes du commun, ceux qui travaillent en grattant la terre, seuls ces hommes du
commun sont assujettis au seigneur. Les clercs, les hommes d’Eglise, s’acquittent, de leur fonction en priant pour
tous. Ils jouissent d’un privilège de juridiction, le privilège du fort qui les rend justiciables des seuls tribunaux
ecclésiastiques. Ils ont leur droit, le droit canonique et ils sont exemptés des charges militaires et fiscales.

Ceux qui combattent, ceux qui combattent à cheval, préfigure l’ordre de la noblesse. Ils ont également des
privilèges. Le droit de porter les armes, puisque leur fonction est de combattre, le droit de vivre du labeur du
peuple et donc de le taxer puisqu’ils le protègent. Et, enfin, un privilège de juridiction. Ils sont jugés par leurs
paires au sein d’une cour féodale.

Cette nouvelle version de la personnalité du droit a engendré, à son tour, des usages distincts pour chaque
catégorie sociale. Les besoins, en effet, ne sont pas les mêmes d’un ordre à l’autre. Peu à peu, avec bien des
tâtonnements, on voit se dessiner des usages intéressants la paysannerie d’un même lieu. D’autres usages
applicables aux membres d’une même collectivité religieuse. D’autres, enfin, pour les nobles. Différents faisceaux
d’usages donc, qui varient selon les microcosmes où ils sont nés. Pourtant, il ne faut pas s’exagérer ces variantes
car chaque catégorie sociale réagit souvent de la même façon quand elle est confrontée au même type de
besoin. C’est ainsi, par exemple, que la solidarité paysanne face au seigneur s’est souvent traduite par des
usages communautaires et égalitaires. Pour les puissants, en revanche, les besoins sont tous différents. La
cohésion du groupe suppose un chef. Un chef dont l’autorité est sans partage. La famille noble, alors, va adopter
une discipline successorale propre à préserver le patrimoine qui est la source de sa richesse et de sa puissance.
C’est pourquoi l’usage est fréquent chez les nobles de favoriser l’ainé au détriment de cadet pour ne pas morceler
la terre.

Ainsi ce sont formées des coutumes. A l’époque qui nous concerne, il ne s’agit encore que d’embryon de
coutume. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de jurisprudence. Or, la jurisprudence est indispensable à la coutume.
En effet, c’est le juge qui consacre une coutume. Il ne crée pas la coutume, il ne fait que constater son existence
mais dès lors qu’il l’applique, il consacre la coutume. Dans un système coutumier, le juge joue un rôle essentiel.
Alors, l’absence de jurisprudence au Xe et XIe siècle représente un très lourd handicap pour le droit coutumier en
gestation. Il reste très frustre.

7. L’emprise de la religion sur le droit

L’autonomie du droit, par rapport à la religion, subit un très net recul. Plusieurs facteurs contribuent à ce recul.
D’abord la mentalité barbare qui n’isole pas le droit de la religion. Ensuite le monopole des clercs sur la réflexion
juridique. Car qu’est-ce que le droit pour ces hommes d’Eglise ? Pour eux, le seul vrai droit est celui de Dieu et
les lois humaines doivent essayer de s’y conformer et de promouvoir la morale chrétienne. Le but des lois
humaines est de servir l’Eglise, d’inciter le peuple au respect de la loi divine, de conduire le peuple à agir
droitement. Cette conception du droit a tellement marquée le monde occidental, que dans toutes les langues
d’Europe le droit s’appelle « droit » précisément. Alors que les Romains l’appelaient « ius ». Enfin, dernier facteur,
le droit est impuissant à suffire à lui-même, il lui faut le soutien du sacré.

Prenons quelques exemples :

- Les particuliers ont recours au sacré pour appuyer leurs droits. C’est par serment que l’on renforce, voire,
parfois l’on crée une obligation. - Les actes juridiques se terminent fréquemment par des anathèmes
qui vouent à l’enfer ceux qui les violeraient. - La justice, elle aussi, fait appel au sacré dans les modes de
preuves. Le recours à l’ordalie se généralise à l’époque carolingienne. A travers une épreuve physique
s’exprime le jugement de Dieu. On distingue l’ordalie unilatérale de l’ordalie bilatérale.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 31


o La première est subit par une seule partie, l’accusé en principe, la seconde est subit par les deux parties.
L’ordalie unilatérale connait plusieurs formes, par exemple, l’ordalie du pain et du fromage. Le patient doit
ingurgiter une grande quantité de ces aliments sans être incommodé. Ou encore, l’ordalie de l’eau froide. On
lie les membres du plaideur avant de l’immerger dans de l’eau préalablement bénie. Si l’eau le rejette, ce qu’il
est coupable, le méchant flotte dit-on. S’il coule, il est innocent. Evidemment on le repêche avant qu’il ne se
noie. Dans l’ordalie du chaudron, on doit plonger la main dans un chaudron remplie d’eau bouillante pour y
prendre un objet. Dans celle du fer rouge, on applique un fer incandescent sur une main. Dans ces deux
derniers cas, la main brulée est enveloppée dans un sac est examinée au bout de quelques jours. L’aspect de
la plais décide alors du résultat de l’épreuve. Toutes ces épreuves sont plus au moins difficiles à réussir, les
juges le savent et en pratique les juges choisissent l’une ou l’autre épreuve en fonction de leur intime
conviction. S’ils croient l’accusé innocent, ils prescriront l’eau froide, s’ils le croient coupable ça sera le fer
rouge. o L’ordalie bilatérale, elle, est subit par les deux parties. La plus connu, c’est le duel judiciaire. Les
deux parties s’affrontent en combat singulier. En principe en personne, mais les femmes et les malades ont
droit à un champion. L’ordalie est beaucoup moins irrationnelle qu’il n’y parait. La foi est très forte. Celui qui a
tort, va se trouver psychologiquement en état d’infériorité. Bien souvent, il n’ose même pas subir l’épreuve, il
préfère avouer. S’il l’a subit, il part d’une certaine manière, battu d’avance. Sa gorge se noue, il ne pourra pas
avaler le pain et le fromage. S’il se présente en duel judiciaire, il adopte instinctivement une attitude défensive.
- Une dernière marque de l’influence de la religion s’observe à propos du pouvoir royal. C’est dans la Bible,
que l’on a trouvé le fondement le plus ferme du pouvoir royal. Il s’agit du sacre. Les rois d’Israël recevaient
l’onction d’une huile sainte pour montrer qu’ils tiraient leur pouvoir de la volonté de Dieu. Dans le royaume
Francs, le sacre est utilisé pour la première fois en 751. C’est par ce moyen religieux, que Pépin le Bref
légitime son coup d’Etat. Pour éliminer la royauté merovingienne qui était légitime, Pépin doit se réclamer
d’une légitimité supérieure. Avec le sacre, il invoque l’origine divine de son pouvoir. Après Pépin, tous les rois
carolingiens puis capétiens seront sacrés jusqu’à la Révolution et même au-delà, car Charles X, encore, sera
sacré. Le sacre fait du roi un personnage hors du commun. Un personnage hors du commun car il est choisi
par Dieu. C’est pourquoi le roi de France ne sera jamais considéré comme un prince comme les autres. Même
au moment où son autorité effective sera au plus bas. Son pouvoir restera d’une essence supérieure à celui
de tous les autres princes. La cérémonie du sacre, précisons le enfin, n’a pas seulement une portée
religieuse. A l’époque qui nous concerne, elle a aussi une portée juridique essentielle, c’est elle qui crée le roi.
C’est avec le sacre, qu’un homme devient roi.
8. La confusion droit public – droit privé

Voilà, encore, un trait qui marque profondément l’ordre juridique à partir des monarchies barbares. La tradition
germanique ignore la distinction entre droit public et droit privé. De cette confusion, nous allons d’abord observer
les manifestations, en ce qui concerne la royauté à l’époque franque. Mais, cette confusion n’affecte pas
seulement le pouvoir royal. Plus généralement, tout ce qui est public va faire l’objet d’une appropriation privé.

A l’époque franque, la notion même d’Etat a disparu. Le pouvoir royal est conçu comme un pouvoir, à la fois,
personnel et patrimonial.

Un pouvoir personnel, d’abord, car le roi merovingien puis carolingien, règne davantage sur des hommes que sur
un territoire. On le comprend d’ailleurs. Cette tradition s’est constituée en un temps où les Germains étaient
encore nomades. Héritage de ce temps, le pouvoir du roi repose largement sur les liens de fidélité personnelle
qu’il tisse avec ses sujets. Si on obéit au roi, c’est moins par obligation envers l’Etat qu’il représente que parce
qu’on s’est, personnellement, engagé à le faire.

A ce caractère personnel, s’ajoute le caractère patrimonial du pouvoir. Parce que le pouvoir s’incarne tout entier
dans la personne du chef, le pouvoir et ses attributs sont la chose du chef, son bien propre. De même, le territoire
acquis, par droit de conquête, le royaume lui-même est considéré comme le patrimoine de la famille de Clovis. Il a
été conquis par les armes, le royaume est la propriété du roi. Comme les terres familiales en droit privé, le
royaume est possédé par la famille mérovingienne à titre héréditaire.

Cette conception patrimoniale du pouvoir entraine des conséquences importantes. Le roi peut disposer du
royaume de son vivant. Il peut vendre ou donner des terres pour récompenser ses guerriers, notamment. Mais la
conséquence la

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 32


plus importante s’observe à la mort du roi. Le royaume est partagé comme dans une succession ordinaire,
suivant la loi salique, la loi personnelle des Francs Saliens, celle de la famille mérovingienne. Les enfants se
partagent le royaume, à l’exclusion des filles. En 511, à la mort de Clovis, ces quatre fils se sont partagé le
royaume.

Pourtant le royaume mérovingien a échappé à la parcellisation que ce système promettait. Soit que les héritiers
meurent de mort naturelle. Soit qu’ils soient éliminés de divers manières, la tonsure est la moins violente. On
pratique aussi l’assassinat. On s’entretue allégrement dans la famille mérovingienne. Ces pratiques sont
acceptées. Si elles sont acceptées, cela tente à prouver, que malgré le principe de partage, on cherche quand
même à préserver l’unité du royaume. Les choses auraient dû changer avec les carolingiens. En effet, les clercs
qui entourent les monarques font renaitre la notion d’Etat et ils analysent le pouvoir comme une fonction, et non
pas comme une propriété de celui qui l’exerce. Pourtant, cette idéologie se heurte à la persistance des mentalités
barbares.

