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CM1
Un cours sur la phrase modalisée en français (contemporain) est d’abord un cours sur la phrase, donc
un cours de syntaxe et de sémantique (surtout, encore que pas uniquement) grammaticale.
C’est également (en même temps) un cours sur les modalités, leur classement et leurs réalisateurs 1
linguistiques (et paralinguistiques2, le cas échéant).
1
Dans une perspective de production (ou : onomasiologique – c’est-à-dire, lorsque l’on procède à partir des idées, des
notions, vers leurs noms, onoma signifiant en grec « nom »), on parlera de réalisateurs d’une catégorie ou notion (par
exemple : les réalisateurs d’une certaine valeur modale). Dans une perspective de reconnaissance/ interprétation (perspective
que les linguistes appellent sémasiologique – autrement dit, « des noms, vers leurs sens », sema signifiant en grec « sens »),
on parlera de marqueurs de la même catégorie ou notion.
2
Voir fichier d’appoint : <phrase modalisée_segmental vs suprasegmental>.
3
Unités significatives minimales (segments les plus petits de la chaîne verbale associant son et sens, signifiant et signifié :
signes linguistiques les plus petits).
Niveau d’analyse pertinent des morphèmes en tant que tels (et discipline linguistique correspondante) : la morphologie
(flexionnelle, dérivationnelle). La morphologie dérivationnelle est souvent incluse à la lexicologie (étude des unités lexicales,
de leur structure interne et des relations sémantiques qui les unissent). La morphologie flexionnelle a décidément partie liée
avec la syntaxe, ce pourquoi on parle souvent (informellement) de morphosyntaxe. Certaines approches théoriques
maintiennent que la syntaxe serait aveugle aux opérations de morphologie dérivationnelle (non seulement reconsidér- serait
alors inanalysable en syntaxe, mais également considération, une nominalisation), d’autres, au contraire, traitent les résultats
de tels processus comme des structures analysables (visibles) en syntaxe. Mais personne n’a jamais maintenu que la syntaxe
ne traite pas (d’une façon ou d’une autre) les phénomènes de flexion.
Bien qu’il y ait des avis partagés, dans la littérature, sur l’étendue exacte des apports de la syntaxe au sens strict – syntaxe
dite étroite, en anglais : narrow syntax, orientée vers l’interface sémantique, et respectivement de la syntaxe périphérique
orientée vers l’interface d’articulation/ perception. Ainsi, l’accord verbe-sujet, par exemple, est-il entendu comme résultat de
procédures syntaxiques au sens strict (syntaxe étroite), en grammaire générative (programme minimaliste), mais comme
ayant une résolution seulement tardive, post-syntaxique (syntaxe périphérique = « structure morphologique »), en
Morphologie Distribuée radicale.
4
Sans entrer dans ce sujet, qui fera la matière d’un cours de « structure de a langue » distinct, en L3, nous soulignerons dès à
présent que ces définitions sont sous-tendues par l’hypothèse d’une disjonction relative entre pragmatique et linguistique qui
ne fait pas l’unanimité, en particulier en linguistique française. Les tenants de cette notion de <pragmatique> ont pour
principal argument le fait que cette discipline traite y compris de faits autres que linguistiques (intention de communication
du locuteur, comportements non-verbaux – dans leur relation au comportement verbal ou en autonomie –, paramètres
● Contenu de l’énoncé : le sens, obtenu sur la base de la signification de la phrase et des
informations constituant son contexte.
● une phrase telle que Je suis arrivée en retard est susceptible de nombreuses actualisations,
qui influeront sur sa référence ; prononcée par Anca-Marina Velicu, le vendredi 8 mars
2019, dans l’amphi Haşdeu de la Faculté de Langues et Littératures étrangères de
l’Université de Bucarest, elle signifiera: « Anca-Marina Velicu est arrivée en retard (à la
fac), le vendredi 8 mars 2019 », mais prononcée par Jeanne Dubois, le vendredi 4 mars
1977, à neuf heures du matin, dans le hall de l’Institut Français de Bucarest, où elle
travaillait à l’époque, elle aura signifié plus ou moins : « Jeanne Dubois est arrivée en
retard (au bureau) le vendredi 4 mars 1977, à 9h00 » ;
● par voie de conséquence, c’est l’énoncé d’une phrase assertive et non cette phrase même
(à référence incomplètement spécifiée) qui sera le lieu de l’assignation d’une valeur de
vérité (vrai/ faux) ;
● les observables linguistiques sont de l’ordre des énoncés, et non de l’ordre des phrases ; la
phrase que l’énoncé véhicule serait plutôt une hypothèse de linguiste ; une pure virtualité,
un « être de langue » (et non une réalité de discours5).
L’hypothèse de rapports d’occurrence (ou : d’actualisation) entre phrase et énoncé se laisse préciser
par l’identification de deux types de mécanismes interprétatifs – l’enrichissement contextuel, d’une
part, et le filtrage contextuel, de l’autre :
- ambiguïté syntaxique :
[SN Le vieux singe] [SV [SN le] [v masque]] (« le vieux primate (m’) empêche de voir
quelque chose »)
situationnels largement accidentels et variables influant sur la production ou l’interprétation de séquences verbales, etc.).
Même ceux qui voient dans la Pragmatique (avec un grand P alors) la discipline centrale, et dans la syntaxe et la sémantique
(lexicale ou grammaticale), ses appendices, posent de fait une solution de continuité entre ce qui est pragmatique et ce qui
n’est que linguistique.
5
Remarquez que nous opposons ici langue à discours et non à parole. En effet, pour Ferdinand de Saussure, toute
combinaison volontaire de signes linguistiques relève de la parole, et non de la langue, qu’il s’agisse d’un groupe de mots ou
d’une phrase… bref, ce que l’on appelle couramment combinatoire libre, domaine privilégié de la syntaxe (De Saussure
1995/1916 : 172-173).
De Saussure, Ferdinand (1995/ 1916) – Cours de linguistique générale, publié par Charles Bally et Albert Séchehaye, avec la
collaboration de Albert Riedlinger, édition critique préparée par Tullio di Mauro, postface de Jean-Louis Calvet,
Paris : Payot & Rivages.
6
En précisant, par exemple qui est la personne connue de l’interlocuteur, de sexe féminin, dont il est question dans Elle dort.
7
Cf. Moeschler, Jacques et Anne Reboul (1994) – Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris : Seuil, 131-132.
vs
[SN le vieux] [SV singe [SN le masque]] (= « le vieillard imite un masque »)
- ambiguïté lexicale :
[SN le loup (= « masque de carnaval » ? ou bien : « animal carnassier » ?)] [SV est [SA gris]].
Remue-méninges : pourquoi la phrase Je suis arrivée en retard (avec exactement les mêmes propriétés
sémantico-syntaxiques) n’aurait-elle pu être prononcée par George Mitran, veilleur de nuit, le vendredi 4
mars 1977, à neuf heures du soir, dans le hall de la confiserie Casata (à Bucarest), où il travaillait (bien que
le fait d’être arrivé une bonne demi-heure plus tard que prévu lui eût sauvé la vie, ce bâtiment s’étant
écroulé suite au tremblement de terre qui a dévasté Bucarest ce soir-là, à 9h22) ? 8
Énonciation : acte individuel d’utilisation de la langue, activité exercée par celui qui parle, au
moment où il parle.
Énoncé : produit de cet acte, qui en garde les traces (marques énonciatives ou : marques du locuteur ;
dans les termes d’Émile Benveniste9, initiateur de la « linguistique de l’énonciation », en France, ces
marques révèlent le mieux la présence de « l’homme dans la langue », et participent de « la
subjectivité dans le langage ») : les noms de personne (je/tu ; nous/vous), le présent de l’indicatif, des
adverbes tels maintenant ou ici sont autant d’éléments des énoncés, dont l’interprétation ne saurait se
faire en l’absence de référence aux paramètres de l’énonciation (repère temporel t 0, locuteur et
interlocuteur). On avait appelé de tels items lexicaux dont le sens est en prise directe sur la situation
d’énonciation, des embrayeurs (angl. shifters10).
Nous avons dit que la phrase était constituée de morphèmes (lexicaux et grammaticaux) ajoutés au fur
et à mesure les uns aux autres.
Certains morphèmes se combinent (s’ajoutent les uns aux autres) pour former des mots (ou
plus exactement, des mots-formes11 : lent+e+ment = lentement, march+ent = marchent,
élève+s = élèves, le+s = les), tout comme, à première vue du moins, les mots-formes se
combinent pour former la phrase : Les élèves marchent lentement.
