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PIERRE DESTRƒE
* Cette tude est la version remani e dÕune conf rence donn e ˆ lÕUniversit dÕAth nes,
en septembre 1999. Je remercie MM. P. Aubenque, R. Bod Ÿs, D. Evans, D. Koutras,
P. Rodrigo et Ch. Rutten, ainsi que K. Algra et Ch. Rowe pour les remarques quÕils
ont bien voulu me donner dÕune version ant rieure de ce texte. Je voudrais d dier cette
tude ˆ M. Jacques Taminiaux qui mÕa fait d couvrir lÕimportance de la philosophie
pratique dÕAristote dans les questions philosophiques contemporaines.
Commen ons donc par exposer bri vement les trois di cult s de ce
texte. La premi re di cult concerne lÕinterpr tation du sens de la pre-
mi re a rmation: Du juste politique, il y a dÕune part le juste naturel et
dÕautre part le juste l gal (1134 b 18-19). LÕa rmation est nette et depuis
les travaux pioniers de Leo Strauss et dÕEric Weil, tous les interpr tes
soulignent aujourdÕhui quÕAristote refuserait par lˆ lÕant riorit que nous
tablissons dÕun droit naturel sur un droit politique. Mais le probl me est
de savoir comment int grer quelque chose comme un droit naturel ˆ lÕin-
t rieur m me du politique. D s lÕAntiquit d jˆ, on peut constater que les
commentateurs dÕAristote nÕont visiblement pas trouv de solution ˆ cette
di cult . Le cas le plus tonnant est celui de lÕauteur des Magna Moralia
qui, apr s avoir a rm que le juste naturel est meilleur que le juste
l gal (I, 23, 1195 a 6), pr cise que le juste politique lÕest par la loi et
non par la nature (a 7-8) Curieusement, cette di cult de penser le droit
naturel comme partie du droit politique se retrouve chez le premier inter-
pr te contemporain ˆ avoir soulign la di rence entre Aristote et les th ories
modernes du droit naturel: apr s avoir a rm quÕAristote coordonne le
droit naturel et le droit positif comme parties du droit politique, Max Salomon
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1
Max Salomon, Le droit naturel chez Aristote, dans: Archives de Philosophie du
Droit et de Sciences Juridiques, 7, 1937, pp. 120-127; p. 126.
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2
P. Moraux, A la recherche de lÕAristote perdu. Le dialogue ÔSur la JusticeÕ,
Louvain, 1957, pp. 131 et ss.
224 PIERRE DESTRƒE
3
Sur lÕinterpr tation de Thomas dÕAquin et ses divergences par rapport au texte
dÕAristote, cf. G. Kalinowski et M. Villey, La mobilit du droit naturel chez Aris-
tote et Thomas dÕAquin, dans: Archives de Philosophie du Droit, 29, 1984, pp. 187-199.
4
Gauthier-Jolif, Aristote. LÕEthique ˆ Nicomaque, Louvain, 1970 (2), II, 2,
p. 396.
5
Outre celle de Gauthier-Jolif, je pense aux interpr tations de Jean-Fran ois
Balaud (Nature et norme dans les trait s thiques dÕAristote, dans: P.-M. Morel,
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 225
type dÕinterpr tation prend lÕexact contrepied des interpr tations tradition-
nelles: malgr des divergences parfois importantes, ces interpr tes souli-
gnent tous lÕimportance de la variabilit du droit naturel et en font le point
de d part de leurs tudes. Pour la clart du propos, je distinguerai deux
tendances ˆ lÕint rieur de ce type dÕinterpr tation: une premi re tendance
franchement h g lienne avec les travaux de Pierre Aubenque qui repren-
nent et radicalisent certaines id es d jˆ soutenues par Eric Weil et Joachim
Ritter,6 et une seconde tendance qui met davantage lÕaccent sur la parti-
cularit des actes comme chez Leo Strauss et Bernard Yack.
