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A.

CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 1

DEMOCRATIES ET TOTALITARISMES DANS


L’ENTRE-DEUX-GUERRES
(1919-1939)

L'entre-deux-guerres est caractérisé par une double mise en cause : celle du régime politique
(la démocratie), par de nouvelles formes politiques nées après la Première Guerre mondiale
(le communisme d'un côté, les « fascismes » de l'autre) ; celle du régime économique (le
libéralisme), par le recours au dirigisme et à l'interventionnisme étatique. Le début des années
1920 inaugure en effet, en Europe, une crise des idéologies politiques traditionnelles. Partout,
la démocratie recule alors que les dictatures progressent et se lancent dans une politique
extérieure expansionniste.
C'est pourquoi on a parlé pour désigner cette période d'une « époque du fascisme » (Ernst
Nolte), d'une « époque du totalitarisme », ou encore d'une « époque de l'autoritarisme »,
caractérisée par ce recul du libéralisme et de la démocratie. Les « fascismes» seraient alors
l'expression de ce mouvement de discrédit et de retrait de la démocratie libérale. Nés de la
Première Guerre mondiale, ils meurent avec la fin de la Deuxième.
Trois axes de réflexion peuvent être dégagés pour cette période :
- En premier lieu, les « séquelles » de la Première Guerre mondiale. Les séquelles
économiques et sociales sont inégalement ressenties d’un pays à l'autre, mais compromettent
grandement la stabilité politique. Le mythe et l'illusion du « retour à la normale »
apparaissent, dans les démocraties libérales, comme une véritable obsession des années 1920.
D'autre part, les rancunes héritées de 1918 remettent en cause les équilibres précaires de
l'ordre établi par les traités de paix.
- En second lieu, il ne faut jamais perdre de vue les effets ravageurs de la crise de 1929, qui ne
font qu'accroître les difficultés. Ils pèsent considérablement sur les relations internationales
autant que sur la stabilité politique des Etats, que ce soit dans les anciennes démocraties ou
dans les « nouvelles ».
- En dernier lieu, il faut souligner l'influence capitale exercée sur tous les pays européens par
la Révolution bolchévique de 1917. Entre tentations et rejets, la Révolution de 1917, avec les
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potentialités de développement qu'elle sous-tend, est une donnée capitale pour tous les pays
européens dans l'entre-deux-guerres.
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I- L’adieu au « monde d’hier » (Stefan Zweig)


Nombreux sont les écrivains et intellectuels à avoir compris en 1918 que plus rien dans le
monde ne serait désormais comme avant. Dans Le Monde d’Hier. Souvenirs d’un Européen,
de façon posthume (1948), Stefan Zweig est un des meilleurs symboles de la rupture par
rapport à l’Europe d’avant 1914. Teintée de nostalgie, son œuvre chante le souvenir d’une
Europe qui non seulement n’est plus prééminente, mais sort défigurée du premier conflit
mondial. Il est vrai que le bilan est impressionnant.

A- Bilan économique et matériel


Au total, en 1919, par rapport à 1914, l'Europe a perdu 30% de son potentiel agricole et 40%
de son potentiel industriel. Le problème du redressement national et de la reconstruction du
système productif équivaut dans une certaine mesure à une nouvelle mobilisation. L'après-
guerre s'ouvre sur une crise économique d'une ampleur variable, mais aux symptômes
identiques dans tous les pays : crise monétaire, crise de la production, hausse des prix,
inflation et chômage de masse. L’« héritage » de la Grande Guerre est éloquent : 3 millions
d'hectares stériles en France, des villes comme Reims détruites à 90%. La Grande-Bretagne a
perdu l'essentiel de sa flotte marchande. Sur le plan financier, c’est la banqueroute : pour
financer l'effort de guerre, tous les pays européens ont dû emprunter, et vendre leurs créances.
Il en résulte une dette colossale, dont le poids sera un des grands contentieux entre les anciens
alliés dans les années 1920. En parallèle, le spectre de l'inflation est sans doute une des
séquelles majeures de la Première Guerre mondiale. A la fois conséquence de la guerre et
nécessité de l’après-guerre, l'inflation entraîne un désordre structurel à long terme, à l'origine
des crises monétaires de l'entre-deux-guerres. En effet, pendant la guerre, tous les
gouvernements ont fait fonctionner la planche à billets, dans le but de couvrir les dépenses de
guerre alors que leur encaisse-or était insuffisante. Dans ces conditions, l'inflation et la sous-
production engendrent une terrible hausse des prix dans tous les Etats européens. Cela affecte
le niveau de vie de l'ensemble de la population, et tout particulièrement des classes moyennes.
Enfin, en 1919, la Vieille Europe devient de plus en plus dépendante des puissances à
industrialisation récente. Les exportations de produits agricoles ont permis le décollage de
certains pays d’Amérique (Canada, Argentine), au détriment de l'Europe centrale. Le Japon,
grand exportateur de textiles pendant la guerre, a également pris la place des métropoles
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européennes dans l'aire asiatique et pacifique. Mais ce sont surtout les États-Unis qui sont les
grands bénéficiaires du premier conflit mondial : le revenu national a doublé par rapport à
1914, et ils sont devenus la première puissance économique, financière et commerciale
mondiale, à la place de la Grande-Bretagne. Face à l’Europe, leur position est confortable :
non seulement ils sont devenus les créanciers de l'Europe, mais ils exportent vers elle produits
agricoles et produits industriels. Adossé à 50% du stock d'or mondial, le dollar supplante
désormais la livre sterling. Les Etats-Unis sont par ailleurs leaders mondiaux dans
l'exportation de produits manufacturés.
Les équilibres sectoriels se trouvent également durablement modifiés avec l'avènement de la
concentration capitaliste et l'émergence de nouvelles branches industrielles, ou encore l’essor
de l'organisation scientifique du travail. L'Etat joue de plus en plus le rôle d'arbitre et de
régulateur dans l’économie de marché, ce qui accroît les exigences sociales à son égard. Ce
renforcement de l'exécutif et la tendance à l'extension de ses champs d'intervention se
maintiennent en partie dans l'entre-deux-guerres. Même si la guerre 1914-1918 apparaît
comme une parenthèse dirigiste vite refermée face au libéralisme économique, sur le plan
politique et social des habitudes ont été prises, comme en France, où l’on parle de la
«dictature de Clemenceau », ou en Angleterre, où l’on évoque une « dictature de cabinet ».
Les structures sociales ont elles aussi été transformées. La guerre a créé une brutale remise en
cause des hiérarchies sociales, et ce sont les classes moyennes qui en sortent les plus
affectées. Les difficultés économiques et sociales expliquent le très fort mécontentement dans
tous les pays européens au début des années 1920. Dans la plupart des cas, une fraction
importante de la petite bourgeoisie se dresse contre l'Etat libéral qui n'a pas su protéger ses
intérêts. Cela alimente un vif ressentiment contre le libéralisme et les milieux dirigeants, jugés
responsables du conflit et rejetés au profit d’idéologies anticapitalistes, que ce soit le
socialisme ou les fascismes.

B- L'atrocité du bilan humain : la « boucherie » de la Grande


Guerre
Le bilan humain pèse dans les esprits comme dans la reprise démographique et économique
(80% des victimes sont des hommes de 20 à 40 ans, ce qui correspond à 10,5% de la
population active française par exemple).
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Au total, il y a eu 10 millions de morts en quatre années de guerre : deux millions de Russes,


deux millions d’Allemands, 1,4 million de Français. Les années 1920 sont marquées par le
vide laissé par ceux que l'on appelle avec pudeur « les absents ».
Le deuil est impossible en raison du nombre et de l’âge des morts. Il l’est aussi en raison du
nombre de gens victimes de la guerre dans leur chair, blessés et mutilés. Rien qu’en France, il
y a 3 millions de blessés et plus d’un million d’invalides. L’Allemagne en dénombre 5
millions. Contrairement aux guerres du XIXe siècle, ce qui fait indéniablement la spécificité
de l'après-guerre, c'est l'apparition de séquelles d'un genre nouveau, qui marquent
durablement les corps et les esprits des démobilisés. Les blessures faciales, les «gueules
cassées », entretiennent le souvenir douloureux des horreurs de la Grande Guerre.
Des écrivains comme Blaise Cendrars (La main coupée) ont évoqué le choc des amputations.
Des peintres comme Otto Dix représentent après la guerre les mutilés de façon réaliste. Et
puis il y a les douleurs invisibles, les traumatismes psychologiques, face auxquels les
pouvoirs publics sont démunis.

C- La fin du mythe du progrès : la profonde crise morale,


intellectuelle et artistique
La guerre a fait naître des doutes sur la nature humaine, bien résumés par Paul Valéry : «Nous
autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles». La profonde crise
morale qui s'ouvre en 1918 a remis en cause toutes les valeurs louées au siècle précédent (le
positivisme, le scientisme), autant que la crédibilité des élites politiques et intellectuelles. On
assiste dans les années 1920, dans les domaines littéraires, artistiques et philosophiques, à un
profond bouleversement des formes et à un renouvellement des thèmes artistiques. Le
rationalisme du XIXe siècle recule au profit de l’absurde sous toutes ses formes. Les ruptures
sont mises en avant par un certain nombre de mouvements avant-gardistes : dadaïsme,
cubisme, surréalisme.
En même temps, ceux qui ont vécu les pires épreuves ressentent un immense besoin de
témoigner. Cela peut prendre la forme de l’initiative individuelle, par exemple chez les
écrivains. Ainsi, Roger Martin du Gard, dans L'été 1914 et L'Epilogue (les deux dernières
parties de l'œuvre monumentale Les Thibault) analyse les prémisses de la guerre. Roland
Dorgelès, dans Les Croix de bois (1919), ou l'Allemand Erich Maria Remarque, dans A
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l'Ouest rien de nouveau, traitent de la guerre sur le mode du réalisme. D’autres choisissent
des procédés différents : Hemingway (L'Adieu aux armes), Henri Barbusse (Le Feu),
Apollinaire (Calligrammes), Céline (Voyage au bout de la Nuit).
Au niveau collectif, la volonté de témoignage rapproche de très nombreux anciens
combattants dans un rejet féroce de la guerre, symbolisé par le vocabulaire (« Plus jamais
ça »). Ce rejet rapproche des hommes très différents, mais soudés par une expérience
commune, au sein de la « génération du feu », qui a le sentiment d’avoir été broyée.
Une grande différence existe cependant entre les pays vainqueurs et les pays vaincus. Le
thème des « anciens combattants » est indissociable de la question des « démobilisations »,
puisqu'il s'agit de savoir ce que deviennent, dans l'après-guerre, les soldats retournés à l’état
de civils.
En France, il faut souligner l'importance numérique de ce groupe de population, qui
représente en 1935 encore 5 millions d'hommes. La moitié de la population active de l'entre-
deux-guerres a combattu durant la Première Guerre mondiale. Il est évident que dans ces
conditions, les anciens combattants pèsent lourd dans la vie politique de l'entre-deux-guerres,
puisqu'ils représentent entre un quart et la moitié de la masse électorale.
L’historien Antoine Prost a battu en brèche le mythe belliqueux et nationaliste dont le
mouvement des anciens combattants aurait été le chantre (exception faite des « Croix de
Feu », entre 1927 et 1936). Il s'agit d'abord d'un mouvement de masse (puisque la moitié des
survivants aurait adhéré à une association de ce type), qui se crée spontanément dans
l'immédiat après-guerre, avec notamment deux organisations de masse : l’UF (Union
Fédérale, qui compte 900000 adhérents en 1932), et l’UNC (Union Nationale des
Combattants). Initialement tourné vers la défense des intérêts des anciens combattants, ce
mouvement fonctionne comme une caisse de secours pour les plus démunis, comme un
groupe de pression ( qui arrache une retraite pour les anciens combattants en 1930), et comme
un groupe de sociabilité qui prolonge, dans une certaine mesure, la fraternité des tranchées.
Contrairement aux idées reçues, le mouvement des anciens combattants développe une
certaine pédagogie de la paix et un devoir de mémoire. Son pacifisme viscéral incitera
cependant certains membres à accepter la défaite en 1940.
En Italie et en Allemagne, la situation est différente. Les difficultés de réinsertion dans la vie
civile des soldats démobilisés, la rancune contre des traités de paix « honteux » (thème du
« Diktat » dénoncé par les Allemands après le traité de Versailles, ou encore du « Coup de
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poignard dans le dos ») favorisent l’apparition de groupes armés : les Corps Francs en
Allemagne, les « arditi » révolutionnaires en Italie, mais également les « fasci », noyau
primitif du parti de Mussolini, qui est initialement un regroupement d'anciens combattants
italiens. Ces groupes entretiennent dans leur pays la culture du « coup de force » et exportent
dans la sphère civile la violence dont ils ont fait l’expérience au front.
Aux Etats-Unis, la situation est encore différente, car l’armée américaine a reposé sur le
volontariat, et non sur la conscription obligatoire comme en France ou en Allemagne. En
conséquence, les «veterans» exercent une très forte influence dans l'entre-deux-guerres, et
notamment l’association « American Legend», créée par des officiers démobilisés en 1919,
qui réclament des compensations financières à leur engagement (un soldat américain pendant
la guerre gagnait un dollar par jour, alors qu'un ouvrier des usines Ford en gagnait 5). Ils sont
à l'origine de la grande manifestation en faveur de la conservation de leurs aides financières,
la «marche du Bonus», en juin 1932, dans le contexte de la crise de 1929.
Indéniablement, à bien des points de vue, la Première Guerre mondiale marque de son sceau
les années 1920 et 1930. Pour résumer, dans les pays où le pouvoir politique a été fort et a
conservé la prééminence sur le pouvoir militaire, où les institutions sont restées stables, et où
l’économie a su s’adapter à l’effort de guerre, les effets de la guerre ont pu être limités dans
les années 1920 (France, Grande-Bretagne). En revanche, dans les pays où le consensus
politique avant 1914 était déjà érodé, où la cohésion sociale était fragile, où le développement
économique était insuffisant, les effets furent ravageurs : l'effondrement militaire
s'accompagne de la chute du régime (Autriche-Hongrie, Russie, Italie, Allemagne), et
débouche sur des guerres civiles réelles (Russie), ou larvées (Allemagne, Italie).

