Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
Revue publiée avec la collaboration de l’Association psychanalytique de France. Paraît deux fois l’an, au
printemps et à l’automne, aux Éditions Gallimard.
Directeur : j . - B . P O N T A L I S .
Comité de rédaction : D I D I E R ANZIEU, FRANÇOIS GANTHERET, ANDRÉ
G R E E N , J . - B . P O N T A L I S , J E A N P O U I L L O N , G U Y R O S O L AT O , V I C T O R S M I R N O F F , J E A N
S TA R O B I N S K I .
Rédaction, Administration :
Éditions Gallimard, 5, rue Sébastien-Bottin, 75007 Paris. Tél. : 544-39-19.
La revue n’est pas responsable des manuscrits qui lui sont adressés.
N O U V E L L E R E V U E D E P S Y C H A N A LY S E
Numéro 13, printemps 1976.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour
tous les pays.
© Éditions Gallimard, 1976.
TABLE
* Titre original : A clinical approach to the psychoanalytic theory of the Life and Death
instincts : an investigation into the agressive aspects of Narcissism.
Communication donnée au XXVIIe Congrès de l’Association psychanalytique internationale
(Vienne, 1971). Publiée dans Y International Journal of Psycho-Analysis, 52, n° 2, 1971.
206 NARCISSES
logie pourrait avoir contribué à lui faire poser l’autodestruction comme la forme
primaire de l’agressivité par analogie avec le narcissisme primaire.
Il ressort de tout ceci que Freud doit avoir bien perçu la relation manifeste
qui existe entre le narcissisme, le repli narcissique et l’instinct de mort; mais il
ne l’a pas élaborée dans tous ses détails théoriquement ni cliniquement. Comme
je le montrerai plus loin, je pense que ces articulations sont d’une signification
clinique considérable.
Pour en revenir maintenant à la question du transfert caché, c’est-à-dire des
résistances cliniques que Freud (1937) rattachait à l’opposition silencieuse de
l’instinct de mort, il importe de se rendre compte qu’il ne pensait pas que ces
résistances pouvaient être traitées avec succès par l’analyse : il croyait, semble-
t-il, que l’agression silencieuse et dissimulée de l’instinct de mort ne pouvait
être analysée, sauf si elle surgissait sous la forme d’un transfert négatif franc, et
que les interprétations ne pouvaient rien faire d’autre que l’« activer ».
Abraham alla beaucoup plus loin que Freud dans l’étude du transfert négatif
camouflé en éclaircissant la nature des pulsions destructrices qu’il rencontrait
dans son travail clinique avec les patients narcissiques. Il est frappé chez les
patients narcissiques psychotiques par leur supériorité hautaine et leur distance,
et il interprète leur attitude négative et agressive dans le transfert. Dès 1919, il
apporte sa contribution à l’analyse du transfert négatif caché en décrivant une
forme particulière de résistance névrotique à la méthode analytique. Il a
découvert chez ces patients un narcissisme très marqué et insisté sur l’hostilité
et la méfiance cachées derrière une apparente ardeur à coopérer. Il décrit
comment l’attitude narcissique se répète dans le transfert et comment ces
patients déprécient et dévaluent l’analyste en ne lui concédant qu’à contrecœur
le rôle analytique du père. Ils renversent la position du patient et de l’analyste
pour montrer leur supériorité sur celui-ci. Abraham souligne que l’élément
d’envie est indiscutable dans le comportement de ces patients; il relie ainsi
cliniquement et théoriquement narcissisme et agressivité. Il faut noter pourtant
qu’Abraham n’a jamais cherché à lier ses découvertes à la théorie freudienne
des instincts de vie et de mort.
