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LE LIVRE ET L'EMPEREUR SOUS LES PREMIERS MACÉDONIENS

BERNARD FLUSIN/PARIS

L'auteur de la Vie de Basile, Constantin VII ou celui qui écrit sous sa sur veillance,
après avoir décrit le triklinos du Kainourgion construit par le fondateur de la dynastie
macédonienne, procède à l'ekphrasis en règle du koitôn adjacent, construit lui aussi
par Basile. Il détaille le pavement, puis, de bas en haut, la décoration des murs, et
voici ce qu'il dit du registre supérieur: «Des mosaïques d'or, procurant d'autres plai­
sirs encore, montrent l'empereur artisan de cet ouvrage sur un trône, avec son épouse
Eudocie. Ils sont ornés tous deux de leur tenue impériale et ceints de leur couronne.
Leurs enfants communs, comme des astres brillants, sont représentés tout autour de
la salle, tout éclatants eux aussi des vêtements impériaux et des couronnes qu'ils por­
tent. Les enfants mâles sont montrés avec des volumes (-ré t1ouç) contenant les divins
préceptes qu'ils ont appris à observer. �ant au sexe faible, on le voit lui aussi avec
des livres (�(�À.ouç) renfermant les lois divines. Peut-être l'artiste a-t-il voulu montrer
que non seulement la progéniture mâle, mais que les filles aussi, initiées aux lettres
saintes, ne sont pas dépourvues de la science divine, et que, même si le géniteur de ces
enfants, au début, n'était pas familier des lettres à cause des hasards de la vie, cepen­
dant, il a fait en sorte que tous ses rejetons participent à la science. C'est cela, sans le
raconter, qu'on a voulu signifier par la peinture 1• »
Un double témoignage, donc, avec d'une part le programme iconographique du
koitôn édifié et décoré par Basile, mettant en scène, dans un espace moins officiel et
plus intime que le triklinos adjacent la famille impériale; d'autre part, une interpréta­
tion : l'artiste aurait voulu signifier l'importance que Basile, lui-même illettré à l'ori­
gine, avait accordée à l'éducation de ses enfants, fils et filles, et en particulier à l'ap­
prentissage des hiéra grammata. On comprend bien que Constantin VII, empereur
lettré, ait insisté sur la politique culturelle du fondateur de sa dynastie, et il avait de
bonnes raisons pour le faire. Mais quand il insiste sur la représentation des livres, n'a­
t-il pas pour une part projeté anachroniquement sur Basile une interprétation corres­
pondant à sa propre époque et à son propre goût pour les lettres? C'est cette question
que j'aimerais poser ici, non pas d'une façon générale sous l'angle de l'histoire de la
culture, bien souvent exploré, mais en m'attachant plus étroitement à l'histoire du
livre comme objet et à la place qu'il a occupée à la cour. Il s'agit de montrer ou de
rappeler, par quelques remarques empruntées en particulier aux travaux des paléogra­
phes qui se sont développés de façon si féconde depuis une trentaine d'années2, que
de ce point de vue aussi, le règne des deux premiers macédoniens a été marquant.
1 Vie de Basile, éd. I. SEVCENKO, Chronographiae quae Theophanis continuati nomineJertur liber
quo Vita Basilii Imperatoris amplectitur, Berlin 2011, 292; cf. C. MANGO, The Art ofthe Byzan­
tine Empire, 312-1453, Londres-Sydney 1972, 197-198.
2
La référence est ici le colloque de Paris sur la paléographie grecque et byzantine (La paléogra­
phie grecque et byzantine. Actes du colloque international La paléographie grecque et byzantine,
Paris 21-25 octobre 1974, Paris 1977), décisif pour les études sur la minuscule ancienne.
72 Bernard Flusin

Manuscrits datés sous Basile et Léon


Nous pouvons jeter tout d'abord un coup d'œil sur les manuscrits datés depuis
le
début du règne de Basile jusqu'à la fin de celui de Léon VI. La liste que voici, dres�e
par R. Devreesse il y a soixante ans, comprend une vingtaine de manuscrits3• Deux
d'entre eux seulement4 sont datés du règne de Basile, une douzaine d'autres de celui
de Léon. J'ai repris dans ce tableau trois manuscrits datés de 913-914, c'est-a-dire
après la mort de Léon ( 912) et celle d'Alexandre ( 913) au tout début du règne de
Constantin VIL

DATE COTE CONTENU HISTOIRE

856-897 Berlin, Ham. 552 Psautier grec et


(410) latin
861-2 Meteor. 591 Chrysostome
877-8 Saint-Pétersbourg, Psautier Uspenskij Nouveau fragment découvert au Sinaï (Monastère
Bibl publ., 216 Sainte-Catherine, Nouvelle découvene, Mf 33)
880 Moscou, Musée Basile de Césarée Copié par Athanase, moine et pécheur
hisr., gr. 117
(Vlad. 254)
888 Oxford, D'Orville Euclide copié par Stéphanos pour Aréchas
301
890 Paris, Bibl. nat., gr. hagiographie copié par Anastase
1470

890 Paris, Bibl. nac., gr. hagiographie copié par Anastase


1476
895 Oxford, Clark. 39 Platon Copié par Jean le Calligraphe pour Aréthas

897 Var., Pal. gr. 44 Hésychius, Sur les copié par Léon, caboularios, de Monemvasic
Psaumes
899 Glasgow, Hune V. Basile de Césarée Copié par le moine Ignace (Scoudios ?)
3. 5-6
899 Moscou, Musée Jean Climaque Copié par Athanase, moine et higoumène
hisc., gr. 145
(Vlad. 184)
905 Venise, Bibl. Job, Olympiodore, « Sous le règne favorisé par Dieu de Léon cc
Marc., gr. 538 dAfexandre, empereurs des Romains orthodoxes
(coll. 540) cc amis du Christ»
906-7 Paris, Bibl. nac., gr. Aristide
2951 + Florence,
Laurent. LX, 3