II- Les démocraties libérales en difficulté (1918-1939)


En 1919, les démocraties libérales (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis) ont triomphé des
empires autoritaires regroupés dans la Triple Alliance (ou Triplice) : Allemagne, Autriche-
Hongrie, Empire ottoman. Leur modernisme politique, économique et social semble
irrésistible. Pourtant, elles ne vont pas tarder à être sérieusement mises en difficulté.
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A- Les Etats-Unis dans l’entre-deux-guerres : de la


prospérité à la crise
Les Etats-Unis sont, en 1918, les grands bénéficiaires de la Première Guerre mondiale :
première puissance économique mondiale, ils sont passés, dans tous les domaines, devant
l'Europe. Ils écrivent pourtant, entre 1919 et 1939, une des pages les plus ambiguës de leur
histoire.
Si les années 1920 s'ouvrent sur une période de prospérité sans précédent, les années 1930
correspondent à une période de misère sans précédent. Entre les deux, la crise de 1929.
Pourtant, le système politique a remarquablement résisté. Comment cela a-t-il été possible ?
Le New Deal a-t-il « sauvé le système sans le changer » ?

1- Les « Roaring Twenties » et le « Rêve américain » (1919-1929)


Les « Roaring Twenties » (« Années Folles » pour les Américains) sont caractérisées par
l'optimisme et la confiance dans le « modèle américain » comme dans les effets durables de la
croissance économique, dont l’origine se trouve au croisement de trois facteurs : le
machinisme, la consommation de masse, et la standardisation de la production.

a-L’entrée dans l’organisation scientifique du travail (OST)


Les Etats-Unis sont entrés dans l'ère de la production de masse avant la Première Guerre
mondiale, mais la technologie s’est fortement développée pendant le conflit. Il a fallu
apprendre à produire plus avec moins de salariés. Cela n’a été possible que grâce à une forte
hausse de la productivité. Après la guerre, tous les indices de production sont en hausse, et
l’on assiste au développement de secteurs modernes dans l’économie (électronique,
aéronautique, industries chimiques et pharmaceutiques, automobiles, industrie
cinématographique). Les nouvelles énergies (électricité) et les nouvelles matières premières
(industrie pétrolière) sont fortement sollicitées.
Une nouvelle méthode de travail est expérimentée à grande échelle : le taylorisme, ou
organisation scientifique du travail. Chaque tâche est étudiée, chronométrée, afin de
l’optimiser. Les gains de temps sont tels que les salariés en profitent : alors qu’il fallait plus de
12 heures pour assembler une Ford modèle T en 1913, il ne faut qu'une heure et demie au
printemps 1914. Cette standardisation des produits, qui permet de produire plus, autorise aussi
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des salaires plus importants, ce qui pousse la consommation à la hausse. Chez Ford, la
revalorisation salariale pour les ouvriers des usines entraîne un salaire de cinq dollars par jour.
Les conséquences de ce compromis entre salaire et production qu’on appelle « fordisme »
sont immenses : les Etats-Unis entrent dans l'ère de la consommation de masse et le
modernisme pénètre dans le quotidien des Américains. Cela s'explique par la baisse du prix
des articles et par l'augmentation des salaires, qui engendrent un accroissement du pouvoir
d'achat. Mais il ne faut pas oublier les crédits à la consommation, dont les Américains sont
friands. Tout Américain moyen peut consommer et se rendre propriétaire de ces symboles de
la prospérité que sont : l'aspirateur, le réfrigérateur, la machine à laver, la radio (12 millions de
foyers en possèdent une en 1929), la voiture (un Américain sur cinq en possède une en 1929,
alors qu'en Europe elle reste un produit de luxe).
Il en résulte un bouleversement profond des modes de vie. Les Américains sont en majorité
des citadins; la ville américaine change d'aspect (paysages standardisés, extension des
banlieues). Les loisirs se multiplient.
Certains symboles résument la période : les usines Ford (15 millions de Ford T produites entre
1908 et 1927), Rockefeller (le roi du pétrole, grâce à la Standard Oil), la construction de
l'Empire State Building (1929).
b- Les Républicains et le « retour à la normale »
Le mécontentement social (causé par la conversion de l’économie de guerre en économie de
paix, avec effondrement de certaines productions et envolée des prix) provoque dans le pays
une vague de manifestations et de grèves en 1919, qui porte les Républicains au pouvoir en
1920 avec l'élection de Harding à la Maison Blanche. Ils ont fait campagne sur le thème du
« retour à la normale » (« Back to normalcy »). Ils restent au pouvoir durant toutes les années
1920, avec l'élection de Coolidge en 1924 et de Hoover en 1928.
Le programme républicain s'appuie sur quelques grandes lignes. En matière économique,
c’est le libéralisme à tout prix qui prime. L'Etat intervient le moins possible dans l'économie
et laisse carte blanche aux milieux d'affaires du « Big Business ». C’est le règne du « laissez
faire », bien résumé par une célèbre formule : « Moins de gouvernement dans les affaires, et
plus d’affaires dans le gouvernement ». En politique étrangère, les Républicains ne reprennent
pas à leur compte le programme de paix et de sécurité commune de Wilson, et laissent le
Sénat refuser la ratification du traité de Versailles, ce qui entraîne la non-participation
américaine à la Société des Nations. En outre, les Républicains sont conscients de la
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puissance d’un courant isolationniste dans l’opinion publique, et n’entendent donc intervenir
en politique internationale que dans la mesure où les intérêts américains sont directement
concernés. Ainsi, les Etats-Unis proposent le plan Dawes (1925), puis le plan Young (1929)
pour régler le problème des Réparations dues par l’Allemagne à la France, qui empoisonne les
relations internationales. D’une façon générale, les années 1920 correspondent à ce qu’on
appelle la « diplomatie du dollar », où ce sont moins les intérêts de l’Etat fédéral que ceux des
banques qui conduisent la politique américaine. Mais après la crise de 1929, et surtout après
l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne, les Etats-Unis sont de plus en plus méfiants
vis-à-vis des affaires européennes, et se tiennent volontairement en retrait. Si l’on ne peut
parler d’un isolationnisme américain étendu sur les années 1919-1939, il est clair que c’est
l’unilatéralisme qui prévaut dans les relations avec l’Europe à partir de 1933, car les
Américains ne veulent pas se trouver pris malgré eux dans un engrenage en Europe. En
revanche, ils ne se privent pas de s’immiscer dans les affaires du Pacifique, ou dans celles
d’Amérique Latine, conformément à la doctrine Monroe de 1823 (définition de l’Amérique
Latine comme le « pré carré » américain, et refus de l’ingérence européenne dans les affaires
du continent américain).
En matière sociale, la politique est délibérément conservatrice. Les lois des quotas de 1921 et
1924 limitent le nombre des étrangers accueillis sur le sol américain, mettant ainsi un terme à
la tradition du « melting pot ». Le puritanisme connaît son apogée avec le vote du 18e
amendement (loi de prohibition de fabrication, vente et consommation d’alcool). Le religieux
fait son retour en force, perceptible par la prolifération des sectes. Face à cette atmosphère
particulière, les stratégies de contournement des lois se multiplient. La prohibition entraîne la
prolifération des réseaux de contrebande et des guerres entre gangs rivaux (ex : à Chicago).
Dans le domaine politique, une série de scandales politico-financiers éclate, et discrédite
l'administration Harding. Les années 1920 voient également la renaissance du Ku Klux Klan,
qui connaît alors un regain d'audience (entre 2 et 3 millions d’adhérents) et alimente le
racisme contre tous ceux qui n'appartiennent pas à la catégorie des WASP (White Anglo-Saxon
Protestants).

2) La crise de 1929
La prospérité des années 1920 ne doit pas faire oublier les laissés-pour-compte, qui sont très
nombreux à la campagne et dans les minorités. Mais en 1929, c’est carrément la conjoncture
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économique qui se retourne, et qui précipite des pans entiers de la société américaine dans la
détresse. En effet, le jeudi 24 octobre 1929 (« jeudi noir »), le krach boursier de Wall Street
apparaît comme la première étape d’une crise qui s’étend à l’ensemble de l’économie
mondiale sous l’action de trois facteurs :
- une spéculation boursière, qui est le fait de nombreux petits épargnants américains. Entre
1925 et 1929, la valeur totale des titres cotés à Wall Street triple, dopée par les achats
d’actions à crédit. Cette fièvre ne peut se prolonger indéfiniment, d’autant plus que les cours
des actions deviennent sans rapport avec la santé réelle des entreprises, et que la production
industrielle ralentit au printemps 1929. Les premières baisses de cours suscitent la panique
d’actionnaires, qui vendent leurs titres parce que l’espoir de réaliser une plus-value s’envole.
En deux mois, les valeurs industrielles baissent d’un tiers, ce qui place un million et demi
d’épargnants dans une situation difficile. Née dans la sphère financière, la crise se propage
alors à toute l’économie réelle : la consommation chute, les investissements se raréfient, les
banques doivent réduire le crédit. Les prix, déjà orientés à la baisse avant octobre 1929,
accentuent le mouvement de déflation, dans des proportions spectaculaires pour les produits
agricoles (-70% en trois ans).
- l’insuffisance des marchés, que la prospérité américaine a longtemps masquée. Au cours des
années 1920, la production industrielle a crû plus rapidement que le marché mondial. Celui-ci
reste étroit : la vitalité démographique des pays développés s’est ralentie, et seule une fraction
précise de la population a accès aux équipements que la nouvelle industrie produit en masse
(automobiles, électroménager). Si l’on peut difficilement parler de surproduction, on peut
estimer avec l’économiste J. Galbraith qu’il y a bien une sous-consommation résultant d’une
répartition inégale des revenus et des richesses.
- l’internationalisation de l’économie explique le caractère contagieux d’une crise qui
concerne la première puissance commerciale du monde. Les échanges internationaux
diminuent de 60% entre 1929 et 1933. Par le jeu de la concurrence, tous les pays doivent
répercuter la baisse des prix américaine sur leurs propres productions, et les pays fournisseurs
des Etats-Unis se retrouvent en grande difficulté. La déflation se généralise. En outre, les
hommes d’affaires américains retirent leurs capitaux investis à l’étranger, ce qui fragilise le
système bancaire de certaines économies (Allemagne, Autriche, Royaume-Uni).
La situation sociale au début des années 1930 devient dramatique. Les difficultés des
entreprises se traduisent par une vague de licenciements qui grossit le nombre des chômeurs
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(12 millions en 1932), tant ouvriers qu’employés. Les privilégiés d’hier se retrouvent dans les
bidonvilles des grosses agglomérations, la misère se répand comme une traînée de poudre, le
« rêve américain » est brisé.
Dans un premier temps, aucune mesure gouvernementale ne permet de juguler la crise. Les
fondements du libéralisme ne sont pas remis en cause, et tout le monde pense que les
équilibres économiques vont se rétablir d’eux-mêmes. Le président Hoover est tellement
persuadé que la croissance va repartir qu’il se refuse à toucher à la monnaie ou à accorder une
aide publique aux chômeurs. Son impopularité croissante lui coûte la victoire aux
présidentielles de 1932, qui ouvrent le chemin de la Maison Blanche à Roosevelt.

3) Les réactions face à la crise


A partir de 1933, Roosevelt propose une politique de relance volontariste, tout en restant dans
un cadre libéral. Il entend d’abord agir sur la demande, et favorise la consommation
individuelle par l’action de l’Etat, chargé de « réamorcer la pompe » (d’où un relèvement du
pouvoir d’achat des ménages). C’est le sens du premier New Deal, qui tranche par rapport à
l’immobilisme de Hoover. On a souvent assimilé les New Deals de Roosevelt aux théories de
J. M. Keynes favorables à l’intervention de l’Etat dans l’économie (« keynésianisme »), mais
à l’époque des deux New Deals, les travaux de Keynes n’étaient pas encore très connus. La
politique de Roosevelt repose avant tout sur l’expérimentation. Cependant, le bilan n’est pas
aussi triomphant que prévu : le chômage peine à être jugulé, les hommes d’affaires sont
hostiles au volet industriel des New Deals, et la Cour Suprême invalide certaines mesures-
phares du programme de Roosevelt (1936). Cependant, le chef d’Etat passe outre et lance le
deuxième New Deal, plus axé sur les mesures sociales. Le volontarisme commence alors à
porter ses fruits : en 1939, la production industrielle a retrouvé son niveau de 1929, et la
productivité industrielle est même plus importante. La balance commerciale est redevenue
excédentaire. Mais la récupération n’est pas complète : il y a encore 8 millions de chômeurs
en 1939. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir les séquelles de la
crise de 1929 s’effacer définitivement. Pour cette date, les bouleversements des années 1930
auront profondément affecté l’économie et la société américaines : avant 1929, les Etats-Unis
étaient la patrie du libéralisme et du capitalisme triomphants. A partir des années 1930, la
gestion de l’économie est fortement teintée de dirigisme. En s’immisçant dans l’économie et
dans la répartition des revenus, l’Etat fédéral américain se donne un nouveau rôle : il devient
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le garant de l’intérêt général, à la place du marché. La porte est entrouverte pour le


développement du Welfare State (l’Etat-providence), qui interviendra après 1945.

