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HISTOIRE, TRADITION ET FOLKLORISME : À PROPOS DE LA

MUSÉIFICATION COMME TENDANCE CULTURELLE DE NOTRE TEMPS

Peter Assion

L'Harmattan | « L'Homme & la Société »

2002/4 n° 146 | pages 101 à 117


ISSN 0018-4306
ISBN 9782296310797
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-l-homme-et-la-societe-2002-4-page-101.htm
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Histoire, tradition et folklorisme :

À propos de la muséification comme


tendance culturelle de notre temps x

Peter AssIoN
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Hainstadt, près de Buchen, est un village typique du canton du
Neckar-Odenwald devenu commune ouvrière. Dernièrement, et
pour contribuer à son ( embellissement ), on a décidé d'y
reconstituer I'abreuvoir du village, le Gdulsbrunnen qui avait été
laissé à l'abandon et dont même les habitants les plus âgés
n'avaient plus qu'un vague souvenir. Or, la reconstitution à
I'identique s'est révélée impossible. Un atelier de sculpture de
Buchen s'est alors imposé pour en construire un nouveau,
I'administration locale lui confiant la mission de sculpter, sur
I'ancienne place de I'abreuvoir, un groupe de figures dans le grès :
un cheval et un paysan à l'abreuvoir. C'est ainsi qu'un élément tout
nouveau a été introduit dans la physionomie du village : une
sculpture décorative qui, pour attirer l'attention sans aucun doute,
dépasse de loin le simple édifice d'antan qui devait être
reconstitué. Mais c'est très lentement que la satisfaction autour de
cette æuvre s'est installée et quand le journal local a publié une
photo de I'abreuvoir il a encore répété que I'on ne s'était décidé
pour cette sculpture figurative que parce qu'il < n'était pas possible

*. Nous remercions le professeur B. J. Wameken et I'associati6n Tûbinger


Vereinigungflir Volkskunde, e.V., Tiibingen, R.F.A., pour I'autorisation de
traduire cet article paru dans U. JAEcctE, G. KoRrF, M. SCITARFE,
BJ. WARNEKEN (éds.), Volkskultur in der Moderne. Problene und Perspekliven
empirischer Kulttufor sc lwng. Reinbek, I 986.

L'Homme et I a Société, no'1, 46, octobredécembre 2002


'102 Peter Asstow

de reconstuire l'ancien abreuvoir à l'identique sur la base de


t
dæuments >.
Cette anecdote et la presse nous en donne tous les jours
d'autres -
semble symptomatique de plusieurs choses. D'abord, il
-
s'agit d'un village à la recherche de son passé rural et paysan,
village qui a éæ soumis à des changements structurels profonds. Le
vieil abreuvoir appartenait à ce passé et constituait un morceau
d'une identite perdue ç'il
fallait récupérer afin de pouvoir opposer
quelque chose à cette évolution vers un village homogénéiæ, sans
originalité et sans histoire, avec des maisons uniformisées, toutes
pareilles dans leur blancheur unifiée, du genre que les esprits
critiques voient pousser partout. Ce qu'il faut retenir de cette
enheprise c'est qu'elle s'est terminée dans le folklore : comme si
on commémorait I'abreuvoir en oubliant sa fonction... Une fois
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soulagés de la tâche de reconstituer l'abreuvoir, on en a fait une
représentation, en jouant sur les possibilités esthétiques, sous une
forme exagérément symbolique et folklorique dont les éléments
n"ont plus rien à voir avec la fonction originelle. Et finalement tout
cela n'a été compris que comme une solution de pis-aller car, pour
les habitants de Hainstadt, il aurait été plus important de
reconstiûler leur abreuvoir tel qu'il était : comme si seule la fidélité
absolue au passé pouvait avoir un sens culturel et que le présent ne
pouvait leur offrir qu'une créaûvité de second rang.
De longue date il existe des services chargés de la conservation
du patrimoine qui s'occupent de préserver les objets-témoins du
passé
- mise à nu des colombages, restauration à I'identique,
reconstruction de fond en comble des édifices anciens d'après les
plans d'origine
- mais notre exemple d'abreuvoir semble signifier
davantage car il exprime un intérêt pour le passé qui dépasse le
niveau d'une participation passive à la protection du patrimoine
décrétée d'en haut; nourri du contexte local, il ne se satisfait plus
des modèles culturels du folklorisme' ; ce type d'intérêt, qui se
manifest,c de plus en plus au cours des dernières années, a atteint
une force d'expression culturelle qu'il ne faut pas sous-estimer. il

l, Friinkischc Naclvichten, êdinon Buchen-WalldUm, 2 décembre 1984.


