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AXIOTHÉA

Collana sottoposta a un processo


di double-blind peer review

Direttori

Francesca Gambetti
Stefania Giombini

Comitato scientifico

Miriam Campolina Peixoto


Loredana Rita Cardullo
Maria Cecília de Miranda Nogueira Coelho
Mikołaj Domaradzki
Christoph Helmig
Manfred Kraus
Flavia Marcacci
Lidia Palumbo
Livio Rossetti
Emidio Spinelli
Alonso Tordesillas
Cristina Viano
ὁδοὶ νοῆσαι
Ways to Think.
Essays in Honour of Néstor-Luis Cordero

Edited by
Massimo Pulpito and Pilar Spangenberg
COPERTINA
Jimmy Knows S.C.P.,
Barcelona (ES)
www.jimmyknows.net

IMPAGINAZIONE
Giulio Venturi

STAMPA
Print Group Sp. z. o. o., Szczecin (Poland)

ISBN
978-88-9363-090-0

CASA EDITRICE
© Diogene Multimedia
Piazza di Porta Santo Stefano 1, 40125 Bologna
I edizione, ottobre 2018
Contents

MassiMo PulPito – Pilar sPangenberg, For Néstor, who makes


the way as he goes 9

Bibliography of Néstor-Luis Cordero 19

I. ParMenides

1. enrique Hülsz – bernardo berruecos, Parménides B1.3: una nueva


enmienda 31
2. serge Mouraviev, Ersatz de vérité et de réalité? ou Comment Parménide
(B 1, 28-32) a sauvé les apparences (avec la collaboration épistolaire de
Scott Austin †2014) 61
3. José solana dueso, Mito y logos en Parménides 87
4. nicola stefano galgano, Parmenide B 2.3: dall’esperienza immediata
del non essere alla doppia negazione 101
5. MicHel fattal, Raison critique et crise chez Parménide d’Élée 113
6. alexander P. d. Mourelatos – MassiMo PulPito, Parmenides and the
Principle of Sufficient Reason 121
7. livio rossetti, Mondo vero e mondo falso in Parmenide 143
8. fernando santoro, A Lua, Vênus e as Estrelas de Parmênides 155
9. cHiara robbiano, Just being: un-individualized. An interpretation of
Parmenides DKB16 and a glance at empirical research 167
10. JaaP Mansfeld, Parmenides on Sense Perception in Theophrastus and
Elsewhere 177
11. laMbros couloubaritsis, Réinterprétation de l’eon de Parménide dans
l’éclairage du Papyrus de Derveni 193
12. giovanni cerri, Parmenide in Lucrezio (Parm. B 12, 3-6 ≈ Lucr. 1,
19-21) 207
13. Manfred Kraus, William of Moerbeke’s Translation of Simplicius’ On
De Caelo and the Constitution of the Text of Parmenides 213

ii. after ParMenides

14. JonatHan barnes, ‘Zeno ait nihil esse’ 233

15. Mariana gardella, Zenón, erístico. Observaciones sobre el testimonio


de Epifanio, Adv. Haeres. III. 505. 30–506. 2 245

16. luc brisson, La déconstruction d’un fragment de Mélissos 257

17. a lberto b ernabé , La APXH y Anaxágoras en la columna XIX del


PDerveni 265

iii. socrates, Plato and beyond

18. claudia Mársico, Sombras de las polémicas intrasocráticas: Antístenes en


la República a propósito de la crítica homérica 279

19. giusePPe Mazzara, Platone di fronte a Parmenide, Gorgia e Antistene nel


Sofista 289

20. esteban bieda, El carácter político de la muerte de Sócrates 301

21. lucas soares, Platón y sus multitudes 311

22. tHoMas M. robinson, Democracy and Populism in 5th and 4th Century
Athens 321

23. racHel gazolla, Justiça e poder na República de Platão: um breve


comentário 331

24. giovanni casertano, I proverbi del Fedone 345

25. victoria Juliá, Divagación sobre cigarras y hormigas (a propósito de


Fedro 258e6-259d8) 357

26. francesco fronterotta, La dottrina eleatica dell’‘unità del tutto’:


Parmenide e il Parmenide platonico 365
27. graciela e. Marcos de Pinotti, Filosofía e indagación de hipótesis
según Platón 375
28. Pilar sPangenberg, Lenguaje y acceso al ser en el Sofista 385
29. lidia PaluMbo, La nozione di immagine in Platone, Soph. 240 395
30. catHerine collobert, L’art mimétique de Platon: un art du portrait 403
31. Marcelo d. boeri, Apariencia y falsedad en Platón y Aristóteles 415
32. gabriele cornelli, Aristóteles e os mitos pitagóricos: imortalidade da
alma e protopitagorismo 429

addenda

33. stefania gioMbini, Néstor Cordero concittadino di Parmenide e Zenone 443


34. Megisto n. bêMa – säule cierres Montaña, Ontología de la alteridad
en Telefonte de Heraclea 447

Tabula Gratulatoria 453


30.
l’arT miméTiquE dE plaTON:
uN arT du pOrTraiT
CatheriNe ColloBert1

aBSTraCT

This paper aims to demonstrate that the Platonic dialogues are the product of
a mimetic art grounded in a mimesis of ethos, that is, in an art of portraiture.
Plato portrays characters immersed in the very work of thought, in which
consists philosophical activity. His representation of these characters high-
lights the intrinsic difficulties of thinking occasioned by unexamined systems
of belief, some of which are obstacles to the pursuit and attainment of truth.
A typology of characters is moreover introduced, which rests on the distinc-
tion drawn in Book 2 of the Republic between noble and vile characters.

Ce texte se propose de montrer que les Dialogues de Platon sont le produit


d’un art mimétique fondé sur une mimèsis de l’èthos, c’est-à-dire un art du
portrait. Platon campe des personnages plongés dans ce travail de la pen-
sée qu’est l’activité philosophique. Le portrait de ces personnages permet
de montrer les difficultés inhérentes à cette activité du fait d’un système non
examiné de croyances, dont certaines constituent des obstacles majeurs à la
poursuite et par conséquent à l’atteinte de la vérité. Une typologie des per-
sonnages est en outre proposée, qui repose sur une distinction, présente au
livre II de la République, entre personnage noble et personnage vil.

L’évidence que tout dialogue nécessite des locuteurs me conduit à formuler


l’hypothèse selon laquelle les dialogues de Platon sont le résultat d’un art mimé-
tique qui repose notamment sur un art du portrait. La mise en scène de l’activité

1 Université d’Ottawa.
402
404 Catherine Collobert

philosophique telle que Platon l’a conçue est réalisée à travers le récit d’entre-
tiens entre différents personnages dans un cadre historique: la société athénienne
du Ve siècle. Platon y campe des personnages qui sont pour la plupart des fi-
gures historiques et qui constituent les interlocuteurs du personnage principal
de la majorité des dialogues: Socrate. Les portraits qu’il en dessine sont souvent
grinçants, ironiques, moqueurs et rarement tendres. Certains personnages sont
les protagonistes d’une joute dont l’enjeu est ou devrait être la vérité qu’ils at-
teignent parfois mais qu’ils refusent souvent lui préférant le confort d’une igno-
rance de bon aloi; d’autres personnages sont au contraire les compagnons de
Socrate sur le chemin de la vérité. J’expliciterai d’abord la mimésis de l’èthos
propre aux dialogues pour me tourner ensuite vers une typologie des person-
nages établie sur la base d’une distinction entre personnage noble et personnage
vil, présente, avant sa conceptualisation aristotélicienne dans la Poétique, au livre
II de la République.

1. uNE mimèSiS dE l’èThOS

Lorsque dans sa Poétique Aristote recommande de privilégier le muthos sur


l’èthos et la dianoia, il prend le contre-pied de la pratique des dialogues platoni-
ciens. Le monde des dialogues est en effet un monde sans réelle action. Au livre
III de la République, Socrate affirme que l’objet de l’imitation est non pas l’action
ou le comportement, mais le personnage.2 Platon campe des personnages consa-
crés le temps d’une rencontre à une seule activité: l’activité dialogique qui a pour
toile de fond l’Athènes du Ve s. Bien que les dialogues ne nous en offrent pas une
peinture, une certaine idée de la société cultivée athénienne du Ve s. émerge ce-
pendant. C’est une société où le discours est tout puissant, où de jeunes gens de
riches familles aristocratiques sont la proie de sophistes qui exercent une fascina-
tion sur un public cultivé. Dans cette société évoluent des personnages absorbés
dans leur volonté de pouvoir, aux ambitions politiques avouées ou inavouées, dans
leur désir de gloire et de reconnaissance ou dans leurs désirs sensuels, et d’autres
personnages mus par le désir de savoir et la conscience de la vanité des précédents
désirs. Les portraits platoniciens sont aussi subtils que divers3 et répondent pour
l’essentiel à la diversité humaine.