Reich n’accepte pas la théorie freudienne de l’instinct de mort. Cependant,
il apporte des contributions fondamentales à l’analyse du narcissisme et du
transfert négatif latent. Il affirme aussi, contrairement à Freud, que les attitudes
narcissiques et les conflits latents du patient, y compris les sentiments négatifs,
peuvent être activés et amenés à la surface dans l’analyse, puis perlaborés. Il
pense que :
dans tous les cas sans exception les patients commencent l’analyse avec une
attitude plus ou moins explicite de méfiance et de critique qui, en règle générale,
reste cachée.
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 209
Pour lui, l’analyste doit constamment faire ressortir ce qui est caché et ne
pas se laisser abuser par un apparent transfert positif. Reich étudie en détail
l’armure caractérielle dans laquelle la défense narcissique trouve concrètement
son expression chronique. En décrivant les patients narcissiques, il insiste sur
leur attitude hautaine, ironique et envieuse, comme sur leur comportement
méprisant. Un patient sans cesse préoccupé par des idées de mort se plaignait à
chaque séance de ce que l’analyse ne l’atteignait pas et lui était complètement
inutile. Ce patient reconnaissait aussi son envie illimitée, non pas de l’analyste,
mais de tous les autres hommes, vis-à-vis de qui il se sentait inférieur. Peu à
peu, Reich se rendit compte du triomphe de son patient sur lui-même et put le
lui montrer, ainsi que ses efforts pour que l’analyste se sente inutile, inférieur et
impuissant, de sorte qu’il ne puisse rien réussir. Le patient put alors reconnaître
qu’il ne pouvait supporter la supériorité de quiconque et qu’il essayait toujours
d’abaisser les gens. Reich constate :
Telle était l’agressivité réprimée du patient, dont la manifestation la plus
extrême jusqu’alors avait été les souhaits de mort.
Les découvertes de Reich articulant l’agressivité latente, l’envie et le
narcissisme ont beaucoup de points communs avec la description donnée par
Abraham en 1919 de la résistance narcissique.
Parmi les nombreux analystes qui ont accepté la théorie freudienne de
l’interaction entre les instincts de vie et de mort, l’apport de Melanie Klein
mérite une considération particulière, car son œuvre est essentiellement fondée,
tant du point de vue théorique que clinique, sur cette hypothèse. On lui doit
aussi d’importantes contributions à l’analyse du transfert négatif. Melanie Klein
a découvert que l’envie, en particulier dans ses formes clivées, joue un rôle
majeur dans le développement de l’attitude négative chronique au cours de
l’analyse, y compris dans les « réactions thérapeutiques négatives ». Elle a
décrit les mécanismes infantiles précoces du clivage de l’objet et du moi, qui
permettent au moi infantile de maintenir séparés l’amour et la haine. Dans ses
travaux sur le narcissisme, elle insiste plus sur les aspects libidinaux et propose
de considérer le narcissisme comme un phénomène secondaire, fondé sur une
relation avec un objet interne bon ou idéal, qui, fantasmatiquement, forme une
partie aimée du corps et du soi. Elle pense que, dans les états narcissiques, il se
produit un repli à partir des relations externes vers une identification à un objet
interne idéalisé.
En 1958, Melanie Klein écrit qu’elle a observé dans son travail analytique
avec les jeunes enfants une lutte permanente entre une impulsion irrépressible à
détruire leurs objets et un désir de les préserver. Elle pense que la découverte
par Freud des instincts de vie et de mort est un immense progrès pour la
compréhension de cette lutte. Elle croit que l’angoisse naît de
210 NARCISSES
que l’envie apparaît, dans la relation de l’enfant à sa mère, comme une force hostile,
opposée à la vie, et particulièrement dirigée contre la mère bonne qui nourrit car elle
est non seulement nécessaire à l’enfant, mais source d’envie pour lui parce qu’elle
contient tout ce qu’il veut posséder lui-même. Dans le transfert, cela se manifeste
dans le besoin du patient de dévaluer le travail analytique alors même qu’il y a trouvé
une aide. Il semble que l’envie représente une énergie destructrice presque
complètement désunie qui est particulièrement insupportable pour le moi infantile, et
que tôt dans la vie elle commence à être clivée et écartée du reste du moi. Melanie
Klein insiste sur l’absence fréquente d’expression de l’envie inconsciente dans
l’analyse, ce qui ne l’empêche pas d’exercer une influence puissante et perturbante et
d’empêcher l’analyse de progresser; finalement, celle-ci ne peut être efficace que si le
travail analytique réussit à intégrer l’envie à l’ensemble de la personnalité. Autrement
dit, la désunion des instincts doit progressivement se changer en union dans toute
analyse réussie.
