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compliquée ». « Mais aujourd’hui, c’est plus difficile


qu’avant de retomber sur ses pattes parce qu’il n’y a
Le chômage explose dans une Argentine en
pas de travail, il n’y a rien. » Son camarade Walter
crise Ledesma acquiesce : «Avant, tu pouvais retrouver
PAR ANNA SLIZEWICZ
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 14 OCTOBRE 2019 un petit boulot en une semaine. Là, ça fait deux
mois qu’on ne touche presque rien. » L’attente se
Des élections générales ont lieu le 27 octobre en
déroule sans aucune indemnité chômage, car les
Argentine, qui devraient voir le retour au pouvoir
travailleurs ne sont pas en mesure de produire les
des péronistes. Le président sortant, Mauricio Macri,
justificatifs nécessaires. Dans le même temps, leurs
est accusé d’avoir précipité le pays dans la crise
factures s’accumulent et ne cessent d’augmenter. En
économique et sociale. Reportage à Mar del Plata,
Argentine, l’inflation a atteint 55 % sur les douze
grande station balnéaire au taux de chômage record.
derniers mois.

Walter Ledesma et Hipólito Suarez campent devant la Walter Ledesma et Hipólito Suarez campent devant la
maison de leur ancien employeur à Mar del Plata. © AS maison de leur ancien employeur à Mar del Plata. © AS

Mar del Plata (Argentine), de notre envoyée La crise économique et sociale qui touche le
spéciale.– Abrités sous une grande bâche en plastique, pays depuis l’an dernier est « pire que toutes les
Walter Ledesma et Hipólito Suarez tuent le temps en précédentes », estime Cristina Ledesma, secrétaire
entretenant un feu de bois chétif. Leur campement générale du Syndicat des ouvriers de l’industrie de la
détonne dans ce quartier chic de Mar del Plata (près pêche (Soip). « Le secteur de la pêche traverse une
d’un million d’habitants), une station balnéaire située situation critique. Il y a de moins en moins de travail.
à 400 kilomètres au sud de Buenos Aires. Sur le Les bateaux partent en masse vers le sud, où il y a
trottoir, les ouvriers ont écrit à l’aérosol rose : « Carlos des langoustines qui seront plus rentables à vendre à
Blanco, voleur, paye, montre-toi. » Ces travailleurs l’étranger. » Les travailleurs qui sont restés à Mar del
de l’industrie de la pêche de Mar del Plata ont Plata sont extrêmement vulnérables, particulièrement
campé plus de deux semaines, nuit et jour, devant ceux employés au noir, qui représentent 70 % des
la maison de leur ancien employeur. Le président de emplois de cette industrie, selon Cristina Ledesma. La
l’entreprise Rocamare a suspendu ses activités du jour représentante de Soip avoue être « désemparée » face
au lendemain, sans offrir ni préavis ni indemnisation aux fermetures d’entreprise qui se multiplient dans le
à la vingtaine de fileteros – ceux qui découpent le port depuis quelques mois.
poisson en filets, en particulier le merlu dans cette
Après avoir assisté à deux audiences au ministère du
région – qu’il employait au noir depuis un an et demi.
travail régional auxquelles ne s’est pas présenté leur
« C’est le patron, le gérant, le trésorier… Il contrôle ancien employeur, les ouvriers de Rocamare ont fini
tout. Toi, tu le sers pendant plus d’un an. Mais le jour par démonter leur campement début octobre. «On ne
où il n’a plus besoin de toi, il disparaît », s’indigne peut pas se permettre d’attendre plus longtemps, on
Hipólito Suarez. Ce quinquagénaire n’en est pas à doit se remettre à chercher un emploi », explique
son premier conflit du travail : il explique que la Walter Ledesma, qui compte bien poursuivre en
situation dans le port de Mar del Plata a « toujours été justice son ex-employeur.