2 On remarquera avec F. Teisserenc que “l’excellence de l’action ne dépend ni de son intention


ni d’une norme, mais de la nature de l’agent (République, IV, 443e-444a)” (2005) 80. La disposition
morale des personnages platoniciens ne se traduit pas dans l’action comme chez Homère ou les
Tragiques, mais essentiellement dans les discours et les émotions que ces discours suscitent parfois.
3 H.-G. Gadamer donne la définition suivante du portrait: “If I were to attempt to explain what
I think a portrait is, I would probably say: It is the likeness [Abbildung], the image [Bild] of an in-
dividual or a person that would enable us to recognize it, if we know it. But what kind of words do
30. l’art MiMétique de platoN: uN art du portrait 403
405

Bien que l’activité dialogique puisse être pratiquée par tous, les personnages
sont cependant choisis et campés en fonction du sujet ou des sujets traités, de leur
caractère moral qui se traduit dans un genre de vie et qui est issu d’un système de
croyances – le Banquet en est un bon exemple puisque la diversité des personnages
offre une variation de perspectives sur Éros.4 Le genre de vie est en quelque sorte
le miroir du caractère puisqu’il est fondé sur un désir fondamental: le pouvoir,
la gloire, l’argent et le savoir, duquel découlent les vices et les vertus propres à la
satisfaction du désir en question.5 L’adoption d’un genre de vie est donc un choix
moral et nombreux sont les dialogues qui tissent un lien essentiel entre le genre de
vie et le caractère moral de l’interlocuteur, qui est notamment mis en évidence par
les émotions qu’il exprime durant son entretien avec Socrate.
Le lien établi entre le propos du dialogue et les personnages peut être comparé
dans une certaine mesure à celui d’un roman dans lequel le portrait psychologique
d’un personnage dans une société donnée sert le message véhiculé.6 Car tous les
personnages platoniciens incarnent un système de croyances dont ils ne mesurent
pas le plus souvent l’incohérence, mais auquel ils sont singulièrement attachés.
Certains personnages sont à cet égard dans la même situation que le héros d’Ho-
mère qui agit à l’intérieur d’un système de croyances qu’il reconnaît comme valide
et que, par conséquent, il ne remet pas en question. Ainsi Céphale est dépeint au
livre I de la République comme un vieillard à la moralité peut-être douteuse et qui
au seuil de la mort s’effraie des possibles châtiments qui l’attendent dans un autre
monde. Il préfère pourtant sacrifier aux dieux pour se garantir leurs faveurs plutôt
que de savoir en participant à la discussion sur la justice s’il s’est ou pas conduit
moralement sa vie durant. Dans le Banquet, les symposiastes à travers leur éloge
d’Éros défendent chacun leur genre de vie respectif et le système de valeurs sur
lequel il repose. Calliclès, Thrasymaque, Polos, Gorgias, Hippias ou Protagoras:
tous défendent un genre de vie qu’ils ont adopté dans l’ignorance de l’ensemble
de ses implications morales.7 Or c’est précisément ce système non examiné que

we use here? Person? In Greek, this is called prosopon – the role, or, better, the mask that one wears”
(2000) 245.
4 Cf. Rutherford (1995) 132.
5 Remarquons que le désir du savoir couplé avec le désir du Bien n’entraîne aucun vice.
6 Balzac campe des personnages appartenant à un certain milieu avec les espoirs et les désirs que
ce milieu engendre et son lot de déceptions inévitables (par exemple Madame Bovary ou les Illusions
perdues). Le personnage s’avère ne pas être à la hauteur de ses espérances ou plutôt la vie déploie une
cruauté malicieuse qui fait obstacle à la réalisation de ses désirs montrant ainsi qu’ils sont irréalisables
dans la société française de l’Empire ou de la Restauration de Paris et de la Province.
7 C’est ce que montre le mythe d’Er. Les âmes choisissent un genre de vie dans la précipitation
sans saisir toutes les conséquences de leur choix. Dans le Gorgias, nous voyons un Gorgias qui réalise
les conséquences immorales de son enseignement à travers le personnage de Calliclès.
404
406 Catherine Collobert

