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SOUFFRANCE ET RÉCIT NARRATIF

Maria Luísa Couto-Soares

Martin Média | « Le Journal des psychologues »

2011/10 n° 293 | pages 54 à 57


ISSN 0752-501X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2011-10-page-54.htm
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pages fondamentales

CLINIQUE

Souffrance et récit narratif

Departamento de
Maria Luísa Couto-Soares
Filosofia, Universidade
Nova de Lisboa

Tout praticien se trouve confronté à la diversité des discours de ses patients


en raison des individualités et souffrances propres à chacun. Exprimer sa
souffrance, l’interpréter, être attentif à ce qui est dit, pas dit, amène à étudier
le « récit narratif » de l’homme souffrant. Instrument cognitif participant à
l’interprétation et la compréhension des troubles d’une personne, l’attention
portée au récit permet d’appréhender le monde personnel de l’individu, son

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« être-au-monde », comme un tout, et ainsi comprendre sa souffrance.
« La douleur qui se lamente s’enchâsse dans une forme, sort comme une chose ou meurt
pour devenir chose – puis, au-delà, s’échappe avec la félicité du violon. »
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Rainer-Maria Rilke1

hétérogénéité des différents Médecine et histoire : n’est qu’une « story », une fiction.

L’ discours pose des problèmes


à la pratique clinique. L’ex-
pression de la souffrance à la pre-
narration ou fiction ?
Le discours métaphorique des descrip-
tions des douleurs et des souffrances
La maladie n’existe pas en soi, ce
n’est qu’une entité abstraite à laquelle
l’homme donne un nom (1985).
mière personne, l’interprétation qu’en D’après les indispositions senties par
fait le médecin et les transcriptions à la première personne accompagne, une personne, les médecins créent
quantitatives des plaintes du patient tout au long de l’histoire humaine, une notion intellectuelle couvrant les
ne sont pas facilement traduisibles. les évolutions culturelle, sociale et, symptômes racontés par le malade.
Est-ce que ces différents discours évidemment, les sciences médicales. Malgré les efforts des sciences médi-
sont incommensurables, démesurés ? La souffrance, la douleur, la maladie, cales, leur rationalité est toujours
Ou peut-on les considérer comme appartiennent à l’histoire aussi bien mêlée de croyances irrationnelles,
des points de vue, des perspectives que la médecine, depuis Homère et les d’ingénuité et de charlatanisme. Il est
complémentaires ? L’idée de récit nar- tragédies grecques jusqu’à nos jours. alors difficile d’établir la frontière entre
ratif en tant qu’instrument cognitif et Cependant, établir l’histoire de la médecine et « pratiques magiques ».
opérateur de l’intégration et de l’uni- douleur et de la maladie ne signi- Ce diagnostic sceptique et obscuran-
fication des différentes expériences fie pas que celles-ci ne soient plus tiste ne fait qu’accroître le problème
pourrait indiquer une voie possible de qu’une idée, une abstraction d’une de l’incommensurable, la démesure
résolution de cette impasse. réalité empirique complexe, comme et l’impossibilité d’intégrer ensemble
le soutient Jacques Le Goff (1985). le discours phénoménologique du
Jean-Charles Sournia conclut que les patient qui décrit, comme il le peut,
1. Rilke R.-M., 1994, Élégies de Duino. maladies n’ont que l’histoire que les ses expériences douloureuses et ses
Les sonnets à Orphée, Paris, Gallimard. hommes leur attribuent. Cette histoire souffrances et le discours du médecin

