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Choix de poésies / William

Wordsworth ; texte anglais et


traduction en vers par Émile
Legouis

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Wordsworth, William (1770-1850). Auteur du texte. Choix de
poésies / William Wordsworth ; texte anglais et traduction en
vers par Émile Legouis. 1928.

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EMILE LEGOUIS

WILLIAM WORDSWORTH

Choix de poésies
CHOIX DE POESIES
A la mémoire de mon père, je dédie ce
recueil, n'ayant rien de plus précieux à
lui offrir que ce qui subsiste des poèmes
originaux à travers ces traductions.
PRÉFACE

Quand se furent éteints les derniers éclats de la brève et


fulgurante carrière de Byron, l'Angleterre leva ses yeux sou-
lagés vers la calme lumière de la poésie wordsworthienne
dont elle ne s'était guère souciée jusque-là. Elle reconnut en
celle-ci ses véritables aspirations; elle y trouva l'expression
de ses sentiments intimes et permanents. Byron avait été
comme un orage aussi passager que violent ; il avait un temps
obscurci ou sillonné d'éclairs le ciel; après lui, la voûte
bleuissait de nouveau, et, les nues dissipées, reparaissaient
les douces étoiles familières. Dès lors le charme n'a cessé
d'opérer. Sans être jamais devenue largement populaire, —
elle est pour cela trop sereine, trop subtile et trop vraiment
philosophique, — la poésie de Wordsworth est de tout le
romantisme celle qui est entrée au plus profond des esprits
de ses compatriotes. C'est par elle que s'est faite en douceur
la laïcisation du sentiment religieux. Les Anglais se sont
habitués à y voir, sans fracas ni scandale, le livre de la Nature
substitué silencieusement au texte de la Bible. Ils y ont
découvert, avec la joie d'émotions simples et saines, une
règle de vie et une éducation de la sensibilité en vue du
bonheur. C'est une sorte de société religieuse que forment
entre eux les Wordsworthiens épars dans le monde : les uns
sans doute plus exclusivement attirés par la doctrine qu'il
enseigne, les autres plus sensibles au charme propre de ses
-* VI —
meilleurs vers, mais tous conquis en somme par l'insépara-
ble mélange de beauté et de sagesse qui constitue son oeuvre
essentielle. Aussi est-il un de ces écrivains véritablement
représentatifs que, comme Addison et Burke avant lui, il est
indispensable de connaître pour l'intelligence de l'âme natio-
nale, sans parler du bienfait qu'est pour les hommes de tout
pays la méditation de ses vers les plus largement humains.
Sa vie de quatre-vingts années (1770-1850), contemporaine
de celle de notre Chateaubriand, fut une des plus unies et des
plus dénuées en apparence d'incidents mémorables. Né et
élevé jusqu'à dix-sept ans dans le pays des lacs, au nùrd-ouest
de l'Angleterre, il devait après une absence de treize années,
entre 1787 et 1800, s'y établir pour tout le reste de sa longue
existence. Mais, bien qu'il ait vécu dans une retraite presque
absolue, il a suivi avec un ardent intérêt les grands drames
politiques et militaires qui se jouèrent de son vivant en Europe-
Le contre-coup de la Révolution française, de l'Empire et de
la réaction qui suivit la période impériale retentit profondé-
ment dans son oeuvre. Comme ces événements ont déterminé
chez l'auteur de grands courants généraux dépensée, l'ensem-
ble de l'oeuvre se divise naturellement en groupes qui y cor-
respondent.
Avant 1798, c'est, quelques poèmes d'adolescence mis de
côté, la période révolutionnaire. Le futur sage, après une
enfance en pleine campagne qui sera plus tard la source maî-
tresse de sa foi en la nature, se laisse entraîner par des goûts
vagabonds et l'esprit d'aventure. Séjournant en France de
novembre 1791 à la fin de 1792, il se prend d'enthousiasme
pour la Républiquequ'il voit naître et s'engage dans un amour
plein d'ardeur, de trouble et de remords pour une jeune
Française (1). En même temps qu'il écoute à Blois les prédi-
cations républicaines enflammées de son ami le capitaine

(1) Le Roman de William Wordsworlh. Revue des Deux Mondes, 1" avril
et 1" mai igaa. William Wordsworlh and Annetle Vallon. London,igaa.
— VII —
Michel Beaupuy, il se lie avec Annette Vallon, de famille
royaliste, qui lui donne une fille. Tenu ensuite séparé d'elle
par la guerre qui éclate entre les deux pays, il vit errant en
Angleterre, sans argent et sans carrière, mécontent de lui-
même, l'esprit révolté contre sa patrie conservatrice. Tout ce
qu'il écrit porte la marque de son indignation contre la
guerre et la société, de la tristesse où le plonge le spectacle de
la misère et du mal : son poème de Crime et Chagrin, sa tra-
gédie des Compagnons de la Frontière (The Borderers), sa
poignante idylle de la Chaumière ruinée.
Cependant le réconfort lui vient, d'abord de sa soeur, la
fervente Dorothée, qui s'installe avec lui à Racedown, dans le
comté de Dorset, puis de la fréquentation de Coleridge, poète
et philosophe, causeur merveilleux, près duquel il vint se
fixer en 1797, à Alfoxden, au sud du canal de Bristol. Sa
désespérance calmée par l'affection, par la vie champêtre et
par la dévotion à la poésie, fait place à une joie grandissante.
En 1798 il écrit avec Coleridge les Ballades Lyriques, recueil
aujourd'hui considéré comme le glorieux signal du roman-
tisme anglais. Pendant les sept ou huit ans qui suivent, soit
à Alfoxden, soit en Allemagne où il passe l'hiver de 1798-
1799, soit à Grasmere, au coeur du pays des lacs où il se fixe
avec sa soeur à l'aurore du dix-neuvième siècle et où il con-
tracte avec une amie d'enfance, en 1802, une union paisible
qu'aucun nuage ne devait assombrir, il donne presque tout
l'excellent de sa poésie. Il est demeuré en sympathie avec
l'enthousiasme réformateur de sa jeunesse, tout en cessant
de se passionner pour les événements du jour. Il reste long-
temps à prendre nettement parti entre la France et l'Angle-
terre. Il se consacre tout entier à la poésie et à la réforme poé-
tique, celle des sujets et du style. C'est le temps où il écrit le
Prélude dans lequel il raconte, ou plutôt interroge sa jeu-
nesse, recherchant les influences que la nature, l'homme et
la société ont exercées sur son imagination. Autour de ce
poème, l'oeuvre la plus originale qui soit sortie de lui, vrai-
VIII

philosophique, mais qu'il ne laissera publier qu'après


ment
groupent multitude de petits poèmes lyri-
sa mort, se une
d'un
familières de vigoureux sonnets
ques, de ballades et
persis-
patriotisme sévère et grondeur où s'exhale son amour
tant de la liberté, La foi du poète en la nature est sans trou-
ble; il a secoué sa tristesse; son imagination est dans sa
pleine force.
Puis vient l'époque impériale. Wordsworth, ennemi déter-
miné de la France napoléonienne, célèbre en de nombreux
sonnets, admirables souvent d'énergie morale, la résistance
des peuples au conquérant. La vigueur du sentiment devient
plus notable que la puissance imaginative. Un grand poème
encore appartient à cette période : YExcursion, oeuvre noble
et grave, mais dont les plus belles pages (La Chaumière rui-
née, livre I) datent de 1797 et font par leur supériorité res-
sortir le déclin commençant. Dans le désarroi de ses rêves
révolutionnaires, Wordsworth a resserré le lien qui l'unit à
sa patrie, à ses institutions, à son Église. Le sermonnaire
prend maintenant le pas sur le poète.
A partir de I8I5 il n'y a plus de grandes oeuvres ; ce sont
de petits poèmes, des sonnets surtout, parfois réunis sous un
titre commun : Sonnets sur la rivière Duddon, Esquisses
ecclésiastiques, diverses impressions de voyage. Les idées se
contractent et se durcissent. L'imagination lentement s'anky-
lose, mais de temps à autre quelques jets de vraie poésie per-
cent encore la glace épaissie. C'est l'époque où Wordsworth,
conservateur obstiné, n'a plus, comme dans la précédente
période, une grande cause à défendre, et donne le pénible
spectacle d'un poète luttant pied à pied contre tous les chan-
gements, même les plus désirés et les plus nécessaires. L'es-
prit de la Sainte-Alliance plane trop souvent sur ce dernier
espace de sa vie poétique.
D'ailleurs les divisions qui viennent d'être tracées ne doi-
vent pas empêcher de reconnaître l'unité sous la diversité.
Certains sentiments profonds circulent à travers l'oeuvre
— IX —
entière, reliant par-dessous les périodes successives et com-
posant avec les discordances apparentes une véritable har-
monie. D'un bout à l'autre, Wordsworlh se montre à nous
contemplateur religieux de la Nature, chanteur infatigable
des beautés les plus élémentaires et les plus universelles
qu'elle offre, en jouissant lui-même et tenant pour son devoir
de les faire sentir à tous, convaincu que c'est en fortifiant et
en épurant sa sensibilité que l'homme a le plus de chances
d'accroître son bonheur terrestre. En tout temps, les senti-
ments simples et essentiels, le cadre de la vie rustique, les
hommes qui s'y meuvent et leur parler naturel, lui ont paru
être les plus proches de la vraie poésie. En tout temps aussi,
bien qu'il en ait produit les plus saisissants exemples dans sa
première maturité, il a été le subtil interprète des sensations
humaines devant la Nature, de plus d'une révélant à la fois
l'existence, la manière et la signification. Il a de cette façon
ajouté quelques pages uniques, infiniment précieuses, à notre
connaissance de nous-mêmes. Et partout il s'impose à nous
par sa parfaite sincérité, non qu'il dise tout sur lui ou sur
l'homme, car il pratique la réticence comme un devoir, mais
parce qu'il ne dit rien qu'il n'ait éprouvé, que toutes ses
paroles sortent de son expérience ou de ses longues réflexions,
et qu'il s'est donné pour tâche de remplacer la fantaisie, jeu
capricieux de l'esprit, par l'imagination en laquelle il voit la
suprême faculté d'enquête sur le monde extérieur comme sur
celui du dedans, et qu'à son plus haut degré il identifie avec
la pure raison. Nul poète n'a été plus exempt des artifices de
l'invention, de la structure et du style ; nul n'a porté en lui
un besoin plus constant de vérité dans l'observation, un plus
obsédant souci de justesse dans le symbole. Jusque dans ses
plus menus poèmes il est une force intime de pensée qui leur
confère une valeur à la fois intellectuelle et morale.
On ne saurait dire que le nom de Wordsworth soit vrai-
ment acclimaté France. Peut-être y a-t-il dans l'étrangeté
en
de ses deux syllabes un obstacle à leur fréquente répétition
des lèvres françaises. Sa renommée s'y est enfermée dans
par
cercle apparemment très restreint. Cependant par les
un
quelques-uns qui l'ont connu il a exercé une action secrète
notre poésie, particulièrement entre les années i83o et
sur
1860 (1). Ce fut, au sein tumultueux du romantisme, une
influence persuasive, pénétrante quoiquelointaine, enseignant
la sérénité, montrant le charme de la vie simple, la joie des
intimités.
Sans oublier qu'Amédée Pichot l'avait révélé aux Français
dès i8a5, c'est à Sainte-Beuve que revient l'honneur de l'ini-
tiation. Il fut le premier, en plein triomphe du byronisme, à
vouloir suivre l'exemple de ceux que l'on confondait alors
volontiers sous le nom de lakistes anglais, Cowper et Crabbe
étant placés à côté de Coleridge et de Southey, — groupe en
tête duquel marchait Wordsworth. Sainte-Beuve, non content
de les prendre pour modèles, entreprit encore de guider
notre poésie dans la voie tracée par eux. Le clairvoyant criti-
que qui existait dès lors en Sainte-Beuve à côté du poète, s'a-
percevait que toute une moitié du domaine poétique avait été
négligée par notre premier romantisme. Cependant qu'il don-
nait dans ses propres recueils, surtout dans ses Consolations
(i83o) et dans ses Pensées d'Août, des traductions et des
imitations manifestes des latistes (on y trouve quelques son-
nets de Wordsworth rendus avec un réel bonheur), il se mit,
au temps où il vivait en amitié avec les grands romantiques,
à propager parmi eux, par ses entretiens, ses lectures et ses
commentaires, l'idée et le goût de cette veine familière à

(1) Voir l'intéressante étude de Maxwell Smith, L'influence des Lakistes


sur les Romantiques français. Paris, 1920.
laquelle ils n'avaient pas d'abord songé. Il est difficile d'exa-
gérer leur dette envers lui à cet égard. Hugo renonce brus-
quement à l'exotisme des Orientales (1829) pour écrire coup
sur coup Les Feuilles d'Automne (I83I), les Chants du Cré-
puscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres, tout
pleins d'échos de ce Wordsworth qu'il ne connaissait sans
doute pas directement. Lamartine, qui avait eu une enfance
rustique très semblable à celle du poète anglais, suivra
superbement la voie nouvelle dans mainte page de son Joce-
lyn, dans ses romans du Tailleur de pierres de Saint-Point et
de Geneviève. Mais l'impulsion donnée par Sainte-Beuve ne
s'arrête pas là. Elle Ya en Bretagne susciter l'enthousiasme de
Brizeux, éveiller les jeunes chanteurs du val de l'Arguenon,
Maurice de Guérin et Hippolyte de la Morvonnais. C'est des
lakistes, par l'intermédiaire de Sainte-Beuve, que dérive pres-
que toute cette poésie des intimités qui n'a plus depuis cessé
de fleurir quelque part sur notre sol. Et le rôle propre de
Wordsworth dans cette innovation a été le plus considérable.
Ainsi se fait-il que le Français qui connaît Wordsworth
retrouve beaucoup de lui dans maint poète dont les auteurs
ont à peine lu ses vers, ont peut-être même ignoré son nom.
Ce n'est, à vrai dire, qu'un aspect de son génie qui a été mis
en lumière par Sainte-Beuve ; il y a plus en lui qu'il n'a été
assimilé par nos poètes. Sa pensée n'a pas été connue chez
nous dans toute son ampleur ni dans toute sa profondeur.
Elle s'est d'ailleurs mêlée chez ses imitateurs à des aspirations
de différente nature. Passant par d'autres âmes elle y a pris
une autre teinte, un timbre nouveau, et plus le disciple
inconscient était grand lui-même, plus grand est devenu
l'écart. C'est la justification du présent recueil où un sin-
cère effort a été fait pour rendre quelques-uns des vers de
Wordsworth dans leur pureté primitive.
-^ XII —

Sans doute cette brève anthologie est bien loin de renfer-


mer tout ce qui est excellent dans son oeuvre. Mais elle con-
tient du moins des spécimens de presque tous les thèmes où
il s'est exercé : souvenirs d'enfance, émotions ressenties
devant les spectacles de la Nature, méditations inspirées par
les événements politiques contemporains, pastorales sans arti-
fice où de vrais paysans sont évoqués avec leurs joies et avec
leurs peines dans les lieux mêmes où ils ont vécu, leçons d'i-
magination et leçons de sérénité. On trouvera même dans
Mère Hardèle et dans Le Pêcheur de Sangsues des exemples
de ces vers qui par l'audace de leur humilité de sujet ou de
style provoquèrent au début la raillerie des beaux esprits.
Ces divers poèmes sont reproduits ici dans une forme sou--
vent identique à celle de l'original, toujours très rapprochée
de lui. Il n'y avait pas d'hésitation pour les poèmes en rimes
plates et en stances où les versifications de France et d'An^
gleterre ont suivi de tout temps une marche parallèle. Plus
embarrassants étaient les vers anglais sans rimes, ou vers
blancs, qui ont été jusqu'à des années toutes proches sans
équivalents chez nous. Malgré quelques heureuses tentatives
dont la plus notable est la traduction de Shakespeare que
publient les Belles-Lettres, on ne peut dire que le vers sans
rime ait encore obtenu en France droit de cité. Wordsworth
y a recours dans ses grands poèmes comme le Prélude et
l'Excursion dont plusieurs fragments figurent dans ce recueil.
11 en a également fait usage dans plus d'une effusion lyrique

comme En revoyant la Wye (Tintera Abbey), ou l'apostrophe


au Château de Kilchurn, ou encore dans sa sévère pastorale
de Michel. Ici le traducteur a procédé de façon différente
selon les cas, selon aussi la date à laquelle il a fait son tra-
vail. Il a généralement employé le vers rimé pour les
pages
vraiment lyriques, ne faisant exception que pour la Scène de
patinage que le lecteur intéressé à ces questions pourra com-
parer avec la version rimée d'autres extraits du Prélude,
comme par exemple, En canot, qui sont en anglais exacte-
ment dans la même note.
Pour la Chaumière ruinée et pour Michel, histoires toutes
nues, où l'ornement de la rime eût été déplacé et eût enjolivé
la rigoureuse simplicité à laquelle visait le poète, le choix
n'était possible qu'entre la prose et le vers blanc. On trouvera
le premier de ces poèmes traduit en prose et le second en
vers sans rime, nouvelle occasion de comparer la valeur des
deux instruments différents et l'effet distinct produit par cha-
cun d'eux. Si cette comparaison est favorable à Michel, on en
pourra conclure à l'avantage de la forme intermédiaire du
vers blanc, où le rythme seul est perceptible, ayant juste ce
qu'il faut pour soulever un peu la narration au-dessus du
sol, pour donner, sans parure superflue, gravité et dignité à
un récit humble par ses personnages et ses incidents, noble
par les émotions du coeur.
Ce vers blanc peut être répudié comme une plante étran-
gère, incapable de porter fleurs ni fruits dans notre climat.
Mais il peut y prospérer aussi, qui sait ? Ce fut jadis le ser-
vice rendu par les traducteurs en vers de transplanter des
formes poétiques qui ont ensuite fait fortune dans un pays
autre que celui de leur origine. L'histoire du sonnet et de
l'ode, entre beaucoup d'autres, est à cet égard édifiante. Dans
la riche poésie anglaise presque toute la versification a été
importée de l'étranger, surtout de France. Dépouillée de ses
emprunts, elle serait pauvre comme Job. C'est à la pratique
du libre échange qu'elle doit son enviable opulence d'aujour-
d'hui.
L'ordre des poèmes traduits est dans ce recueil très approxi-
mativement chronologique. Cet ordre a l'avantage de dessi-
ner les changements apportés par la vie et par l'âge. De légers
écarts çà et là ont toutefois permis de grouper quelques
— XIV —
poèmes rapprochés par l'inspiration quoique de date un peu
différente.
La plupart des traductions qui suivent avaient paru en 1896
dans Quelques poèmes de William Wordsworth, comme
accompagnement d'une étude, aujourd'hui épuisée dans sa
forme française, sur la jeunesse du poète. Le traducteur usait
peut-être alors d'un peu plus de liberté qu'il ne s'en est
accordé depuis. Le besoin d'une exactitude presque littérale
s'est fait chez lui'plus exigeant avec les années. Il serait
d'ailleurs bien empêché de dire quand il avait le plus raison,
alors ou maintenant.
CHOIX DE POÉSIES
2

RÊVERIE D'UNE PAUVRE SERVANTE


DE LONDRES

Au coin de Wood Street, quand parait L'aurore,


Un bras pend la cage où chante un pinson.
Suzanne en passant entend sa chanson
Dans le matin frais qui sommeille encore.

D'où vient que son coeur bat précipité?


D'une vision soudain apparue :
Un clair ruisseau glisse à travers la rue,
Un coteau se dresse en pleine Cité.

Voici le vallon, voici la prairie


Qu'elle descendait, à la main son seau,
Et là-bas, pareille au nid d'un oiseau,
Son humble chaumière, étroite et chérie.

Elle les revoit, son coeur est aux cieux;


Mais déjà tout fuit, chaumière et vallée,
Le mont disparaît, l'eau s'est écoulée,
Et le cher tableau se voile à ses yeux.
3
— —

THE REVERIE OF POOR SUSAN

[Composé en 1797. — Publié en 1800.]

At the corner of Wood Street, when daylight appears,


Hangs a Thrush that Bings loud, it has sung for three years ;
Poor Susan has passed by the spot, and has heard
In the silence of morning the song of the Bird.

'Tis a note of enchantment; what ails lier? She sees


A mountain ascending, a vision of trees;
Bright volumes of vapour through Lothbury glide,
And a river flows on through the vale of Cheapside.

Green pastures she views in the midst of the dale,


Down which she so often has tripped with her pail;
And a single small cottage, a nest like a dove's,
The one only dwelling on earlh that she loves.

She looks, and her heart is in heaven; but they fade,


The mist and the river, the hill and the shade ;
The stream will not flow, and the hill will not rise,
And the colours hâve ail passed away from her eyes!
h
— —

PREMIER BEAU JOUR DE PRINTEMPS


Écrit en temps de guerre.

A demi couché sur la mousse


Sous un dais d'arbres balancés,
J'étais dans cette humeur très douce
Qui nous mène aux tristes pensers.

La Nature était si charmante


Que je souffrais de sa beauté,
Songeant aux maux que l'homme invente,
Aux biens qu'il laisse de côté.

Les pervenches aux bleus calices


Enlaçaient les coucous d'or clair.
Qui peut douter de vos délices,
Fleurs heureuses d'aspirer l'air?

Les oiseaux jouaient vifs et prestes;


Si je ne puis voir en leur coeur,
Le moindre de leur menus gestes
Semblait un frisson de bonheur.

Les branches tendaient vers la brise


Leurs doigts en fleur pour la saisir.
Comment faire, qu'on me dise,
Pour ne pas voir là du plaisir?
LINES WRITTEN IN EARLY SPRING
[Composé en 1798. — Publié en 1798.]

I heard a thousand blended notes,


While in a grove I sate reclined,
In that mood when pleasant thoughts
SAveet
Bring sad thoughts to the mind.

To her fair works did Nature link


The human soûl that through me ran ;
And much it grieved my heart to think
What man has made of man.

Through primrose tufts, in that green bower,


The periwinkle trailed its wreaths;
And 'tis my faith that every flower
Enjoys the air it breathes.

The birds around me hopped and played,


Their thoughts I cannot measure : —
But the least motion which they made,
It seemed a thrill of pleasure.

The budding twigs spread out their fan,


To catch the breezy air;
And I must think, do ail I can,
That there was pleasure there.
6
— —
Si tel est le monde où nous sommes,
Si l'arbre et l'oiseau sont heureux,
Ai-je tort de plaindre les hommes,
Songeant aux maux créés par eux?
If this belief from heaven be sent,
If such be Nature's holy plan,
Hâve I not reason to lament
What man has made of man?
LE POÈTE A SA SOEUR

Chaque minute frémit d'aise ;


C'est le réveil de la saison.
Le rouge-gorge du mélèze
Chante au seuil de notre maison.

Le bonheur dans les airs s'épanche ;


Partout il ruisselle à travers
Le mont nu, l'arbre nu, la branche,
Et l'herbe jeune des prés verts.

Viens, ma soeur l'air pur nous invite


1

Après le repas du matin.


Laisse ton ouvrage, viens vite ;
Le soleil n'est plus incertain.

Aux champs ! C'est là qu'il fait bon vivre.


Allons devant nous sans choisir;
Surtout n'emporte pas de livre,
C'est aujourd'hui jour de loisir.

Changeons la rubrique morose


Pour le vivant calendrier ;
De la première fleur éclose
Datons notre premier Janvier.
— 9 —

TO MY SISTER
[Composé on 1798. — Publié en 1798.]

It is the first mild day of March :


Each minute sweeter than before,
The redbreast sings from the lall larch
That stands beside our door.

There is a blessing in the air,


Which seems a sensé of joy to yield
To the bare trees, and mountains bare,
And grass in the green field.

My sister ! ('tis a wish of mine)


Now that our morning meal is done,
Make haste, your morning task resign ;
Corne forth and feel the sun.

Edward will corne with you ; — and, pray,


Put on with speed your woodland dress;
And bring no book : for this one day
We'll give to idleness.

No joyless forms shall regulate


Our living calendar :
We from to-day, my Friend, will date
The opening of the year.
10

Au coeur de toute créature


L'Amour tisse les fils puissants
Qui l'uniront à la Nature :
C'est l'heure divine des sens.

Un tel moment vaut mieux encore


Que le travail de cinquante ans,
Car l'esprit boit par chaque pore
La sève sainte du Printemps.

Nos coeurs inscriront en silence


La loi qui pour longtemps conduit
L'année entière qui commence
Peut-être dépend d'aujourd'hui.

Mettons avec l'âme infinie


Qui partout circule alentour
Notre âme humaine en harmonie,
Au diapason de l'amour.

Hâte-toi, ma soeur, de me suivre !

Allons devant nous sans choisir;


Surtout n'emporte pas de livre,
C'est aujourd'hui jour de loisir.
Love, now a universal birth,
From heart to heart is stealing,
From earth to man, from man to earth :

— It is the hour of feeling.

One moment now may give us more


Than years of toiling reason :
Our minds shall drink at every pore
The spirit of the season.

Some silent laws our hearts will make,


Which they shall long obey :
We for the year to corne may take
Our temper from to-day.

And from the blessed power that rolls


About, below, above,
We'll frame the measure of our soûls :
They shall be tuned to love.

Then come, my Sister come, I pray,


!

With speed put on your woodland dress ;


And bring no book : for this one day
We'll give to idleness.
12

REMONTRANCE ET RÉPLIQUE

« Pourquoi sur cette vieille pierre


Laisser couler un long matin
Assis tout seul à ne rien faire,
Rien que rêver, rêver sans fin?

Les livres pour l'âme incertaine


Sont les seuls flambeaux. Prends les tiens !
Debout ! Viens boire à la fontaine
Qui coule à nous des temps anciens.

Tes regards errent sur la Terre


Comme ceux de ses premiers nés.
Sais-tu les desseins de ta Mère
Et les labeurs de tes aînés ? »

Un matin qu'il faisait bon vivre,


Mon ami m'accusait ainsi
De préférer le rêve au livre,
Et je lui répondis ceci :

« L'oreille entend sans qu'on l'ordonne,


L'oeil voit sans notre volonté,
Et malgré nous le corps frissonne
De douleur ou de volupté.
— i3 —

EXPOSTULATION AND REPLY


[Composé en 1798. — Publié en 1798.]

« Why, William, on that old grey stone,


Thus for the length of half a day,
Why, William, sit you thus alone,
And dream your time away?

«Where are your books?— that light bequeathed


To Beings else forlorn and blind!
Up ! up and drink the spirit breathed
I

From dead men to their kind.

« You look round on your Mother Earth,


As if she for no purpose bore you ;
Asif you were her first-born birth,
And none had lived before you ! »

One morning thus, by Esthwaite lake,


When life was sweet, I knew not why,
To me my good friend Matthew spake,
And thus I made reply :

«The eye — it cannot choose but see ;


We cannot bid the ear be slill;
Our bodies feel, where'er they be,
Against or with our Avili.
— i4 —
Ainsi l'âme de la Nature
Parle tout bas à l'homme oisif;
L'esprit reçoit sa nourriture
En restant sagement passif.

La grande rumeur infinie


Vient parfois à nous comme un chant
Plein d'une distincte harmonie.
Ne trouve-t-on rien, qu'en cherchant?

Voilà pourquoi sur cette pierre


Assis seul tout ce long matin
J'ai pu m'instruire à ne rien faire,
Rien que rêver, rêver sans fin. »
— i5 —

« Nor less I deem that there are Powers


Which of themselves our minds impress ;
That we can feed this mind of ours
In a wise passiveness.

« Think you, 'mid ail this mighty sum


Of things for ever speaking,
That nothing of itself will corne,
But we must still be seeking?

« — Then ask not wherefore, hère, alone,


Conversing as I may,
I sit upon this old grey stone,
And dream my time away. »
— i6 —

LA RÉPLIQUE REPRISE UN SOIR

« Viens, mon ami, ferme ton livre;


C'est assez lire, en vérité.
Debout, debout! Te plaît-il vivre
Les yeux éteints, le corps voûté?

Du haut des monts qu'il auréole


Le soleil répand sur le pré
Une lumière fraîche et molle ;
C'est le premier beau soir pourpré.

Les livres! discussion sotte


Et stérile, propos oiseux ! —
Viens donc écouter la linotte,
Son chant t'en montrera plus qu'eux.

Entends ces grives peu moroses ;


Quel prêche vaudrait leurs chansons?
Viens voir à la clarté des choses,
La Nature offre ses leçons.

Elle verse à flots sa richesse


Dans l'esprit de l'homme enchanté :
La gaîté d'où naît la sagesse,
Le vrai qui naît de la santé.
— 17 —

THE TABLES TURNED


AN EVENING SCENE ON THE SAME SUBJECT
[Composé en 1798. — Publié en 1798.]

Up! up ! my Friend, and quit your books ;


Or surely you'll grow double :
Up! up ! my Friend, and clear your looks;
Why ail this toil and trouble?

The sun, above the mountain's head,


A freshening lustre mellow
Through ail the long green fields has spread,
His first sweet evening yellow.

Books ! 'tis a dull and endless strife :


Corne, hear the woodland linnet,
How sweet his music ! on my life,
There's more of wisdom in it.

And hark ! how blithe the throstle sings !


He, too, is no mean preacher :
Come forth into the light of things,
Let Nature be your Teacher.

She has a world of ready wealth,


Our minds and hearts to bless —
Spontaneous wisdom breathed by health,
Truth breathed by cheerfulness.
— i8 —
Sur le mal, sur le bien, sur l'homme,
Un frisson des bois au printemps
Nous en apprend plus long, en somme,
Que les sages de tous les temps.

L'esprit humain cherchant les causes


Détruit ce qu'il veut expliquer,
Déforme la beauté des choses
Et tue enfin pour disséquer,

Ferme donc ce gros livre vide,


C'est assez d'art et de savoir.
Apporte aux champs une âme avide
D'observer et de recevoir. »
— 19 —
One impulse from a vernal wood
May teach you more of man,
Of moral evil and of good,
Than ail the sages can.

Sweet is the lore which Nature brings ;


Our meddling intellect
Mis-shapes the beauteous forms of things
We murder to dissect.

Enough of Science and of Art ;


Close up those barren leaves ;
Come forth, and bring with you a heart
That watches and receives.
20

EN REVOYANT LES BORDS DE LA WYE

Cinq ans se sont passés — cinq étés et cinq longs,


Longs hivers, — et voici qu'à travers ces vallons
De nouveau je l'entends, le fleuve au doux murmure,
Et je vois de nouveau la falaise qui mure
Cet asile secret et sauvage, pour mieux
Unir la paix des champs avec la paix des cieux.
Yoici venu le jour où je m'étends encore
Sur la colline, au pied de ce noir sycomore;
Je contemple sous moi les jardins des hameaux
Et les vergers si verts avec leurs fruits nouveaux
Qu'à peine s'ils font tache au milieu des futaies.
Je revois le réseau capricieux des haies,
Les chalets jusqu'au seuil verdis, et la forêt
D'où monte une fumée en silence, — on dirait
Celle de vagabonds campés dans la clairière,
Ou d'un ermite, seul près de l'àtre, en prière.

Pendant mon long exil, la beauté de ces lieux


Ne s'est point obscurcie et voilée à mes yeux.
Dans les villes, parmi les fracas de la rue,
Aux heures de fatigue elle m'est apparue,
Chère sensation si pleine de douceur
Ressentie en mon sang et le long de mon coeur,
Et qui de là montait vers l'aride retraite
Où douloureusement vit la pensée abstraite.
21

LINES
Composed a few miles above Tintern Abbey, on revisiting the banks of
the Wye during a tour. July i3, 1798.
[Composé le i3 juillet 1798. — Publié en 1798.]

Five years hâve past; five summers, with the length


Of five long winters and again I hear
I

Thèse waters, rolling from their mountain-springs


With a soft inland murmur. — Once again
Do I behold thèse steep and lofty cliffs,
That on a wild secluded scène impress
Thoughts of more deep seclusion ; and connect
The landscape with the quiet of the sky.
The day is corne when I again repose
Hère, under this dark sycamore, and view
Thèse plots of cottage-ground, thèse orchard-tufts,
Which at this season, with their unripe fruits,
Are clad in one green hue, and lose themselves
'Mid groves and copses. Once again I see
Thèse hedge-rows, hardy hedge-rows, little lines
Of sportive wood run wild : thèse pastoral farms,
Green to the very door ; and wreaths of smoke
Sent up, in silence, from among the trees!
With some uncertain notice, as might seem
Of vagrant dwellers in the houseless woods,
Or of some Hermit's cave, where by his fire
The Hermit sits alone.
Thèse beauteous forms,
Through a long absence, hâve not been to me
As is a landscape to a blind man's eye :
But oft, in lonely rooms, and 'mid the din
Of towns and cities, I hâve owed to them,
In hours of weariness, sensations sweet,
Felt in the blood, and felt along the heart;
And passing even into my purer mind,
22

D'elle aussi m'est venu ce qu'un plaisir défunt,


Dès longtemps oublié, laisse en nous de parfum,
Et dont nos actions de tendresse ignorées,
Les plus humbles, les meilleures, sont inspirées.
Il est un don plus haut que je lui dois encor :
Je lui dois ces instants d'ineffable transport
Où s'allège pour nous le fardeau du mystère
Et l'inintelligible énigme de la terre ;
Où dans l'être, guidé par l'amour, doucement,
Le souffle corporel cesse, le mouvement
Du sang se suspend presque, où la chair sommeillante
Semble mourir, où l'homme est une âme vivante.
Notre oeil alors, dans ce grand calme intérieur,
Heureux par l'harmonie et fort par le bonheur,
Pénètre jusqu'au coeur mystérieux des choses.

Si mon esprit s'égare en ces profondeurs closes,


Dis du moins que de fois dans l'ombre de la nuit
Ou la morne clarté du jour, quand le vain bruit,
Le bruit sans but du monde et sa marche fiévreuse
Comprimèrent mon coeur, — oh ! dis, rivière heureuse,
Beau fleuve voyageur à travers les forêts,
Combien de fois vers toi j'ai lancé mes regrets I

Et voici, ravivant les lueurs presque éteintes


Du passé, ses contours noyés, ses demi-teintes,
Corrigeant le tableau par la réalité,
Voici ce paysage enfin ressuscité !
— 23

With tranquil restoration : — feelings too
Of unremembered pleasure : such, perhaps,
As hâve no slight or trivial influence
On that best portion of a good man's life,
His little, mameless, unremembered, acts
Of kindness and of love. Nor less, I trust,
To them I may hâve owed another gift,
Of aspect more sublime ; that blessed mood,
In which the burthen of the mystery,
In which the heavy and the weary weight
Of ail this unintelligible world,
Is lightened : — that serene and blessed mood,
In which the affections gently lead us on, —
Until, the breath of this corporeal frame
And even the motion of our human blood
Almost suspended, we are laid asleep
In body, and become a living soûl :
While with an eye made quiet by the power
Of harmony, and the deep poAver of joy,
We see into the life of things.

If this
Be but in vain belief, yet, oh! how oft —
In darkness and amid the many shapes
Of joyless daylight : when the fretful stir
Unprofitable, and the fever of the world,
Hâve hung upon the beatings of my heart —
How oft, in spirit, hâve I turned to thee,
0 sylvan Wye ! thou wanderer thro' the woods,
How often has my spirit turned to thee !

And now, with gleams of half-extinguished thought,


With many récognitions dim and faint,
And somewhat of a sad perplexity,
The picture of the mind revives again :
— 2k —
Mon âme est entre deux délices balancée
Car au plaisir présent s'ajoute la pensée
Du bonheur que ce jour prépare à l'avenir.
Je garde cet espoir que rien n'a pu ternir
Bien que je ne sois plus, après cinq ans d'épreuve,
Celui qui bondissait le long du large fleuve
Comme un daim, ou grimpait sur les monts périlleux
Dont la beauté de loin faisait signe à ses yeux, —
Plus semblable au fuyard en ma course effarée
Qu'à l'homme près d'atteindre une forme adorée.
J'avais franchi l'enfance alors, l'âge enchanté
A qui suffit le jeu bruyant et la santé.
La Nature était tout pour mon coeur. Rien n'exprime
Ce que j'étais alors. La montagne et l'abîme,
Leur forme et leur couleur me hantaient, et la voix
Sonore des torrents, et l'ombre des grands bois :
Amour tout instinctif, joyeuse tyrannie
Des sens vainqueurs, d'où la pensée était bannie.
Ces jours se sont enfuis, entraînant derrière eux
Leurs plaisirs si troublants qu'ils en sont douloureux.
Mais je ne gémis point sur mon ivresse morte,
Car il est d'autres dons que le temps seul apporte
Et qui m'ont remplacé mes dons évanouis.
Mes sens par la Nature autrefois éblouis
Distinguent aujourd'hui dans l'immense harmonie
Le chant de l'âme humaine et sa plainte infinie,

Chant ni rauque ni faux, mais de tels pleurs mouillé,
Mais si triste, qu'il fond notre orgueil en pitié.
Et je sens une Vie éparse en l'étendue,
Vie à tout mélangée et partout répandue,
Dont le soleil couchant est le trône de feu,
Dont le siège est dans l'air vivant, dans le ciel bleu,
— 25 —
While hère I stand, not only with the sensé
Of présent pleasure, but with pleasing thoughts
That in this moment there is life and food
For future years. And so I dare to hope,
Though changed, no doubt, from what I was when first
I came among thèse hills ; when like a roe
I bounded o'er the mountains, by the sides
Of the deep rivers, and the lonely streams,
Wherever nature led : more like a man
Flying from something that he dreads than one
Who sought the thing he loved. For nature then
(The coarser pleasures of my boyish days,
And their glad animal movements ail gone by)
To me was ail in ail. — I cannot paint
What then I was. The sounding cataract
Haunted me like a passion : the tall rock,
The mountain, and the deed and gloomy wood,
Their colours and their forms, were then to me
An appetite; a feeling and a love,
That had no need of a remoter charm,
By thought supplied, nor any interest
Unborrowed from the eye. — That time is past,
And ail its aching joys are now no more,
And ail its dizzy raptures. Not for this
Faint I, nor mourn nor murmur ; other gifts
Hâve followed ; for such loss, I would believe,
Abundant recompense. For I hâve learned
To look on nature, not as in the hour
Of thoughtless youth ; but hearing often-times
The still, sad music of humanity,
Nor harsh nor grating, though of ample power
To chasten and subdue. And I hâve felt
A présence that disturbs me with the joy
Of elevated thoughts; a sensé sublime
Of something far more deeply interfused,
Whose dwelling is the light of setting suns,
And the round océan and the living air ;
— 26 —
Dans le vaste océan et dans l'esprit de l'homme.
Je sens un souffle errer qui meut l'astre et l'atome,
Tous les êtres pensants, tous les objets divers
De la pensée, et roule à travers l'univers.
Aussi suis-je toujours l'amoureux des vallées,
Des fleuves et des bois; des splendeurs révélées,
Du monde tout-puissant de l'oreille et des yeux,
Par eux demi perçu, demi créé par eux;
Et j'aime à reconnaître ainsi dans la Nature
Et dans la voix des sens la source la plus pure
De mon âme, le guide et l'appui de mes pas,
L'ancre où ma foi s'attache et qui ne trahit pas.

