Sie sind auf Seite 1von 8

Actes de la recherche en

sciences sociales

Une fiction politique : la nation


A propos des travaux de Jenö Szücs
Louis Pinto

Citer ce document / Cite this document :

Pinto Louis. Une fiction politique : la nation . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 64, septembre 1986. De quel
droit ? pp. 45-50;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1986.2336

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_64_1_2336

Fichier pdf généré le 22/03/2019


Abstract
A Political Fiction : the Nation.
The work of Jenö Szücs enables one to suggest some hypotheses regarding the genesis and
properties of the concept of nation. Far from being an accidental form of national consciousness,
populism expresses a demand for inseparably logical and political order, that of grounding in nature (in
«language and customs») the symbolic violence inherent in the historically contingent forms of the
general principle of popular sovereignty.

Zusammenfassung
Eine politische Fiktion : die Nation.
Dem Werk Jenö Szücs lassen sich Hypothesen zur Entstehung und Charakteristik des Begriffs der
Nation entnehmen. Demzufolge stellt der Populism keine nur zufällige Ausprägung des
Nationalbewußtsein dar, sondern bringt einen gleichermafien logischen wie politischen Anspruch zum
Ausdruck : die den historisch kontingenten Ausprägungen des allgemeinen Prinzips der
Volkssouveränität immanente symbolische Gewalt in der Natur («Sprache und Sitte») zu begrunden.

Résumé
Une fiction politique : la nation.
L'œuvre de Jenö Szücs permet de suggérer quelques hypothèses sur la genèse et les propriétés du
concept de nation. Loin d'être une forme accidentelle de la conscience nationale, le populisme exprime
une exigence d'ordre indissociablement logique et politique, celle de fonder en nature (dans «la langue
et les moeurs») la violence symbolique inhérente aux figures historiquement contingentes que revêt le
principe général de la souveraineté populaire.
Louis Pinto

des significations que cette référence contient pour


des individus ou des groupes.
jne On peut se demander à quoi tient le fait que,
dans des régimes inspirés par le «socialisme
scientifique», la catégorie de nation tend à devenir un
instrument privilégié pour la construction de
l'identité collective. Ne peut-on voir en ce fait
ictipn quelque peu paradoxal l'effet de la logique
d'autocensure en laquelle est lui-même pris le discours
politique conforme, détenteur d'un monopole de la
représentation du monde social ? Sans doute parce
Dolitique qu'il accorde aux classes sociales le statut d'un
principe officiel de classement, le discours
conforme se trouve contraint, contre ses propres
intentions, de transférer sur des terrains moins
a nation contrôlés le poids des exigences de la
communication publique (1). Grâce à sa valeur «historique»,
la nation est prédisposée à satisfaire une part non
négligeable des intérêts expressifs : plus exactement,
la multiplicité même des usages qu'elle autorise est
à propos
de Jenö Szücs
des travaux ce qui lui assure un statut singulier. Sous le couvert
d'un même mot peuvent être tenus, avec une
liberté relative, des discours assez sensiblement
opposés engageant des visions différentes du
monde social et de l'ordre politique, même s'ils ont
en commun de prétendre officiellement combiner
socialisme et nation...
Ce sont donc incontestablement des enjeux
proprement politiques qui ont sous-tendu les