On remarque d’abord que le royaume continue à être à la disposition du roi. Le roi continue à en disposer au
profit de ses proches. On peut même dire, qu’il en dispose de plus en plus. Les hauts dignitaires reçoivent
toujours davantage des dotations foncières. Alors même que Charlemagne a restauré l’Empire d’Occident et qu’il
se présente en successeur de l’Empereur romain, il use d’une pratique qui aurait été inconcevable dans l’Empire
romain. Si l’Empereur pouvait disposer de son domaine privé, il existait aussi un domaine public qui était
inaliénable, lui. Beaucoup plus grave encore, le partage du royaume. Il y a une véritable incohérence entre
l’idéologie qui inspire l’entourage du roi et la politique que mènent les rois dans la réalité. Si Pépin régnait seul,
c’est parce que son frère Carloman avait pris l’habit. Si Charlemagne régnait seul lui aussi, c’est parce que son
frère, un autre Carloman était mort. Si enfin, Louis le Pieux règne seul, c’est parce que ses deux frères sont
morts. En effet, Charlemagne avait prévu en 806 une division égalitaire de ses Etats. En somme, c’est par hasard
que l’unité de l’Empire a été conservée. Sous l’influence de l’Eglise, Louis le Pieux avait d’abord réglé sa
succession dans le sens de l’unité impériale en 817. Pourtant, quelques années plus tard, il abandonnera cette
ligne de conduite. En effet, il s’est remarié et sa 2 ème femme Judith de Bavière lui a donné en 823 un nouveau fils,
Charles, le futur Charles le Chauve. Et Judith réclame une part de l’Empire pour son fils. Louis le Pieux va céder,
l’idée d’unité impériale tombe dans les oubliettes. On en revient à la tradition barbare du partage.

En 843, le traité de Verdun consacrera le partage définitif de l’Empire. Ce traité maintien une espèce d’unité de
façade. Cette façade, elle – même ne durera pas longtemps.

Cette pratique du partage de royaume disparait en 888. Pourquoi disparait-elle alors ? Parce qu’à partir de cette
date-là, le roi sera élu par les Grands. Plus question, par conséquent, de partage le royaume entre plusieurs, on
élit un seul roi. Mais dans le même temps, ce sont les fonctions publiques qui sont devenues patrimoniales. Et
plus généralement, tout ce qui est public a fait l’objet d’une appropriation privée. C’est le cas, répétons-le, des
fonctions publiques. Les titulaires de charges publiques, profitent de l’affaiblissement de la royauté pour raffermir
leur situation. En quelques décennies, ils vont parvenir à rendre leurs fonctions héréditaires. Les fonctions
publiques se transmettent alors de père en fils. De même, les terres publiques feront l’objet d’une appropriation
privée par leurs bénéficiaires. Alors que, au départ, elles avaient été concédaient provisoirement pour rétribuer les
services. Enfin, ce sont carrément les prérogatives de puissance publique qui font l’objet d’une appropriation.

La confusion entre public et privé attient son comble avec la seigneurie banale. Le seigneur exerce tous les droits
régaliens, nous l’avons vu, mais ils exercent ces droits à son profit. La fiscalité tombe dans son escarcelle, il en
dispose comme il l’entend. Le droit de guerre lui sert à vider ses querelles ou à piler la seigneurie voisine. Quant à
la justice, c’est un droit très lucratif. Elle lui permet de prononcer des amendes, des confiscations, dont il empoche
le produit. Elle lui permet aussi de dépouiller les petits propriétaires, restés indépendants. Il suffit de convoquer
ces petits propriétaires à son tribunal pour contester leurs propriétés. Faute d’autres preuves, les malheureux sont
invités à prouver leur droit au moyen de l’ordalie. De préférence celle du fer rouge, la plus difficile à réussir.

A la fin du Xe siècle la longue du droit consacre la confusion entre public et privé en confondant sous le même
vocable de « consuetudines », tous les droits qui appartiennent au seigneur. Le même terme s’applique à ses
prérogatives régaliennes et au droit qu’il tire de l’exploitation de son domaine foncier, c’est-à-dire à des droits de
nature privée. Quel que soit leur origine, tous sont considérés comme faisant partie du patrimoine du seigneur. A
ce titre, il peut tous les donner, les vendre, les léguer ou encore les concéder à autrui.

Au XIe siècle, la vie juridique est frustre. Le droit qui régit la nouvelle société est en formation. Ses normes sont
très imprécises, ses règles sont floues. Mais le XIe siècle, c’est un siècle charnière. L’Occident s’apprête, alors, à
tourner la page du Haut Moyen Age et déjà une poigné d’intellectuels commence en Italie à faire revivre l’héritage
du droit romain.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 33

Partie 5 XIIe – XVe siècle : La révolution européenne


des droits savants

1. Introduction

Nous abordons maintenant une période de profondes transformations. Elle commence dans la 2e moitié du XI
Siècle. Les invasions s’arrêtent et on assiste à une transformation de l’économie et de la société.

En quoi vont-elles changer? L’économie du haut moyen âge, c’était une économie domaniale;
essentiellement agricole, une économie fermée. Quant à la société, c’était d’abord une société guerrière.

A la fin du XI Siècle, tout cela va profondément changer. Il y a un renouveau économique. On défriche


massivement dans les campagnes et puis surtout, on voit réapparaitre les échanges. On voit réapparaitre une
économie de marché.
• Pour faire ces échanges, il faut des lieux fixes et cela entraine la renaissance des
villes,
• Il faut aussi que l’on puisse passer facilement d’une seigneurie à l’autre, sans danger. On ne peut plus
s’accommoder de l’insécurité chronique, on ne peut plus accepter les guerres privées entre seigneurs. D’une
façon générale, on va essayer de se libérer des contraintes imposées par les seigneurs. Cette émancipation,
elle, commence dans les villes mais elle va aussi gagner les campagnes.

Ce qui se produit aussi à partir de la fin du XI Siècle, c’est l’essor des pouvoirs centraux. Dans l’Eglise d’abord,
dans le Saint Empire romain-germanique ensuite; enfin, dans des cadres nationaux. En Angleterre, en France, en
Espagne, on voit renaitre l’idée d’Etat. Les rois commencent à restaurer leur autorité. La centralisation va
succéder à l’autonomie locale que connaissait le haut moyen âge.

Toutes ces transformations supposent un renouvellement du droit. Alors comment va se produire ce


renouvellement du droit? Il va emprunter 2 voies différentes, et ces 2 voies différentes vont déboucher sur 2
grandes familles de droit.
• En Angleterre, ce sera le système du Common
Law,
• En Europe continentale, la modernisation passera par le droit romain.

C’est à ce moment là qu’est vraiment fondé le système Romano


Germanique.

Quelques mots de l’Angleterre d’abord. Pourquoi l’Angleterre a t’elle fait bande à


part?

Et bien, parce qu’elle était en avance. En France, une des seules principautés territoriales qui ne s’était pas
disloquée, c’était la Normandie. Le duc de Normandie avait maintenu son pouvoir. Et bien, ce Duc de Normandie
fait la conquête de l’Angleterre. C’est la conquête de Guillaume le Conquérant en 1066. Et une fois Roi,
Guillaume le Conquérant assure très vite son autorité sur tout le territoire anglais. Lui et ses successeurs vont
moderniser le système judiciaire. Ils vont mettre en place un tribunal royal central et ils vont imaginer un système
pour attirer les justiciables devant cette juridiction royale, évidemment au détriment des justices seigneuriales et
locales. Ce système c’est celui des WRIT. En français on les appelle les brefs.

Comment fonctionne ce système?

Et bien, tout justiciable peut adresser une requête au roi. Cette requête est examinée par le chancelier. Si le
chancelier estime qu’elle est fondée, il délivre une action judiciaire. Cette action prend la forme d’un ordre du Roi,
le bref, qui donne compétence au tribunal royal. Au début, on procède à un examen approfondi, dans chaque cas,
pour savoir s’il faut délivrer un bref, et puis les brefs vont être accordés de plus en plus dans des cas toujours plus
nombreux. Evidement les seigneurs féodaux anglais ont protesté. Et au XIII Siècle, ils ont obtenus du Roi que la
liste des brefs soit close. Effectivement, cette liste ne variera plus, on ne créera plus de nouveaux types de brefs.
Mais la jurisprudence des cours royales, elle, ne renonce pas à attirer de nouveaux justiciables, et pour les attirer
elle fait rentrer toutes sortes de cas nouveaux dans le cadre des brefs qui existaient déjà. Et bien, c’est ainsi que
c’est formé le Common Law. C’est un droit d’origine judiciaire, c’est un droit casuistique qui s’enracine au cas par
cas dans les brefs et dans la jurisprudence postérieure.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 34


En Europe continentale,

La modernisation du droit a adopté une toute autre voie. Elle a suivi la voie du droit romain. A la fin du XI Siècle,
on redécouvre les compilations de Justinien. Et les 1ers à exploiter ces compilations seront la Papauté et le Bas
Empire.

Qu’a t’on trouvé dans les compilations?

• On a trouvé un modèle de gouvernement centralisé, une organisation judiciaire centralisée, une procédure
judiciaire rationnelle, et ce modèle sera repris d’abord par la Papauté et le Saint Empire, puis ensuite par les
états monarchiques.
• Dans les compilations on a aussi trouvé un corps de règles écrites, de règles fixes, un droit savant avec une
technique sophistiquée. Un droit très supérieur évidement à celui du XI Siècle. Et ce droit, chacun va vouloir
l’utiliser à son profit. A commencer par l’Eglise. L’Eglise qui va s’en servir pour moderniser son propre droit, le
droit canonique. Le droit canonique sera très vite modernisé. Il conquiert très vite son autonomie et à son tour
il devient savant.

Droit romain, droit canonique, voilà donc les 2 droits savants qui vont provoquer une véritable révolution
juridique.

Au moyen âge, le droit savant, la science du droit ne sera pas comme à Rome, aux mains de
jurisconsultes praticiens. Elle se construit à l’Université, là où les droits savants font l’objet d’un enseignement.
Cette science est construite par des professeurs, et ces professeurs vont procéder comme l’avaient fait avant eux
les professeurs de droit à Rome, ils vont systématiser. Et ils vont systématiser bien d’avantage que ne l’avaient
fait les professeurs de droit à Rome. C’est à ce moment que notre droit acquiert son caractère théorique et
conceptuel.

Mais les professeurs ne sont pas forcément des rats de bibliothèque. Ils se soucient également de la pratique. Le
droit qu’ils vont construire, et bien ce droit va servir, il va s’appliquer partout en Europe continentale. La justice va
l’utiliser comme droit supplétoire à chaque fois qu’elle est confrontée à une lacune du droit. Or rappelons nous
l’état du droit au XI Siècle, les lacunes étaient nombreuses et l’évolution rapide de la société et de l’économie a
engendré d’autres besoins encore, ce qui multiplie les lacunes du droit. Pour les combler, on a recours au droit
créé par les savants universitaires. Et ce droit il est commun à toute l’Europe continentale, il y a une véritable
communauté de droit et c’est cette communauté qui soudera la famille Romano-Germanique. Ce droit commun va
marquer profondément et dans le même sens, tous les pays où il s’est appliqué.