B- France et Grande-Bretagne   : dysfonctionnements et


contestations
On ne peut que souligner le climat paradoxal qui règne dans ces deux pays dans les années
1920 : la France et la Grande Bretagne sont les grandes gagnantes de la Première Guerre
mondiale : elles conservent leur intégrité territoriale, et l’ont même augmentée par
l'acquisition de nouvelles possessions coloniales ou la récupération de l’Alsace-Lorraine dans
le cas français. Les séquelles multiples laissées par la guerre et les nouveaux problèmes que
pose la reconstruction engendrent pourtant rapidement des situations de crise. L'entre-deux-
guerres constitue pour elles une période de flottement politique, d'instabilité sociale (entre le
chômage et l'insouciance des « Années Folles ») et de recul économique. D’où un sentiment
de déclin assez communément partagé.

1) Les difficultés politiques


L’instabilité ministérielle est l’un des principaux problèmes auxquels sont confrontées les
démocraties parlementaires. Elle n’existe pas dans un régime présidentiel comme celui des
Etats-Unis, où pouvoirs exécutif et législatif sont strictement séparés. Mais en Grande-
Bretagne, l’instabilité est forte. Elle est d’abord liée à l’instauration d’un tripartisme à cette
époque. En effet, dès 1922, le Parti travailliste perturbe l’habituel face-à-face entre libéraux et
conservateurs britanniques. Les partis traditionnels obtiennent plus difficilement la majorité à
la chambre des Communes, d’autant qu’ils sont divisés sur des questions essentielles. La
position des chefs de gouvernement s’en trouve fragilisée. En 1922, la défection d’une
majorité de libéraux et de dissidents conservateurs contraint Lloyd George, la grande figure
britannique de la Première Guerre mondiale, à la démission. Son successeur, Baldwin,
gouverne avec une majorité conservatrice fragile. Au lendemain des élections de 1923, les
travaillistes de MacDonald doivent s’allier aux libéraux pour ravir le pouvoir aux
conservateurs. Un an plus tard, ils sont abandonnés par leurs alliés, et de nouvelles élections
permettent aux conservateurs de reprendre le pouvoir. Aux élections suivantes, en 1929,
aucun parti n’a la majorité, et MacDonald doit encore s’allier aux libéraux. Deux ans plus
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 14

tard, il est contraint à un changement d’alliance en raison des divisions créées au sein de son
gouvernement par la crise économique. Au total, en dix ans, cinq gouvernements se sont
succédé. Mais le sentiment de crise est atténué par la légitimité entretenue par la dissolution
de la chambre des Communes et le retour aux urnes à chaque renversement d’alliance au
gouvernement.
En France, l’instabilité est d’abord liée à la dispersion des forces politiques, qui contraint
chaque gouvernement à s’appuyer sur des coalitions hétéroclites. Elle s’explique aussi par
l’indiscipline des parlementaires, qui prévaut dans les formations politiques en position de
charnière (Parti Radical et droite modérée). La valse des ministères atteint des sommets lors
d’épisodes particuliers (1925-1926, 1932-1934), aucun ministère ne dépassant le cap des six
mois. Pour enrayer ce phénomène, deux types de majorité peuvent se dégager : les majorités
regroupant la droite (le Bloc National de 1919), ou la gauche (le Cartel des gauches de 1924,
ou celui de 1932, ou encore le Front populaire de 1936), ou alors les majorités rassemblant les
modérés de centre gauche et de centre droit (gouvernements d’Union Nationale).
Généralement, les élections se font selon une logique bipolaire, tandis que les parlementaires,
une fois élus, sont tentés par les rapprochements d’Union Nationale. De ce fait, le résultat des
urnes (nettes majorités en voix à droite ou à gauche) a tendance à être contredit par le jeu
parlementaire, et il en résulte un inévitable sentiment de frustration dans l’opinion publique et
le corps électoral, qui alimente un certain antiparlementarisme :
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 15

Résultat des Premières majorités Tournant Nouvelles majorités


élections gouvernementales gouvernementales
Bloc National Radicaux + Bloc National 1922 : crise Bloc National (Poincaré,
(1919) : centres et (1919-1922) internationale 1922-1924)
droites
Cartel des Radicaux (avec le soutien 1925-1926 : crise Union Nationale (Poincaré,
gauches (1924) : de la SFIO et/ou du centre du franc 1926-1928)
radicaux + SFIO gauche)(1924-1926)
Union Nationale Union Nationale (Poincaré) Novembre 1928 : Centres + droites
(1928) : radicaux départ des radicaux (1928-1932)
+ centres et
droites
Cartel des Radicaux (avec le soutien Crise du 6 février Union Nationale
gauches (1932) : de la SFIO et/ou du centre 1934 (1934-1936 : Doumergue,
radicaux + SFIO gauche)(1932-1934) Flandin, Laval, Sarraut)
Front populaire Front populaire, avec ou 1938 : aggravation Union Nationale (Daladier,
(1936) : radicaux sans soutien du PCF de la crise 1938-1940)
+ SFIO + PCF (1936-1938) économique

2) Les difficultés monétaires


La guerre de 1914-1918 ayant provoqué de graves désordres monétaires dans les pays
belligérants, la France et la Grande-Bretagne en subissent les conséquences dans les années
1920. En effet, l’inflation persiste après la guerre par suite du décalage entre l’offre et la
demande de produits et de services, et les prix ont doublé. Comme l’objectif est le retour à la
convertibilité-or d’avant 1914 (le régime de convertibilité-or signifie que les monnaies ont un
rapport fixe au cours de l’or, et qu’elles peuvent être échangées auprès de la Banque Centrale
contre de l’or en lingots), il faut trouver une solution. Or, depuis 1914, les réserves d’or n’ont
pas augmenté, bien au contraire. Pour retrouver la convertibilité-or, il faut donc en théorie soit
dévaluer les monnaies de moitié, soit faire baisser les prix. La première solution n’est pas
envisageable pour des raisons de prestige. La seconde est irréalisable, d’où les incertitudes
monétaires des années 1920.
La Grande-Bretagne décide de s’attaquer au problème en donnant la priorité à la
convertibilité-or de la livre sterling, qui est retrouvée en 1925. L’opération est menée au prix
d’une politique de déflation très sévère, qui pèse sur la croissance économique et se retourne
contre les industriels. Il en résulte un vieillissement des industries britanniques, et une perte
de débouchés à l’exportation parce que les produits britanniques sont trop chers.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 16

La France réagit différemment. La croissance économique est plus vigoureuse, mais la France
reste endettée auprès des banques américaines parce qu’elle compte sur le versement des
Réparations prévues par le traité de Versailles, que l’Allemagne n’effectue pas. Le résultat est
que le franc connaît une première crise en 1924, qui n’est que provisoirement réglée. En effet,
la détérioration du cours du franc par rapport à celui de la livre sterling entraîne la chute du
gouvernement du Cartel des gauches en 1926, et son remplacement par un gouvernement
d’Union Nationale conduit par Poincaré. Le franc fait alors l’objet d’une politique de
stabilisation, qui est en fait une dévaluation de 80%, ce qui assainit la situation. Mais si la
France a rétabli sa parité-or en 1928, ce n’est pas sur la base de la valeur du franc de 1914, de
façon à ne pas pénaliser les industriels.

3) Les difficultés sociales


Les sociétés sortent profondément marquées par la guerre, ce qui se répercute sur les
revendications sociales.
En Grande-Bretagne, durant les années 1920, l’accroissement des inégalités sociales est
sensible. Surtout, un chômage de masse apparaît avant la crise de 1929, ce qui nourrit un
profond malaise social. Les syndicats progressent en représentativité (8 millions d’adhérents),
et les grèves sont nombreuses et redoutables (grève des mineurs de 1926).
En France, les difficultés liées à la reconversion de l’économie de guerre et l’impact de la
Révolution russe de 1917 entraînent une radicalisation de la gauche, qui revêt deux aspects :
sur le plan politique, une gauche marxiste et révolutionnaire se sépare de la gauche modérée
et réformiste au congrès de Tours en 1920. La nouvelle organisation ouvrière prend le nom de
SFIC (on ne l’appelle pas encore Parti Communiste Français), et adhère à la IIIe
Internationale ; sur le plan syndical, la CGT née en 1895 se divise entre une branche
réformiste (autour de Léon Jouhaux) et une branche révolutionnaire, qui forme la CGTU.

C- La fièvre des années 1930


De part et d’autre de la Manche, les années 1930 sont très tendues. Les revenus des salariés
ont beaucoup diminué, les ouvriers sont sous la menace du chômage, les paysans sont ruinés,
les classes moyennes sont durement touchées (artisans, commerçants, fonctionnaires, petits
industriels). Beaucoup attendent une intervention de l’Etat, qui vient difficilement à leur
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 17

secours. Dans ces conditions, les critiques de l’Etat se font plus radicales, et les aspirations à
un Etat fort en viennent à mettre en péril la démocratie parlementaire.

1) La voie britannique : Union Nationale et intervention de l’Etat


Essoufflée par les choix monétaires des années 1920, alors qu’elle a été la première puissance
économique mondiale au XIXe siècle, la Grande-Bretagne est ébranlée par les effets de la
crise de 1929, qui se font sentir au milieu de 1930 : chute de la production industrielle,
asphyxie bancaire, faillites, effondrement des exportations et envolée du chômage (3 millions
de chômeurs en 1931). La classe politique réagit en formant un cabinet d’Union Nationale (4
travaillistes, 4 conservateurs, 2 libéraux), sous la conduite du travailliste Mac Donald. Un
tournant est alors opéré : la Grande-Bretagne renonce en effet à tous les principes de base du
libéralisme suivis depuis le XIXe siècle. Sur le plan monétaire, les autorités décident la
dévaluation de la livre sterling et le contrôle des changes, ce qui rétablit la confiance dans la
monnaie. Sur le plan du commerce extérieur, le libre échange est abandonné, le
protectionnisme est renforcé, et la préférence est accordée aux produits du Commonwealth
par la conférence d’Ottawa (1932). Sur le plan social, le nombre de chômeurs passe sous le
seuil des deux millions en 1935. En 1939, la Grande-Bretagne a grosso modo redressé la
barre : elle est le seul grand pays libéral industrialisé à être à peu près sorti de la crise de 1929
au moment où la guerre va démarrer.

2) La voie française : impuissance et montée des extrêmes


La crise de 1929 se fait sentir tardivement en France, mais ses effets n'en sont pas moins
redoutables. La France est un pays de petites entreprises familiales, à faible concentration
industrielle, à forte population rurale (il faut attendre le recensement de 1931 pour voir la
population urbaine atteindre les 50 %), à vieille tradition protectionniste, si bien que la crise
ne la touche qu'en 1931. Mais à partir du moment où la livre sterling (1931) et le dollar (1933)
ont été dévalués, les produits français deviennent peu compétitifs à l'exportation, d'où une
crise de surproduction industrielle. En outre, les réponses politiques, très axées sur la défense
acharnée de la valeur du franc, sont inadéquates. Il en résulte une explosion du chômage, qui
atteint 500 000 personnes en 1935, ce qui est beaucoup pour un pays où la force du secteur
primaire limite les dégâts de la perte d'emplois industriels. Le mécontentement social est très
important, et la montée de la précarité alimente l'exaspération contre la classe politique : on
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 18

dénonce pêle-mêle le régime républicain, le parlementarisme, le capitalisme, la "politicaille"


synonyme d'affairisme et de corruption, et les aspirations à une réforme de l'État sont très
fortes. Ces remises en cause profitent aux différentes ligues, dont certaines ont été créées à la
fin du XIXe siècle (Action Française), d’autres dans les années 1920 (Jeunesses Patriotes,
Faisceau, Francisme, Croix-de-Feu), et qui rencontrent un succès d'audience dans les années
1930. Anticapitalistes et antimarxistes, très attachées à l'action de rue et au culte de l'autorité,
ces ligues sont pour la plupart très nationalistes (Jeunesses Patriotes et Action Française).
Certaines restent cependant fidèles à l’idée républicaine (Croix-de-Feu du colonel de la
Rocque, dissoutes en 1936), tandis que d’autres, d'inspiration populiste comme la Solidarité
Française, adoptent une style fascisant. Ce sont elles, ainsi que des associations d'anciens
combattants de droite (Union Nationale des Combattants) et de gauche (ARAC, proche des
communistes), qui sont à l'origine des émeutes du 6 février 1934, devant lesquelles le
nouveau président du conseil Édouard Daladier se résout à démissionner. Conséquence directe
du marasme et du sentiment d'abandon dans lequel vivent une majorité de Français, la crise
du 6 février 1934 entraîne une contre-manifestation de la gauche le 12 février 1934, qui
prélude au rassemblement des gauches marxistes et non marxistes françaises, et à la victoire
du Front populaire aux élections législatives de mai 1936.
La formation du Front populaire se veut donc une réponse à la crise économique qui dure et à
la montée de l'extrême droite. Le ciment des organisations politiques et syndicales qui le
soutiennent est l'antifascisme, bien que le fascisme n'ait été qu'une tentation minoritaire dans
la France des années 1930. Sur le plan économique, le Front populaire s'inspire de la politique
menée par Roosevelt, mais dans un contexte défavorable : la dévaluation du franc en
septembre 1936 ne permet pas de relancer le commerce extérieur. Le bilan du Front populaire
est donc nettement plus mitigé sur le plan économique que sur le plan social : si les deux
semaines de congés payés, la loi des 40 heures hebdomadaires, les augmentations salariales
(entre 7 et 15%) et la création des délégués syndicaux dans les entreprises de plus de 10
personnes sont des acquis majeurs, le gouvernement de Léon Blum ne peut pas mener ses
réformes économiques à bien, et se résout à décréter une "pause" en 1937. Le programme
économique du Front populaire se révèle finalement plus important pour la suite, par le
volontarisme étatique et la remise en cause des libres forces du marché, que par les résultats
immédiatement enregistrés. C'est pourquoi un certain nombre de ses objectifs seront remis en
avant dans le contexte de la Libération.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 19

III- Le développement d’un nouveau régime : l’URSS


Au lendemain de la Grande guerre, le communisme n'est pas une idéologie neuve dans le
monde. Héritier du marxisme du XIXe siècle, il s'est déjà incarné dans les différents partis
socialistes créés dans les pays d'Europe occidentale. Mais en 1917, avec les révolutions
russes, le communisme devient une idéologie d'État, et un modèle politique pour tous ceux
qui s'en inspirent dans le monde. En pratique, de 1917 à 1939, son histoire se confond avec
celle de l'Union soviétique. Mais l'avènement du stalinisme, contemporain du remplacement
de Lénine par Staline, n'est pas seulement un événement de politique intérieure dans la
mesure où l'URSS est un acteur majeur des relations internationales.

