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Table des matières

PENSÉES ET CITATIONS
BIOGRAPHIE
LES DÉBUTS
ÉTUDES
PREMIERS SUCCÈS LITTÉRAIRES
EN ANGLETERRE, « TERRE DE LIBERTÉ »
RETOUR D'ANGLETERRE
BERLIN (1749-1753)
SEXAGÉNAIRE
TREMBLEMENT DE TERRE
LE VIGNOBLE DE LA VÉRITÉ
DERNIERS FEUX (1768-1778)
LE PANTHÉON
L'ŒUVRE DE VOLTAIRE
LES CONTES
LA CORRESPONDANCE
LES ÉCRITS PHILOSOPHIQUES
LE THÉÂTRE
L’ŒUVRE POÉTIQUE
L’ŒUVRE HISTORIQUE
L’ŒUVRE SCIENTIFIQUE
LA MORALE DE VOLTAIRE
LE LIBÉRALISME
LE DÉISME
L'HUMANISME
LA JUSTICE
LA LAÏCITÉ
LE VÉGÉTARISME
VOLTAIRE ET LES FEMMES
VOLTAIRE ET L'HOMOSEXUALITÉ
VOLTAIRE ET L'ESCLAVAGISME
VOLTAIRE, LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME
VOLTAIRE ET L'ISLAM
VOLTAIRE ET LE CHRISTIANISME
VOLTAIRE ET LE PROTESTANTISME
VOLTAIRE ET L'HINDOUISME
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
VOLTAIRE
400 PENSÉES ET CITATIONS

EDITIONS VIVRE ENSEMBLE


2015
PENSÉES ET CITATIONS

1. — « J'avoue que le genre humain n'est pas tout à fait si méchant que
certaines gens le crient dans l'espérance de le gouverner. »

2. — « L'esprit est le contraire de l'argent; moins on en a, plus on est


satisfait. »

3. — « Aime la vérité mais pardonne à l'erreur. »

4. — « C'est à un instinct mécanique, qui est chez la plupart des hommes, que
nous devons tous les arts, et nullement à la saine philosophie. »

5. — « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un


innocent. »
Zadig ou la Destinée (1748)

6. — « Je hais vos idées, mais je me ferai tuer pour que vous ayez le droit de
les exprimer. »

7. — « L'art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature


le guérit. »

8. — « Toujours l'oreille est le chemin du cœur. »


La Pucelle d'Orléans (1762), Chant XXI
9. — « Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un
atome. A peine a-t-on commencé à s'instruire un peu que la mort arrive
avant qu'on ait de l'expérience. »
Micromégas (1752)

10. — « Si mes amis sont heureux, Je serai moins misérable. »


Satires, Sur l'usage de la vie pour répondre aux critiques qu'on avait faites du Mondain (1737)

11. — « Le premier des devoirs, sans doute, est d'être juste; Et le premier des
biens est la paix de nos cœurs. »
Poème sur la Loi Naturelle (1752)

12. — « Tout vous est pardonné, puisque je vois vos pleurs. »


Alzire, ou Les américains (1736), V, 7, Gusman

13. — « Les chagrins secrets sont encore plus cruels que les misères
publiques. »
Candide, ou l'Optimisme (1759), XX

14. — « Tes yeux m'inspirent l'allégresse, Ton cœur fait mon destin: Tout
m'ennuyait, tout m'intéresse. »
Le Baron d'Otrante (1769), I, 3, Le Baron

15. — « La politique est le premier des arts et le dernier des métiers. »

16. — « La loi naturelle est l’instinct qui nous fait sentir la justice. »
Extrait de Dictionnaire Philosophique
17. — « N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages
n’en aient pas ? »
Extrait des Pensées détachées de M. l’abbé de Saint-Pierre

18. — « J’ai fait un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage. »


Extrait d’Epîtres à Horace

19. — « La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre


heureux. »
Extrait d’une Lettre

20. — « L’homme est né pour l’action, comme le feu tend en haut et la pierre
en bas. »
Extrait de Sur les pensées de M. Pascal

21. — « Le premier pas, mon fils, que l’on fait dans le monde Est celui dont
dépend le reste de nos jours. »
Extrait de L’Indiscret

22. — « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe


et n’ait pas d’horloger. »
Extrait des Cabales

23. — « L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de
l’existence de cette chose. »
Extrait des Lettres philosophiques
24. — « Rien ne se fait sans un peu d’enthousiasme. »
Extrait d’une Lettre

25. — « L’espèce humaine est la seule qui sache qu’elle doit mourir. »

26. — « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »


Extrait d’Epître

27. — « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un


innocent. »
Extrait de Zadig ou la destinée

28. — « Dieu n’a créé les femmes que pour apprivoiser les hommes. »
Extrait de L’ingénu

29. — « Un jour, tout sera, voilà notre espérance Tout est aujourd’hui, voilà
l’illusion. »
Extrait de Poème sur le désastre de Lisbonne

30. — « C’est un poids pesant qu’un nom trop tôt fameux. »


Extrait de La Henriade

31. — « Toujours du plaisir n’est pas du plaisir. »


Extrait de Zadig ou la destinée

32. — « Quiconque est soupçonneux invite à le trahir. »


Extrait de Zaïre

33. — « Si l’homme était parfait, il serait Dieu. »


Extrait des Lettres philosophiques

34. — « Chaque science, chaque étude, a son jargon inintelligible, qui semble
n’être inventé que pour en défendre les approches. »
Extrait d’Essai sur la poésie épique

35. — « On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité. »
Extrait d’Œdipe

36. — « Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un
petit atome de boue. »
Extrait de Zadig ou la destinée

37. — « Heureux qui jouit agréablement du monde ! Plus heureux qui s’en
moque et qui le fuit ! »
Extrait de Lettre

38. — « Dieu nous a donné le vivre ; c’est à nous de nous donner le bien
vivre. »
Extrait de Le sottisier

39. — « Quand je vous aurai répété que la vie est un enfant qu’il faut bercer
jusqu’à ce qu’il s’endorme, j’aurai dit tout ce que je sais. »
Extrait de Correspondance
40. — « On peut, sans s’avilir, s’abaisser sous les dieux, les craindre et les
servir. »
Extrait de Sémiramis

41. — « Les abus invétérés ne se corrigent qu’avec le temps. »

42. — « Un proverbe n’est pas une raison. »

43. — « Pour avoir quelque autorité sur les hommes, il faut être distingué
d’eux. Voilà pourquoi les magistrats et les prêtres ont des bonnets
carrés. »

44. — « S’il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d’un seul que celle
de plusieurs. Un despote a toujours quelques bons moments ; une
assemblée de despotes n’en a jamais. »

45. — « La plupart des bons mots sont des redites. »

46. — « L’éducation développe les facultés, mais ne les crée pas. »

47. — « Je compterais plus sur le rôle d’un homme espérant une grande
récompense que sur celui d’un homme l’ayant reçue. »

48. — « Il n’y a que les ouvriers qui sachent le prix du temps ; ils se le font
toujours payer. »

49. — « Le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d’hommes


inutiles. »
50. — « Ceux qui cultivent sur une terre fertile ont un grand avantage sur ceux
qui l’on défrichée. »

51. — « Il n’est point de grand conquérant qui ne soit grand politique. Un


conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habileté heureuse,
du bras d’autrui. »
Extrait d’un Essai sur les mœurs

52. — « On peut juger du caractère des hommes par leurs entreprises. »

53. — « Il vaut mieux tard que mal, et cela en tout genre. »

54. — « Dire le secret d’autrui est une trahison, dire le sien est une sottise. »

55. — « Les beaux esprits se rencontrent. »

56. — « Plus les hommes seront éclairés, et plus ils seront libres. »

57. — « Le seul moyen d’obliger les hommes à dire du bien de nous, c’est
d’en faire. »

58. — « La douleur est aussi nécessaire que la mort. »

59. — « Il faut rougir de commettre des fautes et non de les avouer. »

60. — « Presque toujours les choses qu’on dit frappent moins que la manière
dont on les dit. »
61. — « Qui ne sait compatir aux maux qu’il a soufferts ! »

62. — « Aimez qui vous aime. »

63. — « Il n’y a rien de plus ridicule qu’un médecin qui ne meurt pas de
vieillesse. »

64. — « Le présent accouche, dit-on, de l’avenir. »

65. — « Je plains l’homme accablé du poids de son loisir. »

66. — « La beauté n’est qu’un piège tendu par la nature à la raison. »

67. — « L’amitié d’un grand homme est un fait des dieux. »


Extrait d’Œdipe

68. — « Ce qui m’a dégoûté de la profession d’avocat, c’est la profusion de


choses inutiles dont on voulut charger ma cervelle. Au fait ! est ma
devise. »
Extrait de Lettre au marquis d’Argenson

69. — « Ce n’est pas l’amour qu’il fallait peindre aveugle, c’est l’amour-
propre. »
Extrait d’une Lettre – 11 Mai 1764

70. — « Plus on a médité, plus on est en état d’affirmer qu’on ne sait rien. »

71. — « L’oreille est le chemin du cœur. »


72. — « Le prudent se fait du bien, le vertueux en fait aux autres. »

73. — « Souvent le désespoir a gagné des batailles. »


Extrait de La Henriade

74. — « Je suis comme les petits ruisseaux ; ils sont transparents parce qu’ils
sont peu profonds. »

75. — « On aime mieux son égal que son maître. »

76. — « On ne fait pas de nouvelles découvertes dans le cœur humain. »

77. — « C’est n’être bon à rien de n’être bon qu’à soi. »

78. — « Le secret d’ennuyer est celui de tout dire. »


Extrait de Mélanges

79. — « Il ne dépend pas de nous de n’être pas pauvres, mais il dépend


toujours de nous de faire respecter notre pauvreté. »

80. — « Si l’on n’imprimait que l’utile, il y aurait cent fois moins de livres. »

81. — « Rien n’est plus aisé à faire qu’un mauvais livre, si ce n’est une
mauvaise critique. »

82. — « L’instant où nous naissons est un pas vers la mort. »


Extrait de Supplément aux Mélanges de Poésie

83. — « Un livre n’est excusable qu’autant qu’il apprend quelque chose. »


Extrait de Lettre à Damilaville

84. — « Que conclure à la fin de tous mes longs propos ? C’est que les
préjugés sont la raison des sots. »
Extrait de Poème sur la Loi Naturelle

85. — « Les hommes en général ressemblent aux chiens qui hurlent quand ils
entendent de loin d’autres chiens hurler. »
Extrait de Fragments historiques

86. — « En tout temps, en tous lieux, le public est injuste. »


Extrait d’Epître à Melle Clairon

87. — « Les compliments sont le protocole des sots. »

88. — « Les rivières ne se précipitent pas plus vite dans la mer que les
hommes dans l’erreur. »

89. — « Les faiblesses des hommes font la force des femmes. »

90. — « Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire ; elles le
submergent quelquefois, mais sans elles il ne pourrait voguer. »
Extrait de Zadig ou la destinée

91. — « On parle toujours mal quand on n’a rien à dire. »


92. — « Les calomniateurs sont comme le feu qui noircit le bois vert, ne
pouvant le brûler. »
Extrait du Sottisier

93. — « Nous cherchons tous le bonheur, mais sans savoir où, comme les
ivrognes qui cherchent leur maison, sachant confusément qu’ils en ont
une. »

94. — « Pour la plupart des hommes, se corriger consiste à changer de


défauts. »

95. — « On ne peut désirer ce qu’on ne connaît pas. »


Extrait de Zaïre

96. — « Il n’y a point de hasard. »


Extrait de Zadig ou la destinée

97. — « La beauté plaît aux yeux, la douceur charme l’âme. »

98. — « La crainte suit le crime, et c’est son châtiment. »


Extrait de Sémiramis

99. — « L’esprit est tout le contraire de l’argent ; moins on en a, plus on est


satisfait. »

100. — « L’amour-propre est un ballon gonflé de vent dont il sort des


tempêtes quand on y fait une piqûre. »
101. — « Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons rendu. »
Extrait du sottisier

102. — « Le monde ressemble à une vieille coquette qui déguise son âge. »

103. — « Nous respectons plus les morts que les vivants. Il aurait fallu
respecter les uns et les autres. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

104. — « Quel homme est sans erreur ? Et quel roi sans faiblesse ? »
Extrait de Brutus

105. — « Le temps adoucit tout. »


Extrait de L’Ingénu

106. — « Les hommes abreuvés de liqueurs fortes ont tous un sang aigri et
adulte qui les rend fous en cent manières différentes. »
Extrait de La princesse de Babylone

107. — « La lecture agrandit l’âme, et un ami éclairé la console. »


Extrait de L’Ingénu

108. — « Chaque profession a un vice et un danger qui lui sont attachés. »


Extrait de L’ingénu

109. — « Les Grecs ont écrit tant de phrases et si peu de choses. »


Extrait de La princesse de Babylone

110. — « C’est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à
ceux qui font les esclaves par la violence, que nous devons nos
respects. »
Extrait de Lettres philosophiques

111. — « L’enthousiasme est une maladie qui se gagne. »


Extrait de Lettres philosophiques

112. — « Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans
une armée : ils ont, et donnent des terreurs paniques. »
Extrait de Lettres philosophiques

113. — « Il n’y a aucun pays de la terre où l’amour n’ait rendu les amants
poètes. »
Extrait de L’ingénu

114. — « La poésie est une espèce de musique : il faut l’entendre pour en


juger. »
Extrait de Lettres philosophiques

115. — « Tricher au jeu sans gagner est d’un sot. »


Extrait d’Eloge de l’hypocrisie

116. — « Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître. »


Extrait de Poème sur le désastre de Lisbonne
117. — « Je joue avec la vie, madame ; elle n’est bonne qu’à cela. »
Extrait de Correspondance

118. — « La vertu s’avilit à se justifier. »


Extrait d’Œdipe

119. — « Consolons-nous de ne pas savoir les rapports qui peuvent être entre
une araignée et l’anneau de Saturne, et continuons à examiner ce qui est à
notre portée. »
Extrait de Lettres philosophiques

120. — « On est plus criminel quelquefois qu’on ne pense. »


Extrait d’Œdipe

121. — « Et qui pardonne au crime en devient complice. »


Extrait de Brutus

122. — « La religion juive, mère du christianisme, grand-mère du


mahométisme, battue par son fils et par son petit-fils. »
Extrait de Le sottisier

123. — « N’ayant jamais pu réussir dans le monde, il se vengeait par en


médire. »
Extrait de L’envieux

124. — « Tant de livres faits sur la peinture par des connaisseurs n’instruiront
pas tant un élève que la seule vue d’une tête de Raphaël. »
Extrait de la préface d’Œdipe
125. — « Le monde avec lenteur marche vers la sagesse. »
Extrait des Lois de Minos

126. — « Variété, c’est ma devise. »


Extrait de Correspondance

127. — « Malheur aux détails, la postérité les néglige tous. »


Extrait de Correspondance

128. — « Les grandes choses sont souvent plus faciles qu’on ne pense. »
Extrait de Correspondance

129. — « Travaillons sans raisonner ; c’est le seul moyen de rendre la vie


supportable. »
Extrait de Candide ou l’optimisme

130. — « Toutes les grandeurs de ce monde ne valent pas un bon ami. »


Extrait de Jeannot et Colin

131. — « L’histoire des plus grands princes est souvent le récit des fautes des
hommes. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

132. — « Je préférerai toujours les choses aux mots, et la pensée à la rime. »


Extrait de Lettres philosophiques
133. — « Quand on ne voyage qu’en passant, on prend les abus pour les lois
du pays. »
Extrait de Le Sottisier

134. — « La raison humaine est si peu capable de démontrer par elle-même


l’immortalité de l’âme que la religion a été obligée de nous la révéler. »
Extrait de Lettres philosophiques

135. — « La politique a sa source dans la perversité plus que dans la grandeur


de l’esprit humain. »
Extrait du Sottisier

136. — « Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur. »
Extrait de Stance à Madame du Châtelet

137. — « On voit évidemment que toutes les religions ont emprunté tous leurs
dogmes et tous leurs rites les unes des autres. »
Extrait de De l’acoran et de la loi musulmane

138. — « Les vérités sont des fruits qui ne doivent être cueillis que murs. »
Extrait d’une Correspondance

139. — « Le malheur des uns fait le bonheur des autres. »


Extrait de Candide ou l’optimisme

140. — « Je perds mes dents. Je meurs en détail. »

141. — « L’art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la


nature le guérit. »

142. — « Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est


ridicule. »

143. — « Le pape est une idole à qui on lie les mains et à qui on baise les
pieds. »
Extrait de Le Sottisier

144. — « Le superflu, chose si nécessaire. »

145. — « Que toute loi soit claire, uniforme et précise : l’interpréter, c’est
presque toujours la corrompre. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

146. — « Le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que


l’athéisme philosophique. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

147. — « Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique. »


Extrait de Dictionnaire philosophique

148. — « C’est d’ordinaire une besogne épineuse : on néglige ce qui précède


et ce qui suit l’endroit qu’on cite, et on s’expose à mille querelles. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

149. — « C’est encore peu de vaincre il faut savoir séduire. »


150. — « Si vous voyez un banquier se jeter par la fenêtre, sautez derrière lui :
vous pouvez être sûr qu’il y a quelque profit à prendre. »

151. — « Ce qu’il y a de pis, c’est que la guerre est un fléau inévitable. »


Extrait de Dictionnaire philosophique

152. — « Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion. »

153. — « Que les supplices des criminels soient utiles. Un homme pendu n’est
bon à rien, et un homme condamné aux ouvrages publics sert encore la
patrie et est une leçon vivante. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

154. — « Qui sait aimer et s’occuper est au-dessus de tout. »


Extrait de Lettre à Mme Denis (sa nièce)

155. — « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le


besoin. »
Extrait de Candide ou l’optimisme

156. — « Exterminez, grands dieux, de la terre où nous sommes, Quiconque


avec plaisir répand le sang des hommes ! »

157. — « Redisons tous les jours à tous les hommes : “la morale est une, elle
vient de Dieu ; les dogmes sont différents, ils viennent de nous”. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

158. — « Il n’y a peut-être rien de si fou que de croire avoir toujours raison. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

159. — « Toute plaisanterie doit être courte, et même le sérieux devrait être
court aussi. »
Extrait de Lettres philosophiques

160. — « Les hommes ne haïssent l’avare que parce qu’il n’y a rien à gagner
avec lui. »

161. — « Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours été ceux
des plus horribles crimes. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

162. — « Les malheurs particuliers font le général ; de sorte que plus il y a de


malheurs particuliers et plus tout est. »

163. — « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. »

164. — « Ce monde est un vaste naufrage : sauve qui peut ! »

165. — « Le courage n’est pas une vertu, mais une qualité commune aux
scélérats et aux grands hommes. »

166. — « Quoiqu’il y ait beaucoup de livres, croyez-moi, peu de gens lisent ;


et parmi ceux qui lisent, il y en a beaucoup qui ne se servent que de leurs
yeux. »

167. — « Il faut avoir une religion et ne pas croire aux prêtres ; comme il faut
avoir du régime et ne pas croire aux médecins. »
168. — « J’approche tout doucement du moment où les philosophes et les
imbéciles ont la même destinée. »

169. — « C’est une des superstitions de l’esprit humain d’avoir imaginé que la
virginité pouvait être une vertu. »

170. — « Ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, mais l’homme qui a créé
Dieu. »

171. — « L’homme doit s’applaudir d’être frivole ; s’il ne l’était pas, il


sécherait de douleur en pensant qu’il est né pour un jour, entre deux
éternités, et pour souffrir onze heures au moins sur douze. »

172. — « L’alphabet fut l’origine de toutes les connaissances de l’homme et de


toutes ses sottises. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

173. v« Les rois sont avec leurs ministres comme les cocus avec leurs
femmes : ils ne savent jamais ce qui se passe. »
Extrait du Sottisier

174. — « Un historien est un babillard qui fait des tracasseries aux morts. »
Extrait du Sottisier

175. — « L’espérance est un aliment de notre âme, toujours mêlé du poison de


la crainte. »
Extrait du Sottisier

176. — « Les Incas avaient des palais incrustés d’or et couverts de paille :
emblème de des gouvernements. »
Extrait du Sottisier

177. — « Les paroles sont aux pensées ce que l’or est aux diamants ; il est
nécessaire pour les mettre en œuvre, mais il en faut peu. »
Extrait du Sottisier

178. — « Je compterais plus sur le zèle d’un homme espérant une grande
récompense que sur celui d’un homme l’ayant reçue. »
Extrait de Remarques sur les pensées de Pascal

179. — « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim


ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. »
Extrait du Sottisier

180. — « Les soldats se mettent à genoux quand ils tirent : apparemment pour
demander pardon du meurtre. »
Extrait du Sottisier

181. — « Prier Dieu c’est se flatter qu’avec des paroles, on changera toute la
nature. »
Extrait du Sottisier

182. — « Le lit découvre tous les secrets. »


Extrait du Sottisier

183. — « Les grammairiens sont pour les auteurs ce qu’un luthier est pour un
musicien. »
Extrait des Pensées, remarques et observations

184. — « Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion. »

185. — « C’est n’être bon à rien que de n’être bon qu’à soi. »

186. — « Le bonheur est souvent la seule chose qu’on puisse donner sans
l’avoir et c’est en le donnant qu’on l’acquiert. »

187. — « En fait de goût, chacun doit être le maître chez soi. »


Extrait de Discours historique et critique

188. — « Un médecin, c’est quelqu’un qui verse des drogues qu’il connaît peu
dans un corps qu’il connaît moins. »
Extrait d’Epigrammes

189. — « Les français parlent vite et agissent lentement. »


Extrait de Lettre au Comte d’Argental

190. — « La moitié de la Suisse est l’enfer, et l’autre moitié le paradis. »


Extrait de Lettre à James Mariott

191. — « La fable est la sœur aînée de l’histoire. »


Extrait de Dictionnaire philosophique

192. — « Pour savoir se venger, il faut savoir souffrir. »


Extrait de Mérope
193. — « L’humilité est le contrepoison de l’orgueil. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

194. — « La médisance est fille de l’amour-propre et de l’oisiveté. »


Extrait des Epîtres

195. — « La raison est la fille du temps, et elle attend tout de son père. »
Extrait de L’homme aux quarante écus

196. — « La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes. »


Extrait de La Henriade

197. — « Si l’opinion est la reine du monde, les philosophes gouvernent cette


reine. »
Extrait de Lettre à D’Alembert

198. — « Les hommes ont été, sont et seront menés par les événements. »
Extrait de Lettre au Duc de Choiseul du 13 Juillet 1761

199. — « La vérité est un fruit qui ne doit être cueilli que s’il est tout à fait
mûr. »
Extrait de Lettre à la Comtesse de Barcewitz

200. — « Dans l’opinion qu’il y ait un Dieu il peut se trouver des difficultés,
mais dans l’opinion contraire il y a des absurdités. Aussi reconnaître qu’il
y ait une Dieu est la chose la plus vraisemblable que les hommes puissent
penser. »
201. — « Dieu ? Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas. »
Extrait de Correspondance

202. — « Pourquoi existe-t-il tant de mal, tout étant formé par un Dieu que
tous les théistes se sont accordés à nommer bon ? »
Extrait de Dictionnaire philosophique

203. — « Quoi point d’argent ? Et de l’ambition ! Pauvre imprudent !