Enfin il faut mentionner un autre aspect de l’utilité pratique des droits savants, c’est leur application en droit
public.

C’est grâce au droit savant, en effet que l’on va abandonner la confusion entre droit privé et droit public. Le droit
public va connaitre une remarquable promotion.

Voila les différents points que nous allons traiter dans cette cassette. Nous les aborderons successivement sous
les intitulés suivants: La redécouverte du droit romain, L’autonomie du droit canonique, Un droit de professeur,
l’expérience d’un droit cosmopolite et enfin la promotion du droit public.

2. Redécouverte du droit romain

Commençons donc par la redécouverte du droit


romain.

D’après une légende, on aurait redécouvert un manuscrit du Digest, par hasard, dans une maison en feu. En
réalité le hasard n’y est pour rien. La résurgence du droit romain accompagne un grand conflit politique qui
secoue la fin du XI Siècle. Un conflit qui oppose la Papauté au Saint Empire. Voilà 2 puissances rivales qui
revendiquent toutes les 2 la primauté universelle. Toutes les 2 elles vont chercher dans le droit romain de quoi
appuyer leur cause.

De quoi appuyer leur cause non seulement dans la lutte qui les oppose l’une à l’autre, mais aussi pour renforcer
leur autorité au plan de leur organisation interne.

Le Pape veut centraliser son autorité sur toutes les structures ecclésiastiques. L’Empereur germanique, lui, veut
reprendre en main le royaume d’Italie où les cités-Etats se dressent contre lui. Et l’Italie justement, se trouve au
cœur de ce mouvement. L’Italie, et plus précisément Bologne.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 35


Pourquoi? Et bien, parce qu’a Bologne un grammairien, qui s’appelle Irnerius, a commencé à enseigner le droit
romain a la fin du XI Siècle. Pendant des siècles on n’avait abordé le droit romain que de façon incidente dans le
cadre du Trivium où l’on enseignait la grammaire, la rhétorique et la philosophie. Irnerius est un grammairien,
mais il prend conscience que le droit romain a un langage propre, et il va se lancer dans l’analyse de ce langage
qui lui ouvre des horizons insoupçonnés à l’époque.

Voila le droit romain, à nouveau étudié pour lui même, avec un enseignement spécialisé. Cet enseignement
profite aux laïcs évidemment, mais il profite également aux clercs parce qu’il va leur permettre de mieux
comprendre leur propre droit, le droit canonique. En effet, les textes de droit canonique comportent beaucoup de
termes romains.

Ce premier enseignant, Irnerius, a fait des émules, il a formé des disciples. Les plus célèbres constituent le
groupe dit des 4 docteurs. On arrive de toute l’Europe pour suivre l’enseignement de Bologne. Une fois instruits
les élèves rentrent chez eux. Quand ces élèves rentrent chez eux, à leur tour, ils donnent des leçons de droit
romain, et c’est ainsi que les foyers d’enseignement se multiplient partout en Europe.

La science du droit est bel et bien réveillée. Son premier travail consiste à comprendre les mots. Il faut
réapprendre un vocabulaire dont on avait oublié le sens. Réapprendre le langage technique d u droit. Il faut
expliquer les textes.

Alors comment s’y prend-on? Et bien, le maitre commence par lire le texte à étudier. Il lit lentement parce que
beaucoup d’élèves n’ont pas les moyens d’acheter des manuscrits. Les manuscrits coutaient très cher, on dit
qu’ils coutaient le prix d’une petite maison, alors le maitre lit lentement, et les élèves copient le passage. Le
professeur donne ensuite un aperçu général sur le contenu du texte et puis il en arrive à l’explication détaillée.
Cette explication, on la consignait directement sur les manuscrits des textes romains. C’est ce qu’on appelle les
gloses.

Quand les gloses étaient courtes, on les écrivait entre les lignes des textes romains, mais quand elles étaient plus
longues, on les écrivait dans la marge. A cause de cette pratique de la glose, on a donné à ces premiers
enseignants le nom de glossateurs.

Naturellement, avec le temps, les gloses se sont accumulées, et il a bien fallu y mettre un peu d’ordre. C’est ce
qu’a fait Accurs (Accursis Florentinus). Accurs était encore un grand maitre de Bologne. Et bien, Accurs a
sélectionné l’essentiel des gloses et il les a publiées. Il les a publiées vers 1230 dans un ouvrage appelé La
grande glose.

3. L’autonomie du droit canonique

A la fin du XI Siècle, le droit canonique est encore un droit empirique. Il n’est même pas encore bien distingué de
la théologie. Il a fallu commencer par isoler les sources propres au droit canonique, et cela va déboucher sur la
constitution du Corpus Juris Canonisi, le Corps de droit canonique.

Avec ce corpus, le droit canonique devient désormais autonome par rapport à la


théologie.

Ce droit est également un droit autonome par rapport au droit laïc et même dans une certaine mesure, il se révèle
autonome par rapport à la morale. Voilà autant de points que nous traiterons successivement.

Voyons d’abord comment c’est constitué le corpus juris


canonisi.

Là encore tout part de Bologne au XII Siècle, et ce n’est pas par hasard. Bologne c’était la capitale européenne
du droit, et les clercs suivaient eux aussi les enseignements des glossateurs. C’est justement un moine de
Bologne qui va constituer le 1er recueil vraiment raisonné de droit canonique. Ce moine s’appelle Gratien.

Gratien a collecté des textes qu’il a puisé dans des sources de toute sorte. Cela faisait 1000 ans que l’Eglise
accumulait des règles. Ces règles on les trouvait d’abord dans les saintes écritures, chez les pères de l’Eglise
mais elles provenaient aussi des conciles et du Pape. On appelle les décisions des conciles les canons et c’est
de la que vient l’expression droit canonique pour designer le droit de l’Eglise.

Quant au Pape, il prend des décrétales. Les décrétales ce sont des lettres où il établit une règle de droit en
répondant à une question qu’on lui a posé.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 36


Et bien, à partir de toutes ces sources, Gratien a collecté, trié, classé. Il a essayé d’éliminer les contradictions, et il
a composé un recueil, un recueil que lui même avait appelé Concorde des canons discordants, mais qu’on
baptisera vite de son nom, le décret de Gratien.

Evidemment, ce n’est pas le 1er recueil du genre, mais de loin, c’est le meilleur, c’est le plus complet, c’est le plus
utile car Gratien n’était pas seulement un érudit, c’était aussi un professeur. Un professeur qui savait qu’il était
pédagogique d’étudier une règle à partir d’un cas concret. C’est pourquoi il propose aussi des études de cas pour
montrer comment résoudre un cas à partir de différents textes.

Au départ, le décret de Gratien est une œuvre privée, mais il est tellement supérieur à tout ce qui existait
jusqu’alors, qu’il va prendre un caractère officiel. Et cette base de départ va ensuite être complétée. Alors que le
droit romain c’est le droit de Justinien, et il ne bougera plus, le droit canonique, au contraire c’est un droit vivant.
Les conciles, les Pape continuent à légiférer, et ils légifèrent même de mieux en mieux parce que les législateurs
de l’Eglise sont formés à la technique juridique. Ils suivent les cours de droit romain, et l’Eglise a, de son coté,
ouvert un enseignement de droit dans des facultés propres. On les appelle les facultés de décret.

Les Papes surtout sont des grands juristes, et ils vont compléter le décret de Gratien. Ils vont combler ses
lacunes au fur et à mesure que ses lacunes apparaissent. On consulte le Pape sur un point nouveau ou sur un
point douteux et le Pape répond. Il répond par voie de décrétale. Comme l’Empereur romain le faisait par Rescrit,
le Pape légifère par décrétale.

Le décret de Gratien a été suivi par une véritable explosion de décrétale. Le décret a été composé vers 1140, un
siècle après, les décrétales sont tellement nombreuses qu’il faut les trier, les classer. Le Pape Grégoire IX confie
à son chapelain le soin d’établir un recueil des décrétales qui ce sont accumulées. Ce recueil prendra d’ailleurs le
nom de Livre des décrétales qui se promènent en dehors du décret.

Cette fois, il s’agit bien d’un recueil officiel. Et il va être suivi d’autres recueils qui rassemblent périodiquement les
nouvelles décrétales car le Pape continue à légiférer beaucoup. ¶L’ensemble est achevé à la fin du XV Siècle on
lui a donné le nom de Corpus Juris Canonisi (Corps de droit canonique) Ce corpus est resté en vigueur jusqu’en
1917 date à laquelle il a été remplacé par un autre code.

Second point, Le droit de l’Eglise est aussi un droit autonome par rapport au
droit laïc.
C’est un droit religieux. Un droit qui s’occupe d’abord du salut des âmes. Evidemment, il n’est pas toujours facile
de déterminer en quoi un comportement met en jeu le salut de l’âme, et c’est pourquoi il n’est pas facile de
distinguer entre, ce qui doit revenir au droit laïc et ce qui doit revenir au droit canonique. Il y'a des actes qui
concernent à la fois le comportement des hommes ici bas, et le salut de leur âme dans l’au-delà.

Donc, les sphères de compétences des droits laïc et canonique sont appelées à se recouvrir parfois, mais, même
quand elles se recouvrent, elles ne se confondent pas parce que leur finalité n’est pas la même.

Prenons l’exemple du droit pénal.

L’Eglise a son propre droit pénal. Elle l’applique a certaines personnes, a certaines infractions. Et bien, ce droit
pénal est profondément différent du droit laïc. Le droit laïc privilégie la répression. Le droit canonique, lui il vise
d’abord l’amendement du coupable parce qu’il s’agit de sauver son âme. C’est pourquoi l’Eglise ne compte pas la
peine de mort parmi ses peines. Pour les cas les plus graves, elle a inventé la peine d’emprisonnement pour que
le coupable puisse se repentir en prison. Cette peine d’emprisonnement s’appelle le mur. Et ce mur connait des
variantes selon l’espoir de retour du pêcheur vers le troupeau. Le mur large correspond à un régime assez doux.
On peut recevoir des visites. Le mur strict, c’est l’emprisonnement cellulaire. On vit dans l’isolement. Quand au
mur très strict, lui, il est aggravé par un régime alimentaire, on est au pain sec et à l’eau. Les textes parlent de
pain de tristesse et d’eau d’angoisse.