3 R. DEVREESSE, Introduction a l'étude des manuscrits grecs, Paris 1954, 288-289.


4
Le psautier de Berlin, dont la datation est trop vague, peut être ici n égligé.
Le livre et l'empereur sous les premiers macédoniens 73

909 Bamberg A. I. 14 Psautier gréco-latin Grec par une main occidentale


911 Moscou, Bibl. Basile et Grégoire
(circa) Univ.,1 (ancien de Nysse
Cois!. 229 )
914 Achènes, Bibl. Ancien Testament Copié « sous le règne de Constantin» par Joseph
nat.,2641 pour le patrice Samonas.
914 Londres, Bric. Lucien Même main que le Paris. gr.451
Libr., Harley5694
914 Paris, Bibl. nac., Apologistes Baanès, notarios, pour Aréchas, archevêque de
gr.451 Césarée

Pour la plupart de ces manuscrits, aucun lien particulier avec l'empereur ou avec
la cour n'est discernable: ainsi pour les beaux recueils hagiographiques copiés par
Anastase en 890. Le colophon du Marcianus 538 - un manuscrit de luxe, transmet­
tant le livre de Job et le commentaire d'Olympiodore, avec des miniatures 5 - attire
l'attention avec la mention détaillée, dans le colophon, des deux empereurs régnants:
Léon VI et son frère Alexandre. Le manuscrit d'Athènes, pour sa part, nous rappro­
che certainement de la cour impériale: il a été copié pour un ex-favori et ministre de
Léon VI, le patrice Samônas, contraint à prendre l' habit en 908 et à se retirer dans
un monastère6. On note aussi la présence de quatre manuscrits ayant appartenu à la
bibliothèque d'Aréthas de Césarée. Même si aucun d'eux n'est daté du règne de Léon
VI, on se rappellera bien sûr que, depuis les années 901-902 au plus tard, Aréthas
était actif à la cour de Léon, et dans l'entourage proche de cet empereur, comme le
montrent plusieurs de ses œuvres7• Sans avoir joué, dans l' histoire de la culture, le
rôle majeur qui a été celui de Photius sous Basile Ier avant d'être chassé par Léon VI
en 886, Aréthas est une figure importante de l'histoire des lettres à Byzance, et, dans
un discours prononcé à l'occasion de la Saint-Élie 902, évoquant l'atmosphère intel­
lectuelle de la cour de Léon, il en vient à cette confidence amusante: «Je ne me pré­
occupe plus d'acheter des livres en masse, ma soif de livres est apaisée. Car comme tu
nous dispenses les semences de tous les biens, notre terre aussi produit une moisson
à la mesure du semeur et de la semence8.» Il semble que la réputation de bibliophile
d'Aréthas était suffisamment établie pour qu' il puisse y faire allusion devant Léon
VI; on voit aussi l'opposition qui est établie entre la science qu'on trouve dans les
livres et celle, évidemment préférable, qu'on recueille à écouter Léon.

5
Voir S. PAPADAKI-ÜAKLAND, Byzantine Jlluminated Manuscripts ofthe Book ofJob, Athènes
2009, 337-343.
6
Voir A. KAZHDAN-E. CuTLER, art. Samonas, dans A. KAZHDAN ET AL. (éd.), Oxford Dic­
tionary ofByzantium 3, Oxford-New York 1991, 1835-6.
7
Cf. Arethae archiepiscopi Caesariensis scripta minora II, éd. L. G. WESTERINK, Leipzig 1972;
en particulier, n° 57-67.
8
a a
Aréchas, Discours prononcé table l'occasion de lafête du prophete Élie, éd. WESTERINK, n° 65,
46.
74 Bernard Flusin

La figure d'Aréthas nous rappelle que nous sommes à l'époquedu premierhullla.


nisme by�antin �ai�, pour en revenir à la question préc!se d� rapport entre l'ern�.
reur et le livre obJet, 11 faut nous tourner dans une autre d1rect1on et parler brievernen
r
du livre sans doute le plus connu de 1'époque. Il s'agit du Paris. gr. 510 qui peut serrir
à illustrer, sous Basile, le lien qui s'établit entre l'empereur et le livre.