débats sur la nation menés en Hongrie depuis les
années 60, d'abord entre «spécialistes» (historiens)
formé
qui
bien
hongrois
ayant
autrichien
L'Autrichien
comme
représentés-au-Conseil-de-FEmpire,
des-royaumes-et-pays-de-la-monarchie-austro-hongroise-
et
d'une
les
«CeilHongrois
'un
compliquait
Robert
sesentiment
Autrichien
led'une
pour
idée
d'une
fussent,
faisait
Musil,
objet
etse
qui
partie
cadre
d'un
encore
partie
plus
trouvait
n'avait
d'aversion
moins
L'homme
politique
comme
lui
plus
sentiment
etdéplaisait,
l'Autriche,
quehongroise
un
les
d'un
par
d'existence
àon
les
Hongrois
choses».
proprement
enthousiasme
;austro-hongrois
sans
Hongrois
tout,
eûtaustro-hongrois,
chezde
puisqu'il
qualités.
etpului
c'est-à-dire
d'une
telle
qu'en
leilnecroire,
moinscese
parler
sorte
lene
que
partie
qui
nommait
Hongrie,
cesouffraient,
(...)
pouvait
même
complétées,
d'un
que
équivalait
pour
sans
ceautrichienne
n'était
ledernier
patrie.
sentiment
l'amour
etcitoyen-
sentiment
Hongrois'
souffrir
encore
pas
ce
à dire
mais
qui ; puis au sein d'un groupe plus large composé en
partie d'écrivains et de journalistes. Si les
contributions à ces débats de l'historien médiéviste
Jenö Szücs apparaissent remarquables, c'est parce
qu'elles ont pour mérite de représenter une
disposition intellectuelle exemplaire alliant la conscience
politique avec la vigilance scientifique : ses travaux
attestent que la lucidité sur le passé, qui oblige à
rompre le cercle de l'exaltation et de la résignation,
L'identité nationale peut être envisagée sous deux est l'une des conditions intellectuelles et sociales de
rapports principaux. En premier lieu, elle constitue la maîtrise collective de l'histoire à faire.
un principe fondamental de référence pour la L'historien prouve qu'il a une autre vocation que celle de
légitimité des Etats dans la mesure où elle représente participer à la production mythologique dont le
une garantie de l'homogénéité de la population roman des origines, avec ses réponses au quand et
rassemblée dans le cadre étatique. En second lieu, au comment de la première apparition, est la forme
elle procure aux individus un principe de privilégiée : en prenant au contraire pour objet la
classement social dont l'importance ne peut être mythologie «nationale», il substitue à la voie
appréciée sans prendre en compte l'ensemble du stérile de la répétition imaginaire la voie de
répertoire des principes de classement disponibles à l'analyse des choix collectifs qui ont été jusqu'alors
un moment donné (classe, religion, appartenance assumés sur le mode inconscient et incontrôlé.
politique...) : l'affirmation d'une appartenance
nationale («ça, c'est un Français») dit toujours plus 1— Cette relation fonctionnelle entre l'officiel et l'officieux,
que ce qu'elle paraît énoncer expressément car elle ou du moins entre degrés différents d'officialité n'est pas
ne peut manquer d'entretenir avec les autres sans évoquer la relation qui, dans l'univers économique,
formes de solidarité des relations complexes de s'établit entre le marché officiel et le «deuxième marché».
Parmi les analyses récentes consacrées aux relations entre
conflit ou d'homologie. L'unicité formelle de la le socialisme et la nation, voir L. Kolakowski, Philosophie
référence à la «nation» de la part des États marxiste et réalité nationale in L'esprit révolutionnaire,
modernes dissimule en fait la diversité considérable Paris, Denoël, coll. Médiations, 1985, pp. 50-74.
46 Louis Pinto