A- Les expériences soviétiques


En 1917, l'empire russe vieux de plusieurs siècles s'écroule comme un château de cartes.
Deux révolutions successives sont nécessaires pour obtenir l'abdication des Romanov et la
constitution d'un nouvel État. Dans un premier temps, les révolutionnaires professionnels que
sont les bolcheviks ne jouent pas un rôle décisif dans les événements. Mais peu à peu, ils vont
triompher d'oppositions très hétérogènes et imprimer leur marque au pouvoir.

1) Les caractères du socialisme russe


Les deux révolutions de février et octobre 1917 ont pris place dans un pays peu propice à la
contestation ouvrière. En effet, en février 1917, la Russie est encore une vieille autocratie
obéissant à la devise : " Dieu, le Tsar, la loi". Le régime n'obéit que depuis 1906 à une
constitution, et les oppositions politiques sont violemment pourchassées et souvent
contraintes à l'exil. La société russe est profondément inégalitaire, avec une élite
aristocratique regroupée à la cour de Saint-Pétersbourg au sommet, et d'énormes masses de
paysans illettrés (environ 90% de la population) à la base. Entre les deux, une mince
bourgeoisie incapable de peser sur les décisions du tsar, et une population ouvrière peu
nombreuse (environ 3 millions de personnes) et polarisée sur quelques grands foyers
industriels (Saint-Pétersbourg, Moscou, Odessa, quelques villes en Ukraine, en Pologne et
dans l'Oural).
De plus, le socialisme russe avant les révolutions de 1917 n'est pas homogène. Fondé en
1898, le parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) s'est exilé très rapidement pour fuir la
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 20

répression et s'est divisé en 1903 entre une branche marxiste pragmatique, celle des
mencheviks qui sont prêts à une alliance avec la bourgeoisie progressiste pour renverser le
tsar, et une branche marxiste révolutionnaire, celle des bolcheviks qui se veulent des militants
d'avant-garde capables de provoquer la révolution ouvrière et d'instituer la dictature
prolétarienne qu'exercera le POSDR.
En 1905, une première révolution russe a secoué Saint-Pétersbourg et s'est terminée dans un
bain de sang, révélant au passage l'impréparation du POSDR. Mais en 1917, bien qu'ils ne
représentent qu'un groupuscule à l'échelle de la Russie, les bolcheviks savent s'adapter au
contexte nouveau créé par les difficultés de la Première Guerre mondiale et par la
décomposition du pouvoir tsariste.

2) L'échec de la Révolution de février 1917


L'année 1917 s'ouvre sur une concentration exceptionnelle de problèmes en Russie.
L'effondrement militaire face aux armées allemandes provoque une crise généralisée. La
paralysie industrielle, les désertions massives, les pénuries alimentaires, l'envolée des prix et
la fuite de "réfugiés" devant l'avancée allemande discréditent l'autorité du tsar et alimentent la
contestation sociale. Dès le 30 décembre 1916, le principal conseiller de Nicolas II, le très
impopulaire Raspoutine, a été assassiné. Le 8 mars 1917, une manifestation organisée devant
le siège de l'Assemblée (Douma) à Saint-Pétersbourg est suivie d'un appel à la grève générale,
tandis que l'armée est réquisitionnée pour maintenir l'ordre. Le 12 mars, devant l'ampleur
prise par les manifestations, des unités militaires passent aux insurgés, et un comité exécutif
provisoire contrôlé par les députés libéraux est formé, dans le but d'instaurer un nouveau
pouvoir. Le 15 mars, un gouvernement provisoire se réunit pour la première fois sous la
présidence du prince Lvov, tandis que le tsar Nicolas II abdique. La Révolution de février a
gagné, sans que la situation soit totalement claire. En effet, l'incertitude plane sur le nouveau
régime, étant donné que la république n'a pas été proclamée. Surtout, au lendemain de la
déclaration gouvernementale du 19 mars annonçant la convocation d'une assemblée
constituante, trois pouvoirs concurrents sont en place :
- le gouvernement provisoire, qui réunit autour du prince Lvov différents éléments de
l'opposition progressiste au tsarisme. Tous ses membres sont attachés aux principes de liberté
et d'égalité, mais ils sont là avant tout pour gérer les affaires courantes, c'est-à-dire poursuivre
la guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne, dans l'attente de la rédaction de la
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 21

constitution. Ils n'ont pas l'intention d'intervenir dans l'économie. Ils prennent cependant
quelques mesures symboliques : abolition de la peine de mort, autonomie pour les nationalités
de l'ancien empire des tsars.
- les Soviets, élus par les ouvriers et les soldats (et quelquefois les paysans), au niveau des
grandes villes, notamment le soviet de Saint-Pétersbourg qui comprend 3000 délégués. Ils
réclament l'arrêt de la guerre, du pain et des augmentations de salaire.
- les bolcheviks, qui n'ont pas joué de rôle déterminant dans le déclenchement de la
révolution, mais qui profitent d'une amnistie et du retour de Lénine en Russie (dans un wagon
de plomb autorisé au voyage par les responsables militaires allemands) pour réclamer l'arrêt
de la guerre, la révolution sociale, et l'édification d'une République des Soviets. Lénine
expose ces objectifs à Saint-Pétersbourg (rebaptisée Petrograd) dans ses célèbres "Thèses
d'avril" (17 avril 1917). Profitant du climat révolutionnaire, les bolcheviks se développent
rapidement (80000 membres en mai 1917) et multiplient l'agitation de rue.
Dès lors, toute la difficulté pour le gouvernement provisoire est de rétablir l’ordre en Russie et
de tenir tête aux Soviets, instrumentalisés par les bolcheviks, qui entretiennent par ailleurs
l'agitation sociale. La situation devient vite intenable, et le socialiste-révolutionnaire modéré
Kerenski devient premier ministre dans un contexte de crise ministérielle, alors que ni la
bourgeoisie, ni le monde ouvrier ne sont satisfaits de l'évolution politique. Kerenski, à la tête
d’un gouvernement formé de socialistes-révolutionnaires et de menchéviks opposés au
pouvoir des Soviets, ne peut se maintenir au pouvoir qu'en abusant de la répression, ce qui
facilite la progression des bolcheviks.

3) La Révolution bolchévique d'octobre 1917


Elle est assez différente de celle de février 1917 dans la mesure où elle apparaît comme un
coup d'Etat bolchevique. À l'origine, l'incapacité du gouvernement provisoire de Kerenski à
régler trois problèmes : l'arrêt de la guerre, le partage des terres entre tous les paysans, et
l’organisation des élections à l'Assemblée constituante. Les bolcheviks sont de plus en plus
populaires parce qu'ils sont les seuls à exiger la paix immédiate avec l'Allemagne (« Terre,
pain, paix »). Dans ces conditions, dès la fin de septembre 1917, Lénine obtient le ralliement
du Soviet de Petrograd. À la fin du mois d'octobre, c'est au tour des marins de la base de
Kronstadt (l'arsenal de Saint-Pétersbourg) de se rallier. Le 6 novembre, Kerenski, qui compte
sur la tenue des élections pour légitimer ses décisions (en premier lieu la décision de
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 22

poursuivre la guerre) tente de réprimer l'activité des bolcheviks, qui ripostent en appelant à
l'insurrection générale. Le lendemain, Kerenski prend la fuite, tandis que les insurgés
proclament la destitution du gouvernement provisoire et reçoivent le soutien du Congrès des
Soviets de toutes les Russie, où les bolcheviks sont majoritaires. Le 8 novembre, la mise en
place du Conseil des commissaires du peuple, organe de gouvernement présidé par Lénine et
composé de 15 bolcheviks, entraîne la publication immédiate d'un décret sur la paix, invitant
tous les belligérants à cesser les hostilités (il demande « la paix sans indemnités ni
annexions »), et d'un autre décret sur la terre, annulant la dette des paysans et expropriant les
grands propriétaires fonciers au profit des Soviets paysans. La nouvelle société soviétique se
met rapidement en place.
Cependant, les fameux décrets d'octobre ne conviennent pas à tout le monde dans la mesure
où il y a en Russie des nostalgiques du régime tsariste, des mencheviks, des socialistes-
révolutionnaires (SR) opposés à la collectivisation des moyens de production (ils sont très
bien implantés dans les campagnes), et des libéraux partisans de l'esprit de février 1917. Tous
ces courants d'opposition sont pourchassés dès janvier 1918. Pendant ce temps, la nouvelle
constitution de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) est rédigée
et ratifiée le 10 juillet 1918. Les différents organes qu'elle prévoit, depuis les Soviets locaux
jusqu'au Congrès des Soviets, sont mis en place au début de 1918.

4) Les débuts dramatiques de la Russie soviétique


Lorsque les bolcheviks s’emparent du pouvoir par l’insurrection, ils sont loin d’imaginer que
le plus difficile est devant eux. En effet, à la guerre avec l’Allemagne succède rapidement une
atroce guerre civile de trois ans, qui va durablement marquer le nouveau régime, l’économie
et la société russes.
La guerre civile démarre dès 1918. Elle n’est que le prolongement de la guerre étrangère.
Concrètement, le pouvoir bolchevique se heurte à cette époque à une triple opposition :
- une opposition politique, qualifiée de « contre-révolutionnaire », animée par toutes les
victimes de la Révolution d'octobre : aristocrates russes (« Russes blancs »), anciens cadres de
l'armée tsariste, anciens responsables mencheviks ou libéraux qui contrôlent des territoires
entiers au Sud et à l’Est de la Russie. Ces contre-révolutionnaires sont cependant eux-mêmes
divisés.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 23

- une opposition des nationalités, qui soulève contre le pouvoir central des bolcheviks tous les
peuples traditionnellement en lutte pour obtenir leur autonomie : Ukraine, Finlande, Arménie,
Géorgie… À cause de ce mouvement, six mois après la prise du pouvoir, les bolcheviks
contrôlent à peine un quart du territoire de la Russie des tsars.
- une opposition étrangère, incarnée par les anciens alliés de la Russie tsariste pendant la
Première Guerre mondiale, et inspirée par la peur de voir la Révolution bolchevique se
répandre dans le monde.
Le danger principal pour les bolcheviks vient du soutien apporté aux aristocrates contre-
révolutionnaires par les puissances étrangères. La France et la Grande-Bretagne sont en effet
d'autant plus acharnées à la perte du régime soviétique que les bolcheviks ont signé en mars
1918 avec l'Allemagne un traité de paix séparée, le traité de Brest-Litovsk, qui comporte
certes pour la Russie d’importantes pertes territoriales, mais qui est vécu à Paris et à Londres
comme une trahison. Le résultat est qu’à la fin de la Première Guerre mondiale, les deux
capitales occidentales donnent le coup d'envoi d'une intervention militaire étrangère aux côtés
des Russes blancs, face à laquelle les bolcheviks réagissent avec l'énergie du désespoir. En
1919, la toute jeune Armée Rouge créée un an auparavant par Trotski réussit cependant à
desserrer l’étau occidental. En 1920, les corps expéditionnaires français et britanniques se
retirent, laissant l'Armée Rouge affronter pendant un an l'offensive spectaculaire déclenchée
par la Pologne pour agrandir les frontières que lui a données le traité de Versailles.
Le bilan de ces trois années de guerre supplémentaire est particulièrement lourd. Entre 7 et 10
millions de personnes sont mortes entre 1918 et 1922, principalement de faim et d'épidémies.
Ces décès s’ajoutent à ceux de la Première Guerre mondiale. En outre, le contexte de guerre
civile et étrangère a justifié la mise en place d'une dictature économique et politique qui prend
le nom de « communisme de guerre ». Ainsi, face aux difficultés, l'appareil d'État a été
renforcé dès les premiers mois de la Révolution, et la bureaucratie s’est développée. La
reprise en main revêt un incontestable volet policier, avec la création en janvier 1918 de la
police politique, la Tcheka, chargée d'éliminer les ennemis de l'intérieur. Le contexte favorise
les méthodes les plus répressives : des tribunaux révolutionnaires et des camps de
concentration apparaissent alors. Sur le plan économique, la situation d'urgence entraîne une
étatisation qui se traduit par la nationalisation plus ou moins rapide des moyens de
production : flotte marchande, entreprises industrielles, chemins de fer, mines, exploitations
agricoles. Dans l'agriculture, on crée des fermes d’Etat (sovkhozes) sur les grands domaines
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 24

confisqués, et on favorise la collectivisation des terres. Si besoin est, on recourt à la contrainte


pour obtenir le ravitaillement demandé (rôle des commissaires politiques et de l'Armée
Rouge). En 1921, un tournant est nécessaire : la contre-révolution a certes été matée, mais
l'économie monétaire s'est effondrée, et le troc est réapparu un peu partout. Les liens entre
villes et campagnes sont rompus. Des contestations de plus en plus vives se développent
jusqu'à l'intérieur du Parti Communiste (PCUS), renforcées par l’émoi soulevé par la
répression sanglante de la révolte des marins de Kronstadt (mars 1921), anciens acteurs de la
Révolution d’octobre. La Russie est à la limite de la rupture, et cherche à tourner la page du
« communisme de guerre ».

