Sie sind auf Seite 1von 162

Déjà un regard

tendu vers l'avenir...


Éphèbe d'Anticythère
(Photo Descharne).
PLANIETE
LA PREMIÈRE REVUE DE. BIBLIOTHÈQUE

SOMMAIRE
ÉDITIONS PLANÈTE

ADMINISTRATION
42 RUE DE BERRI, PARIS 8
4 NOUS CROYONS EN L'AVENIR

RÉDACTION ET RENSEIGNEMENTS 7 · Positions Planète


114 CHAMPS-ÉLYSÊES. PARIS 8 Vive le monde moderne! 'par Rémy Chauvin

DIFFUSION DENOËL - N.M.P.P. 11 Le monde futur


Demain vous aurez une âme, par Arthur
ABONNEMENTS C. Clarke
VOIR PAGE 159.
23 Le mouvement des connaissances
On nous cherche dans le cosmos! par Robert
N. Bracewell

29 Les ouvertures de la science


Les ingénieurs planétaires ont ces projets,
par François Derrey

37 Chronique de notre civilisation


Vous vivrez comme cela en 1984, par Jacques·
Bergier

47 La vie spirituelle
Le yoga et la physique, la matière et l'esprit.
DIRECTEUR par Jacques Bergier
LOUIS PAUWELS
55 L'histoire invisible
COMITÉ DE DIRECTION Un compagnon de Lucifer: Aleister Crowley,
LOUIS PAUWELS par Jacques Mousseau
JACQUES BERGIER
FRANÇOIS RICHAUDEAU . 67 L'humour Planète
Notre petit courrier du cœur animal, par James
RÉDACTEUR EN èHEF Thurber
JACQUES MOUSSEAU Qlli veut se faire couper quelque chose 7 par
Anton Germano Rossi
DIRECTEUR ARTISTIQUE Ma carrière financière, par Stephen Leacock
PIERRE CHAPELOT Lakmé, par Chaval
Les drames du rugby, par Cami
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Le voleur de grand chemin et le voyageur,
GABRIELLE BLOT par Ambrose Bierce
75 Les grands contemporains 140 Sociologie / Le dossier de la révolte noire /
Je suis voluptueusement ouvert à tout, par On demande des créateurs
Federico Fellini
141 Cosmographie / La science française et la vie
83 L'amour en question extra-terrestre
L'amour fou, monstre. pur. etc.. par Louis
Pauwels 142 Sociétés secrètes / Le secret des francs-
maçons
93 La littérature différente
La Vierge aux rochers, par Poul Anderson 143 Astronautique / L'explosion de l'humanité
vers le cosmos
101 L'art fantastique Je tous les temps
Une histoire globale des arts et des civili- 144 Littérature / Lettre dans l'esprit de Voltaire
sations. par Planète
L'an 1000 comme l'an 2000: une grande peur
et un grand espoir, par Robert Philippe A SAVOIR
Tableau comparatif des différentes concep- 145 Monsieur G... , président des États-Unis?.
tions de l'histoire Médecine/ Un appareil à détecter les malades
mentaux

146 Archéologie / A l'aube de la civilisation?


129 LE JOURNAL DE PLANÈTE Jéricho
Informations / Les nouveaux mystères de
Stonehenge / Toujours les savants migra- 147 Parapsychologie / Les cosmonautes commu-
teurs / Le psychodrame inachevé niqueront-ils par télépathie?

133 Sociétés secrètes / Un fascisme en chemise 148 Religion/ L'Église en mouvement


de nuit: le K. K. K.
149 Biologie/ On apprend à lire le code génétique
A LIRE
137 Savants/ Le masque de lord Cavendish
A VOIR
138 Humour/ Je vous ai compris! 151 Cinéma/ Un tour du monde
Sciences / Théorie nouvelle : comment l'uni-
vers est-il organisé 7 152 Peinture / Paris n'est plus roi / Moretti: la
fureur de peindre
139 Littérature/ Une grande étude: la littérature
fantastique en France 157 Activités Planète / Cefalù : des projets pour
Histoire/ Les Templiers sont acquittés 1965 / Planète en langue espagnole
NOUS CROYONS
Pas de jour où vous ne lisiez qu'il est bien malheureux de vivre aujourd'hui,
que l'époque est accablante, que le temps est à la contrainte et à l'angoisse,
que le bonheur et la liberté refluent, etc ... Comme s'il n'y avait de belle musique
qu'en mineur. Certes, les littératures du désespoir, de l'exiguïté, de l'échec,
du lamento, ne sont pas à mépriser. Nous ne méprisons rien. Qui méprise se
surestime. Ces littératures nous renseignent sur des crises propres à la condition
.humaine. Et tout art est libre de choisir son bien dans le rire ou les larmes, les
élans ou les agonies. Mais, quant à nous, nous avons résolument opté pour
l'optimisme. Quand à nous, nous puisons de la joie à nous sentir participer à
une époque de renaissance, d'accélération de l'aventure humaine, de conquête
matérielle et spirituelle. Au seuil d'un troisième millénaire, nous voyons
l'homme, dans un temps de plus en plus court, s'élancer vers des espaces de

POSITIONS L'AVENIR
PLANÈTE DANS LE CIEL
Vive le monde moderne! Demain, vous aurez une On nous cherche dans le
par Rémy Chauvin âme, par A. C. Clarke cosmos, par R. N. Bracewell
Professeur Président de la Société Professeur
à l'Université de Strasbourg britanniq~e d'Astronautigue à l'Université de Stanford

,& •
l;

La profession de foi Une anticipation scientifique Les essais de communication


d'un chercheur (p . 7) et spirituelle (p. 11 ) avec les extra-terrestres (p. 23)
EN L'AVENIR
plus en plus vastes, et agrandir, dans ce même mouvement, son espace intérieur.
Tout ce que nous savons nous porte à l'espérance et à la foi. Nous croyons au
progrès. Nous croyons à la réussite de l'humanité planétarisée. Nous croyons
à ce monde comme centrale d'énergie positive. Nous croyons à la montée
conjointe des pouvoirs sur la matière et des pouvoirs de l'esprit. Nous autres,
contemporains du futur, optimistes, volontiers rêveurs, curieux de tous les faits
et libres jusqu'au défi, nous en voudra-t-on de vouloir faire partager au plus
grand nombre possible d'amis notre contentement d'exister dans la fantastique
époque charnière qui est la nôtre? Celui qui n'est pas présent à lui-même et
à ce monde, quel présent pourrait-il faire aux autres?

Soyez heureux de vivre aujourd'hui. LOUIS PAUWELS.

L'AVENIR L'AVENIR L'AVENIR


DE LA TERRE DES HOMMES DE L'ESPRIT
Les ingénieurs Vous vivrez comme cela Le yoga et la physique,
planétaires ont ces en 1984, la matière et l'esprit,
projets, par F. Derrey par Jacques Bergier par Jacques Bergier

Les prochains grunds travaux Les techniques, la société, Des questions modernes
del'humanité (p.29) l'espritfuturs (p . 37) surlanaturedeschoses (p.45)
NOUS CROYONS EN L'AVENIR
Vive le monde moderne !
Rémy Chauvin, professeur à l'université de Strasbourg

On entend souvent dire qu'il n'y a rien dans notre civilisation qui
puisse être comparé à la construction des cathédrales. Pourtant, nous
avons la merveilleuse cathédrale de la science, invisible il est vrai pour
la plupart des gens, pour beaucoup de nos étudiants et même pour
quelques professeurs. ·
DENNIS GABOR (•Inventons le futur•).

Je laisse, pour cet éditorial, la place FOUS QUI CRACHEZ DANS VOS ASSIETTES
à notre éminent ami, le professeur
Rémy Chauvin, qui exprime avec Je viens de lire le livre de Servier «l'Homme et ]'Invisible» 1 • Je suis
exactitude et force les positions de inquiet et exaspéré. Inquiet, parce que cet incontestable homme de
.Planète, positions parfois mal com- science (il n'aimerait sans doute pas qu'on lui rappelle que c'est
prises ou déformées par la critique.
Rémy Chauvin reprend ici le débat
ce qu'il est, après tout) renie les Sciences, bafoue l'Occident et, pour
entre Tradition et Progrès, esquissé l'amour d'Éleusis, oublie Périclès. Exaspéré, je le suis parce que
dans notre numéro précédent où Jean cette attitude devient de plus en plus commune parmi les gens du
Servier, ethnologue et sociologue, monde qui trouvent élégant de se servir de la technique, tout en la
1;1uteur d'un livre remarquable mais reniant; et ils sont même suivis par certains hommes de science. Or,
violemment opposé aux conceptions tous se trompent; ils n'ont pas compris ce qu'il faut comprendre et,
et même à l'existence du mond1: surtout, ils cèdent à la peur, à l'allergie au futur. Où serait l'humanité
moderne, faisait l'éloge vengeur de si elle s'était refugiée craintivement dans les mythes du berceau,
l'âme primitive et des civilisations
initiatiques disparues. Certes, nous sans inventer le blé, sans fondre les métaux et aussi sans construire
cherchons avec passion, dans tous les les pyramides, le Taj Mahal, la cathédrale de Chartres?
domaines, tout ce qui peut nous Je vous entends d'ici vous récrier: pourquoi tout mélanger? Qu'ont à
relier à la fois au grand passé et au faire ces monuments impérissables de !'Esprit avec les miasmes
grand avenir. Nous cherchons à voir impurs de la science moderne?
l'unité de l'esprit humain, dans le Moderne! le grand mot est lâché. Expliquons-nous une bonne fois là-
temps et l'espace. Mais l'acte de foi dessus. Cher collègue Servier, vous croyez, comme le dit Pauwels
de Rémy Chauvin est le nôtre, et dans son analyse de votre ouvrage, que la civilisation du XX' siècle,
nous partageons sa fierté de vivre
aujourd'hui et d'être d'Occident.
c'est surtout le péché de l'homme blanc; qu'il y a eu jadis des sages
et des visionnaires que tout le monde écoutait avec respect; qu'il a
existé un« bon vieux temps». Et à un certain moment, nous aurions
abandonné la Route pour foncer vers I' Abîme, abrutis par la
1. Editions Robert Laffont.

Positions Planète 7
radio et la télévision et par la soif exclusive des de superstitions parasites. Et, bien que je ne sois
jouissances matérielles. pas socialiste, je compte tout de même pour
beaucoup l'elan généreux, .né d'ailleurs exclu-
VOUS CROYEZ AU sivement en terre chrétienne (on ne le dit pas
«BON VIEUX TEMPS» assez), qui a forcé les riches à améliorer le sort
des pauvres, ce que Jésus a prêché, mais ce dont
Or il n'y a jamais eu de« bon vieux temps», sauf vos Sages se souciaient assez peu, trop pressés
dans l'imagination des nourrices. Mais, au de se réfugier dans I' Autre Monde. Et quoi donc,
contraire, une longue suite de siècles de misère, sinon la Machine, en créant l'abondance, a fait
de faim et de douleur où, bien entendu, il était que cette générosité portât du fruit?
toujours agréable d'être un prince ou un lettré.
Mais ne comparez pas l'univers étroit et assez Le mot de « machine» vous rend malade, mais
morne d'un manœuvre de nos grandes cités à comme moi, comme nous tous, vous l'utilisez
celui d'un aristocrate élève de Platon et nour- tous les jours (qui vous empêche de vous déplacer
risson des Muses; comparez-le, si vous ~tes équi- à pied au lieu de prendre votre voiture? Vous la
table, à celui d'un fellah sous Ramsès; ou même, prenez cependant). Vous pensez que la machine
comparez-le seulement à celui d'un ouvrier du est une notion moderne; or, pour en revenir aux
XIX· siècle, crevant de misère avec ses enfants monuments que je citais intentionnellement pêle-
dans·Jes taudis affreux du début de .l'ère indus- mêle: les pyramides, Chartres, le Taj Mahal, ils
trielle, travaillant de 8 à 10 heures par jour dans ne se sont pas édifiés tout seuls, sans d'habiles
des ateliers inhumains. Avons-nous progressé ou ingénieurs et de patients techniciens, qui uti-
régressé, dites-le-moi? Oublieriez-vous le sang lisaient toutes les machines qu'ils pouvaient et,
et les larmes des esclaves qui permettaient seuls à défaut, des esclaves, ce qui est tout de même
à Platon de se réfugier dans le domaine des idées bien pis! Vous devez connaître, puisque vous
pures et de mépriser les machines, injures à la êtes ethnologue, les mille finesses techniques
pureté des mathématiques? qui ont permis à l'homme du néolithique de tirer
d'un kilogramme de silex bien plus de haches et
Vos Sages et vos visionnaires, il en a existé de de flèches que la brute paléolithique, donc
tous temps, devant lesquels il convient, aujour- d'étendre son territoire et finalement de mieux
d'hui encore, de s'incliner avec respect. Mais vivre. Je me divertis à penser qu'un grand-père
l'idée qu'on les écoutait jadis mieux qu'à présent sourcilleux, en caressant sa hache de pierre
est-elle bien solide? Comment le savez-vous? éclatée, a dû maugréer contre cette jeunesse qui
Vous croyez que l'homme du peuple écrasé sous polit des haches, et contre toutes ces inventions
ses tâches matérielles avait le temps de s'inté- qui mèneront la tribu on ne sait où ... Quant à la
resser à Socrate et à Bouddha? Peut-être a-t-il lumineuse civilisation grecque à laquelle j'ai
écouté Jésus dans une mesure un peu plus large; voulu me référer au début, c'était aussi et surtout
ou, plutôt, ceux qui l'écoutaient n'étaient qu'un Périclès, les lois dans la cité et dans le cœur de
petit noyau parmi une indifférence brutale et l'homme, et surtout la découverte éblouie de la
opaque comme 'la statistique. Et lorsque le Raison ...
Semeur semait, ne parlait-il pas lui-même de la Je sais bien que l'âme grecque, c'était aussi
majeure partie de la semence qui s'étouffe dans f.leusis, la mystique, l'initiation qui doit équi-
les ronces ou périt dans le désert? librer forcément la froide raison sans quoi
Il est vrai qu'il y a moins de Sages à l'ancienne l'homme n'est pas complet. Non, je n'oublie pas
mode dans les temps modernes, dans notre tleusis ... et moins encore Socrate et Jésus. Mais
Occident. Mais il y a toujours des saints d'une l'initié d'tleusis était le même homme qui suivait
sainteté plus épurée peut-être, moins mélangée les· leçons de 1' Académie, du Lycée ou du

8 Vive le monde moderne


Portique. Or, ce mariage de la raison et de la forêt n'est pas l'émule du divin Phidias ... Vous
mystique, nous l'avons réussi, nous autres d'Oc- blasphémeriez contre l'Homme et les Arts en
cident, sans trop Je savoir ni le comprendre soutenant le contraire.
d'ailleurs; et, dans cette réussite, nous avons J'entends bien, il y a eu le scientisme. C'était
été seuls ou à peu près. Seuls nous avons eu des un accès de fièvre, un péché de jeunesse! Ne le
saints et des savants à la fois ou, plutôt, nous prenez pas au tragique. Les hommes de science
avons continué à en avoir dans les temps étaient ivres, mais ils avaient des excuses; et, la
modernes, alors que les autres civilisations, lisière à peine franchie, ils ont cru posséder la
frappées de stérilité, n'avaient plus que les forêt. Tout cela est loin maintenant, et je crains
premiers et non les seconds. Seuls nous avons parfois que le scientisme ne soit remplacé, même
marché alors que les autres s'asseyaient pares- chez certains savants, par une abdication irra-
seusement, relisaient les Anciens et pensaient tionnelle et la plus lâche de toutes les fuites,
que tout était dit. Sans doute, tout en marchant, celle qu'inspire la peur de l'inconnu.
nous avons écrasé les autres; et les saints sont Ce qu'il faut pour exorciser tous ces fantômes,
aussi rares parmi les écraseurs que parmi les c'est concevoir la science comme une aventure;
écrasés. Mais nous les avons relevés, nous leur et c'est ce qu'elle représente pour moi-même et
avons appris leur propre histoire, qu'ils étaient pour bien d'autres. La plus exaltante, la plus
des hommes et qu'ils devraient nous chasser plus merveilleuse de toutes les aventures. Cet univers
tard, et comment. Ce qu'ils ont fait d'ailleurs. est si étrange! Et les yeux des Sages, mon cher
Cher Servier, le monde moderne n'est pas si Servier, n'en ont vu qu'une petite partie. Il y a
mauvais, voyez-vous: qui nous empêchait de les du danger? Certes! L'aventure était dangereuse
égorger tous commodément, ainsi qu'aux bons aussi pour Magellan, Christophe Colomb et
vieux temps où florissait Assur? Livingstone: ont-ils hésité, cependant? Hési-
terions-nous davantage? Sans doute, nous ne
NOUS AUSSI, NOUS AVONS NOS SAINTS! savons pas où nous allons, mais nous sommes
convaincus d'avoir fait reculer la souffrance, la
Qu'avez-vous donc à nous offrir en face de cette misère et l'ignorance au moins sur une partie de
civilisation si riche, si vivante surtout (et c'est cette planète, où maintenant tout le monde peut
bien pourquoi toute la terre converge vers elle: écouter Mozart pour quelques sous et lire Platon
les autres sont mortes)? Un quarteron de pro- en livre de poche: serez-vous impie au point de le
phètes des sentiers kabyles, ânonnant quelques- déplorer? Est-ce une conquête ou une défaite?
unes des vérités que nos philosophes, nos saints Ah! qu'il serait plus facile de dénier toute
et nos poètes ont dit avant eux et mille fois valeur aux Sages, aux prophètes et aux mystiques,
mieux? Ou bien l'affreuse obsession des Dogons et de tout rapporter à la seule science! Mais ce
de Bandiagara figés dans l'imitation maniaque serait se montrer infidèle justement aux règles
des moindres gestes d'un ancêtre mythique? Je du Savoir, oublier le réel et sa complexité. Nous
sais que tout cela ne manque pas de noblesse, ne le ferons pas; nous ne rejetterons pas comme
qu'il est des gestes eurythmiques, des sentences vous l'Occident. Car, plus sage que vous ne
profondes, d'admirables symboles. Mais encore l'êtes, nous tenons pour Périclès; mais sans
une fois, et je ne me lasserai pas de le répéter, oublier Eleusis.
qu'ont-ils que nous ne possédions aussi? Sachons Rf:MY CHAUVIN.
reconnaître les perles, certes oui, même si nous
en avons à pleins coffres. Mais une perle n'en
vaut pas mille si elles sont toutes de la même eau.
Restons sérieux, voyons! Ogotemmeli n'est pas
Socrate, un fabricant de masques au fond de la

Positions Planète 9
L'AVENIR DANS LE CIEL
Demain, vous aurez une âme
Arthur C. Clarke, président de la Société britannique d'Astronautique

Sommes-nous la chrysalide, la larve,


ou simplement/'œuf encore non éclos?
A. C. CLARKE.

HOMME COSMIQUE: HOMME NOUVEAU

Tout au long de son histoire, l'humanité a subi le progrès des


techniques et des connaissances, véritable moteur de l'évolution
au stade de l'hominisation.
Les découvertes du feu, de l'agriculture, de la métallurgie, du
télesc;ope, de la machine à vapeur, etc., transformèrent la condition
humaine. Et, donc, l'homme. Nul, pourtant, dans les premiers temps
de ces découvertes, n'en prévoyait les extraordinaires conséquences.
Le penseur avait toujours du retard sur le technicien. Toutefois,
ces mutations étaient suffisamment espacées pour que l'humanité
s'adapte progressivement à l'ère nouvelle qui s'ouvrait. Mais, au
cours des siècles, les révolutions et les mutations se sont faites plus
rapides, plus rapprochées. Aujourd'hui, Je mode de vie et de pensée,
Je capital de connaissances, la vision de l'univers et de l'homme se
renouvellent à un rythme plus rapide· que le cycle des générations·
et le vieillard ne reconnaît plus le monde de son enfance. Il se peut,
toutefois, que cette précipitation de l'évolution nous permette, para-
doxalement, de ne plus la subir à retardement, mais, au contraire, de
la prévoir, de la préparer et de la conduire. Cela devrait être
possible précisément en raison de cette accélération. Dilués dans le·
temps, les phénomènes cessent d'être perceptibles. Or, durartt des
millénaires, l'histoire humaine s'est déroulée à un rythme infiniment
plus lent que la vie individuelle. L'homme n'a pas la même durée que
son histoire. Aujourd'hui que le rythme historique a rattrapé et
même dépassé le rythme individuel, la dynamique évolutive

Le monde futur 11
devient presque physiquement sensible à l'huma- ne sait-on pas que les pensées, les croyances, les
nité 1 • sentiments reflètent un certain état de nos
Nous savons que demain ne ressemblera pas à connaissances et de nos techniques? L'homme du
aujourd'hui parce que nous constatons qu'aujour- Moyen Age ne saurait rester lui-même au milieu
d'hui diffère complètement d'hier. Mais nous du monde contemporain industrialisé et l'homme
savons aussi que cette évolution se fera vers moderne ne saurait s'adapter à la civilisation
l'avant, sous la poussée irrésistible du progrès moyenâgeuse. Une révolution dans la .science
technique et scientifique. Demain, plus qu'aujour- entraîne automatiquement un changement paral-
d'hui, l'homme comprendra et changera le monde, lèle dans la civilisation et l'individu. Nous
comme le dit notre ami Rémy Chauvin, dans ce entrevoyons les bouleversements scientifiques et
même numéro. techniques vers lesquels nous allons ... Clarke a osé
Nous voici dès lors fascinés par cet avenir si pousser plus loin la vague visionnaire.
différent du présent. L'anticipation grise l'ima- Cette exploration du devenir humain à l'époque de
gination quand le futur est si lourd de trans- la conquête spatiale, de la maîtrise des phéno-
formations. A quoi ressemblera le monde de mènes vitaux, de l'épanouissement complet de
demain? Cette question ne se posait pas il y a l'électronique, c'est le grand sujet qu'il aborde
quelques générations. Aujourd'hui, elle hante tous dans un petit livre inédit en français, de 180 pages,
les esprits. «le Défi du vaisseau spatial», dont nous· pré-
A cette question, Arthur C. Clarke, président de la sentons les passages essentiels. Il s'agit d'une anti-
Société britannique d'Astronautique, est l'un des cipation en profondeur, plus grave, plus lourde de
hommes qui a apporté une des plus süres réponses conséquences que les habituelles descriptions du
dans son .ouvrage « Profil du Futur», qui a fait monde de l'an 2000 ou de l'an 2100. Peut-être
l'objet d'un des derniers volumes de !'Encyclo- ces pages prophétiquès de Clarke nous seront-
pédie Planète. Dans ce livre, Clarke tentait elles très bientôt nécessàires pour comprendre,
essentiellement de décrire les transformations que au terme de notre vie, les enfants qui naissent
subiront le monde et notre mode de vie dans les aujourd'hui ...
décennies à venir. Mais la réponse à cette pre- PLANETE.
mière question amène une autre question: que
sera l'homme de l'avenir? Cette fois, l'interro- 1. Voir dans le N• 14 de Planète. le cours de !'Ecole Permanente, ëtàbli
gation paraît d'une folle présomption. Et pourtant par le professeur de Cayeux:• Qu'est-ce que !'Evolution?"

1 De l'espace et de l'esprit
Dans une période qui sera très courte par de tous les hommes qui ont jamais regardé un
rapport à la durée historique (peut-être un siècle ciel nocturne et se sont demandé quel rôle notre
tout au plus), nous pourrons établir un contact race était destinée à jouer dans le drame sans
physique avec la totalité des grands corps solides fin de l'univers. Beaucoup des grandes questions
du système solaire 1 • Un débarquement sur la religieuses ou philosophiques doivent maintenant
planète la plus éloignée du système solaire est être reformulées et il est hautement probable que
plus près de nous que le Second Empire. certaines, qui semblaient sans espoir de réponse,
L'ombre de ces événements à venir s'étend pourront être bientôt résolues.
déjà sur notre époque, imprégnant les pensées 1. Voir, dans cc meme numéro, l'article du professeur Bracewell.

12 Demain, vous aurez une âme


EN QUINZE ANS,
DES BOULEVERSEMENTS
Des réponses CONSIDERABLES
aux éternelles questions
religieuses et philosophiques. Cette considération nous conduit à la deuxième
et également remarquable transformation que les
derniers dix ou quinze ans ont apportée. A une
époque pas très éloignée, en 1947, il était encore
L'existence d'une vie intelligente en dehors de la possible à Lecomte du Nouy, dans son ouvrage
Terre tient une place unique parmi ces problèmes célèbre, «la Destinée humaine'" de soutenir que
en raison de ses prolongements intellectuels et le vivant ne pouvait vraisemblablement pas sortir
affectifs. Le seul type de vie que nous puissions de la matière inorganique par le jeu de fo.rces
imaginer sans nous perdre dans des fantaisies purement naturelles. Nous savons aujourd'hui,
biologiques doit se · situer sur des planètes. grâce aux travaux de biologistes comme Oparine
Jusqu'à une époque récente, les astronomes et Bernal, que l'argument apparemment convain-
admettaient, quoique à regret, que les planètes cant (de la complexité de la matière vivante)
étaient des phénomènes excessivement rares 1 • est tout à fait fallacieux et. que la vie peut
Aujourd'hui nous sommes à peu près sftts que la probablement évoluer à partir de la matière
vérité est exactement inverse. Les théories mo- inerte dans des conditions qui ont dt1 exister
dernes sur la formation du système solaire sug- sur beaucoup de planètes primitives ou nou-
gèrent que beaucoup d'étoiles, si ce n'est toutes, vellement formées. Le processus pourrait même,
doivent être entourées d'un cortège de planètes. en vérité, être inévitable lorsque l'on considère
Cette hypothèse a reçu un support considérable des durées astronomiques. ·
lorsque fut découvert, en 1942, dans le système
d'étoile double 61 du Cygne, un corps jusque-là
inconnu et beaucoup trop petit pour être un
soleil. Cette étoile double est l'une de nos plus Un milliard de mondes
proches voisines; ce serait une coincidenèe vrai-
ment extraordinaire, dans le cas où les planètes dans notre galaxie
seraient réellement rares, d'en trouver un spé- portent la vie.
cimen pratiquement à notre porte. Si nous éli-
minons les systèmes qui, par suite de l'instabilité
du soleil central ou pour quelque autre raison,
semblent peu propres à abriter la vie," nous ne Depuis quelques années, la fréq_uence dans
devons pas être loin de la vérité en estimant l'univers des planètes et des. êtres vivants est
qu'une étoile sur dix possède à tout le moins une devenue une hypothèse hautement probable. Si
planète sur laquelle la vie pourrait théoriquement nous tenons à être désespérément conservateurs,
exister. nous estimerons que la vie ne peut être associée
qu'à une étoile sur une centaine. Harlow Shapley,
dans son livre « des Etoiles et des Hommes>>,
réduit le nombre à une sur un trillion en étant
ultra-pessimiste. Il estime que une sur un million
Une planète sur dix .représente une estimation plus raisonnable. Mais
doit pouvoir les nombres, en notre état de semi-ignorance,
abriter la vie.
I. Voi.r, dans les N" 16 el 17 !e cours de !'Ecole Permànente sur
I' Astronomie.

Le monde futur. 13
ne sont que de pures spéculations pour la solidité taines formes de vie dans le système solaire
du raisonnement. Posons une sur une centàine et (sur Mars, certainement, sur Vénus, ce n'est
voyons où cela nous conduit. Cela implique qu'une possibilité), mais que nous ne rencon-
l'existence d'un milliard de mondes abritant des trerons pas d'intelligence. Ce serait vraiment trop
formés de vie dans notre seule galaxie et, à .espérer que de s'attendre à ce que deux espèces
portée de nos télescopes, on trouve approxima- intelligentes puissent exister dans la même petite
tivement un milliard d'autres galaxies. région de l'espace et au même moment.

VERS DES DËCOUVERTES


IMPRËVISIBLES
Il est tentant, quand on se sent submergé. par de Le moindre lichen sur Mars
tels nombres, de se dire que ces perspectives prouverait que la vie
astronomiques n'ont aucune importance pratique n'est pas une maladie rare.
puisque nous ne pourrons jamais avoir conn,ais-
sance que d'une petite partie de l'univers.
Une telle attitude fut adoptée par les disciples
d'Aristote qui refusèrent de regarder dans la Toutefois, la découverte d'une forme de vie, aussi
lunette de Galilée et de voir par eux-mêmes que humble soit-elle, sur une planète quelconque
Jupiter, tout comme la Terre, avait des satellites affecterait grandement notre vision de l'univers
tournant autour de lui. Du moment qu'ils ne en transformant ce qui est maintenant une pure
pouvaient pas être vus à l'œil nu, estimaient ces supposition en une certitude. La présence de
personnages, les satellites hérétiques n'existaient quelques lichens sur Mars ou de quelques amibes
pas réellement. dans les (hypothétiques) mers de Vénus nous
Pourtant nous ne pouvons pas nier l'univers car prouverait que la vie n'est pas une maladie rare
nos propres enfants commenceront à l'explorer. qui s'est trouvée attaquer la Terre. Ce fait établi,
Leurs premiers et modestes voyages trans- il serait illogique de nier l'existence de formes
formeront complètement notre vision du cosmos. supérieures ailleurs.
Une fois que nous pourrons gravir, ne serait-ce
que les deux cents kilomètres qui nous séparent LA CONQUE.TE DES ABIMES
du cosmos, et ainsi établir des observatoires INTERSTELLAIRES
satellisés par-dessus l'atmosphère épaisse et
brumeuse, nous aurons l'impression de passer du Il est possible que nous trouvions des preuves
brouillard à la lumière du jour. Sans nous éloigner directes de ce point essentiel sur Mars. Même
de la Terre d'une distance supérieure à celle qui si nous avons rafé les Martiens de quelques
sépar,e New York de Washington, nous aurons millions d'années, leur histoire sera encore
brisé la barrière visuelle et pourrons examiner écrite dans les roches d'un monde aride qui ne
Mars, par exemple, à une distance apparente de connaît ni l'érosion ni les transgressions et
seulement quelques milliers de kilomètres. régressions maritimes qui ont effacé une si grande
Il est évidemment impossible d'anticiper les partie du passé de notre planète. Mais ces spécu-
découvertes qui seront faites quand nous par- lations demeurent pour l'instant sans fondements.
viendrons à nous échapper de la Terre. En effet, Jusqu'à ce que nous ayons des raisons de croire
une des caractéristiques des découvertes réelle- le contraire, il est plus sür de penser que l'homo
ment importantes est qu'elles sont imprévisibles. sapiens est la seule créature intelligente à avoir,
Pour le moment, les témoignages astronomiques à ce jour, évolué dans le système solaire. Pour
permettent de penser que nous trouverons cer- trouver nos semblables ou nos égaux, nous

14 Demain, vous aurez une âme


devrons nous aventurer plus .avant vers les de l'univers. De nos jours, il est difficile de
planètes d'autres soleils. se représenter qu'à une époque aussi proche que
Cette aventure, pour parler par litote, pose des celle de Shakespeare, nul ne savait que d'autres
problèmes. Nous relevions présentement le défi mondes existaient. Bien que les Grecs l'aient
des distances interplanétaires, mais les abîmes soupçonné, on n'en eut pas de preuve directe
nous séparant des étoiles sont un million de fois jusqu'à l'jnvention du télescope, aux alentours
plus vastes et la lumière elle-même met des de 1608. De ce fait, pour presque tqus les
années à les franchir. Il y a néanmoins de bonnes hommes instruits vivant il y a une douzaine de
raisons de penser que les voyages interstellaires générations, notre planète était à elle seule
finiront par être possibl€;s. l'univers. On pourrait même dire que c'était
Un transport physique pourrait n'être pas néces- encore vrai pour 90 3 de l'humanité jusqu'au
saire. En développant les techniques actuelles· de matin du 4 octobre 1957.
l'électronique, nous devrions être capables de
recueillir un signal morse émis depuis la plus L'HOMME REDEVIENT MODESTE
proche· étoile. Il pourrait donc être intéressant,
sitôt que nous en serons capables, d'établir des - L'extension de l'échelle de durée a eu également
postes d'écoute satellisés très loin du tumulte des effets marquants sur la pensée humaine.
radio et des interférences électriques de la Terre Jusqu'au beau milieu du x1x• siècle, la plupart
et de commencer à chercher dans cl'espace des des Occidentaux croyaient à la véracité de la date
signaux modulés de façon intelligente. donnée par l'archevêque Ussher pour la Genèse:
4004 avant J.-C. On peut encore la retrouver
écrite dans certaines bibles. Il est curieux en
vérité, que tant d'hommes pieux, durant les trois
Nous devons nous mettre cents ans qui séparent Darwin de Galilée, aient
obstinément refusé de reconnaître la grandeur de
à /'écoute des autres mondes. l'univers dans l'espace et dans le temps, comme si
cela impliquait un certain mépris du pouvoir de
Dieu.
Ainsi nous pouvons espérer établir, d'une façon
ou d'une autre, l'existence d'intelligences extra-
terrestres avant quelques décennies ou, au plus, « Qui est l'homme
quelques siècles. Si quelqu'un conservait des
doutes à ce sujet, je lui rappellerais l'erreur pour que tu te soucies de lui?»
malheureuse d'Auguste Comte qui affirmait
témérairement que notre ighorance concernant
la nature des étoiles serait éternelle.
En gardant ces données présentes à l'esprit, il A mesure que la petitesse de la place de l'huma-
n'est pas prématuré d'une part, et il est stimulant nité dans le dessin de l'univers sera reconnue, les
d'autre part d'envisager quel effet ces révélations conséquences seront certainement profondes sur
inconnues mais certaines auront sur l'esprit des notre orgueil racial. A l'interrogation des
hommes. Elles accéléreront certainement un pro- Psaumes: « Qui est l'homme pour que tu te
cessus qui ne cesse de s'emballer depuis que soucies de lui?•>, l'avenir pourrait bien fournir
Copernic a privé la Terre de son titre de centre la réponse sarcastique: «Qu'est-ce en vérité?"·
de la Création, et a commencé à lui faire Notre espèce est apparue dans les derniers cinq
accomplir son voyage sans fin à la périphérie millièmes de l'histoire de la Terre, et toute la

Le monde futur 15
durée de la civilisation ·humaine s'étend à peine A ce moment de l'Histoire, nous devons· com-
sur un millionième de ce temps. A moins de faire prendre qu'il n'est pas d'espoir de comprendre
preuve "d'une présomption qui devrait justement notre univers tant que nous n'en aurons pas
être qualifiée d'astronomique, nous devons consi- étudié un assez large échantillon, certainement
dérer qu'il y a beaucoup de races dans l'univers plus qu'une petite planète sur des milliards.
bien plus avancéès que nous intellectuellement et Harlow Shapley, dans l'ouvrage «des f:toiles et
spirituellement. L'extrême jeunesse de l'homo des Hommes'" envisage que « nos religions et
sapiens donne à penser que la majorité des créa- philosophies actuelles qui ont si souvent et si évi-
tures intelligentes extra-terrestres doivent nous demment été rattacMes à la Terre et liées à
être supérieures par un million d'années de l'esprit et au comportement humains» s'épa-
développement. nouiront jusqu'à incorporer ces nouvelh:s révé-
De nombreux chrétiens se sont alarmés de ces lations de la science. L'astronome britannique
perspectives. Ils trouvent difficile· de réconcilier Fred Hoyle, dans une série de causeries radio-
l'existence d'!iutres espècçs intelligentes avec les phoniques qui fournit la matière de son ouvrage,
dogmes de l'incarnation et de la rédemption. «la Nature de l'univers'" prit une position maté-
·L'Eglise ·catholique a pourtant déjà accepté rialiste sans compromis qui fit couler bien de
favorablement l'âge de l'espace (peut-être que les l'encre chez ses auditeurs. Il concluait qu'il n'y a.
· travaux éminents des jésuites en astrophysique y aucune preuve dans l'univers de l'existence de
ont beaucoup contribué). En 1956, la Fédération Dieu, la religion étant probablement une illusion
internàJionale d' Astronautique tint un congrès à de l'esprit humain.
Rome et entendit une longue adresse très docu-
mentée 9ù pape Pie Xlf dans laquelle il estimait LA RELIGION ET LA SCIENCE
que, dès lors que l'homme ·avait découvert le
moyen d'explorer l'univers, Dieu lui avait clai- De ce point de vue, on peut estimer que, lorsque ·
rement manifesté son intention de le voir s'en nous prendrons cont.act avec des intelligences
servir. C'est là une loi que la plupart des hommes, extra-terrestres supérieures, nous découvrirons
quelles que soient leurs croyances, accepteront que la croyance en un ordre surnaturel des choses
sOrement. Toute voie vers la connaissance est relève d'un stade primitif de l'évolution et dis-
une voie vers Dieu - ou vers la réalité - selon paraît avec l'épanouissement de la science. ·Le '
qu'on préfère utiliser un mot ou l'autre. plus étonnant de tout serait de découvrir que
l'homme est le seul animal qui fabrique des
mythes; toujours obligé de combler par' un apport
d'imagination les lacunes de ses connaissances,
La Science rend Dieu (Toutefois, si c'est là le prix que nous avons do
dè plus en plus grand. payer pour le royaume de l'art, qui est toujours
un effort pour créer du non-existant, nous
n'avons pas besoin d'en être honteux. Nous nous
en trouvons mieux ainsi que de posséder toutes
De ce fait, nous pouvons conclure que tQutes les
craintes de voir l'exploration de l'espace briser
les bases des religions existantes sont· sans fon-
dements. Le flot énorme des nouvelles connais-
sances qu'amèneront les voyages dans l'espace L'univers est plus miraculeux
modifiera seulement certains des aspects de nos que tous les miracles.
croyances religieuses et philosophiques.

16 Demain, vous aurez une âme


les connaissances, mais de ne rien savoir de la travail, le véritable expert . remballe ses outils
poésie et de la musique.) et s'en va une fois son travail fait...
Attendons donc dans un esprit d'humble attente
Quel que soit le résultat de nos découvertes et la lumière, quelle qu'elle soit, que l'avenir pourra
de nos aventures dans l'espace, le fait demeure jeter sur ces grandes questions, nous souvenant
que l'univers réel est plus miraculeux que tous que notre honnêteté intellectuelle pourrait bien
les miracles. Et, même si chaque homme actuel- être jugée d'après notre manque de compré-
lement en vie, vu avec un recul d'un siècle, hension.
apparaît comme un vulgaire ·sauvage nourri de
croyances dépassées, le résultat sera de laisser
Dieu précisément là où il a toujours été, s'il a
jamais été quelque part, c'est-à-dire tout au début Parmi les étoiles, se trouvent des vérités
de la création, X milliards d'années en arrière. que nous sommes appelés à comprendre.
(Présentement X = 5, mais souvenons-nous de
l'archevêque Ussher.) Peut-être que, lorsque
Dieu eut atteint le zéro ·du compte à rebours
cosmique, il tourna ailleurs son attention, sachant Les croyances passent, mais la vérité reste. Loin
qu'il en avait terminé avec nous. Si nous décou- d'ici, parmi les étoiles, se trouvent ces vérités
vrons que tout au long des âges, depuis l'origine que nous sommes appelés à comprendre, que
des temps, il n'a jamais do réparer le mécanisme nous les apprenions par nos propres efforts ou
de l'univers, sa gloire n'en sera pas diminuée par des professeurs étrangers, qui nous attendent
- ce serait plutôt le contraire. Seul. un ouvrier le long de la route sans fin sur laquelle nos pieds
maladroit est obligé de réajuster sans cesse son se sont irrévoc~blement posés.

2 De l'esprit et de la matière
Durant des millénaires, l'humanité a débattu, sonnes ayant partie liée avec certaines des
avec une singulière absence de résultats, des pseudo-réponses qui ont cours actuellement. Les
questions comme l'existence de l'âme, la signi- questions éternelles se trouvent maintenant
fication de la personnalité, la relation entre transposées dans les domaines de la biophysique,
l'esprit et le corps et, par-dessus tout, la possi- de la neurologie et de l'électronique. A première
bilité d'une survie après la mort. Le fait que le vue, il peut sembler improbable qu'un tel secteur
débat soit encore aussi brülant, que lorsqu'il de la technique moderne puisse avoir quelque
s'éleva à la fin du néolithique, suggère fortement rapport avec les grandes questions philoso-
que les questions ont été mal posées. Certains phiques et religieuses.
développements au cours des dernières décennies
indiquent, avec une égale force, que le moment
est venu de les réenvisager dans des termes qui
leur donnent un sens. Le savant à /'assaut
Ces développements sont purement scientifiques, de la philosophie.
eirconstance qui désorientera beaucoup de per-

Le monde futur 17
Mais, durant des siècles, il avait semble éga-
lement invraisemblable que plusieurs millénaires
de spéculations cosmologiques, culminant avec Nos machines copient
les visions poétiques du « Paradis perdu» de des comportements humains.
Milton, eussent pu être balayés en quelques
décennies par une paire de lentilles dans un
tube. De nos jours, nous assistons à une autre
percée scientifique dans un domaine qui nous nismes du cerveau lui-même, d'autre part des
affecte personnellement beaucoup plus que ne systèmes électroniques ont été construits qui
pourraient le faire toutes les découvertes astro- répètent - souvent avec un réalisme stupéfiant -
nomiques. le comportement des créatures sensibles. Le
Il est maintenant évident que nous approchons développement sur une grande échelle des ordi-
plus près que nul n'eQt osé l'imaginer, il. y a nateurs géants a fait énormément pour détruire
quelques années, du secret de la vie elle-même. l'illusion qu'il y a quelque chose de trans-
Des outils aussi fabuleux que le microscope cendant dans le cerveau, quelque chose le
électronique, qui nous a donné une claire vision mettant au-dessus de toute possibilité de repro-
des unités de base dont sont faits les organismes duction ou d'imitation par une machine.
vivants, nous révèlent comment fut franchi le Toutes les activités de base de l'esprit ont
pont entre la matière inorganique et le monde maintenant été reproduites avec plus ou moins de
plus riche de la vie. Ce pont sera de nouveau succès par des systèmes électroniques... Aujour-
franchi dans quelque laboratoire, ce n'est plus d'hui les ordinateurs sont des «cerveaux» élec-
qu'une question de temps, et que ce moment se troniques dans toute l'acception raisonnable du
situe dans dix ou cent ans n'est pas en soi une terme. Il est vrai qu'ils ont l'intelligence d'un
chose importante. Beaucoup de détails de l'élec- ver solitaire n'obéissant qu'à une seule moti-
trochimie extraordinairement complexe de la vie vation (bien qu'ils possèdent généralement une
nous échapperont durant des générations, mais meilleure mémoire), mais cela ne change rien au
on ne peut plus douter maintenant qu'il n'y ait fait de base.
rien de fondamentalement mystérieux et incom- Tout cela ne signifie pas que l'on pourra cons-
préhensible dans le processus qui a construit et truire l'équivalent électronique du cerveau
anime nos corps. Cela ne les rend en aucune humain dans un futur proche ou même lointain.
façon moins merveilleux. La véritable connais- Mais. la réussite n'est pas impossible en soi,
sance, quand elle chasse la superstition, diminue et, quand on considère les progrès de la technique
rarement l'admiration et le vertige. Est-ce que durant les cent dernières années, il serait insensé
par exemple le minuscule monde de Milton peut de déclarer catégoriquement que cela ne pourra
se comparer à la grandeur de l'univers que nous jamais être fait.
connaissons aujourd'hui?
Bien des gens trouvent quelque peu dégradant
LE CERVEAU ET LES ROBOTS de considérer le cerveau, tout .comme le corps
humain, «seulement» comme une. mécanique
Il paraît possible que le cerveau garde ses électrochimique et refusent simplement de
secrets plus longtemps que le corps, mais, là l'admettre. Cette attitude est complètement
encore, des progrès remarquables ont été faits absurde. Le Taj Mahal est «seulement» une
vers une compréhension totale des processus de masse de pierres et le plafond de la chapelle
la mémoire et de la raison. Dans ce cas, la percée Sixtine « seulement» du plâtre et de la peinture.
scientifique s'est produite dans deux secteurs Le matériel est peu important, seul importe le
différents: d'une part on a exploré les méca- modèle. Il se pourrait bien que nous n'apprenions

18 Demain, vous aurez une âme


à penser correctement et efficacement que
lorsque nous saurons comment nous pensons. La réincarnation
On doit pouvoir affirmer sans simplification
outrée qu'un homme est la somme de ses possi- est scientifiquement envisageable.
bilités (l'ensemble des circuits par lesquels il
observe le monde extérieur et décide de ses
réactions) et de sa mémoire. Il peut y avoir
d'autres éléments, mais ceux-ci sont fonda- Il s'ensuit que, d'un point de vue strictement
mentaux et, grâce à eux, s'expliquent en grande scientifique, la réincarnation est théoriquement
partie et peut-être complètement la personnalité possible. Si l'on pouvait reproduire le modèle
et le comportement de chacun d'entre nous. physique d'un individu à partir de la délicate
structure moléculaire qui est la bibliothèque de
UNE CONCEPTION l'esprit, il n'y aurait aucun moyen de distinguer
DE L'IMMORTALITË entre l'original et sa copie.
Si vous pensez que c'est une divagation absurde,
Une caractéristique d'un modèle est de pouvoir sans importance pratique, bien d'autres surprises
être reproduit. Une bonne illustration de cette vous attendent. L'aventure vous est arrivée au
idée est donnée par la façon dont des copies cours des derniers mois; elle m'est arrivée durant
innombrables peuvent être tirées de l'enregis- que vous lisez ces mots. C'est une simple consta-
trement d'un symphonie par un grand maître. Si tation de fait, mais un fait qui n'aurait jamais
elle apparaît comme plus difficile, la repro- pu être imaginé avant que les outils de la science
duction d'une personnalité humaine n'est pas moderne aient été braqués sur les mécanismes de
fondamentalement différente. Dans l'état primitif la vie. .
de notre technique, nous ne pouvons essayer Les atomes de notre corps sont en constant mou-
d'imaginer comment cela pourrait être accompli, vement et remplacés si rapidement par d'autres
pas plus que· Beethoven n'aurait pu imaginer fournis par la nourriture que nous mangeons, que
comment une exécution de la Neuvième Sym- nous nous trouvons complètement reconstruits
phonie aurait pu être arrachée au temps et en quelques semaines. Même les. os sont, im-
préservée pour l'éternité. pliqués dans ce flux et ce reflux incessant de
Le problème de base est d'enregistrer et de matière. Chacun de nous traverse le monde
reproduire l'énorme quantité d'informations qui comme une flamme, cherchant son carburant
contribuent à définir une personnalité et une dans son environnement, l'assemblant en un
mémoire. Toutefois l'espace réel de stockage modèle éphémère et le rejetant comme fumée et
exigé est vraiment trop étroit. La nature cendre. Seule la flamme est relativement im-
s'arrange pour comprimer le modèle d'un corps muable, jusqu'à ce qu'elle s'épuise et s'éteigne
humain en une paire de cellules invisibles à l'œil à la fin de la vie.
nu, et la m.!moire de toute une vie dans un bloc On a dit qµ'aucun homme ne s'était baigné deux
de substance de vingt centimètres de diamètre. fois dans le même fleuve. Il est presque aussi
Est-ce trop attendre de l'homme que de penser vrai de dire qu'aucun homme ne s'est jamais
qu'il pourra un jour accomplir cette performance
avec un ensemble électronique de quelques
mètres cubes? Après tout, nous savons déjà faire
tenir la Bibliothèque du Congrès dans une boîte Demain nous ne mourrons plus
à chaussures et la masse d'informations impliquée de la même façon.
ici doit être comparable à celle définissant une
personnalité humaine.