Apprends qu’en ce royaume Tous les honneurs sont fondés sur le bien,
Que rien n’est rien, que de rien ne vaut rien. »
Extrait de Satires

204. — « La philosophie nous montre qu’il y a un Dieu, mais elle est


impuissante à nous apprendre ce qu’il est, comment et pourquoi il le fait.
Il faudrait être lui-même pour le savoir. »
Extrait de Mélanges de philosophie

205. — « Vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c’est la véritable
vie des esprits. »
Extrait de Micromégas

206. — « Il faut que le plaisir de gouverner soit grand, puisque tant de gens
veulent s’en mêler. »

207. — « Quel est donc la destinée du genre humain ? Presque nul grand
peuple n’est gouverné par lui-même. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

208. — « Les Français ne sont pas faits pour la liberté. Ils en abuseraient. »
Extrait de Lettre au prince de Prusse – Octobre 1737

209. — « La nature nous a fait frivoles pour nous consoler de nos misères. »

210. — « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. »


Extrait de la préface de L’enfant prodigue

211. — « Un mérite de la poésie, c’est qu’elle dit plus que la prise, et en moins
de paroles que la prose. »

212. — « Dans ta jeunesse fais l’amour, Et ton salut dans ta vieillesse. »

213. — « Je m’arrêterais de mourir s’il me venait un bon mot. »

214. — « Les hommes n’ont jamais de remords des choses qu’ils sont dans
l’usage de faire. »

215. — « Il faut que cet homme soit un grand ignorant, car il répond à tout ce
qu’on lui demande. »

216. — « Quand un homme parle à un autre homme, qui ne comprend pas, et


que celui qui parle ne comprend pas non plus, ils font de la
métaphysique. »

217. — « La politique est l’art de mentir à propos. »

218. — « Les vices de l’esprit peuvent se corriger ; Quand le cœur est


mauvais, rien ne peut le changer. »
Extrait de Charlot
219. — « Sachez que le secret des arts Est de corriger la nature. »
Extrait de l’Épître à monsieur de Verrière

220. — « La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance en


est le seul remède. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

221. — « On ne peut vivre dans le monde qu’avec des illusions ; et dès qu’on a
un peu vécu, toutes les illusions s’envolent. »
Extrait de Correspondance

222. — « Le pays où le commerce est le plus libre sera toujours le plus riche et
le plus florissant, proportion gardée. »
Extrait des Lettres philosophiques

223. — « Gouverne qui peut ; et quand on est parvenu à être le maître, on


gouverne comme on peut. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

224. — « Quand on lit pour s’instruire, on voit tout ce qui a échappé, lorsqu’on
ne lisait qu’avec les yeux. »
Extrait de Correspondance

225. — « Aime la vérité, mais pardonne l’erreur. »


Extrait du Discours en vers sur l’homme

226. — « L’habile homme est celui qui fait un grand usage de ce qu’il sait ; le
capable peut, et l’habile exécute. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

227. — « La gloire est la réputation jointe à l’estime ; elle est au comble,


quand l’admiration s’y joint. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

228. — « Un courage indompté, dans le cœur des mortels, Fait ou les grands
héros ou les grands criminels. »
Extrait de Rome sauvée

229. — « Les injures atroces n’ont jamais fait de tort qu’à ceux qui les ont
dites. »
Extrait de Conseil à Louis Racine

230. — « L’art de la guerre est, comme celui de la médecine, meurtrier et


conjectural. »
Extrait du Sottisier

231. — « Ce que nous appelons le hasard n’est et ne peut être que la cause
ignorée d’un effet connu. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

232. — « Les vrais passions donnent des forces, en donnant du courage. »


Extrait de Correspondance

233. — « En philosophie, il faut se défier de ce qu’on croit entendre trop


aisément, aussi des choses qu’on n’entend pas. »
Extrait des Lettres philosophiques

234. — « C’est ne pas payer ses dettes que de refuser de justes louanges. »

235. — « Quiconque pense fait penser. »


Extrait des Fragments sur l’histoire

236. — « Ceux qui ont avancé que tout est ont dit une sottise : il fallait dire
que tout est au mieux. »
Extrait de Candide ou l’optimisme

237. — « Un jugement trop prompt est souvent sans justice. »


Extrait de Catalina

238. — « Tout pouvoir, en un mot, périt par l’indulgence. »


Extrait d’Alzire

239. — « N’employez jamais un mot nouveau, à moins qu’il n’ait ces trois
qualités : être nécessaire, intelligible et sonore. »
Extrait des Conseils à un journaliste

240. — « La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie,


la fille très folle d’une mère très sage. »
Extrait de Politique et législation

241. — « C’est le sort des monarchies que leur prospérité dépende du caractère
d’un seul homme. »
Extrait du Siècle de Louis XIV
242. — « On la nomme (l’opinion) la reine du monde ; elle l’est si bien, que
quand la raison veut la combattre, la raison est condamnée à mort. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

243. — « Je crois, toutes réflexions faites, qu’il ne faut jamais penser à la


mort ; cette pensée n’est bonne qu’à empoisonner la vie ; la grande
affaire est de ne point souffrir. »
Extrait des Lettres philosophiques

244. — « La politesse est à l’esprit Ce que la grâce est au visage. »


Extrait des Stances

245. — « Les mortels sont égaux ; ce n’est point la naissance C’est la seule
vertu qui fait la différence. »
Extrait d’Eriphile

246. — « La patrie est là où on vit heureux. »


Extrait du Siècle de Louis XIV

247. — « Dieu fit du repentir la vertu des mortels. »


Extrait d’Olympie

248. — « Tel brille au second rang qui s’éclipse au premier. »


Extrait de La Henriade

249. — « La patrie est aux lieux où l’âme est enchaîné. »


Extrait du Fanatisme ou Mohamed le prophète

250. — « L’amour. C’est l’étoffe de la nature que l’imagination a brodée. »


Extrait du Dictionnaire philosophique

251. — « Si l’homme est créé libre, il doit se gouverner ; Si l’homme a des


tyrans, il les doit détrôner. »
Extrait des Sept discours en vers sur l’homme

252. — « Une république n’est point fondée sur la vertu ; elle l’est sur
l’ambition de chaque citoyen, qui contient l’ambition des autres. »
Extrait de Politique et législation

253. — « Est-ce que vous croyez qu’on puisse faire l’amour sans proférer une
parole ? »

254. — « Le temps est assez long pour quiconque en profite ; Qui travaille et
qui pense en étend la limite. »
Extrait du Discours en vers sur l’homme

255. — « Les préjugés, ami, sont les rois du vulgaire. »


Extrait du Fanatisme ou Mohamed le prophète

256. — « Le plaisir donne ce que la sagesse promet. »


Extrait du Sottisier

257. — « Dieu a mis dans tous les cœurs la conscience du avec quelque
inclination pour le mal. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

258. — « Usez, n’abusez pas ; ni l’abstinence ni l’excès ne rendent un homme


heureux. »

259. — « Le génie n’a qu’un siècle, après quoi, il faut qu’il dégénère. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

260. — « C’est le privilège du vrai génie, et surtout du génie qui ouvre une
carrière de faire impunément de grandes fautes. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

261. — « Nous sommes tous également hommes, mais non égaux de la


société. »
Extrait des Pensées sur l’administration

262. — « Ce n’est pas notre condition, c’est la trempe de notre âme qui nous
rend heureux. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

263. — « Le bonheur n’était autrefois qu’une heure fortunée. »


Extrait du Sottisier

264. — « Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté : il vous répondra


que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite
tête… Interrogez le diable il vous dira que le beau est une paire de
cornes, quatre griffes et une queue. »
Extrait du Dictionnaire philosophique
265. — « Le bonheur est un mot abstrait composé de quelques idées de
plaisir. »
Extrait du Sottisier

266. — « Le plaisir est plus rapide que le bonheur et le bonheur que la


félicité. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

267. — « Un dictionnaire sans citations est un squelette. »

268. — « Le plaisir est l’objet, le devoir est le but. De tous les êtres
raisonnables. »
Extrait des Stances

269. — « Ce monde, ce théâtre et d’orgueil et d’erreur, Est plein d’infortunés


qui parlent de bonheur. »

270. — « Tout mortel au plaisir a dû son existence ; Par lui le corps agit, le
cœur sent, l’esprit pense. »
Extrait du Discours en vers sur l’homme

271. — « Le bonheur est un que nous vend la nature. »


Extrait des Discours en vers sur l’homme

272. — « Si mes amis sont heureux, Je serai moins misérable. »


Extrait de Sur l’usage de la vie

273. — « Les femmes ressemblent aux girouettes : elles se fixent quand elles
se rouillent. »

274. — « Un instant de bonheur vaut mille ans dans l’histoire. »


Extrait de Commentaire historique

275. — « Le paradis terrestre est où je suis. »


Extrait des Satires

276. — « La résurrection est une idée toute naturelle ; il n’est pas plus
étonnant de naître deux fois qu’une. »

277. — « Mon ami signifie mon esclave. Mon cher ami veut dire vous m’êtes
plus qu’indifférent. »

278. — « Un point géométrique est une abstraction de l’esprit. »

279. — « Si les imbéciles veulent encore du gland, laisse-les en manger ; mais


trouve bon qu’on leur présente du pain. »

280. — « Les hommes se trompent, les grands hommes avouent qu’ils se sont
trompés. »
Extrait du Sottisier

281. — « Malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui en traduisant


chaque parole énervent le sens ! C’est là qu’on peut dire que la lettre tue,
et que l’esprit vivifie. »
Extrait des Lettres philosophiques
282. — « C’est le propre de la censure violente d’accréditer les opinions
qu’elle attaque. »
Extrait du Poème sur le désastre de Lisbonne

283. — « L’art de la citation est l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir par
eux-mêmes. »

284. — « Il n’y a point de hasard ; tout est épreuve, ou punition, ou


récompense, ou prévoyance. »
Extrait de L’Ermite

285. — « Ne pas être occupé et ne pas exister c’est la même chose. »

286. — « Par tout pays, la religion dominante, quand elle ne persécute point,
engloutit à la longue toutes les autres. »
Extrait des Lettres philosophiques

287. — « A la cour, mon fils, l’art le plus nécessaire N’est pas de parler, mais
de savoir se taire. »
Extrait de L’Indiscret

288. — « C’est à un instinct mécanique, qui est chez la plupart des hommes,
que nous devons tous les arts, et nullement à la saine philosophie. »
Extrait des Lettres philosophiques

289. — « Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, pour sentir
qu’il est horrible que le grand nombre semât et que le petit nombre
recueillît. »
Extrait des Lettres philosophiques
290. — « C’est assurément ne pas connaître le cœur humain que de penser
qu’on peut le remuer par des fictions. »
Extrait de Sémiramis

291. — « En ouvrages de goût, en musique, en poésie, en peinture, c’est le


goût qui tient lieu de montre ; et celui qui n’en juge que par des règles en
juge mal. »
Extrait des Lettres philosophiques

292. — « On rougirait tôt de ses décisions, si l’on voulait réfléchir sur les
raisons pour lesquelles on se détermine. »
Extrait d’une Lettre – 1719

293. — « Les inventions les plus étonnantes et les plus utiles ne sont pas celles
qui font le plus d’honneur à l’esprit humain. »
Extrait des Lettres philosophiques

294. — « Jamais les philosophes ne feront une secte de religion. Pourquoi ?


C’est qu’ils n’écrivent point pour le peuple, et qu’il sont sans
enthousiasme. »
Extrait des Lettres philosophiques

295. — « Si les hommes étaient assez malheureux pour ne s’occuper que du


présent, on ne sèmerait point, on ne bâtirait point, on ne planterait point,
on ne pourvoîrait à rien : on manquerait de tout au milieu de cette fausse
jouissance. »
Extrait des Lettres philosophiques
296. — « Parmi ceux qui lisent, il y en a vingt qui lisent des romans, contre un
qui étudie la philosophie. Le nombre de ceux qui pensent est
excessivement petit, et ceux-là ne s’avisent pas de troubler le monde. »
Extrait des Lettres philosophiques

297. — « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à


craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a
trente, et elles vivent en paix et heureuses. »
Extrait des Lettres philosophiques

298. — « Qui croit toujours le crime, en paraît trop capable. »


Extrait d’Eriphile

299. — « Le temps, qui seul fait la réputation des hommes, rend à la fin leurs
défauts respectables. »
Extrait des Lettres philosophiques

300. — « On apprend tout aux hommes, la vertu, la religion. »


Extrait des Lettres philosophiques

301. — « C’est l’amour de nous-mêmes qui assiste l’amour des autres ; c’est
par nos besoins mutuels que nous sommes utiles au genre humain. »
Extrait des Lettres philosophiques

302. — « Qui veut détruire les passions, au lieu de les régler, veut faire
l’ange. »
Extrait des Lettres Philosophiques
303. — « La métaphysique est le roman de l’esprit. »

304. — « On meurt deux fois en ce bas monde La première en perdant les


faveurs de Vénus. Peu m’importe la seconde. C’est un quand on n’aime
plus. »

305. — « Le théâtre est le premier et le dernier des métiers. »

306. — « La femme coquette est l’agrément des autres et le mal de qui la


possède. »
Extrait des Epîtres

307. — « Les hommes, avec des lois sages, ont toujours eu des coutumes
insensées. »
Extrait des Essais sur les mœurs

308. — « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à
Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en
vous égorgeant ? »
Extrait du Dictionnaire philosophique

309. — « Les bavards sont les plus discrets des hommes : ils parlent pour ne
rien dire. »

310. — « Le premier devin fut le premier fripon qui rencontra un imbécile. »

311. — « Il y a une autre canaille à laquelle on sacrifie tout, et cette canaille


est le peuple. »
Extrait d’une Lettre au marquis de Condorcet

312. — « Le cœur ne vieillit pas, mais il est pénible de loger un dieu dans des
ruines. »

313. — « Dissimuler, vertu de roi et de femme de chambre. »

314. — « Un auteur est peu propre à corriger les feuilles de ses propres
ouvrages : il lit toujours comme il a écrit et non comme il est imprimé. »

315. — « On aime la vie, mais le néant ne laisse pas d’avoir du bon. »

316. — « L’art de gouverner consiste à prendre le plus d’argent possible à une


catégorie de citoyens afin de le donner à une autre. »

317. — « L’hypocrite sourit, l’énergumène aboie. »

318. — « Point d’injures, beaucoup d’ironie et de gaieté : les injures révoltent,


l’ironie faire rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme. »
Extrait d’une Lettre à d’Argental

319. — « Non, si vous voulez rendre la religion chrétienne aimable, ne parlez


jamais de martyrs ; nous en avons fait cent fois plus que les païens. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

320. — « Quand la gravité n’est que dans le maintien, comme il arrive très
souvent, on dit gravement des inepties. »
Extrait du Dictionnaire philosophique
321. — « Comme le despotisme est l’abus de la royauté, l’anarchie est l’abus
de la démocratie. »

322. — « C’est la superstition qui a fait immoler des victimes humaines, c’est
la nécessité qui les a fait manger. »
Extrait du Dictionnaire philosophique

323. — « Le peuple reçoit la religion, les lois, comme la monnaie, sans


l’examiner. »
Extrait du Sottisier

324. — « Des erreurs sont nées d’une vérité dont on abuse. »

325. — « Les sauvages ne s’avisent point de se tuer par dégoût de la vie ; c’est
un raffinement de gens d’esprit. »

326. — « La vie n’est que de l’ennui ou de la crème fouettée. »

327. — « Le génie français est perdu ; il veut devenir anglais, hollandais et


allemand. Nous sommes des singes qui avons renoncé à nos jolies
gambades, pour imiter mal les bœufs et les ours. »
Extrait d’une lettre à Madame du Boccage

328. — « Les hommes sont comme les animaux : les gros mangent les petits et
les petits les piquent. »

329. — « L’homme est né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude ou


dans la léthargie de l’ennui. »
330. — « Le moyen d’ennuyer est de vouloir tout dire. »

331. — « Ceux qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas
gais. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

332. — « De toutes les républiques, celle des lettres est, sans contredit, la plus
ridicule. »
Extrait de Lettre au censeur marin

333. — « Je ne connais de sérieux ici-bas que la culture de la vigne. »

334. — « L’étonnement est suivi du silence. »


Extrait de La pucelle d’Orléans

335. — « On a en vieillissant, un grand plaisir qui n’est pas à négliger, c’est de


compter les impertinents et les impertinentes qu’on a vus mourir, et la
foule de ridicules qui ont passé devant les yeux. »
Extrait d’une lettre à Madame du Deffand

336. — « Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu,
à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne
savent rien. »

337. — « Lorsqu’une question soulève des opinions violemment


contradictoires, on peut assurer qu’elle appartient au domaine de la
croyance et non à celui de la connaissance. »

338. — « On ne sait pas précisément où les anges se tiennent, si c’est dans


l’air, dans le vide, dans les planètes : Dieu n’a pas voulu que nous
fussions instruits. »
Extrait de Dictionnaire Philosophique

339. — « Je meurs en adorant dieu, en aimant mes amis, en ne détestant pas


mes ennemis, en haïssant la superstition. »

340. — « Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir, La vie est un
opprobre et la mort un devoir. »
Extrait de Mérope

341. — « Nous naissons, nous vivons, bergère, Nous mourons sans savoir
comment ; Chacun est parti du néant : Où va-t-il ? Dieu le sait, ma
chère. »

342. — « Il faut savoir s’instruire dans la gaieté. Le savoir triste est un savoir
mort. L’intelligence est joie. »

343. — « Il faut être prudent, mais non pas timide. »

344. — « Tes destins sont d’un homme, et tes vœux sont d’un Dieu. »
Extrait du Discours en vers sur l’homme

345. — « Les justes éloges ont un parfum que l’on réserve pour embaumer les
morts. »

346. — « Un lion mort ne vaut pas un moucheron qui respire. »

347. — « Une preuve infaillible de la supériorité d’une nation dans les arts de
l’esprit, c’est la culture perfectionnée de la poésie. »
Extrait d’Essai sur l’histoire générale

348. — « Quatre beaux vers valent mieux dans une pièce qu’un régiment de
cavalerie. »
Extrait de Sémiramis

349. — « L’écriture est la peinture de la voix. »

350. — « Jamais la nature n’est si avilie, que quand l’ignorance superstitieuse


est armée du pouvoir. »

351. — « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les
autres ? »

352. — « Nos prêtres ne sont point ce qu’un vain peuple pense, Notre crédulité
fait toute leur science. »
Extrait d’Œdipe

353. — « Le premier des devoirs, sans doute, est d’être juste ; Et le premier
des s est la paix de nos cœurs. »
Extrait du Poème sur la loi naturelle

354. — « Ce n’est pas que le suicide soit toujours de la folie. Mais en général,
ce n’est pas dans un accès de raison que l’on se tue. »
Extrait d’une Lettre à M. Mariott – 26 Février 1767

355. — « Si l’on n’est pas sensible, on n’est jamais sublime. »


Extrait d’une Lettre à M. de la Harpe – 11 Août 1766

356. — « Ce qu’on peut expliquer de plusieurs manières ne mérite d’être


expliqué d’aucune. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

357. — « La plupart des grands capitaines sont devenus tels par degrés. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

358. — « Nos cinq sens imparfaits, donnés par la nature, De nos s, de nos
maux sont la seuls mesure. »
Extrait de Discours en vers sur l’homme

359. — « Les titres ne servent de rien pour la postérité : le nom d’un homme
qui a fait de grandes choses impose plus de respect que toutes les
épithètes. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

360. — « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit. Quand la
populace se mêle de raisonner, tout est perdu. »
Extrait d’une lettre à Damilaville – 1766

361. — « Nos idées ne dépendent pas plus de nous dans le sommeil que dans
la veille. »
Extrait des Contes en vers et en prose – II

362. — « Une passion naissante et combattue éclate ; un amour satisfait sait se


cacher. »
Extrait de La jalousie

363. — « Quand la vérité est évidente, il est impossible qu’il s’élève des partis
et des factions. Jamais on n’a disputé s’il fait jour à midi. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

364. — « Il faut toujours que ce qui est grand soit attaqué par les petits
esprits. »
Extrait du Siècle de Louis XIV

365. — « Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du
doute et de l’erreur. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

366. — « Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du
doute et de l’erreur. »

367. — « Qui n’aime point les vers a l’esprit sec et lourd. »


Extrait des Epîtres

368. — « On est gai le matin, on est pendu le soir. »


Extrait de Charlot

369. — « Notre tempérament fait toutes les qualités de notre âme. »


Extrait du Siècle de Louis XIV

370. — « Que chacun aille à Dieu par le chemin qui lui plaît ! »
371. — « Quand une fois la calomnie est entrée dans l’esprit d’un roi, elle est
comme la goutte chez un prélat : elle n’en déloge plus. »
Extrait de lettre. Lettre du 1er Octobre 1752

372. — « Si nous ne trouvons pas des choses agréables, nous trouverons du


moins des choses nouvelles. »
Extrait de Candide ou l’optimisme

373. — « Il faut, en mourant, laisser des marques d’amitié à ses amis, le


repentir à ses ennemis, et sa réputation entres les mains du public. »
Extrait d’une Lettre à Monsieur Kœnig – Juin 1753

374. — « La plaisanterie expliquée cesse d’être plaisante. »

375. — « Pour faire un bon livre, il faut un temps prodigieux et la patience


d’un saint. »
Extrait d’une Lettre à Madame du Deffant – 1er Novembre 1773

376. — « C’est le sort d’un héros d’être persécuté. »


Extrait de Tancrède

377. — « Sans variété, point de beauté. »


Extrait d’une Lettre à Thiriot – 6 Décembre 1738

378. — « La bouche obéit mal lorsque le cœur murmure. »


Extrait de Tancrède

379. — « Le génie de notre langue est la clarté. »


Extrait de France-français

380. — « On meurt en détail. »


Extrait d’une Lettre à Madame de Champbonin – 17 Novembre 1764

381. — « La patrie est aux lieux où l’âme est enchaînée. »


Extrait du Fanatisme

382. — « Les grands plaisirs, dans tous les arts, ne sont que pour les
connaisseurs. »
Extrait de lettre. Lettre à Monsieur de Saint-Lambert – 7 Mars 1769

383. — « Que la santé immortelle descende du ciel pour avoir soin de tous vos
jours ! »
Extrait de Zadig ou la destinée

384. — « L’étude a cela de bon qu’elle nous délivre du fardeau de notre


oisiveté, et qu’elle nous empêche de courir hors de chez nous, pour aller
dire et écouter des riens, d’un bout de la ville à l’autre. »
Extrait d’une Lettre à Madame du Deffand – 19 Février 1766

385. — « Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur. »
Extrait de Stances

386. — « Les bonnes nouvelles sont toujours retardées, et les mauvaises ont
des ailes. »
Extrait d’une Lettre à Madame Denis – 16 Mars 1752
387. — « Qu’il est dur de haïr ceux qu’on voudrait aimer. »
Extrait de Mahomet

388. — « Un seul mauvais exemple, une fois donné, est capable de corrompre
toute une nation, et l’habitude devient une tyrannie. »
Extrait de Dictionnaire philosophique

389. — « Femme sage est plus que femme belle. »

390. — « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères. »

391. — « Tous les malheurs de nos pères Ne nous ont point détrompés ; Nous
éprouvons les misères Dont nos fils seront frappés. »
Extrait de Précis de l’Ecclésiaste

392. — « Rien n’empêche qu’on soit un bon juge, un brave guerrier, un


homme d’Etat habile, quand on a eu un père bon calculateur. »
Extrait du Monde comme il va

393. — « Il n’y a point de mal dont il ne naisse un. »


Extrait de Zadig ou la destinée

394. — « Courtes lettres et longues amitiés, tel est ma devise. »

395. — « Tout est physique dans toutes les espèces : ce n’est pas le bœuf qui
combat, c’est le taureau. »
Extrait d’Essai sur les mœurs
396. — « Dans ce pays-ci il est bon de tuer de temps en temps un amiral pour
encourager les autres. »
Extrait de Candide, XXII

397. — « Telle est donc la condition humaine que souhaiter la grandeur de son
pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. »
Extrait du Dictionnaire philosophique portatif

398. — « Une bonne année répare le dommage des deux mauvaises. »


Extrait du Dictionnaire philosophique (1764)

399. — « Je suis persuadé que si un paon pouvait parler, il se vanterait d’avoir


une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue. »
Extrait de Zadig ou la Destinée

400. — « Je suis persuadé que si un paon pouvait parler, il se vanterait d’avoir


une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue. »
Extrait de Zadig ou de l’Optimisme
BIOGRAPHIE

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris,


ville où il est mort le 30 mai 1778 (à 83 ans), est un écrivain et philosophe
français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière
dans la mémoire collective française et internationale.
Figure emblématique de la philosophie des Lumières, chef de file du
parti philosophique, son nom reste attaché à son combat contre le fanatisme
religieux, qu’il nomme « l’Infâme », pour la tolérance et la liberté de pensée.
Déiste en dehors des religions constituées, son objectif politique est celui
d’une monarchie modérée et libérale, éclairée par les « philosophes ».
Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, il prend, sur le tard,
seul et en se servant de son immense notoriété, la défense de victimes de
l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qu’il a rendues
célèbres : Jean Calas, Pierre-Paul Sirven, chevalier de La Barre, comte de
Lally.