2. À propos de ce thème et pour sa discussion, voir le recueil de rapports de
recherche publié dans le volume : E. HônNoNeR, H. LtlNæR (êd.), FolkJorismus.
Vortrilge der I.Internationalen Arbeitstagung des Vereins Yolkskultur um den
Neusiedlersee', NeusiedVSee, 1978 et 1982.
Histoire, trailition et folkJorisme... 103

serait donc opportun pour les ethnologues de lui consacrer une


attention accrue. Si I'on se fie à l'opinion de certains observateurs
contemporains, par exemple, le politologue Hermann Lûbbe, nous
vivons une ( époque singulière, une époque d'expansion de
muséification de la culture3 > : I'historicisme s'étend peu à peu à
tous les domaines de la vie, transformant notre environnement en
décors muséifiés et, qui plus est, soumettant la vie dans cet
environnement au contrôle d'une conscience historique çi se fait
a.
toujours plus présenûe
Lûbbe constate l'existence d'un grand intérêt populaire pour la
vulgarisation historique :
dans ce domaine, expositions et
programmes médiatiques remport€nt unvif succès ; la conjoncûre
se monFe favorable à la vente des antiquites qui meublent nos
appartements ; dans un contexte de festivités villageoises et
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citadines, les marchés aux puces renaissent, etc. Liibbe exprime
aussi rme idée tout à fait originale, à savoir que même la lutte pour
préserver le paysage sous sa forme actuelle constitue une
< muséificationt >. Il n'a pas manqué d'en fournir une explication,
sur laquelle nous reviendrons, mais auparavant, regardons le
phénomène de I'historicisme lui-même du point de vue de
l'ethnologue.
En premier lieu, on < muséifie > la culture : on peut d'ailleurs
constater que, non seulement le nombre de musées d'intérêt local
fÛeimatmuseenf augmente continuellement, mais que leur
parrainage concerne des couches de plus en plus larges de la
population. Le musée villageois qu'on trouvera bientôt dans
toute bourgade d'une certaine- importance est rarement
aujourd'hui le domaine d'un directeur de
-
musée isolé sur un
( poste retiré >>. Au contraire, des groupes d'amateurs
enthousiastes, réunis au sein de sociétés d'histoire locale et
d'associatiorui pour la conservation des traditions du pays fHeimat-
und Geschi chtsve reine'|, y consacrent leurs loisirs. L' apparûenance
à de telles associations n'est donc plus le privilège des grandes

3. Hermann Lûsss, Der Fortschritt und das Musewn. Ûber den Grwd
unseres Vergnilgens an hislorischen Gegenstiindan, l,ondres, 1982 CIhe 1981
Bithell Memorial Lecture), p.2.
4. Hermann LûBBE, Zwisclun Trend und Tradition. Ûberfordert uns die
Gegenwart ? Znich.1981 (Iexte und Theseru 136).
5. Hermann LûuB4 Der Fortsclvitt..., op. cit.,p.6 sq.
lM Peter AsstoN

villes et de citadins rompus à toutes les traditions éducatives. La


recherche auûour de I'histoire locale, le souci de la conservation du
lieu se sont popularisés à un degré inat endu et se Eaduisent par
une restauration embellissante et des activites dont l'objectif est de
ressusciter la vie de la communauté doantan, le monde du travail
disparu, les coutumes de jadis dans le monde d'aujourd'hui. Cela
commence sur le mode du jeu avec des scènes reconstituées lors
d'occasions particulières. En effet, le défilé historique d'origine
o
citadine a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une
posterité villageoise : les batteurs avec leurs fléau:<" les vanniers,
râteleurs, tonneliers et boÉiers qui fabriquaient des souliers de
montagne font désormais partie, avec leurs outils et leurs
démonsûations de ûavail des tableaux soigneusement préparés
pour de tels défilés ! - des programmes qui accompagnent
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I'ouverture d'un musée-,ou une fête populaire quelconque. Ils
peuvent aussi à l'occasion ressortir une fois de plus leurs outils de
travail pour les besoins de ( films ethnolographiques > produits
aujourd'hui aussi bien par des clubs photo que par des assooiations
pour la conservation des traditions locales 7.
Que les frontières entre jadis et maintenant, entre musée et
environnement muséal, s'estompent
- comme si I'intérêt
historique pour une culhrre en déclin preparait la voie à son retour
artificiel dans le présent plus souvent à leur répétition
- est dû led'une
régulière. Les lêtes, accompagnées représentation et d'abord
célébrées à I'occasion de l'inauguration d'un musée, se
hansforment rapidement en manifestations régulières. De même,
les déIilés festifs réussis seront répétés pour finalement devenir
partie d'un programme culturel annuel. On peut prendre I'exemple
de Lindenfels en Odenwald, où, tous les ans, le même dimanche
d'août, on voit défiler < le musée local roulant : un mariage dans

6. Peter A$sIoN, << Historische Festzûge. Untersuchungen zur Vermittlung


eines bftgerlichen Gesichtsbildes >>, in Forschungen uad Berichte zw Volkskndc

in Bdden-Wiltttenùer g, 1974 -1977. Surngrt, 1977, p. 69 -86.


7. Johannes KûNzc a, par exemple, établi une documentation filmographique
sur la production traditionnelle de l'épeautre dans le Bauland (Fribourg-
Brisgau, 1938, 1964). En 1984, le club photo Blende 8 de Gôrzingen a pris
I'initiative de fïlmer les procédés de cette culture tradirionnelle; la première
projection du ûlm a eu lieu à Altheim devant une salle communale comble.
Histoite, trailition et folklorisme... 105