La premi re tendance est partag e par la plupart des auteurs franco-
phones depuis lÕarticle de Pierre Aubenque, ÒLa loi chez AristoteÓ,7 qui
propose de concilier lÕid e dÕune mobilit du droit naturel avec la derni re
a rmation dÕAristote: une seule constitution est partout ˆ chaque fois la
meilleure selon la nature . Selon P. Aubenque, il faudrait comprendre
cette derni re occurrence de lÕaverbe pantaxoè non pas en un sens col-
lectif, mais distributif: la meilleure constitution ne serait pas on ne sait
quelle cit utopique comme lÕ tait celle de Platon, mais bien la constitu-
tion la mieux adapt e ˆ chaque culture: Le v ritable droit naturel, crit
Aubenque, est donc celui qui sÕadapte ˆ une nature humaine minemment
variable: lÕuniversalit abstraite qui voudrait, par exemple, que les lois des
Perses fussent les m mes que celles des Grecs, serait en r alit contre
nature. A peuple di rents lois di rentes .8 Et dÕajouter quÕAristote est
sur ce point beaucoup plus proche dÕun Montesquieu que dÕun Kant: Il
nÕy a pas une bonne constitution valable pour tous les pays (et, pourrions-
nous ajouter, pour tous les temps), mais la meilleure constitution est ˆ
chaque fois celle qui est conforme ˆ la nature du pays et de ses habi-
tants .9 Ce type de lecture sou re, ˆ mon avis, et de di cult s dÕordre
strictement philologique et de di cult s philosophiques. Il faut tout dÕabord
postuler que lÕadverbe pantaxoè a ici un autre sens que dans les autres
occurences du m me texte, ce qui est videmment tr s improbable. 10 Il y
a, ensuite, deux raisons dÕordre philosophique. P. Aubenque est oblig ,
tout dÕabord, comme dÕailleurs tous les autres repr sentants de ce type
dÕinterpr tation historiciste, de consid rer que les passages de la Rh -
torique sur le droit naturel (Cf. I, 10, 1368 b 6-12; I, 13, 1373 b 4-17; I,
15, 1375 a 27-b 2) ne t moignent absolument pas de la doctrine d fendue
par Aristote lui-m me. Je rappelle que dans le passage principal de cette
oeuvre, en I, 13, Aristote voque la di rence entre un droit particulier
qui peut tre crit ou non- crit, cÕest-ˆ-dire ce que nous appelons droit
positif et droit coutumier, et un droit commun, cÕest-ˆ-dire commun ˆ tous
les hommes, qui est le droit naturel (fæsei koinòn dÛkaion); et il donne
ensuite comme exemple dÕun tel droit naturel ou commun, le c l bre pas-
sage de lÕAntigone de Sophocle sur lÕobligation dÕenterrer ses morts, ainsi
que lÕinterdiction de tuer un tre vivant formul e par Emp docle. Certes,
Aristote nÕutilise pas ici, dans lÕEthique ˆ Nicomaque, le m me vocabu-
laire pour di rencier le droit positif et le droit naturel, et sÕil nÕ voque
pas ces deux exemples, cÕest quÕil refuserait certainement de reprendre ˆ
son compte lÕinterdit pr™n par Emp docle qui suppose une continuit en-
ti re entre lÕhomme et lÕanimal. Mais pour autant, nÕest-ce pas se donner
la t‰che facile que de refuser d nitivement tout concours de ce passage
8
P. Aubenque, La loi chez Aristote, p. 154.
9
Ibid., p. 155.
10
On trouve d jˆ une d fense de cette interpr tation par J.J. Mulhern, MIA
MONON KATA FUSIN H ARISTH (EN 1135a5), dans: Phronesis, 17, 1972, pp. 260-
268, mais cette d fense nÕest pas vraiment plausible sur le terrain proprement philologique,
car, comme chez P. Aubenque, les arguments avanc s rel vent en fait dÕune interpr -
tation philosophique pr alable Du reste, dans un article plus r cent o il revient rapi-
dement sur ce texte, P. Aubenque admet avoir renonc ˆ sa lecture distributive de pan-
taxoè (Cf. Aristote tait-il communautariste?, dans: En torno a Aristoteles. Homenaje
al Profesor Pierre Aubenque, Univ. de Santiago de Compostella, 1998, pp. 31-43;
p. 43, n. 15).
