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Le cheikh al-‘Alawî et son commentaire des

aphorismes de Sîdî Abû Madyan de


Tlemcen (partie1/2)
par M.Chabry 24 mai 2007, 0 h 00 min

Pour qui s’intéresse au soufisme maghrébin ou à sa pénétration en Occident, et tout


particulièrement en France, la figure du cheikh Ahmad al-‘Alawî de Mostaganem (1869-
1934) est à divers égards incontournable. La confrérie (tarîqa) ‘Alawiyya, issue elle-même de
la Shâdhiliyya-Darqâwiyya, fut l’une des toutes premières sinon la première à s’implanter en
Occident.

Il existait des zaouïas dans diverses villes d’Europe et notamment à Paris dès les années vingt
du siècle dernier. Ces lieux de rencontre permettaient aux adeptes d’origine algérienne ou
yéménite, par exemple, de suivre leur tradition dans un contexte occidental bien éloigné de
leur culture d’origine.

Mais ces migrants n’étaient pas les seuls concernés ; à la même époque, plusieurs
occidentaux, dont certains jouissaient d’une certaine notoriété, comme le peintre Gustave-
Henri Jossot, conquis par la forte personnalité du cheikh, entrent en islam et dans la voie
soufie par son intermédiaire et sous sa direction. Plus généralement impliqué dans ce que l’on
appellerait aujourd’hui l’Islam de France, il vint participer en 1926 à l’inauguration de la
mosquée de Paris[i] : il fit le prêche et dirigea la prière commune à cette occasion.

René Guénon (1886-1951), le porte-parole des doctrines traditionnelles en Occident, a


également joué un certain rôle dans le rattachement à la tarîqa ‘Alawiyya de nombreux
occidentaux : d’une manière générale, puisque bien des lecteurs de Guénon d’aujourd’hui ou
d’hier, en quête de spiritualité, se tournent vers le soufisme, mais aussi d’une façon plus
directe au début des années trente puisqu’il conseilla à certains de ses correspondants de
prendre contact avec le cheikh al-‘Alawî. Après la mort du cheikh survenue en 1934, Guénon,
par voie épistolaire, maintint le contact avec la tarîqa, c’est-à-dire avec le cheikh Adda
Bentounès (1898-1952), successeur du cheikh al-‘Alawî à Mostaganem.

Si l’on envisage maintenant le soufisme dans un cadre plus large, les personnalités du cheikh
al-‘Alawî et du cheikh Adda Bentounès ont pu toucher de nombreuses personnes intéressées
d’une façon générale par la spiritualité. Ce fut par exemple le cas de Jean Biès dans les années
cinquante, qui a laissé un témoignage écrit de sa rencontre avec le cheikh Adda. Moins connu
en France mais tout aussi important est le cas de Thomas Merton, qui témoigna d’un profond
intérêt pour le soufisme et rencontra en particulier en 1966 un maître de la tarîqa ‘Alawiyya
disciple direct des cheikhs al-‘Alawî et Adda Bentounès.

Du côté du monde arabo-musulman, l’influence du cheikh est encore plus évidente. Martin
Lings rapporte dans sa biographie du cheikh (Un saint soufi du XXe siècle, aux éd. du Seuil)
que selon Probst-Biraben, à la fin des années vingt, la confrérie comptait plus de 200 000
disciples. Un recueil de lettres en arabe intitulé al-Shahâ’id wa-l-fatâwâ, permet également de
se faire une certaine idée du degré de reconnaissance par l’intelligentsia musulmane de
l’autorité spirituelle du cheikh.
On trouve en effet dans ce recueil aussi bien de sobres attestations d’honorabilité que des
lettres enflammées et pleines de lyrisme magnifiant le degré du cheikh. Citons pêle-mêle
quelques-unes de ces autorités : des muftis (Mostaganem, Tlemcen, Sidi Belabbès, Blida), des
cadis (Tlemcen), des enseignants (Oran, Fès, Relizane, Oujda, Constantine, Blida), des
oulémas (notamment de Fès, où le cheikh fut reçu par les plus hautes autorités religieuses du
Maroc), des juristes (Tétouan) et des imams (Alger).

Si l’on ajoute à cela les données publiées par le cheikh Adda dans son ouvrage biographique
sur le cheikh al-‘Alawî, al-Rawda l-saniyya, relatives aux zaouïas fondées en Algérie, au
Maroc, en Tunisie, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Palestine et en Ethiopie, on peut vérifier
que le spectre géographique et sociologique de la tarîqa était particulièrement large. Le
fameux Abdelkrim par exemple, celui-là même qui posa tant de problèmes aux autorités
coloniales françaises et espagnoles, était l’un de ses disciples[ii].

Suite à une dénonciation, le cheikh fut questionné à ce sujet par l’administration française et,
tout en reconnaissant ce fait, affirma que ce jihâd menée par Abdelkrim venait de sa propre
initiative, qu’il lui semblait que ce dernier ne s’opposait pas à la France, et que même
concernant l’Espagne, il ne s‘agissait pas d’une guerre nationaliste mais plutôt d’une lutte
pour préserver l’honneur et les droits de son peuple, précisant que si ses interlocuteurs
espagnols avaient été plus enclins à réviser leur position, Abdelkrim n’aurait pas fait parler la
poudre[iii].

Le cheikh eut lui-même une activité quasi politique, du moins en apparence[iv] : à titre
d’exemple, on peut noter qu’il était présent le 5 mai 1931 à la réunion fondatrice de la
fameuse « Association des Oulémas musulmans et algériens[v] », ultérieurement vecteur de
diffusion des idées « réformistes » en Algérie.

Voilà pour le début du XXe siècle. Concernant l’époque actuelle, l’influence du cheikh est
encore très notable aujourd’hui pour qui connaît un peu les quelques grandes familles soufies
présentes en France ou au Maghreb. Du point de vue de la filiation initiatique, bien des turuq
actives aujourd’hui disposent d’un lien avec lui, même si la nature de ce lien varie selon les
groupes.

Il y a tout d’abord les différentes branches de la ‘Alawiyya dans le monde entier, qui
disposent d’un lien initiatique direct : les ‘Alawîs (à ne pas confondre avec la dynastie
alaouite du Maroc ou les alaouites de Syrie) sont par définition des adeptes dont le cheikh est
l’ancêtre spirituel, par l’intermédiaire de maîtres que leur silsila permet d’identifier.

Très semblable est le cas des confréries qui ne s’appellent pas ‘Alawiyya pour des raisons
diverses mais dont le cheikh constitue le maillon unique à son époque. On trouve encore des
groupes pour lesquels le cheikh est, avec d’autres maîtres de son époque, considéré comme
une source de baraka, d’influence spirituelle. Assez différente est l’approche, en général
occidentale, qui consiste à reconnaître certes la sainteté du cheikh, à obtenir un rattachement
via l’une ou l’autre des branches de la tarîqa, mais sans que la voie propre du cheikh soit
techniquement mise en œuvre, l’inspiration doctrinale et méthodologique venant d’ailleurs.

Enfin, aussi curieux que cela puisse paraître, il existe même des confréries dont les
responsables actuels semblent vouloir occulter le lien initiatique de leurs prédécesseurs avec
le cheikh al-‘Alawî : là encore, la Rawda l-saniyya du cheikh Adda et le recueil al-Shahâ’id
wa-l-fatâwâ (publié en 1925) sont de précieuses sources d’informations.
En France, c’est bien la biographie de Martin Lings, ouvrage remarquable à bien des égards,
qui a permis de faire connaître assez largement la personne et l’œuvre du cheikh.
Malheureusement, ce travail de pionnier n’a pas été suivi d’une recherche plus approfondie
sur ses textes, dans le cadre ou en dehors du milieu universitaire[vi]. Bien peu d’ouvrages du
cheikh ont été traduits en français, plus de 70 ans après sa mort, et ce, comme nous l’avons vu
plus haut, malgré la multitude d’individus qui, d’une façon ou d’une autre, se rattachent à lui
ou s’inspirent de lui.

Certains de ses écrits n’existent même qu’à l’état de manuscrit, n’ayant jamais été édités en
arabe, et ne sont pas accessibles. Peut-être que l’arbre, c’est-à-dire une certaine image du
cheikh al-‘Alawî ou même une certaine façon de le cataloguer, nous a masqué la forêt, c’est-
à-dire son œuvre, dont l’ensemble de ses écrits, et sa station spirituelle.

« Mystique moderniste », saint dont il exhalait « quelque chose de l’ambiance archaïque et


pure des temps de Sidna Ibrahim El-Khalîl (Abraham) », « saint de type aissawî
(christique) », « représentant autorisé de l’ésotérisme islamique », soufi ayant « su adapter
tradition et modernité » : toutes ces appréciations nous renseignent parfois plus sur les
préoccupations de leurs auteurs que sur notre auteur.

Leur diversité et parfois même leur opposition présentent cependant l’intérêt de mettre en
lumière la complexité du cheikh. Pour me limiter à un seul exemple, il est certain que bien des
éléments de sa doctrine voire différents événements relatifs à sa vie personnelle peuvent à bon
droit faire penser à la figure du Christ.

Mais même l’indice principal d’une telle affinité, à savoir l’insistance sur l’amour comme
moteur et objectif de la voie, n’épuise pas la personnalité du cheikh. Il y avait inévitablement
chez les occidentaux ayant approché le cheikh al-‘Alawî et le cheikh Adda une propension
naturelle à mettre en relation avec Jésus, qui était leur référence religieuse principale,
l’humanisme et la noblesse de caractère exceptionnelle dont ils étaient les témoins directs.

Il est donc important de faire remarquer que si une spiritualité musulmane mais de type
aissawî était bien la condition de réussite d’une greffe du soufisme en Occident, on pourrait
tout aussi bien dire que ce sont les maîtres eux-mêmes qui, par leur sagesse, ont su mettre en
avant les sciences et les qualités les plus parlantes pour leurs auditeurs occidentaux. Cette
hypothèse me semble d’autant plus valable que la capacité à adapter son discours au profil de
ses auditeurs est non seulement une caractéristique générale du soufisme shâdhilî mais même
une qualité portée à sa perfection dans le cas du saint investi d’une mission de direction
spirituelle, comme le signale le cheikh lui-même, notamment lorsqu’il commente l’aphorisme
suivant de Sîdî Abû Madyan : « Il faut savoir répondre comme il convient et n’enseigner que
ce qui est incontestable. »

Bien des aspects de la vie et de l’œuvre du cheikh al-‘Alawî et du cheikh Adda confirment
cette thèse. Par ailleurs, comment expliquer qu’un saint « christique » ait pu consacrer
plusieurs livres à des questions de fiqh (et notamment Nûr al-ithmid fî sunna wad‘ al-yad ‘alâ
l-yad, Risâla l-‘alawiyya, Mabâdî l-ta’yîd fî ba‘d mâ yahtâju ilayhi l-murîd), parfois même
d’un point de vue purement exotérique ?

Concernant le cheikh Adda, chez qui la « fibre » christique semble encore plus marquée, on
ne peut cependant manquer de constater qu’une bonne partie de ses écrits relèvent de la
politique, certes au service du soufisme et de l’islam, voire même de la polémique, en dehors
de quelques textes dont son Dîwân et, précisément, ses écrits à destination du monde
occidental, écrits dont certains furent probablement « mis en forme » par un disciple français,
Abdallah Redha[vii].

Sur un autre plan, on peut rappeler que le cheikh Adda a intégré dans sa Rawda l-saniyya (pp.
162-187) une sélection d’une vingtaine de pages de quelques-uns des témoignages de
disciples ayant eu des visions ou des songes à caractère spirituel au moment où le cheikh al-
‘Alawî allait être désigné comme successeur de son maître, le cheikh Bûzîdî. Or l’intérêt de
ces visions, c’est de mettre en scène des figures fort diverses qui représentent chacune des
héritages spirituels spécifiques au sein du soufisme (Muhammad, Jésus, ‘Alî, la famille du
Prophète, Abû Madyan, les figures majeures de la Shâdhiliyya, les grands maîtres du
soufisme tels que ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî,…). On ne citera ici que quelques-unes de ces
visions, parmi les plus significatives.

Le faqîh scrupuleux, le défunt cheikh Sîdî Muhammad Ibn Hamû Ibn Jawhara a rapporté
ceci : « J’ai vu Sîdî Ahmad Ibn ‘Alîwa [i.e. le cheikh al-‘Alawî] nous faire signe de le suivre.
Je le suivis donc et il plongea dans une mer de lumière ; je lui emboîtai le pas jusqu’à ce qu’il
s’arrête auprès du Noble Tombeau. La tombe se fendit alors, le Prophète en sortit, et le cheikh
lui donna l’accolade un certain temps. Puis il me prit par la main et m’amena aux côtés du
Prophète. Je me mis à embrasser son vêtement et lorsqu’il s’assit, le cheikh me fit asseoir
devant lui. Puis il me fit signe de m’asseoir sur les genoux du Prophète. N’osant pas, je restai
en arrière, et la même scène se répéta plusieurs fois. Il entreprit alors de me mettre en
confiance et je finis par faire ce qu’il m’ordonnait. Je me mis à pleurer et à prendre la baraka
en touchant son vêtement. Puis le cheikh conclut : “Ne me désobéis plus jamais !” »

Sîdî ‘Adda Ibn ‘Ammâr al-Bû‘abdlî a raconté ceci : « J’ai vu le Maître, Sîdî Ahmad Ibn
‘Alîwa, qui m’ordonna d’entrer en retraite spirituelle. Je le fis donc, puis il vint avec le sceau
de l’Envoyé de Dieu et me marqua entre les épaules. Ensuite, il me le donna et je le pris. C’est
alors que le cheikh Sîdî ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî tenta de me le prendre de force, mais je l’en
empêchai et il ne put me l’enlever. »

Sîdî Qaddûr Ibn ‘Ashûr a raconté ceci : « Lorsque je rencontrai le cheikh Sîdî Ahmad Ibn
‘Alîwa à Tlemcen, je ne fis pas a priori la différence avec les autres fuqarâ’. Mais lorsque
nous fîmes la prière avec lui pour imam, je vis une porte s’ouvrir dans son dos et aperçus alors
la Ka‘ba. Deux jours après, je vis l’envoyé de Dieu me dire : “Si tu es vraiment mon enfant,
alors tu dois suivre cet homme, désignant de sa main bénie le cheikh Sîdî Ahmad Ibn
‘Alîwa.” »

La vision qui va suivre est très importante à divers égards. Elle a déjà été citée par M. Lings
dans son ouvrage (p. 73) mais de façon tronquée, ce qui la privait de l’essentiel de sa
signification. Sîdî Sâlih Bendimerad a dit : « J’ai vu l’Imam ‘Alî — que Dieu ennoblisse sa
face —, et il m’a dit : “Reconnais-moi bien ! Je suis ‘Alî et votre tarîqa est ‘Alawiyya !”,
comme s’il voulait, en l’appelant ‘Alawiyya, faire allusion à lui-même. »

Mais de toutes ces visions, la plus significative est celle du cheikh al-‘Alawî lui-même, la
seule qui figure dans ce recueil, dont on peut donc supposer que le cheikh lui-même y
attachait une certaine importance et qui exprime d’ailleurs les mêmes idées que la principale
poésie de son Dîwân : Bushrâkum, comme notamment la notion d’assistance (nasr) :
« Pendant mon sommeil, peu de jours avant la mort de notre Maître, Sîdî Muhammad al-
Bûzîdî, je vis quelqu’un entrer dans le lieu où j’étais assis et je me levai par respect pour lui,
saisi de crainte en sa présence.

