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Maurice Chevais

(1880-1943)

Un grand pédagogue de la musique


Sciences de l'Éducation musicale
Collection dirigée par Jean-Pierre MIALARET

La diversité actuelle des pratiques musicales, la pluralité et


l'extension récente des contextes scolaires et extra-scolaires
d'enseignement et d'apprentissage de la musique stimulent un courant
de réflexions et de recherches relatif au développement musical ainsi
qu'à l'acte d'apprendre et celui d'enseigner la musique.
Cette collection propose un large panorama de travaux consacrés à la
compréhension des conduites musicales et à un approfondissement des
sciences de l'éducation musicale.

Déjà parus

Gérard GANVERT : L'Enseignement de la musique en France.


1999.
Cristina AGOSTI GHERBAN : L'éveil musical, une pédagogie
-

évolutive, 2000.
Laurent MIROUDOT : Structuration mélodique et tonalité chez
enfant . 2000.
Marion PINEAU et Barbara TILLMANN : Percevoir la
musique : une activité cognitive, .2001.
Michel IMBERTY : De l'écoute à l'oeuvre. 2001.
Martine WIRTHNER et Madeleine ZULAUF: A la recherche
du développement musical. 2002.
Claire FIJALKOW : Deux siècles de musique à l'école. 2003.
Françoise REGNARD et Evelyn CRAMER : Apprendre et
enseigner la musique, représentations croisées. 2003.
Jean Luc LEROY : Vers une épistémologie des savoirs
-

musicaux. 2003.
Texte réunis et présentés par
Claire FIJALKOW

Maurice Chevais
(1880-1943)

Un grand pédagogue de la musique

Actes de la journée d'étude du 3 mars 2004


Observatoire Musical Français
Paris-Sorbonne Paris IV

L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan 'talla


5-7, rue de l'École-Polytechnique Hargita ti. 3 Via Bava, 37
75005 Paris 1026 Budapest 10214 Torino
FRANCE HONGRIE ITALIE
© L'Harmattan, 2004
ISBN : 2-7475-7747-3
EAN : 9782747577472
Maurice CHEVAIS

Cliché tle ESliénne


PRESENTATION

Claire FIJALKOW
Musicologue, Chargée d'enseignement
Université de Paris-Sorbonne Paris IV

Très injustement oublié, et même parfois ignoré, Maurice


Chevais est pourtant un très grand pédagogue de la musique,
au même titre que ses contemporains, Emile Jaques-
Dalcroze (1865-1950), Edgar Willems (1890-1978), Zoltan
Kodaly (1882-1967), Cari Orff (1895-1982) et Maurice
Martenot (1898-1980). Cet ouvrage tente de combler une
lacune importante de l'histoire de l'éducation musicale.

Il est incontestable qu'un hommage devait être rendu à cet


homme et ce pédagogue hors du commun qu'est Maurice
Chevais (1880-1943), inspecteur de l'enseignement musical
scolaire parisien entre 1919 et 1940, théoricien, auteur
d'innombrables articles et de manuels scolaires, militant
infatigable de la cause de l'éducation musicale. Pourtant,
lorsque nous avons décidé d'organiser la journée d'étude du
3 mars 2003, notre ambition n'était pas seulement
commémorative. Il ne s'agissait évidemment pas de glorifier
un passé révolu en matière d'éducation musicale. La période
de l'entre-deux-guerres est déterminante pour l'évolution de
renseignement musical à l'école, annoncée dès la fin du dix-
neuvième siècle, et pas uniquement dans la capitale.