La distinction traditionnelle entre parties du discours (nom, verbe, adjectif, préposition, adverbe,
conjonction) et fonctions syntaxiques (sujet, complément d’objet direct, complément d’objet indirect,
complément circonstanciel, attribut du sujet, attribut de l’objet, épithète, complément du nom
8
Réponse : le verbe au participe passé y est accordé au féminin. Même si cette distinction grammaticale n’est pas marquée à
l’oral, le trait de genre de cette occurrence du nom de personne [+locuteur] est bien présent dans la structure syntaxique de la
phrase, et il fait partie du sens de celle-ci. Je suis arrivé en retard, c’est tout simplement une autre phrase. L’énoncé entendu
/ʒ ə- s ɥi- za-ri-‘ve/ est ambigu entre deux phrases possibles, l’une avec le sujet {[+locuteur], [+féminin]}, et l’autre avec un
sujet {[+locuteur], [+masculin]}.
9
Benveniste, Emile (1958) « De la subjectivité dans le langage », Journal de Psychologie, 55, repris in : Benveniste, Emile
(1966), Problèmes de linguistique générale, tome I, ch. XXI.
Benveniste, Emile (1970), « L’Appareil formel de l’énonciation », Langages, 17, repris in : Benveniste, Emile (1974),
Problèmes de linguistique générale, tome II, ch. V.
10
Le terme est introduit par Otto Jespersen (Jespersen 1923 : 123), repris et popularisé par Roman Jakobson, qui définit les
embrayeurs en termes du rapport entre événement narré (angl. narrated event) et événement de discours (angl. speech event)
et entre leurs participants (Jakobson 1957).
Jespersen, Otto (1922) – Language, its Nature, Development and Origin, London: Allen & Unwin.
Jakobson, Roman (1957) – Shifters, Verbal Categories, and the Russian Verb (= Russian Language Project, Dpt. of Slavic
Languages and Literatures, Cambridge, Mass.: Harvard University. Reprinted in Selective Writings II (Word and
Language), The Hague – Paris: Mouton, 1971, p. 130-147.
11
Pour un rappel des notions pertinentes, voir fichier : <phrase modalisée_rappel morphologie>.
(complément adnominal)) postule déjà des regroupements fonctionnels des morphèmes ‘libres’
(mots) constituant la phrase.
De fait, excepté le « prédicat verbal », qui coïncide systématiquement, sous cet éclairage, avec
le verbe seul (L’étudiant va à la fac, prédicat : va, sujet : l’étudiant, complément de lieu : à la
fac), les autres (vraies) fonctions sont le plus souvent réalisées par des groupes de mots.
Même en grammaire traditionnelle, la phrase est donc (de manière plus ou moins explicite)
envisagée comme constituée non pas directement de morphèmes ou de mots, mais de groupes
de mots.
Mais à partir de là, l’analyse traditionnelle assignera à la phrase une structure ‘plate’, comme
si tous les groupes de mots fonctionnellement définis en quoi elle consiste y étaient
linéairement additionnés les uns aux autres, l’un après l’autre : groupe sujet + verbe (prédicat)
+ groupe complément….
En linguistique moderne, les grammaires de dépendance, tel le modèle à valences de Lucien
Tesnière (Tesnière 195912) vont dans le même sens : le verbe y est posé comme terme
principal autour duquel gravitent sujet et compléments sélectionnés (les ‘actants syntaxiques’),
mais ces derniers sont placés au même niveau l’un par rapport à l’autre, et tous par rapport au
verbe.
Étant donné le morphème, unité significative (et syntaxique) minimale, et la phrase, unité
syntaxique maximale, un groupe de morphèmes qui, à un niveau d’analyse quelconque, forme
une unité syntaxique en se combinant entre eux sera appelé syntagme. Dans la phrase
L’étudiant va à la fac, l’article défini le et le nom étudiant constituent un syntagme (nominal)
à fonction de sujet, la+fac en constituent un autre (toujours nominal), à fonction d’objet de la
préposition à, à+la+fac constituent un syntagme prépositionnel complément (de lieu) du
verbe, et va à la fac, un syntagme verbal14.
Tout morphème ou syntagme faisant partie d’un syntagme plus grand sera appelé constituant.
Ainsi les constituants du syntagme va à la fac seront-ils : va, à, la, fac, la fac, à la fac. Les
constituants de nous parlons français (la phrase même est désormais envisagée comme un
syntagme) sont : parl- (radical), -ons (désinence personnelle), nous, français, parlons
(morphèmes libres), parlons français (syntagme).
Les deux (ou plus de deux) constituants qui forment directement un syntagme seront appelés
constituants immédiats. Les constituants immédiats de la phrase L’étudiant va à la fac sont
ainsi les plus grands des constituants qui forment cette phrase rien qu’en se combinant entre
eux : le syntagme nominal sujet l’étudiant, et le syntagme verbal va à la fac. Les constituants
immédiats du syntagme verbal va à la fac sont le verbe va et le syntagme prépositionnel à la
fac, les constituants immédiats du syntagme prépositionnel à la fac sont la préposition à et le
syntagme nominal à la fac, les constituants immédiats du syntagme nominal la fac sont
l’article la et le nom fac, les constituants immédiats du syntagme nominal sujet l’étudiant sont
12
Ouvrage posthume: Tesnière, Lucien (1959) – Eléments de syntaxe structurale, Paris : Klincksieck.
13
Expression introduite par Leonard Bloomfield, dans son ouvrage séminal Language (1933, New York : Holt, Rinehart and
Winston). La phrase anglaise Poor John ran away (« Le pauvre Jean s’est enfui ») – qui a pas moins de cinq constituants
terminaux (dont quatre morphèmes libres et un morphème lié) – a seulement deux constituants immédiats : poor John et ran
away ; le groupe nominal poor John a pour constituants immédiats poor et John, et le groupe verbal ran away a pour
constituants immédiats le morphème ran et la forme complexe away qui se laisse analyser en a- (un morphème lié) et le
morphème way (morphème virtuellement libre à son tour) – op. cit., p. 161.
14
Les dernières versions de la grammaire générative analysent le syntagme verbal comme entièrement consistant avec la
sémantique lexicale du verbe : tous les arguments sélectionnés par un verbe intransitif (inaccusatif) tel aller seront introduits
en syntaxe sous le VP, y compris l’argument qui sera par la suite promu à la position syntaxique de sujet (position où ce
groupe nominal reçoit le Cas Nominatif).
l’article le et le nom étudiant, les constituants immédiats du nom étudiant sont le radical
verbal étudi- et le suffixe -ant de participe présent…15
Vous n’avez pas manqué de remarquer que, sous cette analyse, va est entendu comme un seul
morphème, bien que de fait il véhicule pour le moins trois sortes d’informations différentes de
nature : le concept désigné par le radical all(er) – dont v- tient la place, dans cet
environnement particulier (on dira que /v/ est un radical supplétif) – information lexicale au
sens strict ; mais aussi : les traits de temps-mode-aspect (qui correspondent au tiroir verbal
communément appelé dans les grammaires du français présent de l’indicatif) et les traits
d’accord (deuxième personne du singulier) – des propriétés à proprement parler
grammaticales. Le radical supplétif /v/ est sélectionné seulement dans un certain
environnement de traits de flexion (présent de l’indicatif, singulier).
Un énoncé comme j'ai mal à la tête ou une partie d'un tel énoncé qui fait un sens, comme j'ai mal ou mal
s'appelle un signe linguistique. Tout signe linguistique comporte un signifié, qui est son sens ou sa valeur, et
qu'on notera entre guillemets (« j'ai mal à la tête », « j’ai mal », « mal »), et un signifiant grâce à quoi il se
manifeste, et qu'on représentera entre barres obliques (/ʒɛ ma la la tɛ:t/, /ʒɛ mal/, /mal/19). (Martinet 1980 :
16, n.s.) 20
15
Le nom étudiant est un dérivé impropre du participe dit présent du verbe étudier, lui-même dérivé du nom étude (emprunté
au latin studia, un pluriel neutre réinterprété comme féminin par erreur).
16
De nos jours on dirait plutôt : allomorphe de run (le radical verbal).
17
Martinet, André (1985) – Syntaxe générale, Paris : Armand Colin.
18
Feuillard, Colette (2001) – « Le fonctionnalisme d’André Martinet », La Linguistique, Paris : PUF, p. 5-20, en ligne :
https://www.cairn.info/revue-la-linguistique-2001-1-page-5.htm (déchargé le 20 février 2019).
19
Transcription phonétique remise à jour par nos soins pour des raisons purement didactiques.
20
J’ai mal à la tête semble avoir d’abord été analysé comme j’ai mal + à la tête. Ensuite est ajouté un segment de l’analyse
de la seule séquence j’ai mal, le segment sémantiquement (fonctionnellement) le plus pertinent pour la visée de
communication : mal. À nouveau, il semble que ce choix repose sur une analyse en constituants immédiats du type de J’ai
mal = j’ai + mal, et on peut seulement supposer les étapes j’ai = je+ai et respectivement à la tête = à+la tête et la tête =
la+tête, du fait de l’énumération des six « monèmes » quelques lignes plus bas, dans le texte, et du fait de l’analyse
fonctionnelle proposée plus loin (p. 18-19 : à la différence de l’espagnol, le sujet est le locuteur, et non la tête qui souffre, la
Le distributionalisme de Zellig Harris, puis la grammaire générative chomskyenne reprennent à leur
compte le principe de l’analyse en constituants immédiats.
