Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
166
maintenant fait partie du bonheur d´alors : c´est le marché que la vie nous
propose ».
ces qui sont à gauche, et qui sont Aglaé, Euphrosyne et Thalie. Celle qui est visée
est Aglaé, représentée sous les traits de Simonetta VESPUCCI, « la bella Simo-
netta », épouse d´un cousin germain d´Amerigo VESPUCCI, le voyageur florentin
qui a donné son nom à l´Amérique. Simonetta était la plus belle femme de son
temps, et elle était l´amante de Giuliano, qui apparaît à l´extrême-gauche du ta-
bleau sous l´apparence du dieu Mercure. Simonetta et Giuliano étaient le couple
idéal de la Renaissance, mais un couple tragique, car Simonetta est morte de
« consomption », c´est à dire de tuberculose, en 1476, à l´âge de 22 ans, et Giulia-
no a été assassiné dans la Cathédrale de Santa Maria del Fiore de Florence, le
jour de Pâques de 1478, lors de la conspiration des PAZZI. Le tableau est donc un
hommage à un couple disparu prématurément, et une idéalisation de ce couple par
167
son association avec un couple mythologique, le couple Flora-Zéphyr, qui n´est au-
tre que l´un des nombreux avatars d´un couple mythique que l´on retrouve tout au
long de l´histoire depuis les anciens Egyptiens, et aujourd´hui dans le conte de la
Belle au Bois Dormant et de son Prince charmant. C´est en fait un très vieux conte,
beaucoup plus profond qu´il ne pourrait sembler à première vue, puisqu´il rend
compte du cycle de la vie et de la mort. Dans le conte originel, avant qu´il n´ait été
édulcoré par Charles PERRAULT, la Belle est violée dans son sommeil et rendue
enceinte, et elle se réveille en donnant naissance… au printemps. C´est en fait une
transposition du cycle de l´hiver et du printemps, et de la façon comme la nature,
endormie pendant l´hiver, mais grosse de promesses, se réveille au printemps et
donne naissance à la végétation et donc à la vie. Ce tableau, fait après la mort de
Giuliano, est donc une affirmation du triomphe de la vie sur la mort, car, même
si les individus et les générations disparaissent, la vie refleurit toujours sous
d´autres formes.
« C´est alors que nous vîmes venir les quatre petits canetons.
Je les connaissais. Souvent j´avais regardé l´un ou l´autre, l´une ou l´autre de
ces très comiques boules de duvet jaunâtre, patauger, sans cesser une seconde
de couiner d´une voix fragile et attendrissante, dans les caniveaux ou la moindre
flaque. Plus d´une fois, l´un d´eux m´avait ainsi aidé à vivre, un peu plus vite, un
peu moins lourdement, quelques-unes des minutes de ces interminables jours. Je
leur en savais gré.
Cette fois, ils venaient tous quatre à la file, à la manière des canards. Ils
venaient de la grande rue, claudicants et solennels, vifs, vigilants et militaires. Ils
ne cessaient de couiner. Ils faisaient penser à ces défilés de gymnastes, portant
orgueilleusement leur bannière et chantant fermement d´une voix très fausse. J´ai
dit qu´ils étaient quatre. Le dernier était le plus jeune, - plus petit, plus jaune, plus
poussin. Mais bien décidé à n´être pas traité comme tel. Il couinait plus fort que les
autres, s´aidait des pattes et des ailerons pour se tenir à la distance réglementaire.
Mais les cailloux que ses aînés franchissaient avec maladresse mais fermeté for-
maient, pour lui, autant d´embûches où son empressement venait se buter. En
vérité, rien d´autre ne peut peindre fidèlement ce qui lui arrivait alors, sinon de dire
qu´il se cassait la gueule. Tous les six pas, il se cassait la gueule et il se relevait et
repartait, et s´empressait d´un air martial et angoissé, couinant avec une profusion
et une ponctualité sans faiblesse, et se retrouvait le bec dans la poussière. Rare-
ment ai-je assisté à rien d´aussi comique. Ainsi défilèrent-ils tous les quatre, selon l
´ordre immuable d´une parade de canards, et, toujours couinant, tournèrent-ils le
coin de la ruelle. Et nous vîmes le petit, une dernière fois, se casser la gueule
avant de disparaître. Et alors, voilà, RANDOIS nous mit ses mains aux épaules, et
168
il s´appuya sur nous pour se lever, et ce faisant il serra les doigts, affectueuse-
ment, et nous fit un peu mal. Et il dit :
- A la soupe ! Venez. Nous en sortirons.