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qui l’écoute, l’interprète et transcrit en y a un fond de communauté, de « res- La vie, ma vie, est un tout, un tout par-
termes scientifiques et quantitatifs la semblances » qui nous rapprochent ticulier, mais un tout. Selon les paroles
maladie. Autrement dit, on pourrait et, pour cela, peuvent nous être com- de Alasdair MacIntyre : « Ma vie doit
considérer que toutes les expériences préhensibles. Qu’est-ce qui permet être comprise comme une unité téléo-
de l’homme « souffrant » et les diffé- ce rapprochement ? C’est le fait que, logiquement ordonnée, comme un tout
rentes pratiques cliniques, si variables malgré les distances et les différences, dont je dois apprendre à découvrir la
tout au long de l’histoire, ne sont que elles appartiennent à une histoire nature et le bien : en ce sens ma vie a
des expressions sociales, culturelles, commune : l’histoire de l’humanité. Et la continuité et l’unité d’une recherche
etc., d’une époque, d’une civilisation. la raison humaine est historique et la dont le but est celui de découvrir cette
L’incommensurabilité s’amplifie ici : raison historique, narration compré- vérité sur ma vie comme un tout. Selon
au-delà de celle qui menace le dia- hensive des évènements humains, a cette conception, ma vie a l’unité d’une
logue et la compréhension entre le nécessairement un caractère narratif. histoire avec un commencement, un
patient et le médecin (synchronique), milieu et une fin. Chaque vie particulière
il y a un abîme diachronique séparant comme un tout existe dans ses parties
Récit narratif et Histoire particulières – des actions, des projets,
et isolant les différentes cultures,
civilisations, avec leurs coordonnées La notion de récit narratif est actuel- des évènements, des craintes, des souf-
spécifiques. Nous sommes ainsi situés lement un des instruments les plus frances – qui sont la narrative représen-
à un carrefour, dans un labyrinthe, où riches et en même temps les plus tée de cette vie. Mais la compréhension
tout essai de compréhension semble problématiques pour résoudre les de ces parties, - de la souffrance, de
frustré par des barrières tempo- conflits interdisciplinaires, les disso- la douleur, de la maladie, d’une expé-
relles, et surtout des barrières entre le nances entre différentes traditions, et rience particulière – dépend de notre
« moi » et « l’autre » (dans le cas syn- pour rendre possible une compréhen- manière de concevoir et caractériser
chronique), entre différentes « formes sion des différences. Des différences toute la vie. Ce ne sont pas des épisodes
de vie », en employant l’expression entre visions du monde, perspectives détachés, des fragments dépareillés,
de Ludwig Wittgenstein, entre diffé- culturelles, traditions de pensée, etc., mais des moments vécus dans lesquels
rentes « narratives 2 » (1953). Ludwig et surtout des différences constituant toute la vie de l’individu est tacitement
Wittgenstein, au sujet du Rameau d’or des obstacles à la compréhension de présente » (1990, p. 197).
de James George Frazer, remarquera notre propre vie et celle des autres
qu’un homme de science du XXe siècle humains. Récit narratif et clinique

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« voit » et interprète les pratiques Ici, je prendrai le récit narratif dans deux
magiques comme des actions irration- Pourquoi va-t-on chez le médecin,
sens : d’une part, en tant qu’opérateur
nelles, préscientifiques ; ces pratiques chez le psychologue ? Réponse immé-
d’identité du moi, c’est-à-dire l’unité
lui sont totalement étrangères, il ne diate : parce qu’on se sent malade,
d’un récit narratif liant toute ma vie, de
on ne se sent pas bien, on ressent
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peut pas les comprendre, parce qu’il la naissance jusqu’à la mort, et, d’autre
ne réussit pas à les intégrer dans les quelques maux, on est épuisé…
part, un récit ayant un commence-
coordonnées de sa « forme de vie ». Quelles sont les aspirations du patient
ment, un milieu et une fin. La vie d’une
Mais cela ne lui permet pas de les personne – tous ses événements, ses attendant patiemment son tour ? Le
exclure « a priori » (Cometti J.-P., expériences, etc. – est apparemment médecin, ou le psychologue, croit-il,
1996, p. 122). Les explications scien- une dispersion constituée de frag- l’écoutera, comprendra les raisons de
tifiques de James George Frazer ne ments d’instant, de moments vécus, ses souffrances, s’en souciera, le sou-
sont que des hypothèses, commente avec ses propres temps et ses propres lagera, lui donnera de nouvelles espé-
Ludwig Wittgenstein : « On ne peut espaces. L’espace et le temps sont rances, peut-être même le guérira.
ici que décrire et dire : ainsi est la vie des opérateurs « d’inidentité » du soi. Une réponse trop simpliste dira-t-on.
humaine » ; « L’explication, comparée Nous connaissons bien les difficultés Revenons sur la notion de récit narratif
à l’impression que fait sur nous ce qui causées par le problème de l’identité comme instrument et méthode dans
est décrit, est incertaine » ; « Toute personnelle à travers le temps. Il n’est la pratique médicale et essayons d’en
explication est une hypothèse » pas question ici de développer ce retirer quelques conséquences en
(1982, p.15). problème, mais de faire remarquer rapport à la rencontre patient-méde-
C’est pour cette raison que Ludwig que les tentatives de fonder l’identité cin. Consciemment ou inconsciem-
Wittgenstein raisonne en termes de du moi sur la conscience de soi, sur la ment, l’homme souffrant attend une
« possibilité ». Je ne comprends pas mémoire, aboutissent à des impasses chose : être compris, radicalement
ces pratiques, elles me sont totalement insurmontables. Comment l’idée de compris. Je ne retiendrai ici que trois
étrangères, soit, mais elles « pour- « narrative » peut-elle surmonter ces aspects implicites de ce que j’ai déjà
raient » ne pas m’être étrangères et difficultés ? Le contexte d’un récit évoqué sur les apports de l’idée de
je « pourrais » les comprendre. Je narratif personnel réunit le réel, l’ima- récit narratif pour la compréhension
« pourrais » sauter cet « abîme » qui, ginaire, le possible, etc. Il ne s’agit pas de la vie humaine.
en réalité, n’est pas tellement abyssale, d’une simple description chronolo-
parce que malgré les différences et les gique ou d’une énumération de ce qui
distances entre nous et les autres (les arrive. « Le monde est ce qui est le cas » 2. « Narrative », terme anglais que nous
autres cultures, formes de vie, etc.), il (Wittgenstein L., 1921). traduisons ici par récit narratif.

