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Alexis Nouss
À paraître en 2015
– Nathalie Paton, School Shooting. Individuation et
globalisation par les médias participatifs, mai 2015.
– Céline Béraud et Philippe Portier, Métamorphoses
catholiques. Retour sur la mobilisation contre le mariage
pour tous, juin 2015.
Condition exilique 9
Exil et migration 19
Exiliance 63
Bibliographie 163
À mon exilée
Condition exilique
1. Le générique masculin dans cet ouvrage est utilisé sans discrimination et
uniquement dans le but d’alléger le texte. Un masculin de convention d’autant
plus protocolaire que, dans l’exil, les expériences de l’homme et de la femme ne
sont pas similaires, et qu’ils les construiront donc selon des logiques subjectives
différentes.
2. Telles la mer Rouge ou la mer d’Oman. Selon les chiffres du Haut Commissariat
aux réfugiés, en 2013 plus de 46 000 exilés les ont traversées – 500 000 depuis
2009 – pour parvenir au Yémen, où résideraient 2 millions d’exilés, la plupart
arrivés clandestinement.
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5. En ajoutant les 3 millions de déplacés externes (dans les pays limitrophes puis
au-delà), le chiffre global des exilés atteint près de la moitié de la population
totale en Syrie.
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9. Dans cette optique, le pluriel est ici privilégié pour éviter l’idéalisation propre
au singulier (le migrant, l’exilé) et ont été écartés les substantifs abstraits (la migra-
tion, l’exil), dont la neutralité trahirait le vécu de la condition à laquelle appar
tiennent ces personnes. La suite du texte les réintroduira.
10. La relagatio des Latins frappa, par exemple, Ovide, envoyé sur les rives de la
mer Noire tout en gardant ses droits et propriétés à Rome. L’ostracisme corres
pondait, dans la société athénienne, à un bannissement de dix ans prononcé
contre un citoyen jugé politiquement dangereux.
11. Ces derniers exemples en d’autres langues pour montrer que l’exercice devrait
être entrepris dans d’autres contextes nationaux afin de repérer à la fois les ten
dances discursives communes et les particularités inhérentes à chaque cadre
culturel. La pensée du territoire, de ses délimitations et de ses exclusions, s’avère
fondatrice pour toute culture et aucune utopie globalisante n’est, jusqu’à présent,
parvenu à en effacer la nécessité. Les Gastarbeiter vinrent pour travailler en
Allemagne dans les années 1960 et 1970 dans le cadre d’accords bilatéraux avec
divers États (Italie, Irlande, Turquie, Yougoslavie, etc.) ; en Allemagne de l’Est,
ils venaient de pays alliés à l’URSS (Cuba, Angola, Vietnam, etc.). Les confinati
étaient les citoyens jugés suspects ou dangereux par le pouvoir mussolinien, et
envoyés dans le Sud ou dans les îles.
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12. Il semblerait pourtant qu’un immigrant respirerait mieux dans une cité que
dans un musée.
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13. Composée de « singularités quelconques » qui « ne peuvent former une socie-
tas parce qu’elles ne disposent d’aucune identité qu’elles pourraient faire valoir,
d’aucun lien d’appartenance qu’elles pourraient faire reconnaître » (Agamben,
1990 : 88). Double refus de visa qui tamponne pourtant le passeport de l’exilé.
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14. Le « nous » n’est ici pas rhétorique. La notion est apparue au cours du travail
de recherche mené avec Alexandra Galitzine-Loumpet au sein des « Non-lieux
de l’exil » de la Fondation Maison des sciences de l’homme, programme devenu
initiative de recherche du Collège d’études mondiales (www.nle.hypotheses.org).
Le choix orthographique pour ce néologisme est mien.
15. « On n’a pas osé écrire essance comme l’exigerait l’histoire de la langue où
le suffixe ance, provenant de antia ou de entia, a donné naissance à des noms
abstraits d’action » (Lévinas, 1990 : 9).
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18. Voir l’article suivant publié en juillet 2014 par les Nations unies : http://www.
irinnews.org/fr/report/100355.
19. Le chiffre exact est de 51,2 millions de personnes à la fin de 2013. Trois catégo
ries de déracinés : les réfugiés (16,7 millions), les demandeurs d’asile (1,2 million),
les déplacés internes (33,3 millions). Voir le rapport du HCR, UNHCR Global
Trends 2013, sur le site du HCR www.unhcr.org.