Maurice Chevais est l'un des principaux artisans du


renouveau de la pédagogie musicale scolaire au début du
siècle dernier. Il conçoit en effet une méthode complète -
rune des premières méthodes actives- et écrit un traité de
pédagogie musicale : L'éducation musicale de l'enfance, ouvrage
de référence, où il propose, comme le souligne Jean-Pierre
Mialaret, une réflexion approfondie sur le rôle de l'éducation
musicale scolaire, les buts et les moyens qui peuvent être mis
en oeuvre.
Conçues dès la fin du dix-neuvième siècle, les méthodes
actives (Jaques-Dalcroze, Carl Orff, Zoltan Kodaly) rompent
avec le passé, le modèle dominant de l'instruction musicale. Il
ne s'agit absolument pas de renier le solfège, mais de ne plus
en faire un préalable à l'éducation musicale et de privilégier
l'éducation auditive et vocale, l'importance du chant.
Pendant tout le dix-neuvième siècle, on remarque la
prédominance du solfège sur le chant : les manuels scolaires
sont en fait des livres de solfège dans lesquels le chant fait
figure d'illustration musicale. Le contenu est entièrement
conditionné par la progression solfégique. La théorie occupe
une place importante : elle précède la pratique.

Pour Maurice Chevais, le but de l'enseignement musical


scolaire, lorsqu'il est bien adapté, est de former au chant
choral et aux fondements du solfège. Il rejette toute idée
d'élitisme dans l'éducation, affirme l'éducabilité de tous en
musique. Pour lui, la musique à l'école, c'est à la fois un
moyen d'accéder à un art, de s'épanouir, de s'émanciper,
d'acquérir une culture, de se socialiser, de devenir un citoyen
averti. La musique est une activité noble et morale, dans le
sens où elle développe l'esprit collectif, et peut-être, tout
simplement, un moyen d'être heureux. Chevais défend
l'éducation musicale avec ferveur toute sa vie : il milite pour
elle, il y consacre tout son temps. Mais, il ne se contente pas
de cela. Passionné par les premières recherches en
psychologie de l'enfant, très proche collaborateur de la
société Binet, Chevais met au point divers tests d'aptitude
musicale, exposés par Elisabeth Chapuis. On comprend
aisément que l'évolution de la psychologie de l'enfant ait
influencé les conceptions en matière de pédagogie musicale :
l'enfant étant enfin considéré comme un être à part, avec sa
spécificité. Chevais rappelle sans cesse l'attention extrême
que l'on doit porter à l'enfant et qui doit déterminer toute
pédagogie. Sa préoccupation essentielle est de proposer et de
défendre une pédagogie totalement adaptée à l'école et à ses
contraintes. Forte personnalité, il se heurte parfois à d'autres
pédagogues éminents, notamment André Gedalge, auteur
10
d'une méthode d'éducation fondée sur le développement de
l'oreille et prend part à la fameuse querelle sur la notation
chiffrée, comme le montre Jean-Claire Vançon dans son
article.

Fin connaisseur de l'histoire de la pédagogie musicale et des


méthodes, possédant une culture très étendue, Chevais
devient une personnalité incontournable pendant l'entre-
deux-guerres. Proche du pouvoir musical, présent à toutes
les manifestations importantes (congrès sur la musique à
l'école, colloques, conférences, commissions, jurys de
concours...), animateur de deux revues L'Art à l'école et La
Musique à l'Ecole, dévoué à la cause laïque, il devient le guide
de nombreux professeurs de musique, directeurs d'écoles,
instituteurs, qui lui vouent souvent une très grande
admiration et beaucoup d'estirne. Danièle Pistone montre les
liens entre la vie musicale à Paris et l'enseignement, et insiste
à juste titre sur le phénomène de démocratisation dont ce
dernier est l'objet. En amont, Marie-Claude Genet-Delacroix
évoque la politique culturelle et artistique de la Troisième
République, dans laquelle s'insère l'évolution de
l'enseignement musical. Transversalement, Jacquotte
Ribière-Raverlat propose une réflexion autour de la méthode
Kodaly, qui, adopte en Hongrie le même mode de
conception que la méthode Chevais, tout en élaborant des
moyens très différents.