Son œuvre littéraire est variée : son théâtre, ses poésies épiques, ses
œuvres historiques, firent de lui l’un des écrivains français les plus célèbres
au XVIIIe siècle mais elle comprend également des contes et romans, les
Lettres philosophiques, le Dictionnaire philosophique et une importante
correspondance, plus de 21 000 lettres retrouvées.
Tout au long de sa vie, Voltaire fréquente les Grands et courtise les
monarques, sans dissimuler son dédain pour le peuple, mais il est aussi en
butte aux interventions du pouvoir, qui l’embastille et le contraint à l’exil en
Angleterre ou à l’écart de Paris. En 1749, après la mort d’Émilie du Châtelet,
avec laquelle il a entretenu une liaison houleuse pendant quinze ans, il part
pour la cour de Prusse, mais, déçu dans ses espoirs de jouer un grand rôle
auprès de Frédéric II à Berlin, se brouille avec lui après trois ans et quitte
Berlin en 1753. Il se réfugie un peu plus tard aux Délices, près de Genève,
avant d’acquérir en 1759 un domaine à Ferney, sur la frontière franco-
genevoise, à l’abri des puissants. Il ne reviendra à Paris qu’en 1778,
ovationné par le peuple après une absence de près de vingt-huit ans. Il y
meurt à 83 ans.

Voltaire aime le confort, les plaisirs de la table et de la conversation,


qu’il considère, avec le théâtre, comme l’une des formes les plus abouties de
la vie en société. Soucieux de son aisance matérielle, qui garantit sa liberté et
son indépendance, il acquiert une fortune considérable dans des opérations
spéculatives qui préfigurent les grandes spéculations boursières sous Louis
XVI et dans la vente de ses ouvrages, ce qui lui permet de s’installer en 1759
au château de Ferney et d'y vivre sur un grand pied, tenant table et porte
ouvertes. Le pèlerinage à Ferney fait partie en 1770-1775 du périple de
formation de l’élite européenne éclairée. Investissant ses capitaux, il fait du
village misérable de Ferney une petite ville prospère. Généreux, d'humeur
gaie, il est néanmoins chicanier et parfois féroce et mesquin avec ses
adversaires comme Jean-Jacques Rousseau ou Crébillon.

Considéré par la Révolution française — avec Jean-Jacques Rousseau,


son frère ennemi — comme un précurseur, il entre au Panthéon en 1791, le
deuxième après Mirabeau. A cette même période, la voie dans laquelle il
habitait à Paris au moment de sa mort sera baptisé "Quai Voltaire". Célébré
par la IIIe République (dès 1870, à Paris, un boulevard et une place portent
son nom), il a nourri, au XIXe siècle, les passions antagonistes des
adversaires et des défenseurs de la laïcité de l’État et de l’école publique, et,
au-delà, de l’esprit des Lumières.
LES DÉBUTS

(1694-1733)

Origines : naissance et paternité incertaines

François-Marie Arouet est né officiellement le 21 novembre 1694 à


Paris et a été baptisé le lendemain à l'église de Saint-André-des-Arcs. Mais
Voltaire a plusieurs fois affirmé qu'il était né en réalité le 20 février 1694 à
Châtenay-Malabry. Il a contesté aussi sa paternité, persuadé que son vrai père
était un certain Rochebrune : « Je crois aussi certain que d’Alembert est le fils
de Fontenelle, comme il est sûr que je le suis de Roquebrune ». Voltaire
prétendit que l’honneur de sa mère consistait à avoir préféré un homme
d’esprit comme était Roquebrune, « mousquetaire, officier, auteur et homme
d'esprit », à son père, le notaire Arouet dont Roquebrune était le client, car
Arouet était, selon Voltaire, un homme très commun. Le baptême à Paris
aurait été retardé du fait de la naissance illégitime et du peu d’espoir de survie
de l’enfant. Aucune certitude n’existe sinon que l’idée d’une naissance
illégitime et d’un lien de sang avec la noblesse d’épée ne déplaisait pas à
Voltaire.
Du côté paternel (officiellement), les Arouet sont originaires d’un petit
village du nord du Poitou, Saint-Loup, près d'Airvault, où ils exercent au
XVe siècle et XVIe siècle une activité de tanneurs, les Arouet sont un
exemple de l’ascension sociale de la bourgeoisie au XVIIe siècle. Le premier
Arouet à quitter sa province s’installe à Paris en 1625 où il ouvre une
boutique de marchand de draps et de soie. Il épouse la fille d’un riche
marchand drapier et s’enrichit suffisamment pour acheter pour son fils,
François, le père de Voltaire, une charge de notaire au Châtelet en 1675,
assurant à son titulaire l’accès à la petite noblesse de robe. Ce dernier,
travailleur austère et probe aux relations importantes, arrondit encore la
fortune familiale, épouse le 7 juin 1683 la fille d’un greffier criminel au
Parlement. Arouet père veut donner à son cadet une formation intellectuelle
qui soit à la hauteur des dons que celui-ci manifeste.
Avec Marguerite d’Aumard, Arouet père élève cinq enfants (dont trois
atteignent l'âge adulte), et revend son étude en 1696 pour acquérir une charge
de conseiller du roi, receveur des épices à la Chambre des Comptes. Voltaire
perd sa mère à l’âge de sept ans. Il a notamment eu un frère aîné, Armand,
avocat au Parlement, catholique rigoriste (janséniste), et une sœur, Marie,
seule personne de sa famille qui lui ait inspiré de l’affection. Épouse de Pierre
François Mignot, correcteur à la Chambre des Comptes, elle sera la mère de
l’abbé Mignot, qui jouera un rôle à la mort de Voltaire, et de Marie Louise
Mignot, la future « Madame Denis », qui partagera une partie de sa vie.
ÉTUDES

(1704-1711)

À la différence de son frère aîné chez les jansénistes, François-Marie


entre à dix ans comme interne (400 puis 500 livres par an) au collège Louis-
le-Grand chez les Jésuites. Le plus cher de la capitale, ce serait aussi
l’établissement le mieux fréquenté et François-Marie y reste durant sept ans.
Les jésuites enseignent le latin et la rhétorique, mais veulent avant tout
former des hommes du monde et initient leurs élèves aux arts de société :
joutes oratoires, plaidoyers, concours de versification, et théâtre. Un
spectacle, le plus souvent en latin et d'où sont par principe exclues les scènes
d'amour, et où les rôles de femmes sont joués par des hommes, est donné
chaque fin d'année lors la distribution des prix.
Arouet est un élève brillant, vite célèbre par sa facilité à versifier : sa
toute première publication est son Ode à sainte Geneviève. Imprimée par les
Pères, cette ode est répandue hors les murs de Louis-le-Grand (au grand dam
ultérieurement de Voltaire adulte). Il apprend au collège Louis-le-Grand à
s'adresser d’égal à égal aux fils de puissants personnages, le tout jeune Arouet
tisse de précieux liens d’amitié, très utiles toute sa vie : entre bien d'autres,
les frères d’Argenson, René-Louis et Marc-Pierre, futurs ministres de Louis
XV et le futur duc de Richelieu. Bien que très critique en ce qui concerne la
religion en général et les ecclésiastiques en particulier, il garde toute sa vie
une grande vénération pour son professeur jésuite Charles Porée. Voltaire
écrit en 1746 : « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée,
qui est également cher à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne
rendit l’étude et la vertu plus aimables. Les heures de ses leçons étaient pour
nous des heures délicieuses ; et j’aurais voulu qu’il eût été établi dans Paris,
comme dans Athènes, qu’on pût assister à de telles leçons ; je serais revenu
souvent les entendre. »
Débuts comme homme de lettres et premières provocations (1711-1718)
Le Temple, détail du plan de Turgot, 1739. Le palais du grand prieur (à
droite de la porte d’entrée) réunit une société libertine que fréquente
assidument Arouet à la sortie du collège.

Arouet quitte le collège en 1711 à dix-sept ans et annonce à son père


qu’il veut être homme de lettres, et non avocat ou titulaire d’une charge de
conseiller au Parlement, investissement pourtant considérable que ce dernier
est prêt à faire pour lui. Devant l’opposition paternelle, il s’inscrit à l’école de
droit et fréquente la société du Temple, qui réunit dans l’hôtel de Philippe de
Vendôme, des membres de la haute noblesse et des poètes (dont Chaulieu),
épicuriens lettrés connus pour leur esprit, leur libertinage et leur scepticisme.
L’abbé de Châteauneuf, son parrain, qui y avait ses habitudes, l’avait
présenté dès 1708. En leur compagnie, il se persuade qu’il est né grand
seigneur libertin et n’a rien à voir avec les Arouet et les gens du commun.
C'est aussi pour lui une école de poésie ; il va ainsi y apprendre à faire des
vers « légers, rapides, piquants, nourris de référence antiques, libres de ton
jusqu’à la grivoiserie, plaisantant sans retenue sur la religion et la monarchie
».
Son père l’éloigne un moment de ce milieu en l’envoyant à Caen, puis
en le confiant au frère de son parrain, le marquis de Châteauneuf, qui vient
d’être nommé ambassadeur à La Haye et accepte d’en faire son secrétaire
privé. Mais son éloignement ne dure pas. À Noël 1713, il est de retour,
chassé de son poste et des Pays-Bas pour cause de relations tapageuses avec
une demoiselle. Furieux, son père veut l’envoyer en Amérique mais finit par
le placer dans l’étude d’un magistrat parisien. Il est sauvé par un ancien client
d’Arouet, lettré et fort riche, M. de Caumartin, marquis de Saint-Ange, qui le
convainc de lui confier son fils pour tester le talent poétique du jeune rebelle.
Arouet fils passe ainsi des vacances au château de Saint-Ange près de
Fontainebleau à lire, à écrire et à écouter les récits de son hôte qui lui
serviront pour La Henriade et Le Siècle de Louis XIV.
Le château de Sceaux. La duchesse du Maine y tient une cour royale et
exige de ses hôtes des vers sur tout et sur rien. À ces jeux, Arouet est de toute
première force.
En 1715, alors que débute la Régence, Arouet a 21 ans. Il est si brillant
et si amusant que la haute société se dispute sa présence. Il aurait pu devenir
l’ami du Régent mais se retrouve dans le camp de ses ennemis. Invité au
château de Sceaux, centre d’opposition le plus actif au nouveau pouvoir, où
la duchesse du Maine, mariée au duc du Maine, bâtard légitimé de Louis
XIV, tient une cour brillante, il ne peut s’empêcher de faire des vers injurieux
sur les relations amoureuses du Régent et de sa fille, la duchesse de Berry,
qui vient d'accoucher clandestinement.
Le 4 mai 1716, il est exilé à Tulle. Son père use de son influence auprès
de ses anciens clients pour fléchir le Régent qui remplace Tulle par Sully-sur-
Loire, où Arouet fils s’installe dans le château du jeune duc de Sully, une
connaissance du Temple, qui vit avec son entourage dans une succession de
bals, de festins et de spectacles divers. À l’approche de l’hiver, il sollicite la
grâce du Régent qui la lui accorde. Le jeune Arouet alors recommence sa vie
turbulente à Saint-Ange et à Sceaux, profitant de l’hospitalité des nantis et du
confort de leurs châteaux. Mais, pris par l’ambiance, quelques semaines plus
tard, il récidive. S'étant lié d'amitié avec un certain Beauregard, en réalité un
indicateur de la police chargé de le faire parler, il lui confie être l'auteur de
nouveaux ouvrages de vers satiriques contre le Régent et sa fille5. Le 16 mai
1717, il est envoyé à la Bastille par lettre de cachet. Arouet a alors 23 ans et il
restera embastillé durant onze mois.
PREMIERS SUCCÈS LITTÉRAIRES

Retour à la Bastille (1718-1726)

Voltaire devient célèbre à 24 ans grâce au succès de sa tragédie Œdipe


(1718).

« Il fit croire, des Enfers, Racine revenu » écrit le prince de Conti.


À sa première sortie de la prison de la Bastille, conscient d’avoir jusque-
là gaspillé son temps et son talent, il veut donner un nouveau cours à sa vie,
et devenir célèbre dans les genres les plus nobles de la littérature de son
époque : la tragédie et la poésie épique.
Pour rompre avec son passé, et notamment avec sa famille, afin d'effacer
un patronyme aux consonances vulgaires et équivoques, il se crée un nom
euphonique : Voltaire. On ne sait pas à partir de quels éléments il a élaboré ce
pseudonyme. De nombreuses hypothèses ont été avancées, toutes
vraisemblables mais jamais prouvées : inversion des syllabes de la petite ville
d'Airvault (proche du village dont est originaire la famille Arouet),
anagramme d’Arouet (le jeune) ou encore référence à un personnage de
théâtre nommé Voltare [Lequel ?].

Le 18 novembre 1718, sa première pièce écrite sous le pseudonyme de


Voltaire, Œdipe, obtient un immense succès. Le public, qui voit en lui un
nouveau Racine, aime ses vers en forme de maximes et ses allusions
impertinentes au roi défunt et à la religion. Ses talents de poète mondain
triomphent dans les salons et les châteaux. Il devient l’intime des Villars, qui
le reçoivent dans leur château de Vaux, et l’amant de Madame de Bernières,
épouse du président à mortier du parlement de Rouen.
Après l’échec d’une deuxième tragédie, il connaît un nouveau succès en
1723 avec La Henriade, poème épique de 4 300 alexandrins se référant aux
modèles classiques (Iliade d'Homère, Énéide de Virgile) dont le sujet est le
siège de Paris par Henri IV et qui trace le portrait d’un souverain idéal,
ennemi de tous les fanatismes : vendu à 4 000 exemplaires en quelques
semaines, ce poème connaîtra soixante éditions successives du vivant de son
auteur. Pour ses contemporains admiratifs, Voltaire va être longtemps l'auteur
de La Henriade, le « Virgile français », le premier à avoir écrit une épopée
nationale, mais celle-ci n'est pas passée à la postérité et a été repoussée dans
l'oubli par le romantisme au XIXe siècle.
En janvier 1726, il subit une humiliation qui va le marquer toute sa vie.
Le chevalier de Guy-Auguste de Rohan-Chabot, jeune gentilhomme arrogant,
appartenant à l'une des plus illustres familles du royaume, l’apostrophe à la
Comédie-Française : « Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment
vous appelez-vous ? » Voltaire réplique alors : « Voltaire ! Je commence mon
nom et vous finissez le vôtre ». Quelques jours plus tard, on le fait appeler
alors qu’il dîne chez son ami le duc de Sully. Dans la rue, il est frappé à
coups de gourdin par les laquais du chevalier, qui surveille l’opération de son
carrosse. Blessé et humilié, Voltaire veut obtenir réparation, mais aucun de
ses amis aristocrates ne prend son parti. Le duc de Sully refuse ainsi de
l’accompagner chez le commissaire de police pour appuyer sa plainte. Il n’est
pas question d’inquiéter un Rohan pour avoir fait rouer de coups un écrivain :
« Nous serions bien malheureux si les poètes n’avaient pas d’épaules », dit un
parent de Caumartin. Le prince de Conti écrit sur l'incident que les coups de
bâtons « ont été bien reçus mais mal donnés ». Voltaire veut venger son
honneur par les armes, mais son ardeur à vouloir se faire justice lui-même
indispose tout le monde. Les Rohan obtiennent que l’on procède à
l’arrestation de Voltaire, qui est conduit à la Bastille le 17 avril. Il n’est
libéré, deux semaines plus tard, qu’à la condition qu’il s’exile.
EN ANGLETERRE, « TERRE DE LIBERTÉ »

(1726-1728)

Écrites en partie en Angleterre, les Lettres philosophiques sont « la


première bombe lancée contre l’Ancien Régime » (Gustave Lanson). Elles
vont faire à Paris en 1734 un énorme scandale et condamner leur auteur à
l’exil.

Voltaire a 32 ans. Cette expérience va le marquer d’une empreinte


indélébile. Il est profondément impressionné par l'esprit de liberté de la
société anglaise (ce qui ne l'empêche pas d'apercevoir les ombres du tableau,
surtout vers la fin de son séjour). Alors qu’en France règnent les lettres de
cachet, la loi d’Habeas corpus de 1679 (nul ne peut demeurer détenu sinon
par décision d’un juge) et la Déclaration des droits de 1689 protègent les
citoyens anglais contre le pouvoir du roi. L'Angleterre, cette « nation de
philosophes », rend justice aux vraies grandeurs qui sont celles de l'esprit.
Présent en 1727 aux obsèques solennelles de Newton à Westminster Abbey,
il fait la comparaison : à supposer que Descartes soit mort à Paris, on ne lui
aurait certainement pas accordé d'être enseveli à Saint-Denis, auprès des
sépultures royales. La réussite matérielle du peuple d’Angleterre suscite aussi
son admiration. Il fait le lien avec le retard de la France dans le domaine
économique et l’archaïsme de ses institutions. Il estime que, là où croît
l’intensité des échanges marchands et intellectuels, grandit en proportion
l’aspiration des peuples à plus de liberté et de tolérance.
Il ne lui faut que peu de temps pour acquérir une excellente maitrise de
l’anglais. En novembre 1726, il s’installe à Londres. Il rencontre des
écrivains, des philosophes, des savants (physiciens, mathématiciens,
naturalistes) et s’initie à des domaines de connaissance qu’il ignorait
jusqu’ici. Son séjour en Angleterre lui donne l'occasion de découvrir Newton
dont il n'aura de cesse de faire connaître l'œuvre. Ainsi s’esquisse la mutation
de l’homme de lettres en « philosophe », qui le conduit à s’investir dans des
genres jusqu’alors considérés comme peu prestigieux : l’histoire, l’essai
politique et plus tard le roman. C’est en Angleterre qu’il commence à rédiger
en anglais l’ouvrage où il expose ses observations sur l’Angleterre, qu’il fera
paraître en 1733 à Londres sous le titre Letters Concerning the English
Nation et dont la version française n’est autre que les Lettres philosophiques.
Il se rapproche de la cour de Georges Ier puis de Georges II et prépare
une édition de la Henriade en souscription accompagnée de deux essais en
anglais qui remporte un grand succès (343 souscripteurs) et renfloue ses
finances. Une souscription analogue ouverte en France par son ami Thériot
n’en rassemble que 80 et fera l’objet de nombreuses saisies de la police.
RETOUR D'ANGLETERRE

Loterie et mise sur orbite (1728-1733)

À l’automne 1728, il est autorisé à rentrer en France pourvu qu’il se


tienne éloigné de la capitale. L’affaire Rohan remonte à plus de trois ans.
Voltaire procède précautionneusement, séjournant plusieurs mois à Dieppe
où il se fait passer pour un anglais. Il obtient en avril l’autorisation de venir à
Paris, mais Versailles lui reste interdit.

Voltaire veut être riche pour être un écrivain indépendant. À son retour
d’Angleterre, il n’a que quelques économies qu’il s’emploie activement à
faire fructifier. Il gagne un capital important (avec d’autres et sur une idée du
mathématicien La Condamine) en participant à une loterie d’État mal conçue.
Puis, il part à Nancy spéculer sur des actions émises par le nouveau duc de
Lorraine, opération dans laquelle il aurait « triplé son or ». Il reçoit aussi en
mars 1730 sa part de l’héritage paternel. Ces fonds vont être judicieusement
placés dans le commerce, « les affaires de Barbarie », vente des blés
d’Afrique du Nord vers l’Espagne et l’Italie où elle est plus lucrative qu’à
Marseille et les « transactions de Cadix », échange de produits des colonies
françaises contre l’or et l’argent du Pérou et du Mexique. En 1734, il confie
ses capitaux aux frères Pâris dans leur entreprise de fournitures aux armées.
Enfin, à partir de 1736, Voltaire va surtout prêter de l’argent à des grands
personnages et des princes européens, prêts transformés en rentes viagères
selon une pratique courante de l'époque (à lui d'actionner ses débiteurs,
désinvoltes mais ayant du répondant, pour obtenir le paiement de ses rentes).
« J’ai vu tant de gens de lettres pauvres et méprisés que j’ai conclu dès
longtemps que je ne devais pas en augmenter le nombre. » Programme réalisé
à son retour d’Angleterre.
En 1730, un incident, dont il se souviendra à l’heure de sa mort, le
bouleverse et le scandalise. Il est auprès d’Adrienne Lecouvreur, une actrice
qui a joué dans ses pièces et avec laquelle il a eu une liaison, lorsqu’elle
meurt. Le prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice refuse la sépulture (la France
est alors le seul pays catholique où les comédiens sont frappés
d’excommunication). Le cadavre doit être placé dans un fiacre jusqu’à un
terrain vague à la limite de la ville où elle est enterrée sans aucun monument
pour marquer sa tombe. Quelques mois plus tard meurt à Londres une
comédienne, Mrs Oldfield, enterrée à Westminster Abbey. Là encore,
Voltaire fait la comparaison.
Voltaire fait sa rentrée littéraire à Paris par le théâtre (mais il travaille
selon son habitude à plusieurs œuvres à la fois). Sans beaucoup de succès
avec Brutus, La mort de César et Eriphyle. Mais Zaïre en 1732 remporte un
triomphe comparable à celui d’Œdipe et est joué dans toute l’Europe (la 488e
représentation a eu lieu en 1936).

La mise sur orbite avec les Lettres philosophiques ou Lettres anglaises,


publiées en 1734 apparaît le premier grand travail des Lumières.
Vingt-cinq lettres abordent des sujets assez variés : la religion, les
sciences, les arts, la politique ou la philosophie (de Pascal notamment).
L'ouvrage est destiné à un peuple plus ou moins cultivé, capable de lire
mais nécessitant une éducation certaine.

Ce sont des lettres ouvertes, destinées à être lues par un plus grand
nombre grâce à leur parution sous forme d’un livre.