Socrate dénonce et qui est objet d’investigation, invitant ainsi ses interlocuteurs
à se tourner vers la philosophie puisqu’elle consiste en partie en un tel examen.8
Platon a établi une relation étroite entre le caractère et la pensée (èthos et
dianoia) qu’Aristote a exposée dans la Poétique. La pensée qui s’exprime à travers
les discours du personnage renvoie à ses capacités intellectuelles et s’avère indisso-
ciable du caractère moral.9 Celui-ci se reflète dans ce qu’il dit et donc dans ce qu’il
pense bien qu’il faille l’habilité d’un Socrate pour parvenir à faire dire à ses interlo-
cuteurs ce qu’ils pensent et à démasquer leur éventuelle duplicité; d’où l’insistance
réitérée de Socrate à ses interlocuteurs, notamment sophistes et immoralistes, de
dire ce qui leur semble vrai. “Dis-moi ce que tu penses et je te dirai qui tu es”,
semble dire Socrate à ses interlocuteurs. 
Union du caractère moral et de la pensée, ce portrait est donc la réponse à la
question: “qui est-il?” – question qui vise à une caractérisation du personnage. On
comprend dans cette perspective pourquoi de nombreux dialogues commencent
avec cette question initiale: “d’où viens-tu?” assortie parfois de cette autre “où
vas-tu?” (cf. Phdr. 227a1, Lys. 203b1) ou “qui est-il”?” (Grg. 447d1).10 La réponse
à ces questions commande généralement la réponse préalable à cette question:
quelle activité pratique-t-il? ainsi dans Gorgias. Dans Ion, la question “d’où viens-
tu?” est l’occasion pour Ion de décrire son activité (530a-b). Le Protagoras est
intéressant à cet égard puisque cette même question est posée à Socrate par un ami
et Socrate y fait écho lorsqu’il s’adresse à Protagoras: “nous sommes venus vers
toi Protagoras” (316b1-2). Protagoras s’enquiert alors du motif de leur venue et la
réponse de Socrate conduit Protagoras à présenter son activité. Socrate va le plus
souvent à la rencontre de ses interlocuteurs, mais c’est parfois le contraire ainsi
Euthydème et Dionosydore viennent à sa rencontre. Ces questions “où vas-tu?”,
“d’où viens-tu?” font signe vers la métaphore du chemin: on vient de quelque
part (de la rhétorique ou de la sophistique) pour aller ou pas vers un autre lieu
(la philosophie). Dans les dialogues où Socrate conduit l’échange, l’activité d’un
personnage exprime d’abord ce à quoi il consacre sa vie (son genre de vie), et par
conséquent, on l’a vu, elle est le résultat de son caractère moral et de son système
de croyances et elle se dessine en contrepoint de celle de Socrate qui a embrassé la
vie philosophique.
La majorité des personnages platoniciens est constituée de personnages histo-
riques, et leur genre de vie est relatif à une position et un statut sociaux bien réels

8 Comme le souligne Whitlock Blundell, “Socrates does not just refute arguments, he refutes
people, in such a way as to cast doubt not merely on their beliefs, but on the personality, way of life,
and social role that condition those beliefs” (1992) 133.
9 Cf. Blondell (2002) 56-58.
10 On serait tenté de qualifier ces questions d’existentiel si nous n’étions dans un contexte pla-
tonicien.
30. l’art MiMétique de platoN: uN art du portrait 405
407

dans la société athénienne. Certains d’entre eux ont participé d’une manière ou
d’une autre à forger l’histoire politique d’Athènes, le plus souvent d’une manière
peu noble et parfois désastreuse.11 Le destin historique de ces individus sert en
partie l’argument et la dimension protreptique du dialogue: l’absence d’activité
philosophique peut conduire au désastre.12 Le destin de Socrate contraste avec ce-
lui de ces personnages historiques puisqu’il est demeuré juste et courageux devant
la mort, c’est du moins ainsi que le campe Platon dans le Phédon et le Criton.
Il est plusieurs manières de peindre un portrait selon sa ressemblance à l’ori-
ginal; par exemple en grossissant les traits d’un personnage pour faire ressortir
les points saillants de sa personnalité comme dans la caricature, en s’attardant au
contraire sur le détail d’un trait, ou en visant la ressemblance parfaite. L’écart entre
l’original et son portrait admet toutes les variations possibles en fonction du type
de caractère que l’on veut dessiner.

