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N O U V E L L E R E V U E D E P S Y C H A N A LY S E

Revue publiée avec la collaboration de l’Association psychanalytique de France. Paraît deux fois l’an, au
printemps et à l’automne, aux Éditions Gallimard.

Directeur : j . - B . P O N T A L I S .
Comité de rédaction : D I D I E R ANZIEU, FRANÇOIS GANTHERET, ANDRÉ
G R E E N , J . - B . P O N T A L I S , J E A N P O U I L L O N , G U Y R O S O L AT O , V I C T O R S M I R N O F F , J E A N
S TA R O B I N S K I .

Corédacteur étranger : MASUD R. KHAN.

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Narcisses

N O U V E L L E R E V U E D E P S Y C H A N A LY S E
Numéro 13, printemps 1976.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour
tous les pays.
© Éditions Gallimard, 1976.
TABLE

Rainer Maria Rilke Narcisse. 5

Guy Rosolato Le narcissisme. 1


André Green Un, Autre, Neutre : valeurs narcissiques du Même. 37
Pierre Hadot Le mythe de Narcisse et son interprétation par Plotin. 81
Hubert Damisch D’un Narcisse l’autre. 109
Heinz Lichtenstein Le rôle du narcissisme dans l’émergence et le maintien d’une
identité primaire. 147
Didier Anzieu L’enveloppe sonore du Soi. 161
Otto Kernberg Narcissisme normal et narcissisme pathologique. 181
* Herbert Rosenfeld Les aspects agressifs du narcissisme. 205
Colette Chiland Narcisse ou le meilleur des mondes possibles. 223
Ronald M. Benson « Quand les amis se volatilisent » :
et David B. Pryor À propos de la fonction du compagnon imaginaire. 237
Clifford Scott L’auto-envie. 253
M. Masud R. Khan Entre l’idole et l’idéal. 259
Pierre Bourdier Handicap physique, préjudice, exception. 265
Olivier Flournoy Entre Narcisse et Œdipe. Une image-écran ou un souvenir-
écran. 281
Joyce McDougall Narcisse en quête d’une source. 293
Rainer Maria Rilke Narcisse. 313
Herbert Rosenfeld

LES ASPE CT S AGRE S SIFS D U NARCIS SISME


U N ABORD CLINIQUE DE LA THÉORIE DES INSTINCTS DE VIE ET DE MORT *

Avec l’introduction par Freud de sa théorie dualiste des instincts de vie et de


mort s’est ouverte en 1920 une ère nouvelle dans le développement de la
psychanalyse, qui a progressivement amené une compréhension plus profonde
des phénomènes agressifs dans la vie mentale. Beaucoup d’analystes firent des
objections à la théorie de l’instinct de mort et furent tentés de la laisser de côté
comme purement spéculative et théorique; cependant d’autres en reconnurent
bientôt l’importance clinique fondamentale.
Freud insiste sur la manière silencieuse dont l’instinct de mort amène le
sujet vers la mort et ne se présente comme une pulsion destructrice dirigée
contre les objets du monde extérieur qu’à travers l’activité de l’instinct de vie,
par laquelle cette force pareille à la mort est projetée à l’extérieur. En général
les instincts de vie et de mort sont mélangés ou unis à un degré variable, et
Freud a toujours écrit que les instincts, c’est-à-dire les instincts de vie et de
mort, « ne se présentent pratiquement jamais à l’ “état pur” ». Bien que des états
de sévère désunion pulsionnelle ressemblent bel et bien à la description que fait
Freud de l’instinct de mort non encore fusionné — par exemple un désir de
mourir ou de se replier dans un état de néant —, un examen clinique détaillé
montre que l’instinct de mort ne peut être observé dans sa forme originale, car il
se manifeste toujours comme un processus destructif dirigé contre les objets et
le soi. Il semble que les formes les plus virulentes de ces processus se
rencontrent dans les états narcissiques graves.
J’essaierai donc dans cet article d’éclairer particulièrement les aspects
destruc-

* Titre original : A clinical approach to the psychoanalytic theory of the Life and Death
instincts : an investigation into the agressive aspects of Narcissism.
Communication donnée au XXVIIe Congrès de l’Association psychanalytique internationale
(Vienne, 1971). Publiée dans Y International Journal of Psycho-Analysis, 52, n° 2, 1971.
206 NARCISSES

tifs du narcissisme et de les rattacher à la théorie freudienne de l’union et de la


désunion des instincts de vie et de mort.
Dans les écrits de Freud qui ont suivi l’approche plus spéculative d’ « Au-
delà du principe de plaisir », il devient clair que la théorie des instincts de vie et
de mort lui sert à expliquer de nombreux phénomènes cliniques. Par exemple,
dans « Le problème économique du masochisme » (1924), il écrit :
Le masochisme moral devient ainsi le témoin classique de l’union
pulsionnelle. Son caractère dangereux provient du fait qu’il a son origine dans la
pulsion de mort, qu’il correspond à la partie de celle-ci qui a évité d’être tournée
vers l’extérieur sous forme de destruction.
Dans les Nouvelles Conférences (1933), il discute l’union d’Éros et de
l’agressivité et s’efforce d’encourager les analystes à utiliser cette théorie
cliniquement. Il écrit :
Cette hypothèse ouvre une voie de recherche qui peut être un jour d’une
grande importance pour notre compréhension des processus pathologiques, car
les unions peuvent être défaites et on peut s’attendre que de telles désunions des
instincts aient les plus graves conséquences quant à un fonctionnement adéquat.
Mais ce point de vue est encore trop nouveau. Personne jusqu’à présent n’a tenté
d’en faire un usage pratique.
Quatre ans plus tard seulement, dans « Analyse terminée et analyse
interminable » (1937), Freud revient à l’application clinique de sa théorie de
l’instinct de mort pour la compréhension des résistances les plus profondes au
traitement analytique. Il écrit :
Ici nous en arrivons aux bornes de ce que la recherche psychologique peut
nous apprendre : le comportement des deux pulsions primaires, leur distribution,
leur mélange et leur désunion [...]. Les résistances dans le travail analytique ne
donnent aucune impression plus forte que celle d’être une force se défendant par
tous les moyens possibles contre la guérison et absolument résolue à s’accrocher
à la maladie et à la souffrance.
Il relie ceci à la théorie de la réaction thérapeutique négative, qu’il vient de
rattacher au sentiment inconscient de culpabilité et au besoin de punition,
ajoutant maintenant :
Ces phénomènes constituent un témoignage irréfutable de la présence dans la
vie psychique d’une force que nous appelons, d’après les buts qu’elle poursuit,
pulsion d’agression ou de destruction, et qui, à ce que nous croyons, découle de
la
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 207