Parmi les obstacles que doit surmonter 1. Une critique du postulat populiste faisant du
l'étude scientifique de la constitution de l'identité, «peuple» (les paysans) l'incarnation et le gardien
le plus important est certainement constitué par des valeurs «nationales».
l'obstacle essentialiste : celui-ci résulte, bien sûr, A travers une réévaluation d'événements
d'abord de la tendance spontanée à appréhender traditionnellement présentés d'après le modèle de lutte
les groupes de façon naïvement réaliste et à trouver d'indépendance nationale est avancée une double
en eux-mêmes leur principe explicatif ; mais il proposition : au moins jusqu'au 19e siècle, voire
résulte également de la logique de sacralisation même en 1848, les paysans ont été indifférents à la
idéologique qui implique de célébrer l'identité de dimension «nationale» ; cette dimension a servi, le
groupe par la négation de la contingence historique. plus souvent, à occulter les intérêts spécifiques
On peut voir dans tout populisme, et pas d'ordres privilégiés qui étaient en conflit
seulement dans le populisme hongrois qui est à l'arrière- notamment avec la domination des Habsbourg.
plan de la réflexion critique de Szücs, la forme En récusant l'équivalence du «populaire» et
accomplie d'un discours de légitimation visant à du «national», Szücs accomplit ce qui, au regard de
fonder la nation en nature. Parce que la la vision populiste, peut passer pour une
paysannerie apparaît comme détentrice des attributs provocation «élitiste» visant à déposséder les groupes
d'« ancienneté», de «tradition», de «simplicité», dominés des valeurs d'universalité incarnées dans la
d'« authenticité», elle paraît être aussi le groupe «nation». Or l'intention de ses analyses n'est
le mieux en mesure d'incarner l'essence nationale évidemment pas de favoriser comme garant de la
non «contaminée» par l'extérieur, par la ville, nation, la noblesse au détriment de la paysannerie,
par la culture : c'est sur le mode immédiat de mais de déconstruire le travail d'universalisation
l'«instinct» —dans les mœurs, la langue, etc. tenues qui a imposé à tous les groupes sociaux de se
pour des expressions «spontanées» de soi— que le reconnaître dans une catégorie politique dont
«peuple» est réputé manifester le mieux son l'apparition est liée à des intérêts sociaux
essence. Ce groupe «pur» de la paysannerie étant historiquement conditionnés. Historien conséquent,
aussi un groupe dominé dans lequel tous les Szücs rappelle la relativité historique de catégories
groupes dominés peuvent d'ailleurs se reconnaître — le «populaire», le «national», le «progrès»— qui
ou reconnaître leur modèle (qui n'est autre que le ne devraient jamais fonctionner à la façon de
précurseur du «prolétariat» organisé et représenté), catégories intemporelles de l'entendement
l'histoire nationale peut apparaître comme une historique. L'équivalence supposée de ces catégories
lutte continuelle et interminable à la fois entre engendre des «syllogismes» en contradiction avec
l'auto-affirmation nationale et la négation par tout un ensemble de faits qui requièrent de
l'étranger, et entre les opprimés et les puissants : l'explication scientifique des instruments plus pertinents :
faut-il dire que l'un ou l'autre aspect de cette lutte il n'est pas possible de rendre compte de façon
peut être mis en avant dans une perspective univoque de la spécificité d'États tels que la
populiste selon qu'il s'agit de privilégier les valeurs de Transylvanie des 16e et 17e siècles (2) ;il n'est pas
«tradition» ou les valeurs «progressistes» ? Propice possible de tenir pour «rétrograde» dans tous ses
à des utilisations idéologiques multiples et, donc, aspects la domination turque et comme nettement
à un jeu diversifié d'alliances politiques, la «progressiste» la vision du monde à forte
catégorie de «nation» apparaît ainsi comme l'exemple composante religieuse de la paysannerie de l'époque
même d'une machine de guerre dont il importe de médiévale, etc. C'est seulement après avoir écarté la
démonter conceptuellement les mécanismes. question de la ligne de partage entre ce qui est
Les travaux de Szücs consacrés au thème de «progressiste» et ce qui est «rétrograde» que l'on
la «nation» peuvent apparaître comme l'invention peut tenter de rendre compte de la façon dont
progressive d'une stratégie intellectuelle qui doit sa l'histoire dite «nationale» porte la marque des
cohérence à la critique du populisme et aux effets groupes dominants ou, plus exactement, reflète les
de renforcement suscités par la controverse. Loin caractères spécifiques d'un mode de domination
d'être cette construction homogène et que le privilège idéologique et épistémologique
systématique que la posture éxégétique s'emploie après accordé aux dominés tend finalement à dissimuler.
coup à dégager en y voyant l'expression d'un
«projet», ces travaux peuvent être considérés
comme le produit de la mise en œuvre d'au moins
trois opérations logiques distinctes, qui autorisent 2. La définition des traits distinctifs récurrents de
des degrés d'adhésion inégaux. l'histoire «nationale» hongroise grâce à la
construction d'un système de relations intelligibles
entendu comme système d'oppositions.
Le premier livre de Jenö Szücs publié sur la nation a été une Rompant avec une conception empiriste de
réflexion sur le débat contemporain — A nemzet histoñkuma
es a torténetszemlélet nemzeti látoszb'ge (hozzdszólás egy l'espace géographique européen, qui oscille entre la
vitahoz), Akadémiai Kiadó, Budapest, 1970 — qui a été mise en valeur des «ressemblances» et celle des
repris d'abord dans le livre Nemzet es torténelem (Nation et «différences», Szücs propose un corps
histoire, en hongrois), Gondalat, Budapest, 1974, puis dans d'hypothèses permettant d'engendrer une sorte de
le livre Nation und Geschichte, Budapest, Corvina Kiadó,
1981, avec adjonction d'études et de conférences système européen des modes de domination. C'est
consacrées notamment à la «conscience nationale» au Moyen le propos du livre, Les trois Europes (3), dont la
Age et à la guerre des paysans de 1514. Plus récemment tâche est double : présenter l'opposition entre
(1983-84); Szücs a publié une étude d'histoire comparative «région occidentale» et «région orientale» comme
des différentes régions de l'Europe (voir plus loin). Les étant l'opposition principale, celle qui s'établit
textes traduits ici sont tirés du texte allemand, Nation und
Geschichte, qui n'est pas une simple reprise du texte entre pôles extrêmes ; montrer qu'aucune fatalité
hongrois. historique ne permet de rattacher de façon exclu-
Une fiction politique : la nation 47