2. pErSONNagES NOBlES ET pErSONNagES vilS

Dans la galerie platonicienne des portraits, nous y rencontrons des philosophes


(Socrate, des Pythagoriciens, Parménide, Zénon, l’Étranger d’Élée), des appren-
tis-philosophes (disciples de Socrate), des jeunes gens, des sophistes, des amis et
disciples de sophistes, de riches et influents athéniens, des rhapsodes, des devins,
des généraux. Il s’y mêle, selon les catégories aristotéliciennes de la Poétique, des
personnages vils ou inférieurs (phauloi) et des personnages nobles (spoudaioi).
J’aimerai explorer la possibilité de comprendre les personnages de Platon à par-
tir de ces deux catégories. Selon la définition aristotélicienne, le personnage noble
est un personnage vertueux qui se caractérise par une noblesse de caractère, le
personnage vil étant son contraire. Cette distinction est cependant déjà présente au
livre II de la République lors de l’examen des modes narratifs. Socrate y distingue
en effet l’homme de bien (kalos kagathos) de celui qui lui est inférieur. On peut
ici supposer qu’il y a différents degrés d’infériorité comme il y a différents degrés
de supériorité comme Socrate le laisse entendre de l’homme de bien qui s’il est
soumis aux aléas de la fortune n’est pas toujours une pure et simple incarnation de
la vertu (Rép.. II, 396d). L’homme de bien (le spoudaios) est le philosophe incarné
principalement dans le personnage de Socrate dont la personnalité est présentée
comme ressortissant de l’exceptionnel, mais sans doute également dans le per-

11 C’est le cas d’Alcibiade, de Critias et d’autres. Par exemple Charmide fut lié au régime des
Trente Tyrans et le jeune Aristote fut l’un des Trente. Sur cette question, je renvoie le lecteur à l’ou-
vrage de Nails (2000).
12 C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les interlocuteurs du Socrate de Platon ne
semblent représenter qu’une frange spécifique des interlocuteurs du Socrate historique qui conversait
avec des artisans.
406
408 Catherine Collobert

sonnage de l’Étranger d’Élée13 comparé à un dieu et supérieur aux autres (Soph.


216b4-5). L’Étranger est une figure intéressante qui peut paraître à certains égards
une expression sinon concurrente du moins contrastée du philosophe par rapport
à celle de Socrate. Sans nom, il est presque une abstraction humaine; son identité
se limite à sa cité d’origine, fameuse pour son école de pensée. Cette caractérisa-
tion minimale est à la fois suffisante et nécessaire pour procéder à “l’exécution du
crime”.14 Comme le souligne N.-L. Cordero, “un philosophe originaire d’Élée (et
par conséquent, connaisseur du système de Parménide), mais qui ne partage pas
les idées des ‘maîtres à penser’ de son terroir, est le personnage idéal pour rejeter
la philosophie du ‘vénérable et redoutable’ Parménide (Théét. 183e)”.15 Xénos
signifie aussi “étrange”, “insolite”, “surprenant”; l’Étranger d’Élée, cet étrange
étranger, est ainsi le pendant d’un Socrate atopos16 et constitue une autre figure du
philosophe, c’est-à-dire une incarnation différente de la pratique philosophique.
Expression de l’homme de bien, Socrate en est toutefois une figure paradig-
matique et peut-être unique.17 Les traits communs de Socrate dans l’ensemble des
dialogues sont selon D. Tarrant: “friendliness, irony, courage, intellectual integrity,
searching interrogation, homely use of analogy, love of poetry and myth.”18 J’ajou-
terais à ces traits: maître de soi, de nature érotique, en harmonie avec soi-même
(accord des paroles et des actes) et atopique. Bien qu’il y ait plusieurs Socrate
dans l’œuvre de Platon, ils offrent des traits communs qui permettent d’identifier
le personnage. Sa caractérisation est suffisamment forte pour que se dégage une
cohérence du personnage à travers l’ensemble des dialogues. L’Étranger d’Élée

13 Certains ont vu dans l’Étranger d’Élée la figure du sophiste mais sans dimension éristique,
par exemple Tejera (1984) 205-254. Pour une défense de l’Étranger d’Élée comme philosophe, voyez
notamment Blondell (2002) 314-396. Si nous considérons que l’un des rôles essentiels du philosophe
tel qu’incarné dans la figure de Socrate est de faire prendre conscience à son interlocuteur de son
ignorance, alors l’Étranger d’Élée est philosophe (cf. 249c). Sur cette question, voyez M.H. Miller,
Jr, 1986, 6-10.
14 Sur cette caractérisation minimale, cf. Blondell (2003) 247-266.
15 Cordero, (1993) 32. Dans l’annexe 1 de cette édition, N.-L. Cordero explique les raisons
d’ordre philologique et philosophique pour lesquelles l’Étranger ne doit pas être considéré comme
un compagnon (hetairôn) de Parménide et de Zénon, mais comme différent (héteron). Sur la caracté-
risation du personnage, voyez également du même auteur (1991) 29-33.
16 Dans le Théétète, le philosophe y est dépeint comme un étranger dans la cité (173e). Nous
retrouvons la même idée dans l’allégorie de la caverne (Rép. 517a) ou dans le Gorgias (522b-c) par
exemple.
17 Selon H.-G. Gadamer, (2000) 252 la personnalité de Socrate est un argument en soi dans le
Phédon et le Banquet notamment. Remarquons cependant que nous avons différentes descriptions du
philosophe dans l’œuvre de Platon notamment dans la République et le Théétète et qu’il y a un écart
entre cet idéal et son incarnation socratique. L’être humain ne peut incarner la perfection de l’idéal.
18 Tarrant, (1955) 87.
30. l’art MiMétique de platoN: uN art du portrait 407
409