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 227
de la Rh torique, sous pr texte que cette oeuvre ne serait, au fond, quÕun
simple recueil de recettes destin es ˆ lÕorateur, sans r elle implication
philosophique de son auteur? En n, la derni re di cult est la plus impor-
tante: ce type dÕinterpr tation para”t oublier que dans notre texte de lÕEthique
ˆ Nicomaque, Aristote sÕoppose tr s explicitement aux sophistes qui nient
lÕexistence dÕun droit naturel ind pendant du droit positif:11 en interpr -
tant le droit naturel comme variant dÕune culture ˆ lÕautre, ne retombe-t-
on pas en e et dans une conception purement historiciste comme celle des
sophistes, quÕAristote rejette? P. Aubenque a dÕailleurs bien senti le prob-
l me puisquÕil reconna”t que le droit naturel doit tre une norme imma-
nente inspirant dans leur diversit la r alit des droits positifs .12 Mais est-
ce ˆ dire, comme lÕauteur le sugg re, que cette norme devrait tre propre
ˆ chaque culture particuli re? Il nÕest pas s r en e et quÕAristote aurait
soutenu une telle doctrine: lorsquÕau d but de lÕEthique ˆ Nicomaque, il
sÕinterroge sur la fonction de lÕhomme comme tel, ne recherche-t-il pas
quelque chose comme une norme inh rente ˆ la nature humaine comme
telle?
La seconde version de ce type dÕinterpr tation consiste surtout ˆ refuser
lÕid e que le droit naturel serait un ensemble de r gles g n rales servant
de r f rence aux r gles particuli res du droit positif. Pour Leo Strauss, le
droit naturel serait lÕensemble toujours ouvert, et donc toujours variable,
des d cisions justes concr tes prises selon les circonstances et les situa-
tions, alors que le droit positif serait lÕensemble des r gles indi rentes ˆ
11
Je parle de sophistes pour respecter le pluriel de notre texte (Cf. 1134 b 24:
¤nÛoiw). Mais ˆ qui Aristote songe-t-il exactement? Sans pouvoir en apporter de preuve
externe, je pense quÕAristote devait surtout avoir en vue Protagoras (¤nÛoiw signi ant
alors Protagoras et ses disciples), et en particulier un passage du Th t te de Platon,
o Socrate lui attribue cette id e: ÒCeux qui disent que la r alit est en translation
(ferom¡nh oésÛa), et que ce qui, ˆ chaque fois, semble ˆ chacun, cela est en e et pour
lui, ˆ qui cela semble, nous a rmions quÕils soutiennent sans r ticence cette th se en
bien dÕautres cas, mais surtout dans le domaine du juste: leur id e tant principale-
ment que, ce quÕune cit institue (y°tai) parce que cÕest ce qui lui a sembl , cÕest cela
qui est juste en e et pour celle qui lÕa institu, aussi longtemps que cÕest la loi tablie
(177 c-d-trad. M. Narcy). On remarquera trois parall les assez frappants entre le texte
de Platon et celui dÕAristote: la question du mouvement est ˆ la base du refus pro-
tagor en du droit naturel (ferom¡nh oésÛa chez Platon: kinhtñn chez Aristote); lÕutili-
sation du pluriel dans lÕattribution de ce refus (toçw l¡gontaw chez Platon: ¤nÛoiw chez
Aristote); la r duction du droit ou du juste ˆ la seule loi Ôinstitu eÕ (y°tai chez Platon:
yÇntai chez Aristote, 1134 b 21). Pour un rapprochement supplmentaire entre notre
texte de lÕEN et le Th t te, voir ma note 18.
12
Ibid., p. 156.
228 PIERRE DESTRƒE
Apr s avoir tr s rapidement expos ces di rentes interpr tations et leurs
di cult s, je dois maintenant tenter de pr senter une lecture qui per-
mette de prendre en compte tout ˆ la fois lÕessentielle variabilit du droit
naturel (contre le premier type dÕinterpr tation), et la tentative que fait ici
Aristote de sÕopposer au relativisme sophistique (contre le second type
dÕinterpr tation).