La théorie freudienne de l’union et de la désunion des instincts de vie et de mort
semble capitale pour la compréhension des processus où la destruction est
désintriquée.
Hartmann et coll. soulignent (1949) « qu’on sait peu de chose de l’union et de la
désunion de l’agressivité et de la libido ». Hartmann lui-même se centre sur l’étude
de la fonction de l’énergie libidinale et agressive neutralisée, ce qui est probablement
un aspect de l’union normale des instincts de base. Il insiste aussi sur l’importance de
la déneutralisation de la libido et de l’agressivité dans les états psychotiques comme
la schizophrénie et indique qu’il se peut que désunion et déneutralisation soient
articulées entre elles (1953).
Freud a proposé l’idée que la désunion des instincts devient manifeste
cliniquement quand surviennent des régressions aux phases les plus précoces du
développement.
J’ai essayé d’éclaircir l’origine des processus de désunion et d’union des instincts
en les rattachant à la théorie kleinienne du processus de clivage des objets et du moi.
Ce clivage est un mécanisme de défense normal au début de la vie, qui a pour but de
protéger le soi et l’objet du danger d’annihilation par les pulsions destructrices
dérivées de l’instinct de mort. Cela peut expliquer pourquoi la désunion des instincts
joue un rôle important dans la psychopathologie des patients narcissiques, et
pourquoi les pulsions destructrices désunies peuvent s’observer directement chez des
patients sortant d’états narcissiques.
Pour cette raison, je me centrerai sur l’examen des aspects libidinaux et
destructifs du narcissisme et j’essaierai d’éclairer par mon matériel clinique comment
surviennent certaines désunions instinctuelles sévères et d’indiquer les facteurs qui
contribuent aux unions normale et pathologique.
J’ai introduit le concept de fusion pathologique à propos de ces processus dans
212 NARCISSES
Dans mon précédent travail sur le narcissisme (1964), j’avais mis l’accent sur
l’identification projective et introjective de la personnalité et de l’objet (fusion de la
personnalité et de l’objet). Dans les états narcissiques, elle fonctionne comme une
défense contre toute reconnaissance d’une séparation entre la personnalité et les
objets. La prise de conscience de la séparation conduit immédiatement à des
sentiments de dépendance vis-à-vis de l’objet et donc à d’inévitables frustrations.
Cependant, la dépendance stimule aussi l’envie, quand le caractère « bon » (the
goodness) de l’objet est reconnu. L’agressivité envers l’objet semble donc inévitable
si la position narcissique est abandonnée, et il semble que la force et la persistance
des relations d’objet omnipotentes soient étroitement en rapport avec la force des
pulsions destructrices envieuses.
Pour une étude plus détaillée du narcissisme, il me semble essentiel de
différencier les aspects libidinaux et destructifs du narcissisme. Si l’on considère le
narcissisme au point de vue libidinal, on peut voir que la surestimation de soi joue un
rôle central, fondé principalement sur l’idéalisation. Celle-ci est maintenue grâce à
des identifications omnipotentes, introjectives et projectives aux bons objets et à leurs
qualités. De cette manière, le sujet narcissique sent que tout ce qui a de la valeur dans
les objets externes et le monde extérieur fait partie de lui ou est placé sous son
contrôle omnipotent.