partage avec Socrate de nombreux traits,19 notamment le courage philosophique,


qui s’exprime dans le Sophiste par le fait d’affronter Parménide.
Je définis l’homme de bien par son désir de savoir et son désir du bien exclusif
de tout autre désir. Voué à la recherche de la vérité, l’homme de bien ne craint pas
de remettre en question ses positions si l’argument l’exige; il est coopérant et fait
preuve de patience dans le travail de la pensée. Il est en outre doux et bienveil-
lant – Socrate l’est le plus souvent face à des jeunes gens philosophes novices ou
moins novices, comme l’est l’Étranger d’Élée. Je propose de diviser le personnage
de l’homme de bien en quatre catégories: (1) le philosophe accompli et incarné de
différentes manières dans des personnages comme Socrate, Parménide, Zénon,
l’Étranger d’Élée (les éléates sont peu caractérisés et individualisés, et Parménide
et Zénon ne semblent guère tournés vers les questions éthiques20), Cébès, Simmias,
(2) l’apprenti-philosophe incarné dans des personnages comme Phédon, Pro-
tarque, (3) le sympathisant à la philosophie: personnage qui appartient à l’entou-
rage de Socrate comme Criton, Euclide, Théodore (ils jouent le rôle de transmet-
teurs et parfois d’“entremetteurs” auprès de Socrate), (4) le jeune homme pourvu
d’un potentiel philosophique (aux capacités intellectuelles prometteuses) mais pas
encore formé à la philosophie comme Théétète, Polémarque, Adimante, Glaucon,
Lysis, Charmide, le jeune Aristote – il se caractérise par sa plasticité et sa malléabili-
té; son système de croyances n’est pas encore solidement établi. Ces jeunes interlo-
cuteurs sont peints comme des jeunes hommes dociles, fascinés par Socrate et son
atopisme. Leur caractère n’est pas encore bien défini du fait de leur jeunesse et ils
ne seront pas tous convertis à la philosophie. Il faut cependant remarquer que les
personnages philosophes ou apprenti-philosophes sont campés dans des dialogues
où la théâtralité de la pensée est réduite au profit de l’argument; tel est le cas des
dialogues comme le Théétète, le Parménide, le Sophiste ou le Politique, Timée et
les Lois. Ces dialogues présentent un objectif différent: le philosophe y est dépeint
dans l’actualité de son activité.
Le personnage phaulos21, inférieur à l’homme de bien, est sûr de lui (le plus
souvent du fait de son statut social), suffisant, vaniteux, condescendant, souvent
colérique22 et agonistique. Ainsi Critias dont la définition de la sagesse a été mise
à mal par Socrate s’emporte et tente vainement de défendre sa position (Charm.
162c-d). Personnage dominé par les appétits (Thrasymaque est comparé à une
bête sauvage en Rép.. I, 336b) et associé à une disposition morale singulièrement

19 Cf. Blondel (2003) 256.


20 Cela pourrait les disqualifier comme philosophes accomplis.
21 Nous rencontrons le terme phaulos dans le Théétète (181b) utilisé ironiquement pour qualifier
Socrate et Théétète en comparaison des anciens sages que sont les monistes et les pluralistes (voyez
aussi 197a).
22 Certaines colères sont un effet de la vanité – le vaniteux est plus sensible à l’offense.
408
410 Catherine Collobert

faible, le phaulos se caractérise par un attachement à ses croyances d’abord parce