Le monde futur 19
regardé deux fois dans le miroir. Le flux de ·1a du XIX' siècle, bien que cette accusation soit
chair peut être plus lent que le mouvement de appelée à faire redoubler l'indignation de
l'eau vers la mer, mais il n'est pas moins inexo- nombreux critiques. Beaucoup trop de gens par
rable. Nous nous trouvons donc impliqués dans ailleurs instruits conçoivent encore le mot
1,me ·sorte de réincarnation permanente presque «machine» comme un assemblage d'engrenages,
aussi merveilleuse que n'importe quelle autre de manivelles et de leviers. Ils ont conservé la
forme qui a pu être imaginée. mentalité de l'époque de la machine à vapeur. Ils
ne peuvent pas imaginer la complexité et le raffi-
DES MACHiNES AU VIVANT nement des grands ordinateurs qui sont main-
tenant des laboratoires vivants dont certains
Ces considérations nous permettent de donner comprenne~t un million de circuits, sont aussi
une réponse définitive et quelque peu inattendue volumineux que des maisons bien qu'ils ne com-
à l'ancienne question de l'immortalité. Ce qui portent pratiquement aucun élément en mou-
nous arrive, quand nous mourons, ne diffère pas vement, et peuvent effectuer cent mille opé-
de façon fondamentale de ce qui advient de rations à la seconde.
l'information contenue dans une carte perforée
quand cette carte brOle. Supposons que l'infor- Nul ne peut dire où cela nous conduit, mais
mation soit aussi stockée autre part (de quelle scruter vaguement les brumes du futur est un
façon, cela n'a pas d'importance), et soit en état rêve - je n'ose pas dire une possibilité -
de préparer une nouvelle carte. Il n'y aura pas auquel se sont déjà essayées la plupart des
moyen de distinguer la nouvelle carte de religions du monde. Puisque le modèle seul
l'ancienne. compte, est-ce que l'esprit et l'intelligence
S'il paraît absurde encore à certains de parler peuvent exister sans matière? Par exemple dans
de stocker un être humain sur quelques mètres de des relations entre des entités purement élec-
ruban, c'est seulement parce que nous ne triques ou des assemblages de radiations? Il
pouvons pas encore construire les systèmes de existe déjà certaines preuves montrant que
codage et de décodage qui permettraient l'espace lui-même possède une .structure et
d'accomplir cet exploit. Si le jour devait jamais · peut à tout le moins, en principe, être utilisé
venir où un tel exploit serait possible, la mort comme un milieu pour emmagasiner et utiliser
aurait perdu son pouvoir sur l'esprit des hommes. des informations.
De ce fait, l'intelligence qui est sortie des inter-
actions de la matière, et s'en est servie comme
d'un véhicule durant si longtemps, pourrait à la
Les machines sont en train fin se libérer de son milieu originel, comme un
papillon sortant de la prison de sa chrysalide.
de changer de nature. Et, comme le papillon montant au ciel d'été,
elle pourrait aller de l'avant en dirigeant des
expériences très supérieures à celles atteintes au
cours de ses précédentes métamorphoses.
Je ne doute pas que beaucoup de lecteurs consi- Où en sommes-nous aujourd'hui dans la hié-
déreront ces spéculations comme naïvement rarchie qui, à des époques très lointaines,
mécanistes parce qu'ils n'arrivent pas à récon- pourrait culminer en quelque chose que seul le
cilier des choses aussi impondérables que la mot «esprit» pourrait décrire? Sommes-nous la
personnalité et l'intelligence avec les concepts de chrysalide, la larve ou simplement l'œuf non
l'électronique et la théorie de l'information. Une encore éclos?
telle attitude est une survivance du matérialisme ARTHUR C. CLARKE,

20 Demain, vous aurez une âme


Des idées pour le 111° millénaire

aura un diplôme ou, au moins, une discipline


Sur le progrès: scientifique.
Nous ne devons pas commettre l'erreur trop
fréquente de mesurer le progrès à la simple Sur la conscience cosmique:
expansion physique ou même à l'accumulation
des connaissances scientifiques. Seuls les petits Nous connaissons tous l'attitude de l'homme qui
esprits sont impressionnés simplement par la ne s'intéresse à rien d'autre qu'à sa ville ou son
taille et le nombre . La possession de l'univers village et fonde tous ses jugements sur des cri-
n'aura aucune valeur si elle ne nous apporte ni la tères paroissiaux. Nous évoluons lentement
sagesse ni le bonheur. Cependant, nous devons le - peut-être trop lentement - de cette menta-
posséder, au moins en esprit, si nous voulons lité vers une vision cosmique. Peu de choses
jamais répondre aux questions que l'homme se contribueront plus efficacement à précipiter
pose depuis le début de son histoire . cette évolution que la conquête de l'espace ...
Le besoin d'explorer, de découvrir, de poursuivre Il n'est pas facile de prévoir dans quelle mesure,
la connaissance est une impulsion première de et pour combien de temps, les formes extrêmes
l'homme qui n'est justifiée par rien d'autre du nationalisme pourront survivre quand les
qu'elle-même. hommes commenceront à voir la Terre dans sa
vraie situation : comme une simple boule parmi
Sur /'avenir cosmique: les étoiles.
Beaucoup d'entre vous pourraient bien avoir des Sur la mort:
descendants qui ne seraient pas nés sur Terre.
Il est toujours dangereux de faire des prédictions Il n'y a pas de vraies raisons pour que l'homme
négatives . doive mourir quand il meurt.
Nous devons choisir d'atteindre les étoiles ou Chacun d'entre nous doit avoir absoroé des
d'attendre que les étoiles nous atteignent. atomes qui, en leur temps, appartinrent à César
On rencontre encore des savants pour estimer ou à Socrate, à Shakespeare ou à Salomon.
qu'il n'est pas nécessaire d'envoyer des hommes
dans l'espace, quand bien même ce serait maté- Sur les loisirs:
riellement possible, car, estiment-ils, les ma-
chines sont capables de faire tout ce qui est L'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité,
nécessaire. Une telle opinion est incroyablement dans les années à venir, sera l'homme capable
à courte vue, bien pis, elle est stupide car elle d'inventer un nouveau sport.
ignore la véritable nature humaine. Si même nous
ne pouvions rien découvrir dans l'espace que nos Sur la nécessité d'évoluer:
instruments ne nous aient déjà appris, nous
devrions y aller exactement de la même manière . Quand il n'y a plus rien à dire de vous, vous
Le premier homme à fouler le sol de la Lune êtes déjà mort. ARTHUR c. CLARKE.

Le monde futur 21
J ~ ..
~ • .J
~---!
• • .... ! •
I'
. . "' . .,. .. •

L'AVENIR DANS LE CIEL


On nous cherche dans le cosmos!
Robert N. Bracewell, professeur à l'université de Stanford (U.S.A.)

Il ne faut pas espérer que notre prochaine entrée en contact sera la


première de son espèce. Ce sera plut6t une insertion dans la chafne des
soèiétés galactiques ayant une longue expérience des liaisons avec
d'autres sociétés. R.N. B.

On nous fait souvent le reproche COMMENT COMMUNIQUER AVEC LES EXTRA-TERRESTRES?


de ·trop nous intéresser aux hypo-
thèses sur l'existence d'une vie Les physiciens américains Morrison et Cocconi pensent qu'il se
extra-terrestre; dans le même temps pourrait que quelque part dans la galaxie des sociétés évoluées
la revue anglaise « Nature ,., consi-
dérée comme la première revue existent, qu'elles nous soient supérieures en développement techno-
scientifique du monde, publie le texte logique et qu'elles émettent des ondes dans notre direction sur
ci-contre du professeur Robert N. une fréquence de 1 420 Mc/sec. L'astronome Drake a décrit l'équi-
Bracewell. Un savant mondialement pement actuellement en construction pour tenter de détecter ces
respecté s'interroge sur les tech- émissions. La conviction de ces savants est basée sur une hypo-
niques à mettre en œuvre pour thèse selon laquelle les planètes susceptibles d'être habitées sont
entrer en contact avec les intel- un sous-produit ordinaire de la formation des étoiles. Un des
ligences qui, selon toute vraisem- arguments parmi d'autres, avancés en faveur de cette théorie, est
blance, . nous cherchent dans . ~e
cosmos. que certaines étoiles ont, comme le Soleil, des vitesses angulaires
R.N. Bracewell est un chercheur faibles. Nous savons que pour ce qui est du Soleil la petitesse de
australien qui est devenu professeur ce moment angulaire tient à l'existence d'un système planétaire.
aux États-Unis, à l'université de Parmi ces milliers de millions de planètes de la galaxie qui peuvent
\
Staoford. C'est un spécialiste de se trouver dans une situation semblable à la Terre par rapport à
l'électronique et des télécommuni- leur étoile, il est difficile d'écarter la possibilité que certaines
cations. Dans le programme qu'il abritent des civilisations plus développées que la nôtre. Si nous
propose à la science, il ne sort donc considérons la vitesse avec laquelle la technologie progresse depuis
pas de ses spécialités.
un d1;:mi-siècle, des sociétés plus évoluées pourraient être incroya-
blement plus avancées .
. Cette possibilité vaut la peine d'être examinée. Drake a l'intention
d'étudier la zone de Céti et de Bridani 1 • De la liste des astres assez
1. Ces deux étoiles se trouvent à 11,4 années-lumière et sont les plus proches de nous après
Proxima du Centaure.

Composition photographique
publiée par la revue« Camera». Le mouvement des connaissances 23
proches dressée par Morrison et Cocconi, ces il serait possible qu'elle procède à de modestes
deux derniers, ainsi que lndi, sont les seuls qui sondages dans la direction d'un certain nombre
restent intéressants après élimination des étoiles d'étoiles appropriées, disons un millier. Chaque
doubles. En raison des perturbations de leurs sonde serait projetée sur une orbite circulaire
orbites, les planètes des étoiles doubles, si elles vers une des mille étoiles intéressantes, à une
existent, ne paraissent pas, à quelques exceptions distance comprise à l'intérieur de la zone de
près, susceptibles de posséder des climats uni- t~mpérature habitable. Blindées contre les météo-
formes pendant la durée des périodes géologiques rites et les dangers que présentent les radiations,
qu'on estime nécessaires à l'évolution. les sondes à propulsion stellaire pourraient con-
tenir des émetteurs radio de longue durée en
QUELLES SONT NOS CHANCES vue d'attirer l'attention de technologies telles
DE CONTACT? que la nôtre.
Mais avons-nous réellement quelque chance de En procédant ainsi, nos voisins hypothétiquement
déceler une société supérieure sur ces étoiles évolués seraient à même d'envoyer un signal plus
les plus proches de nous? A moins que les com- puissant qu'ils ne pourraient le faire avec un
munautés supérieures soient extrêmement nom- émetteur installé directement chez eux. Ils élimi-
breuses dans l'univers, n'est-il pas plus vraisem- neraient ainsi le risque de dépendre de notre
blable que la plus proche est située au moins propre ingéniosité d'éventuel récepteur en choi-
dix fois plus loin que Céti et f:ridani, disons sissant l'étoile exacte et la longueur d'onde
au-delà de 100 années-lumière? Admettons qu'il exacte. ·
y ait au moins mille étoiles à une même distance
susceptibles de porter la société supérieure; il D'ABORD SCRUTER
nous devient alors difficile de nous intéresser à LE SYSTËME SOLAIRE
la bonne. De plus, si cette société évoluée de
son côté nous cherche, nous pouvons seulement C'est la raison pour laquelle Je pense que nous
espérer qu'elle dépense dans ce but tout ce qui devrions d'abord consacrer nos efforts à scruter
lui est possible de mettre en jeu pour explorer notre système solaire pour y déceler les signaux
le millier d'astres intéressants qui se trouvent émis par des sondes qui y seraient envoyées par
dans son propre champ. Il ne paraît guère pro- nos voisins plus évolués. De cette façon, nous
bable qu'elle puisse s'offrir un millier d'émetteurs prêterions réellement attention à toutes les
d'une puissance nettement supérieure au méga- étoiles susceptibles de nous contacter. Nous
watt estimé par Drake comme le minimum ne devons cependant pas espérer qu'aucune
requis pour franchir seulement 10 · années- autre société, sinon la plus proche, essayera de
lumière, et les faire fonctionner pendant de nous atteindre, les communautés supérieures
nombreuses années. Rappelons-nous que, si de toute la galaxie étant probablement déjà
quelqu'un a dans l'univers cette préoccupation reliées ensemble en une chaîne organisée à
de nous chercher, elle est restée sans résultats· l'échelle de la galaxie. Elles agiront de concert
depuis des milliers d'années. et éviteront de se livrer à des recherches concur-
rentielles. Il ne faut pas en effet espérer que
Raisonnons. Cette autre société plus évoluée ne notre prochaine entrée en contact sera la pre-
ferait-elle pas d'ailleurs ce que nous sommes en mière de son espèce. Ce sera plutôt une insertion
train d'entreprendre, à savoir des sondages vers dans. la chaîne des sociétés galactiques ayant
les étoiles proches? Son activité exploratrice une longue expérience des liaisons avec d'autres
serait intense dans les systèmes planétaires qui sociétés qui, telle la nôtre, ont un jour surgi du
l'avoisinent. Au-delà de ce voisinage immédiat, néant.

24 On nous cherche dans le cosmos 1


Comment ces sociétés supeneures pourraient- voyer. Pour nous, ces signaux prendraient l'appa-
elles nous détecter? Considérons ce que nous- rence d'échos à intervalles de secondes ou de
mêmes pourrions faire pour les détecter. Un minutes, tels que ceux mentionnés, il y a trente
premier projet excellent serait, lorsque nous en ans, par Stormer et Van der Pol, qui n'avaient
serons ·à faire des sondages hors du -système pu les expliquer.
solaire, de chercher la présence d'un dévelop- Pour faire savoir à la sonde que nous l'avons
pement technologique sur Céti et sur Éridani, repérée, nous lui répéterions le message une
au moyen d'une sonde qui capterait les radio- seconde fois. Elle saurait alors qu'elle est entrée
communications monochromatiques et les retrans- en contact avec nous. Le problème consistant
mettrait par relais d'étoile à étoile. Nous pourrions ensuite à enseigner à la sonde notre langage (en
constater s'il existe dans ces systèmes solaires transmettant un dictionnaire descriptif?) est
un spectre d'émissions à radiofréquences variées fascinant mais ne présente pas de difficulté
comme la Terre en émet maintenant (depuis le majeure une fois le contact établi. C'est ce point
développement de la radio, de la télévision, etc.). qui constitue le problème essentiel. L'important
En fait, il est possible que les antennes hypo- pour nous est d'être sur le qui-vive pour détecter
thétiques envoyées en grand nombre par la l'origine interstellaire possible de signaux attendus.
société supérieure la plus proche de la nôtre Nous devons éviter de les reléguer comme gênants
ne fassent rien d'autre en ce moment que de s'ils sont là, et de leur faire connaître le sort
capter cette émission terrestre. S'il en est ainsi, que subirent les émissions très puissantes qui
une réponse positive est peut-être en route vers venaient de Jupiter {de l'ordre de 1 000 Mw/Mc/
l'étoile d'origine, depuis plusieurs décades, et sec.) qui ont été captées et dont on n'a pas tenu
nous pourrions nous attendre, en temps opportun, compte pendant des décades.
à l'arrivée d'une mission plus complexe. Si, après quelques années d'une attention sou-
tenue, nous ne captons aucun signal, radio ou
DES SIGNAUX DÉDAIGNÉS autre, nous devrons admettre l'éventualité que
la société supérieure la plus proche de nous se
Cependant, le transport interstellaire d'objets trouve au-delà des limites ou des tentatives
matériels exigeant beaucoup de temps et l'échange d'entrée en contact avec nous ..
d'informations étant le but essentiel du voyage, /\
il serait logique que la première sonde matérielle UNE CHAINE .
envoyée à l'intérieur de notre système solaire DE SOCIÉTÉS GALACTIQUES?
contienne à la fois des instruments pour nous
détecter et une quantité d'informations minu- Si la vie intelligente se développe vraiment sur
tieuses ainsi qu'une machine à conversion d'autres systèmes planétaires au rythme où elle
complexe qui permettrait de s'entretenir avec s'est développée sur le nôtre, et si des sociétés
nous. Il se peut qu'il y ait actuellement, dans supérieures existantes n'ont pas encore pris
notre système solaire, une sonde de ce genre qui .contact avec nous, c'est peut-être simplement
essaie de nous signaler sa présence. Un émetteur- parce que le taux de mortalité des civilisations
radio semblerait, à cet effet, indispensable. Sur évoluées est trop élevé pour leur permettre de
quelle longueur d'onde émettrait-il et comment se multiplier dans notre galaxie. Même dans ces
décoderions-nous son signal? Pour être süre conditions défavorables; le calcul prouve qu'il
d'utiliser une longueur d'onde susceptible à la y aurait un millier de sociétés supérieures pré-·
fois de pénétrer notre ionosphère et de se trouver sentes dans notre galaxie à n'importe quel
sur une bande que nous savons reconnaître, la moment, quand bien même faudrait-il en moyenne
sonde, venue d'ailleurs, pourrait d'abord essayer cinq mille millions d'années pour produire une
de capter nos signaux.. et puis de nous les ren- société technologique viable, se développant

Le mouvement des connaissances 25


pendant cinq cents années seulement au-delà du
point que nous-mêmes avons atteint. 1012
Même dans le cas où la technologie serait un
phénomène rare, il est cependant possible qu'une
chaîne intergalactique existe. Ainsi, dans une JOlO
,,.....
\
galaxie dans laquelle il y aurait seulement 103 1./'
NL
de sociétés supérieures ayant des probabilités î/
de vie passagère, il pourrait se trouver quelques JOB
~""\\
sociétés qui ont conquis la durée, voire une /
/
quasi-pérennité, peut-être en arrivant à contrôler
les causes de disparition des civilisations. Grâce 106 (years) \ /
à une proximité accidentelle, fruit du hasard,
il se pourrait que quelques-unes se trouvent. en
rapport entre elles. Semblable association établie 104 "X
....
/\,
de longue date serait probablement très habile
techniquement et pourrait nous dénicher par des
moyens spéciaux que nous ne pouvons deviner.
Il est seulement difficile de savoir si elle s'inté- /
/
I
/
'\'\
I
resserait à des sociétés rudimentaires qui, selon
ce dont elles ont pu se rendre compte, se con-
sument habituellement avant de pouvoir être
l
l
li
10
I

1Q3 104
"'- Na
105
localisées et atteintes. Selon les statistiques, des
sociétés de ce genre s'effondreraient au rythme LA COURBE DE LA VIE EXTRA-TERRESTRE
de deux par an (103 en 500 ans) et elles pourraient Dans son étude, primitivement publiée en anglais dans
avoir déjà satisfait leur curiosité en faisant des • Nature», le professeur Bracewell donne une a)urbe sur
vérifications archéologiques à loisir sur des empla- nos chances de contact avec des extra-terrestres.
cements situés dans leur voisinage. D'autre part, En abscisse (horizontalemen't), la distance calculée à partir
de la planète étudiée jusqu'à la dvilisation galactique la
la perspective de surprendre une technologie plus proche. Cette distance est mesurée en années-lumière.
arrivant presque à son plus haut degré ne En ordonnée (verticalement), le nombre des dvilisations
· pourrait-elle pas cependant stimuler leur envie supérieures dans la galaxie. Ce nombre est mesuré en
multiple de JO. Prenons deux exemples numériques: soit
de parvenir jusqu'à nous? 107 verticalement et 100 années-lumière horizontalement.
ROBERT N. BRACEWEq., La probabilité qu'il y ait deux dvilisations galactiques
dans le rayon étudié s'élève à 10-• Si on admet qu'il faut
5,10• années pour produire une civilisation galactique,
ce délai permet largement une prise de contact et /'établis-
sement d'une super-civilisation reliant plusieurs planètes
civilisées (commeïesfédérations galactiques dans la science-
fiction).
Par contre, le meme l:alcul avec 10 3 à la verticale et
2 000. années-lumière à /'horizontale, donne une densité
de dvilisations trop faible pour qu'une dvilisation galao-
tique soit possible. Les courbes sur la figure permettent de
faire le calcul pour de nombreuses possibilités, en partant
de diverses hypothèses. Quelle est la situation dans la
réalité? On ne le sait pas. Sur la Terre, il a fallu 3.10'
années pour arriver à la civilisation actuelle. Est-ce le
temps qu'il faut en moyenne ou bien sur d'autres planètes
une dvilisation interplanétaire s'est-elle formée plus vite?

L'homme porte en lui


/'obsession de /'espace
dont il attend des révélations.
26 On nous cherche dans le cosmos! (Composition photographique dc.J.-P. Richard).
. "

L'AVENIR DE LA TERRE
Les ingén~eurs planétaires ont ces projets
François Derrey

Les possibilités de l'homme en vue de modeler le monde à son gré sont


presque illimitées. GLEEN T. SEABORG.
présidenl de la Commission américaine de /'Energie atomique.

Dans le nouveau volume de !'Ency- LES PROCHAINS GRANDS TRAVAUX DE L'HUMANITE


clopédie Planète, " la Terre, cette
inconnue '" François Derrey montre Dans son état actuel, notre planète est le fruit d'une très longue
· combien le berceau de la vie demeure
entouré de mystère. Géologues, phy-
histoire. Mais, ici encore, bien que s'agissant essentiellement de
siciens, biologistes n'ont jamais été phénomènes physiques, nous retrouvons l'accélération de l'évo-
aussi actifs pour essayer de résoudre lution. Le célèbre voyageur de Langevin qui, après deux ans de vol
les problèmes que notre planète cosmique (deux années à son horloge), retrouverait la Terre vieillie
pose à la science. Cette fièvre impa- de deux siècles, aurait certainement bien du mal à reconnaître la.
tiente a pour but la connaissance Terre. Si nous lui offrions une déç:ennie de pérégrinations intersi-
sans doute, mais elle trouve son dérales et, par conséquent, uri millénaire de décalage, il trouverait,
origine aussi, dans un immense désir entre le monde de son retour et celui de son départ, une différence
d'action - qui est peut-être aussi aussi grande qu'entre celui-ci et. la planète juvénile que peuplèrent
une nécessité pour l'humanité si elle
veut survivre. L'homme veut et doit les trilobites, il y a quelques centaines de millions d'années. Le
prendre en charge le destin de sa responsable de cette mutation que va subir la Terre sera évidemment
planète. Dans l'étude inédite ci- l'homme.
contre François Derrey explique Le visage du globe s'est transformé au rythme géologique, c'est-
pourquoi et comment. à-dire avec le million d'années pour unité de mesure, jusqu'à ce que
se dresse' l'animal vertical. Depuis qu'il supporte l'humanité, le
processus évolutif n'a cessé de se précipiter.
Le nouveau venu présentait, parmi bien d'autres, deux caracté-
ristiques remarquables: il peuplait toutes ·les terres émergées et
il s'efforçait d'adapter le milieu naturel au lieu de s'y adapter comme
ses congénères. L'homme est, en effet, le seul animal supérieur qui
n'ait pas d'aire d'habitation délimitée. Curieusement, il doit cette
extraordinaire expansion à son impuissance naturelle face aux
contraintes du milieu terrestre. Son corps,. s'il n'est pas utilisé par

Volcan en éruption
à Costa Rica. · Les ouvertures de la science 29
une intelligence, Je laisse désarmé dans la compé- faire machine arrière. Aux États-Unis, par
tition vitale. Pour subsister il doit s'efforcer, par exemple, se développe un mouvement pour
une action intelligente, d'humaniser son envi- demander un moratoire de la science. Ne serait-il
ronnement, d'y être adapté organiquement. Cette pas sage de «faire la pause» du progrès? Une
activité délibérée s'exprimant à travers l'outil telle interrogation est puérile et méconnaît la
donna rapidement à la nouvelle espèce un pouvoir réalité. L~humanité n'a pas le choix entre un
exorbitant sur la nature. A mesure que le perfec- retour en arrière et une fuite en avant. La solu-
tionnement de l'outil augmentait l'efficacité de tion aux problèmes que nous pose l'avenir de
l'homme, celui-ci imprimait de plus en plus for- notre planète ne peut être trouvée que dans un
tement sa marque sur la face de sa planète. progrès encore plus rapide des connaissances et
des techniques.
LE BILAN DE NOS DESTRUCTIONS
Ce sont les petites entreprises, les techniques
Récemment, l'explosion démographique et la débutantes, qui sont dangereuses. De «petites»
révolution des techniques ont précipité la trans- invéntions comme l'automobile ou les insec-
formation de notre monde. Les êtres vivants, ticides ont causé des dégâts très graves. Par
la biosphère, doivent subir la loi d'une humanité contre les «grandes» réalisations telles que la
chaque jour plus destructrice. Les espèces ani- conquête de l'espace, la maîtrise des climats,
males se sont mises à disparaître avec une rapi- le ·remodelage des continents seront certai-
dité inconnue à ce jour. Au rythme actuel, il nement conduites avec plus de prudence. Dans
n'existera plus un animal sauvage de grande notre civilisation, Je progrès des teèhniques a
taille dans un siècle. Mais c'est essentiellement toujours précédé celui des connaissances. Dans
en maniant de façon inconsidérée les produits sa marche en avant, l'hymanité s'est comportée
chimiques que l'humanité met la Terre, c'est- en apprenti sorcier. Quand le technicien devance
à-dire l'ensemble terrestre: globe, atmosphère, de trop Join le savant, il en résulte des déboires
hydrosphère et biosphère, en danger. et des mécomptes qui font douter un temps du
L'homme enrichit chaque année l'atmosphère progrès. Mais la progression technique finit
de six milliards de tonnes de gaz c;ubonique, toujours par subir la loi de la raison et par
de benzopyrène, de produits sulfurés, d'ozone, s'organiser à un stade supérieur de conscience.
etc., par son activité industrielle. L'abus des
insecticides - on devrait dire plus généralement Divers signes annoncent la fin de cette phase
des biocides .- massacre la faune et pollue les de progrès anarchique des techniques qui a fait
eaux. L'un des plus grands fleuves du monde, tant de mal à la nature. Les compagnies pétro-
le Mississippi, est à ce point chargé d'un insec- lières se mettent d'accord pour ne plus rejeter
ticide, l'endrine, que son eau fait crever le d'hydrocarbures à la mer, l'usage des insec-
poisson. Le drame est le même dans les océans ticides commence à être réglementé, les che-
où la Aotte pétrolière a répandu 2 500 000 mètres minées et les tuyaux d'échappement sont dotés
cubes d'hydrocarbures. Voilà que la haute atmo- d'épurateurs, on replante des forêts, on protège
sphère, à peine découverte, est à son tour en les espèces animales, etc. 11 est donc aussi vain
danger. L'astronome britannique sir Bernard de craindre l'avenir que de prétendre en arrêter
Lovell a lancé dernièrement un appel pour qu'on Je cours. En accédant à l'ère de la grande tech-
ne se livre pas à des expériences inconsidérées, nique, l'homme sauvera la Terre et l'homme.
notamment à des explosions atomiques en haute Car le destin de notre planète est arrêté: elle va
altitude. subir, du fait de l'action humaine, une transfor-
Face à ce sombre bilan, aux tristes perspectives mation générale, sans commune mesure avec
qu'il ouvre, certains proposent à l'humanité de celles qu'elle a connues jusqu'à présent.

30 Les ingénieurs planétaires ont ces projets


LES MOYENS après que ses possibilités eurent été étudiées par
D'UNE CHIRURGIE PLANET AIRE le Français Camille· Rougeron. Depuis lors, les
explosions souterraines n'ont pas cessé dans le
Le problème est donc de mener systéma- Nevada. '
tiquement et à l'échelle planétaire le processus La technique consiste à créer par l'explosion
d'adaptation de la Terre aux besoins de !'huma- de la charge une cavité souterraine de manière
. nité. La surface des continents offrira à nos que les sous-produits radio-actifs restent confinés.
descendants un climat idéal et une fertilité satis- Quand le taux de radio-activité est redevenu
faisante: tel est le but à atteindre. La Terre doit normal, il ne reste plus qu'à abattre le plafond.
devenir fonctionnelle pour ses habitants. Toutefois le procédé est encore loin d'être au
Le premier point serait de faire reverdir ses point et de récents essais souterrains se sont
déserts arides. S'il faut de l'eau pour cette opé- accompagnés de fuites radio-actives dans l'atmo- ·
ration, l'ingénieur n'aura qu'à la puiser dans les sphère. La plus grande autorité américaine en
océans. Le jour est proche, en effet, où l'énergie la matière, le professeur Seaborg, estime que
atomique permettra de dessaler l'eau de mer l'outil nucléaire ne sera pas opérationnel avant
dans de bonnes conditions. Un récent accord 5 ans. Beaucoup trouvent ces prévisions très
Amérique-Russie à ce sujet laisse espérer que optimistes. Cependant quelle ·que doive être
la technique sera rapidement mise au point. notre attente, le fait demeure que l'homme
Mais l'eau ne suffit pas à ressusciter le désert, possède virtuellement l'outil nécessaire pour
il faut encore que le sol l'utilise correctement. remodeler la Terre.
Les chercheurs soviétiques et américains ont mis.
au point des produits de synthèse à grosses molé- LE NOUVEAU VISAGE DE LA TERRE
cules, des polymères, capables de solidifier les
sols trop meubles. Les expériences semblent Avec un tel outil, il devient possible de repenser
avoir été concluantes. Enfin des recherches en la planète. Pour l'ingénieur épris d'organisation,
botanique ont permis de découvrir des espèces la répartition naturelle des masses continentales,
végétales qui s'accommodent des plus rudes des lacs, des fleuves et des océans apparait faite
conditions climatiques et hygrométriques: bien souvent en dépit du bon sens. L'Afrique,
Ainsi l'homme pourra, dans quelqùes années par exemple, aurait besoin d'une mer intérieure
seulement, rendre à la vie de vastes étendues qui jouerait le rôle des Grands Lacs dans 1' Amé-
aujourd'hui mortes. Dans bien des cas, un remo- rique du Nord. Selon les géologues, le continent
delage de continents entiers sera en outre néces- africain a d'ailleurs possédé non pas une, mais
saire. Il faudra fermer des détroits, barrer des deux mers intérieures dans le passé. La première
fleuves, percer des canaux intercontinentaux, occupait le bassin du Congo avant que le fleuve
raser des montagnes, etc. Cette nouvelle dimen- ait forcé son chemin jusqu'à l'Atlantique. Le
sion dans le colossal par rapport aux réalisations lac Tchad serait le reste languissant de la seconde.
actuelles suppose l'utilisation d'outils plus N'est-il pas navrant que la Terre soit moins favo-
efficaces. L'instrument de cette ambition existe: rable à l'homme précisément depuis que celui-ci
c'est l'explosif nucléaire. Grâce à des explosions y a fait son apparition? L'ingénieur allemand
atomiques souterraines, on doit pouvoir réaliser Sôrgel avait proposé avant-guerre un plan radical
les plus extraordinaires travaux de terrassement pour remédier à ce scandale naturel. La percée
dans des conditions exceptionnelles de rapidité réalisée par le Congo se présente comme une
et de rentabilité. sorte de canyon· baptisé « le couloir>>, large de
La mise au point du terrassement nucléaire a l 500 à 2 000 mètres. C'est là, estime Sôrgel,
été entreprise dès 1957 par les E:tats-Unis dans qu'il faut barrer le fleuve. Quelques charges
le cadre du projet Plowshare (soc de charrue) nucléaires (non prévues par le visionnaire ger-

Les ouv~rt1,1res de la science 31


manique) pourraient faire basculer des collines propose une solution radicale: inverser le cours
entières dans le Congo, constituant le gros des fleuves sibériens.
œuvre de l'ouvrage. L'eau du fleuve ne pouvant La première phase du plan Davydov consiste
plus se déverser dans l'océan reformerait bientôt à barrer l'Ob en aval de son confluent avec
une mer dont la superficie serait le double de l'lrtych. Il s'agit de construire une véritable
la France. Pourquoi ne pas envoyer cette eau digue de 81 mètres de haut et de 50 kilomètres
stagnante dans Je lac Tchad? de long. Se heurtant à cet obstacle, l'eau du
Voici donc la deuxième phase du plan africain fleuve va progressivement s'accumuler jusqu'à
de Sorgel. En reliant )'Oubangui au Chari, on former une mer intérieure, la " mer de Sibérie"•
alimenterait le lac Tchad avec l'eau du Congo. couvrant une surface égale à la moitié de la
Puis, la dépression tchadienne étant située à France.
260 mètres au-dessus du niveau des mers, on Il faudra ensuite mettre au pas l'Iénissei. Le
ferait s'écouler les eaux africaines à travers fleuve verra se dresser un mur d'une centaine
le Sahara par un «second Nil,, jusqu'au golfe de mètres de haut lui interdisant la route du
de Gabès. Malheureusement, pensent les spécia- septentrion. Un deuxième lac artificiel va se
listes contemporains, l'ardeur du soleil saharien former: «le réservoir de l'Iénissei,, dont les
ne permettrait pas au fleuve artificiel d'atteindre eaux iront, par la vallée de )'Irtych, grossir celles
la Méditerranée. Toute son eau se perdrait . de la« mer de Sibérie». Toute cette masse d'eau
vraisemblablement en cours de route par éva- sera ensuite envoyée par la vallée du Tobol vers
poration. la mer d'Aral et la Caspienne.
Quoi qu'il en soit, une telle «chirurgie conti- L'ensemble suppose évidemment des instal-
nentale» changerait complètement les conditions lations et des travaux fantastiques: canaux,
de vie des populations africaines et leur offrirait conduites forcées, stations de pompage. Mais
un cadre beaucoup plus propice au progrès. Mais il en résultera aussi de gigantesques centrales
la réalisation de ce plan audacieux suppose une hydro-électriques fournissant des milliards de
prise de conscience continentale des peuples kilowattheures. Ce projet ne dort pas au fond
intéressés qui sera certainement beaucoup plus d'un tiroir, mais fait l'objet d'études très appro-
difficile à réaliser que les travaux eux-mêmes. fondies par une équipe de chercheurs que dirige
Face à ces obstacles politiques, 1' Afrique devra Davydov: Il semblerait toutefois que les autorités
peut-être se rabattre sur des projets moins ambi- soviétiques aient retardé la réalisation d'un
tieux. L'un de ceux-ci a été élaboré par Loub projet dont les conséquences restent encore
Kervran et prévoit le quadrillage du Sahara par imprévisibles.
un système de canaux utilisant l'eau du Niger.
Il serait également possible de reprendre la DE L'EAU POUR LA PALESTINE
proposition du Suisse Ball qui avait envisagé de
former une petite mer intérieure dans la dépres- Dès 1925, l'ingénieur français Pierre Gandrillon
sion de Kattara en y précipitant les eaux de la a proposé un plan de renaissance pour les déserts
Méditerranée. palestiniens. La Palestine est alignée le long
La Sibérie est tout aussi « mal conçue,, que . d'une dépression nord-sud en pente constante
l'Afrique. Aucun problème politique ne s'y pose marquée par le lac de Tibériade (- 215 mètres),
en outre. Une mer intérieure fait là encore cruel- la vallée du Jourdain et la mer Morte (- 389).
lement défaut dans cette énorme masse conti- La Méditerranée n'est qu'à une quarantaine de
nentale. Il existe pourtant beaucoup d'eau en kilomètres et les hauteurs qui la séparent de
Sibérie; malheureusement, les grands fleuves la dépression jordanienne ne dépassent pas
vont la déverser en pure perte dans le glacial 80 mètres. Une puissante station de pompage
océan arctique. L'ingénieur Mitrofan Davydov installée dans la région d'Haifa permettrait aux

32 Les ingénieurs planétaires ont ces projets


eaux de la Méditerranée de se précipiter dans lointaine échéance. Certes, on peut tout d'abord
la vallée jordanienne et d'aller grossir une mer penser aux difficultés pour les Etats riverains
Morte en voie d'assèchement rapide. Le Jourdain, de se mettre d'accord, mais il y a encore beaucoup
lui, serait stoppé un peu au-dessous du lac de plus grave: le risque de voir le rêve grandiose
Tibériade pour qu'il ne mélange pas son eau se transformer en catastrophe planétaire. La tour
douce à l'onde amère du nouveau fleuve. Le lac de Babel s'écroulant sur ses téméraires cons-
de Tibériade deviendrait alors un énorme tructeurs!
réservoir d'eau douce bien utile pour l'irrigation. La Terre est un organisme vivant et non l'habitat
Le plan est simple, relativement facile d'exé- inerte de l'humanité. Entre le globe terrestre,
cution; malheureusement, les remous suscités la circulation atmosphérique, la biosphère, les
par les premiers travaux sur le Jourdain ne océans, les interconnexions sont aussi étroites
laissent aucun espoir quant à sa réalisation qu'entre nos différents organes. Le médecin sait
rapide. L'homme peut refaire le paradis terrestre aujourd'hui que l'intervention en un point précis
de la Palestine, mais il ne le fera pas parce qu'il de l'organisme se répercute sur l'ensemble. Il
n'a pas l'intelligence de sa technique. en va de même pour notre planète. Quand l'action
humaine atteint de telles dimensions, il faut
N'OUBLIONS PAS QUE s'attendre à des répercussions très importantes
NOTRE TERRE EST VIVANTE sur le véritable organisme que forme notre
monde.
Des projets encore plus grandioses ont été conçus, Déjà les travaux réalisés ont causé bien des sur-
notamment par Sôrgel. Le « réinventeur de prises. L'aménagement du réseau fluvial russe a
l'Afrique" avait proposé un « Atlantropa Plan" fait baisser le niveau de la Caspienne de façon
qui prévoyait le bouclage complet de la Médi- imprévue. Au Maroc le premier résultat de l'irri-
terranée. Gibraltar, le Bosphore et le canal de gation a été d'attirer les sauterelles. Certes, les
Suez devaient être barrés. Ainsi livrée à ses satellites météorologiques permettent maintenant
propres ressources, la Méditerranée aurait d'observer les nuages de sauterelles et de les
commencé à diminuer progressivement, l'apport détruire, mais de tels exemples donnent à
fluvial ne compensant pas l'évaporation en réfléchir. L'homme ne délaisse pas facilement,
l'absence d'une alimentation par les eaux de dans son impatience à réaliser, son rôle d'apprenti
l'Atlantique. Un siècle après son isolement, le sorcier. Bien des spécialistes ne cachent pas leurs
bassin méditerranéen ne ressemblerait plus que inquiétudes quant aux répercussions possibles
de très loin à sa configuration· actue)le. Une du barrage d'Assouan sur la nature. Comment
baisse de niveau de 100 à 200 mètres assécherait se comportera le delta du Nil en l'absence
les trois quarts de l'Adriatique, réunirait la Sar- d'apport alluvial? Les crues du Nil portaient
daigne et la Corse, la Sicile et l'Italie, ferait l'humidité bienfaisante très loin dans les terres
doubler de superficie la Grèce. En fait, il n'y désertiques. Ne va-t-on pas assécher certaines
aurait plus une, mais deux Méditerranées, la régions en en irriguant d'autres? Un autre
Sicile, dans ses nouvelles dimensions, rejoignant ennemi se profile à l'horizon: la jacinthe aqua-
pratiquement l'Afrique. Un pont suspendu relie- tique. Ces sortes de nénuphars géants envahissent
rait les deux continents er le voyageur aurait le tous les plans d'eau de l'Afrique australe et cen-
choix entre l'autoroute de Gibraltar et celle de trale. Un Nil assagi ne sera-t-il pas submergé par
Sicile pour se rendre en Afrique. ce mortel tapis végétal? ·
Malheureusement, il faut le dire, nous venons On comprend mieux dès lors la prudence des
probablement de franchir avec ce projet la limite responsables soviétiques face aux grandes visions
de la science-fiction. Sa réalisation ne saurait de Davydov. Plusieurs spécialistes ont, en effet,
intervenir dans un avenir prévisible même à très montré qu'on ne pouvait absolument pas affirmer

Les ouvertures de la science 33


que la « mer de Sibérie» adoucirait le. climat, pas songer à échauffer la planète ... · tant qu'on ne
mais qu'il était probable, par contre, qu'en saura pas la refroidir. li apparaît, en effet, md1s-
l'absence de l'eau fluviale, les régions septen- pensable de pouvoir à tout moment au cours
trionales deviendraient encore beaucoup plus d'une telle expérience déclencher un phénomène
froides. La vérité est que, dans l'état actuel de inverse au cas où le processus risquerait de
nos connaissances, et pour de longues années déboucher sur une catastrophe. On peut ima-
encore, les conséquences de telles opérations giner de tels systèmes, soit par absorption mas-
re.stent imprévisibles. C'est là un enseignement sive du gaz carbonique, soit par projection de
capital, car à une telle échelle, l'erreur n'est plus poussières dans la haute atmosphère.
permise. Cela est évidemment encore plus vrai
pour les tentatives visant à influer sur le climat DES RBVES
de la planète. DE PLUS EN PLUS AMBITIEUX
LA TERRE DE L'f:TERNEL PRINTEMPS Si un réchauffement de l'Antarctique doit être
redouté, il semble, par contre, que la fonte des
Il ne fait pas de doute que nous serons très rapi- glaces arctiques ne présente aucun danger en
dement capables d'éviter les grands accidents raison de leur masse relativement faible. Ainsi
climatiques. Avec le lancement des satellites de nombreux projets ont-ils été élaborés pour
météorologiques Nimbus, puis des satellites échauffer les régions septentrionales. L'un des
stationnaires encore plus perfectionnés, la Terre moyens les plus efficaces semble être d'influer
sera mise sous surveillance vingt-quatre heures sur la circulation des courants marins. Les ingé-
sur vingt-quatre. Cette observation permanente nieurs soviétiques A. Choumiline et A. Markine
couplée avec une meilleure connaissance des ont proposé de couper la route au courant glacial
systèmes climatiques permettra de prévoir, puis arctique, l'Oya-Sivo, en barrant le détroit de
de prévenir les intempéries. Avant la fin de la . Behring. Le projet est audacieux, mais techni-
décennie, on devrait être capable de faire quement réalisable. La largeur du détroit n'est
"crever" à temps les typhons en formation. que de 85 kilomètres et sa profondeur ne dépasse
Des systèmes, dérivés du météotron, qu'expé- pas une centaine de mètres. Le courant chaud
rimente dans les Landes le professeur Dessens, qui naît dans la région des Philippines, le Kouro-
pourraient à l'opposé permettre de provoquer à Sivo, pourrait remonter vers le nord, réchauffant
volonté les précipitations. la Sibérie orientale et les côtes occidentales de
Plus de typhons, plus de sécheresses, allant l'Amérique, tout comme le Gulf Stream en
toujours plus avant, il reste à étendre un climat Europe.
tempéré à l'ensemble de la planète. Ici, un pro- Cependant ce programme ambitieux n~ rallie
blème grave se pose: éviter la fonte des glaces pas tous les suffrages. Le professeur L.G. Topor-
de l'Antarctique. Une telle débâcle glaciaire kov estime que les résultats de cette opération
ferait monter de 80 mètres le niveau des mers, seraient catastrophiques; elle aboutirait en
engloutissant les plus grandes métropoles du particulier à un refroidissement des régions
monde. Le problème est d'autant plus sérieux arctiques en dehors du nord-est lorsque l'océan
qu'une faible augmentation de la température Glacial ne serait plus alimenté en eau du Paci-
moyenne suffirait à déclencher le processus et fique. Pour éviter cet inconvénient, certains
que, précisément, il semble que notre planète spécialistes ont prévu de pomper l'eau du Paci-
soit en période de réchauffement. Ajoutant à fique, de la réchauffer dans des centrales
cela l'effet de serre provoqué par l'accumulation nucléaires géantes et de l'envoyer dans l'océan
anormale du gaz carbonique dans l'atmosphère Arctique par des voies d'eau ouvertes à l'explosif
depuis un siècle, on comprendra qu'il ne faille atomique à travers la Sibérie.