l'Odenwald d'antan )) sous ce slogan même


t. Et ce pour la plus
grande joie des nombreux visiteurs venus aussi d'ailleurs. Cette
initiative, bien que montee par des agents du tourisme local, ne
dément pas une tendance fondamentale qui demeure immanente :
donner aux < reprises > culturelles une nouvelle assise dans la vie
d'aujourd'hui par leur ancrage dans le calendrier.
Les anciens clubs pour le maintien des costumes et des danses
haditionnels se sont associés à cette tendance. On raconte que ceru(
de la région hessoise < ont appris à insérer leurs danses
folkloriques dans le calendrier culturel et à les compléter par la
représentation des coutumes en utilisant à la fois le jeu, la chanson
n
et le dialecte >. Cela signifïe qu'on ne se contente plus de soirées
entre initiés et d'une participation occasionnelle à des parades,
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mais qu'on s'est donné pour objectif d'être visible de manière
régulière dans I'espace public. Et à cet effet, on se sert de l'ancien
calendrier annuel des coutumes, dont le retour périodique, déjà
programmé d'avance, doit être en partie ressuscité pour être
exploité. En guise d'incitation, le Land de Hesse met à la
disposition du public quatre films produits dans le musée de plein
air de Hessenpark, en collaboration avec la direction du musée et
l'association hessoise pour la sauvegarde des traditions de danse et
de costumes, sur les couhrmes du mariage, la fête des moissons, les
Iêtes de Pâques et de la Pentecôte. On peut les emprunter auprès
des bureaux de documentation photographique du comté et les
associations sont censées s'en inspirer pour reprendre, avec des
variations locales, les schémas de comportement qu'on y met en
scène. Le >cx" siècle ferait-il sa réapparition au xlf ? On pourrait
presque le penser, surtout quand on voit qu'au fin fond de
I'Odenwald, on a même réussi à remettre en circulation,
régulièrement et pendant plusieurs années, une vieille^voiture
postale sur son ancien trajet enfre Walddiirn et Amorbach '" et que,
sur des ûonçons secondaires fermés, on a pu à nouveau faire rouler
des trains à vapeur anciens qui, le cas échéant, circulent, au moins
occasionnellement, sur les grandes lignes où ils constituent une

8. Cf. le rapport dans le joumal Friinkische Nachrichten. Edition Buchen-


Walldtlm, le9 aott 1983.
9. Singendcs, klingendes, tawendes Hessenland. Mitteilungen der Hessischen
Vereinigung ftlr Tanz- und Trachtenplfrege, n" 33 (1983), p. 19.
10. II s'agit d'une initiæive du Bureau des postes de Walldum.
l,M Peter AssIoN

attraction de fête, comme par exemple, depuis 1982, lors de la fête


rr.
du chemin de fer de la vatlee de Jagst Il en va de même pour la
ftte des locomotives à vapeur au musée des chemins de fer de
Darmstadt-Kranichstein en 1985 qui a aftiré des foules de visiteurs.
-
L'historicisme pour revenir à ce concept qui caracterise -
notre époque favorise nabrellement aussi un traditionalisme des us
et coutumes qui existe encore à l'état de relique ; il muséifie et
instnrmentalise en dehors de tout contexte social et fonctionnel les
manifestations d'une badition dont le caractere hisùorique semble
êEe ce que l'on apprécie le plus. Hettingen est un village de Bade,
où, jusque dans les annees cinquante, chaque troisième dimanche
du Carême, la communauté des jeunes mettait en scène une
procession fTodaustragenr2] jusqu'à ce que cese coutume, à cause
de son asp€ct de mendicité perde complètement ûout athait materiel
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et commence à péricliter. Or actuellemento I'assosiation historique
locale, créée en 1967, se félicite de deux grandes réalisations:
d'abord d'avoir restauré I'ancien calvaire aux limites de la
cornmnne; ensuite d'avoir ressuscité la pratique de Todaustragen
pour en faire une manifestation traditionnelle avec jusqu'à 200
participants t'
qui agissent avec la conscience d'un devoir :
bansmettre une coutume vénérable à la postérité. Dans le domaine
des traditions ecclésiastiques dont on pourrait croire qu'elles n'ont
pas d'autre obligation que celle de garantir la continuité des
attitudes religieuses, par exemple en ce qui concerne le pelerinage,
c'est cette même conscience historique qui se propage pour
motiver les participants.

ll, À I'occasion de la première fête du chemin de fer, pendant le week - end


de la Pentecôte 1982, << deux locomotives à vapeur historiques ont assuré en
alternance le service sur le parcours toutes les heures >> (Friinkisclu Nacltrîchten,
éd. Buchen-Walldllm,26 mai 1982).
12. Il s'agit d'une coutume interdite depuis le XIV" siècle, mais qui s'est
répandue depuis la guerre de Trenæ Ans en Silésie en Pologne, au Luxembourg,
en Bavière, en Autriche et dans certaines parties de la Suisse. La foule conduit le
cadavre (un pantin) qui est ensuite b'rtlé ou noyé pour symboliser la fin de I'hiver
Indtl.
13. Voir aussi Peier AssIoN, << Brauchtum im Wandel - Beobachnlngen aus
dem hinteren Odenwald >, in: Beitrëge zur Erforschung des Odenwaldes wd
seiner Randlandschaften, Breuberg" 1972 (Breuberg-Bund-
Sonderverôffentlichung, 7972), p. l-2i7 .
Histoire, trailition et folldorisme... 107