Deux manuscrits de Basile


Il est presque gênant d'avoir à parler d'un manuscrit aussi célèbre que le Grégoireac
Paris, pour lequel il suffit de renvoyer en particulier aux travauxde L. Brubaker9.Jc
me contenterai de quelques remarques, dont la première porte sur ladate. Ce sont
les portraits impériaux qui permettent de dater sûrement le Parisinus: l'impératrict
Eudocie, qui meurt en 882, est représentée avec Alexandre, co-empereur depuis no­
vembre 879; Constantin, que Basile avait eu d'un premier mariage, et qui meurtcn
879, est absent. Les mêmes éléments de datation valent aussi pour les mosaïquesdu
koitôn dont j'ai parlé tout à l'heure 10• Les portraits du Parisinus et les mosaïquesdu
Kainourgion sont donc exactement contemporains et l'existence mêmedu Paris.gr.
S 10 montre bien que la lecture que Constantin VII fait des mosaïquesde ce lwitôn
n'est pas anachronique. Deuxièmement, le contenu du livre. Il s'agitde la sérieassa
rare de 42 homélies de Grégoire de Nazianze, et la place accordée à cet auteur rappel·
le que le livre, à l'époque où nous sommes, est surtout le livre chrétien:dans lekoitôn
du Kainourgion, livres ou rouleaux représentés portaient la loi divinedont ils re�c­
tent la nature et l'autorité; avec le Paris. 510, nous avons une éditiondu plus influent
des pères de l'Église, le Théologien par excellence, représentant d'un christianisme
savant. Le luxe du Parisinus - format, écriture, miniatures - est proportionnéab
majesté impériale, proportionné aussi à l'importance d'un auteur qui restera associe
aux premiers macédoniens. On peut se demander toutefois quel usage Basile pouvait
faire de ce livre. Il ne semble pas avoir été exposé aux yeux des visiteurs et le peu d'in·
fluence qu'il a exercé sur l'illustration des livres byzantins laisse penser que peu de
gens l'ont vu. Il ne s'agit pas d'un objet que l'empereur exhibe pour affirmer son pres·
tige, mais d'un livre fait pour lui. Et l'on peut se demander comment cet empereur,
notoirement illettré, pouvait apprécier soit le texte, soit les subtiles miniatures qui
l'accompagnaient. L'hypothèse selon laquelle le Grégoire de Paris, s'il a été utilise,
devait être expliqué, peut-être par celui-là même qui l'avait conçu, ne manque pas de
vraisemblance11•
9 L. BRUBAKER, Vision and Meaning in ninth-century Byzantium. Image as Exegesis in tht Hom·
ilies ofGregory ofNazianzus, Cambridge 1999.
10
Pour le rapprochement des deux dates, voir BRUBAKER, Vision and Meaning, 163, qui nO!'
toutefois qu'au Kainourgion, il s'agit de représenter une famille, et dans le Paris.gr. SIOun'
dynastie.
nr i
Rappelons que pour L. Brubaker, la conception de l'illustration du Paris. gr. 510 revie _
Art)
11

P hotius. Voir par ex., outre l'ouvrage cité n. 9; L. BRUBAKER, Politics, Patronage, and
O,
Ninch-Cencury Byzantium: The Homilies of Gregory of Nazianzus in Paris (B.N. GR. SI
Le livre cc l 'empereur sous les premiers macédoniens 75

Au total, le Paris. gr. S 1 0 est précieux non seulement pour montrer la splendeur
et l' audace que peu t atteindre vers 880 la l ibrairie byzan tine dans l 'atmosphère de l a
cour impériale, mais aussi pour préciser d e qu els manuscrits il faut nous occuper. Le
Platon d 'Aréthas, im portant à nos yeux, est en fait secondaire dans un monde by­
zantin OLI la redécouverte <les œuvrcs de l 'Antiqu ité n 'occupe pas nécessairement la
prem ière place. D 'autres man uscrits, scripturai res et patristiques, sont plus centraux
et plus représentatifs de la culture de l 'époque, marquée par un christian isme impé­
rial et savant 1 2•
Le deuxième livre dont il convient ici de parler, parce qu'il est lui aussi - proba­
blement - lié à Basile Ier est beaucoup plus modeste, même si Gino Pierleoni, dans
son catalogue, décrit avec enthousiasme la beauté de son écriture 1 3 • Il s' agit du Nea­
pol. gr. 2, un petit évangéliaire en onciale écrit sur parchemin pourpre. Il s' achève par
une lecture pour une célébration de victoire et surtout, il porte, au folio lb une croix
dorée avec l ' i nscription BACI/\EIOC- K PATOC 1 4• G. Cavallo, après d'autres, admet
qu'il s'agit ici de Basile Ier, et suppose même que ce manuscrit, écrit en grandes let­
tres, avait été exécuté pour répondre aux besoins d'un empereur à qui la lecture était
peu fam il ière 1 5 • L' important, toutefois, n'est pas là. Ce qu' il faut remarquer surtout,
c'est que cc lectionnaire de petite taille n'est pas isolé. Ce manuscrit luxueux, de petit
format ( 1 4 x 1 6,3 cm), destiné à un usage personnel, a pu être rapproché d'autres
manuscrits scripturaires.

Deux grou pes de manuscrits


C 'est ce qu'a fait Lidia Perria dans l'étude importante qu'elle a consacrée, avec An­
tonio lacobini, à un manuscrit de l a Bibliothèque universitaire de Messine, F. V. 1 8 16•
Il s'agit d'un tétraévangile de petit format ( 1 7,2 x 1 2,4 cm.), datable de la fin du IXe

DOP 39 ( 1 985) 6 ("As the foregoing examination of even a few miniatures suggest, the master­
mind bchind the Paris Gregory was Photius").
12
Le lien particulier encre les premiers macédoniens et Grégoire de Nazianze s'affirmera dans les
décennies suivantes: en 9 1 8, Basile le Petit dédie son commentaire de l'œuvre du Théologien
à Constantin VII encore enfant (cf. R. CANTARELLA, Basilio minimo II. Scoli inediti con in­
trod uzione e noce, BZ 26 ( 1 926) 1 -34; H. G. BECK, Kirche und theologische Literatur im byz­
antinischen Reich, Munich 1 959, 597), et Constantin lui-même écrira une œuvre en l'honneur
du Théologien au début de son règne personnel (cf. B. FLUSIN, Constantin Porphyrogénète.
Discours sur la translation des reliques de saine Grégoire de Nazianze (BHG 728), IŒB 57
( 1 999) 5-97.).
13
«Codex pulchdcudine insignis, in quo nescias utrum auri, quo plurimo singula renidenc folia,
fulgorcm, an cxquisitum litterarum ductus artificium concinnitatemque admireris», G. PIER­
LF.ON I , Catalogus codicum graecorum Bibliothecae Nationalis Neapolitanae l, Rome 1962, 7.
14
Ibid., 9.
' 5 G. CAVA LLO, /,ire a Byzance, Paris 2006, 28-29.
16 L. PERRtA-A. ]ACOOINI, Il Vangelo di Dionisio: Il codice F.V. 18 di Messina, l'Athous Stav­
ron ikita 43 e la produzionc libraria costantinopolitana del primo periodo macedone, RSBN ns
31 (1 994) 8 1 - 1 63.
76 Bernard Flusin

s. ou du début du Xe. L. Perria, profitant des premières remarques de M. L. Agati '1


pu regrouper un certain nombre de ces élégants petits manuscrits, qui s'échelonn �•
e1
de la fin du IXe s. au début du Xe 18• En voici un tableau.