Les règles de réécriture des premières versions de la GG chomskyenne ne sont qu’une notation
pour l’analyse en constituants immédiats, redoublée du formalisme (moins explicite) des
indicateurs syntagmatiques (arbres) – notation introduite dès Syntactic Structures21 (p. 26-27). Les
non moins célèbres « boîtes de Hockett » (195822) en constituent une autre. On peut envisager les
boîtes de Hockett comme des arbres renversés :
Phrase
SN SV
ART N V SN
ART N
la porte
Le professeur ouvre la porte
Le professeur ouvre la porte
Le professeur ouvre la porte
Figure 2 (Boîte(s) de Hockett)
Les arbres syntagmatiques peuvent aussi être représentés à l’aide de crochets étiquetés (qui ne sont
pas sans évoquer le système des boîtes imbriquées les unes dans les autres) :
Si, initialement, on avait supposé en grammaire générative qu’un syntagme pouvait comporter deux
ou plus de deux constituants immédiats, on en est arrivé, à partir notamment de la version standard
étendue, à limiter à deux le nombre de constituants immédiats de chaque syntagme. Les structures
syntaxiques ne comportent plus que des nœuds à deux branches : même les coordinations (tel que le
syntagme nominal multiple Paul et Virginie) seront désormais analysées comme ayant pour
constituants immédiats le premier conjoint (dans l’ordre linéaire : ici, Paul) et le groupe formé par
douleur est exprimée par un nominal et non par un verbe, et l’attribution de la douleur se fait à la tête qui souffre, et non au
locuteur). Mais tout cela reste assez conjecturel.
21
Chomsky, Noam (2002/1957) – Syntactic Structures, Berlin-New York: Mouton De Gruyter.
22
Hockett, Charles Francis (1958) – A Course in modern linguistics, NewYork: Macmillan.
l’opérateur de coordination avec le second conjoint (et Virginie), ce groupe lui-même étant par la
suite analysé en opérateur de coordination, d’une part, et second conjoint (un syntagme nominal,
dans notre exemple), de l’autre.
Lecture facultative
Au sens de cette théorie syntagmatique rénovée (plus contrainte) – appelée théorie X-barre – tout
syntagme (quelle qu’en soit la catégorie) est supposé instancier les relations structurales suivantes :
- tête X : constituant minimal qui projette, de catégorie X (où par catégorie il est
entendu une classe de mots ou : partie du discours23 ou bien –alternativement – une
catégorie fonctionnelle24) noté, en tant que tête d’une projection : X°, et, en tant que
constituant minimal (faisceau de traits à traitement parallèle vs séquentiel), X min25 ;
- complément de la tête (noté Compl, X) : premier constituant, éventuellement
complexe, avec lequel la tête X fusionne, formant ainsi un (autre) constituant
complexe ; une fois la tête composée structuralement à son complément, c’est elle, et
non son complément, qui « projettera ». Le constituant complexe engendré par l’union
de X à un autre syntagme de catégorie Y, noté YP26 (son complément) sera « vu » par
la computation syntaxique (et à l’interface sémantico-logique) comme catégorie du
type de X (non comme catégorie du type Y – type instancié par compl, X) ;
- spécificateur de la tête (noté Spec, X) : second constituant (syntagme de catégorie Z ,
noté ZP) introduit dans l’objet syntaxique en train d’être engendré, auprès de
l’ensemble déjà constitué par la fusion de X° à son complément YP (en fait : auprès de
la première « projection » de la tête X°, projection notée X’, qui représente tout ce
qu’elle domine, en l’occurrence l’objet complexe {X° + YP} dans son entier) ; une
23
Nom, verbe, adjectif, adverbe, préposition… catégories à sémantique étoffée et constituant des classes virtuellement
ouvertes. On les appelle catégories lexicale (opposition lexical/ grammatical) ou (plus tard, lorsque items lexicaux et items
grammaticaux seront au même titre supposés avoir été engrangés dans le lexique mental du locuteur/ dans le lexique de
chaque langue particulière, et que le Lexique lui-même n’est plus vraiment opposé à la Grammaire, mais est envisagé comme
composante de celle-ci) catégories substantives (porteuses aussi d’information sémantique non grammaticalisée, de « traits
purement sémantiques »).
24
Les articles (un, une, le, la, les), et les adjectifs pronominaux (ce, cette, ces ; mon, ma, mes… ; etc. – que la grammaire
scolaire appelle « déterminatifs »), ainsi que les pronoms (il, elle… ; celui, celle, … ; le mien, la mienne, … ; certains,
certaines ; quelques-uns, quelques-unes ; …) et les noms de personnes (je/tu…) sont regroupés dans la classe fonctionnelle
des « déterminants » (notés D), qui précisent la référence actuelle des noms substantifs ou, selon le cas, des groupes
nominaux dont ils tiennent la place (pour les pronoms).
Les morphèmes de temps-aspect-mode des verbes sont entendus comme catégories fonctionnelles distinctes du verbe
sémantiquement plein lui-même (une catégorie lexicale) : dans la version standard de la GGT (Chomsky 1965) on avait
postulé une catégorie fonctionnelle appelée Auxiliaire, qui était réécrite comme séquence formée d’un constituant
(obligatoire) – les morphèmes liés de temps-aspect-mode et (le cas échéant) les morphèmes de personne et de nombre ou,
comme il en va du participe passé français, de nombre et de genre – et d’un constituant optionnel (morphème libre) de l’ordre
des auxiliaires de temps (en français : avoir/ être+ participe passé), d’aspect (aller/ venir de/ être sur le point de/ être en train
de + infinitif) ou de mode (pouvoir/ devoir + infinitif) – voir, pour l’application de ce modèle, au domaine du français,
Dubois & Dubois-Charlier 1970 : chap. 4. Ultérieurement, on a directement parlé de la catégorie Temps (renfermant les
propriétés de temps-aspect-mode) et de la catégorie Accord (qui réunissait les traits de nombre et de personne ou selon le cas,
de genre et de nombre que le verbe obtient par accord, depuis un groupe nominal). En ce qui concerne les tiroirs verbaux
complexes à verbes auxiliaires (en particulier dans le cas du français), leur analyse ne sera plus harmonisée : les auxiliaires de
temps des formes composées d’aspect accompli seront entendus comme simples réalisateurs à pertinence phonologique,
racines vides de sens censées porter les morphèmes liés de TAM et d’accord (un seul noyau donc), tandis que les auxiliaires
de mode ou d’aspect seront analysés comme des verbes pleins, qui projettent un noyau propositionnel et prennent une
complétive infinitive (second noyau) pour argument interne. Nous y reviendrons au chapitre sur les modalités d’énoncé.
25
Ce sont les constituants minimaux qui donneront lieu à l’insertion des items lexicaux particuliers (concepts associés à des
matrices d’instructions d’articulation – ce que l’on appelait alors constituants terminaux : le niveau en italiques sous Fig. 1).
L’important est de retenir que les notions de la théorie X-barre sont pour l’essentiel relationnelles : <Xmin> est une notion
définie en termes structuraux substantifs plutôt que relationnels – faisceau de traits destinés à traitement non-séquentiel, en
parallèle –, mais à partir de là, toutes les notions opérationnalisées par la théorie syntagmatique sont purement relationnelles :
<tête X> est une notion définie en fonction des notions de <Xmin> et de <projection> ; <projection de (la tête) X> est
manifestement formulée en fonction de la notion de <tête> ; Compl,X et Spec,X, en fonction des notions de <tête X> et /ou
de projections de celle-ci.
26
P du terme anglais de phrase, pour : « syntagme ».
fois l’objet syntaxique qu’ont formé, en fusionnant, X° et YP (son complément)
étendu grâce à sa fusion avec ZP, ce sera toujours la tête X qui « projettera », et non le
spécificateur ZP, de sorte que le nouveau constituant complexe sera toujours visible
comme catégorie du type de X (=XP) ; on a souvent exprimé cela en fonction de la
première projection X’, en disant qu’à l’issue de sa fusion à ZP (ZP+X’), ce serait elle
(X’) qui projette plus avant. La figure 3 ci-après rend compte de cette hypothèse.
Une telle analyse des syntagmes, qui ne comporte que des di-branchements, permet de rendre
compte de manière immédiate de l’ordre d’introduction des constituants dans l’objet
syntaxique, assurant une transparence maximale de la chronologie des procédures de fusion,
au niveau de la représentation syntaxique générée (une représentation spatiale).
