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Didon et Énée : une problématique de la sublimation

Author(s): Olga Moll


Source: Musurgia, Vol. 11, No. 3, Musique et pouvoir (2004), pp. 59-70
Published by: Editions ESKA
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40591343
Accessed: 10-02-2017 08:19 UTC

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Musurgia XI/3 (2004)

Didon et Énée :
une problématique de la sublimation

Olga Moll*

L'assujettissement de la musique au pouvoir durant une grande partie de notre


histoire musicale est indiscutable. Les anciens que nous admirons maintenant ont
tous été attachés à une puissance civile ou religieuse. C'est d'ailleurs grâce à cela que
nous avons aujourd'hui connaissance de leur existence. Seuls nous sont parvenus les
textes qui se sont écrits dans les lieux du pouvoir, et les pratiques exercées dans ces
mêmes lieux. On peut cependant supposer un ailleurs de la pratique musicale, fon-
damental, dont il ne nous reste rien, ou si peu. La berceuse chantée par la mère à l'en-
fant, la chanson fredonnée par l'homme à l'ouvrage, la danse de la noce de cam-
pagne. . . La musique existe dans toutes les sphères sociales mais aussi et surtout dans
le quotidien humain, probablement parce que nouée à une donnée physiologique : la
voix. La musique est un art où expression sociale et expression individuelle sont
inextricablement liées. Ce qui permet au compositeur d'insuffler l'émotion la plus
sincère et profonde dans une œuvre de commande. Les études d'ethnomusicologie et
de sociologie appliquée à la musique apportent bien sûr des outils conceptuels pour
la compréhension de ces phénomènes, mais une autre science humaine permet une
nouvelle approche : la psychanalyse.

Malaise dans la culture

Freud s'est intéressé non seulement à la pathologie et à son traitement, mais aussi
à ce qui la provoque, à son étiologie. Dans Malaise dans la culture1, il constate que

* Professeur agrégé, Docteur en Esthétique, Sciences et Technologies des Arts (Spécialité Musique),
enseigne à l'Université Paris 8.
1 Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, traduit de l'allemand par P. Cotet, R. Laine et J. Stute-
Cadiot, préface de Jacques André. Paris, PUF, 1998 (Collection Quadrige, 197).

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60 MUSURGIA

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2 Ibid. p. 26-27.
3 Ibid. p. 29.

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DIDON ET ÉNÉE : UNE PROBLÉMATIQUE DE LA SUBLIMATION 6 1

désir propre et le respect de la loi sociale, culturelle, dans laquelle il évolue. C'
exactement ce à quoi se trouve confronté le compositeur : mêler dans une productio
de commande la représentation du pouvoir qui l'emploie et son expression pers
nelle. Ce paradoxe est inhérent à la condition humaine. Constamment à la recher
du bonheur, le sujet doit composer avec la réalité extérieure par des activités
renonciation ou de transformation.

La magie, le génie, de l'humanité est que l'être humain arrive à modeler la


contrainte externe, à se l'approprier. Lorsqu'un artiste, un poète par exemple, crée
une œuvre d'art, il se plie à des lois : celles de la langue, du genre ; à un certain
contenu : un mythe, un sujet historique, par exemple. Ce qui fait le prix de l'œuvre
n'est pas le message transmis, mais la singularité de la mise en œuvre de ces élé-
ments imposés. C'est ce qui constitue la parole de l'artiste. La distinction saussu-
rienne établie en linguistique entre langue et parole est tout à fait pertinente appli-
quée aux productions artistiques. L'artiste comme le locuteur, utilise la syntaxe et les
signifiants communs4 pour l'expression d'un message propre. Cette parole, utilisa-
tion individuelle de la langue, a même le pouvoir de la transformer : le vocabulaire
d'une langue est en permanente évolution. Mais, pour ce qui concerne la musique,
dans la mesure où il s'agit d'un art qui ne manie ni représentations de mots, ni repré-
sentations d'images, peut-on vraiment parler de message ?