34 . Les ingénieurs planétaires ont ces projets


Une telle technique ne fait d'ailleurs que établis par les ingénieurs. Sauf exceptions, ils
reprendre certains projets de Camille Rougeron. ne sont pas appelés à voir le jour dans la version
Il a proposé l'installation dans le pas de Calais qui en est aujourd'hui proposée et cela pour
d'un barrage chauffant par centrales nucléaires deux raisons. La première est qu'on ne connaît
afin d'élever en hiver la température des eaux pas les moyens techniques dont disposeront les
des mers nordiques. Les conséquences clima- « chirurgiens de la planète» dans quelques
tiques devraient être particulièrement heureuses décennies ou quelques siècles. Or les grands
pour toute l'Europe septentrionale. travaux sont toujours pensés en fonction de
Le cas de la Baltique a particulièrement retenu l'état des techniques. De plus, nous ne con-
l'attention des ingénieurs. Elle reçoit les eaux naissons pas les problèmes exacts que posent
de !'Atlantique par trois détroits: le Sund, le ces réalisations. Une meilleure connaissance de
Grand et le Petit-Belt. Or on a constaté que notre planète révélera peut-être des impossi-
dans ces passages, la circulation se fait à double bilités dans des projets qui paraissent aujourd'hui
sens: un cour,ant de surface envoie dans l' Atlan- tout à fait raisonnables.
tique l'eau de la Baltique tandis que la circu- Ces projets ne sont pas pour autant de simples
lation se fait en sens inverse à l'étage inférieur. constructions de l'imaginaire. Ce sont des études
Si donc on dressait une digue à mi-hauteur, on très sérieuses et qui doivent être considérées
pourrait empêcher l'apport d'eau salée océanique. comme telles. Il se trouve simplement que leur
N'étant plus alimentée qu'en eau fluviale, la Bal- réalisation est suffisamment lointaine pour qu'on
tique deviendrait une mer d'eau douce, fabuleux ne leur reconnaisse qu'une valeur indicative.
réservoir pour l'irrigation. Certains spécialistes Que le plan africain de Sôrgel ne doive jamais
pensent, au contraire, il est vrai, que l'idéal voir le jour ne lui enlève rien de sa valeur de
serait de réchauffer la Baltique en y déversant ce point de vue. Il nous montre de quelle nature
l'eau chaude de l'océan. seront les grandes réalisations du troisième
Surpassant tous ces visionnaires en audace, le millénaire et nous indique, par là même, les
savant soviétique Valentin Tcherenkov a proposé transformations que notre planète est appelée
de créer autour de la planète un anneau artificiel à subir dans l'avenir.
de particules transparentes de 500 kilomètres de Les Soviétiques appliqueront-ils le plan Davydov?
largeur et qui se développerait à une distance La question n'est plus essentielle de ce point de
de l 000 à 1 500 kilomètres de la Terre. Pro- vue. Le fait important est que les Russes de l'an
duisant un effet de miroir, cet anneau renverrait 2000 n'admettront pas qu'un immense continent
la chaleur solaire que la Terre rayonne dans reste aussi défavorable à l'homme. Ils entre-
l'espace. C'en serait fait alors non seulement des prendront de le remodeler complètement et,
hivers, mais également des nuits. A la vérité, ce dans ce domaine, Davydov aura ouvert la voie
projet paraît bien hasardeux, car on ne voit pas tout comme Tsiokoevsky ou Esnault-Pelterie
bien comment on pourrait éviter la redoutable pour l'astronautique.
fonte des glaces antarctiques, ni rafraîchir les L'heure des grandes réalisations sonnera mais
zones équatoriales, ce qui est tout aussi important on ne saurait sérieusement prétendre la fixer avec
que réchauffer les régions froides. exactitude. Comme le fait remarquer Arthur
C. Clarke, les grandes découvertes ont cette
UNE SIMPLE VALEUR INDICATIVE particularité d'être presque toujours impré-
visibles 1 • Qui peut prévoir dès lors si des moyens
On pourrait exposer encore de nombreux projets nouveaux ne précipiteront pas cette prise en
tout aussi audacieux, mais l'important n'est pas main par l'homme du destin de sa planète?
ici de tenter une étude exhaustive. Peu importe, FRANÇOIS DERREY.
en définitive, les détails des différents plans 1. " Profil du futur"• dans l'Encyclopédie Planète.

Les ouvertures de la science 35


L'AVENIR DES HOMMES
Vous vivrez comme cela en 1984
Jacques Bergier

Quelle est/' année la plus proche de nous? 1900 ou 2000?


Interrogez les gens dans la rue; la plupart répondent 1900.

COMMENT JE VOIS NOTRE FUTUR


Le futur est activement en préparation et il est possible de le prévoir.
Horizon 84 Les détails, bien entendu, échappent à cette prévision. Notons à ce
propos que les grandes affaires de 1964 sont basées sur des produits
Les mots de demain ou des appareils dont le nom même n'existait pas dans le langage en
1944: transistor, ou. largactyl. Mais les grandes lignes de l'avenir
peuvent être décrites. Elles se réaliseront à condition qu'il n'arrive
L'énergie pour tous pas de catastrophes. Par exemple, une guerre atomique.
En extrapolant à partir de ce qui est connu, on peut essayer de faire
L'espace intérieur un petit manuel du futur proche: 1964-1984. De 1984, on peut dire
déjà que c'est l'année qui n'aura pas lieu. Georges Orwell avait
prévu pour cette date une dictature sans merci et un monde où
l'homme serait écrasé. Rien de semblable n'aura lieu car le monde
qui se prépare dans les laboratoires aura un tout autre visage.
Le futur proche sera l'âge de l'électricité. Les possibilités de formes
d'énergie sont connues depuis longtemps, mais la plus grande partie
du monde n'en profite guère pour deux raisons:
l • nous ne savions pas jusqu'à présent mettre l'électricité en conserve,
ni la produire à partir de dispositifs légers et peu encombrants;
2• nous ne disposions comme sources d'électricité que de combus-
tibles fossiles: charbon et pétrole. L'atome et le soleil vont dans les
vingt ans à venir assurer la relève.
Aussi faut-il retenir, pour connaître le langage du futur proche, un
certain nombre de termes: pile à combustible, photopile, générateur
Klein, accumulateur cadmium-nickel.

Un grave problème
pour J'homme de demain:
comment n'être pas
qu'un numéro?
(Photo Fiap). Chronique de notre civilisation 37
Voici ce que ces mots veulent dire pour notre vie nous connaissons: aspirateurs, perceuses élec-
quotidienne. L'automobile électrique est· pour triques, tondeuses de gazon, grille-pain, etc ...
demain. Elle brillera de l'essence, mais d'une Mais ils cômporteront une différence · énorme:
façon nouvelle plus économique: elle convertira ces appareils ne seront plus au bout d'un fil
l'énergie libre de cette essence au contact de et fonctionneront à partir d'une source d'énergie
l'oxygène de l'air directement en courant élec- indépendante. Les premières perceuses élec-
trique. Elle consommera moins de èarburant. triques à accumulateur sont sorties en 1963; en
Elle sera souple et silencieuse. Elle freinera sur 1964 plus de deux cents appareils électriques
un parcours très court, par inversion du courant autonomes ont été mis en vente aux États-Unis.
électrique dans les. roues. Les freins seront D'ici 20 ans, tout l'appareillage électrique sera
imprimés sur les roues sous la forme de circuits devenu indépendant. C'est pour la première fois
extrêmement plats. l'électricité en liberté avec des conséquences
La révolution de l'automobile électrique atteindra pour la vie quotidienne que l'on peut à peine
tout le monde. D'abord sur le plan de l'économie imaginer. Le nouvel appareillage produira sa
générale parc·e qu'elle sauvera une industrie qui propre électricité à partir de l'essence (pile à
est en train d'arriver à la saturation. Pour les combustible, convertisseur Klein) ou bien con-
citadins, l'automobile électrique permettra de tiendra un accumulateur rechargeable sur le
résoudre les problèmes de la circulation par des secteur (accumulateur cadmium-nickel), soit
solutions qui comporteront probablement la sup- encore produira lui-même l'électricité à partir du
pression de la voiture personnelle et la mise en soleil (photopile). Toutes les opérations quoti-
cir.culation dans les grandes villes d'une masse tle diennes, en commençant par le bricolage et en
véhicules fonctionnant au compteur, démarrant à finissant par la prise de vue de cinéma, s'en
l'introduction d'une pièce de 10 francs dans un trouveront facilitées dans d'énormes proportions.
taximètre, toutes identiques, que l'usager prendra L'âge de l'électricité commencera véritablement.
dans la rue, n'importe où et qu'il abandonnera L'élimination du moteur à explosion diminuera
égàlement n'importe où. . considérablement la pollution de l'air. Les outils
Ces voitures seront uniquement réservées à la à électricité indépendante favoriseront encore
circulation urbaine. le développement des organisations comme le
Pour la circulation hors des grandes agglomé- Club Méditerranée. Il deviendra possible d'ins-
rations et les longs parcours, la voiture électrique taller des villages avec tout le confort imaginable
permettra la suppression des accidents et la (y compris les réfrigérateurs, les condition-
conduite programmée. La suppression des acci- nements d'air, la télévision) loin de toute source
dents sera obtenue par des dispositifs du type d'énergie, dans les endroits les plus sauvages.
radar, rendus possibles par les énormes ressources Quelques bidons d'essence, un convertisseur, et
en énergie électrique. Sur la voiture 1984, la voici un village de paillotes équipé en électricité.
conduite programmée signifie ceci: à Asnières
le voyageur introduira dans le cerveau électro- L'électricité modifiera la vie des pays sous-déve-
nique du véhicule une carte programmée disant loppés. Elle rendra possible la production des
Saint-Tropez et la voiture s'y rendra par le engrais et la création d'industries. Les mots-
trajet le plus court sans que les passagers aient clés à retenir sont: réacteur nucléaire, générateur
à s'en préoccuper. Des voitures de ce genre ont magnéto-hydro-dynamique. Le réacteur nucléaire
déjà été réalisées aux États-Unis sur des produit de la chaleur à partir de l'uranium, le
tronçons de routes spécialement équipés. Le générateur magnéto-hydro-dynamique trans-
permis de conduire sera devenu inutile. forme cette chaleur en électricité. Ce sont des
A côté de la voiture électrique apparaîtront installations lourdes et encombrantes qui ne
mille et un dispositifs semblables à ceux que deviennent rentables que pour des puissances

38 Vous vivrez comme cela en 1984


élevées. Mais ce sont des installations que l'on à Shevchenko. Elle produira 25 millions de
verra naître partout dans le monde et surtout gallons d'eau potable par jour et sera alimentée.
dans les pays insuffisamment développés. Dans en énergie par le réacteur atomique géant
ces pays, les ensembles: réacteur nucléaire BR - 250 qui sera le plus grand du monde.
+ générateur magnéto-hydro-dynamique seront L'Amérique a déjà relevé le défi et envisage une
les sources principales d'énergie, de travail, de usine encore plus grande pour Israël, l'Egypte,
vie. L'état d'un pays jadis insuffisamment déve- Koweït, les déserts du Mexique, l'Afrique du
loppé se mesurera en 1984 par le nombre des Nord. A l'homme de 1984, ces immenses usines
générateurs d'énergie. L'exportation de ces seront aussi familières qu'à nous Marcoule ou
générateurs sera alors la forme principale Donzère-Mondragon. Leurs énormes cheminées
d'expansion industrielle pour les pays déve- sans fumée dans le ciel (cheminées pour l'éva-
loppés et la concurrence dans ce domaine la cuation des gaz de refroidissement des réacteurs)
forme la plus active et virulente de la guerre rappelleront aux humains de 1984, que les res-
froide. sources de la planète ne sont pas illimitées et
que de graves problèmes de surpopulation les
LA BATAILLE DE L'EAU SERA GAGNÉE menacent toujours.
Cette guerre froide dans les 20 ans à venir ENCORE PLUS D'ENFANTS
prendra aussi une autre forme: celle de la bataille
de l'eau. Le monde de 1964 commence déjà à En 1984, la marée montante de la surpopulation
manquer d'eau potable. Celui de 1984 en man- sera loin d'être arrêtée. En dépit de la mise
quera encore plus et devra avoir recours à l'eau au point des pilules anticonceptionnelles pour les
de mer transformée au moyen de l'électricité. hommes et pour les femmes, en dépit de la mise
Un autre mot du langage futur est à retenir: élec- au point d'autres techniques: stérilisation tem-
tromembrane. Une électromembrane est une poraire par radiations, immunisation d'une
feuille de parchemin chargée d'électricité qui femme contre un homme déterminé par injection
laisse passer l'eau mais qui retient les sels qui y des globulines du sérum, il y aura toujours plus
sont dissous. Dans le cas de l'eau de mer, on peut d'enfants. Deux raisons à cela. Pour les pays
extraire de ces sels l'iode, le magnésium, l'or et insuffisamment développés, la difficulté de faire
quelques autres éléments utiles. D'énormes pénétrer les techniques anticonceptionnelles et
centres d'énergie utilisant un réacteur nucléaire, la diminution foudroyante de la mortalité
puis un générateur magnéto-hydro-dynamique infantile. Pour les pays techniquement déve-
pour fournir de l'électricité aux électromem- loppés, la natalité augmentera grâce à un phéno-
branes fabriqueront, à partir de la mer, des rivières mène qui commence déjà à se manifester, mais
d'eau potable. Autour de ces rivièri:s, les déserts qui, en 1984, aura atteint une grande ampleur:
fleuriront, des villes naitront, Ces sources artifi- l'extension du rayon de sélection sexuelle. Un
cielles d'eau potable porteront le drapeau du homme et une femme de 1884 étaient limités
pays qui les aura installées et représenteront sa dans leur sélection sexuelle par leur quartier et
technique auprès du tiers monde. Comme jadis même parfois leur rue (à l'exception des quelques
les victoires militaires, comme naguère les lan- millionnaires anglais pouvant aller sur la Riviera
cements spatiaux, l'installation de sources arti- ou de quelques riches allemands allant aux bains
ficielles d'eau potable sera pour un pays la en Tchécoslovaquie). Mais le jeune homme et la
marque de son pouvoir et de sa vitalité. jeune fille de 1984, nés à Paris, pourront aussi
bien rencontrer leur partenaire aux Bermudes
En 1964, les Russes sont en train de monter une qu'à Sydney, à Capetown comme à Sébastopol.
gigantesque usine pour dessaler la mer Caspienne Ces jeunes gens passeront leurs vacances n'im-

Chronique de notre civilisation 39


porte où sur la planète et rencontreront d'autres de l'avenir: «ombudsman». L'ombudsman est
jeunes gens venant de loin. Ce brassage augmen- l'invention sociale la plus révolutionnaire du
tera la tolérance, facilitera les mariages inter- XX' siècle, plus révolutionnaire que le commu-
raciaux et fera comprendre à tous les Blancs nisme. Elle a été faite dans les pays scandinaves.
qu'un Chinois ou un Noir est un être humain, et Un ombudsman, en Scandinavie, est un fonction-
réciproquement. Mais, bien entendu, il augmen- naire qui défend l'individu contre le gouver-
tera la natalité. Il faudra mieux exploiter les nement. Il est élu par un petit groupe de citoyens.
ressources de la planète et il faudra tout de li est inamovible, incorruptible. Quiconque se
même penser à une solution avant que la nature sent lésé par la société: excès d'impôts, condam-
en impose une. nation arbitraire, expulsion, refus de passeport,
en appelle à l'ombudsman. Celui-ci, tout à fait
COMMENT N'ETRE PAS QU'UN NUMÉRO? gratuitement, le défend contre la société et fait
valoir ses droits devant les tribunaux.
Mais cette menace n'est pour l'humain de 1984 On discute dans les pays scandinaves du nombre
qu'un nuage gros comme une main d'homme d'ombudsman nécessaires. On parle d'un
(Diddington employait cette expression à propos ombudsman pour 6 000 citoyens. En 1963, le parti
de la bombe atomique en 1941). Le grand pro- libéral anglais a mis à son programme l'intro-
blème, c'est l'équilibre à réaliser entre l'individu duction d'ombudsman en Grande-Bretagne. En
et la société, c'est la lutte entre les numéros et les 1964, !'U.R.S.S. a exprimé son intérêt pour cette
noms. institution. En 1984, tous ceux qui veulent être un
L'humain de 1984 est d'abord un numéro de dix nom et pas seulement un numéro se tournent vers
chiffres. Ce numéro, il le conserve toute sa vie. les ombudsman q~i ont été installés partout dans
Il est imprimé à l'encre magnétique sur une carte le monde. La société tentaculaire a enfin trouvé
qui lui permet d'obtenir de l'argent dans n'importe son contrepoids. Quiconqué est persécuté peut
quelle banque c:lu monde sur simple présentation. s'adresser à son ombudsman.
Ce numéro permet également de l'atteindre au
téléphone où qu'il soit, à condition qu'il ait Mais les problèmes de la société restent posés. Si
signalé son changement d'adresse à son téléphone un gouvernement mondial se crée, comme
local. Ce numéro est codé de façon à contenir son l'espèrent les meilleurs esprits de 1984, qui sur-
groupe sanguin, l'essentiel de son histoire médi- veillera les gardiens? Les ombudsman, magistrats
cale, sa situation vis-à-vis des lois de son pays .. Il locaux respectés, pourront-ils s'opposer à un
suffit de signaler un numéro à ('Interpol pour que organisme plus puissant que les dictateµrs
tous les moyens de transport lui soient fermés. anciens, contrôlant la planète, disposant des
Les immenses machines à calculer ont un enregis- grands cerveaux électroniques pour gouverner,
trement correspondant à ce numéro où son gou- au courant des techniques de contrôle psycho-
vernement trouvera ses états de service militaire, logiques et psycho-chimiques. En regàrdant la
sa profession, sa situation vis-à-vis du percepteur. carte unique qui lui tient lieu à la fois de passe-
L'office mondial de santé et les autres institutions port, de chéquier et de carnet médical, en
internationales auront aussi accès à ce dossier regardant son numéro et les trous perforés de la
magnétique. Avec son numéro, l'humain de 1984 carte qu'il est bien incapable de lire, l'homme de
- homme ou femme - est citoyen du monde. Mais 1984 se pose toutes ces questions. Les futurs
il aspire à être plus qu'un numéro. Il veut pouvoir membres du gouvernement mondial, les organi-
se défendre contre la société paternelle, mais sateurs, les spécialistes se les posent aussi.
trop curieuse, bienveillante mais toute-puissante. Et une courte phrase revient de plus en plus dans
Aussi, entend-on résonner partout, revenir dans leurs colloques et commence à se répandre dans
toutes les conversations de 1984, un des mots clés l'opinion publique:« la courbe de Stinen.

40 Vous vivrez comme cela en 1984


L'IMMORTALITÉ PROCHE Pourtant ces immortels viendront à leur heure. Il
faudra plusieurs siècles pour assimiler toutes
Harry Stine, spécialiste des fusées et auteur de les connaissances qui s'accumulent tous les jours.
science-fiction, s'est livré, dans les années Il faudra aussi plusieurs siècles pour atteindre les
1950/60, à l'extrapolation des courbes donnant étoiles à bord des lampes volantes, fusées à pro-
en fonction du temps la vitesse des véhicules, la pulsion lumineuse que l'on commence à mettre
production de l'énergie, la densité des réseaux de au point. Les immortels seront nécessaires, mais
télécommunications et de transports. Comme comment les choisir? C'est la grande question, le
André de Cayeux et François Meyer en France, il grand sujet des discussions intellectuelles.
voulait saisir au vol l'accélération de !'Histoire.
Il a pu ainsi prédire les spoutniks, ainsi que la LES PROBLÈMES QUI SE SONT RÉSOLUS
plupart des grandes percées dans le domaine TOUT SEULS
technologique. Il traça alors d'autres co.urbes, en
particulier la courbe de longévité. Et cette Cependant l'humanité de 1984 n'est pas inquiète.
courbe révéla un fait surprenant et même ter- Elle a vu trop de problèmes se résoudre tout seuls.
rifiant: UN ENFANT NÉ EN L'AN 2000 A Le duel communisme-capitalisme s'est terminé
UNE BONNE CHANCE DE NE JAMAIS dans la coexistence aussi facilement que. les
MOURIR. La courbe de longévité se relève en guerres de religion du passé. Un protestant
effet.vers 2000 et tend vers l'infini. pouvait parcourir les rues de Paris, en 1964, sans
En 1984, l'échéance de Stine commence à être danger. Un communiste porteur de sa carte du
proche. Le déchiffrement du code génétique, les parti peut se promener à New York en 1984, un
découvertes sur la chimie de la vie, l'interféron propagandiste du néo· capitalisme agressif peut
(antibiotique contre les virus y compris celui du aller à Moscou en 1984 tout aussi facilement. Il
cancer) commencent à rapprocher le moment où suffit d'avoir un numéro mondial et sa carte en
l'immortalité physique devient possible... pour règle. Les banques de New York délivreront des
certains. Car il est devenu clair, pour les biolo- dollars et les banques de Moscou des roubles
gistes de 1984, qu'en prenant un bébé en l'an tant que l'inscription magnétique ne montre pas
2000, en attachant à sa personne pour la durée de que tout crédit est épuisé.
sa vie une quinzaine de grands biologistes, en
dépensant quelques milliards, il .sera possible De même, le problème des loisirs s'est résolu, et
de prolonger sa vie de plusieurs siècles ou d'un par l'imtiative privée. C'est le problème qui, en
millénaire, c'est-à-dire indéfiniment à l'échelle 1964, excitait le plus les philosophes et les litté-
humaine, en conservant le corps à un âge de raires qui détestent l'homme. Particulièrement
l'ordre de 50 ans. ceux qui ne peuvent souffrir la jeunesse, la liberté
et la beauté ont répété à satiété que; l'h9mme ne
Qui choisira les enfants qui auront droit à ce pourrait jamais supporter l'âge dç·s loisirs, qui! la
traitement? Surtout au début, lorsqu'on ne semaine de 30 heures serait µne çatastrop)l~. que
pourra en choisir beaucoup: une dizaine peut- la jeunesse deviendrait follç. Cçs prédiçtions
être pour le XXI' siècle? Le gouvernement avaient déjà été faites pour 111 semalnlè de
mondial? Mais qui empêchera les membres dµ 52 heures au XIX' siècle. A la semaine;: de
gouvernement mondial de réserver l'immortalité 30 heures de 1972 a succédé, en 1984, la semaine
à leurs propres enfants? L'opinion publique? Elle de 24 heures. Il n'y eut pas de catastrophe. Mais
est si facilement conditionnée. Les ombudsman? la libération des énergies accumulées p~ndant les
Ils ne connaissent que des problèmes locaux. vacances et les congés a conduit à· une des
L'ombre de l'immortalité et des conflits qu'elle grandes révolutions intellectuelles de l'humanité
provoquera commence déjà à peser. et à un des mots clés de 1984: le « lansi ».

Chronique de notre civilisation 41


Dès 1940, on savait qu'aucun des langages parlés nité tout èntière. Seule l'invention de l'écriture
et écrits sur la planète ne convenait à l'ensei- avait constitué une révolution comparable.
gnement des sciences. Benjamin Lee Whorf a Le lansi, bien entendu, a posé des problèmes.
montré que les langues orientales comme le Le plus grave est celui des individus mentalement
russe ou le chinois n'étaient pas appropriées à retardés. Tout le monde peut ayoir l'accès au
l'univers réel: celui de la relativité et des quanta. lansi et aux trésors scientifiques de l'humanité à
condition d'avoir un quotient d'intelligence d'au
LE LANGAGE SCIENTIFIQUE moins 80 (Q 1 100 étant le quotient d'intelligence
A LA PORTËE DE TOUS moyen). L'introduction du lansi fut une dure
épreuve de la vérité pour l'humanité. On
Aussi la culture scientifique pour tout le monde s'aperçut que le nombre d'êtres ayant une intel-
n'est devenue possible qu'après l'invention du ligence inférieure à 80 était beaucoup plus grand
lansi: langage sè:ientiuque. qu'on ne le croyait, surtout dans les pays for-
Ses inventeurs ont combiné d'une façon extrê- tement développés. Ces êtres coupés du progrès
mement ingénieuse les travaux de Benjamin Lee constituent une minorité dont le sort est extrê-
Whorf, les études de Gilbert Cohen-Séat sur des mement pénible. Une minorité qui voudrait
langues parfaitement rationnelles comme le échapper à son destin. Une minorité qui est trop
loglan, les études sur le langage des liaisons souvent la proie des charlatans.
entre l'homme c;:t la machine (cobo, algol), les Il ne se passe pas de semaine, en 1984, sans que
idées de Gérard Cordonnier sur le méta-langage. l'Offièe mondial de la Santé ne lance un sérieux
Le résultat fut, dans les années 70, le lansi, avertissement contre des pilules qui donnent
langage scientifique conforme à l'univers. Le censément de l'intelligence, et qui sont inef-
lansi n'a ni substantifs ni V6rbes. Il décrit des ficaces et parfois cancérigènes. Des cultes de
événements dans l'espace temps et définit leur religion nouvelle, des méthodes pseudo-hypno-
probabilité. Il faut quinze ans au plus pour tiques prétendent augmenter l'intelligence et
apprendre le lansi, et on peut alors lire toute faire accéder n'importe qui au lansi. Des
l'immense littérature de la science (les œuvres annonces promettent l'envoi discret par la poste
modernes sont écrites en lansi, la science d'avant de cours d'intelligence permettant de parvenir au
1970 a été traduite en lansi par des machines). seuil d'intelligence nécessaire et suffisante pour
avoir, par l'intermédiaire du lansi, l'accès à toute
Un travail scientifique de vulgarisation lu en lansi la science. Tout cela est malheureusement de
colle en quelque sorte au cerveau et y est immé-: · l'escroquerie. On a réussi, dans des cas très rares,
dia~ement assimilé et compris. Sur le plan intel- à relever le quotient d'intelligence par inhalation
lectuel, le lansi est l'équivalent de la nourriture des ions positifs, selon la méthode découverte
cuite. Les anciennes méthodes d'enseignement dans les années 60 par le docteur Dussert, de
peuvent être comparées à la nourriture crue des Bergerac. Mais le procédé n'est valable que dans
primitifs, si difficile à digérer. La science tra- des cas très particuliers. L'humanité paraît être
duite en lansi est devenue immédiatement digeste. divisée en deux. On aurait voulu que tous les
Des méthodes radio-chimiques d'impression ont hommes naissent égaux, mais malheureusement
permis la fabrication à bon marché et la distri- cela n'est pas tout à fait vrai pour le moment.
bution gratuite de centaines de milliards de textes
scientifiques. Tout le monde y a accès. Tout LES SCIENCES NOUVELLES
homme normal, toute femme normale lisent en
lansi avec passion et ont accès à la connaissance. .Y aura-t-il saturation? La passion pour la science
Les loisirs, l'impression radio-chimique et le lansi sera-t-elle une mode vite passée? Actuellement,
ont permis une immense promotion de !'huma- nul ne le sait. Ce qui est certain, d'après des

42 Vous vivrez comme cela en 1984


sondages de masses effectués à partir de 1980, L'émotion provoquée chez l'homme et la femme
c'est que l'intérêt se porte de plus en plus vers de la rue par des découvertes telles que la syn-
les espaces intérieurs, vers les mystères de la chronicité et l'analyse du destin est incontesta-
personnalité humaine. Le merveilleux extérieur, blement de nature religieuse. Mais, par-delà
le fantastique de la réalité paraît désormais même cette émotion, ce qui frappe l'observateur,
toucher beaucoup moins. en 1984, c'est le développement des religions nou-
La découverte de l'Atlantide sous les océans, les velles qui empiètent sur les religions anciennes:
formes de vie primitive trouvées dans les ce qui inquiète d'ailleurs profondément les
cavernes de la Lune, les richesses fantastiques croyants traditionalistes de celles-ci.
des cités mortes de la planète Mars, et même
les Intelligences trouvées sur Vénus, tout cela UNE NOUVELLE GUERRE DE RELIGION
n'a guère touché que les enfants. En revanche,
tout ce qui concerne la précognition, l'inconscient Le Subud, créé dans les année 50 par l'indo-
collectif, la télépathie, l'extase mystique pas- nésien Pak Subud, s'est répandu dans le monde
sionne littéralement. Les plus grands savants entier. L'importance numérique de ses croyants
n'hésitent pas à participer à des expériences de en Indonésie dépasse en 1984 celle de ceux de
contrôle sur les phénomènes parapsychologiques l'islam. Dans le monde communiste, le Subud
dont personne ne doute plus, depuis qu'a été s'est répandu en Chine et dans l'Asie centrale
réalisée la liaison télépathique Terre-Lune. Le soviétique. En Afrique, il est la religion
grand homme de l'époque est Jung. dominante.
Dans l'ancien monde islamique, la religion
UNE SCIENCE DU DESTIN Bahai, malgré les persécutions, n'a cessé de
gagner et s'est répandue tout autour de la Médi-
Le progrès de la science est de plus en plus terranée, en même temps qu'elle améliorait
orienté vers la démonstration de la théorie de la encore ses positions en Grande-Bretagne et aux
synchronicité émise en commun jadis par Jung et États-Unis.
le physicien Wolfgang Pauli, prix Nobel. Cette En Amérique du Nord, en Scandinavie et- curieu-
théorie, qui donne un sens scientifique à la vieille sement - en Italie, le culte des Grands Galac-.
idée d'un destin, qui enseigne que chacun peut tiques, que l'on aurait pu croire une folie liée aux
dominer les fatalités génétiques et sociales, cons- soucoupes volantes et appelée à disparaître avec
titue l'axe autour duquel s'alignent des sciences çelles-ci, a pris un prodigieux développement et
tout à fait nouvelles qui allient la cosmo-biologie, compte en 1984 5 à 6 millions de fidèles. Ces
la psychologie et les mathématiques. Le rêve des cultes annoncent la venue des émissaires de la
jeunes est de devenir cosmo-observateur ou desti- Fédération Galactique, des êtres responsables
nologue: ces professions sont terriblement diffi- des signaux que les radiotélescopes ont pu
ciles, mais elles sont la frontière intérieure et la détecter. Les anthropologues comparent cette
frontière importante de la science. nouvelle religion au culte du Cargo ·polynésien.
La physique nucléaire, par contre, a donné nais- Les humoristes s'en moquent. Mais il est tout de
sance au métier d'ingénieur nucléaire, un métier même établi que 6 millions d'êtres humains, en
comme les autres, avec la semaine de 24 heures. 1984, croient à la venue de Grands Galactiques
La recherche mathématique aussi est devenue dans leurs astronefs interstellaires, et ceci en
une routine, une profession honorable, mais qui dépit des affirmations· de la science qui dit que le
ne passionne pas. Les sciences nouvelles où la vide interstellaire paraît difficilement franchis-
physique mathématique s'allie à la psychologie sable pour un être à courte vie comme l'homme.
attirent les meilleurs esprits et provoquent les Aux Indes, des cultes nouveaux basés sur· des
plus intolérantes passions. expériences de mémoire raciale et reconstituant

Chronique de notre civilisation 43


les vieux cultes fondés sur la réincarnation se sont Il n'en rëste pas moins que certaines de ces
répandus aux dépens des religions anciennes. drogues p;iraissent avoir des propriétés extra-
Des congrès œcuméniques envisagent l'union des ordinaires, qu'elles donnent des pouvoirs de
religions classiques pour combattre les nou- précognition indubitables. Le grand tremblement
velles religions. Des historiens, des sociologues, de terre du Chili de 1978 est apparu dans les rêves
des psychologues se penchent sur les religions d'au moins une centaine de patients, plus de trois
nouvelles, leurs causes et les raisons de leur ans auparavant. Tous ces patients avaient reçu
pouvoir. Des mystiques nient leur légitimité et le même dérivé synthétique de l'acide lysergique.
n'admettent comme révélations que les révé- D'autres expériences de ce genre ont montré que
lations classiques: Moise, Jésus, Mahomet. Les le rêve, après l'absorption de certaines drogues,
rationalistes ont complètement disparu en 1984, donne des visions du passé, de l'avenir et peut-
sans quoi ils verraient dans la propagation des être d'autres univers. C'est là une des aventures
religions nouvelles un signe de dégénéresce~ce les plus excitantes du monde de 1984. On se porte
de l'humanité. volontaire pour recevoir des injections de
drogues nouvelles, comme on se portait volon-
LES DROGUES, taire pour l'espace en 1964. Certains de ces
LE TEMPS ET LE RE.VE volontaires sont morts et d'autres sont deverius
fous. Ceux qui ont survécu ont décrit des scènes
Ce sur quoi tout le monde paraît d'accord, c'est d'un passé identifiable, ont eu des visions d'un
qu'à partir d'un certain nombre de calories par futur qui s'est accompli et ont décrit aussi des
jour:... de l'ordre de 3 000 - et d'une certaine univers qui sont peut-être réels. "Ils apparaissent
quantité de temps libre, par exemple de deux dans les visions de sujets qui n'ont pas commu-
jours entiers par semaine, apparaît un besoin de niqué entre eux, et il paraît certain que chaque
merveilleux, de ce que Jung appelait « les vita- univers correspond à une drogue particulière.
mines de l'âme». Ce besoin était déjà très net en C'est sur cette frontière intérieure que l'on attend
Californie en 1964; en 1984, il devient manifeste les grandes découvertes qui secoueront le monde
dans le monde entier. La science ne le satisfait de 1984.
pas, ni la science-fiction, ni les religions clas-
siques. Les nouvelles religions le satisferont-elles? L'HOMME A CESSB.
C'est la question que l'on se pose. D'BTRE Mf.CONTENT
En 1964, des hommes, à la suite des livres brillants Qu'espère-t-on en 1984? Des enquêtes portant
d'Aldou's Huxley: <<Le Ciel et !'Enfer»,·" Les sur 700 millions de citoyens, mâles et femelles
Portes de la Perception», ont pensé que des en proportion égale, d'âge compris entre 15 et
drogues appropriées pourraient enrichir suffi- 75 ans, ont été faites conjointement entre 1980
samment la vie pour fournir à l'hôte inconnu et 1984 par la télévision mondiale et par plusieurs
que l'on peut appeler à volon~é âme, conscience grands journaux: 90 % des personnes interrogées
ou psyché, les vitamines don~ il a besoin. espèrent avoir une preuve de l'immortalité ou de
En 1984, on n'y croit plus guère. La psylocybine la réincarnation. Tous disent: «Une splendeur
et la mescaline se sont révélées bëaucoup plus comme la personnalité humaine ne peut pas
dangereuses, beaucoup plus génératrices d'habi- disparaître comme disparaît un trou dans une
tudes néfastes que les précurseurs ne 'l'avaient carte perforée lorsqu'on· brille la carte.» Rien
cru. D'autres drogues synthétiques ont été depuis dans les découvertes de la parapsychologie ou
créées par centaines; aucune n'est inoffensive. dans les expériences sut les drogues ne justifie en
Aussi, des lois en ont-elles interdit l'usage, sauf 1984 cet espoir. Et pourtant, il est vivace et
sous contrôle médical. répandu. Il .explique peut-être la diffusion des

44 Vous vivrez comme cela en 1984


nouvelles religions, puisque les anciennes n'ont
jamais pu prouver l'immortalité.
Sur le plan réel, deux immortalités physiques
restent ouvertes en 1984: l'immortalité pour un
faible nombre d'enfants spécîalement traités et
l'immortalité de l'hibernation pour ceux qui
veulent se risquer à dormir dans l'hélium liquide
pendant des siècles. Aucune de ces immortalités
n'est satisfaisante, et l'homme de 1984 espère que
la science nouvelle fera ce que les anciennes
sciences et les anciennes religions n'ont pu faire
et lui prouvera qu'il a une autre vie. En attendant,
il a cessé d'être mécontent de celle qu'il a.
JACQUES BERGIER.

Rien n'est trop beau


pour être vrai ...
ldessin inedit de Jean Gourmelin).
__ :......;;,:___ ______ ---- - . - - -· - : 7 = - - .- - -

Chronique de notra civilisation 45


. . . .

L'AVENIR DE L'ESPRIT
Le yoga et la physique, la matière et l'esprit
Jacques Bergier

Lorsque /'homme pourra rouler /'espace sur lui-même comme un


parchemin, alors viendra une fin à la souffrance. LES OUPAN/SHADS.

DES QUESTIONS MODERNES SUR LA NATURE DES CHOSES

Planète - et déjà, avant notre revue, le Matin des Mdgiciens - préco- .


nise depuis longtemps un examen rationnel de la pensée tradition-
nelle et une étude scientifique des phénomènes dits parapsycho-
logiques ou paranormaux. Un mouvement intellectuel en faveur
d'une telle tentative semble se dessiner. Sans se prononcer sur la
réalité des phénomènes parapsychologiques, des physiciens de tout
premier ordre comme John Archibald Wheeler, professeur à
Princeton et auteur, avec Niels Bohr, de la théorie de la fission
nucléaire, le professeur Irving John Good, rédacteur en chef du
célèbre ouvrage collectif The Scientist Speculates, le docteur Alan
J. Mayne, rédacteur en chef associé de The Scientist Speculates,
S.G. Soal, professeur de mathématiques à l'Université de Londres,
Banesh Hoffmann, collaborateur direct d'Einstein, .et d'autres
«savants sérieux» essaient de construire une nouvelle explication
du monde qui tiendrait compte à la fois des derniers progrès de la
physique, des faits précis enregistrés dans le domaine du paranormal,
et des traditions philosophiquç:s et religieuses les plus anciennes,
Une revue indienne, «The Research Journal of Philosophy and
Social Science» (Kedar Nath Ram Nath, Meerut City, U.P., India),
a consacré récemment à ce problèmè un numéro spécial intitulé
Parapsychology and Yoga.
Il a été largement utilisé dans la préparation de l'étude qui suit,
ainsi que l'ouvrage fondamental, Topics of Modern Physics, vol 1,
Geometrodynamics, de John Archibald Wheeler (Academic Press,

(Photo Ariel Alexandre). La vie spirituelle 47


New York et Londres), et que d'autres ouvrages logie. La traduction des relations mathématiques
et études indiqués dans la bibliographie. La en paroles est toujours une trahison. Mais nous
plupart de ces travaux exigent, pour être compris, pensons, à Planète, qu'une vision même un peu
des connaissances mathématiques de l'ordre des déformée d'un mouvement d'idées reliant toutes
examens d'entrée aux grandes écoles. C'est le cas les branches essentielles de la pensée humaine
actuellement de tous les travaux scientifiques un vaut mieux que pas d'informations du tout.
tant soit peu importants, même en parapsycho- PLANETE.

Vivons-nous à la surface des choses?


La tradition et la mystique définissent l'univers, micro-courbure en même temps qu'une macro-
tel que nos sens et les instruments scientifiques courbure, l'idée que cette micro-courbure peut
l'appréhendent, comme une illusion de peu tenir prisonnières d'énormes quantités d'énergie
d'importance. La véritable réalité est au-delà. et, par conséquent, des possibilités d'action sur la
Si tout ce que nous connaissons, des particules matière, beaucoup plus grandes que celles de la
élémentaires aux galaxies, se trouve « A la surface physique classique.
des choses», comme disait mon maître Jean Wheeler s'est livré à quelques calculs sur ces
Perrin 1 , les phénomènes tels que la pensée, la énergies. Elles sont de l'ordre de 1028 électrons-
conscience et leurs diverses manifestations se volt par unité, c'est-à-dire qu'elles dépassent de
déroulent peut-être dans le véritable univers et en loin l'énergie des rayons cosmiques les plus puis-
tirent leur explication. La science la plus sants, laquelle, elle-même, dépasse de loin
sérieuse, la physique, arrive à la conclusion que le l'énergie pouvant être produite par les ·plus puis-
réel du savant n'est qu'une mince pellicule qui santes machines à briser les atomes. Les élec-
recouvre la vraie réalité. Les vagues ne sont pas trons, comme les gall!J{ies, sont uniquement de
l'océan, mais l'océan existe. Le professeur légères perturbations sur la surface à trois
Wheeler, dans son ouvrage Topics of modern dimensions de cette énergie.
physics, montre que le véritable océan, la réalité Le professeur Wheeler compare le vide de la
essentielle, est composé de tourbillons extrê- physique classique à un corps solide et les élec-
mement petits et de dimensions différentes. Ces trons à des fragments d'onde sonore, les phonons
tourbillons sont tous plus petits qu'une longueur (à ne pas confondre avec photons qui sont des
fondamentale: L = 1,6. 10-33 cm. grains de lumière), traversant le solide. Tout ce
Ce monde des tourbillons, qui constitue le véri- que nous appelons réel est composé d'ondes, de
table réel, porte des noms divers suivant les vagues et d'effets optiques de perspective à la
savants qui l'ont étudié. On peut l'appeler à surface de· la véritable réalité. Le savant donne
volonté " océan de Dirac », « milieu subquantique » dans son ouvrage des moyens d'atteindre ce réel
de Louis de Broglie, Bohn et Vigier, «espace véritable à partir de la géométrie appliquée à la
topologique spécial» de Wheeler. Cette identi- physique. Il cite d'ailleurs, comme première
fication fera hurler les spécialistes. Mais ce qui apparition de cette idée dans la conscience
m'intéresse, ce n'est pas tant l'analogie des
1. L'ouvrage de .Jean Perrin qui porte cc titre est paru en
structures dans des formules mathématiques, fascicule vers 1940, chez Hermann. On doit 'pouvoir encore se le
c'est l'idée. L'idée que l'espace possède une procurer.

48 Le yoga et la physique
humaine, les Oupanishads, et notamment Sanka- logiques 2 , mais de montrer que la science
rtichtirya (788 à 820 ap. J.-C.) 1 • moderne les rend plausibles. Il s'agit, comme le
Il èst assez surprenant de trouver ces références dit Irving John Good dans The Scientist Specu-
à la tradition dans un ouvrage hautement mathé- /ates, de creuser des galeries de mine sous les
matique et qui débute là où Einstein s'est arrêté. positions tenues par les matérialistes classiques
C'est un signe des temps: la science commence à du XIX' siècle.
rechercher une base philosophique sérieuse et à
ne plus seulement considérer l'esprit comme un LES PARTICULES SONT-ELLES
accident. DOUÉES DE CONSCIENCE?

L'ESPRIT PEUT-IL ATTEINDRE L'idée que les particules sub-atomiques pos-


LA RÉALITÉ CACHÉE? sèdent un niveau de conscience n'est plus uni-
quement l'apanage de certains philosophes et
Wheeler demeure strictement au plan de la phy- théosophes, ou de savants. isolés comme le
sique. Mais il est impossible de ne pas se poser R.P. Teilhard de Chardin. Elle est exprimée
une question fondamentale à propos de ses dans les pages de la plus sérieuse des revu-es
recherches et de ses réflexions: si notre univers scientifiques du monde, la revue anglaise
n'est qu'une perturbation à la surface des choses, <<Nature». Dans un de ces récents numéros 3, le
ne peut-on admettre que l'esprit est plus fonda- professeur D.F. Lawden y suggère que les carac-
mental que la matière et qu'il peut agir sur le téristiques électriques et gravitationnelles d'une
véritable réel, en libérant l'énergie de la micro- particule sont simplement les aspects des qualités
courbure de l'espace? C'est peut-être la seule mentales qu'elle présente à un observateur exté-
question qui vaille la peine d'être posée. Si rieur. Lawden démontre d'une façon assez
l'esprit humain a été capable de déduire toute la convaincante que la vie et la mort sont relatives,
formidable structure que Wheeler expose en un qu'il est difficile de savoir si un virus ou un
fort volume d'équations serrées, ce même esprit cadavre sont morts ou vivants et que le savant
n'est-il pas également capable de manipuler les matérialiste et rationaliste, s'il ne croit pas à une
véritables objets, et non plus seulement les force vitale transcendante, est bien obligé
ombres de la caverne de Platon? Les espoirs les d'admettre qu'il y a continuité, et que la vie et la
plus insensés seraient permis. Non seulement conscience existent sous une certaine forme au
l'espoir de disposer de pouvoirs auxquels il est niveau des particules élémentaires. L'idée a
fait allusion dans les diver~ livres de magie, mais beaucoup scandalisé les milieux scientifiques 4 •
l'espoir de comprendre directement l'univers et A notre point de vue, il faut surtout retenir que
de s'identifier à lui par-delà les organes des sens les particules paraissent bien pouvoir recevoir de
et les instruments de mesure. l'information par-delà le temps et l'espace, par
Si ce rêve n'est pas absurde, les phénomènes des voies inconnues, d'une façon qui ressemble
qu'étudie la parapsychologie doivent se retrouver beaucoup à la perception extrasensorielle chez
dans les expériences de la physique: commu- l'homme. Ce phénomène a été étudié par plu-
nication directe par-delà l'espace ou, en court- sieurs chercheurs 5 et peut être décrit sans trop
circuitant l'espace, précognitions, etc. Or, c'est
effectivement ce qui se produit. Un certain J. Il cite. comme source, Je volume 3 des Oupanishad.r, traduit par
Swami Nikhilailanda, New York, 1956.
nombre d'études publiées par la revue indienne 2. Voir, à ce sujet, la récente Encyclopédie Planète sur Nos pouvoirs
« The Research Journal of Philosophy and Social inconnus.
3. Celui du 25 avril 1964.
Science» le montre d'une manière saisissante. Il 4. Voir, Discovery •,de juin 1964, page 9.
ne s'agit pas, dans l'examen de ces idées, de 5. En particulier par R.C. Hanna, dans Polarization of annihilation
radiation, •Nature., n• 162 (1948), p. 332, et par C.S. Wu et
prouver la réalité des phénomènes parapsycho- 1. Shaknov, • Physical Review •, n• 77 (1950) p. 136.

La vie spirituelle 49
de mathématiques. Lorsqu'un électron et un posi- cette information se serait propagée sans passer
tron s'annihilent pour libérer de l'énergie, deux par le temps et l'espace. Il est à noter que
grains de lumière apparaissent, ou plus exac- Wolfgang Pauli, qui découvrit ce principe d'exclu-
tement deux rayons gamma (la radiation gamma sion qui lui a valu le prix Nobel, collabora avec
est de la lumière de très courte longueur d'onde, C.G. Jung sur sa fameuse théorie des coïnci-
plus cqurte que celle des rayons X). Les deux dences significatives et des phénomènes acausaux 2 •
grains ainsi produits sont liés et, lorsque l'un li semblait à Pauli que· les phénomènes de
d'eux subit une transformation, l'autre est l'alchimie, de la magie, de la parapsychologie
influencé, sans qu'aucun lien physique ordinaire avaient la même sorte d'étrangeté que le compor-
existe entre les deux photons gamma. tement des particules élémentaires de la matière.
La ressemblance du phénomène avec ceux de la Il en parla à Jung qui eut ainsi l'idée de la
parapsychologie a été observée et notée par synchronicité. Des événements non liés par la
Irving John Good, lors d'une conférence qu'il a causalité peuvent, d'après cette théorie, pré-
faite au Séminaire .sur la Parapsychologie et le senter entre eux des coïncidences significatives
Yoga, organisée aux Indes, à l'Université de sur le plan humain. L'astronome et mathéma-
Lucknow en 1962, par le professeur Raj Narain 1 • ticien autrichien Pascual Jordan a pu dire de la
Cet exposé avait pour titre: Mécanique des quanta théorie de la synchronicité qu'elle révèle l'autre
et Yoga (Quantum mechanics and Yoga). 1.J. Good face de l'univers.
pense, en outre, que les expériences qui ont Les chemins utilisés par les particules pour
démontré la réalité de cet extraordinaire phéno- obtenir de l'information ne passent-ils pas par
mène tendraient à lui faire admettre la réalité l'univers réel dont le nôtre n'est que la surface?
des univers parallèles. Ce n'est pas généralement admis. La plupart des.
physiciens qui se sont penchés sur la question
LE CERVEAU EST-IL UN REFLET pensent que les voies d'interconnexion entre
DE L'UNIVERS? les particules sont, elles aussi, situées à la sur-
face de l'univers réel et que le porteur de l'infor-
Le phénomène de l'annihilation de la matière mation est la nouvelle particule infiniment petite,
n'est pas le seul à être analogue à la perception sans masse, ni charge, ni moment magnétique,
extrasensorielle. Le fonctionnement du "prin- que l'on appelle le neutrino et dont quatre
cipe d'exclusion» de Pauli s'en rapproche éga- variétés ont été découvertes jusqu'à présent 3 •
lement. Lorsqu'un niveau d'énergie dans l'atome Comment un voyant perçoit-il des événements
est occupé, aucun autre électron ne peut s'y dont il est séparé par toute l'épaisseur de la
placer. Cela s'applique également au niveau Terre? La question n'est pas plus absurde que se
d'énergie dans un cristal, ce qui explique le dema.nder comment un neutrino traverse le globe
fonctionnement des transistors. Mais comment sans être dévié, ou comment un atome sait qu'il
l'électron sait-il que le niveau d'énergie où il ne peut plus accepter d'électron. La clair-
pourrait se placer est occupé? L'observation voyance et la télépathie se rencontrent aussi
précise des phénomènes montre qu'aucun modèle bien dans le monde de la physique que dans le
mécanique ne suffit à les expliquer. Ils ne sont monde de la psychologie. On a pu dire que la
pas du tout comparables, en dépit de naïfs vulga-
L.. ~n.t~ouvera le text~ i~tégral de cet exposé dans le numéro spécial
risateurs, à une bille de billard se cognant à une deJa cite de la revue 1nd1enne • l,lesearch Journal of Philosophy and
autre bille occupant une poche ou poursuivant Social Science ., p. 84.
2. C.G. Jung: Synchronicity, an Acousa/ Connecting Princip/e, in
son chemin. Les électrons évitent les niveaux C.G. Jung and W.Pauli, The /nterpretation of Nature and the Psyche
occupés sans entrer en collision avec les élec- (Routledge and Kegan Paul, Londres, 1955); également dans le volume 8
de la• Collected of C.G. Jung• (Pantheon Books, New York, 1960).
trons qui s'y trouvent déjà. Tout ·se passe comme 3. Planè1e espère publier prochainement une mise au point sur la
s'ils a'{aient reçu de l'information et comme si question des neutrinos, par Bruno Pontecorvo, prix Lénine de physique.