Cette foi me fut-elle inconnue ou ravie,


Qui sait si même alors s'assombrirait ma vie?
Car n'es-tu pas au bord de ce fleuve berceur,
N'es-tu pas avec moi, mon amie et ma soeur?
Je saisis dans ta voix la voix de ma jeune âme
Et mon jeune plaisir se rallume à la flamme
Qui jaillit par éclairs de tes yeux scintillants.
Puissé-je y voir revivre encore un peu de temps
Ce qu'ont perdu les miens de flamme et de lumière!
Ma soeur, ma chère soeur je fais cette prière
!

Sachant que la Nature est bonne pour toujours


Au coeur qui lui voua son culte et ses amours.
Sur le rude chemin où le sort nous envoie,
Seule elle peut guider nos pas de joie en joie,
Et seule façonner notre esprit enchanté,
L'emplir de tant de calme et de tant de beauté,
Et si bien le nourrir de sublimes idées,
Que jamais la fureur des langues débridées,
Ni l'égoïsrne avec son sarcasme glaçant,
— 27 —
And the blue sky, and in the mind of man :
À motion and a spirit.that impels
AU thinking things, ail objects of ail thought,
And rolls through ail things. Therefore am I still
A lover of the meadows and the woods,
And mountains ; and of ail that we behold
From this green earth ; of ail the mighty world
Of eye, and ear, — both what they half create,
And what perceive; well pleased to recognise
In nature and the language of the sensé
The anchor of my purest thoughts, the nurse,
The guide, the guardian of my heart, and soûl
Of ail my moral being.

Nor perchance,
If I not thus taught, should I the more
Avère
Suffer my génial spirits to decay :
For thou art with me hère upon the banks
Of this fair river; thou my dearest Friend,
My dear, dear Friend; and in thy voice I catch
The language of my former heart, and read
My former pleasures in the shooting lights
Of thy wild eyes. Oh! yet a little while
May I behold in thee what I was once,
My dear, dear Sister! and this prayer I make,
Knowing that Nature never did betray
The heart that loved her; 'tis her privilège,
Through ail the years of this our life, to lead
From joy to joy : for she can so inform
The mind that is within us, so impress
With quietness and beauty, and so feed
With lofty thoughts, that neither evil tongues,
Rash judgements, nor the sneers of selfish men,
28 —

Ni les vains compliments d'où le coeur est absent,
Ni les froids entretiens sans amour et sans haine,
Ne pourront plus troubler en nous la foi sereine
Que le bonheur emplit tout ce que nous voyons.
Que la lune sur toi verse donc ses rayons,
Et que le vent chargé de pluie et de tempête
Souffle du haut des monts sans crainte sur ta tête!
Et quand tes vifs transports, dans la fuite des ans,
Auront cédé la place aux plaisirs apaisants,
Quand ton esprit sera la demeure bénie
De toute forme belle et de toute harmonie,
Le temple des beaux sons et des belles couleurs,
Alors, si tu connais la vie et ses douleurs,
Et si la rude main du sort te violente,
Avec quelle tendresse intime et consolante
Mes souhaits d'aujourd'hui visiteront ton coeur!
Et si j'étais trop loin pour t'entendre, ô ma soeur!
Trop loin du monde alors pour relire à la flamme
De tes yeux scintillants l'histoire de mon âme,
Tu te rappellerais encore, n'est-ce pas?
Que mes pas sur ces bords sont mêlés à tes pas,
Qu'ici je vins un jour, adorateur fidèle,
Pour servir la Nature et pour m'inspirer d'elle,
Et que je ressentis, t'ayant auprès de moi,
Dans mon coeur plus joyeux un plus divin émoi;
Qu'après cinq ans d'absence et de courses nombreuses,
Ces monts à pic gravis par les forêts ombreuses,
Ce frais vallon paisible et ce fleuve aux flots clairs
Me furent en soi-même, et grâce à toi, plus chers 1
— 29 —
Nor greetings where no kindness is, nor ail
The dreary intercourse of daily life,
Shall e'er prevail against us, or disturb
Our cheerful faith, that ail which we behold
Is full of blessings. Therefore let the moon
Shine on thee in thy solitary walk ;
And let the misty mountain-winds be free
To blow against thee : and, in after years,
When thèse wild ecstasies shall be matured
Into a sober pleasure ; when thy mind
Shall be a mansion for ail lovely forms,
Thy memory be as a dwelling-place
For ail sweet sounds and harmonies; oh! then,
If solitude, or fear, or gain, or grief,
Should be thy portion, with what healing Ihoughts
Of tender joy wilt thou remember me,
And thèse my exhortations ! Nor, perchance —
If I should be where I no more can hear
Thy voice, nor catch from thy wild eyes thèse gleams
Of past existence — wilt thou then forget
That on the banks of this delightful stream
We stood together ; and that I, so long
A worshipper of Nature, hither came
Unwearied in that service : rather say
With warmer love — oh with far deeper zeal
!

Of holier love. Nor wilt thou then forget


That after many wanderings, many years
Of absence, thèse steep woods and lofty cliffs,
And this green pastoral landscape, were to me
More dear, both for themselves and for thy sake!
— 3o —

LA MÈRE HÀRDÈLE ET BLAISE HARCOURS

a D'où vient qu'il grelotte et qu'il tremble?


D'où vient, le jeune Biaise Harcours,
Que ses dents se choquent ensemble,
Qu'elles claquent, claquent toujours?
Il a des gilets, Dieu sait comme!
Flanelle épaisse et gros drap neuf,
Et des casaques, ce jeune homme,
Assez pour en étouffer neuf.

« Vienne juillet, vienne décembre,


C'est tout pareil pour Biaise Harcours;
Qu'il soit dehors ou dans sa chambre
Ses dents claquent, claquent toujours.
Vienne l'aube, vienne la brune,
C'est tout pareil pour Biaise Harcours ;
Sous le soleil et sous la lune
Ses dents claquent, claquent toujours. »

Biaise était un bouvier prospère,


Un gars sans égal en vigueur.
Sa voix sonnait comme un tonnerre,
Sa joue était un trèfle en fleur.
— 3i —

GOODY BLAKE AND HARRY GILL


A TRUE STORY

[Composé en 1798 — Publié en 1798]

Oh ! what's the matter? what's the matter?


What is't lhat ails young Harry Gill ?
That evermore his teeth they chatter,
Chatter, chatter, chatter stilî.
Of waistcoats Harry has no lack,
Good duffle grey, and flannel fine;
He has a blanket on his back,
And coats enough to smother nine.

In March, December and in July,


'Tis ail the same with Harry Gill;
The neighbours tell, and tell you truly,
His teeth they chatter, chatter still.
At night, at morning, and at noon,
'Tis ail the same with Harry Gill;
Beneath the sun, beneath the moon,
His teeth they chatter, chatter still.

Young Harry was a lusty drover,


And who so stout of limb as he?
His cheeks were red as ruddy clover,
His voice was like the voice of three.
— 32 —
Mère Hardèle avait pauvre mine,
Le corps mal vêtu, mal nourri;
Le vent sifflait dans sa chaumine
Par les fentes du toit pourri.

Elle filait, la mère Hardèle,


Tout le long jour dans son réduit;
Sans qu'elle en fît pour sa chandelle
Elle filait très tard la nuit.
Elle habitait hors du village
Sur un mont dominant la mer,
Dont le rare et maigre feuillage
Était battu des vents d'hiver.

J'ai vu dans la même chaumière


Deux vieilles vivre à moins de frais
N'ayant qu'un feu, qu'une lumière ;
Mère Hardèle est seule à jamais.
L'été venu tout se supporte ;
Dans la chaude et claire saison
Elle filait devant sa porte,
Sans plus de souci qu'un pinson.

Mais en décembre quand la glace


Enchaînait le cours des ruisseaux,
Mère Hardèle gelait sur place
Jusque dans ses pauvres vieux os.
Sans feu que faire en sa demeure?
Que faire quand le jour décroît?
Se coucher transie avant l'heure.
Et ne pas fermer l'oeil de froid.
— 33 —
Auld goody Blake was old and poor,
111 fed she was, and thinly clad;
And any man who pass'd her door
Might see how poor a hut she had.

Ail day she spun in her poor dwelling,


And then her three hours' work at night!
Alas! 'twas hardly worth the telling,
It would not pay for candle-light.
Remote from sheltered village green,
On a hill's northern side she dwelt,
Where from sea-blasts the hawthorns lean,
And hoary dews are slow to melt.

By the same fire to boil their pottage,


Two poor old Dames, as I hâve known,
Will often live in one small cottage,
But she, poor Woman I housed alone.
'Twas well enough when summer came,
The long, warm, lightsome summer day,
Then at her door the canly Dame
Would sit, as any linnet, gay.

But when the ice our streams did fetter,


Oh then how her old bones would shake !
You would hâve said, if you had met her,
'Twas a hard time for Goody Blake.
Her evenings then were dull and dead;
Sad case it was, as you may think,
For very cold to go to bed;
And then for cold not sleep a wink.
- -34

Aussi la nuit comme elle écoute


Quand le vent de mer souffle fort,
Semant les branches sur la route,
Le rameau vert et le bois mort !
Quelle aubaine pour mère Hardèle!
Mais il a beau pleuvoir du bois,
Jamais elle n'en a chez elle
Pour plus de deux jours à la fois.

Et quand son fagot, pauvre femme!


Est brûlé jusqu'au dernier brin,
Elle songe à la bonne flamme
Que ferait le bois du voisin ;
Et bien souvent, la nuit tombée,
Ne sentant plus ses membres gourds,
Pour s'y tailler une flambée
Gagne la haie à Biaise Harcours.

Voilà longtemps que Biaise flaire


Les larcins faits dans son verger;
On l'a vu, rouge de colère,
Jurant qu'il saurait se venger.
Au coin du feu quittant son siège
Il s'en va souvent vers les champs
La nuit, par le gel et la neige,
L'oreille au guet, les yeux méchants.

Or un soir, derrière une meule,


Il épiait par un froid clair.
Le gel rendait les champs d'éteule
Craquants sous la lune d'hiver.
— 35 —
0 joy for her! whene'er in winter
The winds at night had made a rout;
And scattered many a lusty splinter
And many a rotten bough about.
Yet never had she, well or sick,
As every man who knew her says,
A pile beforehand, wood or stick,
Enough to warm her for three days.

Now, when the frost was past enduring,


And made her poor old bones to ache,
Could anything be more alluring
Than an old hedge to Goody Blake?
And, now and then, it must be said,
When her old bones were cold and chill,
She left her fire, or left her bed,
To seek the hedge of Harry Gill.

Now Harry he had long suspected


This trespass of old Goody Blake ;
And vowed that she should be detected —
That he on her would vengeance take.
And oft from his warm fire he'd go,
And to the fields his road would take ;
And there, at night, in frost and snow,
He watched to seize old Goody Blake.

And once, behind a rick of barley,


Thus looking out did Harry stand :
The moon was full and shining clearly,
And crisp with frost the stubble-land.
— 36 —
Il entend un bruit — il écoute —
A pas de loup, sans souffler mot,
Biaise s'approche — plus de doute,
Mère Hardèle fait son fagot.

Elle n'épargnait pas sa peine,


Dépouillant verne et coudrier.
Biaise attendit derrière un frêne
Qu'elle eût rempli son tablier;
Mais quand elle quitta la haie
Il se dressa sur son chemin,
Et jetant un cri qui l'effraie
Sur elle il abattit sa main.

Il saisit par le bras la vieille,


La secoua fort par le bras,
Et fort lui cria dans l'oreille :
« Cette fois tu me le paîras! »
Laissant tomber sa charge à terre,
La vieille qui n'avait rien dit
Fit à genoux cette prière
Au Dieu du ciel qui l'entendit.

Levant au ciel sa main flétrie :


« Mon Dieu ! qui nous voyez là-haut,
Mon Dieu! faites, je vous en prie,
Qu'il n'ait plus jamais, jamais chaud !
»
La froide lune au-dessus d'elle,
La pauvresse priait ainsi ;
Et Biaise entendit mère Hardèle
Et s'en alla le corps transi.
-37-
— He hears a noise — he's ail awake
Again ? — on tip-toe down the hill
He softly creeps — 'tis Goody Blake;
She's at the hedge of Harry Gill !

Right glad was he when he beheld her


Stick after stick did Goody pull :
He stood behind a bush of elder.
Till she had filled her apron full.
"When with her load she turned about,
The by-way back again to take ;
He started forward with a shout,
And sprang upon poor Goody Blake.

And fiercely by the arm he took her,


And by the arm he held her fast,
And fiercely by the arm he shook her,
And cried, « I hâve caughtyou then at last !
»
Then Goody, who had nothing said,
Her bundle from her lap let fall ;
And kneeling on the sticks, she prayed
To God that is the judge of ail.

She prayed, her withered hand uprearing,


While Harry held her by the arm —
« God! who art never out of hearing,
0 may he never more be warm ! »
The cold, cold moon above her head,
Thus on her knees did Goody pray;
Young Harry heard what she had said :
And icy cold he turned away.
— 38 —
Tout le jour il fut mal à l'aise,
Les membres froids et grelottants.
Pauvre Biaise, hélas! pauvre Biaise!
C'en était fait de son beau temps.
Vite, il mit un tricot de laine :
Ses membres restaient aussi froids ;
Il en mit deux dans la semaine,
Et le dimanche il en eut trois.

Tout fut en vain, en pure perte.


Gomme au vent qui souffle la nuit
Claque une croisée entr'ouverte,
Ses dents se choquaient à grand bruit.
Les couleurs ont quitté sa face,
Ses jambes, ses bras sont perclus,
Et quoi qu'il mette et quoi qu'il fasse,
Il n'aura plus chaud, jamais plus.

Sans qu'à plus rien il s'intéresse,


Qu'il soit couché, qu'il soit debout,
Il marmotte à mi-voix sans cesse :
« Le pauvre Biaise a froid partout. »
Qu'il soit midi, qu'il soit nuit noire,
Ses dents claquent, claquent toujours.
Fermiers, n'oubliez pas l'histoire
De mère Hardèle et Biaise Harcoufsl
-39 -
He went complaining ail the morrow
ïhat lie was cold and very chill :
His face was gloom, his heart was sorrow.
Alas! that day for Harry Gill!
That day he wore a riding-coat,
But not a whit the warmer he :
Ànother was on Thursday brought,
And ère the Sabbath he had three.

'ïwas ail in vain, a useless matter,


And blankets were about him pinned;
Yet still his jaws and teeth they clatter,
Like a loose casement in the wind.
And Harry's flesh it fell away;
And ail who see him say, 'tis plain
That, live as long as live he may,
He never will be warm again.

No word to any man he utters,


A-bed or up, to young or old ;
But ever to himself he mutters :
« Poor Harry Gill is very
cold. »
A-bed or up, by night or day,
His teeth they chatter, chatter still.
Now think, ye farmers ail, I pray,
Of Goody Blake and Harry Gill!
— 4o

L'ULULEMENT DES HIBOUX

Ces architectes fiers de leur plan grandiose,


Ces inventeurs récents et dont le génie ose
Jeter sur le chaos an pont de diamant;
Qui savent faire agir — non moins heureusement
Que sur la jeune fleur s'épanche la rosée —
Les choses et les mots sur la jeune pensée;
Ces sages pour lesquels l'obscurité n'est pas,
Ces guides clairvoyants du moindre de nos pas
Qui pour nous éviter toute brusque rencontre
Voudraient dans le chemin que leur index nous montre
A jamais enfermer notre marche en avant ;
Quand donc apprendront-ils, philosophe et savant,
Que sur le grand progrès inconscient du monde
Il veille une Raison plus que la leur profonde,
Que des yeux plus puissants que les leurs sont ouverts
Sur nos obscurs besoins et nos actes divers,
Que des instructions sont sur nous répandues
Même aux heures du jeu que nous croyons perdues?

J'avais un camarade — ohl ce jeune écolier,


Rives du Winander, pourrez-vous l'oublier?

Combien de fois le soir, quand les étoiles fines,
Les premières, luisaient au sommet des collines,.
Il s'est posté debout parmi les arbrisseaux,
Ou sur le bord du lac dont pâlissaient les eaux !'
- tu —

OWLS HOOTING
[Composé en 1798.
— Publié en 1800.]

Thèse mighty workmen of our later âge,


Who, with a broad highivay, hâve overbridged
The froward chaos qf Juturity,
Tamed to their bidding : they luho hâve Ihe skill
To manage books, and things, and make them act
On infant minds as surely as the sun
Deals with a flower ; the keepers of our lime,
The guides and ivardens of our jaculties,
Sages who in their prescience would conlrol
AU accidents, and to the very road
Which they hâve Jashioned would confine us down,
Like engines ; when ivilt their presumption learn,
That in the unreasoning progress of the world
A iviser spirit is at work Jor us,
A better eye than theirs, most prodigal
Of blessings, and most studious of our good,
Even in whal seem our most unfruitful hours? (1)

There was a Boy : ye knew him well, ye cliffs


And islands of Winander !
— many a time
At evening, when the earliest stars began
To move along the edges of the hills,
Rising or setting, would he stand alone
Beneath the trees or by the glimmering lake,
(1) Ces 17 premiers vers sont tirés du Prélude, V, 347-362, où
ils introduisent « There was a Boy ».
— 4a -
Et là, croisant ses doigts comme lorsqu'on implore,
Faisant de ses deux mains un porte-voix sonore,
Il lançait aux hiboux silencieux des cris
Si semblables aux leurs que les hiboux surpris
Ripostaient à travers la liquide vallée :
Longs trémolos, clameur reprise et redoublée,
Salves d'échos, concert de joie et de fracas!
Et si parfois leurs cris ne lui répondaient pas,
Si les hiboux restaient sourds à l'appel qu'il lance,
Alors, tendant l'oreille au milieu du silence,
Un doux choc de surprise, étrange en sa douceur,
À porté loin la voix des torrents dans son coeur;
Ou bien le paysage entrait, à l'insu d'elle,
Dans sa pensée, avec sa pompe solennelle,
Avec ses rocs, ses bois, et ce ciel incertain
Que le lac immobile a reçu dans son sein.
- -43

And there, wilh fingers interwoven, both hands


Pressed closely palm to palm, and to his mouth
Uplifted, he, as through an instrument,
Blew mimic hootings to the silent owls,
That they might answer him; and they would shout
Across the watery vale, and shout again,
Responsive to his call, with quivering peals,
And long halloos and screams, and echoes loud,
Redoubled and redoubled, concourse wild
Of jocund din ; and, when a lengthened pause
Of silence came and baffled his best skill,
Then sometimes, in that silence while he hung
Listening, a gentle shock of mild surprise
Has carried far into his heart the voice
Of mountain torrents ; or the visible scène
Would enter unawares into his mind,
With ail its solemn imagery, its rocks,
Its woods, and that uncertain heaven, received
Into the bosom of the steady lake.
- -44

EN CUEILLANT DES NOISETTES

C'est un de ces beaux jours, un de ces jours lointains


Qui brillent seuls parmi tant de jours indistincts.
Mon coeur d'enfant gonflé par la joie attendue,
Portant une besace à mon dos suspendue
Et dans ma main un croc pour abattre les noix,
Je m'élançai d'un pas alerte vers les bois.
Certes, je devais faire une étrange figure
Avec mes vieux habits rapiécés, bigarrure
Que l'hôtesse économe avec qui je logeais
Réservait pour mes jours d'ambitieux projets :
Habits faits pour braver l'épaisseur des futaies,
Les piquants des taillis ou les ronces des haies,
Et plus déguenillés même que de raison.
Par-dessus les rochers, à travers maint buisson,
Dans l'enchevêtrement des touffes de fougère,
Je m'ouvris un passage en ma course légère
Jusqu'en un coin charmant oublié des cueilleurs.
La dévastation partout visible ailleurs
N'avait pas laissé là ces branches arrachées
Qui penchent tristement leurs feuilles desséchées.
Le massif était vierge encore, et par milliers
Les noisettes pendaient leur grappe aux coudriers.
Je restai quelque temps debout devant ma proie,
Immobile, le coeur comprimé par la joie.
A loisir, sans hâter l'heureux moment certain,
Sans craindre de rival, j'admirai le festin.
Puis je m'assis au pied de ces branches si belles
- 45

NUTTING
[Composé en 1799. — Publié en 1800.

It seems a day
(I speak of one from many singled out)
One of those heavenly days that cannot die ;
When, in the eagerness of boyish hope,
I left our cottage threshold, sallying forth
With a huge wallet o'er my shoulders slung,
A nutting-crook in hand ; and turned my steps
Tow'rd some far-distant wood, a Figure quaint,
Tricked out in proud disguise of cast-off weeds
Which for that service had been husbanded,
By exhortation of my frugal Dame —
Motley accoutrement, of power to smile
At thorns, and brakes, and brarnbles, — and in trulh
More ragged than need wasl O'er pathless rocks,
Through beds of matted fern, and tangled thickets,
Forcing my way, I came to one dear nook
Unvisited, where not a broken bough
Drooped with its withered leaves, ungracious sign
Of dévastation ; but the hazels rose
Tall and erect, with tempting clusters hung,
A virgin scène!
— A little while I stood,
Breathing with such suppression of the heart
As joy delights in ; and with wise restraint
Voluptuous, fearless of a riva], eyed
The banquet; — or beneath the trees I sate
_ 46 -
Parmi les fleurs du sol et jouant avec elles :
Humeur commune à ceux d'un long désir lassés
Qui voient soudain leurs voeux de bonheur dépassés.
C'était un berceau d'ombre, une fraîche retraite
Où pouvait cinq printemps fleurir la violette
Et cinq printemps mourir, cachée à tous les yeux.
Une eau courante y fait son bruit mystérieux
Toujours. Alors, fermant à demi mes paupières
Et ma joue appuyée à l'une de ces pierres
Qui me semblaient avec leur mousse pour toison
Un troupeau de moutons dormant sur le gazon,
J'écoutai chanter l'eau sous l'épaisse ramée :
Instants bénis, où l'âme à peu de frais charmée
Préfère le bien-être au plaisir convoité,
Et sûre du bonheur prodigue sa bonté
A l'air qui passe, à l'arbre, au ruisseau solitaire.
Enfin je me levai; je tirai vers la terre
Les branches, brisant tout ainsi qu'un forcené;
Et le massif ombreux, déformé, profané,
Céda patiemment sa calme et douce vie.
Et quand ma passion fut enfin assouvie,
Lorsqu'enfin je quittai les beaux coudriers verts,
Fier, plus riche que tous les rois de l'univers,
Emportant mon trésor dans ma besace pleine,
J'eus comme un sentiment de remords et de peine
Quand je vis dans l'obscur bosquet silencieux
Pénétrer la lumière importune des cieux.
Donc, ô la plus aimée entre les jeunes filles!
Marche légère et douce à travers ces charmilles ;
Pour leurs tendres rameaux fais caressants tes doigts,
Chère soeur, car il est un Esprit dans les bois.
- -h!
Among the flowers, and with Ihe flowers I played;
A temper known to those who, after long
And weary expectation, hâve been blest
"With sudden happiness beyond ail hope.
Perhaps it was a bower beneath whose leaves
The violets of five seasons re-appear
And fade, unseen by any human eye ;
Where fairy water-breaks do murmur on
For ever ; and I saw the sparkling foam,
And — with my cheek on one of those green stones
That, fleeced with moss, under the shady trees,
Lay round me, scattered like a flock of sheep —
I heard the murmur and the murmuring sound,
In that sweet mood when pleasure loves to pay
Tribute to ease; and, of its joy secure,
The heart luxuriates with indiffèrent things,
Wasting its kindliness on stocks and stones,
And on the vacant air. Then up I rose,
And dragged to earth both branch and bough, Avith
And merciless ravage : and the shady nook [crash
Of hazels, and the green and mossy bower,
Deformed and sullied, patiently gave up
Their quiet being : and unless I now
Gonfound my présent feelings with the past,
Ere from the mutilated bower I turned
Exulti'ng, rich beyond the wealth of kings,
I felt a sensé of pain when I beheld
The silent trees, and saw the intruding sky. —
Then, dearest Maiden, move along thèse shades
In gentleness of heart ; with gentle hand
Touch — for there is a spirit in the woods.
- -48

SCÈNE DE PATINAGE

Souveraine Sagesse, Esprit de l'Univers,


Ame qui es Y éternité de la pensée,
Qui donnes à la Jorme et à l'image un souffle,
Un mouvement sans fin! Ce n'est pas vainement
Que jour et nuit, depuis l'aube de mon enjance,
Tu as tressé pour moi les mille passions
Dont le puissant réseau forme notre âme humaine
Non avec l'oeuvre morte et mesquine de l'homme,
Mais avec des objets durables et sublimes,
Avec la vie et la nature, ennoblissant
Les germes de pensée et de sensation,
Et sanctifiant par cette pure discipline
La souffrance et la crainte, au point que nous sentons
Quelque chose de grand aux battements du coeur.

La Nature ne fut avare de ses dons


Envers moi, ni de sa compagnie. En novembre,
Quand les vapeurs roulant des monts dans nos vallées
Rendaient plus solitaire encor leur solitude ;
A midi dans les bois, ou par les calmes soirs
De juillet, quand le long du lac aux eaux tremblantes
Je m'en revenais seul sous les sombres collines,
Elle était ma compagne ; elle était avec moi
Nuit et jour dans les champs, ou sur le bord des lacs
-49-

SKATING SCENE
[Composé en 1799. — Publié en 180c)]

Wisdom and Spirit oj the universe I


Thoa Soûl that art the eternity oj Ihought,
That givest tojorms and images a breath
And everlasting motion, not in vain
By day or slar-light thusjrom my first dawn
Oj childhood didst thoa interlwine jor me
The passions that baild up oar human soûl ;
Not with the mean and vutgar ivorks of man,
Bat with high objects, with endaring things —
With lije and nature — purijying thas
The éléments oj jeeling and of thought,
And sanctijying, by such discipline,
Both pain andjear, until we recognise
A grandeur in the beatings oj the heart.

Nor was this fellowship youchsafecl to me


With stinted kindness. In November days,
When vapours rolling down the valley made
A lonely scène more lonesome, among woods,
At noon and mid the calm of summer nights,
When, by the margin of the trembling lake,
Beneath the gloomy hills homeward I went
In solitude, such intercourse was mine;
Mine was it in the fields both day and night,
— 5o —

Tous les chauds mois d'été. Non moins dans l'âpre hiver :
Quand, le soleil couché, les vitres des chaumières
Flamboyaient dans le noir, visibles à des lieues,
Je ne prenais pas garde à ce signal ; c'était
Pour nous tous un plaisir que le retour du gel,
C'était ravissement pour moi. Claire et sonore
L'horloge du clocher sonnait la sixième heure ;
Je pivotais alors, fougueux et fier autant
Qu'un cheval inlassé qui n'a cure du gîte.
Nous nous lancions sur le lac dur. Chaussés d'acier,
Nos pieds sifflaient le long de la glace polie
En jeux associés, imitant la poursuite
Du gibier des taillis, l'éclatant cor de chasse,
La meute aux grands abois, et le lièvre lancé.
Ainsi tous nous volions par la nuit et le froid ;
Toutes nos voix vibraient ensemble, et ce vacarme
Dans chaque précipice éveillait des échos ;
Les arbres sans feuillage et tous les rocs glacés
Tintaient comme du fer, et les monts plus lointains
Mêlaient à ce tumulte une note étrangère
Troublant un peu mon coeur par sa mélancolie,
Cependant que vers l'est brillaient clair les étoiles
Et qu'à l'ouest se mourait la lueur orangée.

Souvent je m'écartais de la bande bruyante


Vers une calme baie, ou bien, pris d'un caprice,
Je filais de côté, laissant mes camarades,
Pour couper au milieu le reflet d'une étoile,
Qui, sans cesse courant devant mes pas, luisait
Sur la plaine vitreuse ; et mainte et mainte fois
Quand nous avions livré notre corps à la bise
Et que des deux côtés les rives assombries
— 5i —
And by the waters, ail the summer long.
And in the frosty season, when the sun
Was set, and visible for many a mile
The cottage Windows blazed through twilight gloom,
I heeded not their summons : happy time
It was indeed for ail of us —- for me
It was a time of rapture! Clear and loud
The village clock tolled six, — I wheeled about,
Proud and exulting like an untired horse
That cares not for his home. Ail shod with steel,
We hissed along the polished ice in games
Confederate, imitative of the chase
And woodland pleasures, — the resounding horn,
The pack loud chiming, and the hunted hare.
So through the darkness and the cold we flew,
And not a voice was idle; with the din
Smitten, the précipices rang aloud ;
The leafless trees and every icy crag
Tinkled like iron; while far-distant hills
Into the tumult sent an alien sound
Of melancholy not unnoticed, while the stars
Eastward were sparkling clear, and in the west
The orange sky of evening died away.
Not seldom from the uproar I retired
Into a silent bay, or sportively
Glanced sideway, leaving the tumultuous throng,
To eut across the refiex of a star
That fled, and, flying still before me, gleamed
Upon the glassy plain ; and oftentimes,
When we had given our bodies to the wind,
And ail the shadowy banks on either side
— 5a —
Fuyaient derrière nous, rapides, dans la nuit,
Il m'arrivait, le corps dressé sur mes talons,
D'arrêter net ; pourtant les deux rives toujours
Défilaient, comme si le tournoiement diurne
De la terre avait pris une forme visible !
Les monts passaient toujours en marche solennelle,
Mais de plus en plus lente, et moi je regardais,
Immobile sur mes patins, jusqu'à ce que
Tout fût tranquillisé comme un sommeil sans rêve.
— 53 —
Came sweeping through the darkness, spinning still
The rapid line of motion, then at once
Hâve I, reclining back upon my heels,
Stopped short; yet still the solitary cliffs
Wheeled by me — even as if the earth had rolled
With visible motion her diurnal round !
Behind me did they stretch in solemn train,
Feebler and feebler, and I stood and watched
Till ail was tranquil as a dreamless sleep.
54

EN CANOT

Bénis soient les moyens que la Nature emploie


Pour façonner nos coeurs! tantôt versant la joie
Sans mélange, et n'ojjrant de ses aspects divers
Que ses fleurs, son sourire et ses tendres prés verts;
Tantôt, comme en été brille sur la campagne
L'éclair inojffensij que nul bruit n'accompagne,
Troublant sans l'ejjrayer notre esprit ; et parjois
Prenant pour nous parler je ne sais quelle voix
Terrible, ou quelle jorme étrangement vivante
Qui nous enseigne à juir le mal par l'épouvante.

Un soir d'été — j'étais alors un écolier


Trouvant à s'égarer un attrait singulier
Et qui s'imaginait errer à l'aventure

Je m'approchai d'un lac, guidé par la Nature,
Et je vis sous un saule un canot près du bord,
Dans le creux d'un rocher qui lui servait de port.
Vite, rompant le noeud qui la tenait captive,
Je sautai dans la barque et repoussai la rive.
C'était comme un larcin craintif, mêlé d'émoi,
Et les échos des monts s'élançaient après moi
;
Et mon canot laissait sur l'onde qui se trouble
Des cercles où tremblait la lune, sentier double
Fondu vite en un seul sillage étincelant.
55

ROWING
[Composé en 1800 (?). — Publié en 1800 dans le Prélude, livre I, v. 35i-4oo.

Thanks to the means which Nature deigned to employ;


Whether her Jearless visitings, or Ihose
Thaï came with sojt alarm, like hartless light
Opening the peacejul clouds ; or she may use
Severer interventions, ministry
More palpable, as best might suit her aim.

One summer evening (led by her) I found


A little boat tied to a willow tree
Within a rocky cave, its usual home.
Straight I unloosed her chain, and stepping in
Pushed from the shore. It was an act of stealth
And troubled pleasure, nor without the voice
Of mountain-echoes did my boat move on ;
Leaving behind her still, on either side,
Small circles glittering idly in the moon,
Until they melted ail into one track
Of sparkling light.
— 56 —

Or, comme un rameur fier de sa force et voulant


Pour gagner un point sûr que d'avance il désigne
Décrire sur les eaux une inflexible ligne,
Je tins sur le sommet d'un mur bas de rochers,
Borne de l'horizon, mes regards attachés.
Rien au-dessus n'était visible, que le voile
Immense du ciel gris percé de mainte étoile.
Plongeant mes avirons dans le lac endormi,
Mon corps à chaque élan se dressant à demi,
Je sentais haleter sous moi la barque fine
Comme un cygne puissant fend l'eau de sa poitrine.
Tout à coup, sur le dos des rocs, terrible à voir,
Assombrissant au loin l'horizon, un Pic noir,
Gigantesque et vivant, leva sa tête énorme.
Je ramai plus avant sur le lac, et la forme
Monstrueuse, masquant le pâle firmament,
Semblait grandir toujours, et, volontairement,
D'une marche rapide et pourtant mesurée,
Se rapprocher de moi. La main mal assurée,
Je fis virer ma barque, et sur l'onde qui dort
Je me glissai, furlif et tremblant, jusqu'au port.
Puis à travers les champs je gagnai ma demeure.
Mais pendant bien des jours, à partir de cette heure,
Il se fit dans ma tête un travail sourd et lent,
Et j'eus la vision, j'eus le soupçon troublant
D'une existence étrange et de l'homme inconnue.
Je ne sais quel souci, comme une sombre nue,
Obstinément planait au ciel de mes pensers.
Rien ne me restait plus de mes plaisirs passés;
Je ne revoyais plus les images chéries,
Ni les mille couleurs joyeuses des prairies,
Plus les fleurs, ni la mer, ni les deux azurés;
- -
57

But now, like one who rows,


Proud of his skill, to reach a chosen point
With an unswerving line, I fixed my view
Upon the summit of a craggy ridge,
The horizon's utmost boundary ; far above
Was nothing but the stars and the grey sky.
She was an elfîn pinnace ; lustily
I dipped my oars into the silent lake,
And, as I rose upon the stroke, my boat
Went heaving through the water like a swan ;
When, from behind that craggy steep till then
The horizon's bound, a huge peak, black and huge,
As if with voluntary power instinct
Upreared its head. I struck and struck again,
And growing still in stature the grim shape
Towered up between me and the stars, and still,
For so it seemed, with purpose of its own
And measured motion like a living thing,
Strode after me. With trembling oars I turned,
And through the silent water stole my way
Back to the covert of the willow tree ;
There in her mooring-place I left my bark, —
And through the meadows homeward went, in grave
And serious mood ; but after I had seen
That spectacle, for many days, my brain
Worked with a dim and undetermined sensé
Of unknown modes of being; o'er my thoughts
There hung a darkness, call it solitude
Or blank désertion. No familiar shapes
Remained, no pleasant images of trees,
Of sea or sky, no colours of green fields ;
— 58 —
Mais les vagues contours d'êtres démesurés,
Fantômes effrayants d'un pays de mystère
Et qui ne vivent pas comme on vit sur la terre,
Traversaient lentement mon esprit douloureux,
Et mes rêves de nuit étaient hantés par eux.
-59 -
But huge and mighty forms, that do not live
Like living men, moved slowly through the mind
By day, and were a trouble to my dreams.
— 6o —

LUCIE

j'eus plus d'un étrange délire


Dans ma fièvre d'amour.
Aux amoureux seuls j'ose dire
Ce qui m'advint un jour.

Quand Lucie était fraîche et rose


Comme la rose en mai,
J'allais à l'heure où tout repose
Vers son toit bien-aimé.

La lune brillait, ronde et pure,


Sur les vastes prés nus.
Mon cheval hâta son allure
Dans les sentiers connus.

Déjà nous montons la colline;


Voici l'enclos en fleur.
La lune vers le toit s'incline
Et baisse avec lenteur.
— 6i —

LUCY
[Composé en 1799.
— Publié en 1800.]

Slrange fits of passion hâve I known :


And I will dare to tell,
But in the Lover's ear alone,
What once to me befell.

When she I loved looked every day


Fresh as a rose in June,
I to her cottage bent my way,
Beneath an evening-moon.

Upon the moon I fixed my eye,


Ail over the wide lea;
With quickening pace my horse drew nigh
Those paths so dear to me.

And now we reached the orchard-plot ;


And, as we climbed the hill,
The sinking moon to Lucy's cot
Came near, and nearer still.
— 6a --
Bercé par la si douce attente
De l'instant précieux,
Je suivais la lune éclatante
Rêveusement des yeux.

Enfin, fendant l'air qu'il embaume,


Je longeais le jardin,
Quand derrière le toit de chaume
L'astre tomba soudain.

0 folie où l'amour emporte


Le coeur et la raison !
« Mon Dieu! si Lucie était morte? »
Dis-je avec un frisson.

II

Elle habitait une vallée


Que les monts enfermaient.
Sa grâce croissait isolée
Et peu de coeurs l'aimaient.

Violette qui sous la mousse


Fuit à demi les yeux!
Première étoile qui luit, douce
Et seule dans les cieux!

Bien peu l'admiraient fraîche et forte,


Sa mort fit peu d'émoi.
Hélas! tout, depuis qu'elle est morte,
Tout est changé pour moi.
— 63 —

In one of those sweet dreams I slept,


Kind Nature's gentlest boon!
And ail the while my eyes I kept
On the descending moon.

My horse moved on ; hoof after hoof


He raised, and never stopped :
When down behind the cottage roof,
At once, the bright moon dropped.

What fond and wayward thoughts will slide


Into a Lover's head!
« 0 mercy !
» to myself I cried,
« If Lucy should be dead I »

il
She dwelt among the untrodden ways
Beside the springs of Dove,
A Maid whom there were none to praise
And very few to love :

Aviolet by a mossy stone


Half hidden from the eye !

— Fair as a star, when only one


Is shining in the sky.

She lived unknown, and few could know


When Lucy ceased to be;
But she is in her grave, and, oh,
The différence to me!
III

Avant de voyager sur terre


Vers de lointains sommets,
Je ne savais pas, Angleterre,
A quel point je t'aimais.
Il est passé ce triste rêve,
C'est fini pour toujours.
Je ne veux plus quitter ta grève,
Pays de mes amours !

Dans tes vallons, sur ta falaise


Lucie enfant jouait ;
C'est dans une chaumière anglaise
Que chanta son rouet.

Sa tombe est à toi, ma patrie,


Couverte par tes cieux,
A toi la dernière prairie
Qui réjouit ses yeux.