sive la Hongrie à l'un de ces pôles. A la façon de entre l'appareil monarchique et la noblesse qui,
István Bibó, important théoricien populiste, pour récompense de son intégration bureaucratique
difficilement classable, auquel il se réfère à cet appareil, reçoit une confirmation des
ouvertement (4), Szücs s'efforce de dégager les prérogatives de sa domination foncière (le second
instruments conceptuels d'une «troisième voie» servage).
européenne : rarement le discours scientifique sur A sa manière, la réflexion de Szücs sur les
le passé et le discours politique sur l'avenir possible régions de l'Europe retrouve l'interrogation quasi
auront été aussi étroitement liés. obsessionnelle de Max Weber sur la spécificité de
En effet, l'une des variables considérées l'Occident. Le point de départ assez semblable a
comme essentielles est le degré de développement été une analyse des caractéristiques du
des «libertés», principe du contraste entre région développement propre à une région déterminée (Prusse,
«occidentale» et région «orientale». Au-delà des Hongrie), analyse dont les raisons n'ont pas été,
connotations éthiques assez manifestes, il faut chez ces intellectuels d'Europe du Centre,
apercevoir la multiplicité des dimensions sociales purement intellectuelles : à travers le «concept»
concernées : composition et caractéristiques des d'Occident, se dessine pour eux un enjeu actuel,
groupes sociaux, forme de leurs rapports la possibilité de faire le bilan critique d'une
réciproques considérée, en particulier, par référence au tradition culturelle et politique. Avec le risque que
développement de mécanismes d'«autorégulation» comporte pareille entreprise : la construction
(marché, villes, corporations, savoir «rationnel»...). méthodique d'un modèle conceptuel tend parfois
Pour exprimer schématiquement l'opposition entre à se confondre avec le dévoilement d'un principe
Ouest et Est, on peut dire que la première région a téléologique —la «ville» (titre d'un texte de Weber),
été marquée par l'existence de modes d'auto- la «rationalité», les «libertés», la «société civile»,
administration ayant permis de rompre avec etc— qui est posé à la fois au commencement et
la reproduction simple du face-à-face entre couches à la fin.
féodales et paysannerie asservie ; que la seconde Mais il y a dans la démonstration de Szücs
région a été marquée durablement par ce face-à-face un objet et une motivation plus spécifiques :
dont elle n'a pu sortir qu'à la faveur de l'action l'analyse de la corrélation entre les régularités de
«modernisatrice» de l'appareil d'Etat. C'est dire l'histoire «nationale» et les caractéristiques du
que «l'absolutisme» a des significations très groupe dominant, la noblesse. L'Europe du Centre
différentes selon les régions : dans un cas, il fonctionne correspond —si l'on permet cette expression que
—malgré les apparences— de façon «émancipatrice» tout suggère par ailleurs dans Les trois Europes—
(cf. les «franchises») puisqu'il contribue à briser les à une forme historique «pathologique» de
cadres du mode de domination personnelle (5), domination politique : tout se passe comme si la noblesse
c'est-à-dire à substituer le couple État —«citoyens» avait donné une interprétation tronquée et partielle
(membres du «corps politique» ou «société civile») des «libertés» car, en se posant de façon exclusive
au couple seigneur— serf impliqué par le «mode de comme «corps politique» et comme totalité de la
production féodal» ; dans l'autre cas, «nation», elle a empêché la dialectique, inhérente
«l'absolutisme» constitue le produit d'une «transaction» à la logique occidentale des associations «civiles»
—sinon des «ordres»—, du privilège distinctif et de
l'autonomie collective, et a ainsi contribué de
2— «L'ütat de Transylvanie n'a guère été, aux 16e et 17e façon décisive à perpétuer les inégalités sans,
siècles, un Etat roumain, cela va de soi, mais il a été tout pour autant, favoriser les transformations
aussi peu une principauté 'national-hongroise* souveraine : économiques, politico-administratives et culturelles qu'a
il a été un territoire linguistique et culturel hongrois à rendu possibles la logique «orientale» de
gouvernement princier, en position incertaine sur le plan du redistribution. Une liberté pathologiquement assumée,
droit constitutionnel et, par ailleurs, doté d'une forte dans le cercle fantasmatique du délibab, de la
coloration locale». Au dessus d'une paysannerie à majorité
roumaine, était placé l'ordre de la noblesse, lui-même bravade et de la démission collectives, telle serait
bilingue, partagé en trois couches (hongroise, saxonne, la force compulsive qui permettrait le mieux de
Székely), et opposé aux Habsbourg en raison de son adhésion caractériser la «troisième» Europe.
à la Réforme.
3— J. Szücs, Les trois Europes, préface de F. Braudel, Paris,
L'Harmattan, 1985, 127 p. En anglais : The Three Historical 3. Une analyse de l'historicité des instruments de
Regions of Europe, Acta Histórica Academiae Scientiarum construction de l'identité collective.
Hungaricae, 29, 2-4, 1983, pp. 131-184. Cette opération, la plus «abstraite» en apparence,
4— L'étude en question lui est dédiée. Mais il est intéressant est aussi la plus radicale intellectuellement
de noter que l'initiative d'un hommage collectif à Bibtí
(dont les œuvres ne sont pas aisément accessibles en Hongrie) puisqu'elle vise à récuser, dans son principe même, tout
a pris naissance hors du cadre académique officiel. essentialisme. La connaissance historique, cessant
Rappelons que István Bibd (191 l-1979)>après avoir été, au d'être l'œuvre d'un récitant-participant, prend pour
lendemain de la dernière guerre, un membre eminent du objet ce qui va le plus de soi, l'instrument logique
parti populiste, alors allié au parti communiste, a fait partie grâce auquel est garantie la pensée d'une identité.
du gouvernement d'Imre Nagy en 1956, ce qui a attiré
longtemps sur sa personne et ses œuvres la disgrâce du Or en traitant l'appartenance à la nation, le
pouvoir politique. Pour beaucoup d'intellectuels hongrois, sentiment national ou, plus exactement, la «conscience
ses essais consacrés en particulier aux problèmes des pays de communauté» nationale comme des produits
d'Europe centrale, de l'antisémitisme, etc., constituent une historiques, l'historien s'expose à un dilemme :
référence essentielle. ou bien s'en tenir à la nation du 19e siècle
5— Sur les principes permettant de rendre compte du considérée comme forme «pure», ou bien remonter aux
système des «modes de domination», voir le chapitre
portant ce titre dans le livre de Pierre Bourdieu, Le sens «premières manifestations» encore imparfaites de
pratique, Paris, Éd. de Minuit, 1980, pp.209 et sq. l'époque médiévale. La collecte purement empiriste
48 Louis Pinto