50 Le yoga et la physique
liberté est une amplification de l'incertitude au mathématiques) avait fait observer en 1925:
niveau électronique. C'est une analogie super- «Peut-être avons-nous chacun un ange gardien
ficielle, mais qui a été utile. On peut dire de la dans l'espace, à qui nous envoyons des ondes,
même façon que les phénomènes parapsycho- des pensées, plus vite que la lumière et qui les
logiques sont l'amplification dans le cerveau réfléchit. D'après la théorie de la relativité res-
humain des phénomènes naturels absolument treinte, le signal reviendrait 'avant d'être parti et
généraux, essentiels pour le bon fonctionnement c'est ce qui expliquerait la précognition. » Cette
de l'univers. La physique du XIX' siècle cherchait idée est un peu plus qu'une boutade. La pensée
à réduire ces phénomènes à zéro, en même temps absorbe tellement peu d'énergie, le cerveau et les
qu'elle niait l'existence de l'esprit. Mais il se peut organes des sens sont tellement sensibles que, si
que la science moderne montre que l'esprit est en le retour d'un signal avant qu'il ne soit parti est
contact avec l'univers réel, et qu'il dispose de . très improbable, il n'en reste pa,s moins qu'un
ressources d'énergie et de moyens de commu- autre cerveau peut, dans certains cas, détecter le
nication qui ne dépendent pas de la physique signal au moment où il naît. Des physiciens,
classique et qui, au contraire, se placent comme Hugh Everett, ont récemment cherché à
au-dessus d'elle. l.J. Good écrit textuellement 1 : expliquer les paradoxes de la précognition par
« Il est possible, mais improbable, très impro- une multiplicité d'univers parallèles. Nous ne
bable d'après la mécanique statistique, que les voyons pas l'avenir, mais un des multiples avenirs
molécules de l'air entourant un homme se possibles. Il n'y a pas un futur, mais des futurs.
déplacent de telle façon que la pression de l'air Nous avons, dans ces futurs, des jumeaux iden-
au-dessus de lui devienne nettement plus faible tiques avec qui nous pouvons quelquefois com-
que celle en dessous de lui, de sorte qu'il lévi- muniquer. Ce sont là des pensées de physiciens
terait. Si, par un acte mental, un Yogui peut agir et non pas des réflexions métaphysiques ou des
sur les probabilités dans l'espace autour de lui, idées extraites de la littérature de science-fiction 4 •
tout comme il le fait dans son propre système La théorie d'Everett rend la précognition parfai-
nerveux, il pourrait alors léviter et faire bien tement possible et tout à fait cohérente aussi bien
_d'autres choses encore 2 ». sur le plan physique que sur le plan philoso-
phique. Dire que la précognition 'est impossible,
LA PHYSIQUE MODERNE c'est désormais se placer dans l'optique de la
DOIT-ELLE INCLURE physique du XIX' siècle, de l'espace absolu et du
LA PARAPSYCHOLOGIE?
1 1
temps absolu. Un relativiste conséqU"ent avec lui-
même doit désormais admettre la précognition:
L'idée d'un futur influençant le passé, d'une c'est ce que fait Costa de Beauregard dans le
causalité dans les deux sens n'appartient pas Deuxième principe de la Science du temps (Editions
exclusivement à la science-fiction ou à la mys- du Seuil). A partir du moment où la possibilité
tique. La notion de temps réversible a été .scientifique de la précognition est admise, il
proposée pour la première fois d'une façon devient naturel d'examiner les cas spontanés dans
scientifique par G .N. Lewis, le chimiste qui !. A la page 89 de l'étude déjà citée. Rappelons, au risque de nous
répéter, que Gooci n'est pas un écrivain de science-fiction ni un
fonda la théorie moderne des molécules, dans mystique, et que son adresse est: Director, Institutc for Dcfcnsc
The Symmetry of tifr!e in physics («Science», Analyses, Communications Researcb Division, Von Neumann Hall,
Princeton, New Jersey, U.S.A.
vol. 71, pp. 569-77, 1930). Un grand nombre de 2. Sur les phénomènes de lévitation, voir l'article d'Aimé Michel, dans
travaux ont été faits autour de cette idée 3 • Le Planète n• 16.
3. Voir sa bibliographie dans le'n• 17 de Planète.
célèbre mathématicien G.H.C. Whithead (auteur, 4. Bien que la science-fiction les ait indiscutablement anticipées.
avec Bertrand Russell, de l'illustre ouvrage Prin- L'idée des univers multiples se trouve déjà dans le roman de Jack
Williamson, la Légion du temps, qui est paru en 1938. Sa justi-
cipia Mathem<itica qui est à la base de toutes les fication mathématique, par Hugh Everett, date de 1957 (• Revicw of
réflexions modernes sur les fondements des Modern Physics., vol. 29, pp. 454-62).

La vie spirituelle 51
ce domaine. Aucune méthode de recherches physique. Observons à ce propos que nul
psychiques permettant d'une façon certaine de n'acceptait, sur le plan physique, la théorie de
conclure à l'existence de la précognition et de la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie
la mesurer n'a encore été mise au point. Mais jusqu'à ce que les ondes accompagnant l'électron
de telles expériences ne sont pas inconcevables 1 • soient détectées et photographiées, ce qui a
La précognition est tout à fait concevable au conduit à l'invention du microscope électro-
niveau de la particule élémentaire.. De nom- nique et, comme première application pratique,
breuses propositions théoriques ont été avancées à l'observation du virus de la poliomyélite et à la
dans ce domaine depuis la parution des travaux mise au point d'un sérum. Il ne faut jamais trop
d'Everett. Des expériences ont également été se hâter dans la mise au rebut des théories de la
proposées. On a essayé de faire reculer dans le physique comme simple vue de l'esprit. La théorie
temps des noyaux de manganèse radio-actifs de Feynmann a porté un coup très dur aux lecteurs
placés au voisinage du zéro absolu. En repassant . et aux auteurs de science-fiction. Si elle est vraie,
deux fois dans le même temps, le noyau devrait la machine à voyager vers le passé est à jamais
produire un eff1<t double sur un compteur Geiger. impossible. En effet, le voyageur et la machine
Les expériences, faites aux États-Unis, n'ont se transformeraient en anti-matière et explo-
pas donné de résultats convaincants. Mais seraient.au contact d'une autre matière en arrivant
des laboratoires les poursuivent en ce moment dans le passé. Par contre, elle n'interdit pas la
même et des physiciens me disaient réçemment réception des signaux du futur, et S.C. Wallwork 3
qu'au niveau d'un noyau ou d'une particule a récemment proposé une méthode très simple
élémentaire le renversement du temps leur paraît pour détecter des signaux venus du futur avec
moins surprenant que la non-conservation de la un oscillographe cathodique, c'est-à-dire, en
parité. Il existe également un certain nombre somme, avec un récepteur de télévision. Des
d'observations dans lesquelles un noyau paraît essais sont en cours.
se désintégrer avant d'âvoir été frappé par une Si réellement la précognition peut être intégrée
particule de haute énergie. On peut s'attendre dans la science, la parapsychologie va, par la
d'ici quelques années à une transformation révo- même occasion, se trouver invitée à prendre rang
lutionnaire de la notion de cause à effet à petite parmi les sciences exactes. En même temps, la
échelle. science aura résolu le problème du libre arbitre
et de la fatalité. La précognition nous indiquerait
POUVONS-NOUS RECEVOIR un des avenirs parmi un grand nombre d'avenirs
DES INFORMATIONS DE L'AVENIR? probables. La connaissance de cet avenir per-
mettrait d'ailleurs de le modifier. Il n'est abso-
Une théorie générale représente l'électron lument pas exclu qu'un jour vienne où la science
comme voyageant du passé vers l'avenir (comme· puisse annoncer d'avance, par précognition, les
nous) et le positron comme voyageant du futur tremblements de terre, puis faire évacuer les
vers le passé et pouvant ainsi théoriquement régions menacées. Ce serait enfin une appli-
apporter des messages du futur. Elle est due à cation pratique de la parapsychologie.
Feynmann, humoriste et enfant terrible de la La nouvelle physique permettra à la parapsycho-
science 2 • Mais cette théorie particulière n'est logie de reposer sur des bases solides. A son tour,
nullement considérée comrrie une plaisanterie. elle profitera du contact avec des disciplines très
On pense seulement qu'elle ne constitue qu'une différentes. Plusieurs tentatives sont en cours en
description purement formelle des phénomènes, 1. Mme Luisa Rhine, la femme du fondateur de la Recherche
psychologique moderne, en propose dans Precognition and Intervention ·
qu'elle est commode parce qu'elle donne des (.Journal of Parapsychology., vol. 19, pp. 1-34, 1955).
graphiques et des calculs plus simples, mais qu'il 2. Voir mon livre• Rire avec les savants•, chez Fayard.
ne faut pas la prendre au sérieux sur le plan 3. The Scientist Speculate, p. 83.

52 Le yoga et la physique
ce moment pour «enrichir» la physique et les La parapsychologie ne peut indéfiniment se can-
mathématiques et leur donner un contenu plus tonner au stade de la statistique. Elle aura à
humain'. développer des méthodes permettant de réussir
L'une d'elles se déroule en Inde et met en rapport à tout coup, et de reproduire les expériences
des scientifiques et mystiques Indiens et notam- à volonté. Ces méthodes devront être nécessai-
ment les chercheurs suivants: B.L. Atreya, pro- rement basées sur une superstructure mathé-
fesseur de philosophie à Bénarès et directeur du matique qui ressemblera à celle de la physique
Conseil indien pour les relations humaines, à moderne. La plus intéressante des approches en
Delhi; Ran Jee Singh, professeur de philosophie cours est celle du mathématicien anglais
à Ranchi; H.N. Banerjee, directeur de l'Institut G.D. Wassermann 2 qui se base à la fois sur les
de Parapsychologie, à Sri Ganganagar; Ram nouvelles théories de l'espace que nous avons
Nath Sharma, le rédacteur en chef de la revue où citées et sur la théorie des quanta.
sont parus les comptes renélus que nous utilisons.
L'opinion générale qui se dégage de ces travaux ALORS COMMENCERA
est que, dans le vaste domaine du yoga, il faut LA V:ËRITABLE MÉTAPHYSIQUE
choisir comme point d'impact le yoga intégral de
Shri Aurobindo, car il est le plus compatible avec Une véritable théorie synthétique de l'univers,
la recherche occidentale et la parapsychologie. embrassant à la fois la physique, la biologie, la
Le yoga prétend atteindre un véritable univers psychologie et la parapsychologie, sera nécessai-
dont le nôtre n'est que la surface, affirmation qui rement faite par des savants. Mais ils devront
ressemble assez à celle des physiciens modernes. d'abord se libérer du blocage psychologique qui
Pour Shri Aurobindo, l'acquisition de pouvoirs les empêche d'admettre comme possibilités
parapsychologiques n'est pas le but du yoga, mais scientifiques l'action du futur sur le passé, les
une phase par laquelle l'adepte passe. D'autre interventions extérieures et l'existence d'autres
part, le yoga de Shri Aurobindo est un système intelligences que la nôtre (des scientifiques
relativement rationnel opposé à l'ascèse et au comme Michael Watson envisagent des contacts
spiritisme. Ram Nath Sharma cite des phrases de psi avec des intelligences sur d'autres planètes),
Shri Aurobindo sur l'occultisme qu'un rationa- la synchronicité, etc. Une telle libération de
liste ne démentirait pas. Il déclare en particulier: l'esprit scientifique se produira lorsque les
«Le spiritualisme n'est pas une science. C'est savants s'apercevront que la science elle-même
une masse de documents obscurs et ambigus dont est fantastique, et aussi lorsqu'ils apprendront à
on ne peut tirer que des généralisations maigres penser librement et à écrire librement sans
et douteuses.» Shri Aurobindo décrit des mé- crainte du ridicule.
thodes pour «faire taire l'esprit»; ces méthodes JACQUES BERGIER.
rendent particulièrement réceptifs et pourraient
être utilisées pour améliorer les performances
dans les expériences de télépathie et de clair-
voyance. Sur le plan pratique, tous les auteurs
que nous avons cités préconisent une collabo-
ration entre yoguis et parapsychologues. Des
expériences réalisées en commun sont envisagées
en Inde: elles seront certainement instructives.
l. Planète parlera en son temps de toutes ces tentatives, et notamment
Déjà, des encéphalogrammes pris sur des yoguis des « mathématiques enrichies" que l'on étudie au groupe <1 Artoga"
ont permis de détecter un très curieux état élec- en Angleterre. Dans la présentt: étude, nous nous attachons surtout
aux contacts qui ont été pris en Inde.
trique du cerveau, qui n'est ni la veille ni le 2. Ses travaux ont été publiés par la fondation 1• Ciba "• pages 53 à 72 du
sommeil. Symposium de 1956.

La vie spirituelle 53
un ·compagnon de Lucifer: Aleister Crawley
Jacques Mousseau

Un seul homme, à notre connaissance, osa présenter sous une forme


conceptuelle et revendiquer /'attitude magique fondamentale. Cet homme
est sans doute le plus grand et le plus inquiétant, peut-étre le seul
magicien duxx• siècle occidental: Aleister Crowley. ROBERT AMADOU.

IL SE NOMMAIT LUl-M:ËME LA B:ËTE


Magicien Derrière le petit port sicilien de Cefalù s'élève le mont Santa
Barbara aux pentes couvertes d'oliviers. Sur le chemin sinueux qui
Sadique conduit au sommet, en desservant quelques maisons éparses, il me
semblait voir marcher devant moi, dans le soleil de ce matin d'aoQt,
Initié l'homme étrange qui, après avoir parcouru le monde, était venu, une
quarantaine d'années plus tôt, s'installer à cet endroit que lui avait
désigné un oracle chinois. Je vivais dans l'intimité de sa pensée et
Espion de son œuvre depuis des semaines et, quels que soient les jugements
qu'on puisse être amené à porter sur un être, une semblable coha-
Énigmatique bitation intellectuelle suscite une complicité.
Aujourd'hui personne ou presque ne se souvient plus d'Aleister
Crowley à Cefalù. Dans les premiers jours d'avril 1920, sir Alaster
de Kerval et la comtesse Lea Fackland - Crowley et sa maîtresse
américaine Leah Faesi avaient adopté ces noms et .ces titres,
auxquels ils n'avaient aucun droit, pendant léur séjour dans l'île -
emménageaient dans la villa où je me rendais. Ils voulaient y fonder
un Temple de Magie, une centrale d'énergie occulte avec l'ambition
qu'un jour prochain le crowleyanisme supplanterait le christianisme
en Occident. Une autre femme les accompagnait, Ninette Fraux,
baptisée sœur Cypris, la concubine numéro deux du magicien, et
deux enfants dont Poupée, la fille bâtarde de Crowley et de Leah
Faesi. Par la suite, d'autres disciples du magicien rejoindront Cefalu:
Elisabeth Fox, la concubine numéro trois, Mary Butts et Cecil
Maitland qui furent initiés à des mystères tels que l'accouplement

Il avait fait
un pacte avec le diable. L'histoire invisible 55
d'un bouc, symbole de la fécondation, avec éberluées sur les agissements du sujet britannique
Leah Faesi, Norman Mudd qui démissionna de sa dont, inexplicablement, les autorités italiennes
chaire de professeur de mathématiques dans une tolérèrent la présence pendant plusieurs années.
Université d'Afrique du Sud pour contribuer Il en avait fait un Mormon dont la foi avait des
à l'édification du grand œuvre magique, etc. exigences qu'il fallait admettre sinon recom-
La foule ne fut jamais dense sur les pentes de mander. Les hommes de l'abbaye devaient ainsi
Santa Barbara, mais cependant, jusqu'à ce que se raser le crâne à l'exception d'une mèche
Mussolini en 1924 expulse Aleister Crowley, le va- au-dessus du front; les femmes devaient teindre
et-vient des initiés, des adeptes et des admirateurs leur chevelure en rouge ou en jaune. Elles
fut incessant. A tout nouvel arrivant, le mage portaient une robe bleu ciel qui tombait toute
remettait d'abord un rasoir afin qu'il s'entaille droite du cou sur les chevilles. Chaque membre
l'avant-bras chaque fois qu'il emploierait le mot de la communauté tenait en outre un journal
<<je». Seul le maître avait droit à l'utilisation magique sur lequel il devait consigner ses pensées
du premier des pronoms personnels. et ses aspirations les plus intimes. Le Maître
avait évidemment accès à ces confessions aussi
Aleister Crowley réalisait à Cefalù l'entreprise souvent qu'il le désirait.
à laquelle il rêvait depuis vingt ans: fonder
l'abbaye de Thélème imaginée par Rabelais. La villa où Crowley comptait amasser suffi-
L'oracle chinois venait de lui indiquer que samment d'énergie magique pour conquérir le
l'heure était venue. Sur la villa accrochée aux monde était une modeste construction sans
flans de la colline Santa Barbara régnait la règle étage. Cinq chambres ouvraient sur la pièce
què Rabelais inscrivait en lettr:es d'or sur le centrale: le Sanctum Sanctorum ou le Temple
fronton de son abbaye imaginaire: « Do what des mystères thélémiques. Sur le carrelage rouge
thou wilt shall be the whole of the law », « Fais ce brique, Crowley avait lui-même dessiné un cercle
que tu veux sera le principe fondamental de la magique et un pentagramme dont les cinq pointes
loi». Mais cette liberté était lac récompense de touchaient le bord de la circonférence. Le trône
ceux qui avaient atteint la suprême sagesse. Pour du mage se trouvait à l'est; celui de sa concubine
y accéder, il fallait d'abord se soumettre à fa numéro un, ou Scarlet W oman, était placé à
volonté du Maître et Crowley régnait en despote l'ouest. Sur les murs du temple étaient peintes,
sur tous ceux, hôtes permanents ou visiteurs de de la main de Crowley, toutes les positions conce-
passage, qui faisaient retraite à l'abbaye de vables de l'acte sexuel.
Thélème. C'est en ce lieu que les habitants de l'abbaye
prononçaient en commun.leur prière cinq fois par
NUES FACE AU SOLEIL jour, suivaient les offices gnostiques, sacrifiaient
des animaux, invoquaient les démons et se
Lorsqu'il voulait punir ses multiples concubines livraient aux rites sexuels. La maison existe
de quelque désobéissance, il les exposait nues, les toujours. Un colonel d'aviation en retr;lite
bras en croix, sur des rochers regardant vers la l'occupe avec sa famille. Les murs ont ~té
mer. Elles devaient rester immobiles et muettes, recrépis, les volets repeints, le toit refait et,
marquées au fer entre les seins du sceau de leur ainsi retapée, elle ressemble à n'importe que!
seigneur, à bénir intérieurement leur dépen- pavillon de banlieue italienne. Au fond g'µn~
dance, aussi longtemps qu'un ordre de sa part ne cave noircie, j'ai seulement retrouvé deux portes
venait pas les délivrer. Les paysans siciliens où apparaissent encore quelques traces des
pouvaient à loisir contempler ces statues de chair peintures obscènes de l'artiste qui, pendant
livrées à leur concuspiscence distante. Le curé quatre ans, s'était efforcé d'attirer en ce lieu les
avait dü fournir une explication à ses ouailles puissances maléfiques pour les mettre à son ser-

56 Un compagnon de Lucifer
vice. C'est tout ce qui reste de Crawley et de sements de Cambridge. S'il n'obtint jamais le
ses disciples. Le crowleyanisme a donc raté son diplôme de l'Université, malgré trois années
évangélisation du monde. d'études, ce n'est nullement parce qu'il avait
l'intelligence médiocre. A Cambridge, Crowley
UN ADOLESCENT ATTARDÉ? consacra son temps à toute autre activité qu'à
l'approfondissement des disciplines imposées. Il
Il est très difficile de parler sérieusement d'un se fit connaître comme poète, marqué par les
être qui se vantait lui-même d'être «l'homme le œuvres de Baudelaire et de Swinburne, et surtout
plus pervers de la création». On pense aussitôt comme un esprit anticonformiste aux idées aussi
qu'il s'agit d'un adolescent attardé, ou qu'alors originales qu'incongrues dont l'influence sur ses
il ne mérite pas le diplôme d'honneur qu'il se condisciples fut très vite jugée pernicieuse.
délivre à lui-même. Un adolescent attardé,
Crowley l'était sans doute d'une certaine façon. UNE SUCCESSION DE RÉVÉLATIONS
Un psychanalyste rechercherait dans son enfance
austère les explications à son comportement. Le père d' Aleister Crawley mourut très jeune en
Edouard Alexander Crawley naquit le 12 octobre laissant une fortune de 40 000 livres sterling
1875, à Leamington, dans le Warwickshire (somme beaucoup plus considérable à cette
(Grande-Bretagne). Il décida lui-même plus tard époque qu'à la nôtre) qui devait permettre à son
de contracter ses deux prénoms en Aleister qu'il fils de mener l'existence qu'il souhaitait, et
trouvait plus énigmatique. Il déploya d'ailleurs d'abord de se livrer à sa passion des voyages. Le
des trésors d'imagination pour se trouver une 31 décembre 1896, alors qu'il était endormi dans
généalogie noble: il prétendait descendre de la un hôtel de Stockholm, Crowley fut réveillé par
grande famille bretonne de Quérouaille; il pré- la révélation qu'il possédait des pouvoirs magiques.
tendait également que le grand poète anglais du Dès lors, il avait découvert ce qu'il aspirait à être
XVII' siècle Abraham Cowley était son ancêtre. inconsciemment depuis sa ténébreuse enfance:
La passion des noms et des titres, ainsi que celle un adepte des sciences occultes, un mage. Sa
des déguisements, le poursuivirent toute sa vie. tâche était de se mettre en quête des secrets
Lorsqu'il s'installa à Londres, après ses études, susceptibles de développer ses dons, de se rendre
ce fut sous le nom de comte Wladimir Svaref. aux sources de la magie, dans les sociétés secrètes
En Écosse, il devint lord Boleskine, en Orient, occidentales d'abord, mais aussi dans les monas-
prince Chioa Khan. La liste de ses noms tères du Tibet, auprès des yogis de l'Inde et dans
d'emprunt est interminable. la Chine lointaine. Point par point, il réalisera
En fait, son père était un sévère bourgeois de ce programme, souvent après des méandres dans
province dont la famille avait amassé une le temps et l'espace qui laisseront croire parfois
coquette fortune dans la brasserie. Chez les qu'il avait oublié le but qu'il s'était fixé. En réa-
Crowley, !ajournée commençait au petit déjeuner lité, Crowley a toujours voulu devenir une célé-
par la lecture et le commentaire de quelques brité. Il avait, un temps, songé à la poésie pour
versets de la Bible. Elle se poursuivait sur ce réaliser cette ambition, mais dès Cambridge, ville
mode jusqu'à l'heure du coucher précédé d'un lettrée où le nom d'Eschyle était à peine connu,
ultime sermon. Jamais de jeux; jamais de dis- il avait compris le peu de force de ce moyen. La
tractions. A dix ans, Aleister s'imaginait en futur magie lui apparut une méthode plus süre pour
soldat du Christ. Mais dès la fin de son adoles- conquérir la gloire. Il entendait par magie l'art
cence, il avait découvert sa vocation profonde: qui permet d'accéder à un contrôle secret et effi-
il serait soldat du Diable. cace des forces de la nature.
C'est dans cette disposition d'esprit qu'il entra La vie de Crowley fut une succession d'émotions
au Trinity College, l'un des plus célèbres établis- et de révélations, toutes décisives. Il se crut

L'histoire invisible 57
2 3
toujours conduit par la main vers des instants et tution, le propriétaire de sa demeure disparut mys-
des lieux choisis. Peu à peu, la conviction s'ins- térieusement, un ouvrier du voisinage devint fou et
talla d'ailleurs en lui qu'il était le nouveau Messie tenta de l'assassiner, enfin le boucher du village,
et qu'ainsi se justifiaient les précautions que le avec lequel il s'était disputé, se coupa acciden-
destin et les démons prenaient avec lui. Révé- tellement l'artère fémorale et en mourut.
lation: la découverte à la Bibliothèque de
!'Arsenal, à Paris, de la Magie sacrée, l'œuvre du UNE CERTAINE FASCINATION
mage Abra-Melin. C'est de ce livre que le vieux
magicien français Eliphas Lévi aurait tiré l'essen- Comment faut-il considérer de tels faits? Comme
tiel de son savoir. Aleister Crowley en fit son de simples coïncidences ou comme les mani-
ouvrage de chevet. Révélation encore: une voix, festations d'une aura maléfique? Dès que l'on
quelques années plus tard, en Egypte, le conduisit quitte le ton de la narration neutre à propos de
jusque devant une statue du dieu Horus marquée Crowley, le risque est immense d'être pris pour
du chiffre 666 - le chiffre du démon que Crowley un crédule ou un partisan 1 • Notre dessein cepen-
avait déjà adopté - qui lui dicta les 75 versets de la dant se bornera à tenter de soulever le cas d'un
Bible du crowleyanime: "The Book of the Law», homme qui, vingt ans après sa mort, demeure
«Le livre de la Loi». Ces règles régirent l'abbaye entouré de mystère. Si Crowley ne posait pas
de Thélème qu'il devait établir à Cefalù. Il serait un problème, au psychanalyste d'abord, à l'his-
possible d'allonger à l'infini les instants privi- torien ensuite, au spécialiste des sciences occultes
légiés qui déterminèrent une nouvelle orientation enfin, nous intéresserions-nous à lui? Le nombre
dans la vie du magicien-poète. Quand ceux-ci des psychopathes est infini; celui des obsédés
tendaient à s'espacer, Crowley avait recours aux sexuels ne l'est pas moins. Une des énigmes
bâtonnets chinois qu'il jetait sur une table ou sur posées par Aleister Crowley est la constance
son lit et dont il interprétait ensuite les ordres. avec laquelle il a orienté sa vie en fonction de
« Si vous voulez vous livrer à la magie, dit Abra- certaines obsessions.
Melin, il faut commencer par construire un ora- Q'il y ait en lui de l'adolescent pervers attardé,
toire selon des normes précises. Sa porte doit le fait est difficilement contestable. Le sexe a
ouvrir au nord sur une terrasse recouverte de dominé son existence, et il était doué en ce
sable fin de rivière. Au bout de cette terrasse domaine d'appétits insatiables. Peu lui importait
doit se trouver une petite loggia où les esprits le partenaire de ses débauches, ni son âge, ni
démoniaques pourraient se rassembler.» Où son sexe, ni ses attraits. Il avait même tendance
Crowley allait-il construire son temple magique? à préférer des femmes disgracieuses. Mais la
Il erra longtemps à la recherche d'un endroit sexualité n'a jamais été chez lui la banale satis-
propice, jusqu'à ce qu'il jetât son dévolu sur une faction de besoins physiques. Elle a toujours été
petite maison d'Ecosse, à Boleskine, près du intimement liée à ses pratiques magiques. Or,
Loch Ness. Là commença véritablement sa vie s'il est exact que l'énergie sexuelle sublimée est
de magicien agissant. Par la suite, partout où un des éléments du yoga ou de la magie blanche,
il se rendit, jusqu'en Chine et en Amérique, il en corollaire, la débauche ne peut qu'aider le
reconstitua son Temple avec les instruments qu'il magicien noir à entrer en contact avec des forces
transportait immanquablement avec lui.
l. Précisons ici que notre étude ne prétend nullement épuiser le sujet.
Apparemment ses premiers pas dans les sciences Depuis trois ans, nous avons à maintes reprises cité le nom de Crowley
occultes manquaient d'expérience, car, à Bo- dans Planète. Nous devions à nos lecteurs de leur présenter cet étrange
personnage. Mais cette esquisse biographique n'est que l'ombre portée
leskine, il fut incapable de contrôler les démons sur le monde du poète-magicien. Nous reviendrons sur le sujet pour
qu'il avait appelés sur sa maison: son cocher fut tenter de comprendre ce que cet homme a été en profondeur, à quels
secrets il a eu réellement accès, et comment peut s'expliquer son
atteint de delirium tremens, une clairvoyante qu'il histoire. Nous envisageons d'ailleurs de publier dans une collection
avait fait venir de Londres opta pour la prosti- à naître le dossier complet sur ce personnage énigmatique.

60 Un compagnon de Lucifer
négatives et destructrices.
Les femmes se comptent par centaines dans la
vie de Crowley. Si nombre d'entre elles étaient
sans vertu, il en est beaucoup que rien ne sem-
blait destiner à la débauche. Deux des trois
épouses du magicien ont terminé leur vie dans
un asile d' aliénés. Plusieurs de ses maîtresses
ont perdu à son contact leur fortune, leur honneur
et l'essence immatérielle de leur féminité . Aleister
Crowley avait une médiocre opinion des femmes.
Il prétendait qu'elles devaient être livrées à la
maison comme le lait, par la porte de service.
Cependant, il exerçait sur elles une fascination
indéfinissable. Sans doute dégageait-il un puissant
magnétisme sexuel. Il ne négligeait aucun artifice
pour l'accentuer, de l'hypnose aux parfums aphro-
disiaques qu'il employait. Les histoires à la fois
fantastiques et terrifiantes abondent à ce sujet.
En voici une, choisie en fonction des questions
qu'elle oblige à se poser.
Un jour qu'il se trouvait à Londres, il s'arrêta
devant la vitrine d'un magasin, à côté d'un couple
de jeunes mariés très épris l'un de l'autre. La
jeune femme séduisit particulièrement Crowley.
Quelques heures plus tard, elle le suivit dans un
hôtel où ils passèrent dix jours ensemble. Puis
le magicien se détacha de cette conquête comme
de tant d'autres dont il a ruiné l'existence. Entre-
temps, le mari avait intenté une demande en
divorce . Pourquoi cette jeune femme heureuse
avait-elle suivi la Bête - comme il s'appelait
lui-même? La question n'a jamais reçu de réponse
satisfaisante . Hypnose? Perversité latente? Réel
coup de foudre? Drogue? Le fait dans sa brutalité,
en tout cas, a été certifié par de nombreux
témoignages.
A LA RECHERCHE DES SUPERIEURS
INCONNUS

Certaines des idées défendues par Crowley dans


ses conversations ou dans ses écrits auraient pu
être émises par Hitler - des historiens d'ailleurs
rapportent que ce dernier connaissait l'existence
du magicien noir et cita au moins deux fois son
nom en public. Sans doute Crowley n'a-t-il pas
Une peinture en cours de restauration:
le démon Baba/on tenant
la coupe des abominations.

L'histoire invisible 61
joué le rôle du Führer nazi, ni exercé son influence. phyte, il devint rapidement zelator, puis theo-
Mais il fut tout au long de son existence entouré ricus, puis practicus, puis philosophus, fran-
de fidèles pour le suivre, de femmes pour l'aimer, chissant ainsi les différents grades vers le sommet
d'amis pour l'entretenir, de disciples pour de la hiérarchie des initiés. Mais une société
répandre ses théories. La fortune paternelle secrète n'est rien, si elle n'est pas en liaison avec
fut dilapidée en dix ou quinze ans; si ensuite, les Supérieurs Inconnus, ces super-magiciens qui
pendant près de trente ans, Crowley connut contrôlent les affaires des hommes à partir de
parfois des difficultés d'argent, il trouva toujours quelque monastère secret du Tibet ou de quelque
un être pour payer ses voyages, le fournir en autre lieu du monde où ils se rendent à volonté.
coüteux cigares, l'approvisionner en cocaïne et A partir de l'instant où il fut membre de la
haschich. A propos de Crowley comme de Hilter "Golden Dawn», Crowley n'eut de cesse qu'il ait
se pose le problème de l'attrait du Mal. L'homme rencontré un de ces Supérieurs Inconnus. Sa
est-il donc si facilement oublieux des origines quête, selon lui, aurait été couronnée de succès
d'une doctrine pour se laisser fasciner par sa et un rendez-vous aurait eu lieu une nuit d'été
cohérence? Aleister Crowley n'a jamais douté de au bois de Boulogne, à Paris, entre Mathers,
lui, et cette assurance semblait suffire pour que chef de la société britannique, lui-même et trois
nombre de ceux qui l'approchaient, à leur tour super-magiciens. Après une aussi flatteuse conver-
ne doutent plus. A considérer certains moments sation, Aleister Crowley ne pouvait rester le
de !'Histoire, la lumière du Bien paraît parfois second de qui que ce soit, füt-il le chef de la
bien faible et fragile. «Golden Dawn"· Il rompit avec Mathers et réalisa
S'il n'a jamais été en contact avec Hitler, Crowley un rêve déjà ancien: fonder sa propre société
fut officiellement en rapport avec les services initiatique. La "Silver Star» dont le sceau secret
d'espionnage allemands. En 1912, il reçut la visite était A.: A.: comptait en 1914 trente-huit membres
impromptu dans son appartement de Londres à Londres seulement.
de Theodore Reuss, qui était à la fois le chef de
la société secrète allemande "Ordo Templis UN MAITRE DE LA MAGIE MENT ALE?
Orientis » et un authentique espion. li venait
reprocher véhémentement au magicien anglais Aleister Crowley fut-il un réel magicien, un réel
d'avoir dévoilé dans certains de ses écrits les initié, ou joua-t-il toute sa vie au mage? Déjà
règles initiatiques de son ordre. Crowley s'en quelques incidents nous ont semblé indiquer qu'il
défendit avec fougue, jura d'être discret et les avait développé en lui certains pouvoirs, peut-
deux hommes se séparèrent après que le poète être latents en chaque individu. Dès ses études
eut accepté de diriger la branche britannique à Cambridge, il avait la réputation de se livrer
de 1'0.T.O. - rôle qu'il assuma sous le nom de à des exercices de concentration mentale et un
Baphomet. Cette aventure est l'aboutissement maître certifie l'avoir vu éteindre une chandelle,
d'un périple compliqué que Crowley avait fait à placée à dix mètres, par la force de sa volonté.
travers les principales sociétés initiatiques A Cefalù, il avait prédit la mort de Poupée, la
occidentales. mort d'un premier disciple, Raoul Loveday, le
Alors qu'il venait de terminer ses études et se suicide du professeur de mathématiques Norman
trouvait aux sports d'hiver à Zermatt (Suisse), Mudd. Les trois drames survinrent aux dates
il avait rencontré un jeune chimiste anglais qui et dans les conditions annoncées par Crowley.
l'introduisit auprès de la "Golden Dawn», une Betty Loveday, qui ne l'aimait guère, en raison
société secrète assez active et puissante à laquelle de l'emprise totale qu'il avait sur son mari,
appartenaient Arthur Machen et le poète Yeats. raconte que le chat de l'abbaye thélémique,
Crowley fut intronisé dans l'ordre le 18 novembre Mischette, fut condamné pour avoir profon-
1898 sous le nom de Frère Perdurabo. De néo- dément griffé le mage. «Tu ne bougeras plus de

62 Un compagnon de Lucifer
cette place pendant trois jours, jusqu'à l'heure
du sacrifice», ordonna Crowley. Betty Loveday
fit tout pour sauver Mischette, elle l'emmena
dans la campagne, le chassa. Le chat revint à
l'endroit assigné et attendit sans boire ni manger
l'heure de son assassinat.
Il semble bien qu'il y ait eu en Crowley deux
personnages : l'un, extérieur, qui voulait frapper
l'imagination, forçait la mise en scène et songeait
à satisfaire ses passions; l'autre, plus intérieur,
qui possédait le secret d'une certaine puissance
qu'il manifestait rarement. Notre ami George
Langelaan ' a connu le magicien-poète à Paris,
peu avant la dernière guerre. Voici le témoignage
qu'il m'a donné - témoignage important parce
qu'il apporte une note humaine au dossier
Crowley.
«Lorsque je fis la connaissance d'Aleister
Crowley vers 1930, je ne savais rien de lui sinon
qu'il était Irlandais. Comment aurai-je pu deviner
que ce gaillard bedonnant, grisonnant et rieur
malgré des yeux qui ne riaient pas et des doigts
de femme qui auraient pu déchirer avec une pré-
cision chirurgicale, était tout à la fois poète,
chercheur, ombre du royaume des ombres,
cordon bleu, grand buveur de café, haut digni-
taire de sociétés secrètes, prince de l'alchimie
et grand maître de la magie noire! C'est beau-
coup plus tard et peu à peu que je découvris la
réalité de cet homme: une des grandes intelli-
gences du siècle, l'un des trois ou quatre grands
hommes que l'on devine, comme on devine de
fabuleuses étoiles noires depuis la fin du siècle
dernier.
»Je fis la connaissance d'Aleister Crowley au
Paris British Chess Club, un cercle de joueurs
d'échecs de la colonie britannique de Paris qui,
à cette époque (vers 1930-32), se réunissaient une
ou deux fois par semaine au Café du Grand
Palais. L'endroit avait pour des joueurs d'échecs
le merveilleux avantage d'être ouvert tard le
soir et d'être pratiquement désert.
1. George Langelaan dirige une collection de romans d'espionnage
chez Robert Laffont. Il a écrit plusieurs livres, dont 41 Le masque de
l'agent secret» qui relate ses activités d'agent entre 1940 et 1944. Il
participait au débat sur 41 Leurs jours les plus longs » dans notre
Numéro 8.
Peint par Crowley lui-même sur les murs
de la Chambre des Cauchemars dans son abbaye
de Cefalù: ['(Eil de la Méditation.

L'histoire invisible 63
., Crawley était un joueur curieux. L'intérêt de ce ., Exceptionnellement, Crawley acceptait de tenir
jeu certainement magique? Il est le seul moyen un échiquier au cours d'une rencontre officielle
permettant à deux cerveaux de s'affronter, avec un des autres cercles de la région parisienne.
comme deux lutteurs se rencontrent en corps Le capitaine de notre équipe lui demandait ce
à corps. Personne ne peut se vanter d'avoir ainsi service lorsque nous devions nous trouver
"rencontré., Crawley. Le gain ou la perte d'une opposés à une équipe très puissante ayant un
partie était, pour lui, sans intérêt aucun, le jeu ou deux très forts joueurs aux premiers échi-
même ne semblait pas tellement l'intéresser. Aux quiers. En bon tacticien, il mettait alors Crawley
échecs, il cherchait avant tout la situation, la sur l'échiquier numéro un, le sacrifiait ainsi au
position curieuse qui, soudain, chatouillait son maître de l'équipe adverse, ce qui lui permettait
imagination; alors il devenait très fort et était de décaler ses meilleurs joueurs d'un échiquier
capable de jouer en grand champion. Par contre, et ainsi de renforcer tout le reste de notre
si une position ne l'intéressait pas, même s'il équipe. Crawley s'installait souriant et, sans
avait la certitude de gagner, il abandonnait. aucune fausse modestie, jouait mal et trop vite,
., Il venait irrégulièrement aux réunions du cercle très détendu, trouvait parfois une combinaison
et refusait de participer aux tournois et autres intéressante ou le coup de génie qui obligeait
compétitions. Lorsqu'il m'arrivait de jouer avec son adversaire à s'employer à fond, et perdait
lui, j'avais toujours la désagréable impression neuf fois sur dix, mais toujours avec le sourire.
que, s'il avait voulu, la partie aurait été toute
autre. J'ai même eu parfois le sentiment qu'il ., Voilà comment, un certain soir, Crawley se
se mettait en mauvaise posture, soit pour amener trouva assis en face d'un des meilleurs joueurs du
une position qui pouvait l'intéresser, soit sim- monde à cette époque, le docteur Tartakower.
plement pour voir comment je «fonctionnais» Certain de marquer un point pour son équipe, le
dans telle ou telle position. grand maître jouait très détendu. Tout aussi
détendu, Crawley jouait, comme toujours, à la
»Le nom de Crawley avait été porté à l'attention recherche d'une position intéressante. Environ
du grand public à la suite d'une série d'articles une heure après le début de la rencontre, Crawley
sur la magie. Il y était cité comme étant le pape avait profité de ce que son adversaire réfléchissait
de la Magie noire, dont la ville de Lyon était pour faire le tour de la salle et jeter un coup
la Rome. Le fait est qu'il allait souvent à Lyon. d'œil sur les autres échiquiers.
Au cercle, on parla de ces articles et il rit de bon «Pas brillant, dit-il à notre capitaine qui était
cœur, se moqua, mais ne démentit rien. Nous ne le seul de notre équipe à avoir une bonne
fimes guère attention à ce fait car, pour un position.
Anglais, ne pas démentir une accusation n'a - Non, je sais. Et vous? Comment va votre partie
jamais été, comme c'est presque toujours le cas avec Tarta?
pour un Latin, une preuve de culpabilité. Et un - Je fais durer pour l'honneur, mais il va gagner.
soir, je vis Aleister Crawley user de magie et des Il m'a déjà grignoté un pion.
puissances magiques à son service. Je dis magique - Aucun espoir d'une partie nulle?
parce que ce qualificatif convient admirablement - Pourquoi pas gagner, tant que vous y êtes!
à l'homme et à sa légende, mais rien ne prouve dit Crawley en riant.
que la puissance dont il fit usage à cette occasion - Ce serait un point capital pour nous, un point
ait été "magique», terme qui implique l'inter- qui nous éviterait de tomber au classement...
vention d'autres esprits; peut-être possédait-il - :Ëcoutez, mon cher ami, je ne connais rien à
seulement un pouvoir personnel, capable de votre cuisine de points, mais si cela a vraiment
s'exercer sur les hommes ou les choses. Voici tant d'importance, je puis peut-être arranger
comment cela se passa. cela.

64 Un compagnon de Lucifer
- Bien sür que c'est important, mais ... corn ...
- Je vais tâcher d'arranger mon jeu, pour une
fois», dit Crowley en retournant à son échiquier
où Tartakower venait de jouer.
» Quelques minutes plus tard, ayant joué, arrêté sa
pendule et mis en route celle de son adversaire,
Crowley descendit aux lavabos qui se trouvaient
au sous-sol. Je l'avais vu vaguement partir mais
ne pensais plus du tout à lui en descendant à
mon tour. Et je trouvai Crowley en manches de.._
chemise, le col ouvert, debout devant un miroir
dans lequel il se regardait fixement en faisan·t
une gymnastique étrange avec ses mains et ses
avant-bras, un peu comme un hypnotiseur de
music-hall faisant des passes, mais avec des
signes bizarres qui rappelaient plutôt les signes
que se font les sourds-muets. J'étais jeune et ne
pus m'empêcher de sourire. Il rit de voir mes
efforts pour rester sérieux et, tout en renouanJ
sa cravate, il dit: «Ce n'est rien. J'étais en confé-
rence avec Baron.» Et je n'osai demander qui
était ce Baron!
»Je fus, comme tout le monde présent dans la
salle du café, très surpris lorsque, avec un gro-
gnement de dépit, Tartakower renversa son Roi
en signe d'abandon car, à la suite d'une faute
stupide, impardonnable pour un grand maître,
il s'était fait prendre sa Dame.»
Peu après cette soirée, Aleister Crowley fut
expulsé de France comme il l'avait été d'Italie.
Magie noire? Service secret? Les raisons ayant
motivé cette décision ne· furent jamais précisées.
Lorsqu'il mourut en 1944 dans une petite pension
de famille du sud de !'Angleterre, le poète-
magicien était réduit à la misère; sa solitude
morale et affective était presque totale; sa santé
était, depuis plusieurs années déjà, ruinée par
l'abus de la drogue. Une immense intelligence
avait .été le propre artisan de sa destruction, mais,
sans doute, nul ne peut faire impunément un
pacte avec le Diable: la leçon du docteur Faust
n'appartient pas seulement au royaume des
mythes. . JACQUES MOUSSEAU.

André Harde/let prépare pour les éditions Planète


un ouvrage sur la vie d'A leister Crowley.

65.
ŒDIPE CHEZ LE PSYCHANALYSTE
i\?R.ÈS 'TO\Jî 1
1 I
J';.;1 ETÉ ~LEV~
'
COKHE"tJ'f T 11WRAÎ.S fù
LOtN J)ê SAvoi R- av i:;- ce T'IPE
Cl-\62. HO\. ./ é°Tf'ri T l.\OtJ ~fU: 1
/ .

fT M-RÈS I JE' ~N'COtJiRE"


Bl>t·H BOtJ I_ .!:> 1ti<:c.OR,I}
t-e'Trt: qoN2.CS5€"" l
J'L'Ai TUÉ! Co M Hiï•/ 'f" !),t,.Voi R .
~MS :J' SA-VAÎ.S PAS
a,,ui c'1hfl-iT?
....- 0..llc c1 ~TA-.IT HO~ ?sRE\
c1e-sr \-iA-• FAUT€,
,..
 Hoi 1
si J"/ LE'S M HE" M" Re.S !

/
D PICC. oRi) ... J l 'M DONC..
1

1
F:POlJS€€ ... €ST~ C6 0.U6
' 1

&1.s:l'I M--OR.s Àt.A SE:HA1we:


Jf 5/lr'IMS 1 Moi 1 O.\JE' c'frAiT 1 •
PR~ MNe . :J' A-11ÈtJE"RA1- tfA
MA MÈ°Rt? c'~sT PAS
f-Îu..~ .. , '/O\J S LUÏ PAALE ~E2. ...
CoMHC" s·1 J'énris HA1...A-11e 1
fAR<:.E Q.U 1'rLOR.S, EL.LEI
OV AIJî CHOSE' !
1
f>ovR ~ O..\J~ €,ST b 1 MoiR
\)ES C.O~<'Lë><g,s !...
n'avoir jamais vu un chien auparavant et c'est,
sans aucun doute, ce qui tracasse l'animal. Ces
malentendus peuvent souvent être dissipés avec
un peu de bon sens.