De même, en ce qui concerne les aspects destructifs du narcissisme, on remarque
à nouveau que l’idéalisation de soi joue un rôle central, mais il s’agit maintenant de
l’idéalisation des parties destructrices omnipotentes. Dans les deux cas, ce sont les
relations d’objet libidinales positives qui sont visées, ainsi que ces parties libidinales
du soi qui peuvent vivre le besoin d’un objet et un désir de dépendance. Les parties
destructrices omnipotentes de la personnalité restent souvent déguisées, ou peuvent
être silencieuses, clivées et mises à distance, ce qui dissimule leur existence et donne
l’impression qu’elles n’ont aucune relation avec le monde extérieur. En réalité, elles
ont un effet puissant puisqu’elles empêchent les relations de dépendance à l’objet et
maintiennent en permanence la dévaluation des objets externes, ce qui explique
l’indifférence apparente des sujets narcissiques vis-à-vis des objets externes et du
monde.
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 213
l’analyste, tenant lieu de la mère, qui atténue les pulsions destructrices et diminue le
danger de désunion.
Chez certains patients narcissiques des pulsions destructrices désunies semblent
constamment en activité, dominant la totalité de la personnalité et des relations
d’objets. Ils n’expriment leurs sentiments que d’une manière à peine déguisée en
dévaluant le travail de l’analyste par une indifférence, un comportement trompeur
réitérés et quelquefois même une dépréciation franche. Ils affirment de cette façon
leur supériorité sur l’analyste qui représente la vie et la créativité en ruinant et
détruisant son travail, sa compréhension et sa satisfaction. Ils se sentent supérieurs
car ils peuvent contrôler et retenir ces parties d’eux-mêmes qui veulent dépendre de
l’aide de l’analyste. Ils se comportent comme si la perte de tout objet d’amour, y
compris l’analyste, devait les laisser froids, et même provoquer en eux un sentiment
de triomphe. De tels patients peuvent éprouver à l’occasion de la honte et de
l’angoisse de persécution mais seulement très peu de culpabilité, car ils ne
maintiennent en vie qu’une partie très réduite de leur soi libidinal. Il semble que pour
affronter la lutte entre leurs pulsions libidinales et destructrices, ces patients ont tenté
de se débarrasser de leur sollicitude et de leur amour pour les objets en tuant la partie
aimante et dépendante de leur soi, puis en s’identifiant presque entièrement à cette
partie narcissique destructrice qui leur procure un sentiment de supériorité et d’auto-
admiration.
en abuser. En réalité ces cas sont des exemples de fusion pathologique comparables
aux états confusionnels dans lesquels les pulsions destructrices l’emportent sur les
pulsions libidinales.
Chez certains patients narcissiques, les parties destructrices narcissiques de la
personnalité sont liées à une structure ou à une organisation psychotique qui est
clivée et mise à distance du reste de la personnalité. Cette structure psychotique est
comme un monde ou un objet délirant, dans lequel les parties du soi tendent à se
replier. Il semble qu’elle soit dominée par une partie absolument impitoyable du soi,
omnipotente ou omnisciente, qui crée la notion que dans l’objet délirant on trouve
une absence complète de souffrance, mais aussi de la liberté de se livrer à n’importe
quelle activité sadique. Toute la structure est soumise à l’autosuffisance narcissique et
est dirigée avec rigueur contre toute relation aux objets. Dans ce monde délirant, les
pulsions destructrices se présentent quelquefois ouvertement comme cruelles et
toutes-puissantes, menaçant le reste du soi de mort pour faire valoir leur pouvoir,
mais plus souvent elles se présentent sous le masque d’une bienveillance toute-
puissante ou salvatrice et fournissent des solutions rapides et idéales à tous ses
problèmes. Ces promesses fallacieuses ont pour but de rendre le soi normal du patient
dépendant de son soi omnipotent et comme intoxiqué par lui et de leurrer les parties
normales et saines pour les emprisonner dans la structure délirante. De sévères
réactions thérapeutiques négatives surviennent quand des patients narcissiques de ce
type commencent à faire quelque progrès et à établir une certaine relation de