Ce sont certains concepts de la psychanalyse lacanienne qui permettent d'aller


plus loin. Jacques Lacan s'appuie sur les découvertes de la linguistique tout en les
développant dans un nouveau contexte. Il redéfinit la signification. Pour lui, elle
n'est jamais arrêtée sous un mot, mais diffuse dans l'ensemble d'un texte. L'atteindre
nécessite un acte d'interprétation. Un signifiant ne signifie rien, le signifiant n'a de
sens que de sa relation à un autre signifiant. En fin de compte la signification est
relative, il n'y a que des « effets de sens ». Dans l'analyse d'une scène â'Athalie il
démontre comment la forme du texte en fait tout l'intérêt :

Si nous analysions cette scène comme une partition musicale, nous verrions que c'est là
le point où viennent se nouer le signifié et le signifiant, entre la masse toujours flottante
des significations qui circulent réellement entre ces deux personnages, et le texte. C'est à
ce texte admirable, et non à sa signification, qu'Athalie doit de n'être pas une pièce de
boulevard5.

La référence à la musique ne peut nous laisser indifférents d'autant qu'aussi bien


Freud que Lacan se sont peu intéressés à ce champ artistique. La musique est pré-
sentée comme le modèle d'un art où c'est la relation qui prime. L'œuvre musicale est
fondamentalement cela, mise en forme d'un matériau qui, pour la période qui nous
occupe, relève d'un vocabulaire et d'une syntaxe fortement réglementés. Comme
pour Athalie, l'exception d'une œuvre musicale tient au traitement de ce matériau, à
la façon dont la phrase, le discours, harmonique, mélodique, rythmique, formel, va
se dérouler. Ce traitement est tout entier à l'initiative du compositeur. La musique est

4 Ce qui n'est plus le cas de la musique contemporaine.


5 Jacques Lacan, Le Séminaire. 3. Les Psychoses : 1955-1956. Paris, Seuil, 1981 , p. 303.

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Là encore, Freud considère cet affrontement comme inhérent à la cond


humaine. Dans Psychologie des foules et analyse du mot ' il met en valeur la di
sion désagrégeante, du point de vue de la société, de l'amour. Un couple a
tendance à s'isoler :

Plus [deux personnes] sont amoureuses, plus parfaitement elles se suffisent. Leur rejet de
l'influence de la foule s'exprime sous forme de pudeur. Les motions affectives extrême-
ment violentes de la jalousie sont mobilisées8.

Freud ajoute que certaines institutions, comme celle de l'Église par exemple, ont
banni le mariage pour cette raison :

L'Église catholique avait les meilleurs motifs pour recommander à ses fidèles de ne pas
se marier et pour imposer à ses prêtres le célibat, mais l'état amoureux a souvent poussé,
même des ecclésiastiques, à quitter l'Église9.

Pulsion et sublimation, amour et devoir recouvrent de fait les mêmes champs.


Cependant sublimation sociale et sublimation artistique ne sont pas totalement iden-
tiques. L'une relève de l'éthique, l'autre de l'esthétique. Le cadre de cet article ne
nous permet pas d'argumenter ce point de vue sur un plan théorique mais nous pro-
poserons ici nos conclusions. Le beau, ressort d'une certaine attitude vis-à-vis du
bien10. Le bien régit le besoin et protège de la mort, il a à voir avec le principe de réa-
lité. Freud a souligné dans Malaise dans la culture11 son caractère « pervers ». Il
semble appartenir au domaine du plaisir et s'articule au contraire par rapport à la Loi.
Le beau désigne au contraire la mort et nous parle du désir. Ce n'est pas le fait de
mourir qui est beau mais de montrer que dans l'affrontement bien - désir, l'enjeu
est la mort. Il est normal que le bien fasse obstacle à la mort, et le beau ne franchit
pas plus la barrière que le bien, cependant il désigne ce qui est au-delà. Il dévoile et
simultanément il dévie. V Au-delà du principe déplaisir n'est pas occulté, il est assu-
mé. L'art est paradoxal : au service du bien il soutient cependant la vérité du désir.