Cet ouvrage n'a pas pour prétention de traiter l'ensemble du


domaine de réflexion et de recherche ouvert par l'oeuvre de
Maurice Chevais. Après nos recherches sur l'enseignement
musical scolaire parisien, Chevais nous apparaît comme l'un
des pédagogues majeurs de l'enseignement musical scolaire
du vingtième siècle, tout comme Wilhem au siècle
précédent. Cette personnalité nous incite à vouloir
comprendre quelles sont les conditions d'émergence d'un
enseignement de ce type ; ce qui suppose de rechercher les
conceptions pédagogiques qui les fondent, les circonstances
socio-politiques et institutionnelles, les rencontres artistiques
11
et scientifiques et les échanges internationaux. Un immense
champ de recherche se dessine alors, auquel nous nous
consacrons entièrement et dont témoigne cette journée
d'étude.

Nous tenons particulièrement à remercier Monsieur


Michel Crichton, Directeur artistique des Editions
Alphonse Leduc à Paris, de nous avoir autorisé la
publication d'extraits d'ouvrages de Maurice Chevais et de
nous avoir permis de consulter les archives.

12
Danièle PISTONE
Professeur de Musicologie
Université de Paris-Sorbonne Paris IV

VIE MUSICALE ET PEDAGOGIE DANS LE PARIS


DE L'ENTRE-DEUX-GUERRES

Replacer le monde scolaire dans le cadre musical parisien de


l'entre-deux-guerres, tel sera ici notre propos. Les
lendemains de conflit, l'instabilité gouvernementale (du Bloc
national de 1919 au Front populaire en 1936), les modèles
artistiques antérieurs pouvaient favoriser l'expansion du
musical comme l'innovation esthétique ou pédagogique : ce
fut le cas. En nous fondant sur l'étude des archives, des
périodiques, ainsi que des travaux relatifs à cette période,
nous verrons quelle a été l'ampleur de ces mouvements et
éventuellement quel sera leur retentissement.

Evoludon et démocratisation

Il est courant de souligner que ces deux décennies musicales


sont marquées par une nette évolution, des Années Folles —
manifestant la joie de la paix retrouvée — aux années trente
plus sombres, après la crise qui frappe alors la France. Le
Groupe des Six (Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc,
Germaine Tailleferre), né en 1920, fait en effet connaître sa
volonté d'innovation ou son joyeux retour vers la simplicité',
tandis qu'en 1936 le Groupe Jeune France (Baudrier, Daniel-
Lesur, Jolivet, Messiaen) affirme sa volonté d'expression.
Dans le monde littéraire (de Victor Margueritte2 à Céline ou
Malraux) comme dans le domaine pictural (du Picasso des
années cubistes à celui de Guernica en 1937), la tendance se
révèle d'ailleurs la même.

Voir le Manifeste de Cocteau, 1918.


2 Auteur de La Garçonne en 1922.
Depuis la seconde moitié du dix-neuvième siède, la musique
connaît des répertoires divergents : à la grande musique
s'oppose désormais la musique légère3. Il est alors à Paris
plus d'une douzaine de théâtres d'opérettes4 et les music-
halls y sont très prisés (y font leurs débuts en ces années
Fernandel, Tino Rossi, Maurice Chevalier, Piaf, Trenet, sans
oublier Mireille ou Jean Sablon...).

Dans les écoles, les élèves de ce temps semblent d'ailleurs


mieux connaître le fox trot que Beethovens. L'heure n'est pas
-

encore à la "culture jeune", mais l'art sonore populaire est


déjà bien implanté : il a également été favorisé depuis un
siècle par l'orphéon (dont le chant choral scolaire conserve
certains usages), ou par les écoles de Gustave Charpentier6
ou Henri Radiguer7. S'y ajoutera bientôt la musique
ethnique, portée par l'enseignement et les publications de
Bourgault-Ducoudray ou Maurice Emmanue18, tout comme
par l'ouverture du Musée des Arts et Traditions populaires
en 1937. Quant au jazz, il vit encore souvent en sous-sol et
demeure l'objet d'une réelle opposition9.