Q. - Après un redoutable orage, nous avons trouvé,


dans la bibliothèque de mon père, /'honorable
George Morton Bordwell, depuis de nombreuses
années à la tête de la section latine chez Tufts, ce
vieux corbeau mâle perché sur un buste qui fut
donné en cadeau à mon père par la classe de 92. Tout
ce que le vieil animal consent à dire c'est« Arrr-ra ».
Les corbeaux peuvent-ils apprendre à parler, ou
Poe romançait-il? Mme H. Bordwell Colwether.
R. - Je suis en proie au doute quant à celui qui
dit « Arrr-ra ». Est-ce le corbeau ou votre père?
Car les corbeaux disent« Crro-a». Je n'ai jamais
connu un corbeau capable de dire autre chose
que« Crro-a ».

Q. - Notre mouette ne peut pencher sa tête plus bas


que ça et se cogne contre les objets. H.L.F.
QUESTION. - Mon mari, qui est un hypnotiseur R. - Pour commencer, votre mouette n'est pas
amateur, essaie sans cesse d'hypnotiser notre chien, une mouette ordinaire. A mes yeux, elle res-
un limier. Je prétends que ceci ne fait au chien aucun semble beaucoup à un lapin allant à reculons.
bien. Jusqu'ici, il n'a pas succombé à /'influence de Si c'est une mouette, il est impossible de la garder
mon mari, mais je crains que cela lui arrive et qu'il dans la maison. Elle se cognera forcément contre
n'y ait plus moyen de le sortir de son hypnose. A .A.T. les objets. Rendez-lui sa liberté.
Rf:PONSE. - Généralement, les chiens sont insen-
sibles à tout ce qui concerne la psychologie, la Q. - Depuis quelque temps, mon chien policier se
télépathie et ainsi de suite. Cependant, des essais comporte d'une manière fort étrange à cause de inon
pour hypnotiser cette espèce particulière peuvent père qui, depuis deux ans, en rentrant le soir de son
comporter un danger certain. Un limier qu'on travail, lui dit chaque fois:« Si tu es un chien policier,
dévisage fixement peut gagner l'impression qu'il où est ton insigne?» Puis, il rit (mon père). Ella R.
est soupçonné, suivi, etc. Cela bouleverse la vie R. - La répétition constante d'une même plaisan-
d'un limier, en renversant totalement les normes terie a quelquefois le même effet sur les chiens
de son comportement. névrosés de notre époque que sur les gens. Il est
dangereux et irréfléchi de taquinèr un chien
Q. - Quelquefois, mon chien semble ne pas me recon- policier au sujet de ses fonctions, de son autorité,
naître. Je pense qu'il doit être fou. Il recule ou montre et ainsi de suite. Puisque votre chien semble
lescrocslorsquejem'approchedelui HM Morgan Jr. vouloir se cacher derrière les tables, les vases
R. - C'est ce que je ferais moi-même si je n'étais ou quelque chose qui ressemble à une valise, je
pas fou. Si vous rampez vers votre chien de la déduis que votre père a poussé la plaisanterie
manière que vous indiquez dans votre dessin, je assez loin, peut-être même trop loin.
puis comprendre son point de vue. Rentrez votre
chemise et redressez-vous. Vous avez l'air de A lire: James Thurber (Collect. • Humour Secret•, éd. Julliard).

, ~ Humou• Planète 67
- Mais voyons! sourit le fameux chirurgien.
- Qu'en pensez-vous? demanda le vieux
· monsieur avec la barbe à son voisin de lit.
- Très bien! dit le voisin de lit. Pourquoi ne vous
· faites-vous pas couper aussi les bras?
- Eh! au fond, pourquoi pas! s'exclama le vieux
monsieur en souriant et en regardant timidement
le fameux chirurgien,
- Mais enfin, pourquoi êtes-vous si gêné! dit
sèchement le fameux chirurgien. C'est inutile!
Je suis là pour ça, moi!
- Voilà ma femme! cria tout à coup le vieux
monsieur en souriant à une dame qui arrivait du
fond de la salle.
- Bonjour, Madame! dit le docteur en la saluant
et en emportant les deux bras et les deux jambes.
- Bonjour, Docteur, lança la femme du vieux
monsieur ·à la barbe. « Comment ça va?»
demanda-t-elle en se retournant vers son mari.
- Bien. Tire un peu les draps!
- Mais qu'est-ce que tu as fait? demanda la
dame surprise. Mon Dieu, on ne peut te laisser
seul un moment sans que tu en fasses à ta tête!
Tu étais si bien avec les jambes et les bras!
- Il n'y a personne qui doit se faire encore - En ce moment, Madame, on les enlève tous,
couper une jambe? demanda le célèbre chirurgien. vous savez, dit le fameux· chirurgien, en souriant.
- Il y en a un ici, répondit quelqu'un s'asseyant Il est beaucoup mieux comme ça.
sur son lit et· indiquant un vieux monsieur avec - Je comprends, murmura la dame, mais pour
une barbe, à sa gauche. moi, il était mieux avant.
- Si vous ne dites rien... ajouta-t-il en se
retournant vers le vieux ,monsieur.
- Je ne voudrais pas déranger, répondit le vieux LAKME
monsieur co.nfus. Lakmé ton doux regard se voile, tu m'in-
- Comment, déranger? En voilà une idée! assura quiètes.j'ai envie de téléphoner à Desgrosses.
le célèbre chirurgien en accourant. Il ne faut Bonsoir Docteur, je vous remercie d'être
pas faire de manières. Voilà qui est fait! dit-il, venu rapidement, c'est encore ma Lakmé
en donnant le dernier petit coup à la jambe et en qµi me fait une alerte, son doux regard se
la mettant par terre. voile. Nous allons voir ça. Bonsoir mon petit,
- Merci, dit le vieux monsieur avec la barbe, en voyons le regard, le regard est normal, le
contemplant son unique jambe; et dites un peu ... sourire est un peu attristé, par exemple la
pour couper aussi l'autre jambe? langue est très chargée, très chargée. Vous
- Mais certainement... Pour moi, couper aussi avez une cuillère, merci, je la garde, ainsi
celle-là, pendant que j'y suis, ce n'est rien. vous ne me devez rien. Ne vous inquiétez pas
- C'est pour vous, dit le vieux monsieur encore c'est rien du tout. CHAVAL.
plus confus; cela me gêne de vo1;1s faire perdre ·A lire: les Gros Chiens (ed. J.-J. l'auven).
tant de. temps.

Mon verre n'est pas grand,


56 dollars froissés en boule. « Vous êtes le
directeur?» demandai-je. Dieu sait pourtant que
je n'en doutais pas. «Oui», dit-il. «Pourrais-je
vous voir - seul?» .Je n'avais pas voulu dire
«seul» à nouveau mais sans ce mot ma question
semblait vraiment superflue.
Le directeur me regarda avec quelque inquié-
tude. Il ::;entait que j'avais un terrible secret
à lui révéler. «Venez par ici», dit-il en me
conduisant à un bureau privé. Il tourna la clé
dans la serrure. « Personne ne nous dérangera ici,
dit-il. Asseyez-vous.»
Nous nous sommes assis, puis regardés. Je ne
trouvais plus de voix pour parler.« Vous travaillez
pour Pinkerton, je suppose?» Mes façons mysté-
rieuses lui avaient fait imaginer que j'étais détec-
tive. Je devinais ce qu'il pensait et, pour moi,
c'était encore pis.
"Non, pas pour Pinkerton '" dis-je, comme si je
travaillais pour une agence concurrente.
" Pour être franc'" continuai-je, ce qui pouvait
laisser croire qu'on m'avait incité à me.ntir, «je
ne suis pas détective du tout. Je suis venu pour
ouvrir un compte. J'ai l'intention de confier tout
Entrer dans une banque m'affole. Les employés mon argent à cette banque.» Le directeur parut
m'affolent, les guichets m'affolent, la vue de soulagé mais toujours aussi sérieux. Il était per-
l'argent m'affole, tout m'affole. Dès que je suadé maintenant que j'étais un fils du baron
franchis le seuil d'une banque pour essayer d'y Rothschild ou un jeune Gould.
traiter une affaire, je deviens un pauvre idiot « Un compte important, je suppose'" dit-il.
irresponsable. «Assez important, murmurai-je. Je me propose
Je savais cela d'avance mais, avec une augmen- de déposer 56 dollars maintenant et 50 dollars
tation qui portait mon salaire à 56 dollars par tous les mois régulièrement. »
mois, le seul endroit sOr pour une telle somme Le directeur se leva et ouvrit la porte. Il appela
était la banque. le comptable.« Monsieur Montgomery! dit-il en
Donc, j'y entrai d'un pas incertain et regardai élevant désagréablement la voix. Ce Monsieur
timidement les employés. Il me semblait que désire qu'un compte lui soit ouvert. Il va déposer
pour ouvrir un compte on devait avoir besoin de 56 dollars. Au revoir.» Je me levai. Une grande
consulter le directeur. J'allai au guichet « Comp- porte de fer était ouverte d'un côté de la pièce.
tabilité». Le comptable était un grand type «Au revqir», dis-je, et j'entrai dans le coffre-fort.
à l'air froid. Sa seule vue m'affola. Je demandai «Sortez•>, dit froidement le directeur et il me
d'une voix d'outre-tombe: «Pourrais-je voir le montra le bon chemin.
directeur?» et j'ajoutai solennellement «seul!». J'allai au guichet du comptable et, d'un mou-
Je ne sais pas pourquoi j'ai <lit« seul». vement rapide, convulsif, Je lançai vers lui mon
«Certainement», dit le comptable, et il partit paquet de billets froissés comme si j'accom-
le chercher. Le directeur était un homme grave plissais quelque tour de passe-passe. Mon visage
et posé. Je serrais très fort dans ma poche mes était affreusement pâle.

. ~
mais j'en a1 un autre / chaval °t_~~ Humour Planète 69
«Voilà, dis-je, faites le dépôt.» D'après le ton J~ .SlllS
de ma voix, je semblais dire:« Au point où nous u~ ARrisff:.
en sommes, débarrassons-nous de cette affreuse
corvée.» li prit l'argent et le donna à un autre
employé. Il me fit écrire la somme sur un bor-
dereau et signer dans un livre. Je ne savais plus
ce que je faisais. La banque dansait devant mes
yeux.
"Le versement est fait?» demandai-je d'une
voix caverneuse et vibrante. - «Oui», dit le
comptable. - « Alors, je veux tirer un chèque.» KP!Ïs c'csr
Mon idée était de tirer six dollars pour mes .PAS C.~ 8.\Jt
dépenses immédiates. Quelqu'un me passa un J' Ai Ol v"u::
chéquier à travers un guichet et quelqu'un Il! fA-i !I.e.
d'autre me montra comment le libeller. Pour
le public de la banque, je devais être un million-
naire invalide. J'écrivis quelque chose sur le
chèque et le poussai vers l'employé. Il le regarda.
«Quoi! Vous retirez tout?» demanda-t-il surpris.
Alors je réalisai que j'avais écrit 56 au lieu de 6.
J'étais allé trop loin pour pouvoir discuter.
- Vous retirez votre argent de la banque?
- Jusqu'au dernier cent.
- Et vous ne ferez plus aucun dépôt? dit MON' ~ve:,~A
l'employé étonné. SCRAl'T
~ Jamais! IlcVE"NbU
Un espoir imbécile m'était venu: peut-être bf;S f)R.fff ue:S.
croiraient-ils qu'en écrivant mon chèque, je
m'étais senti vexé pour quelque raison et avais
changé d'avis? Je fis un lamentable effort pour
prendre l'air du monsieur terriblement coléreux.
L'employé se prépara à me verser l'argent:
- Comment le voulez-vous?
- En billets de cinquante». Il me.tendit un billet
de cinquante dollars. J'SMS c'Qllf:
- Et les six? demanda-t-il sèchement. VOIJS ftu.LZ.
- En six, dis-je. ' l>iR..€ ...
Il me donna l'argent et je me précipitai dehors. Rê'vf"LIR!._
Comme la grande porte se refermait derrière moi, Dtsc.e W:DS
je saisis l'écho d'un énorme éclat de rire qui Dt -re:s
monta jusqu'au plafond de la banque.
Depuis, je ne mets plus rien à la banque. Je garde
f.!UA1€"S !
mon argent en liquide dans mes poches de pan-
talon et mes économies en dollars d'argent dans
une chaussette. I
A lire: Stephen !-eacock (éd. Laffont).

Paris n'a pas été bâti en un jour et n'est même


conquête du ballon ovale! Le pays est divisé en
deux formidables équipes de millions et de
millions de joueurs! C'est l'apothéose du sport!
Le but de l'équipe du Midi est à Toulouse, et
celui des Nordistes à Colombes. Le coup de pied
d'envoi a été donné hier à Montluçon. Des
éditions spéciales tiennent la France haletante
au courant des péripéties du grand match!
L'f.POUSE-ANTISPORTIVE. - Triste époque! Les ·
hommes, pris de folie sportive, ne songent qu'à
courir après un ballon et ne travaillent plus!
Sous prétexte que le grand match est commencé
et bien que la partie se dispute en ce moment
dans la Creuse, tu pars chaque matin en maillot
de sport garder le but de Colombes! C'est
grotesque!
LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf.. - Mais je
suis« arrière», madame, je suis mobilisé dans la
territoriale du rugby .national. Le communiqué
sportif d'hier annonçait une belle avance de
l'équipe du Nord dans la direction du Limousin.
LA BONNE-ESSOUFFLf.E, entrant. - Monsieur!
voici la dernière édition du Journal! Paraît qu'on
avance! La concierge m'a dit qu'on les aura!
PREMIER ACTE LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf., prenant le
journal et lisant:
(La scène représente l'appartement du petit-
homme-sportif-et-exalté, à Paris, en 1965.) DERNiflRE HEURE

LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf., à sa femme. L'équipe du Nord avance toujours. - Le ballon


- Nous vivons de belles heures sportives, tombe sur Limoges. - Terrible mêlée dans la
madame! Le sport est roi et le rugby est à son manufacture de porcelaines.
apogée! Autrefois, on se contentait de matches
entre deux équipes de rugby, mais aujourd'hui « Le grand match se poursuit à notre avantage.
que tous les Français portent le maillot et la Nos valeureux « avants» ont réussi par une
culotte du parfait rugbyman, nous ne pouvons attaque foudroyante à pousser le ballon jusqu'à
plus nous contenter d'aussi modestes parties. Limoges. Une centaine d'habitants qui n'avaient
Un match sans précédent a commencé aujour- pas eu le temps de se cacher dans les caves ont
d'hui dans toute la France: les départements été foulés aux pieds par les joueurs pendant le
du Nord et du Centre, contre ceux du Midi. La terrible combat qui se livrait dans les rues. Un
moitié de la France va combattre l'autre moitié coup de pied malheureux ayant envoyé le ballon
dans une partie sans merci. De Dunkerque à dans la « manufacture de porcelaines», une
Toulouse, dans toutes les villes et jusqu'aux plus formidable mêlée s'engagea au milieu des piles
petits villages, la mobilisation sportive a été d'assiettes. Des stocks considérables de services
affichée et, depuis hier matin, tous les Français de table, de services à café et de potiches furent
valides se ruent les uns contre les autres à la pulvérisés en quelques minutes. Lorsque le ballon

~
pas encore terminé / chaval et~ Humour Planète . 71
fut enfin jeté hors de la manufacture, d'innom- s'exhalaient les gémissements des mourants et
brables blessés gisaient sous les débris de vais- des blessés. La partie continue.
selle. Après cette terrible mêlée, l'équipe du Midi LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf:. - Ça, c'est
marqua un léger avantage en lançant le ballon du.sport, du vrai!
dans la direction de Clermont-Ferrand. Un UN BADAUD-SPORTIF-ET-SENTENCIEUX. - Oui,
régimen't de raccommodeurs de faienc.es et de monsieur. Et dire qu'autrefois, au lieu de cultiver
porcelaines, réquisitionné d'urgence, est en route les sports, les hommes passaient leur temps à se
pour Limoges. La partie continue.» faire la guerre!
LE HAUT-PARLEUR. - Douze trains de blessés
viennent d'arriver à Paris. La partie se poursuit
DEUXIÈME ACTE dans d'excellentes conditions climatériques.
(La scène représente les grands boulevards huit jours
après.) RIDEAU
A lire: Cami (Collect. •Humour Secret., éd. Julliard).
LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf:. - Nous
parcourons les grands boulevards pour écouter
les haut-parleurs qui donnent les dernières
nouvelles du grand match. (A sa femme.) Regarde
à cette terrasse ce stratège de café qui fait la LE VOLEUR
démonstration de la partie avec des bulles de DE GRAND CHEMIN
savon. ET LE VOYAGEUR
L'f:POUSE-ANTISPORTIVE. - Ah! ce rugby, c'est
affreux! Depuis le début du match, quinze trains Un voleur de grand chemin barra le passage
de blessés sont déjà arrivés à Paris. à un voyageur, et lui cria en braquant sur
LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALTf:. - C'est le lui une arme à feu:
sport, madame! C'est par le sport qu'une nation - La bourse ou la vie!
peut améliorer sa race et former des hommes - Mon bon ami, dit le voyageur, si je m'en
solides et courageux. rapporte aux termes de votre injonction, ma
L'f:POUSE-ANTISPORTIVE. - Ah! tu peux parler de bourse doit sauver ma vie, ou ma vie doit
solidité, toi qu'un ballon rouge ficherait par terre! sauver ma bourse; vous donnez clairement à
LE PETIT-HOMME-SPORTIF-ET-EXALIB. - Madame, entendre que vous prendrez l'une ou l'autre,
le ballon qui doit me renverser n'est pas encore mais non pas les deux.
gonflé! Mais écoutons le haut-parleur. - Je n'ai rien voulu dire de semblable,
LE HAUT-PARLEUR. - Ce matin, le grand match déclara le voleur: vous ne pouvez pas sauver
se poursuivait dans le département du Rhône, votre bourse en renonçant à la vie.
lorsque le ballon fut soudain lancé sur la voie - Dans ce cas, prenez ma vie, conclut le
ferrée. Des milliers de joueurs se précipitèrent voyageur. Si elle ne doit pas sauver ma
à sa suite et une mêlée farouche se produisit. A bourse, elle n'est bonne à rien.
ce moment, l'express Paris-Lyon arrivait à toute Le voleur de grand chemin fut tellement
vitesse. Le mécanicien freina immédiatement, satisfait de la philosophie et de l'esprit du
mais déjà des centaines de joueurs jonchaient voyageur qu'il le prit comme associé, et cette
les rails. · magnifiq~e q,ssociation de talents fonda un
Lorsque le ballon fut enfin lancé hors du train journal quotidien.
par un remarquable shot d'un «ailier-droit» AMBROSE BIERCE.
nordiste, il ne restait plus rien du wagon- A lire: Fables fantastiques d'Ambrose Bierce (éd. Le Terrain Vague).
restaurant qu'un tas de débris informes d'où

Qui vole un bœuf est vachement musclé / chaval


u:: .
LUtlj)I
soiR
À'1000 f
PAR .fouQ'
/ j l SA\JRll
/ ÎOulfb
l{;5 f\ÉfOf\]ÇfS

JULES FEIFFER
les dessins de Feiffer que nous
publions sont extraits d·un album :
« Garçon Fille. Garçon Fille ». qui
l't~t• So;R paraît chez Denoël. Encore peu connu
Î l A R{Zï AR \)É • L' tlO r-lf'lt i\J en France. Jules Feiffer est cependant
V1.tJG'fitl"1E sif:cu " \;:1 Ù..- une des têtes d'affiche du célèbre
ÇAVAi1fvVîb 1.-t:s f(f~.&fS. magazine américain Playboy. C'est en

\ effet. dans ce magazine. qu'il a fait


ses débuts et qu'il a créé, non seu-
lement un nouveau style de dessin.
mais également un certain humour qui
lui appartient en propre. Humour qui
est celui du second degré que l'on
peut déceler dans n'importe quelle
conversation ou dans n'importe quelle
méditation. que ce soit celle d'un
critique littéraire. d'un sportif ou
d 'un couple d 'amoureux. En un certain
sens. s'inspirant de la technique de la
bande dessinée. il a inventé les
«comics » métaphysiques. utilisant de
préférence des personnages qui ne
bougent presque pas mais bavardent
~Pri~ b'r.Jos JOvll.s, GU• énormément. Inutile de dire qu·à
E,.C()IJi(;. t:!'ICOR.t SA ~è.~(7 travers ses dessins. la critique des
'' J 1 MPQ.t~os Qov ~ L( fW - États- Unis apparaît sévère. Feiffer.
j\~~, J,1J1it, t1 'A: ~É..PotJ~u 1 enfant de New York né à Manhattan
et installé successivement dans
\,---. Brooklyn et le Bronx. a en effet l'œil
sauvage.
Je suis voluptueusement ouvert à tout
Federico Fellini

Je crois que le cinéma est un art très particulièrement capable d'évoquer


des panoramas métaphysiques et ultra-sensibles. F.F.

DU CINÉMA, DE L'INVISIBLE, DE L'AMOUR

Il peut choquer, séduire ou éblouir, mais quels que soient le tempé-


Ln entretien rament et les convictions du spectateur, Federico Fellini ne laisse
pas indifférent. En quelques films, il s'est installé au premier rang des
à cœur ouvert créateurs du cinéma mondial et cette place, la première selon
certains, qu'il occupe dans un art moderne par excellence, le range
parmi nos grands contemporains. S'il a suivi une destinée profes-
avec le plus grand sionnelle constamment ascendante, c'est qu'il est riche au-delà de
son métier, chacun de ses films étant l'occasion de se découvrir lui-
cinéaste contemporain même et d'approcher d'un peu plus près une certaine vérité. Il est
grand cinéaste comme on est grand écrivain ou grand moraliste.
De "La Strada., aux «Nuits de Cabiria », puis à «La Dolce Vita »,
enfin à «Huit et demi», Fellini a, peu à peu, reconnu et avoué son
goüt profond pour l'invisible, plus réel que le visible, pour la trame
secrète des choses. Il va un peu plus loin dans cette recherche avec
le nouveau film qu'il est en train de tourner et qui fait une large
Cet entretien avec Fellini a été part à la magie et à la parapsychologie. Ces thèmes, qui nous sont
organisé et réalisé par deux colla- chers, sont d'ailleurs dans l'air. Notre ami, le metteur en scène,
borateurs et amis de Planète en Gillo Pontecorvo, prépare en collaboration avec Louis Pauwels et
Italie, le grand journaliste Leo
Talamonti (voir son enquête sur la Simone di San Clemente, une enquête filmée sur la magie dans le
voyante Pasqualina Pezzola et la monde. Sur son film en cours, sur son goüt pour l'invisible et sur
note sur sa vie et ses travaux dans les problèmes de l'amour qui ont hanté chacun de ses films, notre
notre numéro 18) et Simone di ami Federico Fellini a répondu à nos questions. Sans doute ne
San Clemente. s'était-il jamais exprimé aussi totalement et aussi librement.

Federico Fellini:
un œil « voyant».
(Roma Press Photo). Les grands contemporains 75
Mon univers a des frontières communes avec le vôtre.

PLANf:TE/ Ceci ne ressemblera pas à une inter- nauté. L'un de ces épisodes me captiva. Il
view de Fellini, mais à un entretien libre et ouvert s'agissait d'une petite nonne qui, accompagnée
entre amis. Mais donnons quand même de l'ordre d'un évêque et d'un prêtre du Saint-Office, avait
à nos propos. Nous allons parler du film que vous séjourné dans ce couvent. C'était une religieuse
êtes en train de réaliser, du cinéma comme lan- douée d'étranges facultés. Par exemple, elle
gage, de l'invisible, de la magie, du couple et de posait les mains sur un pot contenant des graines,
l' amour. Somme toute, nous allons nous pro- et les plantes poussaient à toute vitesse. Elle
mener dans l'univers Fellini. Ça va? faisait toutes sortes d'autres miracles . Les gens
des Pouilles et de la Calabre l'adoraient. Mais le
..- FELLINI / Ça va. C'est un univers qui a des fron- Saint-Office se méfiait, comme il arrive toujours
tières communes avec le vôtre . Mais si mon film dans de tels cas. On l'avait emmenée au Vatican
s'intitule " Giulietta et les Esprits >>, cela ne signifie pour examen. La Mère Supérieure notait qu'elle
pas qu'il affronte les problèmes de la magie et de avait elle-même entendu des voix et des chants
la parapsychologie. Dans ces domaines, je ne suis pendant le séjour de cette " sensitive "·
qu'un dilettante, que poussent la curiosité et, Je me suis rendu au Vatican, dans le bureau où
parfois, un enchantement enfantin. Seulement, je l'on fait des enquêtes pour sanctification et béati-
crois que le cinéma est un art très particuliè- fication . J'ai retrouvé les pages concernant la
rement capable d'évoquer des panoramas méta- petite nonne, qui n'a jamais été béatifiée. On
physiques et ultra-sensibles. L'image cinéma- l' avait étudiée selon l'esprit de la science du
tographique est la mieux adaptée pour perforer x1x· siècle, qui était un mythe positiviste inatta-
la réalité et rendre transparente une autre réalité . quable. On l' avait soumise à des examens, à des
Parce que ma femme Giulietta est une actrice interrogatoires terribles . On l'avait traînée d'un
capable d'évoquer, spontanément et comme hors endroit à un autre, pour la faire finalement
de sa conscience volontaire, cette sorte de rêve mourir. Ils avaient démonté pièce à pièce ce
éveillé dans lequel on se déplace parmi les jouet miraculeux ... J'avais écrit une histoire là-
aspects magiques du réel, j'ai fait " La Strada "· dessus, mais j'ai renoncé à faire le film .
Un jour, pendant que je tournais " La Strada "• Après, j 'ai pensé tourner une vie de la médium
j' ai découvert, dans un couvent, un Journal écrit Eileen Garrett, que j'ai connue. Mais je me
il y a une centaine d'années par la Mère Supé- sentais mal à l'aise dans le point de vue objectif
rieure . Elle y notait, dans un style poétique par et historique, dans le documentaire.
ingénuité, dans le style des Fioretti de saint Alors, je me suis lancé dans " Giulietta et les
François, divers épisodes de la vie de la commu- Esprits "· C'est l'histoire d'une femme condi-

J'avais découvert une «sensitive»


li n'y a pas de limites à ma capacité

tionnée par notre société moderne; mais tout ce


qu'elle fait se déroule dans une certaine contem- L'ETRANGE ROL
poranéité entre présent, passé, futur. C'est une Le docteur G .A. Roi, artiste, savant et magicien
fable, un conte, avec aussi un petit côté bouffon, italien, est une des personnalités les plus singulières
de notre temps. L'emploi du mot" magicien " peut, en
et qu'on peut interpréter comme on veut... Je ne 1964, faire tiquer. Mais il nous est difficile de qua-
peux pas le raconter. Pendant que je tourne, lifier autrement un homme qui lit directement la
j'ignore ce qui va naître. On dit que j'impro- pensée d'autrui, qui possède des pouvoirs de guérison,
vise. Mais non , je suis seulement disponible et d'autres pouvoirs ... opposés (dont heureusement il
ne se sert pas), qui, comme Alexis Didier au siècle
pour ce qui sera et doit être. Je prépare tout pour dernier, peut lire a distance dans les livres fermés, qui
la naissance de l'œuvre: les langes, les fers, le fait mouvoir des objets inanimés, qui peint (dans
berceau, mais je ne sais quel être verra le jour ... l'obscurité) dans le style des grands maîtres classiques.
li est probable qu'un jour le nom et l'histoire de Roi
seront entourés d'un halo légendaire. Mais nous pos-
PLANl':TE / Depuis des années, vous vous livrez, sédons aujourd'hui sur lui des informations et une
en Italie surtout, à une enquête sur la magie, sur documentation très précises. Outre le témoignage de
les médiums, les êtres « différents '" comme dit Fellini, il en existe aussi de !'écrivain italien
Pittigrilli (Umberto Segre), du professeur Beonio
notre ami Talamonti, et même certains« mages "· Brocchieri, de l'Université de Padoue, et du
chirurgien Dogliotti, de l'Université de Turm, et de
, . - FELLINI/ Ce voyage dans l' Italie magique, je plusieurs autres personnalités culturelles italiennes et
françaises. Roi est italien, mais d'origine scandinave.
savais bien qu'il ne me servirait à rien pour mon li a vécu longtemps à Paris, où il a eu dans sa jeu-
film, tout au moins directement. Mais j'avais nesse des contacts avec un médium polonais, que l'on
besoin de le faire . Et peut-être que le châle de la peut considérer comme son initiateur et son maître. li
voyante Pasqualina Pezzola, ou le mouvement mène actuellement à Turin une vie très solitaire,
ennemie de toute publicité. Nous comptons faire
des mains de Roi, devaient s'inscrire derrière paraitre sur Roi, dans l'un des prochains numéros de
mes yeux pour que je compose d'autres images ... Planète, une étude de notre ami Leo Talamonti, qui
est l'un des rares journalistes à qui il a été permis
d'assister à plusieurs reprises à des séances privées,
PLANl':TE / Vous croyez à des pouvoirs inconnus au cours desquelles Roi manifeste ses extraordinaires
de l'esprit humain? Vous croyez à une réalité facultés.
invisible?

, . - FELLINI / Je crois à tout. Il n ' y a pas de limites


à ma capacité d'émerveillement. Je crois à tout,
parce que je veux garder fraîche mon imagi-

Les grands contemporains 77


A quarante mètres de distance d'un seul geste des mains

nation . Quant à mettre de l'ordre dans tout cela, Je l'ai dit à Roi. A quarante mètres de distance,
sur le plan rationnel, scientifique ou moral, c'est d'un seul geste des mains, il a foudroyé le frelon.
une affaire qui n'est pas la mienne . Je pense que Je l'ai vu. J'en ai eu la chair de poule.
l'homme est une créature aux abîmes et aux La première fois que je l'ai rencontré, c'était au
cimes inexplorés. Je crois à une réalité qui n'est restaurant. Il m'a demandé un numéro. Il a des-
appelée invisible que par les aveugles. Je suis siné les chiffres dans l'air, avec la pointe d'un
voluptueusement ouvert à tout, et d'abord à ce crayon. Et j'ai retrouvé ce chiffre écrit sur la
qu'il y a de moins contrôlable par nos sens. serviette que j'avais sur les genoux . Il fait des
Il y a des réalités qui ne sont pas accessibles au centaines de choses comme cela, devant des gens
moyen des sens et j'en suis fasciné. qui ne sont pas des naïfs. On n'a pas fini de parler
de lui.
PLANETE / Vous avez rencontré l'extraordinaire
voyante Pasqualina Pezzola. Vous avez été en PLANETE/ Vous allez faire hurler. Il faudrait
contact avec plusieurs " ultra-sensitifs », comme vérifier tout ce que l'on raconte sur ce person-
vous dites. Impression générale? nage extraordinaire . Notre ami Talamonti se
propose d'ailleurs de faire une enquête sur son
,....FELLINI/ Je n'y connais rien. Mais ces gens-là cas pour la revue .
m'ont semblé tout à fait désintégrés dans leur moi
individuel, par les forces incompréhensibles qui ,.-FELLINI/ Voir est mon affaire, vérifier n'est pas
les assaillent. Roi, qui est bien l'homme d'au- la mienne . Le monde actuel est influencé par un
jourd'hui le plus déroutant, m'a paru le plus certain matérialisme académique. C'est que la
émouvant par la tentative désespérée de sauver pensée humaine ne peut aller au-delà d'elle-
son propre moi, par ses efforts héroïques pour même, voilà le grand conflit. La pensée est un
endiguer en lui une sorte de torrent cosmique, tremplin pour sauter vers un point où intervient
de déferlement de puissances d'épouvante ... De une. autre force.
toutes ses forces menacées, il croit en Dieu, il
s' accroche à Dieu, par hygiène, pour ne pas être PLANETE/ Autour de vous court le bruit que vous
bouleversé par l'angoisse ... êtes, vous-même , doué de pouvoirs médium-
Vous savez, Roi, c'est fabuleux. Nous étions niques, qu'entre vous et vos collaborateurs, ou
dans le parc de Turin. Il y avait un bébé, et la les acteurs, s'établissent des contacts qui se
nurse s'était endormie. Un frelon noir s'est situent au-delà des règles normales du travail
approché. J'ai pensé qu' il allait piquer l'enfant. collectif.

J'ai rencontré un homme extraordinaire


il a foudroyé le frelon. J'en ai eu

. . - FELLINI/ Quand un homme fait les choses avec..- FELLINI/ La seule précaution que j'aie à prendre,
un enthousiasme violent, il se crée des énergies moi, en tant qu'artiste, est de préserver ma
qui sont en rapport avec le monde magique. Le faculté d'émerveillement. La seule? Non, il y en a
travail du metteur en scène est un travail de une autre, plus subtile. Je dois me garder, en
mage, parce qu'il s'agit de recréer une certaine refusant d'être emprisonné dans les limites de la
réalité sur le plan de l'illusion. Plus le fanatisme, raison, de tomber dans une autre prison: la
la passion et aussi les conventions sont forts, prison sans murs, la prison illimitée et effrayante
plus un certain type d'énergie émane, où l'on de l'exaltation incontrôlée. Je dois approcher
peut trouver de tout: de la télépathie, de l'hyp- " la dimension ignorée"• mais en restant serré
nose, de la voyance, etc. Il y a des sportifs qui sur moi-même, humblement, sur moi en tant
accomplissent des prouesses au-delà de leurs qu'homme ordinaire, avec mes vices, mes fai-
possibilités physiques, parce qu'ils sont parvenus blesses, mes petitesses tout à fait humaines. Face
à déclencher d'autres pouvoirs, dans une sorte aux panoramas merveilleux et aveuglants qui
d'incandescence de la volonté... peuvent s'ouvrir devant nous, si nous ne voulons
Quant à mes rapports avec les acteurs, ils sont pas être engloutis, nous devons sortir notre glace
spontanés en ce sens que je cherche à leur de poche, regarder notre tête d'homme, et songer
donner l'oxygène artistique qui les fera se déve- à mille petits faits quotidiens de notre existence
lopper. Ce sont eux qui me diront ensuite si banale, mais vraie aussi. Il faut, somme toute,
l'atmosphère que je leur donne est bien celle faire intervenir une opération psychologique
qui convient. Ainsi, voyez-vous, mon récit est d'humilité et de concrétisation. L'art, c'est cela.
une création de chaque instant qui s'achemine. Il y a l'océan, on l'entend, mais il s'agit de rester
dans les eaux territoriales de l'humain ...
PLANETE/ Leo Talamonti, notre ami, est en train
de rédiger, pour nous, les résultats de son enquête PLANETE/ Restons-y. Avec une sincérité absolue,
sur Roi. Nous publierons cette enquête, au c'est-à-dire poétique, vous avez traité de la
risque d'encourir maintes accusations. Cepen- liberté amoureuse dans " La Dolce Vita '" Plus
dant, nous savons très bien que la science ne encore, dans "Huit et Demi», Marcello, votre
peut, sans faillir, renoncer à la méthode expé- héros, marié, fait du vagabondage sentimental,
rimentale. Elle réclame des faits reproductibles, mais il éprouve un vif sentiment de culpabilité
non des faits exceptionnels. Elle peut enregistrer envers son épouse, qui est la femme qu'il aime le
l'existence de ceux-ci, et, encore, non sans plus. Dans les eaux territoriales de l'humain, vous
d'infinies précautions. avez rencontré une forte odeur de péché, et vous

Les grands contemporains 79


Un mariage vrai, c'est de la problematique

ne cessez de vous demander d'où elle vient, de ..-FELLINI/ Que savons-nous de la souffrance
quel lieu de pureté, de pourriture, ou de d'autrui? De la douleur de la femme «trompée»?
confusion ... C'est une douleur si étroitement mêlée à de
fausses conceptions, au délire du propriétaire, à
,.-FELLINI/ Le sentiment de culpabilité, le remords l'orgueil mal placé, etc.
viennent d'une certaine éducation catholique, ou Quoi qu'il en soit, l'erreur fondamentale est de
pour mieux dire catholicisante. Cette éducation considérer le mariage comme quelque chose
établit des normes qui peuvent être respectables d'immuable. Un mariage vrai, c'est de la problé-
pour celui qui est à un haut degré d'évolution matique au jour le jour. Si vous voyez le mariage
spirituelle, Mais pour la collectivité indéterminée, comme un tabou à ne pas déplacer, vous ne
elles sont inacceptables. D'ailleurs, l'idée de faute paierez jamais assez cher les conséquences de
dérive d'une conception aberrante de la fidélité. cette vision ... Mais je vous fais peut-être là un
discours de mari italien ...
PLANETE/ Ah oui? Précisez.
PLANETE / Pensez-vous que pour un couple qui se
..- FELLINI / La vraie fidélité est envers soi-même. complète parfaitement, les problèmes de jalousie
La morale masochiste veut qu'on se renie soi- n'existent pas et que les rencontres occasion-
même pour être fidèle à une autre personne. Je nelles sur le plan sentimental n'ont aucune inci-
reconnais là l'esprit à tournure catholicisante. dence sur la vérité de leurs rapports?
Voyez certains saints épris de souffrance! Ils ont
peut-être une justification sur le plan mytholo- ..-FELLINI / Au contraire, elles peuvent enrichir
gique et initiatique. Sur le plan psychologique, ce l'union même quand il y a une véritable fusion
sont des fous et des malades. Ils pensent que le entre les deux êtres. Le vrai mariage laisse croître
moyen d'arriver à Dieu est la mortification. Ils spontanément l'individualité de l'homme et de la
renient Dieu, en pensant ainsi, au lieu de s'en femme et l'évolution des sentiments.
approcher. J'aime mieux les saints orientaux,
avec leur sourire et leur sexe glorieux. PLANETE/ L'homme (ou la femme) moderne
est-il devenu moins capable d'aimer? Ou bien
PLANETE/ Masochisme, masochisme... Nous certains tabous, justement, sont-ils tombés, qui le
éprouvons tout de même un sentiment de culpa- contraignaient à un amour faux et ignorant?
bilité naturel au spectacle de la douleur que nous
infligeons à autrui . ..-FELLINI / Si des barrières se sont écroulées, c'est

En amour, j'aime mieux la vérité


au jour le jour. Un certain ordre a/ait son temps.

qu'elles étaient pourries. Je suis optimiste. Nous ..-FELLINI / Oui, je le pense. Et j'ai hâte. L'exemple
sommes dans une période de grande confusion, du monokini, du maillot de bain qui découvre
mais de cette confusion naîtra, ou renaîtra, un les seins des femmes, est un petit exemple, mais
aspect chaud de l'être humain, et un moyen plus significatif. L'humanité se dévêt, retrouve du
grand de découverte de soi. La chute des mythes naturel, se libère de chaînes, d'ailleurs rouillées.
rend libre. Pour l'instant, c'est une liberté cama- Le monokini, c'est un petit fait de la guerre
valesque . Mais de l'énergie pure passe là-dedans, révolutionnaire, irréversible, en faveur du chan-
et elle restitue à l'homme une dimension oubliée . gement, de la liberté, et finalement de la grâce
Bien sûr, c'est du carnaval. Vous avez les d'être. Qu'on se scandalise montre à quel point
masques, les monstres, une musique assourdis- nous sommes encore imprégnés de mauvais
sante, des gens tombent, des gens se perdent, et encens, à quel point nous continuons de projeter
les moralistes crient au scandale. Mais un certain des idéaux, non d'équilibre, mais de rupture
ordre a fait son temps, et le carnaval vaut mieux . d'équilibre. Nous devons cesser de projeter des
idéaux. Ils nous cachent la réalité intérieure.
PLANETE / Est-il question des difficultés du Nous devons chercher à replacer sur le plan de la
couple dans« Giulietta et les Esprits»? conscience l'innocence de l'enfance et sa joie
animale. Mais je m'arrête. Je ne veux pas
,.... FELLINI/ Certainement, il y a là aussi une crise m'attarder dans les problèmes généraux. Je n'y
matrimoniale, avec une névrose au cœur de l'his- suis pas à l'aise. Mon monde à moi est confus
toire. J'essaie de suggérer aux femmes italiennes et changeant, de saison en saison, et je ne suis
un mode de libération vraie, un mode de libé- pas un maître à penser. Faire de ma vie une
ration intérieure, et de non-dépendance. Dans création esthétique et artistique, c'est ma loi, ma
mon film, la crise se résout de manière négative magie et ma religion. Pour le reste, je suis un
pour le couple, mais Giulietta se réconcilie avec solitaire, et ce qui m'intéresse le plus, ce sont
elle-même, et c'est l'essentiel. Mais tout cela est mes rêves de la nuit et mon travail. Le travail me
raconté en clef fantastique, en fable, en ballet, et rend ma dignité, Je travail me lave de toutes les
seuls comprendront ceux qui voudront com- trahisons, de toutes les saloperies et de tous
prendre . les errements de la vie quotidienne. Le travail est
mon alibi . Et peut-être, devant Dieu et les
PLANETE/ Vous pensez que nous sommes à la hommes, est-ce un alibi qui tient.
veille d'importantes transformations de la morale
et des mœurs?

que la morale Les grands contemporains 81


L'amour fou, monstre, pur, etc.
Louis Pauwels

Bradbury : Et l'amour, dans tout cela?


Bergier : Ça va, ça va bien, merci.
PLANÈTE.

DES PHRASES ET DES tLANS DU CŒUR

Je faisais, un soir de l'hiver dernier, une conférence dans l'amphi-


théâtre moderne de la Faculté de Droit de Dijon. Bien des habitants
de la ville, qu'un tel lieu eQt naguère effarouchés, étaient présents.
Certains universitaires ont voulu que le lieu de leur travail devienne,
pour le grand public, un centre culturel où l'autodidacte ne craint
plus le mépris du professeur, où des rencontres puissent s'établir sur
des sujets généraux qui, intéressant tous les hommes, doivent être
examinés et discutés par toutes sortes d'hommes. Il y avait des
artisans, des employés, des bourgeois, des instituteurs, des étudiants.
Des gens étaient arrivés en car, parce que le groupe universitaire
est assez éloigné de Dijon même . La plupart n'avaient jamais, dans
leur jeunesse, connu de classes à gradins et à grande chaire. Dans
Pour illustrer le texte et les leur souvenir, il devait y avoir des petits pupitres, une odeur de
phrases de Louis Pauwels, nous craie et d'encre violette, une silhouette en blouse grise, sur une
avons choisi quatre portraits estrade qui craque ... Ici, c'était un autre monde, une sorte de luxe
d'une même femme , Anne-Marie solennel. Mais les temps étaient en train de changer, et voilà qu'ils
Random, vue par quatre photo- étaient chez eux, là aussi. Bref, j'étais heureux de me trouver, moi
graphes. Chaque fois, dans ce barbare, à cette chaire, et de voir un public «populaire», commt
miroir de /'œil d'autrui, un être disent certains qui ne sont pas des "prolétaires de la culture», dans
différent ... ce noble réceptacle de l'enseignement supérieur. Le public et moi,
ce soir-là, on se livrait à un bon exercice de désacralisation. On
était contents, comme les sans-culottes aux Tuileries.
Je me suis mis à parler des pouvoirs inconnus de l'esprit, des
recherches non conventionnelles qui se font là-dessus, dans des pays

Je est une autre L'amour en question 83


plus libres que le nôtre, l'Amérique et la Russie, belle idée du monde pour un sincère et même
par exemple. A un autre moment, j'ai évoqué absurde élan du cœur.
l'espoir que nous fondions sur une humanité de Puis, comme si elle n'en pouvait supporter davan-
plus en plus cérébralisée, en qualité et en quan- tage, ni d'elle-même ni de moi ni de l'assemblée,
tité. J'ai dit que cela n'allait déjà pas si mal, que elle quitta sa place en somnambule, tangua un
le niveau de culture et de curiosité montait, instant dans l'escalier et disparut. C'était net-
comme la mer au Mont-Saint-Michel, et que les tement hors du sujet. Qu'est-ce que venait faire
mandarins, toujours en retard d'une marée, suffo- ce parfum de fleur bleue dans le dense fumet
quaient déjà. J'ai dü dire que ce profond mou- du surhomme à venir? Il y avait de l'incongruité
vement, irréversible, annonçait un nouveau cycle dans l'air. Il y avait aussi de la compassion gênée.
dans l'aventure de l'intelligence humaine, au C'est pour cela que les gens rirent. Le rire
moment où celle-ci cesse de se sentir séparée détendit ceux qui avaient de vraies questions
des grandes forces qui régissent l'univers. Enfin, à poser. J'y répondis de mon mieux. En avant
les lecteurs de Planète connaissent nos thèmes. pour les lendemains de l'esprit! Mais je ne suis
J'y allais franchement. J'y allais romantiquement. ni si simple ni si fort. Une part de moi, qui n'est
Je me sentais du cœur à l'ouvrage. Du cœur: pas la pire, restait auprès de cette femme qui
c'est justement le mot et la chose qui m'arrêtent nous fuyait. Elle venait d'entendre, à travers la
aujourd'hui. porte refermée de cet amphithéâtre, un rire qui
lui donnait tort de croire aux élans du cœur. Nous
MONSIEUR, COMMENÇA LA DAME ... venions de la rejeter dans une solitude humiliée,
et il était trop tard pour s'expliquer.
A la fin de mon laïus, le jeune recteur, qui était
à mes côtés, qui avait eu le courage et l'élégance ET POURTANT, MOI AUSSI, MADAME ...
de présider cette soirée, annonça un débat avec
les auditeurs. Après cela, il y eut un silence. Les Misères du dualisme! Misères d'un langage qui
gens n'osent pas tout de suite. Les lèvres bougent étrangle au passage toute pensée de dépas-
moins vite que les idées, et le quant-à-soi prive sement, de complémentarité, d'intermédiarité
d'être soi-même. profonde! Nous sommes conditionnés par là de
Alors, une dame osa. Elle devait être pourtant telle façon que nous voyons chaque chose dans
bien timide. Elle se leva. On n'en demande pas l'ombre ennemie de son contraire: la vie et la
tant aux objecteurs. Elle baissait la tête et serrait mort, le bien et le mal, le réel et le rêve, la chair
les épaules. Sa voix était blanche et tremblait. et l'esprit, l'intelligence et le cœur. Toute notre
Mais ce n'était pas moi qui lui faisais peur, ni vie se passe dans un couloir entre des cages d'où
la foule. C'était une certaine horreur qu'elle avait monte le rugissement des forces ennemies, ou
vu se dresser devant elle, pendant deux heures, que nous croyons telles. Et nous appelons paix
et contre quoi sa chair et les vérités de son cœur et sagesse le moment où ces forces commencent
s'insurgeaient si fort qu'elle se trouvait main- à subir le dépérissement des prisons. J'ai long-
tenant debout, avec une chose à dire tout à fait temps rêvé à ce parc-laboratoire où les Russes
urgente et essentielle. Et elle la dit, en dépit de font vivre ensemble le lion et l'âne, le loup et
son âme sürement discrète. l'agneau. Des images du film naît une émotion
- Monsieur, commença la dame en s'étranglant, qui ne tient pas seulement aux enchantements
monsieur, vous n'avez fait que parler de l'intel- enfantins. On est en proie à la nostalgie, ou à
ligence, et des pouvoirs de l'esprit, et des possi- l'espérance, d'un pareil paradis au fond de nous.
bilités du cerveau, et de l'accélération de la Mais je me lançais là, intérieurement, dans un
culture. Monsieur, je n'ai pas la référence, mais propos trop compliqué. Il aurait d'abord fallu
quelqu'un de grand a écrit qu'il donnerait la plus dire à cette dame qu'il n'y a vraiment aucune

84 L'amour fou, monstre, pur, etc.


raison de donner la plus grande idée du monde à entendre que je me prends pour un grand
pour un sincère et même absurde élan du cœur, cerveau. Des têtes énormes, j'en connais. La
parce que la plus grande idée du monde, si elle mienne n'y ressemble pas, je le sais mieux chaque
ne laisse aucune place pour l'humain trop humain, jour. Mais je défends, avec mes amis, des atti-
doit être sürement une grande mauvaise idée. tudes intellectuelles sur des plans où ne se situent
J'ai beau appeler de mes vœux un monde tout pas l'effusion personnelle, la crise sentimentale,
entier éclairé par l'intelligence, je ne m'en méfie les troubles romanesques, les orages et les prin-
pas moins des hommes qui n'ont pas, dans leur temps du privé. Je voudrais simplement montrer
privé, quelque folie secrète, quelque faim ina- que tout cela existe aussi, et parfois de manière
paisée, et quelque complaisance, parfois douce puissante, pour la joie ou la douleur. Il m'arrive
et parfois effrayée, pour cette folie et cette faim. alors, pressé que je suis par la vie, de serrer en
Ils me font peur. Ils sont sans doute plus forts quelques mots ce qui pourrait être poème, essai
que moi. Mais cette force me donne, à moi aussi, ou roman. Et de serrer aussi les dents, m'arra-
parfois, envie de me lever, madame, de dire un chant à ces tumultes du dedans pour aller pour-
peu bêtement quelque chose de déchirant qui suivre, en groupe, mon travail missionnaire, ou
vient des entrailles, et de quitter l'assemblée. que j'imagine tel, par naïveté, peut-être, ou par
ambition, ou par raison, ou par tout cela à la fois,
MADAME, ATTENDEZ ... sans compter l'ordre obscur du destin.
Voilà de longues confidences, dont on ne voit que
Ce n'était pas à dire devant tous ces gens venus le trait qui les raye. Elles viennent de plusieurs
écouter autre chose. Nous étions dans les faits années, aventures, erreurs, courages ou fai-
objectifs, les idées générales et les grandes espé- blesses, actes bons ou mauvais, bonheurs,
rances, et il était bon, somme toute, que cette malheurs, lucidités, aveuglements, tout le train
dame füt partie, avec son cœur trop gros. La enfumé des élans du cœur. Je dédie à la dame
soirée s'achevait, mais je regrettais encore de de Dijon, qui tenait pour rien le monde des idées,
n'avoir pas su la retenir d'un mot. Il m'eüt suffi, ces phrases du monde des amours sans quoi le
je crois, de lui citer une phrase qui me revenait monde tout entier ne me serait rien, hélas! ou
inutilement maintenant. merci, je ne sais pas.
Madame, attendez, laissez-moi vous raconter LOUIS PAUWELS.
ceci. Vous savez qui était Ampère. C'était une
tête énorme. Il a créé l'électrodynamique, ima-
giné !'électro-aimant. Il a fait faire, comme on
dit, un bond à notre civilisation, et le « petit
Larousse» ajoute qu'il a apporté une large contri-
bution au développement des mathématiques, de
la chimie et de la philosophie. Il a été fiancé
très longtemps à une jolie jeune fille, mais les
parents ne le voulaient pas pour gendre. Il tenait
le journal de ses recherches, de ses idées. Or,
dans ce journal, brusquement, on tombe sur cette
petite phrase absurde et merveilleuse:
«Ce soir, j'ai mangé une cerise qu'elle avait
touchée.,,
Oui, j'aurais dü raconter cela. Mais, tout à coup,
cette belle histoire me gêne. En publiant les
phrases que l'on va lire, je ne voudrais pas donner

L'amour en question 85
Je est une autre

86 L'amour fou. monstre. pur, etc.


Ce n'est pas le mal qui est implacable, c'est la pureté.