pulsion de mort inhérente à la matière vivante... Les actions communes et


antagonistes des deux pulsions primivites — l’Éros et la pulsion de mort —
peuvent seules expliquer la diversité des phénomènes de la vie, jamais une seule
de ces actions seulement.
Plus loin, dans le même article, il propose qu’on puisse examiner toutes les
circonstances du conflit psychique du point de vue de la lutte entre les pulsions
libidinales et destructrices.
En discutant l’approche psychanalytique des névroses narcissiques en 1916,
Freud avait insisté sur le mur impénétrable auquel il s’était heurté. Cependant
quand, en 1937, il décrit les résistances les plus profondément situées
auxquelles se heurte le traitement psychanalytique, il ne rattache pas
explicitement les résistances des états narcissiques aux résistances par inertie
psychique et aux réactions thérapeutiques négatives, qu’il a attribuées à la
pulsion de mort. Une des principales raisons de cette omission peut être que
toute la théorie de Freud du narcissisme primaire a tout d’abord été fondée sur
l’idée que la libido est d’abord dirigée vers le soi et que le narcissisme
secondaire est dû à un retrait de la libido de l’objet sur le soi. C’est seulement
après avoir clarifié ses idées sur le principe de plaisir et le principe de réalité en
1913, et mis ces idées en relation avec l’amour et la haine dans « Pulsion et
destin des pulsions » (1915), qu’il commence à sentir qu’il doit y avoir un lien
important entre un stade de narcissisme source de plaisir et la haine ou la
destruction dirigée contre l’objet quand celui-ci commence à se heurter au sujet.
Par exemple, en 1915, il note :
Avec l’entrée de l’objet dans le stade du narcissisme primaire, on parvient
aussi à la formation du deuxième sens opposé à aimer : haïr.
Dans le même article, il insiste sur l’importance primaire de l’agressivité :
La haine en tant que relation à l’objet est plus ancienne que l’amour; elle
provient du refus originaire que le moi narcissique oppose au monde extérieur
qui prodigue les excitations.
On peut situer en quelque sorte dans la même ligne de pensée la conception
freudienne du principe de nirvâna : un repli ou une régression au narcissisme
primaire sous la domination de l’instinct de mort — où la paix, l’état inanimé et
l’abandon à la mort deviennent équivalents.
Hartmann et coll. (1949) semblent comprendre de la même manière les
idées de Freud sur les relations de l’agressivité et du narcissisme :
Freud avait l’habitude de comparer la relation entre narcissisme et amour
d’objet à celle existant entre autodestruction et destruction de l’objet. Cette ana-
208 NARCISSES

logie pourrait avoir contribué à lui faire poser l’autodestruction comme la forme
primaire de l’agressivité par analogie avec le narcissisme primaire.
Il ressort de tout ceci que Freud doit avoir bien perçu la relation manifeste
qui existe entre le narcissisme, le repli narcissique et l’instinct de mort; mais il
ne l’a pas élaborée dans tous ses détails théoriquement ni cliniquement. Comme
je le montrerai plus loin, je pense que ces articulations sont d’une signification
clinique considérable.
Pour en revenir maintenant à la question du transfert caché, c’est-à-dire des
résistances cliniques que Freud (1937) rattachait à l’opposition silencieuse de
l’instinct de mort, il importe de se rendre compte qu’il ne pensait pas que ces
résistances pouvaient être traitées avec succès par l’analyse : il croyait, semble-
t-il, que l’agression silencieuse et dissimulée de l’instinct de mort ne pouvait
être analysée, sauf si elle surgissait sous la forme d’un transfert négatif franc, et
que les interprétations ne pouvaient rien faire d’autre que l’« activer ».
Abraham alla beaucoup plus loin que Freud dans l’étude du transfert négatif
camouflé en éclaircissant la nature des pulsions destructrices qu’il rencontrait
dans son travail clinique avec les patients narcissiques. Il est frappé chez les
patients narcissiques psychotiques par leur supériorité hautaine et leur distance,
et il interprète leur attitude négative et agressive dans le transfert. Dès 1919, il
apporte sa contribution à l’analyse du transfert négatif caché en décrivant une
forme particulière de résistance névrotique à la méthode analytique. Il a
découvert chez ces patients un narcissisme très marqué et insisté sur l’hostilité
et la méfiance cachées derrière une apparente ardeur à coopérer. Il décrit
comment l’attitude narcissique se répète dans le transfert et comment ces
patients déprécient et dévaluent l’analyste en ne lui concédant qu’à contrecœur
le rôle analytique du père. Ils renversent la position du patient et de l’analyste
pour montrer leur supériorité sur celui-ci. Abraham souligne que l’élément
d’envie est indiscutable dans le comportement de ces patients; il relie ainsi
cliniquement et théoriquement narcissisme et agressivité. Il faut noter pourtant
qu’Abraham n’a jamais cherché à lier ses découvertes à la théorie freudienne
des instincts de vie et de mort.
Reich n’accepte pas la théorie freudienne de l’instinct de mort. Cependant,
il apporte des contributions fondamentales à l’analyse du narcissisme et du
transfert négatif latent. Il affirme aussi, contrairement à Freud, que les attitudes
narcissiques et les conflits latents du patient, y compris les sentiments négatifs,
peuvent être activés et amenés à la surface dans l’analyse, puis perlaborés. Il
pense que :
dans tous les cas sans exception les patients commencent l’analyse avec une
attitude plus ou moins explicite de méfiance et de critique qui, en règle générale,
reste cachée.
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 209