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20. Statut fort fragile à en croire Vladimir Nabokov lorsqu’il évoque ses vingt-et-
une années d’exil après avoir quitté la Russie et avant d’avoir gagné les États-Unis :
« La Société des Nations fournissait aux émigrés qui avaient perdu leur citoyenneté
russe ce qu’on nommait un passeport Nansen, un document de piètre valeur et
de teinte verdâtre. Son détenteur était considéré à peine mieux qu’un criminel en
liberté conditionnelle […]. On devait aux autorités l’idée viscéralement ancrée
selon laquelle si dur le régime d’un pays, la Russie soviétique par exemple, fût-il,
n’importe quel individu qui le fuyait était digne de mépris puisqu’il s’était mis en
dehors d’une administration nationale […] » (Nabokov, 2000 : 212, ma traduction).
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21. Antoine de Saint-Exupéry attribue quant à lui, dans sa Lettre à un otage (1945),
la vanité des souvenirs à l’émigrant par opposition au voyageur qui garde vivant
son passé (voir citation supra p. 20).
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23. Les récits sont désormais majoritairement enregistrés sur des sites Internet, ce
qui sied à la fluidité et à l’ouverture de la condition exilique. Voir, entre autres :
www.storiemigranti.org ; www.migreurop.org (les rapports « Paroles d’expulsé.e.s »
et « Le livre noir de Ceuta et Melilla ») ; www.archiviomemoriemigranti.net ; www.
histoire-immigration.fr/histoire-de-l-immigration/histoires-singulieres. À noter
aussi l’initiative d’Arte reportage d’inviter cinéastes, photographes, écrivains
et bédéistes à donner leurs témoignages sur la vie des exilés dans quatre camps
situés au Népal, en Irak, au Liban et au Tchad : www.info.arte.tv/fr/refugies.
L’angélisme n’épargne toutefois pas certaines mises en récit : à lire la page « Voix
de migrants » (dans le rapport « État de la migration dans le monde 2013 ») sur le
site de l’Organisation mondiale pour les migrations, tout irait plutôt bien dans
le meilleur des mondes migrants.
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24. Pour une approche similaire, voir Gourcy (2013). Dans une perspective plus
générale, voir Jablonka (2013) sur les liens féconds à entretenir entre le fictionnel
et le scientifique.
25. L’exil fournit assurément à la littérature un de ses thèmes importants mais
en traiter déborderait le cadre du présent travail. Parmi l’importante production
critique qui s’y attache, citons, dans le domaine francophone, Alexandre-Garner
(2008), Alexandre-Garner et Keller-Privat (2012), Sabbah (2009, 2011), ce dernier
ouvrage adoptant une inflexion plus philosophique.
26. Jacques Rancière commente ici Mandelstam en rappelant que, pour le poète
russe, « il n’est de pouvoir poétique que du point de vue de l’exil » (Rancière, 1998 :
46). C’est dans une perspective politique qu’auparavant Jacques Rancière donnait
une définition exilique de la littérature comme « expérience de l’inhabiter » ainsi
explicitée : « l’expérience d’impropriété et d’exil qui lie la littérature à l’inquiétude
du multiple » (2004 : 197). C’est parce que la littérature interroge et dérange les
conventions en tant qu’elle est « mode suspensif de la parole » (ibid. : 190), en dehors
de l’ordre et des arrangements du monde, qu’elle peut accueillir toutes les singu
larités qui forment le corps de l’humanité. À noter que l’exiliance se reconnaît
dans la définition que donne Jacques Rancière de la suspension : « Une existence
suspensive a le statut d’une unité en plus, sans corps propre, qui vient s’inscrire
en surimpression sur un assemblage de corps et de propriétés » (ibid. : 190-191).
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30. Que cela soit une question de droit et non de morale, Emmanuel Kant y
revient plus tard dans La métaphysique des mœurs lorsqu’il distingue, dans le
« droit public », un « droit cosmopolitique » sur le même argument de la possession
commune de la terre dont il précise qu’il ne s’agit pas « de communauté juridique
de possession (communio) […] mais en situation d’action réciproque physique
possible (commercio) » (Kant, 1986b : 626). Les notions de circulation et de réci
procité qui s’attachent dès l’étymologie au terme « commerce » renforcent ce droit
de l’étranger qui fonde l’hospitalité.