Didon et Énée : mise en scène d'une problématique de la sublimation

L'opéra de Purcell, Didon et Énée12, met en scène précisément deux héros enga-
gés l'un dans une conduite éthique, l'autre dans une conduite que nous qualifierons
d'esthétique. Le sujet tiré de V Enéide est suffisamment connu pour qu'il ne soit pas

7 Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, traduit de l'allemand, sous la responsabilité de André


Bourguignon, par J. Altounian, Paris, Payot, 1997. Contient : « Considérations actuelles sur la guerre et
sur la mort » ; « Au-delà du principe de plaisir » ; « Psychologie des foules et analyse du moi » ; « Le
moi et le ça ».
8 Ibid. p. 213.
9 Ibid. p. 214.
10 Lacan dans son séminaire sur l'éthique de la psychanalyse en fait la démonstration à partir de l'étu-
de de 1 'Antigone de Sophocle. Jacques Lacan : Le séminaire. 7. L'éthique de la psychanalyse : [1959-
1960], texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986.
11 Op. cit.
12 Un article d'Annie Labussière sur cette œuvre, et notamment sur le troisième acte, est déjà paru
dans ces pages : Annie Labussière, « Purcell : Didon et Énée, le troisième acte »,Musurgia 111/ 1 (1996).

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part? devons nous séparer ?

13 Concept qui a intéressé aussi bien Freud que Lacan.


14 Dans VÉnéide, livre V, les deux figures se superpose
et qui se fait la voix de Jupiter. Dans le livre IV, c'est M
15 C'est la fonction lacanienne du Nom-du-Père : « La se
c'est d'être un mythe, toujours et uniquement le Nom-du
comme Freud nous l'explique dans totem et tabou ». J
psychanalyse y op. cit., p. 357.
16 Purcell et son librettiste Nahum Täte.

17 Partition : Orion Music Reprints, 2003.


18 N° 37 : When I am laid in earth. . .

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DIDON ET ÉNÉE : UNE PROBLÉMATIQUE DE LA SUBLIMATION 65

La réponse de Didon est alors tout à fait singulière :


Thus on the fatal Banks of Nile, C'est ainsi que sur les rives fatales du Nil
Weeps the deceitful crocodile ; Soupire le crocodile trompeur ;
Thus hypocrites, that murder act, C'est ainsi que les hypocrites, qui
commettent un meurtre,
Make Heav yn and Gods the Authors Rendent les cieux et les dieux
of the Fact responsables de leurs actes.
Elle accuse Énée d'hypocrisie. Si Virgile fait référence, à c
perfidie, ce n'est pas parce qu'Énée s'abrite derrière la parole
qu'il n'a pas prévenu Didon des préparatifs de son départ19.
est présentée comme une fausse raison ! Didon pose un problèm
du libre arbitre. Ce qu'elle affirme, c'est que la possibilité d
faut en assumer la responsabilité. C'est en cela qu'il peut ê
Didon sait quel est son désir et l'assume jusqu'aux conséquen
Énée intervient brièvement : By all that's good. La traduction
traduit : « par tout ce qui est bon ». A notre sens c'est « par tou
conviendrait de le faire. Il est aussitôt interrompu par Didon qu
termes :

By all that's good, no more! Par tout ce qui est bon, taisez- vous!
All that's good you have forswore . Tout ce qui est bon, vous l'avez renié.
To your promis'd empire fly. À l'empire qui vous est promis, courez!
And let forsaken Dido die. Et laissez mourir Didon abandonnée.
Il est clair que le terme good ne recouvre pas la même signification pour chacun
d'eux. Ce que Didon accuse Énée de renier, c'est son désir. Elle ne met pas en doute
les sentiments qu'il ressent, mais s'offusque de ce qu'il ne s'y tienne pas : là est
encore l'hypocrisie. Du point de vue de Didon, les valeurs sociales, culturelles, son
trône, son peuple, ne suffisent pas à maintenir son désir de vivre. Didon tient un dis-
cours, vrai20, où le désir n'est pas masqué. La mort est son horizon. Énée par contre
est orienté vers le bien, il obéit aux dieux, à son père, à son devoir, à son destin. S'il
songe un instant à renoncer à voguer vers l'Italie ce n'est pas pour satisfaire la force
de son désir, mais pour préserver Didon de la mort. Énée cède à une menace, un
chantage. Ensuite lorsque Didon menace de mourir s'il reste, Énée quitte la scène
aussitôt, sans prononcer un mot.
Dido : Didon :
To Death I'll fly À la Mort je courrai
If longer you delay; Si vous tardez;
Away, away! . . . Partez , partez ! ...
( exit Aeneas) (Énée sort)

19 « Perfide, as-tu espéré aussi qu'il était possible de dissimuler / pare


sans un mot ? ». Enéide IV, 305-306.
20 Au sens lacanien.