Autrefois les défiIés de type communautaire servaient les


objectifs cultuels du fait même d'être fondés sur des serments
ra.
religieux" wais ou supposés tels Et par ailleurs, la justification
en a été trouvée dans la praxis culturelle elle-même, dont les
exigences envers les croyants pouvaient être ressenties avec plus
ou moins de force selon les circonstances temporelles, fonctionnant
comme un continuum. Aujourd'hui il y
a quelque chose de
nouveau: un interêt général pour d'anciennes coutumss, comms a
pu le remarquer, par exemple, Helga Gerndt qui décrit cet intérêt
constaûe chez les participants à la course des çaûe montagûes en
Carinthie. En 1970, 70 % des nouveaux participants à ce pelerinage
ont cité, parmi d'autres raisons de leur participation, << l"intérêt
général que lui temoignent toutes les couches sociales et tous les
15
loupes à'âges, à la ville comme à la campagne >. Lors du
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pèlerinage, les prédicateurs y ont réagi promptement en insérant
tu.
âans leur discours des passages d'ordre historique On constate
aussi qu'à I'occasion de manifestations communautaires
on a pu I'observer à Walldiirn
17 - cornme
les participants témoignent
-
d'un fort intérêt pour I'histoire de la manifestation elle-même.
D'où l'inclusion désormais des chroniques du pèlerinage dans les
livres de méditation ; les dates historiques permettent alors de fêter
les jubilés des pelerinages.
Pour expliquer cet engouement pour l'histoire qui a pris des
proportions épidémiques, on pourrait faire remarquer que nous
sommes aujourd'hui les héritiers de plus d'un siècle d'éducation en
matière d'histoire, transmise via l'enseignement scolaire et les
festivités bourgeoises, par la conservation du patrimoine, les
activités muséales et non le moindre par une ethnologie
- -

14. Cf. W.BRûcKIuR, Die Verehrung des heiligen Blutes in Walldilrn.


Aschaffenburg, 1958 (Publications du Geschichts- und Kulturverein
Aschaffenburg e.V.), p. 182-186.
15 Helga GERrtI, Vierbergelauf, Gegenwart und Geschichte eines Kiirntner
Bratrcla, Klagenfurt, 1973 (Aus Forschung und Kunst, vol. 20), p.58' Au total on
a constaté un << intérêt pour d'anciennes coutumes >> chez 46 7o des participants.
L6. Ibidem,p.35.
17. Peter Asstolt, < Walldtlmer Wallfahrt heute >>, in: 650 Jahre Wallfalvt
Walldil,rn.Walldllm, 1980, p. 121.
108 Peter Asstox

ûournée résolument vers le passétt. Au début des discussions


autour du folklorisme et dans un tout autre contexte, Hermann
Bausinger a maintes fois rappelé qu'il ne peut y avoir des effets
culûrels que quand intentions et offre correspondent aux stmctures
des besoins des individus. Il faudrait appliquer cett€ remarque au
phénomène de I'historicisme de noûe époque et à son expansion. Il
faut ç'il y ait un besoin d'histoire, mais pas simplement un besoin
d'ordre théorique qui se conûenterait d'une exposition de faits
historiques. Il s'agirait plutot dans ce nouveau conùexte, doun
besoin concret et pratiçe qui veut faire revivre le passe et fixer ce
qui s'en va, il s'agirait de ce qu'on appelle la muséification de la
culhre conûemporaine. On peut I'interpréter comme un besoin de
stabilité culturelle, qui serait lié au phénomène de la destruction
accéléree de l'histoire, ou de tout ce çi est historique, phénomène
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aussi caracteristique du présent que I'activité visant à conserver et
à préserver ce passé. Il serait difficile de nier le fait que nous
vivons une époque de changements incessants et il est évident que
la rapidite du changement scientifique, technique, économique,
social et culturel augmente encore et transforme continuellement
l'environnement culturel. De tous les côtes, on entend déplorer que
le temps passe aujourd'hui plus vite qu'auparavant, que les
hommes sont ( confrontés à beaucoup de turbulences >, que plus
personne n'a du temps pour rien: ce sont là des déclarations qui
par ailleurs reflètent I'angoisse de ne pas pouvoir tenir le rythme
du temps et de s'exposer au reproche omniprésent d'être < vieux
jeu u. u Notre époque de vitesse > s'est créée ce qui est assez
traître son propre -
champ linguistique, et ce n'est pas seulement
le fait -des expériences superlicielles conçues par les industries de
biens consommables intéressées à augmenter leur chiffre d'affaires
moyennant des cycles de mode et des produits jetables. < Faites-
vous du bien : offrez-vous plus souvent quelque chose de neuf. > Il
y a denière ce phénomène des expériences réelles avec les grands
cycles systemiques, responsables de crises avec les hauts et les bas
qui s'ensuivent en matière économique et politique, auxquels
I'individu était et continue à êne plus ou moins passivement livré.

18. Cf., en particulier, parmi d'aures publications conc€rnant I'histoire de


cette discipline, I.-M. GREvERUS, <Zv einer nostalgisch-retrospektiven
Bezugsrichtung der Volkskunde >>, in : Hessiscle Bkitter fiir Volkskunde, no 6O
(1969), p. 1l-29.
Histaire, traditbn et folklorixne,,. "lO9

Dans Heimaf, film épique du cinéaste Edgar Reitz, celui-ci


laisse la parole à une paysanne du Hunsrûck. Cette paysanne, une
dénommée Katherina Simon, résume ces phénomènes de la
manière suivante :

< Six fois dans ma vie, il y a eu une nouvelle époque : après la Guerre
mondiale, après I'inflation, puis en 1933, et quand ils ontconstruit la route
à travers les montagnes du Hunsrilck en 1938, c'était aussi une nouvelle
époque. Et alors en '45, on a dit qu'< on repart àzëro >>, et maintenant les
journaux racontent que c'est le jour J... On n'en finit jamais avec les
temps nouveaux'- D.