qu’il s’identifie à elles, ensuite parce qu’elles constituent une justification de son
genre de vie et indirectement, par conséquent, une justification de son image – ce
qui rend le phaulos prompt à la honte (cf. Rép. I, 350d). C’est ce dont est particu-
lièrement conscient Calliclès qui affirme que si Socrate a raison “notre vie est sens
dessus dessous” (Grg. 481c3). La remise en cause de certaines croyances implique
une redéfinition du genre de vie, et par conséquent et plus fondamentalement,
une remise en cause du type psycho-moral d’être humain dont le personnage est
l’incarnation. De cette transformation certains phauloi en sont incapables soit
parce qu’ils n’en voient pas la pertinence (Calliclès, Thrasymaque) soit par fai-
blesse, comme Alcibiade dominé par le désir de pouvoir auquel il n’échappe que
le temps d’un entretien avec Socrate (cf. Symp. in fine).
L’absence de noblesse de caractère tient en outre à la double ignorance dans
laquelle se trouve le personnage ayant adopté un genre de vie sans avoir pleine-
ment conscience des croyances que ce dernier implique et, par conséquent, de
l’incohérence de son système de croyances (Calliclès n’est pas en accord avec Cal-
liclès, constate Socrate pas plus que ne l’est Gorgias). Le devin Euthyphron n’a
aucune idée de ce qu’est la piété (eusebia), à l’instar des accusateurs d’un Socrate
campé comme un personnage eusebes et dont la conduite constitue une réponse à
la question posée: qu’est-ce que la piété? Le personnage vil possède en outre des
croyances fausses dont il peut avoir conscience mais qu’il ne questionne pas par
crainte des implications d’un tel questionnement (par ex. Calliclès, Polos, Thrasy-
maque), et des croyances dont il ne voit pas qu’elles sont en inadéquation avec sa
conduite qui apparaît de ce fait intenable. Le phaulos est campé comme un person-
nage dont l’incohérence du système de croyances surgit à un moment du dialogue
suscitant en lui la honte et la colère.
Fondé sur le désir de pouvoir, de domination et de gloire parfois associé à une
avidité aux gains, le genre de vie du phaulos est celui de l’homme politique, du
sophiste ou du poète,23 mais fondé sur le désir d’argent son genre de vie est celui
de l’homme d’affaires. Hippias est sans doute le personnage le plus négatif des
sophistes,24 mû autant par le désir de notoriété que d’argent et faisant preuve à la
fin du dialogue éponyme d’une condescendance à l’égard de Socrate et d’un mé-
pris pour la philosophie qui n’a d’égal que celui d’un Calliclès ou du personnage
anonyme de l’Euthydème sous une forme édulcorée (la violence en moins). Un
certain nombre de dialogues présente le personnage vil comme la cible privilégiée
de Socrate parce qu’il est l’incarnation d’un système de croyances non pertinent

23 Comme le souligne N.-L. Cordero, “les sophistes sont toujours les “méchants”, mais le Phédon
n’est pas tendre non plus envers Anaxagore (98b-c) et les idées d’Héraclite, présentées par Cratyle,
ne sont pas exemptes de critique” (ibid., 30).
24 Sur le personnage d’Hippias, voyez l’étude de M. Whitlock Blundell (1992).
30. l’art MiMétique de platoN: uN art du portrait 409
411

et injustifié, et, par conséquent, d’un genre de vie pernicieux dont il importe de
montrer l’inanité.
Mais à quel type appartient Protagoras sophiste privilégié qui apparaît dans
deux dialogues et dont la pensée mérite que Socrate s’y attarde? Devrait-on ici
distinguer deux catégories de phaulos? Protagoras est un personnage complexe, en
demi-teinte avec un côté pontifical, mais qui, dans le dialogue éponyme, accepte
de se prêter au jeu dialectique avec sérieux et qui sait faire preuve de patience et
de tempérance auprès d’un Socrate qui ne fait pas toujours montre d’une parfaite
intégrité intellectuelle.25 Il en est de même de Ménon chez qui Socrate parvient à
éveiller le désir de vérité à l’instar de Gorgias, qui bien que dépeint prétentieux
et parfois condescendant, se prête au jeu dialectique, demandant à différentes re-
prises à Polos et à Calliclès de poursuivre le dialogue avec Socrate, saisi du désir de
savoir ce qu’est la rhétorique (on notera au passage l’ironie de Platon). Certains so-
phistes apparaissent certes comme des personnages négatifs imbus d’eux-mêmes,
dont l’enflure de l’égo est peinte non sans humour par Platon (cf. début du Pro-
tagoras et de l’Hippias majeur), mais le désir de gloire et de victoire qui les anime
peut être le temps d’un dialogue avec Socrate détourné jusqu’à un certain point et
ne pas être exclusif du désir de vérité26 (Protagoras reconnaît que Socrate est sorti
victorieux de l’échange indiquant qu’il n’a pas cessé de considérer l’échange dans
sa dimension éristique).
Protagoras, Ménon et Gorgias prennent conscience de leur ignorance et cette
prise de conscience au lieu de susciter la colère provoque le désir de vérité. Ils
constituent donc une seconde catégorie du personnage inférieur à l’homme de
bien qui se définit par un désir conjoint de notoriété et de vérité. On pourrait éga-
lement ranger dans cette catégorie Phèdre qui admire davantage les poètes et les
orateurs que les philosophes. Amoureux des discours, il est une espèce d’esthète
qui vise le plaisir intellectuel avec un lointain regard pour leur vérité. Ces différents