LÕintention dÕAristote, cÕest mon hypoth se de d part, est de r pondre
ˆ la sophistique: toutes les lois ne peuvent tre du m me type que les
d crets qui rel vent de d cisions humaines parfaitement arbitraires comme
le fait de sacri er tel ou tel nombre de ch vres ou de brebis pour tel ou
tel sacri ce (cf. 1134 b 21-24). Il doit y avoir, a rme Aristote, sinon des
lois, du moins quelque chose comme un ÔdroitÕ (Aristote dit le ÔjusteÕ) qui
est naturel, cÕest-ˆ-dire non arbitraire. Je pense que cÕest lˆ que se situe
la di rence entre le droit positif et le droit ÔnaturelÕ, sinon on ne com-
prendrait pas quÕAristote nÕh site pas ˆ appeler ces droits positifs des
13
Cf. Droit naturel et histoire, Paris, Plon, 1954, pp. 173 et ss.
14
Cf. Natural right and AristotleÕs understanding of justice, dans: Political Theory,
18, 1990, pp. 216-237.
15
Cf. R. Bod Ÿs, Deux propositions aristotliciennes sur le droit naturel chez les
continentaux dÕAm rique, dans: Revue de M taphysique et de Morale, 1989, pp. 369-
389; p. 388.
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 229
16
Il est vrai quÕAristote, en Rh t., I, 13, se contente de citer les vers 455 et 456 de
lÕAntigone de Sophocle o cette provenance divine nÕest pas explicitement dite, mais
cÕest ce quÕon peut lire aux vers pr c dents, 454-455: grapta ksfal° yeÇn nñmima.
17
Cf. surtout Politique, I, 2, 1252 b 34-1253 a 38: Aristote, il est vrai, dit seule-
ment, de mani re explicite, que les animaux nÕont pas de ÔsentimentÕ (aàsyhsiw ) du
juste et de lÕinjuste, car ils nÕont pas la parole. Mais dans la mesure o il ajoute que,
dÕune part, cÕest la communaut de tels ÔsentimentsÕ qui fait la famille et la cit , et
que, dÕautre part, ni lÕanimal sauvage ni le dieu ne vivent dans une cit , on peut en
conclure que cÕest la notion m me de justice en tant que valeur commune, partag e
par une cit , qui nÕa aucun sens dans le cas dÕun dieu. Cf. aussi EN, X, 8, 1178 b 10-
12: Quelles sortes dÕactions attribuer aux dieux? Serait-ce les actions justes? Mais ne
leur donnerons-nous pas un aspect ridicule en les faisant contracter des engagements,
restituer des d p™ts et autres choses semblables? .
230 PIERRE DESTRƒE
18
CÕest ce quÕon trouve tr s clairement a rm dans le Th t te, en 176 a-c: CÕest
pourquoi aussi il faut essayer de fuir dÕici lˆ-bas le plus vite possible. Et la fuite, cÕest
se rendre semblable ˆ un dieu, cÕest devenir juste et pieux. . . . Un dieu nÕest injuste
dÕaucune fa on sous aucun aspect, mais enti rement juste, au plus haut degr , et il nÕy
a rien qui lui soit plus semblable que celui dÕentre nous qui pourrait ˆ son tour devenir
le plus juste possible . LÕon pourrait peut-tre voir dans ces lignes a 28-30 de notre
texte de lÕEN, la r plique dÕAristote ˆ ce texte de Platon (cela con rmerait en tout cas
lÕhypoth se que jÕai propos e dans ma note 10).
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 231
de celui dÕun ph nom ne naturel comme le feu: pour le dire en un mot,
le droit, contrairement au feu, requiert notre interpr tation. Mais est-ce ˆ
dire alors que le droit devient le pur et simple fruit de notre d cision?
CÕest ici, me semble-t-il, que r side lÕoriginalit de la position aristot li-
cienne: il doit y avoir ce quÕon appelle traditionnellement un droit
ÔnaturelÕ dont la force est partout la m me et qui ne d pend pas de nos
d cisions, comme lÕest la force du bras droit; et pourtant, contrairement
au feu, ce droit est essentiellement variable dans la mesure o il est sujet
ˆ de multiples interpr tations. Comment comprendre plus pr cis ment cet
apparent paradoxe?