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L'intransigea
pourquoi le r
No repentance shall reclaim Aucun repentir ne saurait redresser
The injur'd Dido's slighted flame, Le tort fait à la flamme de Didon offensée,
For 'tis enough, whatever you now decree. II suffit, quelque soit votre présent choix,
That you had once thought of leaving me. Que vous ayez une fois pensé me quitter.

Le chœur Great Minds (n° 35) révélera une autre interprétation. Mais auparavant
il faut commenter le parcours tonal du récitatif dont nous venons de préciser l'im-
portance significative. Outre le ton principal, différentes tonalités y sont abordées,
soit par emprunt, soit affirmées par des cadences. Elles sont chargées du poids
sémantique des situations dans lesquelles elles ont été originellement employées : ut
mineur, tonalité initiale de l'œuvre, est la tonalité des angoisses, des incertitudes
quant à l'avenir de l'amour que Didon porte à Énée ; ré mineur, dont la première
apparition soutient l'élaboration du plan des sorcières contre Didon21, revient en
accompagnement du déroulement effectif de ce plan lors de la scène du bosquet ; si',
majeur, tonalité liée aux apparitions chorales des sorcières, mais aussi à celles des
marins qui se trouvent ainsi, mis au service de ces dernières ; enfin fa majeur, tona-
lité la moins fréquente mais également liée aux sorcières et à l'élaboration de la
conspiration. Cependant sol mineur est réaffirmé régulièrement entre chacune des
couleurs tonales évoquées. Le matériau musical, lui aussi, affirme ainsi le point de
convergence final.

Par ailleurs les occurrences de sol mineur comme tonalité d'emprunt dans le par-
cours général de l'œuvre sont tout autant significatives. Elles constituent un balisa-
ge prémonitoire de l'action. La tonalité est présente dès le premier numéro {Scena
and chorus), utilisée non sans ironie puisqu'elle soutient les mots so should you :
Shake the cloud from off your brow, Chassez ce nuage de votre front,
Fate your wishes does allow; Le Destin favorise vos souhaits,
Empire growing, Pleasures flowing, Avec un Empire qui s'étend, avec
des Plaisirs qui affluent,
Fortune smiles and so should you. La Fortune vous sourit, souriez de même.

Didon doit déjà sourire... à la mort. Dans le même numéro, le chœur fait un
emprunt plus large encore : trois mesures conclues par une cadence.
Grief should ne 'er approach the fair. Les femmes belles ne devraient jamais
connaître la peine.

Dans l'air Ah Belinda (n° 2), le ground est énoncé deux fois en sol mineur sur les
mots :

/ languish till my grief is known. Je languirai tant que ma peine ne sera pas connue.

21 Grâce à la préparation d'un philtre, un orage devra interrompre la chasse et isoler les amants (nos 19
et 20).

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Dans les récitatifs suivants les emprunts soulignent les vers :

Trojan guest into your tender thoughts Notre hôte troyen s'est imposé à vos
has prest. douces pensées22.
A tale so strong and full of woe Un récit si long
Might melt the rocks as well as you. Pourrait faire
vous23.

Pour une nouvelle apparition de sol il faut ensuite a


and the vales (n° 11) sur le vers :

To the musical groves and the cool Aux bocages


shady fountains fontaines ombragées

Ici c'est le lieu où l'intervention des sorcières doit se produire


tonalité occupe, logiquement, une place importante dans le récit
set of sun ? (« Ruinée avant le coucher du soleil ? », n° 17). La so
plan. Dans le ground Oft she visits this lov'd mountain (n° 24) la to
ment abordée sur des termes qui se précisent :

Here Actaeon met his fate C'est ici qu'Actéon a rencontré son destin

Puis le récitatif qui suit fait un emprunt encore plus passager pour une allusion à
la dimension exceptionnelle des crocs de la bête qu'Enée vient de chasser. Cette
comparaison présente Énée comme une menace potentielle. Il est capable de venir à
bout de monstres bien plus dangereux que les chiens qui ont dévoré Actéon.