Puis, quand je l’eus prié de s’asseoir et que je me fus assis en face de lui, il m’apparut
clairement que c’était le Prophète. Je me faisais des reproches pour ne pas l’avoir honoré
comme j’aurais dû le faire, parce qu’il ne m’était pas venu à l’esprit que c’était lui, et je
restais là, assis, ramassé sur moi-même, la tête baissée, jusqu’à ce qu’il me parlât, disant : “Ne
sais-tu pas pourquoi je suis venu vers toi ?” Je répondis : “Je ne vois pas, ô Envoyé de Dieu.”
Il dit : “Le sultan de l’Orient est mort, et toi, si Dieu veut, tu seras sultan à sa place. Qu’en
dis-tu ?” Je dis : “Si j’étais investi de cette haute dignité, qui m’aiderait et qui me suivrait ?” Il
répondit : “Je serai avec toi et c’est moi qui t’aiderai.” Puis il resta silencieux et, après un
moment, il me quitta ; je m’éveillai sur les traces de son départ et c’était comme si, tandis
qu’il s’en allait, j’avais eu le dernier aperçu de lui, les yeux ouverts et éveillé[viii]. »

Voilà pourquoi il me semble que le cas spirituel du cheikh relève en réalité de différents
héritages, ce qui explique d’ailleurs le succès de son action spirituelle aussi bien vis-à-vis de
l’Occident que dans le cadre du monde arabe.

Mais pour en revenir à mon propos de départ, cette perception parfois stéréotypée du cheikh
en milieu occidental explique peut-être paradoxalement pourquoi son œuvre a finalement peu
été étudiée pour elle-même. En termes soufis, on dirait que l’image du cheikh nous a voilés du
cheikh. En ce qui concerne les traductions de ses ouvrages en français, on ne trouvait jusqu’ici
que quelques petits traités ainsi que des extraits de son recueil de poésies spirituelles (Dîwân),
mais ses deux œuvres maîtresses restaient inaccessibles au lecteur francophone.

Ce vide est désormais partiellement comblé puisque les Mawâdd al-ghaythiyya l-nâshi’a ‘an
al-hikam al-ghawthiyya, c’est-à-dire les « substances célestes extraites des aphorismes de
sagesse de l’intercesseur divin », viennent d’être traduits simultanément en français sous le
titre : « Sagesse céleste – Traité de soufisme[ix] » et en espagnol[x]. Espérons que l’autre
livre essentiel du cheikh, les Minah al-qudusiyya, qui sont un commentaire ésotérique d’un
traité d’Ibn ‘Ashîr sur les pratiques religieuses musulmanes (cf. la remarque supra sur l’intérêt
du cheikh pour le fiqh) pourra l’être également.

Si les Minah al-qudusiyya sont réputées être l’expression de la ma‘rifa, la connaissance


spirituelle, du cheikh, les Mawâdd représentent plutôt l’expression de sa « science » du
soufisme. M. Lings a insisté à juste titre sur l’intérêt du cheikh pour les systèmes de pensée
extérieurs à la tradition musulmane, qu’il s’agisse des autres traditions, et surtout du
christianisme, ou de systèmes plutôt philosophiques. En revanche, sa profonde connaissance
de l’ensemble de la tradition soufie, telle qu’elle apparaît dans les Mawâdd, n’est pas
suffisamment mise en lumière dans sa biographie.

Mais venons-en maintenant à cet ouvrage. Il s’agit d’un commentaire systématique des Hikam
(aphorismes) d’Abû Madyan, soufí originaire de Séville et enterré à proximité de Tlemcen,
qui représente une référence fondamentale pour la doctrine shâdhili.

L’enseignement de Sîdî Abû Madyan, tel qu’il est résumé dans ses aphorismes, peut être
défini comme une synthèse originale de deux sources distinctes : le soufisme populaire de
souche berbère d’une part et, d’autre part, le soufisme doctrinal, dans ses deux versions
hispano-andalouse et orientale.
Cet enseignement est venu en quelque sorte fusionner avec celui des premiers maîtres de la
Shâdhiliyya, puis s’est transmis au sein de cette voie spirituelle et renouvelé avec chaque
maître majeur, les formes variant beaucoup selon les individus mais le fond restant le même.
On peut citer ici, parmi les principaux maîtres, pour ce qui concerne la Shâdhiliyya nord-
africaine, les noms d’Abû l-‘Abbâs al-Mursî, andalou d’origine mais également saint patron
d’Alexandrie, Ibn ‘Atâ Allâh (un égyptien dont les aphorismes ont contribué de façon
décisive à la diffusion de cette voie), Ahmad Zarrûq, ‘Abd al-Rahmân al-Majdhûb, les Fâsîs
dont surtout Abû l-Mahâsin Yûsuf, et Moulay l-‘Arabî al-Darqâwî.

Héritier de cet enseignement qui remonte, avec une étonnante continuité tout au long de sept
siècles, jusqu’à Abû Madyan, le cheikh al-‘Alawî a développé, à partir du commentaire des
Hikam, un ample traité de tasawwuf qui reprend la majeure partie des enseignements
fondamentaux du soufisme shâdhilî maghrébin, traité dont l’architecture est fournie par la
classification en 18 grands thèmes des 180 aphorismes retenus.

Un prologue permet tout d’abord au cheikh d’expliquer les raisons qui l’ont conduit à
entreprendre son commentaire puis de présenter la vie et l’œuvre d’Abû Madyan.

L’auteur entame alors un premier chapitre relatif aux vices de l’âme et aux remèdes
correspondants, consacré à montrer que la quête spirituelle est le principal objectif que doit se
fixer tout être humain, mais que c’est son propre ego (nafs), au travers de ses désirs, caprices,
passions et vaines prétentions, qui constituera pour lui le principal obstacle.

Les second et troisième chapitres traitent du thème des fréquentations : qui suit la voie doit
éviter de fréquenter les profanes mais également les innovateurs (dont, paradoxalement, ceux
qui traitent eux-mêmes les soufis d’innovateurs), c’est-à-dire ceux qui vivent en marge des
conceptions traditionnelles et risquent donc d’influer sur le disciple qui finira, s’il n’y prend
garde, par revenir à son état d’ignorance initial. Il s’agit là de mettre en pratique la parole
suivante du Prophète : « Le mauvais compagnon ressemble au forgeron : même si son feu ne
te brûle pas, tu subis tout de même la mauvaise odeur de sa forge. » Il est encore plus
nécessaire d’éviter ceux des savants dont la science se limite à l’extérieur de la Révélation.

C’est en commentant l’aphorisme : « La décadence de la masse se traduit par l’apparition de


gouvernants iniques ; celle de l’élite conduit à l’apparition d’imposteurs (dajjâl) qui détruisent
la religion de l’intérieur » que le cheikh s’en prend tout particulièrement aux mouvements
politico-religieux dits réformistes de la fin du XIXe et du début du XXe, faisant allusion au
verset (2, 11-12) : Lorsqu’on leur dit : « Ne semez pas la corruption sur terre », ils
répondent : « Nous ne sommes que des réformateurs ! » Non ! Ce sont bien eux les
corrupteurs, mais ils n’en ont même pas conscience.
C’est également dans le troisième chapitre que le cheikh détaille les différents degrés de
déviation et d’imposture que l’on rencontre au sein même du soufisme, dressant ce triste
constat : « La plupart des gens qui sont rattachés à la voie ne font que se raconter les uns aux
autres les histoires des soufis du passé. Ils disent par exemple que Sîdî Untel faisait ceci, que
tel autre était ainsi, et que les pieux anciens agissaient de telle façon.

Les récits sur la vie des justes du passé ne leur servent que de réservoirs à histoires, et il n’y a
donc rien d’étonnant à ce que la décadence du soufisme se traduise par l’apparition de faux
maîtres, que les divisions et le sectarisme aillent en augmentant, que l’objectif même de la
voie finisse par être incompris et qu’il ne reste plus de celle-ci que le nom et une forme de
réunion périodique, le fruit de la voie disparaissant et sa nature se modifiant […] Il est
vraiment triste de constater que le soufisme, qui était avant une réalité en acte que son
éminence et son élévation rendaient inaccessible aux gens à prétentions spirituelles, s’est
réduit peu à peu à de simples discours.

Aujourd’hui, on voit les gens en discuter à l’aide de termes techniques, et avec eux, il s’est
transformé en une discipline qui se transmet extérieurement ; ils en ont même fait une
“matière” que l’on peut étudier comme n’importe quelle autre. Le plus incroyable, c’est qu’ils
sont tellement experts dans la manière d’en parler que l’on finit par croire qu’ils l’ont
vraiment goûté, d’autant qu’ils savent emprunter aux soufis leur aspect et leurs manières. Du
coup, l’authentique finit tellement par se cacher au milieu des contrefaçons, qu’il semble
presque disparaître. »

Cf. Salah Khelifa, Alawisme et Madanisme, Thèse de doctorat, Lyon III, 1987, p. 282. Le
[i]
cheikh se trouve être l’un des inspirateurs de différents projets, à savoir non seulement la
Mosquée de Paris mais également l’hôpital franco-musulman et le cimetière musulman.

[ii]Salah Khelifa a publié dans sa thèse (p. 470) la copie d’une lettre manuscrite de l’Émir au
cheikh al-‘Alawî datée d’avril 1922, donc écrite après son écrasante victoire sur les Espagnols
et avant l’instauration de l’éphémère République du Rif.
[iii] Adda Bentounès, al-Rawda l-saniyya, p. 161.

[iv]En réalité, si certains saints paraissent prendre des initiatives d’ordre politique, c’est sous
l’effet d’un rayonnement spirituel qui s’impose à eux et non parce que, d’eux-mêmes, ils
souhaiteraient s’impliquer dans les affaires de ce monde.

[v] Cf. Alawisme et Madanisme, p. 279 : « Quand l’idée germa dans l’esprit de ce riche
bourgeois d’Alger d’origine kabyle, Omar Ismâ‘îl, celui-ci s’en ouvrit au rédacteur d’al-
Balâgh al-Jazâ’irî, Muhammad al-Mahdi qui, de son côté, en fit part au cheikh al-‘Alawî ; ce
dernier ayant jugé l’idée bonne y adhéra […] Les Oulémas cependant étaient inquiets sur le
sort de l’Association future ; ils craignaient qu’elle ne fut un instrument entre les mains des
cheikhs de zaouïas ; aussi, lors de l’Assemblée constitutive, s’arrangèrent-ils pour être plus
nombreux que les chefs de zaouïas ; si al-Ibrâhîmî, al-‘Amûdî, al-‘Uqbî, al-Zâhirî et al-Zwâwî
étaient présents, en revanche Ben Badis s’était absenté “pour raisons de maladie”, mais à
peine fut-il désigné président par l’Assemblée qu’il fut guéri de sa maladie. Du côté des
cheikhs, seuls trois hommes, jusque-là méconnus, négligés par les historiens, étaient présents :
Ahmad al-‘Alawî, Muhammad al-Mahdî et Adda Bentounès. Il fut clair qu’à partir de ce jour
l’Association passait aux mains des Réformistes (al-Islâhiyyûn) et non des Oulémas, et
chaque jour elle revêtit une parure nouvelle du réformisme au point qu’elle devint une
association néo-wahhabite à cent pour cent. »

[vi]Il existe bien la très intéressante thèse de S. Khelifa, mais c’est plutôt dans le domaine de
l’histoire de la tarîqa qu’elle apporte des éléments nouveaux.

[vii]Son nom français était Alphonse Izard ; sa personnalité particulière (de son passé de
communiste athée puis de musulman réformiste, jusqu’à sa rencontre avec le cheikh Adda, il
avait manifestement gardé un certain goût pour le militantisme) est peut-être en partie à
l’origine de certains malentendus sur l’action extérieure de la tarîqa du temps du cheikh
Adda. Cela dit, bien d’autres européens ayant embrassé l’islam au début du XX siècle, et non
e

des moindres, ont eu un parcours personnel assez… mouvementé et pas exactement conforme
aux standards du soufisme shâdhilî, comme par exemple Ivan Aguéli, auquel René Guénon
devait son rattachement à la Shâdhiliyya : vu d’aujourd’hui, il est certainement très difficile
de se faire une idée du contexte dans lequel ont vécu ces hommes et de comprendre les
intentions qui présidaient à leurs actes.

Traduction M. Lings. L’expression sultân al-sharq est hautement symbolique ; sultân


[viii]
signifie littéralement « autorité » et sharq désigne l’Orient, tout autant voire plutôt
symbolique que géographique.

[ix] Éditions La Caravane (diffusion Iqrafrance).

[x] Éditions Almuzara.