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« Il y a quelques années, on m’avait proposé de partir ce moment difficile. Quand le gouvernement Macri
travailler sur un bateau de pêche. J’ai préféré rester est arrivé au pouvoir, je savais que ses politiques
à Mar del Plata. C’était une mauvaise décision », néolibérales n’allaient pas jouer en notre faveur. Nous
ressasse Walter Ledesma Junior, 23 ans. Comme avons pris une série de décisions : arrêter la vente en
son père, il espère que le probable changement de gros, se concentrer sur la vente directe en magasin.
gouvernement à venir redonnera un peu de souffle à Nous avons constitué un capital, acheté beaucoup de
l’économie argentine. tissus avant que leur prix n’augmente. Actuellement,
Car le retour au pouvoir du péronisme, incarné nous sommes en train de grignoter petit à petit ce
par Alberto Fernández et sa colistière, qui n’est capital. » Les ventes de l’entreprise ont diminué de
autre que Cristina Kirchner (présidente entre 2007 moitié depuis 2016. Héctor Juan Fangareggi admet
et 2015), semble désormais acté. Le 11 août, ce également que la disparition de nombreux concurrents
ticket a obtenu 49 % des voix aux élections primaires sur l’avenue l’aide à survivre, même s’il déteste « cette
et obligatoires pour tous les partis – organisées sensation de vivre seul dans un désert ».
en amont de la présidentielle du 27 octobre – « Vivre sans avoir un minimum de dignité »
contre 33 % pour Mauricio Macri. Le président Les fermetures en série d’entreprises et de commerces
de droite a été sévèrement sanctionné par les à Mar del Plata ont fait bondir le chômage, qui touche
Argentins, qui le tiennent responsable de la crise 13,4 % de la population active selon les dernières
et lui reprochent également d’avoir fait revenir le estimations de l’Institut argentin des statistiques
Fonds monétaire international (FMI) dans le pays. (Indec) – un record dans le pays, où ce chiffre s’établit
L’institution financière a accordé un prêt de 57 en moyenne à 10,6 % – et les perspectives sont bien
milliards de dollars à l’Argentine, dont près de sombres pour les jeunes Argentins, les plus concernés
80 % ont déjà été versés, en contrepartie d’un plan par le manque d’emplois. Selon l’Indec, près de 37 %
d’austérité ravageur pour les couches les plus fragiles des femmes de moins de 29 ans sont au chômage à Mar
de la société argentine. del Plata.
« Quand le pays va bien, Mar del Plata va bien. « Chaque emploi formel qui disparaît entraîne à son
Quand le pays va mal, Mar del Plata va pire » : ce tour la perte de petits boulots informels », explique
dicton, que les habitants d’ici répètent avec un certain Rodrigo Hernández, enseignant en sciences politiques
fatalisme, se confirme sur l’avenue Juan-Bautista- et représentant régional de l’organisation politique et
Justo. Grande artère divisant Mar del Plata d’ouest sociale Barrios de Pie (« Quartiers debout »). «Les
en est, elle offre un bien triste spectacle à celui qui personnes qui perdent leur emploi formel vont cesser
prend la peine de la parcourir sur quelques centaines d’appeler l’électricien du quartier, s’il faut repeindre
de mètres : les vitrines des commerces proposant des la maison, ils le feront eux-mêmes… C’est un cercle
liquidations exceptionnelles alternent avec d’autres vicieux qui aggrave la pauvreté structurelle. » Mar
vides, manifestement abandonnées à la hâte. del Plata compte 30 % de pauvres, selon les derniers
Le magasin de vestes et manteaux Centomo, lui, chiffres de l’Indec. Moins que la moyenne nationale
tient encore bon. Héctor Juan Fangareggi, qui a créé (35,4 %) mais, pour Rodrigo Hernández, «Mar del
cette entreprise il y a trente ans, a su mettre à Plata est une ville qui a un port, une industrie textile,
profit son expérience face aux aléas de l’économie qui reçoit des touristes… il est lamentable que toutes
argentine. « En 2001 [date de la dernière grande ces personnes vivent sans avoir un minimum de dignité
crise économique ayant frappé le pays – ndlr], nous ».
avons fait faillite. Nous avons tout perdu. Cela a Les bidonvilles se sont considérablement développés
été très difficile de recommencer à zéro un an plus en marge du centre-ville, à l’image du Barrio Malvinas
tard, raconte le septuagénaire, qui a tiré les leçons de Argentinas. Ses rues en terre battue sont régulièrement

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inondées du fait du climat capricieux propre aux villes euros, par mois et par enfant) et en essayant de vendre
de bord de mer. Dans son comedor, Carina Paz prépare des petits gâteaux faits maison dans les rues de Mar
trois fois par semaine une immense marmite de repas del Plata. «Il n’y a pas de travail ici, et le peu qu’il y
chauds pour les familles du quartier. Cette cantine a, on ne le donne pas aux mères de jeunes enfants… »
sociale dépend de l’organisation Barrios de Pie, qui Mi-septembre, le parlement argentin a prorogé une
reçoit chaque mois des aides alimentaires de l’État. loi d’urgence alimentaire, qui prévoit notamment
«Mais en quantités vraiment insuffisantes », dénonce d’augmenter de 50 % le budget destiné aux aides
cependant Carina Paz, qui accueille toujours plus de alimentaires de l’État. Mais « quelques semaines
familles. après, on n’a toujours aucune idée de comment ni qui
María José Medina, habitante du quartier et mère de va nous répartir cette aide supplémentaire », s’indigne
deux enfants en bas âge, explique que «la situation Rodrigo Hernández, représentant de Barrios de Pie.
s’est beaucoup dégradée ces derniers mois. Cela nous L’organisation a triplé son nombre de cantines sociales
arrive de sauter des repas, ou de nous contenter depuis 2017, et en compte aujourd’hui 56 à Mar del
d’une infusion et d’un morceau de pain ». La jeune Plata. « C’est très bien de parler d’urgence, mais si
femme et sa famille survivent grâce aux allocations l’on attend des semaines pour agir ensuite, quel est le
du gouvernement attribuées aux parents en situation sens de tout cela ? »
vulnérable (de l’ordre de 2 900 pesos, soit moins de 50

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