CÕest maintenant que nous devons rapprocher de notre texte le passage
d jˆ cit de la Rh torique. Comme je lÕai dit, les tenants de lÕinterpr ta-
tion de type historiciste refusent dÕaccorder un v ritable cr dit ˆ ce pas-
sage dans la mesure o Aristote ne ferait que rapporter une distinction
commun ment admise sans la faire sienne. Mais Aristote lui-m me nous
renvoie ˆ cette mani re courante de voir lorsquÕil crit, dans notre texte
de lÕEthique ˆ Nicomaque, que parmi les r gles de droit qui peuvent tre
autrement, on voit clairement quelle sorte de droit est par nature et quelle
sorte de droit ne lÕest pas mais est l gal et par convention, quoiquÕils va-
rient tous deux de pair dÕune mani re semblable (1134 b 30-33: poÝon d¢
fæsei tÇn ¤ndexom¡nvn kaÜ llvw ¦xein, kaÜ poÝon oë llŒ nomikòn kaÜ suny®kú,
eàper mfv kinhtŒ õmoÛvw, d°lon. KaÜ ¤pÜ tÇn llvn õ aétòw rmñsei di-
orismñw ktl.). Il nÕest pas anodin de noter que Joachim, suivi par Gauthier-
Jolif, a voulu modi er la ponctuation traditionnelle de ce passage; il
propose de placer un point dÕinterrogation apr s kinhtŒ õmoÛvw, et donc de
faire porter d°lon sur la proposition suivante, ce qui donne, dans la tra-
duction de Gauthier-Jolif: Parmi toutes ces r gles qui pourraient tre
autres quÕelles sont, lesquelles tiennent ˆ la nature des choses, lesquelles
nÕy tiennent pas mais sont seulement conventionnelles et le fruit dÕun
accord commun, si les unes et les autres sont de la m me fa on sujettes
au changement? Ce qui est bien clair, du moins, cÕest que la m me dis-
tinction est valable aussi dans les autres domaines . . . . Avec ce nouveau
d coupage, Joachim et Gauthier-Jolif veulent nous faire comprendre
quÕAristote ne sÕexplique pas justement pas clairement sur cette distinc-
tion entre un droit positif et un droit naturel, mais quÕil sÕen poserait bien
plut™t la question. 19 Le probl me cependant est quÕaucun commentateur
grec ancien ne fait cette lecture et que Gauthier-Jolif ont d subreptice-
19
Cf. H.H. Joachim, Aristotle, The Nicomachean Ethics, Oxford, 1951, p. 156;
Gauthier-Jolif, Aristote. LÕEthique ˆ Nicomaque, II, 2, p. 395.
232 PIERRE DESTRƒE
20
Il y a m me un passage dans la Politique o Aristote prend express ment le con-
trepied dÕEmp docle, en a rmant que la chasse, la consommation et lÕutilisation des
peaux et des os des animaux sont un mode ÔnaturelÕ dÕacquisition et rel vent dÕun
Ôdroit naturelÕ (Cf. I, 8, 1256 b 15-26).
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 233
21
On notera lÕinsistance dÕAristote qui se marque par lÕutilisation dÕune conjonc-
tion dÕopposition forte, ainsi que par lÕallit ration qui appuie davantage encore la mise
en vidence de lÕid e dÕunicit.
22
Cf. ˆ titre paradigmatique, P. Pellegrin, La ÔPolitiqueÕ dÕAristote: unit et frac-
tures. Eloge de la lecture sommaire, dans: Revue Philosophique de la France et de
lÕEtranger, 1987, pp. 129-159.
234 PIERRE DESTRƒE
23
Sur cette question, cf. P. Rodrigo, DÕune excellente constitution. Notes sur la
politeia chez Aristote, dans: Revue de Philosophie Ancienne, 5, 1987, pp. 71-93.
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 235
24
CÕest avec Simplicius (qui crit en paraphrase yeÝon, Cf. Comm. ad loc.) que je
traduis par divinit , plut™t que par dieu . Le ms. E porte dÕailleurs la correction
yeÇn qui sÕaccorderait en e et mieux au contexte.