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33. Selon l’image de Blaise Pascal, citée en exergue d’Autrement qu’être ou Au-delà
de l’essence, et souvent reprise par Emmanuel Lévinas (1990).
34. Ou « incondition » comme le propose Emmanuel Lévinas afin de souligner
qu’une telle conscience doit être en permanence active et ne pas connaître de
repos. L’exiliance partage cette exigence.
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35. Lévinas, 1998 : 98. Emmanuel Lévinas reprend l’idée et la module dans
l’ouvrage ultérieur : « […] le moi est irrémissiblement soi. […] L’enchaînement
à soi, c’est l’impossibilité de se défaire de soi-même. […] Être moi, ce n’est pas
seulement être pour soi, c’est aussi être avec soi » (Lévinas, 1993 : 150).
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36. Voir « Le Mal élémental », magistral essai de Miguel Abensour (in
Lévinas, 1997), qui commente ce texte de 1934.
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37. Lévinas, 1990 : 216. « En soi comme en exil » (p. 163), « exil en soi » (p. 168),
dit-il encore. « Être repoussé du lieu comme par le lieu lui-même », commente
Jacques Rolland (1983 : 173).
38. « Je suis toi, quand je suis moi », vers tiré de Pavot et Mémoire (voir ma lecture
de ce recueil dans Nouss, 2011, chapitre 4). Emmanuel Lévinas le met en exergue,
non traduit – expression linguistique de l’altérité en question –, au chapitre 4
d’Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence. Il se distancie, au demeurant, du « Je
est un autre » rimbaldien dans lequel il reconnaît la négativité d’une opposition
alors que son éthique de la substitution cherche la liaison entre identité et altérité
(Lévinas, 1990 : 187).
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42. À noter que Klaus Mann leur a déjà donné un ange protecteur (Mann,
2006 : 513 sq.)
43. À la fois Social suspension [suspension sociale] et suspended situation [situation
de suspension] précise-t-il à propos de son exil forcé de Pologne (Bauman, 1992 :
226-227).
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45. Voir aussi, dans une approche plus psychanalytique, « L’exil intérieur »,
Psychologie clinique, nouvelle série, n° 4, 1997.
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le soi pour que le soi soit intégré dans le monde – en termes
lévinassiens : faire de la place à l’autre en moi, l’accueillir dans
un exil de moi-même, afin que mon moi vive pleinement,
c’est-à-dire justement. L’expérience exilique s’y reconnaîtra
aisément car elle aussi se vit face à un monde dont il s’agit de
vaincre l’impénétrabilité initiale.
« Il peut arriver que l’homme un matin se réveille et se trouve
transformé en vermine. Le pays étranger – son pays étranger –
s’est emparé de lui. C’est cet air-là qui souffle chez Franz Kafka
et c’est pourquoi il n’a pas été tenté de fonder une religion »
(Benjamin, 2000a : 433). Lorsque Walter Benjamin reconnaît
dans La Métamorphose une allégorie de la condition exilique
– le souffle du pays étranger –, il l’apprécie avec l’amertume du
connaisseur puisqu’il a déjà quitté depuis deux ans, en 1932,
l’Allemagne devant la menace nazie. En outre, le non-religieux
renvoie directement au politique et à « l’exigence à l’égard de la
société » (ibid. : 439) que Walter Benjamin lisait dans l’œuvre
de Franz Kafka, d’où une quatrième et dernière interprétation
– et peut-être la plus importante aujourd’hui –, l’exil interne
comme invitation à introjecter l’exiliance comme catégorie de
la conscience pour ceux qui ne sont pas exilés afin, précisément,
d’accueillir comme leurs proches ceux qui viennent d’ailleurs.
Non pas interner les exilés mais internaliser l’exil.
L’exil intérieur que dessine l’exiliance est ainsi tout le
contraire d’un repli sur soi. Il permet l’émergence d’une
conscience exilique, liée ou non à une condition exilique,
dont l’objet consiste en un souci direct pour autrui et pour le
monde. « La philosophie inexistentielle sera la philosophie de
l’exil » (Camus, 1964 : 106), écrit Albert Camus en 1943, ayant
précisé qu’il ne s’agit pas d’exprimer une négation mais une
privation, « l’homme privé de… ». Exilé de la justice, de la
liberté, du divin peut-être, de la paix certainement. En 1955,
alors que les combats ont commencé, Albert Camus confie
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46. Les paysages exiliques ont varié. Au classique Sud-Nord viennent maintenant
s’ajouter les axes Sud-Sud, Nord-Nord et Nord-Sud qui véhiculent les deux tiers
des migrants internationaux. 60 % de ces mouvements partent de pays riches vers
des pays riches, 37 % de pays pauvres vers des pays pauvres. Fin 2013, le Pakistan,
premier pays d’accueil, comptait 1 616 500 réfugiés, la France, 232 500.