A l'intérieur des répertoires d'élite, où le vocal semble


toujours privilégiéto, cohabitent également des publics

3 Même si celles-ci peuvent avoir — dans les années 20 surtout — une


influence sur l'art savant (cf Gouspy, 2002).
4 "Les quatorze théâtres d'opérettes de Paris", Le monde musical, n° 7-
8, avril 1922, p. 134-136.
5 Comme Chevais l'affirme lui-même lors d'un exposé à la salle Binet
, "Le phonographe à l'école", L'art à l'école, 24e année, n° 144,
septembre-octobre 1932, p. 41.
6 Andrieux, 1981.
7 Rad iguer, 1931.
8 Dont l'apport est bien présent dans les milieux scolaires ; voir, par
exemple, La musique à l'école, n° 81, janvier-février 1923, p. 133.
9 Baro, 1982, p 66.
I° De la scène au salon ou à l'école. Lors du 9e Congrès de la Société
L'Art à l'école, "Le chant et la musique à l'école", Vincent d'Indy
14
différents" : pour l'opéra, le concert, la musique "moderne"
(réservée aux connaisseurs, à la Société nationale, au Triton
ou à La Sérénade12). A l'Opéra dominent Wagner et
Massenet, alors que l'Opéra-Comique décline et que le chant
traverse une énième crise ; au concert (où se multiplient les
associations symphoniques13 et pour lesquels s'ouvrent de
nouvelles salles14) règnent Wagner et Beethoven15. Quant au
piano, il demeure toujours l'instrument le plus répande
dans la société française du temps.

Dans ce contexte, la référence se fait volontiers au Beau


absolu, selon Platon ("La musique est la partie principale de
l'éducation", République, I, 3) et Aristote, invoqués par
Chevais dans son article de l'Encyclopédie de la musique17.
Pour l'école, il est indispensable de recourir aux meilleurs

insistera ainsi sur la valeur du chant comme "première culture


artistique", L'art à l'école, 15e année, n° 83, mai 1923, p. 9.
Jaques-Dalcroze, 1921.
12 Duchesneau, 1997. Mais il faudrait distinguer, là aussi, la
musique moderne des ceuvres d'avant-garde. La réaction de Roger-
Ducasse à Schoenberg est, de ce point de vue, fort significative : "
[...] nous avons eu une déjection de M. Schoenberg, à s'arracher les
chevewc de désespoir. C'est l'élucubration d'un fol, doublé d'un
morphinomane." Lettre à Jacques Durand, non datée. Archives
Durand. Citée par Jacques Depaulis, 1992, p. 83. Notons, au passage,
que cet auteur — s'il fait allusion dans sa thèse au décès d'Auguste
Chapuis, supérieur hiérarchique de Roger-Ducasse et à la façon dont
celui-ci envisagea de lui succéder (Ibid., p. 85) — ne dit pas un mot de
Maurice Chevais...
13 Orchestre symphonique de Paris, Poulet, Straram...
14 Salle Pleyel en 1927, salle Cortot en 1929.
15 Cf. les statistiques données pour la saison 1923-1924 par Dumesnil,
1946, p. 84 ; et l'article consacré aux "Grands concerts parisiens au
seuil des années 20" par Stavroula Marti, dans "Les années vingt",
1989, p. 18-27.
16 Voir à ce propos la complainte d'André Obey sur les pianos de
banlieue dans Le monde musical, n° 5, 31 mai 1929, p. 167.
17 Chevais, 1931, p. 3831 et 3832. Voir aussi l'article de Maurice
Emmanuel dans La grande revue de 1909, cité dans cette même
encyclopédie, p. 3660 sq.
15
auspices, même si ces références semblent lointaines pour
d'autres milieux, depuis le dix-neuvième siècle au moins. En
fait, voyons comment peut être appréhendé l'art sonore en
ces années.