Le cheikh al-‘Alawî et son commentaire des
aphorismes de Sîdî Abû Madyan de
Tlemcen (partie 2/2)
par M.Chabry 31 mai 2007, 13 h 48 min

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Le chapitre IV est consacré au thème du maître spirituel et aux qualités


que doit acquérir le disciple. De façon classique, le cheikh affirme le
caractère indispensable du maître éducateur, en distinguant nettement
cette catégorie de cheikh, apte à transformer le disciple, de celle dont le
rôle se limite à la transmission de sciences formelles. Commentant
l’aphorisme : « Le véritable maître, c’est celui qui te forme par sa façon
d’être, t’éduque par son simple silence, et dont l’illumination éclaire ton
intérieur », l’auteur insiste sur le fait que c’est l’état spirituel du maître qui
rend son enseignement opératif, et non ses discours.

Son action doit uniquement consister à amener le disciple à Dieu et rien


d’autre. « Ton maître, affirme encore le cheikh, c’est celui qui t’arrache à
ton âme et te fait entrer en présence de la réalité divine, jusqu’au point
où, levant le regard, tu ne vois rien d’autre qu’Elle. Puis, il continue à
t’accompagner pour que ton éducation soit parfaite du point de vue de la
Loi… Le maître, c’est celui qui te jette dans l’extinction, à tel point que tu
deviens comme inexistant, puis qui te fait remonter au plus haut de la
station de la subsistance, comme si tu n’avais jamais cessé d’être. Le
maître, c’est celui qui s’empare de toi dans la création, et te remplace par
la Vérité.

Le maître, ce n’est pas celui qui se borne à t’appeler, mais celui qui
t’amène à Le rejoindre. Le maître est comme un père ; or, un père n’est
tel que s’il est bien la cause seconde de l’existence de son fils. » La suite
de ce chapitre est consacrée au comportement du disciple avec l’ensemble
des êtres, chacun en fonction de sa catégorie : c’est le thème bien connu
de l’adab dont un dicton nous dit qu’il est ce en quoi tient tout le
soufisme.

Le chapitre V traite de la science, c’est-à-dire la science utile (‘ilm al-


nâfi‘), celle qui permet au disciple de comprendre véritablement sa
tradition. Ce terme de science englobe donc plusieurs types de
connaissance, depuis le fiqh et l’ensemble des sciences traditionnelles
jusqu’à la science divine elle-même, en passant par la doctrine de l’unicité
(tawhîd), aussi bien l’extérieure que l’intérieure.

C’est l’occasion pour le cheikh de mettre en garde le disciple contre les


risques d’un savoir purement formel : « Le sens de tout cela, c’est que le
savoir religieux (fiqh) n’est louable que s’il est acquis pour Dieu. Voilà
pourquoi il y a très peu de véritables experts de la Loi (fuqahâ’),
conformément à la parole du Prophète : “Combien connaissent le fiqh tout
en manquant de clairvoyance (laysa bifaqîh) !” Farqad al-Sabakhî raconte
qu’il consulta une fois Hasan al-Basrî sur une disposition de la Loi ; ce
dernier lui répondit, mais Farqad lui rétorqua que sa réponse contredisait
la position dominante des experts de la Loi (fuqahâ’).

Hasan le rabroua alors, lui disant : “Sais-tu seulement ce que c’est qu’un
faqîh ? Le faqîh, c’est celui qui ne se laisse pas séduire par ce bas-monde
et désire l’autre monde ; il comprend très clairement les principes de sa
religion et se met toujours au service de Dieu ; il s’abstient
scrupuleusement de s’en prendre à l’honneur des musulmans ou à leurs
biens, les conseille sincèrement et fait porter son effort sur le service de
Dieu. S’en tenant à la tradition du Prophète, il ne rejette pas avec dédain
ceux qui lui sont supérieurs ni ne se moque de ceux qui lui sont
inférieurs ; enfin, il ne monnaie pas la science dont Dieu l’a gratifié.” »

Le chapitre VI a pour sujet le dhikr, l’« invocation » ou le « souvenir », qui


désigne au sens littéral la répétition de noms divins ou de formules
traditionnelles. En réalité, cette invocation a différents degrés : la simple
fréquentation du maître et des condisciples constitue déjà un premier
niveau d’invocation, c’est-à-dire ici de concentration : c’est le sens du
fameux hadith dans lequel celui qui se joint aux « gens du souvenir » sans
être véritablement l’un des leurs se voit pardonné comme eux, car « ils
sont le Peuple, et celui qui s’assied en leur compagnie ne peut être
malheureux. » Le cheikh cite les innombrables traditions prophétiques qui
fondent la pratique des cercles du Souvenir, dans lesquels les disciples
invoquent Dieu en commun.

L’invocation solitaire et la concentration croissante sur le nom de Dieu


représentent une autre catégorie de dhikr. Enfin, au terme de la voie,
l’invocation du ‘ârif, du connaissant, ne désigne rien d’autre que
l’extinction de la nature humaine, la contemplation de l’Invoqué et la
présence à Dieu perpétuelle.

Les chapitres suivants sont consacrés aux stations classiques du soufisme


que sont la vigilance intérieure (murâqaba), l’acceptation du destin
(taslîm) et le contentement (ridâ), la remise confiante à Dieu (tawakkul),
l’indigence spirituelle (faqr) et le renoncement (zuhd).
Avec le soufisme, il est toujours difficile de systématiser ; on peut
cependant constater que les chapitres qui viennent d’être présentés très
sommairement ont pour objet les conditions à première vue extérieures
du cheminement spirituel (la science, le maître, les fréquentations, les
pratiques,…) et le travail sur lui-même du disciple, sur lui-même c’est-à-
dire sur son âme (nafs), par l’acquisition des principales vertus et
l’abandon des vices correspondants.

C’est ici que se place une invisible frontière entre d’une part un soufisme
qui constitue somme toute un approfondissement de la religion et, d’autre
part, une voie de connaissance, une voie dont l’objet est la métaphysique,
en tant que domaine échappant aux conditions de l’existence individuelle.
En effet, l’âme est par nature individuelle ; or à partir du chapitre XII, ce
dont nous parle le cheikh, c’est de réalités intérieures de plus en plus
profondes qui sont ce qui, dans l’homme, ne relève pas du domaine
purement humain, ce qui assure le contact avec les états supérieurs de
l’être ou ce qui reste de l’être dans ces états, qu’il s’agisse de cœur (qalb),
de « secret » (sirr), de « passion » (hawâ’, lorsque ce terme est employé
en un sens positif) ou d’« aparté » (munâjâ).

Cette frontière, qu’on l’envisage extérieurement comme une distinction


entre différentes voies ou comme une limite intérieure que certaines
intelligences ne peuvent franchir, est par nature invisible, car la tradition
musulmane est une, ses symboles sont les mêmes pour tous et c’est de la
seule capacité des êtres à saisir les différents niveaux spirituels qui
l’irriguent que dépend le point de vue qui est le leur.

Voilà pourquoi si tout le monde peut comprendre les thèmes de la crainte


pieuse, du renoncement ou de la patience (quoique pas forcément de la
même façon), il n’en va pas de même des thèmes de cette seconde partie
de l’ouvrage, tels que la pureté d’intention (ikhlâs), l’amour (mahabba) ou
le tawhîd. La compréhension de ces thèmes n’étant donc en rien garantie,
l’interprétation correcte des actes, des paroles ou des états des saints l’est
encore moins.

À propos de la pureté d’intention (ikhlâs), objet du chapitre XII, le cheikh


nous dit ceci : « Il te suffit de considérer Sa Parole : Il leur avait
seulement été ordonné de consacrer toute leur religion à Dieu, d’une
façon absolument pure (98, 5). Il existe aussi à ce sujet une tradition
sanctissime (hadith qudsî) : “Je suis Celui qui a le moins besoin
d’associés. Quiconque réalise une œuvre à la fois pour Moi et pour autre
chose, Je le désapprouve.” On trouve également le verset suivant : La
religion ne doit-elle pas être purement consacrée à Dieu (39, 3) ? »

« Où est ta pureté d’intention, continue le cheikh, si tu te regardes toi-même et te


considères comme l’agent de tes œuvres, méritant d’être récompensé pour ce que tu
fais ? Pour les êtres réalisés, ce genre d’œuvre est impur quant à l’intention qui y
préside, et tu n’en réchapperas que lorsque la contemplation de la réalité divine t’aura
fait perdre conscience du domaine créé : ce n’est qu’à ce moment que ton intention sera
pure, car tes actes seront réalisés par Dieu, le serviteur n’y ayant plus aucune part.

Voilà ce que l’homme d’élite entend par “pureté d’intention”, lui qui ne se voit pas lui-
même, y compris lorsqu’il passe ses jours à jeûner et ses nuits à prier : rien de cela ne
s’imprime dans sa mémoire ; il ne s’accorde aucune importance particulière pour cela, ne
s’en croit pas responsable, ne s’imagine pas pour cela être supérieur aux autres, pas
même aux gens plongés dans la transgression. C’est la contemplation du Roi de Vérité
qui lui a fait perdre conscience des créatures.

Un tel être est tellement absent qu’il n’a même pas conscience de sa pureté d’intention,
car le pur est celui qui agit purement pour Dieu et ne se considère pas comme l’agent de
ses œuvres. S’il essayait d’atteindre la pureté d’intention ou le contraire par un effort
réfléchi, il n’en serait même pas capable : il s’agit là d’un secret divin entre le serviteur et
son Seigneur, comme le dit une tradition sanctissime : “La pureté d’intention est l’un de
Mes secrets ; Je la place dans le cœur de ceux de Mes serviteurs que J’aime.” »

Le chapitre XIII, relatif à l’amour et au désir, est certainement la partie de


l’ouvrage qui permet le mieux de percevoir l’effet de cette force
ascensionnelle qui conduit le disciple vers la réalité divine. Bien loin d’un
quelconque sentimentalisme, cet amour dont il est question ici, qui porte
sur ou vient de Dieu exclusivement (l’amour pour les êtres ayant été traité
dans les précédents chapitres), commence par une sorte de rapt (jadhba)
intérieur : « Au début de la voie, les états spirituels s’emparent des initiés
et les contrôlent, comme un homme qui imagine quelque chose contrôle
totalement le produit de son imagination. Parfois, l’état produit en eux un
tel effet qu’il les amène à quitter leur mode de vie conventionnel, qu’il
change leur tempérament, les rend affaiblis et peut même, dans certains
cas, provoquer leur mort… »

Commentant l’aphorisme : « La proximité rend heureux le Rapproché,


tandis que l’amour tourmente l’amant », le cheikh explique qu’il existe
« deux sortes d’initié : l’amant et l’aimé, ou disons le chercheur et le
cherché. L’amour tourmente l’amant, car celui-ci veut à tout prix la
proximité. Il va et vient sur les braises du désir, endolori par la passion
ardente qui le dévore, et ne se sent jamais bien, quelle que soit la
situation.

Questionné au sujet de l’amour, le cheikh ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî expliqua


que c’est lorsque le cœur est tellement troublé par l’Aimé que l’amant se
sent à l’étroit dans ce monde, tel un doigt serré par un anneau trop étroit
ou tel un homme angoissé par des funérailles. L’amour est une ivresse
dénuée de toute lucidité, un souvenir permanent qu’on ne peut effacer,
une agitation que rien ne peut calmer, une consécration totale au Bien-
Aimé, en toutes circonstances, ouvertement comme en secret, par pure
nécessité et non par choix, par instinct et non par volonté personnelle.

L’amour, c’est être aveugle à tout autre que le Bien-Aimé, par l’effet d’une
passion jalouse pour Lui, mais c’est aussi être aveugle au Bien-Aimé, par
crainte révérencielle de Lui : c’est donc une pure cécité, et les amants
sont des gens complètement ivres que seule la contemplation de l’Aimé
peut ramener à la lucidité, des malades que seule la vision de Celui qu’ils
cherchent peut guérir ; ils ne peuvent s’abstraire de leur état de
perplexité qu’en trouvant la compagnie de leur Seigneur. Ils ne peuvent
cesser de se souvenir de Lui et ne répondent qu’à Son appel. »

Pour ceux qui ont atteint le terme de la voie, l’amour, de désir (shawq) de
Lui, se mue en passion brûlante (ishtiyâq) en Lui, car l’amour sous toutes
ses formes « est un feu ; tout ce qu’il trouve sur son chemin, il le brise et
le brûle. C’est le feu de Dieu allumé qui dévore jusqu’aux entrailles (104,
6-7). » Cependant, le cheikh précise que les connaissants n’ont pas tous
les mêmes états spirituels : « Pour certains, rien ne laisse transparaître à
l’extérieur leur extinction dans l’amour. Ils donnent l’impression d’être
comme une montagne inamovible que les vents ne sauraient secouer ;
aucune coupe ne semble pouvoir leur tourner la tête, et chaque fois que
leur ivresse spirituelle augmente, ils semblent encore plus lucides. »

À son apogée, l’amour divin se transforme en conversation intime ou


aparté (munâjâ). Commentant l’aphorisme : « Qui a goûté à la douceur de
l’aparté ne peut plus dormir », le cheikh nous dit que « le sommeil est
sans aucun doute une nécessité pour le corps physique, et [qu’]il est
impossible de s’en passer. On peut cependant le réduire au minimum par
la discipline spirituelle, surtout si l’aspirant a goûté à la douceur de
l’aparté.