Le quadra (1733-1749) : ma femme Émilie


Émilie du Châtelet (1706-1749) à sa table de travail tenant un compas
sur un cahier ouvert (portrait de Quentin de La Tour)

Voltaire à 41 ans.
« Il est maigre, d’un tempérament sec. Il a la bile brulée, le visage
décharné, l’air spirituel et caustique, les yeux étincelants et malins. Vif
jusqu’à l’étourderie, c’est un ardent qui va et vient, qui vous éblouit et qui
pétille. »
Depuis des mois, sa santé délabrée fait que Voltaire vit sans maîtresse.
En 1733, il devient l’amant de Mme du Châtelet. Émilie du Châtelet a 27 ans,
12 de moins que Voltaire. Fille de son ancien protecteur, le baron de Breteuil,
elle décide pendant seize ans de l’orientation de sa vie, dans une situation
quasi conjugale (son mari, un militaire appelé à parcourir l’Europe à la tête de
son régiment, n’exige pas d’elle la fidélité, à condition que les apparences
soient sauves, une règle que Voltaire « ami de la famille » sait respecter). Ils
ont un enthousiasme commun pour l’étude et sous l’influence de son amie,
Voltaire va se passionner pour les sciences. Il « apprend d’elle à penser » dit-
il. Elle joue un rôle essentiel dans la métamorphose de l’homme de lettres en
« philosophe ». Elle lui apprend la diplomatie, freine son ardeur désordonnée.
Ils vont connaître dix années de bonheur et de vie commune. La passion se
refroidit ensuite. Les infidélités sont réciproques (la nièce de Voltaire, Mme
Denis, devient sa maitresse fin 1745, secret bien gardé de son vivant ; Mme
du Châtelet s’éprend passionnément de Saint-Lambert en 1748), mais ils ne
se sépareront pas pour autant, l’entente entre les deux esprits demeurant la
plus forte. À sa mort, en 1749, elle ne sera jamais remplacée. Mme Denis,
que Voltaire aimera tendrement, va régner sur son ménage (ce dont ne se
souciait pas Mme du Châtelet), mais elle ne sera jamais la confidente et la
conseillère de ses travaux.
Émilie est une véritable femme de sciences. L’étendue de ses
connaissances en mathématiques et en physique en fait une exception dans le
siècle. C’est aussi une femme du monde qui mène une vie mondaine assez
frénétique en dehors de ses études. Elle aime l’amour (elle a déjà eu plusieurs
amants, dont le duc de Richelieu ; elle devient en 1734 la maîtresse de son
professeur de mathématiques, Maupertuis, que lui a présenté Voltaire) et le
jeu, où elle perd beaucoup d’argent. Elle cherche un homme à sa mesure pour
asseoir sa réussite intellectuelle : Voltaire est un écrivain de tout premier
plan, de réputation européenne, avide de réussite lui aussi.

1734 est l’année de la publication clandestine des Lettres


philosophiques, le « manifeste des Lumières », grand reportage intellectuel et
polémique sur la modernité anglaise, publié dans toute l’Europe à 20 000
exemplaires, selon l’estimation de René Pomeau, chiffre particulièrement
élevé à l’époque. L’éloge de la liberté et de la tolérance anglaise est perçu à
Paris comme une attaque contre le gouvernement et la religion. Le livre est
condamné par le Parlement à majorité janséniste et brulé au bas du grand
escalier du Palais. Une lettre de cachet est lancée contre Voltaire qui s’enfuit
à Cirey, le château champenois que possèdent les Châtelet. Un an plus tard,
après une lettre de désaveu où il « proteste de sa soumission entière à la
religion de ses pères », il sera autorisé à revenir à Paris si nécessaire, mais la
lettre de cachet ne sera pas révoquée.
Pendant les dix années suivantes passées pour l’essentiel à Cirey,
Voltaire va jouer un double jeu : rassurer ses adversaires pour éviter la
Bastille, tout en continuant son œuvre philosophique pour gagner les
hésitants. Tous les moyens sont bons : publications clandestines désavouées,
manuscrits dont on fait savoir qu’il s’agit de fantaisies privées non destinées
à la publication et qu’on lit aux amis et visiteurs qui en répandent les
passages les plus féroces (exemple La Pucelle qui ridiculise Jeanne d’Arc).
Son engagement est inséparable d’un combat antireligieux. L’intolérance
religieuse, qu’il rend responsable de retard en matière de civilisation, est pour
lui l’un des archaïsmes dont il voudrait purger la France.

Voltaire restaure Cirey grâce à son argent. Les journées sont studieuses :
discussions, lectures et travaux en communs, travaux personnels, portant sur
la science et la religion. Voltaire fait des expériences scientifiques dans le
laboratoire d’Émilie pour le concours de l’Académie des sciences. Aidé par
Émilie du Châtelet, il est l'un des premiers à vulgariser en France les idées de
Newton sur la gravitation universelle en publiant l'Épitre sur Newton (1736)
et les Éléments de la philosophie de Newton (1738). Il commence La Pucelle
(pour s’amuser dit-il) et Le Siècle de Louis XIV (pour convaincre son amie
qui n’aime pas l’histoire), prépare L’Essai sur les mœurs, histoire générale de
l’Occident chrétien où il dénombre les horreurs engendrées par le fanatisme.
Toujours du théâtre avec Alzire (qui fait « perdre la respiration » au jeune
Rousseau) et Mérope qui est un grand succès. Un poème, où il fait l’apologie
du luxe (« Le superflu, chose très nécessaire »), Le Mondain, et évoque la vie
d’Adam, scandalise à Paris les milieux jansénistes. Prévenu, il s’enfuit en
Hollande par crainte des représailles. En 1742, sa pièce Mahomet est
applaudie à Paris. Mais les mêmes milieux accusent Voltaire de taxer
d’imposture, à travers l’Islam, le Christianisme lui-même. Ils obtiennent du
pouvoir royal plutôt réticent l’interdiction de fait de la pièce, que Voltaire,
toujours sous le coup de la lettre de cachet de 1734, doit retirer après la 3e
représentation. Elle ne sera reprise qu’en 1751. Voltaire apparaît de plus en
plus comme un adversaire de la religion.
En 1736, Voltaire reçoit la première lettre du futur roi de Prusse.
Commence alors une correspondance qui durera jusqu’à la mort de Voltaire
(interrompue en 1754, après l’avanie de Francfort, elle reprendra en 1757). «
Continuez, Monsieur, à éclairer le monde. Le flambeau de la vérité ne
pouvait être confié à de meilleures mains », lui écrit Frédéric qui veut
l’attacher à sa cour par tous les moyens. Voltaire lui rend plusieurs fois visite,
mais refuse de s’installer à Berlin du vivant de Mme du Châtelet qui se méfie
du roi-philosophe.
Pour cette raison peut-être, Madame du Châtelet pousse Voltaire à
chercher un retour en grâce auprès de Louis XV. De son côté, Voltaire ne
conçoit d’avenir pour ses idées sans l’accord du roi. En 1744, il est aidé par la
conjoncture : le nouveau ministre des Affaires étrangères est d’Argenson, son
ancien condisciple de Louis-le-Grand et surtout il a le soutien de la nouvelle
favorite Mme de Pompadour, qui l’admire. Son amitié avec le roi de Prusse
est un atout. Il se rêve en artisan d’une alliance entre les deux rois et accepte
une mission diplomatique, qui échoue. Grâce à ses appuis, il obtient la place
d’historiographe de France, le titre de « gentilhomme ordinaire de la chambre
du roi » et les entrées de sa chambre. Dans le cadre de ses fonctions, il
compose un poème lyrique, La Bataille de Fontenoy et un opéra, avec
Rameau, à la gloire du roi. Mais Louis XV ne l’aime pas et Voltaire ne sera
jamais un courtisan.

De même, la conquête de l’Académie française lui paraît « absolument


nécessaire ». Il veut se protéger de ses adversaires et y faire rentrer ses amis
(à sa mort, elle sera majoritairement voltairienne et aura à sa tête d'Alembert
qui lui est tout dévoué). Après deux échecs et beaucoup d’hypocrisies (un
éloge des Jésuites et le canular de la bénédiction papale), il réussit à se faire
élire le 2 mai 1746.
La même année, Zadig, un petit livre publié clandestinement à
Amsterdam est désavoué par Voltaire : « Je serais très fâché de passer pour
l’auteur de Zadig qu’on ose accuser de contenir des dogmes téméraires contre
notre sainte religion. » Outre ses aspects philosophiques, Zadig apparaît
comme un bilan autocritique qu'établit Voltaire à 50 ans, estime Pierre
Lepape. La gloire ne s'obtient qu'au prix du ridicule et de la honte du métier
de courtisan, le bonheur est saccagé par les persécutions qu'il faut subir,
l'amour est un échec, la science une manière de se cacher l'absurdité de la vie.
L'histoire de l'humanité est celle d'un cheminement de la conscience malgré
les obstacles : ignorance, superstition, intolérance, injustice, déraison. Zadig
est celui qui lutte contre cette obscurité de la conscience : « Son principal
talent était de démêler la vérité, que tous les hommes cherchent à s'obscurcir.
»
En septembre 1749, Mme du Châtelet, enceinte de Saint-Lambert,
officier de la cour du roi Stanislas et poète, meurt dans les jours qui suivent
son accouchement.

À la mort de Madame du Châtelet, avec laquelle il avait cru faire sa vie


jusqu’à la fin de ses jours malgré leurs querelles et infidélités réciproques,
Voltaire est désemparé et souffre de dépression (« la seule vraie souffrance de
ma vie », dira-t-il). Il a 56 ans. Il ne reste que six mois à Paris. L’hostilité de
Louis XV et l’échec de sa tragédie Oreste le poussent à accepter les
invitations réitérées de Frédéric II.
La maturité avérée (1749-1768)
BERLIN (1749-1753)

Bonjour et au revoir

Frédéric II en 1745.

« Je redouble d’envie de vous revoir, c’est-à-dire de parler de littérature,


et de m’instruire de choses que vous seul pouvez m’apprendre (Lettre du 20
janvier 1750 à Voltaire) »
Les soupers dans la salle de marbre du château de Sans-Souci (on
reconnaît Voltaire parmi les invités).
«Le roi avait de l’esprit et en faisait avoir », dit Voltaire.

Il part en juin 1750 pour la cour de Prusse. Le 27 juillet, il est à Berlin.


C’est l’enchantement. Magnifiquement logé dans l’appartement du maréchal
de Saxe, il travaille deux heures par jour avec le roi qu’il aide à mettre au
point ses œuvres. Le soir, des soupers délicieux avec la petite cour très
francisée de Potsdam où il retrouve Maupertuis, président de l’Académie des
sciences de Berlin, La Mettrie, d’Argens. Il a sa chambre au château de Sans-
Souci et un appartement dans la ville au palais de la Résidence. En août, il
reçoit la dignité de chambellan, avec l’ordre du Mérite.
Voltaire va passer plus de deux ans et demi en Prusse (il y termine Le
Siècle de Louis XIV et écrit Micromégas). Mais après l’euphorie des débuts,
ses relations avec Frédéric se détériorent, les brouilles se font plus fréquentes,
parfois provoquées par les imprudences de Voltaire (affaire Hirschel).
Un pamphlet de Voltaire contre Maupertuis (ce dernier avait commis, en
tant que président de l’Académie des sciences, un abus de pouvoir contre
l’ancien précepteur de Mme du Châtelet, König, académicien lui aussi)
provoque la rupture. Le pamphlet, La Diatribe du docteur Akakia, est
imprimé par Voltaire sans l’accord du roi et en utilisant une permission
accordée pour un autre ouvrage. Se sentant berné, furieux que l’on attaque
son Académie, Frédéric fait saisir les exemplaires qui sont brûlés sur la place
publique par le bourreau. Voltaire demande son congé.
Il quitte la Prusse le 26 mars 1753 avec la permission du roi. Il ne se
dirige pas tout de suite vers la France, faisant des arrêts prolongés à Leipzig,
Gotha et Kassel où il est fêté, mais à Francfort, ville libre d’empire, Frédéric
le fait arrêter le 31 mai par son résident le baron Von Freytag, pour récupérer
un livre de poésies écrit par lui et donné à Voltaire, dont il craint que ce
dernier ne fasse mauvais usage (Voltaire en fait dans son récit de l’évènement
« l’œuvre de poésie du roi mon maitre »). Pendant plus d’un mois, Voltaire,
en compagnie de Mme Denis venue le rejoindre, est humilié, séquestré,
menacé et rançonné dans une série de scènes absurdes et ubuesques. Enfin
libéré, il peut quitter Francfort le 8 juillet.
SEXAGÉNAIRE

Recherche d'un gîte à la frontière de la France (1753-1755)

Le Souper des philosophes (Huber). Voltaire lève la main pour imposer


le silence. À sa gauche Diderot, puis le père Adam26, Condorcet, d'Alembert,
l'abbé Maury et La Harpe. La scène se passe à Ferney en 1772. Elle est
fictive, mais seul Diderot ne s'est jamais rendu à Ferney.

Jusqu'à la fin de l’année, il attend à Colmar la permission de revenir à


Paris, mais le 27 janvier 1754, l'interdiction d'approcher de la capitale lui est
notifiée. Il se dirige alors, par Lyon, vers Genève. Il pense trouver un havre
de liberté dans cette république calviniste de notables et de banquiers cultivés
parmi lesquels il compte de nombreux admirateurs et partisans.
Grâce à son ami François Tronchin, Voltaire achète sous un prête-nom
(les catholiques ne peuvent pas être propriétaires à Genève) la belle maison
des Délices et en loue une autre dans le canton de Vaud pour passer la saison
d'hiver. Les Délices annoncent Ferney. Voltaire embellit la maison, y mène
grand train, reçoit beaucoup (la visite du grand homme, au cœur de la
propagande voltairienne, devient à la mode), donne en privé des pièces de
théâtre (le théâtre est toujours interdit dans la ville de Calvin). Très vite, les
pasteurs genevois lui « conseillent » de ne rien publier contre la religion tant
qu’il habite parmi eux.
TREMBLEMENT DE TERRE

Lancement d'un livre : Candide (1755-1759)

Il travaille aussi beaucoup : théâtre, préparation de Candide, sept


volumes de l’Essai sur les mœurs tiré à 7000 exemplaires, Poème sur le
désastre de Lisbonne, révision des dix premiers volumes de ses Œuvres
complètes chez Gabriel Cramer son nouvel éditeur, qui a un réseau de
correspondants européens permettant de diffuser les livres interdits.

Voltaire collabore aussi à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (125


auteurs recensés). Ce grand dictionnaire vendu dans toute l’Europe (la
souscription coûte une fortune) défend aussi la liberté de penser et d’écrire, la
séparation des pouvoirs et attaque la monarchie de droit divin. Voltaire rédige
une trentaine d’articles, mais il est en désaccord sur la tactique (« Je voudrais
bien savoir quel mal peut faire un livre qui coûte cent écus. Jamais vingt
volumes in-folio ne feront de révolution ; ce sont les petits livres portatifs à
trente sous qui sont à craindre »). Il voudrait imposer sa marque, faire de
l’Encyclopédie l’organe du combat antichrétien, l’imprimer hors de France,
mais, s’il possède en d’Alembert un allié de poids, il ne peut gagner Diderot à
ses vues.
Largement inspiré par Voltaire, l’article « Genève» de d’Alembert paru
dans le volume VII en 1757 fait scandale auprès du clergé genevois.
En France, après l’attentat de Damiens contre Louis XV, une offensive
antiphilosophique se déclenche : après le livre d’Helvétius, De l’Esprit,
interdit en août 1758, l’Encyclopédie est interdite à son tour le 8 mars 1759,
par décret royal.

Pour mieux assurer son indépendance et échapper aux tracasseries des


pasteurs de Genève, Voltaire achète le château de Ferney (et celui de Tourney
qui forme avec le précédent un vaste ensemble d’un seul tenant) et s’y
installe en octobre 1758. Ferney est dans le Pays de Gex, en territoire
français, mais loin de Versailles et à quatre kilomètres de la république
genevoise où il peut trouver refuge et où se situe son éditeur Cramer et bon
nombre de ses partisans dans les milieux dirigeants.
LE VIGNOBLE DE LA VÉRITÉ

(1759-1763)

Le château de Ferney.

« Je ne connais d'autre liberté que celle de ne dépendre de personne ;


c'est celle où je suis parvenu après l'avoir cherchée toute ma vie »
Ferney est la période la plus active de la vie de Voltaire. Il va y résider
vingt ans jusqu’à son retour à Paris. C’est à Ferney qu’il va acquérir une
nouvelle stature, celle d’un champion de la justice et de l’humanité et livrer
ses grandes batailles. Il a 64 ans, un âge au XVIIIe siècle où la vie approche
de son terme.
Voltaire est devenu riche et en est fier : « Je suis né assez pauvre, j’ai
fait toute ma vie un métier de gueux, de barbouilleur de papier, celui de Jean-
Jacques Rousseau, et cependant me voilà avec deux châteaux, 70 000 livres
de rente et 200 000 livres d’argent comptant », écrit-il à son banquier en
1761. Sa fortune lui permet de reconstruire le château, d’en embellir les
abords, d’y construire un théâtre, de faire de son vivant du village misérable
de Ferney une petite ville prospère et aussi de tenir table et porte ouvertes,
jusqu’à ce que l’afflux de visiteurs et la fatigue l’obligent à restreindre
l’accueil.

C’est la nièce et compagne de Voltaire, Madame Denis, qui reçoit


comme maitresse de maison. Lui ne se montre qu’aux repas, se réservant
d’apparaître à l’improviste si cela lui convient, car il se ménage de longues
heures de travail (« J’ai quelquefois 50 personnes à table. Je les laisse avec
Mme Denis qui fait les honneurs, et je m’enferme. »). Ses visiteurs, qui
l’attendent impatiemment, sont en général frappés par le charme de sa
conversation, la vivacité de son regard, sa maigreur, son accoutrement
(habituellement Voltaire ne « s’habille » pas). Il aime conduire ses hôtes dans
son jardin et leur faire admirer le paysage. Les grandes heures sont celles du
théâtre (« Rien n'anime plus la société, rien ne donne plus de grâce au corps
et à l'esprit, rien ne forme plus le goût. », dit-il). Installé à côté du château, il
peut contenir 300 personnes. Voltaire et Mme Denis y jouent eux-mêmes
leurs rôles préférés.
Lutte contre l'injustice : Calas, Sirven et La Barre (1761-1765)

À partir de l'affaire Calas, le mot d'ordre « Écrasez l'Infâme » apparaît


sous sa plume.

Le 22 mars 1761, Voltaire est informé que, par ordre du parlement de


Toulouse, un vieux commerçant protestant, nommé Calas, vient d’être roué,
puis étranglé et brulé. Il aurait assassiné son fils, qui voulait se convertir au
catholicisme. Voltaire apprend bientôt qu’en réalité Calas a été condamné
sans preuves. Des témoignages le persuadent de son innocence. Convaincu
qu’il s’agit d’une tragédie de l’intolérance, que les juges ont été influencés
par le fanatisme ambiant, il entreprend la réhabilitation du supplicié et
l’acquittement des autres Calas qui restent inculpés. Pendant trois ans (1762-
1765), il mène une intense campagne : écrits, lettres, mettent en mouvement
tout ce qui a de l'influence en France et en Europe. C'est à partir de l'affaire
Calas que le mot d'ordre « Écrasez l'Infâme » (chez Voltaire, la superstition,
le fanatisme et l'intolérance), abrégé à l'usage en Ecr.linf., apparaît dans sa
correspondance à la fin de ses lettres. Il élève le débat par un Traité sur la
tolérance (1763). Une sentence d’un parlement n’étant pas susceptible
d’appel, le seul recours est le Conseil du royaume, présidé par le roi. Seul
Voltaire a assez de prestige pour saisir une telle instance. De Ferney, n’ayant
que son écritoire et son papier, il parvient à faire casser l’arrêt du Parlement
et à faire indemniser la famille. « Par lui – par lui seul – le procès Calas
deviendra l’affaire Calas, une de ces affaires qui marquent la conscience des
hommes. », écrit René Pomeau.
Il réussit de même à faire réhabiliter Sirven, un autre protestant
condamné par contumace le 20 mars 1764 à être pendu, avec sa femme, pour
le meurtre de leur fille que l’on savait folle et qu’on trouva noyée dans un
puits. On accusait son père et sa mère de l’avoir assassinée pour l’empêcher
de se convertir. Les deux parents vont solliciter Voltaire qui obtient leur
acquittement après un long procès.

L’affaire La Barre surpasse en horreur celles de Calas et de Sirven. À


Abbeville, le 9 août 1765, on découvre en pleine ville, sur le Pont-Neuf, un
crucifix de bois mutilé. Une enquête est ouverte. Les soupçons se portent sur
un groupe de jeunes gens qui se sont fait remarquer en ne se découvrant pas
devant la procession du Saint-Sacrement, en chantant des chansons obscènes
et en affectant de lire le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Deux
s’enfuient. Le chevalier de La Barre, âgé de 19 ans, est condamné à avoir la
langue coupée, puis à être décapité et brulé. Le Parlement de Paris confirme
la sentence. L’exécution a lieu le 1er juillet 1766. Le Dictionnaire
philosophique est brulé en même temps que le corps et la tête du condamné.
Voltaire rédige l’exposé détaillé de l’affaire, fait ressortir le scandale,
provoque un revirement de l’opinion. Le juge d’Abbeville est révoqué, les
coïnculpés acquittés. « Ce sang innocent crie, et moi je crierai aussi ; et je
crierai jusqu’à ma mort. » écrit Voltaire à d’Argental.

Son engagement pour combattre l'injustice va durer jusqu'à sa mort


(réhabilitation posthume de Lally-Tollendal, affaires Morangiés, Monbailli,
serfs du Mont-Jura). « Il faut dans cette vie combattre jusqu’au dernier
moment », déclare-t-il en 1775.
D comme Dictionnaire (portatif…), D comme Danger (1764-1768)
Le lever de Voltaire de Jean Huber (vers 1768-1772)

Voltaire enfile sa culotte en dictant une lettre.


À Ferney, Voltaire va s’affirmer comme le champion de la « philosophie
», cette pensée des Lumières portée par de très nombreux individus – mais
dispersés et constamment engagés entre eux en d’âpres discussions. Sa
production imprimée pendant ces années va être considérable. « J’écris pour
agir » affirme-t-il. Il veut gagner ses lecteurs à la cause des Lumières. Il
choisit pour sa propagande des œuvres « utiles et courtes ». Contrairement à
L’Encyclopédie avec ses gros volumes facilement bloqués chez l’éditeur, il
privilégie les brochures de quelques pages qui se dissimulent aisément,
échappent aux perquisitions de la douane et de la police et se vendent pour
quelques sous.
À Paris, il peut compter sur une équipe de fidèles, en premier lieu
d’Alembert, futur secrétaire de l'Académie française, dont les relations
mondaines et littéraires lui sont de précieux atouts, et qui n’hésite pas à le
mettre en garde ou à corriger ses erreurs, mais aussi Grimm, Mme d’Épinay,
Helvétius, Marmontel, Mme du Deffand, et aussi sur des appuis politiques
comme Richelieu ou Choiseul (qui ne sont ni philosophes, ni libéraux, mais à
qui Voltaire plaît).
Quand il s’installe à Ferney, la diffusion clandestine de Candide, son
chef-d’œuvre, a commencé. « Jamais Voltaire n’a aussi bien exprimé le
monde tel que le voit son humeur : vision désolée et gaie, décapante mais
tonique. » écrit René Pomeau, qui calcule qu’il a dû se vendre en 1759
environ 20 000 Candide, chiffre énorme à l’époque où L’Encyclopédie même
ne dépasse pas 4 000 exemplaires.