47. Selon le Norwegian Refugee Council (www.nrc.no), le nombre de « réfugiés
climatiques » s’élève à 22 millions, soit presque trois fois plus que les exils causés
par des conflits.
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49. Georges Perec l’avait remarqué dans son Récits d’Ellis Island. Il y cite ce passage,
dans une version légèrement tronquée de la même traduction, et commente :
« […] être émigrant c’était peut-être très précisément cela : voir une épée là où le
sculpteur a cru, en toute bonne foi, mettre une lampe et ne pas avoir complète
ment tort […] » (Perec et Bober, 1980 : 49). Exégèse elliptique car laissant dans
l’ombre le « ne pas avoir tort » et surtout énigmatique car le lecteur s’interroge sur
l’attribution de la « toute bonne foi » au sculpteur et non pas à Franz Kafka. Ce
serait donc ce dernier qui aurait eu raison. Sagesse de l’exiliance. Perec, comme
en écho à l’interrogation de Franz Kafka citée supra, affirme : « Quelque part, je
suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même […] » (ibid. : 44).
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sentait plus fort, plus calme qu’il ne l’avait jamais été chez lui.
Si ses pauvres parents avaient pu le voir ici ! Comme il savait,
sur une terre étrangère, devant des personnalités notables,
défendre la cause du bien ! » (ibid. : 34 ; je souligne).
À pays inconnu, combat éthique. Alors que Karl n’est rien,
il trouve une plénitude à son existence dans cette défense
morale, cette défense de la morale, et repère son nouveau
territoire dans cette morale à défendre. Pour l’exilé, le système
de valeurs qui était le sien, construit comme pour tout sujet au
prix d’arrangements avec l’extérieur, ce système est totalement
intériorisé puisque l’environnement antérieur qui le supportait
en partie a disparu. À cet égard, l’exiliance nourrit toujours
un esprit de révolte selon la définition d ’Albert Camus : « [Le
révolté métaphysique] oppose le principe de justice qui est en
lui au principe d’injustice qu’il voit à l’œuvre dans le monde »
(1985 : 42). Jusqu’à preuve du contraire, le lieu d’exil sera injuste
et l’exilé se sentira un rebelle, ses valeurs épousant son expé
rience sans médiation. Non plus une expérience trouvant sa
légitimité par rapport à un cadre axiologique transcendant
mais une expérience qui fait corps avec les valeurs la définis
sant. L’exil n’est pas une entité abstraite qui permet de recon
naître et de nommer une expérience, l’exil existe dans l’expé
rience de l’exil – ce que souligne la langue anglaise lorsqu’elle
use d’un seul mot, exile, pour dire les termes français « exil »
et « exilé » –, une expérience ignorant la distance à partir de
laquelle un système de principes et de conceptions détermine
et éclaire le tranchant du vécu, l’épisode de vie. À l’opposé,
l’exiliance tisse son propre récit à même l’expérience, sans
trame empruntée à des normes externes. De même, le récit
de Franz Kafka, qui ne se laissant jamais figer en une inter
prétation sûre et définitive, n’est que récit. Pour le sujet exilé,
l’existence colle à la peau car il ne bénéficie plus des codes qui,
dans le lieu antérieur, lui permettaient de s’en détacher et de
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51. Non sans contradiction puisque, dans sa réplique ultime, il évoque un « chien
de circoncis » (Shakespeare, 1938 : 629) ; mais l’ambigüité accompagne souvent
l’identité exilique.
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52. Pour cette perspective morale sur l’expérience exilique, relire aussi : « Paroles
dans l’épreuve », d’abord intitulé « Paroles d’exilé », « Le Cid exilé » (Hugo, 1962 :
683 et 183).
53. Max Brod parle dans sa postface d’une « trilogie de la solitude », une interpréta
tion qui n’est pas contradictoire tant exil et injustice sont souvent des expériences
solitaires (Kafka, 1973 : 365).