Ce que dit ici l’auteur [Abû Madyan] se réfère à l’esprit qui, lui, échappe
effectivement au sommeil, de même qu’il n’est pas soumis à la condition
temporelle. Il n’est en effet généralement pas soumis au sommeil ni à la
distraction illusoire, surtout après s’être purifié et extrait du monde
grossier pour entrer dans le domaine supra-formel, et tout
particulièrement dans la Présence de l’Unité absolue (hadra l-ahadiyya),
monde de secrets en lequel ne subsiste aucune dépendance à l’égard des
traces phénoménales. Nul doute qu’il entendra alors le discours du Vrai,
comme on l’a dit :

Mon esprit s’est hissé au niveau des cimes les plus élevées ;

Le Vrai lui a parlé en aparté, après qu’il ait entendu Son appel,

Un appel dénué de sonorité, absolument indescriptible, auquel

Il a répondu ; le Bien-Aimé, dans toute Sa splendeur, S’est manifesté. »

L’amour et la connaissance ne représentent en fait que les deux faces


d’une même réalité ; c’est ce qui explique que le chapitre suivant traite de
« la manifestation de l’Unicité divine (dhuhûr al-tawhîd) et de la
disparition des limitations de l’existence conditionnée (ibtâl al-taqyîd) »,
c’est-à-dire du sens ésotérique du tawhîd, notion centrale de l’islam. Ce
chapitre XIV des Mawâdd est tout aussi essentiel que le précédent, mais
sa « saveur » est d’un autre ordre. Pour en donner un aperçu, il suffit d’en
citer le premier aphorisme : « Lorsque la réalité divine se manifeste, il ne
reste rien d’autre », et le début du commentaire correspondant : « La
réalité divine (al-Haqq), c’est Dieu (Allâh), qui “ne coexiste avec rien”.

Lorsqu’Il Se manifeste au connaissant, en Son Essence et par l’ensemble


de Ses attributs, d’une manifestation qui implique anéantissement et
disparition, ce dernier ne voit plus que Lui. Mais lorsque son Seigneur Se
manifesta à la montagne, Il la mit en miettes et Moïse tomba foudroyé (7,
143). Voilà pourquoi l’on dit que “ lorsque le principiel et le contingent se
rencontrent, celui-ci disparaît tandis que celui-là demeure.” Nous lançons
contre l’illusion la réalité, qui l’écrase, et voilà que l’illusion disparaît (21,
18). Il arrive que Dieu Se manifeste au connaissant d’une façon ineffable,
seulement compréhensible intérieurement, et c’est alors que se produisent
l’extinction, l’anéantissement et la disparition. C’est ce que les soufis
appellent la pulvérisation (sahq) et l’annihilation (mahq). Quelqu’un a dit :

Ma montagne est devenue poussière,

Par crainte révérencielle de Celui qui S’y est manifesté.

Est apparu alors un secret bien caché,

Que seul peut comprendre un être qui m’est similaire.

Un autre a écrit ces vers :

Tu T’es manifesté en tout bien clairement,

Et pourtant rien de plus invisible que Toi.


En toute chose, je Te vois, vraiment !

Sans doute ni discussion, quant à moi.

Rien ne peut coexister avec la réalité divine, car tout le reste n’est qu’une
pure illusion dénuée d’être. Pour les connaissants, l’altérité est semblable
au Phénix, dont on a entendu parler mais qu’on n’a jamais vu. Voilà
pourquoi un soufi disait : “Si on m’imposait de voir autre chose que Dieu,
je ne le pourrais pas.” “S’il doit y avoir quelque chose, ce n’est qu’une
sorte de poussière dans l’atmosphère, et si tu y regardes de plus près, tu
verras qu’il n’y a rien.” »

Les derniers chapitres sont consacrés aux états, paroles et actes du ‘ârif,
du connaissant, une fois qu’il a obtenu l’extinction (fanâ’). L’ouvrage se
termine par un chapitre sur l’anonymat (khumûl), notion qui est
l’équivalent, en climat maghrébin, de la « voie du blâme » du soufisme
oriental. Commençant par évoquer le cas d’Uways al-Qaranî, personnage
contemporain du Prophète ne l’ayant jamais rencontré, qui est l’archétype
du saint vivant dans l’anonymat le plus complet, le cheikh explique ainsi
l’importance de cette station : « L’amour exclusif du connaissant pour
Celui qui est l’objet de sa connaissance consiste à ne rien connaître
d’autre que Lui ; c’est-à-dire qu’il n’attribue ni existence ni absence
d’existence à l’altérité, et a fortiori ne la contemple pas.

Il ne connaît personne d’autre que Dieu, conformément à l’aphorisme déjà


cité de l’auteur : “Qui connaît l’individuel ne connaît pas l’Un.” Voilà une
partie de ce qu’est l’amour exclusif. L’autre partie consiste à ne pas
connaître ni être connu, c’est-à-dire reconnu par personne comme étant
un connaissant : c’est cela l’amour exclusif pour l’objet de ta
connaissance, car une fois que d’autres connaissent ce dont tu disposes,
tu es obligé de les “connaître” et de t’associer à eux, et ton amour ne peut
donc être exclusif. Si tu étais vraiment fortement jaloux, tu aurais fait
comme Uways al-Qaranî, dont tu sais bien qu’il s’est caché et dissimulé,
poussé par l’exclusivité de son amour pour le Bien-Aimé. Voilà en quoi
consiste l’amour exclusif, tant que le connaissant n’a pas reçu l’ordre de
se manifester.

Habité par sa passion, tu me verras porter les deux couleurs,

Veillant jalousement à ce que nul œil ne la voit.

En effet, il se peut qu’en te manifestant, les gens sachent que tu es un


connaissant, et que la sincérité de ta servitude en soit altérée. Dans ses
Aphorismes, Ibn ‘Atâ’ Allâh dit : “Ton désir de voir les créatures
reconnaître ton élection est une preuve du manque d’authenticité de la
servitude que tu revendiques.”

Bref, l’amour exclusif pour le Bien-Aimé exige l’isolement avec Lui et l’absence de désir
vis-à-vis du reste. L’histoire des soufis montre bien qu’ils gardaient l’anonymat pour que
personne n’ait connaissance de leur élection. On a même dit : “Il arrive que le
connaissant fasse l’ignorant lorsqu’il se trouve au milieu des ignorants, afin de ne pas
être identifié ; et lorsqu’on le questionne, il ne répond rien du fait de l’élévation de sa
station et de la noblesse de son rang.” »

« Mon frère, ajoute-t-il plus loin, si tu cherches le secret de Dieu et


souhaite l’obtenir de ses détenteurs, tu le trouveras probablement plutôt
auprès de gens dont personne ne fait grand cas et qui sont totalement
négligés du commun des croyants. Ceux-là disposent du secret de Dieu, et
les trésors sont toujours cachés[1]. Imagine que tu veuilles enterrer ton
argent ; l’enterrerais-tu là où passent les gens ou au milieu d’un souk ?
Certainement pas ! Tu chercherais l’endroit le plus reculé et auquel
personne ne songerait jamais. Tu comprends maintenant Sa Parole : Celui
que Nous comblons intérieurement de grâce, Nous le rabaissons quant à
sa condition d’être créé (36, 68). »

Pour conclure, disons qu’au-delà de l’enchaînement des thèmes classiques


du soufisme, le véritable intérêt de ce traité, c’est qu’il représente une
tentative réussie d’actualisation et de rénovation de la science du
tasawwuf. « À chaque époque, la réalité divine inspire aux savants les
propos les plus appropriés pour leurs contemporains » dit un aphorisme
d’Abû Madyan. Pour le cheikh al-‘Alawî, il s’agit là d’une conséquence
directe du fameux hadith : « Les savants de ma communauté sont les
héritiers des prophètes. » Cette actualisation constante de la Révélation
est due au fait que, le Coran étant l’ultime message divin, une nouvelle
révélation qui lui soit exogène est impossible, comme cela s’entend des
Livres révélés aux prophètes antérieurs.

« Sache, nous dit le cheikh, que les savants de la communauté (‘ulamâ’


al-umma) ont pour rôle d’extraire les vérités du Coran, un peu à la façon
dont les chimistes procèdent avec les minéraux, s’agissant de leur
propriétés physiques […] On peut voir que la terre, qui est bien antérieure
à la création de l’homme, contient de nombreux minéraux.

Les scientifiques n’ont pourtant découvert les ressources du sous-sol que


petit à petit, et ils ne découvrent en fait que ce qui doit apparaître et ce
dont a besoin chaque époque […] Vois comme on extraie chaque jour de
la terre quelque chose qu’on ne pouvait extraire la veille, alors même que
tout ce qui s’y trouve fut créé en même temps […] Sache que la terre doit
faire sortir ce qu’elle contient et épuiser jusqu’au bout les trésors et
matières précieuses qu’elle renferme, en fonction des nécessités de
chaque époque, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de la terre pure. Ce sera
alors le signe qu’elle a atteint le terme de son existence, de même que ses
habitants. Quand la terre sera nivelée, qu’elle rejettera son contenu,
qu’elle se videra, qu’elle écoutera son Seigneur et fera ce qu’elle doit (Cor.
84, 3-5)… »

Cette approche rénovatrice, on peut voir que le cheikh la considère


comme un aspect essentiel de la tradition, qui se voit ainsi adaptée en
permanence aux circonstances de temps et de lieu par le biais des maîtres
majeurs. Le saint investi de cette fonction trouve dans les significations du
Livre sacré ce qui convient à son époque et en extraie ce qui, jusque-là,
était resté secret. Selon le cheikh, les connaissances (‘ulûm) d’un tel saint
procèdent exclusivement de Dieu, et il précise que si la Révélation (wahy)
est évidemment close du point de vue législatif (min haythu l-ahkâm), elle
ne l’est pas du point de vue de la connaissance inspirée (ilhâm), qui est le
lien direct (râbita) qui rattache le ‘ârif à la Présence divine.

La citation ci-dessus illustre très bien en quoi est nécessaire, selon le


cheikh, cette fonction d’interprétation et d’actualisation de la Révélation,
qui est une vérité immuable et dynamique à la fois. Or, cette fonction, le
cheikh al-‘Alawî eut lui-même clairement conscience de l’assumer, tout
comme Abû Madyan avant lui, et c’est pourquoi il était particulièrement
important de traduire ses Mawâdd al-ghaythiyya l-nâshi’a ‘an al-hikam al-
ghawthiyya. Écrit alors qu’il allait sur ses quarante ans, l’âge de la
maturité, et finalisé en 1910, ce traité sur la nature, la méthode et le but
du soufisme, au-delà d’emprunts aux autorités classiques du soufisme
quant à la manière d’exprimer les réalités spirituelles, met surtout en
évidence l’exceptionnel niveau de maîtrise spirituelle de son auteur.

Cette traduction permettra à chacun de découvrir ou redécouvrir


l’enseignement et la voie spirituelle du cheikh al-‘Alawî.

À une époque où la partie la plus visible du soufisme confrérique semble


de moins en moins intéressée par la notion de « réalisation spirituelle »,
au profit de toutes sortes d’activités extérieures, ce traité contemporain
nous montre que ce que le cheikh Darqâwî appelait la pure voie shâdhilie
existe toujours et continue de guider ceux qui considèrent qu’il n’y a rien
de plus important que de connaître Dieu et se connaître soi-même.

[1]Même un saint reconnu n’est pas nécessairement « connu ». Alors même qu’il était le chef
spirituel de dizaines de milliers de disciples, le cheikh Adda disait : « Je l’ai mise (bien en
évidence) sur ma tête et personne n’est venu la chercher. »
Cheikh al-’Alâwî

C’est à Tijditt, faubourg de Mostaganem en 1869 que naquit Ahmed ben ‘Aliwa, plus connu
sous le nom d’al-‘Alawi, il avait deux sœurs, sa mère Fatima était une femme pieuse, son père
Mustapha par fierté ne laissait lire ou deviner sur ses traits les moindres séquelles du besoins
dans lesquelles se débattait sa famille. N’ayant jamais envoyé son fils unique au Kûttab (ne
fut-ce qu’un seul jour), il s’occupa lui-même de son instruction, à la maison, il lui apprit à lire
et surtout le Coran jusqu’à la Sourate ar-Rahman.

Mais le père mourut en 1886, alors que son fils consommait ses dix septième années. La
nécessité se fit plus urgente au sein de l’humble famille, le jeune Ahmed vibrant de tout son
être au malheur des siens, dut remplacer le père disparu et exercer divers métiers, ce fut
surtout celui de cordonnier qu’il maîtrisa le mieux et qu’il lui permit d’assurer une certaine
aisance matérielle.

Plusieurs années durant, la maroquinerie l’occupa, puis il s’adonna au commerce, déjà une
soif ardente de connaissances spirituelles s’était irrésistiblement emparé de lui. Elle était loin
d’être assouvie, en raison de ses occupations profanes;

« Si je n’avais eu un certain don et une certaine intelligence native, je n’aurai probablement


rien appris qui vaille la peine d’en parler… ».
Il se rattrapait surtout la nuit, aidé en cela par quelques Cheikhs qu’il invitait chez lui,
s’adonnant à l’étude avec frénésie, il dévorait livre sur livre et cela l’absorbait des nuits
entières, à tel enseigne que son épouse en prit ombrage et finit par demander le divorce,
trouvant qu’il n’accomplissait pas ses devoirs conjugaux; « elle avait en vérité, quelques
raison de se plaindre de moi… ».

Cette assiduité aux enseignements (sous les chapelets) des Cheikhs de fortune, permit au
jeune Ahmed de cultiver une certaine ascèse mentale, d’appréhender quelques subtilités de
doctrine et d’élargir progressivement les horizons de ses connaissances, d’autant plus
facilement qu’il était porté sur la science des soufis (‘ilm al-Qawm), à qui désormais il ne
faussa presque plus compagnie.

La nécessité de travailler de jour ne faisait que rendre cette soif de connaissances encore plus
lancinante, c’était donc de nuit que, quittant son logis, il allait assistait aux enseignements et
participer aux séances de remémorations (Dhikr), sa mère se tourmentait d’autant plus pour
lui, que la maison familiale, située hors de la ville, était isolée et périlleux le chemin, aussi se
dressait-elle contre son fils, employant tous les moyens pour le détourner, mais en vain.