Précisons que, dans les cas vraiment désespérés, la justice d’Eglise peut livrer le coupable au bras séculier, et
c’est ce bras séculier qui se charge alors de l’exécuter. Enfin, Troisième point, Le droit de l’Eglise ne se
confond pas non plus avec la morale. L’Eglise distingue en effet deux fors, c’est à dire deux sortes de
tribunaux. Le for interne et le for externe. On dit encore, le for intérieur et le for extérieur.

Le for intérieur c’est le tribunal de la conscience. C’est la ou celui qui a commis un péché règle ses comptes avec
Dieu. Il se met en paix avec Dieu. En ce bas monde, le pêcheur peut être absout de ses pêchés grâce à la
confession. Il obtient alors un Pardon moyennant une Pénitence donnée par son confesseur.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 37


Le for extérieur, lui, c’est le tribunal où l’on juge des comportements extérieurs. Des comportements de chacun à
l’égard d’autrui. On y relève d’un juge. Et bien c’est là que s’applique le droit canonique.

La distinction entre for externe et for interne recoupe donc, on le voit, la distinction entre droit et morale. Le droit
n’est pas confondu avec la morale et les deux fors sont vraiment bien distingués.

Par exemple, l’Evêque est un juge, mais il est interdit à un évêque de condamner en tant que juge d’après ce qu'il
a pu connaitre en confession, en secret.

Bref, on distingue nettement le tribunal du confessionnal. Ce ne sont pas les mêmes textes qui s’appliquent. Au
tribunal, tribunal ecclésiastique, évidemment, c’est le droit canonique. Pour le confessionnal, il existe une
littérature distincte, c’est ce que l’on appelle les pénitentielles. Les pénitentielles, ce sont des ouvrages destinés à
guider les confesseurs. L e droit canonique a donc été distingué de la Théologie et de la Morale.

Et il s’est constitué en science autonome par rapport au droit laïc. Il dispose de ses propres facultés, de sa propre
doctrine. En effet, comme le droit romain, le décret de Gratien a fait l’objet d’une étude et d’un enseignement;
Comme le droit romain, et avec les méthodes qu’avaient mises au point les glossateurs. Des juristes lisent,
glosent le décret. On les appelle les décrétistes. Le droit romain leur est indispensable car il leur permet de mieux
comprendre la valeur des mots qui figurent dans les textes canoniques. Et de la même façon qu’en droit romain,
les décrétistes ont constitués des recueils de gloses.

4. Un droit de professeur

Droit romain et droit canonique forment donc 2 droit


savants.

Ce sont les seuls droits à faire l’objet d’un enseignement. C’est vraiment à cet enseignement que la science
juridique médiévale doit les caractéristiques qu’elle nous a légué. C’est un droit de professeurs. Alors, pourquoi lui
donner cette qualification. Eh bien, pour 2 raisons :

• La 1ere, c’est que cette science juridique se développe dans les universités. L’université est le véritable
laboratoire du droit dans ses aspects scientifiques.
• La 2eme raison, c’est la conséquence de ce mode de formation de la science juridique. Les professeurs ont
modelé la science juridique par une approche théorique, conceptuelle du droit.

Voila les 2 points que nous allons aborder


maintenant.

Quelques mots du laboratoire universitaire


d’abord.

Nous avons déjà évoqué les 1ers foyers d’enseignement qui se répandent en Europe. Dans les 1ers temps, à
part quelques endroits comme Bologne, les écoles de droit sont, plus ou moins éphémères. Mais très vite, on va
voir s’implanter un enseignement fixe dans des villes importantes. Une communauté savante se fixe en un lieu,
elle s’organise pour défendre ses intérêts, elle reçoit des privilèges, c’est ainsi que se forment des universités.

Le mot universitas vient du droit romain. Il désigne un groupe distinct des membres qui le compose, un groupe qui
possède des droits.

2 grands centres ont servis de modèle, ce sont d’ailleurs les plus anciens, il s’agit de Bologne pour le droit, et de
Paris pour la Théologie.

En 1219, il est interdit d’enseigner le droit romain à Paris, et c’est Orléans qui va devenir la capitale française du
droit romain.

A partir du XIII Siècle, les institutions universitaires se propagent dans toute l’Europe. Evidemment, il y a des
différences locales, mais les universités médiévales présentent tout de même plusieurs points communs et
notamment à propos de l’enseignement du droit.
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 38
D’abord c’est un monde cosmopolite que ce monde universitaire. Les élèves arrivent dans les grandes universités
en provenance de toute l’Europe. Les frontières nationales, ces frontières qui n’ont d’ailleurs pas la fermeté des
frontières que nous connaissons actuellement, les frontières nationales comptent très peu. Les langues ne
comptent pas plus parce que l’enseignement se fait en latin. Partout, les ouvrages de base sont les mêmes, les
diplômes sont reconnus dans tous les pays. De la même façon, le recrutement des professeurs est international.

Et les institutions universitaires sont très autonomes par rapport aux différents états. Et d’autant plus autonome
qu’à l’origine ce sont des institutions ecclésiastiques. La plupart des universités sont nées d’une bulle du Pape et
elles sont placées sous l’autorité d’un clerc. Une université a beau se trouver sur le territoire d’un état, elle est très
indépendante de cet état. L’ingérence des états dans les universités, c’est un phénomène très tardif au moyen
âge.

Dans ces universités, il y a une vie intellectuelle très intense. Les professeurs de droit son très au fait des grands
courants intellectuels de leur temps, et ils vont nourrir leur propre science grâce a des méthodes qui ont pu être
expérimentées dans d’autres branches du savoir et notamment dans la philosophie. Voilà ce qu’est la doctrine
juridique médiévale. Comme la doctrine juridique romaine, cette doctrine médiévale crée du droit par
interprétation mais cette doctrine médiévale n’est pas constituée de praticiens comme à Rome. Elle est constituée
de professeurs.

Alors quel va en être


l’effet?

Et bien, ces professeurs vont développer une approche abstraite, une approche théorique du droit. Nous avons
remarqué qu’à Rome, la 1ere tentative de systématisation du droit était venu de professeurs qui écrivaient des
manuels pour les étudiants. Avec les droits savants, cette tendance à la systématisation va s’accentuer très
fortement parce que les droits savants sont construits par des professeurs précisément.

Ces professeurs ont d’abord des se familiariser avec le vocabulaire et avec le raisonnement juridique, et ensuite,
ils vont commencer, dès les glossateurs à rédiger de petits traités.

Puis ils vont passer, avec une seconde école, que l’on appelle l’école des commentateurs à des commentaires de
plus en plus volumineux, de plus en plus sophistiqués. La science du droit acquiert un caractère très abstrait, et
d’autant plus abstrait que cette science c’est d’abord développer en se concentrant sur le droit d’une époque qui
était révolue, et non pas à partir de la pratique quotidienne comme ça c’était passé à Rome. Il faut dire qu’étant
donné l’état du droit positif de leur temps, il était difficile de prendre ce droit comme point de départ.

C’est avec le droit romain qu’on pouvait apprendre à se servir du


droit.

La formation des juristes sera donc plus théorique que


pratique.

Ils sont formés dans les universités, et ils ne sont pas formés sur le tas comme ce sera le cas en Angleterre qui
est restée un peu à l’écart de ce mouvement.
La science du droit est donc faite par des professeurs. Elle est d’abord destinée à des étudiants, et cela va lui
donner des traits particuliers, des traits décisifs pour le droit de l’Europe continentale. Le droit de l’Europe
continentale sera un droit systématique avec des classifications, des catégories, des notions générales dont on
tire des applications, des théories. Les grandes bases sont posées dès le moyen âge. Nous dirons quelques mots
successivement des classifications, du perfectionnement, des notions, et de la théorie des sources du droit.

Les classifications
d’abord.

Le droit va faire l’objet de classifications. Ces classifications sont basées sur des distinctions. On divise, on
subdivise, c’est ainsi que les juristes médiévaux sont amenés à construire des arbres. Ils partent d’un tronc, ce
tronc est divisé en 2 branches, ces 2 branches sont elles même subdivisées en 2 ou 3 sous branches etc. C’est la
procédure qui donne lieu aux arbres les plus touffus. Il s’agit des arbres des actions judiciaires. En Italie, on va se
livrer à des exercices d’école qui poussent les distinctions jusqu'à l’absurde. La France est restée en retrait de
cette dérive qui en Italie devenait quasi obsessionnelle.

En revanche, la France a adopté l’usage du plan rigoureux. Dans les écoles, les étudiants apprennent des listes
de mots présentés en couple opposés: Général/ spécial; Commun/particulier; Meuble/immeuble;
Paternel/maternel. L’idée, c’est que le plan en 2 parties est le plus propre a présenter clairement une question de
droit compliqué. Et bien, voila d’où nous vient cette préférence, jamais démentie par la suite, pour la présentation
binaire. Ce gout marqué pour la

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 39


classification, pour la division, a conduit les savants médiévaux à scinder le droit en 2 catégories suprêmes, droit
public et droit privé. Et ils l’on fait d’une façon beaucoup plus franche que ne l’avaient fait les juristes romains.

Les savants médiévaux ce sont beaucoup interrogés sur le critère qui permettait de classer une règle soit dans le
droit privé, soit dans le droit public. Ils se sont vite rendu compte qu’un seul critère, un critère absolu, aboutissait a
quelque chose de très artificiel, alors, ils se sont orientés vers des critères relatifs. A chaque fois, il faut considérer
l’objet de la règle, la source de la règle, mais aussi, et surtout la finalité de la règle. Et c’est la notion d’utilité
publique qui va surtout servir à distinguer ce droit public.

On a aussi perfectionné bon nombre de notions


juridiques.

Les juristes romains avaient été très pragmatiques. Ils se méfiaient surtout beaucoup des théories générales. Le
droit savant médiéval va aller beaucoup plus loin dans ce domaine. Il va perfectionner des notions que les
romains n’avaient pas complètement dégagées. Par exemple la notion de personnalité morale est dégagée par la
doctrine savante du moyen âge principalement d’ailleurs par la doctrine canonique.

A ces professeurs, on doit aussi une théorie des sources


du droit.

Cette théorie, ils ont été amenés à l’élaborer pour des raisons tout à fait pratique. S’agissant du droit romain, les
professeurs de droit romain ce sont demandé quelle place il fallait accorder aux différentes formes de droit par
rapport aux lois romaines. Pour le droit canonique, il s’agissait de mettre en place une véritable hiérarchie des
normes pour des raisons très pratiques également. Pour savoir tout simplement quelle source du droit
l’emporterait sur les autres devant un tribunal ecclésiastique.