En France, le pouvoir et les milieux conservateurs ont lancé une


campagne contre les idées nouvelles : interdiction de L’Encyclopédie,
discours de Le Franc de Pompignan à l’Académie, comédie de Palissot contre
les philosophes au Théâtre-Français, attaques de Fréron, grand journaliste et
polémiste redoutable. De Ferney, Voltaire organise la contre-offensive :
articles, brochures, petits vers (l’épigramme contre Fréron est restée célèbre :
L’autre jour au fond d’un vallon, Un serpent piqua Jean Fréron ; Que croyez-
vous qu’il arriva ? Ce fut le serpent qui creva.), comédies, pièces, tout est bon
pour faire taire les ennemis des philosophes.
En 1764, le Dictionnaire philosophique portatif, bilan de la réflexion
philosophique de Voltaire, en même temps qu’outil pédagogique destiné au
public cultivé, se répand, toujours clandestinement, en Europe. Considéré
comme impie, il est condamné en France par le Parlement le 19 mars 1765
(Louis XV, après avoir pris connaissance du livre aurait demandé : « Est-ce
qu’on ne peut pas faire taire cet homme-là ? »), mais aussi à Genève et à
Berne où il est brûlé. Manifeste des Lumières (Voltaire en donne quatre
nouvelles éditions de 1764 à 1769 chaque fois enrichies d’articles nouveaux),
le Dictionnaire est composé de textes brefs et vifs, rangés dans l’ordre
alphabétique. « Ce livre n’exige pas une lecture suivie, écrit Voltaire en tête
de volume, mais, à quelque endroit qu’on l’ouvre, on trouve de quoi réfléchir.
»
DERNIERS FEUX (1768-1778)

Du jardin au cimetière

Le déiste toujours en lutte (1768-1769)

« J’ai été pendant 14 ans l’aubergiste de l’Europe », écrit-il à Madame


du Deffand. Ferney se trouve sur l’axe de communication de l’Europe du
Nord vers l’Italie, itinéraire du Grand Tour de l’aristocratie européenne au
XVIIIe siècle. Les visiteurs affluent pour le voir et l’entendre. Les plus
nombreux sont les Anglais qui savent que le philosophe aime l’Angleterre
(trois ou quatre cents affirme Voltaire), mais il y a aussi des Français, des
Allemands, des Italiens, des Russes. Leurs témoignages permettent de
connaître la vie quotidienne à Ferney.
À Ferney, l’artiste genevois Jean Huber, devenu un familier de la
maison, a fait d’innombrables croquis et aquarelles de Voltaire, à la fois
comique et familier, dans l’ordinaire de sa vie quotidienne. En 1768,
l'impératrice Catherine II lui commande un cycle de peintures voltairiennes
dont neuf toiles sont conservées au musée de l’Ermitage.

Les capitaux que Voltaire investit tirent Ferney de la misère. Dès son
arrivée, il améliore la production agricole, draine les marécages, plante des
arbres, achète une nouveauté dont il est fier, la charrue à semoir et donne
l’exemple en labourant lui-même chaque année un de ses champs. Il fait
construire des maisons pour accueillir de nouveaux habitants, développe des
activités économiques, soieries, horlogerie surtout. « Un repaire de 40
sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par 1 200 personnes
utiles », peut-il écrire en 1777.

À la fin des années 1990, l'État français a acheté le château de Ferney-


Voltaire qui est administré par le Centre des monuments nationaux. En cours
de restauration, il est ouvert aux visiteurs.
Dans l'expectative (1769-1773)

Bien avant la mort de Louis XV, Voltaire souhaite revenir à Paris après
une absence de près de 28 ans.
Le combat de la dernière ligne droite (1773-1776)
Depuis le début de février 1773, Voltaire souffre d'un cancer de la
prostate (diagnostic rétrospectif établi de nos jours grâce au rapport de
l’autopsie pratiquée le lendemain de son décès). La dysurie est majeure, les
clochers fébriles fréquents ainsi que les pertes de connaissance. Les jambes
gonflées font parler d'hydropisie (affection dont son probable père biologique
serait mort en 1719). Le 8 mai, il informe d'Alembert : "Je vois la mort au
bout de mon nez". Les mictions sont difficiles. L'été 1773, des forces
reviennent, mais la crise de rétention aiguë d'urines de février 1773, le
reprend en mars 1774. En mai 1774, il perd sa plus jeune nièce de
tuberculose, Élisabeth, marquise de Florian (ex Mme de Fontaine, née
Mignot). Suit, moins triste pour Voltaire, la mort de Louis XV de petite
vérole le 10 mai 1774.

Le dernier acte (1776-1778)


Les nouvelles autorités font comprendre à ses amis qu’on fermerait les
yeux s’il se rendait aux répétitions de sa dernière tragédie. Après beaucoup
d’hésitations, il se décide en février 1778 à l’occasion de la création d'Irène à
la Comédie-Française. Il arrive le 10 février et s’installe dans un bel
appartement de l’hôtel du marquis de Villette (qui a épousé en 1777 sa fille
adoptive, Mlle de Varicourt surnommée « Belle et Bonne ») au coin de la rue
de Beaune et du quai des Théatins (aujourd’hui quai Voltaire).
Dès le lendemain de son arrivée, Voltaire a la surprise de voir des
dizaines de visiteurs envahir la demeure du marquis de Villette qui va devenir
pendant tout son séjour le lieu de rendez-vous du Tout-Paris « philosophe ».

Le 30 mars 1778 est le jour de son triomphe à l’Académie, à la


Comédie-Française et dans les rues de Paris. Sur son parcours, une foule
énorme l’entoure et l’applaudit. L’Académie en corps vient l’accueillir dans
la première salle. Il assiste à la séance, assis à la place du directeur. À la
sortie, la même foule immense l’attend et suit le carrosse. On monte sur la
voiture, on veut le voir, le toucher. À la Comédie-Française, l’enthousiasme
redouble. Le public est venu pour l’auteur, non pour la pièce. La
représentation d’Irène est constamment interrompue par des cris. À la fin, on
lui apporte une couronne de laurier dans sa loge et son buste est placé sur un
piédestal au milieu de la scène. À la sortie, il est retenu longtemps à la porte
par la foule qui réclame des flambeaux pour mieux le voir. On s’exclame : «
Vive le défenseur des Callas ! ».
Voltaire peut mesurer ce soir-là l’indéniable portée de son action, même
si la cour, le clergé et l’opinion antiphilosophique lui restent hostiles et se
déchaînent contre lui et ses amis philosophes, ennemis de la religion, des «
bonnes » mœurs et de la monarchie.

Comme une chandelle (mars-mai 1778)


« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes
ennemis, et en détestant la superstition ».
Voltaire a 83 ans. Atteint d’un mal qui progresse insidieusement pour
entrer dans sa phase finale le 10 mai 1778, les mois qui lui restaient à vivre
ont été pour lui, nous l'avons vu, à la fois ceux de l’apothéose et du martyre.
Voltaire maintenant n'a plus que 6 semaines à vivre. Mais il se comporte
comme s'il était indestructible. Il ne se sent pas bien, même si son état de
santé et son humeur changent d’un jour à l’autre. Il envisage son retour à
Ferney pour Pâques, mais il se sent si bien à Paris qu'il pense sérieusement à
s'y fixer. Madame Denis, ravie, part à la recherche d'une maison. Il veut se
prémunir contre un refus de sépulture. Dès le 2 mars, il fait venir un obscur
prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice, l’abbé Gaultier, à qui il remet une
confession de foi minimale (qui sera rendue publique dès le 11 mars) en
échange de son absolution.

Le 28 mars, il écrit à son secrétaire Wagnière les deux lignes célèbres : «


Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes
ennemis, et en détestant la superstition. »
À partir du 10 mai 1778, malgré l'assistance du docteur Théodore
Tronchin, ses souffrances deviennent intolérables. Pour calmer ses douleurs,
il prend de fortes doses d’opium qui le font sombrer dans une somnolence
entrecoupée de phases de délire. Mais une fois passée l’action de l’opium, le
mal se réveille pire que jamais.

La conversion de Voltaire, au sommet de sa gloire, aurait constitué une


grande victoire de l’Église sur la « secte philosophique ». Le curé de Saint-
Sulpice et l’archevêque de Paris, désavouant l’abbé Gaultier, font savoir que
le mourant doit signer une rétractation franche s’il veut obtenir une
inhumation en terre chrétienne. Mais Voltaire refuse de se renier. Des
tractations commencent entre la famille et les autorités soucieuses d’éviter un
scandale. Un arrangement est trouvé. Dès la mort de Voltaire on le
transportera « comme malade » à Ferney. S’il décède pendant le voyage, son
corps sera conduit à destination.

Plaque commémorative, sise au 27, quai Voltaire, rappelant la mort de


Voltaire en ce lieu.
Voltaire meurt le 30 mai dans l'hôtel de son ami le marquis de Villette, «
dans de grandes douleurs, excepté les quatre derniers jours, où il a fini
comme une chandelle », écrit Mme Denis. Le 31 mai, selon sa volonté, M.
Try, chirurgien, assisté d’un M. Burard, procède à l'autopsie. Le corps est
ensuite embaumé par M. Mitouart, l'apothicaire voisin qui obtient de garder
le cerveau, le cœur revenant à Villèle (voir en Informations complémentaires
l'histoire de ces deux organes).
Le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, ne veut pas courir le risque d’un
transport à Ferney. Il a l’idée de l’enterrer provisoirement dans la petite
abbaye de Sellières près de Troyes, dont il est abbé commendataire. Le 31
mai, le corps de Voltaire embaumé est installé assis, tout habillé et bien
ficelé, avec un serviteur, dans un carrosse qui arrive à Scellières le lendemain
après-midi. Grâce au billet de confession signé de l’abbé Gaultier, il est
inhumé religieusement dans un caveau de l’église avant que l’évêque de
Troyes, averti par l’archevêque de Paris Christophe de Beaumont, n’ait eu le
temps d’ordonner au prieur de Scellières de surseoir à l’enterrement.
LE PANTHÉON

Après la mort de Voltaire, Mme Denis, légataire universelle, vend


Ferney à Villette (la bibliothèque, acquise par Catherine II, est convoyée
jusqu’à Saint-Pétersbourg par Wagnière). Villette, s’apercevant que le
domaine est lourdement déficitaire, le revend en 1785. Le transfert de la
sépulture à Ferney devient impossible. L’abbé Mignot veut commander un
mausolée pour orner la dalle anonyme sous laquelle repose Voltaire, mais les
autorités s’y opposent.
En 1789, l’Assemblée constituante vote la nationalisation des biens du
clergé. L'abbaye de Sellières va être mise en vente. Il faut trouver une
solution. Villette fait campagne pour le transfert à Paris des restes du grand
homme (il a déjà débaptisé de sa propre autorité le quai des Théatins en y
apposant une plaque : « Quai Voltaire »). C’est lui qui lance le nom de
Panthéon et désigne le lieu, la basilique de Sainte-Geneviève.

Le 30 mai 1791, jour anniversaire de sa mort, l’Assemblée, malgré de


fortes oppositions (les membres du clergé constituent le quart des députés)
décide le transfert. Le 4 avril, après la mort de Mirabeau survenue le 2,
l’Assemblée décrète que « le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné
à recevoir les cendres des grands hommes ». Mirabeau est le premier «
panthéonisé ». Voltaire le suit le 11 juillet. Comme le corps de Mirabeau fut
retiré de ce monument des suites de la découverte de l'armoire de fer,
Voltaire est devenu le plus ancien hôte du Panthéon.
Le cortège comprend des formations militaires, puis des délégations
d’enfants. Derrière une statue de Voltaire d’après Houdon, portée par des
élèves des beaux-arts costumés à l’antique, viennent les académiciens et gens
de lettres, accompagnés des 70 volumes de l’édition de Kehl, offerts par
Beaumarchais. Sur le sarcophage se lit une inscription : « Il vengea Calas, La
Barre, Sirven et Monbailli. Poète, philosophe, historien, il a fait prendre un
grand essor à l’esprit humain, et nous a préparés à être libres. ».
L'ŒUVRE DE VOLTAIRE

L'original en marbre orne le foyer de la Comédie-Française. Mme Denis,


qui n’avait pas souhaité garder le Voltaire nu de Pigalle, commanda la statue
à Houdon et en fit don à la Comédie-Française. L'œuvre a été reproduite en
terre cuite, en plâtre et bronze dans différents formats.
La production littéraire de Voltaire est immense. Elle englobe le théâtre,
l’histoire, la philosophie, la poésie, les textes polémiques publiés à propos de
tout et à jet continu, les contes, et une prodigieuse correspondance. De son
vivant, ses Œuvres complètes comptent déjà 40 volumes in-8° (édition de
Genève de 1775). Après sa mort, l’édition de Kehl (1783-1790) de
Beaumarchais incluant la correspondance (mais de nombreux détenteurs de
lettres ont refusé de les communiquer) comprend 70 volumes in-8°. L’édition
en cours de publication à Oxford en comptera près de 200.
LES CONTES

Voltaire n’attribuait à ses contes qu’une faible importance, mais c’est


sans doute aujourd’hui la partie de son œuvre la plus éditée et la plus lue. «
C’est là que l’on retrouve, aussi libre que dans sa correspondance, l’esprit de
Voltaire » écrit René Pomeau. Ils font partie des textes incontournables du
XVIIIe siècle et occupent une place de choix au sein de la culture française.
Ce sont, entre autres, le Songe de Platon, Micromégas, Le Monde comme il
va, Zadig, Les Deux Consolés, Candide, l’Histoire d'un bon bramin, Jeannot
et Colin, L'Ingénu, l’ L'Homme aux quarante écus, Le Taureau blanc.
LA CORRESPONDANCE

Exilé à Ferney, Voltaire correspond avec tout ce qui compte en Europe.


L’abondance de sa correspondance (de l’ordre de 23 000 lettres retrouvées,
13 tomes dans la bibliothèque de la Pléiade) rend nécessaire la publication de
lettres choisies.
Citons, entre autres, la correspondance suivie avec Madame du Deffand,
âgée et aveugle, sceptique désabusée et lucide qui réunit dans son salon tout
le grand monde parisien (« avec Voltaire, dans la prose, le classique le plus
pur de cette époque » selon Sainte-Beuve). « Le pessimisme de Mme du
Deffand est tellement absolu », écrit Benedetta Craveri, « qu’il oblige son
correspondant à se prononcer sur le destin de l’homme, avec une précision
qu’on ne retrouve pas dans le reste de son œuvre ». « C’est dans ses lettres
qu’il faut chercher l’expression la plus intime de la philosophie de Voltaire ;
sa manière d’accepter la vie et d’affronter la mort, ses idées métaphysiques et
son scepticisme, ses luttes passionnées au nom de l’humanité et ses accès de
résignation mystiques. ».
LES ÉCRITS PHILOSOPHIQUES

Voltaire n’apporte pas de réponses rassurantes, mais enseigne à douter,


parce que c’est par le doute que l’on apprend à penser. La partie
philosophique de son œuvre est toujours actuelle : Les Lettres
philosophiques, le Traité sur la tolérance, le Dictionnaire philosophique
portatif, les Questions sur l’Encyclopédie.
LE THÉÂTRE

Le théâtre de Voltaire, qui a fait sa gloire et passionné ses


contemporains, est aujourd’hui largement oublié. Voltaire a cependant été le
plus grand auteur dramatique du XVIIIe siècle et a régné sur la scène de la
Comédie-Française de 1718 à sa mort. Il a écrit une cinquantaine de tragédies
qui, selon l’estimation de René Pomeau, ont été applaudies, rarement sifflées,
par environ deux millions de spectateurs. À Paris, ses plus grands succès
sont, dans l’ordre, Zaïre (1732), Alzire, (1736), Mérope (1743), Sémiramis
(1748), Œdipe (1718), Tancrède (1760), L'Orphelin de la Chine (1755) et
Mahomet (1741).
L’ŒUVRE POÉTIQUE

La versification, pratiquée dès l’enfance, était devenue pour Voltaire un


mode d’écrire naturel. Sa production poétique a été évaluée à 250 000 vers. Il
n’avait pas son pareil pour manier l’alexandrin. Longtemps il sera pour ses
contemporains l’auteur de La Henriade que Beaumarchais place au même
niveau que l’Iliade et qui connaitra encore 67 éditions entre 1789 et 1830
avant d’être rejetée dans l’oubli par le Romantisme. Cette œuvre versifiée (La
Pucelle d’Orléans, Le Mondain, le Poème sur le désastre de Lisbonne) est
moins lisible pour nous aujourd’hui, mais il existe, en particulier à travers ses
épitres, un Voltaire poète de la gaîté et du sourire, à la verve inventive,
inspiré souvent par l’esprit satirique.
L’ŒUVRE HISTORIQUE

Elle ne survit (Le Siècle de Louis XIV, Histoire de Charles XII, Histoire
de l’empire de Russie sous Pierre le Grand), comme celle de Michelet, que
parce qu’elle est l’œuvre d’un écrivain, même si sa perspective de l’histoire «
philosophique » (Essai sur les mœurs et l'esprit des nations), consistant à
suivre les efforts des hommes en société pour sortir de l’état primitif, reste
valable.
L’ŒUVRE SCIENTIFIQUE

Elle est périmée même si Voltaire fut l’un des pionniers du newtonisme
avec ses Éléments de la philosophie de Newton (1738).
LA MORALE DE VOLTAIRE

En 1770, dans le salon de Mme Necker, une souscription est ouverte


pour ériger une statue au grand homme. Pigalle choisit de le représenter en nu
héroïque, à l'antique, sans masquer la vérité anatomique d’un corps marqué
par l’âge, en magnifiant par contraste la tête pleine d’espérance. L’œuvre,
défendue par Diderot, va susciter de nombreuses critiques.
LE LIBÉRALISME

Dans la pensée du philosophe anglais John Locke, Voltaire trouve une


doctrine qui s’adapte parfaitement à son idéal positif et utilitaire. John Locke
apparaît comme le défenseur du libéralisme en affirmant que le pacte social
ne supprime pas les droits naturels des individus. En outre, c’est l’expérience
seule qui nous instruit ; tout ce qui la dépasse n’est qu’hypothèse ; le champ
du certain coïncide avec celui de l’utile et du vérifiable. Voltaire tire de cette
doctrine la ligne directrice de sa morale : la tâche de l’homme est de prendre
en main sa destinée, d’améliorer sa condition, d’assurer, d’embellir sa vie par
la science, l’industrie, les arts et par une bonne « police » des sociétés. Ainsi,
la vie en commun ne serait pas possible sans une convention où chacun
trouve son compte. Bien que s’exprimant par des lois particulières à chaque
pays, la justice, qui assure cette convention, est universelle. Tous les hommes
sont capables d’en concevoir l’idée, d’abord parce que tous sont des êtres
plus ou moins raisonnables, ensuite parce qu’ils sont tous capables de
comprendre que ce qui est utile à la société est utile à chacun. La vertu, «
commerce de bienfaits, leur est dictée à la fois par le sentiment et par
l’intérêt. Le rôle de la morale, selon Voltaire, est de nous enseigner les
principes de cette « police » et de nous accoutumer à les respecter.

Cependant, la conception oligarchique et hiérarchisée de la société de


Voltaire ne nous permet pas de le situer clairement parmi les philosophes du
libéralisme démocratique : il affirme également dans Essai sur les mœurs et
l’esprit des Nations que « L’esprit d’une nation réside toujours dans le petit
nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne ».
LE DÉISME

Étranger à tout dogmatisme religieux, Voltaire se refuse toutefois à


l’athéisme d’un Diderot ou d’un d’Holbach. Il ne cessa de répéter son fameux
distique :

L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer

Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger.


Ainsi, selon Voltaire, l’ordre de l’univers peut-il nous amener à
constater l'existence d'un « éternel géomètre ». C'est pour lui une évidence
rationnelle : un effet ne peut exister sans qu'il y ait aussi une cause préalable,
de même que la lumière naturelle ne peut exister sans tirer son origine du
soleil – ou qu'une bougie ne peut être allumée sans qu'un « athée » ait
auparavant décidé d'enflammer sa mèche ; ce que Voltaire nomme « Dieu »,
c'est la Cause ultime, absolue qui ordonne éternellement et présentement tous
les desseins cosmiques : le soleil est ainsi « fait pour éclairer notre portion
d'univers ».
Sa vision de Dieu correspond à un panthéisme, proche de Giordano
Bruno et de Baruch Spinoza ; dans Tout en Dieu, commentaire sur
Malebranche, Voltaire écrit :

« Une cause sans effet est une chimère, une absurdité, aussi bien qu'un
effet sans cause. Il y a donc éternellement, et il y aura toujours des effets de
cette cause universelle. Ces effets ne peuvent venir de rien ; ils sont donc des
émanations éternelles de cette cause éternelle. La matière de l'univers
appartient donc à Dieu tout autant que les idées, et les idées tout autant que la
matière. Dire que quelque chose est hors de lui, ce serait dire qu'il y a quelque
chose hors de l'infini. Dieu étant le principe universel de toutes les choses,
toutes existent en lui et par lui.(...) On ne fait point Dieu l'universalité des
choses : nous disons que l'universalité des choses émane de lui ; et pour nous
servir (...) de l'indigne comparaison du soleil et de ses rayons, nous disons
qu'un trait de lumière lancé du globe du soleil, et absorbé dans le plus infect
des cloaques, ne peut laisser aucune souillure dans cet astre. Ce cloaque
n'empêche pas que le soleil ne vivifie toute la nature dans notre globe.(...)
Nous pourrions dire encore qu'un trait de lumière, pénétrant dans la fange, ne
se mêle point avec elle, et qu'elle y conserve son essence invisible ; mais il
vaut mieux avouer que la lumière la plus pure ne peut représenter Dieu. La
lumière émane du soleil, et tout émane de Dieu. Nous ne savons pas comment
; mais nous pouvons (...) concevoir Dieu comme l'Être nécessaire de qui tout
émane. [Note : « nécessaire » signifie philosophiquement : « qui ne peut pas
ne pas être – ni être autrement »]. »
Mais, au-delà, il ne voit qu'incertitudes : « J'ai contemplé le divin
ouvrage, et je n'ai point vu l'ouvrier ; j'ai interrogé la nature, elle est demeurée
muette. » Il conclut: « Il m'est impossible de nier l'existence de ce Dieu »,
ajoutant qu'il est « impossible de le connaître ». Il rejette toute incarnation, «
tous ces prétendus fils de Dieu ». Ce sont « des contes de sorciers ». « Un
Dieu se joindre à la nature humaine ! J'aimerais autant dire que les éléphants
ont fait l'amour à des puces, et en ont eu de la race : ce serait bien moins
impertinent. »

S’il reste attaché au déisme, qui correspond à un théisme philosophique,


il dénonce comme dérisoire le providentialisme (dans Candide par exemple)
et repose cette question formulée dès saint Augustin dont la réponse est
inaccessible à la logique humaine parfaitement limitée : « Pourquoi existe-t-il
tant de mal, tout étant formé par un Dieu que tous les théistes se sont
accordés à nommer bon ? » Voltaire n'apporte à ce sujet que cette précision :
« La terre est couverte de crimes (...) ; cela empêche-t-il qu'il y ait une
cause universelle ? (...) Il y a une suite infinie de vérités, et l'Être infini peut
seul comprendre cette suite. (...) Demander pourquoi il y a du mal sur terre,
c'est demander pourquoi nous ne vivons pas autant que les chênes. (...) Le
grand Être est fort ; mais les émanations sont nécessairement faibles.
Servons-nous (...) de la comparaison du soleil. Ses rayons réunis fondent les
métaux ; mais quand vous réunissez ceux qu'il a dardés sur le disque de la
lune, ils n'excitent pas la plus légère chaleur. Nous sommes aussi
nécessairement bornés que le grand Être est nécessairement immense. »
— Voltaire, Tout en Dieu, commentaire sur Malebranche.
Enfin, pour Voltaire, la croyance en un Dieu est utile sur le plan moral et
social. Il est l'auteur du célèbre alexandrin :

Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.