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54. On notera à ce propos que la ville qui abrite l’Hôtel Occidental dans lequel
Karl trouvera et perdra une place rêvée au cours de circonstances horriblement
injustes porte le nom, égyptien, de Ramsès. Sur l’exiliance à l’œuvre dans le récit
de l’exode, voir notamment Draï (1986).
55. Il serait vain de nier qu’une lecture opposée verrait légitimement dans ce
départ sans bagages une déportation.
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56. L’expression est reprise, Exile is my Trade, pour le titre de l’anthologie parue
aux États-Unis consacrée au poète algéro-français Habib Tengour (Tengour, 2012).
57. Je dois à la psychologue Gretty Mirdal la précision linguistique selon laquelle
le turc permet morphologiquement de faire du terme, et donc du statut d’exilé,
un métier.
58. Ainsi la présente sa traductrice Ève Malleret (Tsvétaïéva, 1986 : 32-52).
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59. Et les Rolling Stones de sortir en 1972 un opus intitulé Exile on Main Street.
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61. L’esthétique est ici employée dans le sens réducteur que suggère précisément le
verbe « esthétiser », maquiller de beauté une situation qui ne le mérite pas. Notre
position, à l’opposé, suit l’invitation de Walter Benjamin à défendre « la politi
sation de l’art » contre « l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme »
(Benjamin, 2000c : 316). Son intérêt pour le théâtre de Bertolt Brecht en découlait.
62. Cette pesanteur ressort remarquablement dans les photographies qu’a prises
Patrick Zachmann d’embarcations de clandestins au large de la Grèce ou de
la Sicile (Zachmann, 2003 : 24-25, 148-149). La vastitude du ciel ou d’étendues
sablées revient fréquemment dans ces images qu’il qualifie de « voyage de la
mémoire et de l’exil ».
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63. L’image est chez Dante qui symbolise ainsi l’exil (Divine Comédie, « Paradis »,
XVII). Voir infra.
64. Je cite Ovide à partir de deux traductions, l’une classique, l’autre contem
poraine, selon qu’elle me semble au mieux exprimer la conscience exilique du
poète latin.
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(1964 : 290) 65. Quatre ans plus tard, il développe l’idée dans « La
mer au plus près, Journal de bord », le dernier texte de L’été, et
il écrit en guise d’introduction : « Point de patrie pour le déses
péré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une
folie toute prête. […] Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de
l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin… » (Camus, 1975 :
171). Joseph Roth, autre grand romancier de l’exil, va encore
plus loin dans Léviathan, publié lors des dernières années d’exil
de l’écrivain à Paris. Nissen Piczenik, marchand de corail
d’une bourgade de Galicie, nourrit une nostalgie d’exilé à
l’égard de la mer sans l’avoir jamais vue. L’obsession grandira
et il périra dans l’accident d’un navire d’émigrants en route vers
l’Amérique du Nord. Joseph Roth conclut : « Je peux garantir
que les coraux étaient sa vraie famille, et les profondeurs de
l’océan sa vraie patrie » (Roth, 2011 : 73).
Cette relation entre mer et exil n’a rien à voir avec la
métaphore liquide de l’expression commune « flux migra
toires », ceux-là mêmes qu’il faut réguler et qui, précisément,
débordent toute tentative de régulation. À moins de justifier
l’analogie en admettant que, dans ces flux-là, beaucoup se
noient. Quoi qu’il en soit, la mer ramène le sujet à sa pure
subjectivité, le réduit au fait nu de son existence, consubstan
tielle aux valeurs la soutenant, tels les mouvements de la nage
inséparables du corps du nageur. Ovide est prêt à abdiquer
ce qu’il lui reste de vécu exilique pour le fantasme d’une vie
cristallisée dans l’ouvrage né de son exil :
Si quelqu’un là-bas dans la foule
pense encore à moi
si par hasard il reste encore quelqu’un
65. En mars 1951, il élabore la pensée fantasmatique suivante : « Si je devais mourir
ignoré du monde, dans le fond d’une prison froide, la mer, au dernier moment,
emplirait ma cellule, viendrait me soulever au-dessus de moi-même et m’aider à
mourir sans haine » (Camus, 1964 : 345).
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67. Insultant pour les exilés, en revanche, est l’usage journalistique récent de l’ex
pression « exil fiscal » car les conditions motivant le départ n’ont rien de déplaisant,
pour dire le moins. Je laisse aux théologiens le soin de commenter « paradis fiscal ».
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68. À cet égard, l’Odradek de Franz Kafka (1955) aurait aussi droit au chapitre.