Cette théorie des sources du droit a débouché sur une véritable exaltation de la
loi.

Naturellement, dans les compilations de Justinien, on a retrouvé la primauté de la loi œuvre de l’Empereur. Cela
compte beaucoup à une époque où la loi a quasiment disparue. Cette primauté de la loi dans la hiérarchie des
sources du droit, ne pouvait, au XII Siècle qu’être confirmée par la supériorité des lois romaines sur le droit positif.
Les professeurs de droit romain s’appelleront d’ailleurs professeurs des lois, des lois romaines évidement,
Docteurs des lois. Cette théorie des sources du droit c’est naturellement intéressée à la coutume. La coutume
était à l’époque la source la plus répandue, la source la plus fréquente du droit. Aussi on a été amené à réfléchir
sur son mode de formation. A quelles conditions peut-on parler de coutumes. Il faut un consentement populaire.
Combien de temps faut-il pour qu’un usage se transforme en coutume? Et là les questions qui sont soulevées
sont très pratiques. Il s’agit de savoir si une coutume peut aller à l’encontre de la loi. D’abord de la loi romaine
évidement tellement supérieure mais les résultats de cette théorie seront également applicable à la loi tout court.
Et on va distinguer des durées différentes pour la formation de la coutume. On distingue de 10 à 40 ans selon que
la coutume est conforme à la loi, inconnue de la loi, ou encore contraire à la loi.

Enfin, on précise qu’une coutume doit être raisonnable, et on rejoint là le consentement populaire. On va dire en
effet qu’il n’y a pas de consentement valable, donc pas de coutume, si la règle a été introduite par erreur.

La place du juge a également été discutée. La doctrine des romanistes fait une très large place au juge parce que
c’est le juge qui est présumé exprimer la volonté populaire. Ce consentement populaire nécessaire à l’existence
d’une coutume. Pour les savants, la décision judiciaire exprime le consentement populaire, ce consentement est
prouvé par le silence de l’assistance quand la sentence est rendue. Avec la doctrine savante, le juge acquiert
quasiment le monopole de la reconnaissance de la coutume.

Et bien, les anglais sauront utiliser cette doctrine pour construire leur Common Law. Et nous verrons que les juges
feront également leur profit de cette théorie en France.

5. L’expérience d’un droit cosmopolite

Voila une des caractéristiques du nouvel ordre juridique qui se met en place à partir du XII Siècle et qui va durer
pendant des siècles.

Ce nouvel ordre juridique fait cohabiter de nombreuses coutumes locales, des coutumes urbaines, des coutumes
régionales, et puis des droits universels. Des droits qui s’appliquent dans tous les pays. Entre les deux, il y aura,
pendant très longtemps, peu de place pour le droit national.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 40


Nous verrons dans la 2e partie comment un droit national est venu s’insérer lentement dans cet ordre juridique.
Ici, ce sont les droits universels qui nous intéressent. Le droit romain d’un part, le droit canonique d’autre part.

Ces 2 droits ont un point commun, nous l’avons déjà vu, ce sont les 2 seuls droits savants. Le droit canonique
c’est beaucoup servi du droit romain pour devenir un droit savant. Le droit romain a servi de modèle au droit
canonique.

Ce modèle, l’Eglise l’a pourtant d’abord vécu comme un danger, parce que le droit romain a été une arme
formidable aux mains des laïcs, et en particulier aux mains de l’empereur germanique qui se présentait comme le
successeur de l’empereur romain et qui prétendait à l’universalité.

Alors, l’Eglise a affirmé son autonomie en présentant son droit comme un droit rival du droit romain, un droit rival
et évidemment un droit supérieur, car un droit vivant.

Au XIII Siècle, la puissance impériale s’effondre et cette circonstance va faciliter le rapprochement entre les 2
droits. Ils vont commencer à s’entremêler, à se compléter, ils vont rester distincts mais ils vont devenir
complémentaires, et les 2 droits vont s’appuyer l’un sur l’autre pour progresser. Un des éléments décisifs de leur
progrès réciproque, c’est l’adoption par l’Eglise d’une procédure judiciaire inspirée par la procédure romaine. On
l’appelle la procédure romano- canonique. Cette procédure sera ensuite transplantée dans les tribunaux laïcs.
Cette procédure, c’est une procédure savante, et il faut des juristes savants, formés au droit romain pour la faire
fonctionner. Voila que les romanistes vont pénétrer dans les juridictions ecclésiastiques. C’est une véritable
expérience pratique que leur ouvrent ces tribunaux. Cette expérience pratique, la doctrine médiévale va en faire
profiter ensuite les tribunaux laïcs qui, dans les pays d’Europe continentale adopteront procédure romano-
canonique.

Après cet échange de bons procédés, avec cette inspiration commune, l’Europe connait un droit cosmopolite, un
droit divisé en 2 rameaux, 2 rameaux qui se complètent. L’un s’occupe du spirituel, l’autre du temporel. Le 1er
c’est évidemment le droit canonique, le 2nd est ce que l’on va appeler le Jus Comune (le droit commun)

Le droit canonique c’est un droit d’application directe. Il s’applique dans tous les tribunaux ecclésiastique, et la
papauté à couvert l’Europe entière de ces tribunaux ecclésiastiques. C’est un droit transnational, unique, commun
à tous les pays d’Europe, y compris l’Angleterre. Ce droit va très profondément marquer l’occident, parce que
c’est lui qui a régit, et au départ exclusivement, certains domaines du droit privé, notamment le mariage.

Il faut savoir que le mariage ne deviendra civil en France que sous la Révolution. Jusqu’alors, il n’y a de mariage
que religieux. Et à travers le mariage, le droit canonique intéresse de nombreux autres domaines. La filiation, le
droit des successions. Ce droit est un droit vraiment commun à l’Europe, et ce droit va laisser sa marque sur
chaque pays qui y a été soumis, même si, à partir du XVI Siècle, les états nationaux vont petit à petit le
déposséder au profit de leur droit national.

L’autre droit, c’est le Jus Comune, le droit commun. Cette fois, il s’agit d’un droit, toujours universel, mais qui
intéresse surtout l’Europe continentale. On a vu que l’Angleterre avait créé son propre droit commun le Common
Law. En Europe continentale, il va se créé sous le même nom de droit commun un droit qui va s’appliquer dans
les tribunaux laïcs. Ce droit, il est vraiment créé par la doctrine universitaire, par les romanistes. C’est un droit qui
s’appuie d’abord sur le droit romain. Mais les romanistes vont l’enrichir avec des éléments qu’ils empruntent à leur
temps. Ils vont puiser dans le droit canonique, dans le droit féodal, dans le droit coutumier, en retour, ils vont faire
profiter ces droits de la méthodologie et de la technique du droit romain. Ils vont les rendre capables de rivaliser
avec lui.

Ce droit commun qui se crée ainsi dans les universités, il a une vocation très pratique. Il a vocation à s’appliquer à
chaque fois qu’il n’y a pas d’autres droits. Il a vocation à combler les lacunes du droit laïc. C’est ce qu’on appelle
un droit supplétoire. Et bien, au moyen âge, ce droit commun est le droit supplétoire de toute l’Europe
continentale.

Evidemment, son application est subsidiaire, mais les lois nationales et les coutumes locales laissent une très
large place à cette application subsidiaire dans la mesure où elles sont encore très incomplètes, encore très
imparfaites. Le Jus Commune constitue un considérable facteur d’unification du droit.

De nos jours, on reparle beaucoup de ce Jus Comune. On en reparle à cause de la construction européenne, on
en parle en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne. On se demande s’il ne faudrait pas en quelque sorte le
ressusciter pour faciliter une véritable communauté de droit en Europe. Et si ce n’est le ressusciter, du moins s’en
inspirer pour forger un instrument d’unification comparable.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 41

6. La promotion du droit public

Il n’est pas étonnant que le droit public ait fait l’objet d’une attention toute particulière de la doctrine savante
médiévale. Cela correspond à des besoins cruciaux pour l’époque. Ces besoins commencent avec le grand conflit
politique qui oppose la Papauté au Saint Empire. Ils se poursuivent avec les aspirations des états nationaux.

Ces états, ils veulent se libérer de la tutelle des puissances universelles, mais aussi ils veulent organiser leur
souveraineté interne. Les rois veulent récupérer la totalité des prérogatives régaliennes, qui, nous l’avons vu,
étaient passées aux mains des seigneurs.

Pour satisfaire tous ces besoins, c’est le droit romain qui va servir
d’instrument.

Mais, nous allons voir, cet instrument à servi des causes différentes. Pour servir ces causes, la doctrine
médiévale n’a pas manqué d’imagination. Et nous verrons ensuite comment elle s’y est prise pour construire un
droit public adapté a un besoin déterminé.

Le droit romain a donc été amené à servir des causes différentes et d’abord la cause de la
centralisation.

Parce que, que trouve-t-on dans les compilations? On n’y trouve pas seulement du droit, on y trouve aussi des
institutions. Les institutions du bas empire qui faisaient de l’empereur un maitre absolu. C’est le modèle rêvé pour
les puissances qui veulent imposer leur autorité. Ce modèle, les romanistes en ont très tôt fait profiter l’Empereur
germanique. Les glossateurs de Bologne sont des conseillers de l’Empereur, ils l’accompagnent, ils soutiennent
ses prétentions en se fondant sur le droit romain. Ils vont assimiler l’Empereur au Princeps romain pour lui
conférer les mêmes droits. Et voila qu’ils exhument les formules des compilations de Justinien pour lui conférer le
pouvoir législatif: « Ce qui plait au prince à force de loi » L’Empereur est appelé loi vivante.

Les canonistes se sont emparés à leur tour de ce modèle. Le Pape sera déclaré Princeps, loi vivante. Mais
l’Eglise a été plus loin. Elle a été plus loin parce qu’elle a imitée toute la structure de l’Empire romain. Elle va
mettre en place une administration très centralisée. Une administration qui permet au Pape d’atteindre tous les
fidèles par le biais de représentants superposés hiérarchisés, et l’Eglise met aussi en place une organisation
judiciaire inspirée de l’organisation romaine pour centraliser la justice.

On redécouvre l’Appel, qui permet de faire remonter jusqu’au Pape les recours de tous les fidèles. Dans ces
juridictions, on acclimate la procédure romaine. Et avec cette nouvelle procédure, on abandonne le système des
preuves irrationnelles. Cette expérience pontificale sera essentielle. L’Eglise est très en avance pour son temps et
l’organisation qu’elle institue sera imitée.

La leçon sera reprise par les princes laïcs, à commencer par le roi de France. Le roi de France va s’inspirer à la
fois du modèle romain et du modèle pontifical qui a moderniser ce modèle romain. Mais le droit romain n’a pas
seulement servi la cause des puissances centralisatrices.