Pour lui, l’analyste doit constamment faire ressortir ce qui est caché et ne
pas se laisser abuser par un apparent transfert positif. Reich étudie en détail
l’armure caractérielle dans laquelle la défense narcissique trouve concrètement
son expression chronique. En décrivant les patients narcissiques, il insiste sur
leur attitude hautaine, ironique et envieuse, comme sur leur comportement
méprisant. Un patient sans cesse préoccupé par des idées de mort se plaignait à
chaque séance de ce que l’analyse ne l’atteignait pas et lui était complètement
inutile. Ce patient reconnaissait aussi son envie illimitée, non pas de l’analyste,
mais de tous les autres hommes, vis-à-vis de qui il se sentait inférieur. Peu à
peu, Reich se rendit compte du triomphe de son patient sur lui-même et put le
lui montrer, ainsi que ses efforts pour que l’analyste se sente inutile, inférieur et
impuissant, de sorte qu’il ne puisse rien réussir. Le patient put alors reconnaître
qu’il ne pouvait supporter la supériorité de quiconque et qu’il essayait toujours
d’abaisser les gens. Reich constate :
Telle était l’agressivité réprimée du patient, dont la manifestation la plus
extrême jusqu’alors avait été les souhaits de mort.
Les découvertes de Reich articulant l’agressivité latente, l’envie et le
narcissisme ont beaucoup de points communs avec la description donnée par
Abraham en 1919 de la résistance narcissique.
Parmi les nombreux analystes qui ont accepté la théorie freudienne de
l’interaction entre les instincts de vie et de mort, l’apport de Melanie Klein
mérite une considération particulière, car son œuvre est essentiellement fondée,
tant du point de vue théorique que clinique, sur cette hypothèse. On lui doit
aussi d’importantes contributions à l’analyse du transfert négatif. Melanie Klein
a découvert que l’envie, en particulier dans ses formes clivées, joue un rôle
majeur dans le développement de l’attitude négative chronique au cours de
l’analyse, y compris dans les « réactions thérapeutiques négatives ». Elle a
décrit les mécanismes infantiles précoces du clivage de l’objet et du moi, qui
permettent au moi infantile de maintenir séparés l’amour et la haine. Dans ses
travaux sur le narcissisme, elle insiste plus sur les aspects libidinaux et propose
de considérer le narcissisme comme un phénomène secondaire, fondé sur une
relation avec un objet interne bon ou idéal, qui, fantasmatiquement, forme une
partie aimée du corps et du soi. Elle pense que, dans les états narcissiques, il se
produit un repli à partir des relations externes vers une identification à un objet
interne idéalisé.
En 1958, Melanie Klein écrit qu’elle a observé dans son travail analytique
avec les jeunes enfants une lutte permanente entre une impulsion irrépressible à
détruire leurs objets et un désir de les préserver. Elle pense que la découverte
par Freud des instincts de vie et de mort est un immense progrès pour la
compréhension de cette lutte. Elle croit que l’angoisse naît de
210 NARCISSES

l’action de l’instinct de mort au sein de l’organisme, et qu’elle est vécue


comme une peur d’annihilation.
Pour se défendre contre cette angoisse, le moi primitif a recours à deux
processus :
Une partie de l’instinct de mort est projetée à l’intérieur de l’objet
externe qui devient ainsi persécuteur, tandis que la partie de l’instinct de
mort restée contenue dans le moi dirige son agressivité contre l’objet
persécuteur.
L’instinct de vie est aussi projeté à l’intérieur des objets externes, qui sont
alors vécus comme pleins d’amour et idéalisés. Elle insiste sur le fait qu’il est
inhérent au premier développement que les objets idéalisés et les mauvais objets
persécuteurs soient clivés et maintenus totalement séparés, ce qui impliquerait
que les instincts de vie et de mort soient alors maintenus dans un état de
désunion. En même temps que le clivage des objets se produit le clivage du soi
en bonnes et mauvaises parties. Ces processus de clivage du moi maintiennent
également les instincts dans un état de désunion. Un autre processus primaire,
l’introjection, commence presque en même temps que la projection,
en grande partie au service de l’instinct de vie : elle [l’introjection] combat
l’instinct de mort dans la mesure où elle amène le moi à prendre quelque chose
en lui qui lui donne la vie (avant tout la nourriture) et ainsi elle s’assujettit
l’instinct de mort à l’œuvre à l’intérieur. Ce processus est essentiel en ce qu’il
inaugure l’union des instincts de vie et de mort.
Les processus de clivage de l’objet et du soi, et donc les états de désunion
des instincts, ont leur origine dans la prime enfance, à cette phase que Melanie
Klein décrit comme la « position schizoïde-paranoïde ». On peut donc
s’attendre à rencontrer les états les plus complets de désunion des instincts dans
ces conditions cliniques où prédominent les mécanismes schizoïdes paranoïdes.
Les patients peuvent n’avoir jamais complètement dépassé cette phase précoce
du développement ou y avoir régressé. Melanie Klein souligne que les
mécanismes et les relations d’objets infantiles précoces se rééditent dans le
transfert, de même que le processus de clivage de la personnalité et des objets,
qui favorise la désunion des instincts. Celle-ci peut donc être étudiée et
modifiée dans l’analyse. Elle insiste également sur le fait que c’est par l’étude
de ces processus précoces dans le transfert qu’elle a acquis la conviction que
l’analyse du transfert négatif était une précondition de l’analyse des couches
profondes du psychisme. En particulier, en étudiant les aspects négatifs du
transfert infantile précoce, elle a rencontré l’envie primitive, qu’elle considère
comme un dérivé direct de l’instinct de mort. Melanie Klein pense
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 211