Projection intermédiaire
X YP
Tête X° qui projettera Complément
Exemple :
(1) donn(er) ce livre à Paul
- X = V = donn-
- YP = PP = à Paul
- ZP = DP = ce livre
Si, au lieu d’avoir noté ce que dominent les nœuds YP et respectivement ZP, par des triangles (ce qui
équivaut au refus de poursuivre l’analyse plus avant : un simple raccourci notationnel, donc) nous les
avions analysés à leur tour, cela aurait donné (2), qui postule des niveaux de projection triviale même
en l’absence de fusion à un complément ou à un spécificateur :
(2)
PP
P’ NP
P N’
à Paul
Sous une telle analyse (Fig. 3 supra), le symbole X’ est censé noter deux choses minimalement
distinctes : l’émergence du {constituant Xmin+YP} (c’est donc un nœud-jonction « et »), et le fait que
le constituant ainsi formé est du type syntaxique de Xmin (seules les propriétés syntaxiques de la tête
X° sont accessibles à partir de ce niveau-ci).
XP note, dans le même esprit, la somme de {ZP+{X min+YP}}, et le fait que le constituant ainsi étendu
est toujours du type syntaxique de X : les seules propriétés d’accessibles à ce niveau supérieur
d’intégration seront toujours celles de la tête X°.
En outre, comme X° a satisfait toutes ses valences (sélections), le syntagme ne saurait plus guère être
étendu, sauf par ajout de constituants optionnels : cette seconde projection, notée X avec deux barres
ou double primes (X’’) se laissera interpréter comme « syntagme du type X » (d’où la notation XP).
De fait nous avons là un parfait exemple de faux problème soulevé par la contamination des notions,
par les notations.
L’idée même de « projection » est une métaphore pour une donnée irréductible plus simple : l’accès, à
partir du constituant complexe généré par une opération de fusion de constituants (concaténation),
seulement au « contenu » de la tête X° (aux traits syntaxiques de Xmin).
La notation X’ correspond en fait alors à un nœud jonction activé nécessairement par deux lignes
entrantes (on peut imaginer cela comme un nœud à seuil d’activation 2), en quoi consiste la
concaténation de Xmin et de YP (ce nœud jonction correspond à la catalyse27 de la structure
syntaxique) ; mais la même notation correspond également à un parcours analytique, descendant, qui
mène depuis ce nœud jonction, à l’intérieur de X° (garantissant l’accès aux traits de X min seulement).
X YP
Tête X° dont la catégorie est héritée par le Complément
syntagme
Sous cet éclairage, l’analyse du groupe prépositionnel PP = à Paul dans l’exemple illustratif sous (1)
supra n’aurait plus donné (2), mais plutôt (3), comme on se serait attendu si l’on prend en compte les
fusions successives de constituants (création de nœuds qui dominent leurs « filles ») et les
« projections » (entendues en termes d’accès aux traits d’un constituant terminal, à partir d’un nœud
qui le domine) :
(3)
P’= PP Le constituant terminal Paul est un Nmin et un
NP à la fois (un certain nom propre vu comme à
la fois un constituant minimal et comme un
P N=NP syntagme, puisque, n’étant fusionné à aucun
autre syntagme-sœur, n’ayant pas de
complément, la question de la « projection » ne
devrait même pas se poser).
à Paul
P° + NP = P’ (première projection de P),
27
Ou : construction.
visible à la suite des opérations syntaxiques (et à
l’interface syntaxe/ sémantique) comme une
catégorie de type P (P° la tête qui « projette ») :
PP donc. Point n’est besoin de postuler un
niveau de projection intermédiaire jouant à vide
(P’).
Nous préciserons que c’est sous la notation compacte de la structure syntagmatique représentée sous la
Figure 3 supra que la théorie X-barre est définie et que c’est cette notation qui est pratiquée dans la
littérature générativiste, du moins jusqu’à l’introduction d’une version encore plus simplifiée, dite
structure syntagmatique « X-nue » (sans barres, primes, niveaux intermédiaires postulés y compris
dans le cas des syntagmes simples), dans les textes fondateurs de la reformulation « minimaliste » de
la grammaire générative-transformationnelle chomskyenne (Chomsky 1995, chap. 4). Pour être
graphiquement plus élégante et d’un maniement plus simple, la notation X–barre compacte ne recèle
pas moins de pièges, si on la prend pour de l’argent comptant, c’est-à-dire, pour une représentation
directe des objets syntaxiques.
La représentation syntagmatique X-nue fera l’économie de la distinction entre constituant terminal
(item lexical particulier) et constituant minimal (c’est la préposition à elle-même qui est alors
entendue comme étant à la fois douée du trait catégoriel noté P, du Cas inhérent qu’elle va assigner à
son complément nominal, et d’une connexion à un faisceau d’instructions purement sémantiques, du
type notionnel <relation>, au moins en partie redondantes de ce Cas inhérent, ainsi que d’une
connexion à la matrice d’instructions d’articulation /a/) ; les primes/ barres ne seront plus supposés
avoir de pertinence théorique, mais seront traitées comme pures notations ; il n’y aura plus de niveaux
de projection non issus de fusions de constituants (plus guère de projections triviales, comme sous (2)
supra) :
(4)
P (= PP)
àP Paul N (=NP)
Les dernières versions de la GG (programme minimaliste, modèle des phases) revoient cependant à la
baisse cette analyse synthétique des items lexicaux, qui annule la distinction entre constituant minimal
(faisceau de propriétés à traitement parallèle vs séquentiel) et constituant terminal (segment de la
chaîne verbale), à force d’intégrer les hypothèses de la Morphologie Distribuée radicale, en particulier
l’idée que les instructions d’articulation associées aux catégories traitées en syntaxe seraient
introduites dans la dérivation de la phrase (insertion lexicale) plus tard que le reste de l’item. Cela rend
sa vraisemblance à une schématisation du type de (3) supra, dépourvue de projections triviales mais
qui préserve la distinction entre faisceau de traits syntaxiques (X min) et matrice phonologique y
associée (forme sonore).
phrase uni-propositionnelle, minimale ou étendue – pourvu que (tant dans le cas de la phrase
minimale que dans celui de la phrase étendue) les arguments sélectionnés (pour la phrase
minimale) et/ou les expansions (pour la phrase étendue) ne soient pas eux-mêmes des
propositions,
(1)
a. Je le crois [COD non-propositionnel]
b. Je crois que vous avez tout compris [COD propositionnel]
(2)
a. Je le pensais encore à ce moment-là [arguments et expansions non propositionnels]
b. Je pensais encore à ce moment-là [expansions non propositionnelles] que vous aviez compris le
sens de cette opposition [argument sélectionné propositionnel]
c. Avant d’avoir corrigé les copies [expansion propositionnelle], je croyais encore [expansion non
propositionnelle] que vous aviez compris le sens de cette opposition [argument sélectionné
propositionnel]
d. Les étudiants sont arrivés avant la prof [expansion non propositionnelle]
e. Les étudiants sont partis avant que la prof n’arrive [expansion propositionnelle]
28
Premier conjoint : une proposition indépendante.
29
Second conjoint : une autre proposition indépendante.
l’exemple ci-contre30 – qui sont constituants immédiats d’une phrase complexe du
type de : (6) Sylvie est allée à la fac, Marie est restée chez soi) seront envisagées
comme « indépendantes »31.
Cela suggère que le fait, pour le masculin, de l’emporter sur le féminin en bon français
(Elle et lui, ils V-ent) ne serait pas une instance de choix de la valeur par défaut non
plus, mais un choix (à motivations ultimes socio-culturelles, en tout cas sémantiques)
de la forme la plus « forte » du paradigme, de la valeur la plus saillante dans la
hiérarchie conceptuelle de référence.
30
Veuillez noter que la phrase complexe n’est pas, elle, soulignée comme un tout (virgule comprise) !
31
Cf. Riegel, Pellat & Rioul (2008/ 1994) : 472.
32
« En grammaire générative, une phrase matrice, ou suite matrice, est une suite dans laquelle une autre suite vient
s’enchâsser » (http://www.cntrl.fr/definition/matrice)
Je garde ici le silence métalinguistique sur le détail des analyses X-barre des
syntagmes à coordonnant, et sur les diverses analyses concurrentes (l’analyse à
adjonction notamment).
Exemple commenté : (7) Je crois que Paul lui a déjà dit que sa mère était partie.
Je crois = phrase racine = phrase matrice de la complétive que Paul lui a déjà dit
(que) Paul lui a déjà dit = tout en étant elle-même une subordonnée enchâssée sous la
phrase racine (qui en est, de ce fait, la matrice), cette proposition est à son tour séquence
matrice de la complétive enchâssée suivante (que sa mère était partie) : à ce titre, c’est
une proposition régissante.
Cette propriété des structures syntaxiques d’un certain type de pouvoir être itérées, en
particulier la vocation à enchâssements successifs (complétive d’une complétive d’une
complétive … ; génitif d’un génitif d’un génitif…) serait une caractéristique saillante et
universelle des langues naturelles, imputable à la faculté de langage : la récursivité.
Lecture facultative
Il existe cependant une langue qui tient en échec cette hypothèse (du moins à première vue) : la langue
d’une tribu perdue de l’Amazonie, qui n’a pas de mots pour les nombres, ni pour les relations de
parenté au-delà des frères et sœurs, ni de formes temporelles pour les verbes, autres que le présent, et
qui semble dépourvue de phrases complexes au sens strict (phrase matrice + proposition enchâssée).