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69. Une vocation d’hospitalité que l’Académie a déjà exercé à l’endroit, entre
autres, de Hector Bianciotti (1996), François Cheng (2002), Assia Djebar (2005)
et Amin Maalouf (2011).
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70. Extrait du témoignage d’un jeune Malien dans un article du site d’informa
tions www.maliweb.net posté le 13 août 2014. Voir le témoignage d’un « guer
rier » ivoirien, « J’ai frappé six fois aux portes de l’Europe », Le Magazine du
Monde, n° 167, 29 novembre 2014. Eldorado, le roman de Laurent Gaudé (2006),
interroge précisément la normalité mortifère du phénomène de l’exil de masse
contemporain.
71. Deux œuvres de la fin du xixe siècle illustrent et soutiennent ce lien entre
exil et mort, deux récits d’expédition lointaine par bateau, Propos d’exil (1887)
de Pierre Loti et Au cœur des ténèbres (1899) de Joseph Conrad. Dans les deux
cas, le lointain exilique, asiatique ou africain, est appréhendé par des images et
un lexique mortuaires. Dans les deux cas, la fiction suit l’expérience même des
auteurs, Pierre Loti une expédition militaire au Tonkin, Joseph Conrad une
expédition commerciale au Congo.
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72. Extrait du témoignage d’un jeune Irakien parvenu en Suisse, posté le 5 juillet
2012 sur le site de Vivre-ensemble : service d’information et de documentation
sur le droit d’asile (www.asile.ch).
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73. Ces vers de Yannis Ritsos – qui connut à deux reprises la déportation pour rai
sons politiques et rédigea les poèmes de son Journal de déportation lors du premier
exil – sont cités dans un opuscule réalisé en 2004 en hommage à Georg R. Garner
après sa disparition et malheureusement non publié, La terre de personne (2004),
belle appellation pour une géographie exilique.
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75. Le premier essai fut publié en 1933, celui-ci en 1936, alors que Walter Benjamin
avait définitivement quitté l’Allemagne depuis trois ans.
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76. Bénéfice, avantage, ou charge, surcoût, les variations lexicales révèlent que
l’estimation de l’apport économique de l’immigration est l’objet de violents débats,
y compris parmi les experts, d’où l’idéologie s’absente rarement. Voir notamment
Chojnicki et Ragot (2012).
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et en arabe :
[…] Colombe qui ressent le froid mortel
L’exil mortel
Dont la nostalgie aux oliveraies est mortelle
Colombe qui sourit, les yeux emplis de jardins de tristesse
Qui soupire, des restes de joie dans son roucoulement.
(Ibid. : 311)
77. Heimat se traduirait davantage par « terre natale » mais la traduction citée
souligne le contraste avec la citation d’Albert Camus infra.
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Exiliance
78. Exilé en France quoique auparavant déjà exilé en Algérie en tant que pied-noir,
sa « position algérienne », selon l’expression de Jean-Jacques Gonzales (2007 : 24),
devient attitude de pensée autant que donnée biographique.
79. Albert Camus connaît actuellement en France une vogue importante entraî
nant une réévaluation de son œuvre, sortie du ghetto des classes terminales, qui
pourrait indiquer une pertinence accrue du dynamisme de sa pensée face aux
réalités mouvantes contemporaines tandis que d’autres philosophies accusent une
certaine pesanteur immobilisante. Question de rythme en somme.
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85. Voir à cet égard le travail de recension et d’analyse mené par Dana Diminescu,
www.e-diasporas.fr.
86. Signifie « avoir lieu » à la suite d’une préparation à cette fin. Ce sont les verbes
vorkommen ou vorgehen qui rendent compte d’un événement ou d’un accident.
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87. En vertu d’une méthodologie qui est aussi la nôtre, on notera la diversité des
sources intégrant poésie et fiction aux données documentaires dans la section
« Fragments de mémoire » (Noiriel, 2006 : 127-135).
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89. Ailleurs, Claude Lanzmann exprime une position divergente : « Ce qu’il y a
eu au départ du film, c’est d’une part la disparition des traces : il n’y a plus rien,
c’est le néant, et il fallait faire un film à partir de ce néant » (Lanzmann, 1990 : 295).
90. Le waste land de T. S. Eliot. Voir infra.
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93. Traduction choisie par Michel Butel et Luc Bondy pour la représentation de
la pièce au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, en 1984.