que l’envie apparaît, dans la relation de l’enfant à sa mère, comme une force hostile,
opposée à la vie, et particulièrement dirigée contre la mère bonne qui nourrit car elle
est non seulement nécessaire à l’enfant, mais source d’envie pour lui parce qu’elle
contient tout ce qu’il veut posséder lui-même. Dans le transfert, cela se manifeste
dans le besoin du patient de dévaluer le travail analytique alors même qu’il y a trouvé
une aide. Il semble que l’envie représente une énergie destructrice presque
complètement désunie qui est particulièrement insupportable pour le moi infantile, et
que tôt dans la vie elle commence à être clivée et écartée du reste du moi. Melanie
Klein insiste sur l’absence fréquente d’expression de l’envie inconsciente dans
l’analyse, ce qui ne l’empêche pas d’exercer une influence puissante et perturbante et
d’empêcher l’analyse de progresser; finalement, celle-ci ne peut être efficace que si le
travail analytique réussit à intégrer l’envie à l’ensemble de la personnalité. Autrement
dit, la désunion des instincts doit progressivement se changer en union dans toute
analyse réussie.
La théorie freudienne de l’union et de la désunion des instincts de vie et de mort
semble capitale pour la compréhension des processus où la destruction est
désintriquée.
Hartmann et coll. soulignent (1949) « qu’on sait peu de chose de l’union et de la
désunion de l’agressivité et de la libido ». Hartmann lui-même se centre sur l’étude
de la fonction de l’énergie libidinale et agressive neutralisée, ce qui est probablement
un aspect de l’union normale des instincts de base. Il insiste aussi sur l’importance de
la déneutralisation de la libido et de l’agressivité dans les états psychotiques comme
la schizophrénie et indique qu’il se peut que désunion et déneutralisation soient
articulées entre elles (1953).
Freud a proposé l’idée que la désunion des instincts devient manifeste
cliniquement quand surviennent des régressions aux phases les plus précoces du
développement.
J’ai essayé d’éclaircir l’origine des processus de désunion et d’union des instincts
en les rattachant à la théorie kleinienne du processus de clivage des objets et du moi.
Ce clivage est un mécanisme de défense normal au début de la vie, qui a pour but de
protéger le soi et l’objet du danger d’annihilation par les pulsions destructrices
dérivées de l’instinct de mort. Cela peut expliquer pourquoi la désunion des instincts
joue un rôle important dans la psychopathologie des patients narcissiques, et
pourquoi les pulsions destructrices désunies peuvent s’observer directement chez des
patients sortant d’états narcissiques.
Pour cette raison, je me centrerai sur l’examen des aspects libidinaux et
destructifs du narcissisme et j’essaierai d’éclairer par mon matériel clinique comment
surviennent certaines désunions instinctuelles sévères et d’indiquer les facteurs qui
contribuent aux unions normale et pathologique.
J’ai introduit le concept de fusion pathologique à propos de ces processus dans
212 NARCISSES

lesquels la puissance des pulsions destructrices est grandement renforcée au sein du


mélange des deux pulsions, tandis que dans la fusion normale l’énergie destructrice
est tempérée ou neutralisée.
Pour montrer comment des obstacles tels que la réaction thérapeutique négative
ou des résistances chroniques sont créés à l’analyse par l’agressivité désintriquée,
clivée et mise à distance, je terminerai en présentant le matériel d’un cas.

Dans mon précédent travail sur le narcissisme (1964), j’avais mis l’accent sur
l’identification projective et introjective de la personnalité et de l’objet (fusion de la
personnalité et de l’objet). Dans les états narcissiques, elle fonctionne comme une
défense contre toute reconnaissance d’une séparation entre la personnalité et les
objets. La prise de conscience de la séparation conduit immédiatement à des
sentiments de dépendance vis-à-vis de l’objet et donc à d’inévitables frustrations.
Cependant, la dépendance stimule aussi l’envie, quand le caractère « bon » (the
goodness) de l’objet est reconnu. L’agressivité envers l’objet semble donc inévitable
si la position narcissique est abandonnée, et il semble que la force et la persistance
des relations d’objet omnipotentes soient étroitement en rapport avec la force des
pulsions destructrices envieuses.
Pour une étude plus détaillée du narcissisme, il me semble essentiel de
différencier les aspects libidinaux et destructifs du narcissisme. Si l’on considère le
narcissisme au point de vue libidinal, on peut voir que la surestimation de soi joue un
rôle central, fondé principalement sur l’idéalisation. Celle-ci est maintenue grâce à
des identifications omnipotentes, introjectives et projectives aux bons objets et à leurs
qualités. De cette manière, le sujet narcissique sent que tout ce qui a de la valeur dans
les objets externes et le monde extérieur fait partie de lui ou est placé sous son
contrôle omnipotent.
De même, en ce qui concerne les aspects destructifs du narcissisme, on remarque
à nouveau que l’idéalisation de soi joue un rôle central, mais il s’agit maintenant de
l’idéalisation des parties destructrices omnipotentes. Dans les deux cas, ce sont les
relations d’objet libidinales positives qui sont visées, ainsi que ces parties libidinales
du soi qui peuvent vivre le besoin d’un objet et un désir de dépendance. Les parties
destructrices omnipotentes de la personnalité restent souvent déguisées, ou peuvent
être silencieuses, clivées et mises à distance, ce qui dissimule leur existence et donne
l’impression qu’elles n’ont aucune relation avec le monde extérieur. En réalité, elles
ont un effet puissant puisqu’elles empêchent les relations de dépendance à l’objet et
maintiennent en permanence la dévaluation des objets externes, ce qui explique
l’indifférence apparente des sujets narcissiques vis-à-vis des objets externes et du
monde.
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 213