Dans le n° 28, l'hypocrisie qui sera reprochée à Énée plus tard est dévoilée sans
vergogne par le marin :

Take a bowsey short leave of your Buvez et prenez vite congé de vos nymphes
nymphs on the shore, sur le rivage,
And silence their mourning Et faites taire leurs lamentations
With vows of returning En leur jurant de revenir
But never intending to visit them more. Mais sans avoir l'intention de les revoir
jamais.

Effleuré sur le début du premier vers, c'est sur le dernier que sol mineur s'affir-
me, marquée par ailleurs par une cadence. L'hypocrisie est confirmée dans le récita-
tif (n° 30) sur le mot deluding (« trompeur ») par une fugitive dominante d'emprunt.
Enfin, dans la danse des sorcières (n° 32), qui précède le récitatif que nous avons lon-
guement commenté, la seconde partie du cadre binaire donne une large place à sol
mineur.

La poursuite de l'itinéraire de la tonalité fatale tout au long de l'œuvre dégage


ainsi un second niveau sémantique, caché. Si l'on sait quel est le destin auquel sont
promis les héros, on ne sait pas quel est le sens que les auteurs lui accordent. Par
exemple le sens apparent des vers « Le Destin favorise vos souhaits [...] la Fortune

22 Récitatif n° 3.
23 Récitatif n° 5.

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vous sourit, so
caché, révélé p
avions signalé
réplique qui pré
tous, le destin
que le résultat
est souhaitée.

L'autre effet de signification anticipé et qui constitue une interprétation person-


nelle des auteurs, concerne l'accusation d'hypocrisie. On ne prend pas garde aux
propos des marins, mais la tonalité de sol qui les soutient est révélatrice. Le men-
songe avoué des marins éclaire d'un jour peu favorable les assurances formulées par
Énée ! De plus cette tonalité laisse entendre que ce n'est pas simplement l'abandon
qui est destructeur, mais aussi, ou peut-être surtout (?), le mensonge.

Il est temps maintenant de revenir au chœur Great Minds dont nous avons dit
qu'il apportait un éclairage original sur l'intransigeance de Didon.
Great minds against themselves conspire, Les grands esprits conspirent contre eux-
mêmes
And shun the cure they most desire. Et fuient le remède si ardemment désiré.

Ce qui est souligné ici est la dimension intérieure du conflit. Il semble que ce soit
le sujet lui-même qui se voue au malheur24. Ce chœur occupe une place stratégique
dans le déroulement musical de ce dernier acte. Sa construction globale est modu-
lante : une première phrase d'écriture homophonique débute en si'> majeur puis
bifurque brusquement vers sol mineur pour la cadence (Great minds against them-
selves conspire). La seconde phrase {And shun the cure they most desire) en imita-
tions, est entièrement en sol mineur. Ces oppositions internes illustrent magnifique-
ment le conflit dont il est question et le mouvement de bascule en direction du
dénouement pour lequel une explication est formulée : Didon a fui le remède de
l'amour qui a été un moment à sa portée.
Ce chœur fait ainsi lien avec le début de l'œuvre. La mort acceptée, désirée, que
l'analyse tonale a suggéré, est maintenant constatée par ce chœur, en position de
commentateur, dans la tradition de la tragédie antique. Il délivre la morale de l'his-
toire. La sérénité poignante de l'air de la mort de Didon prend ainsi tout son sens. Le
dernier vers du récitatif25 qui le précède26 l'annonce :
Death is now a welcome guest. La mort est maintenant la bienvenue.

Pas d'effusion lyrique, pas de désespoir.