C’est le pirahã. Les Indiens de cette tribu ne diraient jamais ‘je vois Y capturer un poisson’, mais
seulement ‘Y capturant-poisson-<je l’ai vu>’ ; jamais ‘X vient avant que Y (ne) parte’, mais
seulement : ‘X vient (et) Y part’, et, si la relation de possession peut être exprimée une fois (‘fils de
Y’), elle n’est pas récursive (il n’y a pas moyen de parler de la ‘fille du fils de Jean’ sauf à identifier le
‘fils de Jean’ comme Georges : ‘fille de Georges’).
Fin de la lecture facultative
33
Jamais : ‘phrases’ régies (puisque par hypothèse elles ne sauraient remplir la fonction de phrase racine).
ou plutôt : au prédicat sémantique de la phrase) : passé (passé = plus guère
actuel = inactuel) ; virtuel (virtuel = pas encore actuel, mais qui peut le devenir)
- ancrage modal (dans un monde possible : monde actuel de ce qui est, monde
potentiel, monde des attentes, monde contrefactuel) : vrai-pour-le-locuteur
actuel/ désirable-pour-le-locuteur-actuel…
- spécifications aspectuelles (temps interne de l’évènement/ du procès/ de l’état
désigné par le verbe ou de l’état désigné par le prédicat sémantique non verbal, le
cas échéant) : aspect global (passé simple) vs sécant (imparfait de l’indicatif) ;
aspect accompli (participe passé et toutes formes composées avec le participe
passé) vs inaccompli (formes simples)
Il s’agit là, sans autre, d’une définition de la proposition comme niveau d’analyse
syntaxique inférieur à la phrase (donc : comme constituant syntaxique de la
phrase) y compris dans le cas des phrases simples.
Une conséquence importante de ce point de vue sur la distinction proposition/ phrase est
que le groupe nominal sujet, porteur (en français) du Cas Nominatif, et assignant, par
accord, ses valeurs de traits de personne et de nombre au verbe fini (et éventuellement ses
traits de genre et de nombre, au participe passé), doit être envisagé comme étant d’abord
introduit en syntaxe à une position directement ou indirectement déterminée par la
sémantique du verbe plein (vs auxiliaire), en tant qu’argument de ce prédicat sémantique.
Rappel : une structure argumentale est constituée d’un prédicat (sémantique36) et des
arguments sélectionnés par ce prédicat.
La notion d’argument est empruntée à la logique des prédicats (ou : logique des
propositions analysées), plus exactement, à la notation logique des relations de
prédication (‘x est f’ noté f(x) – argument d’une fonction, donc), la notion de prédicat
étant assimilée à la notion (mathématique, logique) de fonction : MORTEL (l’homme)37
34
Phrases simples correspondantes : Sylvie va à la fac à pied./ Sylvie ira à la fac à pied./ Sylvie est allée à la fac à pied./…
35
Phrases simples correspondantes : Sylvie marche vite./ Sylvie marchera vite./ Sylvie marchait vite./…
36
Prédicat sémantique vs prédicat syntaxique (au sens de la grammaire traditionnelle) : dans le cadre du prédicat
nominal (= copule + attribut du sujet : Paul est intelligent), seul l’attribut du sujet est un prédicat sémantique (un ‘prédicatif’,
en termes de grammaire structurale). Voir aussi §1.5 infra.
Prédicat sémantique vs ‘groupe prédicatif’ (grammaire structurale) : l’analyse structurale des ‘phrases étendues’
distinguait, outre le sujet (GN1), deux niveaux, incrémentiels : le groupe verbal noté GV (= verbe+ compléments
sélectionnés), et le groupe prédicatif noté GPréd (= GV + compléments de verbe non sélectionnés) ; la structure de la phrase
étant Ph = GN1 + GPréd. À l’intérieur d’une telle approche, la notion de ‘groupe prédicatif’ recoupe plus ou moins la notion
logique de prédicat (vs sujet) d’un jugement (exprimé par une proposition susceptible de se voir assigner une valeur de vérité
– ou bien vrai ou bien faux), mais le verbe (à valences satisfaites par le sujet et, le cas échéant, par son ou ses compléments
obligatoires) n’y est pas le seul prédicat sémantique.
Les compléments non sélectionnés par le verbe (analysés comme des ‘Groupes Adverbiaux – notés GAdv –,
même lorsqu’ils sont exprimés par des groupes prépositionnels : Sylvie va à la fac à pied, voire par des groupes
nominaux – compléments directs qui ne sont pas des compléments d’objet, tels les compléments de prix ou de
mesure : j’ai payé/ acheté ce meuble 1000 euros/ trois fois rien, j’ai nagé 1000 mètres), se laissent également
envisager en tant que prédicats sémantiques : ce seraient des prédicats optionnels, dans l’économie de la phrase,
qui sélectionnent, eux, un certain (type de) verbe/ groupe verbal – ce qui expliquerait l’existence de relations de
sélection sémantique fine entre ces éléments : *Sylvie va à la fac à l’aiguille (OKCette nappe est brodée à aiguille),
Sylvie va à la fac à pied (*Cette nappe est brodée à pied).
37
Nous ignorons ici pour le moment la question de la quantification générique : x, homme (x) & mortel (x) [quel que soit
x, si x est un homme, alors x est mortel].
notant un contenu sémantique qu’exprime typiquement, en langue naturelle, la phrase
simple (générique) L’homme est mortel.
Sujet et compléments sont, chez Tesnière, des actants qui complètent (ou : satisfont) les
valences du verbe (centre de la phrase). Le sujet est le premier actant, les compléments
sélectionnés, des actants second ou tiers, les compléments non sélectionnés, des
circonstants.
Il existe des actants syntaxiques auxquels il ne correspond aucun actant sémantique (les
sujets explétifs : il est arrivé trois étudiants), et des actants sémantiques auxquels il ne
correspond aucun actant syntaxique (l’objet ‘zéro’ de phrases elliptiques telle Cela
dépend [« de quoi ? »]).
Les notions d’argument et d’actant ne sont cela dit pas strictement parallèles : le nom
modifié par un adjectif en emploi d’épithète conjointe (la belle Vénitienne) est bien
l’argument de cet adjectif (analysé, lui, comme prédicat sémantique), sans pour autant en
être l’actant.
38
Plus ou moins le « noyau de la phrase » (sentence nucleus) au sens de Lyons 1977, vol. 2 : 469-470.
39
Accord avec le thème discursif qui n’est pas le syntagme à Cas Nominatif (noté NOM), mais un adnominal à Cas Oblique
(noté OBL). Ainsi, dans une phrase telle La majorité des candidatsM 3PL ont3PL été admisM PL y aura-t-il accord avec les-OBL
candidats, non avec la-NOM majorité. La Forme Logique de cette phrase encode, d’une manière qui reste à préciser, une
instruction selon laquelle la prédication doit être entendue comme portant sur les candidats concernés plutôt que sur leur
nombre.
40
Doué de substance sémantique pure (vs seulement porteur d’information grammaticalisée).
41
Tel do-support en anglais (I don’t eat meat (‘je (=moi)-nominatif do-prés. indic. 1sg +NEG mang(er) viande’ “je ne mange
pas de viande”), Does he eat meat? (do-prés.indic. 3sg il (=lui) mang(er) viande ? « mange-t-il de la viande ? »). Les
auxiliaires de temps dans les langues qui n’exhibent pas d’alternance qui se laisse motiver sémantiquement, tel le roumain (vs
le français : am venit de la facultate/ je suis venu(e) de la fac ; am mers pe jos/ j’ai marché, am citit o carte/ j’ai lu un
livre…) peuvent être entendus jouer (plus ou moins) le même rôle. ‘Plus ou moins’ seulement, parce que l’auxiliaire de temps
requiert une interprétation compositionnelle des traits de temps-mode-aspect distribués entre lui-même et le verbe plein au
verbe, les traits d’accord, qui n’ont aucune pertinence interprétative directe sur le
verbe, ne le seront pas ; ce sont leurs corrélats sur l’argument nominal sujet qui
seront interprétés par le composant sémantique de la grammaire.
2
SylvieN T =T’
2
all(er)+ {prés. ind., 3 sg}
1
SylvieN V
=T°
1
all(er) P =PP
àP D =DP
participe passé (dans les exemples envisagés), alors que le verbe postiche cumule l’ensemble des traits TAM pertinents (le
verbe plein n’étant alors qu’une sorte de racine verbale dénotant une certaine éventualité – événement, procès ou état).
1.5. Phrase noyau/ phrase modalisée
Le couple de notions <phrase noyau>/ <phrase modalisée> relève d’un certain horizon théorique.
En grammaires transformationnelles non génératives (distributionalisme de Zellig Harris) et dans la
première version de la grammaire générative (Chomsky 1957), la phrase modalisée est décrite comme
transformée de phrase(s) noyau(x).