On lui attribue aussi cette phrase : « Nous pouvons, si vous le désirez,
parler de l’existence de Dieu, mais comme je n’ai pas envie d’être volé ni
égorgé dans mon sommeil, souffrez que je donne au préalable congé à mes
domestiques. ».
L'HUMANISME

Dès La Henriade en 1723, toute l’œuvre de Voltaire est un combat


contre le fanatisme et l’intolérance : « On entend aujourd’hui par fanatisme
une folie religieuse, sombre et cruelle. C’est une maladie qui se gagne comme
la petite vérole. » Dictionnaire philosophique, 1764, article « Fanatisme ».
Il a en tout cas lutté contre le fanatisme, celui de l’Église catholique
romaine comme celui du protestantisme, symboles à ses yeux d’intolérance et
d’injustice. Tracts, pamphlets, tout fut bon pour mobiliser l’opinion publique
européenne. Il a aussi misé sur le rire pour susciter l’indignation : l’humour,
l’ironie deviennent des armes contre la folie meurtrière qui rend les hommes
malheureux. Les ennemis de Voltaire avaient d’ailleurs tout à craindre de son
persiflage, mais parfois les idées nouvelles aussi. Quand en 1755, il reçoit le
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de
Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, qui désapprouve l’ouvrage, répond en une
lettre aussi habile qu’ironique :

« J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je


vous en remercie. […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous
rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre
ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu
l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre et
je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi.
[…] » (Lettre à Rousseau, 30 août 1755)
Le « patriarche de Ferney » représente éminemment l’humanisme
militant du XVIIIe siècle. Selon Sainte-Beuve, « […] tant qu’un souffle de
vie l’anima, il eut en lui ce que j’appelle le bon démon : l’indignation et
l’ardeur. Apôtre de la raison jusqu’au bout, on peut dire que Voltaire est mort
en combattant. »
Sa correspondance compte plus de 23 000 lettres connues ainsi qu'un
gigantesque Dictionnaire philosophique qui reprend les axes principaux de
son œuvre, une trentaine de contes philosophiques et des articles publiés dans
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Cependant, son théâtre, qui l’avait
propulsé au premier rang de la scène littéraire (Mérope, Zaïre et d’autres),
ainsi que sa poésie (La Henriade, considérée comme la seule épopée française
au XVIIIe siècle) sont oubliés.
C’est à Voltaire, avant tout autre, que s’applique ce que Condorcet disait
des philosophes du XVIIIe siècle, qu’ils avaient « pour cri de guerre : raison,
tolérance, humanité ».
LA JUSTICE

Voltaire s’est passionné pour plusieurs affaires et s’est démené afin que
justice soit rendue.

L’affaire Calas (1762)

L’affaire Sirven (1764)


L’affaire du chevalier de La Barre (1766)
L’affaire Lally-Tollendal (1776)

La liberté d'expression

Voltaire à 84 ans.
Houdon a su capter l’âge et la souffrance, la malice et la vitalité de
l’écrivain dans ce buste réalisé quelques semaines avant sa mort.

L’attachement de Voltaire à la liberté d’expression serait illustré par la


très célèbre citation qu’on lui attribue :
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai
jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
Certains commentateurs (Norbert Guterman, A Book of French
Quotations, 1963), prétendent que cette citation est extraite d’une lettre du 6
février 1770 à un abbé Le Riche où Voltaire écrirait : « Monsieur l’abbé, je
déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez
continuer à écrire. » En fait, cette lettre existe, mais la phrase n’y figure pas,
ni même l’idée. (Voir le texte complet de cette lettre à l’article Tolérance.) Le
Traité de la tolérance auquel est parfois rattachée la citation ne la contient pas
non plus.

De fait, la citation est absolument apocryphe (elle n’apparaît nulle part


dans son œuvre publiée) et trouve sa source en 1906, non dans une citation
erronée, mais dans un commentaire de l’auteure britannique Evelyn Hall,
dans son ouvrage The Friends of Voltaire, où, pensant résumer la posture de
Voltaire à propos de l’auteur d’un ouvrage publié en 1758 condamné par les
autorités religieuses et civiles, elle écrivait « “I disapprove of what you say,
but I will defend to the death your right to say it” was his attitude now » («
“Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrai jusqu’à la
mort votre droit de le dire” était désormais son attitude »). Les guillemets
maladroitement utilisé par Evelyn Hall ont été interprétés comme permettant
d’attribuer la déclaration à Voltaire. En 1935, elle déclara « I did not intend to
imply that Voltaire used these words verbatim, and should be much surprised
if they are found in any of his works » (« Je n’ai pas eu l’intention de
suggérer que Voltaire avait utilisé exactement ces mots, et serais
extrêmement surprise qu’ils se trouvassent dans ses œuvres »).

L’affaire à propos de laquelle Evelyn Hall écrivait concernait la


publication par Helvétius en 1758 de De l’Esprit, livre condamné par les
autorités civiles et religieuses et brulé. Voici ce que Voltaire écrivait dans
l’article « Homme » des Questions sur l’Encyclopédie :
« J’aimais l’auteur du livre De l’Esprit. Cet homme valait mieux que
tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de
son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti
hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités
mêmes. »
Autre passage pertinent : « En général, il est de droit naturel de se servir
de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortune. Je connais
beaucoup de livres qui ont ennuyé, je n’en connais point qui aient fait de mal
réel. […] Mais paraît-il parmi vous quelque livre nouveau dont les idées
choquent un peu les vôtres (supposé que vous ayez des idées), ou dont
l’auteur soit d’un parti contraire à votre faction, ou, qui pis est, dont l’auteur
ne soit d’aucun parti : alors vous criez au feu ; c’est un bruit, un scandale, un
vacarme universel dans votre petit coin de terre. Voilà un homme
abominable, qui a imprimé que si nous n’avions point de mains, nous ne
pourrions faire des bas ni des souliers [Helvétius, De l’Esprit, I, 1] : quel
blasphème ! Les dévotes crient, les docteurs fourrés s’assemblent, les alarmes
se multiplient de collège en collège, de maison en maison ; des corps entiers
sont en mouvement et pourquoi ? Pour cinq ou six pages dont il n’est plus
question au bout de trois mois. Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous
ennuie-t-il, ne le lisez pas. » Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article «
Liberté d’imprimer ».
LA LAÏCITÉ

Voltaire, à l'âge de 70 ans.

Même s'il n'utilise pas le mot « laïcité » en tant que tel, Voltaire est,
néanmoins, non seulement par ses écrits mais aussi par ses démarches visant
à rétablir une justice impartiale dénuée d'intérêt communautaire, un des
instigateurs d'un civisme équidistant envers toutes les attitudes religieuses et
opinions métaphysiques (athéisme compris), civisme qui allait de pair avec
son combat pour la liberté d'expression.

A l'époque de Voltaire, en France, critiquer la religion, spécialement le


christianisme, reste encore un exercice risqué, car la séparation entre l'Eglise
et de l'Etat n'existe pas – et que l'Église demeure très puissante. Face à
l'idéalisme aveugle et fanatique, Voltaire oppose la figure de l'homme laïc,
nommé « Citoyen », vu comme l'ami de tous et du bien public, policé et ne
manquant jamais d'humour pour faire valoir le droit commun à s'entre-tolérer
au sein d'un État qui défend la culture philosophique et poétique – tout en
refusant de promouvoir telle ou telle profession de foi :

« Je suis citoyen et par conséquent l'ami de tous ces messieurs [de


différentes confessions]. Je ne disputerai avec aucun d'eux ; je souhaite
seulement qu'ils soient tous unis dans le dessein de s'aider mutuellement, de
s'aimer et de se rendre heureux les uns les autres, autant que des hommes
d'opinions si diverses peuvent s'aimer, et autant qu'ils peuvent contribuer à
leur bonheur ; ce qui est aussi difficile que nécessaire. Pour cet effet, je leur
conseille d'abord de jeter dans le feu (...) la Gazette ecclésiastique, et tous
autres libelles qui ne sont que l'aliment de la guerre civile des sots. Ensuite
chacun de nos frères, soit théiste, soit turc, soit païen, soit chrétien grec, ou
chrétien latin, ou anglican, ou scandinave, soit juif, soit athée, lira
attentivement quelques pages des Offices de Cicéron, ou de Montaigne, et
quelques fables de La Fontaine. Cette lecture dispose insensiblement les
hommes à la concorde (...). On ne vendra ni circoncision, ni baptême, ni
sépulture, ni la permission de courir dans le kaaba autour de la pierre noire, ni
l'agrément de s'endurcir les genoux devant la Notre-Dame de Lorette, qui est
plus noire encore. Dans toutes les disputes qui surviendront, il est interdit de
se traiter de chien, quelque colère qu'on soit ; à moins qu'on ne traite
d'hommes les chiens, quand ils nous emporteront notre dîner et qu'ils nous
morderont, etc., etc., etc. »
— Voltaire, Il faut prendre un parti, XXV Discours d'un Citoyen.

Voltaire est par conséquent convaincu que les hommes (non parce que
formant un groupe homogène, mais parce que liés entre eux par le civisme)
peuvent s'allier un minimum pour œuvrer ensemble à la constitution d'une
société équilibrée et équitable, même s'ils sont différents, de tous les bords
culturels ; Voltaire conçoit donc une morale « civique » ou éthique «
citoyenne », universelle et respectant la Liberté.
Au doute de Blaise Pascal considérant, dans ses Pensées, qu'il est
impossible que les hommes puissent se respecter entre eux hors de la sphère
du christianisme (« Le port règle ceux qui sont dans un vaisseau ; mais où
trouverons-nous ce point dans la morale ? »), Voltaire répond très
simplement : « Dans cette seule maxime reçue de toutes les nations : « Ne
faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. » » (Vingt-
cinquième lettre sur les Pensées de M. Pascal, XLII)
Théiste, Voltaire n'en condamne pas moins fermement – toujours dans le
cadre de sa philosophie laïque – les idéalismes dogmatiques dévalorisant
(pour le profit d'une quelconque abstraction ou « Dieu » illusoire) les
existences, la vie, la nature et les relations sociales et familiales :

« Pensées de Blaise Pascal : « S’il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui,


et non les créatures. » [Réponse de Voltaire :] Il faut aimer, et très
tendrement, les créatures ; il faut aimer sa patrie, sa femme, son père, ses
enfants ; et il faut si bien les aimer que Dieu nous les fait aimer malgré nous.
Les principes contraires ne sont propres qu’à faire de barbares raisonneurs. »
— Voltaire, Vingt-cinquième lettre sur les Pensées de M. Pascal, X.
LE VÉGÉTARISME

Voltaire refusait de voir les êtres humains comme supérieurs, de par leur
essence, aux autres espèces animales ; cela correspond à son rejet des
religions abrahamiques (où l'animal est le plus souvent considéré comme
inférieur à l'homme) et de la doctrine des « animaux-machines » du Discours
de la méthode de René Descartes – qu'il déteste, et considère comme étant la
« vaine excuse de la barbarie » permettant de dédouaner l'homme de tout
sentiment de compassion face à la détresse animale.
Voltaire commence à s'intéresser avec constance au végétarisme, et à sa
défense, vers 1761-1762 environ ; diverses lectures sont en lien avec cette
affirmation « pythagoricienne » de la part du philosophe (le terme de «
végétarisme » n'existait pas à l'époque) : le testament de Jean Meslier, l’Émile
de Jean-Jacques Rousseau, le Traité de Porphyre, touchant l'abstinence de la
chair des animaux , ainsi que de nombreux ouvrages sur l'hindouisme
(œuvres brahmaniques qui commencent à être traduites en français et étudiées
dans les milieux intellectuels européens).

Dans ses lettres, Voltaire déclare qu'il « ne mange plus de viande » « ni


poisson », se définissant encore plus « pythagoricien » que Philippe de
Sainte-Aldegonde, un végétarien qu'il reçut à Ferney, à côté de Genève.
Chez Voltaire, le végétarisme n'est jamais justifié selon une logique liée
à la santé, mais toujours pour des raisons éthiques : le végétarisme est une «
doctrine humaine » et une « admirable loi par laquelle il est défendu de
manger les animaux nos semblables ». Prenant comme exemple Isaac
Newton, la compassion pour les animaux se révèle pour lui une solide base
pour une « vraie charité » envers les hommes, et Voltaire affirme qu'on ne
mérite « guère le nom de philosophe » si on ne possède point cette «
humanité, vertu qui comprend toutes les vertus ».
Dans Le Dialogue du chapon et de la poularde, Voltaire fait dire aux
animaux que les hommes qui les mangent sont des « monstres », « monstres »
humains qui, d'ailleurs, s'entretuent cruellement, aussi ; le chapon y fait
l'éloge de l'Inde où « les hommes ont une loi sainte qui depuis des milliers de
siècles leur défend de nous manger » ainsi que des philosophes antiques
européens :
L'Âge d'or, de Lucas Cranach l'Ancien (1530).

« Les plus grands philosophes de l'Antiquité ne nous mettaient jamais à


la broche. Ils tâchaient d'apprendre notre langage, et de découvrir nos
propriétés si supérieures à celle de l'espèce humaine. Nous étions en sûreté
comme à l'âge d'or. Les sages ne tuent point les animaux, dit Porphyre ; il n'y
a que les barbares et les prêtres qui les tuent et les mangent. »

— Voltaire, Le Dialogue du chapon et de la poularde.


Dans La Princesse de Babylone, Voltaire fait dire à un oiseau que les
animaux ont « une âme », tout comme les hommes. Et dans le Traité sur la
tolérance (note du chapitre XII), Voltaire rappelle que la consommation de
chair animale et de traiter les animaux comme de stricts objets ne sont point
des pratiques universelles et qu'« il y a une contradiction manifeste à
convenir que Dieu a donné aux bêtes tous les organes du sentiment, et à
soutenir qu'il ne leur a point donné de sentiment. Il me paraît encore qu'il faut
n'avoir jamais observé les animaux pour ne pas distinguer chez eux les
différentes voix du besoin, de la souffrance, de la joie, de la crainte, de
l'amour, de la colère, et de toutes les affections. »

Dans l’Article « Viande » du Dictionnaire philosophique, Voltaire


montre que Porphyre regardait « les animaux comme nos frères, parce qu'ils
sont animés comme nous, qu'ils ont les mêmes principes de vie, qu'ils ont
ainsi que nous des idées, du sentiment, de la mémoire, de l'industrie. » Le
végétarisme de Voltaire s'affirme donc comme une posture philosophique
opposée à toute attitude anthropocentrique. Le philosophe ne croit pas que
l'humanité soit le centre de la création ou le sommet de la chaîne alimentaire
– et que les animaux soient en-dessous des nations humaines et comme
uniquement « prédestinés » à servir de nourriture aux hommes : « Les
moutons n'ont pas sans doute été faits absolument pour être cuits et mangés,
puisque plusieurs nations s'abstiennent de cette horreur ».
Dans La Philosophie de l'histoire (chapitre XVII, « de l'Inde »), Voltaire
défend la doctrine de la réincarnation des âmes (« métempsychose ») qui
prévaut chez les Indiens (ou « Hindous »), dans les terres « vers le Gange »,
et qui est selon lui un « système de philosophie qui tient aux mœurs »
inspirant « une horreur pour le meurtre et pour toute violence ». Cette
considération voltairienne se retrouve aussi dans Les Lettres d'Amabed («
Seconde lettre d'Amabed à Shastadid »), où un jeune hindou de Bénarès,
élève d'un missionnaire chrétien jésuite qui veut l'évangéliser et lui faire
abjurer la foi de ses ancêtres, se désole de voir les Européens, colonisant
l'Inde et commettant « des cruautés épouvantables pour du poivre », tuer des
petits poulets.

Pythagore prônant le végétarisme, (1618-20), peinture de Pierre Paul


Rubens.
Cette posture morale végétarienne est pour Voltaire une occasion de
relativiser les certitudes occidentales issues du christianisme, par une
universalisation des références niant tout ethnocentrisme et tout
anthropocentrisme. C'est aussi une occasion de louer les « Païens » et leur
philosophie antique (grecque ou indienne) et de se moquer ouvertement du
clergé chrétien et des institutions ecclésiastiques – convaincus de leur
exemplarité –, qui font grand cas de détails dogmatiques infimes concernant
les croyances à reconnaître ou à condamner (rappel de la haine entre
Catholiques, Juifs et Protestants), mais qui refusent d'éduquer les masses à la
clémence envers les animaux, sont incapables de promouvoir le végétarisme :
« Je ne vois aucun moraliste parmi nous, aucun de nos loquaces
prédicateurs, aucun même de nos tartufes, qui ait fait la moindre réflexion sur
cette habitude affreuse [« se nourrir continuellement de cadavres » selon
Voltaire]. Il faut remonter jusqu'au pieux Porphyre, et aux compatissants
pythagoriciens pour trouver quelqu'un qui nous fasse honte de notre sanglante
gloutonnerie, ou bien il faut voyager chez les brahmanes ; car, (...) ni parmi
les moines, ni dans le concile de Trente, ni dans nos assemblées du clergé, ni
dans nos académies, on ne s'est encore avisé de donner le nom de mal à cette
boucherie universelle. »
— Voltaire, Il faut prendre un parti (Du mal, et en premier lieu de la
destruction des bêtes).

À propos de

Voltaire et Rousseau

Je suis tombé par terre,


C'est la faute à Voltaire,

Le nez dans le ruisseau,


C'est la faute à Rousseau.
« Le public a toujours pris plaisir à faire aller de pair ces deux hommes à
jamais célèbres. Tous les deux, avec de si grands moyens, se sont proposé le
même but, le bonheur du genre humain », écrit dès 1818 Bernardin de Saint-
Pierre, l’ami de Rousseau, dans son Parallèle de Voltaire et de J.-J. Rousseau,
premier d’une suite innombrable.

Tout oppose les deux grandes figures des Lumières que la Révolution
française a installé l’un à côté de l’autre au Panthéon, Voltaire en 1791,
Rousseau en 1794.
Voltaire est un fils de bourgeois parisien, sujet d’une monarchie absolue.
Il reçoit une éducation classique dans le meilleur collège de la capitale. Son
esprit se forme dans la fréquentation de la société du Temple et de la cour de
Sceaux. Il aime l’argent, le luxe, le monde, le théâtre. Il fréquente les princes
et les rois. Persuadé que la liberté d’esprit est inséparable de l’aisance
matérielle, il devient riche et mène à Ferney une vie de seigneur. Il se pense
en chef de parti, en responsable du clan philosophique. Son objectif est de
faire pénétrer peu à peu les Lumières au sommet de l’État. C’est un écrivain
engagé. Il est pessimiste mais d’humeur gaie. Déiste, il hait la religion
chrétienne. Extraverti, il a horreur de l'introspection et parle peu de lui dans
ses Mémoires. Esprit précis et positif, son arme est l’ironie et c’est à l’esprit
qu’il s’adresse.
Rousseau est un fils d’horloger genevois, citoyen d’une république. Il
est autodidacte et campagnard. Il aime la vie simple, le travail humble, la
solitude, la nature. S’il bénéficie, comme beaucoup de gens de lettres, de la
protection des grands (prince de Conti, maréchal de Luxembourg), il ne veut
pas des bienfaits dont la société est prête à l’accabler. Il reste pauvre,
persuadé qu’il se met moralement du bon côté et gagne son pain en copiant
de la musique. Chez lui, tout est adhésion individuelle à une doctrine
élaborée par un individu unique. Ce n’est pas un écrivain engagé. Il est
foncièrement optimiste mais d’humeur ombrageuse. Protestant de Genève, il
reste toujours chrétien par le cœur, sinon par le dogme et la conduite.
Égotiste, il se livre intimement dans ses Confessions. Il a l’âme poétique,
rêveuse, aisément émue. Son arme, c’est l’éloquence, et c’est au sentiment
qu’il parle.
Les deux hommes ont entretenu longtemps des relations courtoises avant
leur rupture en 1760.

Rousseau, qui admire Voltaire, lui envoie en 1755 son Discours sur
l’inégalité qui fait suite à son Discours sur les sciences et les arts de 1750. Il
lui rend « l’hommage que nous vous devons tous comme à notre chef ». La
critique de la civilisation, la dénonciation du « luxe », de l’inégalité sociale et
de la propriété, l’exaltation du primitivisme de Rousseau ne peuvent que
rencontrer l’incompréhension de Voltaire. Mais Rousseau participe au
combat philosophique, c’est un ami de Diderot et d’Alembert, un
collaborateur de l’Encyclopédie. Voltaire lui répond ironiquement : « J’ai
reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous en
remercie (…) On n’a jamais tant employé d’esprit à vouloir nous rendre bêtes
; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.
Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je
sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre. » Rousseau
répond sans acrimonie. Leur échange de lettres est publié dans le Mercure de
1755.
En 1756, lorsque Voltaire envoie à Rousseau son Poème sur le désastre
de Lisbonne, l’incompréhension est cette fois du côté de ce dernier. Il répond
: « Rassasié de gloire et désabusé des vaines grandeurs, vous vivez libre au
sein de l’abondance : vous ne trouvez pourtant que mal sur terre ; et moi,
homme obscur, pauvre, tourmenté d’un mal sans remède, je médite avec
plaisir dans ma retraite et trouve que tout est bien. D’où viennent ces
contradictions apparentes ? Vous l’avez-vous-même expliqué : vous jouissez,
moi j’espère, et l’espérance adoucit tout. » Voltaire ne répond pas sur le fond.
Dans les Confessions, Rousseau dit que la véritable réponse lui fut donnée
avec Candide (1759).
En 1758, à la suite de la parution de l’article de D'Alembert, « Genève »,
dans l’Encyclopédie, Rousseau publie sa Lettre à d’Alembert sur les
spectacles. Il rompt à cette occasion avec Diderot, l’ami de ses débuts et avec
les Encyclopédistes. Visant Voltaire qui milite pour faire autoriser la comédie
à Genève (elle le sera en 1783), il reprend la thèse de son premier Discours :
le théâtre à Genève favoriserait le luxe, accroîtrait l’inégalité, altérerait la
liberté et affaiblirait le civisme. Pour Voltaire, nier la valeur morale et
humaine du théâtre, c’est nier l’évidence. Mais il ne veut pas répondre. « Moi
», écrit-il à d’Alembert, « je fais comme celui qui pour toute réponse à des
arguments contre le mouvement se mit à marcher. Jean-Jacques démontre
qu’un théâtre ne peut convenir à Genève, et moi j’en bâtis un (Il s’agit de
l’ouverture d’une salle de spectacle dans son château de Tourney en 1760). »

L’affrontement est cependant resté courtois jusqu’à la véritable


déclaration de guerre (publiée plus tard dans les Confessions, livre X) que
Rousseau adresse à Voltaire le 17 juin 1760 : « Je ne vous aime point,
Monsieur ; vous m’avez fait tous les maux qui pouvaient m’être les plus
sensibles, à moi, votre disciple et votre enthousiaste. Vous avez perdu
Genève, pour le prix de l’asile que vous y avez reçu ; vous avez aliéné de moi
mes concitoyens pour le prix des applaudissements que je vous ai prodigués
parmi eux ; c’est vous qui me rendez le séjour de mon pays insupportable ;
c’est vous qui me ferez mourir en terre étrangère (…) Je vous hais, enfin,
puisque vous l’avez voulu ; mais je vous hais en homme plus digne de vous
aimer si vous l’aviez voulu. De tous les sentiments dont mon cœur était
pénétré pour vous il n’y reste que l’admiration qu’on ne peut refuser à votre
beau génie, et l’amour de vos écrits. »
Cette fois, Voltaire est ulcéré : « Une telle lettre de la part d’un homme
avec qui je ne suis pas en commerce me paraît merveilleusement folle,
absurde et offensante. », écrit-il à Mme du Deffand, « Comment un homme
qui a fait des comédies peut-il me reprocher d’avoir fait des spectacles chez
moi en France ? Pourquoi me fait-il l’outrage de me dire que Genève m’a
donné un asile ? Je n’ai pas assurément besoin d’asile, et j’en donne
quelquefois (…) il imprime que je suis le plus adroit et le plus violent de ses
persécuteurs. Je ne crois pas qu’on puisse faire à un homme injure plus atroce
que de l’appeler persécuteur. »

À la parution en 1761 du roman de Rousseau, La Nouvelle Héloïse (l’un


des grands succès d’édition du siècle), il se venge dans un pamphlet, trouvant
« sot, bourgeois, impudent, ennuyeux » ce récit en six tomes qui ne contient
que « trois à quatre pages de faits et environ mille de discours moraux ».

