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LA COMMUNAUTÉ
Fernando Gil
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Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »
ISSN 0003-9632
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-1-page-57.htm
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E.H.E.S.S. (Paris)
RÉSUMÉ : L’action est morale si elle est voulue en toute circonstance. Selon la
Typique de la faculté de juger pratique, la loi fournit le modèle pour le
passage à l’universel. Si ce modèle convient à la première formule de l’impé-
ratif catégorique, il ne suffit à fonder ni la seconde, ni la troisième. On met en
lumière les apories de la pensée kantienne pour indiquer ensuite que la
position du problème de la « justice » par Rawls apporte peut-être un principe
de solution.
L’action sera morale si elle peut être voulue en toutes circonstances sans
que cette universalisation, qui a le même type de généralité que les lois de la
nature, ne la fasse entrer en contradiction avec la loi morale. Le contenu du
rationalisme consiste dans la représentation d’une action possible sous ces
conditions.
4. L’universalisation est le procédé général du constructivisme kantien,
depuis la fondation de la loi morale : la maxime de l’action doit être en même
temps « porté à l’universel, à la façon de la loi » (Fondements de la Métaphy-
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sique des Mœurs, II, BA, 81, traduction Delbos, Pléiade II, p. 304 ; la
traduction de Victor Delbos souligne le procédé de construction qui engen-
dre la moralité ; en allemand on a seulement : deren Allgemeinheit als
Gesetzes). La première formule de l’impératif catégorique transcrit cette
« formule universelle » (FMM, ibid.) en termes de légalité naturelle. La
seconde et la troisième formules effectuent une autre opération, l’élargisse-
ment subjectif : comme un rapport à autrui, dans la seconde, et comme le
principe d’une intersubjectivité généralisée, d’une communauté, dans la
troisième : la volonté y est conçue comme « instituant une législation univer-
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une formule qui détermine, d’une façon tout à fait exacte et sans laisser place à
l’erreur ce qu’il faut faire pour traiter un problème (ibid.).
nous force à devoir trouver un mobile pour obéir à la loi, qui ne saurait être
qu’un effet de cette même loi : négativement il réside dans l’humiliation de
la conscience de soi, positivement, en tant que
« principe déterminant de notre volonté », il consiste à exciter le respect. « La loi
morale est donc aussi subjectivement une cause de respect » (CRP, A 132, p. 698,
cf. FMM, I, BA 15, p. 260).
Où est alors la difficulté ? Écartons d’abord un argument qui n’a pas ici
sa place. On pourrait objecter que le critère de la Typique est seulement
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Pour l’homme et peut-être pour toute intelligence finie, une enquête sur
les résultats et la preuve des intentions est un réquisit « inévitable » de
l’intelligibilité de l’action. On ne saurait penser l’action autrement, elle
doit entrer dans le monde, y produire des effets et être appréciée en tenant
compte de ses effets. Kant a en vue dans ce passage les résultats matériels de
l’action. Mais il en irait de même s’il pouvait y avoir des effets immatériels,
peut-être a fortiori car ils concerneraient les intentions. Cependant la prise
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d’autrui. Par conséquent, si je suis le sujet de l’action, ce n’est pas moi qui
pourrais juger son effet. Et il ne saurait être qu’un effet de connaissance, très
exactement la connaissance de l’intention. Les effets sur la personne dépen-
dent tous de savoir si elle est traitée comme une « fin » ou comme un
« moyen ». Kant a établi définitivement que l’intention est la cause et le
contenu premier de l’action. Ainsi, l’effet moral de l’action consistera dans
le jugement qu’autrui portera sur elle. Inclure dans la sphère de la moralité
les effets de mon action signifie y inclure les jugements des autres personnes
sur cette action. Mais les autres n’ont pas accès à mon intention. L’autre peut
estimer que je le traite comme un moyen alors qu’en réalité je le traite
comme une fin, et il se peut aussi que je le traite comme une fin seulement en
apparence. La possibilité d’une action « légale » et non « morale » (CRP, A
127, p. 695) est réelle et rédhibitoire lorsqu’il s’agit de l’intention d’autrui, le
contenu de l’action est indécidable pour qui que ce soit d’autre que son
auteur.