Ces paroles expriment en peu de mots les contraintes que la


fuite permanente du temps fait peser sur la manière de se conduire.
Hermann Lùbbe a forgé le concept scientifique de < I'identité
temporellement diffuse'o , pour caractériser ses conséquenccs
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psychosociales. Lùbbe s'est aussi efforcé d'interpréter
I'historicisme modeme dont il désigne le contexte : la destruction
continue d'images habituelles de la ville, du village, des paysages,
et, plus généralement, de tout ce qui est familier et qui a de la
valeur pour I'individu, la perte de qualité, du charme de ce qui est
connu, et des valeurs, norrnes et traditions ayant quelque force
vitale. L'historicisme y répond avec une sorte de < praxis
2r
compensatoire > qui dans le flux du développement recherche
des éléments reconnaissables et des aides pour l'élaboration
identitaire. Mais, au fond, tout ce qu'il fait, c'est montrer que notre
civilisation s'est créée une distance émotionnelle d'avec elle-
même, qu'elle fuit le présent autant qu'elle poursuit avidement le
22.
passe Contrairement aux époques passées, soumises à des
rythmes de changement plus lents, quand on pouvait reconnaître
structurellement le présent dans le passé et que la < validité des
traditions qui subsistaient au-delà des changements d'époques ne

19. Cité d'après Der Spiegel,n" 3711984, date du 10 sepûembre 1984,p.200.


20. Hermann LUBBE, < Identitàit und Kontingenz >>, in O. MARQUARDT,
K. Srnru-e (6.), I dent itât, Munich, 797 9, p. 655-659.
21. H. LtlBB4 op.cit.(noæ3),p.7.
22. H. LûBB4 op. cr'I. (note 4), p, 12: << Ne pas être soi-même et ne pas avoir
ou ne pas aimer ce qu'on a et ce qu'on ss1 s's51 ça qui rend nostalgique et
avide du passé et donc prêt à fuir le présent. >
-
110 Peter Asstott

dépendait absolument pas d'une quelconque conscience


æ
historique >.
On pounait adhérer à sa vision des choses, si Lûbbe n'avait
passé sous silence les implications sociales de ce processus pour le
présenter comme neutre dans ses origines et universellement
valable. Là où Lûbbe voit le progrès comme un processus nattuel
qui serait légitimé, globalement parlant, par ses effets bienfaisants,
d'auEes observateurs plus distanciés pensent qu'on a déclenché
une expérience avec I'espèce humaine dont l'issue est plus
qu'incertaine'". Ils constatent aussi que cette expérience un
progrès technique et économique sans bomes - fois
produit à la
bourreaux et exploiteurs, victimes et perdants. - Et parmi ces
derniers l'on compûe tous ceux auxquels le temps ( manque ) pour
pouvoir intégrer ce qui se passe dans le temps, c'est-à-dire pouvoir
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le comprendre et le surmonter par la réflexion et I'action, afin de
5.
le pas se sentir uniquement victimes d'un changement continuel
A l'inverse cependant de ce souffrir du temps collectif, là où le
cinéaste Reitz prête un regard critique à sa paysanne du Hunsrûck,
se Fouvent tous ceux qui planifient le temps et s'octroient un
optimisme indomptable en I'avenir, alors que dans leur entourage
social I'histoire se propage comme moyen de thérapie pour guérir
les maux du temps. Il faut insister sur ce point. Dans la mesure où
les circonstances empêchent d'identifier socialement les causes et
les effets de ce changement continuel et n'autorisent aucun accord
qui ferait I'unité de I'ensemble de la société sur la nature de ce
processus culturel, les réactions retardatrices et les discordances
temporelles sont insurmontables.
De fait,les capaciæs de reconsfiuire des orientations culturelles,
rassurantes, allant de soi, qui compenseraient le dépérissement
d'un rapport intime avec la culture, sont restreintes ; cefte tentative
de prolonger le passé en lui redonnant vie en est la manifestation.
L'historicisme mderne est certss tourné vers le passé mais il vise
aussi l'avenir. Les générations futures aussi doivent pouvoir se
rejouir à la vue des monuments historiques que l'on reconstruit ou

æ. H. LûBBq op. cit.,p. 10.