de données ne pouvant jamais véritablement même que celui des Français aux Troyens (8)—
permettre de trancher —puisque manque comme une affabulation plus proche des «contes
précisément le moyen logique de délimiter ce que l'on populaires» que de la pensée conceptuelle, mais il
prétend par ailleurs «décrire»—, il ne reste d'autre est remarquable que, dans la même œuvre, soient
voie pour échapper à pareille difficulté que celle de présents simultanément le mythe des origines et
la construction d'un «modèle conceptuel» de la l'argumentation «rationnelle» caractéristique de la
nation dont les propositions, de caractère théorie politique contemporaine illustrée par
hypothétique, appellent une démarche de type différents philosophes (Thomas d'Aquin). Or ce
comparatif : comprendre la nation moderne en tant que «voisinage», loin d'être attribuable aux maladresses
telle suppose de comprendre ce qui a été inventé d'une parole «primitive», peut apparaître comme
par le Moyen Âge. La formule qui exprime ce une propriété fondamentalement inscrite dans le
«modèle conceptuel» est, selon Szücs, la suivante : discours sur la nation et, donc, inséparable de
ce que l'on appelle nation est le produit de celui-ci (9). Si l'histoire mythique des Huns et des
l'association de trois catégories jusqu'alors séparées, la Hongrois du «sixième âge» n'est pas ajoutée de
loyauté politique, l'entité abstraite de l'Etat ou de l'extérieur au discours «théorique», c'est parce
la monarchie, la coappartenance à un groupe qu'elle vise à remplir la plupart des tâches logiques
«culturel» identique (nationalité). suscitées par celui-ci : fixer dans les origines le
Szücs qui repousse la vision de l'histoire fondement de la monarchie, des «ordres» et, en
comme alternance de «cosmopolitisme» dernière instance, de la communauté «nationale»
(l'Antiquité) et de «nationalisme» (l'époque des invasions) sur laquelle le monarque étend son pouvoir. C'est
entend apporter, à travers la genèse historique du dans la «pensée» même qu'apparaît la nécessité
concept de nation (6), une contribution à l'analyse de recourir à la forme du récit.
des systèmes de classement du monde social (7). En substituant au cadre narratif de la vie de
Le choix d'interroger des textes savants, plutôt que personnages singuliers —rois, héros, saints— un
les profondeurs de «l'âme» ou de la «mentalité» du cadre plus ample approprié à un acteur collectif,
«peuple», pourrait sembler dicté par un parti-pris la gesta participe, à sa manière, à un travail
intellectualiste («l'idéologie de la nation précède le symbolique marqué par un processus d'abstraction qui se
sentiment national») seulement si l'on oubliait que manifeste au 13e siècle dans tout un ensemble de
les propriétés attachées au mode d'engendrement signes et, notamment, dans les productions savantes
des principes de classement constituent le premier de la pensée politique. Ce processus d'abstraction
objet qu'une analyse scientifique se doit de reflète les contraintes objectives associées aux
considérer. L'apparition synchrone dans l'Europe du formes de domination politique en voie de
13e siècle de mythes nationaux construits selon des formation : la catégorie éthique de la fidelitas, qui était
canevas quasi identiques ne saurait être expliquée conforme aux exigences de formes de sujétion de
sans l'existence d'une culture savante européenne personne à personne, ne peut subsister qu'en