COTE CONTENU DIMENSIONS

Kalavr. Megasp. 1 évangiles 155xll0 mrn.


Londres, Bric. Libr., add. 1 1.300 évangiles 175xl20 mm.
Messine, F. V. 18 «évangile de Dionysios » 172xl24 mrn.
Naples, gr. 2 évangéliaire 163x 140 mm.
Oxford, Canon. gr. 1 10 Praxapostolos 189xl34mm.
Paris, Bibl. nat., gr. 70 tétraévangile 176xll2mm.
Patmos, 95 tétraévangile 155xl20 mm.
Rome, Casanat. 241 Job, Prov., Eccl., Cane., Sap., Ecclesiastic. 92x72 mm.
Saint-Pétersbourg, Bibl. publ., gr. 200 psautier 170/173x
+ Sin. gr. 283 1 16/120mm.
Venise, Marc. Bibl., gr. I, 18 évangéliaire 165xl20 mm.
Walters Art Gallery W 524 évangiles 175xl22mm.

Il s'agit de manuscrits scripturaires, destinés à un usage personnel. Leur petit for­


mat, voire, pour le Casanatensis 19, leur taille minuscule, exclut en effet qu'ils aient pu
être utilisés pour la lecture publique à l'office, et l 'on peut même penser, dans certains
cas, qu' ils avaient une fonction de phylactère plutôt que de livre de lecture. Oum
leur petite taille, leur signe distinctif est leur raffinement : qualité du parchemin, de
l'écriture, de la décoration, sur laquelle je vais revenir. Le tétraévangile de Messine,
spécialement important, a été copié pour un personnage nommé Dionysios qui n'he­
site pas à utiliser des feuilles de parchemin teintées de pourpre. Son copiste princip�
a été identifié par L. Perria avec l'un des copistes ayant travaillé, entre autres, pour
Artéhas20 • Le Neapol. 2 est sans doute copié pour Basile Ier lui-même. Nous avom
donc affaire à des manuscrits d'usage personnel qui ont été créés et utilisés dans des
milieux aristocratiques à partir du règne de Basile 21 •
17 M.-L. AGATI, La minuscola "bouletée" I-II, Cité du Vatican 1 992, ici t. I, en part. p. 69, 144.
18
L. PERRIA, Il Vangelo, 99- 1 0 1 .
19 Sur ce manuscrit, voir L. PERRIA, Per un repertorio dei codici greci in minuscola di ecà antica,
RSBN ns 33 ( 1 996) 2 1 -30, qui propose comme datation le troisième quart du IXe s.
20
L. PERRIA, Il Vangelo, 86. Le copiste principal du Messinensis a copié aussi le Vallic. F 10 (no·
mocanon, avec des scholies de la main d'Aréthas); les Vat. gr. 68 1 (Nicétas de Byzance) et 836
(fol. 1 36-8: Athanase, Grég. de Nazianze); les Scorial. T. III. 4 et 'Y. II. 10 (fol. 70-109): cf.
L. PERRIA, Arethaea. Il codice Vallicelliano di Areca e la Ciropedia dell'Escorial, RSBN ns 2,
( 1 988) 41 -56.
21
L. PERRIA, II Vangelo, 99 et n. 29, renvoie, pour l'usage de ces petits lectionnaires, à l'hagio·
Le livre et l'empereur sous les premiers macédoniens 77

Leur décoration raffinée retient l'attention, et l'on ne s'étonnera pas de retrouver


ici deux livres qui, dès 1 936, avaient été signalés par K. Weitzmann et situés dans un
groupe de neuf manuscrits caractérisé par ce qu' il avait appelé un décor classicisant
bleu et or22• Dans la liste des manuscrits regroupés par Weitzmann, nous avons si­
gnalé, en nous servant des travaux de M.-L. Agati23 , les cas où le texte était copié dans
une écriture calligraphique dont l'histoire est importante pour le Xe s.: la minuscule
bouletée.

COTE DATE CONTENU ÉCRITURE


Pacmos, 40 Grégoire de Nazianze Bouletée régulière
Athos, Vatop. 408 Léon VI, Homélies Bouletée régulière
Florence, Bibl. Laur., Actes et épîtres
Plue. IV. 29
Florence, Bibl. Laur., Aristote, Ethique à Nicomaque
Plut. LXXXI. 1 1
Londres, Brit. Libr., Évangiles Bouletée régulière
add. 1 1.300 (petites dimensions)
Paris, Bibl. nat., Actes des Apôtres; Epîtres; chaîne Aux origines de la
gr. 216 chrysostomienne bouletée
Vatican, Reg. gr. 29 Actes, Epîtres, avec scholies de Bouletée régulière
Léon VI
Venise, Bibl. Marc., a. 905 Job; Olympiodore
gr. 538
Venise, Bibl. Marc., Evangiles Bouletée régulière
app. I, 1 8 (petites dimensions).