5) La stabilisation du nouveau régime : la NEP (1921-1928)


La NEP (abréviation de "Nouvelle Politique Economique"), décidée par Lénine en mars 1921,
est un repli stratégique qui ne peut se comprendre qu'à cause du marasme économique. En
effet, en 1921, la Russie est un pays largement détruit et accablé par la lassitude. Dans ces
conditions, le Xe congrès du PCUS accepte un compromis entre le régime et les aspirations
libérales d'une partie de la société. Les aspects les plus honnis de la politique antérieure sont
progressivement abandonnés : les réquisitions sont stoppées, le commerce privé et l'artisanat
sont autorisés, les entreprises de moins de 10 salariés sont dénationalisées. Cependant,
l'essentiel de l'économie reste sous le contrôle de l'État. La NEP n'est donc pas un abandon du
socialisme économique : il s'agit avant tout d'une étape provisoire destinée à permettre le
passage au socialisme en reconstituant l'appareil productif soviétique et en industrialisant le
pays. C'est à ce prix que la paix sociale est réinstaurée : de 1923 à 1927, les campagnes
restent calmes.
Pendant ce temps, le Parti est réorganisé. En mai 1922, Lénine est victime d'une attaque
cérébrale. Staline en profite pour s'imposer petit à petit comme l'homme fort au sein du Parti
dont il est secrétaire général depuis le 4 avril 1922. L'unité et la discipline au sein du PCUS
sont renforcées, et l'on donne au Comité central les moyens d'affirmer l'homogénéité de la
doctrine. Ainsi, le Parti peut seconder l'État dans son entreprise d'unification et de contrôle de
la société. La Tcheka est remplacée par le Guépéou, chargé de la répression contre les
socialistes révolutionnaires et les mencheviks. Staline mène de son côté la lutte contre les
autonomismes séparatistes qui se développent au sein des minorités nationales.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 25

À la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, Staline a toutes les cartes en main. Il peut se
présenter comme l'héritier du défunt. Il diffuse ses thèses et organise le culte rendu à sa
mémoire. Ainsi, un mausolée pour Lénine est édifié sur la Place Rouge, en plein centre de
Moscou. Sur le plan économique, c'est la continuité dans la NEP, qui permet à Staline de se
poser en modéré. Les résultats commencent à se faire sentir, puisque le niveau de production
agricole de 1913 est retrouvé en 1923, et que la production industrielle connaît une embellie.
À l'intérieur du Parti, Staline peut mettre à l'écart tout ceux qui le gênent, notamment Trotski,
qui ne s'est rallié aux bolcheviks qu'en 1917 et s'est opposé à plusieurs décisions importantes
du nouveau régime, depuis Brest-Litovsk jusqu'à la NEP. En 1928, l'heure est venue pour un
nouveau tournant. Il sera décisif, puisqu'il va imprimer le régime jusqu'en 1953 sous le nom
de stalinisme.

B) Le régime stalinien (1928-1941)


A partir de 1928, Staline entend tirer les leçons du passé et infléchir la direction du régime. La
priorité devient l'édification du "socialisme dans un seul pays", puisque l'expansion de la
révolution communiste dans le monde a échoué. Sur le plan économique, la parenthèse de la
NEP est refermée et le passage au socialisme est mis à l'ordre du jour. La Russie, agricole et
arriérée, doit devenir un grand pays industrialisé et rattraper en dix ans son retard sur
l'Occident. Ce programme repose sur les trois piliers de l'économie stalinienne : la
planification impérative, la priorité à l'industrie lourde, et la collectivisation forcée.

1) La concentration du pouvoir
Staline est parvenu à éliminer ses opposants lors de la succession à Lenine en se présentant
comme un point d'équilibre au sein du Parti. Dès lors, il reprend certaines orientations de
Lénine, en en modifiant quelquefois le sens. Ainsi, depuis 1917, le régime soviétique se veut
démocratique. En théorie, le pouvoir appartient à des assemblées, les Soviets, qui représentent
le prolétariat à différents niveaux (commune, canton, district, province, Union). Cette
conception du pouvoir est confirmée dans les constitutions. Celle de 1923, ratifiée en 1924,
reprend les dispositions de la constitution de 1918. Elle institue l'Union des Républiques
Socialistes Soviétiques, qui repose sur des Soviets locaux élus au suffrage universel. Au
sommet de la pyramide des Soviets, on trouve le Congrès des Soviets de l'Union, qui désigne
le Comité exécutif central (le Tsik). Celui-ci délègue en fait ses pouvoirs à deux organes
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 26

permanents, qui jouent un rôle essentiel dans le système : le Praesidium du Tsik d'un côté, et le
Conseil des Commissaires du Peuple de l'autre. La concentration du pouvoir est ainsi
clairement affirmée.
Au milieu des années 1930, Staline veut souligner davantage la dimension démocratique du
régime soviétique. Il s'agit de gommer l'image répressive du régime. En 1936, il présente donc
une nouvelle constitution, qui instaure le suffrage universel, fait référence aux droits de
l'homme, et confère une autonomie théorique aux républiques fédérées. Dans ce texte, le
Congrès des Soviets de l'Union est remplacé par un Soviet suprême. Mais il ne s'agit que d'un
changement de façade, étant donné que la réalité du pouvoir est conservée essentiellement par
le PCUS.
Cela n'est possible que parce que dès 1917, le Parti est au coeur de l'appareil d'État, au point
qu'il se confond peu à peu avec lui. À partir de 1922, alors que toutes les autres organisations
politiques ont été supprimées, le Parti exerce un contrôle total sur la vie publique. C'est lui qui
désigne les listes uniques de candidats soumis aux électeurs, à tous les niveaux, de même que
les candidats aux fonctions exécutives. Il contrôle également les fonctionnaires, qui lui
rendent des comptes. Surtout, les instances suprêmes du pouvoir exécutif de l'État sont
doublées par les plus hautes instances dirigeantes du Parti : au Praesidium du Soviet suprême
et au Conseil des Commissaires du Peuple correspondent le Comité central et le Bureau
politique (Politburo) du Parti. Dans ces conditions, le chef de l'État en URSS, c'est-à-dire le
Président du Praesidium du Soviet suprême, a moins de pouvoir que le secrétaire général du
Parti.
Au fil des années, grâce à l'élimination de ses opposants et à la promotion d'apparatchiks
dévoués, Staline a réussi à dominer le Parti de façon toute-puissante. Dès 1930, le Bureau
politique n'est composé que de staliniens, et les congrès annuels du Parti ne jouent aucun rôle.
De 1934 à 1939, la quasi totalité des cadres du Parti est d'ailleurs renouvelée. Dans ces
conditions, ces nouveaux apparatchiks soutiennent Staline de façon inconditionnelle parce
qu'ils lui doivent leur ascension (Jdanov, Beria, Malenkov, Khrouchtchev).
C'est ce qui permet à Staline d'exercer un pouvoir personnel remarquable. Cette
personnalisation du pouvoir est renforcée par un culte de la personnalité qui s'adresse d'abord
aux militants du Parti, mais aussi à l'opinion. Ce culte apparaît en 1929, pour le 50e
anniversaire de Staline. La production artistique et littéraire valorise l'image du nouveau
Lénine, et du constructeur du socialisme. L'histoire joue un rôle central dans ce culte, facilité
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 27

par la disparition de tous les autres bolcheviks de 1917 (Trotski s'est exilé en 1929 et a été
assassiné au Mexique en 1940).

2) La mobilisation économique
A la concentration du pouvoir correspond la mobilisation économique, qui doit mettre les
facteurs de production au service de la puissance politique. Cela revêt plusieurs formes.
La collectivisation agraire est une réalisation centrale du régime à partir de 1929. Elle répond
à trois objectifs : mieux contrôler les paysans, qui représentent 80 % de la population
soviétique, par l'intermédiaire des structures créées dès 1918 que sont les fermes d'État
(sovkhozes) et les coopératives agricoles (kolkhozes) ; marginaliser le secteur privé et réduire
le pouvoir de la petite bourgeoisie rurale des paysans propriétaires, les koulaks ; transférer les
revenus du produit agricole vers la politique d'industrialisation par le biais de l'action de
l'État, quitte à sacrifier l'agriculture à l'industrie. Dès 1930, le régime stalinien enclenche la
"dékoulakisation" : sous l'action de la terreur, les koulaks sont expropriés, et une bonne partie
d'entre eux sont déportés. La collectivisation s'effectue à marche forcée, dans un climat qui
n'est pas loin de rappeler la guerre civile. En 1937, elle est quasiment achevée, au prix d'une
famine qui fait près de 6 millions de morts. Les kolkhozes représentent alors 93 % des
exploitations.
De son côté, l'industrialisation fait l'objet d'une priorité politique, définie par des plans
quinquennaux lancés à partir de 1928 (1928-1932 : premier plan ; 1933-1937 : deuxième plan,
etc...). Cette industrialisation se caractérise par la suppression du secteur privé, qui est
effective dès 1931. Officiellement, cela répond à l'objectif idéologique d'édification de la
société sans classes. Mais en pratique, les objectifs sont surtout économiques : contrôler
l'ensemble des investissements et de la production pour donner la priorité aux énergies et à
l'industrie lourde au détriment des industries de biens de consommation. Il en résulte un
certain irréalisme dans les performances recherchées, qui n'est pas sans lien avec la
propagande orchestrée. En effet, l'industrialisation mobilise l'ensemble de la société. Les
intellectuels et les artistes sont mis à contribution pour exalter la figure de l'ouvrier au nom du
"réalisme socialiste". Les conditions de travail sont rationalisées afin d'améliorer la
productivité. Les ouvriers sont encouragés à se dépasser, à l'image du mineur Stakhanov, qui,
selon la propagande, abat 102 tonnes de charbon en 6 heures en août 1935. On met sur pied
une véritable bureaucratie pour surveiller la réalisation du plan et la productivité des
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 28

travailleurs. Ainsi, en 10 ans, l'URSS devient la troisième puissance économique mondiale


derrière les États-Unis et l'Allemagne. Elle a considérablement accru ses productions
industrielles de base (charbon, acier, fer, électricité), mais aussi certains secteurs plus
innovants comme la chimie. Cependant, cette croissance ne se traduit pas vraiment par le
développement, étant donné que le niveau de vie des Soviétiques a diminué durant la période.
De plus, les écarts de richesse sont considérables entre une élite composite de cadres
politiques, de fonctionnaires, d'intellectuels du régime qui forment une "nomenklatura"
citadine et aisée, et des masses rurales laminées par la collectivisation forcée.

3) Un système totalitaire
Avec le stalinisme, le contrôle politique ne se limite pas à l'appareil du Parti et aux fonctions
les plus élevées de l'État. La société russe perd aussi tout caractère pluraliste, ce qui se voit
particulièrement bien dans le domaine religieux et dans le domaine culturel. La religion
chrétienne orthodoxe est en effet une cible privilégiée de l'action politique, dès la fin de la
période du communisme de guerre. Un contrôle des autorités locales est effectué sur les
paroisses, et à partir de 1929 les prêtres sont assimilés aux koulaks. Dans ces conditions, en
1932, il ne reste que quatre évêques russes orthodoxes sur 160, et 4200 paroisses sur 54000. Il
faut attendre le tournant de 1941 et l'entrée en guerre de l'Allemagne nazie contre l'URSS
pour voir le régime soviétique et l'Eglise orthodoxe se rapprocher. En parallèle, durant tout
l'entre-deux-guerres, les fidèles des confessions musulmane et juive sont inquiétés parce que
leur spécificité religieuse est jugée contre-révolutionnaire.
Cette logique répressive n'a pu être développée qu'à l'aide d'un appareil très perfectionné. Né
dans un contexte de révolution et de guerre civile, le régime soviétique a mis en place un
arsenal répressif de façon précoce pour venir à bout de tous les types d'oppositions :
opposition politique, avec des formations adverses et concurrentes comme les mencheviks ou
les socialistes-révolutionnaires (SR) ; opposition sociale, les bolcheviks considérant
naturellement la bourgeoisie comme un ennemi de classe ; opposition des minorités
nationales, avec les mouvements autonomistes dans le Caucase (Arméniens, Géorgiens) ou en
Asie centrale (Azerbaïdjan, Kazakhstan). La lutte contre les opposants a pris plusieurs formes.
La propagande a été très développée, grâce notamment à l'organe de presse officiel du Parti, la
Pravda. La surveillance politique a été constante grâce à une police spécialisée : à la Tcheka
(1918) a succédé le Guépéou (1922), lui-même transformé en NKVD (1934). Celui-ci
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 29