Le ‘Issawi virtuose et inspiré (1886 – 1894)

De 1886 à 1894, il fut incontestablement marqué par la confrérie ‘Issawi, dont l’un des
Maîtres, par sa pureté, sa droiture, sa piété sans équivoque, l’avait conquit. S’étant
scrupuleusement conformé aux préceptes de la confrérie en question, il acquit très vite une
telle adresse dans l’accomplissement des pratiques ‘Issawi, que tous ses confrères en
devinrent à l’admirer, une auréole de prestige l’enveloppait, il acquit la réputation d’un
‘Issawi accompli, capable d’exécuter sans défaillir tous les actes prodigieux dont s’en
orgueillisaient les membres de la confrérie, « dans mon ignorance, je pensais que les
prouesses, les exhibitions, les prodiges (qu’on cherchait à accomplir), était réellement des
modes de me rapprocher d’Allah. »

Ayant vu un jour, une feuille de papier accrochée à mur, il lu une formule qui y était
imprimée et qu’on attribuait au prophète, il ne lui en fallut pas d’avantage pour le détourner
des pratiques (hétérodoxes), se contentant désormais de s’adonner au prières libres, aux
invocations et aux litanies. Non seulement il se retira de la confrérie, mais il en arriva à
pouvoir provoquer la défection des frères et à détourner même toute la confrérie, peine
perdue. Il rompit donc, de ces contacts, il ne réussit pas encore à désapprendre la pratique de
charmer les serpents et les vipères, seul ou en présence de quelques amis.

Le premier tournant, ou la connaissance du Cheikh Mohammed al-Bûzaydi (1894)

Désorienté, parce que désormais sans guide spirituel, Ahmed al-‘Alawi s’en était ouvert à son
ami et associé en matière de commerce, Ben sliman ibn ‘awda, celui-ci lui parla longuement
et avec une emphase sincère d’un certain Cheikh, homme pieux, rentré du Maroc, Hammû al
Cheikh al-Bûzaydi. Celui-ci vivait certes effacé, mais sa droiture d’âme, ses vastes
connaissances sur le plan soufique, sa douceur malgré les adversités, tout semblait le désigner
comme seul guide spirituel valable dans Mostaganem, c’est du moins ce que pensait Ben
sliman ibn ‘awda, l’ami de Ahmed al-‘Alawi.

Ces propos laissèrent un profond échos chez ce dernier avide d’idéal spirituel, aussi décida-il
de faire sa connaissance. Le destin s’en chargea, quelques temps après l’arrêt de cette
décision, alors que les deux amis et associés étaient dans leurs boutique, voilà que Hammû
Cheikh al-Bûzaydi passait, Ben sliman ibn ‘awda s’avança vers lui, l’invita à entrer dans la
boutique et à s’asseoir, le Cheikh ayant accepté l’invitation, ils s’entretinrent un moment,
tandis qu’al-‘Alawi était absorbé par son travail.

Al Cheikh al-Bûzaydi, ayant manifesté le désir de prendre congé, fut prié de retourner auprès
des deux amis et de ne plus interrompre ses visites. « Ses propos sont d’une teneur plus
élevées que ce qu’on lit dans les livres », fit remarquer Ben sliman ibn ‘awda.

Le Cheikh revint voir les deux amis assez fréquemment, il avait tout naturellement fini par
savoir qu’Ahmed al-‘Alawi était passé maître dans l’art de charmer les serpents. « Peux-tu
m’apporter une vipère et la charmer ici devant nous ? » lui demanda al-Bûzaydi. Hors des
murs de la ville, le jeune charmeur, n’en ayant trouvé qu’une assez petite, longue seulement
d’un demi bras, la rapporta et se mit à la charmer, comme il l’avait apprit au contact des
‘Issawi.

« Mais peux-tu en charmer une autre plus grande que celle-ci ? » demanda le Cheikh, « elles
sont toutes pareilles pour moi » répondit al-‘Alawi, « eh bien! Je vais t’en montrer une plus
grande, plus dangereuse, si tu arrive à la dompter, alors tu seras vraiment un sage! », « mais
ou donc est-elle ? » demanda al-‘Alawi, « c’est ton âme (nafsûk) logée entre tes côtes, son
venin est plus puissant que celui de la vipère, tu seras réellement un sage, si tu peux faire
d’elle ce que tu fais de la gent vipérine…ne répète plus ces expériences… ».

L’âme pouvait-elle être plus mortelle que le venin d’une vipère ? Cette question de l’âme
venimeuse obsédait le jeune homme, très vite, le Cheikh décela chez lui les qualités requises
non seulement pour recevoir l’enseignement, mais aussi le diffuser à grande échelle, et il
n’hésita pas à lui promettre un rang spirituel très élevé, « s’il vivait assez longtemps et si
Allah le voulait ». Peu de temps après, Ahmed al-‘Alawi ayant prit le Cheikh al-Bûzaydi pour
guide spirituel, fut affilié à la confrérie Darqawi.

La reprise de l’éducation spirituelle sous le chapelet Darqawi du Cheikh Mohammed al-


Bûzaydi (1994 – 1909).

Deux mois auparavant, Ben sliman ibn ‘awda était déjà reçu dans la confrérie, il n’en souffla
pas un mot à son ami, lequel n’apprit la chose qu’après avoir été initié à son tour. Le Cheikh
al-Bûzaydi lui révéla alors les types de litanies (al-Awrad) propres à la Darqawiya et lui
recommanda de les réciter après la prière du matin et après celle du soir.

Une semaine s’écoula et voilà que le Cheikh s’entretint avec son disciple du Nom Suprême
(Al Ism Al ‘Azam) et de la manière dont il fallait le prononcer, le cultiver, il lui ordonna, à
cette fin, de s’y consacrer, mais faute de retraite spirituelle (khalwa), il était malaisé au
disciple de pratique l’invocation du Nom Suprême, il chercha vainement un local ou il put
s’adonner à cette initiation spéciale, il s’en plaignit à son Cheikh qui jugeât que le meilleur
endroit pour s’isoler était assurément le cimetière. Mais dans la cité funéraire inquiétante le
disciple malgré toute sa bonne volonté, ne put pratiquer son (Dhikr khass), s’en étant de
nouveau ouvert au Maître, celui-ci lui fit remarquer qu’il ne l’avait aucunement obligé à se
rendre au cimetière de nuit, comme il avait tenté de le faire, il lui ordonna de se contenter,
pour le Dhikr, du dernier tiers de la nuit.
« Ainsi je pus pratiquer le Dhikr de nuit et rencontrer mon Maître de jour, tantôt chez moi,
tantôt chez lui…parallèlement, je continuais à assister à des cours de sciences religieuses qui
se donnaient au milieu de la journée et que j’avais déjà suivi auparavant…un jour, il
m’interrogea pour connaître la nature des cours auxquels je tenais beaucoup…je lui appris
qu’ils portaient sur l’unicité (at-Tawhid). « Sidi un tel , dit-il, avait baptisé ces cours (at-
Tawhil) l’enlisement… le mieux pour toi, poursuivit-il, serait que tu te préoccupes maintenant
de la purification de ton for interne (batinika) jusqu’à ce qu’il soit irradié de la lumière de ton
seigneur, c’est alors seulement que tu connaîtras le sens de l’unicité…

Quant à la théologie (‘ilmou-l-kalam), seuls en profiteraient en vérité, les doutes et illusions


accumulées…tu ferais mieux d’interrompre provisoirement ces cours, jusqu’à ce que tu
finisses avec ton initiation du moment, car c’est un devoir que de privilégier l’important par
rapport aux choses secondaires »…il m’était très pénible de me dispenser de ces
enseignements, j’en fus très attristé, mais ma tristesse se dissipa aussitôt que j’eus troqué mes
heures de lectures contre le Dhikr, d’autant plus que les résultats de celui-ci ne tardèrent pas à
se manifester… »

Durant cette période d’approfondissement de son expérience soufique, Ahmed al-‘Alawi, sous
l’emprise de puissantes charges spirituelles, « pour endiguer les offensives de ce courant »,
écrivit (al-Minah al-qûddûssiya) et (Miftah ach-chûhûd fi madhahir al-wûjûd).

Quand il fut libéré du devoir de s’absorber dans le Nom Suprême, le Cheikh al-Bûzaydi lui
permit de guider les hommes vers la voie Darqawiya. Effrayé, Ahmed al-‘Alawi demanda au
Maître : « mais, m’écouteront-ils ? » il lui répondit : « tu seras semblable à un lion, pour peu
que tu mettes la main sur quelques chose, tu le maîtriseras et il sera entièrement à toi » « et il
en fut ainsi toute les fois que je parlais avec quelqu’un et que je décidais de le guider vers la
voie, je le trouvais docile, obéissant, malléable…de sorte que la confrérie étendit son
audience, louange à Allah… ».

Il est très vraisemblable qu’Ahmed al-‘Alawi ne resta pas longtemps effacé, nous pensons en
effet qu’en moins d’une année, il s’attira la confiance totale de son Maître, en raison de son
aptitude foncière à appréhender les subtilités du soufisme, de la sincérité de ses sentiments, de
la solidité de sa foi, de sa réalisation spirituelle précoce « tahaqqaqa ».

Il ne serait donc pas étonnant de le voir désigner comme Mûqaddam (délégué) du Cheikh al-
Bûzaydi à l’age de 25 ans (1894). Ce qui nous confirme dans cette idée, c’est cette phrase du
même fragment autobiographique, citée juste après qu’il eut parlé de sa réalisation spirituelle.
« Puis je suis resté 15 ans en sa compagnie, faisant tout ce qui était en mon pouvoir, afin que
la voie Darqawiya triomphât… ».

La boutique des deux amis revêtait plus le cachet d’une zawiya que celui d’un lieu de
commerce, de nuit le Cheikh al-Bûzaydi prodiguait des enseignements aux disciples qui
affluaient de plus en plus nombreux. De jour, on s’y adonnait au dhikr, « durant cette période,
je négligeais mes intérêts tant et si bien que, n’eût été mon frère sidi Ben sliman ibn ‘awda,
qui en avait prit grand soin, j’eusse à coup sûr fais faillite, le contraire se produisit et notre
capital ne diminua guère… ».

La vacance de la maîtrise spirituelle et le choix du successeur (10/1909)


Le Cheikh al-Bûzaydi n’avait jamais désigné expressément quelqu’un pour lui succéder à la
tête de la confrérie, à l’un de ses disciples assez infatué de lui-même, qui s’imaginait être
qualifié pour guider les frères, après le Maître, celui-ci avait dit (car la question avait été plus
d’une fois évoquée par le présomptueux) qu’il été pareil à quelqu’un qui habitait une maison,
avec la permission du propriétaire, que c’était à lui donc qu’il se devait d’en remettre les clefs,
une fois qu’il se verrait appeler à quitter la demeure et que lui seul été habilité à les remettre à
qui il voulait… ».

Les Fûqaras ne savaient plus à quel saint se vouer, pour résorber le désarroi dans lequel les
avait jeté la disparition du Maître. Certes un très grand nombre d’entre eux, étaient tous
disposés à prêter serment d’allégeance à Ahmed al-‘Alawi du fait qu’il avait remplacé son
Cheikh de son vivant jusqu’à encadrer des disciples au terme de leur réalisation spirituelle, il
avait été donc plus qu’un Mûqaddam ordinaire, mais on le savait décidé à émigrer au Proche
orient (la France préparait la conquête du Maroc, pour échapper à la conscription éventuelle,
beaucoup d’Algériens pieux préférèrent émigrer au Mashriq, c’était l’exode de Tlemcen ou
les émigrants de la foi, Mohammed ben Yelles et Mohammed al-Hashemi en faisaient partie).

Les divergences d’opinions étaient trop prononcées pour que l’assemblée des Fûqaras prenne
une décision quant au successeur éventuel de leur Cheikh. Enfin, sur l’avis du Mûqaddam
Ben sliman ibn ‘awda, les délibérations furent reportées à la semaine suivante, dans l’espoir
évident que des visions viendraient, entre-temps, guider les frères dans le choix du nouveau
Mûrshid (guide).

Mais voilà que, bien avant le délai fixé, de nombreuses visions se produisirent, qui ne
laissèrent plus aucun doute sur la personne qui devrait présider à la destinée de la confrérie,
notées à chaud, ces visions indiquaient clairement que la fonction du Maître devrait être
dévolue à Ahmed al-‘Alawi. (Lui même avait vu avant la mort de son Maître quelques jours
avant, le Prophète « pssl », lui annoncer qu’il serait le succésseur du Roi de l’Orient « Sultan
al-Machriq » et qu’il serait son principal soutiens).

Plus que jamais, Ahmed al-Alawi s’était mit en tête de partir pour le Mashriq, il avait déjà
liquidé presque tous ses biens, meubles et hypothéqué ceux qu’il n’avait pu vendre, à charge
pour ses amis de les liquider à son absence.

Certains frères le supplièrent de les prendre en charge, au moins pendant qu’il attendait que
l’administration lui délivrât l’autorisation de voyager, leur dessein était de faire en sorte qu’il
fût détourné de ce voyage, son ami Ahmed ibn Thûraya, pour parvenir à cette fin, usa d’un
stratagème ; il lui proposa de le marier à sa fille sans condition aucune ; ce qu’il accepta.

Entre-temps, les Fûqaras résolurent de tenir une assemblée générale, dans la zawiya du Maître
défunt. Tous firent serment d’allégeance à Ahmed al-‘Alawi, les membres de la confrérie
Darqawiya, qui habitaient hors de Mostaganem, ne tardèrent pas à affluer par petits groupes
pour témoigner au nouveau Maître leur rattachement et le reconnaître comme tel.

« J’avais interprété cette union spontanée des Fûqara autour de ma personne comme un
prodige (Karama), car je n’avais aucun moyen extérieur de soumettre à mon influence des
hommes si différents, c’était leurs conviction absolue de ma conformité aux enseignements du
maître qui les détermina à venir à moi…seuls deux ou trois ne vinrent pas… », il agréa leur
serment d’allégeance.
L’émigration, ou la veine recherche d’une seconde patrie (mi-novembre / fin décembre
1909)

Le désir d’émigrer était tenace, il le tenaillait bien avant la mort du Cheikh Mohammed al-
Bûzaydi, l’Orient l’attirait, d’autant que « je voyais la patrie sombrer dans la corruption
morale, un groupe de mes amis avaient également l’intention d’émigrer… ».

Ses deux cousins, Abdalqadir et Mohammed ibn ‘Aliwa étaient déjà partis pour Tripoli,
quelques semaines avant le décès du Cheikh Mohammed al-Bûzaydi. Quant à lui, il était
perplexe, tiraillé entre la nécessité de partir et le devoir de guider dans le dhikr. L’hésitation
ne dura pas longtemps, visiter le siège du Khalifat Ottoman était trop impérieux pour qu’il y
opposât quelque résistance que ce fût.