IV

Parmi les libres monts trois ans elle grandit


A la pluie, au soleil. La Nature alors dit :
« 0 belle fleur à peine éclose!
Cette enfant sera mienne et je l'adopterai,
Et je veux lui donner, modelée à mon gré,
La noblesse dont je dispose.
— 65 —

III
I travelled among unknown men,
In lands beyond the sea;
Nor, England! did I knoAV till then
What love I bore to thee.

'Tis past, that melancholy dream I


Nor will I quit thy shore
A second time; for still I seem
To love thee more and more.

Among thy mountains did I feel


The joy of my désire;
And she I cherished turned lier wheel
Beside an English lire.

Thy mornings showed, thy nights concealed,


The bowers where Lucy played;
And thine too is the last green field
That Lucy's eyes surveyed.

IV

Three years she grew in sun and shower,


Then Nature said, « A lovelier flower
On earth was never sown ;
Tins Child I to myself will take ;
She shall be mine, and I will make
A Lady of my own.
— 66 —

Je veux être pour elle impulsion et loi.


Oui, je veux que vivant à toute heure avec moi,
Et vivant aux lieux où je règne,
Dans les cieux et les monts, les champs et les forêts,
Elle sente un Pouvoir au regard toujours près
Qui l'enflamme ou qui la contraigne.

Elle sera pareille au faon grisé d'air pur


Qui bondit dans les prés, ou pour boire l'azur
Vers le sommet des monts s'élance;
Elle aura le parfum qui s'exhale des bois,
Le doux parfum des fleurs sans pensée et sans voix,
Elle aura leur joyeux silence.

La souplesse du saule incliné par les vents,


La lente majesté des nuages mouvants
Composeront son attitude;
Et même à voir l'Orage au vol épouvanté
Son jeune et tendre corps prendra de la beauté
La mystérieuse habitude.

Je veux lui faire aimer les étoiles des nuits,


Et, pensive, prêter l'oreille aux vagues bruits,
A ce capricieux murmure
Venu des lieux secrets où dansent les ruisseaux ;
Et la grâce qui naît du murmure des eaux
Se répandra sur sa figure.

Aspirés à longs traits, le bonheur et l'air sain


Grandiront sa stature et gonfleront son sein
De jeune vierge vigoureuse.
_67-
«Myself will to my darling be
Both law and impulse : and with me
The Girl, in rock and plain,
In earth and heaven, in glade and bower,
Shall feel an overseeing power
To kindle or restrain.

« She shall be sportive as the fawn


That wild with glee across the lawn
Or up the mountain springs;
And hers shall be the breathing balm,
And hers the silence and the calm
Of mute insensate things.

« The floating clouds their state shall lend


To her; for her the willow bend;
Nor shall she fail to see
Even in the motions of the Storm
Grâce that shall mould the Maiden's form
By silent sympathy.

« The stars of midnight shall be dear


To her; and she shall lean her ear
In many a secret place
Where rivulets dance their wayward round,
And beauty born of murmuring sound
Shall pass into her face.

« And vital feelings of delight


Shall rear her form to stately height,
Her virgin bosom swell ;
68
— —
Je veux ainsi l'instruire et la former ainsi
Pendant que nous vivrons toutes les deux ici
Dans cette solitude heureuse. »

0 Nature! pourquoi celle que tu formais,


Celle que j'aime, est-elle endormie à jamais?
Je suis seul dans le val champêtre,
J'erre seul sur la lande où riait notre amour, —
Avec le souvenir de ce qui fut un jour
Et qui ne peut plus jamais être.

Le bonheur endormait mes sens,


J'ignorais les terrestres craintes.
Elle semblait hors des atteintes
Et du toucher mortel des ans.

Sans plus de mouvement qu'un marbre,


Sans force, corps aveugle et sourd,
La Terre en son diurne tour —
La roule avec le roc et l'arbre.
-69-
Such thoughts to Lucy I will give
While she and I together live
Hère in this happy dell. »

Thus Nature spake — The work was done


How soon my Lucy's race was run !

She died, and left to me


This heath, this calm, and quiet scène;
The memory of what has been,
And never more will be.

A slumber did my spirit seal;


I had no human fears :
She seemed a thing that could not feel
The touch of earthly years.

No motion has she now, no force ;


She neither hears nor sees ;
Rolled round in earth's diurnal course,
With rocks, and stones, and trees.
LA FONTAINE

Nous causions tous les deux sans gêne


En compagnons libres et francs,
Bien que j'eusse seize ans à peine
Et qu'il eût soixante-douze ans.

Un chêne étendait sa ramure


Sur notre couche de gazon;
A nos pieds une source pure
Fredonnait sa claire chanson.

« Allons, dis-je, tiens compagnie


Au ru qui chantonne à côté.
Je veux un air en harmonie
Avec ce beau midi d'été;

Ou sur l'étrange horloge antique


Et ses carillons discordants,
Dis la ballade fantastique
Que tu fis au dernier printemps. »

Mais lui regardait sous les branches


La source vive qui bondit
Et le chanteur aux boucles blanches,
Soudain pensif, me répondit :
— 7I —

THE FOUNTÀIN
A CONVERSATION
[Composé en 1799. — Publié en 1800.]

We talked with open heart, and tongue


Affectionate and true,
A pair of friends, though I was young,
And Matthew seventy-two.

We lay beneath a spreading oak,


Beside a mossy seat;
And from the turf a fountain broke,
And gurgled at our feet.

« Now, Matthew! said I, « let us match


»
ïhis water's pleasant tune
With some old border-song, or catch
That suits a summer's noon ;

« Or of the church-clock and the chimes


Sing hère beneath the shade,
That half-mad thing of witty rhymes
Which you last April made! »

In silence Matthew lay, and eyed


The spring beneath the tree ;
And thus the dear old Man replied,
The grey-haired man of glee :
— 72 —

Sans arrêt, jamais refrénées,


«
Que ces eaux, ont un joyeux cours!
Elles couleront mille années
Et chanteront ainsi toujours.

En ce midi plein de lumière


Je ne puis songer sans émoi
Au temps de ma vigueur première
Où la même eau chantait pour moi.

Et mon âme se trouble toute,


Des pleurs d'enfant voilent mes yeux,
Car ce bruit qu'aujourd'hui j'écoute,
Je l'écoutais aux jours joyeux.

Ainsi tous les vieux se désolent, —


Et notre vrai malheur pourtant
N'est pas ce que les ans nous volent,
Mais ce qu'ils laissent en partant.

Le merle en sa verte cachette


Et l'alouette en haut des cieux
Chantent quand leur âme est en fête,
Sont à leur gré silencieux.

A la Nature souveraine
Ils obéissent doucement ;
Leur vieillesse est libre et sereine
Comme leur jeune âge est charmant.
_73-
« No check, no stay, this Streamlet fears ;
How merrily it goes !
'Twill murmnr on a thousand years,
And flow as now it flows.

«And hère, on this delightful day,


I cannot choose but think
How oft, a vigorous man, I lay
Beside this fountain's brink.

« My eyes are dim with childish tears,


My heart is idly stirred,
For the same sound is in my ears
Which in those days I heard.

«Thus fares it still in our decay :


And yet the wiser mind
Mourns less for Avhat âge takes away
Than Avhat it leaves behind.

« The blackbird amid leafy trees,


The lark above the hill,
Let loose their carols when they please,
Are quiet when they will.

« With Nature never do they wage


A foolish strife; they see
A happy youth, and their old âge
Is beautiful and free :
- - 74

Mais nous, un lourd destin nous presse,


Et souvent, vieux et fatigués,
Nous gardons l'air de l'allégresse
Pour avoir été jadis gais.

Oh! si quelqu'un justement pleure


Les êtres chers morts à présent,
Les vides faits dans sa demeure,
C'est le vieux chanteur si plaisant!

Ami, je vieillis solitaire;


Mes jours seront bientôt passés.
Beaucoup m'aiment un peu sur terre,
Mais personne ne m'aime assez. »

— « Tous les deux tu nous calomnies


En disant qu'on t'aime à demi.
Je vis sur ces plaines bénies
Et ne suis-je pas ton ami?

Et je veux la place laissée


Par les enfants que tu pleuras. »
Il dit, tenant ma main pressée :
« HélasI cela ne se peut pas. »

Quittant sans parler la fontaine


Et son murmure décroissant,
Nous descendîmes dans la plaine
Le long du vert sentier glissant.
_ 75-
«But we are pressed by heavy laws;
And often, glad no more,
We wear a face of joy, because
We hâve been glad of yore.

« If there be one who need bemoan


His kindred laid in earth,
The household hearts that were his own ;
It is the man of mirth.

« My days, my Friend, are almost gone,


My life has been approved,
And many love me but by none
!

Am I enough beloved. »

« Now both himself and me lie wrongs,


The man who thus complains !

I live and sing my idle songs


Upon thèse happy plains;

« And, Matthew, for thy children dead


I'il be a son to thee! »
At this he grasped my hand, and said,
« Alas ! that cannot be. »

We rose up from the fountain-side ;


And down the smooth descent
Of the green sheep-track did we glide;
And through the wood we went ;
_76-
Et, près d'entrer dans la vallée,
Il se mit à chanter ses vers
Sur la vieille horloge affolée
Qui sonne à tort et à travers.
— 77 —
And, ère we came to Leonard's rock,
He sang those witty rhymes
About the crazy old church-clock,
And the bewildered chimes.
NOMS DONNÉS AUX SITES FAVORIS

I
LE VALLON D'EMMA
DÉDIÉ PAR LE POÈTE A SA SOEUR —

C'était par un matin d'avril; frais et limpide,


Le ruisseau bondissait comme un garçon rapide,
Mais la voix de son flot que l'hiver a grossi
Déjà s'harmonisait avec l'air adouci.
Des souffles de désir, de joie et d'espérance
Jaillis de tous les coeurs emplissaient le silence
De mainte onde sonore aux cercles grandissants.
Les bois, comme lassés de leurs bourgeons naissants,
Impatients d'orner leurs cimes découvertes,
Semblaient appeler Juin porteur de branches vertes.
Telle était la douceur de ce jour enchanté
Que les frênes croyant reconnaître l'été,
Gris et nus, s'étonnaient de leurs rameaux sans feuille.
Enivré du bonheur printanier qui m'accueille
Je remontais le cours du ruisseau, lorsqu'enfin
J'atteignis un tournant imprévu du ravin
Où les eaux dont un roc avait barré la voie
S'élançaient en poussant de tels éclats de joie
79

POEMS ON THE NAMING OF PLACES

i
[Composé en 1800. — Publié en 1800.

It was an Àpril morning : fresh and clear


The Rivulet, delighting in its strength,
Ran Avith a young man's speed ; and yet the voice
Of waters which the winter had supplied
Was softened down into a vernal tone.
The spirit of enjoyment and désire,
And hope and wishes, from ail living things
Went circling, like a multitude of sounds.
The budding groves seemed eager to urge on
The steps of June; as if their various hues
Were only hindrances that stood between
Them and their object : but, meanwhile, prevailed
Such an entire contentment in the air
That every naked ash, and tardy tree
Yet leafless, showed as if the countenance
With which it looked on this delightful day
Were native to the summer. — Up the brook
I roamed in the confusion of my heart,
Alive to ail things and forgetling ail.
At length I to a sudden turning came
In this continuous glen, where down a rock
The Stream, so ardent in its course before,
Sent forth such sallies of glad sound, that ail
— 8o —

Que tout ce que j'avais jusqu'alors écouté


Me sembla bruit banal et mesquine gaîté.
Rivalisant avec le tapage de l'onde,
Le chien du pastoureau, la chèvre vagabonde,
La grive et le linot, faisaient une chanson
Qui me parut la naturelle exhalaison,
Le crû même de l'air en ce ravin sauvage.
Là, des arbrisseaux verts tapissaient de feuillage
Le roc abrupt : c'étaient l'épine, le houx, l'if,
Et des îlots épars d'ajoncs piqués d'or vif.
Et sur un mont voisin de la creuse vallée,
Levant les yeux, je vis une ferme isolée.
« Ma fantaisie au moins, pensai-je, m'appartient.
Ce vallon est sans nom; je lui donne le tien,
Emma, soeur bien-aimée ! » A partir de cette heure,
Ce lieu devint pour moi comme une autre demeure;
Il me fut un asile, un logis en plein vent
Et parmi les bergers à qui j'ai dit souvent
Comment j'ai baptisé ce ravin solitaire,
Qui sait? quand nous serons endormis sous la terre,
Deux ou trois, en causant du lieu qui me charma,
Diront encore entre eux : « C'est le vallon d'Emma. »
— 8i —
Which I till then had heard appeared the voice
Of common pleasure : beast and bird, the lamb,
The shepherd's dog, the linnet and the thrush,
Vied with this waterfall, and made a song
Which, while I listened, seemed like the wild growth
Or like some natural produce of the air,
That could not cease to be. Green leaves were hère;
But 'twas the foliage of the rocks — the birch,
The yew, the holly, and the bright green thorn,
With hanging islands of resplendent furze :
And on a summit, distant a short space,
By any who should look beyond the dell
A single mountain-cottage might be seen.
I gazed and gazed, and to myself I said,
« Our thoughts at least are ours;
and this wild nook,
My Emma, I will dedicate to thee. »
— Soon did the spot become my other home,
My dwelling, and my out-of-doors abode.
And of the Shepherds who hâve seen me there,
To whom I sometimes in our idle talk
Hâve told this fancy, two or three, perhaps,
Years after we are gone and in our graves,
When they hâve cause to speak of this wild place,
May call it by the name of EMMA'S DELL.
— Ba-

il
L'ÉTANG DE MARIE

— DÉDIÉ PAR LE POÈTE A SA FIANCÉE

Nous marchâmes longtemps sous les rameaux profonds :


Ni route, ni sentier frayé des bûcherons
Qui devançant nos pas dans la forêt s'enfonce ;
Mais l'ombrage, mortel pour la brousse et la ronce,
À tracé de lui-même un chemin gazonné ;
Et voici qu'à notre oeil doucement étonné
Un étang luit dans la gaîté d'une clairière.
Sur son bord ferme, comme en un bassin de pierre
Que la main du berger eût arrondi pour eux,
A leur aise boiraient les moutons et les boeufs.
Le vent fort s'amortit, le soleil rompt ses flèches
Avant de pénétrer jusqu'aux belles eaux fraîches
Dans la verte pelouse au coeur de la forêt.
La Nature a fait là son asile secret.
L'homme l'ignore; il n'est fréquenté de personne;
Nul voyageur qui passe auprès ne le soupçonne ;
Mais il est beau pourtant d'une calme beauté;
Celui qui bâtirait sa chaumière à côté,
Arrosant ses repas d'un peu de son eau pure
Et dormant à couvert sous sa haute ramure,
Aimerait tant ce lieu, qu'à l'heure de mourir
Son image serait la dernière à pâlir.
Donc à l'étang limpide en l'unique prairie
Je donne votre nom, ô ma douce Marie!
— 83

II
TO M. H.
[Composé en 1799. — Publié en 1800]

Our walk was far among the ancient trees :


There was no road, nor any woodman's path;
But a thick umbrage — checking the wild growth
Of weed and sapling, along soft green turf
Beneath the branches — of itself had made
A track, that brought us to a slip of lawn,
And a small bed of water in the woods.
Ail round this pool both flocks and herds might drink
On its firm margin, even as from a well,
Or some stone-basin which the herdsman's hand
Had shaped for their refreshment; nor did sun,
Or wind from any quarter, ever come,
But as a blessing to this calm recess,
This glade of water and this one green field.
The spot was made by Nature for herself ;
The travellers know it not, and 'twill remain
Unknown to them; but it is beautiful;
And if a man should plant its cottage near,
Should sleep beneath the shelter of its trees,
And blend its waters with his daily meal,
He would so love it, that in his death-hour
Its image would survive among his thoughts :
And therefore, my sweet MARY, this still Nook,
With ail its beeches, we hâve named from You!
84 -

III

LE PIC DU POÈTE

Il est un Pic, — parmi nos monts environnants


C'est le dernier qui parle aux soleils déclinants;
Je puis le contempler du banc de ma chaumière,
Et quand le soir je fais ma course coutumière
Avec ma soeur ou seul sur le chemin public,
J'aperçois par-delà tous les autres ce Pic,
Très haut et très lointain dans sa hauteur, qui mêle
A ma pensée un peu de sa paix solennelle.
Le météore l'aime entre tous; Jupiter,
Si splendide au milieu des plaines de l'éther,
Ne luit jamais plus beau que sur sa crête nue;
Aucun mont ne s'isole aussi loin dans la nue;
Et celle qui demeure avec moi, dont l'amour
Tient tant mon coeurqu'eussé-je un désert pour séjour
Je ne me sentirai jamais seul sur la terre,
A nommé de mon nom ce Sommet solitaire.
— 85 —

III
[Composé en 1800.
— Publié en 1800.

There is an Eminence, — of thèse our hills


The last that parleys with the setting sun ;
We can behold it from our orchard seat ;
And when at evening we pursue our walk
Along the public way, this Peak, so high
Above us, and so distant in its height,
Is visible; and often seems to send
Its own deep quiet to restore our hearts.
The meteors make of it a favourite haunt :
The star of Jove, so beautiful and large
In the mid heavens, is never half so fair
As when he shines above it. 'Tis in truth
The loneliest place we hâve among the clouds.
And She who dwells with me, whom I hâve loved
With such communion that no place on earth
Can ever be a solitude to me,
Hath to this lonely Summit given my Name.
86
— —

LA CHAUMIÈRE RUINÉE

[Ce poème, désigné tantôt comme La Chaumière ruinée et tantôt comme


L'histoire de Marguerite, fut commencé dès 1795. Une première rédaction
existait en 1797. Il ne devait paraître qu'en i8i4 dans l'Excursion dont il
occupe presque tout le premier livre. Le récit poignant représente le
premier jet. Les réflexions consolantes du conteur correspondent à la
seconde manière de Wordsworth, alors qu'il croyait de son devoir de
combattre le pessimisme. Nous avons dû faire quelques coupures au texte
de l'Excursion pour dégager cette histoire d'un ensemble plus complexe.]

C'était l'été, et le soleil était monté haut dans le


ciel... A travers une vaste lande nue je cheminais
d'un pas alangui que retardait le sol glissant ; mon
bras faible ne pouvait pas disperser la nuée d'insectes
qui se rassemblaient autour de mon visage et qui res-
taient toujours avec moi à mesure que j'avançais.
Sur cette lande découverte se dressait un petit bois :
c'était le port souhaité où devait s'achever ma course.
Je l'atteignis, et là, dans l'ombre que versait une
famille de grands ormes, m'apparut une chaumière
sans toit : quatre murs nus qui s'entre-regardaient ! —
Je jetai les yeux autour de moi, et selon mon désir et
mon espérance j'aperçus l'ami que je cherchais ; c'était
un homme d'âge vénérable, mais fort et robuste [un
colporteur naguère], dont les voyages n'avaient en
rien diminué la vigueur. 11 était là, sur le banc de la
87
-

THE RUINED COTTAGE


[Écrit d'abord en 1797, puis remanié et publié pour la première fois
en 1814, dans le premier livre de l'Excursion. C'est le texte de 1814
qui est reproduit ici.]

'Twas summer and the sun had mounted high...


Across a bare wide common I was toiling
With languid steps that by the slippery ground
Were baffled; nor could my weak arm disperse
The host of insects gathering round my face,
And ever with me as I paced along.
Upon that open level stood a grove,
The wished-for port to which my steps were bound.
Thither I came, and there, amid the gloom
Spread by a brotherhood of lofty elms,
Appeared a roofless Hut : four naked walls
That stared upon each other! — I looked round,
And to my wish and to my hope espied
Him whom I sought ; a Man of révérend âge,
But stout and haie, for travel unimpaired.
There was he seen upon the cottage-bench,
chaumière, étendu à l'ombre, semblant dormir. Un
bâton ferré du bout était posé à côté de lui...

Ses yeux étaient à demi fermés comme dans l'as-


soupissement, et les ombres des ormes remués par la
brise au-dessus de lui tachetaient sa face. Il n'avait pas
entendu s'approcher mon pas, et je restai debout près
de lui sous l'ombrage quelques minutes sans qu'il me
remarquât. Enfin je l'appelai, voyant que son chapeau
était mouillé de gouttes d'eau, comme si le bord venait
d'être plongé dans une eau courante. Il se leva et avant
que nous eussions fini d'exprimer la joie de nous
revoir : « C'est, lui dis-je, une journée brûlante. Mes
lèvres sont desséchées par la soif, mais vous, il me
semble que vous avez trouvé où vous rafraîchir. » A
ces mots, il me désigna du doigt un églantier, et me
dit de franchir la clôture par-dessus laquelle l'arbuste
élancé regardait le chemin public. C'était un petit
jardin redevenu sauvage; les mauvaises herbes emmê-
lées y portaient la trace des pieds des passants que les
groseilliers qui jaillissaient en longues branchettes
maigres, ou les cassis pendus à leurs tiges sans feuilles,
en grappes rares, avaient tentés de franchir le mur
ruiné. Je regardai autour de moi et, dans un coin
sombre et humide où se rejoignaient deux grandes
haies d'aunes aux branches épaisses, j'aperçus un puits
couvert d'un linceul de fleurs de saule et de fougères
plumeuses. J'étanchai ma soif, et quittant ce lieu
morne je retournai aussitôt vers l'ombrage où le vieil-
lard était assis sur le banc de la chaumière. Tandis
que j'étais encore debout près de lui, la tête décou-
verte, pour respirer librement et pour rafraîchir mes
-89-
Recumbent in the shade, as if asleep ;
An iron-pointed staff lay at his side
His eyes as if in drowsiness half shut,
The shadows of the breezy elms above
Dappling his face. He had not heard my steps
As I approached, and near him did I stand
Unnoticed in the shade, some minutes' space.
At length I hailed him, seeing that his hat
Was moist with water-drops, as if the brim
Had newly scooped a running strearn. He rose,
And ère the pleasant greeting that ensued
Was ended, «Tis, » said I, « a burning day :
My lips are parched with thirst, but you, I guess,
Hâve somewhere found relief. » He, at the word,
Pointing towards a sweet-briar, bade me climb
The fence hard by where that aspiring shrub
Looked out upon the road. It was a plot
Of garden ground run wild, its matted weeds
Marked with the steps of those, whom, as they passed,
The gooseberry trees that shot in long lank slips,
Or currants, hanging from their leafless stems,
In scanty strings, had tempted to o'erleap
The broken wall. I looked around, and there,
Where two tall hedge-rows of thick aider boughs
Joined in a cold damp nook, espied a well
Shrouded with willow-flowers and plumy fern.
My thirst I slaked, and, from the cheerless spot
Withdrawing, straightway to the shade returned
Where sate the old Man on the cottage bench ;
And, while, beside him, with uncovered head,
I yet was standing, freely to respire,
— 9o —
tempes au souffle de l'air, il parla ainsi : « Je vois
autour de moi ici des choses que vous ne pouvez pas
voir : nous mourons, mon ami, et non pas seuls, mais
ce que chaque homme a le plus aimé et prisé dans son
coin de terre particulier meurt avec lui ou change ; et
très vite, même des bons il ne reste aucun souvenir.
Les poètes, dans leurs élégies et dans les chants où ils
pleurent les disparus, invitent les bois, ils invitent les
collines et les rivières à gémir, et les rocs insensibles.
Cet appel n'est pas oiseux, car ils parlent dans leurs
invocations avec une voix qui obéit à la force créatrice
de la passion humaine. Il est des sympathies plus
tranquilles, et peut-être cependant de pareille origine,
qui se glissent dans l'esprit méditatif et croissent avec
la réflexion. Je suis resté debout longtemps là-bas près
de la source, et j'ai contemplé ses eaux jusqu'à ce que
nous ayons semblé éprouver une même tristesse, elles
et moi. Pour elles, un lien de fraternité s'est brisé; il
fut un temps où chaque jour le toucher d'une main
humaine interrompait le sommeil naturel qui les réu-
nit dans un calme de mort, et où elles subvenaient à
des besoins humains. En me penchant pour boire, j'ai
aperçu sur la dalle boueuse l'inutile fragment d'un
bol de bois, verdi par la mousse des années ; objet de
pensée qui m'a remué le coeur! me rappelant les jours
d'autrefois où je ne pouvais jamais passer sur cette
route sans que celle qui vivait dans ces murs vînt à
mon approche me saluer comme si elle eût été ma
fille, — et moi je l'aimais comme ma propre enfant.
0 monsieur! les bons meurent les premiers, et ceux
dont le coeur est sec comme la poussière de l'été brû-
lent jusqu'au fer du chandelier. Plus d'un passant a
— 9i —
And cool my temples in the fanning air,
Thus did he speak. « I see around me hère
Things which you cannot see : we die, my Friend,
Nor we alone, but that which each man loved
And prized in his peculiar nook of earth
Dies with him, or is changed ; and very soon
Even of the good is no mémorial left.
— The Poets, in their élégies and songs
Lamenting the departed, call the groves,
They call upon the hills and streams to mourn,
And senseless rocks ; nor idly ; for they speak,
In thèse their invocations, with a voice
Obedient to the strong créative power
Of human passion. Sympathies there are
More tranquil, yet perhaps of kindred birth,
That steal upon the méditative mind,
And grow with thought. Beside yon spring I stood,
And eyed its waters till we seemed to feel
One sadness, they and I. For them a bond
Of brotherhood is broken : time lias been
When, every day, the touch of human hand
Dislodged the natural sleep that binds them up
In mortal stillness ; and they ministered
To human comfort! As I stooped to drink,
Upon the slimy foot-stone I espied
The useless fragment of a wooden bowl,
Green with the moss of years ; a pensive sight
That moved my heart — recalling former days
!

When I could never pass that road but She


Who lived within thèse walls, at my approach
A daughter's welcome gave me, and I loved her
As my own child. Oh, Sir the good die first,
!

And they whose hearts are dry as summer dust


Burn to the socket. Many a passenger
— 92 —
béni la pauvre Marguerite pour son air de bonté, lors-
qu'elle lui tendait l'eau fraîche tirée de ce puits aban-
donné ; et nul ne venait qui ne fût bien reçu, et nul
ne s'en allait sans qu'il semblât qu'elle l'aimait. Elle
est morte ; la lumière de sa cabane solitaire est éteinte ;
la cabane elle-même abandonnée à la ruine, et Mar-
guerite oubliée dans la calme tombe.
« Je parle, poursuivit-il, d'une créature dont les ver-
tus fleurissaient sous cet humble toit. C'était une
femme d'une nature constante, tendre et profonde en
son excès d'amour; ne parlant pas beaucoup, se com-
plaisant plutôt dans la joie de ses pensées : son carac-
tère semblait avoir été formé avec un soin spécial,
comme pour faire un être qui en ajoutant l'amour à
la paix vécût sur terre une vie de bonheur. Son compa-
gnon, son mari, ne manquait pas de son côté de
l'humble mérite qui satisfaisait le coeur de cette femme :
il était frugal, affectueux, sérieux, et en outre ardent
au travail. Elle disait avec orgueil qu'il s'asseyait sou-
vent devant son métier, en été, avant que le moisson-
neur fût dehors, dans l'herbe mouillée de rosée, —
au premier printemps, avant que la dernière étoile
eût disparu. Ceux qui passaient le soir pouvaient
entendre derrière la clôture du jardin sa bêche active
qu'il maniait après son travail quotidien jusqu'à ce
que la lumière manquât, et que toutes les feuilles et
toutes les fleurs se perdissent dans les haies assom-
bries. Ainsi se passaient kurs jours dans la paix et le
bien-être ; et un beau petit garçon était leur meilleure
espérance, après le Dieu du ciel.
« Il n'y a pas vingt ans, mais vous, c'est à peine si
vous pouvez vous souvenir de cela, survinrent deux
- -93

Hath blessed poor Margaret for her gentle looks,


When 8he upheld the cool refreshment drawn
From that forsaken spring ; and no one came
But he was welcome ; no one went away
But that it seemed she loved him. She is dead,
The light extinguished of her lonely hut,
The hut itself abandoned to decay,
And she forgotten in the quiet grave.
« I speak », continued he, « of One whose stock
Of virtues bloomed beneath this lowly roof.
She was a Woman of a steady mind,
Tender and deep in her excess of love ;
Not speaking much, pleased rather with the joy
Of her own thoughts : by some especial care
Her temper had been framed, as if to make
À Being, who by adding love to peace
Might live on earth a life of happiness.
Her wedded Partner lacked not on his side
The humble worth that satisfied her heart :
Frugal, affectionate, sober, and withal
Keenly industrious. She with pride would tell
That he was often seated at his loom,
In summer, ère the mower was abroad
Among the dewy grass, — in early spring,
Ere the last star had vanished. — They who passed
At evening, from behind the garden fence
Might hear his busy spade, which he would ply,
After his daily work, until the light
Had failed, and every leaf and flower were lost
In the dark hedges. So their days were spent
In peace and comfort ; and a pretty boy
Was their best hope, next to the God in heaven.

« Not twenty years ago, but you I think


Can scarcely bear it now in mind, there came
-94-
saisons funestes où les champs ne portèrent qu'une
demi-moisson. Il plut au ciel d'y ajouter une pire
affliction dans le fléau de la guerre ; ce pays heureux
fut frappé au coeur ! Voyageant alors parmi les chau-
mières et portant sur mon dos un ballot de vêtements
d'hiver, je vis les maux de cette époque : beaucoup de
riches descendirent, comme dans un rêve, parmi les
pauvres ; et des pauvres beaucoup cessèrent d'exister
et leur demeure ne les connut plus. Cependant, privée
en partie de son bien-être de chaque jour, supportant
gaîment des privations nombreuses, Marguerite conti-
nua de lutter pendant ces années de calamité, avec
l'espoir au coeur, jusqu'au second automne, où le
fidèle compagnon de sa vie fut cloué au lit par la mala-
die, atteint d'une fièvre dangereuse. Il traîna long-
temps ainsi, et quand les forces lui revinrent il s'a-
perçut que le peu mis en réserve pour une heure
d'accident ou pour la vieillesse impotente était tout
dépensé. Ils avaient maintenant deux enfants, l'un
nouveau-né. C'était, comme je l'ai dit, un temps de
misère. Des bandes d'artisans renvoyés de leur travail
quotidien s'en allaient à la dérive implorer leur pain
de la charité publique, eux, leurs femmes et leurs
enfants ; — bien plus heureux s'ils avaient pu vivre
comme les petits oiseaux qui picotent le long des
haies, ou comme le milan qui fait sa demeure sur les
rochers de la montagne !
« C'était un triste revers pour celui qui longtemps
avait rempli d'abondance et possédé en paix cette
chaumière solitaire. Il se tenait à la porte et sifflait
maint et maint joyeux refrain sur des airs rien moins
que joyeux; ou bien avec son couteau il sculptait des
-95-
Two blighting seasons, when the fields were left
With half a harvest. It pleased Heaven to add
A worse affliction in the plague of war :
This happy Land was stricken to the heart I
A Wanderer then among the cottages,
I, with my freight of winter raiment, saw
The hardships of that season : many rich
Sank down, as in a dream, among the poor;
And of the poor did many cease to be,
And their place knew them not. Meanwhile, abridged
Of daily comforts, gladly reconciled
To numerous self-denials, Margaret
Went struggling on through those calamitous years
With cheerful hope, but ère the second autumn,
Her life's true Helpmate on a sick-bed lay,
Smitten with perilous fever. In disease
He lingered long; and, when his strength returned,
He found the little he had stored, to meet
The hour of accident or crippling âge,
Was ail consumed. Two children had they now,
One newly born. As I hâve said, it was
A time of trouble; shoals of artisans
Were from their daily labour turn'd adrift.
To seek their bread from public charity,
They, and their Avives and children — happier far
Could they hâve lived as do the little birds
That peck along the hedges, or the kite
That makes her dwelling on the mountain rocks I
« A sad reverse it was for him who long
Had filled with plenty, and possessed in peace,
This lonely Cottage. At his door he stood,
And whistled many a snatch of merry tunes
That had no mirth in them ; or with his knife
-96-
formes bizarres sur des têtes de cannes, — puis, non
moins oisivement, il cherchait au hasard dans tous les
coins de la maison ou du jardin quelque travail d'u-
tilité ou d'ornement; avec une ingéniosité étrange,
amusante et pourtant maladive, il mêlait ensemble,
où il le pouvait, les tâches diverses de l'été, de l'au-
tomne, de l'hiver et du printemps. Mais cela ne dura
pas. Bientôt sa bonne humeur devint un poids où il
n'y avait plus de plaisir et la pauvreté lui donna un
caractère capricieux et chagrin : il languissait de jour
en jour, et souvent quittait son ouvrage, — et tournait
sans besoin ses pas vers la ville ; ou bien il errait çà et
là dans la campagne. Tantôt il parlait de ses enfants
avec détachement et d'une langue cruelle ; d'autres
fois il les faisait sauter avec une joie fausse et forcée ;
et c'était navrant de voir l'air de ces pauvres petits
innocents. « Chaque sourire, m'a dit Marguerite, ici
« même sous ces arbres, faisait saigner mon coeur. »
Ici le voyageur s'arrêta, et levant les yeux vers les
grands ormes il dit : « Voici l'heure du plein milieu
du jour. En cet instant silencieux de calme et de paix,
à cette heure où tous les êtres qui ne sont pas au repos
sont joyeux; pendant que cette multitude de mouches
emplit tout l'air de mélodie, pourquoi y aurait-il une
larme dans l'oeil d'un vieillard? Pourquoi, d'un esprit
contrariant et dans la faiblesse de l'humanité, détour-
ner nos coeurs de la sagesse naturelle? fermer au plaisir
naturel nos yeux et nos oreilles? et, nous repaissant
de tristesse, troubler le calme de la nature de nos
pen-
sées inquiètes? »
Il parlait d'un ton un peu solennel, mais, quand il
eut fini, il y avait sur son visage une gaîté si sereine,
— 97 —
Carved uncouth figures on the heads of sticks
Then, not less idly, sought, through every naek—
In house or garden, any casual work
Of use or ornament; and with a strange,
Àmusing, yet uneasy, novelty,
He blended, Avhere he might, the various tasks
Of summer, autumn, winter, and of spring.
But this endured not; his good humour soon
Became a weight in which no pleasure was :
And poverty brought on a petted mood
And a sore temper : day by day he drooped,
And he would leave his work — and to the town
Without an errand would turn his steps ;
Or wander hère and there among the fields.
One while he would speak lightly of his babes,
And with a cruel tongue : at other times
He tossed them with a false unnatural joy :
And 'twas a rueful thing to see the looks
Of the poor innocent children. 'Every smile',
Said Margaret to me, hère beneath thèse trees,
'Made my heart bleed.' »
At this the Wanderer paused ;
And, looking up to those enormous elms,
He said, « 'Tis now the hour of deepest noon.
At this still season of repose and peace,
This hour when ail things which are not at rest
Are cheerful; while this multitude of Aies
air with melody ;
Is filling ail the
Why should a tear be in an old Man's eye?
Why should we thus, with an untoward mind,
And in the weakness of humanity,
From natural wisdom turn our hearts away;
To natural comfort shut our eyes and ears ;
And, feeding on disquiet, thus disturb
The calm of nature with our restless thoughts? »
He spake with somewhat of a solemn tojoe-:—..
But, when he ended, there was in hi^'face
-9§-
un air de telle douceur, que pendant un peu de temps
je perdis le souvenir de cette simple histoire et qu'elle
s'enfuit de mon esprit comme un bruit oublié. Un
moment nous causâmes de choses insignifiantes qui
bientôt me devinrent insipides. En dépit de moi je
repensais à cette pauvre femme comme à quelqu'un
que j'aurais connu et aimé. Il m'avait conté son hum-
ble histoire d'une façon familière si prenante, avec
une expression si vivante, un regard si animé, que les
choses dont il parlait semblaient présentes; et, mon
attention maintenant relâchée, je sentis un froid courir
le long de mes veines jusqu'au coeur. Je me levai, et
quittant l'ombrage trop frais, je m'en fus à l'air libre,
où debout je bus la chaleur réconfortante du soleil;
je n'y restai pas longtemps, car ayant promené mes
regards sur cette tranquille ruine, je revins et priai le
vieillard de reprendre pour moi son récit.
Il répondit : « Ce serait un caprice qui mériterait
une sévère réprobation, si nous étions de ceux dont le
coeur tire une vaine distraction du malheur même des
morts, nous contentant d'y puiser un plaisir momen-
tané, sans profit pour la raison, vide de tout bien pour
l'avenir. Mais nous savons par expérience qu'il se
trouve souvent dans les tristes pensées, et qu'il pour-
rait s'y trouver toujours, un pouvoir ami de la vertu.
S'il n'en était pas ainsi, je serais un rêveur parmi les
hommes, un rêveur bien vain en vérité! C'est une his-
toire commune, un chagrin ordinaire de la vie
humaine, un récit de souffrances silencieuses, à peine
revêtu d'une forme corporelle. Mais, sans attendre une
autre invitation, je vais poursuivre :
« Alors qu'il en allait ainsi chez ceux pour qui cette
— 99 —
Such easy cheerfulness, a look so mild,
That for a little time it stole away
Ail recollection ; and that simple taie
Passed from my mind like a forgotten sound.
A while on trivial things we held discourse,
To me soon tasteless. In my own despite,
I thought of that poor Woman as of one
Whom I had known and loved. He had rehearsed
Her homely taie with such familiar power,
With such an active countenance, an eye
So busy, that the things of which he spake
Seemed présent ; and, attention now relaxed,
There was a heart-felt chillness in my veins.
I rose; and, turning from the breezy shade,
Went forth into the open air, and stood
To drink the comfort of the warmer sun.
Long time I had not staid, ère, looking round
Upon that tranquil Ruin, I returned,
And begged of the old Man that, for my sake,
He would résume his story.
He replied,
« It were a wantonness, and would demand
Severe reproof, if we were men whose hearts
Could hold vain dalliance with the misery
Even of the dead ; contented thence to draw
A momentary pleasure, never marked
By reason, barren of ail future good.
But we hâve known that there is often found
In mournful thoughts, and always might be found
A power to virtue friendly; were't not so,
I am a dreamer among men, indeed
An idle dreamer! Tis a common taie,
An ordinary sorrow of man's life,
A taie of silent suffering, hardly clothed
In bodily form. — But without further bidding
I will proceed.
While thus it fared with the m,
— 100
chaumière jusqu'à ces malheureuses années avait été
un foyer béni, le hasard de ma profession me fit voya-
ger dans un pays éloigné; et lorsque je fis halte près de
la barrière qui, là-bas, ouvre sur le petit chemin vert,
je fus tout heureux de revoir ces grands ormes. Je ne
me reposai pas longtemps ; plus d'une pensée souriante
me tint compagnie comme je traversais ce communal.
Ayant atteint la porte, je frappai, et quand j'entrai,
avec l'espoir de l'accueil accoutumé, Marguerite me
regarda quelque temps ; puis elle détourna la tête sans
parler, — et, s'asseyant sur une chaise, pleura amère-
ment. Je ne savais que faire ni que lui dire. Pauvre
créature! enfin, elle se leva de son siège, et alors — ô
monsieur! je ne puis pas raconter l'accent dont elle
prononça mon nom — avec une affection fervente et
un air de douleur inexprimable et un regard d'impuis-
sance qui semblait se cramponner à moi, elle me
demanda si j'avais vu son mari. A mesure qu'elle par-
lait, il me venait au coeur une surprise et une peur
étranges, et je n'eus pas la force de lui répondre avant
qu'elle m'eût dit qu'il avait disparu — il n'y avait pas
deux mois. Il avait quitté sa maison : deux misérables
jours s'étaient écoulés, et le troisième, en soulevant
tristement la tête de dessus l'oreiller pour voir, comme
font les affligés, si le jour était revenu, elle avait
aperçu sur la croisée de sa chambre un papier plié,
placé là comme pour frapper ses yeux au réveil. Elle
l'ouvrit en tremblant — n'y trouva rien d'écrit, mais
y vit des pièces de monnaie soigneusement envelop-
pées, de l'argent et de l'or. « Je frissonnai à cette vue,
« me dit Marguerite, car je savais que c'était sa main
« qui avait dû placer là ce papier ; et, avant la fin de
— 101 —
To whom this cottage, till those hapless years,
Had been a blessed home, it was my chance
To travel in a country far remote;
And glad I was, when, halting by yon gâte
That leads from the green lane, once more I saw
Thèse lofty elm-trees. Long I did not rest :
With many pleasant thoughts I chear'd my way
O'er the flat Common. — Having reached the door
I knock'd, — and, when I entered with the hope
Of usual greeting, Margaret looked at me
A little while; then turned her head away
Speechless, — and, sitting down upon a chair,
Wept bitterly. I wist not what to do,
Or how to speak to her. Poor Wretch! at last
She rose from off her seat, and then, — 0 SirI
I cannot tell how she pronounced my name : —
With fervent love, and with a face of grief
Unutterably helpless, and a look
That seemed to cling upon me, she enquired
If I had seen her husband. As she spake
A strange surprise and fear came to my heart,
Nor had I power to answer ère she told
That he had disappeared — not two months gone.
He left his house : two wretched days had pass'd,
And on the third, as wistfully she raised
Her head from off her pillow, to look forth,
Like one in trouble, for returning light,
Within her chamber-casement she espied
A folded paper, lying as if placed
To meet her waking eyes. This tremblingly
She opened — found no writing, but therein
Pièces of money carefully enclosed,
Silver and gold. 'I shuddered at the sight,'
Said Margaret, 'for I knew it was his hand
Which placed it there ; and ère that day was ended
102 —