Chez la plupart des patients les aspects libidinaux et destructifs du narcissisme


existent côte à côte mais la violence des pulsions destructrices est variable. Dans les
états narcissiques où les aspects libidinaux prédominent, la destructivité devient
apparente dès que l’idéalisation omnipotente de la personnalité est menacée par le
contact avec un objet qui est perçu comme séparé d’elle. Quand le patient a la
révélation que c’est l’objet externe qui contient les précieuses qualités qu’il avait
attribuées à ses propres qualités créatrices, il se sent humilié et mis en échec. Dans
l’analyse on observe que l’envie est vécue consciemment lorsque la rancune et le
sentiment de revanche, nés du sentiment d’avoir été spolié de son narcissisme,
diminuent, car c’est alors que le patient devient conscient de ce que l’analyste est une
personne du monde extérieur précieuse pour lui.
Quand ce sont les aspects destructifs qui l’emportent, l’envie est plus violente.
Elle se présente comme un souhait de détruire l’analyste parce qu’il représente l’objet
qui est la véritable source de ce qui est vivant et bon. En même temps apparaissent de
violentes pulsions autodestructrices, et ce sont elles que je veux examiner d’une
manière plus détaillée. Dans les termes de la situation infantile, le patient narcissique
veut croire qu’il s’est donné la vie à lui-même et qu’il peut se nourrir et s’occuper de
lui tout seul. Quand il est confronté à la réalité de sa dépendance à l’égard de
l’analyste, représentant les parents et en particulier la mère, il préfère encore mourir,
se sentir non existant et dénier le fait de sa naissance. Il préfère détruire aussi ses
progrès analytiques et l’insight, que représente l’enfant que l’analyste, représentant
les parents, a créé à l’intérieur de lui. À cette étape, le patient veut souvent
abandonner l’analyse, mais plus souvent encore ce sont ses succès professionnels et
ses relations personnelles qu’il gâche par des acting-out autodestructifs. Certains
patients deviennent suicidaires, et leur désir de mourir, de disparaître dans l’oubli, est
exprimé ouvertement, la mort étant idéalisée comme solution à tous les problèmes.
Puisque le sujet semble déterminé à satisfaire un désir de mourir et de disparaître
dans le néant qui ressemble à la description freudienne du « pur » instinct de mort, on
peut considérer que nous avons affaire alors à l’instinct de mort en complète
désunion. Cependant, analytiquement, on peut remarquer que cet état est causé par
l’activité des parties destructrices envieuses du soi, qui deviennent clivées à
l’extrême, mises à distance et désunies des parties libidinales et protectrices qui
semblent avoir disparu. La totalité du soi s’identifie à ce moment à sa partie
destructrice, laquelle vise à triompher sur la vie et la créativité représentées par les
parents et par l’analyste en détruisant la partie libidinale, dépendante, vécue comme
l’enfant.
Souvent le patient croit qu’il a détruit à tout jamais la partie protectrice (his
caring self) de sa personnalité et sa capacité d’aimer, et que personne n’y peut plus
rien changer. Quand ce problème est perlaboré dans le transfert et que les parties
libidinales du patient reprennent vie pour lui, il apparaît alors une sollicitude pour
214 NARCISSES

l’analyste, tenant lieu de la mère, qui atténue les pulsions destructrices et diminue le
danger de désunion.
Chez certains patients narcissiques des pulsions destructrices désunies semblent
constamment en activité, dominant la totalité de la personnalité et des relations
d’objets. Ils n’expriment leurs sentiments que d’une manière à peine déguisée en
dévaluant le travail de l’analyste par une indifférence, un comportement trompeur
réitérés et quelquefois même une dépréciation franche. Ils affirment de cette façon
leur supériorité sur l’analyste qui représente la vie et la créativité en ruinant et
détruisant son travail, sa compréhension et sa satisfaction. Ils se sentent supérieurs
car ils peuvent contrôler et retenir ces parties d’eux-mêmes qui veulent dépendre de
l’aide de l’analyste. Ils se comportent comme si la perte de tout objet d’amour, y
compris l’analyste, devait les laisser froids, et même provoquer en eux un sentiment
de triomphe. De tels patients peuvent éprouver à l’occasion de la honte et de
l’angoisse de persécution mais seulement très peu de culpabilité, car ils ne
maintiennent en vie qu’une partie très réduite de leur soi libidinal. Il semble que pour
affronter la lutte entre leurs pulsions libidinales et destructrices, ces patients ont tenté
de se débarrasser de leur sollicitude et de leur amour pour les objets en tuant la partie
aimante et dépendante de leur soi, puis en s’identifiant presque entièrement à cette
partie narcissique destructrice qui leur procure un sentiment de supériorité et d’auto-
admiration.

Un patient narcissique maintenait mortes et vides ses relations aux objets


externes et à l’analyste en insensibilisant toutes les parties de sa personnalité qui se
risquaient à une relation d’objet; il rêva d’un petit garçon dans le coma, mourant à la
suite de quelque empoisonnement. Il gisait sur un lit dans la cour et était menacé par
le chaud soleil de midi qui commençait à l’atteindre. Le patient se tenait près du
garçon mais ne faisait rien pour le déplacer ou le protéger. Il se sentait seulement
critique à l’égard du médecin qui soignait l’enfant et supérieur à lui, car c’était à lui
de voir qu’il fallait mettre l’enfant à l’ombre. Le comportement du patient et les
associations précédentes montraient à l’évidence que le garçon mourant représentait
la partie libidinale et dépendante de sa personnalité, qu’il maintenait à l’agonie en
l’empêchant de recevoir de l’aide et de la nourriture de l’analyste. Je lui montrai que
même quand il était sur le point de se rendre compte de la gravité de son état mental,
vécu comme une agonie, il n’aurait pas levé le petit doigt pour se venir en aide à lui-
même, ou pour aider l’analyste à faire un geste en sa direction pour le sauver, car il
utilisait le meurtre de sa partie dépendante infantile pour triompher de l’analyste et
mettre en évidence son échec. Le rêve montre clairement que l’état narcissique
destructeur garde le pouvoir en maintenant la partie libi-
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 215

dinale infantile de la personnalité dans un état permanent de mort ou d’agonie.