emploie, à la fin des années 1930, plus d'un million de personnes et fait régner un climat de
suspicion généralisée. Enfin, des moyens de coercition de masse ont été organisés avec la
mise en place d'un système concentrationnaire dès 1918 autour de l'administration du Goulag.
Dans les années 1930, la déportation des déviationnistes politiques, des koulaks, puis des
victimes des épurations staliniennes dans l'Armée Rouge et le Parti prend de l'ampleur : de
1930 à 1953 (mort de Staline), 15 millions de Soviétiques sont passés par le Goulag.
Cette terreur d'État s'est peu à peu modifiée. Jusqu'au milieu des années 1930, elle a concerné
des fractions parfois importantes de la population. De 1936 à 1938, c'est l'ensemble de la
société soviétique qui est visée. Cela répond à deux objectifs : d'une part, un objectif officiel
d'élimination d'une opposition menaçante au sein du Parti lui-même. Dès janvier 1935, la
répression est dirigée contre d'anciens responsables soviétiques, Zinoviev et Kamenev,
accusés d'avoir animé des réseaux contre la ligne définie par Staline. D'autre part, un objectif
plus profond de renforcement du contrôle personnel et totalitaire de Staline sur le Parti et
l'État. Menées par le NKVD, les purges de 1936 à 1938 touchent le Parti dans toutes les
régions, à tous les niveaux, et sont particulièrement sévères à Moscou dans les instances
supérieures. Il s'agit d'éliminer tous ceux qui risquent de gêner le pouvoir personnel de Staline
(officiers de l'Armée Rouge, vieux militants, notables locaux et apparatchiks). En deux ans,
1,5 million de personnes ont été arrêtées, et 680000 exécutées, au terme de procès souvent
expéditifs.
Même s'il se veut démocratique, le stalinisme présente donc tous les aspects d'un système
totalitaire : absence de libertés, terreur et répression arbitraire, étatisation de l'économie, de la
société et de la culture, volonté de former un Homme Nouveau sur le modèle de l'ouvrier zélé
et instruit. Le "socialisme dans un seul pays", fondé sur l'accroissement du pouvoir d'État et la
mobilisation du prolétariat au service de la production, semble bien éloigné des principes
originels du marxisme. Mais il n'y a pas que l'URSS à avoir engendré un totalitarisme dans
l'entre-deux-guerres.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 30

IV- Les totalitarismes en Italie et en Allemagne   :


fascisme et nazisme dans l’entre-deux-guerres
( 1919-1939)
Face aux modèles incarnés par la démocratie parlementaire et la Révolution soviétique, un
troisième type d'organisation de l'État et de la société apparaît et prend la place des régimes
libéraux dans de nombreux pays européens au cours de l'entre-deux-guerres. Il s'agit de
régimes fondés sur l'autorité politique, que celle-ci émane d'un État, d'un dictateur, d'un parti
ou d'une force sociale (l'Église et l’armée notamment). Parmi eux, deux pays se distinguent de
façon spécifique : l’Italie et l’Allemagne. Le terme de totalitarisme, qui leur a été accolé (ainsi
qu’à l’URSS), pose des problèmes de définition. Pour la philosophe Hannah Arendt, qui écrit
peu après 1945 (Les origines du totalitarisme, 1951), le totalitarisme est une « expérience
absolue de non appartenance au monde », de nature foncièrement idéologique, dont
« l’essence » renvoie à des moyens de gouvernement comme la terreur et la propagande de
masse. De ce point de vue, nazisme et stalinisme sont deux visages d’une même essence, le
système totalitaire. Par la suite, les historiens ont voulu suivre une démarche plus pragmatique
et étudier dans le détail les différents régimes, en montrant les ressorts qui les ont fait advenir.
C’est ainsi que dans les années 1980-1990, l’historien I. Kershaw s’est penché sur le
problème particulier de l’accès de Hitler au pouvoir. Cela revenait à rompre avec les
comparaisons plaquées entre Allemagne nazie, Italie fasciste et URSS stalinienne. Quelle a
été la nature réelle de ces régimes? Pourquoi ont-ils réussi à s’implanter dans des pays dont
l'activité économique, la structure sociale et l'histoire étaient très différentes?

A) Les difficultés des années 1920 et la chute des régimes


libéraux et démocratiques
L’Italie et l’Allemagne se présentent de manière assez différente en 1918. Le royaume d’Italie
est une monarchie parlementaire qui a participé victorieusement au conflit mondial aux côtés
des Alliés à partir de 1915, tandis que l’Allemagne est un empire autoritaire vaincu. La
révolution industrielle a été puissante et rapide outre-Rhin, alors que l’Italie reste largement
rurale. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, la démocratie est à l’agonie dans les années
1920.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 31

1) En Italie, une crise multiple


Dans l'immédiat après-guerre, les difficultés économiques, sociales et internationales de
l'Italie nourrissent une désillusion vis-à-vis d'un régime libéral qui ne réussit pas sa mue
démocratique. En effet, trois mouvements, assis sur une base populaire, se développent contre
le régime :
- l'agitation sociale, qui prend son essor dès 1919 dans les campagnes et les centres industriels
du Nord (ex : usines Alfa Romeo à Milan). Le mouvement est partiellement récupéré par le
Parti socialiste italien. Ce véritable parti de masse, qui recueille près de 2 millions d'électeurs
et 200000 militants en 1919, défend une ligne révolutionnaire, sans adhérer toutefois à la
IIIe Internationale. La création du Parti communiste italien, en janvier 1921, ne modifie pas
réellement sa ligne, hostile à un régime (la monarchie de Victor-Emmanuel III) jugé non
démocratique;
- les masses catholiques, tenues à l'écart depuis l'unification du pays en 1870 en raison de
l’opposition du Vatican au mouvement d’unification nationale, trouvent une expression
politique au sein du Parti populaire italien (PPI) de Don Sturzo. Ce courant suscite une forte
adhésion autour d'un projet de démocratie chrétienne, très critique face à la politique libérale.
Les députés populaires ne soutiennent que très rarement les gouvernements ;
- stimulé par le thème de la «victoire mutilée» (les Italiens, bien que dans le camp des
vainqueurs de 1914-1918, n’obtiennent pas les villes et territoires qu’ils revendiquent au traité
de Versailles, pas plus qu’ils ne sont récompensés par le partage des ex-colonies allemandes),
le nationalisme italien se transforme peu à peu à la rencontre des masses. Il donne naissance
au fascisme, qui se transforme en un parti politique en 1921: le Parti national fasciste (PNF).
Face à ces trois mouvements de masse, la monarchie parlementaire italienne est démunie.
Les divisions parlementaires fragilisent des ministères instables, qui parviennent difficilement
à rétablir un ordre troublé à la fois par les mouvements insurrectionnels de l'extrême gauche et
par les «expéditions punitives» des chemises noires fascistes. Le personnel gouvernemental,
qui ne s'est pas renouvelé depuis la Grande Guerre, semble décalé par rapport à ces nouvelles
aspirations; et la démission du vieux président du Conseil, Giolitti, en juin 1921, semble
sonner le glas du régime.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 32

2) Mussolini et la conquête légale du pouvoir


Rappel :
3 août 1922 : Echec de la grève générale, sur la pression des Faisceaux
24 octobre 1922 : Congrès du PNF: annonce d'une mobilisation générale des Faisceaux
27 octobre 1922 : Démission du ministère Facta (libéral). Début de la « Marche sur Rome »
de Mussolini et ses partisans
28 octobre 1922 : Echec de la formation d'un gouvernement d'Union nationale
29 octobre 1922 : Victor-Emmanuel demande à Mussolini de former un gouvernement
30 octobre 1922 : Les Faisceaux arrivent à Rome

C'est bien le roi Victor-Emmanuel III qui porte Mussolini au pouvoir. Deux raisons militent
pour ce choix :
- depuis l'été 1922, le PNF semble maître de la rue. L’annonce d'une mobilisation des troupes
fascistes fait craindre une guerre civile. En appelant Mussolini au pouvoir avant l'arrivée des
Faisceaux à Rome, Victor-Emmanuel espère éviter d'un coup d'État et pense normaliser le
fascisme;
- la démission du ministère Facta souligne l'absence de majorité stable, susceptible de soutenir
un gouvernement. Seule l'Union nationale pouvait sauver le régime. Mais, en refusant d'entrer
dans un tel gouvernement, Mussolini a, comme les socialistes, fait échouer cette perspective.
Il faut toutefois relativiser la portée de la décision de Victor-Emmanuel III le 29 octobre 1922.
Le premier gouvernement de Mussolini regroupe en effet des représentants de différents partis
(dont le PPI, c’est-à-dire les démocrates chrétiens), et s'appuie sur une majorité parlementaire.
C'est donc dans le cadre du régime libéral que Mussolini opère progressivement sa révolution
fasciste. Dans un premier temps, il obtient des parlementaires le vote des pleins pouvoirs (les
24 et 29 novembre 1922). Puis, des élections donnent aux fascistes une écrasante majorité
(avril 1924). Ce n’est véritablement qu’après l’assassinat du député socialiste Matteotti par
des miliciens fascistes, le 19 juin 1924, que Mussolini a tendance à durcir son régime: c'est
alors que le régime parlementaire disparaît, et que la dictature commence.

3) En Allemagne, une république mal-aimée


Proclamée dans la foulée de l’abdication de Guillaume II le 9 novembre 1918, la République
de Weimar est née dans des circonstances très défavorables. D’un côté, ses dirigeants doivent
endosser la responsabilité de la signature du traité de Versailles, vécu comme un « Diktat ».
Les milieux nationalistes d’extrême droite et les militaires en profitent pour dénoncer
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 33

immédiatement l’abaissement de l’Allemagne et le « Coup de poignard dans le dos » que les


hommes de Weimar n’auraient pas su éviter. De l’autre, les révolutionnaires marxistes réunis
dans le mouvement spartakiste ont échoué dans leur tentative d’insurrection à Berlin
(« Semaine Sanglante » de janvier 1919, où les leaders Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg
trouvent la mort), et l’agitation sociale consécutive aux difficultés de l’après-guerre a été
violemment réprimée. Les communistes, rassemblés dans le tout nouveau KPD à partir de
1921, ne pardonneront jamais à la République de Weimar, qu’ils accusent d’avoir assassiné la
révolution.
Ces difficultés qui ont marqué la naissance de la République de Weimar s'accentuent à la fin
des années 1920. En effet, le régime connaît la désaffection d'une partie de l'opinion. Il n'est
réellement soutenu que par le Parti social-démocrate (SPD) qui, après avoir connu une
embellie entre 1924 et 1928, subit une érosion régulière de ses résultats électoraux entre 1930
et 1932. Longtemps dominé par une aile gauche favorable à la démocratie, le parti catholique
allemand - le Zentrum - fait désormais la part belle à une fraction conservatrice, représentée
notamment par Brüning, chancelier à partir de mars 1930. Les partis les plus dynamiques sont
finalement ceux qui refusent le système républicain. De 1920 à 1924, les communistes (le
KPD) et les conservateurs (DNVP) connaissent une forte progression électorale: l'élection du
maréchal Hindenburg à la présidence de la République, en 1925, souligne le poids de la
nostalgie impériale dans l'opinion publique. Le KPD de son côté poursuit son essor et double
son effectif parlementaire entre 1924 et 1932. Quant au NSDAP de Rudolf Hess et d’Adolf
Hitler, longtemps tenu pour quantité négligeable dans les années 1920, il sort brusquement de
sa marginalité lors des élections législatives de septembre 1930 et passe de 12 à 107 députés.
Il faut dire que la crise économique de 1929 est en train de se faire sentir, affectant une société
que quelques années de stabilisation (de 1924 à 1929) n'ont pas réellement pacifiée. Le
chômage touche 4 millions d'Allemands à la fin de l'année 1930, 6 millions d'Allemands au
début de l'année 1933 : les jeunes, les ouvriers de l'industrie et de l'agriculture sont les
premiers touchés. L’angoisse de l'avenir pousse une partie de la jeunesse à rejoindre les partis
extrémistes dans l'agitation de rue, tandis que les classes moyennes, craignant d'être atteintes à
leur tour, votent pour un changement dans l'ordre incarné par le nazisme. Apparaissant comme
la seule force pouvant mettre fin aux violences sociales et à l'anarchie, celui-ci bénéficie
également, au cours de l'année 1932, du ralliement des forces conservatrices (une partie de
l'Église, les milieux d'affaires...).
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 34

Dans ce contexte, le mécanisme de la démocratie semble brisé. A partir de mars 1930, pour
éviter de faire appel aux sociaux-démocrates du SPD, le vieux maréchal Hindenburg,
président de la République, constitue des gouvernements qui n'ont pas de majorité
parlementaire. Sans légitimité populaire, ses chanceliers, pris au sein du Zentrum (Brüning)
ou de la droite conservatrice du DNVP (von Papen, von Schleicher) doivent s'imposer par la
force : ils dissolvent le Reichstag trois fois en deux ans. Mais ils sont impuissants à contenir la
violence de rue. Ainsi, communistes et nazis se livrent à une sanglante surenchère. En janvier
1933, von Schleicher tente de désamorcer la crise en envisageant une réforme sociale
relativement audacieuse, mais il est désavoué par Hindenburg, qui est devenu la seule source
de légitimité politique.