Il a par exemple servi la cause des


villes.

Au XII Siècle, les villes renaissent et ces villes veulent affirmer leur autonomie vis à vis des seigneurs. Et bien, là
encore, le droit romain sera exploité. Les grandes cités prennent conseils auprès des romanistes, et ces
romanistes cherchent dans le droit romain de quoi appuyer l’autonomie des villes. C’est particulièrement criant à
Bologne. Bologne, nous l’avons vu, était bien placée dans l’étude du droit romain. Et bien, la cité de Bologne, va
devenir au XIII Siècle un véritable foyer d’opposition à l’empereur germanique.

L’interprétation qu’on y fait du droit romain parait tellement dangereuse pour l’empereur, que l’Empereur crée à
Naples une nouvelle université. Une université qui doit être évidement favorable à sa cause, puisque l’Empereur
précise que le corpus de Justinien doit être interprété plus justement à Naples.

On le voit, le droit public qui a connu une longue éclipse durant le haut moyen âge, et bien, le droit public
renait.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 42


Pour soutenir ce droit public renaissant, comment les juristes vont ils s’y
prendre?

Et bien, ils se sont d’abord emparés du droit public romain lui même. Et ils l’ont transposé aux besoins de leur
temps.

C’est ce qui va se produire en matière fiscale, en matière d’administration, en matière pénale également. En effet,
on retrouve dans le droit romain la conception d’un droit pénal public qui est fondé non pas sur l’idée qu’une
infraction cause un dommage à un particulier, mais sur l’idée qu’une infraction porte préjudice à la communauté,
qu’elle est contraire à l’ordre public.

Mais pour soutenir la renaissance du droit public, la doctrine a été beaucoup plus loin. Elle a mis à contribution le
droit privé romain. Par interprétation, une interprétation extrêmement extensive, parfois sans aucun rapport avec
le contexte, par interprétation donc, la doctrine a étendu un texte de droit privé au droit public.
L’exemple qui est peut être le plus significatif de cette utilisation du droit romain, C’est celui d’une maxime figurant
au code de Justinien. Cette maxime dit : « Ce qui concerne tous doit être approuvé par tous » Dans le code de
Justinien, cette règle concerne le conseil de tutelle. Elle veut dire que les actes d’administrations qui affectent le
patrimoine d’un mineur doivent être soumis à l’approbation de tous les tuteurs.

Et bien, ce texte va être littéralement torturé, il va être détaché de son contexte original et l’on va l’appliquer a des
situations pour lesquelles il n’avait évidement pas été conçu.

On va l’invoqué pour appuyer des revendications démocratiques. Ce qui est paradoxal puisque Justinien n’était
tout de même pas précisément un démocrate. Mais les juristes médiévaux ne s’en soucient pas, et ils vont
exploiter l’idée que l’approbation de tous est nécéssaire quant un acte concerne une communauté. C’est en se
fondant sur ce texte que les conciles vont s’opposer à l’autorité souveraine du Pape, c’est sur le même texte que
s’appuiera le parlement anglais contre le Roi et c’est encore sur ce texte que les puissantes cités vont s’opposer
au droit des seigneurs.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 43


2nd Thème : La formation du droit français Partie
6 XII-XVe
siècles : L’exigence d’un équipement juridique

1. Introduction : La formation du droit français

Nous abordons maintenant la deuxième partie du cours, cette partie sera consacrée à la formation du droit
français. Notre point de départ se situe au XIIe siècle car c'est alors que commence à se constituer en Europe
des ensembles nationaux, des ensembles séparés => va avoir des conséquences sur l'ordre juridique de ces
ensembles nationaux.

C’est particulièrement criant pour l'Angleterre, nous l'avons vu l'Angleterre s'est forgée son propre système
juridique mais c’est également vrai des pays d'Europe continentale, ces pays ont modernisé leur ordre juridique
grâce aux droit savant et c'est pourquoi ils forment une même famille du droit= la famille du droit Romano
germanique. Dans une famille il y a des individus et ces individus sont différents les uns des autres, c’est la même
chose pour les familles de droit. La famille Romano-Germanique couvre de nombreux pays et les droits de ces
différents pays seront pas pourtant copie conforme, parce que chaque pays a connu une histoire propre et cette
histoire a influencé son propre système juridique. Des pays comme l'Italie ou l'Allemagne ont été unifiés très tard,
pas avant le XIXe siècle, il en va différemment de la France unifiée très tôt par rapport à l'Italie ou à l'Allemagne=
>cette unification politique précoce a eue des effets particuliers sur son droit : Ex : se feront beaucoup sentir dans
le choix des règles de fond, au XIIe siècle on a une multitude de coutumes comportant des règles très différentes
par exemple en matière de droit de la famille. A la fin de l’Ancien Régime il y aura en France un droit
prépondérant dans le domaine du droit de la famille, c’est celui de la coutume de Paris et ce n'est pas un hasard,
Paris c’est la ville du pouvoir, de ce pouvoir qui a unifiée la France précisément.

La France retient maintenant notre attention avec la période des XIIe et XIVe siècles. Dans toute l'Europe c’est
l'époque de la Renaissance du droit romain, la France ne reste pas à l’écart de ce mouvement, tout au contraire
les Universités françaises participent activement à ce mouvement et plus particulièrement l'Université d'Orléans
puisque l'enseignement du droit romain est interdit à Paris.
• En France comme partout ailleurs, il n'y a pas que le droit savant commun à l'Europe continentale, il y a
aussi un droit propre, plus exactement des droits propres car l'ordre juridique est très éclaté. Nous verrons
qu'à partir du XIIe siècle se manifeste un peu partout en France l'exigence d'un véritable équipement
juridique. Ce sera l'objet de la sixième émission.
• Le deuxième chapitre concernera la période des XVe- XVIIIe siècles, nous verrons ainsi agencer un ordre
juridique spécifique à la France. Ce deuxième chapitre fera l'objet de deux émissions.
o Dans la septième émission nous examinerons comment à partir de sources très multiples c'est en
quelque sorte décanter une tradition juridique nationale en France. La France en effet aspire à
l'indépendance de son droit, c'est une aspiration qui va évidemment à l'encontre des droits universels.
Ces droits universels la France va en quelque sorte les naturalisés de même, elle va commencer à
réduire sensiblement le pluralisme juridique. o Durant la même période des XVe- XVIIIe siècles se
produit un autre phénomène auquel sera consacrée la huitième émission il s'agit de l'émergence de
règles constitutionnelles, des règles que le roi lui-même ne peut enfreindre et pourtant c'est un roi
absolu un roi de droit divin.
• Enfin, le troisième chapitre concernera la période que l'on appelle la période intermédiaire et c'est cette
période qui commence avec la révolution de 1789 et qui s'achève en 1814 à la chute de l'empire napoléonien.
C'est durant cette période, une période très courte, que notre système juridique acquiert ces derniers traits
distinctifs : deux émissions seront consacrées à la manière dont va naître l'ordre juridique contemporain.
o La neuvième émission montrera comment la conception du droit a été profondément renouvelée à
la
fin du XVIIIe siècle. o La dixième émission enfin concernera l'établissement du système juridique
propre à la France tant du point de vue du droit public que du point de vue du droit privé, en matière de
droit privé ce système juridique se traduit notamment par le phénomène de la codification.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 44

2. La période des XIIe et XIVe


siècles

Commençons par présenter la période des XIIe et XIVe siècles sur laquelle portera cette
émission.

XIIe siècle= c'est le siècle d'un renouveau, on voit apparaître des dynamiques nouvelles. Nous avons déjà
évoqué la formidable renaissance intellectuelle dont la réflexion juridique constitue un des aspects. Cette
renaissance culturelle doit être mise en relation avec le renouveau économique. Ce renouveau touche les
secteurs de la vie économique, il y a plusieurs causes :
• les croisades : la première date de 1096 et à l'occasion des croisades le contact reprend avec l’Orient :
l'islam recule, la Méditerranée est rouverte, elle passe aux chrétiens, les ports se réveillent.
• le progrès technique souvent importé d'Orient d'ailleurs des progrès techniques qui vont permettre par
exemple l'augmentation des rendements agricoles
• la démographie : on assiste après l’an 1000 à une véritable explosion
démographique

=>Tout cela va donc entraîner un renouveau de l'économie : en matière d'agriculture il se produit un


extraordinaire mouvement de mise en valeur des terres partout on défriche en masse. L'artisanat et l'industrie ne
sont pas en reste, c’est l’époque par exemple du développement de l'industrie drapière. Quant au commerce il se
généralise, ça commence avec le commerce maritime mais bientôt la généralisation du commerce maritime
entraîne le développement du commerce terrestre, les marchandises importées doivent circuler.

Evidemment, ce renouveau économique va bouleverser la société=> on voit apparaître de nouveaux impératifs


sociaux, la société ne peut plus rester confinée dans le microcosme des seigneuries, les humbles doivent pouvoir
aller et venir en dehors du cadre seigneurial. Cette mobilité concerne les seigneurs qui doivent désormais
protéger leurs sujets bien au- delà des alentours du château. Le régime seigneurial ne peut pas se maintenir
tel qu'il était au XIe siècle parce qu'il n'est plus compatible avec ces besoins nouveaux, il va devoir
desserrer son emprise sur les collectivités susceptibles de produire des richesses, à commencer par les
villes.

Enfin, pour assurer la prospérité économique, il faut restaurer l'ordre et donc il faut en finir avec la société
guerrière du haut Moyen Âge=> désormais le droit doit prévaloir sur la force, on a vraiment besoin d'un
nouveau cadre juridique. Naturellement tout cela entraîne des effets sur la vie politique : les seigneurs ne
peuvent plus vivre en toute indépendance, pour restaurer l'ordre, des pouvoirs englobant vont apparaître :
• des pouvoirs féodaux : les plus puissants seigneurs vont soumettre les plus petits à leur
autorité
• restaurer l'autorité royale : c'est aussi l'occasion pour la royauté de faire son grand retour => cela se passera
en deux temps : - d'abord le roi sera propulsé au sommet de toute l'organisation féodale il devient suzerain
suprême - puis les progrès des droits savants y sont pour beaucoup, le roi va affirmer sa souveraineté. Le roi
s'entoure de légistes, des gens formés au droit romain et ces légistes vont faire ce que les glossateurs avaient
fait pour l'empereur germanique et ce que les canonistes avaient fait pour le Pape, ils vont assimiler le roi à
l'empereur romain pour lui reconnaître les mêmes prérogatives, des prérogatives dont le roi ne faisait plus
l'usage depuis bien longtemps. ⇨ la pénétration du droit romain en France n'intéresse pas seulement
l'armature juridique du pouvoir. Cette
pénétration intéresse également le droit privé même si elle a été progressive et
inégale.