commune. Comme le montre Szücs dans son étude vertu d'une profonde réinterprétation dès lors que
minutieuse de la Gesta Hungarorum de Simon de le principe de souveraineté tend à être attribué à
Kézai —un clerc de la cour royale—, le discours des symboles dépassant les limitations des personnes
médiéval sur la nation peut être considéré comme physiques (10). L'objectivation des personnes
«genre» : cette configuration symbolique reflète, collectives et publiques, qui a été réalisée avec
jusque dans ses caractéristiques structurelles, l'appareil conceptuel de la doctrine corporative,
indissociablement les contraintes de la politique et a été marquée aussi bien par une «rationalisation»
les contraintes de la pensée de l'ordre politique. (c'est la contribution spécifique des lettrés) que
Loin d'être un être transcendant situé au-delà par un renforcement du pouvoir de groupes dont le
des fantasmagories mythiques (origines, ancêtres, mode de légitimation supposait une relative
épisodes fondateurs) dont elle aurait été affublée impersonnalité (dignitas nunquam moritur) : il s'agit,
au départ, la nation doit être, au contraire, tenue plus précisément, d'une part du monarque en tant
pour coextensive au genre de la gesta ou, si l'on qu'il vise à libérer son autorité d'un réseau de
préfère, comme un produit symbolique qui existe dépendances au sein duquel il apparaît seulement
pour autant qu'on en parle et de la manière dont comme primus inter pares, et à la poser en objet
on en parle. Sur ce point, les expressions de prioritaire de loyauté {patria, regnum) (11) et,
«sécularisation» ou de «rationalisation» peuvent s'avérer
trompeuses en semblant implicitement valider un
modèle «positiviste» d'évolution. Certes, le 8— Sur ce point, et sur le discours des origines des Français
rattachement des Hongrois aux Huns apparaît —de en général, on peut se reporter à C. Beaune, Naissance de la
nation France, Paris, Gallimard, 1985, 433 p. Dans Nation
und Geschichte , Szücs consacre à ce problème des
6—11 existe un contraste impressionnant entre l'intérêt développements de type comparatif très instructifs.
porté à la formation des nations, des États nationaux, des 9— Sur l'invention moderne du passé voir E. Hobsbawm,
nationalismes, etc., et l'intérêt porté à la catégorie de T. Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge,
nation en tant que telle. Sur ce point, il existe peu de Cambridge University Press, 1982 ; C. Bertho, L'invention de la
précédents à la démarche de Szücs. On peut néanmoins Bretagne, Genèse sociale d'un stéréotype, Actes de la
citer le livre de Heinz O. Ziegler,- Die moderne Nation, recherche en sciences sociales, 35, novembre 1980, pp. 45-
Tübingen, J.C.B. Mohr Verlag, 1931, 308 p., en lequel on 62.
peut voir l'expression d'un habitus sociologique imprégné
de culture philosophique et historique qui a été illustré 10— Sur ces points, voir les développements, déjà cités, de
par la figure de Max Weber. Pierre Bourdieu concernant les «modes de domination».
7— La démarche semble donc très proche de celle suivie par 1 1— Voir E. Kantorowicz, Mourir pour la patrie {Pro Patria
Georges Duby dans Les trois ordres ou l'imaginaire féodal, Mori) dans la pensée politique médiévale, m Mourir pour la
Paris, Gallimard, 1978,428 p. e, Paris, PUF, 1984, pp. 105-141.
Une fiction politique : la nation 49