Le contenu de ces manuscrits est assez varié, mais, si l'on y trouve un manuscrit
profane, !'Aristote de la Lauren tienne, il s' agit surtout de manuscrits patristiques, ou
scripturaires, parmi lesquels nous retrouvons deux des tétraévangiles de petites di-

graphie et à un passage de la Vie de S. Nil, où le saint utilise le petit manuscrit du Nouveau


Testament qu'il a toujours sur lui comme <puÀIXKT�ptov. On peut songer aussi à la Vie de Michel
Maléinos, où - d'après son hagiographe - le saint, avant de se consacrer à la vie monastique,
consulte son psautier. L'épisode doit se situer vers 9 1 2; Michel, encore appelé Manuel, consul­
te son psautier, dont le format n'est pas précisé, alors qu'il est chez lui, à Constantinople (L.
PETIT, Vie et office de Michel le Maléinote suivis du Traité ascétique de Basile le Maléinote, Paris
1903, 10).
22
K. WEITZMANN, Die byzantinische Buchmalerei des 9. und 10. jahrhunderts, [Ôsterreichische
Akademie der Wissenschafien. Philosophisch-historische Klasse. Denkschrifien, 243. Band],
Vienne 1996 (réimpression de l'édition de 1 935 ), 7-8 ( « Die klassizistische Blau-Gold Or­
namentgruppe » ); voir aussi M.-L. AGATI, Il libro manoscritto. lntroduzione alla codicologi,a,
Studia Archaeologica 1 24 (2003) 324.
23
M. L. AGATI, La minuscola "bouletée':
78 Bernard Flusin

mensions dont nous avons déjà parlé, ceux de Londres et de Venise. Le seul m anuscri
t
daté est le Marcianus 538 de 905. D 'autres manuscrits sont plus tardifs, et datables
du milieu du Xe s. 24 L'apparence de ces l ivres est assez luxueuse, et l'on considere
comme probable que leurs possesseurs, des laïcs de la haute société, aient été en rap .
port avec le palais. Nous voyons ainsi se dégager une nouvelle conclusion. L'intérêt
de la cour impériale pour les livres manuscrits semble avoir eu une influence sur la
qualité de la décoration, et sur la naissance d'un style d'ornements dont les origines,
comme nous le voyons avec le Job de Ven ise, sont à situer sous le règne de Léon VI, et
qui s'est développé sur plusieurs décennies. Enfin, nous voyons se dessiner une nou­
velle question: sur les neuf manuscrits réunis par Weitzmann, six sont écrits dans un
style d'écriture particulier, la bouletée, ou, pour l 'un d'entre eux, une forme de pre­
bouletée. Le lien qui s'est établi entre le palais et le livre a influencé la calligraphie elle
aussi.

Léon VI et les manuscrits


On aura noté au passage, dans le groupe Weitzmann, la présence d'un livre illustre: il
s'agit du Vatopedinus 408 qui est écrit en minuscule bouletée et contient les homélies
de Léon VI, étudiées et éditées par Th. Antonopoulou25 • C 'est l 'occasion de regrou·
per, à propos de ce manuscrit, quelques remarques sur les relations entre Léon VI et
les livres
Ce que nous savons de Léon VI correspond parfaitement au projet que Constan·
tin VII attribue à Basile pour ses enfants. Il semble que l'éducation de Léon, comme
celle des autres enfants de Basile, ait été confiée à Phôtios lui-même26• Peut�être une
version du traité TT€pl ôp9oypttq>L<U; de Théognoste lui était-elle dédiée27• La premiè­
re épouse de Léon, Théophanô, avait laissé elle aussi le souvenir d'une princesse à
l'éducation soignée que son père avait pris soin de former aux lettres saintes selon un
programme qui paraît être, pour l'hagiographe, ce qui convenait à une fillette de la
haute aristocratie constantinopolitaine28 • Nous sommes bien, vers l'année 880, dans

24 Parlant du Marc. gr. I, 18, qu'elle met en rapport avec li\.dd. 1 1 300, l' Oxon. Canon. gr. 1 10, le
Paris. gr. 70 et le Patm. 95, M. L. AGATI, La minuscola "bouletée" I, 144, émet le jugement suiv·
ant: «Con molca probabilità, dunque, questo ms. è da ricondurre alla cerchia gravitan ce accor·
no alla corte di Costantinopoli, intorno al primo ventennio delle seconda metà del X secolo.»
25
TH. ANTONOPOULOU, Ihe Homelies of the Emperor Leo VI, Leyde-New York-Cologne
1 997; Leonis VI Sapientis Imperatoris Byzantini Homiliae, ed. TH. ANTONOPOU LOU (CCSG
63), Turnhout 2008.
26 Cf. Theophanes Continuatus VI. 44, éd. BEKKER, Bonn 1 838, 276-277; mais voir les fonnu·
lations prudentes de TH. ANTONOPOULOU, The Homelies, S.
27
Voir J. SCHNEIDER, Les traités orthographiquesgrecs, Turnhout, 1 999, 278. L'attribution à Léon
V, toutefois, est soutenue par K. ALP ERS, Die griechischen Orthographien aus Spacanrike und
byzantinischer Zeit, BZ 97 (2004) 1-50.