« jour,
ce de ce long jour anxieux, j'appris d'un
« homme envoyé par mon mari avec
la triste nou-
« velle, qu'il avait rejoint une troupe de soldats par-
citant pour un pays éloigné. Voilà comment il m'a
« laissée — il n'a pas eu le coeur
de me dire adieu,
« car il avait peur de me voir le
suivre avec mes
« enfants et succomber aux misères
de cette vie
« errante. »
« Marguerite me fit ce récit avec beaucoup de larmes
et, quand elle eut fini, je n'avais guère la force de lui
donner des consolations et je fus bien aise d'entendre
sortir de sa propre bouche quelques mots d'espoir qui
servirent à nous réconforter l'un et l'autre. Mais nous
n'avions pas causé longtemps que nous nous mîmes
à bâtir des pensées meilleures, et d'un oeil plus bril-
lant elle regarda autour d'elle comme si elle eût versé
des larmes de joie. — C'était au moment du premier
printemps; je la laissai occupée à jardiner, et je me
rappelle bien qu'elle regarda par-dessus la clôture et
que, pendant que je suivais le petit sentier, elle m'ap-
pela et envoya une bénédiction après moi, avec une
joie attendrie, et d'une voix qui semblait le son même
des pensées heureuses.
Je voyageai par bien des collines et bien des val-
«
lées avec mon fardeau accoutumé, par la chaleur et par
le froid, à travers bien des bois et bien des champs
découverts, au soleil et à l'ombre, à la pluie et au beau
temps, le coeur triste ou gai, selon les heures; mes
meilleurs compagnons étant tantôt les vents qui me
poussaient, et tantôt les ruisseaux trotteurs et les arbres
murmurants, et tantôt la musique de mes pas lourds,
avec mainte pensée éphémère qui passait entre deux et
disparaissait.
— io3 —
That long and anxious day, I learned from One,
Sent hither by my husband to impart
The heavy news, that he had joined a troop
Of soldiers, going to a distant land.
— He left me thus — he could not gather heart
To take a farewell of me ; for he feared
That I should follow with my babes, and sink
Beneath the misery of that wandering life.'
"This taie did Margaret tell with many tears :
And, when she ended, I had little power
To give her comfort, and was glad to take
Such words of hope from her own mouth as served
To cheer us both. But long we had not talked
Ere we built up a pile of better thoughts,
And with a brighter eye she looked around
As if she had been shedding tears of joy.
We parted. — 'Twas the time of early spring;
I left her busy with her garden tools ;
And well remember, o'er that fence she looked,
And, while I paced along the foot-way path,
Called out, and sent a blessing after me,
With tender cheerfulness, and with a voice
That seemed the very sound of happy thoughts.
"I roved o'er many a hill and many a dale,
With my accustomed load ; in heat and cold,
Through many a wood and many an open ground,
In sunshine and in shade, in wet and fair,
Drooping or blithe of heart, as might befall;
My best companions now the driving winds,
And now the 'trotting brooks' and whispering trees,
And now the music of my own sad steps,
With many a short-lived thought that passed between,
And disappeared.
— iç>4 —

« Je revins par ici vers le déclin de l'été, quand les


blés étaient jeunes et quand l'herbe molle, poussant
une seconde fois, avait répandu sur le champ fauché
sa tendre verdure. Arrivé à sa porte je m'aperçus
qu'elle était absente. Sous l'ombrage où nous sommes
maintenant assis, j'attendis son retour. Sa chaumière,
alors si gaie à voir, avait son aspect coutumier, —> seu-
lement le chèvrefeuille enroulé autour de la porte sem-
blait pendre en touffes plus lourdes ; et cette mauvaise
herbe brillante, l'orpin jaune, laissée libre de prendre
racine sur le bord de la fenêtre y poussait à profusion,
aveuglant les vitres du bas. Je m'éloignai de là pour
faire le tour de son jardin. Il paraissait traîner en
arrière de la saison, et il avait perdu l'orgueil de sa
belle tenue. Des bordures, faites de marguerites et de
statices resplendissantes, les fleurs s'échappaient au
hasard et empiétaient sur les allées dont elles avaient
été 1'ornenîent; les oeillets, jadis admirés pour leur
beauté sans égale et non moins pour la peine qu'ils
avaient coûtée, penchaient leur tête languissante faute
de support. Le liseron encombrant avait enlacé de ses
guirlandes et de ses clochettes les deux petites rangées
de pois et les entraînait vers la terre.
« Une
heure se passa ainsi. Je revins devant la chau-
mière d'un pas inquiet, et comme je marchais de long
en large devant la porte, un passant, devinant qui je
cherchais, me dit qu'elle avait coutume d'errer au loin.
Le soleil baissait vers l'ouest, et je m'assis cette fois
dans une triste impatience. Dans la maison son petit
enfant laissé seul criait fort; puis, comme un coup de
vent qui meurt apaisé de lui-même, ses cris se turent.
Je me levai du banc, mais rien ne put distraire ni cal-
— io5 —

I journeyed back this way,


Towards the wane ofSummer; when the wheat
Was yellow; and the soft and bladed grass,
Springing afresh, had o'er the hay-field spread
Its tender verdure. At the door arrived,
I found that she was absent. In the shade,
Where now we sit, I waited her return.
Her cottage, then a cheerful object, wore
Its customary look, — only, I thought,
The honeysuckle, crowding round the porch,
Hung down in heavier tufts ; and that bright weed,
The yellow stone-crop, suffered to take root
Along the window's edge, profusely grew
Blinding the loAver panes. I turned aside,
And strolled into her garden. It appeared
To lag behind the season, and had lost
,
Its pride of neatness. From the border lines
Composed of daisy and resplendent thrift,
Flowers straggling forth had on those paths encroached
Which they were used to deck; carnations, once
Prized for surpassing beauty, and no less
For the peculiar pains they had required,
Declined their languid heads, without support.
The cumbrous bind-weed, with its wreaths and bells,
Had twined about her two small rows of peas,
And dragged them to the earlh.
Ere this an hour
Was wasted. — Back I turned my restless steps,
And, as I walked before the door, it chanced
A stranger passed; and, guessing whom I sought,
He said that she was used to ramble far.
The sun was sinking in the west; and now

I sate with sad impatience. From within
Her solitary infant cried aloud ;
Then, like a blast that dies away self-stilled,
The voice was silent. From the bench I rose;
But neither could divert nor soothe my thoughts.
— io6 —

mer mes pensées. Le lieu quoique beau était très


désolé, — plus j'y restais, plus il me semblait désolé.
Et, regardant autour de moi, j'observai pour la pre-
mière fois les pierres d'angle, de chaque côté de la
porte, colorées de taches d'un rouge terne et où étaient
collées des touffes de poils laineux, comme si les mou-
tons qui paissaient sur les communaux venaient là
familièrement et avaient pris l'habitude de se coucher
juste contre le seuil. Des ombres plus profondes tom-
baient des grands ormes ; l'horloge de la chaumière
sonna huit heures; —je me retournai, et je la vis à
quelques pas de moi. Sa face était pâle et maigrie; tout
son corps avait changé. En ouvrant la porte, elle dit :
« Je suis affligée que vous ayez attendu si longtemps
« ici. Mais, à dire vrai, je suis beaucoup sortie ces der-
« niers temps; et quelquefois — je le dis à ma honte
« — j'ai besoin de mes meilleures prières pour me
« ramener. » Pendant qu'elle posait sur la table notre
repas du soir, elle me raconta — sans interrompre
cette besogne qui donnait une occupation à ses mains
machinales — qu'elle s'était séparée de l'aîné de ses
enfants, qu'elle lui avait trouvé un apprentissage avan-
tageux chez un bon maître dans une ferme éloignée.
— u Je m'aperçois que vous m'examinez et j'en vois
« bien la cause. Aujourd'hui je suis allée loin ; et bien
« des jours j'erre par les champs, sachant ceci seule-
« ment que ce que je cherche je ne puis pas le trouver;
« et voilà comment je perds mon temps : car je suis
« bien changée ; je me suis fait, dit-elle, beaucoup de
« mal à moi-même et à ce pauvre petit. J'ai dormi en
« pleurant et en pleurant je me suis réveillée; mes lar-
« mes ont coulé comme si mon corps n'était pas pareil
— 107 —
The spot, though fair, was very desolate —
The longer 1 remained, more desolate :
And, looking round, I saw the corner stones,
Till then unnoticed, on either side the door.
With dull red stains discoloured, and stuck o'er
With tufts and hairs of wool, as if the sheep,
That fed upon the Common, thither came
Familiarly, and found a couching-place
Even at her threshold. Deeper shadows fell
From thèse tall elms ; the cottage-clock struck eight; —
I turned, and saw her distant a few steps.
Her face was pale and thin — her figure, too,
Was changea. As she unlocked the door, she said,
'It grieves me you hâve waited hère so long,
But, in good truth, I've wandered much of late;
And, sometimes — to my shame I speak — hâve need
Of my best prayers to bring me back again.'
While on the board she spread our evening meal,
She told me — interrupting not the work
Which gave employment to her listless hands —
That she had parted with her elder child;
To a kind master on a distant farm
Now happily apprenticed. — 'I perceive
You look at me, and you hâve cause; to-day
I hâve been travelling far; and many days
About the fields I wander, knowing this
Only, that what I seek I cannot find ;
And so I waste my time : for I am changed;
And to myself,' said she, 'hâve done much wrong
And to this helpless infant. I hâve slept
Weeping, and weeping I hâve waked ; my tears
Hâve flowed as if my body were not such
— 108 —

ci
à celui des autres et comme si je ne pouvais jamais
« mourir. Mais je suis maintenant d'esprit et de coeur
« plus calme, et j'espère, dit-elle, que le Ciel me don-
ci nera la patience d'endurer les choses que je vois
« chez nous. »

« Cela vous eût affligé jusqu'au fond de l'âme de la


voir. Je sens, Monsieur, que mon histoire s'attarde
dans mon coeur; j'ai peur qu'elle ne soit longue et
ennuyeuse, mais ma pensée s'attache à cette pauvre
femme; — si familiers me sont demeurés sa manière,
son aspect et sa personne que je les vois encore, et j'ai
un sentiment si profond de sa bonté qu'il n'est pas
rare que dans mes marches il me vienne momentané-
ment comme une extase; il me semble méditer sur
une créature que le chagrin a seulement endormie, ou
éloignée d'ici, — une créature humaine destinée à
s'éveiller de nouveau à la vie humaine, ou à quelque
chose de très proche de la vie humaine, quand revien-
dra celui dont l'absence la fit tant souffrir. Oui, cela
vous aurait affligé jusqu'au fond de l'âme de la voir :
ses paupières étaient toujours baissées, ses yeux fixés
à terre; et, tout en me donnant à manger à sa table,
elle ne me regardait pas. Sa voix était basse, son corps
abattu. Dans tous les actes qui touchaient au ménage,
apparaissait la calme indifférence d'un esprit pensif et
replié sur lui-même, pour lequel toutes les choses exté-
rieures sont comme vides de sens. Elle ne cessait pas
de soupirer, et cependant on ne voyait nul mouvement
de la poitrine, nul gonflement du coeur. Pendant qu'au-
près du feu nous étions assis ensemble, des soupirs arri-
vaient à mon oreille, je ne savais pas comment, et à
peine savais-je d'où ils venaient.
— iog —
As others are; and I could never die.
But I am now in mind and in my heart
More easy ; and I hope,' said she, 'that heaven
Will give me patience to endure the things
Which I behold at home.'
It would hâve grieved
Your very soûl to see her. Sir, I feel
The s tory linger in my heart ; I fear
'Tis long and tedious ; but my spirit clings
To that poor Woman : — so familiarly
Do I perceive her manner, and her look,
And présence; and so deeply do I feel
Her goodness, that, not seldom, in my walks
A momentary trance cornes over me;
And to myself I seem to muse on One
By sorrow laid asleep; or borne away,
A human being destined to awake
To human life, or something very near
To human life, when he shall corne again
For whom she suffered. Yes, it would hâve grieved
Your very soûl to see her : evermore
Her eyelids drooped, her eyes were downward cast ;
And, when she at her table gave me food,
She did not look at me. Her voice was low,
Her body was subdued. In every act
Pertaining to her home-affairs, appeared
The careless stillness of a thinking mind
Self-occupied ; to which ail outward things
Are like an idle matter. Still she sighed,
But yet no motion of the breast was seen,
No heaving of the heart. While by the fire
We sate together, sighs came on my ear,
I knew not how, and hardly whence they came.
110 —

« Avant de partir je donnai à ses soins pour l'usage


de son fils quelques souvenirs d'affection qu'elle reçut
d'un air de bon accueil; et je l'exhortai à placer sa
confiance dans l'amour du bon Dieu et à chercher
assistance dans la prière. Je pris mon bâton, et quand
je baisai son bébé, elle avait les larmes aux yeux. Je la
quittai alors avec le meilleur espoir et la meilleure con-
solation que je pusse lui donner ; elle me remercia de
mes souhaits ; — mais mon espérance, elle ne sembla
pas m'en remercier.
« Je revins et ma tournée me ramena le long de
cette route avant que sur ses bords ensoleillés la pri-
mevère commençât à poindre, donnant le premier
acompte du printemps. Je la trouvai triste et languis-
sante : elle n'avait pas reçu de nouvelles de son mari ;
s'il vivait, elle ne savait pas qu'il vivait ; s'il était mort,
elle ne savait pas qu'il était mort. Elle semblait la
même de tournure et d'apparence, mais sa maison
trahissait la main endormie de la négligence ; l'aire
n'était ni sèche ni propre ; l'âtre était sans joie; au lieu
de son petit lot de livres qui jusque-là avaient été
empilés contre les vitres du coin, dans l'embrasure de
la fenêtre, avec un ordre décent, je voyais maintenant
des feuilles éparses, des volumes semés çà et là, ouverts
ou fermés, comme le hasard les avait fait tomber. Le
petit enfant avait pris de sa mère le tic de la douleur,
et soupirait parmi ses jouets. Cette fois encore j'allai
vers la barrière du jardin ; là, je vis plus clairement
encore que la pauvreté et le chagrin s'étaient mainte-
nant approchés plus près d'elle. Le sol durci était défi-
guré par les mauvaises plantes et par des touffes d'herbe
fanée : on n'y voyait aucun billon de terreau noir et
— III —
"Ere my departure, to lier care I gave,
For her son's use, some tokens of regard,
Which with a look of welcome she received :
And I exhorted her to hâve her trust
In God's good love and seek his help by prayer.
I took my staff, and, when I kissed her babe,
The tears stood in her eyes. I left her then
With the best hope and comfort I could give ;
She thanked me for my wish ; — but for my hope
Methought she did not thank me.
I returned,
And took my rounds along this road again
Ere on its sunny bank the primrose flower
Peeped forth, to give an earnest of the Spring.
I found her sad and drooping : she had learned
No tidings of her husband; if he lived,
She knew not that he lived; if he were dead,
She knew not he was dead. She seemed the same
In person and appearance; but her house
Bespake a sleepy hand of négligence ;
The floor was neither dry nor neat, the hearth
Was comfortless, and her small lot of books,
Which, in the cottage-window, heretofore
Had been piled up against the corner panes
In seemly order, now, with straggling leaves
Lay scattered hère and there, open or shut,
As they had chanced to fall. lier infant Babe
Had from its mother caught the trick of grief,
And sighed among its playthings. Once again
I turned towards the garden gâte, and saw,
More plainly still, that poverty and grief
Were now corne nearer to her : weeds defaced
The hardened soil, and knots of withered grass :
No ridges there appeared of clear black mould,
na
luisant, aucune verdure d'hiver; des plantes et des
fleurs, il semblait que la meilleure partie eût disparu
rongée, ou enfoncée en terre par les piétinements ; un
lien de paille qui avait été enlacé autour de la tige frêle
d'un jeune pommier gisait au pied de l'arbre ; l'écorce
avait été mordillée tout autour par les moutons vaga-
bonds. — Marguerite se tenait debout auprès, son
enfant dans les bras, et voyant mes yeux fixés sur
l'arbre elle dit : « J'ai peur qu'il ne soit mort avant
« que Robert ne revienne. » Lorsque nous fûmes ren-
trés ensemble dans la maison, elle me demanda si j'a-
vais quelque espoir : — n'était son bébé et son petit
garçon orphelin, dit-elle, elle ne désirait pas vivre ;
sans eux elle mourrait de chagrin. Pourtant je vis le
métier oisif de son mari toujours à sa place; ses habits
du dimanche restaient pendus au même clou ; son
bâton même, non dérangé, était debout derrière la
porte.
« Et lorsque dans les froids de décembre je revins
la voir, elle me dit que son petit enfant était mort, et
qu'elle était restée seule. A présent, déchargée de ses
soins maternels, elle avait pris un métier commun dans
ce pays pauvre, et elle gagnait à filer du chanvre ce
qu'il lui fallait pour vivre; et, pour cela, elle avait
loué le petit garçon d'un voisin qui lui donnait l'aide
nécessaire. Ce jour-là, elle quitta bien volontiers son
travail et m'accompagna le long de la route boueuse,
sans s'inquiéter de la distance ; et d'une voix si pitoya-
ble que pas un coeur n'aurait pu l'entendre parler sans
souffrance, elle me supplia de toujours m'informer,
partout où j'irais, de celui qu'elle avait perdu. Nous
nous dîmes adieu alors — notre dernier adieu ; car à
— n3 —
No winter greenness; of her herbs and flowers,
It seemed the better part were gnawed away
Or trampled into earth ; a chain of straw,
Which had been twined about the slender stem
Of a young apple-tree, lay at its root;
The bark was nibbled round by truant sheep.
— Margaret stood near, her infant in her arms,
And, noting that my eye was on the tree,
She said, 'I fear it will be dead and gone
Ere Robert corne again.' Towards the House
Together we returned ; and she enquired
If I had any hope : — But for her babe
And for her little orphan boy, she said,
She had no wish to live, that she must die
Of sorrow. Yet I saw the idle loom
Still in its place ; his Sunday garments hung
Upon the self-same nail; his very staff
Stood undisturbed behind the door.
And when,
In bleak December, I retraced this way,
She told me that her little babe was dead,
And she was left alone. She now, released
From her maternai cares, had taken up
The employaient common through thèse wilds, and
gained,
By spinning hemp, a pittance for herself ;
And for this end had hired a neighbour's boy
To give her needful help. That very time
Most willingly she put her work aside,
And walked with me along the miry road,
Heedless how far ; and, in such piteous sort
That any heart had ached to hear her, begged
That, whersoe'er I went, I still would ask
For him whom she had lost. We parted then —
Our final parting; for from that time forth
— u4 —

partir de ce jour il se passa bien des saisons avant que


je retournasse de nouveau dans cette région.
« Neuf tristes années, depuis leur première sépara-
tion, neuf longues années, elle languit dans son veu-
vage inquiet, femme et veuve à la fois. Ce dut être un
douloureux dépérissement du coeur J'ai entendu dire,
!

mon ami, que souvent dans ce bosquet elle restait


assise, seule, pendant la moitié des dimanches oisifs ;
et si un chien passait, elle quittait l'ombrage et regar-
dait au dehors. Sur ce vieux banc elle restait assise des
heures entières, et son oeil ne cessait pas de chercher
dans le lointain, imaginant des choses qui faisaient
battre vite son coeur. Vous voyez ce sentier maintenant
presque effacé, — l'herbe a peu à peu recouvert sa
ligne grise ; là, elle a piétiné pendant bien des jours de
l'été brûlant, filant le chanvre qui faisait une ceinture
autour de sa taille, et tirant le fil qui s'allongeait tou-
jours, tandis qu'elle marchait à reculons. Mais chaque
fois qu'il passait par là un homme dont les vêtements
rouges annonçaient un soldat, ou quelque mendiant
estropié en costume de matelot, l'enfant assis pour
tourner la roue suspendait son travail ; et elle, d'une
voix tremblante, faisait mainte folle question ; et lors-
que ces gens dont la présence ne lui apportait aucun
soulagement étaient passés, son coeur était encore plus
triste. Et près de cette barrière qui donne sur le che-
min public elle se postait souvent, et s'il venait un
cavalier étranger, elle soulevait le loquet, et d'un oeil
avide fouillait son visage; tout heureuse si, à quelque
signe de compassion découvert dans ses traits, elle
osait répéter la même triste question. Cependant sa
pauvre cabane tombait en ruine; car il n'était plus là
— u5 —
Did many seasons pass ère I returned
Into this tract again.
Nine tedious years ;
From their first séparation, nine long years,
She lingered in unquiet widowhood ;
A Wife and Widow. Needs must it hâve been
A sore heart-wasting! I hâve heard, my Friend,
That in yon arbour oftentimes she sate
Alone, through half the vacant sabbath day;
And, if a dog passed by, she still would quit
The shade, and look abroad. On this old bench
For hours she sate ; and evermore her eye
Was busy in the distance, shaping things
That made her heart beat quick. You see that path,
Now faint, — the grass has crept o'er its grey line;
There, to and fro, she paced through many a day
Of the warm summer, from a belt of hemp
That girt her waist, spinning the long-drawn thread
With backward steps. Yet ever as there passed
A man whose garments showed the soldier's red,
Or crippled mendicant in soldier's garb,
The little child who sate to turn the wheel
Ceased from his task ; and she with faltering voice
Made many a fond enquiry ; and when they,
Whose présence gave no comfort, were gone by,
Her heart was still more sad. And by yon gâte,
That bars the traveller's road, she often stood,
And when a stranger horseman came, the latch
Would lift, and in his face look wistfully :
Most happy, if, from aught discovered there
Of tender feeling, she might dare repeat
The same sad question. Meanwhile her poor Iiut
Sank to decay; for he was gone, whose hand,
— u6 —
celui dont la main, aux premières morsures des gelées
d'octobre, en bouchait toutes les fentes et sillonnait de
bandes de paille fraîche le chaume verdi. Et c'est ainsi
qu'elle vécut pendant les longs hivers, indifférente et
seule, jusqu'à ce que sa maison fût sapée par la gelée,
par le dégel et par la pluie ; et pendant qu'elle dor-
mait, l'humidité de la nuit glaçait sa poitrine ; et dans
les jours de tempête ses vêtements en lambeaux étaient
secoués par le vent, jusqu'au coin de son feu. Pour-
tant elle aimait toujours ce lieu misérable, et pour
des mondes n'eût pas voulu s'en séparer; et toujours
ce bout de route et ce banc grossier lui restaient chers
par l'effet d'un espoir torturant, profondément enra-
ciné dans son coeur; et c'est ici, mon ami, qu'elle est
restée dans la maladie; et c'est ici qu'elle est morte,
dernier habitant humain de ces murs ruinés. »
Le vieillard cessa; il vit que j'étais ému; me levant
instinctivement de mon siège bas, je me détournai
dans ma faiblesse et n'eus pas la force de le remercier
de l'histoire qu'il m'avait contée. Debout, les bras
appuyés sur le mur du jardin, je repassai les souffran-
ces de cette femme, et il me sembla trouver un récon-
fort à lui donner des larmes fraternelles dans l'im-
puissance du chagrin. Enfin je revins vers la chaumière
tout attendri, et me mis à chercher avec un intérêt
radouci les traces de cet esprit secret d'humanité
qui, parmi les calmes tendances oublieuses de la
nature, parmi ses plantes, ses herbes sauvages, ses
fleurs et ses envahissements silencieux, survivait tou-
jours. Le vieillard s'en aperçut et me dit :
« Mon ami, vous avez assez donné au chagrin. Les
desseins de la sagesse n'en demandent pas davantage.
— n7 —
At the first nipping of October frost,
Closed up each chink, and with fresh bands of straw
Chequered the green-grown lhatch. And so she lived
ïhrough the long winter, reckless and alone ;
Until her house by frost, and thaw, and rain,
Was sapped ; and while she slept, the nightly damps
Did chill her breast ; and in the stormy day
Her tattered clothes were ruffled by the wind,
Even at the side of her own fire. Yet still
She loved this wretched spot, nor would for worlds
Hâve parted hence; and still that length of road,
And this rude bench, one torturing hope endeared,
Fast rooted at her heart; and hère, my Friend, —
In sickness she remained ; and hère she died ;
Last human tenant of thèse ruined walls!"
The old Man ceased : he saw that I was moved ;
From that low bench, rising instinctively
I turned aside in weakness, nor had power
To thank him for the taie which he had told.
I stood, and leaning o'er the garden wall
Reviewed that Woman's sufferings ; and it seemed
To comfort me while with a brother's love
I blessed her in the impotence of grief.
At length towards the cottage I returned
Fondly, and traced, with interest more mild,
That secret spirit of humanity
Which, 'mid the calm oblivious tendencies
Of nature, 'mid her plants, and weeds, and flowers,
And silent overgrowings, still survived.
The old Man, noting this, resumed, and said,
"My Friend! enough to sorrow you hâve given,
The purposes of wisdom ask no more :
II» —
Soyez sage et joyeux, et ne lisez plus les formes des
choses d'un oeil indigne. Marguerite dort dans la terre
calme et la paix est ici. Je me rappelle bien que ces
mêmes fougères, ces herbes, et ces graminées qui se
dressent sur ce mur, un jour qu'elles étaient argentées
par la bruine et par les gouttes de pluie silencieuse,
ont, comme je passais, porté dans mon coeur une 6i
paisible image de tranquillité, si calme et si paisible,
et m'ont semblé si belles au milieu des pénibles pen-
sées qui emplissaient mon esprit, que tout ce que
nous sentons de chagrin et de désespoir devant la
ruine et devant le changement, et toute la douleur que
laissent derrière elles les apparences passagères de
l'Être, me parurent un vain rêve qui ne pouvait vivre
où était la méditation. Je me détournai et je continuai
ma route dans le bonheur. »
Il cessa. Avant longtemps le soleil qui déclinait
lança un rayon oblique et moelleux qui vint tomber
sur nous, tandis que sous les arbres nous étions assis
sur ce siège bas, et nous sentîmes par cet avertisse-
sement la venue de l'heure adoucie. Une linotte
gazouillait dans les grands ormes, une grive chantait
à pleine voix, et d'autres harmonies plus lointaines
peuplaient l'air. Le vieillard se leva, et, la mine gaie,
comme s'il se préparait pour une joie espérée, il saisit
son bâton. Jetant alors ensemble un regard d'adieu
sur ces murs silencieux, nous quittâmes l'ombrage, et,
avant que les étoiles ne fussent visibles, nous avions
atteint une auberge de village, notre lieu de repos
pour le soir.
— iig —
Be wise and cheerful ; and no longer read
The forms of things with an unworthy eye.
She sleeps in the calm earth, and peace is hère.
I well remember that those very plumes,
Those weeds, and the high spear-grass on that wall,
By mist and silent rain-drops silvered o'er,
As once I passed, into my heart conveyed
So still an image of tranquillity,
So calm and still, and looked so beautiful
Amid the uneasy thoughts which filled my mind,
That what we feel of sorrow and despair
From ruin and from change, and ail the grief
That passing shows of Being leave behind,
Appeared an idle dream, that could not live
Where méditation was. I turned away,
And walked along my road in happiness."
He ceased. Ere long the sun declining shot
A slant and mellow radiance, which began
To fall upon us, while, beneath the trees,
We sate on that low bench : and now we felt,
Admonished thus, the sweet hour coming on.
A linnet warbled from those lofty elms,
A thrush sang loud, and other mélodies,
At distance heard, peopled the milder air.
The old Man rose, and, with a sprightly mien
Of hopeful préparation, grasped his staff;
Together casting then a farewell look
Upon those silent walls, we left the shade;
And, ère the stars were visible, had reached
A village-inn,
— our evening resting-place.
120

MICHEL

Si du chemin public vous détournez vos pas


Vers le tumultueux ruisseau de Green-head Ghyll,
Vos pieds doivent s'attendre à lutter durement
Contre un sentier à pic ; dans la roide escalade
On a le mont debout devant soi, face à face.
Mais courage! à l'entour du ruisseau turbulent
Voici que la montagne enfin s'ouvre et s'écarte
Découvrant un vallon qu'elle a formé pour elle.
Nulle habitation n'est visible, mais ceux
Qui parviennent là-haut se trouvent seuls, avec
Quelques moutons, des rocs, des pierres, et des aigles
Qui voguent sur leur tête, très loin, dans le ciel.
C'est véritablement la grande solitude;
Et je n'aurais pas fait mention de ce val,
N'était un objet là qu'on peut voir sans le voir,
Passer sans prendre garde à lui. Près du ruisseau
Est un amas épars de pierres non taillées.
Or à cet humble amas appartient une histoire
Que n'enrichissent point des incidents étranges,
Non indigne pourtant des récits devant l'âtre
Ou l'été sous l'ombrage. Elle fut la première
Parmi celles de peine ou d'amour domestique,
Qui parlât à mon coeur des bergers, habitants
Des vallons, hommes simples que déjà j'aimais,
MICHAEL
A PASTORAL POEM
[Composé en 1800. — Publié en 1800.]

If from the public Avayyou turn your steps


Up the tumultuous brook of Green-head Ghyll,
You will suppose that with an upright path
Your feet must struggle ; in such bold ascent
The pastoral mountains front you, face to face.
But, courage ! for around that boisterous brook
The mountains hâve ail opened out themselves,
And made a hidden valley of their own.
No habitation can be seen ; but they
Who journey thither find themselves alone
With a few sheep, with rocks and stones, and kites
That overhead are sailing in the sky.
It is in truth an utter solitude ;
Nor should I hâve made mention of this Dell
But for one object which you might pass by,
Might see and notice not. Beside the brook
Appears a straggling heap of unhewn stones!
And to that simple object appertains
A story
— unenriched with strange events,
Yet not unfit, I deem, for the fireside,
Or for the summer shade. It was the first
Of those domestic taies that spake to me
Of Shepherds, dwellers in the valleys, men
Whom I already loved ; — not verily
Non pas pour eux encor, c'est vrai, mais pour les monts
Et les champs, où passaient leurs jours laborieux.
C'est pourquoi ce récit, quand j'étais un garçon
Des livres négligent, mais sensible à l'appel
De la Nature, m'a, par la douce entremise
Des objets naturels, conduit à m'émouvoir
Pour des émotions qui n'étaient pas les miennes,
Et m'a fait réfléchir, confusément encore,
Sur l'homme, sur le coeur de l'homme, et sur la vie.
Donc, bien que ce ne soit qu'une histoire rustique,
Toute nue et sans art, je veux la raconter
Pour le contentement de quelques âmes simples,
Et, d'une voix encor, s'il se peut, plus intime,
Pour les jeunes poètes qui parmi ces monts
Seront d'autres moi-même où je ne serai plus.
Sur le côté boisé du vallon de Grasmere
Habitait un berger, Michel était son nom,
Un vieillard au coeur fort, de robuste charpente ;
Son corps dru semblait être à l'épreuve des ans;
Il avait un esprit sagace et concentré,
Sobre, économe, propre à toutes les affaires;
Dans son métier de pâtre il était agissant
Et vigilant plus que le commun des bergers.
Aussi connaissait-il le sens de tous les vents,
Le son de toutes les rafales : mainte fois
Quand nul n'y prenait garde, il entendait le Sud
Faire sous terre une musique comme celle
Que fait la cornemuse aux montagnes d'Ecosse.
Le pâtre à ce signal prévoyant la tempête
Songeait à ses troupeaux épars sur les monts nus;
h Voilà les vents qui me préparent du travail »,
ia3

For their own sakes, but for the fields and hills
Were was their occupation and abode.
And hence this Taie, while I was yet a Boy
Careless of books, yet having felt the power
Of Nature, by the gentle agency
Of natural objects, led me on to feel
For passions that were not my own, and think
(At random and imperfectly indeed)
On man, the heart of man, and human life.
Therefore, although it be a history
Homely and rude, I will relate the same
For the delight of a few natural hearts,
And, with yet fonder feelings, for the sake
Of youthful Poets, who among thèse hills
Will be my second self when I am gone.

Upon the forest-side in Grasmere Yale


There dwelt a Shepherd, Michael was his name;
An old man, stout of heart, and strong of limb.
His bodily frame had been from youth to âge
Of an unusual strength : his mind was keen,
Intense, and frugal, apt for ail affairs,
And in his shepherd's calling he was prompt
And watchful more than ordinary men.
Hence had he learned the meaning of ail Avinds,
Of blasts of every tone ; and oftentimes,
When others heeded not, He heard the South
Make subterraneous music, like the noise
Of bagpipers on distant Highland hills.
The Shepherd, at such warning, of his flock
Bethought him, and he to himself would say,
« The winds are now devising work for me ! »
— i aZ| —
Pensait-il. Et pour dire vrai, n'importe l'heure,
L'orage qui chassait le passant vers un toit
L'appelait, lui, sur les montagnes. Il s'était
Trouvé tout seul au coeur de milliers de brouillards
Qui le prenaient, et le laissaient, sur les hauteurs.
C'est ainsi qu'il vécut jusqu'à quatre-vingts ans,
Et ce serait grossière erreur de supposer
Que les vallons verdis, les ruisseaux et les roches
Étaient indifférents aux pensers du berger.
Les champs où l'âme allègre il avait respiré
L'air commun, et les monts que son pas vigoureux
Avait souvent gravis; qui dans son souvenir
Avaient inscrit tant d'incidents divers de peine,
D'adresse ou de courage, ou de joie ou de peur;
Qui conservaient comme un registre la mémoire
Des animaux muets sauvés un jour par lui,
Abrités ou nourris, liant à ces bienfaits
L'encourageant espoir d'un profit honorable, —
Ces montagnes, ces champs, n'avaient pu faire moins
Que d'avoir sur son coeur une puissante prise,
Qu'être pour lui l'objet d'un aveugle plaisir,
Le plaisir qu'il y a dans la vie elle-même.

Ses jours ne s'étaient point passés en solitude;


Il avait pour compagne une femme avenante,
Vieille, quoique plus jeune que lui de vingt ans.
C'était une matrone alerte dont le coeur
Était dans sa maison. Elle avait deux rouets
De forme ancienne, l'un grand, pour filer la laine,
Et l'autre plus petit pour le lin ; et si l'un
Se reposait, c'est que tournait et ronflait l'autre.
Ce vieux couple n'avait qu'un hôte en son logis,
125

And, truly, at ail times, the storm, that drives


The traveller to a shelter, summoned him
Up to the mountains : he had been alone
Amid the heart of many thousand mists,
That came to him, and left him, on the heights.
So lived he till his eightieth year was past.
And grossly that man errs, who should suppose
That the green valleys, and the streams and rocks,
Were things indiffèrent to the Shepherd's thoughts.
Fields, where with cheerful spirits he had breathed
The common air; hills, which with vigorous step
He had so often climbed ; which had impressed
So many incidents upon his mind
Of hardship, skill or courage, joy or fear;
Which, like a book, preserved the memory
Of the dumb animais, whom he had saved,
Had fed or sheltered, linking to such acts
The certainty of honourable gain ;
Those fields, those hills — whatcould they less?—had laid
Strong hold on his affections, were to him
A pleasurable feeling of blind love,
The pleasure which there is in life itself.
His days had not been passed in singleness.
His Helpmate was a comely matron, old —
Though younger than himself full twenty years.
She was a woman of a stirring life,
Whose heart was in her house : two wheels she had
Of antique form ; this large, for spinning wool;
That small, for flax; and, if one wheel had rest,
It was because the other was at work.
The Pair had but one inmate in their house,
I2Ô

Un fils unique, enfant qui leur était venu


Lorsque Michel faisant le compte de ses ans
S'estimait déjà vieux, qu'il avait, comme disent
Les gens de la campagne, un pied dans le tombeau.
Ce seul fils, avec deux braves chiens de berger
Mis à l'épreuve au cours de nombreuses tempêtes,
L'un d'eux d'un prix inestimable, composaient
Toute la maisonnée. On peut en vérité
Dire que dans le val ils passaient en proverbe
Pour leur infatigable labeur. A la nuit,
Quand le père et le fils étaient rentrés, là même
Ils ne s'arrêtaient point, sauf lorsque tous les trois
Se tournaient pour souper vers la table luisante,
Chacun assis avec son écuelle de lait
Autour de la corbeille aux galettes d'avoine
Et du fromage fait à la maison. Mais Luc
(C'était le nom du fils) et son père, aussitôt
Le repas terminé, se mettaient l'un et l'autre
Aux travaux qui pouvaient devant l'âtre employer
Utilement leurs mains : tantôt cardant la laine
Pour ,1e fuseau de la ménagère, et tantôt
Réparant le fléau, la faux ou la faucille,
Quelque objet du ménage ou quelque outil des champs.