4) Hitler, dernier chancelier de la République de Weimar


Le 30 janvier 1933, Hindenburg fait appel à Hitler comme chancelier. Ce choix surprend, car
le NSDAP a connu un reflux sensible entre les législatives de juillet et de novembre 1932.
Mais il s'explique par trois facteurs:
-l'incapacité de la droite conservatrice à régler la crise politique et sociale, dans le cadre
régulier de la République. Le président pense que Hitler parviendra à rétablir l'ordre;
-le soutien des milieux d'affaires, rassurés par la rencontre du 27 janvier 1933 entre Hitler et
les grands industriels de la Ruhr, cœur battant de l’économie allemande ;
- une erreur d'analyse sur l'originalité du nazisme. Comme Victor-Emmanuel III face aux
fascistes, Hindenburg ne pense pas donner l'ensemble du pouvoir d'État aux nazis. Il reste
président, la Constitution n'est pas abolie, et le cabinet dirigé par Hitler fait une place
finalement réduite aux nazis (qui occupent trois postes, en plus de celui de chancelier) aux
côtés d'une majorité de conservateurs. Le passage à la dictature est toutefois beaucoup plus
rapide qu'en Italie.

Rappel
5 mars 1933 : Elections au Reichstag : majorité relative pour le NSDAP (44% des voix)
23 mars 1933 : 441 députés (contre 92) votent les pleins pouvoirs à Hitler
Juin 1933 : Liquidation des partis. Le NSDAP devient un parti unique
Janvier 1934 : Abolition des institutions locales
1er août 1934 : Mort de Hindenburg. Hitler reste chancelier et devient président
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 35

B) Des cultures politiques différentes


Si le totalitarisme a pu s’installer légalement au pouvoir dans les cas italien et allemand, il
faut cependant bien voir que le fascisme de Mussolini et le national-socialisme de Hitler sont
assez différents aussi bien sous l’angle des pratiques politiques que sous celui de la culture
politique dans la phase de conquête du pouvoir.

1) La naissance du fascisme en Italie


Les premiers Faisceaux sont créés à Milan en 1919 par Benito Mussolini. Cet homme illustre,
par son parcours, la synthèse opérée par le fascisme : venu du socialisme, il est devenu, avec
la guerre 1914-1918, un nationaliste qui reste préoccupé du sort des masses. En 1919, son
projet est marqué par cette synthèse : il utilise une partie de la culture politique de l'extrême
gauche italienne (la légitimation de la violence, le jeu sur la spontanéité révolutionnaire des
masses) au service d'un projet de réorganisation autoritaire de la société.
De 1919 à 1921, le fascisme connaît une progression de plus en plus rapide, explicable par
deux facteurs :
- par la vision du monde qu'il développe, il cristallise les différents mécontentements : soldats
démobilisés et chômeurs victimes de la conjoncture, classes moyennes et petits bourgeois
inquiets devant les lenteurs du redressement économique et social du pays, élites dénonçant
les faiblesses de l'Etat libéral face aux progrès du communisme... Le fascisme exploite la crise
du système libéral, en lui opposant une révolution nationale (et non internationale, comme les
socialistes marxistes).
- par son mode d'action, il intègre les masses et rassure une partie des élites. Le fascisme n'est
alors pas une force politique traditionnelle et ne semble pas viser la conquête du pouvoir. Il se
focalise sur l'action directe, qu'il présente comme un remède aux carences des forces de
l'ordre.
Divisés en squadre (groupes d'assaut), les Faisceaux sont organisés comme une armée, avec
leur hiérarchie, leurs symboles et leur entraînement physique spécifique.
Dès 1921, le fascisme entre dans une phase de « banalisation ». Il se transforme en parti
politique, jouant le jeu électoral et parlementaire. Il accentue sa thématique anticommuniste,
qui l'emporte désormais sur la critique du libéralisme. Il peut ainsi rallier une partie des
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 36

milieux d'affaires, des hauts fonctionnaires et de la famille royale. Mussolini récolte des fonds
importants, qui lui permettent de professionnaliser et de salarier ses troupes.
Dès lors, la synthèse fasciste s'apparente à une droite populaire.

2) Les mutations du nazisme


Dans son évolution, le nazisme diffère du fascisme sur deux points:
- il se constitue d'emblée en organisation politique, inscrite dans le mouvement de la
« révolution conservatrice » et en concurrence avec d'autres formations (dont le puissant Parti
conservateur allemand, le DNVP). Fondé en février 1920, le NSDAP (Parti national-socialiste
des travailleurs allemands) est alors un groupuscule, dont la doctrine est essentiellement
négative. Il se situe clairement dans la droite antidémocratique, même si certains de ses
membres viennent de la gauche;
- il ne connaît pas, à ses débuts, une croissance fulgurante. Dans la première moitié des
années 1920, sa croissance est limitée par l'implantation électorale du DNVP, par le
recrutement populaire des partis de gauche, ainsi que par la stabilisation économique et
politique du milieu de la décennie. Dirigeant le parti à partir de juillet 1921, Hitler a
conscience de l'impasse politique dans laquelle il est confiné. Il fait alors le choix de l'action
directe : il développe les SA (Sections d'Assaut), formations paramilitaires, et participe à une
tentative de putsch à Munich en novembre 1923, aux côtés du général Ludendorff.
L’échec de ce « putsch de la brasserie » pousse Hitler à changer de stratégie. Puisque la
conquête du pouvoir ne peut se faire par la force, elle doit s'appuyer sur les masses. À partir
de 1924, le NSDAP présente quatre aspects qui le rapprochent en partie du fascisme:
- un programme de révolution autoritaire, exposé dans Mein Kampf (publié en 1925), qui
donne à la crise multiple rencontrée par la démocratie des réponses démagogiques et
populistes, au premier rang desquelles figurent le racisme et l'antisémitisme;
- une organisation conçue pour intégrer les différentes catégories sociales : à partir de 1925, le
NSDAP est structuré autour de régions (les Gaue), correspondant aux circonscriptions
électorales, mais aussi autour de structures s'adressant à une partie de la population (Ligue des
écoliers nazis, Jeunesses hitlériennes, Union des étudiants nazis, Ligue des femmes
allemandes, etc…). Jusqu'en 1930, la croissance militante se fait attendre : le NSDAP compte
alors moins de 80000 adhérents. À la faveur de la crise, il recrute de nouveaux militants,
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 37

d'abord au sein des classes moyennes indépendantes et des jeunes, puis dans les différentes
couches de la société;
- une action directe présentée non comme une menace putschiste, mais comme une
participation à la lutte contre le communisme : le développement des SA, puis des SS est
justifié par la volonté de maintenir l'ordre;
- une participation au jeu électoral. Tout au long de la stabilisation de la République de
Weimar, le NSDAP stagne. Les élections législatives de mai 1928 n'envoient que 12 députés
au Reichstag. Celles de novembre 1930 et de juillet 1932 enregistrent une poussée
impressionnante (107, puis 230 députés). Parvenu au second tour de l'élection présidentielle,
le 10 avril 1932, Hitler recueille plus de 13 millions de voix (soit près de 37% des suffrages
exprimés), face à Hindenburg (53%), pourtant soutenu par l'ensemble des partis politiques (à
l'exception du KPD, qui présente son propre candidat).
En 1932, le nazisme est devenu un phénomène de masse dont les motivations sont confuses,
voire contradictoires : expression d'un mécontentement, aspirations révolutionnaires, volonté
de retour à l'ordre... Alors qu'il est soutenu par une partie des élites allemandes, il représente
une droite en rupture plus radicale avec le système que le fascisme au moment de son arrivée
au pouvoir.

C) Les totalitarismes et l’exercice du pouvoir


L’exercice du pouvoir repose sur des agents du pouvoir et des moyens d’action. Là encore,
ressemblances et différences s’équilibrent.

1) Le culte du chef
Dans l'opposition, les progrès du fascisme et du nazisme reposent en partie sur la fascination
exercée par Mussolini et Hitler sur les masses. Une fois arrivés au pouvoir, ces deux hommes
utilisent leur charisme, source de légitimité pour exercer le pouvoir. La relation qui les lie aux
masses comporte une dimension affective et irrationnelle :

Mussolini Hitler
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Fonctions Chef de gouvernement (29 Chancelier du Reich (30


octobre 1922), responsable janvier 1933), président du
devant le roi seulement (à R e i c h ( 1 e r a o û t 1 9 3 4 ) ,
partir de 1925), chef suprême Reichsführer (1er août 1934,
des armées ratifié par plébiscite le 19 août
1934) : exprime la volonté du
peuple, crée le droit, chef
suprême des armées (1er août
1934)
Qualités mises en avant Bourreau de travail, ascète, Incarne et unifie le Peuple et la
tendance au « surhomme », Nation, énergique, ferme et
guide infaillible (« Duce ») courageux face aux menaces
intérieures et extérieures,
guide éclairé (« Führer »)
Relations avec les masses Photographies et affiches, Discours radiodiffusés ou en
manifestations de masse direct, manifestations de masse

Il est clair que les deux hommes ont aussi bénéficié d’un certain recul de la pensée rationaliste
occidentale, particulièrement perceptible avant même la Première Guerre mondiale avec le
développement de la psychanalyse et de la philosophie de l’instinct. Ainsi, dès la fin du XIXe
siècle, le philosophe allemand Nietzsche dénonce une pensée occidentale appauvrie, qui
véhiculerait des fausses valeurs, parmi lesquelles figurent la justice et la démocratie. À la
morale du troupeau, il oppose celle du Surhomme, dont la volonté de puissance peut
transformer le monde. Cette pensée légitime la violence politique et un certain anarchisme
individualiste, à l'instar d'autres travaux menés à la veille de la Grande Guerre, comme ceux
de l’intellectuel et militant syndicaliste-révolutionnaire français Georges Sorel, qui rédige ses
Réflexions sur la violence en 1906. Sorel a été lu par Mussolini et Hitler, qui en ont retenu
l’exaltation du coup d’éclat individuel en politique.

2) Le parti unique
En Allemagne, la loi sur l'instauration du parti unique (14 juillet 1933) sanctionne un état de
fait, puisque les différents partis ont été interdits au préalable. Dirigé par Rudolf Hess, un
proche de Hitler, le NSDAP doit être monolithique, afin de soutenir efficacement le régime.
En conséquence, l'aile gauche du parti, structurée autour des SA et de leur chef Röhm, est
brutalement éliminée lors de la « Nuit des Longs Couteaux », du 29 au 30 juin 1934. Le
NSDAP est alors devenu un véritable parti de masse : il rassemble 4,5 millions d'adhérents.
La loi du 1er décembre 1933 sur « la sauvegarde de l'unité du parti et de l'État» confond l'État
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 39

et le parti, ce qui donne à celui-ci un pouvoir exclusif et dominant : les chefs du parti sont
automatiquement promus comme ministres. Dirigées par Heinrich Himmler depuis 1929, les
SS (Sections Spéciales) symbolisent cette confusion : cette formation paramilitaire, émanant
du NSDAP, devient une véritable armée de 200000 hommes et double les instances régulières
de l'État (police et armée).
En Italie, ce sont les lois «fascistissimes» de novembre 1926 qui suppriment la liberté de la
presse et dissolvent les partis hostiles au régime. Devenu un parti unique, le Parti national
fasciste joue un rôle comparable au NSDAP. Dirigé à partir de 1931 par Achille Starace, il
regroupe plus de 2 millions d'adhérents. Il participe activement à la propagande du régime et
au maintien de l'ordre, par l'intermédiaire de la milice, qui comprend jusqu'à 700000 hommes.
Depuis 1932, tout fonctionnaire est contraint d'y adhérer: l'ensemble de l'État italien est ainsi
fascisé.
La pratique du parti unique facilite la mise au pas des institutions :
- en Italie, elle a lieu de façon progressive. En 1925-1926, plusieurs lois mettent fin au
système parlementaire : responsable devant le roi seulement, le chef du gouvernement peut
légiférer par décret, tandis que les parlementaires perdent leur droit d'initiative. À partir de
1928, le recrutement de la Chambre des députés dépend totalement du Grand conseil du
fascisme, qui comprend les compagnons du Duce, les ministres, et quelques hauts
fonctionnaires. En 1938, elle est remplacée par une Chambre des Faisceaux et des
Corporations, qui comprend les dirigeants des organisations fascistes;
- en Allemagne, le Reichstag n'est plus qu'une Chambre d'enregistrement. La loi du 30 janvier
1934 sur la reconstitution du Reich ôte tout pouvoir aux Länder, désormais contrôlés par des
Staathalter, gouverneurs tout-puissants représentant directement le Führer.

3) Les structures-relais
Le Parti n'est pas le seul instrument au service de l'État totalitaire. Diverses structures
permettent de contrôler la société. La jeunesse fait l'objet d'une attention spécifique. Elle est
embrigadée dans des mouvements qui diffusent les valeurs du régime (autorité, obéissance au
chef, croyance en l'Homme Nouveau, refus de l'individualisme), et qui empruntent aux
organisations paramilitaires une partie de leur organisation et de leur rituel. En Italie, les
enfants sont inscrits aux Fils de la Louve de quatre à huit ans, aux Balilla et aux Jeunes
italiennes de 8 à 14 ans, aux Avanguardisti et aux Jeunes italiennes entre 14 et 18 ans. Les
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Groupes universitaires fascistes encadrent les étudiants. L’embrigadement de la jeunesse se


renforce à partir de 1936 : les organisations sont regroupées, militarisées et placées sous la
direction d'Achille Starace (secrétaire général du PNF), et l'adhésion devient obligatoire.
L’Église conserve toutefois ses propres mouvements, qui constituent un important contre-
pouvoir dans la formation des nouvelles élites italiennes. En Allemagne, en revanche,
l'emprise des Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend) sur les nouvelles générations est sans
partage.
L’embrigadement de la population adulte est plus inégal, selon les secteurs d'activité. Les
fonctionnaires sont contraints (en Italie) ou fortement incités (en Allemagne) à adhérer au
parti unique, qui peut ainsi les contrôler. Les paysans sont bien intégrés à des structures
corporatives, en Italie surtout. L'enrôlement des salariés du secteur privé se fait au sein
d'organisations professionnelles qui leur offrent de nombreux services (aide à l'embauche,
accès à des infrastructures culturelles et de loisirs). En Allemagne, le Deutsche Arbeitsfront
(Front allemand du travail) regroupe la quasi-totalité des salariés du secteur privé (25
millions). En Italie, le système corporatiste, mis en place à partir de 1926, fait des syndicats
fascistes les seuls représentants des salariés, face à l'État et aux employeurs : exaltées comme
un lieu privilégié de dialogue social, les corporations permettent surtout au pouvoir de
contrôler le monde ouvrier.