Accompagné d’un disciple, Mohammed ibn Qasim al-Badissi, il rendit des visites à des
Fûqaras de Relizane ou son séjour ne dura guère plus de deux jours, puis les deux
compagnons se dirigèrent vers Alger dans l’intention de faire imprimer (al-Minah al-
qûdûssiya), mais aucun éditeur Algérois n’étant disposer à imprimer le manuscrit, ils
poussèrent jusqu’à Tunis. « Nous avions loué un logement et je pris le parti de ne le quitter
que lorsque viendrait chez nous l’une des personnes pratiquant la remémoration ou le (dhikr)
(ahad mina ad-dakirin) avec laquelle nous pourrions sortir, cette décision s’expliquait par la
vision que j’avais eue, un groupe de frères venaient chez nous et me conduisirent à leur lieu
de réunion… ».

Alors que son compagnon allait faire diverses courses, Ahmed al-‘Alawi restait à réviser son
manuscrit, cela dura quatre jours, puis « vint ce même groupe de frères que j’avais vus dans
ma vision, ils étaient les disciples du Cheikh sidi Sadiq as-Sahrawi (sa lignée spirituelle
remonte par Mohammed Zafir, le père de ce dernier Mohammed al-Madani, jusqu’à al-‘Arbi
ad-Darqawi) décédé seulement quelques mois auparavant».

Les Fûqaras Madani insistèrent auprès des deux compagnons tant et si bien qu’ils finirent par
les accompagner, ils les logèrent chez l’un d’entre eux, leurs visites « pleines d’amour
fraternel » et de courtoisie étaient fréquentes. Celles de jurisconsultes (fûqahas), de
spécialistes de hadith (mûhadithûns), ne l’étaient pas moins, « sidi al-Akhdar ibn Hassin, sidi
‘Abdarrahman al-Bannani…le grand professeur sidi Salih khalifa al-Qûssaybi de (qûssaybat
al-madiyûni)… ».

Enfin plusieurs groupes d’étudiants de la Zaytûna ne se faisaient pas faute d’accompagner


leurs professeurs ou de venir séparément discuter avec « celui qu’on disait très versé dans la
science des sûfis (‘ilm al-Qawm), certains parmi eux (le jeune Mohammed ibn Khalifa al-
Madani était justement parmi ces groupes d’étudiants) lui proposèrent de les entretenir du ( al-
Mûrshid al-mû’iin ). « Mes propos les conquirent et certains étudiant commencèrent à
s’affilier à la confrérie ».

Après avoir mit au point les modalités d’édition de (al-Minah al-qûddûssiya), Ahmed al-
‘Alawi décida d’aller trouver ses cousins à Tripoli. Il projetait d’aller visiter la maison sacrée
d’Allah et la noble tombe du prophète. Mais une lettre de Mostaganem le prévint que cette
année là, le pèlerinage (qui coïncidait avec le 22 décembre 1909), était interdit par les
autorités françaises et que toutes infractions était sanctionnée par une forte pénalité
pécuniaire, sans doute y avait-il eu épidémie, comme il s’en déclarait souvent dans des
rassemblement pareils et l’administration coloniale voulait-elle en limitait la propagation.
Toujours est-il qu’Ahmed al-‘Alawi s’embarqua pour Tripoli, sachant qu’il n’irait pas au
hauts lieux de l’Islam. « Quant au pays (la Libye échappait encore à la domination étrangère),
il me sembla, autant que je pouvais m’en rendre compte, un bon endroit pour immigrer,
puisque la population était aussi semblable que possible à celle de notre pays, tant par la
langue que par les mœurs. ».

Au bout de la troisième journée passée à Tripoli, il s’embarqua pour Istanbûl. Mais là, il fut
amèrement déçu par les grands bouleversements qui secouaient le Khalifat. Il retourna
aussitôt en Algérie… « En vérité, je n’eus l’âme en paix que le jour où je mis le pied sur le sol
Algérien. ».

Le retour au bercail ; les premières difficultés du nouveau Cheikh Darqawi (1909 / 1914)

Depuis Mostaganem, al-‘Alawi résolu de combattre pour sa foi, mais il était démuni, ayan,t
vendu presque ses biens pour payer son voyage, et le peu qu’il lui en restait, il le dépensait
dans la propagation de la voie Darqawiya, car il avait résolu de ne pas se ménager pour faire
triompher le parti d’Allah. Il se rebiffa contre certaines pratiques qui constituaient pour ses
disciples à vouloir seulement se réunir, chaque jeudi, autour de la tombe du Cheikh al-
Bûzaydi, brûlant du parfum, récitant des prières en chantant.

Les semaines passaient semblables les unes aux autres. N’y tenant plus, Ah. Al-‘Alawi assura
que ces réunion ressemblaient à celles que tenaient les vielles femmes. « Je ne crois pas que
sidi Hammû Cheikh al-Bûzaydi nous ait donné de sa science pour que nous restions à le
remplacer. Au contraire, il nous a laissés comme les rejetons d’un vieil arbre ; l’arbre a fini
son temps, mais les rejetons sont la pour donner leurs fruits. Et si les fruits ne se vendent pas
au pied de l’arbre, on doit aller les porter au marché…nous devons faire connaître ce que nous
avons et non pas le tenir caché, car c’est utile à nos frères, les hommes »

Se dépensant dans une activité prosélytique débordante, il finit par dépenser le reliquat de ses
biens meubles, aux disciples, il ne demandait jamais rien, « car, je ne me suis jamais senti à
l’aise pour demander de l’argent ».

Ces difficultés pécuniaires passèrent le cap critique. Ahmed al-‘Alawi dut hypothéquer sa
maison, la seule solution qui lui restait était donc la mise en gages du seul bien immeuble qui
lui resta. En réalité, la charge assez lourde des disciples dont le nombre croissait rapidement,
l’avait empêcher de résorber ses dettes. Par ailleurs, certains Cheikhs Mûqadams Darqawis,
tant à Mostaganem que dans la région Oranaise, jaloux de l’audience grandissante du nouveau
Maître, ne ménagèrent pas leurs efforts pour l’entraver dans son prosélytisme, par leurs
intrigues, leurs calomnies, leurs provocations.

Les autorités coloniales ne restaient pas passives, en raison des fréquentes résistances que les
Darqawis avaient à leur actif dans un passé encore récent, aussi malmenaient-elles tout
particulièrement les adeptes du nouveau Cheikh, en qui ces même autorités voyait un ennemi
en puissance.

Un groupe de Fûqaras de Tlemcen, après avoir rendu visite au Cheikh Ahmed al-‘Alawi, à
peine descendu du train, était cueilli par une brigade de policiers, à la question : « es-tu
Darqawi ? » posée aux Fûqaras séparément, (on savait que quiconque se reconnaissait comme
tel, risquait d’être arrêté et mit en prison) tous nièrent leur rattachement à la Tariqa, à
l’exception du Mûqaddam sidi al-‘Arbi as-Sawwar…qui, non seulement reconnut être affilié à
la confrérie, mais encore affirma aux agents de police que pour elle, il vivait et que pour elle il
mourrait, conduit aux locaux de force de l’ordre public, il y fut détenu mais aussitôt, il ne
tarda pas à être relâché.

L’autonomie, ou la fondation de la confrérie ‘Alawiya

L’animosité des chefs Darqawis voisins se mesurait à l’extension de l’aire géographique de


l’influence de Ahmed al-‘Alawi, or celui-ci atteignait même des douars (petits villages)
réputés jusque-là réfractaires à tout prosélytisme religieux. Bientôt l’animosité se mua en
haine implacable, lorsque le Cheikh se décida à prendre son autonomie vis-à-vis de la zawiya
mère des Darqawis de Béni-Zarwal au Maroc, en 1914 la confrérie prends le nom de at-Tariqa
al-‘Alawiya ad-Darqawiya ach-Chadhûliya.

Le Cheikh sentait la nécessité de faire de la pratique de la retraite spirituelle (khalwa) un axe


de sa méthode. D’occasionnelle chez les Chadhûlis qui la pratiquaient, du reste, des solitudes
naturelles, la khalwa allait faire partie intégrante de la méthode ‘Alawi. Cette nécessité était
rendue d’autant plus urgente que le Cheikh en avait tiré grand profit, alors qu’il n’avait même
pas de local approprié pour s’y adonner.

La rage de ses rivaux ne fit qu’augmenter, pour eux, l’introduction systématique de la retraite
était une innovation blâmable (bid’a). leur hostilité atteignit son paroxysme, tous les moyens
furent utilisés pour détourner du Cheikh les anciens disciples du Cheikh al-Bûzaydi, ils
réussirent certes à détacher de lui quelques-uns d’entre eux, mais par centaines de nouveaux
aspirants (Mûridûn) affluaient de tous les horizons. « Il y eut même un ou deux chefs de
zawiya avec tous leurs disciples ». Le rattachement de Mohammed ibn Tayyib ad-Darqawi,
l’arrière petit fils de Mawlay al-‘Arbi ad-Darqawi lui-même, jeta le désarroi parmi les rangs
des adversaires du Cheikh, tous furent déconcertés.

Dans la lettre de Mohammed ibn Tayyib ad-Darqawi, l’arrière petit fils de Mawlay al-‘Arbi
ad-Darqawi, citée dans le livre de Mohammed ibn ‘abdalbâri al-Hûsni, (al-Chahâïd wal-fatawi
fima sahha ladl-oulama min amr al-Cheikh al-‘Alawi) on peut lire: « Ce que je constatais chez
le Cheikh…me poussa à m’attacher à lui, dans le désir brûlant de réussir à ouvrir mon œil
intérieur, je lui demandais la permission d’invoquer le Nom Suprême (al-Ism al-‘Azam).
Jusqu’alors je n’avais été qu’un membre commun de la confrérie, mais j’avais entendu dire
que mes ancêtres considéraient la voie plus comme un moyen de réalisation directe que
comme un simple rattachement à une chaîne spirituelle. Quand j(eus pratiqué l’invocation du
Nom Suprême, selon les directives du Cheikh, peu de temps après, j’obtins la connaissance
directe de Dieu (al-‘ilm al-laddûni)… »

Le Maître spirituel (1914 / 1934)

a) Le dynamisme débordant

L’hostilité des Darqawis rivaux ne tarda pas à s’éteindre comme feu de paille, devant le
dynamisme débordant du Cheikh. Il était partout et partout ou il allait il gagnait des centaines
de nouveaux disciples, des tribus entières quelques fois se rattachèrent à lui, à sa confrérie, à
ses enseignements.

Un jour qu’il se trouvait à Alger, alors qu’il se dirigeait vers la grande Mosquée, il fut suivi en
chemin par une centaine de personnes qui n’étaient musulmans que par naissance, ai seuil de
la Mosquée, le Cheikh leur proposa d’entrer avec lui, ce qu’ils firent non sans hésitation. A
peine entrés, ils furent invités par lui à s’asseoir, s’étant mit lui-même au milieu d’eux, il se
mit derechef à les instruire. La leçon terminée, ils se tournèrent vers la Qibla avec repentir,
puis prêtant serment au Cheikh, ils jurèrent de ne plus désobéir à la loi de Dieu.

On pouvait voir assis devant lui…des milliers de gens, baissant la tête comme si des oiseaux
se posaient sur eux, les cœurs remplis d’une piété respectueuse, les larmes coulant des yeux,
buvant ses paroles avec une attention assoiffée. Comment expliquer ce phénomène, si ce
n’est par le fait que le Cheikh, en s’adressant aux gens, leur parlait dans un langage limpide,
convaincant, d’autant plus qu’il jaillissait d’un cœur purifié des scories d’un Islam littéraire,
pointilleux, desséchant prôné par les autorités exotériques, un langage droit, jaillissant d’un
cœur droit, ne pouvait que pénétrer droit chez les auditeurs du Maître.

Le récit suivant est édifiant à plus d’un titre sur la conception du Cheikh quant à la manière de
guider dans la voie ; «j’allais trouver un Cheikh à Bougie (Bejaia à l’est de l’Algérie), et je
reçus de lui l’initiation après qu’il m’eut prescrit, comme condition, la récitation quotidienne
d’un nombre considérable de litanies.

J’eus la persévérance de les réciter régulièrement, et après un certain temps, il m’ordonna de


jeûner chaque jour en ne mangeant que du pain d’orge trempé dans de l’eau. J’observais aussi
cette règle, alors il me transmit les sept Noms spécialement utilisées pour l’invocation dans
cette Tariqa…Au bout de quelques jours, il me donna l’ordre de partir pour servir de guide à
d’autres. En attendant cela, je fus aussitôt accablé de découragement et de déception, car je
savais que ce n’était pas là ce que j’étais venu chercher.

J’avais seulement reçu de lui quelques vagues indications dont je n’avais pas saisi le sens et
lorsque je lui en fis part, il m’interdit sévèrement de renouveler un tel aveu devant lui ou
devant mes condisciples, de crainte de susciter en eux des doutes… Je quittai ce Cheikh et me
mis en quête d’un autre qui fût plus digne d’attachement, jusqu’au jour ou, par la grâce de
Dieu, j’entrai en contact avec le Suprême Maître, al-Cheikh sidi Ahmed al-‘Alawi, par
l’intermédiaire d’un de ses disciples, ce Mûqaddam ‘Alawi me prépara en me donnant à lire
(al-Minah al-qûdûssiya).

Puis, quand le Maître lui-même vint en notre province (le Constantinois) en 1919, je
renouvelai avec lui mon pacte d’allégeance initiatique, il me transmit alors l’invocation du
Nom Suprême telle qu’elle était pratiquée par ses disciples et me dit que je pouvais faire cette
invocation partout ou cela était possible, dans le secret de la solitude ou bien ouvertement
avec d’autres.