La musique apparaît volontiers comme un objet de luxe : il


existe en effet une "taxe de luxe" sur les instruments de
musique18. Quant à l'impôt sur les pianos, institué en 1920,
on sait avec quelle force il a été rejeté par le monde
musical19. Comme nous le verrons plus loin2°, les disques
classiques sont également davantage taxés que les
enregistrements de chansons.

Mais la musique est aussi un art d'agrément, présente


seulement dans les collèges de filles jusqu'en 1937, date de
son imposition dans l'enseignement secondaire masculin. Le
Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (1887),
encore bien en usage à cette époque, est du reste fort clair
sur ce point, à l'ardcle "Musique" : "Le chant [...] rompt
l'aridité des exercices scolaires" 21. En fait, l'aspect de
divertissement prend sans doute de plus en plus
d'importance dans la société de ce temps, preuve en soit, par
exemple, la multiplication des fêtes scolaires. Le goût
manifesté pour l'art des sons est certes de plus en plus vif22
(favorisé par la radio, le disque, le cinéma). Mais, aux dires
de maints critiques, la musique n'a pas la place qui lui est due

18 Cf le rapport L'Hopital, p. 14 : cette taxe sur le prix de vente des


instruments de musique a cependant été ramenée de 12 % à 3% en
1930.
19 Voir notamment les articles parus à ce sujet dans Le monde musical,
1920-1921.
2° Voir ci-dessous, notes 37 et 38.
21 Buisson, 1887, tome 2, p. 1368.
22 Comme l'affirme Auguste Mangeot dans Le monde musical, 42,
n° 1, 31 janvier 1931, p. 3. Si l'on en croit La revue musicale, n° 1,
1920, on compte alors dix concerts symphoniques et 40 récitals par
semaine à Paris (p. 44).
16
dans la société du temps23, surtout si l'on compare la France
à l'Allemagne. Du point de vue scolaire, elle manque par
exemple cruellement dans les manuels d'histoire24. On lutte
en fait sans cesse dans ce contexte pour que la musique
devienne un art "utile" et "de perfectionnement"25. De
multiples autorités sont invoquées pour montrer qu'elle est
indispensable pour l'enfant26, auquel elle procure avantages
physiques et intellectuels.

On ne peut donc nier que se poursuit la démocratisation du


musical, selon un mouvement amorcé déjà au dix-huitième
siècle. Parallèlement, nous sommes bien aussi dans une
époque de démocratisation de Penseignement27, avant
l'éducation des masses de la seconde moitié du vingtième
siècle. Préludant à cette évolution et s'imposant peu à peu
comme art de masse, le cinéma rend bien compte déjà de
l'importante présence du peuple, notamment des ouvriers, à
travers des œuvres aussi marquantes que Le crime de M.
Lange (1935) de Jean Renoir ou La Belle Equipe (1936) de
Julien Duvivier. Dans semblable contexte, il est clair que
l'innovation ne peut avoir le même sens en musique et en
pédagogie. Il est certain aussi que les nouvelles concernant le
monde artistique de l'école — balayé comme "élémentaire"
par Théodore Dubois dans l'article de l'Encyclopédie de la
musique consacré à "L'enseignement musical" — ne sont pas
toujours relayées par les grands périodiques musicaux

23 Selon René Dommange (président de la Fédération française de


musique), "Musique vivante et musique mécanique", L'art à l'école,
23, n° 126, mars-avril 1931, p. 209.
24 Remarque d'Emmauel Devun, "A propos de la musique dans les
écoles", Le monde musical, n° 9-10, mai 1921, p. 151.
25 Selon les termes de Charles Couyba dans L Art à l'école, 17e année,
n° 93, janvier-février 1925, p. 209.
26 Dr Gilbert-Robin, "La musique dans l'éducation", Le monde
musical, n° 6, 30 juin 1931, p. 1936.
27 Voir Danièle Alexandre-Bidon et al., Le Patrimoine de l'Education
nationale, Paris, Flohic, 1999, p. 724-810.
17
français du temps, sauf lorsqu'il s'agit de quelques
événements marquants28.