Les choses sérieuses commencent en 1762, lorsque, Rousseau décrété de


prise de corps après la publication de ses grands ouvrages, le Contrat social et
l’Émile, doit s’enfuir de France. À Genève, l’auteur est menacé d’arrestation
s’il vient dans la ville et ses livres sont brulés. Pour Rousseau, malade,
déprimé, ces persécutions sont le résultat, direct ou indirect, de l’influence
dont jouit Voltaire à Genève comme à Paris. Dans les Lettres sur la
Montagne, il accuse Voltaire d'être l'auteur du Sermon des cinquante, libelle
anonyme profondément antichrétien paru en 1762, d’être complice de ses
persécuteurs, de préférer au raisonnement la plaisanterie, de publier des
ouvrages abominables et de ne pas croire en Dieu.
Voltaire répond par un libelle anonyme (Rousseau n’a jamais su qu’il en
était l’auteur), le Sentiment des Citoyens où il suggère l'exécution de
Rousseau, révélant que l’auteur de l’Émile a fait porter et déposer ses cinq
enfants (qu’il a eus avec Thérèse Levasseur) aux Enfants-trouvés : « si on
châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux
». Il tient Rousseau pour un « déguisé en saltimbanque » misérable et estime
justifiées les plus basses attaques (les problèmes urinaires de Rousseau sont
le fruit de ses « débauches »), au point de perdre tout sens de la mesure (ainsi
dans le poème burlesque La Guerre civile de Genève où il s’acharne
particulièrement contre Rousseau et sa compagne). Animé par la rage, il le
poursuit jusque dans son exil en Angleterre, faisant paraître anonymement
dans les journaux de Londres la Lettre au Docteur Jean-Jacques Pansophe
(1760) pour le brouiller avec ses hôtes.
Désormais, Voltaire va mener contre Rousseau une campagne d’insultes
et de railleries, même s’il écrit en 1767 : « Pour moi, je ne le regarde pas
comme un fou. Je le crois malheureux à proportion de son orgueil : c’est-à-
dire qu’il est l’homme du monde le plus à plaindre. »
VOLTAIRE ET LES FEMMES

Voltaire à la résidence de Frédéric II à Potsdam, en Prusse. Détail d’une


gravure de Pierre Charles Baquoy, d’après N. A. Monsiau.

La vie et l’œuvre de Voltaire dévoilent une place intéressante accordée


aux femmes. Plusieurs de ses pièces sont entièrement dédiées aux vies
exceptionnelles de femmes de pouvoir de civilisations orientales. Cette vision
des femmes au pouvoir peut éclairer l’attachement de Voltaire à une femme
savante comme Émilie du Châtelet.

En 1713, jeune secrétaire d’ambassade à La Haye, Voltaire s’éprend


d’Olympe Dunoyer (ou du Noyer), alias Pimpette. C'est très vite le grand
amour. La mère de cette jeune fille, une huguenote française exilée en
Hollande, haïssant la monarchie française, va porter plainte à l'ambassadeur.
Furieux, craignant un scandale, celui-ci renvoie Voltaire en France.
C’est largement grâce aux femmes que Voltaire se faufile dans la haute
société de la Régence. Louise Bénédicte de Bourbon, duchesse du Maine
réunissait dans son château de Sceaux une coterie littéraire qui complotait
contre le duc Philippe d’Orléans (1674-1723). On y poussa Voltaire à exercer
sa verve railleuse contre le Régent, ce qui valut à l’auteur un début de
notoriété, et onze mois de Bastille. Les fréquentations féminines de Voltaire
ne sont pas toutes de nature littéraire : c’est surtout pour favoriser ses affaires
qu’il séduit l’épouse d’un président à mortier au parlement de Rouen, le
marquis de Bernières, qu’il associe à ses spéculations, et aux ruses coûteuses
déployées pour éditer La Henriade en dépit de la censure royale.
Grâce au succès de sa première tragédie Œdipe, Voltaire fait la
connaissance de la duchesse de Villars, dont il s’éprend, mais sans que la
réciproque soit vraie ; reste, là aussi, l’introduction dans le cercle
aristocratique éclairé gravitant autour de Charles Louis Hector, maréchal de
Villars, qui recevait en son château de Vaux (Vaux-le-Vicomte). Quant à
l’amour, Voltaire s’en dit « guéri », au profit de l’amitié, qu’il cultivera
effectivement toute sa vie.

Voltaire a d’éphémères liaisons avec quelques actrices, notamment


Suzanne de Livry et Adrienne Lecouvreur, mais de santé précaire, il s’est
toujours préservé des excès, y compris amoureux. La relation avec Gabrielle
Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet-Lomont est en
revanche plus sérieuse. La traductrice de Newton est très douée pour les
lettres autant que pour les sciences ou la philosophie. Elle est mariée, mais le
marquis du Châtelet est un éternel absent, et Émilie, que tout passionne,
tombe amoureuse sans mesure du prestigieux poète, qui lui est présenté en
1733, et qu’elle aimera jusqu’à sa mort, seize ans plus tard. Cirey (Cirey-sur-
Blaise), le château de famille des Châtelet abrite leurs amours ; Voltaire en
entreprend la restauration et l’agrandissement à ses frais.

Leur vie est quasi maritale, mais des plus mouvementée ; les échanges
intellectuels intenses : Voltaire qui, jusque-là s’était consacré au « grand
genre », la tragédie et le poème épique, opte résolument pour ce qui fera la
particularité de son œuvre : le combat politique et philosophique contre
l’intolérance. Une relation fusionnelle, donc, autant que studieuse et féconde.
C’est par une tromperie philosophique que s’engagera la fin d’une
l’idylle de dix ans : la marquise renonce au matérialisme newtonien pour lui
préférer le déterminisme optimiste de Leibniz, ce à quoi Voltaire ne saurait
consentir. Moins sentimentale désormais, l’alliance persiste malgré tout. La
marquise sauve plusieurs fois Voltaire des conséquences de ses insolences, et
Voltaire éponge parfois les colossales dettes de jeu d’Émilie.
La situation se complique singulièrement lorsque Mme du Châtelet
s’éprend du marquis de Saint-Lambert (Jean-François de Saint-Lambert).
Émilie est enceinte, et Voltaire concocte un stratagème pour que le mari de la
marquise se croie le père de l’enfant. Émilie meurt peu après l’accouchement,
laissant Voltaire désespéré : il devait à Émilie du Châtelet ses années les plus
heureuses.

En 1745, Voltaire devient, à cinquante ans, l’amant de sa nièce (l’une


des deux filles de sa sœur aînée) Marie-Louise Denis. Voltaire a
soigneusement dissimulé cette passion incestueuse et « adultère » (il est
toujours l’amant en titre de la très jalouse Mme du Châtelet). Mme Denis
n’est du reste pas des plus fidèles, et ne dédaigne pas de profiter de la fortune
(considérable) du poète. Le couple ne cohabite vraiment qu’à la mort de Mme
du Châtelet en 1749. Sauf pendant l’épisode prussien, Voltaire et sa nièce ne
se sépareront plus. Marie-Louise Denis va régner sur le ménage de Voltaire
jusqu'à sa mort. Bourgeoise, elle sait conduire une maisonnée, ce dont ne se
souciait pas Mme du Châtelet. Mais elle ne sera jamais, comme elle, la
confidente et la conseillère de ses travaux.
Mme d’Épinay a fait de Mme Denis un portrait caricatural lors de sa
visite aux Délices en novembre 1757 : « La nièce de M. de Voltaire est à
mourir de rire, c’est une petite grosse femme, toute ronde, d’environ
cinquante ans, femme comme on ne l’est point, laide et bonne, menteuse sans
le vouloir et sans méchanceté ; n’ayant pas d’esprit et en paraissant avoir ;
criant, décidant, politiquant, versifiant, déraisonnant, et tout cela sans trop de
prétention et surtout sans choquer personne, ayant par-dessus tout un petit
vernis d’amour masculin qui perce à travers la retenue qu’elle s’est imposée.
Elle adore son oncle, en tant qu’oncle et en tant qu’homme. Voltaire la chérit,
s’en moque, la révère : en un mot cette maison est le refuge de l’assemblage
des contraires et un spectacle charmant pour les spectateurs ». Mais le portrait
qu'a laissé d'elle Van Loo montre un visage bien dessiné, un regard agréable
et une certaine sensualité. « Prenez soin de maman… » aurait été l'une des
dernières paroles de Voltaire mourant.
VOLTAIRE ET L'HOMOSEXUALITÉ

Dans le Dictionnaire Philosophique, Voltaire qualifie l'homosexualité


(en fait : la pédérastie que l'on qualifiait à l'époque d’Amour Socratique) d'«
attentat infâme contre la nature » (encore faut-il lire la phrase entière, «
Comment s’est-il pu faire qu’un vice, destructeur du genre humain s’il était
général ; qu’un attentat infâme contre la nature, soit pourtant si naturel ? »),
d'« abomination dégoûtante », ou encore de « turpitude ». Il écrit notamment:
« Sextus Empiricus & d’autres, ont beau dire que la pédérastie était
recommandée par les loix de la Perse ; qu’ils citent le texte de la loi, qu’ils
montrent le Code des Persans ; & s’ils le montrent, je ne le croirai pas encor,
je dirai que la chose n’est pas vraye, par la raison qu’elle est impossible ; non,
il n’est pas dans la nature humaine de faire une loi qui contredit, & qui
outrage la nature, une loi qui anéantirait le genre humain si elle était observée
à la lettre. ».

Voltaire refuse donc que l'homosexualité (ou plus précisément : la «


pédérastie ») soit une norme sociale « observée à la lettre » et généralisée : on
ne peut pas en faire une loi naturelle – puisqu'elle n'est pas universellement
partagée entre les êtres humains – et que l'hétérosexualité est de toute
évidence majoritaire et nécessaire au renouvellement de l'espèce.
Daniel Borrillo et Dominique Colas, dans leur ouvrage L’Homosexualité
de Platon à Foucault, ont un jugement très critique envers les positions de
Voltaire: « Voltaire aborde la question dans son dictionnaire philosophique
sous le chapitre Amour nommé socratique d’une manière si légère et si
violente qu’il semble avoir été écrit par un théologien du Moyen Âge plutôt
que par un philosophe de la Raison. » Voltaire ne fait toutefois aucune
référence à la Bible, à la différence de l'article "Sodomie" de l'Encyclopédie
paru en 1765. Par ailleurs l'article du Dictionnaire philosophique a été très
développé dans les Questions sur l'Encyclopédie (à partir de 1770).
Selon Roger-Pol Droit, « Pareil acharnement est d'autant plus curieux
qu'il est difficile de l'imputer au climat de l'époque (…). La plupart des
philosophes des Lumières sont d'ailleurs plus que tolérants envers les
partenaires de même sexe. Au contraire, Voltaire n'a cessé de juger ces
mœurs contre nature, dangereuses, infâmes. ».
Mais c'est surtout l'homosexualité – conçue comme « pédérastie » (et
par extension pédophilie) qui est vivement condamnée par Voltaire, le
philosophe craignant des abus sexuels sur mineurs – si les références à
l'Antiquité gréco-romaine viennent à justifier, à tort et à travers, des « amours
socratiques » où un pédagogue a des relations sexuelles avec les jeunes
adolescents qui sont ses élèves ; en effet :

« Je ne peux souffrir qu’on prétende que les Grecs ont autorisé cette
licence. On cite le législateur Solon, parce qu’il a dit en deux mauvais vers,
Tu chériras un beau garçon, Tant qu’il n’aura barbe au menton. (...) Sextus
Empiricus qui doutait de tout, devait bien douter de cette jurisprudence. S’il
vivait de nos jours, & qu’il vît deux ou trois jeunes Jésuites abuser de
quelques écoliers, aurait-il droit de dire que ce jeu leur est permis par les
constitutions d’Ignace de Loyola ? »
— Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, Amour nommé
socratique.
VOLTAIRE ET L'ESCLAVAGISME

Voltaire était fondamentalement opposé à l'image du « bon sauvage »


des pays équatoriaux ou que l'homme est « bon » à l'état de nature, image
promue par Jean-Jacques Rousseau ou Denis Diderot – avec, par exemple,
son Supplément au voyage de Bougainville (« innocence » du « primitif »
rappelant d'ailleurs l'image biblique du Jardin d'Eden, lorsqu'Adam et Eve
n'ont point encore goûté au fruit de la connaissance du bien et du mal).
Voltaire considère que les hommes noirs, des pays équatoriaux, sont des
« animaux humains » comme le sont aussi les hommes blancs, et que, si les
Africains sont victimes de l'Européen, ce n'est pas parce que l'Européen est
corrompu par la société – tandis que les Africains ne le sont point, comme
vierges de toute culpabilité, mais bien parce que les chefs nègres collaborent
activement avec les marchands européens pour leur vendre des esclaves
africains ; ainsi, Voltaire ne cherche pas à dédouaner de leur responsabilité
les peuples africains dans la traite négrière (en les infantilisant ou en clamant
qu'ils sont trop naïfs pour ne pas savoir ce qu'ils font, comme incapables de
distinguer le bien et le mal), et écrit, dans son Essai sur les mœurs et l’esprit
des Nations :

« Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on


nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore
plus condamnable que l’acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité ;
celui qui se donne un maître était né pour en avoir. »
Ce refus de faire des Africains un peuple essentiellement « irresponsable
», démontre que Voltaire s'écarte de tout discours justifiant une essence
humaine, discours permettant de soutenir qu'il y a des hommes qui, par leur
seule naissance, sont destinés à être dominés et oppressés, et d'autres – à
dominer et à oppresser : pour Voltaire, c'est parce que les Africains noirs
n'ont pas pitié des leurs – et ne les protègent pas des abus, que les Européens
peuvent les asservir sans problème par l'esclavage, et non parce que les
hommes noirs sont par leur nature même « naïfs » – abusés malgré eux,
comme le prétendent les Européens croyant au « bon sauvage ».

Voltaire a fermement condamné l’esclavagisme. Le texte le plus célèbre


est la dénonciation des mutilations de l’esclave de Suriname dans Candide
mais son corpus comporte plusieurs autres passages intéressants. Dans le «
Commentaire sur l’Esprit des lois » (1777), il félicite Montesquieu d’avoir
jeté l’opprobre sur cette odieuse pratique.

Il s’est également enthousiasmé pour la libération de leurs esclaves par


les quakers de Pennsylvanie en 1769.

De la même manière le fait qu’il considère en 1771 que « de toutes les


guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-être la seule juste »,
guerre que des esclaves ont menée contre leurs oppresseurs, plaide
assurément en faveur de la thèse d’un Voltaire antiesclavagiste.
Lors des dernières années de sa vie, en compagnie de son avocat et ami
Christin, il a lutté pour la libération des « esclaves » du Jura qui constituaient
les derniers serfs présents en France et qui, en vertu du privilège de la main-
morte, étaient soumis aux moines du chapitre de Saint-Claude (Jura). C’est
un des rares combats politiques qu’il ait perdu ; les serfs ne furent affranchis
que lors de la Révolution française, dont Voltaire inspira certains des
principes.

À tort, on a souvent prétendu que Voltaire s’était enrichi en ayant


participé à la traite des noirs. On invoque à l’appui de cette thèse une lettre
qu’il aurait écrite à un négrier de Nantes pour le remercier de lui avoir fait
gagner 600 000 livres par ce biais. En fait, cette prétendue lettre est un faux.
VOLTAIRE, LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME

Pour Christian Delacampagne, « Voltaire, il faut s’y résoudre, est à la


fois polygéniste, raciste et antisémite », car, animé par ce qu'il considère
comme l'obscurantisme religieux, « il poursuit d’une même haine le
christianisme et le judaïsme. Et comme il lui faut à tout prix se démarquer des
doctrines défendues par ces deux religions, il se croit obligé d’attaquer avec
vigueur le monogénisme » (selon quoi Adam et Eve sont le couple humain
unique et originel).
Ainsi, dans l’introduction de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des
nations, Voltaire écrit :

« Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les
albinos, les Hottentots, les Chinois, les Américains, soient des races
entièrement différentes… Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres
toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la
mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces
d’hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu’ils ne doivent
point cette différence à leur climat, c’est que les nègres et les négresses,
transplantés dans des pays les plus froids, y produisent toujours des animaux
de leur espèce… »
Cet extrait doit être lu avec les références du XVIIIe siècle : le mot «
race » à cette époque n'a pas du tout le sens que lui a donné le XIXe siècle –
et n'a aucune connotation péjorative (du fait que l'eugénisme scientifique n'est
pas encore présent au XVIIIe siècle), ainsi que le terme « intelligence ». «
Race » désigne davantage un ca-RAC-tère, un genre, un type, et «
intelligence » les qualités intellectuelles propres.
Bien avant Darwin et sa théorie de l'évolution, Voltaire remet donc
totalement en question le dogme abrahamique consistant à affirmer que
l'espèce humaine, en son intégralité, vient d'un seul couple originel (Adam et
Eve) créé par Jéhovah, mais considère, au contraire, que l'humanité – à la
manière de toutes les autres espèces animales –, est issue de différentes
branches distinctes qui ont évolué de manière multiple, en lien étroit avec la
géographie et leur hérédité physique particulière (c'est ce que défend aussi
Montesquieu, qui prétend, dans son Esprit des lois, que les cultures humaines
se constituent différemment selon le climat et la géographie où elles
s'épanouissent).
Il s'agit pour Voltaire de promouvoir l'idée que les hommes, blancs ou
noirs, chinois ou autres, sont eux-aussi des animaux parmi tant d'autres (et
que les animaux non-humains ont eux-aussi une âme), « animaux humains »
qui ont pour principal devoir – le devoir d'« humanité », et qu'il n'y a pas une
« humanité » élue par rapport à une autre « humanité » déchue – et destinée à
être l'esclave d'une autre ; en effet, la justification « morale » de l'esclavage
négrier par les chrétiens blancs se basaient sur une interprétation de la Bible
(reprise par le Ku Klux Klan), selon quoi les hommes noirs étaient
descendants de Cham, dont le fils fut maudit par Noé et que, ce faisant, les
hommes noirs ne méritaient aucune compassion ni respect, leur destinée étant
d'être maudits à jamais, d'être esclaves ou toujours subordonnés aux hommes
blancs chrétiens qui, eux, sont les descendants de Japhet.

La posture critique de Voltaire est par conséquent philosophiquement


très opposée et moqueuse envers la Bible ; ce rejet de la Bible (qui n'est pas
total, puisque Voltaire reconnaît la valeur éthique des lois noahides), livre
saint du judaïsme, l'amène à être critique envers le peuple juif, dépositaire
premier de cet ouvrage ; en effet, Voltaire ne veut pas reconnaître une
sainteté particulière pour le peuple juif – comme l'avait fait Blaise Pascal
dans ses Pensées –, déjà, pour mieux pouvoir critiquer le christianisme qui se
réfère constamment au judaïsme en prétendant être son aboutissement
messianique, ensuite, parce qu'il ne voit aucun peuple plus saint qu'un autre
par son essence, parce qu'élue par « Dieu » ou liée à une « Alliance divine »
ethnocentrique. La lecture de certains passages du Dictionnaire
Philosophique ou des « Essais sur les Mœurs » pose la question de l’«
antisémitisme » (terme forgé vers la fin du XIX° siècle) de Voltaire. Dans
l’article « Tolérance », il écrit :
« C’est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards,
la plus détestable qui ait jamais souillé la terre. Mais tout absurde et atroce
qu’elle était, la secte des saducéens fut paisible et honorée, quoiqu’elle ne
crût point l’immortalité de l’âme, pendant que les pharisiens la croyaient. »

Il écrit aussi :

« Si ces Ismaélites [les Arabes, qui, selon la Bible, descendent d'Ismaël]


ressemblaient aux Juifs par l'enthousiasme et la soif du pillage, ils étaient
prodigieusement supérieurs par le courage, par la grandeur d'âme, par la
magnanimité […] Ces traits caractérisent une nation. On ne voit au contraire,
dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune action généreuse. Ils ne
connaissent ni l'hospitalité, ni la libéralité, ni la clémence. Leur souverain
bonheur est d'exercer l'usure avec les étrangers ; et cet esprit d'usure, principe
de toute lâcheté, est tellement enracinée dans leurs cœurs, que c'est l'objet
continuel des figures qu'ils emploient dans l'espèce d'éloquence qui leur est
propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils
peuvent s'emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent
que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maitres quand ils sont esclaves ; ils
ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs : ils sont ennemis du
genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun
temps, chez cette nation atroce. »

— Essais sur les Mœurs, Voltaire, éd. Moland, 1875, t. 11, chap. 6-De
l’Arabie et de Mahomet, p. 231.

Il faut cependant noter que cette détestation s'oriente sur les Hébreux de
l'Ancien Testament, et non sur les Juifs en général. Il n'y a absolument
aucune preuve que Voltaire ait détesté les Juifs. On a d'ailleurs une preuve de
sa main, dans une lettre à M. Pinto, juif portugais, du 21 juillet 1762 :

A M. PINTO, JUIF PORTUGAIS, A PARIS. Aux Délices, 21 juillet

Les lignes dont vous vous plaignez, monsieur, sont violentes et injustes.
Il y a parmi vous des hommes très instruits et très respectables ; votre lettre
m’en convainc assez. J’aurai soin de faire un carton dans la nouvelle édition.
Quand on a un tort, il faut le réparer ; et j’ai eu tort d’attribuer à toute une
nation les vices de plusieurs particuliers.

Je vous dirai, en toute franchise, que bien des gens ne peuvent souffrir ni
vos lois, ni vos livres, ni vos superstitions. Ils disent que votre nation s’est
fait de tout temps beaucoup de mal à elle-même, et en a fait au genre humain.
Si vous êtes philosophe comme vous paraissez l’être, vous pensez comme ces
messieurs, mais vous ne le direz pas. La superstition est le plus abominable
fléau de la terre ; c’est elle qui, de tous les temps, a fait égorger tant de juifs
et tant de chrétiens ; c’est elle qui vous envoie encore au bûcher chez des
peuples d’ailleurs estimables. Il y a des aspects sous lesquels la nature
humaine est la nature infernale. On sécherait d’horreur si on la regardait
toujours par ces côtés ; mais les honnêtes gens, en passant par la Grève où
l’on roue, ordonnent à leur cocher d’aller vite, et vont se distraire à l’Opéra
du spectacle affreux qu’ils ont vu sur leur chemin.