Au plafond du logis, contre la cheminée


Qui selon le vieux style étrange du pays
Recouvrait de son vaste et noirâtre manteau
Un large espace, aussi dûment que la lumière
Du jour baissait, la femme allait prendre une lampe,
Antique luminaire, ayant rendu service
Bien plus longtemps qu'aucune autre de son espèce ;
Elle s'allumait tôt le soir et brûlait tard,
— 127 —

An only Child, who had been born to them


When Michael, telling o'er his years, began
To deem that he was old, — in shepherd's phrase,
With one foot in the grave. This only Son,
With two brave sheep-dogs tried in many a storm,
The one of an inestimable worth,
Made ail their household. I may truly say,
That they Avère as a proverb in the vale
For endless industry. When day was gone,
And from their occupations out of doors
The Son and Father were corne home, even then,
Their labour did not cease ; unless when ail
Turned to the cleanly supper-board, and there,
Each with a mess of pottage and skimmed milk,
Sat round the basket piled with oaten cakes,
And their plain home-made cheese. Yet when the meal
Was ended, Luke (for so the Son was named)
And his old Father both betook themselves
To such convenient work as might employ
Their hands by the fire-side ; perhaps to card
Wool for the Housewife's spindle, or repair
Some injury done to sickle, flail, or scythe,
Or other implement of house or field.

Down from the ceiling, by the chimney's edge,


That in our ancient uncouth country style
With huge and black projection overbrowed
Large space beneath, as duly as the light
Of day grew dim the Housewife hung a lamp ;
An aged utensil, which had performed
Service beyond ail others of its kind.
Early at evening dit it burn — and late,
Compagne survivante d'heures innombrables,
Qui, s'écoulant d'année en année, ont trouvé
Ce couple et l'ont laissé, non pas joyeux peut-être,
Mais ayant des sujets d'intérêt, des espoirs,
Et vivant une vie incessamment active.
Or quand Luc eut atteint sa dix-huitième année,
Ils veillaient aux clartés de cette vieille lampe,
Père et fils, pendant que, bien avant dans la nuit,
La mère, poursuivant sa tâche domestique,
Emplissait la chaumière aux heures de silence
Du murmure que font les mouches de l'été.
Cette lumière était bien connue à la ronde.
Elle était le public symbole de la vie
Que menait le ménage économe. En effet,
Leur chaumière était seule en haut d'un monticule
Dominant l'horizon, au nord comme au midi,
Jusqu'au vallon d'Easedell, jusqu'au col de Dunmail,
Et, devers l'ouest, jusqu'au village près du lac;
Et pour cette infaillible et fidèle lumière,
Visible de si loin, chaque soir renaissante,
Ceux qui vivaient dans son rayon, jeunes et vieux,
Tous lui donnaient le nom de L'ÉTOILE DU SOIR.

A vivre ainsi durant de si longues années,


Le berger, s'il s'aimait, ne pouvait pas moins faire
Que d'aimer sa compagne ; à son coeur toutefois
Le fils de sa vieillesse était plus cher encore,
Moins par cette tendresse instinctive, ce même
Aveugle amour qui coule au sang de tous les hommes,
Que parce qu'un enfant, plus que tout autre don
Que puisse offrir la vie à l'être qui décline,
Apporte l'avenir avec soi, et l'espoir,
— '29 —
Surviving comrade of uncounted hours,
Wich, going by from year to year, had found,
And left, the couple neither gay perhaps
Nor cheerful, yet with objects and with hopes,
Living a life of eager industry.
And now, when Luke had reached his eighteenthyear,
There by the light of this old lamp they sate,
Father and Son, while far into the night
The Housewife plied her own peculiar work,
Making the cottage through the silent hours
Murmur as with the sound of summer Aies.
This light was famous in its neighbourhood,
And was a public symbol of the life
That thrifty Pair had lived. For, as it chanced,
Their cottage on a plot of rising ground
Stood single, with large prospect, north and soulh,
High into Easedale, up to Dunmail-Raise,
And westward to the village near the lake ;
And from this constant light, so regular,
And so far seen, the House itself, by ail
Who dwelt within the limits of the vale,
Both old and young, was named THE EVENING STAR.

Thus living on through such a length of years,


The Shepherd, if he loved himself, must needs
Hâve loved his Helpmate; but to Michael's heart
This son of his old âge was yet more dear —
Less from instinctive tenderness, the same
Fond spirit that blindly works in the blood of ail —
Than that a child, more than ail other gifts
That earth can offer to declining man,
Brings hope with it, and forward-looking thoughts,
9
— i3o —

Et les élans aussi d'inquiétude, à l'heure


Où la nature veut que nos ardeurs défaillent.
Extrême était l'amour qu'il lui portait, — la joie
Et le coeur de son coeur Car bien des fois Michel,
!

Lorsque l'enfant n'était encor qu'un nourrisson,


Avait donné des soins de femme à Luc, non par
Plaisir et passe-temps, comme beaucoup de pères,
Mais d'un coeur patient qui se force aux offices
De tendresse; souvent balançant son berceau
D'une aussi douce main que celle d'une mère.
Un peu plus tard, avant même que Luc portât
Culottes de garçon, le vieux Michel aimait,
Nonobstant sa nature inflexible et sévère,
Avoir sous son regard le bambin, tout le temps
Qu'il travaillait au champ, ou qu'il était assis,
Un mouton entravé étendu devant lui,
Sous l'énorme vieux chêne qui près de sa porte
Se dressait seul, et qui de son épais ombrage
Abritait les tondeurs des flammes de l'été,
Aussi le nommait-on dans ce coin de pays
Le CHÊNE DE LA TONTE, nom qu'il porte encore.
Là, tandis que tous deux étaient assis à l'ombre,
Et d'autres alentour, alertes tous et gais,
Michel forçant son coeur s'exerçait aux regards
De tendre réprimande adressés à l'enfant
S'il troublait les moutons en leur prenant les pattes
Ou les effarouchait de ses clameurs, tandis
Qu'ils gisaient en repos couchés sous les cisailles.

Et quand l'enfant devint par la grâce du ciel


Un robuste garçon portant sur chaque joue
— I3I —
And stirrings of inquiétude, when they
By tendency of nature needs must fail.
Exceeding was the love he bare to him,
His heart and his heart's joy! For oftentimes
Old Michael, while he was a babe in arms,
Had done him female service, not alone
For pastime and delight, as is the use
Of fathers, but with patient mind enforced
To acts of tenderness ; and he had rocked
His cradle, as with a woman's gentle hand.

And in a later time, ère yet the Boy


Had put on boy's attire, did Michael love,
Albeit of a stem unbending mind,
To hâve the Young-one in his sight, when he
Wrought in the field, or on his shepherd's stool
Sate with a fettered sheep before him stretched
Under the large old oak, that near his door
Stood single, and, from matchless depth of shade,
Chosen for the Shearer's covert from the sun,
Thence in our rustic dialect was called
The CLIPPING TREE, a name which yet it bears.
There, while they two were sitting in the shade,
With others round them, earnest ail and blithe,
Would Michael exercise his heart with looks
Of fond correction and reproof bestowed
Upon the Child, if he disturbed the sheep
By catching at their legs, or with his shouts
Scared them, while they lay still beneath the shears.

And when by Heaven's good grâce the boy grew up


A healthy Lad, and carried in is cheek
l32

Une rose vivace et vieille de cinq ans,


Alors Michel coupa dans un taillis d'hiver
Un plant de bois très dur qu'il cercla tout au bout
De fer, et dont il fit sans que rien y manquât
Une bonne houlette à l'enfant destinée ;
Armé de ce bâton, Luc était souvent mis
En sentinelle au guet devant brèche ou barrière
Afin de refouler ou tourner le troupeau ;
Et, prématurément chargé de cet office,
Le marmot, comme on peut supposer, était là
Gênant autant et plus encore qu'il n'aidait,
Aussi n'obtenait-il pas toujours de son père,
Je crois, des compliments pour paîment de sa peine,
Bien que Luc n'omît rien de ce que la houlette,
Ou le geste, ou les cris menaçants pouvaient faire.

Mais aussitôt que Luc à dix ans put tenir


Contre les vents des monts et que sur les hauteurs,
Sans craindre la fatigue et les âpres chemins,
Il s'en fut chaque jour avec son père, alors
Ai-je besoin de dire que les lieux aimés
Devinrent au berger deux fois encor plus chers?
Que du jeune garçon il lui vint des effluves,
Des émanations qui semblaient ajouter
La lumière au soleil et la musique au vent,
Et que le coeur du vieux parut naître à nouveau.

Ainsi grandit l'enfant sous les yeux de son père


Et maintenant qu'il avait pris ses dix-huit ans,
Il était son espoir journalier et sa joie.
Pendant qu'allait ainsi vivant la maisonnée,
— i33 —
Two steady roses that were five years old ;
Then Michael from a winter coppice eut
With his own haud a sapling, which he hooped
With iron, making it throughout in ail
Due requisites a perfect shepherd's staff,
And gave it to the Boy; wherewith equipt
He as a watchman oftentimes was placed
At gâte or gap, to stem or turn the flock;
And, to his office prematurely called,
There stood the urchin, as you will divine,
Something between a hindrance and a help ;
And for this cause not always, I believe,
Receiving from his Father hire of praise ;
Though nought was left undone which staff, or voice,
Or looks, or threatening gestures, could perform.

But soon as Luke, full ten years old, could stand


Against the mountain blasts ; and to the heights,
Not fearing toil, nor length of weary ways,
He with his Father daily Avent, and they
Were as companions, why should I relate
That objects which the Shepherd loved before
Were dearer now? that from the Boy there came
Feelings and émanations — things which were
Light to the sun and music to the wind ;
And that the old Man's heart seemed born again?

Thus in his Father's sight the Boy grew up :


And now, when he had reached his eighteenth year,
He was his comfort and daily hope.

While in this sort the simple household lived


— i34 —
De jour en jour, il vint aux oreilles du vieux
L'annonce d'un malheur. Longtemps avant l'époque
Dont je parle, Michel s'était porté garant
Pour le fils de son frère, homme habitant au loin,
De vie industrieuse et de larges ressources ;
Mais des coups imprévus l'avaient soudain frappé,
Et maintenant Michel était mis en demeure
De payer le montant du cautionnement,
Dette pour lui bien lourde, allant à la moitié,
Ou presque, de son bien. Cette brusque nouvelle
Dans le premier moment enleva de sa vie
Plus d'espoir qu'il n'eût cru possible jusque-là
Qu'un homme de son âge en eût encore à perdre.
Aussitôt qu'il se fut armé d'assez de force
Pour regarder le mal en face, il lui sembla
Que sa seule ressource était d'aliéner
Pour une part au moins son petit patrimoine.
Ainsi résolut-il d'abord puis réfléchit,
Et le coeur lui manqua : « Isabelle, dit-il,
Deux soirs après avoir reçu cette nouvelle,
Voilà plus de soixante et dix ans que je peine,
Et nous avons vécu tous trois au grand soleil
De l'amour du bon Dieu, — mais pourtant si nos champs
Devaient passer aux mains d'un étranger, je crois
Que je ne girais pas en paix dans mon tombeau.
Notre sort est bien dur, car le soleil lui-même
Ne s'est guère montré plus diligent que moi,
Et j'ai vécu pour être en fin de compte dupe
De l'un de mes parents. C'était un mauvais homme
Et, s'il nous a trompés, il fit un mauvais choix,
Et s'il n'a pas trompé sciemment, vois-tu bien,
Il en est des milliers pour qui pareille perte
— i35 —
From day to day, to Michael's ear there came
Distressful tidings. Long before the time
Of which I speak, the Shepherd had been bound
In surety for his brother's son, a man
Of an industrious life, and ample means;
But unforeseen misfortunes suddenly
Had prest upon him; and old Michael now
Was summoned to discharge the forfeiture,
A grievous penalty, but little less
Than half his substance. This unlooked-for claim,
At the fîrst hearing, for a moment took
More hope out of his life than he supposed
That any old man ever could hâve lost.
As soon as he had armed himself with strength
To look his trouble in the face, it seemed
The Shepherd's sole resource to sali at once
A portion of his patrimonial fields.
Such was his first résolve; he thought again,
And his heart failed him. « Isabel », said he,
Two evenings after he had heard the news,
« I hâve been toiling more than seventy years,
And in the open sunshine of God's love
Hâve we ail lived ; yet, if thèse fields of ours
Should pass into a stranger's hand, I think
That I could not lie quiet in my grave.
Our lot is a hard lot; the sun himself
Has scarcely been more diligent than I ;
And I hâve liyed to be a fool at last
To my own family. An evil man
That was, and made an evil choice, if he
Were false to us ; and, if he were not false,
There are ten thousand to whom loss like this
— i36 —
N'eût pas été grand mal. Je lui pardonne, mais
Mieux vaut être muet que geindre de la sorte.
Lorsque j'ai commencé, j'avais l'intention
De parler d'un remède et d'un espoir meilleur.
Il faut, femme, vois-tu, que notre Luc nous quitte.
Nous garderons la terre ; elle restera franche,
Il la possédera, franche comme le vent
Qui passe sur elle. Or, nous avons, tu le sais,
Un parent qui nous reste ; il sera notre ami
Dans ce coup de malheur; c'est un homme prospère,
Heureux dans son commerce, et Luc ira chez lui;
Avec son aide et grâce à son propre travail
L'enfant saura bientôt réparer notre perte,
Puis il nous reviendra. S'il reste auprès de nous,
Qu'est-ce qu'on pourra faire? Où tous les gens sont pauvres,
Quel profit espérer? »
Le vieillard s'arrêta;
Isabelle écoutait en silence, l'esprit
Ruminant tout ému les choses du passé.
« Voilà Richard Betman; c'était, se disait-elle,
Un pauvre enfant trouvé. On fit devant l'église
Une quête pour lui : des écus, des gros sous,
Des petits, avec quoi les voisins achetèrent
Un panier qu'on garnit d'objets de colporteur,
Et, son panier au bras, le garçon chemina
Jusqu'à Londre, où bientôt il put trouver un maître,
Lequel entre beaucoup le choisit pour aller
Surveiller son commerce au-delà de la mer,
Et là Richard devint merveilleusement riche,
Et laissa des terrains et des écus aux pauvres,
Et fit bâtir dans son village une chapelle
Toute en marbre envoyé des pays étrangers. »
- -i37

Had been no sorrow. I forgive him ;


— but
'Twere better to be dumb than to talk thus.
When I began, my purpose was to speak
Of remédies and of a cheerful hope.
Our Luke shall leave us, Isabel; the land
Shall not go from us, and it shall be free ;
He shall possess it, free as is the wind
That passes over it. We hâve, thou know'st,
Another kinsman — he will be our friend
In this distress. He is a prosperous man,
Thriving in trade — and Luke to him shall go,
And with his kinsman's help and his own thrift
He quickly will repair this loss, and then
He may return to us. If hère he stay,
What can be done? Where every one is poor,
What can be gained? »
At this the old Man paused,
And Isabel sat silent, for her mind
Was busy, looking back into past times.
There's Richard Bateman, thought she to herself,
He was a parish-boy
— at the church-door
They made a gathering for him, shillings, pence,
And halfpennies, wherewith the neighbours bought
A basket, which they filled with pedlar's wares,
And, with this basket on his arm, the lad
Went up to London, found a master there,
Who, out of many, chose the trusty boy
To go and overlook his merchandise
Beyond the seas; where he grew wondrous rich,
And left estâtes and monies to the poor,
And, at his birth-place, built a chapel floored
With marble, which he sent from foreign lands.
— i38 —
Ces pensers et beaucoup d'autres de même sorte
Traversèrent l'esprit agité d'Isabelle
Et son front s'éclaircit. Le vieillard fut content
Et reprit : « Vois-tu bien, femme, ce projet-là
Pour moi depuis deux jours est le pain et le vin.
Il nous reste bien plus que nous n'avons perdu.
Nous avons suffisance, — ah! je voudrais, bien sûr,
Être plus jeune,
— mais cet espoir a du bon.
Prépare les effets du fils, achètes-en
D'autres, et des meilleurs, et faisons-le partir
Demain, ou dans deux jours, ou, pourquoi pas? ce soir;
S'il se pouvait, le fils devrait partir ce soir. »

Ici Michel se tut et s'en fut vers les champs


Le coeur léger. Pendant cinq jours la ménagère
N'arrêta pas, matin ni soir; on la voyait
Du mieux de ses dix doigts cousant et réparant
Ce qu'il fallait à Luc pour faire son voyage.
Mais, quand vint le dimanche, Isabelle fut aise
De suspendre sa tâche, car au lit couchée
Près de Michel, elle avait vu depuis deux nuits
Combien le vieux était troublé dans son sommeil,
Et le dernier matin quand ils furent levés
Elle comprit que tout son espoir l'avait fui.
A midi ce jour-là, seule assise avec Luc
Devant la porte : « Il ne faut pas partir, dit-elle,
Nous n'avons pas à perdre un autre enfant que toi,
Pas d'autres à nous rappeler; ne t'en va pas;
Vois-tu, si tu quittais ton père, il en mourrait. »
Le garçon répondit d'un ton de voix gaillard,
Et la mère, après s'être ouverte de ses craintes,
Reprit coeur. Ce soir-là sur la table elle mit
— i3g —
Thèse thoughts, and many others of like sort,
Passed quickly through the mind of Isabel,
And her face brightened. The old Man was glad,
And thus resumed : — « Well, ïsabel ! this scheme
Thèse two days has been méat and drink to me.
Far more than we hâve lost is left us yet.
We hâve enough — I wish indeed that I
Were younger; — but this hope is a good hope.
Make ready Luke's best garments, of the best
Buy for him more, and let us send him forth
To-morrow, or the next day, or to-night :
If he could go the Boy should go to-night. »

Hère Michael ceased, and to the fields went forth


With a light heart. The Housewife for five days
Was restless morn and night, and ail day long
Wrought on with her best fingers to prépare
Things needful for the journey of her son.
But Isabel was glad when Sunday came
To stop her in her work : for, when she lay
By Michael's side, she through the last two nights
Heard him, how he was troubled in his sleep :
And when they rose at morning she could see
That ail his hopes were gone. That day at noon
She said to Luke, while they two by themselves
Were sitting at the door, « Thou must no go :
We hâve no other Child but thee to lose,
None to remember — do not go away,
For if thou leave thy Father he will die. »
The Youth made answer with a jocund voice;
And Isabel, when she had told her fears
Recovered heart. That evening her best fare
— i/io —
Sa chère la meilleure, et tous trois devant l'âtre
Semblèrent gens heureux qui fêtent la Noël.

Le lendemain à l'aube elle reprit sa tâche,


Et, toute la semaine qui suivit, joyeuse
Fut la demeure comme un bosquet printanier.
Enfin leur arriva la lettre du parent,
Pleine de mots affectueux, et de promesses
Qu'il ferait de son mieux pour le bien du garçon ;
A quoi pour terminer s'ajoutait la requête
Qu'il vînt sans tarder plus. Dix fois au moins la lettre
Fut lue et fut relue. Isabelle s'en fut
La montrer aux voisins à la ronde, et vraiment
Il n'y eut pas ce jour sur le sol d'Angleterre
Coeur plus fier que celui de Luc. Lorsque la femme
Fut rentrée au logis, le vieux berger lui dit :
« Il partira demain. » A ces mots Isabelle
Se récria, disant combien manquait encore
Au trousseau du garçon, que rien ne serait prêt
Dans un délai si bref; pourtant elle céda
Pour finir, et Michel se sentit soulagé.

Près du tumultueux ruisseau de Green-head Ghyll,


Dans le vallon d'en haut, Michel s'était promis
De bâtir un enclos pour ses moutons; déjà,
Avant qu'il n'eût reçu l'annonce de sa perte,
Il avait rassemblé, sur le bord de l'eau vive
Qui traverse en grondant les âpres pâturages,
Des pierres en amas, prêtes pour ce travail.
Il y monta ce même soir, emmenant Luc,
Et dès qu'il eut atteint l'endroit, il s'arrêta
Et parla de la sorte au jeune homme : « Mon fils,
— 141 —
Did she bring forth, and ail together sat
Like happy people round a Christmas lire.

With daylight Isabel resumed her work


And ail the ensuing week the house appeared
As cheerful as a grove in Spring : at'length
The expected letter from their kinsman came,
With kind assurances that lie would do
His utmost for the welfare of the Boy ;
To winch, requests were added, that forthwith
He might be sent to him. Ten times or more
The letter was read over; Isabel
Went forth to show it to the neighbours round ;
Nor was there at that time on English land
A prouder heart than Luke's. When Isabel
Had to her house returned, the old Man said,
« He shall départ to-morrow. » To this word
The Housewife answered, talking much of things
Which, if at such short notice he should go,
Would surely be forgotten. But at length
She gave consent, and Michael was at ease.

Near the tumultuous brook of Greenhead Ghyll,


In that deep valley, Michael had designed
To build a Sheep-fold ; and, before he heard
The tidings of his melancholy loss,
For this same purpose he had gathered up
A heap of stones, which by the streamlet's edge
Lay thrown together, ready for the work.
With Luke that evening thitherward he Avalked :
And soon as they had reached the place he stopped,
And thus the old Man spake to him : — « My son,
— i4a —

Tu nous quittes demain; j'ai quand je te regarde


Le coeur gros, car tu es le même qui me fus
Un gage de bonheur avant même de naître
Et qui toute ta vie as réjoui mes jours.
Je vais te raconter un peu de notre histoire
A tous les deux ; cela, Luc, te fera du bien
Lorsque tu seras loin, même si je touchais
A des choses que tu ne peux savoir. Après
Ta venue en ce monde, ainsi que souvent font
Les nouveaux-nés, tu sommeillas deux jours de suite,
Et des bénédictions tombèrent sur ta tête
Des lèvres de ton père. Un à un se suivirent
Les jours, et je t'aimai d'un amour grandissant.
Nulle oreille jamais n'ouït de sons plus doux
Que la mienne écoutant auprès de notre feu
Ton premier gazouillis qui n'était pas des mots,
Quand tu chantais de joie au'giron de ta mère.
Il s'écoula des mois ; ma vie était aux champs
Ou sur les monts, sans quoi tes premiers ans, mon fils,
Tu les aurais passés, je crois, sur mes genoux.
Mais nous avons été camarades de jeu
Sur les hauteurs, tu sais, Luc ; le vieux et le jeune
Y jouèrent ensemble, et tu n'as avec moi
Manqué d'aucun plaisir qu'un garçon doit connaître. »
Bien que Luc fût de coeur viril, à ces paroles
ïl sanglota tout haut. Le vieillard prit sa main
Et, l'étreignant, lui dit : « Non, mon garçon, mon Luc,
Ne le prends pas ainsi; ce sont là, je le vois,
Choses dont il vaut mieux que je ne parle pas...
Aussi bien que j'ai pu j'ai tâché pour toi d'être
Un bon et tendre père, et ce faisant je n'ai
Que transmis un présent que d'autres m'avaient fait;
— i43 —
To-morrow thou wilt leave me : with full heart
I look upon thee, for thou art the same
That wert a promise to me ère thy birth,
And ail thy life hast been my daily joy.
I will relate to thee some little part
Of our two historiés; 'twill do thee good
When thou art from me, even if I should touch
On things thou canst not know of. — After thou
First cam'st into the world — as oft befalls
To new-born infants — thou didst sleep away
Two days, and blessings from thy Father's tongue
Then fell upon thee. Day by day passed on,
And still I loved thee with increasing love.
Never to living ear came sweeter sounds
Than when I heard thee by our own fireside
First uttering, without words, a natural tune ;
While thou, a feeding babe, didst in thy joy
Sing at thy Mother's breast. Month followed month,
And in the open fields my life was passed
And on the mountains ; else I think that thou
Hadst been brought up upon thy Father's knees.
But we were playmates, Luke : among thèse hills,
As well thou knowest, in us the old and young
Hâve played together, nor with me didst thou
Lack any pleasure which a boy can know."
Luke had a manly heart ; but at thèse words
He sobbed aloud. The old Man grasped his hand,
And said, "Nay, do not take it so — I see
That thèse are things of which I need not speak.
— Even to the utmost I hâve been to thee
A kind and a good Father : and herein
I but repay a gift which I myself
— i44 —

Car, bien que je sois vieux aujourd'hui, chargé d'ans,


Au delà du commun des hommes, j'ai mémoire
De ceux qui m'ont aimé quand j'étais tout petit.
Ils dorment tous les deux ensemble ; c'est ici
Qu'ils ont vécu leurs jours comme tous leurs aïeux,
Et quand sonna leur heure ils ont pu sans regret
Abandonner leur corps au tombeau de famille.
Je voulais te voir vivre ainsi qu'ils ont vécu,
Mais, si loin que mes yeux regardent en arrière,
C'est un bien petit gain pour plus de soixante ans.
Ces champs étaient grevés dans le temps qu'ils m'échuren
A peine avais-je en propre, avant la quarantaine,
La moitié seulement, Luc, de mon héritage.
J'ai travaillé dur, Dieu m'a béni dans ma tâche,
Et jusqu'à ces jours-ci notre terre était franche; —
On dirait à la voir qu'elle ne pourrait pas
Supporter d'autre maître. Ah! le Ciel me pardonne
Si je fais mal pour toi, mon fils, mais je crois bon
Que tu partes. »
Sur quoi le vieillard s'arrêta,
Puis désignant le tas de pierres devant lui,
Après un court silence il reprit en ces termes :
a C'était là du travail pour nous deux; à présent
Il sera pour moi seul. Mais, Luc, pose une pierre,
Pose-la pour moi, Luc, ici, et de ta main.
Allons, mon fils, courage! On peut vivre tous deux
Jusqu'à des jours meilleurs. A quatre-vingt-quatre ans
Je suis toujours solide. Allons, fais ton ouvrage
Et je ferai le mien; car je vais me remettre
A maint et maint labeur que je t'avais passé;
Vers les sommets des monts et parmi les orages
Je m'en irai sans toi de nouveau, pour y faire
Ce que j'y faisais seul jadis, avant la joie
— i45 —
Received at others' hands ; for, though now old
Beyond the common life of man, I still
Remember them who loved me in my youth.
Both of them sleep together : hère they lived,
As ail their Forefathers had done; and, when
At length their time was come, they were not loth
To give their bodies to the family mould.
I wished that thou shouldst live the life they lived,
But 'tis a long time to look back, my Son,
And see so little gain from threescore years.
Thèse fields were burthened when they came to me ;
Till I was forty years of âge, not more
Than half of my inheritance was mine.
I toiled and toiled ; God blessed me in my work,
And till thèse three weeks past the land was free.
— It looks as if it never could endure
Another Master. Heaven forgive me, Luke,
If I judge ill for thee, but it seems good
That thou shouldst go."
At this the old Man paused;
Then, pointing to the stones near which they stood,
Thus, after a short silence, he resumed :
"This was a work for us; and now, my Son,
Itis a work for me. But, lay one stone —
Hère, lay it for me, Luke, with thine own hands.
Nay, Boy, be of good hope ; —we both may live
To see a better day. At eighty-four
I still am strong and haie ; — do thou thy part ;
I will do mine. —I will begin again
With many tasks that were resigned to thee :
Up to the heights, and in among the storms,
Will I without thee go again, and do
Ail works which I was wont to do alone,
— i46 —

De connaître ta face... Enfant, Dieu te bénisse!


Bien des espoirs ont fait depuis une quinzaine
Battre ton coeur... Si! si! c'est chose naturelle.
Je sais que tu n'aurais jamais quitté ton père
Sans ce coup du sort, Luc; tu ne m'es attaché
Que par des liens d'amour. Quand tu seras parti,
Que nous restera-t-il?... Mais voici que j'oublie
Pourquoi nous sommes là. Pose la pierre d'angle
Comme je l'ai requis, et dans la suite, Luc,
Quand tu seras au loin, si tu tombes un jour
Parmi de mauvais hommes, pense à moi, mon fils,
Et pense à ce moment ; tourne ici ton esprit,
Et Dieu te donnera de la force ; parmi
Toutes tentations, Luc, puisses-tu garder
Le souvenir de tes anciens et de leur vie,
Car, étant innocents, tous leurs jours n'ont été
Que bonnes actions... A présent, Dieu te garde!
Quand tu nous reviendras, tu verras en ce lieu
Un ouvrage qui n'y est pas. Que ce soit comme
Un pacte entre nous deux! Mais, quoi que te réserve
Le sort, je t'aimerai jusqu'à mon dernier jour,
Et ta mémoire, Luc, me suivra dans ma tombe. »

Le vieux berger se tut, et le fils se penchant,


Comme l'avait requis son père, fit la pose
De la première pierre. Alors, à cette vue,
Le chagrin du vieillard éclata; sur son coeur
Il pressa son garçon, le baisa et pleura,
Puis tous les deux ensemble au logis ils rentrèrent.
Ce logis fut en paix, ou plutôt en silence
Avant la nuit tombée, et le matin dès l'aube
Le Cls se mit en marche, et dès qu'il eut atteint
— i^7 —
Before I knew thy face. — Heaven bless thee, Boy!
Thy heart thèse two weeks has been beating fast
With many hopes ; it should be so — yes — yes —
I knew that thou couldst never hâve a wish
To leave me, Luke : thou hast been bound to me
Only by links of love ; when thou art gone,
What will be left to us ! — But I forget
My purposes. Lay now the corner-stone,
As I requested; and hereafter, Luke,
When thou art gone away, should evil men
Be thy companions, think of me, my Son,
And of this moment; hither turn thy thoughts,
And God will strengthen thee : amid ail fear
And ail temptation, Luke, I pray that thou
May'st bear in mind the life thy Fathers lived,
Who, being innocent, did for that cause
Bestir them in good deeds. Now, fare thee well —
When thou return'st, thou in this place wilt see
A work which is not hère : a covenant
'Twill be between us; but, whatever fate
Befall thee, I shall love thee to the last,
And bear thy memory with me to the grave."

The Shepherd ended hère ; and Luke stooped down,


And, as his Father had requested, laid
The first stone of the Sheep-fold. Ât the sight
The old Man's grief broke from him; to his heart
He pressed his Son, he kissed him and wept;
And to the house together they returned.
— Hushed was that House in peace, or seeming peace,
Ere the night fell : with morrow's dawn the Boy

Began his journey, and, when he had reached
— i48 —

La grande route, il prit un air plus décidé,


Et les voisins quand il passait devant leur porte
Sortaient avec des voeux et des saluts d'adieu
Qui le suivaient jusqu'à ce qu'il eût disparu.

Il vint de leur parent un bon rapport sur Luc


Et son travail, et Luc envoya des messages
Pleins de tendresse et de nouvelles merveilleuses,
Qui selon Isabelle étaient d'un bout à l'autre
« Les plus gentilles lettres qu'on eût jamais vues ».
Les deux vieux les lisaient le coeur tout réjoui.
De nombreux mois passèrent; Michel de nouveau
S'en alla faire son labeur quotidien,
La joie et l'espérance au coeur; et certains jours,
Quand il pouvait trouver une heure de loisir,
Il allait au vallon dans la montagne, et là
Travaillait de ses mains à l'enclos. Cependant
Luc peu à peu se mit à négliger sa tâche ;
Il s'abandonna dans la ville dissolue
A des instincts mauvais, tant que l'ignominie
Tomba sur lui, et qu'il fut forcé pour finir
De chercher un refuge au delà de la mer.

Il est un réconfort dans le pouvoir d'aimer;


Il nous fait supporter un coup qui sans cela
Affolerait l'esprit ou briserait le coeur.
J'ai pu parler avec plus d'un qui se rappelle
Le vieillard et comment il fut dans les années
Qui suivirent pour lui la nouvelle accablante.
Son corps avait été de la jeunesse à l'âge
De vigueur peu commune. Il s'en allait toujours
Sur les monts, et toujours il observait le ciel,
— iA9 —
The public way, he put on a bold face;
And allthe neighbours, as he passed their doors,
Came forth with wishes and with farewell prayers,
That followed him till he was out of sight.

A good report did from their Kinsman come,


Of Luke and his well-doing : and the Boy
Wrote loving letters, full of wondrous news,
Which, as the Housewife phrased it, were throughout
« The prettiest letters that were ever seen ».
Both parents read them with rejoicing hearts.
So, many months passed on : and once again
The Shepherd went about his daily work
With confident and cheerful thoughts ; and now
Sometimes when he could find a leisure hour
He to that valley took his way, and there
Wrought at the Sheep-fold. Meantime Luke began
To slacken in his duty; and, at length,
He in the dissolute city gave himself
To evil courses : ignominy and shame
Fell on him, so that he was driven at last
To seek a hiding-place beyond the seas.

There is a comfort in the strength of love ;


'Twill make a thing endurable, which else
Would overset the brain, or break the heart :
I hâve conversed with more than one who well
Remember the old Man, and what he was
Years after he had heard this heavy news.
His bodily frame had been from youth to âge
Of an unusual strength. Among the rocks
He went, and still looked up to sun and cloud,
— i5o —
Il écoutait les vents ; comme par le passé
Faisait tous les travaux qu'exigeaient ses moutons,
Ou réclamaient ses champs, son petit héritage.
Même de temps en temps il gravissait encore
Le sentier escarpé pour bâtir le bercail
Utile à son troupeau. On n'a pas oublié
La pitié qui serrait tous les coeurs à le voir
Monter là-haut, et tous ont la conviction
Qu'il s'y rendait maint jour et restait là des heures
Sans qu'il y soulevât même une seule pierre.

Près de la bergerie on le voyait parfois


Assis tout seul, ou bien avec son chien fidèle,
Vieux aussi maintenant, couché devant ses pieds.
Pendant plus de sept ans encor, de temps à autre,
Il s'en fut travailler à l'enclos sur le mont,
Pour le laisser inachevé quand il mourut.
Trois ans, à peine plus, survécut Isabelle
A son mari. Le bien à sa mort fut vendu
Et la terre passa dans des mains étrangères.
La maison qui jadis fut I'ÉTOILE DU SOIR
A disparu. Le soc a remué le sol
Où se dressaient ses murs ; dans tout le voisinage
Mainte chose a changé ; pourtant le chêne reste
Qui s'élevait devant leur porte, et les débris
Du parc inachevé peuvent se voir encore
Près du tumultueux ruisseau de Green-head Ghyll.
— I5I —
And listened to the wind ; and, as before,
Performed ail kinds of labour for his sheep,
And for the land, his small inheritance.
And to that hollow dell from time to time
Did he repair, to build the Fold of which
His flock had need. 'Tis not forgotten yet
The pity which was then in every heart
For the old Man — and 'tis believed by ail
That many and many a day he thither went,
And never lifted up a single stone.

There, by the Sheep-fold, sometimes was he seen


Sitting alone, or with his faithful Dog,
Then old, beside him, lying at this feet.
The length of full seven years, from time to time,
He at the building of this Sheep-fold wrought,
And left the work unfinished when he died.
Three years, or little more, did Isabel
Survive her Husband : at her death the estate
Was sold, and went into a stranger's hand.
The Cottage which was named the EVENING STAR
Is gone—the ploughshare has been through the ground
On which it stood ; great changes hâve been wrought
In ail the neighbourhood : — yet the oak is left
That grew beside their door ; and the remains
Of the unfinished Sheep-fold may be seen
Beside the boisterous brook of Green-head Ghyll.
i5a —

A UN PAPILLON

Reste, oh ! ne prends pas ton essor ;


Laisse-moi t'observer encor,
Historien de mon enfance !

Sur la fleur que ton poids balance,


Reste, papillon gracieux.
Ta forme brillante et légère
Fait revivre devant mes yeux
Les temps morts et silencieux,
Mon père et ma mère !

Heureux, heureux ces jours lointains


Où, dans mes ébats enfantins,
Laissant loin ma soeur plus petite,
Je me lançais à ta poursuite.
Moi, je fondais en vrai chasseur
Pour te saisir, les mains cruelles ;
Mais elle — Dieu l'aime ! avait peur

D'effacer ce duvet de fleur
Qui poudre tes ailes.
— i53 —

TO A BUTTERFLY
[Composé en 180a. — Publié en 1807.J

Stay near me — do not take thy flight !


A little longer stay in sight !
Much converse do I find in thee,
Historian of my infancy !

Float near me ; do not yet départ !


Dead times revive in thee :
Thou bring'st, gay créature as thou art !

A solemn image to my heart,


My father's family !

Oh! pleasant, pleasant were the days,


The time, when in our childish plays,
My sister Emmeline and I
Together chased the butterfly!
A very hunter did I rush
Upon the prey; — with leaps and springs
I followed on from brake to bush ;
But she, God love her feared to brush
1

The dust from off its wings.


i54 —

AU COUCOU

0 joie! est-ce un coucou qui chante?


Oui, j'ai bien entendu.
Oiseau réel ou Voix errante,
Lequel des deux es-tu?

Ton cri double emplit la ravine


Où je repose au frais ;
Il court de colline en colline,
A la fois loin et près.

Assez d'oiseaux chantent la gloire


Des fleurs et des rayons ;
Seul, tu me remets en mémoire
Mes jeunes visions.

Salut! vagabond de la Terre.


Pour moi comme autrefois
Tu restes toujours un mystère,
Un esprit, une voix ;

La voix dont mon enfance gaie


Aimait le brusque appel.
Mes yeux en vain fouillaient la haie,
Le bosquet et le ciel.
i55

TO THE CUCKOO
[Composé en 1803.
— Publié en 1807.

0 Blithe New-comer! I hâve heard,


I hear thee and rejoice.
0 Cuckoo ! shall I call thee Bird,
Or but a wandering Voice?

While I am lying on the grass


Thy twofold shout 1 hear ;
From hill to hill it seems to pass
At once far off, and near.

To me, no Babbler with a taie


Of sunshine and of flowers,
Thou tellest, Cuckoo in the vale
!

Of visionary hours.

Thrice welcome, darling of the Spring!


Even yet thou art to me
No bird, but an invisible thing,
A voice, a mystery ;

The same whom in my schoolboy days


I listened to ; that Cry
Which made me look a thousand ways
In bush, and tree, and sky.
— i56 —
Dans la prairie et sur la roche
Je courais pour te voir :
Joie envolée à mon approche,
Insaisissable espoir!

Ton cri comme jadis m'enivre;


J'écoute dans les prés
Si longtemps, que je fais revivre
Tous mes beaux jours dorés.

0 coucou quand ta voix s'élève,


!

La Terre semble encor


Se changer en pays de rêve
Au féerique décor !
- - i57

To seek thee did I often rove


Through woods and on the green;
And thou wert still a hope, a love ;
Stiil longed for, never seen.