En grammaires transformationnelles, la forme des phrases énoncées (observables linguistiques) ne
résulte pas simplement de la concaténation d’éléments plus petits (morphèmes, mots, groupes de
mots), mais aussi de transformations sur ces éléments (permutations, effacements, déplacements, …).
En grammaire générative-transformationnelle (GGT), les relations entre phrase de base et transformée
sont explicitement posées (génératif veut simplement dire : « produit par des règles explicites », au
sens mathématique du terme, qui ne préjuge en rien de la direction analyse/ interprétation de la phrase
ou bien production/ énonciation de celle-ci) en termes de relations entre niveaux de représentation
plutôt qu’en tant que relations entre une phrase de base (à association son-sens déjà accomplie) et une
autre phrase – la phrase qui en dérive. Il y aurait donc en syntaxe une structure profonde (pertinente
pour l’interprétation sémantique), et une structure de surface, dérivée par des règles explicites de
celle-ci, seulement la dernière étant par la suite soumise aux opérations du composant phonologique,
et donnant lieu à une phrase parachevée, prononcée, énoncée par le locuteur. La syntaxe est alors vue
comme composante centrale de la grammaire, entre lexique, d’une part, et phonétique et sémantique,
de l’autre.
La définition de la phrase noyau à l’intérieur de cette théorie dépend de la manière dont sont analysés
d’autres faits de langue.
Si l’épithète conjointe est analysée comme transformée d’une proposition relative (<relatif _sujet –
copule – prédicatif42> – voir (2) ci-contre), une phrase dont le groupe nominal sujet (par exemple)
comporte, outre ses constituants obligatoires (déterminant et nom substantif), une épithète conjointe
(voir (1) ci-après), correspondra alors non pas à un noyau mais à deux.
Des analyses du même type ont été proposées, dans la version standard de la grammaire générative-
transformationnelle, pour les compléments adnominaux43 (3) ou les nominalisations (4) : où s’arrêter,
dans la postulation de noyaux sous-jacents ?
Dans un modèle de grammaire qui optait pour l’analyse transformationnelle des types évoqués ci-
avant, une phrase noyau ne pouvait être que la plus simple des phrases possibles : phrase non
seulement simple mais encore minimale.
Certains auteurs sont allés plus loin, en imposant, outre l’absence de modalités marquées (phrase
déclarative vs interrogative, impérative… ; affirmative vs négative ; active vs passive, impersonnelle ;
ni disloquée ni clivée), des valeurs par défaut pour le temps (présent de l’indicatif) – Dineen 1995 :
37544.
La phrase noyau n’existe plus en tant que telle (perd son statut théorique) dès que les modalités (en
particulier : d’énonciation) sont introduites dans la base de la grammaire (plutôt que par des
42
Ce que l’on nomme en linguistique souvent « prédicatif » correspond à l’attribut du sujet, en grammaire
traditionnelle française (nume predicativ en grammaire traditionnelle roumaine).
43
Complement prépositionnel du nom.
44
Dineen, Francis P. (1995) – General linguistics, Georgetown: Georgetown University Press
https://vdocuments.mx/francis-p-dinneen-sj-general-linguistics.html
transformations), donc dès la version standard du modèle GGT (Chomsky 1965). À partir de là, on
peut au mieux parler de noyau de la phrase.
Dans une phrase, un noyau est construit par une relation de prédication qui constitue une
proposition (au plan d’abord logico-sémantique) ; aussi est-il d’usage de définir le noyau phrastique
en termes d’une relation entre un sujet (argument) et un prédicat.
Typiquement, ce prédicat est un verbe ou un groupe verbal : parle (un verbe inergatif), dans l’exemple
(1), vont à la fac, sous (2), entrent dans le labo, sous (3) – verbes intransitifs dits aussi : inaccusatifs,
avec leurs compléments sélectionnés –, écrit une lettre, sous (4) – un verbe transitif avec son
complément sélectionné.
Ou est-ce plutôt parl-/all- à la fac/ entr- dans le labo/ écr- une lettre que l’on devrait envisager
comme prédicats ? En d’autres termes, est-ce le verbe avec toutes ses spécifications occurrentielles (en
particulier de temps-aspect-mode), ou le verbe comme porteur de son seul sens lexical (la « pure
racine » verbale) qui constitue le prédicat (sémantique) ?
Question corrélative : est-ce que le noyau phrastique est à définir aussi en termes du Temps (au sens
large, qui neutralise les distinctions entre traits de temps, d’aspect et de mode) ?
Les réponses à ces questions ne sont pas triviales : nous y reviendrons. Pour l’instant, voyons d’abord
si le prédicat est toujours de l’ordre des verbes (ou des groupes verbaux).
Dans les exemples sous (5) à (8), le prédicat sémantique n’est pas le verbe léger être (simple lien ou :
copule, entre sujet et élément prédicatif sémantiquement étoffé), mais sage (un adjectif), là (un
adverbe, sur l’étagère (un groupe prépositionnel) et prof de français (un groupe nominal).
Il faut noter que la groupe nominal prof de français n’est pas articulé, en (8) : le nom prof (à extension
restreinte par le complément prépositionnel de français – un complément adnominal) n’y est pas
employé comme à l’accoutumée, pour renvoyer (on dit d’habitude en linguistique : se référer) à un
certain individu (référence spécifique), connu de l’interlocuteur (référence spécifique définie : Le prof
de français de ma fille vient de partir pour Paris) ou non (référence spécifique indéfinie : Il y a un
prof de français du secondaire qui veut vous parler, Monsieur le Doyen), ni à n’importe quel
exemplaire de la classe des profs de français (référence arbitraire comme cas particulier de référence
générique : Un prof de français doit savoir conjuguer le verbe « être »), ni à tous les exemplaires de
cette classe (De nos jours, les profs de français n’enseignent pratiquement plus de grammaire dans le
secondaire), ni à la classe prise comme un tout impossible à diviser (référence générique dite « sur le
mode massif » : À la campagne, le prof de français se fait rare). En (8), prof de français ne fait
qu’exprimer la notion de prof de français, en-deçà de toute actualisation. Il exprime l’ensemble des
propriétés que quelqu’un doit posséder pour pouvoir être dit appartenir à cette classe, et fonctionne à
cet égard comme prédicat sémantique, à l’instar de l’adjectif sage en (5).
Si le noyau se réduit à la relation de prédication virtuellement constitutive d’une proposition (au sens
logico-sémantique), alors le noyau des phrases (1) à (4) supra correspond syntaxiquement parlant à un
groupe verbal – constituant syntaxique en-deçà de la catégorie fonctionnelle T (temps).
Si au contraire par noyau phrastique on comprend une proposition pourvue d’ancrage temporel, cela
correspondrait, en termes structuraux, au syntagme de Temps TP. TP est la zone des spécifications à
pertinence directement descriptive (ou : référentielle), de la phrase (référence verbale), en tant
qu’opposée à la zone où seront inscrites les modalités.
Cela dit, l’ancrage temporel – ou plutôt : temporo-aspectuel, puisqu’il réunit deux catégories pour le
moins, le temps au sens strict et l’aspect – est impossible à dissocier de l’ancrage modal, dans un
monde possible – réel, potentiel ou contrefactuel (irréel), actuel ou virtuel.
Le syncrétisme relatif des marques de temps-aspect-mode en français n’est pas en soi un argument à
une analyse syntaxique unifiée des traits TAM, mais est très certainement conforté par une telle
analyse, d’autant que souvent les réalisateurs de ces traits sont contraints pour un certain
environnement de traits d’accord (personne et nombre).
On peut ainsi se demander si -ais, -ais, ait, -ions, -iez, -aient (à l’oral : [ɛ]/ [jõ]/ [je]) sont des
réalisateurs d’un faisceau de traits d’aspect et de temps, dans certains environnements de traits de
personne et de nombre (soit : 1SG-2SG-3SG-3PL / 1PL/ 2PL) –, ou bien seulement des réalisateurs de
l’aspect, le passé n’ayant qu’un réalisateur zéro dans cet environnement. Puisque, n’est-ce pas, on
retrouve ces mêmes marqueurs dans les formes de conditionnel (futur du passé ou futur hypothétique),
dont l’imparfait de l’indicatif ne diffère que par l’absence de l’affixe de virtuel -r- [R].
Et d’ailleurs, quelle est l’essence du conditionnel ? Faut-il y voir un mode distinct de l’indicatif,
comme nous l’enseigne la grammaire scolaire, ou du temps d’un type particulier (un futur rétrospectif
ou un futur plus chargé d’hypothèse que le futur simple) ?
Ces questions ne sauraient trouver de réponse en l’absence d’une réflexion explicite sur les relations
entre temporalité et temps, aspectualité et aspect, modalité et mode, donc entre formes
(grammaticales) et leur ou leurs sens.
Nous y reviendrons.
Tournons-nous pour le moment vers les modalités et leur classement.
Toute phrase Σ (lire : « sigma » – le terme anglais correspondant ayant l’initiale S(entence)) est
formée, en structure profonde (niveau de représentation syntaxique dont est justiciable l’interprétation
sémantique), d’un constituant de phrase (abréviation : Const), qui en détermine le type (la modalité),
et d’un noyau (abréviation : P, de phrase46) :
Σ→ Const + P
(lire : « Σ se réécrit comme Const + P »).