24. F.hcon, Das Spiel der Miiglichkciten $.e,jeu des possiblesl. Von der
offenen Geschichte &s ltbens. Munich, 1983.
25. Cf. aussi H. $t. Hottrt, Die Zerstorung der Zeit.Wie aw einem gôlliclun
Gon eirc Hodelswarc wudc. Francfort-surle-Main, 1984.
Histaire, truilition et folklorisme. .. 111

que I'on restaure, que ce soit I'abreuvoir de Hainstadt, le chemrn


du calvaire ou le bâtiment à colombages de la mairie. Dans la
mesure où des actions, lourdes de sens historique, ont été
réintégrées dans la vie de la communauté et sont appelées à être
répetées periodiquement, elles contiennent l'obligation de leur
répétition future. On exprime explicitement l'espoir que ces
innovations < aient un caractere traditonnel > et dans I'incertitude
sur la durée de vie de traditions nouvellement proclamées et
d'aubes plus anciennes, on conjure en premier lieu ce qui doit
l'êhe: la durée et donc la certitude en ce qui concerne les
comportements collectifs. C'est ce qu'a provoqué la rhétorique
inégalee de notre temps auûour de la tradition, cett€ rhétorique qui
accompagne osænsiblement le discours autour de la viæsse et la
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Iièvre de la modernité. Pendant des siècles, des pèlerinages ont été
organisés comme des manifestations < annuelles ) ou
< habituelles D, comme on peut le lire sur les pages de garde des
règlements des pèlerins correspondants ; aujourd'hui ces
manifestations se parent du prédicat < traditonnel >, mot qui en dit
plus que les références d'antan à leur périodicité: à savoir, une
conscience de valeurs qui se basent sur la durée et un appel pour
maintenir leur observation régulière à l'avenir afin de les doter
d'une longue vie. Évidemment, les manifestations folkloriques ne
peuven! et moins que toute autre, se passer de la mention qr'elles
se situent dans la continuation d'<< une vieille tradition > ou bien
qu'elles sont déjà elles-mêmes < traditionnelles >. Et tout le reste
de ces nouveautés çi enrichissent la scène culturelle devient, dans
les discours et les articles de journaux, au plus tard après trois
saisons, ( déjà une belle tradition ) : que ce soit des marchés de
NoêI, des fêtes associatives, des goûters du troisième âge, des Gtes
villageoises ou des fêtes de quartier. Dans le cas de ces dernières,
on n'hésite pas à faire un retour verbal en arrièrejusqu'aux soirées
26
de tissage d'antan autour de la cheminée et à proposer dans les

26. Cf. H. ScHMITT, <<Stuttgarter Stadtteilfeste. lJber neue Formen


groBstâdtischer Geselligkeit >>, in : Forsclurngen wrd Berichte zur Volksfunde in
Baden-Wiirttemberg 197 41977. Stuttga( 1977, p. 9 -19.
772 Peter AsstoN

décors d'un programme folklorique des plats de la cuisine de


Mamie '' afrnde mettre en avant la tadition.
On doit arribuer tout cela à un besoin légitime de tradition, une
véritable soif de tradition, qui essaie même de s'assouvir par des
paradoxes ûels que << nouvelles traditions >. Constatons aussi qu'au-
delà du discours, on s'efforce de re-stabiliser le contexte culturel.
Cependant dans la culture de la Traditon de l'époque actuelle, le
recours au passé ne compense que partiellement l'écart avec la
dynamique du temps. Nous nous contentons de réagir au
changement de la vie sociale selon les moyens dont nous
disposons; en utilisant et en comblant les espaces de liberté, nous
nous éloignons d'un développement effectif, ce qui produit un
sentiment continuel de malaise.
L'historicisme ne peut pas résoudre définitivement la
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problématique qui le constitue, et cela explique pourquoi il est
devenu un processus, avec sa propre historicité qui s'en prend à un
passé toujours renouvelé et toujours plus rapproché du seuil du
présent. Les musées villageois de la dernière génération ne sont
plus seulement remplis de < l'art populaire, beau et ancien >r
comme l'étaient leurs aînés ; à côte de I'outillage du travail manuel
traditionnel, on trouve désormais des appareils domestiques de
facture industrielle qui datent de l'époque wilhelminienne. Cela
n'est pas dû seulement au fait que I'art populaire est devenu rare et
cher, mais au fait que les appareils domestiques ont une plus
gnnde valeur sentimentale de souvenir pour le visiteur. On a déjà
zuggéré, à travers l'exemple des locomotives à vapeur qu'on remet
en éAt de fonctionnement, que cette préoccupation pour le passe ne
s'arrête plus devant I'industrie et la technique. On pourrait
I'illustrer aussi avec l'exemple de I'intérêt témoigné pour les
vieilles machines, et en premier lieu pour les voitures < Old
Timer D que I'on peut admirer dans les musées de voitures
28
specialisés ; des fans qui disposent des moyens financiers
nécessaires les font rouler de nouveau. Sous la rubrique

n. Cf.. H. ScHMtrT, op.cit., p. 16. Aussi U.ToLKsDoRr, < Heimat und


IdentitËt. Zu folklorischtischen Tendenzen im Ernâhrungsverhalten >. In:
L HôneI.IDlw& H. Lurw' (note 2.), p.223-?53.
28. [æ muséo de la voiture et de la technique de Sinsheim im Kraichgau, qui
n'a été fondé qu'en 1981 sous forme d'une association de collectionneurs, avait
déjà accueilli un demi-million de visiteurs en cinq ans.
Histoir e, trailition et folldorisme. .. 113