Dans certains domaines le droit romain s'est littéralement imposé et s'est imposé très vite : par exemple ce sera
le cas en matière de procédure et dans le droit des contrats Mais même quand les règles du droit romain ne se
sont pas imposées, sa technique va influencer les institutions qui lui étaient le plus étrangères. D'abord le droit
romain était un droit écrit à une époque où les coutumes en France étaient encore orales, elles restaient floues du
fait de cette oralité.
⇨ Quand on redécouvre le droit romain, on redécouvre en même temps tout l’intérêt de l'écrit pour la
sécurité
juridique et cela va amener une véritable invasion des règles
écrites.

En outre, ces coutumes ont besoin du juge pour être reconnues et c'est encore grâce au droit romain que l'on va
pouvoir mettre en place les conditions d'une véritable jurisprudence, grâce à cette jurisprudence la coutume
connaît une promotion elle est promue au rang de source du droit capable de rivaliser avec le droit des
compilations.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 45


Enfin, le modèle romain proposait aussi la figure d'un prince législateur et le roi de France va tirer parti de cette
figure. Alors que la législation royale avait disparue depuis près de trois siècles elle renaît à partir du XIIe siècle
voilà les différents points que nous traiterons successivement.

3. L’invasion des règles écrites

A partir du XIIe siècle, on assiste à la renaissance de l'écrit, de l'écrit en général et de l'écrit juridique en
particulier
- écrit d'abord sur des parchemins et le parchemin restera longtemps le support des actes de l'autorité -
mais à partir du XIIIe siècle on va aussi écrire sur du papier, comme le papier est un support beaucoup
moins coûteux que le parchemin l’écrit se diffuse davantage et les notaires vont l’employer pour les
conventions entre particuliers.

L’écrit va servir à fixer le droit. Nous l'avons vu le droit a été très flou au XIe siècle, sous le nom de coutumes on
rassemblait tous les droits qui appartenaient au seigneur mais les règles étaient imprécises et cette imprécision
favorisait évidemment l’arbitraire seigneurial. Quant aux usages qui régissaient les différentes catégories sociales,
les paysans ou les puissants, ses usages n'étaient pas plus précis, on ne connaissait que des embryons de
coutumes, des coutumes qui ignoraient leur nom. C'est tout ce droit que l'on aspire à fixer à partir du XIIe siècle.

De quel instrument dispose-t-on pour fixer un droitier


coutumier?

§1- La limitation de l’arbitraire seigneurial : les chartes de


franchise :

Au XIIe siècle, on ne peut pas encore compter sur la jurisprudence ce n'est qu'au siècle suivant que les conditions
d'une jurisprudence seront réunies. Le meilleur moyen de fixer le droit, le seul moyen même : lui donner un
support écrit.

La limitation de l'arbitraire seigneurial : entre le développement de l'économie et le régime seigneurial il y avait


incompatibilité, la seigneurie vivait en vase clos, le seigneur taxait les hommes du commun, il entravait leur
circulation. Au moment où les échanges renaissent on ne peut plus se satisfaire de cette situation, les villes
sortent de leur léthargie, leurs habitants qu'on appelle des bourgeois cherchent à conquérir une autonomie plus
ou moins grande par rapport au seigneur local. Dès la fin du XIe siècle commence un formidable mouvement
d'émancipation urbaine et les voix de cette émancipation n’ont pas été les mêmes partout, on peut même dire
que chaque ville a constitué un cas particulier mais partout l'émancipation urbaine s'est traduite par la
rédaction de chartes.

Dans ces chartes on a consigné par écrit les privilèges que la ville avait reçus. Ces privilèges varient
beaucoup d'une ville à l'autre, les bourgeois ont été en effet plus ou moins émancipés par rapport au seigneur,
au minimum ils ont reçu la liberté personnelle ainsi que des privilèges judiciaires, fiscaux ou encore militaires et
ses privilèges ont été à chaque fois minutieusement décris dans les chartes.

Dans d'autres cas les villes ont obtenu davantage, elles ont obtenu de véritables libertés politiques, elles
sont devenues complètement indépendantes du seigneur. Il s'agit des villes de communes dans le nord de la
France et des villes de consulats dans le midi.

Ces villes se gouvernent elles-mêmes, non seulement leurs privilèges sont consignés dans des chartes,
mais ces villes autonomes disposent elles-mêmes du pouvoir de prendre des dispositions à caractère
général= > cette émancipation urbaine a rejailli sur les campagnes car :
- l'air de la ville rend libre c'est ce que dit l'adage du Moyen Âge. En effet, il suffisait d'habiter dans une
ville pendant un an et un jour pour perdre le statut de serf et devenir un homme libre=> les serfs fuient les
seigneuries pour aller s'installer en ville. - En outre, le défrichement s'intensifie, on a besoin de bras et
pour les attirer => certains seigneurs offrent
un statut avantageux aux serfs qui viennent défricher leurs terres. ⇨ qu'ils partent en ville ou
pour les régions de défrichement les serfs ont tendance à fuir les seigneuries. ⇨ Les seigneurs sont alors bien
obligés de leur accorder des concessions s'ils veulent les garder, c'est pourquoi, ils
vont abandonner les prérogatives les plus pesantes qu'ils exerçaient sur la personne et sur les
biens des serfs.

Cet abandon se manifeste par une déclaration du seigneur et cette déclaration est consignée dans une charte,
une charte d'affranchissement collectif. Ces chartes écrites interdisent à l'avenir l'arbitraire du seigneur.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 46


§2- La sécurité des relations juridiques entre
particuliers :

Jusqu'à présents nous avons évoqué des écrits qui concernaient les relations en quelque sorte verticales, les
relations entre un seigneur et ses sujets mais d'autres types de règles écrites peuvent venir s'y ajouter à la fin du
XIIe siècle. Il s'agit de règles qui intéressent les rapports entre les personnes, des règles qui intéressent leur droit
privé. Cette fois la règle écrite a pour but d'assurer la sécurité des relations juridiques entre particulier.

Ambiguïté d’une définition de la coutume :

A la fin du XIIe siècle, on va donc commencer à fixer des coutumes de droit privé. Qu’appelle-t-on coutume à
l'époque ?

C'est une règle de droit étrangère aux compilations, les compilations du droit romain et du droit canonique, c'est
une règle de droit qui a une assise géographique limitée par rapport à l'application universelle des deux corpus =>
C'est ainsi que le roi de France peut qualifier le contenu de sa législation de coutumes du royaume.

- Diversité des autorités concédantes :

A la fin du XIIe siècle, on peut parfaitement qualifier de coutumes une règle concédée par voie d'autorité. Faute
de jurisprudence répétons-le on ne dispose pas encore d'autres moyens que l'écrit pour fixer les coutumes de
droit privé et c'est pourquoi on va assister à une espèce de vague législative en matière de droit privé :
- les gens vont demander aux grands seigneurs ou au roi de fixer leurs usages. Cela commence avec les
grands seigneurs du Midi, puis le mouvement se propage. D'autres grands seigneurs ou le roi lui-même à la
demande des intéressés vont octroyer des textes qui fixent le droit. La plupart du temps il s'agit de règles
féodales le genre de règle justement qu'on ne pouvait pas trouver dans les compilations de Justinien=>
demande donc aux grands seigneurs ou au roi de rédiger ces règles pour les fixer. - On peut aussi le
demander à d'autres autorités qualifiées pour prendre ce que l'on appelle au Moyen Âge des établissements
c'est-à-dire des dispositions à caractère législatif ou réglementaire. Ces autres autorités ce sont les autorités
municipales dans les villes autonomes qui ont réussi à arracher au seigneur le pouvoir de prendre
établissement c'est ainsi que les grandes villes du Midi se sont dotées de statuts qui codifient les usages de
droit privé applicable dans la ville concernée.
4. Les conditions d'une jurisprudence

C'est à partir du XIIIe siècle que vont être à nouveau réunies les conditions d'une
jurisprudence.

Le roi, en effet, reconquière petit à petit son autorité et le fait d'abord par le biais de la justice. La justice c'était
vraiment au Moyen Âge l’expression même de la puissance, au début du XIIe siècle le roi n'exerçait sa justice
que dans son domaine propre, un domaine très exigu situé entre Paris et Orléans. Partout ailleurs la justice
appartenait à d'autres, elle appartenait à des seigneurs grands ou petits, elle appartenait à des villes sans
compter l'église. Il a fallu que le roi parvienne à subordonner toutes ces autres justices à la sienne. Il y est
parvenu en utilisant toutes sortes de moyens, des moyens tirés aussi bien du droit romain que du droit
féodal => petit à petit la centralisation de la justice va succéder à l'éclatement que la justice avait connu
durant le Moyen Âge. Mais pour parvenir à ses fins le roi a évidemment dû moderniser la justice, il s'est
servi des droits savants et il s'est inspiré du modèle de la justice pontificale.

Nous allons voir successivement que le roi a reconstruit un appareil judiciaire d'État qui avait complètement
disparu et qu’il l’a doté de nouvelles règles de procédure, des règles plus modernes, plus efficaces.

§1- L'organisation judiciaire


:

C'est d'abord sa justice personnelle que le roi a imposée, la justice qu'il rend lui-même en personne, tout le
monde connaît l'image de Saint-Louis rendant la justice sous un chêne à Vincennes, les justiciables se pressaient
pour demander justice directement au roi jusqu'à la fin de l'ancien régime il en ira de même. L'idéal c'est la justice
rendue par le roi lui-même et c'est ce que l'on appelle la justice retenue.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 47


Du fait des nécessités pratiques pourtant le roi a dû déléguer une partie de son pouvoir de juger= ce que l'on
appelle la justice déléguée. Cette justice déléguée le roi a dû l'organiser, il l’a dotée d'un appareil moderne
suffisamment moderne pour qu'il soit efficace et qu'il attire les justiciables au préjudice des autres justices.

§2- Une procédure


nouvelle :

C'est ainsi qu'au XIIIe siècle le roi met en place une pyramide de tribunaux, des tribunaux hiérarchisés par la voie
de l'appel. En dernière instance, l’appel abouti au roi qui juge entouré de sa cour. Mais très vite la multiplication
des affaires a entraîné au sein du conseil du roi le démembrement d'une formation spécialement chargée
d'examiner les appels adressés au roi.
⇨ Cette formation s'est individualisée sous le nom de parlement. Le parlement reçoit au XIIIe siècle
un personnel fixe formé de juges professionnels et il reçoit également un domicile fixe très exactement à l'endroit
où se trouve encore le palais de justice de Paris. Le Parlement coiffe l'ensemble de la justice déléguée, c'est à
lui qu'aboutissent en dernier ressort tous les recours, on dit de lui qu'il est une juridiction souveraine, même si au-
dessus du Parlement plane toujours l'ombre de la justice retenue, la justice personnelle du roi que le roi peut
exercer à tout moment.