dépendance vis-à-vis de l’analyste. En effet, la partie narcissique psychotique du soi
exerce alors son pouvoir et sa supériorité sur la vie et sur l’analyste, représentant la
réalité, en essayant d’attirer par la ruse la partie dépendante du soi dans un état de
rêve omnipotent psychotique. Le résultat en est que le patient perd son sens de la
réalité et sa capacité de penser. En fait, le patient court un danger d’état psychotique
aigu si sa partie dépendante, qui est la partie la plus saine de sa personnalité, est
persuadée de se détourner du monde extérieur et de s’en remettre entièrement à la
structure délirante psychotique. Ce processus a des points communs avec la
description freudienne de l’abandon de l’investissement d’objet et du repli de la
libido dans le moi. L’état que je décris ici implique un repli de la personnalité loin de
l’investissement libidinal d’objet vers un état narcissique, qui ressemble au
narcissisme primaire. Le patient semble retiré du monde, est incapable de penser et
souvent se sent drogué. Il peut perdre son intérêt pour le monde extérieur, veut rester
au lit et oublie ce qui a été abordé dans les séances précédentes. S’il parvient à se
rendre à sa séance, il peut se plaindre de ce que quelque chose d’incompréhensible lui
est arrivé, qu’il se sent pris au piège, claustrophobe et incapable d’émerger de cet
état. Il est souvent conscient d’avoir perdu quelque chose d’important mais se
demande ce que cela peut être. La perte peut être ressentie d’une manière concrète
comme la perte de ses clefs ou de son portefeuille,
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 217
mais parfois il se rend compte que son angoisse et son sentiment de perte se
rapportent à la perte d’une importante partie de lui-même, à savoir sa partie saine
dépendante qui est en rapport avec sa capacité de penser. Parfois le patient se sent
subitement envahi par une grande angoisse de mort hypocondriaque. On a ici
l’impression de pouvoir observer l’instinct de mort dans sa forme la plus pure. Il se
présenterait comme une puissance qui réussit à détourner de la vie vers un état
semblable à la mort la totalité du soi par la promesse fallacieuse d’un état proche du
nirvâna. Cela impliquerait une désunion complète des instincts de base. Cependant,
un examen détaillé du processus donne à penser qu’on a affaire non à un état de
désunion, mais à une fusion pathologique semblable au processus que j’ai décrit dans
les perversions. Dans cet état de repli narcissique, une identification projective
survient, dans laquelle la partie dépendante bien-portante du patient entre dans l’objet
délirant et perd son identité pour devenir complètement dominée par le processus
omnipotent destructif; tant que dure cette fusion pathologique, la personnalité saine
n’a aucun pouvoir pour s’opposer à l’autre ou l’atténuer; par contre, la puissance du
processus destructif est considérablement accrue par cette situation.
Cliniquement, il est essentiel d’aider le patient à découvrir la partie dépendante et
saine de sa personnalité et à la sauver du piège où elle est tombée à l’intérieur de la
structure narcissique psychotique, car c’est elle qui constitue le lien essentiel avec la
relation d’objet positive à l’analyste et au monde extérieur. En second lieu, il est
important d’aider le patient à devenir progressivement conscient des parties
omnipotentes destructrices de sa personnalité qui, clivées et mises à distance,
contrôlent l’organisation psychotique, car tant que l’isolation persiste, elles ne
peuvent que demeurer toutes-puissantes. Une fois ce processus révélé dans son entier,
il devient clair qu’il contient les pulsions destructrices envieuses de la personnalité
qui ont été maintenues en état d’isolation, et l’omnipotence qui avait jusqu’alors un
tel effet hypnotique sur la totalité de la personnalité prend moins d’importance, tandis
que sa nature infantile peut être montrée. Autrement dit, le patient devient peu à peu
conscient qu’il est dominé par une partie omnipotente infantile de lui-même qui non
seulement l’attire vers la mort, mais l’infantilise et l’empêche de grandir en le tenant
à l’écart des objets qui pourraient l’aider à mener à bonne fin sa croissance et son
développement.