Innovation

Les événements musicaux saillants de ce temps pourraient


en fait nous mettre sur la piste d'un nouveau modernisme29 :
scandales créés par les ballets d'Erik Satie (Parade, 1917 ;
Relâche, 1924), concerts des bruiteurs futuristes italiens au
Théâtre des Champs-Elysées (1921)3°, Pierrot lunaire de
Schoenberg donné à Paris en 1921-1922, Dada (1916),
Groupe des Six (1920), surréalisme (1924). Et pourtant, cette
oeuvre de Schoenberg, tout comme les bruiteurs italiens, date
en fait de l'avant-guerre. Si les scandales se multiplient, c'est
bien le signe d'une volonté moderniste plus que l'affirmation
d'une authentique modernité que maints compositeurs ont
en fait vécu plus authentiquement avant 1914 : qu'il suffise
de comparer chez Ravel les Trois Poèmes de Mallarmé
(1913) et Le Tombeau de Couperin (1917) ou, chez
Stravinsky, le Sacre du Printemps (1913) et les oeuvres néo-
classiques ou néo-baroques postérieures (de Pulcinella au
Rake's Progress), ou de constater encore que les Ballets
suédois des années 20 furent finalement moins novateurs
que les Ballets russes antérieurs.

En fait, au lendemain de la guerre, les compositeurs avaient


à surenchérir sur le style de Wagner — très présent dans les
théâtres et les concerts, comme nous l'avons vu — ou de
Debussy dont la manière nouvelle avait beaucoup séduit les
musiciens (Ravel en tête) et dont le Pelléas avait déjà été
donné plus de 250 fois à l'Opéra-Comique en 193931. Le coq

28Congrès "Le chant et la musique à l'école" en 1923 ou Centenaire


de l'Orphéon dix ans plus tard.
29 Voir "Modernisme (Le) musical français", 1985 ; et "Manifeste et
musique en France", 1986.
30
Maffina, 1985.
31
Wolff, 1953, p. 139.
18
et l'arlequin de Cocteau rend bien compte de cette volonté
de réaction aux "brumes" et "brouillards". Ce sont en fait
l'"atonalité" ou diverses formes de polytonalité qui choquent
le plus les professionnels comme le public au début de
l'entre-deux-guerres32, mais c'est déjà un mélange de styles —
bien représenté par les Concerts Wiéner33 — qui l'emporte
dans les programmations, autre signe d'une modernité
musicale vacillante. La revue musicale elle-même, très
tournée vers les courants internationaux dans ses "Marclis"34,
porte la marque d'un syncrétisme dont la société occidentale
aura désormais du mal à se départir. Et pourtant, dans
sernblable contexte, le succès va en 1924 à l'expressif Roi
David d'Honegger dont le succès éditorial est connu.

Dans le cadre scolaire, voyons où résident les nouveautés


musicales. Sans doute pas dans la flûte douce35, ni dans le
guide-chant (issu de l'harmonium et conseillé par
Chevais36) ; il s'agit plutôt du phonographe, de la radio, puis
du cinéma sonore, soit de la musique "mécanique", comme
le disent les contemporains. Le rapport Charles L'Hopital
(1931) montre clairement l'intérêt de ces nouveaux moyens
de diffusion pour l'enseignement. La radio programme bon
nombre de concerts37 ; tout comrne le cinéma ou le
phonographe, elle s'introduit à l'école où, pour la pédagogie
scolaire, le disque prend une grande importance. Roger-