d'autre part, des fractions dominées de la noblesse nécessité» (13). A lire plusieurs passages du texte
qui peuvent trouver dans la fusion dans un «corps» de Sziics, on finit par éprouver un sentiment de
ou dans un «ordre» communs un mécanisme familiarité pour ces époques de loin antérieures
particulièrement ajusté à leur recherche de protection à celles habituellement associées à l'éveil des
et de promotion collectives. En passant de la forme «nationalités» : une bonne partie de l'appareil
de l'«honneur» à celle de la «dignité» (ou de la conceptuel caractéristique du cadre national
charge»), Fautorité acquiert les propriétés d'une semble avoir été construit dès le 13e siècle (14).
chose ou d'un capital —la permanence, la trans- C'est dans la doctrine de la souveraineté que
missibilité, l'autonomie (ainsi qu'en témoigne le Sziics entend situer le principe de la différence
processus de territorialisation qui transforme, par entre (si l'on permet ces expressions raccourcies)
exemple, le rex Francorum en rex Franciae) ; la «nation médiévale» et la «nation moderne» :
elle ne peut pas être, à proprement parler, la seconde étant la seule à être définie comme
appropriée si ce n'est par une personne créée par la pensée véritablement souveraine, c'est en elle qu'il voit
{persona ficta) et représentée par une personne finalement la réalisation eminente du principe
physique, celle du souverain. national, c'est-à-dire la configuration historique
Parce que, dans une constellation la plus proche du «modèle conceptuel» proposé
intellectuelle marquée par l'alliance entre le droit par lui. En contradiction avec l'ambition inhérente
romain, la philosophie scolastique et la doctrine au travail de construction théorique, la «nation
chrétienne du «corps mystique», l'autorité tend à médiévale» se trouve définie par son écart au
être pensée par contraste avec les propriétés des modèle représenté par la forme actuelle. Ainsi,
personnes naturelles vouées à la dégradation, le doute finit par resurgir ^ur la question de savoir
à la mort, ou simplement à l'erreur, la pensée si, appliquée au Moyen Âge puis à l'époque des
politique a été portée à s'attribuer explicitement, grandes monarchies absolutistes, la catégorie de
au point d'en faire quasiment son objet propre, nation possède une validité rigoureuse ; et ce n'est
le traitement de «fictions» (12) : l'ordre social pas sans embarras que Sziics invoque à ce sujet
(ou civil, ou politique) fait exister des unités qui, «l'impossibilité de se passer d'un compromis
conçues sur le modèle du corps organisé, ont ce conceptuel», imputable à «l'insuffisance des
privilège d'échapper, au moins de façon relative, systèmes catégoriels dont nous disposons». Ce
au temps. Tels sont les «ordres», les corporations, faisant, ne retrouve-t-il pas la voie éternelle des
les sociétés et l'Église elle-même..., fictions en comparaisons ressemblances-différences (distincte
lesquelles la propriété de généralité a pour corrélat de la méthode comparative) ?
la propriété d'universalité : leur indépendance Cette difficulté nous paraît mériter réflexion
par rapport à leurs parties naturelles et périssables dans la mesure où l'enjeu n'est autre que la
implique, en effet, la validité non limitée que seules spécificité même de la catégorie de nation. Il est
peuvent procurer la réunion, la cohésion de toutes indéniable que, depuis la fin du 18e siècle, l'époque
les parties {universitas). A la dignité monarchique moderne peut être caractérisée par l'accès de la
conçue dans la logique politique nouvelle comme nation à la souveraineté au détriment des principes
corps immortel, il a donc fallu associer cette autre monarchiques. Mais en voyant dans l'histoire un
«fiction» qu'est la communitas d'un peuple, en processus d'émancipation des acteurs nationaux,
tant qu'être singulier. Mais du coup, il a fallu, on court le risque de laisser échapper l'essentiel :
comme le montre en détail Sziics, concilier la question n'est pas de savoir comment la «nation»
l'homogénéité «nationale» présumée et la division de la a imposé sa souveraineté, puisque, en toute rigueur,
société en ordres. c'est le «peuple» qui l'a fait en tant que réunion de
Ce qui relie les systèmes symboliques de la volontés égales en dignité ; la question serait plutôt
seconde moitié du Moyen Âge et ceux de l'époque de comprendre pourquoi la souveraineté populaire
moderne, n'est pas un quelconque «sentiment a été politiquement et logiquement contrainte de
national» qui traverserait l'histoire : toute théorie prendre la forme «nationale».
«émotionnelle» de la nation s'avère fallacieuse dans Si la question ne s'était pas posée auparavant,
la mesure où elle occulte le travail d'élaboration cela tient à ce que le mode de légitimité et la
théorique ayant rendu possible la création de cette théorisation politique correspondante imposaient
«fiction» qu'est le «corps» du royaume et de la un tout autre horizon problématique. Ils
patrie (s'il a comporté une composante affective, satisfaisaient simultanément deux exigences distinctes,
le sentiment de coappartenance ethnique a été, à savoir —pour reprendre les catégories des théories
le plus souvent dans l'histoire, dissocié des liens du contrat— l'exigence de fonder la «sujétion»,
proprement dits de la loyauté politique). Entre les rapport de pouvoir entre individus définis comme
deux époques, l'invariant principal réside plutôt différents, et l'exigence de fonder «l'association»,
dans la constitution de «personnes fictives» comme rapport «communautaire» entre individus définis
acteurs privilégiés de l'histoire : après tout, jadis comme identiques : non arbitraire et, plus encore,
comme aujourd'hui, c'est bien «pour la défense de
la patrie» dont il participe comme membre que le
sujet-citoyen est appelé à risquer sa vie «en cas de 13— Rendre compte de ce point engagerait, sans nul doute,
toute une histoire sociale de l'économie pulsionnelle
mettant en relation les dispositions les plus profondément
intériorisées dans le corps et les mécanismes de
12— Sur le pouvoir créateur du juriste, de l'artiste... {«de fonctionnement de champs de plus en plus autonomes dont la logique
nullo potest aliquid faceré»), voir E. Kantorowicz, La n'est pas déductible de propriétés attachées à la personne.
souveraineté de l'artiste. Notes sur quelques maximes 14— De là l'invitation insistante de la part du médiéviste à
juridiques et les théories de l'art à la Renaissance, in Mourir relativiser les innovations des théories politiques de l'âge
pour la patrie, op. cit. , pp. 3 1-57 . classique.
5Ü Louis Pinto