Je pourrais disputer avec vous sur les sciences que vous attribuez aux
anciens Juifs, et vous montrer qu’ils n’en savaient pas plus que les Français
du temps de Chilpéric ; je pourrais vous faire convenir que le jargon d’une
petite province, mêlé de chaldéen, de phénicien et d’arabe, était une langue
indigente et aussi rude que notre ancien gaulois ; mais je vous fâcherais peut-
être, et vous me paraissez trop galant homme pour que je veuille vous
déplaire. Restez Juifs, puisque vous l’êtes ; vous n’égorgerez point quarante-
deux mille hommes pour n’avoir pas prononcé shiboleth, ni vingt-quatre
mille pour avoir couché avec des Madianites ; mais soyez philosophe, c’est
tout ce que je peux vous souhaiter de mieux dans cette courte vie.

J’ai l’honneur d’être monsieur, avec tous les sentiments qui vous sont
dus, votre très humble, etc.

VOLTAIRE, chrétien,

Et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très chrétien.


Voltaire, qui signe en chrétien, méprise le judaïsme qu'il conçoit comme
un idéalisme fanatique et dogmatique – source du christianisme et de l'islam.
Mais il évacue toute idée de détestation raciale ou de haine perverse. Voltaire
tolère, mais Voltaire combat par les idées.

Pour Bernard Lazare (+ 1903), « si Voltaire fut un ardent judéophobe,


les idées que lui et les encyclopédistes représentaient n’étaient pas hostiles
aux Juifs, puisque c’étaient des idées de liberté et d’égalité universelle ».
L’historien de la Shoah, Léon Poliakov fait de Voltaire, « le pire antisémite
français du XVIIIe siècle ». Selon lui, ce sentiment se serait aggravé dans les
quinze dernières années de la vie de Voltaire. Il paraîtrait alors lié au combat
du philosophe contre l’Église. Certes, Voltaire déteste les Hébreux de
l’Ancien Testament qui prétendent être le peuple élu : nul peuple n’est tel
pour lui. Mais Voltaire n’appelle pas sur les juifs la persécution raciale à la
différence des antisémites du XIXe siècle et du XXe siècle. Au contraire, les
critiques de Voltaire envers le judaïsme (ou envers le christianisme, l'islam, le
manichéisme, le polythéisme et l'athéisme) servent de point d'appui pour
glorifier une éthique universelle, la tolérance et le respect au-delà des
doctrines métaphysiques :

« Vous [les Israélites] me paraissez les plus fous de la bande [hommes


se disputant pour leurs opinions religieuses respectives, athées compris]. Les
Cafres, les Hottentots, les nègres de Guinée sont des êtres beaucoup plus
raisonnables et plus honnêtes que vos Juifs les ancêtres. Vous l'avez emporté
sur toutes les nations en fables impertinentes, en mauvaise conduite, et en
barbarie. (...) Pourquoi seriez-vous une puissance ? (...) Continuez surtout à
être tolérants ; c'est le vrai moyen de plaire à l'Être des êtres, qui est
également le père des Turcs et des Russes, des Chinois et des Japonais [deux
couples de nations voisines souvent en conflit], des nègres, des tannés et des
jaunes, et de la nature entière. »
— Voltaire, Il faut prendre un parti ; XXIV Discours d'un théiste.
Pour Pierre-André Taguieff, « Les admirateurs inconditionnels de la «
philosophie des Lumières », s’ils prennent la peine de lire le troisième tome
(De Voltaire à Wagner) de l’Histoire de l’antisémitisme, paru en 1968, ne
peuvent que nuancer leurs jugements sur des penseurs comme Voltaire ou le
baron d’Holbach, qui ont reformulé l’antijudaïsme dans le code culturel «
progressiste » de la lutte contre les préjugés et les superstitions ».
D’autres notent que l’existence de passages contradictoires dans l’œuvre
de Voltaire ne permet pas de conclure péremptoirement au racisme ou à
l’antisémitisme du philosophe. « L’antisémitisme n’a jamais cherché sa
doctrine chez Voltaire », indique ainsi Roland Desné, qui écrit : « Il est non
moins vrai que ce n’est pas d’abord chez Voltaire qu’on trouve des raisons
pour combattre l’antisémitisme. Pour ce combat, il y a d’abord l’expérience
et les raisons de notre temps. Ce qui ne signifie pas que Voltaire, en
compagnie de quelques autres, n’ait pas sa place dans la lointaine genèse de
l’histoire de ces raisons-là. »

Candide, face au nègre esclave, atrocement mutilé par ses propriétaires,


qui lui dit : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Néanmoins, le passage du Candide de Voltaire, au chapitre 19, est


suffisamment clair sur l'humanisme du philosophe, sa compassion universelle
et son esprit de justice ; Voltaire y dénonce en même temps et ironiquement
le racisme anti-noir, le commerce triangulaire ou traite négrière,
l'esclavagisme (dont les lois visant à mutiler les fugitifs) ainsi que l'oubli, la
cruauté et l'hypocrisie des Européens et du christianisme envers les hommes
noirs exploités pour du sucre :
« En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre,
n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile
bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. «
Eh ! mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans
l’état horrible où je te vois ? — J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le
fameux négociant, répondit le nègre. — Est-ce M. Vanderdendur, dit
Candide, qui t’a traité ainsi ? — Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On
nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand
nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous
coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je
me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre
en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la
côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-
les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l’honneur d’être esclave de nos
seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. »
Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne.
Les chiens, les singes, et les perroquets, sont mille fois moins malheureux
que nous ; les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les
dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis
pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous
cousins issus de germain. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec
ses parents d’une manière plus horrible. »
— Voltaire, Candide, chapitre 19.
VOLTAIRE ET L'ISLAM

Ce paragraphe peut provoquer une controverse de neutralité.


Considérez-le avec précaution.

Mahomet (1741).

Déiste, Voltaire était attiré par la rationalité apparente de l’islam,


religion sans clergé, sans miracle et sans mystères. Reprenant la thèse déiste
d’Henri de Boulainvilliers, il apercevait dans le monothéisme musulman une
conception plus rationnelle que celle de la Trinité chrétienne.
Dans sa tragédie Le Fanatisme ou Mahomet, Voltaire considère
Mahomet comme un « imposteur », un « faux prophète », un « fanatique » et
un « hypocrite ». Toutefois selon Pierre Milza, la pièce a surtout été « un
prétexte à dénoncer l’intolérance des chrétiens - catholiques de stricte
observance, jansénistes, protestants - et les horreurs perpétrées au nom du
Christ ». Pour Voltaire, Mahomet « n’est ici autre chose que Tartuffe les
armes à la main ».

Voltaire écrira en 1742 dans une lettre à M. de Missy : « Ma pièce


représente, sous le nom de Mahomet, le prieur des Jacobins mettant le
poignard à la main de Jacques Clément ».
Plus tard, après avoir lu Henri de Boulainvilliers et Georges Sale, il
reparle de Mahomet et de l’islam dans un article « De l’Alcoran et de
Mahomet » publié en 1748 à la suite de sa tragédie. Dans cet article, Voltaire
maintient que Mahomet fut un « charlatan », mais « sublime et hardi » et écrit
qu’il n’était en outre pas un illettré. Puisant aussi des renseignements
complémentaires dans la Bibliothèque orientale d’Herbelot, Voltaire, selon
René Pomeau, porte un « jugement assez favorable sur le Coran » où il
trouve, malgré « les contradictions, les absurdités, les anachronismes », une «
bonne morale » et « une idée juste de la puissance divine » et y « admire
surtout la définition de Dieu ». Ainsi il « concède désormais » que « si son
livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses
contemporains, et sa religion encore meilleure. Il faut avouer qu’il retira
presque toute l’Asie de l’idolâtrie » et qu’« il était bien difficile qu’une
religion si simple et si sage, enseignée par un homme toujours victorieux, ne
subjuguât pas une partie de la terre ». Il considère que « ses lois civiles sont
bonnes ; son dogme est admirable en ce qu’il a de conforme avec le nôtre »
mais que « les moyens sont affreux ; c’est la fourberie et le meurtre ».

Après avoir estimé plus tard qu’il avait fait dans sa pièce Mahomet « un
peu plus méchant qu’il n’était », c’est dans la biographie de Mahomet rédigée
par Henri de Boulainvilliers que Voltaire puise et emprunte, selon René
Pomeau, « les traits qui révèlent en Mahomet le grand homme ». Dans son
Essai sur les mœurs et l’esprit des Nations dans lequel il consacre, en
historien cette fois, plusieurs chapitres à l’islam, Voltaire « porte un jugement
presque entièrement favorable » sur Mahomet qu’il qualifie de « poète », de «
grand homme » qui a « changé la face d’une partie du monde », tout en
nuançant la sincérité de Mahomet qui imposa sa foi par « des fourberies
nécessaires ». Il considère que si « le législateur des musulmans, homme
puissant et terrible, établit ses dogmes par son courage et par ses armes », sa
religion devint cependant « indulgente et tolérante ».

Cependant, Voltaire est fondamentalement déiste et dénonce clairement


l’Islam et les religions abrahamiques en général. Profitant de la définition du
théisme dans son Dictionnaire philosophique, il jette dos à dos Islam et
Christianisme :
« [Le théiste] croit que la religion ne consiste ni dans les opinions d’une
métaphysique inintelligible, ni dans de vains appareils, mais dans l’adoration
et dans la justice. Faire le bien, voilà son culte ; être soumis à Dieu, voilà sa
doctrine. Le mahométan lui crie : « Prends garde à toi si tu ne fais pas le
pèlerinage à La Mecque ! » « Malheur à toi, lui dit un récollet, si tu ne fais
pas un voyage à Notre-Dame de Lorette ! » Il rit de Lorette et de La Mecque ;
mais il secourt l’indigent et il défend l’opprimé. »
Néanmoins, dans un contexte français marqué par l’emprise liberticide
du catholicisme sur la société française, Voltaire nuance parfois son jugement
sur l’Islam, comprenant qu’il peut s’agir d’une arme redoutable contre le
clergé catholique.

Ses propos sur Mahomet lui valent d’ailleurs les foudres des jésuites et
notamment de l’abbé Claude-Adrien Nonnotte.

Dans l’Essai sur les mœurs, Voltaire se montre également « plein


d’éloges pour la civilisation musulmane et pour l’islam en tant que règle de
vie ». Il compare ainsi le « génie du peuple arabe » au « génie des anciens
Romains » et écrit que « dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui
suivirent la décadence et le déchirement de l’Empire romain, nous reçûmes
presque tous des Arabes : astronomie, chimie, médecine » et que « dès le
second siècle de Mahomet, il fallut que les chrétiens d’Occident
s’instruisissent chez les musulmans ».
Il y a donc deux représentations de Mahomet chez Voltaire, l’une
religieuse selon laquelle Mahomet est un prophète comme les autres qui
exploite la naïveté des gens et répand la superstition et le fanatisme, mais qui
prêche l’unicité de Dieu et l’autre, politique, selon laquelle Mahomet est un
grand homme d’État comme Alexandre le Grand et un grand législateur qui a
fait sortir ses contemporains de l’idolâtrie. Ainsi selon Diego Venturino la
figure de Mahomet est ambivalente chez Voltaire, qui admire le législateur,
mais déteste le conquérant et le pontife, qui a établi sa religion par la
violence. Pour Dirk van der Cruysse l’image plus nuancée de Mahomet dans
l’Essai sur les mœurs est nourrie en partie par « l’antipathie que Voltaire
éprouvait à l’égard du peuple juif ». Selon lui, les « inefficacités de la
révélation judéo-chrétienne » comparées au « dynamisme de l’islam »
soulève chez Voltaire une « admiration sincère mais suspecte ». Van der
Cruysse considère le discours voltairien sur Mahomet comme un « tissu
d’admiration et de mauvaise foi mal dissimulé » qui vise moins le prophète
lui-même que les spectres combattus par Voltaire à savoir le « fanatisme et
l’intolérance du christianisme et du judaïsme ».

Ce qu'il ne faut donc pas perdre de vue, c'est que Voltaire admire le
Mahomet conquérant, réformateur et législateur, qu'il apprécie des
caractéristiques du dogme mais seulement quand il les compare à d'autres, et
qu'enfin il exècre l'Islam en tant que religion, et, dans les textes qui montrent
l'éloge à Mahomet, on lit aussi une dénonciation virulente de la barbarie, du
fanatisme, et de l'obscurantisme.
VOLTAIRE ET LE CHRISTIANISME

Le christianisme, dont il souhaite la disparition, n’est pour Voltaire que


superstition et fanatisme. En 1767, il écrit à Frédéric II : « Tant qu’il y aura
des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans contredit
la plus ridicule, la plus absurde, et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le
monde ».
Toute sa vie, Voltaire a répandu des écrits anti-chrétiens, tout en
affirmant qu’il était étranger à ces publications (ce qui en général ne trompait
personne, mais lui évitait des poursuites personnelles) et en feignant à Ferney
la pratique religieuse, par exemple en faisant ses pâques en 1768(ses bons
paysans seraient « effrayés », explique-t-il dans ses lettres, s’ils le voyaient
agir autrement qu’eux, s’ils pouvaient imaginer qu’il pense différemment).

Ses attaques contre la croyance et les pratiques du christianisme, ses


railleries sur la Bible, surtout l’Ancien Testament (dont il est un lecteur
assidu), sont le propre de ce qu’on a appelé « l’esprit voltairien » et ont
suscité contre lui des haines profondes.
Elles se font en effet toujours sous une forme particulièrement
moqueuse envers les croyants, ainsi dans Le Dîner du comte de
Boulainvilliers (1767), son réquisitoire contre la messe et la communion :
« Un gueux qu’on aura fait prêtre, un moine sortant des bras d’une
prostituée, vient pour douze sous, revêtu d’un habit de comédien, me
marmotter dans une langue étrangère ce que vous appelez une messe, fendre
l’air en quatre avec trois doigts, se courber, se redresser, tourner à droite et à
gauche, par devant et par derrière, et faire autant de dieux qu’il lui plaît, les
boire et les manger, et les rendre ensuite à son pot de chambre ! »

Mais Voltaire peut être plus clément dans sa critique du christianisme,


en écrivant par exemple dans sa Vingt-cinquième lettre sur les Pensées de M.
Pascal, que « le christianisme n’enseigne que la simplicité, l’humanité, la
charité ; vouloir le réduire à la métaphysique, c’est en faire une source
d’erreurs. »

La condamnation du christianisme chez Voltaire porte donc d'avantage


sur l'idéalisme exclusif et l'aspect rituel (ou superstitieux) qui peut s'en
emparer (et le desservir) – que sur les enseignements de Jésus-Christ en eux-
mêmes. Voltaire préfère prendre le parti des opprimés et cultiver une
philosophie à contre-courant de toutes idées et comportements préconçus –
pour permettre à la Raison sensible de s'épanouir librement, plutôt que
défendre et établir des systèmes de pensées abstraits sans lien avec la réalité
vécue : un philosophe ne doit pas devenir un « chef de parti » enfermant son
intellect dans une doctrine, même s'il prend parti.

C'est surtout l'absurdité conceptualisée et érigée en dogme – et l'absence


d'empathie des hommes, qui pousse Voltaire à dénoncer le christianisme et à
se moquer des chrétiens et à tout ce qui leur apparaît « normal » ; dans son
Dialogue du chapon et de la poularde, Voltaire en vient ainsi à faire dire au
chapon, s'adressant à la poularde, que l'abstinence de viande, deux jours par
semaine, dans le christianisme, est un loi « très barbare [qui] ordonne que ces
jours-là on mangera les habitants des eaux. Ils vont chercher des victimes au
fond des mers et des rivières. Ils dévorent des créatures dont une seule coûte
souvent plus de la valeur de cent chapons : ils appellent cela jeûner, se
mortifier. Enfin je ne crois pas qu'il soit possible d'imaginer une espèce plus
ridicule à la fois plus abominable, plus extravagante et plus sanguinaire. »

Globalement, le lien fait entre le fanatisme sanguinaire et les références


abrahamiques est chez Voltaire une constante, qui participe beaucoup à son
rejet du christianisme. Dans La Bible enfin expliquée, Voltaire écrit :
« C'est le propre des fanatiques qui lisent les Ecritures saintes, de se dire
à eux-mêmes : Dieu a tué, donc il faut que je tue ; Abraham a menti, Jacob a
trompé, Rachel a volé, donc je dois voler, tromper, mentir. Mais, malheureux
! tu n'es ni Rachel, ni Jacob, ni Abraham, ni Dieu : tu n'es qu'un fou furieux,
& les Papes qui défendirent la lecture de la Bible furent très sages.»
VOLTAIRE ET LE PROTESTANTISME

L’engagement de Voltaire pour la liberté religieuse est célèbre, et un des


épisodes les plus connus en est l’affaire Calas. Ce protestant, injustement
accusé d’avoir tué son fils qui aurait voulu se convertir au catholicisme est
mort roué en 1762. En 1763, Voltaire publie son Traité sur la tolérance à
l’occasion de la mort de Jean Calas qui bien qu’interdit aura un
retentissement extraordinaire et amènera à la réhabilitation de Calas deux ans
plus tard.
Au départ, il n’éprouvait pas pour lui de sympathies particulières, au
point d’écrire le 22 mars 1762, dans une lettre privée au conseiller Le Bault :
« Nous ne valons pas grand’ chose, mais les huguenots sont pires que nous, et
de plus ils déclament contre la comédie ». Il venait alors d’apprendre
l’exécution de Calas et, encore mal informé, il croyait à sa culpabilité. Mais
des renseignements lui parviennent et, le 4 avril, il écrit à Damilaville : « Il
est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes.
Presque tout le Languedoc en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui
nous haïssent et qui nous battent, sont saisies d’indignation. Jamais, depuis le
jour de la Saint-Barthélemy, rien n’a tant déshonoré la nature humaine. Criez,
et qu’on crie. » Et il se lance dans le combat pour la réhabilitation.

En 1765, Voltaire prend fait et cause pour la famille Sirven, dans une
affaire très similaire ; cette fois-ci il réussira à éviter la mort aux parents.
Cependant, bien qu’impressionné par la théologie des Quakers, et révolté par
le massacre de la Saint-Barthélemy (Voltaire était pris de malaises tous les 24
août), Voltaire n’a pas de sympathie particulière pour le protestantisme établi.
Dans sa lettre du 26 juillet 1769 à la duchesse de Choiseul, il dit bien crûment
: « Il y a dans le royaume des Francs environ trois cent mille fous qui sont
cruellement traités par d’autres fous depuis longtemps. »
VOLTAIRE ET L'HINDOUISME

Très critique envers les religions abrahamiques, Voltaire avait en


revanche une vision positive de l'hindouisme (mais rejetant toute forme de
superstition qui aurait dégradé l'origine première des enseignements
brahmaniques) ; l'autorité sacrée des brahmanes, le Véda, a ainsi été
commenté par le philosophe en ces termes :
« Le Véda est le plus précieux don de l'Orient, et l'Occident lui en sera à
jamais redevable »

Et dans son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (chapitre 4) :
« Si l’Inde, de qui toute la terre a besoin, et qui seule n’a besoin de
personne, doit être par cela même la contrée la plus anciennement policée,
elle doit conséquemment avoir eu la plus ancienne forme de religion. »
Dans ce même chapitre, Voltaire voit le peuple hindou comme étant «
un peuple simple et paisible » – « étonné » de voir des « hommes ardents »,
venus « des extrémités occidentales de la terre », s'entretuer mutuellement sur
le sous-continent indien – pour le piller et le convertir à leur religion
respective et ennemie : l'islam ou les différentes branches du christianisme.

Voltaire se sert aussi des histoires et textes antiques de l'hindouisme


pour ridiculiser et renier les revendications et affirmations bibliques (temps
linéaire très court de la Bible, face au temps cyclique et infiniment long dans
l'hindouisme, etc.), et considère que la bienveillance hindoue envers les
animaux est un choix qui rend complètement honteux la malveillance
générale soutenue par l'impérialisme européen, colonial et esclavagiste.
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

À la mort de Voltaire, son corps avait été, selon sa volonté, autopsié. Le


marquis de Villette s’était approprié le cœur, l'apothicaire ayant procédé à
l'embaumement, M. Mitouard, avait obtenu de garder le cerveau. Villette,
ayant fait l'acquisition de Ferney, décida de faire de la chambre de l’écrivain
un sanctuaire. Il y dressa un petit mausolée abritant un coffret de vermeil
contenant la relique. Une plaque indiquait en lettres d’or : « Son esprit est
partout et son cœur est ici ». Quand il dut vendre Ferney en 1785, le marquis
rapporta le cœur rue de Beaune à Paris. Il échut à son héritier, qui était
devenu sous la Restauration un royaliste ultra et qui légua, à sa mort en 1859,
tous ses biens au comte de Chambord. D’autres héritiers des Villette, en
pleine querelle testamentaire, tentèrent alors de s’opposer à ce que le cœur du
philosophe devint la propriété du prétendant légitime au trône de France. Ils
perdirent leur procès en première instance et en appel, mais l’emportèrent en
cassation. Ils décidèrent d’en faire don en 1864 à l’empereur Napoléon III. Le
cœur de Voltaire fut déposé à la Bibliothèque nationale dans le socle du
plâtre original du « Voltaire assis » de Jean-Antoine Houdon où l’on peut lire
l’inscription : « Cœur de Voltaire donné par les héritiers du marquis de
Villette ». Cette cérémonie de remise du 16 décembre 1864 se fit en présence
de Victor Duruy, ministre de l'Instruction, qui déclara le cœur de Voltaire
bien national. Le cerveau de Voltaire fut exposé dans l'officine de Mitouart
pendant plusieurs années. Son fils voulut en faire don en 1799 à la
Bibliothèque nationale. Le Directoire refusa. De nouvelles propositions furent
faites en 1830 et 1858, suivies de nouveaux refus. Il échoua en 1924 à la
Comédie française (il aurait été cédé par une descendante des Mitouart contre
deux fauteuils d’orchestre) et fut placé dans le socle d'une autre statue de
Houdon où il se trouve encore.
On qualifia souvent Voltaire de franc-maçon sans tablier, car il s'était
tenu à l'écart de cette confrérie bien qu'il eût des conceptions voisines. En
1778 il accepta pourtant d'entrer dans la loge des Neuf Sœurs (que fréquentait
aussi Benjamin Franklin). On le dispensa vu son âge des habituelles épreuves
ainsi que du rite du bandeau sur les yeux, celui-ci semblant déplacé sur un
homme qui avait été considéré par beaucoup comme l'un des plus
clairvoyants de son époque. Il revêtit à cette unique occasion le tablier de
Claude-Adrien Helvétius, qu'il embrassa avec respect. Les honneurs funèbres
lui furent rendus en loge le 28 novembre de cette même année.
Il est courant d'entendre que Voltaire disait à propos de Marivaux et
d'autres : « Grands compositeurs de rien, pesant gravement des œufs de
mouche dans des balances de toiles d'araignées ». Or, s'il est exact que cette
expression se rencontre effectivement chez Voltaire, elle ne vise nullement
Marivaux. On la trouve dans sa lettre du 27 avril 1761 à l'abbé Trublet où il
écrit : « Je me souviens que mes rivaux et moi, quand j'étais à Paris, nous
étions tous fort peu de chose, de pauvres écoliers du siècle de Louis XIV, les
uns en vers, les autres en prose, quelques-uns moitié prose, moitié vers, du
nombre desquels j'avais l'honneur d'être ; infatigables auteurs de pièces
médiocres, grands compositeurs de riens, pesant gravement des œufs de
mouche dans des balances de toile d'araignée. » Quant au nom de l'auteur du
Jeu de l'amour et du hasard, il ne se trouve pas une seule fois dans la lettre.

Le billet de banque 10 francs Voltaire a été émis en janvier 1964.


NOTE DE L’EDITEUR

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Merci.
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