And I can listen to thee yet;


Can lie upon the plain
And listen, till I do beget
That golden lime again.

0 blessed Bird the earth we pace


!

Again appears to be
An unsubstantial, faery place ;
That is fit home for Thee I
i58 —

LE PÊCHEUR DE SANGSUES

I
Toute la nuit les vents déchaînés ont fait rage
Et des torrents de pluie ont enflé les ruisseaux ;
Mais un jour radieux naît du sein de l'orage :
Du bord des bois plus verts jaillit un chant d'oiseaux,
La tourterelle au nid couve sa chanson tendre,
La pie avec le geai jacasse à tête fendre,
Et tout l'air vibre au loin du bruit joyeux des eaux.

II
Le ciel fête l'aurore imprévue et superbe ;
Tout ce qui vit se chauffe à ses jeunes rayons,
Mille gouttes de pluie étincellent dans l'herbe,
Le lièvre enivré prend des galops vagabonds
Et son rapide élan sur la terre trempée
Soulève une vapeur qui du soleil frappée
S'illumine, et le suit dans chacun de ses bonds.

III
Je marchais seul alors sur la vaste bruyère ;
L'aube heureuse m'avait accueilli quand je vins,
Je voyais le levraut courir dans la lumière,
J'entendais le concert des bois et des ravins ;
— i5g —

THE LEECH-GATHERER
OR
RESOLUTION AND INDEPENDENGE
[Composé en 1802. — Publié en 1807.1

There was a roaring in the wind ail night ;


The rain came heavily and fell in floods ;
But now the sun is rising calm and bright ;
The birds are singing in the distant woods ;
Over his own sweet voice the Stock-dove broods ;
The Jay makes answer as the Magpie chatters ;
And ail the air is filled with pleasant noise of waters.

II
Ail things that love the sun are out of doors ;
The sky rejoices in the morning's birth ;
The grass is bright with rain-drops ; — on the moors
The hare is running races in lier mirth ;
And with her feet she from the plashy earth
Raises a mist; that, glittering in the sun,
Runs with her ail the way, wherever she doth run.

III
I was a Traveller then upon the moor ;
I saw the hare that raced about with joy ;
I heard the woods and distant waters roar;
Or heard them not, as happy as a boy :
— i6o —
Et mon coeur, reflétant la joie universelle,
Perdait le souvenir du mal qui le harcèle
Et des soins de la vie, assombrissants et vains.

IV
Mais parfois, après s'être un instant élancée
Sur le flot du bonheur jusqu'au bleu firmament,
L'âme retombe au fond de sa triste pensée
Et l'éphémère ivresse attise son tourment.
C'est là ce qui m'advint dans cette matinée :
Mon coeur fut envahi d'une crainte obstinée,
D'un vague désespoir, né je ne sais comment.

V
J'entendais dans le ciel gazouiller l'alouette
Et je songeais au lièvre aperçu dans ses jeux.
Gomme eux je suis l'enfant de la Terre et souhaite
Pour tout bien d'être libre et sans souci comme eux ;
Je marche loin du monde aux angoisses sans nombre, —
Mais qui sait?d'autres jours sont embusqués dans l'ombre,
Jours de misère, jours de deuil, jours ox-ageux.

VI
La seule rêverie employa mes années
Comme si l'avenir ne fût qu'un soir d'été,
Et si les biens coulaient de sources spontanées
Vers celui qui médite avec sérénité.
Mais peut-il espérer qu'un autre pour lui sème
Et bâtisse, qu'au jour de sa détresse on l'aime,
L'homme qui n'a pour soi ni bâti ni planté?
— 161 —
The pleasant season did my heart employ :
My old remembrances went from me wholly ;
And ail the ways of men, so vain and melancholy.

IV
But, as it sometimes chanceth, from the might
Of joy in minds that can no further go,
As high as we hâve mounted in delight
In our déjection do we sink as low;
To me that morning did it happen so ;
And fears and fancies thick upon me came ;
Dim sadness — and blind thoughts, I knew not, nor
[could name.

V
I heard the sky-lark warbling in the sky ;
And I bethought me of the playful hare :
Even such a happy Child of earth am I ;
Even as thèse blissful créatures do I fare ;
Far from the world I walk, and from ail care ;
But there may come another day to me —
Solitude, pain of heart, distress, and poverty.

VI
My whole life I hâve lived in pleasant thought,
As if life's business were a summer mood ;
As if ail needful things would come unsought
To génial faith, still rich in génial good ;
But how can He expect that others should
Build for him, sow for him, and at his call
Love him, who for himself will take no heed at ail?
— 16a —
VII
J'évoquais la jeune âme un instant apparue,
Chatterton, moissonné dans la fleur de l'orgueil,
Et Burns qui cheminait derrière sa charrue,
Le long des monts, la joie et la gloire dans l'oeil.
Notre native ardeur d'abord nous déifie ;
Poètes, nous entrons radieux dans la vie,
Mais viennent pour finir la folie ou le deuil.

VIII
Or était-ce hasard ou signe salutaire,
Gracieuse faveur, don des cieux consolants ?
Il arriva que sur la lande solitaire,
Tandis que je souffrais de ces pensers troublants,
Vers le bord dénudé d'un luisant marécage
Un homme m'apparut, le plus cassé par l'âge,
Le plus vieux qui jamais porta des cheveux blancs.

IX
Gomme parfois on voit un bloc de pierre énorme
Couché sur le sommet d'un monticule nu,
Étonnant le regard par sa masse et sa forme,
On ne sait pas comment, on ne sait d'où venu;
Si bien que notre oeil prête une vie à la pierre
Et croit voir, en fermant à demi sa paupière,
Un roc marin où dort quelque monstre inconnu ;

X
Ainsi m'apparaissait le vieillard immobile,
Non point tout à fait mort, ni vivant tout à fait.
Les ans avaient courbé son pauvre corps débile
— i63 —
VII
I thought of Chatterton, the marvellous Boy,
The sleepless Soûl that perished in his pride ;
Of Him who walked in glory and in joy
Following his plough, along the mountain-side :
By our own spirits are we deified :
We Poets in our youth begin in gladness ;
But thereof come in the end despondeney and madness.

VIII
Now, whether it were by peculiar grâce,
A leading from above, a something given,
Yet it befell that, in this lonely place,
When I with thèse untoward thoughts had striven,
Beside a pool bare to the eye of heaven
I saw a Man before me unawares :
The oldest man he seemed that ever wore grey hairs.

IX
As a huge stone is sometimes seen to lie
Couched on the bald top of an eminence ;
Wonder to ail who do the same espy,
By what means it could thither come, and whence;
So that it seems a thing endued with sensé :
Like a sea-beast crawled forth, that on a shelf
Of rock or sand reposeth, there to sun itself ;

X
Such seemed this Man, not ail alive nor dead,
Nor ail asleep — in his extrême old âge :
His body was bent double, feet and head
— t64 —
Vers ses pieds las du long chemin qu'ils avaient fait.
Il semblait que la peine ou que la maladie
Tordant sa forme droite impuissamment raidie
Eût jeté sur son dos un poids qui l'étouffait.

XI
Il appuyait ses bras, et sa pâle figure,
Et tout son corps, sur un long bâton de cormier.
Sans qu'il parût me voir ni m'entendre, à mesure
Que j'avançais vers lui dans l'herbe du sentier,
Le vieillard demeurait fixe comme un nuage
Qui n'entend pas l'appel soudain du vent d'orage,
Et s'il se meut un peu qui se meut tout entier.

XII
Enfin, s'ébranlant tout, il agita la vase
Avec son long bâton, le regard soucieux;
On eût dit qu'il était absorbé par l'extase,
Ou qu'il lisait un livre ouvert devant ses yeux.
Alors, marcheur oisif qui pour causer s'arrête,
Je dis, en saluant le vieillard de la tête :
« Ce beau matin promet un jour délicieux. »

XIII
Sa réponse fut douce et courtoise, mais lente ;
Les mots semblaient coûter un effort au vieillard.
Je repris, enhardi par sa mine accueillante :
« Que faites-vous ici, travaillant à l'écart?
C'est un lieu bien désert pour quelqu'un de votre âge. »
Avant qu'il répliquât, je vis sur son visage
Un rayon de surprise éclairer son regard.
— i65 —
Coming together in life's pilgrimage ;
As if some dire constraint of pain, or rage
Of sickness felt by him in times long past,
A more than human weight upon his frame had cast.

XI
Himself he propped, limbs, body, and pale face,
Upon a long grey staff of shaven wood :
And, still as I drew near with gentle pace,
Upon the margin of lhat moorish flood
Motionless as a cloud the old Man stood,
That heareth not the loud winds when they call;
And moveth ail together, if it move at ail.

XII
At length, himself unsettling, he the pond
Stirred with his staff, and fixedly did look
Upon the muddy water, which he conned,
As if he had been reading in a book :
And now a stranger's privilège I took ;
And, drawing to his side, to him did say,
« This morning gives us promise of a glorious day. »

XIII
A gentle answer did the old Man make,
In courteous speech which forth he slowly drew
And him with further words I thus bespake,
« What occupation do you there pursue?
This is a lonesome place for one like you. »
Ere he replied, a flash of mild surprise
Broke from the sable orbs of his yet-vi\id eyes.
166 —

XIV
Sa voix grêle sortait d'une poitrine éteinte,
Mais ses mots se suivaient avec solennité,
Marqués de je ne sais quelle imposante empreinte,
Ayant comme un parfum lointain d'antiquité :
Mots graves dont la langue ordinaire se prive
Mais chers aux Puritains de l'Ecosse pensive,
Hommes toujours tournés vers la divinité.
XV
Il me dit qu'il péchait dans cette eau des sangsues ;
Depuis qu'il était vieux, il travaillait ainsi.
Que de peines ! combien de recherches déçues !

La besogne était rude et bien chanceuse aussi,


Le profit se faisait de jour en jour plus rare.
Il couchait n'importe où, péchant de mare en mare,
Mais il gagnait sa vie à peu près, Dieu merci!

XVI
Le vieillard poursuivait d'une voix monotone
Pareille au bruit lointain des rivières le soir,
Indistincte rumeur dont l'oreille s'étonne.
Au lieu du vieux pêcheur je ne croyais plus voir
Qu'une forme irréelle en rêve rencontrée,
Ou qu'un homme envoyé d'une étrange contrée
Pour me donner la force et m'enseigner l'espoir.
XVII
Mon angoisse revint avec cette pensée :
Crainte vague, espoir sourd aux appels les plus doux,
Le froid, la faim, la chair sans trêve menacée,
— 167 —
XIV
His words came feebly, from a feeble chest,
But each in solemn order followed each,
With something of a lofty utterance drest —
Choice word and measured phrase, above the reach
Of ordinary men ; a stately speech ;
Such as grave Livers do in Scotland use,
Religious men, who give to God and man their dues.

XV
He told that to thèse waters he had come
To gather leeches, being old
and poor :
Employaient hazardous and wearisomel
And he had many hardships to endure :
From pond to pond he roamed, from moor to moor ;
Housing, with God's good help, by choice or chance;
And in this way he gained an honest maintenance.

XVI
The old Man still stood talking by my side ;
But now his voice to me was like a stream
Scarce heard ; nor word from word could I divide ;
And the whole body of the Man did seem
Like one whom I had met with in a dream ;
Or like a man from some far région sent,
To give me human strength, by apt admonishment.

XVII
My former thoughts returned : the fear that kills ;
And hope that is unwilling to be fed ;
Cold, pain, and labour, and ail fleshly ills;
— 168 —

Les grands poètes morts misérables ou fous.


Cherchant à dissiper ma frayeur renaissante,
Je lui redemandai d'une voix plus pressante :
« Que faites-vous ici? Comment donc vivez-vous?,»

XVIII
Il reprit, souriant, et sans parler plus vite :
« Je voyage à travers le pays pour pêcher
Dans les eaux où se plaît la sangsue, et j'agite
Autour de moi la vase. Il faut beaucoup marcher,
Car depuis plusieurs ans leur nombre diminue,
Il n'en restera plus si cela continue.
Pourtant j'en trouve encore, à force de chercher. »
XIX
Tandis qu'il me parlait, la mare abandonnée,
L'air du vieillard, ses mots tranquilles dans leur cours,
Versaient un trouble étrange en mon âme étonnée.
Les yeux de mon esprit croyaient le voir toujours
Errer seul et sans bruit sur la lande sauvage.
Alors que malgré moi je suivais cette image,
Il se tut un instant, puis reprit son discours.

XX
Et le vieillard parla d'autres choses encore,
En homme d'humeur gaie, au bon visage ouvert,
Mais qu'une dignité naturelle décore.
Quand il cessa, voyant ce qu'il avait souffert
Et dans ce corps perclus une âme si vaillante,
Je me dis : « Fasse Dieu, quand le doute me hante,
Que je songe au vieillard près de l'étang désert! »
— 169 —
And mighty Poets in their misery dead.
— Pcrplexed, and longing to be comforted,
My question eagerly did I renew,
« How is it that you live, and what is it you do? »

XVIII
He with a smile did then his words repeat ;
And said that, gathering leeches, far and wide
He travelled ; stirring thus about his feet
The waters of thé pools where they abide.
« Once I could meet with them on every side ;
But they hâve dwindled long by slow decay;
Yet still I persévère, and find them where I may. »

XIX
While he was talking thus, the lonely place,
The old Man's shape, and speech — ail troubled me :
In my mind's eye I seemed to see him pace
About the weary moors continually,
Wandering about alone and silently.
While I thèse thoughts within myself pursued,
He, having made a pause, the same discourse renewed.

XX
And soon with this he other matter blended,
Cheerfully uttered, with demeanour kind,
But stately in the main; and, when he ended,
I could hâve laughed myself to scorn to find
In that décrépit Man so firm a mind.
« God, » said I, « be my help and stay secure;
I'U think of the Leech-gatherer on the lonely moor 1
»
— 170 —

CINQ HEURES DU MATIN

A LONDRES

La Terre n'offre rien qui soit plus merveilleux.


Mon Dieu! quelle âme assez insensible ou morose
Pourrait sans admirer voir Londres qui repose
Vêtu de la beauté matinale des cieux?

Vaisseaux, temples, tours, dômes silencieux


Étincellent au loin sous une vapeur rose.
La Nature a repris la cité grandiose
Pendant que, las d'agir, l'homme fermait les yeux.

Jamais aux lieux où luit sa splendeur coutumière


L'aurore ne baigna de plus riche lumière
La plaine et la colline et les taillis épais.

Le fleuve glisse au gré de son eau solitaire,


Le sommeil des maisons a des airs de mystère,
Et le coeur de la ville immense dort en paix.
— I7t —

COMPOSED UPON WESTMINSTER BRIDGE


[Composé le 3i juillet 180a.— Publié en 1807.)

Earth has not anything to show more fair :


Dull would he be of soûl who could pass by
A sight so touching in its majesty :
This City now doth, like a garment, wear

The beauty of the morning; silent, bare,


Ships, towers, dômes, théâtres, and temples lie
Open unto the fields, and to the sky;
Ail bright and glittering in the smokeless air.

Never did sun more beautifully steep


In his first splendour, valley, rock, orhill;
Ne'er saw I, never felt, a ealm so deep!

The river glideth at his own sweet will :


Dear God! the very houses seem asleep;
And ail that mighty heart is lying still !
— 172 —

POÈMES POLITIQUES

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TELLE QU'ELLE APPARUT D'ABORD AUX ENTHOUSIASTES

Oh! le beau champ de jeu pour la joie et l'espoir!


Tant de forces luttaient pour nous, qu'on croyait voir
Ses souhaits s'accomplir à peine émis encore.
Ah ! c'était le bonheur de vivre en cette aurore,
Mais être jeune alors, c'était le ciell —0 temps
Où les chemins banals, arides, rebutants
Des lois et des statuts civils ou politiques
Soudain prirent l'attrait de régions féeriques !
La Raison souveraine indiquait de sa main
La route unie où doit marcher le genre humain,
Et cette Enchanteresse avait un air austère.
La beauté du Printemps rayonnait sur la terre ;
Tout n'était que promesse en l'immense univers,
Que fleurs dont les boutons à peine encore ouverts
Passaient en charme pur la rose épanouie.
Oh ! quelle vision de bonheur inouïe
Stimula les craintifs, exalta les hardis!
i73-

POLITIGAL POEMS

FRENCH REVOLUTION, AS IT APPEARED


TO ENTHUSIASTS AT ITS COMMENCEMENT
[Composé en 1804. — Publié en 1809.]

0 pleasant exercise of hope and joy!


For mighty were the auxiliars which then stood
Upon our side, us who were strong in love!
Bliss was it in that dawn to be alive,
But to be young was very Heaven 0 times,
!

In which the meagre, stale, forbidding ways


Of custom, law, and statute, took at once
The attraction of a country in romance!
When Reason seemed the most to assert her rights
When most intent on making of herself
A prime enchantress to assist the work,

Which then was going forward in her name 1

Not favoured spots aione, but the whole Earth,


The beauty wore of promise that which sets

(As at some moments might not be unfelt
Among the bowers of Paradise itself)
The budding rose above the rose full blown.
What temper at the prospect did not wake
To happiness unthought of? The inert
Wereroused, and lively natures rapt away!
— 174 —
Ceux dont l'enfance avait forgé des paradis,
Dont l'intrépide enfance et l'audace féconde
Avaient lancé d'un bout à l'autre bout du monde
L'essaim subtil et prompt des rêves enchantés ;
Et ceux-là même, épris de tranquilles beautés,
Qui sur les mouvements de grâce et d'harmonie
Avaient réglé le cours de leur calme génie,
Tous trouvaient sous leurs pieds, libres de s'en saisir,
Une argile plastique au gré de leur désir.
L'heure sonnait pour eux de modeler leur songe,
Non plus en Utopie, au pays de mensonge,
Dans l'île fabuleuse où l'homme n'entre pas,
Mais ici, sur la terre où s'impriment nos pas,
Dans ce monde, le seul où nous puissions en somme
Découvrir le bonheur, s'il existe pour l'homme.

Ce qu'alors j'éprouvais, pourquoi le renier?


La Terre était pour moi ce qu'est à l'héritier
La demeure inconnue et qui devient la sienne.
Il parcourt en tous sens la résidence ancienne
Et voit à chaque pas surgir des plans meilleurs.
Déjà son oeil corrige ici, retranche ailleurs;
Ce qui lui plaît le moins lui plaît le plus peut-être,
Tant il aura de joie à le voir disparaître!
— 175 —
They who had fed their childhood upon dreams,
The play-fellows of fancy, who had made
Ail powers of swiftness, subtilty, and strength
Their ministers, — who in lordly wise had stirred
Among the grandest objects of the sensé,
And dealt with whatsoever they found there
As if they had within some lurking right
To wield it; — they, too, who of gentle mood
Had watched ail gentle motions, and to thèse
Had fltted their own thoughts, schemers more mild,
And in the région of their peaceful selves ; —
Now was it that both found, the meek and lofty
Did both find, helpers to their hearts' désire,
And stuff at hand, plastic as they could wish, —
Were called upon to exercise their skill,
Notin Utopia, — subterranean fields, —
Or some secreted island, Heaven knows where!
Butin the very world, which is the world
Of ail of us, — the place where, in the end,
We find our happiness, or not at ail!

Why should I not confess that Earth was then


To me, what an inheritance, new fallen,
Seems, when the first time visited, to one
Who thither cornes to find in it his home?
He walks about and looks upon the spot
With cordial transports, moulds it and remoulds,
And is half pleased with things that are amiss,
'Twill be such joy to see them disappear.
— 176 —

II
SOUVENIR DE LA FÉDÉRATION

[Le jour de la Fédération de 1790, Wordsworth, alors âgé de vingt.ans,


avait parcouru avec un ami le chemin qui mène de Calais à Ardres. Se
trouvant au même endroit, en août 1802, lors de la proclamation du
Consulat à vie, il adressa ce sonnet au compagnon de son premier voyage.]

Ami, quand nous suivions ce chemin tous les deux,


Gomme une eau court parmi des rives printanières,
Nous allions entourés de festons, de bannières,
De fleurs, de chants et de visages radieux.

Le Bonheur vagabond fredonnait sous les cieux,


La jeune Liberté gonflait les âmes fières,
Et, soudain rajeunie en ses heures dernières,
La Terre palpitait comme les coeurs heureux.

Aujourd'hui, seul rappel de la foi disparue,


Un « Bonjour, citoyen! » entendu dans la rue,
Mot creux, et qu'on dirait par un mort répété.

Pourtant le désespoir est loin de ma pensée ;


Je vis comme l'oiseau dans la saison glacée :
Les grands jours reviendront, et les soleils d'été.
— »77 —

II
COMPOSED NEAR CALAIS, ON THE ROAD
LEADING TO ARDRES,
AUGUST 7, l803
[Composé en août 1802. — Publié en 1807.]

Jones! as from Calais southward you and I


Went pacing side by side, this public Way
Streamed with the pomp of a too-credulous day.
When faith was pledged to new-born Liberty :

A homeless sound of joy was in the sky :


From hour to hour the antiquated Earth
Beat like the heart of Man : songs, garlands, mirth,
Banners, and happy faces, far and nigh 1

And now, sole register that thèse things were,


Two solitary greetings hâve I heard,
"Good morrow, Citizen'." a hollow word,

Asif a dead man spake it! Yet despair


Touches me not, though pensive as a bird
Whose vernal coverts winter hath laid bare.
— 178 —

III

LE CONSULAT A VIE
ÉCRIT A CALAIS EN AOUT l8o2

[Quand fut proclamé le Consulat à vie, les Anglais traversèrent en foule


la Manche, impatients de voir le nouveau souverain.]

Est-ce un roseau ployant sous le vent, d'où qu'il vienne?


Si ce n'est pas cela, que courez-vous donc voir?
Quittant Cour, Parlement, Tribunal ou manoir,
Inconnus et connus, l'aveugle que l'on mène,

L'infirme et le malade, — ah la grève en est pleine


!

De ces adorateurs empressés du Pouvoir


Qui s'en vont présenter à genoux leur devoir
Au Maître pour la vie, élu d'hier à peine.

On peut, l'honneur intact, rendre hommage aux puissants.:


Mais c'est une vertu loyale, qui demeure '
Longtemps sous terre, et non de ces semis récents

Jaillis au premier chaud rayon qui les effleure.


— Quand la raison, quand la liberté, le bon sens
Ont pris la fuite, était-ce un mal d'attendre une heure?
— '79 —

III
CALAIS, AUGUST, 1802
[Composé en août 1802. — Publié en i8o3]

Is it a reed that's shaken by the wind,


Or what is it that ye go forth to see ?
Lords, lawyers, statesmen, squires of low degree,
Men known, and men unknown, sick, lame, and blind,

Post forward ail, like créatures of one kind,


With first-fruit offerings crowd to bend the knee
In France, before the new-born Majesty.
Tis ever thus. Ye men of prostrate mind,

A seemly révérence may be paid to power ;


But that's a loyal virtue, never sown
In haste, nor springing with a transient shower :

When truth, when sensé, when liberty were flown,


What hardsbip had it been to wait an hour?
Shame on you, feeble Heads, to slavery prone !
180 —

IV

SUR L'EXTINCTION DE
LA RÉPUBLIQUE DE VENISE

Elle avait l'Orient doré pour feudataire,


Son bouclier couvrait les peuples d'Occident ;
C'était Venise, libre et superbe, pendant
Qu'un morne ciel de plomb chargeait au loin la terre.

Nul roi ne put fléchir sa fierté solitaire,


L'époux que se donna son coeur indépendant
Ce fut le Golfe dont le flot, ailleurs grondant,
Vient baiser ses beaux pieds de marbre statuaire.

Qu'importe si depuis l'âge avait affaibli


Sa vigueur et jeté ses titres dans l'oubli!
A l'heure où son nom même est rayé de l'histoire,

Ce dont il nous souvient c'est que son nom fut grand.


Nul mortel ne peut voir d'un oeil indifférent
L'ombre même périr de ce qui fut la gloire.
— I8I

IV

ON THE EXTINCTION
OF THE VENETIAN REPUBLIC
[Composé en 180a (?) — Publié en 1807.]

Once did She hold the gorgeous east in fee ;


And was the safeguard of the west : the worth
Of Venice did not fall below her birth,
Venice, the eldest Child of Liberty.

She was a maiden City, bright and free ;


No guile seduced, no force could violate ;
And, when she took unto herself a Mate,
She must espouse the everlasting Sea.

And what if she had seen those glories fade,


Those titles vanish, and that strength decay ;
Yet shall some tribute of regret be paid

When her long life hath reached its final day :


Men are we, and must grieve when even the Shade
Of that which once was great is passed away.
— 182 —

A L'ANGLETERRE
ÉCRIT EN l8o3 APRÈS LA. RUPTURE DE LA PAIX D'AMIENS

Angleterre! vois face à face la raison.


Renonce aux fictions dont ton esprit se leurre.
Le vieux monde a croulé; sur la terre meilleure
Eût levé sans ton crime une riche moisson.

Aujourd'hui même, dis ! si la Grèce qui pleure,


L'Iiide, ou l'Egypte, apercevaient de leur prison
Une voile d'espoir blanchir à l'horizon,
Tes vaisseaux apostés la saisiraient sur l'heure.

Ton égoïsme met tous les peuples d'accord ;


Mais plus vile en sa haine ou son amour encor,
Plus aveugle cent fois ton Adversaire, et pire.

Donc, bien que l'intérêt soit ta suprême loi,


Prends mes voeux de victoire. — 0 douleur de se dire
Que le meilleur espoir de la Terre est en toi !
i83

[Composé en i8o3 (?) — Publié en 1807.

England! the time is corne when thou shouldst Avean


Thy heart from its emasculating food;
The truth should now be better understood ;
Old things hâve been unsettled ; we hâve seen

Fair seed-time, better harvest might hâve been


But for thy trespasses; and, at this day,
If for Greece, Egypt, India, Africa
Aught good were destined, thou wouldst step between.

England ! ail nations in this charge agrée :


But worse, more ignorant in love and hâte,
Far — far more abject, is thine Enemy :

Therefore the wise pray for thee, though the freight


Of thy offences be a heavy weight :
Oh grief that Earth's best hopes rest ail with Thee !
184 —

EN ECOSSE

VOUS ALLEZ VERS L'OUEST?

« Alors que ma soeur et moi nous longions le loch Ketterine, par une
belle soirée après le coucher du soleil, nous rencontrâmes, dans un des
recoins les plus déserts de cette région solitaire de l'Ecosse, deux femmes,
dont l'une nous dit en manière de salut : « Comme ça I vous allez vers
l'ouest? » (Note de WordawoHK).

« Com' ça, vous allez vers l'ouest! » — « Oui. »


Ah! destin qui m'eût réjoui
Si j'étais sur la rive où j'erre,
En cette contrée étrangère,
L'hôte du Hasard ! si j'allais
Sans chercher un abri jamais,
Et n'ayant souci d'autre chose
Que d'avancer vers ce ciel rose !

Déjà, derrière moi, le soir


Glaçait le sol humide et noir.
Cheminer vers l'ouest, c'était faire
Un voyage vers la lumière;
Et ces mots, c'était sous le ciel
Mon passe-port spirituel,
Le droit de prendre pour $eul guide,
Seul terme, le couchant splendide.
— i85 —

IN SGOTLAND

I
STEPPING WESTWARD
[Composé entre I8O3-I8O5. — Publié en 1807.]

While my Fellow-traveller and I were walking by the side of Loch Kel-


terine, one fine evening after sunset, in our road to a Hut where, in
the course of our Tour, we had been hospitably entertained some weeks
before, we met, in one of the loneliest parts of that solitary région,
two well-dressed Women, one of whom said to us, by way of greeting,
"What, you are stepping westward?"

'' What, you are stepping weslward ?" — " Yea. "
— ' Twould be a wildish destiny,
If we, who thus together roam
In a strange Land, and far from home,
Were in this place the guests of Chance :
Yet who would stop, or fear to advance,
Though home or shelter he had none,
With such a sky to lead him on?

The dewy ground was dark and cold ;


Behind, ail gloomy to behold ;
And stepping westward seemed to be
A kind of heavenly destiny :
I liked the greeting; 'twas a sound
Of something without place or bound;
And seemed to give me spiritual right
To travel through that région bright.
— 186 —
Ce salut était caressant
Fait d'une voix douce au passant
Le long de la grève inconnue
Par une femme survenue.
Et comme je tenais mes yeux
Fixés sur la clarté des cieux,
L'écho de cette voix soudaine
Guirlanda de tendresse humaine
Le rêve d'aller mon chemin
Par l'univers, sans but, sans fin.
— 187 —
The voice was soft, and she who spake
Was walking by her native lake :
The salutation had to me
The very sound of courtesy :
Its power was felt; and while my eye
Was fixed upon the glowing Sky,
The écho of the voice enwrought
A human sweetness with the thought
Of travelling through the world that lay
Before me in my endless way.
— i88

II

LA MOISSONNEUSE SOLITAIRE
DES HIGHLANDS

Elle moissonne dans son champ,


La jeune fille solitaire,
Et le corps penché vers la terre
Chante un mélancolique chant.
Arrêtez et faites silence :
Cette voix qui du sol s'élance
De ses mélodieux accords
Emplit le val creux jusqu'aux bords.

Jamais dans les déserts d'Afrique


Le rossignol de l'oasis
N'a fait de plus douce musique
Aux marcheurs las sous l'ombre assis ;
Et dans quelque Hébride perdue,
Moins troublante après les hivers
La voix des coucous entendue
Brisant le silence des mers.

Que chante sa voix étrangère?


Dit-elle en ces plaintifs accents
Les émois d'une ancienne guerre,
Les misères d'un très vieux temps?
- - i89

II

THE SOLITARY REAPER


[Composé eutre I8O3-I8O5. — Publié en 1807.]

Behold her, single in the field,


Yon solitary Highland Lass!
Reaping and singing by herself;
Stop hère, or gently pass !
Alone she cuts and binds the grain,
And sings a melancholy strain;
0 listenl for the Vale profoand
Is overflowing with the sound.

No Nightingale did ever chaunt


More welcome notes to weary bands
Of travellers in some shady haunt,
Among Arabian sands :
A voice so thrilling ne'er was heard
In spring-time from the Cuckoo-bird,
Breaking the silence of the seas
Among: the farthest Hébrides.

Will no one tell me what she sings!


Perhaps the plaintive numbers flow
For old, unhappy, far-off things,
And battles long ago :
— ig° —
Ou bien serait-ce l'infortune
Solitaire d'un coeur humain?
Quelque souffrance humble et commune,
Qui fut hier, qui sera demain?

Elle chantait, la jeune fille,


Son chant qui semblait éternel,
Moissonnant seule sous le ciel,
Le corps courbé sur sa faucille,
Et quand je gravis la hauteur,
Je gardai longtemps cet air tendre,
Je l'emportai loin dans mon coeur
Après que j'eus cessé d'entendre.
— igi
Or is it some more humble lay,
Familiar matter of to-day?
Some natural sorrow, loss, or pain,
That has been, and may be again?

Whate'er the thème, the Maiden sang


As if her song could hâve no ending;
I saw her singing at her work,
And o'er the sickle bending ; —
I listened, motionless and still;
And, as I mounted up the hill,
The music in my heart I bore,
Long after it was heard no more.
i9a —

III

AU CHÂTEAU RUINÉ DE KILGHURN


SUR LE LOCH iWE, AU PIED DU MONT CRUA.CHA.N

Kilchurn, fils de la guerre au dur gosier sonore !


Près de toi, le torrent des monts rugit encore,
Mais toi-même, ta voix que l'écho répétait,
Éteinte par les ans, se repose et se tait,
Sauf quand les vents soufflant sur tes vieux murs, il semble
Qu'eux et toi vous causiez confusément ensemble.
Oh! il est une vie inconnue à nos sens,
Et des pouvoirs obscurs l'un sur l'autre agissants,
A peine imaginés de notre âme vulgaire!
Et qui donc es-tu, fils délaissé de la Guerre
Et que la douce Paix n'a jamais adopté?
Tu parais pour la taille un tabouret jeté
Devant le Gruachan, montagne souveraine ;
Des monts moindres que lui t'écraseraient sans peine
Et même sans savoir qu'ils t'avaient fait du mal ;
Mais lui pourtant suspend son titre au rang royal
Sans se plaindre, en faveur de tes droits ; il s'efface,
Malgré l'éternité visible sur sa face,
Malgré son front qui vit dans les cieux étoiles,
Devant la majesté de tes murs écroulés
Où six siècles humains ont imprimé leur marque.
— i93

III

ADDRESS TO KILGHURN CASTLE,


UPON LOCH AWE
[Commencé en i8o3, fini longtemps après. — Publié en 1837.]

Child of loud-throated War ! the mountain Stream


Roars in thy hearing; but thy hour of rest
Is corne, and thou art silent in thy âge ;
Save when the wind sweeps by and sounds are caught
Ambiguous, neither wholly thine nor theirs.
Oh there is life that breathes not ; Powers there are
!

That touch each other to the quick in modes


Which the gross world no sensé hath to perceive,
No soûl to dream of. What art Thou, from care
Cast off—abandoned by thy rugged Sire,
Nor by soft Peace adopted; though, in place
And in dimension, such that thou might'st seem
But a mère footstool to yon sovereign Lord,
Huge Cruachan, (a thing that meaner hills
Might crush, nor know that it had suffered harm ;)
Yet he, not loth, in favour of thy claims
To révérence, suspends his own; submitting
Ail that the God of Nature hath conferred,
Ail that he holds in common with the stars,
To the mémorial majesty of Time
Impersonated in thy calm decay I

i3
— 194 —
Prends donc, ô vice-roi, le trône du monarqueI
A l'heure où le dernier rayonnement du jour
Sur ton front fracassé s'attarde avec amour
Tandis qu'une vapeur voile à demi l'espace,
A ton tour, ô Kilchurn! prends la première place.
Préside à la beauté pompeuse d'un décor
Où montagnes, torrents, bois et lac sont d'accord
Pour rendre hommage ensemble à ta gloire passée;
Et vois, joints avec eux dans la même pensée,
Deux coeurs, plus jeunes près de toi que le printemps
Fantôme de puissance, ombre des anciens temps,
Squelette décharné d'une humanité morte,
Où donc le vieux récit, page naïve et forte,
Qui saurait rendre proche et distinct pour notre oeil
L'âpre bouillonnement de ton premier orgueil?
Ce torrent qui là-bas du haut des monts s'élance
Blanc d'écume, paraît gelé dans la distance;
Ainsi l'esprit trompé par le lointain des ans
Voit calmes et sereins tes débuts effrayants :
Les haines, les forfaits, les sanglantes bravades,
Figés sur le sommet céleste des Croisades !

(i) Deux coeurs : Wordsworth et sa soeur Dorothée.


— 195 —
Take, then, thy seat, Vicegerent unreproved !
Now, while a farewell gleam of evening light
Is fondly lingering on thy shattered front,
Do thou, in turn, be paramount; and rule
Over the pomp and beauty of a scène
Whose mountains, torrents, lake, and woods, unité
To pay thee homage ; and with thèse are joined,
In williiig admiration and respect,
Two Hearts, which in thy présence might be called
Youthful as Spring. — Shade of departed Power,
Skeleton of unfleshed humanity,
The chronicle were welcome that should call
Into the compass of distinct regard
The toils and struggles of thy infant years!
Yon foaming flood seems motionless as ice ;
Its dizzy turbulence éludes the eye,
Frozen by distance; so, majestic Pile,
To the perception of this Age, appear
Thy tierce beginnings, softened and subdued
And quieted in character — the strife,
The pride, the fury uncontrollable,
Lost on the aerial heights of the CrusadesI
i96

LES NARCISSES

J'errais comme un nuage solitaire


Qui flotte au loin sur les monts et les prés,
Quand tout à coup je vis luire sur terre
Un bataillon de narcisses dorés.
Au bord d'un lac où la vague se brise
Ils frissonnaient et dansaient à la brise.v
Gomme l'oeil voit se fondre dans les cieux
Les astres d'or, fleurs de la Voie lactée,
Les fleurs du lac en ligne illimitée
Brillaient au bord des flots capricieux.
Et je voyais, courbant leurs tiges lisses,
Danser au vent des milliers de narcisses.

Les flots joyeux, moins joyeux que les fleurs,


Les flots dansaient avec un air de fête.
Je regardais : pouvais-je, moi poète,
Rester morose avec ces gais danseurs?
Et j'emportai dans mon âme ravie,
Sans le savoir, un trésor pour la vie.

Triste ou sentant la tristesse venir,


Combien de fois, l'esprit rêveur ou sombre,
J'ai vu depuis danser les fleurs sans nombre
Avec les yeux charmés du souvenir!
Aussitôt plein de nouvelles délices
Mon coeur joyeux danse avec les narcisses.
— 197 —

THE DAFFODILS
[Composé en i8o4.
— Publié en 1807.]

I wandered lonely as a cloud


That floats on ïn'gh o'er vales and hills,
When ail at once I saw a crowd,
A host, of golden daffodils;
Beside the lake, beneath the trees,
Fluttering and dancing in the breeze.

Continuons as the stars that shine


And twinkle on the milky way,
They stretched in never-ending line
Along the margin of a bay :
Ten thousand saw I at a glance,
Tossing their heads in sprightly dance.

The waves beside them danced ; but they


Out-did the sparkling waves in glee :
A poet could not but be gay
In such a jocund company :
I gazed—and gazed—but little thought
What wealth the show to me had brought :

For oft, when on my couch I lie


In vacant or in pensive mood,
They flash upon that inward eye
Which is the bliss of solitude;
And then my heart with pleasure fills,
And dances with the daffodils.
- ig8

PLUTOT ÊTRE PAÏEN!


Écrit au bord de la mer.

Vraiment le monde est trop avec nous ; tôt ou tard


Gagner et dépenser étendent leur empire.
La Nature n'a rien à montrer, rien à dire
Pour l'esprit absorbé qui calcule à l'écart.

La Mer, quand son sein nu s'enfle sous le regard


De la Lune; le Vent, qu'il mugisse et délire,
Ou murmure plus doux qu'une fleur ne respire,
A nul de ces concerts notre coeur ne prend part;

Nous restons froids. — Grand Dieu! plutôt qu'ainsi languir


Être un païen nourri de croyance insensée!
Du moins pourrais-je, au bord de ces vagues, jouir

De mainte vision à peupler ma pensée,


Voir Protée émerger des flots, ou bien ouïr
Le vieux Triton souffler dans sa conque irisée.
— '99 —

[Composé? — Publié en 1807.]

The world is too much with us; late or soon,


Getting and spending, we lay waste our powers ;
Little we see in Nature that is ours ;
We hâve given our hearts away, a sordid boon!