Il resta treize jours dans notre pays et pendant ce temps prés de deux milles personnes,
hommes, femmes et adolescents entrèrent dans la Tariqa. Après qu’il fut retourné à
Mostaganem, je me rendis auprès de lui et il me mit en retraite spirituelle (khalwa). J’y restai
six jours et j’obtins là tout ce que j’avais antérieurement souhaité. »

Le Cheikh procédait par étapes, il visait d’abord la purification de l’âme du novice, quand
l’âme était purifiée, que l’œil intérieur s’ouvrait à la lumière Divine, alors il autorisait certains
de ses disciples, parvenus à cette station, à en guider d’autres. Nombreux étaient ceux qui
avaient reçu cette autorisation de guide spirituel.
Il tenait à ce que ses délégués fussent d’une intégrité irréprochable, à ses Mûqaddams qu’il
envoyait, par exemple, prêcher dans des tribus de certaines contrées déshéritées, il interdisait
strictement d’accepter des victuailles, à moins de nécessité absolue. Il ne leur permettait de ne
demander rien que de l’eau pour leur ablution.

Cette période (1914 / 1934), vit la fondation d’un véritable réseau de zawiyas, au Maghreb, au
Proche-orient, en Europe. La zawiya mère de Mostaganem vibrait toute entière d’ivresse
spirituelle.

Des voyages étaient nécessaires pour la diffusion, l’implantation de zawiyas, l’initiation de


disciples aux enseignement de la Tariqa, ainsi le Cheikh en entreprit-il beaucoup, non content
de sillonner l’Algérie, il alla de nouveau en Tunisie, notamment dans le Sahel, ou il visita l’un
de ses disciples les plus favoris, le Cheikh Mohammed al-Madani, ce fut en 1915, puis en
1918 qu’il se rendit à qûssaybat al-madiyûni, il discuta avec les Ulémas diplômés de la
Zaytûna et il rentra auréolé plus que jamais tant le niveau des discutions était élevé, ce fut
probablement en 1924 qu’il se rendit au Maroc pour la première fois, en 1928 on le vit à Fès
discourir avec certains de ses savants formés de la Qarawiyyin, au printemps de 1930, il fit le
pèlerinage à la Mecque, visita Médine, Jérusalem, al-Khalil, Damas, Beyrouth d’où il rentra
en Algérie.

Fonder des zawiyas là ou il se rendait n’était pas suffisant, il fallait veiller à ce que ces centre
de rayonnement spirituel fussent bien entretenus, pour cela al-Cheikh al-‘Alawi fonda, fin des
années vingt, l’association de l’éclairement (Jam’iyat at-tanwir), elle avait pour mission de
faire en sorte que les Mosquées et zawiyas ‘Alawiya ne manquassent de rien ; éclairage,
couvertures de sol, badigeonnage, assurer la maintenance des édifices, les restaurer, au besoin,
voilà le but réel et avoué de l’association dont les sections se multiplièrent très vite.

Pour que le Cheikh fut omniprésent, que ses idées fussent connues simultanément en Algérie,
au Maroc, en Tunisie et au Proche-orient, il fallait que la confrérie possédât sa propre
imprimerie, ce fut le 22 novembre 1924, que, par le truchement de son cousin ‘Abdalaqadir et
de Bendimred , il acheta une imprimerie. Auparavant, à Alger, l’hebdomadaire (Lissan ad-
Din) fondé en Janvier 1923 par le Cheikh ne fit pas long feu et n’alla au-delà de 25 numéros,
ce fut donc aussi pour combler cette lacune dans le domaine de l’impression que l’on acquit
l’imprimerie. Ainsi le Maître eut le loisir de fonder un autre hebdomadaire (al-Balagh al-
Jazaïri) en 1926.

Sur un autre plan, le Cheikh al-‘Alawi ne cessa pas de publier des traités pour le
développement, l’explication et l’apologie du soufisme, la période 1914 / 1934, fut
incontestablement la période la plus féconde à cet égard.

b) Le défenseur de la Religion

Le souci de garder l’Islam des multiples dangers qui le menaçaient de le désintégrer obsédait
continuellement le Cheikh.

Il fallait s’attaquer d’abord aux pires ennemis de la Religion ; ceux qui parlaient en son nom ;
les marabouts cupides, aux appétits insatiables qui exploitaient la naïveté du petit peuple,
constituèrent une cible de choix pour (al-Balagh al-Jazaïri), d’autant plus qu’ils cultivaient
sciemment chez les masse ignorantes les germes de basses superstitions maraboutiques et
certains usages qui avaient lentement enveloppé la foi de véritables scories pagano islamiques
telles que la dévotion aux tombaux « coutumes stupide et ante-musulmane ».

L’occidentalisation, avec tous les aspects négatifs qu’elle véhiculait, n’échappait pas non plus
à ses attaques véhémentes. La naturalisation représentait un danger réel, une perte certaine de
l’identité musulmane, car elle portait atteinte aux croyances, au statut personnel des indigènes
qui, à partir du moment ou il jouissaient du statut de naturalisé Français, échappait
automatiquement à la loi musulmane (chari’a), pour relever de la juridiction française en plus
d’un point contradictoire avec la juridiction islamique.

Les articles du (Balagh) revêtaient très souvent une tunique littéraire qu’on pouvait dire
endeuillée, le style incisif, réveillait et stimulait les sentiments quelque peu mis en veilleuse…
« Ô peuple, n’ont jamais trahis le pacte qu’ils ont conclu avec Dieu. Tu as toujours respecté ce
dépôt sacré. Peux-tu sacrifier ton passé, faire bon marché de tant de vertus ou permettre à des
parvenus, guider par l’intérêt de le faire ? »

L’alcoolisme était un autre fléau social, la société Algérienne était minée, et quand le ministre
de la guerre promulgua un arrêté interdisant la consommation de boissons alcoolisées aux
soldats indigènes, le Cheikh al-‘Alawi n’hésita pas à lui télégraphier, tant cette question
l’obnubilait ; « En mon nom personnel et au nom des musulmans d’Algérie, nous vous
félicitons pour votre prohibition (des boissons alcoolisées), dans l’espoir que votre
gouvernement étendra cette mesure à toute la population dans un avenir proche. »

C’est qu’en réalité la gangrène de l’alcoolisme n’était qu’une des formes multiples que
revêtait le mimétisme (borné), une des milles et une facettes de l’occidentalisation des esprits,
des mœurs, des habitudes de penser, de sentir, de voir. Aussi se répandait-il contre le port du
chapeau, du pantalon ; la façon de se vêtir était symptomatique de la personnalité, il est
évident que délaisser les vêtements traditionnels, qui rappellent l’environnement
psychologique, pour en adopter d’autres, l’habillement moderne signifiait un certain
reniement de l’identité culturelle, ou tout simplement à se départir d’une partie quelconque de
son patrimoine historico-culturel.

La lutte contre ces tendances centrifuges passait forcément par la défense de l’Islam, le
Cheikh n’avait de cesse d’exalter le retour à un Islam des compagnons, « à un Islam tout
chaud de la révélation prophétique, non encore sclérosé par le travail des Fûqahas postérieurs.
»

Mais la langue arabe était reléguée au dernier plan dans le système pédagogique colonial, le
Cheikh al-‘Alawi fut l’un des premiers à en prêcher la rénovation ; pour bien comprendre le
Qoran et les livres des Hadiths, la connaissance de la langue arabe s’imposait, al-Balagh s’y
attela avec d’autant plus d’énergie que l’on en déplorait la décadence et que certains
groupements idéologiques indigènes réclamaient l’assimilation à la mère patrie, leur chef
incontesté » était Farhat ‘Abbas.

De là à conclure que le Cheikh al-‘Alawi était obscurantiste, réactionnaire, il n’y avait qu’à
faire un pas. D’aucuns le franchirent prestement. En fait, Ahmed al-‘Alawi était trop ouvert
pour prôner l’obscurantisme.

c) Le Cheikh moderniste
Tout musulman pensait-il, devait être littéral, recommander l’instruction, encourager les
sciences. Les musulmans des premiers temps s’étaient largement intéressés aux civilisations
anciennes, grecque et persane notamment, « pourquoi voulez-vous que nous, qui somme
contemporains de la civilisation européenne ne nous intéressions pas à cette merveilleuse
civilisation ? Pour ma part, il n’y a pas un jour qui ne passe sans que je recommande à mes
adeptes d’envoyer leurs enfants à l’école pour y apprendre la langue française….Apprendre à
conduire une auto…assimiler les merveilleux travaux de la mécanique n’est pas incompatible
avec la religion. Elle n’empêche pas l’homme d’atteindre les plus hautes cimes de la science.
Elle est un guide qui s’efforce de rendre l’homme meilleur en détruisant chez lui les mauvais
instincts. Nous ne faisons que rendre trop vivaces chez l’homme les préceptes d’Abraham,
Salomon, Jésus et Mohammed »

Son modernisme religieux fut d’une hardiesse qui déconcerte tous ses coreligionnaires ; en
effet, alors qu’al-Azhar, de furieuses polémiques accueillirent la traduction du Qoran en
langue turque, qu’une commission spéciale dUlémas fut désignée, à seule fin d’élucider ce
problème épineux, qu’après de longues discussions, cette commission spéciale émit l’avis que
« la traduction explicative du sens du Qoran était permise, à la condition expresse que cette
traduction ne prit pas le nom du Qoran tout court…et que la reproduction du Qoran, mot pour
mot, n’était pas permise… ».

Le Cheikh, en 1930, déjà un an avant la décision (historique) tronquée de l’université du


Caire, avouait n’avoir aucun inconvénient à la traduction du Qoran en français ou bien en
berbère. Il n’était pas sans savoir que toute une science réglait la lecture du livre sacré, la
science de la récitation et de la psalmodie réglait parfaitement en effet, l’articulation
vocalique et consonantique, le rôle du gutturales, aussi bien que celui des nasales et des
labiales, la durée de la pause après chaque verset etc…Mais pour la diffusion la plus large des
paroles divines, il transgressait la lettre pour en garder l’esprit, il rallait que chaque homme
doué de raison eût la chance d’avoir un contact direct avec le livre et n’en fût pas privé du fait
qu’il ignorait l’arabe. Mieux encore, il poussa son audace plus loin et admit, contrairement à
l’opinion de tous les Fûqahas classiques, que la Chahada (la profession de foi) « à défaut de
l’arabe, pouvait être dite dans une autre langue, car le but en cela est la reconnaissance de
l’unité de Dieu et de la mission de Mohammed ».

d) Le Cheikh et la fondation de l’association des Ulémas musulmans d’Algérie

Diffuser l’Islam, lui redonner la place qu’il occupait dans le cœur du peuple, par le passé, le
revaloriser, nécessitait la conjugaison des efforts de tous les hommes de bonne volonté,
soucieux de défendre leur identité culturelle, de préserver leur personnalité de la
désintégration que faisaient peser sur la communauté algérienne les autorités coloniales et les
partisans de l’assimiliationnisme. ce fut ainsi que naquit l’association des Ulémas musulmans
algériens. Ce que tous les historiens d’Algérie contoporaine ignoraient pratiquement, c’est que
quand l’idée germe germe dans l’esprit de ce riche bourgeois d’Alger d’origine Kabyle, Omar
Ismail, celui-ci s’en ouvrit au rédacteur d’al-Balagh al-Jazaïri, Mohammed al-Mahdi qui, de
son côté, en fit part au Cheikh al-Alawi, ce dernier ayant jugé l’idée bonne y adhéra.

Ce fut alors que l’hebdomadaire Alawi mena une vaste compagne en vue de mieux faire
connaître le projet. « al-Balagh était donc le seul journal algérien qui avait loué les
conséquences bénéfiques de la fondation d’une association de cette nature…Jusqu’à ce qu’un
groupe d’Ulémas répondit à ses exhortations… »
Les Ulémas, cependant étaient inquiets sur le sort de l’association future, ils craignaient
qu’elle ne fut un instrument entre les mains des Cheikhs de zawiyas, aussi lors de l’assemblée
constitutive, s’arrangèrent-ils pour être plus nombreux que les chefs de zawiya. Si al-Bachir
al-Ibrahimi, al-‘Amûdi, al-‘ûqbi, az-Zahiri, az-Zwawi étaient présents en revanche, ibn-Badis
s’était absenté « pour raison de maladie », mais à peine fut-il désigné par l’association comme
président, « qu’il fut guéri de sa maladie ».

Du côté des Cheikh spirituels, seul trois hommes, jusque-là méconnus, négligés par les
historiens, étaient présents à l’assemblée constitutive de l’association des Ulémas musulmans
algériens, Ahmed al-Alawi, Mohammed al-Mahdi et Adda Bentounès. « Il fut clair qu’à partir
de ce jour l’association passait aux mains des réformistes (al-Islahiyyûn) non des Ulémas…et
chaque jour elle revêtit une parure nouvelle du réformisme au point qu’elle devint une
association (néo) Wahhabite a cent pour cent… »

Cette expérience de conjugaison d’efforts entre les différents groupement idéologiques


musulmans ayant avorté, le Cheikh al-Alawi ne s’avouait pas vaincu pour autant, il disposait
de l’hebdomadaire dont on se flattait qu’il avait le plus fort tirage en Algérie et qu’il était lu
partout.

e) Initiatives extra-limes

L’islam comme par le passé, devait se maintenir en Europe et se propager, non par la force
des épées, mais par la douceur, la bonne parole qui ressemble à un arbre « aux racines bien
profondes et au feuillage altier », récupérer d’abord les musulmans émigrés travaillant en
France dans des conditions susceptibles de les éloigner non seulement de leur religion, mais
de la leur faire oublier, voilà le but immédiat que le Cheikh al-Alawi s’était proposer de
réaliser.

Déjà, en 1924, le nombre d’adeptes Alawis travaillant sur les chantiers de construction du
Métropolitain était considérable, dans un procès-verbal de la chambre des députés, on pouvait
lire « que les adeptes de Monsieur le Cheikh al-Alawi, sont des gens propres, qu’ils mènent
une vie saine, qu’ils sont courtois, que leur éducation appelle à l’amour d’autrui… ». Comme
ces gens-là demandaient un lieu de réunion, encouragés certainement par leurs Mûqaddams,
le rapport de la chambre abondait dans ce sens, ainsi débutèrent les premiers travaux de
construction de la Mosquée de Paris, elle fut inaugurée par le Cheikh al-Alawi en Juillet 1926,
qu’il fit le premier prêche.