Parfois les interprétations analytiques pénétraient la coquille narcissique et le
patient se sentait plus vivant. Il admettait alors qu’il aurait voulu aller mieux, mais
bientôt il sentait son esprit partir à la dérive loin du divan et devenait si lointain et
somnolent que c’est tout juste s’il pouvait se maintenir éveillé. Il y avait là une
énorme résistance, un véritable mur, qui empêchait tout examen de la situation, mais
peu à peu il devint clair que le patient se sentait repoussé de tout contact plus proche
avec l’analyste parce que dès qu’il sentait que ce dernier l’aidait, il n’avait pas
seulement à redouter de vivre un plus grand besoin de lui, mais à craindre de
l’attaquer par la pensée en le persiflant et en le dévaluant. Le contact avec l’analyste
signifiait un affaiblissement de la supériorité narcissique omnipotente du patient et lui
faisait vivre consciemment l’envie écrasante que le détachement lui avait permis
d’éviter complètement.
Le narcissisme destructif de ces patients apparaît souvent très organisé, comme si
on avait affaire à un puissant gang dirigé par un chef qui en contrôlerait tous les
membres pour qu’ils se soutiennent mutuellement, rendant ainsi leur travail de
destruction criminelle plus efficace et plus puissant. Cette organisation du
narcissisme accroît la force de sa partie destructrice, mais elle a de surcroît une
finalité défensive qui est de conserver le pouvoir et de maintenir ainsi le statu quo. Le
but principal semble bien être d’empêcher l’affaiblissement de l’organisation et de
surveiller les membres du gang pour qu’ils ne puissent déserter l’organisation
destructrice et se rallier aux parties positives de la personnalité ou dénoncer les
secrets du gang à la police, c’est-à-dire au surmoi protecteur, représentant l’aide de
l’analyste, qui pourrait sauver le patient. Souvent, quand un patient de ce genre
progresse dans son analyse, il fait des rêves où il est attaqué par des membres de la
Mafia ou des adolescents délinquants, et une réaction thérapeutique négative se
produit. Selon mon expérience, l’organisation narcissique n’est pas dirigée d’abord
contre la culpabilité et l’angoisse, mais son but semble être plutôt de maintenir
l’idéalisation et les pleins pouvoirs du narcissisme destructif. Le changement,
l’acceptation d’une aide impliquent la faiblesse et sont vécus comme un mal ou un
échec par l’organisation narcissique destructrice qui donne au patient son sentiment
de supériorité. Dans les cas de ce genre, il y a une résistance chronique très
déterminée à l’analyse et seule une mise au jour très détaillée du système permet à
l’analyse de faire quelque progrès.
Chez beaucoup de ces patients, les pulsions destructrices sont liées à des
perversions. Dans cette situation, l’union apparente des pulsions ne conduit pas à un
affaiblissement du pouvoir des instincts destructeurs; au contraire, l’érotisation
accroît considérablement la puissance et la violence de l’instinct agressif. Je pense
qu’à suivre Freud qui présente les perversions comme union entre les instincts de vie
et de mort, on risque une confusion, car dans ces cas la partie destructrice de la
personnalité a établi son pouvoir sur la totalité de ses aspects libidinaux et peut donc
216 NARCISSES

en abuser. En réalité ces cas sont des exemples de fusion pathologique comparables
aux états confusionnels dans lesquels les pulsions destructrices l’emportent sur les
pulsions libidinales.
Chez certains patients narcissiques, les parties destructrices narcissiques de la
personnalité sont liées à une structure ou à une organisation psychotique qui est
clivée et mise à distance du reste de la personnalité. Cette structure psychotique est
comme un monde ou un objet délirant, dans lequel les parties du soi tendent à se
replier. Il semble qu’elle soit dominée par une partie absolument impitoyable du soi,
omnipotente ou omnisciente, qui crée la notion que dans l’objet délirant on trouve
une absence complète de souffrance, mais aussi de la liberté de se livrer à n’importe
quelle activité sadique. Toute la structure est soumise à l’autosuffisance narcissique et
est dirigée avec rigueur contre toute relation aux objets. Dans ce monde délirant, les
pulsions destructrices se présentent quelquefois ouvertement comme cruelles et
toutes-puissantes, menaçant le reste du soi de mort pour faire valoir leur pouvoir,
mais plus souvent elles se présentent sous le masque d’une bienveillance toute-
puissante ou salvatrice et fournissent des solutions rapides et idéales à tous ses
problèmes. Ces promesses fallacieuses ont pour but de rendre le soi normal du patient
dépendant de son soi omnipotent et comme intoxiqué par lui et de leurrer les parties
normales et saines pour les emprisonner dans la structure délirante. De sévères
réactions thérapeutiques négatives surviennent quand des patients narcissiques de ce
type commencent à faire quelque progrès et à établir une certaine relation de
dépendance vis-à-vis de l’analyste. En effet, la partie narcissique psychotique du soi
exerce alors son pouvoir et sa supériorité sur la vie et sur l’analyste, représentant la
réalité, en essayant d’attirer par la ruse la partie dépendante du soi dans un état de
rêve omnipotent psychotique. Le résultat en est que le patient perd son sens de la
réalité et sa capacité de penser. En fait, le patient court un danger d’état psychotique
aigu si sa partie dépendante, qui est la partie la plus saine de sa personnalité, est
persuadée de se détourner du monde extérieur et de s’en remettre entièrement à la
structure délirante psychotique. Ce processus a des points communs avec la
description freudienne de l’abandon de l’investissement d’objet et du repli de la
libido dans le moi. L’état que je décris ici implique un repli de la personnalité loin de
l’investissement libidinal d’objet vers un état narcissique, qui ressemble au
narcissisme primaire. Le patient semble retiré du monde, est incapable de penser et
souvent se sent drogué. Il peut perdre son intérêt pour le monde extérieur, veut rester
au lit et oublie ce qui a été abordé dans les séances précédentes. S’il parvient à se
rendre à sa séance, il peut se plaindre de ce que quelque chose d’incompréhensible lui
est arrivé, qu’il se sent pris au piège, claustrophobe et incapable d’émerger de cet
état. Il est souvent conscient d’avoir perdu quelque chose d’important mais se
demande ce que cela peut être. La perte peut être ressentie d’une manière concrète
comme la perte de ses clefs ou de son portefeuille,
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 217