28
E. KuRTZ, Zwei griechische Texte über die hl Theophano die Gemahlin des Kaisers Leo VI, Sain
Pétersbourg 1 898, 3.
Le livre et l'empereur sous les premiers macédoniens 79

une cour où l'on s'attend à ce que les membres de la famille impériale, hommes et
femmes, sachent lire et écrire.
Pour revenir aux livres eux-mêmes, on sait enfin que la calligraphie avait fait par­
tie des disciplines pratiquées par Léon. Un passage connu de la Vie de Blaise d:Amo­
rium le rappelle. Saint Blaise, alors à Constantinople, est conduit au palais, où il
compte rencontrer l'empereur Léon, et les amis qui l'avaient escorté le laissent seul:
« (Le bienheureux) jeta son regard ici et là tout autour et ne vit plus personne de ceux
qui l'avaient accompagné; mais il aperçut une seule porte ouverte, derrière laquelle
l'empereur en personne, comme il en avait l'habitude, était assis, occupé à calligra­
phier. Alors, ( . . . ) il s'avança vers le prince ami du Christ et lui dit: 'Frère, dis-moi,
où donc l'empereur se trouve-t-il ?' Et (l'empereur), ami des saints . . . , tout stupéfait
de l' innocence du bienheureux, admira sa simplicité. Il lui dit: 'Assieds-toi, mon père
et moi, je veux te le montrer bien vite.' Il repoussa le tabouret sur lequel reposaient ses
pieds, fit asseoir le bienheureux tout près de lui, et il lui parlait très directement. Le
vieillard, voyant les chaussures éblouissantes qu' il portait, reconnut que c 'était l'em­
pereur et aussitôt, il se leva et se jeta à ses pieds29.» L'image, vraie ou recomposée, de
Léon VI dans l'attitude du copiste, avec les pieds reposant sur un hypopodion, est pré­
cieuse et rare. À ma connaissance, jusque là, seul Théodose II avait laissé le souvenir
d'un empereur chrétien aussi ami des livres.
Une épigramme, conservée dans le Paris. gr. 1 640 (copié en 1 320), figurait en
tête d'un exemplaire de I'Anabase de Xénophon qui avait été offert à Léon30 • Elle est
d'autant plus précieuse que l'étude de la tradition de l 'Anabase a montré que le Paris.
1640 était à la tête d'une famille bien particulière des manuscrits de Xénophon. Il
semble donc qu'on avait, pour ce manuscrit offert à l'empereur, cherché à améliorer
l'état du texte, et sans doute le Xénophon de Léon était-il issu d'une opération de
translittération effectuée à partir d'un modèle tarda-antique. L'épigramme recopiée
dans le Paris. gr. 1 640 montre que Léon VI, dont le poète anonyme loue l' intérêt
pour les historiens antiques31 , n'était pas resté à l'écart du mouvement de renaissance
de la littérature classique.
Enfin, on sait que Léon VI a laissé des poèmes religieux assez nombreux, ainsi
qu'une série de chapitres parénétiques32 • Il est surtout l'auteur d'une série d' homé-
29 Vie de Blaise d:1morium (BHG 278), § 20, Acta Sanctorum Nov. IV, p. 666.
30
Voir A. MARKOPOULOS, A'Tt'OO'YJf.tELWO'ELÇ O'T6v Afov-ra LT '-rov Lo�6, dans Bvµlaµa rrr1 µv1µ,;
T1JÇ Aarrxaplvaç M1rovpa, Athènes 1 994, 1 93-20 1 ( = Io., History and Literature ofByzantium
in the 9th-10th Centuries, Variorum Collected Studies, 2004, n° XVI), 1 95 pour le texte de
l'épigramme. Pour une description du Paris. gr. 1640, voir maintenant P. GÉHIN ET AL., Les
manuscrits grecs datés des X/Ile et X/Ve siecles conservés dans les bibliotheques publiques de France
II, Paris-Turnhout 2005, 5 1 -5 3.
31
Il «scrute les très anciens écrits (O'uyypa�liç) et en recueille de l'expérience pour les affaires du
monde», épigramme (cf. n. 24), vv. 14- 1 5.
32
Voir ANTONOPOULOU, The Homelies, 1 6-23. Sur les chapitres parénétiques, voir J. GROSDI­
DIER DE MATONS, Trois études sur Léon VI, TM 5 (1973) 1 8 1 -242, en particulier p. 206-
228.
80 Bernard Flusin

lies, à la tradition desquelles appartient le Vatopedinus 408 mentionné par Wi .



mann pour sa décoration.