This Sea that bares her bosom to the moon ;


The winds that will be howling at ail hours,
And are up-gathered now like sleeping flowers,
For this, for everything, we are out of tune ;

It moves us not. — Great Godl I'd rather be


A Pagan suckled in a creed outworn ;
So might I, standing on this pleasant lea,

Hâve glimpses that would make me less forlorn,


Hâve sight of Proteus rising from the sea ;
Or hear old Triton blow his wreathèd horn.
— 200 —

ODE

INDICES D'IMMORTALITÉ TIRES DE SOUVENIRS


DE LA PREMIÈRE ENFANCE

I
Il fut un temps où Mer, Bois, Fleuve,
La Terre et les objets communs que nous voyons,
M'apparaissaient vêtus de célestes rayons,
De la limpide splendeur neuve
Des rêves et des visions.
Que sont ces gloires devenues?
Où que je dirige mes yeux,
Vers l'Océan ou vers les Cieux,
Je ne puis plus revoir les choses que j'ai vues.

II
La rose a la même beauté
Et l'arc-en-ciel s'irise encore ;
Du fond des cieux déserts qu'elle seule décore,
La lune promenant son regard enchanté
Verse la même joie et la même clarté;
Les eaux sous la voûte étoilée
Sont belles toujours:
L'aurore a conservé sa grâce inviolée ;
Pourtant je cherche en vain l'éclat des premiers jours,
Je cherche une gloire envolée.
ODE

INTIMATIONS OF IMMORTALITY FROM RECOLLECTIONS


OF EARLY CHILDHOOD
[Composé en 180J-1806. — Publié en 1807.]

I
There was a time when meadow, grove, and stream,
The earth, and every common sight,
To me did seem
Àpparelled in celestial light,
The glory and the freshness of a dream.
It is not now as it hath been of yore ; —
Turn wheresoe'er I may,
By night or day,
The things which I hâve seen I now can see no more.

II
The Rainbow cornes and goes.
And lovely is the Rose,
The Moon doth with delight
Look round her when the heavens are bare,
Waters on a starry night
Are beautiful and fair ;
The sunshine is a glorious birth;
But yet I know, where'er I go,
That there hath past away a glory from the earth.
302

III
Tandis que les oiseaux chantent leur gai refrain,
Que les agneaux joyeux sautent près de leur mère
Comme au pan-pan d'un tambourin,
Moi seul je viens d'avoir une pensée amère,
Mais en me le chantant j'ai vaincu mon chagrin.
Déjà mon âme se ranime;
Les cascades et les torrents
Sonnent leur trompe dans l'abîme ;
Mes regrets n'iront plus insulter le Printemps.
D'innombrables échos courent dans la montagne,
L'air fait frémir d'aise les bois,
La joie est partout à la fois,
Sur la mer et dans la campagne;
Au doux mois embaumé,
Au mois de mai,
Tous les êtres font fête,
Et toi dont le coeur est léger.
Va! chante encor, chante à tue-tête,
Heureux petit berger!

IV
Vous tous dont les cris d'allégresse
Montent ensemble vers l'azur,
Le ciel vous sourit, le ciel pur
Mêle sa joie à votre ivresse.
Plein d'un délicieux émoi
Mon coeur est aussi de la fête;
La joie enguirlande ma tête
Et votre bonheur passe en moi.
— ao3 —

III
Now, while the birds thus sing a joyous song,
And while the young lambs bound
As to the tabor's sound,
To me alone there came a thought of grief :
A timely utterance gave that thought relief,
And I again am strong :
The cataracts blow their trumpets from the steep ;
No more shall grief of mine the season wrong;
I hear the Echoes through the mountains throng.
The Winds come to me from the fields of sleep,
And ail the earth is gay ;
Land and sea
Give themselves up to jollity,
And with the heart of May
Doth every Beast keep holiday ; —
ThouChildof Joy,
Shout round me, let me hear thy shouts, thou happy
[Shepherd-boyI

IV
Ye blessed Créatures, I hâve heard the call
Ye to each other make ; I see
The heavens laugh with you in your jubilee ;
My heart is at your festival,
My head hath its coronal,
The fulness of your bliss, I feel — I feel it ail.
— 204 —
0 jour maudit, si j'étais morne
Lorsque la Terre entière s'orne
De bouquets triomphants;
Quand des bandes d'enfants
S'en sont allées
Cueillir des fleurs dans les vallées;
Quand le chaud soleil resplendit,
Et que sentant la chaleur de la vie
Le nourrisson bondit
Aux bras de sa mère ravie !
Je vois, j'entends l'unanime gaîté; —
Mais sur une prairie,
Sur un arbre entre tous mon oeil s'est arrêté;
Ils me parlent tout bas de vision flétrie ;
Et la pervenche du fossé
Me répète la même histoire :
Où donc est l'éclat du passé?
Où donc est le rêve et la gloire?

Notre naissance n'est que sommeil et qu'oubli.


Cette âme qui se lève en nous comme une étoile
Avait d'abord brillé dans un azur sans voile
Près duquel notre ciel est brumeux et pâli.
C'est avec l'obscure mémoire
De son éclat oriental,
C'est traînant après soi des nuages de gloire
Qu'elle nous vient du Dieu natal.
Le ciel nous environne à notre heure première ;
Pour l'Enfant grandissant l'ombre de la prison
— 20D —
Oh evil day if I were sullen
!

While Earth herself is adorning,


This sweet May-morning,
And the Children are culling
On every side,
In a thousand valleys far and wide,
Fresh flowers ; while the sun shines warm,
And the Babe leaps up on his Mother's arm : —
I hear, I hear, with joy I hear !
— But there's a Tree, of many, one,
A single Field which I hâve looked upon,
Both of them speak of something thaï is gone ;
The Pansy at my feet
Doth the same taie repeat :
Whither is fled the visionary gleam ?
Where is it now, the glory and the dream?

Our birth is but a sleep and a forgetting :


The Soûl that rises with us, our life's Star,
Hath had elsewhere its setting,
And cometh from afar"
Not in entire forgetfulness,
And not in utter nakedness,
But trailing clouds of glory do we oome
From God, who is our home :
Heaven lies about us in our infancy I
Shades of the prison-house begin to close
20Ô

Se projette sur la lumière,


Mais il s'ébat si près du divin horizon
Qu'il reflète dans sa prunelle
La source de flamme éternelle.
Le Jeune homme qui doit s'écarter du levant
Et chaque jour marcher vers l'ombre plus avant
Sent pâlir la céleste voûte,
Mais la splendide vision
Illumine de loin sa route ;
Enfin l'Homme la voit, jusqu'au dernier rayon,
Dans la terne lueur du jour s'effacer toute.

VI
Sur son giron la Terre étale ses trésors,
Car elle a des élans de bonté maternelle ;
Bien qu'étrangère, un coeur de mère vibre en elle.
L'humble nourrice fait de patients efforts
Pour que l'Enfant remis entre ses mains une heure
Cesse de regretter sa gloire antérieure
Et le royal palais qu'il habitait alors.

VII
Au milieu des jouets dont la chambre est semée,
Voyez ce chérubin à taille de pygmée ;
Voyez-le travaillant,
Troublé par les baisers de sa mère charmée,
Sous le regard d'un père souriant.
Devant lui, voyez une ébauche,
Fragment du monde soupçonné
Que d'une main novice et gauche
Il a lui-même façonné.
307 —

Upon the growing Boy,


But He beholds the light, and vvhence it flows,
He sees it in his joy;
The Youth, who daily farther from the east
Must travel, still is Nature's Priest,
And by the vision splendid
Is on his way attended ;
At length the Man perceives it die away,
And fade into the light of common day.

VI
Earth fills her lap with pleasures of her own;
Yearnings she hath in her own natural kind,
And, even with something of a Mother's mind,
And no unworthy aim,
The homely Nurse doth ail she can
To make her Foster-child, her In mate Man,
Forget the glories he hath known,
And that impérial palace whence he came.

VII
Behold the Child among his new-born blisses,
A six years' Darling of a pigmy size !
See, where 'mid work of his own hand he lies,
Fretted by sallies of his mother's kisses,
With light upon him from his father's eyes !
See, at his feet, some little plan or chart,
Some fragment from his dream of human life,
Shaped by himself with newly-learned art ;
— ao8 —
Voici qu'il joue au mariage,
Et voici qu'il joue à la mort.
Sa bouche imite avec effort
Notre triste ou joyeux langage.
Écoutez ! sa voix tour à tour,
Sa voix bégayante s'exerce
A parler guerre ou bien commerce,
Aux mots de querelle ou d'amour P
S'amusant de la vie humaine
Le petit acteur met en scène
Dans ses drames naïfs « à cent actes divers »
Chaque type nouveau que son oeil lui révèle,
Gomme s'il eût pour seul objet dans l'univers
L'imitation éternelle.

VII
Toi dont le patrimoine est encore en tes mains,
Dont le corps frêle calomnie
L'âme infinie ;
Seul Voyant au milieu des aveugles humains,
Toi qui, muet et sourd, lis l'éternel abîme,
Hanté par l'Inconnu sublime,
Vrai prophète ! vivant flambeau !
0 toi que sans effort la vérité pénètre,
Lorsque nous travaillons en vain pour la connaître,
Déjà perdus dans l'ombre épaisse du tombeau!
Enfant, sur qui ta propre immortalité veille
Et plane comme un autre azur;
Toi pour qui le cercueil n'est qu'un froid lit obscur
Où l'Homme attend qu'on le réveille;
— aog —
A wedding or a festival,
A mourning or a funeral;
And this hath now his heart,
And unto this he frames his song :
Then will he fit his tongue
To dialogues of business, love, or strife ;
But it will not be long
Ere this be thrown aside.
And with new joy and pride
The little Actor cons another part ;
Filling from time to time his "humorous stage"
With ail the Persons, down to palsied Age,
That Life brings with her in her équipage ;
As if his whole vocation
Were endless imitation.

VIII
Thou, whose exterior semblance doth belie
Thy Soul's immensity;
Thou best Philosopher, who yet dost keep
Thy héritage, thou Eye among the blind,
That, deaf and silent, read'st the eternal deep,
Haunted for ever by the eternal mind, —
Mighty Prophet I Seer blest !
On whom those truths do rest,
Which we are toiling ail our lives to find,
In darkness lost, the darkness of the grave ;
Thou, over whom thy Immortality
Broods like the Day, a Master o'er a Slave,
A Présence which is not to be put by ;
To whom the grave
Is but a lowly bed without the sensé or sight
Of day or the warm light,
A place of thought where we in waiting lie ;

i4
— 3IO —
Petit Enfant qui vois le bonheur indompté
Illuminer encor les cimes de ton être,
Pourquoi donc, ennemi de ta félicité,
Impatient, presser le triste jour de naître
Où pèsera sur toi le joug inévité?
Ton âme trop tôt asservie
Ploiera sous le poids du passé,
Et la froide habitude aura trop tôt glacé
Jusqu'au fond de ses eaux le fleuve de ta vie !

IX
Heureux qui découvre toujours
Sous les cendres une étincelle ;
Dont le coeur vieilli se rappelle
Ce qui dura si peu de jours !
Je vous bénis sans cesse, ô mes jeunes années I
Non pas pour les seuls dons que chacun doit bénir
Jeux bruyants, liberté, fleurs aujourd'hui fanées,
Foi naïve qu'alors rien n'avait pu ternir,
Espérances prenant leur vol aussitôt nées ;
Ce n'est pas à ces dons que va mon souvenir
Ni que ce chant d'amour s'adresse ;
C'est aux accès d'étrange ivresse
Où je doutais de mes regards,
Aux heures de vertige, aux heures
Où les choses extérieures
Semblaient crouler de toutes parts ;
A cette marche tâtonnante
De l'Enfant qui se meut dans un monde irréel,
Fiers instincts dont l'être mortel,
Comme un coupable pris sur le fait, s'épouvante;
— 211 —
Thou little Child, yet glorious in the might
Of untamed pleasures on thy being's height,
Why with such earnest pains dost thou provoke
The years to bring the inévitable yoke,
Thus blindly with thy blessedness at strife ?
Full soon thy Soûl shall hâve her earthly freight,
And custom lie upon thee with a weight,
Heavy as frost, and deep almost as life !

IX
0 joy that in our embers
!

Is something that doth live,


That nature yet remembers
What was so fugitive!
The thought of our past years in me doth breed
Perpétuai bénédiction ; not indeed
For that which is most worthy to be blest ;
Delight and liberty, the simple creed
Of Childhood, whether busy or at rest,
With new-fledged hope still fluttering in his breast : —
Not for thèse I raise
The song of thanks and praise;
But for those obstinate questionings
Of sensé and outward things,
Fallings from us, vanishings;
Blank misgivings of a Créature
Moving about in worlds not realised,
High instincts before which our mortal Nature
Did tremble like a guilty Thing surprised :
— 212 —
A ces troublantes visions,
A cette pénombre première
Qui reste pour nous tous la source de lumière,
La lumière où notre âme allume ses rayons ;
A ces extases de l'enfance
Qui sont contre l'erreur notre sûre défense,
Qui nous font souvenir, quand nous n'y songeons pas,
Que les ans où sonnent nos pas
Ne sont que des moments dans l'éternel silence :
Vérité qui survit malgré nous dans nos coeurs,
Malgré nos frivoles pensées,
Nos tentatives insensées,
Et malgré nos doutes moqueurs.
Aux heures paisibles et claires,
Si loin que nous ayons voyagé dans les terres,
Nous pouvons découvrir en retournant les yeux
Cet Océan mystérieux
Qui nous a déposés sur les rives mortelles ;
L'âme y peut voler d'un coup d'ailes,
Voir jouer sur le bord les Enfants radieux,
Et rouler les grands flots aux rumeurs éternelles.

X
Oh ! chantez donc, oiseaux, chantez votre refrain !
Agneaux, sautez dans la rosée
Comme au pan-pan d'un tambourin!
Je veux m'associer à vous par la pensée,
Bergers qui riants et chantants
Fêtez la saison commencée,
Bergers qui dans vos coeurs contents
Sentez descendre le printemps!
3l3 —
But for those first affections,
Those shadowy recollections,
Which, be they what they may,
Are yet the fountain-light of ail our day,
Are yet a master-light of ail our seeing ;
Uphold us, cherish, and hâve power to mako
Our noisy years seem moments in the being
Of the eternal Silence : truths that wake,
To perish never :
Which neither listlessness, nor mad endeavour,
Nor Man nor Boy,
Nor ail that is at enmity with joy,
Can utterly abolish or destroy !
Hence in a season of calm weather
Though inland far we be,
Our Soûls hâve sight of that immortal sea
Which brought us hither,
Can in a moment travel thither,
And see the Children sport upon the shore,
And hear the mighty waters rolling evermore.

X
Then sing, ye Birds, sing, sing a joyous song!
And let the young Lambs bound
As to the tabor's sound !
We in thought v/ill join your throng,
Ye lhat pipe and ye that play,
Ye that through your hearts to-day
Feel the gladness of the May !
2l4 —

Qu'importe si l'ancien rayonnement superbe


Ne brille plus sur les sommets,
Et s'il doit manquer désormais
Une gloire à la fleur, une splendeur à l'herbe !
Je veux, sans m'affliger, jouir
Des dons que je possède encore,
Du souvenir de mon aurore
Que rien n'a fait évanouir ;
Et je veux demander ma force à la souffrance,
A ses pleurs apaisants,
A la foi pour qui luit dans la mort l'espérance,
A la sérénité des ans.

XI

Et vous, sources, bosquets, collines et clairières!


Croyez que rien ne peut désunir nos amours.
Au fond du coeur je sens votre pouvoir toujours,
Et la seule fraîcheur de vos beautés premières
A passé, maintenant qu'elles sont coutumières.
J'aime autant, j'aime mieux les ruisseaux vagabonds
Que lorsque je luttais avec eux par mes bonds;
J'aime l'aurore avec ses rougeurs ingénues,
Et le soleil couchant qu'environnent les nues
Emprunte un coloris plus sévère à des yeux
Longtemps fixés sur les destins mystérieux :
Un autre jour conquiert une autre palme aux cieux.
Grâce au coeur dont la flamme échauffe tout mon être,
Foyer jamais éteint de joie et de douleurs,
La plus humble fleurette en moi peut faire naître
Des pensers trop profonds pour se répandre en pleurs.
— ai5 —
What though the radiance which was once so bright
Be now for ever taken from my sight,
Though nothing can bring back the hour
Of splendour in the grass, ofglory in the flower;
We will grieve not, rather find
Strength in what remains behind ;
In the primai sympathy
Which having been must ever be ;
In the soothing thoughts that spring
Out of human suffering ;
In the faith that looks through death,
In years that bring the philosophie mind.

XI
And 0, ye Fountains, Meadows, Hills, and Groves,
Forebode not any severing of our loves I
Yet in my heart of hearts I feel your might ;
I only hâve relinquished one delight
To live beneath your more habituai sway.
I love the Brooks which down their channels fret,
Even more than when I tripped lightly as they ;
The innocent brightness of a new-born Day
Is lovely yet ;
The Glouds that gather round the setting sun
Do take a sober colouring from an eye
That hath kept watch o'er man's mortality ;
Another race hath been, and other palms are won.
Thanks to the human heart by which we live,
Thanks to its tenderness, its joys, and fears,
To me the meanest flower that blows can give
Thoughts that do often lie too deep for tears.
n6 —

ODE AU DEVOIR

Fils sévère du très saint Verbe,


0 Devoir ! lumière du coeur,
Seul maître de l'âme superbe,
Le guide et le réprobateur!
L'essaim des caprices s'envole
Et meurt devant tes pas divins;
Tu calmes la terreur frivole
Et les fiévreux élans vers des mirages vains.

J'en sais dont l'âme heureuse ignore


Si ton regard veille sur eux,
Qui dans la clarté de l'aurore
Suivent leurs instincts généreux ;
Ceux-là s'avancent dans la vie
En te servant sans le savoir.
Si leur pas confiant dévie,
Ouvre-leur tes bras sûrs, austère et fort Devoir I

L'homme encor douteux de sa voie


N'aura que des jours radieux
Lorsqu'enfin l'Amour et la Joie
Seront ses guides vers les cieux.
— ai7 —

ODE TO DUTY
[Composé en i8oâ — Publié en 1807.]

Stem Daughter of the Voice of God !


0 Duty if that name thou love
1

Who art a light to guide, a rod


To check the erring, and reprove;
Thou, who art victory and law
When empty terrors overawe;
From vain temptations dost set free;
And calm'st the weary strife of frail humanity

There are who ask not if thine eye


Be on them ; who, in love and truth,
Where no misgiving is, rely
Upon the génial sensé of youth :
Glad Hearts! without reproach or blot;
Who do thy work, and know it not :
Oh! if through confidence misplaced
They fail, thy saving arms, dread Power I around them cast.

Serene will be our days and bright,


And happy will our nature be,
When love is an unerring light,
And joy its own security.
2l8

Mais belle est déjà sa carrière


S'il tient levés ses yeux constants
Vers cette lointaine lumière,
Sans lâcher, ô Devoir ! la main que tu lui tends.

Moi qui vécus libre de peine


Et sans trembler à chaque vent,
Je l'avoue : à ta loi sereine
Je fus rebelle trop souvent.
Trop souvent, indocile ou lâche,
Pour suivre un sentier que j'aimais
J'ai remis à plus tard ma tâche,
Mais je veux, si je puis, t'obéir désormais.

Ce n'est pas d'une âme angoissée,


Ce n'est pas le remords au coeur,
C'est du calme de ma pensée
Que j'invoque ton frein vainqueur.
Ma liberté sans loi me lasse,
L'espoir changeant n'a plus d'appas ;
J'ai peur du vain désir qui passe
Et j'ai faim du repos qui ne passera pas.

Devoir législateur austère


!

Mais où luit la douceur des cieux,


Il n'est rien de plus beau sur terre
Que le sourire de tes yeux.
La fleur naît sous tes pas plus belle
Et plus exquise est son odeur.
L'astre est soumis à ta tutelle;
Le ciel très vieux te doit sa force et sa fraîcheur.
— 319 —
And they a blissful course may hold
Even now, who, not unwisely bold,
Live in the spirit of this creed ;
Yet seek thy firm support, according to their need.

I, loving freedom, and untried ;


No sport of every random gust,
Yet being to myself a guide,
Too blindly hâve reposed my trust :
And oft, when in my heart was heard
Thy timely mandate, I deferred
The task, in smoother walks to stray;
But thee I now would serve more strictly, if I may.

Through no disturbance of my soûl,


Or strong compunction in me wrought,
I supplicate for thy control;
But in the quietness of thought :
Me this unchartered freedom tires ;
I feel the weight of chance-desires :
My hopes no more must change their name,
I long for a repose that ever is the same.

Stern Lawgiver yet thou dost wear


!

The Godhead's most benignant grâce;


Nor know we anything so fair
As is the smile upon thy face :
Flowers laugh before thee on their beds
And fragrance in thy footing treads ;
Thou dost préserve the stars from wrong ;
And the most ancient heavens, through Thee, are fresh
and strong.
230

Me voici donc, puissante crainte!


Entends-moi, Devoir redouté!
Ma main se donne à ton étreinte,
Prends soin de ma fragilité!
Accorde-moi l'humble sagesse;
Laisse-moi, tant que je vivrai,
Purgé d'orgueil et de faiblesse,
Vivre ton serviteur, à la clarté du Vrai!
ïo humbler functions, awful Power!
I call thee : I myself commend
Unto thy guidance from this hour ;
Oh, let my weakness hâve an end !
Give unto me, made lowly wise,
The spirit of self-sacrifice ;
The confidence of reason give ;
And in the light of truth thy Bondman let me live !
STANCES ËLÉGIAQUES
SUGGÉRÉES PAR UN TABLEAU REPRÉSENTANT,
VU UN JOUR DE TEMPÊTE,
LE CHATEAU DE PEELE QUI SE DRESSE SUR UN ILOT
DANS LA BAIE DE MORECAMBE

[Quelques semaines avant que ces stances fussent écrites, le frère du


poète, John Wordsworth, commandant d'un vaisseau de la Compagnie
des Inâes orientales, avait péri dans un naufrage, le 6 février 1806.]

Jadis auprès de toi j'avais élu demeure


Pendant un mois d'été, vieux château féodal!
Je te voyais alors tous les jours, à toute heure,
Et ta forme dormait sur la mer de cristal.

L'air était si paisible et si pur de nuage !


Jamais pendant ce mois l'azur ne se voila.
Quand j'observais les eaux, j'y voyais ton image;
Elle tremblait parfois, mais était toujours là.

Cette paix me semblait mieux qu'une trêve instable,


Qu'un perfide sommeil qui dure une saison.
J'aurais pu croire alors l'Abîme formidable
Sans caprice et sans rage, éternellement bon.

Ah Dieu! si j'avais eu le pinceau de l'artiste


Pour fixer ta beauté par ce temps calme et clair,
Ajoutant la splendeur qui nulle part n'existe
Mais que voit le poète et qu'il répand dans l'air;
— 323 —

ELEGIAC STÀNZAS
SUGGESTED BIT A PICTURE OP PEELE CASTLE, IN A STORM,
PAINTED BY SIR GEORGE BEAUMONT
[Composé en i8o5. — Publié en 1807.]

I was thy neighbour once, thou rugged Pile!


Four summer weeks I dwelt in sight of thee :
I saw thee every day; and ail the while
Thy Form was sleeping on a glassy sea.

So pure the sky, so quiet was the air!


So like, so very like, was day to day!
Whene'er I looked, thy Image still was there;
It trembled, but it never passed away.

How perfect was the calm ! it seemed no sleep ;


No mood, which season takes away, or brings :
I could hâve fancied that the mighty Deep
Was even the gentlest of ail gentle Things.

Ah! then, if mine had been the Painter's hand,


To express what then I saw ; and add the gleam,
The light that never was, on sea or land,
The consécration, and the Poet's dream;
324

Je t'aurais, monument d'une époque lointaine,


Érigé dans un lieu de repos infini,
Près d'une mer toujours souriante et sereine,
Sur une grève heureuse et sous un ciel béni.

Tu serais devenu le Temple solitaire,


Le Trésor des moments de céleste repos,
Et de tous les rayons qui luirent sur la terre
J'aurais versé sur toi les plus doux, les plus beaux.

Tu symboliserais la paix que rien ne brise,


Les jours élyséens loin des soucis divers :
Nul mouvement, hormis la marée, ou la brise,
Ou seul, le rythme égal du coeur de l'univers.

Tel, dans l'illusion de mon âme ravie,


J'aurais jadis voulu que ce tableau fût fait;
Et j'aurais, ignorant l'âpre vent de la vie,
Juré la vérité de ce calme parfait.

Il n'en est plus ainsi; je ne suis plus le même;


Un nouveau sentiment est aujourd'hui vainqueur.
Le chagrin a soufflé sur ce calme suprême :
Une peine profonde humanise mon coeur.

Fût-ce un instant, devant la mer riante et belle


Jamais je ne serai tel que je fus jadis.
Le sens de ma douleur me poursuivra près d'elle
Toujours. C'est d'un esprit serein queje le dis.
— 225 —
I would hâve planted thee, thou hoary Pile,
Amid a world how différent from this!
Beside a sea that could not cease to smile ;
On tranquil land, beneath a sky of bliss.

Thou shouldst hâve seemed a treasure-house divine


Of peaceful years ; a chronicle of heaven ; —
Of ail the sunbeams that did ever shine
The very sweetest had to thee been given.

À Picture had it been of lasting ease,


Elysian quiet, without toil or strife ;
No motion but the moving tide, a breeze,
Or merely silent Nature's breathing life.

Such, in the fond illusion of my heart,


Such Picture would I at that time hâve made :
And seen the soûl of truth in every part,
A steadfast peace that might not be betrayed.

So once it would hâve been, — 'tis so no more;


I hâve submitted to a new control :
A power is gone, which nothing can restore ;
A deep distress hath humanised my Soûl.

Not for a moment could I now behold


A smiling sea, and be what I hâve been :
The feeling of my loss will ne'er be old ;
This, which I know, I speak with mind serene.
i5
— aa6 —
Oh! maintenant, instruit par la sombre aventure
Du frère naufragé dont je pleure la mort,
Je sens combien est vraie, hélas! cette peinture,
Cette mer en fureur et ce sinistre bord.

Oui, ce tableau d'orage est une oeuvre sincère :


Ce souffle de malheur qui passe, obscur et froid,
Cette voile éperdue et que le vent lacère,
Ce ciel impitoyable et ce décor d'effroi.

Et ce rude château debout sur la falaise,


J'aime à lui voir braver le tumulte des vents,
Les éclairs et la foudre et la houle mauvaise, —
Fort de l'impénétrable armure du vieux temps.

Adieu le coeur qui vit enfermé dans un songe,


!

Seul, de la vie humaine ignorant la moitié ;


Son aveugle bonheur fondé sur le mensonge
Beaucoup plus que l'envie appelle la pitié.

Soyez les bienvenus, mâle et pensif courage,


Fréquente vision des certaines douleurs,
Aussi triste, ou plus triste encor que ce naufrage!
Une espérance luit dans nos maux et nos pleurs.
— 227 —
Then, Beaumont, Friend who whould hâve been the
!

Friend,
If he had lived, of Him whom I déplore,
This work of thine I blâme not, but commend ;
This sea in anger, and that dismal shore.

0 'tis a passionate Work! — yet wise and well,


Well chosen is the spirit that is hère;
That Hulkwhich labours in the deadly swell,
This rueful sky, this pageantry of fear
!

And this huge Castle, standing hère sublime,


I love to see the look with which it braves,
Cased in the unfeeling armour of old time,
Thelightning, thefiercewind, and trampling waveB

Farewell, farewell the heart that lives alone,


Housed in a dream, at distance from the Kindl
Such happiness, wherever it be known,
Is to be pitied; for 'tis surely blind.

But welcome fortitude, and patient cheer,


And fréquent sights of what is to be borne !
Such sights, or worse, as are before me hère —
Not without hope we suffer and we mourn.
PLAINTE
[Après la brouille de Wordsworth avec Coleridge]

Je suis pauvre sans votre amour.


C'était au seuil de mon coeur tendre
La source qu'il est doux d'entendre
Chanter la nuit, chanter le jour.
Elle me donnait son eau pure
Sans regret, sans fin, sans mesure.

Le bonheur coulait dans mon sang,


Inondait mon âme trop pleine.
Hélas où luisait la fontaine,
I

La source d'amour jaillissant,


Je ne vois plus devant ma porte
Qu'un puits où se cache une eau morte.

«Puits d'amour — discret et profond,


Jamais tari », je veux le croire,
Mais à quoi bon? si son eau noire,
Morne et muette, dort au fond.
— La source au seuil de mon coeur tendre,
Ah! que ne puis-je plus l'entendreI
32g —

A COMPLAINT
[Composé en 1806 — Publié en 1807]

There is a change — and I am poor;


Your love hath been, nor long ago,
A fountain at my fond heart's door,
Whose only business was to flow;
And flow it did ; not taking heed
Of its own bounty, or my need.

What happy moments did I count!


Blest was I then ail bliss above I
Now, for that consecrated fount
Of murmuring, sparkling, living love,
What hâve I? shall I dare to tell?
A comfortless and hidden well.

A well of love — it may be deep —


I trust it is, — and never dry :
What matter? if the waters sleep
In silence and obscurity.
— Such change, and at the very door
Of my fond heart, hath made me poor.
— a3o

PLAISIRS EPÀRS
A LONDRES

Près du moulin sur la Tamise


Voyez la danse qu'improvise
Ce joyeux trio prisonnier,
Ces deux femmes et le meunier !
La besogne à plus tard remise,
"Voiciqu'ils dansent tous les trois
Sur leur ponton aux bords étroits.

Il suffit pour les mettre en joie


Qu'un orchestre joue un air gai,
Par hasard, sur le bord du quai.
Tout plaisir qui passe est leur proie :

C'est la fortune qui l'envoie


Pour charmer sur l'îlot flottant
Leur coeur à peu de frais content.

Le couchant dans la métropole


Embrase au loin flèche et coupole;
Sous l'oeil immense du ciel nu,
Oubliant la peine et l'épreuve,
Sans un souci qui les émeuve,
Ils dansent sur le sein du fleuve
Au son d'un orchestre inconnu.
— a3i —

STRAY PLEASURES
[Composé en 1806. — Publié en 1807.]

By their floating mill,


That lies dead and still,
Behold yon Prisoners three,
The Miller with two Dames, on the breast of the
Thames 1

The platform is small, but gives room for them ail ;


And they're dancing merrily.

From the shore come the notes


To their mill where it floats,
To their house and their mill tethered fast :
To the small wooden isle where, their work to beguile,
They from morning to even take whatever is given ; —
And many a blithe day they hâve past.

In sight of the spires,


AU alive with the tires
Of the sun going down to his rest.
In the broad open eye of the solitary sky,
They dance, — there are three, as jocund as free,
While they dance on the calm river's breast.
— a3a —

Ils tournent tous trois en cadence,


Eux-mêmes fournissent la danse;
Si l'orchestre n'est pas pour eux,
Qu'importe! en sont-ils moins heureux?
Et le meunier crie à tue-tête :
« Allez ! merci bien de la fête ;
Le plus longtemps sera le mieux. »

Ils ne dansent pas pour me plaire,


Mais j'ai ma part de leur plaisir.
Ainsi partout la joie abonde sur la terre,
Présents épars dont tous ont droit de se saisir.
Une riche bonté qui jamais ne se lasse
Fait pleuvoir ses dons dans l'espace.

Les averses du renouveau


Réveillent les chants de l'oiseau,
Et si le vent soudain siffle pour se distraire,
La feuille aussitôt danse à ce rythme berceur,
Le flot se lève et court après le flot son frère ;
N'ont-ils pas tous droit au bonheur?
— a33 —
Man and Maidens wheel,
They themselves make the réel,
And their music's a prey which they seize ;
It plays not for them, — what matter? 'tis theirs,
And if they had care, it has scattered their cares
While they dance, crying, "Long as ye please! "

They dance not for me,


Yet mine is their glee!
Thus pleasure is spread through the earth
In stray gifts to be claimed by whoever shall find;
Thus a rich loving-kindness, redundantly kind,
Moves ail nature to gladness and mirth.

The showers of the spring


Rouse the birds, and they sing ;
If the wind do but stir for his proper delight,
Each leaf, that and this, his neighbour will kiss ;
Each wave, one and t'other, speeds after his brother;
They are happy, for that is their right!
— a34 —

AU SOMMEIL

Un troupeau de moutons qui sous l'oeil du berger


Passent, l'un après l'autre; un ru dont l'eau s'épanche
Sur la mousse ; la pluie et la cascade blanche,
Le bruit des mers, les prés unis, le ciel léger, —

J'ai tout évoqué tour à tour, pour engager


Le sommeil à venir. Et bientôt chaque branche
Retentira d'un hymne à l'aube, et la pervenche
Ouvrira son oeil bleu du fond de mon verger.

Voilà trois nuits déjà que vainement j'appelle,


Étendu sur mon lit, le doux sommeil rebelle;
Cesse de fuir, Sommeil, et ferme enfin mes yeux

La splendeur du matin sans toi laisse morose,


0 barrière bénie entre les jours fiévreux,
Père des frais pensers et de la santé rose !
— a35 —

TO SLEEP
[Composé?. — Publié eu 1807.J

A flock of sheep that leisurely pass by,


One after one; the sound of rain, and bées
Murmuring; the fall of rivers, winds and seas,
Smooth fields, white sheets of water, and pure sky ;

I hâve thought of ail by turns, and yet do lie


Sleepless! and soon the small birds' mélodies
Must hear, first uttered from my orchard trees;
And the first cuckoo's melancholy cry.

Even thus last night, and two nights more, I lay


And could not win thee, Sleep! by any stealth :
So do not let me wear to-night away :

Without Thee what is ail the morning's wealth?


Come, blessed barrier between day and day,
Dear mother of fresh thoughts and joyous health !
J36 —

LA. MORT

Est-ce en rêve? Je vis le marche-pied d'ébène


D'un trône que voilait une lourde vapeur,
Et mes yeux à travers la brumeuse épaisseur
En vain cherchaient à voir la Face souveraine.

Mais sur chaque degré la multitude humaine,


Avec tous les aspects du deuil et de la peur,
Jeunes, robustes, vieux, mourants, criaient en choeur:
« Nous gémissons vers vous, ô Mort, ô notre reine! »

Je gravis les degrés. La brume doucement


S'écarte et j'aperçois une femme dormant
Sur l'herbe d'une grotte où filtrait la lumière,

La face vers le ciel, et semblant retenir


L'écho mystérieux d'un riant souvenir, —
Beauté sereine dans sa tombe printanière!
— a37 —

[Composé?. — Publié en 1807.]

Methought I saw the footsteps of a throne


Which mists and vapours from mine eyes did shroud —
Nor view of who might sit thereon allowed ;
But ail the steps and ground about were strown

With sights the ruefullest that flesh and bone


Ever put on ; a misérable crowd,
Sick, haie, old, young, who cried before that cloud,
" Thou art our king, 0 Deathl to thee we groan."

Those steps I clomb; the mists before me gave


Smooth way; and I beheld the face of one
Sleeping alone within a mossy cave,

With her face up to heaven ; that seemed to hâve


Pleasing remembrance of a thought foregone ;
A lovely Beauty in a summer grave !
a38

POÈMES PATRIOTIQUES

I
LES DEUX VOIX
CE QUE PENSAIT UN HABITANT DE LA GRANDE-BRETAGNE
APRÈS LA CONQUÊTE DE LA SUISSE PAR LA FRANCE

Il est deux grandes Voix, d'égale majesté :


L'une vient de la mer, l'autre de la montagne.
C'est d'elles que ton rêve immortel s'accompagne
Depuis les premiers jours du monde, ô Liberté!

Un Tyran vint; — avec une sainte allégresse


Tu luttas contre lui : fiers efforts superflus.
Dans les Alpes dont tu faisais ta forteresse
Le torrent gronde encore et tu ne l'entends plus.

Que si l'un de tes chants préférés te fait faute,


A l'autre attache-toi plus fortement deux fois!
Oh! quel deuil ce serait, dis, Vierge à l'âme haute,

Si les torrents des monts tonnaient comme autrefois,


Si la mer mugissait déferlant sur la côte,
Et si tu n'entendais plus une des deux Voix!
— a3g —

NATIONAL INDEPENDENCE

I
THOUGHT OF A BRITON ON THE SUBJUGATION OF
SWITZERLAND
[Composé probablement au début de 1807. — Publié en 1807.]

Two Voices are there; one is of the sea,


One of the mountains ; each a mighty Voice ;
In both frorn âge to âge thou didst rejoice,
They were thy chosen music, Liberty!

There came a Tyrant, and with holy glee


Thou fought'st against him; but hast vainly
striven :
Thou from thy Alpine holds at length art driven,
Where not a torrent mur murs heard by thee.
Of one deep blissthine ear hath been bereft :
Then cleave, 0 cleave to that which still is left;
For, high-souled Maid, what sorrow would it be

That Mountain floods should thunder as before,


And Océan bellow from his rocky shore,
And neither awful Voice be heard by thee!
— a4o —

II
INDIGNATION D'UN ESPAGNOL

[« Je veux que vos derniers neveux consacrent mon souvenir et


disent : Il est le régénérateur de votre patrie. » Proclamation de Napoléon
aux Espagnols, 2 juin 1808.]

« Nous pouvons supporter que l'édifice tombe,


L'autel soit au pillage, et qu'il se fasse un jeu
De nous exterminer par le fer et le feu ;
L'appétit d'un tyran réclame une hécatombe.

Nous pouvons supporter que l'Espagne succombe,


Et qu'il possède, et qu'il gouverne comme il veut
Un immense désert sous notre beau ciel bleu
Où tous les coeurs vaillants dormiront dans la tombe;

Mais quand il nous promet d'aller briser nos fers,


Osant dire qu'un jour nos yeux enfin ouverts
Béniront les bienfaits que sa main nous appporte,

Alors le coeur faiblit sous ce suprême affront;


Nous avouons, tremblants et la rougeur au front,
Sa puissance trop grande et la douleur trop forte. »
2^1 —

II
INDIGNATION OF A HIGH-MINDED SPANIARD
[Composé en 1810. —Publié en I8I5.]

We can endure that He should waste our lands,


Despoil our temples, and by sword and flame
Return us to the dust from which we came ;
Such food a Tyrant's appetite demande ;

And we can brook the thought that by his hands


Spain may be overpowered, and he possess
For his delight, a solemn wilderness
Where ail the brave lie dead. But, when of bands

Which he will break for us he dares to speak,


Of benefits, and of a future day
When our enlightened minds shall bless his sway ;

Then, the strainedheart of fortitude proves weak ;


Our groans, our blushes, our pale cheeks déclare
That he has power to inflict what we lack strength to bear.
— a4a —

III

MIL HUIT CENT ONZE


[Ce sonnet clôt la série des Poèmes dédiés à l'indépendance
nationale et à la liberté.]