A partir du cas particulier de cette œuvre de Purcell, nous avons vu se dessiner
deux discours : l'un apparent, l'autre caché. Le discours apparent, conforme au texte
de Virgile, met en scène la traditionnelle confrontation de l'amour et du devoir. Il

24 Freud épingle ce comportement sous le terme de compulsion de répétition.


25 Bien sûr en sol mineur.
26 Récit n° 36.

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DIDON ET ÉNÉE : UNE PROBLÉMATIQUE DE LA SUBLIMATION 69

s'agit d'une représentation du conflit psychique fondamental qui oppose désir et cu


ture, pulsion et civilisation. Énée qui se soumet à une loi supérieure privilégia
devoir, est promis à un avenir glorieux. Didon qui s'entête dans sa quête du d
pourtant à la tête d'un royaume, perd jusqu'à la vie. Les enjeux sont nettement pos
Dans une attitude éthique le héros fait le choix de la civilisation, il part fonder Ro
Alors la mort qui attend Didon, est-elle le châtiment réservé à ceux qui s'obstinent
poursuivre leur désir ? Du point de vue du pouvoir c'est probablement d'une mise
garde qu'il s'agit. Œuvre de commande, destinée croit-on à un public déjeunes f
elle leur présente une incitation à se soumettre à ce qui fait Loi. Dans la versio
Virgile, écouter les raisons du cœur conduit Didon à la limite d'une folie haine
elle maudit celui qu'elle a aimé, elle appelle la vengeance sur lui et sa descenda
et finit par se donner la mort. Didon pense d'ailleurs avoir mérité son sort27. La d
cialisation de l'être aimant est totalement mise en scène.

Le discours caché est celui de Täte et de Purcell. Si l'on ne sait quelle part le
musicien a prise dans l'élaboration du livret, la façon dont il le met en musique est
éloquente. Purcell nous propose ainsi sa propre lecture. Et il dégage dans ce texte,
au-delà de la problématique fondamentale de la sublimation, posée par Virgile, une
autre problématique, encore plus souterraine, pour laquelle la mort n'apparaît plus
comme un châtiment, infligé à ceux qui ignorent les voies de l'éthique. La mort n'est
plus ce qu'il faut éviter absolument. Elle peut même être désirée lorsque la vérité du
désir ne peut être assumée.

L'important n'est pas que le désir soit satisfait, mais qu'il soit assumé. Ce qui tue
Didon n'est pas à proprement parler le départ de l'être aimé, mais l'inconsistance de
sa parole. Les revirements de la décision d'Énée en sont un bel exemple. Les dieux
lui ordonnent de partir : il obéit ; Didon le menace de sa mort s'il part : il reste ;
Didon le menace de sa mort s'il reste : il part... Énée ne suit pas son désir propre,
mais réagit aux circonstances en fonction du bien. Didon au contraire ne varie pas,
quoi qu'il lui en coûte. C'est là que réside la beauté tragique de son destin. Encore
une fois ce n'est pas la mort en tant que telle qui est belle, mais que le désir soit assu-
mé jusqu'à cette dernière limite qui en est l'horizon.
Ce discours de vérité ne peut être tenu à partir de la Loi, puisque la Loi sert le
bien. Mais il l'est, dans l'amour véritable, celui dont est capable Didon, et dans l'art !
L'art réalise ce paradoxe : il est porteur d'un message, qui est pour la période qui
nous intéresse celui de la représentation du pouvoir, et est simultanément, porteur
d'une signification, qui est celle du désir. La particularité du matériau musical, libé-
ré de toute attache significative permet une articulation libre du signifiant littéraire.
Sans lui enlever son sens apparent, il peut faire apparaître des effets de sens, cachés28.
C'est ce que nous avons tenté de démontrer au travers de l'analyse d'un élément
(parmi d'autres) du matériau musical : le traitement de la tonalité.

27 « Non, meurs plutôt comme tu l'as mérité, et mets fin à ta souffrance par le fer. [. . .] Il ne m'a pas
été donné de vivre irréprochable... ». Enéide IV, 547-553.
28 Peut être même à son auteur.

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Si la sublimat
profit du bien
mation éthiqu
le mensonge

Il nous semb
remet la Loi d
toutes façons
psychanalyse
l'efficacité th
est reconnu p
le prix de l'ar
prime : la Lo
reconnaissance.

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