32 Voir note 12, la réaction de Roger-Ducasse.


33 Cf Wiéner, 1978.
34 Voir Corre, 2002, p. 25 et passim, ainsi son article intitulé "Les
années 30 de La Revue Musicale", in Pistone, 2000, p. 421-435.
35 Cf. notamment Albert Dupaigne ca 1880, puis Lina Roth, La
musique à l'école, n° 175, février 1935, p. 84, ou 1937, p. 61.
36 Maurice Chevais, 1934. On y apprend que le guide-chant a été
introduit à Paris dans la quasi-totalité des 450 écoles primaires (Ibid.,
p. 6) : il est juste, soutient les voix, mais ne peut pas être un instrument
d'accompagnement. Le rapport de Charles L'Hopital (1931, p. 10) en
recommandait aussi l'usage, à la place du violon.
37 Voir Duval, 1980, p. 54 et 61 ; et l'article de Michèle Alten, in
Pistone, 2000, p. 61-83.
19
Ducasse38 préside le Comité français du phonographe dans
l'enseignement, dont Maurice Chevais fait d'ailleurs partie et
qu'il soutient avec conviction39. Les choix de disques
destinés à l'école sont certes tributaires des productions de
ce temps ; mais ils montrent bien aussi leur fidélité aux
succès de l'époque (Massenet, Berlioz, Bizet, Chopin,
Delibes...) et leur volonté de ne pas retenir des œuvres trop
complexe s 4°.

Si ces années voient se multiplier les publications relatives à


physiologie ou la psychophysiologie musicales° et monter
l'intérêt pour l'histoire de la musique (de l'université au
lycée42), Chevais ceuvre surtout, quant à lui, dans une autre
direction : installer une véritable pédagogie de la musique,
voie ouverte par le congrès de Berlin en 1 91 3. Se référant,
entre autres, à Maria Montessori, il souhaite parvenir à une
véritable "éducation" musicale loin du serinage engendré par

38 Cf. son article, très orienté vers l'histoire de la musique, "Le


phonographe dans l'enseignement", L'art à l'école, 22, n° 121, mars-
avril 1930, p. 157-159.
39 Cf. "Le phonographe dans l'enseignement", L'art à l'école, 26,
n° 139, novembre-décembre 1933, p. 110-111.
40
Il suffit de voir quelles partitions de Debussy ou de Franck figurent
sur cette liste (cf. notre annexe).
41
Après les travaux de Marie J'el' (La musique et la
psychophysiologie, Paris, Alcan, 1896 ; rééd. Paris, Association Marie
Jen, 1980), voir notamment Bilstin, 1927 ; cette méthode, qui
s'adresse à divers instrumentistes, est appliquée à Paris dans l'Institut
psycho-pédagogique d'enseignement musical. Voir aussi Raymond et
Jeanne Thiberge, "L'enseignement physiologique de la technique
violonistique", Le monde musical, 31 mars 1927, p. 90 ; Maurice
Hayot, "Principes de la technique du violon basés sur des lois
physiques et physiologiques", suite d'articles dans Le monde musical
de 1928. Ou encore, pour le piano, M. André et Henri Gil-Marchex
dans Le monde musical de 1931, respectivement, p. 366 et p. 45-47.
42
Une pétition est même organisée en faveur de l'introduction de
l'histoire de la musique au lycée (La musique à l'école, avril 1925,
p. 24-125).
20
la répétition43, former la sensibilité ("cultiver le sensible"44),
pratiquer l'intuitif et le "sensoriel", loin de "l'intellectuel" et
du "théorique"45 ("Pas de MOTS quand il s'agit de
SONS"46), à travers une méthode déjà "active"47.

Si l'on songe que l'époque est alors très occupée à débattre


de la prétendue "insensibilité musicale" à propos du retour à
Bach48, doit-on conclure à une divergence de positions entre
l'élite artistique et le milieu scolaire ? Pas vraiment. Nous
Pavons vu plus haut, le recours à la musique mécanique
comme l'adoption du répertoire à la mode ancrent les choix
des pédagogues dans leur temps. Certes les référents majeurs
demeurent sans doute en la matière davantage l'orphéon et
l'école que le Conservatoire (trop spécialisé), et l'on a vu que
la résonance de l'innovation est sans doute plus importante
en pédagogie que dans la vie musicale de ce temps.