Or, c´était cela justement que je pensais : nous en sortirons. Oh ! Je mentirais
en prétendant que je pensai ces mots-là exactement. Pas plus que je pensai alors
précisément à des siècles, à d´interminables périodes plus sombres encore que
celle-ci qui s´annonçait pourtant si noire ; ni au courage désespéré, à l´opiniâtre-
té surhumaine qu´il fallut à quelques moines, au milieu de ces meurtres, de
ces pillages, de cette ignorance fanatique, de cette cruauté triomphante,
pour se passer de main en main un fragile flambeau pendant près de mille
ans. Ni que cela valait pourtant la peine de vivre, si tel devait être notre des-
tin, notre seul devoir désormais. Certes, je ne pensai pas précisément tout cela.
Mais ce fut comme lorsqu´on voit la reliure d´un livre que l´on connaît bien.
Comment ces quatre petits canards, par quelle voie secrète de notre esprit
nous menèrent-ils à découvrir soudain que notre désespoir était pervers et stérile ?
Je ne sais. Aujourd´hui où je m´applique à écrire ces lignes, je serais tenté d´ima-
giner quelque symbole, à la fois séduisant et facile. Peut-être n´aurais-je pas tort.
Peut-être, en effet, inconsciemment pensai-je aux petits canards qui déjà devaient
défiler non moins comiquement sous les yeux des premiers chrétiens, qui avaient
plus que nous lieu de croire tout perdu. Peut-être trouvai-je qu´ils parodiaient as-
sez bien, ces quatre canetons fanfarons et candides, ce qu´il y a de pire dans les
sentiments des hommes en groupe, comme aussi ce qu´il y a de meilleur en eux.
Et qu´il valait de vivre, puisqu´on pouvait espérer un jour extirper ce pire,
faire refleurir ce meilleur. Peut-être. Mais il se pourrait plus encore que, tout cela,
je le découvrisse seulement pour les besoins de la cause. Au fond, j´aime mieux le
mystère. Je sais, cela seul est sûr, que c´est à ces petits canards délurés,
martiaux, attendrissants et ridicules, que je dus, au plus sombre couloir d´un
sombre jour, de sentir mon désespoir soudain glisser de mes épaules com-
me un manteau trop lourd. Cela suffit. Je ne l´oublierai pas. »
x 28 x 19 x 10 sol la bémol
la mi bémol majeur majeur
169
170
nous a laissé dans la partition une quantité d´informations, avec des instructions
très détaillées sur la façon dont il voulait qu´on joue ce troisième mouvement, com-
me tu peux voir sur la page 426 où je te reproduis les premières mesures, qui vont
jusqu´au début du premier arioso. Cela montre bien qu´il voulait nous dire quelque
chose de très spécifique.
En fait, il nous donne là une métaphore de sa vie. Dans l´introduction, les notes
répétées expriment une image qui était devenue presque une obsession pour lui,
celle de quelqu´un qui frappe à la porte (comme dans le célèbre exemple du début
de la 5º symphonie). Si l´on sait qu´il avait pensé au suicide car il souffrait beau-
coup de sa surdité, qu´il s´était replié sur lui-même et s´était littéralement enfermé
dans sa souffrance, cette obsession pour cette image traduit bien son isolement et
son désir d´en sortir. Et elle lui permet de nous ouvrir la porte sur son univers inté-
rieur. Le premier arioso nous révèle ses souffrances en une sorte de confession.
Avec la fugue, il cherche ensuite la consolation dans la musique, mais la peine est
trop forte et il retombe dans son désespoir avec le deuxième arioso. La transition
est dramatique, elle suggère sa mort avec l´accord de sol majeur qui est comme le
glas qui sonne pour son enterrement. Mais vient ensuite la deuxième fugue avec
son final triomphant qui nous montre comment BEETHOVEN triomphe de ses
peines et de son destin et atteint l´immortalité, grâce à sa musique certes,
mais aussi grâce à l´exemple de volonté qu´il nous laisse.