25 Comme le souligne J.A. Arieti: “we have to see that the portrait of Socrates in the dialogue
is not at all complimentary, at least not as a strict standard of intellectual probity. He’s protrayed as
trickier than his adversary sophists” (1991) 128.
26 Concernant le personnage de Ménon, voyez le chapitre 4 de l’ouvrage de J. Gordon, 1999.
Formé à l’école de Gorgias, Ménon fait preuve d’un manque d’habilité dialectique (cf. 77a); il de-
mande par exemple à Socrate de produire lui-même la réponse à la question que Socrate lui pose
(Mén.. 75b1). Bien que l’état aporétique que Socrate a provoqué en Ménon suscite en lui le désir
de vérité, ce désir ne débouche pas sur une compréhension de la manière dont il peut être satisfait,
c’est-à-dire par la voie dialectique. C’est ainsi que Ménon demande à Socrate de lui apporter les
preuves que le savoir est réminiscence (cf. 81e). Il est intéressant de remarquer que Socrate cède
aux exigences de Ménon, c’est-à-dire celle de répondre à une question (la vertu s’enseigne-telle?)
qui exige au préalable de répondre à une autre question (qu’est-ce que la vertu?). Socrate ne refuse
pas pour autant de former Ménon à la dialectique, mais il lui propose de raisonner en procédant
à partir d’hypothèses à la façon des géomètres. Ce raisonnement s’intègre néanmoins dans un
échange dialectique (cf. 86e-87b).
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412 Catherine Collobert

personnages représentent une forme pervertie du philosophe qui fait d’eux des
personnages inférieurs à l’homme de bien, mais pas néanmoins des personnages
tout à fait vils: Protagoras n’est pas Thrasymaque. Du personnage de l’homme de
bien à celui de l’homme vil, nous avons ainsi une déclinaison de caractères qui
repose sur une variation de désirs et par conséquent de systèmes de croyances et
de valeurs.
Ce type de personnage ouvre la possibilité d’un retournement non pas de situa-
tion, comme dans le cas de la tragédie, mais de caractère: ainsi Gorgias et Ménon
sont “convertis” à la philosophie. Bien que Protagoras et Gorgias partagent avec le
personnage vil la vanité, la condescendance, fruits d’un désir de notoriété et de re-
connaissance satisfait, et la double ignorance, ils n’apparaissent pas attachés à leurs
croyances et à leurs positions. Une position défaite ne provoque ni la colère d’un
Gorgias ni celle d’un Protagoras, peut-être un peu d’énervement ou d’impatience:
ils sont beaux joueurs. Il est évidemment possible de voir dans cette attitude de
Protagoras et de Gorgias le résultat d’une forme de relativisme. Du désir de re-
nommée chez Homère, nous passons avec Platon au désir de vérité, pourtant le
premier n’exclut pas nécessairement le second, comme le montre cette deuxième
catégorie de phaulos.
Cicéron affirme que l’œuvre de Platon mérite davantage le titre de poésie que
celle des poètes comiques (De l’Orateur, 67). Son opinion est motivée par le style
mais aussi par le statut fictionnel des dialogues. L’art mimétique de Platon a ce-
pendant ceci de particulier qu’il repose sur un art du portrait, comme j’ai tenté de
le montrer ici. Les portraits platoniciens bien que divers fonctionnent à certains
égards comme des archétypes à l’exception notable de Socrate. Il n’est pas sans
importance de noter que l’art du portrait permet à Platon d’opérer un renverse-
ment des valeurs: le phaulos, le personnage vil, est représenté par le sophiste, le
rhéteur, le rhapsode, le poète qui sont pourtant les représentants de la noblesse
intellectuelle dans la société athénienne, et le spoudaios, le personnage noble, est
représenté par l’Étranger d’Élée, l’Étranger d’Athènes et par Socrate dont la lai-
deur physique, signe d’infériorité, l’apparente à un Thersite: la beauté extérieure
n’est plus le reflet d’une beauté intérieure. À travers son personnage principal,
Platon définit un nouvel idéal héroïque fondé sur une forme d’intériorité si bien
décrite par Alcibiade à la fin du Banquet.

réFErENCES

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