25
Je reprends sur ce point lÕinterprtation de R. Bod Ÿs, dans: Aristote et la th olo-
gie des vivants immortels, Paris/Saint-Laurent, Les Belles Lettres/Bellarmin, 1992,
p. 218.
236 PIERRE DESTRƒE
26
Le texte de cette tude tait achev lorsque Richard Bod Ÿs mÕa fait parvenir
son dernier article (The Natural Foundation of Right and Aristotelian Philosophy, dans:
Action and Contemplation. Studies in the Moral and Political Thought of Aristotle, ed.
by R. Bertlett and S. Collins, SUNY Press, 1999, pp. 69-103), o il partage avec
Strauss et Yack lÕid e quÕon ne trouve pas, chez Aristote, la tentative de fonder le
droit positif par un droit naturel qui lui serait ant rieur. R. Bod Ÿs d fend essentielle-
ment deux th ses ˆ propos des textes que jÕai tudi s: dans notre passage de lÕEthique
ˆ Nicomaque, ÔnaturelÕ serait le quali catif qui conviendrait ˆ toute disposition de droit
positif permettant de r aliser le bien commun dÕune cit ayant tel ou tel r gime poli-
tique (ce qui implique quÕune disposition ÔnaturelleÕ puisse tre mauvaise si le r gime
est mauvais); dans le passage de la Rh torique, par contre, Aristote aurait seulement
en vue quelque chose comme un vague sentiment de ce que doit tre une r gle juste,
cÕest-ˆ-dire permettant de r aliser le bien dÕune cit . Mes deux point de divergence
portent moins sur le d tail des analyses (dont certaines vont dans le m me sens que
celles que jÕai proposes) que sur leur port e philosophique: dÕune part, il me semble
ARISTOTE ET LA QUESTION DU DROIT NATUREL 237
que si lÕon refuse de consid rer le droit ÔnaturelÕ comme constituant, sinon la fonda-
tion, du moins, comme je lÕai propos , le cadre du droit positif, on ne voit pas tr s
bien quel pourrait alors tre le lien entre ces deux types de droits (cf. lÕexpression cru-
ciale mfv kinhtŒ õmoÛvw sur laquelle R. B. a lui-m me, dans un article pr c dent (cf.
ma note 15), attir mon attention ); dÕautre part, en omettant de citer et de commenter
la derni re proposition de notre texte de lÕEN, R. B. sÕinterdit de voir quÕil doit y
avoir, pour sÕopposer ˆ la sophistique, quelque chose comme une Ô chelleÕ ou une gra-
dation possible de ce que jÕai appel des interpr tations di rentes de ce Ôvague sen-
timentÕ de tel ou tel droit ÔnaturelÕ.
238 PIERRE DESTRƒE
cas, mais chez nous autres hommes, m me sÕil existe un certain droit par nature,
cependant tout droit est variable: mais il y a bel et bien un droit qui est par nature et
un droit qui nÕest pas par nature.
Parmi les r gles de droit qui peuvent tre autrement (= qui sont variables), on voit
clairement quelle sorte de droit est par nature et quelle sorte de droit ne lÕest pas mais
est l gal et par convention, quoiquÕils varient tous deux de pair dÕune mani re sem-
blable (mfv kinhtŒ õmoÛvw). CÕest la m me distinction (= entre le droit naturel et le
droit positif ) qui sÕapplique dans dÕautres cas: en e et, dÕune part, le bras droit est
par nature plus fort, mais il est possible ˆ tout homme de devenir ambidextre, tandis
que, dÕautre part, les r gles de droit (l gal) qui d pendent dÕune convention et de lÕu-
tilit sont semblables ˆ des unit s de mesure: les mesures de vin ou de bl ne sont
pas partout gales, mais sont plus grandes dans le commerce en gros et plus petites
dans le commerce au d tail. De la m me mani re, les r gles de droit qui ne sont pas
naturelles mais humaines ne sont pas partout les m mes, puisque les r gimes poli-
tiques ne sont pas non plus (les m mes partout), mais il nÕy a quÕun seul (r gime poli-
tique) qui soit partout le meilleur. .