Pour résumer, quel est donc ce message que je vous transmets ? Que bonheur
et malheur sont indissociables, que la vie refleurit toujours, qu´il faut conti-
nuer à transmettre même dans les moments d´abattement, et qu´il faut tou-
jours faire preuve de volonté et d´énergie, car cette volonté et cette énergie
qui nous permettent de surmonter et de mépriser les obstacles sont la vie
même, et elles nous assurent l´immortalité. Car immortels sont les êtres hu-
mains, et aussi les petits canards, qui ont su, contre vents et marées, « faire éner-
giquement leur longue et lourde tâche ».
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Post-scriptum : Comme vous le dit le titre, ceci est « une » conclusion, mais ce
n´est pas « la » conclusion. Il ne tient qu´à vous d´ajouter des
chapitres à cette histoire… et de les écrire.
171
Le troisième mouvement de la sonate Nº 31 op 110 en La bémol majeur de
BEETHOVEN, interprétée par Claudio ARRAU, est enregistré à partir d´un disque
où il joue les trois dernières sonates de BEETHOVEN (avec la Nº 30 op. 109 en Mi
majeur et la Nº 32 op. 111 en Ut mineur), sonates qui « nous jettent brusquement
dans un autre monde, cette zone étonnante des dernières années de
BEETHOVEN… ». Quoique si vous voulez mon avis personnel, Claudio ARRAU n
´a pas su mettre dans la sonate op 111 tout ce que sait y mettre Alfred BREN-DEL,
qui est la référence absolue pour écouter l´ariette. Je continue à vous trans-crire
ce que dit Lucien REBATET (qui était un horrible facho mais qui savait deux ou
trois choses en musique) sur les trois dernières sonates de BEETHOVEN. « Au
cours des sonates op. 109 et 110, quelques formules traditionnelles tentent un
retour, mais pour être aussitôt balayées par les rythmes impérieux, rageurs, ou le
grand souffle du cantabile, l´andante de l´op. 109 étant particulièrement émouvant.
Et comment ne pas signaler au moins, parmi tant de beautés, les variations de cet-
te sonate, et le chapitre autobiographique de l´op 110, composé après la maladie
de 1821, que dit l´arioso mourant, auquel succède le raidissement de la volonté, le
retour vainqueur à la vie, le condensé de toute une existence ?… Mais l´insur-
passable chef-d´œuvre reste l´ariette – quelle ironie cachée dans ce terme d´opé-
ra-comique ! – de l´op. 111, le thème le plus suave, le plus immatériel de toute la
musique, que BEETHOVEN précipite dans la cataracte des variations, d´où elle
revient, encore plus ineffable, par une coda qui est une transfiguration. L´op. 111 n
´a que deux mouvements. Rien n´aurait pu succéder à la sublime ariette. Ce n´est
plus seulement la fin de la 111 mais de toute la sonate de piano. BEETHO-VEN l´a
reçue des mains de HAYDN et de MOZART, régulière, un peu grêle, élégante avec
ses alter-nances de bonne
com-pagnie. Au cours de
vingt années il l´a changée
en poèmes d´une telle
den-sité que sa forme,
après lui, n´aura plus de
sens. SCHUMANN s´y
essaiera encore
quelquefois, et ce ne
seront pas ses gran-des
pages. LISZT n´en fera qu
´une seule expé-rience,
sans pouvoir se départir
de sa veine rhap-sodique.
CHOPIN bapti-sera
sonates deux suites de
pièces sans liens. Ensuite, il
n´y aura plus guère sous
ce nom que de l
´académisme, ou alors
des musiques d´une toute
autre essence ».
172
« Il a été construit pour eux des portes et des demeures,
Mais elles sont tombées en ruine.
Leurs pierres tombales sont couvertes de poussière
Et leurs tombes sont oubliées.
Mais leur nom est toujours prononcé
A cause des livres qu´ils ont écrits.
Sois un écrivain, place cela en ton cœur » .
FIN
173