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Le monde personnel considérera qu’il ne souffrait alors que lui est immédiatement ouvert en tant
de l’individu et ses expressions de la « vraie » maladie diagnostiquée. qu’apparaître ; il ne s’agit pas de son
Mais ne souffre-t-on pas, bien souvent, lieu, de son entourage, mais de ce qui
Karl Jaspers a écrit des pages bien encore plus des craintes du possible que lui est absolument prochain. L’homme
éclairantes sur la compréhension du de la réalité elle-même? Et ces craintes, est « au » monde immédiatement, sans
monde comme « précondition » pour ces produits de l’imagination, sont là, aucune médiation. Ce n’est pas le monde
s’apercevoir du sens de ce qu’un indi- bien présentes dans l’horizon vital de connu ; le monde connu présuppose
vidu nous dit (1913). Cette compréhen- notre monde. une distance, une objectivation. Entre
sion ne dépend pas seulement d’une l’homme et le monde, il y a une ouverture
interprétation de ce qui est « dit ». Il faut Les self descriptions du patient consti-
mutuelle immédiate, sans continuité.
voir au-delà, il faut demander qu’est-ce tuent une première donnée pour le
que l’autre « veut dire » en disant tout médecin non seulement en psychopa- Ainsi, comprendre une personne, c’est
simplement ce qu’il dit. Il ne s’agit pas thologie, mais aussi dans toute la pra- comprendre son « être-au-monde »,
encore de l’herméneutique, mais de tique clinique (Jaspers K., 1997, p. 55). c’est-à-dire comprendre qu’elle n’est
comprendre tout ce qui est implicite Si nous n’écoutons pas le patient, nous pas seulement un individu, un « objet »
derrière ces mots, ces plaintes, ces risquons de passer trop rapidement isolé, dégagé de tout le reste, mais
autodescriptions, que l’autre fait de à des interprétation et traduction en qu’elle « est un monde », une ouverture,
son expérience vécue. termes scientifiques, méprisant ou une immédiateté, pas spatiale mais
méconnaissant le monde personnel temporelle. Cependant, il ne s’agit pas
Toutes les significations objectivées de l’individu. d’un processus : l’ouverture est immé-
sont entourées d’aspects plus ou moins diate, on est déjà au monde inséparable
occultes pouvant être appréhendés Les transcriptions quantitatives (radio- du « au », c’est-à-dire que le monde ne
comme des expressions involontaires du graphie, scanner, etc.) ne peuvent rendre survient pas, il est déjà donné.
psychisme, des révélations de quelque compte de la douleur et, souvent, comme
chose qui, n’étant pas dit explicitement, en témoigne Miguel Torga, peuvent aussi
est implicite ou tacite comme une aura : l’augmenter à travers une déperson- La vie de l’homme comme un tout
le ton particulier avec lequel l’autre parle, nalisation du corps du malade : « Des L’exemple de Miguel Torga précédem-
la ligne mélodique, le style, l’atmos- radiographies et encore des radiogra- ment cité peut faire penser à un chan-
phère, sont comme la « physionomie phies. L’image souffreteuse et agitée de gement de son monde. En réalité, dans
du langage ». mes pauvres entrailles impudiquement ce cas, nous parlons du monde en tant