< Sauvegarde des taces du passé >, le bulletin de liaison de


I'association hessoise pour les costumes baditionnels et les danses
locales a complimente le club de la jeunesse de Mellnau pour ses
activités. Ce club s'est souvenu des wagons postaux qui circulaient
autefois à Mellnau et en a rassemblé des photos pour monter une
æ.
exposition çi a auiré un public nombreux et enthousiaste Il est
alors presque superflu de rappeler que les années cinquante
constitrrent non seulement un sujet d'intérêt pour les specialisûes de
la culûrre et les museologues, mais qu'aujourd'hui la table basse en
forme de rognon de cette époque a retrouvé sa place au salon
comme antiquite tès appréciée.
Faut-il inclure aussi dans ces courants à caractère de processus
le folklorisme, conçu comme préoccupation pour le maintien des
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cosûmes, des coutumes et de l'art populaire ? N'entre-t-il pas dans
I'historicisme plus général avec lequel il partage un déterminant
fondamental ? Si I'on peut constater une régularité entre les
expériences de perte et la compensation historicisante, elle doit
valoir aussi pour cette rupture historique qui, avec la révolution
industrielle, a provoqué l'écroulement de la culture traditionnelle
paysanne et de ses fondements. Le folklorisme a répondu aux
premiers signes de déperissement du rapport d'intimité avec la
culhue caracteristique de l'époque moderne, dans la mesure où il a
permis de < trouver un point de quiétude dans le passé et de créer
un lien avec lui ), comme Matthias Zender I'a remarqué de
30.
manière générale à propos de ce phénomène culturel complexe
Dans cette perspective, le folklorisme donnait à une culhrre en
voie de disparition ou le cas échéant à ce que représente cette
-
culture de manière significative une < deuxième vie > : ce qui,
-
déjà à l'époque, était sans réelles conséquences, car la nouvelle
culture industrielle a continué à s'imposer, et son industrie de la
culture s'est emparée sans peine de tout ca qui dans le folklorisme
pouvait être exploité économiquement parlant et d'ailleurs le
-

29. Cf. note 9.


30. M. ZENDR dans une note critique à propos de H. Bausinger, < Kritik der
Folklorismuskritikr>, in t Populus revisus. Betriige zur Erforschung der
Gegenwart. Ttlbingen. 1986, p. 6l-72.
774 Peter AsstoN

folklorisme a également poursuivi sa propre commercialisation 3r


ou bien I'a utilisé pour dissimuler idéologiquement les
-déformations des stnacfures sociales. Favorisé par d'autres facteurs
encore, le folklorisme est devenu un fait accompli culturel
indépendanl avec une continuité, caracterisé par sa réference plus
explicite au passé et par son intérêt cultivé de manière
systématique pour cette culture, des raits qui font défaut dans les
aufes phénomènes de muséification culturelle. En effet, jusqu'à
nos jours, le folklorisme s'est toujours occupé de la plus ancienne
< culhre populaire > préindustielle, qu'il conçoit cornme le monde
intact d'avant-hier, et il cherche toujours à recréer une totalite à
partir d'un systeme de reliques agraires : un (( contre-monde > haut
en couleurs opposé à la culture urbaine et industrielle qui a mis
hors fonction cette < culture populaire 32 >. Toutefois, puisque le
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besoin de stabilité culturelle, ce sentiment productif
d'insatisfaction dont nous avons parlé plus haut, n'a jamais été
satisfait, le processus de compensation du changement culturel ne
s'est pas arrêté non plus. I continue à agir sous forme
d'historicisme qui s'empare sans trop d'égards de tout ce qui
continue le passé. Et même le processus de folklorisation
enûendu comme la mise à l'écart de la triste réalité d'un contre- -
monde culturel peut être renouvelé, comme l'a démontré
Gottfried Korff -prenant l'exemple des tendances actuelles à
fabriquer dans les quartiers urbains un folklore qui porte la marque
de I'industrie ". On peut évidemment s'attendre à ce que la
deuxième révolution industrielle produise elle aussi son propre
folklore.

31. U. JAEcct.r, G. Konrr, <<Zur Entwicklung des Zillertaler


Regionalcharakærs. Ein Beitrag zur Kulturôkonomie>>, inl. Zeitschrift fiir
V olks knttdz, n" 7 0 (197 4), p. 39 -57 .

32. Hermann BAUSIÀIcR, Volkskunde. Von der Altertunsforscfutng zur


Kulttuoulyse. Darmstadt, s.d" [1971], p. 193 sq.
33. G. Konrn, << Folklorismus und Regionalismus. Eine Skizze zum Problem
der kulturellen Kompensation ôkonomischer Rlickstândigkeit >>, in : K. Kôsrtx{,
H. BAUSntcR, (édù, Heînst und ldentitiit. Problerne regionaler Kulttu. ()(XIl'
Congrès de l'éthnologie allemande tenu à Kiel du 16 au 2l juin 1979).
Neumllnster, 1980 (Sudien zur Volkskunde und Kulturgeschichte Schleswig-
Holsteins 7),p.39-49.
Histoire, tradition et folkloristtæ. ., 115