mais parfois il se rend compte que son angoisse et son sentiment de perte se
rapportent à la perte d’une importante partie de lui-même, à savoir sa partie saine
dépendante qui est en rapport avec sa capacité de penser. Parfois le patient se sent
subitement envahi par une grande angoisse de mort hypocondriaque. On a ici
l’impression de pouvoir observer l’instinct de mort dans sa forme la plus pure. Il se
présenterait comme une puissance qui réussit à détourner de la vie vers un état
semblable à la mort la totalité du soi par la promesse fallacieuse d’un état proche du
nirvâna. Cela impliquerait une désunion complète des instincts de base. Cependant,
un examen détaillé du processus donne à penser qu’on a affaire non à un état de
désunion, mais à une fusion pathologique semblable au processus que j’ai décrit dans
les perversions. Dans cet état de repli narcissique, une identification projective
survient, dans laquelle la partie dépendante bien-portante du patient entre dans l’objet
délirant et perd son identité pour devenir complètement dominée par le processus
omnipotent destructif; tant que dure cette fusion pathologique, la personnalité saine
n’a aucun pouvoir pour s’opposer à l’autre ou l’atténuer; par contre, la puissance du
processus destructif est considérablement accrue par cette situation.
Cliniquement, il est essentiel d’aider le patient à découvrir la partie dépendante et
saine de sa personnalité et à la sauver du piège où elle est tombée à l’intérieur de la
structure narcissique psychotique, car c’est elle qui constitue le lien essentiel avec la
relation d’objet positive à l’analyste et au monde extérieur. En second lieu, il est
important d’aider le patient à devenir progressivement conscient des parties
omnipotentes destructrices de sa personnalité qui, clivées et mises à distance,
contrôlent l’organisation psychotique, car tant que l’isolation persiste, elles ne
peuvent que demeurer toutes-puissantes. Une fois ce processus révélé dans son entier,
il devient clair qu’il contient les pulsions destructrices envieuses de la personnalité
qui ont été maintenues en état d’isolation, et l’omnipotence qui avait jusqu’alors un
tel effet hypnotique sur la totalité de la personnalité prend moins d’importance, tandis
que sa nature infantile peut être montrée. Autrement dit, le patient devient peu à peu
conscient qu’il est dominé par une partie omnipotente infantile de lui-même qui non
seulement l’attire vers la mort, mais l’infantilise et l’empêche de grandir en le tenant
à l’écart des objets qui pourraient l’aider à mener à bonne fin sa croissance et son
développement.

Je rapporterai maintenant brièvement une partie du matériel du cas d’un patient


narcissique névrotique, pour montrer comment il existait une partie destructrice et
omnipotente de lui-même, clivée, qui devint plus consciente pendant l’analyse et
perdit quelque peu de sa violence. Le patient était un homme d’affaires non marié de
37 ans qui a été en traitement pendant plusieurs années. Il était entré en analyse pour
des
218 NARCISSES

problèmes de caractère, et il était consciemment très décidé à avoir une analyse et à y


coopérer. Cependant une résistance chronique à l’analyse s’était établie, de nature à la
fois évasive et répétitive. Le patient devait parfois quitter Londres pour de courts
voyages d’affaires, et souvent il revenait trop tard le lundi, ce qui l’amenait à
manquer tout ou partie de sa séance. Il rencontrait souvent des femmes à l’occasion
de ces voyages et il amenait dans l’analyse beaucoup de problèmes qui se
présentaient avec elles. Il était clair, bien sûr, depuis le début, que cela avait valeur
d’acting-out jusqu’à un certain point, mais ce ne fut que quand il se mit à rapporter
régulièrement des activités de meurtre dans ses rêves après de tels week-ends qu’il
apparut que derrière ces acting-out de comportement se cachaient de violentes
attaques destructrices contre l’analyse et l’analyste. Le patient fut d’abord réticent à
accepter l’idée que les acting-out de week-end étaient un meurtre de l’analyse et par
conséquent bloquaient son progrès, mais peu à peu il modifia son comportement et
l’analyse devint plus efficiente tandis qu’il faisait état de progrès considérables dans
certaines de ses relations personnelles et dans ses activités professionnelles. À la
même époque, il commença à se plaindre de ce que son sommeil était souvent
perturbé et qu’il était éveillé la nuit par de violentes palpitations qui l’empêchaient de
dormir pendant plusieurs heures. Pendant ces crises d’angoisse, il avait le sentiment
que ses mains ne lui appartenaient plus; elles semblaient violentes et destructrices
comme si elles avaient voulu détruire quelque chose en le déchirant, et leur puissance
surpassait son contrôle si bien qu’il devait céder devant elles. Il fit alors un rêve où un
homme arrogant, très puissant, haut de neuf pieds, affirmait qu’il fallait absolument
lui obéir. Ses associations montraient clairement que cet homme représentait une
partie de lui-même et se rapportait au sentiment de surpuissance destructrice dans ses
mains auquel il ne pouvait résister. J’interprétai qu’il considérait la partie
omnipotente destructrice de lui-même comme un surhomme de neuf pieds de haut et
beaucoup trop puissant pour qu’il lui désobéisse. Il avait désavoué cette partie
omnipotente, ce qui expliquait le sentiment que ses mains lui devenaient étrangères
pendant les attaques nocturnes. J’expliquai en outre que je voyais dans ce soi clivé
une partie omnipotente infantile qui proclamait que, loin d’être un enfant, elle était
plus forte et plus puissante que tous les adultes, en particulier son père et sa mère, et
maintenant l’analyste. Son soi adulte était si complètement dupé et par conséquent
affaibli par cette affirmation de toute-puissance, qu’il se sentait sans pouvoir pour
combattre les impulsions destructrices la nuit. Le patient réagit à ces interprétations
par de la surprise et du soulagement. Quelques jours après il rapporta qu’il se sentait
davantage capable de contrôler ses mains la nuit. Il devint peu à peu plus conscient
que les impulsions destructrices devaient avoir quelque rapport avec l’analyse car
elles augmentaient après tout succès qui pouvait lui être imputé. Ainsi il vit que le
désir de se déchirer était lié à un désir de déchirer et détruire une partie de lui-même
qui dépendait de l’analyste et en montrait la
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 219