L'homme d'un grand amour partagé meurt sans se sentir méconnu.

En amour comme ailleurs, on ne meurt jamais que dans un moment d'inattention.

Dès que je m'appartiens,je tiens à l'amour.

Celui qui ne se veut pas du bien, pourrait-il t'en apporter?

Hors de /'amour, toute grandeur, en cet exil, n'est qu'une petitesse raidie.

On découvre beaucoup de choses dans la solitude, notamment la solitude.

Qu'est-ce qu'une fièvre pleine d'espoir? La fièvre sans l'espoir, voilà le génie de
/'homme mar.

Le secret du vrai couple: «Nous ne nous cherchons plus dans nos pensées, nos sen-
timents, nos humeurs, tout ce qui varie. Nous remontons chacun, nous servant l'un de
l'autre. vers notre silence et notre.fixité.»

L'amour réel échappe à toute psychologie. Il appelle à l'existence absolue. Et être,


c'est être différent.

Comment feras-tu présent de toi-même si tu n'es pas présent à toi-même?

Sens des situations: jeunesse partie.

Scatologie: Eros de sacristie.

. L'amour en question 87
S'accepter n'est pas facile, il faut y mettre du sien.

Le sentiment est dans lç cœur, mais la vérité du sentiment est dans l'âme. On a plus
de cœur que d'âme.

Les passionnés désunis:« Nous nous inventions l'un l'autre, c'est toute la douleur.»

Une femme qui n'a qu'elle-même est un diable.

L'inquiet demande l'amour fou, et, s'il l'obtient, le détruit par amour de l'inquiétude.

Non, ce n'est pas grave, l'équilibre est une question de bonheur perdu ..

L'excitation, c'est le désir aux enfers.

Je vous désire, donc je suis. Vous m'excitez, donc vous m'empêchez d'être.

ie sexe est une clé, mais l'obsession sexuelle est un mur.

L'abjection dans /'acte: je ne me donne pas, je te regarde te perdre,

Il se veùt lucide, iÎ sépare le sexe du cœur, et se trouve séparé de sa jouissance.

Le libertinage est une quête sans fin, car à prendre des êtres ce qui les sépare d'eux-
mêmes, on se trouve toujours séparé de ce que /'on prend.

Fin de don.J.uan: aucun corps ne me cache plus l'âme qui me manque.

Quelque chose en moi aime ce qui va contre moi. Mon plaisir est le contraire de mon
bien.

88 L'amour fou, monstre, pur, etc.


Ils avaient tout pour être heureux! Mais le difficile, pour l'homme, est de prendre son
bonheur en patience.

La plus grande part de l'amour de la femme est pour aider l'homme à aimer le
bonheur.

Second grand amour:« Nous ne sommes pas ensemble pour changer la vie, mais pour
la faire.»

Le premier grand amour abolit le temps, le second compte avec.

Si vous n'avez pas la foi, ayez un foyer.

La vérité est facile aux cœurs durs. Les doux mentent.

On ne traite pas une maladie par le mépris. Un vice non plus.

Le désir de posséder le feu divin et le désir de /'amour fou sont les chemins des
grandes catastrophes. On frôle ces catastrophes, on s'affole, on se rejette dans
l'existence ordinaire pour guérir. Et l'on meurt d'asphyxie.

Il la vit telle qu'elle était. Par besoin d'amour, il l'inventa autre, et il l'aima, ne
pouvant rien aimer que lui-même.

Lafemme dont il faillit mourir, il attendit toute sa vie qu'elle ne revienne pas.

L'intelligence, c'est quand on cesse d'interdire q l'intelligence defonctio.nner.

Ne rien connaître hors mariage. Aussi affreux que ne pas tout connaître dans le
mariage.

L'amour en question 89
Il aimait tant le couple qu'aux troubles de l'union, il préférait l'union dans le trouble.

Sagesse à deux? Solitude pour chacun. C est la folie qui unit.

Des yeux qui n'ont pas beaucoup pleuré ne voient qu'eux-mêmes.

Attendre des êtres et des circonstances qu'ils vous aident à changer: on ruine les
êtres, on gâche les circonstances, on ne change pas, on s'aggrave.

Des ruines d'une enfance sortent des vampires; et qui nous aime sera saigné.

Surtout, ne prenez pas vos diables au tragique, ils n'attendent que cela.

Ce n'est pas de la chance que f ai, c'est la chance de ne souhaiter ardemment que ce
qui va m'arriver.

Les portes s'ouvrent de l'intérieur: il faut s'effacer pour passer.

Le cœur a ses déraisons dont la raison s'arrange très bien.

A certain âge, ce n'est pas l'amour qui s'en va, c'est l'amour de ce qui en donne
/'illusion.

Plus f ai de raisons de ne pas m'aimer, plus f aime, et moins je reçois.

Tu t'es mille fois divisé pour que la vie change. Et rien ne la change, que l'unité.

Quand le chant vous vient, n'enfaites pas une chanson.


LOUIS PAUWELS.

90 L'amour fou, monstre, pur, etc.


Je est une autre

L'amour en question 91
La Vierge aux rochers
Une nouvelle fantastique par Poul Anderson Peinture de Triffez

Le cosmos attend son peintre et son poète.


GERMAN T/TOV.

UNE CERTAINE LUMIËRE FROIDE

Réalisez d'abord, professeur,' qu'il s'agit du secret le plus grave


depuis le Projet de Manhattan; ùn secret qui risquerait de déclencher
la guerre. Et chacun sait que la guerre signifierait la fin de la
civilisation.
Nous étions trois, si vous vous rappelez: Baird, commandant et
pilote; Hernandez, l'ingénieur, et moi, l'homme d'équipage. Il
s'agissait du premier «alunissage» réel, et non d'une simple ran-
donnée autour de la planète.
Une fois dans l'orbite, nous n'avions plus grand-chose à faire. Nous
flottions dans le ciel, en observant la Terre, qui reculait, et la Lune,
qui grossissait, dans la nuit la plus profonde, la plus noire, la plus
étoilée qui soit imaginable. Nous bavardions pour échapper à l'em-
prise du silence et de la solitude.
La Terre suspendait son saphir au milieu des ténèbres et des étoiles.
De longues banderoles de blanches aurores boréales ,ondulaient
vers les pôles comme des bannières. Saviez-vous que, vu d'une telle
distance, notre globe est environné d'autant de ceintures que
Jupiter? Les contours des continents se distinguent à peine.
- N'est-ce pas la Russie qui est en vue? demandai-je.
Baird consulta les chronomètres, le plan orbital fixé au mur, puis
manœuvra son sextant.
- Oui, grogna-t-il. La Sibérie émergera de l'obsçurité d'un instant
à l'autre.
- Nous regardent-ils? murmura Hernandez.

Nous atteignîmes la muraille circulaire


deux heures avant le coucher du soleil... La littérature différente 93
- Certainement, dis-je. Ils possèdent une station La fatigue et la tension atténuèrent nos émotions
spatiale et de bons télescopes. dramatiques de pionniers durant la descente, qui
- Ils riraient bien s'ils nous·voyaient nous coller nous apparut seulement comme un pénible
dans un météore ! travail de casse-cou. '
- Peut-être ont-ils déjà arrangé l'accident, grom- Impossible de déterminer exactement notre point
mela Baird. de contact, puisque la moindre erreur orbitale
- Dans un parcours comme celui-ci? Quand tout peut causer d'importantes dérivations sur toute
le monde nous observe? la surface lunaire. Nous savions simplement que
- Et alors? Cela pourrait déclencher la guerre? nous aboutirions vers le pôle Nord, et pas sur
Pas de dangerf Personne ne se lancerait dans la une des « mers>>, qui paraissent agréablement
bagarre pour trois astronautes et une fusée de unies, mais sont probablement perfides.
dix millions de dollars. Le projectile antipodal à En fin de compte, si vous vous le rappelez, nous
l'hydrogène, disponible des deux côtés, donne un nous posâmes au pied des Alpes Lunaires, non
intéressant aperçu des conséquences. L'objet loin du cratère Platon. Une âpre région! Mais
principal de la police nationale est devenu la nos équipements s'adaptaient à un tel endroit.
préservation du statu quo. Le tonnerre des réacteurs se tut. Nos oreilles
- Situation précaire! Le premier fait qui fera assourdies retrouvèrent lentement la tranquil-
pencher la balance d'un côté mènera l'autre aux lité. Nous restâmes quelques minutes sans parler.
hostilités. Nous gagnerons peut-être des points La sueur me collait les vêtements au corps.
en prestige, par le premier abordage lunaire, mais - Eh bien, dit enfin Baird, nous y sommes!
pas un «round" de plus. N'oubliez pas que la Il déboucla lui-même ses attaches et saisit le
Lune sera territoire international, directement micro pour appeler la station terrestre. Hernandez
sous l'autorité des Nations Unies. Personne n'ose et moi, nous courQmes aux périscopes.
le proclamer, mais notre satellite co11stituerait Le paysage nous terrifia. Je connais des déserts
un point d'une réelle valeur stratégique. · sur Terre, mais ils ne flamboient pas de cette
- Combien de temps l'équilibre peut-il se main- manière. Ils ne paraissent point si absolument
tenir? interrogea Hernandez. morts, et les rochers ne sont ni si énormes, ni
- Jusqu'au premier accident: par exemple, la si abrupts. L'horizon méridional semblait tout
venue au pouvoir d'une tête chaude en Russie ... proche, à croire que. le regard, en suivant sa
Sauf le faible espoir que nous revenions avec courbe, allait culbuter dans une écume d'étoiles.
un truc absolument révolutionnaire, dans le genre Le privilège de faire le premier pas sur le satellite
d'un écran de force capable de protéger tout un m'échut par tirage au sort. Baird et moi, revêtus
continent. Alors, le monde se trouverait devant de nos combinaisons spatiales, grimpâmes dans
le fait accompli, et la guerre froide cesserait. le sas à air, tandis qu'Hernandez, titulaire de la
- Elle cesserait également si les Russes nous courte paille, restait à l'intérieur.
précédaient dans la possession de ce bouclier, Louchant à travers les filtres à lumière, nous nous
dit Hernandez. Ce serait eux les vainqueurs. tenions dans l'ombre de la fusée, ùne ombre aux
- Taisez-vous! trancha Baird. contours atténués par la réverbération du sol et
Il avait raison. On ne doit pas· emporter ses des rochers, mais plus profonde et 'plus froide
petites haines, ses frayeurs et ses avidités dans qu'aucune de celles que l'on observe sur Terre.
la vaste nuit tranquille de l'espace. Derrière nous se dressaient des montagnes élevées
L'attente et la chute libre nous déprimaient. On et durement modelées. En avant, le terrain
s'habitue assez facilement ·à la chute libre tant montait, raboteux, gercé, ocreux, jusqu'au bord
qu'on reste éveillé, mais l'instinct est moins de Platon, où il s'épaulait sur l'horizon. La lumière
souple, et des cauchemars agitaient notre trop brillante ne permettait pas de distinguer
sommeil. beaucoup d'étoiles.

94 La Vierge aux rochers


Le crépuscule ~~ tarde:âit pas. Or, la nuit, la Après un repas et une sieste, nous remarquâmes
température dégringole à 250 au-dessous de zéro, que le soleil bas projetait un large rayon sur
alors que les journées sont assez, chaudes pour Platon. Hernandez suggéra de profiter de cette
vous rôtir. Et il est plus facile - cela consomme circonstance pour explorer le cratère. Le cré-
moins d'énergie - de chauffer la charge de la puscule tomberait avant notre retour, mais nos
pile que d'installer une unité de réfrigération. batteries portatives nous donneraient le temps
- Eh bien, dit Baird, vas-y du petit baratin! de rentrer avant que le sol ·se refroidît trop .•
Tu es le premier homme sur la Lune. Dans ce vide sans soleil, la chaleur ne se perç!.
- Oui, mais c'est toi le capitaine. Si, si, patron! pas très vite par radiation, mais le rocher lunaire,
J'insiste ... froid jusqu'au cœur, la pompe à travers les
Vous avez probablement lu cette allocution dans semelles.
les journaux. On la prétendit improvisée. En Baird discuta pour la forme; il était aussi impa-
réalité, elle avait été écrite par une bonne femme tient que nous, et finit par céder.
qui se croyait poète. Un véritable émétique Le paysage et l'éclairage n'étaient pas seuls à
verbal, n'est-ce pas? Et Baird voulait que je rendre notre randonnée surprenante. La pesan-
déclamasse ça! teur jouait aussi. Sur la Lune, elle n'atteint que
On résolut la question en se bornant à recopier le sixième de ce qu'elle est sur Terre, tandis que
le discours au livre de bord. Mais Baird resta l'inertie reste la même. Cela donne un peu l'im-
de mauvaise humeur. pression de marcher sous l'eau. On arrive rapi-
- Prends quelques échantillons de roches, dement à maîtriser ses mouvements quand on a
ordonna-t-il en installant sa caméra. Et en vitesse! «pigé le truc».
Je cuis tout vif. Nous atteignîmes la muraille circulaire deux
Je récoltai quelques fragments minéraux, pensant heures avant le coucher du soleil. L'éblouis-.
que les traces que je laissais là seraient proba- sement concentré et les ombres d'une densité
blement les seules jusqu'à ce que le soleil s'étei- presque solide rendaient l'escalade délicate, sans
gnît. Acte de profanation? Impossible! Ce pay- qu'elle filt trop pénible. Une sorte de col nous
sage était trop laid ... évita de grimper jusqu'au sommet, à plus de
A la réflexion, je compris qu'il était seulement 1 200 mètres.
trop étranger à nos sens. Il fallait à nos cerveaux Cela nous amena sur un plan de lave d'une
le temps de s'accoutumer à tant de singularités étendue de quatre-vingt-dix kilomètres, qui
pour commencer à les enregistrer. semblait de métal noir poli. L'ombre de l'arc
Baird tirait ses photos. occidental de la paroi le traversait, et nous
- Je me demande si cette lumière, si différente n'apercevions pas le côté opposé. Le fond du
du jour terrestre, impressionnera la pellicule, cratère se perdait dans l'obscurité.
remarquai-je. Mon casque, baigné par le soleil, chauffait
- Naturellement, que ça marchera! comme une cuisinière; mes pieds, dans la
- Oui, dans un sens. Mais pour rendre exac- pénombre, étaient des blocs de glace. J'oubliai.
tement ce que nous percevons, il faudrait un cela quand je vis le brouillard.
peintre comme il n'en a pas vécu depuis des En avez-vous entendu parler? Les· astronomes
siècles. Rembrandt? Non. Trop dur pour lui. l'ont signalé depuis longtemps. J'espérais bien
Cette froide clarté, qui est en même temps dia- résoudre son mystère au cours de cette expé•
blement chaude ... Vinci, peut-être? ... dition. Et voici que la fameuse brume s'enroulait
- La barbe avec tes ruines Renaissance! en banderoles déchiquetées à trois cent cin-
La voix amplifiée fit vibrer mes écouteurs. Je quante mètres au-dessous de moi!
reconnais que l'endroit était mal choisi pour Elle bouillonnait hors de l'obscurité, brillait
discuter d'art. comme de l'or en passant dans la lumière, puis

• La littérature différente 95
disparaissait; s'évaporait, en tournoyant davan- on ne vit une•telle clart~sur Teri-~! Elle semblait
tage à chaque minute ... tout pénétrer, froide et blanche comme du
J'entrepris de descendre le versant. silence lumineux'. La lumière même du nirvanâ ...
- Hé! cria Baird. Revien~s ici! J'oubliai tout ce qui n'étàit pas cette sérénité
- Juste un coup d'œil. "' glaciale, incroyable, infinie ...
- Pour que tu te casses une jambe et qu'il faille Où donc avais-je déjà éprouvé cette merveilleuse·
; te ramener dans la nuit qui arrive? Non! sensation? Impossible de me le rappeler!
ii. Avec ce costume, je ne risque rien. Hernandez hurla. Baird et moi le rejoignîmes.
En effet, le métal de l'armure spatiale et le plas- Il était accroupi et contemplait avidement le sol.
tique du casque résisteraient aux chutes les plus Je baissai les yeux; un grand vide se creusa en
rudes. moi: à mon tour, je reconnaissais des empreintes
- Reviens ou je t'enverrai en Cour martiale. de pieds!
- Tu ne feras pas ça, patron! lança Hernandez Impossible de .penser que l'un de nous en était
en me rejoignant. l'auteur, car elles ne venaient pas de bottes
Nous entreprîmes tous les deux la descente. spatiales américaines. Le trajet qu'elles indi-
Le brouillard sortait d'une fissure, environ à mi- quaient grimpait le long des parois du cratère,
hauteur dt! la ml!raille. Dans les zones cl' ombre, puis marquait une station, des piétinements;
il formait une gelée blanche sur les rochers. enfin la piste redescendait. •''
L'obscurité venue, il se durcirait en glace, Le silence semblait une corde de violon tendue
jusqu'à l'aube, Ce phénomène révélait-il la à casser.
présence d'une nappe d'eau quelconque, sug- Baird leva.la tête. La lumière para ses traits d'une
gérant l'existence possible d'une vie indigène surhumaine beauté. J'avais déjà vu quelque part
sur la Lune, une form1< chétive de végétation, un visage éclairé de cette façon. Mais quand,
par exemple? Rien 'de tel ne nous apparut dans quel rêve oublié? ...
pendant notre séjour. - Urt seul autre pays peut envoyer secrètement
Juste ._au-dessous de la fissure, une saillie nous un astronef ici, remarqua Hernandez.
permit" de nous installer commodément pour - Les Russes? Seraient-ils déjà là?
regarder en l'air. Le rebord mesurait plusieurs - Aucun indice! Ces traces peuvent aussi bien
mètres de large, entre le mur circulaire qui nous dater de cinq heures que de cinq millions
surplombait et le précipice noyé 'd'obscurité où d'années.
l'on distinguait vaguement, à bonne distance, le C'étaient les marques de semelles à gros clous,
fond métallique du cratère. Une fine poussière d'une pointure moyenne,
météorique accùmulée depuis des millions - Comment auraient-ils pu opérer secrètement?
d'années recouvrait le sol sur lequel nos pieds demandai-je.
laissaient des empreintes nettes. Je savais qu'e:,lles - En utilisant une fusée noire, alors que notre
•• se conserveraient indéfiniment, ou du moins
jusqu'à une agitation thermale et une nouvelle
station spatiale se trouvait sur l'autre face de
la planète, expliqua Baird.
Le soleil descendait. Sa lumière spectrale mourut
r
chute de pierres pulvérisées.
Trois mètres plus haut, la fente s'ouvrait en une au loin et l'éclat bleu de la Terre prit sa place.
bouche pétrifiée d'où s'élevait le brouillard pour Nos visages devinrent cadavériques derrière les
former un toit impalpable, un mince plafond casques. Le commandant fit demi-tour.
entre le ciel et nous. Le mur vertical nous cachait - Venez! Retournons à la fusée. Nous devons
le soleil. .Seuls les pics reflétaient quelques-uns àvertir Washington.,
de ses rayons glissant à travers la brume. - Nous ferions mieux, d'abord, de suivre un
·Une splendeur glacée faiblement dorée, urie peu ces traces, suggéra Hernandez.
vapeur étincelante, nous environnaient. Jamais Je ne détaillerai pas la discussion. Il fut fina-

96
• •
'•
'.
lement decide '..que Je . .
. pousserais. plus 10111,
que mes deux compagnons repartiraient.
Je disposais d'une heure environ.®
Les étoiles apparaissaient plus nombreuses à •
. tandis. grandissant. Ce signe était-il une simple coïnci-
dence? Ou l'indice qu'il existait, sur Mars ou
ailleurs, un être qui?... 1
Des millions de soleils étincelaient et tourbil-
mesure que la lumière du soleil s'estompait et · lonnaient au-dessus de moi.
·que mes pupilles se dilataient. Puis l'ombre Alors je me souvins où j'avais déjà vu l'étrange
m'emmura. lumière du crépuscule etje compris la vérité.
La descente fut difficile, mais brève. Ici, la pierre Je me mis à courir. .if
devenait noire et cassante. Je repérai l'étranger Le retour fut pénible. Mes batteries flanchèrent
aux reflets des copeaux i:ninéraux détachés par à huit kilomètres de la fusée. J'eus recours à la
ses pas. Je me demandai pourquoi ces fragments radio pour alerter mes compagnons et continuai
étaient luminescents, alors qu'il n'y avait pas à marcher pour lutter contre le froid.
d'oxygène alentour. Puis, je supposai qu'il s'agis- Baird me rencontra à mi-chemin, arracha ma
sait d'un effet photochimique. pile portative et brancha une autre unité.
En une demi-heure, j'atteignis le fond du cratère. - Crétin! aboya-t-il. Sinistre inconscient! Triple
Pas beaucoup de temps à perdre! J'hésitai à idiot! Je te ferai passer en Cour martiale ...
_suivre encore le léger sillage qui risquai de m'en- - Même si je te dis qui est venu dans Platon?
. -traîner trop loin. Enfin, je ·haussai les épaules Il dut attendre que nous ayons .rejoint la fusée
et repris la piste. avant d'obtenir mes explications.
Mon cœur battait à coups sourds. Ma combi- Naturellement, !'Intelligence Service nous cer-
naison s'emplissait d'air vicié. J'avais .un peu tifia dès notre retour qu'aucune expédition
dépassé la limite de sécurité quand je découvris russe n'avait eu )ieu. Baird, Hernandez et moi
le camp. le savions depuis notre première nuit sur la Lune ...
J'y relevai peu d'indices. Une trace allongée Voici maintenant, professeùr, en quoi nous récla-
creusait la poussière et la pierre désagrégée, mons votre asi;istance: vous m'accompagnerez
indiquant la station d'un individu chargé d'un outre-mer pour fouiller les archives suiva11t mes
fardeau. Quelques cicatrices laissées par le prélè- indications. La moindre note griffonn'ée, la
vement d'échantillons à l'aide d'un pic. Des moindre allusion ine comblerait de joie.
empreintes de pas brusquement interrompues ... Ce premier voyage ne peut avoir été accompli
Mais aucune trace de fusée à réaction! par une fusée. Même si la physique avait été
La paroi du cratère se dressait derrière moi secrètement connue, la chimie et la métallurgie
comme un bras de nuit. Le brouillard s'épais- n'existaient pas. Mais notre prédécesseur
sissait. découvrit autre chose. L'antigravité? Peut-être!
Qui donc· avait pu se poser là, sans fusée et sans Quoi qu'il en soit, si nous trouvons son procédé,
,. que personne en eütjamais parlé? la guerre froide sera gagnée ... par les .hommes
Je levai les yeux au ciel. Mon regard accrocha libres. •
la tache vermeille de Mars. Les Martiens nous N'avez-vous aucune intuition du précurseur?
auraient-ils devancés sur notre propre satellite? J'en suis choqué et peiné, professeur!
Soudain, je sentis le froid. Il fallait partir. Chaque En ce cas, nous passerons par Londres. Vous
minute diminuait mes chances de m'en tirer. irez à la National Gallery; vous vous placerez
Une plaque de granit affleurait non loin de là. en face d'un tableau appelé La Vierge aux rochers,
Je m'en approchai pour voir s'il ne s'agissait vous étudierez l'éclairage qui baigne la Mère et·
pas d'un repère. La lumière. terrestre givrait la )'Enfant: une lumière froide, pâle, ineffablement
surface plate de la pierre qui lui faisait face. douce, comme il n'en a jamais brillé.-SÛr Terre.
Je distinguai une croix entaillée dans le roc. Et vous lirez le nom du peintre: Léonard de Vinci.
Une fois de plus, j'oubliai le temps et le péril POUL ANDERSON .

..
.. . La littérature différe~te 97
i
\
,
UNE
NOUVELLE
RECHERCHE
PLAN.TE LES MET
Asie
DE
Ici comme ailleurs, en !'An 1000, les voyageurs sont les hommes qui font l'histoire.
Peinture tibétaine / x· siècle / Photo Giraudon.
AMORPHOSES,
L'HUMANITE
musées du monde, ayant fait confiance, pour
l'organisation de ces volumes, à une équipe
d'historiens français de la nouvelle génération,
Une histoire placée sous la direction de Robert Philippe.

LA VOIE ROY ALE DES ARTS


globale des arts L'historien Marc Bloch écrivait en 1939 ces
lignes prudentes: « Les rapports qui unissent aux
autres aspects d'une civilisation l'expression
et des civilisations plastique sont encore trop mal connus, nous les
voyons trop complexes, trop susceptibles de
retardement et de divergences, pour qu'il n'ait
pas fallu se résoudre à laisser de côté les pro-
blèmes posés par des liaisons si délicates et des
contradictions en apparence si étonnantes.» Pour
les historiens de la société, de l'art, de la civili-
sation, ces conseils de prudence ont presque
Planète toujours été un mot d'ordre. Parti pris idéolo-
gique ou non, les langages, et plus particuliè-
rement l'expression plastique, ont été considérés
comme des superstructures: ils venaient en
quelque sorte se surajouter à une histoire des
structures économiques et sociales, jugée plus
Le premier volume d'une nouvelle collection solide, plus profonde, plus riche.
Planète vient de paraître. Cette collection a pour Nous avons, pour notre compte, choisi la voie
titre d'ensemble: « Les Métamorphoses de royale, qui est celle des arts. Nous avons cherché
l'Humanité». Ce premier volume est consacré les sources de notre histoire d'après les témoi-
aux arts et aux mouvements des civilisations sur gnages plastiques. L'entreprise est encombrée de
la Terre en l'an mille. risques mais, en compensation, débouche sur des
Il n'existait pas, jusqu'à ce jour, une histoire explications d'un ordre nouveau.
globale des arts et des civilisations, saisis aux Comment avons-nous procède? Nous avons
moments de crise ou d'accélération, et vus sur la cherché à identifier les conjonctures universelles
totalité des surfaces habitées par les hommes. Ce de changement, les cycles de métamorphose, à
que nous avons voulu faire, c'est tenter de déterminer les moments où l'humanité entière
dégager une histoire globale, synthétique, dans repense son passé, change de peau, de façons de
laquelle l'univers entier, arraché à son cloison- vivre, de croire, de penser. Les vieux langages
nement géographique, vit à la même heure. sont alors inaptes à traduire les nouvelles pré-
Pour découvrir, à travers les créations et l'histoire occupations, les incertitudes et les interrogations.
de tous les peuples de cette planète, au même Les gens et les choses ont changé à ce point que
moment, les mouvements d'ensemble, profonds les représentations que l'on s'en faisait ne
dans leurs causes et dans leurs racines, qui s'accordent plus avec ce qu'ils sont devenus.
portent vers un destin commun l'histoire totale de Quand les langages sont désadaptés aux struc-
la Terre vivante, nous travaillons depuis des tures en voie de naître, quand l'incapacité à
années, avec le concours de spécialistes inter- s'exprimer fait que les esprits restent à mi-chemin
nationaux, de conservateurs de la plupart des de l'ignorance et de la connaissance, les hommes
Extrême-Orient
la femme est exaltée dans sa chair,
tandis que l'Occident l'exalte dans ses verius.
Une nymphe céleste ou apsara
du temple d'Angkor Vat/ Début xir siècle/ Photo Hétier L'art fantastique de tous les temps 101
s'effraient de rompre le dialogue avec le monde 900-1100, c'est la naissance de l'Europe. Sans
qui les entoure. Au milieu d'un univers fermé, doute. C'est aussi l'avènement des états arabes,
apparemment obtus, nai"t l'angoisse, la peur que l'élan des Mongols, le regain de la civilisation
ce silence des esprits, des dieux, des forces qui maya, la fuite conquérante du bouddhisme ...
animent le monde ne soit le signe d'une condam-
nation des hommes. Ce premier temps passé, la A LA RECHERCHE DU DESTIN COMMUN
peur se mue en désir de vivre fortement, comme
pour éprouver une plénitude d'existence qu'on se Reconnaître ces mouvements d'ensemble n'exige
croyait menacé de perdre. Dans le renouveau, se pas de voir les civilisations exactement et uni-
forg~ un langage mieux apte à traduire toutes les quement soumises à la conjoncture. Elles
nouveautés que l'humanité a insensiblement obéissent aussi à une dialectique interne des
insinuées dans la vie quotidienne, proclamées formes et des techniques. Mais ce qui est mani-
dans la vie publique, politique ou religieuse, feste, c'est qu'elles ploient leurs traditions aux
exploitées pour relancer la vie économique et incitations de la conjoncture. Au même moment,
permettre un épanouissement d1.1 travail et de la · Tiahuanaco bâtit ses pyramides, Chichen-Itza ses
production. Alors tout se restructure, le langage temples, Angkor ses grandes cités de Dieu,
et la société, les États et les esprits; les temps sont l'Occident ses premières églises romanes. Des
à nouveau des temps de paix, d'ordre et de volumes, des formes, des thèmes semblables
majesté. · s'insèrent spontanément dans ces architectures.
Nous publions en premier lieu une étude d'histoire Aucune des civilisations ne détermine l'autre.
globale de l'art et du monde pour la période· Tout se passe comme si une lourde nécessité
900-1100. i~posait à tous de suivre le destin commun.
C'est une période discutée et presque toujours
vue de l'Occident. Après avoir exagéré les C'est à la recherche du destin commun, plané-
paniques de l'an mille, on a voulu les réduire .aux taire des hommes, que nous sommes partis, et à
dimensions de petites frayeurs quotidiennes. la recherche de cette lourde et exaltante néces-
C'est nier l'ébranlement des êtres dans leur chair sité qui contraint l'humanité à monter à travers
et dans leur esprit. Pourquoi ces contradictions? les âges, à découvrir et à manifester son visage.
Parce qu'il est difficile d'interpréter une crise de « Les dieux ~e nous parleront face à face que
croissance: un monde qui grandit est un monde lorsque nous aurons nous-mêmes un visage. » Sans
malade de grandir; c'est un monde malade et en doute l'humanité, dans notre vision, comme dans·
même temps un monde épanoui. Il est tout à la celle d'un Teilhard ou d'un Arthur C. Clarke,
fois déficient et grandi, étiolé et rayonnant, est-elle, tout au long du chemin de ses métamor-
incertain de lui-même et pourtant assoiffé phoses, occupée à faire en sorte que les dieux
d'avenir. Il vit dans la crainte de soi et dans la lui puissent enfin un jour parler fac.e à face.
foi de Dieu. · Telle est l'œuvre que nous avons entreprise. A
On ne connaît alors que les extrêmes: de la peur, raison de ·quatre volumes par an et pendant
de la foi, de la joie, du malheur, de la cruauté, de plusieurs années, nous allons publier cette histoire
la sensibilité; on pille, on tue, on incendie, et de l'art et du monde, d'une conception et d'un
pourtant on larmoie, on pleure de vraies larmes, styl~ nouveaux.
qu'on soit Charlemagne de légende ou roi de
chair et d'os. Les dimensions de la conscience ne Cette œuvre répond, pensons-nous, à la vocation
·sont pas les nôtres. de la revue et des éditions Planète, à ce titre
Des mouvements d'ensemble, profonds dans même. Pour nous, selon le mot de Louis Armand
leurs causes et dans leurs racines, portent vers qu'il appliquait à nos efforts: «La· culture, c'est
son destin commun l'histoire totale de l'espace. l'actualisation de l'héritage.»

104 Une histoire globale


s'exprimer; des moments où le monde et l'homme
changent.

L'an 1000 Une telle détermination implique une histoire


panoramiste. Il est indispensable de voir la Terre
entière vivre à la même heure; il est nécessaire de
ne pas privilégier a priori telle ou telle partie du
comme l'an 2000: monde; il va de soi, enfin, que les civilisations ne
se déterminent pas l'une par l'autre mais
paraissent obéir à des mouvements d'ensemble
une grande peur qui les portent vers un destin qui a des points
communs.
Notre problème est le millénarisme. Les his-
et un grand espoir toriens ont forgé ce mot commode pour désigner,
dans l'étroit contexte de l'Occident, l'ensemble
des bouleversements qui ont agité les consciences
vers l'an mille de notre ère.
Nous nous acheminons vers un second milléna-
risme. Nous y plongeons par une vertigineuse
Robert Philippe transformation de l'espace, par un brusque
effacement des limites de la puissance humaine,
par une très apparente mise en cause, matériel-
lement et mentalement, du devenir de l'humanité.
Nous vivons, toutes proportions gardées, les
mêmes transformations du monde et de la société,
les mêmes élans de novation depuis les nourri-
Il est de bonne méthode chez les historiens tures et les techniques jusqu'aux formes d'expres-
d'aujourd'hui de se saisir du présent et même sion plastique et littéraire que ceux vécus par les
d'annexer le devenir. Cette volonté, consciem- hommes de l'an mille. Mêmes élans, mêmes refus:
ment ou non, procède du souci de répondre aux le désir d'échapper au mouvement en s'enfermant
interrogations que l'homme adresse au temps: dans des idéologies et des styles de vie périmés
non plus ces interrogations un peu gratuites qui pour y goûter dans l'immobilité le confort des
se contentaient, voici une génération, de réponses vieilles certitudes.
enfermées dans le passé et donc périmées dès le Mais au-delà de l'Occident? C'est le point que
moment où elles apportaient une certitude. Le l'on s'est toujours refusé à débattre. Comment se
choix est plus grave: c'est un engagement total de pourrait-il, pensait-on, que le millénarisme, qui
!'Histoire dans le présent et dans le devenir des ne vaut que dans la chronologie chrétienne,
hommes. signifie quelque chose hors du domaine de cette
Il ne s'agit pas, ci; serait futile, de tirer des religion? En réalité, le problème est là. Une con-
leçons du passé. Ce qui est en cause, c'est l'atti- joncture reconnue étroitement occidentale se
tude de l'humanité dans des moments de )'His- révèle, à l'examen, mondiale, planétaire. L'His-
toire qui ont ce seul trait commun, au départ de toire aurait donc des racines plus profondes que
l'enquête, d'être des points explosifs de la trame celles enseignées par le terrain d'expérience de
de !'Histoire. notre civilisation occidentale. Les mécanismes
Précisons: des moments où le destin du monde parfaitement identifiés, diversement expliqués
est si profondément en cause que tout change, les selon les doctrines, seraient à inclure dans un plus
façons de vivre, de croire, de penser, de large contexte géographique et chronologique.

L'art fantastique de tous les temps 105


Orient/ Occident
Les dieux en majesté.
Christ de l'abside de Saint-Clément de Tahull /
Début XII' siècle I Photo Yan-Zodiaque.
Boddhisattva de la Miséricorde , bronze doré /
Epoque Song, 960-1279 / Photo Giraudon.
1 Quand l'humanité change de peau
Avec l'an mille, les chrétiens sentent apwocher L'homme de l'an mille avait sous les yeux l'image
la fin du monde+:« En bien des lieux sur a terre, d'un monde qui se déchirait. Il ne pouvait y voir,
le bruit courut, jetant dans le cœur de beaucoup prisonnier de son présent, le chaos qui est le
d'hommes la crainte et l'abattement, que la fin du premier temps de la genèse d'un ordre nouveau.
monde approchait; les plus sages, tournés au
dessein de leur salut, s'étudièrent plus attenti- NON UNE FIN, UNE MUTATION
vement à corriger leur.vie.»
Toutes ces explications ne restent en ordre que
POURQUOI LA FIN DU MONDE? pour expliquer le millénarisme du monde
chrétien d'Occident.
Une explication formelle, de courte portée, en Or, au même temps, des mondes lointains, exté- •
premier lieu: l' Apocalypse annonçait le jugement rieurs, étrangers à la chrétienté, connaissent
pour les «mille ans accomplis». Frappées par une histoire événementielle et mentale toute
cette prédiction, les imaginations chréti!!nnes semblable qui épouse des mouvements d'ensemble.
proclament la solidarité de toute l'humanité pro- Famines, épidémies, révoltes, invasions cueillent
mise à sa fin. · les vieux Etats, mürs pour un changement de
Une explication dialectique en second lieu, de régime: 987, avènement d'Hugues Capet,
plus grand poids, liée à l'ordre matériel des migration de la tribu des ltza du groupe des
choses. Il y avait de nombreuses raisons de peuples mayas et fondation du Second empire
craindre. Le X' siècle est encombré d'un fouillis maya, révolte à Constantinople; à une décennie
d'événements; invasions, guerres, assassinats. Les près, règne du premier empereur Song (967), fon-
gouvernements sont plus incertains, les maîtres dation du premier Etat turc par Mahmoud le
plus exigeants, les châtiments plus durs, la Ghaznévide ...
cruauté plus évidente. Mais la méchanceté de Au-delà du rigoureux synchronisme des évé-
l'homme effraie toujours moins que l'agressivité nements et des émotions collectives, jouent les
de la nature. mêmes transformations profondes des structures.
Jusqu'en l'an mille, la turbulence de !'Histoire L'explosion dé!11o~raphique .••. sur laquell.e se
était supportable. Mais alors le monde paraît se fondënt les exphcat1ons de l'hist01re de l'Occident
détériorer+. La brutalité des cataclysmes météo- vers l'an mille, est un fait mondial. Pour y
rolog1ques condamne à la disette. La famine sévit répondre, partout de nouvelles terres sont mises·
et les épidémies troublent la joie de chaque en culture, partout de nouvelles techniques sont
printemps. Bien sür, il y avait des explications mises en œuvre, partout se tisse le réseau ténu
matérielles à cet ordre mauvais des choses: les des routes d'un commerce soudainement plus
défrichements bouleversaient les microclimats, la actif et plus hardi.
poussée des villes débordait les possibilités de Le processus - montée démographique, migra-
ravitaillement, la grande montée du nombre des tions, défrichements, poussée urbaine, transfor-
hommes rendait plus âpre la quête des nour- mation de la s9ciété et de l'Etat - se répète en de
ritures. nombreux points du globe Il permet de décrire et
Mais l'on ne voyait dans ces malheurs que les de justifier des histoires locales ou nationales,
signes de la colère de Dieu et l'annonce d'un non d'appréhender globalement l'histoire de la
châtiment prochain. planète. Le processus est' dépassé au niveau de

108 Une grande peur, un grand espoir


+ les chrétiens sentent approcher la fin + le monde paraît se détériorer
dumonde ·
En Chine, il semble qu'un funeste changement de
Alors, avec terreur soudaine le grand jour du climat ait eu des conséquences graves pour une
puissant Seigneur, à minuit, s'abattra pesam~ent agriculture déjà intensive qui ne disposait encore,
sur la brillante création. La création profonde pour ainsi dire, d'aucun outillage. Le fait que les
résonnera et devant le Seigneur marchera le plus derniers. éléphants franchirent le Yang-tseu en
grand des feux tourbillonnants sur la vaste terre. direction du sud, vers 1100, semble confirmer le
Les cieux voleront en éclats, et tomberont les refroidissement atmosphérique. .
étoiles stables et scintillantes. Alors le soleil W. Speiser. "Chine •. Col. L'Art dans le Monde ..
. deviendra sombre de la teinte du sang. La lune Albin Michel, édit. Paris 1960, p. 143.
elle-même dans l'abîme ira choir et les planètes Au Mexique, des épidémies, une terre usée par
encore se précipiteront du ciel, à travers la puis- des brOlages, une très sérieuse décadence où des
sante rafale, battues par la tempête. Ainsi l'esprit révoltes contre un clergé trop exigeant sont parmi
avide parcourra les terres, et la flamme ravageuse les raisons habituelles qu'on invoque pour
les édifices élevés. A l'envi s'écrouleront les murs expliquer les migrations des Mayas ... J'émettrais
demolis des cites. Les collines tondront et tondront volontiers une autre idée. Soudain on aurait vu
les hautes falaises qui, jadis, contre l'ocean, contre apparaitre, dans le Sud d'abord, une végétation
les Hots, fermement protegeaient la terre. Alors ce exubérante étouffant tout, qui força les hommes
feu de mort saisira toute creature vivante, bête ou à émigrer. li n'est guère probable que le pays des
oiseau; la flamme ténébreuse courra sur la terre. Mayas ait été une forêt vierge à l'origine. Avec
Là où jadis coulaient les flots, les vagues pressées, des haches de pierre on arrive à défricher la forêt
dans un bain de feu broieront les poissons de vierge pour obtenir par le brOlage quelques
l'océan. Accables, les monstres de la mer. maigres terres, vite épuisées. Mais si la popu-
mourront et l'eau brOlera comme de la cire. lation avait été engagée dans une lutte conti,
Cynewulf / VIII' siècle / Anthologie de la poésie nuelle contre des arbres géants et une végétation
anglaise/ Stock édit. /Paris. de sous-bois repoussant trop rapidement, elle
n'aurait pas eu le temps de reconstruire des villes
Ecoute,. terre, et toi, abîme des vastes mers, et des routes et d'entretenir les communications.
prête l'oreille; homme, fais silence. Que tout ce H.D. Disse/ho.If et S. Linné. «Amérique précolom-
qui vit sous le soleil entende ma parole! li vient, il bienne•. Col. l'Art dans le Monde. Albin Michel,
est proche, le jour de la colère suprême, jour edit. Paris 1961,pp. 110-111.
d'horreur, jour d'amertume où le ciel disparaîtra,
le soleil rougira, la lune changera son disque, la
clarté du jour d'éteindra dans les ténèbres, les + L'explosion démographique
étoiles tomberont du firmament... Une étoile
détachée du ciel oüvrira l'abîme, avertissant les Conjoncture de natalité pour l'univers entier. li
réprouvés par un signe précurseur. Alors s'élan- n'est pas possible de suivre la généalogie des
ceront des sauterelles d'une espèce jusque-là pauvres gens, mais des documents sOrs per-
inconnue, semblables à des chevaux armés pour mettent de suivre la généalogie des familles
la guerre, la tête couverte d'un casque, le corps riches; les familles où l'on compte cinq ou six fils
revêtu d'une cuirasse, la queue aiguisée en dard ne sont pas rares; en moyenne deux ou trois fils,
de scorpion; leur face est la face de l'homme. Le soit, en ajoutant les filles, quatre ou six des-
bruissement de leurs ailes est comme la voix des cendants. Le coefficient de progression familiale
eaux; leur dent est comme la dent du lion. Elles est donc élevé.
volent avec rapidité, rugissent comme les qua- Dans l'Asie musulmane poussent d'énormes vtlles:
driges. Elles portent l'ange de l'abime; son nom Bagdad, un million d'habitants. En Indochine,
en hébreu est Abaddon, en grec Apollon, en latin même développement incroyable des grandes
!'Exterminateur. Cinq mois durant, il sera le fléau villes: Angkor, un million d'habitants au XII' siècle.
des pervers. En Chine, la natalité prend le rythme qui portera
la population à 345 millions d'habitants au début
Texte de /'abbaye d'Aniane / In «.Mémoires de la du siècle. En Amérique, les banlieues des villes
Société archéologique de Montpellier», t. /Il, 1850. s'épuisent à nourrir une population surabondante.