Le Vatopedinus 408
Ce manuscrit est important à plus d 'un titre. Rappelons quelques données. Le Va.
topedinus (= B) est un manuscrit de luxe, de grand format (36x27 cm.), à la mise en
page aérée, en deux colonnes, avec de grandes marges33• Sa décoration est soignec.
Son écriture est considérée par Maria Luisa Agati comme une minuscule boulet�
régulière. Il contenait 37 homélies de Léon, dont l' Oraison funebre de ses parenu
Basile et Eudocie. Ce choix, où sont inclus des textes plus personnels que ceux que
nous trouvons dans d'autres branches de la tradition, la solennité aussi des titres lais.
sent penser que nous avons affaire à une édition officielle, à l'occasion de laque�c
le texte de certaines homélies aurait pu être retouché34. Nous avions vu que Leon
était calligraphe et auteur. Le voici maintenant sans doute éditeur de ses propres œu­
vres, soucieux de les faire passer à la postérité, et c 'est de cette activité que seraient
témoins non seulement le Vatopedinus, mais aussi un beau manuscrit en onciale, lui
aussi de grandes dimensions ( 36x27 cm. env., tout comme B) dont les fragments sont
aujourd'hui dispersés entre Paris et Saint-Pétersbourg3 5•
Certaines pages du manuscrit athonite sont marquées, en trois ou quatre en·
droits36, par des interventions curieuses: par ex., au fol. 24v (cf. pl. n°), le copiste de
B laisse un blanc vers la fin de l'homélie 437 • Puis, d'une écriture moins soignée, d'un
33 Voir TH. ANTONOPOULOU, Leonis VI Sapientis Imperatoris Byzantini Homiliat, ed. ÎH.
ANTONOPOULOU (CCSG 63), Turnhout 2008, p. XXXV-XXXVIII; M. L. AGATI, La mi·
nuscola "bouletée" !, 82-83.
34
S'interrogeant sur certaines additions dans B, sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous, ].
GROSDIDIER DE MATONS, Trois études, 1 87, note ceci : elles «pourraient être des développe·
ments supplémentaires habilement intercalés par l'auteur lui-même . . . peut-être à l'occasion
ou en vue d'une seconde édition.»
35 Il s'agit du Paris. gr. 1 17 et du Petropolit. gr. 675. Cf. TH. ANTONOPOULOU, A New Palimp­
sest Manuscript of the Homilies of the Emperor Leo V I : Petropolitanus graecus 675, BZ 89
( 1 996) 1 - 10; EAD., Leonis VI Homiliae, p. XXIV-XXVII ; LIii-LVi; XCVIII-CIII.
36 On note, dans le Vatopedinus B, sept endroits où le copiste intervient lourdement pour corn·
piéter son texte. Ces interventions, toutefois, n'ont pas toutes le même statut. Dans crois cas,
il s'agit d'omissions corrigées ultérieurement. Restent trois ou quatre cas (fol. 24v, pour la fin
de l'homélie 4 ; fol. 3Sr, hom. 6, avec deux interventions) ; et peut-être fol. 373r, hom. 37): cf.
GROSDDIDIER DE MATONS, Trois études, 1 86- 1 88 ; ANTONOPOULOU, Leonis VI Homiliar,
LXXXV-XC.
37 Cf. ANTONOPOULOU, Leonis VI Homiliae, p. LXXXV. Pour Th. Antonopoulou, qui utilise
un microfilm du manuscrit, le copiste du Vatopedinus (B) a effacé quelques lignes du texte. C[
non laissé un blanc: « The scribe washed (or perhaps scraped) away the pre-existing texte (�e�
lines in the upper part of the first column on fol. 24v) » . Nous avons pour notre part cravai!li
d'après des photographies conservées à la Section grecque de l'IRHT: on voit en effet, fol. 24Y,
en haut de la première colonne, des traces de lettres; mais il s'agit du texte du fol. 24r, qui crans·
paraissent à travers le parchemin. Pour le texte, voir Leonis VI Homiliae, ed. ANTO NOPO ULOV,
Le livre et l'empereur sous les premiers macédoniens 81

plus petit module, sans respecter la mise en page, il copie, dans la marge supérieure de
la page, puis dans le blanc qu'il a ménagé, un texte qui ne correspond pas à ce qu'on
lit dans un autre témoin important du texte, A (Ambr. F 1 6 sup.). La leçon de A,
pour sa parc, conviendrait, par son étendue, au blanc laissé dans B. Le texte qui lui
a été sans peut-être été préféré est nettement plus long, mais ce supplément, d'après
les spécialisces38, est lui aussi écrie par Léon, qui aurait donc, sans douce à l'occasion
d'une (deuxième ?) édition de ses œuvres, recouché certains textes. Et comme cette
intervention est encore visible sur le Vatopedinus, on pourrait se demander si ce ma­
nuscrit n'a pas été réalisé sous la surveillance de l'auteur lui-même.
Pour Weiczmann, qui s'intéresse au décor, le Vatopedinus pourrait en effet dater
du règne de Léon. Mais le développement des connaissances a conduit à renoncer à
cette datation. Le type d'écriture est en effet ce qu'on appelle la « bouletée » , décrite
par Jean lrigoin en 1 977, qui l 'a baptisée ainsi à cause du renflement qu'on observe
souvent à l'extrémité des craies des lettres, et donc I'akme se situe dans le deuxième
tiers du Xe siècle39• La spécialiste de cette écriture, M. L. Agaci, est donc amenée à
dater le Vatopedinus du milieu du Xe s., et Th. Anconopoulou propose prudemment
la première moitié du Xe siècle. Nous aurions donc affaire, avec le Vatopedinus, à un
manuscrit réalisé à la cour de Constantin VII, peut-être sous son règne personnel,
qui reproduirait minutieusement les derniers choix éditoriaux de Léon VI et donc le
copiste, outre son modèle principal, aurait utilisé un modèle secondaire où il aurait
trouvé, pour certaines homélies, un texte recouché par endroics40 •

La «bouletée» et la cour impériale


Le cas du Vatopedinus incite à réexaminer ce que nous savons de l'histoire de la bou­
letée. Nous avons vu déjà qu'un style particulier de décor s'étaie développé dans l' at­
mosphère de la cour impériale, depuis le règne de Basile jusqu'à celui de Constantin
VII, et que le Vatopedinus est marqué par ce style. La calligraphie elle-même semble
avoir subi l' influence de la cour et il est admis en effet depuis un article de Ruch Bar­
bour en 1974, qu'il existe un lien particulier encre la bouletée et la cour impériale41 •
Pour le règne de Constantin VII, le fait paraît bien établi. Mais qu'en est-il avant ?