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exposées à la lumière du jour. Des dis- que monde « connu », représenté, vécu.
Pour pénétrer dans le monde de l’autre,
cussions et interprétations au sujet de Ces expériences sont temporelles, elles
il ne suffit pas d’entendre, d’écouter, ses
leur moindre repli. Et personne ne peut changent tout au long de la vie. Cepen-
paroles comme le bruit d’une description
comprendre la douleur, le désespoir dant, ce caractère temporel ne met pas
plus au moins exacte, objective. Cette
et la honte, qui me saisissent » (1982,
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description pourra sembler un discours en cause l’unité de la vie. À chaque ins-


p. 89) C’est un témoignage embléma- tant, l’homme existe comme « un tout ».
incohérent, un mélange de fantaisie,
tique puisque Miguel Torga, médecin, vit Son corps se meut comme un objet
d’imagination, d’obsessions, de peurs…
l’expérience du patient. Un homme qui dans l’espace, change d’aspect, vieillit. Il
Mais les paroles cachent et révèlent
a pratiqué en clinique, et ainsi connaît devient une pièce de matière, un objet
son monde personnel, c’est-à-dire sa
bien le point de vue du médecin, fait quelconque, se présentant devant nous.
façon particulière « d’être-au-monde »
l’expérience douloureuse, en tant que Mais, si nous « voyons » un homme dans
(selon l’expression bien connue de Hei-
malade, de l’incompréhension de sa ce corps particulier, nous nions l’homme
degger). Quel que soit le discours d’un
souffrance, traduite ou réduite à des en lui-même, car nous perdons de vue
hypocondriaque souffrant de maladies
radiographies ou des scanners. À pré- son unité infinie. Nous objectivons, c’est-
imaginaires, c’est bien son monde qu’il
sent, son monde, son situs, est changé : à-dire que nous isolons une partie, un
transmet. Georg Christoph Lichtenberg,
il est passé de la place du médecin à la stratus, de sa réalité, en laissant tout son
exemple significatif, était toujours atten-
place du malade. Malgré sa proximité être et toute sa vie dans l’ombre. La vie
tif au moindre mouvement de son corps.
avec la souffrance des autres tout au d’un homme, cette unité infinie, n’est pas
Il s’abandonnait presque avec plaisir à
long de sa vie professionnelle, c’est accessible par la connaissance. Même
l’examen de toutes ses maladies, car ses
une expérience totalement nouvelle. en devenant « connue », son unité et
tourments stimulaient ses réflexions.
Il comprend, maintenant, que toutes « son tout » restent cachés derrière les
Dans un de ses aphorismes, il énumère
les transcriptions quantitatives ne sont multiples unités la constituant.
treize maladies, en plus de celle diagnos-
pas des authentiques expressions de
tiquée par les médecins, à savoir des C’est pour cela que toutes les recherches
son monde.
spasmes abdominaux. Il croit souffrir, scientifiques sur l’homme ne peuvent
à quarante-six ans, de marasmus seni- L’expression « être-au-monde » prend pas nous donner une image unitaire de
lis, d’hydropisie, d’une fièvre maligne, un sens particulier en rapport à la per- l’individu, mais seulement une pluralité
d’ictère, etc. Raisonnablement, il avoue sonne : celle-ci est une intimité, non d’images. C’est une erreur de réduire
que tous ceux qui liront son texte pen- encloîtrée, une possession de soi- toute notre connaissance de l’homme
seront que la seule crainte bien-fondée même en rapport avec son origine. seulement à un niveau, comme s’il était
était la douzième de son énumération « Être-au-monde » ne signifie pas que devant nous comme un objet, un tout
exhaustive. Évidemment, tout médecin le monde circonscrit l’être, mais qu’il connaissable par ses causes et ses