justifiable par l'argumentation, l'autorité du politique de la nation. En maints passages est exprimée
monarque apparaissait, en outre, comme la garantie l'idée que la «volonté générale» (distinguée, on le sait, de la
de la cohésion du «corps politique» puisque, «volonté de tous») ne peut être objet d'une codification :
elle a des dépositaires en lesquels elle trouve, en quelque
comme le disait à peu près Hobbes, l'unité du sorte, à s'incarner — «l'homme extraordinaire» («le
représentant (le «souverain») est le principe législateur») et, surtout, cette «loi» non écrite, «la plus
ultime de l'unité du représenté (le «peuple» distinct importante de toutes qui ne se grave ni sur le marbre, ni sur
de la pure «multitude») (15). Dans ce cadre, la l'airain, mais dans les cœurs des citoyens (...) je parle des
coappartenance par la langue et les mœurs (lingua mœurs, des coutumes, et surtout de l'opinion» (18). En
soutenant en outre que la volonté générale ne peut «errer»,
et moribus) n'ayant guère de chances d'accéder Rousseau était finalement très proche de Hegel, théoricien
à l'ordre «civil», elle était rejetée dans l'ordre du Volksgeist . Curieusement, chez le théoricien du
«naturel» : c'est pour marquer son caractère nationalisme allemand qu'on a pu voir dans le Fichte des Discours
politiquement non pertinent que Sziics parle de à la nation allemande , «l'essence de la germanité» semble se
confondre avec l'essence universelle de l'humanité telle
«nationalité» — pour la distinguer de la «nation», qu'elle avait été décrite quelques années plus tôt dans un
apparition politique plus tardive. Or les deux texte aussi «universaliste» et «cosmopolite» queLa
notions distinguées plus haut, la «sujétion» et destination du savant : il ne s'agit pas tant d'exalter une «race
«l'association», sont dans un rapport supérieure» que de montrer que, même dans la sphère la
plus «naturelle», celle de la «langue» par exemple, «l'alle-
dissymétrique : elles se prêtent, en effet, de façon inégale mandfcest l'être le plus «spiritualise» : «Tous ceux qui
au travail de justification rationnelle. La croient à la spiritualité et à la liberté, ceux qui veulent faire
légitimation de l'autorité paraît marquée par un processus progresser cette spiritualité par la liberté, tous ceux-là,
quasi infini d'universalisation : la théorie de la quels que soient leur pays d'origine et leur langue, sont avec
nous et pour nous. Et tous ceux qui croient à l'immobilité,
souveraineté populaire, qui en est une étape à la régression, à la danse en cercle ou qui placent une
décisive, s'inscrit dans l'horizon de la Cité des fins nature morte au gouvernail du monde, tous ceux-là, quels
de Kant sous l'idée régulatrice de volontés que soient leur pays d'origine et leur langue, n'ont rien
autonomes conformes à une Loi commune (16). d'allemand, ils nous sont étrangers, et il est à souhaiter
Or, du même coup, la facticité «empirique» de qu'ils se séparent de nous totalement» (19).
chaque Etat n'en est que plus apparente : des
possibilités illimitées d'« association» risqueraient La définition d'une «culture nationale» fait partie
de se trouver libérées en l'absence d'un principe du travail politique d'«authentification» de
d'unification susceptible de contrecarrer les effets l'identité collective : la vertu essentielle du «peuple»
de la logique d'universalisation (17). On peut célébré par le populisme —cette tentation
penser que telle est précisément la fonction remplie naturaliste de la pensée politique— est d'être l'opérateur
par la catégorie de nation. Le découpage de de la conciliation entre le social et le naturel,
populations entre différents Etats souverains n'étant pas l'autorité et la communauté, l'universalité et
justiciable d'une argumentation rationnelle, le seul l'unité.
moyen de lui assigner malgré tout un fondement
est de constituer l'ordre social en quasi-nature :
plus précisément, la nation est le moyen 18— J.-J. Rousseau, Du Contrat Social, Paris, classiques
Garnier, 1962, en particulier Livre II, chapitres 7 et 12.
permettant à la fois de «politiser» des différences
«naturelles» (la langue et les mœurs, bref la «culture») 19— J. G. Fichte, Discours à la nation allemande, trad, de
et de naturaliser des différences «politiques» S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1952, p. 164.
(la citoyenneté). Ainsi, paradoxalement, ce qui
tend à être refoulé est «l'artificialisme» patent des
théories antérieures de l'ordre «civil ou politique».
«Universalismo) et «nationalisme» sont loin de constituer
deux pôles opposés. Le conflit, engendré au sein de la
théorie de la souveraineté populaire, entre la validité
universelle de la volonté générale (qui fait que «chacun, s'unissant
à tous» n'obéit «pourtant qu'à lui-même») et la propriété
d'« indivisibilité» du «souverain» se trouve porté au jour
chez Rousseau que l'on peut tenir pour le premier théoricien

15— «Une multitude d'hommes devient une seule personne


quand ces hommes sont représentés par un seul homme ou
une seule personne (...) car c'est l'unité de celui qui
représente, non l'unité du représenté, qui rend une la personne»,
T. Hobbes, Leviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971,
p. 166. Sur la représentation, voir P. Bourdieu, La
délégation et le fétichisme politique, Actes de la recherche en
sciences sociales , 52-53, juin 1984, pp. 49-55.
16— La logique d'universalisation était déjà à l'œuvre dans
cette doctrine, mentionnée plusieurs fois par Sziics, de la
translatio imperii qui consistait à donner un fondement
universel au pouvoir du roi à travers la fiction d'une auto-
dépossession du «peuple».
17— Sur la difficulté des contemporains à penser l'unité
populaire hors des cadres corporatifs de l'Ancien Régime,
voir W. H. Sewell, Gens de métier et révolutions, Paris,
Aubier, 1983, en particulier le chapitre intitulé «des gens
de métier aux sans-culottes», pp. 133 et sq.

Das könnte Ihnen auch gefallen