Le folklorisme comme forme précoce de la muséification peut


être considéré cornme un avertissement pour ce qui vient après, car
on sait grâce à son histoire que l'image d'un monde traditionnel
peut aussi être construite et instrumentalisée pour pouvoir
poursuivre plus ranquillement encore derrière ces coulisses
loæuwe de deconstuction d'un contexte de relations historiques et
de valeurs devenues dysfonctionnelles. L'historicisme court aussi
le risque de ce type d'instrumentalisation. La bienveillance qu'il
rsnconFe auprès des pouvoirs publics devrait nous alerter, et
l'indifférence que lui témoigne une population plus large ne serait-
elle pas la manifestation d'une saine méfiance à l'égard de la
manipulation de cette pratique culturelle ? Que l'on pense, par
exemple, dans ce contexûe, à la conjoncture actuelle favorable à la
création de musées de plein air. Les joumaux en parlent comme
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d'accomplissements culturels de rang séculier ; or, on ne
mentionne que rarement sur la place publique que ces musées ont à
lutter contre de graves problèmes d'acceptation dans leur
environnement proche. On entend dire, par exemple, dans les fins
fonds de I'Odenwald, si on entre en conversation avec des témoins
du déplacement d'une maison, que démonter des vieilles baraques
pour les reconstruire ailleurs, c'est du pur gaspillage. Ce type
d'opposition n'a sûrement pas réfléchi à ce que la critique
scientifique nous donne à contempler: que les efforts dispendieux
autour de I'héritage architectural témoignent aussi du manque
d'atûention que I'on accorde à cet héritage, car c'est ce processus
économique effréné qui dépouille le paysage et rend nécessaire
l'établissement de réserves de maisons spéciales dans les villages
et au milieu de la campagne. Toutefois, I'opposition des couches
populaires mesure bien cette politique empêtrée dans une logique
du rapport entre coût et efficacité à l'aune de ses propres
principes s et de cette manière se défend d'être récupérée pour
cete politique et pour son effet d'embellissement palliatif.
Pour conclure, on peut peut-être rendre encore plus explicite le
contexte social dans lequel I'historicisme moderne se déploie et se

34. Bien entendu, ces principes de pensée paysanne de I'efficacité, qui semble
toujours se méfier du < luxe >> d'une culture désintéressée, ont aussi des racines
historiques, Voir dans W, KUNDE, <<... halb Kunst.., >> zu Pierre Bourdieu
<< Versuch zum geselleschaftlichen Gebrauch der Fotographie>>, Âstltctik und

Konurunikation, vol. ? (1977), p. 34-52.


116 Petet AssIoN

laisse instrumentaliser en se référant aux discussions çri ont eu lieu


lors d'une conférence des membres doune association de
conservation de traditions locales fHeinatptlegerl ù Milænberg-
surle-Main en Basse Franconie en 1983. La conference s'est tenue
dans le bôtiment de la mairie et du commerce, un édifice historique
qui venait d'être restauré. Au moment d'accueillir les participants,
le maire lui-même a concédé que ( pour le moment il est encore
diffrcile pour les citoyens de Milænberg de s'habihrer à ce nouveau
cente de la vie culturelle 3s >. Le président du gouvernement de la
Basse Franconie, le Dr Meyer a, lui, résumé la mission d'un
traditionalisme lHeimatpflegel qui doit signifier plus que
conservation du patrimoine. Tout en louant les efforts accomplis
pour faire renaître la poésie dialectale, il a exhorté les militants à
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donner un sens et un contenu nouveaux aux fêtes populaires. < Nos
Ëæs du vin me donnent beaucoup de soucis, se plaint le président,
car elles ne sont souvent çe de véritables beuveries et tout rapport
au pays en est complètement absent >. Et quant aux militants
traditionalistes, ils devraient eux-mêmes donner le bon exemple,
lisait-on dans le journal, où I'on se plaignait qu'un seul participant
à la conférence soit venu vêtu du costume traditionnel alors que
tous les autres avaient apporté la preuve de la perte de l'identite
basse-franconienne dont s'était plaint le Dr Meyer en venant avec
leurs vêûements de tous les jours >. Lors de la conférence, la
responsabiliæ de la disparition de ce rapport traditionnel au pays a
été atfibuée aux médias, < qui menacent d'écraser tout ce qui est
typique ) et contre lesquels les militants traditionalistes doivent
constituer un ( rempart >, aussi et tout particulièrement dans leur
( amour pour les petites choses >, qui faisaient l'objet du discours
tenu par le participant en costume local.
Des fêtes du vin qui dégénèrent en véritables beuveries et le
pouvoir médiatique qui n'a que faire des traditions locales : ce
n'est certes pas une explication, mais cela décrit très précisément le
contexte socioculturel de l'historicisme moderne, qui ne peut pas
être assimilé à un ( mouvement populaire > mais qui justement
dans sa position sociale médiane se heurte à ses limites supérieures
qui sont aperçues sous forme d'une industrie culturelle ressentie
comme menaçante. Or il est tout aussi caractéristique de

35. < Heimatpflege als Bollwerk gegen die Medien >>, Friinkisclu
Naclviclten, éd. Buchen-Walldtm, l8-19 juin 1983, p. 21.
Histoire,trailition et folklorimre... 1'17

I'historicisme qu'il ne contribue en rien à vraiment percer le


mécanisme qui produit ces conditions limites et à éviter toutes les
manipulations qui en résultent. À Mittenberg comme ailleurs, est-
ce qu'on élève la voix pour dénoncer cette contradiction qui fait
que les hommes politiques se plaignent de la toute puissance des
medias quand ils font des apparitionsi aux réunions des associations
traditionalistes, mais qu'ils sont eux-mêmes coresponsables du
déferlement de cette < pluralite médiatique > caracteristique de
l'économie privee ?

[Tr ailuction ile I' allennnil par Mar garet Marule


reoue par larédactionl
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