D) Les totalitarismes et le contrôle social


Le fascisme et le nazisme ne sont pas que des mouvements politiques. Ils ont aussi une
dimension de projet de société, étant donné qu’ils entendent modifier l’homme en société.

1) Le contrôle de l'économie
Fascisme et nazisme sont tiraillés entre leur propension au dirigisme économique
(conséquence de leur antilibéralisme et de leur culture autoritaire) et la nécessité de respecter
l'autonomie des industriels qui ont permis leur arrivée au pouvoir. Ils ont dû conserver un
système capitaliste, mais leur politique a suivi plusieurs phases. Le contrôle de l'État sur
l'économie se renforce peu à peu, et aboutit, en 1940, à l'instauration d'une économie de
guerre marquée par l'étatisation de fait des économies allemande et italienne.
Phases Italie Allemagne
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Phase libérale 1922-1927 : reflux du contrôle


de l'État, équilibre budgétaire
Phase dirigiste 1927-1930 : « bataille de la lire 1 9 3 3 - 1 9 3 6 ( S c h a c h t ) :
», politique productiviste, politique d'orientation des prix,
grands travaux, bataille du blé c o m m a n d e s d ' a r m e m e n t ,
grands travaux
Phase autarcique 1930-1940 (en réaction à la 1936-1940 : politique agricole
crise de 1929) : corporatiste et dirigiste,
protectionnisme, renforcement protectionnisme industriel,
du contrôle de l'État sur le exploitation maximale des
financement de l'économie ressources allemandes par des
entreprises d'État

2) La propagande
Le contrôle des esprits se fait par l'action des groupements politiques, mais aussi par une
intervention directe du pouvoir sur l'opinion. La propagande est un souci constant des régimes
totalitaires : elle est l'objectif prioritaire d'une politique culturelle souvent ambitieuse, qui
s'adresse aux masses. En Allemagne, elle est confiée à l'un des principaux dirigeants du parti
nazi, Joseph Goebbels, qui fait appliquer les principes préalablement définis par Hitler:
confusion entre information et propagande, simplification et répétition de thèmes et d'images
propres à mobiliser les foules, anti-intellectualisme. En Italie, le ministère de la Presse et de la
propagande se transforme, en 1937, en un grand ministère de la Culture populaire : il filtre les
informations destinées aux journaux et propage des messages pro-gouvernementaux sur des
supports multiples. Dans les deux États, les affiches géantes, les actualités
cinématographiques, la radio, les cartes postales sont particulièrement prisées, dans la mesure
où elles recourent à des effets (montage, jeux sur l'image et le son) qui favorisent un rapport
affectif à la politique. Les grandes manifestations (ex : les grandes messes aux flambeaux du
parti nazi à Nuremberg) exacerbent l'émotion des masses, et symbolisent l'unité de la nation
derrière le régime et son chef. Ces rassemblements sont l'occasion d'une communion quasi-
mystique entre les dirigeants et la foule. Organisées par le parti nazi dès les années 1920, les
fêtes données chaque année à Nuremberg permettent à l'ensemble des composantes de la
société (jeunesses, travailleurs, sportifs, militants...) de manifester leur adhésion au régime :
principal ordonnateur de ces rassemblements, Albert Speer leur donne une dimension quasi-
religieuse. En Italie, les grandes cérémonies se font de plus en plus fréquentes, comme pour
éviter le détachement de l'opinion par rapport au régime : la proclamation de la prise d’Addis
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 42

Abbeba (Ethiopie, 1936), la Journée de l'Empire (1937), ou la visite officielle de Hitler (1938)
donnent lieu à des parades grandioses.
Contrôlée par des organismes d'État, la production artistique doit véhiculer les valeurs du
régime. L'architecture se veut grandiose, les films cinématographiques mettent en exergue
l'histoire nationale et les qualités de la race, la littérature est généralement édifiante. En Italie,
les artistes conservent une relative liberté, à condition de ne pas s'engager sur le terrain
politique (ex : Musée de la Civilisation Romaine, au Sud de Rome). En Allemagne, la
nazification culturelle est précoce et complète. Dès 1933, les bibliothèques publiques sont
expurgées des «mauvais livres», brûlés lors d'autodafés spectaculaires. Les artistes juifs, mais
aussi les non-conformistes, sont l'objet de tracasseries et doivent souvent s'exiler. Coupable
d'être non-figuratif et « non-allemand », l'art moderne est considéré comme dégénéré. La
liberté, fût-elle esthétique, n'est pas compatible avec un régime étendant son contrôle sur la
vie des citoyens.

3) La formation d'un Homme Nouveau


S'il cherche à éviter la formation de toute opposition politique, le contrôle des esprits s'inscrit
également dans un projet qui caractérise les régimes totalitaires : la formation d'un Homme
Nouveau, en rupture avec le processus de décadence qui caractérise les sociétés
contemporaines. Ce projet inspire la politique éducative et culturelle, qui promeut des valeurs
positives (courage, énergie, abnégation, sens de la collectivité). Il justifie la promotion du
sport, comme pratique et comme spectacle : en 1936, les Jeux Olympiques de Berlin
témoignent de la supériorité de la race allemande, l’Allemagne remportant 89 médailles
contre 66 aux États-Unis, classés seconds.
En Italie, la régénération de l'humanité est avant tout un thème de discours. En Allemagne,
elle conduit à une politique raciale eugéniste. L’Homme Nouveau est forcément un pur Aryen,
pourvu de solides qualités physiques et intellectuelles. Dès le 14 juillet 1933, la loi sur la
protection de la race préconise la stérilisation des personnes atteintes de maladies jugées
héréditaires (épilepsie, cécité, surdité, malformations, mais aussi schizophrénie ou «débilité
intellectuelle»). Les nazis s'intéressent aux travaux de généticiens sur la sélection de l'espèce.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, sous couvert d'euthanasie, se met en place une
politique d'élimination des enfants handicapés. L’antisémitisme nazi procède des mêmes
considérations idéologiques.
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E) Les moyens du système totalitaire : violence et terreur


Les régimes totalitaires se distinguent de tous les régimes autoritaires du XIXe siècle ou du
début de la première moitié du XXe siècle (Espagne de Franco, Portugal de Salazar) par la
violence de masse et la terreur de masse, qui annoncent la mort de masse à venir (la Shoah a
fait entre 5 et 6 millions de victimes).

1) La répression politique
L’unification morale et politique de la Nation se fait également par la terreur. Nazisme et
fascisme ont accédé au pouvoir dans un contexte de violence politique, qui permet de
légitimer l'utilisation du terrorisme d'État. La répression politique est précocement employée:
- en Italie, la répression concerne essentiellement les adversaires déclarés du régime. Les
communistes sont traqués par la police politique: l'OVRA (Organisation de vigilance et de
répression de l'antifascisme). Ils sont traduits devant le Tribunal spécial, qui prononce surtout
des peines d'emprisonnement et de relégation au bagne ;
- en Allemagne, la répression est organisée à une autre échelle. Dès le printemps 1933, le
mécanisme de la terreur de masse est mis en place. Le régime crée des camps de
concentration (mais c’est une invention de l’URSS des années 1920, et les Britanniques en
ont aussi créé pendant la Guerre des Boers au tout début du XXe siècle) pour accueillir les
militants communistes et socialistes arrêtés au lendemain de l'incendie du Reichstag (ex.
Dachau). A la veille de la Seconde Guerre mondiale, près d'un million de personnes sont
détenues dans une cinquantaine de camps, où la mortalité est très élevée (il ne faut toutefois
pas confondre avec les camps d’extermination, créés en 1941-1942 en relation avec la
Solution Finale, comme Auschwitz-Birkenau). La terreur de masse est l'une des armes
principales de cette répression, qui s'attaque à toutes les oppositions politiques. Dès juin 1934,
«la Nuit des Longs Couteaux» se conclut par l'élimination massive des SA. La terreur d'État
est l'œuvre de la SS et de la Gestapo (la police politique), qui, à partir de 1936, sont toutes
deux dirigées par Himmler. Symbole du régime, la SS est rationnellement organisée : elle
comprend une branche administrative, des sections spécialisées (pour la gestion des camps de
concentration notamment) et un corps militaire d'élite (la Waffen-SS).
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 44

2) L’antisémitisme
Après l’élimination d’une grande partie des dirigeants communistes, les Juifs constituent une
cible privilégiée pour le régime hitlérien. L’antisémitisme est une composante fondamentale
de l’idéologie nazie depuis Mein Kampf. Il inspire une politique de discrimination, puis de
persécution de plus en plus violente, comme si les dirigeants souhaitaient répondre aux
difficultés de la société allemande par la recherche de boucs-émissaires.
Rappel :
1933 Boycott des magasins juifs
1933-1934 Exclusion des Juifs hors de certaines
professions (fonction publique, presse, culture,
barreau)
Septembre 1935 Lois de Nuremberg : les Juifs sont exclus de la
citoyenneté allemande
1935-1938 Décrets additionnels aux lois de Nuremberg :
mise en place d’un régime d’exception pour
les Juifs

8-9 novembre 1938 « Nuit de Cristal », vaste pogrom organisé par


Goebbels
1941 Port obligatoire de l’étoile jaune
20 janvier 1942 Conférence de Wannsee sur la « solution
finale »

Ces dispositions antisémites s'appuient sur une propagande faisant du Juif l'ennemi de la
Nation. Le cinéma par exemple conditionne l'opinion allemande, apparemment indifférente à
une politique devenue meurtrière avant même la Seconde Guerre mondiale.
Le fascisme repose également sur une idéologie raciale. Mais, en Italie, la politique antisémite
n'atteint pas la même dimension meurtrière : elle repose essentiellement sur des lois
d'exclusion des Juifs.

3) Le nationalisme
La politique extérieure des régimes fasciste et nazi correspond à une double logique :
- elle justifie le projet totalitaire : l'encadrement de l'économie et de la société, la répression de
toutes les forces antinationales, l'amélioration de la race, le triomphe du principe d'autorité
sont censés préparer la Nation à une expansion territoriale et à la guerre.
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 45

- elle canalise vers l'extérieur la violence propre aux idéologies fasciste et nazie, l'étranger
jouant (au même titre que le communiste et le juif) le rôle de bouc-émissaire.
Toutefois, l'expansionnisme de ces deux pays ne s'inscrit pas dans la même culture :
- la politique extérieure du régime fasciste reprend la mystique impérialiste du nationalisme
italien, telle qu'elle a été développée depuis la fin du XIXe siècle. Ainsi, la guerre d'Éthiopie
(1935-1936) permet d'accroître un Empire colonial déjà composé de la Libye, de l'Erythrée et
d'une partie des côtes somaliennes. Elle témoigne d'une volonté de présence italienne en
Méditerranée, qui se traduit également par l'implantation de colonies d'émigrants en Tunisie,
en Algérie et dans l'île de Malte. À la fin des années 1930, Victor-Emmanuel III est ainsi roi
d'Italie, Empereur d'Éthiopie et roi d'Albanie, après l'annexion de ce pays en 1939.
- l'expansionnisme allemand reste cantonné au continent européen. Il repose sur des
considérations politiques multiples : il s'agit à la fois d'effacer la honte du traité de Versailles,
d'illustrer les qualités diplomatiques et guerrières de Hitler, de donner corps au rêve d'une
Mitteleuropa germanique et d'élargir l'espace économique et commercial allemand. En juillet
1934, Hitler dévoile la logique de sa politique : avec l'appui des nazis autrichiens, il tente une
annexion de l’Autriche, mais doit renoncer sous la pression italienne. L’annexion réussie de
l’Autriche (Anschluss, 12 mars 1938), des Sudètes (29 septembre 1938), puis de la Bohême-
Moravie (15 mars 1939) constituent autant d'étapes du projet nationaliste de Hitler.

Conclusion
Le fascisme et le nazisme, s’ils se rejoignent sur certains points (dynamique révolutionnaire
fondée sur une idéologie globalisante, embrigadement totalitaire), obéissent à des évolutions
différentes : la transformation de la dictature fasciste en totalitarisme prend une décennie et
reste partielle, tandis que le nazisme s'impose d'emblée par la terreur et la mort. Quant à la
comparaison des deux régimes avec l’URSS de Staline, elle est assez largement biaisée : là où
Staline remet à un futur indéterminé la révolution mondiale pour assurer par la terreur la
construction du « socialisme dans un seul pays », afin de faire de l’URSS la « mère-patrie du
socialisme », le régime nazi rejette la nazification totale de la société allemande au lendemain
de la victoire finale, en ne ciblant pendant longtemps que des minorités précises qualifiées
d’« ennemis intérieurs ». Les nazis obtiennent ainsi un « ralliement de raison » des élites et de
la population allemandes, que Staline n’obtient que par la répression. L’articulation entre
politique intérieure et politique extérieure est donc très différente entre les deux pays. En
A. CHAUOU -–Lycée de Kerichen – Pôle CMC 46

outre, le fascisme italien a un caractère de transformation de la société moins radical que le


nazisme, et assez éloigné du socialisme stalinien dans la mesure où il n’édifie pas une
dictature du prolétariat.

Sommaire
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