Dans les années vingt, un musulman mort en France devait y être inhumé, car sa famille
n’avait aucunement le droit de rapatrier la dépouille mortelle de l’un des siens, cela poussa le
Cheikh al-Alawi à solliciter un cimetière musulman, le cimetière franco-musulman vit donc le
jour. La troisième initiative du Cheikh fut d’amener les autorités françaises à fonder, au
bénéfice des émigrés, l’Hospital franco-musulman.

Par ailleurs, des Mûqaddams européens initiés aux enseignements de la confrérie Alawie
eurent pour mission de jeter la lumière en Europe sur l’Islam, que certains esprits mal
intentionnés décrivaient comme une religion fanatique, sanguinaire. Ces Mûqaddams devaient
parler à tous, sans distinction de race, de sexe, de rang social, parler de l’Islam « dans les
peuples de toutes origines ».

f) Concilier Islam et Europe


Certes les missionnaires d’Afrique du Nord (les pères blancs), par leur prosélytisme plus ou
moins heureux dans la Kabylie, représentaient un danger réel pour l’identité islamique des
berbères, et si le Cheikh al-Alawi à travers al-Balagh s’était attaqué à ces vecteurs de germes
de désintégration spirituelle de l’identité spirituelle des Kabyles, il n’en restait pas moins qu’il
les défendait, quant la nécessité s’en faisait sentir, il faisait observer, en effet, que la majorité
d’entre eux n’étaient pas forcément les instruments politiques de leurs gouvernements
respectifs et que, loin d’approuver cette politique de colonisation à outrance, ils exhortaient,
bien au contraire, leurs pays à sacrifier leurs intérêts strictement matériels, pour s’occuper,
avec plus de sérieux, des problèmes moraux qui se posaient aux peuples dominés.

Loin d’être nourri d’opinions fanatiques, de véhiculer des préjugés défavorables aux
chrétiens, le Cheikh cherchait leur amitié, « si je trouvais un groupe qui soit mon interprète
auprès du monde d’Europe, on serait étonné de voir, que rien ne divise l’Occident de
l’Islam… »

Non qu’il désirât un syncrétisme Islamo-chrétien, comme l’écrivait Prost-biraben en affirmant


qu’il étudiait avec un prêtre catholique de Géryville les moyens pratiques de mettre en
harmonie les volontés chrétiennes et musulmanes, mais ayant un profond respect pour les
Gens du livre (Ahl al-Kitab), il cherchait, l’entente entre français catholiques et musulmans,
en amenant les premiers à « renoncer au mystère de la trinité et à celui de l’incarnation, alors,
plus rien ne nous séparera ». Cette discution entre le Cheikh et le père Giacobetti avait lieu sur
le pont d’un bateau au mois de juillet 1926, alors que l’un était appelé à assister à
l’inauguration de la Mosquée de Paris et que l’autre à faire, à Louvain, une conférence sur les
confréries religieuses musulmanes.

« Assis sur une peau de mouton, le Cheikh se reposait sur le pont des secousses du bateau qui
nous transportait à Marseille…Je (le père Giacobetti) répondis à ibn-‘Aliwa (al-Alawi), que
s’il voulait avoir cette paix avec les Chrétiens, il n’avait pas à leur demander de se suicider,
car c’est cesser d’être Chrétien que de renoncer aux deux principaux mystères de leur
religion…Nous nous quittâmes bons amis. »

Mais le disciple s’obstina à le mettre au courant de l’agissement répréhensible du fauteur,


alors, brusquement, Ahmed al-Alawi posa le livre sur ses genoux, quitta ses lunettes et
regardant son disciple, il l’interrogea : « lorsque, sur le bord du chemin, ton frère s’est
endormi, que le vent soulève sa chemise jusqu’à le mettre à nu, est-ce que tu rabaisses la
chemise ou bien tu la soulève ? », « sidi, je la rabaisse » répondit l’adepte honteux. « Eh bien
alors couvre! Couvre ton frère! Couvre-le! »

Ses adversaires, voir même ses ennemis se voyaient gratifiés, malgré eux, de cet amour
foncier. Le rédacteur en chef d’al-Chihâb, abdalhamid ibn-Badis, ne l’avait pas ménagé dans
son journal, il ne ratait pratiquement jamais l’occasion de critiquer le Cheikh al-Alawi, car
pour ibn-Badis, tous les chefs de confréries se valaient et séparer » le bon grain de l’ivraie »
ne faisait pas partie de ses préoccupations majeures. Donc al-Chihâb décochait très souvent en
direction de la zawiya de Mostaganem, des attaques d’une rare violence, ce qui poussait al-
Balagh du Cheikh al-Alawi à parer ces offensives.

Mais voilà que par une coïncidence toute fortuite, le Cheikh al-Alawi et ibn-Badis invités à
des noces à Mostaganem, se trouvèrent face à face, c’était en 1931, le Cheikh al-Alawi invita
son adversaire dans sa zawiya, l’invitation acceptée, on put lire dans al-Chihab qui suivit cette
rencontre : « le Cheikh offrit un souper auquel assistèrent certaines personnalités de
Mostaganem, ainsi que certains de ses disciples. Il se montra d’une cordialité et d’une
amabilité extrêmes, au point de servir lui-même certains de ses invités…Après le repas, on
récita des versets du Qoran, puis les disciples du Cheikh se mirent à chanter des odes…leurs
chants était d’une telle beauté que l’assistance en fut extrêmement émus. L’agrément de cette
soirée fut encore rehaussé par des intermèdes de discutions littéraires portant sur la
signification de certains vers. Parmi les nombreuses marques de courtoisies que nous prodigua
le Cheikh, notre hôte, je fus particulièrement sensible au fait que, pas une seule fois, il
n’effleura un sujet de désaccord entre nous de la moindre allusion qui eût pu m’obliger à
exprimer mon point de vue et à le défendre… ».

Pour être mû par une pareille courtoisie, en face de l’un de ses adversaires les plus
irréductibles, il fallait plus que la diplomatie, que le tact, que l’intelligence, il fallait être
habité par le désir d’aimer, de montrer que ce n’était pas à la personne d’ibn-Badis qu’al-
Balagh s’attaquait. Même aux non-musulmans, il témoignait cette amour, lorsque le docteur
Carret alla chez le Cheikh pour la première fois, on lui servit du thé à la menthe et des gâteaux
: « lorsque je portais le verre à mes lèvres, il prononça pour moi le « Bismillah » de par le
Nom d’Allah ». Demander à Dieu sa barakah (le flux divin) pour un non-musulman, n’était-ce
pas là l’expression silencieuse d’un amour profondément sincère pour quelqu’un qu’il ne
connaissait pas encore. D’aucuns diraient que c’était probablement par calcul que le Cheikh
sollicitait la barakah pour celui qui allait le soignait, donc pour lui par ricochet. Mais le
témoignage du docteur est formel : « Il m’avait fait venir, me dit-il, non pas pour que je lui
prescrive des médicaments, il en prendrait certes si je jugeais que cela fut absolument
indispensable et utile, mais il n’y tenait nullement. Il désirait simplement savoir si l’affection
qu’il avait contractée depuis quelques jours était grave. Il comptait sur moi pour lui dire, en
toute franchise et sans réticences, ce que je pensais de son état. Le reste importait peu.

J’étais de plus en plus intéressé et séduit, un malade qui n’a pas le fétichisme du médicament
est déjà un phénomène rare, mais un malade qui se soucie peu de guérir et désire simplement
savoir ou il en est, constitue une rareté encore plus grande. » Cet amour excluait naturellement
chez lui toutes formes de violence que, du reste, il haïssait.

« Ses yeux, deux lampes sépulcrales, ne paraissaient voir, sans s’arrêter à rien, qu’une seule et
même réalité, celle de l’infini à travers les objets ou peut-être un seul et même néant dans
l’écorce des choses. Regard droit, presque dur par son énigmatique immobilité et pourtant
plein de bonté. Souvent, les longues fentes des yeux s’élargissent subitement comme par
étonnement ou comme captées par un spectacle merveilleux. La cadence des chants, des
danses, des incantations rituelles semblait se perpétuer en lui, par des vibrations sans fin. Sa
tête se mouvait parfois dans un bercement mystique, pendant que Son âme était plongée dans
les inépuisables mystères des noms divins, cachés dans le dhikr (le souvenir). Une impression
d’irréalité se dégageait de sa personne, tant Il était lointain, fermé, insaisissable dans sa
simplicité tout abstraite. »

« Nul ne saurait douter de sa sincérité, de sa probité spirituelle. Sa foi était débordante,


communicative, toutes en lyrisme jaillissant…il appartenait à cette classe d’esprits si
fréquents en Afrique du Nord, qui peuvent passer, sans transition, de la rêverie à l’action, de
l’impondérable à la vie, des grand mouvement d’idées aux infini-tésimaux de la politique
indigène. »

« Dés le premier contact j’eus l’impression d’être en présence d’une personnalité sortant de
l’ordinaire… »
« On l’entourait de la vénération que l’on devait à la fois ou Saint… à un saint du moyen-âge
ou à un patriarche sémitique ».

« Sur ce matelas le dos appuyé contre des coussins, le torse droit, les jambes repliés, les mains
posées sur les genoux, immobile, en une attitude hiératique mais que l’on sentait naturelle,
était assis le Cheikh. Ce qui me frappa de suite, fut sa ressemblance avec le visage sous lequel
on a coutume de représenter le Christ. Ses vêtements, si voisins, sinon identiques, de ceux que
devait porter jésus, le voile de très fin tissu blanc qui encadrait ses traits, son attitude enfin
tout concourait pour renforcer encore cette ressemblance. L’idée me vint à l’esprit que tel
devrait être le Christ recevant ses disciples, lorsqu’il habitait chez Marthe et Marie…je me
demandais si je n’avais pas été quelque peu victime de mon imagination. Cette figure du
Christ, ce ton de voix paisible et doux, ces manières affables, pouvaient avoir exercer sur moi
une influence favorable, propre à me laisser supposer une spiritualité qui n’existait peut-être
pas. Son attitude pouvait n’être qu’une » pose » voulue et calculée, et sous cette apparence
qui semblait recouvrir quelque chose, peut-être n’y avait-il rien. Cependant, il m’avait paru
tellement simple et naturel que ma première impression persiste. Elle devait se confirmer par
la suite. »

Cette impression était d’autant plus sincère que le médecin ignorait tout du personnage avant
de l’avoir vu.

« Comment oublier cette apparition d’un anachronisme émouvant, ce vieillard fin et grave qui
semblait être sorti de l’Ancien Testament ou du Qoran…et qui exaltait quelques choses de
l’ambiance archaïque et pure des temps de Sidna Ibrahim al-Khalil »

Epilogue

Le Cheikh Ahmed al-Alawi fut un de ces rares esprits qui avaient atteint les plus hautes cimes
de la connaissance spirituelle et de la sagesse, il y parvint par sa volonté et surtout par ses
prédispositions naturelles, contrairement à l’assertion d’A Berque et à l’affirmation de Gardet
et d’Anawati, le Cheikh ne fut jamais en Perse et encore moins en Inde, ce ne fut pas dans ces
contrées lointaines qu’il s’initia à des formes de yoga et qu’il s’abreuva au réservoir de la
sagesse. Ce fut à Mostaganem qu’il progressa, qu’il s’éleva dans la voie, car les quelques
voyages qu’il fit ne lui permirent guère que de s’occuper surtout de l’implantation de ses
zawiyas, de s’entretenir avec ses disciples, d’en recevoir des nouveaux initiés, ils ne durèrent,
en tout cas, jamais assez pour lui permettre d’acquérir quelques connaissances que ce fût, le
pèlerinage à la Mecque et le voyage qu’il entreprit au Machriq arabe ne dura pas plus de
quatre mois, celui qu’il fit à Alger, Tunis, Tripoli, Istanbûl, à qûssaybat al-madiyûni, à Paris et
Fès ne lui furent pas d’un immense profit, il durèrent quelques jours, quelques semaines tout
au plus. Aucune période de sa vie ne nous est énigmatique, grâce aux différents témoignages,
il nous a été loisible de reconstituer pratiquement tous les grands traits de sa biographie.

Tous les témoignages, émanant de surcroît, de personnalités indépendantes de la confrérie,


s’accordent pour affirmer que le Cheikh n’était pas un imposteur, que son existence privée
était irréprochable, sans le moindre luxe, presque humble, que son esprit large et sa tolérance
surprenaient tous les visiteurs étrangers, il prêchait l’oubli des injures, la nécessité du pardon,
l’amour entre musulmans, entre toute les races, que son « effusion confondait, dans un élan
d’amour, l’homme, l’animal, le brin d’herbe », qu’il était parvenu à professer et surtout à
pratiquer un amour cosmique universel.
Esprit vif, capable de jongler avec les subtilités les plus inaccessibles, sensible à la souffrance
universelle, il faisait figure d’un véritable détenteur d’une étincelle de prophétie destinée à
souder les brèches manifestées dans les murs de l’édifice cosmique. Nous n’exagérons
certainement pas en affirmant que le Cheikh Ahmed al-‘Alawi fut l’un des plus grands
hommes que le Xxe siècle ait connu, par son impact sur la société, par son influence durable
sur les esprits qui l’approchèrent, par ses enseignements pacifistes, par l’universalités de ses
enseignements, il était l’un des plus grands apôtres de la paix entre toutes les créatures, de la
fraternité agissante entre les êtres dont il percevait les souffrances les plus intimes qu’il
s’ingénia, sa vie durant, à résorber, en appelant les hommes vers la voie de Dieu, vers Dieu,
l’Ultime refuge.

Bref, à une époque ou le triomphe aveugle du matérialisme conduisait inéluctablement vers la


destruction des espèces, le flambeau du savoir, de la connaissance, de la lumière était
« ranimé et tenu d’une main ferme par…Cheikh Ahmed al-‘Alawi ».

Auteur: Salah Khelifa, Alawisme et Madanisme, des origines immédiates aux années 50.

Thèse pour l’obtention du Doctorat d’état en études Arabes & Islamiques.

Université Jean Moulin Lyon III.

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