Arrêtons-nous. Le seul honneur que je réclame


C'est que la Liberté m'inspira tous mes vers
Et qu'au pire moment de nos sombres revers
L'Espérance jamais n'a tremblé dans mon âme, —

L'Espérance ! devoir suprême que les Cieux


Au coeur souffrant de l'homme imposent pour leur gloire.
Cette pensée au moins vive en notre mémoire
Que c'est chose en tous temps maudite, quand les yeux

Se fixent fascinés sur un tyran prospère ;


Et sans moins ressentir d'horreur ni de colère
Pour Celui dont le crime encore inexpié

Veut que les pleurs soient répandus, que le sang coule,


Sache que ta faiblesse, ô misérable foule !
Du trône d'un despote est le sûr marchepied.
— 243 —

III
[Composé en 1811.
— Publié en i8i5.J

Hère pause the poet claims at least this praise,


:
That virtuous Liberty hath been the scope
Of his pure song, which did not shrink from hope
In the worst moment of his evil days ;

From hope, the paramount duty that Heaven lays,


For its own honour, on man's suffering heart.
Never may from our soûls one truth départ
That an accursed thing it is to gaze —

On prosperous tyrants with a dazzled eye ;


Nor — touched with due abhorrence of their guilt
For whose dire ends tears flow, and blood is spilt,

And justice labours in extremity —


Forget thy weakness, upon which is built,
0 wretched man, the throne of tyranny.
a44

SUR UN TABLEAU

Honneur à l'Art subtil qui fixa le contour


De cette nue errante et bientôt déformée,
Qui sut saisir au vol cette mince fumée,
Et défendre au soleil de déserter le jour;

Qui tient ces voyageurs en marche arrêtés court


A quelques pas d'entrer sous l'ombreuse ramée,
Et cette barque fine à jamais enfermée
Dans ces flots toujours bleus endormis alentour!

Art reposant! Tout passe et toi seul tu demeures.


Les matins, les midis, les soirs, toutes les heures
T'apportent le décor changeant de leur beauté ;

Et tu donnes, pour l'oeil las des métamorphoses,


Au court instant surpris dans la fuite des choses
Le calme dont jouit la seule Éternité!
— 245

UPON THE SIGHT OF A BEAUTIFUL PICTURE


PAINTED Bï Sm G. H. BBABMONT, BART.

[Composé en 1811. — Publié en 181/i.]

Praised be the Art whose subtle power could stay


Yon cloud, and fix it in that glorious shape;
Nor would permit the thin smoke to escape,
Nor those bright sunbeams to forsake the day;

Which stopped that band of travellers on their way,


Ere they were lost within the shady wood ;
And showed the Bark upon the glassy flood
For ever anchored in her sheltering bay.

Soul-soothing Art! whom Morning, Noon-tide, Even,


Do serve with ail their changeful pageantry;
Thou, with ambition modest yet sublime,

Hère, for the sight of mortal man, hast given


To one brief moment caught from fleeting time
The appropriate calm of blest eternity.
246

SUR UNE ENFANT DE TROIS ANS

Bien que farouche, elle est aimante et bonne.


Son innocence autour d'elle rayonne
Transfigurant l'air mutin de ses yeux
Et ses gentils méfaits malicieux
Exprès commis pour qu'un de nous secoue
Son doigt grondeur, et qu'on rie et qu'on joue.
Mais le fagot ne pétille pas moins
S'il brûle seul dans l'âtre, sans témoins,
Que si devant le foyer qui rougeoie
Jeunes et vieux font un cercle de joie.
Heureuse enfant ! elle est de même, elle a
Sa compagnie alors que nul n'est là ;
Nuls lieux ne sont pour elle solitaires ;
Elle emplit l'air de chants involontaires.
Moins léger qu'elle un faon craintif jaillit
De la fougère où se cache son lit;
Moins imprévue et soudaine est la brise
Qui réveillant la campagne surprise
Y fait courir des frissons dans les fleurs,
Ou qui s'amuse à chasser devant elle
La belle image aux nombreuses couleurs
Que dans ses eaux un calme lac recèle.
— 3^7

GHARAGTERISTICS OF À CHILD THREE


YEARS OLD
[Composé en i8n. — Publié en i8i5.]

Loving she is, and tractable, though wild ;


Ând Innocence hath privilège in her
To dignify arch looks and laughing eyes;
And feats of cunning ; and Ihe pretty round
Of trespasses, affected to provoke
Mock-chastisement and partnership in play.
And, as a faggot sparkles on the hearth,
Not less if unattended and alone
Than when both young and old sit gathered round
And take delight in its activity;
Even so this happy Créature of herself
Is all-sufficient ; solitude to her
Is blithe society, who fills the air
With gladness and involuntary songs.
Light are her sallies as the tripping fawn's
Forth-startled from the fern where she lay couched ;
Unthought-of, unexpected, as the stir
Of the soft breeze ruffling the meadow-flowers,
Or from before it chasing wantonly
The many-coloured images imprest
Upon the bosom of a placid lake.
248

LAODAMIE

« Avant que le matin dissipât les ténèbres,


J'ai fait plus d'une offrande à l'autel consacré,
Redemandant aux dieux des régions funèbres
Mon époux, mon seigneur et maître, massacré.
C'est la pitié céleste à présent que j'implore;
Fais, Jupiter, ô fais que je le voie encore ! »

A force de ferveur l'espérance est venue,


La suppliante joint ses deux mains vers les cieux,
Et comme le soleil émergeant de la nue
Son visage s'éclaire et rayonne; ses yeux
Se dilatent; son sein se lève comme une onde;
Confiante, elle attend que le dieu lui réponde.

O terreur! qu'est-ce donc qu'elle aperçoit? ô joie!


Ce qui s'offre à ses yeux par l'attente agrandis,
C'est son époux tué sur la grève de Troie,
Protésilas, vivant et fort comme jadis.
Oui, c'est lui-même (à moins qu'un vain songe l'obsède),
Et le divin courrier, Hermès, qui le précède.
— 24g —

LAODAMIA
[Composé en 181 A. — Publié en i8i5]

" With sacrifice before the rising morn


Vows hâve I made by fruitless hope inspired ;
And from the infernal Gods, 'mid shades forlorn
Of night, my slaughtered Lord hâve I required :
Celestial pity I again implore ; —
Restore him to my sight — great Jove, restore ! "

Sospeaking, and by fervent love endowed


With faith, the Suppliant heavenward lifts her hands ;
While, like the sun emerging from a cloud,
Her countenance brightens — and her eye expands ;
Her bosom heaves and spreads, her stature grows ;
And she expects the issue in repose.

0 terror! what hath she perceived?— Ojoyl


What doth she look on? — whom doth she behold?
Her Hero slain upon the beach of Troy ?
His vital présence? his corporeal mould?
It is — if sensé deceive her not — 'tis He I
And a God leads him, wingèd Mercury!
— a5o —
Hermès dit, la touchant avec son caducée
Qui conjure la peur : « Rends grâce à Jupiter;
Voici que ta prière ardente est exaucée.
Ton époux parcourant les sentiers de l'éther
Vient de l'Erèbe auprès de toi passer une heure.
Tu peux le revoir face à face en ta demeure. »

La reine ayant au coeur trop d'amour pour la crainte


S'élance vers l'unique objet de son désir,
Mais la forme subtile élude son étreinte
Chaque fois que ses mains tâchent de la saisir;
Le fantôme enlacé dans ses bras se morcelé,
Puis reformé soudain se dresse devant elle.

ci
Protésilas! il est parti, le dieu ton guide.
Confirme en me parlant que c'est toi que je vois.
C'est ici ton palais, ici ton trône vide;
ParleI et ces murs joyeux vont vibrer à ta voix.
Le don que Jupiter m'accorde, ne serait-ce
Que pour glacer mon coeur et doubler ma détresse? »

— « Ce n'est pas pour punir que Jupiter exauce,


Chère Laodamie; en me rendant au jour
Il veut, non t'effrayer d'une vision fausse,
Mais te récompenser de ton fidèle amour.
Et sa grâce est un peu mon oeuvre après la tienne :
Il n'est rien qu'une mort intrépide n'obtienne.

« L'oracle avait parlé : le premier des Hellènes


Qui toucherait le sol troyen devait mourir.
Je méprisai le sort aux menaces certaines.
— a5i —
Mild Hermès spake — and touched her with his wand
That calms ail fear; " Such grâce hath crowned thy
prayer,
Laodamia! that at Jove's command
Thy Husband walks the paths of upper air :
He cornes to tarry with thee three hours' space ;
Accept the gift, behold him face to face ! "

Forth sprang the impassioned Queen her Lord to


clasp ;
Again that consummation she essayed;
But unsubstantial Form éludes her grasp
As often as that eager grasp was made.
The Phantom parts — but parts to re-unite,
And re-assume his place before her sight.

" Protésilâus, lo! thy guide is gone!


Confirm, I pray, the vision with thy voice :
This is our palace, — yonder is thy throne;
Speak, and the floor thou tread'st on will rejoice.
Not to appal me hâve the gods bestowed
This precious boon ; and blest a sad abode. "

" Great Jove, Laodamia! doth not leave


His gifts imperfect : — Spectre though I be,
I am not sent to scare thee or deceive ;
But in reward of thy fidelity.
And something also did my worth obtain;
For feariess virtue bringeth boundless gain.

" Thou knowest, the Delphic oracle foretold


That the first Greek who touched the Trojan strand
Should die ; but me the threat could not withhold :
— a5a —
Pour la Grèce il fallait en victime s'offrir ;
Ma sandale foula le sable la première,
Et la force d'Hector me ravit la lumière. »

— « Le meilleur des vaillants et le plus héroïque !


Val je ne pleure plus l'inflexible vertu
Qui te faisait bondir sur le sol fatidique
Quand mille autres sentaient leur grand coeur abattu.
Tu trouvas —je te vois et pardonne — en ton âme
De plus nobles conseils que dans mon coeur de femme.

« Mais bien que toujours prêt pour l'âpre sacrifice,


Je t'ai connu naguère aussi tendre que fort,
Et le dieu qui permit qu'enfin je te revisse
A voulu t'affranchir des signes de la mort :
Ta lèvre est fraîche autant qu'en ces jours d'allégresse
Où son haleine enrichissait l'air pur de Grèce.

« Non, n'est-ce pas? celui que voit Laodamie


N'est point un spectre vide. Oh! viens donc, jeune et beau,
Sur ce lit familier auprès de ton amie
Sceller par un baiser ton retour du tombeau. »
Jupiter se courrouce et la Parque offensée
Verse l'ombre du Styx sur la lèvre rosée.

— Ce
« visage te dit le destin de mon être,
Et ce grand changement ne vaudrait pas tes pleurs,
Quand même les plaisirs des sens pourraient renaître
Aussi vite que vont s'éteignant leurs ardeurs.
L'Erèbe les dédaigne et les laisse à la terre :
Il n'admet que tourments solennels, joie austère.
— 253 —
A generous cause a victim did demand ;
And forth I leapt upon the sandy plain ;
A self-devoted chief—by Hector slain. "

" Suprême of Heroes — bravest, noblesf, best!


The matchless courage I bewail no more,
Which then, when tens of thousands were deprest
By doubt, propelled thee to the fatal shore;
Thou found'st — and I forgive thee — hère thou art —
A nobler counsellor than my poor heart.

" But thou, though capable of sternest deed,


Wert kind as resolute, and good as brave;
And he, whose power restores thee, hath decreed
Thou shouldest élude the malice of the grave :
Redùndant are thy locks, thy lips as fair
As when their breath enriched Thessalian air.

" No Spectregreets me, — no vain Shadow this;


Corne, blooming Hero, place thee by my side !

Give, on this well-known couch, one nuptial kiss


To me, this day, a second time thy bride " 1

Jove frowned in heaven : the conscious Parcae threw


Upon those roseate lips a Stygian hue.

" This visage tells thee that my doom is past :


Nor should the change be mourned, even if the joys
Of sensé were able to return as fast
And surely as they vanish. Earth destroys
Those raptures duly — Erebus disdains :
Calm pleasures there abide — majestic pains.
— a54 —

« Sache te maîtriser, 6 ma fidèle femme!


Les dieux aiment, du fond de leur sérénité,
La profondeur et non le tumulte de l'âme,
La ferveur de l'amour, non l'amour indompté.
Modère tes transports; sans violence pleure
Lorsque je partirai, car vite passe une heure. »

Pourquoi partir? déjà forcé de lâcher prise


— «
Le monstre gardien des tombeaux n'a-t-il pas
Vu par le grand Hercule Alceste reconquise,
Aussi fraîche qu'avant le jour de son trépas?
Eson sur qui pesait la vieillesse ridée
Redevint-il pas jeune aux charmes de Médée?

« Pour nous le ciel a fait beaucoup ; plus il peut faire.


Car la force d'un bras nerveux, et le pouvoir
Des magiques secrets sur l'astre et sur la sphère,
Qu'est-ce auprès de l'Amour, bien que le désespoir
Souvent le blesse ou brise, et malgré qu'il proclame
Pour son trône le coeur gémissant de la femme?

« Mais si tu pars, je meurs. » — « Paix, lui dit-il, écoute! »


Soudain calme, elle vit l'époux transfiguré.
La pâleur de sa lèvre avait disparu toute;
Dans son geste et sa forme et sur son front sacré
Rayonnait la beauté grave de l'Elysée,
Née en un lieu d'heureuse et paisible pensée.

Il parla de l'amour tel qu'il est pour les âmes


En des mondes meilleurs au cours égal et pur :
Plus de fièvre à guérir, plus de brûlantes flammes;
— a55 —
" taught, 0 faithful Consort, to control
Be
Rebellious passion : for the Gods approve
The depth, and not the tumult, of the soûl ;
A fervent, not ungovernable, love.
Thy transports moderate ; and meekly mourn
When I départ, for brief is my sojourn — "

" Ah w^herefore ?— Did not Hercules by force


Wrest from the guardian Monster of the tomb
Alcestis, a reanimated corse,
Given back to dwell on earth in vernal bloom?
Medea's spells dispersed the weight of years,
And iEson stood a youth 'mid youthful peers.

" The Gods to us are merciful — and they


Yetfurther mayrelent for mightier
: far
Than strength of nerve and sinew, or the sway
Of magie potent over sun and star,
Is love, though oft to agony distrest,
And though his favourite seat be feeble woman's
breast.

" But if thou goest, I follow —" "Peace! " he said, —


She looked upon him and was calmed and cheered;
The ghastly colour from his lips had fled ;
In his deportment, shape, and mien, appeared
Elysian beauty, melancholy grâce,
Brought from a pensive though a happy place.

He spake of love, such love as Spirits feel


In worlds whose course is equable and pure;
No fears to beat away — no strife to heal —
— a56 —
Le passé sans regretsni pleurs, l'avenir sûr.
Il dit comme un témoin la seconde naissance
De tout ce qui sur terre est de plus fine essence ;

Il dit les beaux décors que l'oeil ici contemple,


Plus radieux là-bas que nous ne les voyons :
Fleuves plus clairs, éther plus léger et plus ample,
Champs plus verts, revêtus de plus pourpres rayons,
Climats où le soleil, en qui la terre admire
Son flambeau souverain, n'est pas digne de luire.

Pourtant l'âme entrera dans ce divin domaine


Qui sut par la vertu s'en assurer l'accès.
« J'ignorais le vrai but de l'existence humaine,
Dit-il, moi qui t'ayant laissée ici, passais
Mon temps en jeux, en fête, en vaine jouissance,
Alors que jour et nuit tu pleurais mon absence;

« Alors que dédaigneux de mon plaisir vulgaire


Je voyais les meilleurs d'entre les jeunes gens
Par de rudes travaux s'exercer à la guerre,
Et, sous la tente assis, rois et chefs diligents
Veiller sur le salut de la puissante armée
Que les calmes tenaient dans l'Aulide enfermée.

« Le vent souhaité vint. Je méditai l'oracle,


Penché seul à l'avant sur l'infini des eaux;
Et si nul ne s'offrait pour renverser l'obstacle,
Je me dis que le mien entre mille vaisseaux
Prendrait la tête, et que jaillirait de mes veines
Le premier sang versé sur les plages troyennes.
— 257

The past unsighed for, and the future sure ;


Spake of heroic arts in graver mood
Revived, with finer harmony pursued ;

Of ail that is most beauteous — imaged there


In happier beauty ; more pellucid streams,
An ampler ether, a diviner air,
And fields invested with purpureal gleams;
Climes which the sun, who sheds the brightest day
Earth knows, is ail unworthy to survey.

Yet there the Soûl shall enter which hath earned


That privilège by virtue. — " 111 ", said he,
" The end of man's existence I discerned,
Who from ignoble games and revelry
Could draw, when we had parted, vain delight,
While tears were thy best pastime, day and night;

" And while my youthful peers before my eyes


(Each hero following his peculiar bent)
Prepared themselves for glorious enterprise
By martial sports, — or, seated in the tent,
Chieftains and kings in council were detained ;
What time the fieet at Aulis lay enchained.

" The wished-for wind was given : — I then revolved


The oracle, upon the silent sea ;
And, if no worthier led the way, resolved
That, of a thousand vessels, mine should be
The foremost prow in pressing to the strand, —
Mine the first blood that tinged the Trojan sand.

'7
— a58 —

« Mais que de fois alors, ô ma femme chérie,


Ta mémoire infusa l'amertume en mon coeur!
Près de toi se posait ma tendre rêverie :
Je pleurais nos plaisirs communs, et la douceur
De ton sein réchauffant, nos délices rêvées,
Les fleurs de nos jardins, ces tours inachevées.

« Mais songer que raillant notre flotte hésitante


L'ennemi s'écrierait : « Voyez-les I pas un d'eux
« Qui ne tremble de peur. Pas un que la mort tente. »
Je voulus prévenir cet outrage honteux,
Je fis taire mes sens ; une ambition haute,
Mère de l'action, me sauva de la faute.

Et toi, n'aurais-tu pas la vertu nécessaire,


Trop faible de raison bien que forte d'amour?
Pourtant ton seul courage à porter ta misère
Pourra nous réunir au bienheureux séjour.
Vois! le monde invisible exauça ta prière :
Que ta tendresse en soit plus sereine et plus fîère.

« Par ton humaine ardeur toujours inassouvie


Apprends à t'élever vers le souverain bien.
L'amour nous fut donné pour affranchir la vie,
C'est lui qui nous enseigne à la compter pour rien :
Il brise l'égoïsme, et le joug de soi-même
Tombe comme les fers d'un rêve quand on aime. »

Elle jette un grand cri voyant Hermès paraître;


Autour de la chère Ombre elle s'efforce en vain
D'enlacer ses deux bras ; vainement tout son être
— 25g —
" Yet bitter, oft-times bilter, was the pang
When of thy loss I thought, belovèd Wife I
On thee too fondly did my memory hang,
And on the joys we shared in mortal life,
The paths which we had trod —
— thèse fountains,
flowers ;
My new-planned cities, and unfinished towers.

" But should suspense permit the Foe to cry,


'Behold they tremble — haughty their array,
!

Yet of their number no one dares to die?'


In soûl I swept the indignity away :
Old frailties then recurred : — but lofty thought,
In act embodied, my deliverance wrought.

" And Thou, though strong in love, art ail too Aveak
In reason, in self-government too slow;
I counsel thee by fortitude to seek
Our blest re-union in the shades below.
The invisible world with thee hath sympathised;
Be thy affections raised and solemnised.

" Learn, by a mortal yearning, to ascend —


Seeking a higher object. Love was given,
Encouraged, sanctioned, chiefly for that end ;
For this the passion to excess was driven —
That self might be annulled : her bondage prove
The fetters of a dream opposed to love ". —

Aloud she 6hriekedl for Hermès reappears!


Round the dear Shade she would hâve clung — 'tis
vain :
The hours are past — too brief had they been years ;
— a6o —
S'élance vers l'époux : l'heure brève a pris fin.
Et l'ombre du héros par elle en vain suivie
S'évanouit; le coeur brisé, Laodamie
S'affaisse sur le sol sans chaleur et sans vie.

Elle périt ainsi, sourde au conseil austère.


Trop justes pour sentir notre pitié, les dieux
La punirent comme d'un crime volontaire
Par un long temps d'exil loin des champs radieux,
Loin des Ombres qui dans les heureuses prairies
Cueillent du grand repos les fleurs jamais flétries.

Pourtant des pleurs sont dus à la souffrance humaine,


Et les mortels espoirs, meurtris et déchirés,
Sont par l'homme, mais non par l'homme seuls pleures,
Car les choses aussi souffrent de notre peine.
Au bord de l'Hellespont, plus d'un siècle pieux
Sur la tombe du Chef pour qui mourut la reine
Vit des cyprès pousser leur flèche vers les cieux ;
Mais leur sommet, de jour en jour plus haut, à peine
Voyait Troie aux murs blancs émerger sur la plaine
Qu'il séchait de douleur, flétri dans son essor,
Succession sans fin de croissance et de mort.
— a6i —
And him no mortal effort can detain :
Swift, toward the realms that know not earthly day,
He through the portai takes his silent way,
And on the palace-floor a lifeless corse She lay.

Thus, ail in vain exhorted and reproved,


She perished; and, as for a wilful crime,
By the just Gods whom no weak pity moved,
Was doomed to wear out her appointed time,
Apart from happy Ghosts, that gather flowers
Of blissful quiet 'mid unfading bowers.

— Yet tears to human suffering are due;


And mortal hopes defeated and o'erthrown
Are mourned by man, and not by man alone,
As fondly he believes. — Upon the side
Of Hellespont (such faith was entertained)
A knot of spiry trees for âges grew
From out the tomb of him for whom she died ;
And ever, when such stature they had gained
That Ilium's walls were subject to their view,
The trees' tall summits withered at the sight;
A constant interchange of growth and blight !
— 26a —

SONNETS ECCLÉSIASTIQUES

RETRAITE

Posant son bouclier, son épée et sa lance,


Le Chef d'armes suspend le rosaire à son bras,
Prend en main le missel, et lassé des combats
Quitte le monde au bruit fiévreux pour le silence.

Mais ce n'est point pour vivre en moelleuse indolence


Que vers les murs du cloître il a tourné ses pas.
Sur ce débris d'orgueil humain, pauvre tronc ras
Qui fut l'arbre admiré donc la cime s'élance,

A l'aube, au soir, au coeur funèbre de la nuit,


Gomme le lierre autour d'un vieil orme détruit,
Le Repentir s'enroule en mainte fibre étrange.

Il l'étreint de ses plis serrés et sinueux,


Mais tout en l'étranglant sans pitié dans ses noeuds
Lui donne sa verdure immortelle en échange.
— 263 —

ECCLESIASTICAL SONNETS
[Composés en 1821.
— Publiés en i8aa.]

SECLUSION

Lance, shield, and sword relinquished — at his side


A bead-roll, in his hand a claspèd book,
Or staff more harmless than a shepherd's crook,
The war-worn Chieftain quits the world — to hide

His thin autumnal locks where Monks abide


In cloistered privacy. But not to dwell
In soft repose he cornes. Within his cell,
Round the decaying trunk of human pride,

At morn, and eve, and midnight's silent hour,


Do penitential cogitations cling;
Like ivy, round some ancient elm, they twine

In grisly folds and strictures serpentine;


Yet, while they strangle, a fair growth they bring,
For recompense — their own perennial bower.
— a64

II

LA MUTABILITÉ

Dans sa marche à travers le monde, le Destin


Compose avec les bruits de chute et d'agonie
Une mélancolique et subtile harmonie
Qui vibre jusqu'à nous comme un concert lointain.

C'est un éternel chant dont le sens n'est distinct


Que pour le coeur pensif et l'âme recueillie.
Le Vrai ne périt pas, mais sa forme vieillie
Se fond comme le givre au soleil du matin.

Elle s'abîme encor, pareille à la tour fière


Portant royalement la couronne de lierre
Sur son vieux front vainqueur des siècles et des vents,

Mais que demain, fera crouler sans violence


Une clameur subite au milieu du silence,
Ou l'inimaginable attouchement du Temps.
— a65 —

MUTABILITY
|Composé en I8JI. — Publié en 1833.]

From low to high doth dissolution climb,


And sink from high to low, along a scale
Of awful notes, whose concord shall not fail,
A musical but melancholy chime,

Which they can hear who meddle not with crime,


Nor avarice, non over-anxious care,
Truth fails not ; but her outward forms that bear
The longest date do melt like frosty rime,

That in the morning whitened hill and plain


And is no more ; drop like the tower sublime
Of yesterday, which royally did wear

His crown of weeds, but could not even sustain


Some casual shout that broke the silent air
Or the unimaginable touch of Time.
a66

BEAUTÉ DU CALME

Ce n'est pas seulement la guerre ni l'amour,


Ni les maux éclatants d'une âme inconsolée,
Ni les trônes fameux s'écroulant tour à tour,
Qui peuvent inspirer la poésie ailée.

Elle aime l'humble asile où la Paix fait séjour;


Il lui plaît de gravir la colline isolée
Et de voir la chaumière à la fin d'un beau jour
Qui fume vers le ciel du fond de la vallée.

L'effort secret lui plaît, le modeste bonheur,


Le coeur simple qui loin des yeux humains se fane;
Elle aime à contempler le ruisseau diaphane,

Cristallin parce qu'il voyage avec lenteur.


Pour toujours plaire il faut une musique douce;
La plus suave fleur se cache dans la mousse.
— 267 —

[Composé?— Publié en i8a3.]

Not Love, not War, nor the tumultuous swell


Of civil conflict, nor the wrecks of change,
Nor Duty struggling with afflictions strange —
Not thèse alone inspire the tuneful shell ;

But where untroubled peace and concord dwell,


There also is the Muse not loth to range,
Watching the twilight smoke of cot or grange,
Skyward ascending from a woody dell.

Meek aspirations please her, lone endeavour,


And sage content, and placid melancholy;
She loves to gaze upon a cristal river —

Diaphanous because it travels slowly;


Soft is the music that would charm for ever;
The flower of sweetest smell is shy and lowly.
368 —

LA BEAUTE VRAIE

A MADAME WOBDSWORTH —

D'autres bardes chantent la femme


Ange sans tache, astre éclatant I
Ce radieux être, ô chère âme,
Tu ne l'es point, réjouis-t'en.

Le monde ne te croit pas belle ;


Qu'importe ce qu'il dit et voit
Si rien ailleurs ne me révèle
Le charme que je sais en toi !

La Beauté vraie échappe au monde;


Pour lever son voile fermé
Il faut qu'au coeur le coeur réponde,
Il faut que l'aimant soit l'aimé.
— a6g —

TO —
[Composé ea i8a4. — Publié en 1827.]

Let other bards of angels sing,


Bright suns without a spot;
But thou art no such perfect thing :
Rejoice that thou art not!

Heed not tho' none should call thee fair;


So, Mary, let it be
If nought in loveliness compare
With what thou art to me.

True beauty dwells in deep retreats,


Whose veil is unremoved
Till heart with heart in concord beats,
And the lover is beloved.
— 370

A MADAME W0RDSW0RTH

0 plus chère que la lumière et que la vie!


Je tremble, conscient de mon indignité,
Que la mort brise en deux notre chaîne bénie
Et m'exile de toi pendant l'éternité.

Je la combats en vain; cette frayeur obscure


Traverse mon repos et m'assombrit le jour,
Tandis que l'avenir pour ton âme plus pure
A la sérénité d'un éternel amour.

Bien que ton humble coeur m'ordonne de me taire


Et soupire tout bas, étends vers moi ta main ;
Ne me laisse pas seul gravir la cime altière,
Soutiens-moi, chancelant, jusqu'au bout du chemin.

La paix habite en ceux dont l'esprit est timide,


Dont l'amour confiant fait sa tâche. Oh! vers lui,
Yers l'amour sans révolte et sans peur, sois mon guide !
En toute foi dont il est l'âme, le ciel luit.
— 371 —

TO —
[Composé en i8a4.
— Publié en 1837.]

0 dearer far than light and life are dear,


Full oft our human foresight I déplore;
Trembling, through my unworthiness, with fear
That friends, by death disjoined, may meet no more!

Misgivings, hard to vanquish or control,


Mix with the day, and cross the hour of rest;
While ail the future, for thy purer soûl,
With " sober certainties " of love is blest.

That sigh of thine, not meant for human ear,


Tells that thèse words thy humbleness offend;
Yet bear me up — else faltering in the rear
Of a steep march : support me to the end.

Peace settles where the intellect is meek,


And Love is dutiful in thought and deed ;
Through Thee communion with that Love I seek :
The faith Heaven strengthens where he moulds the
Creed.
— 372 —

A LADY FITZGERALD
ÂGÉE DE SOIXANTE-DIX ANS

Ohl que cette vieillesse est lumineuse et belle!


0 dame vénérable! Il semble, en vérité,
Que baignés des reflets de la Divinité
Vos traits n'aient gardé rien de l'argile mortelle.

Chaque fois que mes yeux se reposent sur vous,


Sur votre chevelure angéliquement blanche,
Sur votre beau front lisse et pâle, et qui se penche
Comme attiré vers lui par un coeur humble et doux,-

Tout bas je vous compare avec la perce-neige,


Seule fleur dont l'Hiver fleurisse son cortège,
Premier signe joyeux du Renouveau qui suit.

Je songe que la Lune est en plein jour obscure,


Mais devient plus sereine et plus claire, à mesure
Que le beau Soir pensif s'enfonce dans la nuit.
— 273 —

TO —, IN HER SEVENTIETH YEAR


[Composé en i8a4. — Publié en 1837.]

Such âge how beautiful 0 Lady bright,


!

Whose mortal linéaments seem ail refined


By favouring Nature and a saintly Mind
To something purer and more exquisite

Than flesh and blood; whene'er thou meet'st my sight,


When I behold thy blanched unwithered cheek,
Thy temples fringed with locks of gleaming white,
And head that droops because the soûl is meek,

Thee with the welcome Snowdrop I compare;


That child of winter, prompting thoughts that climb
From désolation toward the génial prime ;

Or with the Moon conquering earth's misty air,


And filling more and more with crystal light
As pensive Evening deepens into night.
-^k

SUR UNE TRADITION LOCALE

Deux frères ont jadis gravi cette colline.


Silencieusement, travaillant à travers
Leurs larmes, refoulant leur peine en leur poitrine,
Ils ont sur le sommet planté deux chênes verts;

Puis, comme deux ruisseaux dont la source est voisine


Mais emportés le long de deux versants divers,
Chacun, suivant la pente où son destin l'incline,
S'en fut de son côté par le vaste univers.

Les arbres ont grandi, mariant leur ramure,


Mais jamais plus le frère, en l'immense nature,
N'étreignit dans ses bras celui qu'il a quitté.

L'un de l'autre ignorant le sort, joyeux ou morne,


Ils se sont réunis dans l'océan sans borne
Où tout vient se confondre un jour : l'éternité.
— 275

A TRADITION OF OKER HILL, IN DARLEY DALE,


DERRYSH1RE
[Composé en 1828 (?)
— Publié en 1829.]

' Tis said that to the brow of yon fair hill


Two Brothers clomb, and, turning face from face,
Nor one look more exchanging, grief to still
Or feed, each planted on that lofty place

À chosen Tree; then, eager to fulfill


Their courses, like two new-born rivers, they
In opposite directions urged their way
Down from the far seen mount. No blast might kill

Or blight that fond mémorial; — the trees grew,


And now entwine their arms; but ne'er again
Embraced those Brothers upon earth's wide plain;

Nor aught of mutual joy or sorrow knew


Until their spirits mingled in the sea
That to itself takes ail, Eternity.
— 376 —

POÉSIE INTÉRIEURE

Il est doux de marcher tenant baissés les yeux


Sur le sentier bordant le bois ou la prairie,
Mais sachant la campagne autour de soi fleurie
Et sans le voir sentant le sourire des cieux;

Cependant qu'une molle et lente rêverie


Envahissant notre âme heureuse par degrés
S'insinue entre les beaux sites admirés
Et glisse au milieu d'eux son décor de féerie.

Poète, brise avec la muse, dès le jour


Où s'éloignent de toi la Pensée et l'Amour.
As-tu pour compagnons l'Amour et la Pensée,

Qu'importe si tes yeux sont clos ou grands ouverts I


Le ciel intérieur répandra la rosée
De l'inspiration sur tes plus humbles vers.
— a77

| Composé et publié en i833]

Most sweet it is with unuplifted eyes


To pace the ground, if path be there or none,
While a fair région round the traveller lies
Which he forbears again to look upon;

Pleased rather with some soft idéal scène,


The work of Fancy, or some happy tone
Of méditation, slipping in between
The beauty coming and the beauty gone.

If Thought and Love désert us, from that day


Let us break off ail commerce with the muse;
With Thought and Love companions of our way,

Whate'er the sensés take or may refuse-,-',;--..


The Mind's internai heaven shall slied her dews
Of inspiration on the humblest layv V
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE v
Rêverie d'une pauvre servante de Londres a
Premier beau jour de printemps 4
Le poète à sa soeur 8
Remontrance et réplique 1a
La réplique reprise un soir 16
En revoyant les bords de la Wye 20
La mère Hardèle et Biaise Harcours 3o
L'ululement des hiboux 4o
En cueillant des noisettes 44
Scène de patinage 48
En canot 54
Lucie 60
La fontaine 70

NOMS DONNÉS AUX SITES FAVORIS :


I. Le vallon d'Emma 78
II. L'étang de Marie 8a
III. Le Pic du Poète 84

La chaumière ruinée 86
Michel 120
A un papillon i5a
Au coucou 154
Le pêcheur de sangsues i58
Cinq heures du matin à Londres 170

POÈMES POLITIQUES :
I. La Révolution française 172
II. Souvenir de la Fédération 176
III. Le Consulat à vie 178
IV. Sur l'extinction de la République de Venise 180
V. A l'Angleterre 182
— a8o —
EN ECOSSE :
I. Vous allez vers l'ouest J84
II. La moissonneuse solitaire J88
III. Au château ruiné de Kilchurn 192

Les narcisses '9^


Plutôt être païen ! 198
Ode sur l'immortalité ^°°
Ode au devoir 216
Stances élégiaques 232
Plainte 228
Plaisirs épars 23o
Au sommeil 234
La mort 236

POÈMES PATRIOTIQUES :
I. Les deux voix 238
II. Indignation d'un Espagnol 240
III. Mil huit cent onze 242

Sur un tableau 244


Sur une enfant de trois ans 246
Laodamie 248
.. ^
SONNETS ECCLÉSIASTIQUES :
I. Retraite 262
II. La mutabilité 264

Beauté du calme 266


La Beauté vraie 26S
A Madame Wordsworth 270
A Lady Fitzgerald
272
Sur une tradition locale 274
Poésie intérieure 276
TEXTES ANGLAIS

INDEX ALPHABÉTIQUE DES PREMIERS VERS

A flock of sheep that leisurely pass by a35


A slumber did my spirit seal 69
At the corner of Wood Street, when daylight appears. ... 3
Behold her, single in the field 189
By their floating mill 23i
Child of loud-throated War the mountain Stream
! 193
Earth has not anything to show more fair 171
Englandl the time is corne when thou shouldst wean.... i83
Five years hâve past; five summers, with the length 21
From low to high doth dissolution climb 260
Hère pause : the poet claims at least this praise a4a
If from the public way you turn your steps 121
I heard a thousand blended notes 5
Is it a reed that's shaken by wind 179
It is the first mild day of March 9
I travelled among unknown men 65
It seems a day 45
It was an April morning; fresh and clear 79
I wandered lonely as a cloud 197
I was thy neighbour once, thou rugged Pile 223
Jones as from Calais southward you and I
1 177
Lance, shield, and sword relinquished — at his side a63
Let other bards of angels sing 269
Loving she is, and tractable, though wild 247
Methought I saw the footsteps of a throne 237
Most sweet it is with unuplifted eyes 277
Not Love, not War, nor the tumultuous swell 267
O blithe New-corner ! I hâve heard i55
— 282 —
O dearer far than light and life are dear., 271
Oh ! pléasant exercise of hope and joy 173
Ohl what's the matter? what's the matter? 3i
Once did She hold the gorgeous East in fee 181
Our walk was far among the ancient trees ,
83
Praised be the Art whose subtlê power côuld stay a45
She dwelt among the untrodden ways 63
Stay near me — do not take thy flight i53
Stem Daughter of the Voice of God 217
Strange flts of passion havé I known ,. 61
Suçh âge how beautiful ! O lâdy bright 278
Thanks to the means which Nature deigned to employ... 55
There is a change — and I am poor 22g
There is an Eminence — of thèse our hills 85
There wâs a Boy ; ye knew him well, ye cliffs 4i
There was a roaring in the wind ail night 169
There was a time when meadow, grove, and stream..... 201
Thèse mighty workmen of our later âge 4i
The world is too much with us ; late and soon 199
Three years she grew in sun and shower 65
'Tis said that to the brow of yon fair hill, 275
'Twas summer, and the sun had mounted high 87
Two Voices are there ; one is of the sea 23g
Up up ! my Friend, and quit your books
1
17
We can endure that he should waste our lands 24ï
We talked with open heart, and tongue 71
« What, you are stepping westward? » — « Yea » l85
Why, William, on that old grey stone i3
Wisdom and Spirit of the Universe. .^-j-r-.-^.^ 49
With sacrifice before the rising Ta0t~Ui.sû_.'k,. .i,"N a49
' -.V1' '*- -'. ''V-st
/\- ' \
T-f'J\

Imprimerie E. AUBIN. — LIGUGÉ (Vienne). — 3-28.


COLLECTIONS
DE LITTÉRATURE ANGLAISE
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COLLECTION SHAKESPEARE

VOLUMES PUBLIÉS :
Macbeth. Trad. de J. DEROQUIGNY, professeur à l'Uni-
versité de Lille (Prix Montyon 1923).
Les Sonnets. Traduction de C. M. GARNIER (Prix
Denfer 192b).
Comme il vous plaira. Traduction de L.WOLFF,
Docteur ès-lettres. I

Le Soir des Rois. Traduction de F. SAUVAGE.


Le Marchand de Venise. Traduction de MmeLEBRUN-
SuDRY.
Roméo et Juliette. Traduction de A. ROSZUL, Pro-
fesseur à l'Université de Strasbourg.
Troïlus et Gressida. Traduction de R. LALOO.
Hamlet. Traduction de J. DEROCQUIGNY.
Antoine et Cléopâtre. Traduction de G. LAMBIN.
La Tempête. Traduction de J. AYNARD.

Dans les Sentiers de la Renaissance An-


glaise, choix de poésies avec traduction française et
notices par E. LEGOUIS, Professeur à la Faculté des
Lettres de Paris.
Le Drame de Massinger, par MAURICE CHELLI.

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