L'art fanfa_stique de tous les temps 109


Amérique
Sur la terre entière,
vers /'An 1000,
en Inde, en Occident .
en Amérique précolombienne,
la montée démographique
inspire
la glorification
de la maternité.
Céram ique, Pérou / X' siècle /
Photo Lenars.

Occident
Sur le même thème,
la peinture et
la sculpture polychromes
dans /'Occident chrétien
prennent une austérité
à l'opposé de la vie épanouie
des céramiques
précolombiennes.
La dévotion à la Vierge
transcende la dévotion
à la déesse-mère,
symbole de la fécondité.
Mère à l'enfant,
sculpture sur bois, art roman /
Photo Yan-Zodiaque.
l'explication totale, par le fait qu'il est l'expres- les mêmes accélérations, la tendre dans la même
sion d'un mouvement d'ensemble. Il faut donc frénésiede novation, l'étreindre dans les mêmes
admettre des causes plus profondes, plus larges, angoisses, la jeter dans les mêmes élans de
·plus déterminantes quant à l'ensemble du monde. ferveur. 0, 1000, 2000: le monde se défait (guerres,
Pourquoi la montée du nombre des hommes, révoltes, faillites des anciens régimes politiques);
quelles que soient les économies et les sociétés la nature même paraît emportée dans le courant
qui les portent? Au-delà des explications contin- des perturbations: les climats et les saisons
gentes et enracinées dans l'espace, il y a là une perdent leur cohérence ou leur régularité, et les
pulsation planétaire déterminante. Les hommes contemporains en retirent l'impression que
savaient de toute antiquité que leur tâche est de l'ordre du monde est troublé; les esprits inquiets
croître et de multiplier. D'où leur vient cette se jettent dans des abîmes de religiosité ou de
brusque efficacité dans la procréation? mysticisme; puis vient le moment où tout se refait:
L'Histoire telle qu'on la fait ne répond pas à ces la société, les Etats, le temps, la paix surtout;
interrogations qui touchent à la biologie, au plus alors commence la période constructive: de nou-
profond de la vie même. Il faut donc admettre, velles formes d'expression plastique ou littéraire,
en toute objec~ivité, qu'elle épouse des rythmes des temples, des palais, des fresques, des
dont les articulations nous apparaissent objec- manuscrits ou des livres proclament l'éclosion
tivement sans que nous en connaissions d'une vie culturelle neuve et abondante.
l'argument. Que .vaut le schéma dans le miroir concret de
chaque seuil de millénaire?
MILLE ANS: LA MESURE Point zéro de notre chronologie chrétienne, c'est
DES CIVILISATIONS le terme des guerres civiles dans le monde romain,
la reconstruction et la volonté de paix après les
Ce qui revient à dire que la Terre vit comme un années d'angoisse apocalyptique dont la qua-
grand corps dont le fonctionnement des organes trième Eglogue de Virgile se fait l'écho.
nous est bien connu, Ie·principe, non. Le texte est célèbre, il a été discuté à loisir. Il
Il est tentant d'accepter pour raison arithmétique présente de très grandes similitudes avec les pré-
çles grands mouvements d'ensemble le millier dictions des prophètes hébreux, des apocalypses,
d'années. Pur formalisme apparemment et philo- des oracles sibyllins et en général avec toute la
sophie de !'Histoire ridiculement simpliste? littérature messianique.
Moins qu'il n'y paraît. C'est la mise en question, En Chine, l'usurpateur Wang-Mang apporte à un
sinon en équation, de la vie planétaire; c'est une gouvernement nouveau style, qu'il établit en
mesure de la durée des civilisations. l'an 6 de notre ère, un mysticisme qui n'est pas
Il y aurait des articulations millénaristes de sans rappeler bien des points de la pensée mes-
!'Histoire. Il ne s'agit pas de ranger l'univers entier sianique des pays méditerranéens.
à l'arbitraire de la chronologie chrétienne. Sim- En Inde, le premier siècle avant notre ère est
plement, examiner si des moments qu'un forma- marqué par le tourbillon des invasions: Indo-
lisme trop strictement occidental a vêtus d'impor- Parthes, Scythes, Kushanas, nomades d'Asie
tance: le point zéro de notre chronologie, l'an centrale. L'incertitude des temps porte les
mille, après ou avant le Christ, l'an deux mille peuples à une religiosité plus assoiffée, plus
n'ont pas pour le monde entier autant d'impor- immédiate qui détourne le bouddhisme de sa
tance que pour le monde chrétien qui se les rigueur originelle et fait la fortune des divinités
annexe. protectrices auprès desquelles on prend une assu-
Plusieurs millénarismes devraient marquer rance contre les mauvais jours: on associe au
l'histoire des hommes et du monde des mêmes Bouddha une légion de boddhisattva, manière de
. changements disproportionnés, l'emporter dans saints bouddhiques, divinités secourables. Ce

112 Une grande peur, un grand espoir


mouvement des croyances a l'ampleur du culte· du destin du monde, même épuisement des
des saints en Occident vers l'an mille. Il se répète vieilles structures' économiques et sociales,
d'ailleurs en l'an deux mille, selon les mêmes mêmes expériences de ferveur.
formes et pour répondre à des besoins mentaux Au seuil d'un second millénarisme, nous vivons la
semblables. phase de « destructuration». C'est la rupture de
toutes les dimensions de l'être et la recherche de
Basculons de deux millénaires dans «le sens de grandeurs nouvelles. C'est la frénésie d'espace,
!'Histoire ,, : an deux mille. Même histoire événe- le besoin de mobilité, l'appétit d'universalisme,
mentielle troublée, même incertitude apparente une soif d'aimer toute la Terre.

2 Quand l'humanité change de langage


Chacune des articulations majeures de l'histoire du devenir historique. Les civilisations reconnues
de l'humanité, chaque conjoncture millénariste, multiples et originales épousent des élans
est, dans l'ordre des langages, un moment de communs, sont meurtries ensemble et sortent
création et de renouvellement des formes d'ex- des mêmes angoisses dans l'euphorie des créations
pression plastique ou littéraire. Parallèlement artistiques et des inventions plastiques.
au processus de destruction des anciennes struc-
tures économiques, sociales et politiques, s'opère LA FRÉNÉSIE DE BATIR .
la liquidation des structures classiques du langage
enlisé dans l'académisme. Le scénario de l'his- En l'an mille, c'est précisément par la frénésie de
toire événementielle a sa correspondance dans le bâtir que se manifeste dans le monde entier le
domaine de l'expression: en un premier temps, triomphe de l'homme, la renaissance, la foi dans
refus des vieilles syntaxes et des vocabulaires· la vie après les angoisses de la métamorphose.
épuisés, qu'il s'agisse de la plastique, de la litté- Dans le monde entier, les.hommes plus forts et
rature, ou de la musique; en un second temps, se plus efficaces, plus nombreux aussi, sont pris
déploient les recherches de nouveaux modes d'une hâte de construire. Dans l'Occident
d'expression. De nouveaux thèmes, de nouvelles chrétien, des milliers d'églises romanes surgissent
techniques, de nouveaux matériaux permettent au plus profond des campagnes solidement
d'échapper aux traditions formelles. En un troi- païennes encore. Depuis le plus épais de
sième temps, les nouvelles syntaxes s'affirment: !'Auvergne jusqu'au plus clair de l'Ile-de-France,
elles marient les nouveaux volumes dans des les blanches églises s'élèvent: de la Méditerranée
architectures insolites, agencent les sons dans des aux lisières des pays slaves, c'est partout la même
ordres renouvelés et selon des harmonies inhabi- fièvre de construire pour Dieu.
tuelles, lancent les mots sous des formes litté-
raires ou scientifiques neuves. A notre époque En Orient, Asie musulmane, Asie bouddhique et
de second millénarisme, le langage mathéma- Asie brahmanique partagent et multiplient cette
tique lui-même est emporté par cette mutation gloire de bâtir. Mosquées, temples-montagnes,
du langage, comme si l'essence des choses se véritables cités divines à l'image d'Angkor,
trouvait mise en cause. Dans cette unité du portent encore témoignage de la ferveur ou de la
mouvement, tout paraît obéir à la transcendance puissance de ceux qui les ont construits.

L'art fantastique de tous les temps 113


Orient / Occident
C'est la fin des liturgies de plein air.
Le monde se couvre de temples.
Temple de Khadjuraho, Inde / 1002 /
Photo Hirzel.
Tapisserie de la Création /
Art roman, début du XII" /
Trésor de Gérone /
Photo Yan-Zodiaque .
En Afrique, chrétienne, musulmane ou animiste:· chrétienne et musulmane de considérations
richesse, grandeur et beaux édifices. En Abys- sociologiques. Le ·vieux rite funéraire de circum-
sinie, des merveilles. Une vieille tradition de ambulation du tombeau est sans doute à
légende, de christianisme et de luxe pousse les l'origine des déambulatoires, les préoccupations
sept empereurs Zagoués qui règnent vers la fin du cosmiques ont suscité les nombreux zodiaques.
XI' siècle à s'inventer une filiation avec la reine de Les clochers et les minarets copient des édifices ·
Saba. En Nubie, vers l'an mille, se croisent toutes d'inspiration solaire. Mais tout cela se dilue dans
les routes du commerce saharien. Les rois l'édifice qui, sur un plan cruciforme dont les axes
nubiens fouillent marchands et pèlerins et pré- épousent les directions cardinales, développe une
lèvent leur dîme au passage. Sous le roi Raphaël architecture fonctionnelle destinée à permettre
(vers l'an mille), Dongola, capitale de ce royaume le développement d'une liturgie qui accueille la
chrétien, est constellée d'églises. Au-dessus du masse entière des fidèles, au contraire des
palais royal, coiffé de coupoles, les premières religions orientales ou américaines dans lesquelles
qu'on ait vues dans le pays, le ciel est perpétuel- les cérémonies religieuses étaient demeurées
lement bleu. l'affaire des castes sacerdotales.
En Amérique, les Toltèques inaugurent à Tula
une architecture nouvelle: bâtiments considé- LE SENS DES COULEURS
rables si l'on en juge par les atlantes (près de 5 m
de haut), piliers de soutè_nement des linteaux de A ce même moment, les couleurs prennent leur
porte; ces piliers anthropomorphes représentent «signifiance», comme on dit alors. Et ce code du
des guerriers et sont constitués de plusieurs langage des valei,irs picturales est, pour l'essentiel,
blocs assemblés par tenons et mortaises à 'la à peu près universel. ·
manière des colonnes non monolithes des
temples grecs. «Aux 4 éléments correspondent 4 couleurs: le
Surla côte péruvienne, au débouché des· vallées bleu à l'air, le brun à la terre, le vert à l'eau et le
andines, les Mochicas bâtissent leur~ pyramides rouge au feu. Le blanc, le rouge, le vert et le bleu
faussement dites du Soleil et de la Lune. La sont des couleurs bienfaisantes qui éveillent la
première s'élève sur une terrasse !ie 230 m et joie: au contraire, le noir, le jaune, le violet sont
domine le socle de 41 m. A Tiahuanaco, mêmes · des couleurs tristes et néfastes qui évoquent le
réalisations grandioses. deuil et la 'pénitence. Le blanc symbolise la·
lumière, l'éternité. Dans les visions apocalyp-
LA TERRE, REFLET DE L'UNIVERS tiques de Daniel et de saint Jean, l'Ancien des
Jours, dont les cheveux rivalisent de blancheur
Quand l'humal)ité dépouille son vêtement de tra- avec la laine la plus pure, apparaît vêtu d'une
ditions mêlées, elle retrouve :la simplicité et la robe blanche comme 1a neige. Les anges qui
netteté originelles· de ses inspirations. Tout l'entourent sont pareillement vêtus de blanc.
rajeunissement, mieux toute renaissance consé- Dans l'f:glise, c'est la couleur des vêtements du
cutive à une métamorphose est un retour aux pape, de l'aube des prêtres. Le blanc étant
sources de l'inspiration plastique: le symbolisme l'emblème de la pureté, de la virginité, est aussi
solaire et le symbolisme funéraire. la livrée symbolique des premières communiantes,
Vers l'an mille, cette loi joue de faÇon si nette des jeunes mariées, des catéchumènes. Le rouge,
qu'elle fait de certains édifices de véritables qu'on appelle gueules en héraldique,. est la
projections des représentations cosmiques, de couleur du sang et du feu. C'était, chez les Grecs,
véritables cartes du ciel+. , - la couleur d'Arès, le dieu de la guerre. Dans la
Cette inspiratJon joue de façon schématique en mystique chrétienne, c'est I'!!mblème de l'amour
Asie et en Amérique. Elle se complique en terre divin, de saint Jean, le disciple préféré de Jésus,

116 Une grande peu-:, un grand espoir


des martyrs, qui sont les soldats du Christ, et des
saii:J.ts Innocents.
« Le bleu ou pers, qui a les mêmes vertus cal-
mantes, est la couleur du manteau de la Vierge,
peut-être en signe de deuil pour .la mort de son
Fils. On lit dans le Blason des couleurs qu'il était
d'usage de «tendre de pers la maison d'un tré-
passé»; les enfants que leurs parents consacrent
à la Vierge sont <c voués au bleu». + de véritables cartes du ciel
«Quant au noir, au jaune et au violet, leur signi- 1/ Le temple-montagne. Le roi Indravannan
fication maléfique n'est pas douteuse. Le noir (Cambodge, Angkor, 877-889) donna à sa capi-
(sable) est la couleur de l'esprit du Mal, du tale (Angkor) un éclat incomparable .. Au centre
désespoir, du deuil 1 ». de l'immense plaine du Roluos prolongee par
l'horizon des lacs, et qu'il . ne pouvait plus
Les représentations -du monde renaissant sont quitter puisqu'il y avait enraciné son peuple, le·
toujours très colorées. L'an mille marque l'avè- roi voulut néanmoins ériger le linga (phallus,
nement de la fresque en Occident et son déve- symbole d'énergie et de fécondité) du Seigneur
loppement en Asie (Asie centrale et musulmane). suprême (Siva) là où il sied qu'il trône; au
somment du meru. Pour cela, il crea de toutes
La fresque utilise, comme le bas-relief et la pièces une montagne artificielle en grès pour y
tapisserie, un graphisme simple, presque rudi- construire le temple-montagne de Bakong.
uientaire. Le dessin y est affirmé par un cerne et Bakong est une pyramide fonnée de cinq ter-
rasses carrées (65 x.67 m à la base; 20 x 18 m au
la couleur est traitée en valeurs fortes, quand sommet) superposées et continuellement décrois-
il s'agit de tourner l'attention vers un personnage, santes. Le dallage de la terrasse supérieure est
ou selon les règles élémentaires du gros plan. La à 14 m au-dessus du sol de depart. Le sanctuaire
disproportion du sujet principal le tire hors de terminal primitif a disparu (reconstruit au
xn• siècle). Ces terrasses représentent les mondes
l'espace et l'installe avec insistance à cette etag~s qui composent l'univers. Aux angles, des
espèce de mi-chemin de l'épaisseur dans laquelle elephants de pierre en assurent la stabilite. Sur·
flotte le reste de la représen"tation. Les éloi- Je pourtour,. de petites tours, en grès également,
gnements sont rendus par plans étagés. Plus pré- abritaient probablement des divinites protectrices
ou representaient des planètes. Alentour, des
cisément, une ·hiérarchie d'importance fait s'ins- sanctuaires annexés. et des bâtiments en briques
taller au registre central le sujet principal tandis complétaient le dispositif. Enfin, deux assises suc-
que les figurants sont rejetés sur les diagonales cessives en pierre, alternant avec deux douves,
renfennaient cette cité divine.
de plus en plus loin du point de convergence des 21 Le meru. Les meru, symboles de la i;nontagne
regards. Le traitement des attitudes obéit en . des dieux, avec leurs toits eri étages, dominent le
coriséquence à une géométrie sèche. paysage de Bali. Chacun. est dédié à un dieu; plus
Il y a une raison: la peinture architecturale ce dieu-est important dans la hiérarchie des dieux,
plus nombreux seront les étages auxquels son
épouse avant tout les contraintes verticales de· meru aura droit. Le nombre maximum d'étages
l'édifice. Et les personnages se répartissent sur est onze; les toits sont toujours en nombre impair.
·des axes qui sont comme l'ombre des supports de C'est Siva, le Mahadéva (la divinité suprême), qui
réside sur le Gunung Agung, qui a droit au plus
la nef. L'arrivée du Christ à Jérusalem· est un grand nombre d'étages. Les meru élevés en
bel exemple du procédé. Pour élever le tout, l'honneur de Brahma et de Vichnou ont neuf
l'arracher à la pesanteur qui ne peut manquer de étages. Le meru se dresse généralement sur un
surgir de cette rigueur, une tricherie: l'axe hori- soubassement en pierre, richement sculpté. Dans
la partie supérieure du toit se trouve une urne
zontal de la composition est exagérément sur- en terre cuite qui contient une offrande.
baissé; les personnages sont raccourcis dans la
1. Louis Réau, /'Art chritien, t. I (P.U.F.).

L'art fantastique de tous les temps 117


partie inférieure, allongés dans leur partie droit, vers quoi converge le mouvement, uni-
supérieure. quement travaillé dans les rol!ges, est comme
Comme dans les bas-reliefs d'Angkor, le rythme évidé.
de la composition est rappelé avec insistance par
les personnages. Ceux qui accueillent désignent La métamorphose des langages, dans la forme et
le Christ du doigt, le Christ renvoie d'un geste dans la substance, est, quand elle se réalise, le
à ceux qui l'accueillent. signe de la conquête des novations, le point
La couleur soutient ce rythme: tassement des terminal de la peur. C'est pourquoi, lorsque les
bleus en bas et au centre et dans une zone bien façons de dire ce que l'on pensait ·ont été
délimitée par la diagonale. Le coin supérieur trouvées, l'an mille s'est épanoui dans la création.

3 Quand l'humanité change de destin


A grands traits, cette époque de l'an mille surgit Les lendemains que l'on veut neufs avec avidité,
comme un des rares moments de l'Histoire où le chaque fois plus chargés de promesses et
destin de l'humanité se noue pour des siècles d'~mgoisses, inquiètent. Il faut réapprendre le
après avoir connu l'incertitude des grandes crises monde dont le visage est changeant, perpétuel-
d'une complète métamorphose. Les derniers lement renouvelé. Il faut vivre une Histoire plus
temps d'une économie et d'une société, les affres alerte. Il faut s'engager dans le mouvement ou
de la faim, les malheurs de la guerre, le boule- renoncer à la vie du siècle. Ceux dont l'idéal était
versement de l'espace, le jaillissement des nou- la vieille société d'avant l'an mille, bien prise
veautés, la brusque mobilité des hommes ... dans les mailles de son économie domaniale, bien
Dans ces images millénaristes, combien de traits soumise à ses morales, se retirent dans les monas-·
de notre propre approche millénariste, celle de tères. De bons esprits, effrayés par la destruction
l'an deux mille? Le rapprochement est encore des anciennes structures de la pensée s'appli-
plus frappant si nous confrontons les langages: quent à ne pas rompre les chaînes qui les atta-
un refus des vieilles syntaxes et des vieux thèmes, chaient à de petites certitudes. C'est l'éternelle
le rejet d'un héritage de formes et de traditions dialectique des révolutions: novation-réaction.
plastiques, le goiH de la force et de la violence. En un second temps, alors que la planète n'est
d'un horizon à l'autre ·qu'une gerbe d'entreprises
L'AN DEUX MILLE nouvelles, la crainte de voir fuit sous soi le sol
LUI RESSEMBLE DÉJÀ . grandit. Une contagion universelle porte les
esprits à guetter les signes d'une fin proche,
En un premier temps, l'univers entier connaît assortie d'un jugement dernier.
une extraordinaire poussée de vie. L'humanité Le secret motif de cette crainte est un sentiment
gaspille ses forces et tout commence par des de culpabilité. Plus précisément, la conscience
invasions. Pillages et massacres sont une façon d'être pour quelque chose dans le processus de
de refuser le legs des civilisations taries. C'est le changement où le monde se trouve engagé.
moyen brutal de rompre avec un passé de lenteur Toujours cette ancestrale frayeur d'avoir péché
et même d'immobilité. L'humanité fait <:hoix du par excès: excès de hardiesse et d'efficacité,
changement consciemment et volontairement. excès de puissance, excès de gains, excès de

120 Une grande peur, un grand espoir


connaissances qui font aux dieux, dans un univers truction surtout, après l'an mille, .création surtout.
mieux asservi à l'homme, une part plus petite En un premier temps, l'humanité détruit un ordre
dont ils ne sauraient se contenter. S'attendre ancien des choses: société, économie, façons de
donc à un juste retour des choses. Tout cela croire et de penser, façons de dire aussi. En un .
confusément senti, dit, peint, sculpté ou gravé. second temps très court, elle s'effraie du vide de
Puis, vers l'an mille, exprimé de façon violente ses négations et du retard .que met à naître
et multiple, insistante: le. rappel de la chute ou l'univers nouveau qu'elle se prépare. Il y a surtout
du péché originel dans l'univers chrétien sous la retard des «représentations». Les images du
forme du thème d'Adam et ~ve; le récit des nouveau n'existent pas encore. Les langages sont
assauts des forces du mal contre Bouddha, dans en retard sur la marche du temps. Et nous vivons
l'aire bouddhique; partout, la description du . cette dramatique recherche d'une façon de
Jugement ou la peinture des au-delà. s'exprimer qui serait un moyen d'appréhender
Ce qui devient certain, c'est l'engagement du notre vision du monde. L'an mille est ce moment
monde dans le changement. Les dogmes d'immu- de retard.
tabilité du monde sont mis en cause. Et l'on
cherche une explication diale~tique des chan- LE TEMPS DES CERTITUDES
gements. Alors les esprits découvrent l'ambiguïté
du mouvement, du progrès: bénéfique et Nous l'avons dit déjà, dans ces métamorphoses
menaçant, enrichissant autant qu'épuisant, bon plusieurs histoires paraissent cheminer à des
mais portant aussi de mauvaises choses, non à vitesses inégales: celle des faits, rapide, celle
sens unique. Autrement dit, il y a là un dualisme des sociétés et des économies, déjà plus lente,
qui contredit l'explication moniste dans laquelle enfin celle des consciences, plus immobile,
les religions dominantes avaient tenté d'immo- toujours en retard sur les autres. Tout ne s'ajuste
biliser leur maîtrise de l'univers et des hommes. que .lorsqu'une grande poussée de fond hausse les
C'est brusquement le reflux des croyances vers Je esprits au niveau des deux autres histoires. Mais
vieux fonds de religiosité des anciens âges, mieux les mentalités gardent toujours leurs énormes
adapté à la mobilité du monde par son dualisme profondeurs d'où elles tirent ou bien leur poids
fondamental: la lutte de deux principes. Dans d'inertie ou bien leur pouvoir d'impulsion.
l'univers chrétien, c'est face au Dieu d'immobi- Passé l'an mille, les langages .se trouvent. Alors
lité, face à Celui Qui Est, l'apparition de Celui qui commence l'étonnant mouvement de cons-
change et qui est Diable; en foule, les divinités du truction de nouveaux établissements, tant
vieux polythéisme païen emboîtent le pas: la humains que divins: palais des hommes et des
légion des dieux qui tuent les monstres, défri- dieux. Le monde nouveau trouve son expression
chent, guérissent, protègent les récoltes, que la plastique: formes et volumes, avec un privilège
dévotion populaire installe dans les églises et dans accordé au relief qui porte l'ombre et la lumière,
les cultes. Une véritable invasion du panthéon plutôt que la couleur qui ne joue que dans la
chrétien par les saints, les ·seuls à garantir l'effi- lumière. L'art est encore enraciné, bien pris dans
cacité des tâches nouvelles. En Extrême-Orient, la matière. •
le reflux préparé par un mouvement de fond Le monde qui avait douté de lui et de son destin
antérieur submerge le bouddhisme, et le brahma- se voulait, pendant - un temps encore, pesant,
nisme rajeuni se réinstalle partout, avec une assuré de son assise. Il était heureux de se sentir
dévotion toute particulière à Siva qui est par son collé à la Terre par le poids de sa propre existence.
ambiguïté même le dieu spécifique des renais- Tout au contraire, avec le xu• siècle vient le
sances: destructeur et créateur à la fois. temps de la lumière et de l'air. Le monde rassuré
Tout est dans ce double mouvement du monde: gofite la joie de l'azur et des horizons libres.
'destruction, création. Avant l'an mille, des- ROBERT PHILIPPE.

L'art fantastique de tous les temps 121


An mille
Peur et naissance
Angoisse et salut.
Nativité devant l'autel
de San Cementahull, Catalogne/
Photo Yan-Zodiaque.

ROBERT PHILIPPE DIRIGE LA COLLECTION


" Les Métamorphoses de l'humanité "

Né le 23 novembre 1923 à Charray ci.histoire globale dont le thème est


(Eure-et-Loir). Instituteur. puis pro- « Vie matérielle et comportements
fesseur agrégé d'histoire. enseigne au biologiques». En 1962- 1963. il lance
lycée Corneille et à l'École des une vaste enquête d'archéologie
Lettres (Histoire du Moyen Age) à médiévale sur les villages désertés.
Rouen ( 1954- 1956). puis au lycée En septembre 1963, il est appelé par
Carnot à Paris (1956-1958). Louis Pauwels à la direction du dépar-
Il réunit alors les premiers matériaux tement Histoire de l'Art des éditions
pour une histoire universelle et con- Planète et se consacre entièrement à
sacre ses recherches à l'histoire éco- la mise en œuvre des documents
nomique. sociale et culturelle de amassés par toute une équipe d'his-
l'Occident chrétien pendant le bas toriens pour la réalisation d·une
Moyen Age (x1· -x11· siècle) et prépare histoire globale de l'art et du monde
une thèse de doctorat sur « L·Énergie sous le titre « Les Métamorphoses de
dans l'Occident chrétien . du x1· au xv· l'Humanité ».
siècle. aspects techniques. écono- 1 / Ouvrage (Belin édit.) :
miques et culturels». Il reste pendant L ·orient et la Grèce (1960)
deux ans attaché de recherches au Rome et les débuts du Moyen Age
C.N.R .S. (1958 - 1960). Il est alors (1961) .
nommé chef de travaux à l' École des Le Moyen Age ( 1 962)
Hautes Études (1960-1961). Il est Le Moyen Age et la Renaissance
chargé du Centre de recherches histo- (1962) .
riques et du secrétariat de la division Le Monde actuel: histoire et civili-
d'histoire avec le titre de sous-direc- sation (en collaboration avec S. Baille
teur d'études (1962-1963). et F. Braudel) (1963) .
Pendant les années 1961 -1962 et 21 Articles:
1962- 1963. il expose à l'E.P.H.E./ Annales ( 1960 et 1962)
Sorbonne les résultats de ses recher- 3 / Comptes rendus:
ches sur la civilisation du Moyen Age Annales (1960)
(C. R. des cours publiés dans les Comptes rendus des cours faits à
annuaires de l'E.P.H . E.). Il participe, l' E. P. H. E. dans les annuaires de
en 1961-1962. à une grande enquête l'École ( 1962 et 1963).
Occident / Orient Naissance du Christ, Saint Lazare d'Autun ,
Explosion démographique : partout des nativités. sculpture romane / Début XII' siècle / Photo Bulloz.
Naissance de Bouddha, Boro Budur,
Java / Fin IX' siècle / Photo Roger-Viollet.
TABLEAU COMPAF ATIF DES DIFFÉRENTES CONCEPTIONS
Polybe : Bossuet : Marx :
le mouvement politique Dieu conduit la lutte
perpétuel les peuples des classes
t Polybe est un Grec du 11• siècle av. J.-C., Son Discours sur /'histoire universelle est La conception marxiste de !' Histoire est
installé à Rome dans un cercle cultivé une démonstration de la solidité de la explicitée par Engels (1820-1895). La
de l'aristocratie. sénatoriale (chez les religion face à la fragilité des empires: lutte des classes conduit au triomphe du
·-=
~­ Scipion); pour lui, une seule civilisation
et des barbares. Rome qui a vaincu la
Grèce représente désormais cette civili-
« On voit la vérité toujours victorieuse ,
les hérésies renversées, I'tglise, fondée
sur la pierre, les abattre ... Pendant qu'on
prolétariat et à l'avènement de la société
communiste.
d sation et son avenir ne peut manquer voit au contraire les empires les plus
d'être glorieux. florissants se défaire mutuellement et
tomber.•
--
L'univers, pour Polybe, c' est la Méditer- L' univers pour Bossuet, c'est le monde L'analyse marxiste se situe dans le
ranée. L'universel en matière de chrono- chrétien dont toutes les marches sont monde chrétien et y adjoint l'hypothé-
logie, c'est l'histoire depuis les origines barbares. L'ouvrage comprend trois tique espace des sociétés primitives.
de Rome et de la Grèce jusqu'à la fin des parties: 1. Les époques ou la suite des Mais )'observation majeure est centrée
guerres puniques. temps: depuis l' origine du monde sur l'évolution du capitalisme européen
Le destin de Rome est d'établir sa domi- jusqu'à Charlemagne; 2. La suite de la (Angleterre), et plus particulièrement

·=
Q
nation sur l'ensemble de la Méditerranée
et son triomphe est certain parce que sa
cause est juste. Il y a dans l'œuvre de
religion: établissement de la religion
catholique et développement du catho-
licisme; 3. Les empires: comment
sur la mutation qu'il subit au x1x• siècle.

Polybe toute une discussion sur le I'f.gypte, l'Assyrie, la Perse, la Grèce


justum bellum, la guerre juste. La guerre et Rome se sont écroulées l'une après
que Rome mène contre Carthage est l'autre.
une guerre juste.

L'histoire de Polybe est une chronique. • Les histoires ne sont composées que Les analyses sont centrées sur l'éco-
Elle relate les faits: guerres, prodiges, des actions qui occupent les princes ... si nomie et la société. li s' agit de dégager
anecdotes. C'est donc, si l'on veut, une l'expérience leur est nécessaire pour les contradictions internes de la société

·-=
~· histoire événementielle. Mais souvent,
des portraits, des considérations psycho-
acquérir cette prudence qui fait bien
régner, il n'est rien de plus utile à leur
instruction que les exemples des siècles
capitaliste et plus particulièrement de
montrer que le travail qui devrait libérer

=
cl
logiques la haussent sur un autre plan.
passés.•
l'homme, en réalité l' asservit. Une telle
contradiction conduit à la révolution.
Les révolutio.ns retiennent tout parti-
culièrement l'observation marxiste.
(Histoire de /a révolution, 1848 .)

C'est le point original de la théo(Ïe de li y a dans l'œuvre de Bossuet une La conception de Marx et de Engels est
Polybe. Pour la première fois, se trouve grande volonté de s'élever au général. li dialectique. Une classe dominante essaie
formulée l'idée d'une évolution cyclique. le dit dans son introduction, en com- d'immobiliser les structures qui lui
Le mouvement de !'Histoire est saisi au parant son histoire universelle à une donnent la puissance en créant des insti-
niveau des institutions politiques. Les carte universelle. li voit dans la main de tutions qui garantissent son pouvoir.
types de gou_vernement se succèdent Dieu, dans l'intervention constante de la Elle est toujours débordée par l'évo-
dans un enchainement contmu qm est le providence, le moteur constant et lution. La bourgeo1S1e cap1tahste est
suivant: unique de l'évolution historique. « Dieu ainsi débordée par le prolétariat qu'elle
1. anarchie / 2. aristocratie / 3. oli- choisit les princes selon qu' il veut punir a multiplié, elle est aussi dépassée par
garchie / 4. démocratie / 5. démagogie / ou récompenser les sujets.» On pourrait l'anarchie de son économie épisodi-
6. tyrannie presque dire qu'il y a, à la base, une quement secouée par des crises; elle doit
De la tyrannie devenue hereditaire renaît conception dialectique : Dieu est l'un donc sombrer dans une révolution.
la monarchie. des termes de la composition, les sujets
sont l'autre . Toute contradiction entre
les sujets et Dieu est réglée par l'inter-
cession du prince. Le coup de pouce de la
providence replace ainsi l'humanité sur
sa bonne trajec.toire ..
DE L' HISTOIRE UNI ERSELLE
Spengl er : Toynbee: Planète :
les civi lisations le match des les métamorphoses
sont mortelles 21 civilisations de l'humanité
Spengler, comme Toynbee, situe son Toynbee fonde son Histoire universelle Notre propos est de conduire une his-
analyse au niveau des civilisations. Son sur l'identification de 21 civilisations. toire globale des civilisations dans la
modèle est la Grèce classique. En con- Elles vivent, se développent et meurent. totalité de l'espace, compte non tenu du
séquence, pas de progrès, mais des cycles Les unes sont mortes, d'autres pour- morcellement géographique. li s'agit de
de culture et une permanente condam- suivent leur course. C'est le cas de la confronter à un même moment toutes
nation à retomber au niveau le plus bas. civilisation occidentale qui occupe dans les civilisations. Ce qui revient à donner
l'œuvre de Toynbee une place de choix. la préférence à la conjoncture, au temps,
sur l'espace.

La vision de Spengler englobe la totalité La synthèse de Toynbee englobe la tota- C'est toute la planète, dégagée des
de l'espace mais, en réalité, ne se dégage lité de l'espace, mais un privilège est cadres géopolitiques traditionnels, et
pas de l'Occident. Elle est obsédée par accordé à l'Occident et à l'Extrême- vue dans ses plus grandes dimensions.
l'idée que tout ce qui est supérieur dans Orient. Le monde actuel est un champ La synthèse est menée sans accorder à
la civilisation est lié à l'héritage grec. ouvert à la civilisation occidentale. aucun moment de privilège à telle ou
telle partie de l'univers.

Spengler reconnaît la pluralité des civili- Le principe même de la synthèse de 11 s'agit d'une histoire totale des c1v1-
sations. Mais elles sont à ce point Toynbee est la pluralité des civilisations. lisations saisie au niveau des expressions
enfoncées dans leur originalité qu'elles Elles se distinguent avant tout par la plastiques. Mais les implications écono-
ne peuvent communiquer entre elles. religion qui est leur dimension la plus miques et sociales n'en sont pas pour
Quand elles empruntent, ce qu'une civi- constante. Ce qui domine !'Histoire des autant écartées.
lisation prend à une autre est si radica- civilisations, c'est l'importance des
lement transfiguré que l'emprunt dis- échanges culturels. Ainsi s'explique le
simule, en réalité, une originalité et une caractère brillant, à certains moments
invention véritables. de )'Histoire, des marches-frontières.

L' Histoire de Spengler est catastro- Le développement d'ùne civilisation est Le mouvement de l'histoire repose sur
phique. Chaque civilisation, comme un fonction de l'incitation du milieu. C'est une conception cyclique de l'évolution
être, vit, se développe et meurt. un match permanent entre l'homme et des langages et des sociétés. Les grandes
Spengler admet comme une évidence son environnement. Une civilisation conjonctures de métamorphoses sont
que la civilisation occidentale parcourra meurt quand elle réalise son équilibre et, communes à l'univers.
le même chemin que la civilisation ne recevant plus d'incitation, ne peut
hellénistique : son avenir est bouché . En plus se dépasser.
compensation, le concept biologique
que Spengler applique à son Histoire uni-
verselle lui permet d'établir entre les
civilisations des cohérences à la fois
événementielles et culturelles qui
haussent son concept au plan de la
véritable Histoire globale.
PRINCIPAUX AUTEURS DE LA COLLECTION
<<LES MÉTAMORPHOSES DE L'HUMANITÉ»

JEANNINE AUBOYER (France) PIERRE PRADEL (France)


Conservateur au Musée Guimet. Conservateur du département des sculptures au
Musee du Louvre.
RAOUL CURIEL (France)
Directeur d'Études à /'École Pratique des Hautes
Études. Ancien Directeur adjoint des Musees de
HALIL SAHILIJOGLOU (Turquie)
de/' Universite d'Istanbul.
France.

RICHARD ETTINGHAUSEN (États-Unis) OTTO SCHUBERT (Allemagne)


Conservateur en Chef pour les Arts du Proche- Docteur. ingénieur. architecte. professeur à la
Orient à la Freer Gallery à Washington. Technische Hochschule de Dresde.

JERZY GASSOWSKI (Pologne) FRANK SPOONER (Angleterre)


Professeur d'histoire à /' Universite de Varsovie. Docteur de/' Univers ire d' Oxford.
Membre de l'fnstitut de Culture matérielle.
PHILIPPE SUSSEL (France)
JEAN GLÉNISSON (France) Agrégé de /'Université. Direction des ajfàires cul-
Ancien Membre de /'Ecole Française de Rome. turelles au ministère des Ajjàires étrangères.
Archiviste paléographe. Directeur d'Etudes à
/'École Pratique des Hautes Études. Directeur du YVON TAILLANDIER (France)
Centre français des Textes anciens. Historien et critique de /'art contemporain.

GILBERT LAFFORGUE (France) DUCAN TRESTIK (Tchécoslovaquie)


Agrege de /' Universite. Spécia/i.ue d'histoire du de/' Université de Prague.
Proche-Orient.
RENATO TURCI (Italie)
HENRI LEHMANN (France) Directeur de la Bibliothèque· Malatestiana à Cesena.
Sous-Directeur du Musée de /'Homme. Charge de
l'A merique precolomhienne. HENRI VAN LIER (Belgique)
Historien et critique de /'art moderne. Professeur
MAURfCE PIANZOLA (Suisse) à/' Universite de Louvain.
Directeur du Musée d'Ariel d'Histoire de Genève.
ANDRÉ VARAGNAC (France)
BRUNO POMPILI (Italie) Directeur d'Etudes à /'Ecole Pratique des Hautes
Docteur és lettres. Historien et critique de /'ar/ Etudes. Conservateur au Musée de Saint-Germain-
contemporain. en-Laye.
,
1

Plus de choses sur plus de choses


Le N° J en espagnol ( v. p. 15 7). Le No 3 en italien.
TOUJOURS LES SAVANTS MIGRATEURS:

Ceux qui partent


Au cours des derniers mois, plusieurs des savants migrateurs
Les nouveaux auxquels Planète a consacré une récente étude (N° 18) ont eu
l'occasion de préciser leur position. Leurs déclarations mettent à nu
mystères le malaise qui règne dans la recherche scientifique européenne. Elles
montrent tout à la fois qu'il existe un problème grave et que celui-ci
de Stonehenge est parfaitement soluble. Première
pièce à verser au dossier: une table savant, le chercheur dépasse le cadre
Des récents travaux de l'archéo- ronde organisée par la revue améri- national, il s' intègre à une autre
logue anglais Hawkins (voir en caine « Science and Technology .. communauté. La science est réel-
particulier «Nature» du 27 juin avec le concours d' un certain lement une patrie et, de ce fait ,
1%4) tendent de plus en plus à nombre de savants britanniques ins- tout chercheur a deux patries, la
montrer que les mégalithes géants tallés aux Ëtats-Unis. Ëcoutons ces sienne et la science. Si on le met
de Stonehenge correspondent à «déserteurs de la science britan- dans l'obligation d' opter pour rune
des calculs très précis. L' érec- nique » exposer leur point de vue. ou l' autre, il choisira bien souvent
tion des pierres est une énigme, Un savant se doit-il à son pays où à la seconde. Les nations se trou vent
mais leur transfert de la région la science? A-t-il le droit de sac rifier donc, vis-à-vis de leurs savants, dans
du Pembrokshire jusqu'à la son pays à ses travaux? La question la situation des épouses menacee;
plaine de Salisbury, avant leur est posée d'emblée. Une réponse par des rivales et doivent redoubler ...-
mise en place, est une énigme particulièrement nette et typique est
plus grande encore et a dO poser fournie par W.D. Jackson, 37 ans ,
un problème de logistique extrê- ingénieur électronicien au célèbre
mement délicat. Tout cela devait Institut de Technologie du Massa-
correspondre à des plans, des chusetts: « Nous différons des
instructions écrites, des ordres, réfugiés politiques ou des émigrants
des rapports. Et cependant, les du passé en ce que nous travaillons
archéologues sont tous d'accord au sein d' une sorte de compagnie
sur le fait que les peuples des internationale de la science et de
mégalithes ne connaissaient pas la technique. Nos amis sont épar-
l'écriture! pillés aux quatre coins du monde et,
Ce problème a été soulevé par le de par notre travail, nous devons
professeur Glyn Daniel dans un pouvoir nous déplacer n' importe où.
récent numéro de I' « Observer ». Nous faisons partie d'une très vaste
Le professeur Daniel ne rejette communauté. »
pas l'hypothèse des cartes ou des
plans faits sur des peaux ou des UNE PATRIE ABSTRAITE
tablettes de bois et qui auraient
disparu. L'idée lui paraît impro- Ce sont là des paroles graves car
bable, mais cependant à l'intérieur elles résument la pensée de très
des frontières du possible. nombreux scientifiques. En tant que

129
1nformations
. . - suite de la page 129 l' Australie qui, en trois ans, a densité mondiale de prix Nobel au
d'attention pour les retenir. Nul pays attiré quatre astronomes docteurs kilomètre carré). Par chance pour le
n'a droit à une élite scientifique, il ès sciences de Jodrell Bank. Dira- vieux continent, il se fit mal à I' « ame-
doit la mériter pour la conserver. t-on encore que le problème est uni- rican way of life '" alors que la
quement budgétaire? plupart des Germaniques s'y adaptent
Ce fait fondamental posé, voyons les En définitive, les savants réunis à fort bien .
raisons qui ont poussé ces cher- cette table ronde se sont rencontrés C'est alors que l' Allemagne fit des
cheurs au divorce d' avec leur patrie. pour faire le procès d'un état d'esprit offres à son illustre enfant. Mais
Le manque de moyens est invoque étouffant et de structures sG lérosées celui-ci, étant en position de force,
par Evans, un spécialiste de la radar- (avec les deux "chapelles" d'Oxford posa ses conditions, tout comme le
astronomie qui, même à Jodrell et de Cambridge, mais la France feraient probablement les savants
Bank, ne disposait pas des moyens aussi a ses chapelles) qui paralysent britanniques de la table ronde dans
suffisants. Mais, plus encore que la science anglaise. des circonstances similaires. L'uni-
l' abondance des crédits, ce sont les " Je pense, conclut Lutyens, que versité de Munich avait décidé de
conditions dans lesquelles ceux-ci l'endroit idéal se trouve quelque part reprendre son prix Nobel et passa
sont attribués qui semblent diffé- au milieu de l'Atlantique légèrement par toutes ses exigences. C'est ainsi
rencier l'Europe de l'Amérique. du côté américain. J'aime vivre ici que finalement Mossbauer est revenu
" Ici, le jeune chercheur dans une parce que, dans l'ensemble, les gens au pays après avoir obtenu qu'on
université défend sa propre demande avec qui j'ai affaire disent instinc- embauche en même temps que lui
de crédit et ne dépend pas de son tivement "oui" aux idées nou- quinze autres professeurs pour
chef de laboratoire.. . Le point velles, alors qu 'en Angleterre ils ont former un institut qui serait dirigé
important est le fait qu'ici votre pour habitude de dire" non"· collégialement par les savants.
demande est examinée par un D 'autres assurances lui ont été
groupe de savants. Elle n'est pas LE CAS MOSSBAUER données, notamment en ce qui
automatiquement rejetée comme concerne ses conditions de travail,
ridicule par quelque fonctionnaire '" Ces critiques, c'est bien évident, afin qu'il ne soit pas submergé par
remarque le biologiste Wall. Il pourraient être adressées à la plupart des tâches administratives et qu ' il
faut noter que le savant migrateur des pays européens. Mais elles puisse poursuivre ses recherches.
est toujours jeune: les savants d'âge montrent clairement que la situation Dernière condition, enfin: on le lais-
mûr restent dans leur pays... mais actuelle n'est nullement irrémé- sera aller passer plusieurs mois par
ils n'inventent plus rien. diable. De ce fait, l'affaire Mossbauer an en Amérique. Voilà dans la
vient d'apporter la preuve éclatante. science allemande une petite révo-
L'ESPOIR DU MARCHË Rudolf Mossbauer, physicien de lution du plus salutaire effet. Elle
COMMUN grand renom, prix Nobel 1961, avait montre que l'Europe est consciente
quitté l'Allemagne pour aller tra- du problème. C'est le premier pas
Quant à l'excuse de l' impuissance vailler au célèbre Caltec (Californian vers la solution.
des Ëtats européens face à la trop Institute ofTechnology, la plus forte ~RANÇOIS DERREY.
puissante Amérique, les savants bri-
tanniques la démystifient également:
« Si la communauté scientifique
européenne devient réellement
intégrée par la Marché commun ,
estime l'ingénieur Colbourne, 40 ans,
on pourrait assister à une fuite des
cerveaux à travers la Manche (et non
plus à travers l'Atlantique) . "
L'ingénieur Jackson reconnaît avoir
hésité entre le C.E.R.N. et les
Ëtats-Unis.
Ainsi les moyennes puissances, en
groupant leurs moyens scientifiques,
peuvent parfaitement offrir aux
chercheurs des facilités comparabJes
à ceux qui les attendent outre-
Atlantique. Mais il apparaît que
même des nations de seconde impor-
tance peuvent attirer des savants
étrangers. Evans cite le cas de

130
formations
EN MARGE
D'UN CONGRES: Un psychodrame inachevé
Le premier Congrès international de psychodrame
qui s'est tenu à Paris, à la Faculté de Médecine, au
début de septembre a beaucoup contribué à arrac her
les masques de sorcier, dont aiment à s'affubler
certains psychosociologues. A cet égard, il a parfai-
tement accompli la fonction d ' un vaste sociodrame.
Il a manifesté au grand jour, en effet, la multitude
des façons de concevoir et de conduire un psycho-
drame: il y en a 350, ironise Moreno, le grand maître
de cette technique psychologique; d'autres précisent:
2 500 .. Autant dire que, si tout est psychodrame, rien
ne l'est plus. Le système sort de l'épreuve du
Congrès en quelque sorte démystifié et, du tohu-bohu
des origines planant sur le tout, se dégagera sans doute
quelque ligne spécifique directrice.