valeur. En même temps, les pulsions narcissiques agressives qui avaient été clivées
devinrent plus conscientes pendant les séances, et il disait en ricanant : « Dire que
vous devez rester assis toute la journée à perdre votre temps. » Il pensait que c’était
lui la personne importante et qu’il aurait dû être libre de faire tout ce qu’il voulait,
quelque cruel et blessant que cela aurait pu être pour les autres comme pour lui-
même. L’insight et la compréhension que l’analyste lui donnait le mettaient
particulièrement en rage. Il laissait entendre que cette rage se rapportait à sa volonté
de me reprocher de l’aider, parce que j’avais ainsi gêné ses acting-out omnipotents de
comportement. Il rapporta alors un rêve dans lequel il participait à une course
d’endurance en se donnant beaucoup de mal. Cependant une jeune femme se trouvait
là qui ne croyait à rien de ce qu’il était en train de faire. Elle était cynique, odieuse, et
faisait tout pour le gêner et l’induire en erreur. Il y avait une référence au frère de la
mère qui s’appelait « Mundy ». Il était beaucoup plus agressif que sa sœur et dans le
rêve il apparaissait hargneux comme une bête sauvage, même vis-à- vis d’elle. Dans
le rêve, on rapportait que ce frère avait passé son temps à tromper tout le monde
pendant l’année précédente. Le patient pensa que le nom de « Mundy » se rapportait
à ses fréquentes absences le lundi (monday) l’année précédente. Il se rendit compte
que l’agressivité violente et incontrôlée se rapportait à lui-même, mais il pensait que
la jeune femme était également lui-même. Pendant l’année précédente, il avait
souvent insisté dans les séances sur son sentiment d’être une femme et se montrait
très méprisant et hautain vis-à-vis de l’analyste. Plus tard, cependant, il lui arriva de
rêver d’une petite fille qui était attentive à ses enseignants et les appréciait. Je
l’interprétais comme une partie de lui qui voulait montrer davantage qu’il appréciait
l’analyste mais que l’omnipotence empêchait de venir au grand jour. Dans le rêve, le
patient reconnaît que la partie omnipotente agressive de lui-même, représentée
comme masculine, qui a dominé les acting-out jusqu’à il y a un an, est maintenant
devenue tout à fait consciente. Son identification à l’analyste est exprimée dans le
rêve comme une détermination de se donner beaucoup de mal dans l’analyse. Le
rêve, pourtant, est aussi un avertissement : au lieu de se permettre de répondre au
travail analytique par une attitude plus attentive, en rapport avec une partie de lui-
même infantile et plus positive, il pourrait continuer ses acting-out agressifs, essayant
trompeusement et sur un mode omnipotent de se faire passer pour une femme adulte.
En fait, dans l’analyse, le patient va vers un renforcement de sa dépendance positive,
qui lui permet d’exprimer ouvertement l’opposition de ses parties omnipotentes
narcissiques agressives; autrement dit, sa grave désunion instinctuelle se transforme
peu à peu en une union normale.
220 NARCISSES
RÉSUMÉ
J’ai essayé dans cet article d’étudier des états cliniques dans lesquels
prédominent les pulsions agressives et d’examiner leur relation à la théorie
freudienne de l’union et de la désunion des instincts de vie et de mort. J’ai trouvé que
même dans les états de désunion des instincts les plus sévères, des tableaux cliniques
qui ressemblent à la description freudienne de l’instinct de mort dans sa forme
originaire révèlent, à une analyse détaillée, que c’est l’aspect destructif de l’instinct
de mort qui est actif, qui paralyse ou tue psychiquement les parties libidinales du soi
dérivées de l’instinct de vie. Je pense donc qu’il n’est pas possible d’observer un
instinct de mort pur dans une situation clinique.