Ajoutons aussi que, dans ce cas comme ailleurs, l'imaginaire


de la musique (forgé entre autres par le roman, de Proust ou
de Romain Rolland, et toujours entretenu par les succès de

43 Voir à ce propos le manuel de Marmontel, 1887 ; et l'article de


Jean-Pierre Mialaret, "Dimension psycho-pédagogique dans les
principales méthodes françaises d'apprentissage du solfège aux XIX'
et XX` siècles", in Pistone, 1983, p, 69-76.
44 Chevais, 1943, tome 2, p. 66.
45
Trop présents encore chez Wilhem comme chez Gédalge (Chevais,
1931, p. 3636). Notons que, fidèle aux pratiques et aux parodies du
siècle antérieur, Maurice Chevais est loin de rechercher l'authenticité
lorsqu'il propose des paroles sur un impromptu de Chopin ou une
gavotte de Bach (Chevais, 1938, p. 45 et 51).
46 Maurice Chevais, "L'enseignement musical sensoriel", L'Art à
l'école,15, n° 23, mai 1923, p. 29.
47 Cf. à ce propos la suite d'articles de Maurice Chevais parus dans La
Musique à l'Ecole de 1934 à 1936.
48 Cf dans Le monde musical, Jean-Richard Bloch, "Une insurrection
contre la sensibilité", n° 17-18, septembre 2924, p. 303-304 ; et
Charles Koechlin, "Au sujet de s'insurrection contre l'insensibilité",
Ibid. n° 19-20, octobre 1924, p. 323-324.

21
quelques grands artistes) peut également contribuer à sauver
le "professeur de chant" de la perte d'aura qui frappe le
maître d'école, "caporal de la Troisième République",
enchaîné désormais par élèves, parents, directeur, liberté,
devoir... comme l'avait montré une savoureuse caricature de
Gir dans L'Assiette au beurre de 1909. C'est en fait le statut
ambigu de l'art sonore, souligné depuis si longtemps, qui
épargne à l'instituteur professeur de musique" cette
position sociale déclinante.

22
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Annexe
Disques —Enseignement musical — ler degré
Le phonographe à l'école, avril 1932

N.B. Figurent en gras les noms des compositeurs dont


plusieurs oeuvres ont été choisies.

ADAM, Si j'étais roi (ouverture)


AUBER, La Muette de Portici (ouverture)
BEETHOVEN, Egmont (ouverture)
BERLIOZ, La Damnation de Faust (Marche hongroise,
Ballet des sylphes)
BIZET, Carmen, L'Arlésienne
BRAHMS, Danse hongroise n° 5
CHOPIN, Valses
DAQUIN, Le Coucou
DEBUSSY, Menuet
DELIBES, Coppélia, Lakmé
DVORAK, Humoresque
FAURE, Berceuse, Ele'gie
FLOTOW, Martha (ouverture)
FRANCK, Panis angelicus
GALUPPI, Allegro
GANNE, Les Saltimbanques
GODARD, Jocelyn (Berceuse)
GOUNOD, Ave Matia, Faust
GRIEG, Peer Gynt (Chanson de Solveig)
HAENDEL, L'Harmonieux Fotgeron
HAYDN, Symphonie L'Horloge
HILLEMACHER, Gavotte tendre
HUMPERDINCK, Hânsel et Gretel (ouverture)
LECOCQ, La Fille de Mme Angot (ouverture)
LISZT, Rhapsodie hongroise n° 2
MAILLARD, Les Dragons de Villars (ouverture)
MASCAGNI, Cavalleria rusticana (intermezzo)
MASSENET, Le Cid, Hérodiade, Manon, Thaïs, Werther
MEHUL, Le Chant du départ
MENDELSSOHN, Chanson de Printemps
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