Le parlement est en mesure de contrôler l'ensemble des décisions judiciaires rendues dans tout le royaume et
pas seulement les décisions rendues par les juges royaux car toutes les autres justices vont être d'une manière
ou d'une autre être subordonnées à la justice royale. Au fur et à mesure que le roi étend son autorité, les affaires
influent devant le parlement installé à Paris.

Au XVe siècle ce parlement sera complètement submergé et le roi installera alors d'autres parlements en
province. Cet appareil judiciaire hiérarchisé, le roi l’a doté d'une procédure plus moderne, la procédure
qu'avait expérimentée les tribunaux d'église => c'est une procédure technique et elle entraîne le recrutement
de juges professionnels, des juges formés par les droits savants, l’écrit joue un rôle important les décisions de
justice sont consignées sur des registres.

§3- La rationalisation des modes de


preuve:

Et en même temps qu'une procédure moderne, on va adopter des modes de preuve plus
modernes :
• au profit de mode de preuves rationnelles : l'écrit ou le témoignage, le serment purgatoire disparaît le
premier suivit par les ordalies unilatérales qui disparaissent.

• Le duel judiciaire résistera plus longtemps, il résistera dans les procès entre nobles, en effet les
nobles sont convaincus que le duel est la seule preuve digne de leur condition et ils y restent très attachés, le
duel judiciaire ne disparaîtra complètement qu’au cours du XVe siècle.

Rapidement pour les roturiers ou plus tardivement pour les nobles les preuves rationnelles remplacent les
preuves irrationnelles.

Puisque nous en sommes aux preuves, il faut réserver quelques mots à la preuve de la coutume : quand un
plaideur invoque en justice une coutume => deux hypothèses peuvent se présenter :

➢ première hypothèse : le juge connaît la coutume invoquée parce que cette coutume a été fixée dans un
acte officiel ou bien parce qu'un précédent judiciaire l'a déjà reconnu, dans cette hypothèse on parle de
coutume notoire et le juge l’applique.

➢ deuxième hypothèse : il se peut très bien que le juge ne connaisse pas la coutume invoquée par un des
plaideurs et c'est alors au plaideur de prouver l'existence de cette coutume. Pour la prouver,
on a d'abord eu recours aux règles habituelles des preuves en justice y comprit d'ailleurs le serment ou le duel
judiciaire mais on s’est ensuite vite rallié au système rationnel de la preuve par témoin. Comme un seul
témoin ne suffit pas il faut ouvrir une enquête.
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 48
⇨ Dans le Midi, l'enquête sur la coutume est pratiquée de façon individuelle, le juge entend isolément chacun
des
témoins. ⇨ Dans le Nord au contraire, on pratiquera une enquête collective, il s'agit de l'enquête par
turbe le mot turba en latin signifie foule. Les témoins qui sont réunis pour prouver la coutume déposent tous
ensemble, comme on ne peut pas convoquer un nombre indéfini de gens on a fixé un chiffre : la turbe doit
comprendre 10 personnes, choisies parmi les praticiens du droits locaux. On leur soumet la règle, ils délibèrent et
après délibération ils rendent leur verdict qui n'a de valeur probante que si tous les turbiers sont d'accord, il faut
qu'il y ait unanimité pour établir la réalité de la coutume sinon la preuve n’est pas rapportée. En revanche,
si tous les turbiers sont d'accord, la preuve est faite, le juge applique la coutume et cette coutume prend rang
désormais parmi les coutumes notoire => qu'il n'y aura plus besoin de l'approuver une deuxième fois par la suite.
Ce système de l'enquête par turbe persistera jusqu'au XVIIe siècle quoi que ses applications aient été de plus en
plus rares au fur et à mesure de la rédaction officielle des coutumes.

Organisation judiciaire, procédures nouvelles, modes de preuves rationnelles dès le milieu du XIIIe siècle les
conditions d'une jurisprudence sont à nouveau réunies.

5. L’affirmation du droit coutumier

Au XIIIe siècle, il se produit une transformation très importante : la coutume cesse de relever de l'autorité
législative elle va désormais être dégagée par la jurisprudence. Nous examinerons d'abord le rôle joué par la
jurisprudence, ensuite nous verrons quelle a été l'action du roi sur les coutumes et enfin nous constaterons
l'apparition d'une démarcation juridique entre le Nord et le midi de la France.

I- Le rôle de la jurisprudence :

Sur un plan pratique dans un droit caractérisé par la pluralité des sources comme c'est le cas au Moyen Âge, le
juge occupe nécessairement une place essentielle puisque c'est lui qui dit quel est le droit applicable à l'espèce
qu'il doit juger. Sur un plan théorique cette position du juge est encore renforcée au Moyen Âge par l'analyse de la
doctrine savante, cette doctrine nous l'avons vu, fait une large place au juge dans la reconnaissance de la
coutume, cette place le juge est à même de l'occuper dès la fin du XIIIe siècle puisque les conditions d'une
jurisprudence sont à nouveau réunies.

⇨ La jurisprudence va dès lors jouer un rôle majeur dans l'affirmation du droit


coutumier.

II- L’action du Roi :

La coutume de droit privé va disparaître complètement des ordonnances royale ou seigneuriale, la coutume
devient l'affaire du juge, c'est lui qui désormais va la dégager, va la clarifier. => Qui est ce juge ?

A- L’action indirecte par l’intermédiaire des agents


royaux :
Il peut être un juge de première instance mais ce peut être aussi un juge d'appel et le développement des
juridictions d'appel va peser très lourd sur le droit coutumier. En effet, une juridiction d'appel tend à unifier le droit
dans son ressort et c'est bien ce qu'on fait les juges d'appel au Moyen Âge. Ils se sont trouvés confrontés au
départ à une multitude d'usages locaux, ces usages innombrables qui étaient nés dans les microcosmes des
seigneuries, les juges d'appel vont petit à petit réduire ces usages locaux. => Comment s'y prennent-ils ? Il suffit
au juge de ne pas autoriser au plaideur de prouver une coutume ou au contraire de déclarer que le juge connaît
déjà la coutume et qu'il n'a pas besoin d'autres formalités. Ce qui est vrai des juridictions d'appel est également
vrai du parlement, il va y avoir avec cette jurisprudence, un véritable tri parmi la multitude initiale des usages
locaux. Ce tri s'est surtout opéré au bénéfice des chefs-lieux judiciaires, c'est ainsi que la coutume s’est
provincialisée.

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 49


Le juge n'est pas le seul à agir sur les coutumes, le roi également agit sur les
coutumes :
⇨ Il agit d'abord de façon indirecte par le biais de ses : juges royaux de jurisprudence qui laminent petit à petit
les usages, cette jurisprudence est le fait des juges royaux et ses juges ne se contentent pas de laminer les
usages indésirables, ils rédigent des recueils où ils conservent les précédents judiciaires. Ce sont des recueils
privé certes mais ils font autorité, c’est là qu’on trouve en somme la coutume agréée par un proche du
pouvoir.

B- L’action directe : confirmation ou


censure :

⇨ Le roi agit de manière plus directe encore sur les coutumes, le roi est réputé gardien des
coutumes. En tant que gardien il doit protéger les coutumes mais a aussi le devoir de les censurer s'il apparaît
qu'il s'agit de mauvaises coutumes. Le roi est donc investi d'une double mission vis-à-vis des coutumes :
- pour remplir sa mission de protection il accorde des confirmations de coutume et les sujets sont
nombreux
à lui demander confirmation de leur coutume dans tout le royaume. - Quant à sa mission de censure
le roi s'en sert pour abolir tout ce qui lui paraît condamnable dans les coutumes, c'est ainsi que le roi a aboli
beaucoup de droits seigneuriaux qu'il estimait vexatoire, trop cruelle. La censure royale fait également des
victimes dans d'autres domaine : le roi use de sa censure pour expurger les coutumes des dispositions qui
contreviennent à la législation royale s'est ainsi que le droit public, la procédure et le droit pénal vont pratiquement
disparaître des coutumes.

III- L’apparition d’une démarcation entre le Nord et le Midi :

Enfin, voyons comment est apparue la démarcation juridique entre le Nord et le Midi, une démarcation qui
persistera jusqu'à la fin de l'ancien régime. Cette démarcation a fait du Nord une zone de droit coutumier et
du Midi, une zone de droit écrit c'est-à-dire de droit romain. Les coutumes étaient forcément incomplètes,
cela posaient naturellement la question du droit supplétoire c'est-à-dire du droit à appliquer en l'absence de
coutume=> la réponse à cette question ne sera pas résolue de la même manière dans le Nord et dans le Midi.
⇨ Dans le Nord : les coutumes ont fait l'objet de rédaction privée dans des recueils qui rassemblaient
les coutumes d'un pays c'est-à-dire d'une région plus ou moins grande, plus la coutume a un vaste ressort
moins elle comporte de lacunes, pour combler ces lacunes on utilise le droit commun savant mais on a moins
souvent l'occasion de l’utiliser s'il y a peu de lacunes

⇨ Dans le Midi, la situation s'est présentée très différemment


- dans le Midi l'influence du droit romain a été d'abord plus précoce que dans le Nord, très vite le droit
romain a été utilisé comme droit supplétoire et s'est imposée d'autant plus largement que les coutumes
médiévales étaient beaucoup plus brèves que celle du Nord donc elles comportaient beaucoup plus de
lacunes. - À cette première circonstance s’est ajoutée une autre plus propre Languedoc = il s'agit de la
volonté
politique du roi. Le pouvoir capétien a assuré son autorité sur le Languedoc à la suite de la
croisade contre les albigeois, des hérétiques qui étaient plus ou moins soutenus par des grands seigneurs du
Languedoc. Une fois installé en Languedoc le pouvoir capétien a dû faire régner l'ordre dans ce foyer d’hérésie et
pour y parvenir il s'est attaqué aux coutumes locales auxquelles les juges royaux ont substitué le droit romain à
chaque fois qu'ils en avaient l'occasion. Au départ le droit romain n'était qu'un droit supplétoire mais il a fini par
étrangler la plupart des coutumes locales pour prendre leur place.

A l'époque qui nous concerne cette évolution commence et elle ne s'achèvera véritablement qu'avec la rédaction
officielle des coutumes à partir du XVIe siècle

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT - COURS 50

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