Le « constituant » (porteur de la modalité) est, lui, formé d’un élément obligatoire (soit Affir(mation),
soit Inter(rogation), soit Imp(ératif)), et de constituants facultatifs (négation, emphase et passif – notés
entre parenthèses dans la formule ci-contre) :
45
Dubois, Jean et Françoise Dubois-Charlier (1970) – Éléments de linguistique française : syntaxe, Paris : Larousse
(collection « Langue et langage »).
46
En anglais : S, de sentence. Cette transposition en français n’harmonise donc pas les rapports entre les deux notations, en
alphabet grec et latin (dans la logique de Σ/ S, il aurait fallu sans doute avoir ici : Π (lire : « pi »)/P).
Affir47
Imp
⮚ L’introduction de Const dès la structure profonde permet de rendre justice au postulat selon
lequel « les transformations ne peuvent introduire des éléments porteurs de sens » (Chomsky
1971 (1965) : 180-181).
⮚ Rappelons qu’au sens de cette modélisation de la grammaire, en syntaxe seraient générées non
pas une, mais deux représentations : une structure profonde, issue de l’insertion lexicale des
catégories, par l’intermédiaire de règles de réécritures (inscrites dans le composant de base
de la grammaire), et une structure de surface, résultat des transformations portant sur cette
47
Nous prenons nos distances par rapport à la nomenclature en place dans Dubois & Dubois-Charlier 1970, sur ce point
précis, et dirons plutôt « assertion (type assertif) », employant « affirmation » pour l’une des deux formes logiques possibles
(« affirmation (type affirmatif, forme affirmative)/ négation (type négatif, forme négative) »), parce que parler d’« affirmation
négative » nous semble participer de la contradiction dans les termes. Bien que l’on puisse affirmer que non-p en langue
naturelle (J’affirme qu’il n’est pas là, et je peux le prouver), l’affirmation en tant que telle ne saurait être dite négative sans
contradiction.
48
Souvent, dans la littérature, il y a hésitation sur la marque du pluriel, vu la variante phrase(s)-type(s) : types/ formes de
phrase ou : phrases ?
49
Définis, en termes (implicitement) transformationnels, comme « réagencements particuliers des types obligatoires »
(Riegel et al. 2004 (1994): 386).
50
Négation descriptive : assertion d’un contenu propositionnel négatif (ex. Paul n’est pas là pour l’instant, à ce que je vois).
L’interprétation des types facultatifs ne peut être actionnelle que de manière marginale, à l’encontre de celle des types
obligatoires : le type facultatif qui illustre ce cas de figure marginal est encore la négation (quand elle réalise, dans
l’énonciation, un acte de dénégation (ou de refus) plutôt que la simple assertion d’un contenu négatif – ex. Tu viens ?/ -Je ne
peux pas. Toujours dans un contexte d’offre/ invitation : Un peu de rôti?/ -Je ne mange pas de viande).
structure profonde. Des deux représentations générées en syntaxe, seule la structure profonde
fera l’objet de l’interprétation sémantique :
Sous l’analyse purement transformationnelle des types de phrases/ formes de phrases, les
transformations étaient entendues procéder de manière ordonnée : passivation avant emphase,
emphase avant transformation négative, et transformation impérative/ interrogative par la suite.
Comparer :
Sous l’analyse non-transformationnelle, qui introduit la modalité (Const) dès la base de la grammaire
(en structure profonde), on s’évertue à rendre compte des mêmes observables en termes du
rapprochement des constituants optionnels et respectivement obligatoire52, de la phrase, par rapport au
Noyau : le constituant le plus à droite dans la formule sera le premier introduit dans la base – en
l’occurrence, le passif, puis, l’emphase, puis, la négation53.
51
Chomsky, N. (1957) – Syntactic Structures, Mouton, The Hague (trad. fr. Structures syntaxiques, Paris : Seuil, 1969).
52
Singulier puisque les constituants obligatoires sont par hypothèse mutuellement exclusifs.
53
La question se pose de savoir si les observables eux-mêmes imposaient un tel biais ou si ce n’était là que l’influence de la
modélisation précédente.
Phénomènes de portée de la négation (C’est Paul qui n’est pas venu (emphase à départ négatif)/ Ce n’est pas Paul qui est
venu (négation d’une phrase déjà emphatisée), restrictions sémantico-distributionnelles liées à la subordination/ à
l’enchâssement (*C’est Paul qui est-il venu ?), réanalyse du passif comme donnée morphologique/ lexicale (radical verbal
passif non trivialement distinct du radical actif, structure argumentale distincte) sont autant d’éléments susceptibles de fournir
à cette analyse des motivations indépendantes.
● mise en vedette de l’attribut (du sujet) par le présentatif c’est… que… : *c’est … que X
est54 ;
● phrase clivée & impératif (mise en vedette du complément par le présentatif c’est…
que…) et impératif : *c’est… que+ verbe à l’impératif55 ;
d’autres sont marquées, restant confinées à des genres discursifs particuliers :
● passif & impératif (Soyez remerciés pour votre cadeau. Béni soit-il !).
Remarque :
⮚ La reformulation, par Dubois & Dubois-Charlier 1970, de la thèse chomskyenne des
marqueurs sous-jacents (seuls) responsables du sens « interrogatif », «impératif »,
« négatif » (cf. Chomsky 1971 (1965) : 180-181, et, pour commentaire, Ruwet, Nicolas
(1967) – Introduction à la grammaire générative, Paris : Plon, p. 343) ignore un certain
nombre de détails, ayant trait notamment au passif et à l’emphase : nous y reviendrons plus
tard.
Retenons pour le moment qu’au sens de Chomsky 1965, aussi bien l’emphase que le passif (et,
principalement, pour les mêmes raisons), continuaient de fait à être analysés comme
phénomènes syntaxiques sans retombées interprétatives sémantico-logiques : l’interprétation
sémantique (des structures générées en syntaxe) était envisagée comme restreinte au
représentationnel et à l’actionnel (force illocutionnaire).
Aussi les « effets de sens » liés à l’emphase, ainsi que les effets de sens communément
imputés aux « divergences d’accentuation » entre une phrase active et sa contrepartie passive,
étaient-ils analysés comme relevant (au mieux) des « effets de surface » sur l’interprétation
(sémantique – cf. Chomsky 1971 (1965) : 186, note 9 ; 163, note 32).
Des versions ultérieures de la GGT reformuleront le marqueur sous-jacent de la modalité (Const) à une
catégorie fonctionnelle qui prendrait TP (le syntagme « Temps ») pour complément : le
complément(is)eur C.
L’analyse sera ensuite étendue aux phrases racines (propositions indépendantes comprises),
moment où de fait C se substituera pour de bon au marqueur de modalité de la version
standard du modèle (noté Const in Dubois & Dubois-Charlier 1970). En français, le
complément(is)eur des phrases racines est typiquement non épelé (=dépourvu de matrice
phonologique).
54
*C’est froid que le café est. OKLe café est froid.
55
*C’est le déca que prenez. OKPrenez le déca (décaféiné)..
56
Pronom abstrait (sans forme phonétique), sujet d’une infinitive ; son interprétation (référentielle) est en général
« contrôlée » par un argument du verbe recteur (ici, par le complément d’objet indirect lui).
Catégorie syntaxique fonctionnelle (vs substantive), à l’instar de D (D de : déterminant ; déterminant
du nom : référence nominale) et de T (T de Temps ; catégorie qui réunit – rappelons-le – les traits de
temps-aspect-mode du verbe (‘flexions verbales’ pertinentes du point de vue interprétatif pour la
référence temporelle ce qui en fait une sorte de déterminant du verbe), ainsi que les traits d’accord
(traits de personne et de nombre), interprétés non sur le verbe, mais sur l’argument nominal (sujet)), le
complément(is)eur C est censé exprimer des composants non référentiels de l’intention informative du
locuteur, ayant respectivement trait à la dimension actionnelle (« force ») et à la hiérarchie
informationnelle de la phrase énoncée (bref, C contribuerait crucialement au codage grammatical de ce
que l’on pourrait appeler sans autre ‘l’ancrage discursif’ de la phrase, sa modalité), tout en rappelant le
caractère fini (+Temps) ou non fini (-Temps) de celle-ci – voir Fig. 6 plus bas dans le texte.
Dans une proposition relative (restrictive), le syntagme relatif (opérateur de relativisation) spécifiera
un complément(is)eur non épelé (l’homme [CP dont [C’ C [TP tu as épousé la fille]]]), ou bien sera
analysé comme phonétiquement nul, le complément(is)eur étant, alors, épelé, lui (l’homme [CP
LEQUEL [C’ queC [TP j’aime]]]).