Certains de ces états destructifs ne peuvent être décrits comme des désunions
parce qu’ils sont vraiment des fusions pathologiques, dans lesquelles la structure
psychique dominée par une partie destructrice du soi réussit à emprisonner et à
écraser le soi libidinal, qui est complètement incapable de s’opposer au processus de
destruction.
Il semble que certains états narcissiques omnipotents soient dominés par les
processus destructifs les plus violents, en sorte que la partie libidinale du soi est
presque complètement absente ou perdue. Cliniquement, il est donc essentiel de
trouver un accès auprès de la partie libidinale dépendante qui peut atténuer les
pulsions destructrices. En analysant la structure omnipotente de l’état narcissique, on
doit exposer la nature infantile du processus pour libérer ces parties dépendantes qui
peuvent former de bonnes relations d’objet conduisant à l’introjection d’objets
libidinaux qui sont la base de l’union normale.
H E R B E RT R O S E N F E L D
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ABRAHAM, K. (1919), « A particular form of neurotic resistance against the psychoanalytic method
», in Selected Papers, Londres, Hogarth Press, 1942. (Trad. fr. in Œuvres complètes,
Payot.)
LES ASPECTS AGRESSIFS DU NARCISSISME 221
ABRAHAM, K. (1924), « A short study on the development of the libido viewed in the light of
mental disorders », ibid.
FREUD, S. (1913), « Formulations on the two principles of mental functioning », S.E., 12.
— (1914), « On narcissism : an introduction », S.E., 14.
— (1915), « Instincts and their vicissitudes », S.E., 14.
— (1916-1917), « Introductory lectures on psycho-analysis », S.E., 15-16.
— (1920), « Beyond the pleasure principle », S.E., 18.
— (1923), « The ego and the id », S.E., 19.
— (1924), « The economic problem of masochism », S.E., 19.
— (1933), « New introductory lectures on psycho-analysis », S.E., 22.
— (1937), « Analysis terminable and interminable », S.E., 23.
HARTMANN, H. (1953), « Contribution to the metapsychology of schizophrenia », in Essays on Ego
Psychology, Londres, Hogarth Press, 1964.
HARTMANN, H., KRIS, E., et LOEWENSTEIN, R. M. (1949), « Notes on the theory of aggression »,
Psychoanal. Study Child, 3-4.
KERNBERG, O. F. (1970), « Factors in the psycho-analytic treatment of narcissistic persona- lities »,
J. Am. psychoanal., Ass. 18, 51-85.
KLEIN, M. (1946), « Notes on some schizoid mechanisms », in Developments in Psycho- Analysis,
Londres, Hogarth Press, 1952. (Trad. fr. in Développements de la psychanalyse, P.U.F.)
— (1952), « The origins of transference », Int. J. Psycho-Anal., 33, 433-438.
— (1957), Envy and Gratitude, Londres, Tavistock; New York, Basic Books. (Trad. fr. Envie
et gratitude et autres essais, Gallimard, 1968.)
— (1958), « On the development of mental functioning », Int. J. Psycho-Anal., 39, 84-90.
REICH, W. (1933), Character-Analysis, New York, Orgone Inst. Press, 1949. (Trad. fr. L'Analyse
caractérielle, Payot, 1975.)
ROSENFELD, H. (1964), « On the psychopathology of narcissism », in Psychotic States, Londres,
Hogarth Press, 1965. (Trad. fr. in États psychotiques, P.U.F., 1976.)
— (1968), « Notes on the négative therapeutic reaction ». (Communication présentée à la
British Psycho-Analytical Society et à la Menninger Clinic, Topeka.)
— (1970), « On projective identification ». (Communication présentée à la British Psycho-
Analytical Society.)