valeur. En même temps, les pulsions narcissiques agressives qui avaient été clivées
devinrent plus conscientes pendant les séances, et il disait en ricanant : « Dire que
vous devez rester assis toute la journée à perdre votre temps. » Il pensait que c’était
lui la personne importante et qu’il aurait dû être libre de faire tout ce qu’il voulait,
quelque cruel et blessant que cela aurait pu être pour les autres comme pour lui-
même. L’insight et la compréhension que l’analyste lui donnait le mettaient
particulièrement en rage. Il laissait entendre que cette rage se rapportait à sa volonté
de me reprocher de l’aider, parce que j’avais ainsi gêné ses acting-out omnipotents de
comportement. Il rapporta alors un rêve dans lequel il participait à une course
d’endurance en se donnant beaucoup de mal. Cependant une jeune femme se trouvait
là qui ne croyait à rien de ce qu’il était en train de faire. Elle était cynique, odieuse, et
faisait tout pour le gêner et l’induire en erreur. Il y avait une référence au frère de la
mère qui s’appelait « Mundy ». Il était beaucoup plus agressif que sa sœur et dans le
rêve il apparaissait hargneux comme une bête sauvage, même vis-à- vis d’elle. Dans
le rêve, on rapportait que ce frère avait passé son temps à tromper tout le monde
pendant l’année précédente. Le patient pensa que le nom de « Mundy » se rapportait
à ses fréquentes absences le lundi (monday) l’année précédente. Il se rendit compte
que l’agressivité violente et incontrôlée se rapportait à lui-même, mais il pensait que
la jeune femme était également lui-même. Pendant l’année précédente, il avait
souvent insisté dans les séances sur son sentiment d’être une femme et se montrait
très méprisant et hautain vis-à-vis de l’analyste. Plus tard, cependant, il lui arriva de
rêver d’une petite fille qui était attentive à ses enseignants et les appréciait. Je
l’interprétais comme une partie de lui qui voulait montrer davantage qu’il appréciait
l’analyste mais que l’omnipotence empêchait de venir au grand jour. Dans le rêve, le
patient reconnaît que la partie omnipotente agressive de lui-même, représentée
comme masculine, qui a dominé les acting-out jusqu’à il y a un an, est maintenant
devenue tout à fait consciente. Son identification à l’analyste est exprimée dans le
rêve comme une détermination de se donner beaucoup de mal dans l’analyse. Le
rêve, pourtant, est aussi un avertissement : au lieu de se permettre de répondre au
travail analytique par une attitude plus attentive, en rapport avec une partie de lui-
même infantile et plus positive, il pourrait continuer ses acting-out agressifs, essayant
trompeusement et sur un mode omnipotent de se faire passer pour une femme adulte.
En fait, dans l’analyse, le patient va vers un renforcement de sa dépendance positive,
qui lui permet d’exprimer ouvertement l’opposition de ses parties omnipotentes
narcissiques agressives; autrement dit, sa grave désunion instinctuelle se transforme
peu à peu en une union normale.
220 NARCISSES

RÉSUMÉ

J’ai essayé dans cet article d’étudier des états cliniques dans lesquels
prédominent les pulsions agressives et d’examiner leur relation à la théorie
freudienne de l’union et de la désunion des instincts de vie et de mort. J’ai trouvé que
même dans les états de désunion des instincts les plus sévères, des tableaux cliniques
qui ressemblent à la description freudienne de l’instinct de mort dans sa forme
originaire révèlent, à une analyse détaillée, que c’est l’aspect destructif de l’instinct
de mort qui est actif, qui paralyse ou tue psychiquement les parties libidinales du soi
dérivées de l’instinct de vie. Je pense donc qu’il n’est pas possible d’observer un
instinct de mort pur dans une situation clinique.
Certains de ces états destructifs ne peuvent être décrits comme des désunions
parce qu’ils sont vraiment des fusions pathologiques, dans lesquelles la structure
psychique dominée par une partie destructrice du soi réussit à emprisonner et à
écraser le soi libidinal, qui est complètement incapable de s’opposer au processus de
destruction.
Il semble que certains états narcissiques omnipotents soient dominés par les
processus destructifs les plus violents, en sorte que la partie libidinale du soi est
presque complètement absente ou perdue. Cliniquement, il est donc essentiel de
trouver un accès auprès de la partie libidinale dépendante qui peut atténuer les
pulsions destructrices. En analysant la structure omnipotente de l’état narcissique, on
doit exposer la nature infantile du processus pour libérer ces parties dépendantes qui
peuvent former de bonnes relations d’objet conduisant à l’introjection d’objets
libidinaux qui sont la base de l’union normale.

H E R B E RT R O S E N F E L D

Traduit de l’anglais par Gilbert Diatkine.

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