Selon une analyse déjà classique par Richard Kayne, qui dans les relatives à antécédent du type de
l’homme qui est arrivé est en fait le complément(is)eur, ‘accordé’ au Nominatif avec l’opérateur de
relativisation non épelé (sans forme phonétique) dans son Spec.
2
SylvieN T =T’
2
all(er)+ {prés. ind., 3 sg}
1
SylvieN V
=T°
1
all(er) P =PP
à D =DP
la facN =NP
Toute phrase a un dictum et un modus, selon Bally, mais la structure syntaxique ne soutient pas
toujours aussi directement cette structuration sémantique.
Modalité de dicto : portée extra-prédicative (externe au dictum). Je crois (MODUS) que les étudiants
sont partis (DICTUM).
Modalité de re : portée intra-prédicative (interne au dictum). Les étudiants sont sans doute partis.
⮚ Modalités d’énoncé (sémantiquement parlant → attitude d’un sujet de conscience (pas forcément
le locuteur actuel : sujet d’énoncé vs sujet d’énonciation) face au contenu propositionnel de
57
Ou plutôt : actes illocutionnaires. Voir chapitre dédié (encadré ).
58
Symbole notant ici l’inclusion à un ensemble donné.
59
Les majuscules notent ici l’accent de phrase : l’accent le plus fort dans la phrase, qui frappe un constituant du syntagme
apportant l’information nouvelle (que le locuteur présente/ signale ainsi comme étant) la plus importante pour l’interlocuteur.
l’énoncé ; syntaxiquement parlant phrases à double prédication (subordination60/ coordination/
juxtaposition61/ insertion62) :
● aléthiques ;
● épistémiques ;
● déontiques
● désidératives (volitives)
● appréciatives (évaluatives, axiologiques)
● implicatives (relation causales au sens large : condition, cause, conséquence, but,
concession …)
60
Il est nécessaire que le cours magistral soit redoublé d’un support écrit accessible aux étudiants/ Il faut prévoir un
support de cours accessible en ligne.
61
Ces structures de phrase concernent surtout, parmi les modalités d’énoncé, les modalités dites implicatives (au sens de Le
Querler 1996) : Je pense, donc je / Encore un pas, et vous tombez dans l’abîme [coordination]/ Chassez le naturel, il revient
au galop [juxtaposition]. suis
62
L’insertion, en tant que mode de composition de la phrase complexe, concerne les modalités d’énoncé autres
qu’implicatives (par l’intermédiaire de propositions incidentes) :
⮚ incises (verbe déclaratif régissant une complétive, dans le discours rapporté en style indirect, et inversion du sujet) :
Quand, me demanda-t-il, reviendrez-vous ? (comparer à : Il me demanda quand j’allais revenir) ;
⮚ incidentes (verbe non déclaratif régissant normalement une subordonnée complétive ; lien de dépendance entre
verbe de la proposition incidente et phrase matrice marqué souvent par un pronom anaphorique (« neutre ») : L’été,
je le crains, sera chaud (comparer à : Je crains que l’été ne soit chaud)
– cf., pour la dichotomie incise/ incidente, et pour les exemples primaires, RIEGEL, Martin, PELLAT, Jean-Christophe,
RIOUL, René (2004/ 1994) – Grammaire méthodique du français, Paris: PUF, 3ème édition, 470. Comparaison insertion/
subordination et intégration à la problématique des modalités de notre main.
63
Souvent, dans la littérature, il y a hésitation sur la marque du pluriel, vu la variante phrase(s)-type(s) : types/ formes de
phrase ou : phrases ?
64
Définis, en termes (implicitement) transformationnels, comme « réagencements particuliers des types obligatoires »
(Riegel et al. 2004 (1994): 386).
65
Négation descriptive : assertion d’un contenu propositionnel négatif (ex. Paul n’est pas là pour l’instant, à ce que je vois).
L’interprétation des types facultatifs ne peut être actionnelle que de manière marginale, à l’encontre de celle des types
obligatoires : le type facultatif qui illustre ce cas de figure marginal est encore la négation (quand elle réalise, dans
l’énonciation, un acte de dénégation (ou de refus) plutôt que la simple assertion d’un contenu négatif – ex. Tu viens ?/ -Je ne
peux pas. Toujours dans un contexte d’offre/ invitation : Un peu de rôti?/ -Je ne mange pas de viande).
Problèmes :
1. L’exclamatif, doué d’intonation particulière, mais non exclusif d’autres types obligatoires
(cf. interro-exclamatif : moi, partir pour Londres ?!), et à spécificité syntaxique douteuse (car
partageant les structures des phrases déclaratives (Vous ne songez point à elle !) et
interrogatives (Qu’est-ce qu’elle était belle ! Est-il bête !)) peut-il être envisagé comme type
obligatoire, d’autant que, du moins selon certains auteurs, il n’exprimerait pas d’« acte de
langage spécifique », fondé sur des rapports entre le locuteur et son destinataire ?
2. Le négatif, qui, seul, parmi les types optionnels, n’a pas d’apport sémantique essentiellement
fonctionnel, non descriptif (hiérarchie informationnelle, structuration du message), mais
représentationnel, descriptif (contribution sémantico-logique propositionnelle), et qui semble
au moins susceptible de réaliser un « acte de langage spécifique » (dénégation, réfutation)
peut-il être envisagé comme type optionnel ?
La solution serait de re-classer les types de phrases obligatoires/ facultatifs en quatre catégories, quitte
à ce que l’exclamatif soit envisagé comme seul représentant de sa catégorie (Riegel et al. 2004
(1994) : 388-390) :
⮚ types énonciatifs (assertif, interrogatif, impératif) ;
⮚ types logiques (négatif/ positif) ;
⮚ types de réagencement communicatif (passif, emphase, impersonnel) ;
⮚ type exclamatif (manifestant seulement la subjectivité du locuteur et réalisant la fonction
expressive du langage).
Cette solution ne fait que reformuler les problèmes soulevés, sans y apporter de réelle explication.
L’analyse de la négation ou bien fait l’impasse sur les emplois « illocutionnaires », pour ne rendre
compte que de ce qui est appelé, dans la littérature, négation descriptive (avec la notion de « type
logique »), ou bien ne tire argument que des emplois « illocutionnaires » : « nier un contenu
propositionnel constitue un acte de langage, ce qui rapproche le type négatif des types obligatoires »
(op.cit., p. 388).
Et la distinction alléguée entre types énonciatifs et exclamatif, selon le critère pragmatique de « l’acte
de langage spécifique », est elle-même sujette à caution, dans la mesure où :
(1) les types énonciatifs restants eux-mêmes ne font pas l’objet d’analyses uniformes, dans le
paradigme théorique dont procède la notion distinctive invoquée (Théorie des actes de
langage) : les types assertif et impératif correspondent aux forces primitives assertive et
directive, tandis que le type interrogatif procède des forces dérivées (instanciant un sous-type
directif : demander de répondre)66 ;
(2) le lien entre types de phrases et « acte de langage spécifique » n’est pas aussi direct, ni aussi
naturel, que cette analyse le suppose67, ne laissant pas d’être tributaire d’un certain horizon
théorique. En pragmatique inférentielle68, par exemple, les trois types de phrases en question
sont censés correspondre non pas à des « actes spécifiques », mais à des « actes génériques
dire que/ dire de/ demander (si /qu-) » – entendus par Sperber et Wilson comme des
« schémas d’hypothèse » (ou « schémas descriptifs ») dans lesquels sont incorporées les
formes propositionnelles pleines des énoncés concernés, mais qui restent typiquement sous-
déterminés quant à ce qu’il est convenu d’appeler « intention (ou : but) illocutoire »69.
66
Cf. Ghiglione & Trognon 1993.
67
Dans cette même logique, on voit dans les types de phrases obligatoires des « indicateurs de force illocutionnaire ».
68
Cf. Sperber Dan et Deirdre Wilson, La pertinence. Communication et cognition, Paris : Minuit, 1989 (original en anglais
1986).
69
Par contre, les « forces primitives » assertive et directive (cela vaut d’ailleurs de toutes les cinq « forces primitives »
distinguées dans la théorie logique de l’illocutoire), tout en étant sous-déterminées quant aux autres « composants », ce qui
en fait justement « les forces illocutoires les plus simples possibles », sont bien déterminées, elles, quant au but. Le but
assertif (primitif) est de représenter quelque chose qui est le cas, et le but directif (primitif), de faire une tentative
linguistique pour que le destinataire réalise une action future (cf. Ghiglione & Trognon 1993). Par contre, dire que P et dire
de P (où P est la forme propositionnelle de l’énoncé p), en tant qu’actes génériques, ne « rendent manifeste qu’une propriété
assez abstraite de l’intention du locuteur : la direction dans laquelle la pertinence de l’énoncé est à rechercher » (Sperber et
Wilson 1989 : 381). Dire que rendrait manifeste l’existence d’une relation descriptive (vs interprétative) entre la pensée du
locuteur et un état de choses réel ; dire de, l’existence d’une relation descriptive entre la pensée du locuteur et un état de
choses (non pas réel, mais :) désirable.