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effets. Ce problème méthodologique nous raconte ses souffrances, ses dou-
des sciences de l’homme est d’ailleurs
inévitable.
leurs, ses expériences vécues, toujours
partielles ? Ce qu’il dit n’est que la pointe
Bibliographie
Mais la médecine est un art, une technê d’un énorme iceberg submergé dans Le Goff J., 1985, « Préface » in
pour laquelle les sciences médicales des eaux profondes. On écoute ce qu’il Le Goff J., Sournia J.-C., 1985, Les
ne sont qu’un instrument et n’assu- dit, le médecin l’écoute et peut être ne Maladies ont une histoire, Paris, Le Seuil.
rent pas la bonne pratique clinique, découvre-t-il rien de nouveau. Tout cela Cometti J.-P., 1996, Philosopher avec
tout comme la connaissance des lois a déjà été dit de nombreuses fois aupa- Wittgenstein, Paris, PUF.
de l’harmonie et des règles pour bien ravant. Il entend, mais il n’écoute pas,
il ne voit pas cet homme unique, seul, Gil F., 2005, « Mors Certa, Hora
jouer du piano ne suffisent pas pour Incerta », in Acentos, Imprensa
faire un bon pianiste. Autres débats devant lui, s’efforçant de lui faire com-
prendre ses problèmes, toute sa vie. La Nacional - Casa da Moeda.
que constituent le statut épistémolo-
gique et la méthodologie des sciences raison immédiate de cette consultation Jaspers K., 1913, General
médicales et cliniques, revenons à l’idée ne sera probablement pas les symp- Psychopathology, Baltimore and
de la vie humaine comme un tout. Pour tômes qu’il ressent, mais un désir d’être London, The Johns Hopkins University
expliciter, synthétiquement, la notion écouté et compris. Press, Vol. I., 1997.
de « tout » (Holos), considérons la vie Les self-descriptions du patient sont, MacIntyre A., 1990, Three
comme un « tout », dans le sens d’une sans doute, le premier apport pour la Rival Versions of Moral Enquiry.
unité intégrant plusieurs parties, cer- compréhension de l’autre. Ce discours Encyclopaedia, Genealogy and
taines d’entre elles n’étant que poten- personnel est l’expression immédiate Tradition, University of Notre-Dame
tiellement présentes. Cette idée permet de l’autoconscience du patient. Lui seul Press.
de concilier deux aspects de l’humain : peut le faire. Mais ses propres paroles Polanyi M., 1974, Personal
l’homme est une nature inachevée, sont très pauvres pour rendre sa pen- Knowledge. Towards a Post-Critical
fragmentaire, finie, et en même temps sée. Ce qui est dit occulte maintes expé- Philosophy, The University of Chicago
il est une ouverture illimitée, signe de riences vécues, tout le passé encore Press.
son incomplétude permanente. L’indi- présent, tout le futur qu’il devance.
Torga M., 1982, En Franchise
vidu humain reste toujours incomplet Il s’agit d’une quête, dont la fin nous est intérieure, Paris, Aubier.
en raison de sa plasticité continue, inconnue. Ni le médecin ni le patient ne
une incomplétude prégnante de futur. Wittgenstein L., 1982, Remarques

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connaissent la fin du récit. Que faire ? sur le rameau d’or de Frazer, L’âge
Comme le disait Aristote, la psychê est, Je prendrais le conseil empathique de
ou peut devenir, toutes choses. d’homme.
Michael Polanyi dans toute son appa-
En se référant de nouveau à Alasdair rente simplicité, comme commen- Wittgenstein L., 1921, Tractatus
Macintyre, si l’on pense la vie en tant cement d’une prochaine recherche : logico-philosophicus, Routledge,
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qu’unité ordonnée téléologiquement, « Regardez la fin. Rappelez-vous de Gallimard, 2001.


comme « un tout » dont nous devons votre visée. Regardez l’inconnu. Regar- Wittgenstein L., 1953, Investigations
apprendre à découvrir la nature et le dez la conclusion. » (1974, p. 127) ■ philosophiques, Paris, Gallimard, 1986.
bien, notre vie aura la continuité et
l’unité d’une recherche, d’une quête.
Cette unité est l’unité d’un récit narratif,
avec un commencement, un milieu et Société de thérapie familiale
une fin. La fin, écrit Fernando Gil, la
mort, se présente comme une néces- psychanalytique d’Île-de-France
sité inexorable, une limite que nous
envisageons toujours « de l’autre côté » Treizième colloque – 21 et 22 janvier 2012
(2005, p. 293). Le futur est le monde
des possibles, l’avenir nous semble une « ALORS, RACONTE... »
série de possibles toujours infinis. La
mort, c’est justement la négation de la
Rêves, cauchemars et mythes en famille
« possibilité de tout possible », le coup En hommage au Professeur André RUFFIOT
final de la série des futurs contingents,
imprévisibles mais attendus.
• Voir l’argumentaire dans l’Agenda, p. 22.
• Avec la participation de : F. Aubertel, M. Barraband, F. Baruch, H.-P. Bass,
La compréhension de la vie – de A.-M. Blanchard, P. Benghozi, P. Castry, E. Darchis, C. Diamante, A. Eiguer,
tout ce qui ne peut pas être dit E. Granjon, C. Joubert, R. Kaes, J. Lemaire, C. Leprince, A. Loncan, M.
Mercier, D. Pilorge, H. Popper, D. Quemenaire, O. Rosenblum, R. Sefcick, E.
Du fait que la vie soit une quête continue Taffo, J.-P. Tassin, S. Tisseron, E. Tixier, etc.
de sens, et que sa totalité ne peut pas
être comprise au long du temps de nos Lieu : Espace Conférences des Diaconesses, 18, rue du Sergent Bauchat – 75012 Paris
expériences, la question qui se pose est Programme complet sur le site : www. psychanalyse-famille-idf.net
comment comprendre un individu qui Renseignements et inscriptions : 01 74 71 71 66 - stfp.if@laposte.net

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