58-59.
38
Voir]. GROSDIDIER DE MATONS, Trois études, 1 86-1 88; ANTONOPOVLOU, Leonis VI Hom­
iliae, LXXXV.
39
]. IRIGOIN, Une écriture du Xe siècle: la minuscule bouletée, dans La paléographie grecque et
byzantine (cité n. 1), 1 9 1 -200.
40
Voir le stemma proposé par TH. ANTONOPOULOU, Leonis VI Homiliae, p. CVI.
41
«A consciously elegant, even mannered, style was used in books made for the imperial library
or for wealchy dignitary, but it is not found before the early years of the tench cencury », R.
BARBOUR, Encyclopaedia Britannica II, éd. de 1974, s.v. Calligraphy, 649-650; cité par IRI­
GOIN, Une écriture du Xe siècle, 1 9 1 , n. 1 .
82 Bernard Flusin

Le plus ancien manuscrit daté en bouletée est un manuscrit de Jérusalem e,


, cnt
927, par le moine Paul, que rien ne semble rattacher à la cour42• Il en va différem en
rn n
d 'autr� s témoins. Par ex., le Reg. gr. 2:, en o
? � letée a
�� onique, a part
� ien au gro; t
c
de We1tzmann et porte en marge, d une ecnture d1fferente, trois scholies de Lé pe
VI43 • Enfin, un manuscrit d'Athènes daté de 9 1 4, déjà signalé44, a été cop ié pour�
n

patrice Samônas, un favori de Léon VI, et son style d'écriture annonce déja la bou�
letée. Des études récentes de Madame Kavrus-Hoffmann ont attiré l'attention sur ie
manuscrit 103 du Musée historique de Moscou, copié à la fin du IXe s. ou au début
du Xe dans une écriture annonçant la bouletée pour Euthyme, ostiaire impéria]45.0n
peut donc supposer que la bouletée non seulement a été utilisée sous Constantin VU
dans les milieux de la cour, mais qu'elle a été développée et mise au point dans le
même milieu quelque temps auparavant, et que l'histoire de la «pré-bouletée » se dé­
roule en partie à la cour de Léon VI, à une époque où l'on est à la recherche de styles
calligraphiques qui se cristalliseront à la période suivante46•
Il est cependant impossible de faire remonter trop haut dans le Xe s. une écriture
aussi achevée que celle du Vatopedinus 508 et le plus simple est de considérer que
nous avons affaire à une édition constantinienne des œuvres de Léon VI, édition ou
la piété filiale aurait poussé le scrupule philologique fort loin 47• Mais ce fait même
est important: il semble que, sous Constantin VII, on se soit volontiers tourné vers
les livres datant de l'époque de Léon VI, ici, pour rééditer des œuvres impériales et
célébrer la mémoire du père du Porphyrogénète, ailleurs, comme l'a montré L. Perria
à propos d'un évangéliaire de Stavronikita copié par Éphrem, pour en reproduire les
miniatures48• C 'est un indice du rôle des manuscrits produits à cette époque.
En conclusion, je voudrais donc souligner l' importance que revêtent, pour l'histoire
du livre, les règnes des deux premiers empereurs macédoniens, au cours desquels l'in-
42 Jérusalem, Bibl. patr., Sainte-Croix 5 5 (plus un fragment conservé à la Bibl. publique de Sainc-
Pétersbourg, gr. 339); cf. AGATI, La minuscola "bouletée" !, 259-260.
3 Cf. AGATI, La minuscola "bouletée" l, 93-94. Pour l'é dition des scholies de Léon, voir ÎH. AN­
TONOPOULOU, Unpublished Scholia on the Apostle Paul and John Climacus by the Emperor
Leo VI, dans M. HINTERBERGER-E. ScHIFFER, Byzantinische Sprachkunst. Studien zur byz·
antinischen Literatur gewidmet Wolfram Horandner zum 65. Geburtstag (Byzaminisches Ar­
chiv 20), Berlin-New York 2007.
44 Voir plus haut, 69 (Achènes, Bibl. nat. 266).
45 N. KAvRus-HoFFMANN, From Pré-Bouletée to Bouletée: scribe Epiphanius and the cod
Mosqu. Synod. gr. 103 and Vat. gr. 90, Bibliologi,a 3 1 (20 1 0) 55-66.
46 Voir les remarques de L. PERRIA, li Vangelo di Dionisio, 1 14.
47 Peut-être hésitera-t-on cependant à attribuer à Constantin VII aussi le beau manuscrit en on·
ciale que nous avons signalé plus haut (cf. n. 34). TH. ANTONOPOULOU, Leonis VI Homi/iat,
p. XXVII, le date cependant du milieu du Xe s.
48 L. PERRIA-A. lACOBINI, li Vangelo di Dionisio: Il codice F. V. 18 di Messina, li\.thous Srav·
ronikica 43 e la produzione libraria costantinopolitana del primo periodo macedone, RSBN
ns 3 1 (1 994) 8 1 - 163 ; ho ., Un Vangelo della Rinascenza macedone al Monte Athos: Nuovc
ipotesi summo Scavronikita 43 e il suo scriba, RSBN ns 37 (2000) 73-98.
83

Auenl·c dt· l.\ l'O\ll' sur I l ih r:,lrl h ·,. ,m in · st i- ·1 1slbl dans h\ d � ·omtion, l ' histoire
de ln \\l ligr., ph l \ k ·hol -x dts l ' X l ·s q 1 1 'on ,� ·u 1 1 1 ·, ·o n 1 1 11 • C régolrc, ou qu 'on dif­
fuse, ·ommc: 1 s <t·uvrcs dè Léon. L' lin ·qJ1'cl tt lo11 1 >:u· 'onsrancin V I l de la mosaïque
du K \inourglon pr ·nd tlors t out soi, sens: 1 · p1· st lgc \ · ·1·u d u livre nrnnuscrit, à cette
époque, résnltt non seul m nt d l 'cvolu1 1011 gé 11 1 ml J la so ·iété, mais Je décisions
prises nntotu· d Bnsil I r. l. m:,îcl'ls · d 1 \ ·ul tur '· ·,·le d v ·mu,c Jésormais un attri­
but de la sonv min t .

Bulgaria Mediaevalis, 3 (2012), No: 1.

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