Ce problème ne se posera que dans le contexte d’une communauté
éthique, mais il s’y posera nécessairement. Puisque l’éthique s’apprécie à
l’aune de l’intention ¢ cela ne sera jamais remis en question ¢, du point de
vue d’une éthique de l’intersubjectivité, il importe absolument à chacun que
l’action de l’autre soit dictée par la conscience du devoir.
12. La troisième formule de l’impératif catégorique prescrit :
toutes les maximes qui dérivent de notre législation propre doivent concourir à
un règne possible des fins comme à un règne de la nature (FMM, II, BA 80,
p. 303-304).
pour lui être sainte » (CRP, A 155, p. 714). Également dans la troisième
formule, la catégorie de la totalité désigne « l’intégralité du système », une
idée (FMM, II, BA 80, p. 304). Il y aurait un règne des fins seulement si
les maximes dont l’impératif catégorique prescrit la règle à tous les êtres
raisonnables (...) étaient universellement suivies (ibid., BA 84, p. 306).
Cependant, sur cette Terre, les hommes dans leur réalité sont les seuls
supports de la pluralité des fins. Et bien que la communauté reste virtuelle,
son principe est néanmoins posé, et ce analytiquement. De même que la
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ment l’idée d’un système, une « législation universelle » (il est frappant que
l’exposition de la troisième formule se fasse dans un langage proche de celui
de l’idéal transcendantal : la « détermination complète » ¢ vollständig dans
les FMM, BA 80, durchgängig dans la CR Pure, A 571-576, B 599-604, cf.
resp. Pléiade II, p. 303 et I, p. 1195-1196). Néanmoins, cet énoncé dans le
mode formel du discours a, dans le texte même de Kant, une contrepartie
matérielle : « le monde d’êtres raisonnables (mundus intelligibilis), consi-
déré comme un règne de fins, est possible, et cela par la législation propre de
toutes les personnes comme membres » (FMM, II, BA 83, p. 306). La
possibilité d’un monde intelligible qui serait l’œuvre collective des person-
nes n’est pas une idée exclusivement régulatrice.
Et c’est parce qu’ils n’instituent pas une véritable égalité des positions
que le « principe de publicité » et ses figures voisines, tels que l’on peut les
dégager des écrits de philosophie politique de Kant, ne sauraient au mieux
que nous mettre sur la bonne voie. Ils pointent vers des solutions moyennes,
generelle et non universelle (Théor. IV, 2e scolie, A 63, p. 651). Leur
expression la mieux formalisée est la version kantienne de la maxime leibni-
zienne : penser à la place de tout autre être humain (an der Stelle jedes
andern denken), à partir de la place qu’elle occupe (le verbe est versetzen, in
Critique de la Faculté de Juger, § 40, B 157, A 155). A la différence des
indications parallèles de l’Anthropologie (I, 1, § 59, BA 167, Pléiade III,
p. 1045-1046) et de la Logique (Introduction VII B, A 84, p. 63), la troisième
Critique donne à cette règle sa portée la plus générale. Elle se traduirait par
une réflexion « sur son propre jugement à partir d’un point de vue univer-
sel », en prenant en compte seulement les « caractéristiques formelles » de la
représentation. De la sorte, le jugement propre se trouvera « pour ainsi dire
(...) étayé de la raison humaine dans son entier » (die gesamte Menschenver-
nunft, § 40, cit.). Mais quel peut être le contenu effectif de cette maxime, en
termes de moralité ? John R. Silber a cherché a en faire une application :
5. Pour une exposition plus détaillée, je me permets de renvoyer à F. G, Post-scriptum,
Symposium, in Encyclopaedia Universalis, 2e éd., 1989.
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In order to respect the humanity of all rational beings, the moral agent must put
himself into the place and point of view of others. In this way, he will understand
the values and needs of other beings and by moving out beyond himself he will
limit his tendency to concentrate upon the fulfilment of his own needs to the
neglect of the needs and legitimate desires of others 6.
jectivité se fonde sur des accords explicites, John Rawls y insiste avec
emphase :
tout le monde accepte et sait que les autres acceptent de la même façon les mêmes
principes, et cette connaissance est à son tour publiquement reconnue 7.
7. Art. cité, p. 537. La distinction entre the Rational and the Reasonable se trouve dans le
même article.