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96. Respectivement 900 et 450 passagers sans équipage sur les deux cargos
récupérés par la marine italienne début 2015.
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après le passage des exilés ou rapportés par les flots 97. Ces éta
gères où se pressent photos, cassettes, chaussures, livres, créent
du non-lieu, là où la trace témoigne d’elle-même.
Dans le texte de présentation de leurs activités, le réseau de
chercheurs et de militants Migreurop fait remonter à la sou
daine médiatisation et popularisation du camp de Sangatte
en 2000 une prise de conscience sur les réalités cruelles de
l’expérience exilique contemporaine : « D’ordinaire invisibles
car dispersés tout le long des frontières ou cantonnés dans des
lieux tenus cachés, ils devenaient soudain visibles de par leur
concentration dans ce seul (non)-lieu où ils étaient tolérés 98 ».
Le non-lieu fait percevoir ce qui devrait rester invisible, caché.
À la suite de Giorgio Agamben (1997) pour qui le couple
inclusion/exclusion est une clé de lecture fondamentale quant
à la pensée politique occidentale, Michel Agier prend la voie
étymologique pour faire réentendre « lieu du ban » dans le
terme de banlieue (Agier, 2011 : 23, 73 et 78), celle-ci étant
effectivement le territoire où se joignent et cohabitent exilés de
l’intérieur et de l’extérieur. Une condition d’indésirabilité qui,
pour les tenants de l’ordre politique et spatial, infuse d’inha
bitabilité l’espace où pourtant ils demeurent. Si son « couloir
des exilés » métaphorise au mieux le non-lieu exilique, c’est
non seulement par analogie avec le « couloir de la mort » des
condamnés à mort, exilés de la vie sans encore en être privés,
mais aussi par justesse topographique : un couloir est situé à
l’intérieur d’un espace d’habitation sans qu’il ne soit habité.
Cependant, si le non-lieu révèle, il peut être ignoré car ne pas
voir répond à un choix idéologique. À Calais ou à Lampedusa,
les nantis continuent leur quotidien en côtoyant sans émo
tion les exilés démunis, avec d’autant plus de froideur que
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Post-exil
99. On entend son témoignage dans un reportage : « Rennes, ville des réfugiés »,
Arte Reportage, 2 août 2014 (rediffusion).
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I
Ne plante pas de clou au mur !
Jette ta veste sur la chaise !
Pourquoi prévoir pour quatre jours ?
C’est demain que tu rentreras.
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[…]
Baisse ta casquette si tu croises des gens !
Pourquoi feuilleter un lexique étranger ?
La nouvelle qui va te rappeler chez toi
Est d’une langue que tu sais. […]
II
Regarde au mur le clou que tu y as planté !
Quand donc crois-tu rentrer chez toi ? […]
(Brecht, 1966 : 131-132)
IV
Sous les verts poivriers
Les musiciens font le trottoir, ils vont par deux
Avec les écrivains. Bach a en poche
Un quatuor pour partie carrée,
Dante fait onduler ses maigres fesses.
(Brecht, 1967 : 60-61)
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102. Comme, par ailleurs, elle mène souvent à sa mise à distance par le biais de
l’humour ainsi que Heinrich Heine l’a justement montré dans son Conte d’ hiver.
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Publié par Alexis Nouss
Alexis Nouss
et suscitent de graves crises sociétales en Europe et ailleurs.
C’est pourquoi il importe d’en renouveler les analyses en se
penchant sur la condition des exilés. Si les discours actuels
de l’exilé
font du migrant une figure propre à alimenter chiffres et
statistiques, ils gomment son vécu et ses parcours, ses espoirs
et ses souffrances. Or, le migrant est d’abord un exilé, porteur
à ce titre d’une identité plurielle et d’une expérience de multi-
appartenance propres à enrichir le vivre-ensemble.
ALEXIS
NOUSS
La condition de l’exilé
Alexis Nouss (Nuselovici de son nom patronymique) est professeur
de littérature générale et comparée à l’université d’Aix-Marseille.
Il est responsable de l’initiative de recherche « Non-lieux de l’exil »
au Collège d’études mondiales à la Fondation Maison des sciences
de l’homme à Paris.
Il a notamment publié Paul Celan. Les lieux d’un déplacement en 2010
et Plaidoyer pour un monde métis en 2005.
Issn : 2269-7144
Isbn : 978-2-7351-1999-8
12 ¤ interventions