A LA RECHERCHE DU SPONTANÉ

Le point de départ de la méthode paraît incontes-


table. C'est dans ses manifestations les plus spontanées
qu'un être se révèle le plus en profondeur. Le tout est
d'interpréter les signes: c'est ici qu'intervient le La famille Dupont en plein psychodrame ...
psychosociologue, avec sa formation, son tempé- (Documen t des Archives Cinématographiques). (Ag : Moreno).
rament, ses ambitions, ses préjugés. Il y a peu de
professions où, sauf chez les grands, on rencontre tant voyait monter l'angoisse, se décharger soudain une
de prétentions et d'autoritarisme. agressivité longtemps contenue, se tordre des tensions,
La plupart des actes de la vie spontanée échappent éclater des conflits, sourdre des faux-fuyants pour
à l'observation du psychologue. Quand un sujet est en éluder les problèmes que l'on sentait poindre, et le
consultation chez un psychanalyste, il s'efforce de drame se concentrait inexorab lement, peu à peu, sur
s'expliquer; il mime et revit partiellement u n passé un foyer qui devenait incandescent, qu'on ne pouvait
qu'il décrit; il ne s'absorbe pas entièrement dans une plus ni fuir ni dissimuler. Il grandissait, à mesure qu'il
situation, vécue ici et maintenant; sa spon tanéité se detachait et qu ' il s'isolait. Alors, se decelaienl et se
profonde ne réussit pas à se manifester. 1maginons dénouaient de ces connexions secrètes, qui imposent
à présent qu'il accepte par jeu de vivre une situation leur tyrannie à la plupart des réactions d'un être.
inventée, mais dans laquelle il pourrait se sentir
impliqué. C'est cela le psychodrame. Il ne s'agit pas UN EXEMPLE D'APPLICATION : LE COUPLE
pour lui de reconstituer une scène passée, un effort
de mémoire, la crainte d'une confession implicite ou Aux États-Unis, le psychodrame est une des méthodes
le refus de trahir des tiers pouvant gêner la libre systématiquement employées po ur résoudre les pro-
expression de la spontanéité . Non, il vivra une scène blèmes au couple, ainsi que les problèmes des relations
imaginaire, qui pourrait être sa propre histoire, mais entre parents et enfants. Les résultats sont jugés très
dont il est convenu qu'elle ne l'est pas nécessairement; positifs. La méthode la plus fréquemment utilisée est
il s'exprime et réagit en toute liberté, sans contrainte ni ce ll e de l'interversion des rôles: l'homme à la place de
entrave d'aucun ordre. Avec son ou ses partenaires, il la femme, l'enfant à la place du père ou de la mère, et
pourra se prendre au jeu, se sentir profondément vice versa.
impliqué, et entraîner les spectateurs dans une parti- C'est une chose d'affirmer qu'on se met à la p lace de
cipation plus ou moins intense à la scène jouée. Dès l'autre, c'est autre chose de vivre vraiment la situation
lors, il évite le vaudeville de boulevard, un des pièges de l'autre. On constate à l'essai l'abîme d'illusion dans
du psychodrame, et un acte d'une réelle émotion, lequel on se trouve, quand on croit « comprendre"
parfois passionnant, se déroule devant nos yeux. J'en l'autre. Des substitutions de ce genre, sincèrement
ai connu de bouleversants au cours de ce Congrès. On assumées, ont conduit à des révélations étonnantes, qui

13 1
Psychologie
,...... sui1e de la page 131
ont déterminé des changements positifs dans la vie de réalité de l' état affectif. La carapace du conventionnel
nombreux couples. On devine que la conduite de tels ou de l'imaginaire est secouée jusqu'à en craquer et la
jeux exige un tact assez rare. Tantôt mari et femme vraie spontanéité soudain se découvre.
jouent eux-mêmes une scène de ménage, en alternant Cette découverte peut aller jusqu'à la stupeur. Il
les rôles; tantôt une femme joue le mari d' une autre appartient au thérapeute ou au psychologue de
et vice versa; tantôt plusieurs couples, habituels ou mesurer le degré de connaissance de soi que telle per-
de circonstance, entrent dans la ronde , les uns se sonne, à tel moment donné, est capable d'admettre et
substituant aux autres. Toutes les combinaisons sont de supporter. D'après les rares témoignages apportés
possibles et, en réponse à ma question, il me fut dit au Congrès, il semble que la recherche dans ce
que toutes étaient en usage. domaine soit encore, en France, assez timide,
purement expérimentale, voire empirique. Mais
LE ROLE DU THËRAPEUTE l'intérêt et la curiosité commencent à s'éveiller.
Parmi les participants, le désir s' est exprimé d'aller
Avec les enfants et les parents, ces substitutions ou ces plus avant dans ce sens.
alternances de rôles sont également pratiquées. On les Les deux Tables Rondes, auxquelles j'ai eu le loisir
complique encore, en faisant intervenir un " double » de participer (en dehors de celle sur le couple), intéres-
d'un personnage, qui est comme la voix intérieure du saient la formation et le perfectionnement des cadres,
subconscient ou d'un critique. Les répliques l'une dans les entreprises et les administrations, l' autre
s' échangent, comme des tirs partis de différents dans les grandes écoles. Si les débats m' ont confirmé
points, atteignant leur objectif sous différents angles dans cette idée que le psychodrame n'en est encore
et à différents niveaux de profondeur; ou bien, ce sont qu'aux premiers pas trébuchants de son devenir, je
les silences, les mimiques, les attitudes, que pro- reconnais le caractère passionnant des tentatives qui
voquent ces situations inhabituelles, qui révèlent la nous ont été résumées, et des problèmes soulevés.
Planète en psychodrame
Aux toutes premières heures de ce à l'autre ce qu ' il faisait dans la vie Cette réflexion est déjà révélatrice
Congrès qui réunissait des spécia- et plus spécialement là, au Congrès. de la poussée inconsciente (c'était
listes éminents de différentes disci- J'ai dit la vérité: que, si j' étais là, plus fort que moi!); ensuite, du phé-
plines (médecins, psychologues, c'était parce que je pensais faire un nomène d'irritation sans raison déce-
pédagogues ... ), nous avons eu compte rendu dans" Planète"· lable (le mot: agacer).
l'exemple de ce que pouvait être un Le tumulte a immédiatement éclaté Mon adversaire était le porte-parole
psychodrame spontané. N'ayant pu dans les gradins. de ce qui s'était "tissé" dans la
trouver de place dans les gradins, " Planète, quel culot! salle: de l' agressivité contre ceux
je m'étais faufilé par une porte " Venir faire de la propagande en qui jouent le psychodrame, par
latérale de ce grand amphithéâtre Fac de Médecine pour ce journal rapport aux autres dépossédés alors
de la Faculté de Médecine que je infâme! Combien vous a-t-on payé qu'ils sont également venus pour
connais bien pour y avoir fait une pour cela? Tuez-le! " C'est à moi vivre du psychodrame (d 'où une
partie de mes études. Je me trouvais que s'adressait le " tuez-le! " rapporté frustration), Planète n'étant que le
donc sur le côté mais pratiquement par le Figaro littéraire. point de cristallisation.
au premier rang, lorsque l'animateur Les animateurs du psychodrame ont Mais il n'y avait pas que cela. Nous
a commencé à chercher des volon- alors fait leur travail: ils ont invité en arrivons à la phase la plus révé-
taires pour la phase de démons- mon tueur à 's'expliquer. Il a trouvé latrice de cette expérience vécue.
tration. La règle du jeu était annoncée: très peu de chose à me dire, si ce J'ai rencontré, dans les heures qui
pas de truquage ni de théâtre, une n'est: " Vous êtes content de vo us?" ont suivi, au hasard des couloirs, une
expérience loyale d'interréaction A tel point que les très nombreux foule de gens qui m'ont dit: "Vous
entre individus non sélectionnés. défenseurs en puissance que j 'avais nous avez bien eus sur le moment.
J'étais inscrit comme membre actif. dans cette salle et qui m'ont abordé Vous étiez payé par le Congrès pour
Aussi, lorsque l'animateur s'est par la suite, m'ont dit: «C'était un créer de l'animation. "
tourné vers moi, dans sa quête aux minus, c'est pour cela que nous ne Une partie du public refusait ainsi la
volontaires, je suis entré en scène sommes pas intervenus." réalité, c'est-à-dire le psychodrame,
avec les deux autres qui m'avaient Mon contradicteur était loin d'être et voulait du théâtre. De tels
précédé et les trois ou quatre autres un simple d'esprit. Nous avons exemples se sont succédé pendant
des premiers rangs qui ont suivi. longuement bavardé par la suite quatre jours. Mais j'avais cette clef
On nous a alors demandé, pour pour analyser sa réaction. en poche pour mieux comprend re ce
lancer le débat, de faire connais- " C'était plus fort que moi, m' a-t-il qui se passait dans le public.
sance entre nous. Chacun a demandé dit, vous m'agaciez à un point! ... ,, J. P.

132
lnformatioos
SOCif.Tf.S SECRËTES KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

Un fascisme en chemise de nuit: le K.K.K.


Depuis un peu plus d'un an, aux Etats-Unis, quelques crimes ont été D'ailleurs le KKK - comme de nom-
mis au compte du Ku Klux Klan. Lorsque Barry Goldwater fut breuses sociétés secrètes - emprunta
désigné comme candidat du parti républicain à la Présidence, quelques coutumes aux Celtes. Tout
comme les Ëcossais qui brûlaient des
certains observateurs y virent une victoire de cette même société
croix au sommet des montagnes pour
secrète. S'il est exagéré que l'ombre du K.K.K. domine les élections indiquer aux villageois que la guerre
américaines de cette fin d'automne, il est certain qu'elle s'étend, allait ravager leurs villages, Je KKK
menaçante, sur une partie du corps électoral américain. Qu'est-ce brûla des croix pour indiquer sa
donc que le K.K.K.? présence. Le rituel des croix brûlées
Le 17 mai 1954, les Ëtats-Unis furent Ils se cherchèrent un nom mys- devint par la suite un signe distinctif
le théâtre d ' une révolution qui passa térieux et plein de prestige et du Klan.
inaperçue de la plupart des obser- choisirent un mot grec , Kuklos, qui Le nom une fois trouvé, les jeunes
vateurs, mais dont la portée risquait veut dire le cercle; ce qui dans leur gens de Pulaski se parèrent de titres
d'être aussi capitale pour l'Amérique pensée signifiait que la nouvelle étranges destinés à inspirer le
que l'abolition de l'esclavage. Ce association engloberait tous les respect. Dans ce domaine aussi ils
jour-là, la Cour suprême des Ëtats- honnêtes gens et, comme le cercle, s' inspirèrent beaucoup du carbona-
Unis se prononça contre la ségré- n'aurait ni comme ncement ni fin. Le risme. Le KKK se trouva ainsi doté
gation raciale dans les écoles pu- mot Kuklos fut ensuite déformé en d ' une hiérarchie pittoresque et
bliques. Ku Klux par analogie avec un nom compliquée. L'ensemble du mou-
La révolte se mit alors à gronder de Peaux-Rouges, les Cocletz. Le vement s'appelait l' Empire invisible.
dans le « Sud profond "· C'est ainsi mot Klan, quant à lui, est une rémi- A sa tête se trouvait un Grand
que l'on assi sta au réveil de la plus niscence du mot écossais Clan . Sorcier qu'assistaient dix Génies . . . -
vieille société secrète des Ëtats-Unis:
Je Ku Klux Klan.

Un club de gais lurons


Rarement société secrète vit le jour
plus inconsciente de sa vocation et
de sa mission que le Ku Klux Klan.
En effet, les quelques jeunes Sudistes
qui se réunirent en décembre 1865
dans les ruines d ' une maison aban-
donnée à Pulaski, dans le Tennessee,
à la frontière de l'Alabama, n'avaient
en tête qu'un dessein: se lancer dans
de folles équipées pour tromper leur
ennui et mystifier leur entourage.
Démobilisés après cinq années de
guerre , désœuvrés , ils voulaient
recréer cette fraternité d 'armes et
chercher ensemble l'aventure . Par
goût et par romantisme , ils déci-
dèrent de faire de leur club une
société secrète . Sans doute avaient-
ils lu les récits plus ou moins
légendaires qui pullulaient alors en On chante: «Dieu est notre refuge et notre force. »
Europe sur la Charbonnerie , car ils (Photo Roger-Viollet).
semblent l'avoir prise pour modèle .
KKK KKK KKK KK K KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

133
1

Sociétés secrètes
KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

En 1868, il régnait sur quatorze la rencontre d'un style chez le Noir, la nuit, encerclaient sa
Ëtats américains: tous les anciens maison et son lit. l is le persuadaient
Ëtats à esclaves à l'exception du et d'une cause alors qu'ils étaient les âmes de soldats
Delaware. Chaque Ëtat portait le confédérés morts pendant la guerre
nom de royaume; à sa tête était Le Sud des Ëtats-Unis émergeait de civile ou leur propre maître ressus-
placé un Grand Dragon assisté de la guerre civile, vaincu et ruiné. cité de sa tombe pour le châtier.
huit Hydres. Chaque Royaume était L'émancipation de tous les esclaves
divisé en plusieurs dominions à la sans une préparation adéquate avait
tête desquels se trouvait un Grand ouvert la vie à l'anarchie. La Cause
Une organisation
Titan assisté de six Furies. La des Blancs du Sud avait besoin de terroriste
subdivision se poursuivait plus avant: défenseurs. Elle allait les trouver
un grand Géant de Province entouré dans la personne des K uxistes. Ces Cependant le Ku Klux Klan allait
de quatre Gobelins dirigeait un derniers devinrent les chevaliers de subir une seconde métamorphose.
Comté. L' unité de base était le la plus noble des causes: la Cause De même qu ' un club social s'était
" Den '" la caverne (de même que du Sud. Identification postérieure à mué en une société secrète, toute
la franc-maçonnerie avait la Loge et la naissance du mouvement, mais dévouée à la cause du Sud, cette
la Charbonnerie la Vente). Le nom de identification qui allait devenir totale. société secrète - sans perdre aucune
caverne avait été choisi, car c'est La réalité qui se calfeutrait derrière de ses attributions - se mua en une
souvent dans des cavernes qu'avaient ces grands principes "d'humanité, organisation terroriste . Sous prétexte
lieu les réunions. La " Caverne" de miséricorde et de patriotisme " de faire régner l' ordre, les fantômes
était dirigée par un Grand Cyclope était mise en lumière par les firent régner la terreur. Au début
et ses deux Hiboux. Dans chaque questions posées au futur ghoul furent seuls punis les Noirs cou-
" Caverne " on comptait un Grand avant son admission. "Ëtes-vous pables de délits. Par la suite, la
Mage, un Grand Moine, un Grand opposé à l'égalité des Noirs sur le moindre vétille devint prétexte à
Scribe, un Grand Ëchiquier, un plan social et politique? lui de- châtiment. Quelquefois même, des
Grand Turc et une Grande Senti- mandait-on. Ëtes-vous pour un gou- Nègres innocents furent appréhendés.
nelle. Quant aux simples membres vernement de l'homme blanc dans ce Les perquisitions qui avaient pour
ils portaient le nom de Ghouls . pays? Ëtes-vous pour le maintien but de rassembler les armes que
Pour devenir Ghoul, il fallait avoir des droits constitutionnels du Sud?" les Nègres possédaient se transfor-
plus de dix-huit ans , être parrainé Le Ku Klux Klan qui allait se faire mèrent en de véritables descentes de
par un membre du KKK et avoir connaître par ses outrances était, à police. Cours martiales, exécutions
subi avec succès un examen serré . ses débuts, un mouvement non sommaires, lynchages se multi-
Cet examen était suivi d'une nuit violent. La violence n'était nul- plièrent.
d'intronisation au cours de laquelle lement nécessaire pour subjuguer L' infiltration grandissante de l'orga-
le jeune initié s' agenouillait devant les Noirs. A la tombée de la nuit. nisation par des politiciens sans
les chefs du mouvement, prêtait les membres du Ku Klux Klan se mé- scrupule explique en partie cette
serment sur la Bible, se faisait une tamorphosaient en d'étranges fan- transformation. Mais cette expli-
entaille au poignet et, avec son tômes. Ils arrivaient sans le moindre cation ne suffit pas: la violence
sang, signait son nom sur une feuille bruit au trot de leurs chevaux, entraîne la peur et la peur à son
de papier. Cette dernière était céré- drapés dans des linceuls, la tête tour engendre la violence . Malgré
monieusement brûlée et le postulant recouverte d ' une cagoule pointue la désapprobation de nombreux
devenait " frère de sang " de l'Empire blanche sur laquelle se trouvaient membres, malgré la démission du
invisible. brodées des étoiles ou fixées des chef du mouvement, un homme
Néanmoins, il ne suffit pas d'avoir images d'animaux. Un masque blanc intègre, le général Bedford Forrest,
un rituel pour former une société leur dissimulait complètement le malgré les lois édictées par le
secrète. Il faut également avoir une visage et ne laissait paraître que deux Congrès pour le juguler, le KKK
doctrine, des méthodes d'action. La orifices pour les yeux. A l'empla- poursuivit ses méthodes. Il ne dis-
physionomie originale du KKK fut cement de la bouche pendait parfois parut qu'en 1872 avec le rétablis-
déterminée à la fois par le hasard une langue de feutrine rouge. sement de la suprématie des Blancs
et par des circonstances historiques. C'est ainsi qu'ils faisaient irruption dans les Ëtats du Sud.

KKK KK K KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

134
Informations
KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

avec la clientèle du Ku Klux Klan.


Ce ll e-ci se recrute actuellement
parmi les petits Blancs dont la
seule supériorité sur le Noir est
souvent la seule couleur de leur
peau. Qu'être blanc cesse d'être un
signe distinctif de supériorité, et ces
pauvres hères se verront peut-être
re légués plus bas que les Noirs eux-
mêmes. En outre, si la déségré-
gation devient une réalité, les petits
Blancs seront les premiers atteints.
Dès lors, leur faib lesse fait d'eux
les partisans de la force.
Cependant cette violence aveugle
ne cadre plus avec les aspirations
d'un pays assoiffé de respectabilité.
Le côté archaïque de certaines mani-
festations du Klan, comme les céré-
monies des croix brûlées, fait sou-
rire une population qui a de moins
en moins le sens du mystère et du
sacré. Les méthodes emp loyées
La Croix celtique fut choisie comme emblème du KKK par les autres organisations sudistes
(Photo U.P.I.). comme les Citizens Councils, qui
groupent actuellement plus de
Cependant cette disparition n'était le ton: xenophobie, sectarisme 150 000 membres, correspondent
que temporaire. Le KKK allait con- re ligieux anticatho licisme, natio- mieux à l'évolution actuelle. Elles
naître deux renaissances successives, nalisme, pur américanisme, racisme. reposent sur la propagande, les
l'une vers les années 1920, où il antisémitisme s'étalent sans ambage,. pressions économiques et politiques.
tenta de s'ériger en conscience Pour adapter le KKK a l'évolution
nationale, l'autre de nos jours. qu'il semble percevoir, Bill Davidson
Il ne peut actuellement s'enor- Les faibles, partisans est prêt à mettre une sourdine aux
gueillir que de quelques dizaines de
milliers de membres et encore ces
de la force .. exploits" de ses ghouls.
Comme on le voit, le KKK est à la
derniers se répartissent-ils en une recherche de lui-même et de son
myriade d'organisations qui toute> Les communistes sont regardé> point d'insertion dans la bataille qui
prétendent détenir la veritable tra- comme les grands responsables de la se déroule actuellement entre Noirs
dition du KKK. Deux hommes au déségrégation rJciale. Celle-ci, en et Blancs. Sur le plan doctrinal, il
moins s'intitulent chef de l'Empire facilitant les re lations entre la n'apporte rien de nouveau .
invisible: le Grand Sorcier de communauté blanche et la commu- Cependant il possède un atout: il est
Georgie, Bill Davidson, et le Grand nauté noire, ouvrira la voie aux constitué d'hommes prêts à tout,
Sorcier de l'Alabama, Robert Shelton. mélanges des sangs. Il en résultera puisqu'ils n'ont rien à perdre. Or si
Chacun d'ailleurs de ces hommes une Amérique métissée et décadente. la lutte entre les deux communautés
incarne un aspect du KKK: l'un Cette Amérique sera la proie facile devient plus chaude encore, alors le
représente la tendance idéa liste. de !'U.R.S.S. Ainsi le communisme KKK risquerait de retrouver son
l'autre la tendance réaliste. vaincra l'Amérique, non pas grâce à importance . La chance du KKK,
ses fusées nucléaires, mais en 1'« abâ- ce sont les musulmans noirs dont
Un coup d'œil sur les pamphlets du tardiss<int "· la fièvre ne cesse de croître.
KKK actuel donne immédiatement Ces raisonnements cadrent fort bien NICOLE Dl::NtY.

KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK KKK

135
Sociétés secrètes
Un grand médecin voudrait
guérir «le mal français»
Une des lignes directrices de Planere a toujours été la défense de
la science contre les scientistes, la défense de la recherche non
conventionnelle. C'est donc avec un vif plaisir que nous avons reçu
de M. le professeur Delmas-Marsalet neurologue et psychiatre. un
tiré à part d ' une étude parue dans le Journal de médecine de
Bordeaux et qui nous recompense de
nos efforts en confirmant nos divers L'auteur finit sur une note optimiste
articles sur le sujet. En voici quelques et constructive en émettant une idée
extraits:" Chiffrer les milliards attri- que nous réaliserons un jour dans Charles Cros:
bués à la recherche scientifique pour Planète: des travaux qui gênaient certains.
s'étonner, ensuite , d ' un ralliement " N ' oublions pas que désenchanter
médiocre à sa cause n'est pas une par avance des chercheurs éventuels
justification suffisante lorsque l' on serait une faute. A cette faute contre
méconnaît d' a utres besoins et des l' esprit, le médecin doit échapper disait-il, au caractère divin de la
aspirations qui, pour être moins plus que tout autre, car il est, par musique: le musicien ne crée rien,
évidents, n'en sont que plus impé- essence, celui qui oppose le remède il ne fait qu 'extraire ce qui pré-
neux. au mal. Ne risquons pas de nous existe. ,, On peut critiquer l'excès
,, Quarante a nnées de vie univer- voir attribuer cette position de d'humilité de cette assertion et son
sitaire et un contact étroit avec un "c roulant " définie par les jeunes, exactitude relative. Elle est, pour-
auditoire qui ne vieillit jamais nous encore qu ' un écroulement puisse tant, l' affirmation de possibilités de
autorisent à formuler notre con- faire quelque bruit. Laissons-nous réminiscences qui n'o nt nullement
viction formelle, en matière de aller à quelque humour compen- entravé la promulgation de lois sur
recherche sc ientifique : il y a encore sateur, faisons un rêve. la propriété artistique en général.
une jeunesse française enthousiaste
et désintéressée que tenterait la LA VËRITË SUR DES RENCONTRES, S.V.P.
carrière de chercheur en dépit des LES Of.COUVERTES
Et, puisque le rêve se colore parfois
conditions matérielles mineures qui
de visions utopiques , imaginons une
s'y attachent. Entre des situations " Ce rê ve nous apporterait, d'abord,
revue dont le titre pourrait être
très rémunéra trices qui étendent le une loi bien faite sur la propriété
" Rencontres "· Deux colonnes par
champ du plaisir et les satisfactions scientifique dans la découverte et
page: dans l' une, un texte relatif
légitimes attacnées a des décou- non pas seulement dans l' invention.
à une découverte avec nom d'auteur
vertes valables, beaucoup de nos Sans doute, une découverte peut
et date de publication; dans l' autre,
jeunes élèves opteraient pour les être le premier ou le dernier maillon
le texte d ' un autre auteur sur le
secondes s'ils avaient la certitude d'une chaîne; ou bien le maillon
même sujet avec référence chrono-
que leurs travaux futurs ne seront intermédiaire qui unit les autres
logique. Aucun commentaire, bien
pas méconnus , ni étouffés, ni dé- en sautoir : preuve que nous ne
entendu: un simple côte à côte de
marqués. Ce que nous qualifions méconnaissons pas les difficultés
deux textes, toute liberté étant
de " mal français " tient, préci- d'établir un droit de prionté. Mais,
laissée au lecteur de découvrir des
sément, dans l'absence de garantie à la réflexion, la même difficulté
identités, des similitudes, des diver-
sérieuse dans ce domaine. " n' existe-t-elle pas pour la propriété gences ou des oppositions formelles.
musicale? Quel compositeur pourrait En somme, une position psycho-
ATTENTION: CROULANT! se vanter d'être préservé de rémi- logique comparable à l'art de cer-
niscences inconscientes glissées dans tains romanciers qui suggèrent plus
L'a uteur décrit ensuite la façon dont ses œuvres? Les relever n'a rien de qu ' ils n ' affirment. Et comme un rêve
en France furent étouffés succes- péjoratif, en reconnaître l'exactitude complet se doit d ' utiliser des mes-
sivement Charles Cros, Marey , Gus- n'a rien d ' une déchéance . Il nous sages polysensoriels, faisons sa part
tave Lebon. La façon aussi dont les revient en mémoire cette pensée à la composante sonore sous la
propres trava ux de l'a uteur ont dis- que le grand pianiste Walter Rummel forme de quelques grincements de
paru des bibliographies parce qu ' ils formulait dans sa plaquette, " Le dents venus des coulisses de la
gênaient ce rtains. credo d ' un artiste": " Je crois, Science ... "

136
Informations
Le masque de lord Cavendish
Pierre Lépine et Jacques Nicolle viennent de consacrer un beau
livre à l' étrange figure de Henry Cavendish : Sir Henry Cavendish ,
l'homme qui a pesé la Terre (collection« Savants du monde entier»,
E:ditions Seghers, Paris).
Physicien et chimiste anglais, Henry Cavendish naquit à Nice en
1731 et mourut près de Londres embarrassé jusqu'au point d' arti-
en 1810. Il fit ses études à Cambridge culer avec difficulté. Il s'habillait
et à Paris. Puis, héritant de l'un de comme nos grands-parents, était
ses oncles, il se vit à la tête d'une immensément riche mais ne faisait
des plus importantes fortunes de son aucun usage de sa richesse. Il s' inté-
temps. Mais son occupation préférée ressait beaucoup aux travaux des
demeura toujours la recherche scien- autres, mais n'encourageait aucune
tifique. Ses travaux eurent une très intimité; il vivait de façon solitaire,
grande portée. En 1766, ses Expé- venant régulièrement à la Royal
riences sur l'air atmosphérique don- Society, mais ne recevait personne
naient pour la première fois l'analyse dans sa propre maison. "
exacte de celui-ci. Les deux mé-
moires intitulés Expùiences sur l'eau Misanthrope et misogyne
( 1785) contiennent sa grande décou-
verte sur la composition de l'eau et Il semble bien établi que, si Caven-
sur celle de l'acide nitrique. Le dish était un misanthrope, il était
second de ces mémoires contient plus encore un misogyne. Lord
aussi l'observation fameuse qui devait Bowlington rapporte que Cavendish
conduire un siècle plus tard à la n'acceptait des domestiques féminins
découverte de l'argon, qu'on utilise dans sa maison qu'à condition de ne
pour remplir les ampoules élec- jamais les voir. Il donnait tous ses Cavendish: un homme masqué
triques dites demi-watt. Les travaux ordres par écrit sur une note qu' il ( Portrait par W. Alexander , British Museum }.
de Cavendish sur l'électricité sont laissait sur la table de l'entrée, où
des plus importants, et on lui doit sa gouvernante en prenait connais-
aussi la découverte de la densité sance et distribuait le travail au
moyenne de la Terre. personnel féminin qui ne devait attira notre attention et, l' uri après
jamais paraître devant le maître. l'autre, nous nous levâmes et nous
Un homme singulier Ayant un jour croisé dans l'escalier nous rassemblâmes auprès de la
de sa maison une femme de chambre fenêtre pour observer cette belle
Il fut un des personnages les plus armée d'un balai et d'une pelle, il enfant. Cavendish, croyant que nous
étranges de !' Histoire . Un auteur donna aussitôt l'ordre de construire regardions la lune, se leva à son
de science-fiction pourrait faci- un escalier qui ne devrait servir tour pour se joindre à nous et,
lement imaginer qu'un extra-terrestre qu'au personnel féminin. lorsqu'il aperçut l'objet de nos
se cachait sous ce masque. Tomlinson raconte l'anecdote sui- études, il tourna les talons avec
Sir Humphry Davy, dans l' éloge vante: "A l'occasion de l'un des indignation et s'écarta en poussant
funèbre qu'il prononça de Cavendish, dîners du Royal Society Club, un une exclamation d'intense dégoût. ,,
dit : " Ce grand homme frappait soir nous remarquâmes une fort L'étude du cas Cavendish fait penser
par ses singularités; sa voix avait un jolie fille qui, d' une fenêtre située à cette phrase de Lovecraft dans
ton de fausset, ses gestes étaient à l'étage supérieur d'une maison A travers les portes de la clé d'argent :
nerveux et il était très intimidé par d' en face, contemplait les philo- "Ce visage est un masque et ce qu ' il
les étrangers devant qui il paraissait sophes en train de dîner. Ct> manège cache n'est pas humain.,,

137
Savants
1!-__ : ___________ ~~~-?~;----------- Je vous ai compris! lr nn~~-;~~~~;m·_-_ JI
La revue technique du C.S.F. publie Le sous-domestique. - Comment Théorie nouvelle :
un court texte qui ravira nos lecteurs vont les lépreux? Comment l'univers est-il
étudiants, habitués aux bousculades Le sous-sous-domestique. - Com-
dans les amphithéâtres et obliges de bien/ont cinq cents œufs? organisé ?
tendre l'oreille pour écouter un pro- L 'élève (timidement ). - Une demi-
fesseur-zombie, sans contact avec Notre attention a été réctmment
son public en surnombre croissant. guinée! attirée sur un ou vrage remarquable:
Le texte est précede de l'indication Le sous-sous-domestique. - Voyez Vie el cosmos, noire univers spiral,
suivante : mon frère aîné! par Gérard Morin (Vi got Frère s
" De l' importance d' une bonne trans- Le sous-domestique. - Voici venir éd ., Paris, 1962). li constitue une
mission . Une expérience originale René! étude d"ensemble sur les phéno-
relatée par un professeur de mathe- Le domestique. - Vous êtes un mènes d' organisation dans l'univers.
matiques. Ou de la deformation de benêt! L' auteur, qui est médecin, mais a
l'information ». également une très bonne connais-
Le professeur (qui prend un air sance de la physique, donne une
COMMENT JE FA IS MES COURS offensé, mais essaie d'une autre théorie d' ensemble des structures
question). - Divisez cent par de l' univers qui nous ·paraît extrê-
Je vais vous raconter la façon dont trois! mement intéressante . Cette théorie
je fais mes cours: mon seul et Le domestique. - Devisez sans générale relie d' une façon passion-
unique élève a commencé à tra- effroi! nante la physique et la biologie et
vailler avec moi. Le point le plus Le sous-domestique. - Revisez pourrait fournir un cadre où rentre-
raient logiquement les phénomènes
important, voyez-vous, c'est que votre croix!
découverts par M . Kervran si la
le professeur soit plein de dignité Le sous-sous-domestique. - A visez réalité de ces phénomènes pe ut être
et à une certaine distance de /'autre roi! confirmée. D ' autre part, le système
/'élève; l'élève, de son côté, doit L'élève (surpris ). - Que veut dire de l' auteur fait sa place au psychisme
être ravalé aussi bas que possible. ceci? et permet d' intégrer les phénomènes
Sans quoi, l'élève n'a pas toute Le sous-sous-domestique. - Nul parapsychologiques.
/'humilité requise. ne soupire ici'
Donc, je suis assis au fond de la Le sous-domestique. - Voici du
salle. le plus loin possible de la pain rassis!
porte ; à /'extérieur de la porte (qui Le domestique. - Prenez un bain
est fermée ) est assis un domestique; assis!
à /'extérieur de la porte extérieure Et le cours continue de la sorte.
(qui est également fermée ) est assis Ainsi va la vie.
un sous-domestique; dans/' escalier.
à mi-étage, est assis un sous-sous- L'auteur de ces lignes était pro-
domestique; enfin , dans la cour, es1 fesseur de mathématiques au célèbre
collège d'Oxford, et en même temps
assis l'élève. pasteur protestant respectable .
Nous nous crions les questions de Cet homme, qui était aussi poète, .ne
l'un à l'autre, et les réponses me manquait pas non plus d'humour
parviennent de la même façon . comme on peut le voir dans les
Jusqu 'à ce qu'on ait bien pris lettres qu ' il écrivait pour un très
/'habitude , c'est un peu décon- jeune public.
certant. Voici à peu près comment Son nom ? Charles L. Dodgson ,
le cours se déroule: l' auteur de: " Alice aux pays des
merveilles ».
Le professeur. Combien font l e tex te ci-dessus est un passage de
deux fois deux ? /el/re adressée à ses enfants Henriella
Le domestique. Comment sont et Edwin. Elle est datée du 31 janvier
les mois creux? 1855, à Oxford.

138
A lire
LITTERATURE 11
HISTOIRE
il
Une grande étude : Fin d'un procès?
la littérature fantastique Les Templiers
en France sont acquittés
Une remarquable étude vient de Georges Bordonove a écrit une
paraître aux éditions Fayard, sur histoire de l' ordre du Temple (« Les
« La Littérature fantastique en Templiers'" chez Fayard), qui
France"· C'est un gros livre du tran<.:he sur les ouvrages qui traitent
romancier et critique Marcel du même sujet. Premier mérite: le
Schneider, qui analyse le courant lecteur est supposé ne rien con-
du merveilleux, du baroque et de naître, de sorte que ce livre constitue
l'onirique dans notre littérature, une excellence initiation. Second
des romans de la Table Ronde aux mérite: l'auteur lu i- même, en abor-
surréalistes et à leurs épigones, de dant son travail, a fait abstraction
Cyrano de Bergerac à Ionesco et de ses propres connaissances.
Beckett. 400 grandes pages intel- La plupart des études sur le Temple
ligentes et documentées. partent du procès de Jacques de
Nous sommes d'accord avec Schnei- Molay et de ses compagnons, sous
der, lorsqu'il écrit dans son intro- \tJt l \<Il • \ le règne de Philippe le Bel, pour
duction que les écrivains fantas- remonter dans le temps en quête de
tiques, en France, «font presque Le mystère de l'ordre du Temp le confirmations ou d'infirmations des
l'unan imité contre eux: les esprits a-t-il survécu à sa destruct ion? accusations qui entraînèrent la con-
forts se rappellent avoir appris à (Photo Roger-Viollel). damnation des Chevaliers. Ici,
l'école qu'un et un font deux, les l'auteur nous ret race l'histoire
chrétiens les suspectent d'avoir partie est au contraire a-logique. ou pré- dans sa chronologie.
liée avec le diable, les progressiste!> logique'" C'est là qu'il s'affirme Georges Bordonove répond aux
leur reprochent de ne pas se soucier comme un esprit déformé par l'esthé- questions, en ne tenant compte d'au-
d'engagement politique et les demi- tisme et l'amour formel de la gratuité. cune des déductions des autres
lettrés de posséder une forme et un historiens. Il refait son enquête
style, ce qui exige un effort de UNE D IFFËRENCE basée sur des documents, et déduit
lecture"· l'intelligence d'un homme et sa
Alors, demande Schneider, que Toute la différence entre ce qu'il valeur de ce qu'il a accompli plus
reste-t-il?" Les curieux, les fervents, appelle le fantastique et ce que nous que de ce qui a été dit à son sujet.
les non-conformistes, les avides, tous appelons le réalisme fantastique, c'est Conservateur des Archives natio-
ceux qui s'écartent du troupeau que nous pensons qu'il n'y a pas de na les, on peut supposer que l'auteur
pour ..:hercher quelque chose.,, mentalité a-logique ou pré- logique, a eu accès aux principaux documents
mais des états de conscience dif- connus, voire à des documents
FANTASTIQUE PUR ET férents également branchés sur le inconnus. Si, au bout du compte, il
Rf:ALISME FANTASTIQUE réel, et qu'il s'agit d'analyser, dans se fait l'avocat du Temple, c'est
l'espoir de les pouvoi r provoquer un qu'avec patience et Objectivité il a
L'auteur poursuit: « Le fantastique, jour à volonté, afin que tous les remonté aux sou rces. Il prononce
c'est le réel qu'il suffit de voir avec pouvoirs de l'homme se manifeste nt, l'acquittement final des Templiers.
d'autres yeux, et c'est aussi l'espace non pas seulement pour l'enchan- L'histoire de l'ord re apparaît comme
du dedans." Parfaite définition. tement artistique, mais pour la trans- une grande tragédie humaine et le
Mais, dès lors, nous ne comprenons formation du mon de et de la con- Templier comme un type d'homme
pas pourquoi il considère que notre dition humaine . disparu, cha rgé de poésie, dont
effort, ici, "révèle un état d'esprit Le bilan purement littéraire (dans Miche let donnait cette définition:
aux antipodes du fantastique" parce l'air raréfié de la " li ttérature pure") " Le soldat a la gloire, le moine le
que nous essayons «de tout expliquer méritait d'être fait, et il est bien fait. repos. Le Temp lier abjurait l'un
par des hypothèses ésotériques et Mais c'est un bilan pour les hyper- et l'autre. li réunissait ce que les
scientifiques'" Schneider écrit que civilisés d'hier, non un appel de forces deux vies ont de plus dur, les périls
"la pensée de !'écrivain fantastique pour les contemporains du futur. et les abstinences. "

139
Littérature
t~!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!~ montre le rôle joué par la télé- L'esprit créateur s'est manifesté.
SOCIOLOGIE Il vision dans la prise de conscience Délivré des tâches manuelles,
11_
lmiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliiiiiliill.
par les Noirs de la situation mfé-
rieure qui leur était faite et, partant,
l'homme pourra davantage créer et
la vie future multipliera les besoins
dans le déclenchement de la révolte. d'inventions dans tous les domaines.
Plus de 90 3 des foyers noirs pos- formes, forces, matériaux, ainsi que
Le dossier les exigences de valeurs oubliées,
sèdent un récepteur. Jour après jour,
de la révolte noire il leur rappelle le haut niveau de vie enfouies ou méconnues. Car la créa-
des Blancs. La plupart des Noirs tion technique, pour ne pas "méca-
Une centaine d'enquêteurs, journa- aspirent à participer à ce bonheur niser,, et nier l'homme, devra au
listes et sociologues, sous la direc- matériel. lis veulent " en être '" selon contraire se mettre au service de ce
tion de William Brieck et Louis leur expression. qu'il y a de plus humain en l'homme,
Harris, ont participé à l'élaboration Nous ne ferons qu'un reproche à l'intelligence, la liberté, l' esprit créa-
du dossier de " la Révolte noire cette enquête: lïmportance réduite, teur désintéressé, tel qu 'il se révèle
aux U.S.A. " (éditions Denoël). Leur pour ne pas dire nulle, accordée aux dans les arts, et ce" plus humain ,, est
enquête a porté aussi bien sur les problèmes sexuels. Les questions lui aussi à découvrir.
milieux blancs que les milieux noirs portant sur ce domaine sont peu
des Ëtats-Unis; les uns et les autres nombreuses. Or, il nous a toujours DES COURS DE CRËATIVITË
avaient été soigneusement échantil- semblé que les tabous sexuels cons-
lonnés. Les résultats de cette tituaient la toile de fond de l'oppo- François Perroux montre le déve-
immense enquête sont rapportés sition entre le monde noir et le loppement dans les entreprises des
objectivement, les commentaires des monde blanc aux Ëtats-Unis. méthodes de « brassage des cer-
auteurs se bornant à présenter les veaux,, (brainstorming), de mise en
méthodes de travail et les chiffres valeur du "capital-imagination .. ; il
sans se départir de l'objectivité la On demande rappelle que la General Electric, par
plus totale. Que ressent un Noir? exemple, a organisé des " cours de
Quelle est l'origine de la révolte? des créateurs créativité,, dans 17 de ses usines,
Que veulent les Noirs? Quels sont auxque ls ont participé 450 de ses
leurs leaders? Jusqu 'où iront-ils pour Un dialogue de créateurs: c'est en ingénieurs. La course pour l'inven-
obtenir gain de cause? Quel sera leur ces termes olympiens que François tion est méthodiquement engagée.
rôle dans l'élection présidentielle de Perroux, membre de l'Institut, La concurrence économique vise à
1964? On trouve dans ce livre la acheve son livre: Industrie et création la supériorité, non plus seulement
réponse à toutes ces questions. JI collective (P.U.F., 1964), prélude par une diminution des prix de
d'une nouvelle série d'études. revient obtenue par une augmen-
La civilisation des loisirs, vers tation de la production en série,
laquelle nous nous acheminons à mais encore et surtout par une
grands pas, ne sera pas une civili- am:! lioration qualitative du produit,
sation de tout repos. L'homme y sera qui sera plus adapté, mieux combiné,
condamné, pour se maintenir en plus efficace, plus beau, plus solide
piste à une place honorable, à créer ou plus rapide, bref, enrichi de
sans cesse . Créer n'est pas produire. quelq ue nouveauté.
La production est l'affaire des ma- La créativité la plus urgente et la
chines, du plan, de l'automation, de plus nécessaire est celle qui s'effor-
la technique industrielle et agricole. cera, en présence des dislocations
Créer, c'est insérer de la nouveauté présentes, d'inventer de nouveaux
dans un processus. Une chaîne peut équilib res sociaux. Le plus grand
tourner, avec une force accumulée profit individuel n'en est plus le seul
et à une cadence accélérée, la but, il s'agit de servir la collectivité
courbe de production s'élèvera. Puis, tout entière. Cette capacité de
à un certain niveau, elle deviendra créer, non pour son avantage propre,
étale. Mais, avant même d'en arriver mais pour le bien général, dans
à ce point, à chaque anneau de la lequel l'intérêt personnel se retrouve
chaîne, comme à chaque extrémité, comme une conséquence, présuppose
du nouveau peut déjà intervenir, une un certain nombre de qualités que
amélioration s'imposer, une inven- l'individu moderne se doit de cul-
Une ambition: participer tion changer un détail, parfois déter- tiver. Et tout d'abord, l'ouverture
au bonheur matériel des Blancs. miner un bouleversement total, qui d'esprit; "elle ne se conçoit bien,
rend toute une chaîne caduque. précise François Perroux, qu'en

140
A lire
termes dynamiques: elle implique la savante discussion avec, d'une part ,
curiosité, l'éveil, la disponibilité ; le Saint-Simonisme, qui sut perce- COS M OS \
1 1
1
elle s'oppose au refus, au choix pro- voir prophétiquement les futurs . .
noncé une fois pour toutes, à la satis- changements sociaux et, d'autre part, l.:.ïiiiiiïiiiiiïiiiiiïiiiiiïiiiiiïiiiiiïiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiïiiiiiiïiiiï:.I
faction tirée de la «jouissance pai- le marxisme, qui définit la socia-
sible" d'un patrimoine intellectuel lisation à venir des forces produc-
que le sujet aurait le sentiment tives. On ne saurait le suivre dans
La science francaise
d'avoir accumulé comme on amasse cette ascension qui s'élève, de et la vie extra-terrestre
des choses inertes ou comme l'on niveau en niveau, des rapports entre
possède une collection d'objets. la science et l'industrie, aux rapports Il y a seulement quelques années, ce
L'esprit ouvert est insatisfait, il entre les pouvoirs économiques et sujet tabou de la vie extra-terrestre
remet chaque jour en question ses les pouvoirs politiques, jusqu'aux ne suscitait chez les esprits dis-
conquêtes de la veille; il n'accepte rapports entre la production des tingués de la Recherche française
les frontières qu'avec impatience et choses et la production des hommes . que ricanements et mépris. Dieu
par méthode; il est spontanément Retenons seulement qu'à chaque merci, lesdits esprits distingués com-
docile au consejl de Sainte-Beuve: palier s'affirment et l'urgence de mencent à atteindre l'âge d'une
"Ne vous croyez jamais arrivés"···" l'esprit de créativité et la nécessité retraite méritée. Quelque chose est
La multitude d'informations que du recours à son meilleur stimulant: en train de changer. Il n'est pour
l'esprit ouvert peut recueillir doit la communication par le dialogue. s'en convaincre que de parcourir le
être ensuite combinée dans un sys- Car la théorie du dialogue exposée N· IO des Cahiers d'Etudes biolo-
tème de relations qui en fait une dans ce petit livre y est aussi impor- giques (publiés par le Laboratoire de
unité utilisable. Cette capacité de tante que celle de la créativité. Elle Biologie générale des Facultés ca-
synthèse pratique est la seconde lui est intimement liée, puisque le tholiques de Lyon; édités par Lethiel-
qualité à développer. dialogue y est conçu, au contraire de leux, 10 rue Cassette, Paris, 6' ). Sur
Enfin ces schèmes combinatoires la dialectique, comme une recherche les six études du numéro, les trois
seront plus ou moins originaux. Et commune d'une "issue imprévisible" · dernières ont pour thèmes: La vie
c'est ici qu'apparaîtra la mesure de Le dialogue se présente ainsi comme hors de la Terre, par Georges Michel,
la-créativité . "Un esprit est créa- la condition indispensable de la créa- du C.N.R.S., Perspectives sur la vie
teur s' il est, tout ensemble ouvert, tion collective. Et il mérite à lu i extra-terrestre, par le prix Nobel
propre à combiner ce qu 'il accueille seul toute une étude, où chacun américain Joshua Ledersberg, et,
et à trouver de nouveaux schèmes.,, aurait beaucoup à découvrir pour sa enfin, Existe-t-il des êtres vivants
François Perroux dégage sa théorie propre conduite en société. en d'autres lieux du cosmos? par le
de la «création collective,, d'une JEAN CHEVALIER. professeur Delsol, de la Faculté
catholique de Lyon. Ledersberg ne
craint pas de citer H.G. Wells et la
science-fiction parmi ses sources de
réflexion. Delsol souligne l'état
d'esprit peu réaliste de ceux qui
veulent à toute force que la Terre
soit une planète sans autre exemple.
Georges Michel, enfin, fait re-
marquer une fois de plus la quasi-
impossibilité d'une vie de type
terrestre dans notre système solaire,
mais suggère une étude expéri-
mentale, en laboratoire, de « pla-
nètes du système solaire». Il re-
connaît qu'en de telles expériences
la variable fondamentale, celle du
temps à l'échelle géologique, ferait
totalement défaut. Marquons toute-
fois notre désaccord avec l'auteur
sur un point: selon lui, les humanités-
sœurs qui peuplent l'univers « gar-
deront toujours leur secret». C'est
là bien arbitrairement borner l'évo-
lution future de la science.
A!Mf. MICHEL.

14 1
Cosmographie
SOCIETES SECRÈTES
Le secret des francs-macons

Notre ami Jean Palou, professeur à la Sorbonne, vient de publier valier élu, Cheval ier Royale-Hache,
«La franc -maçonnerie» (Payot). Un livre de plus sur la franc - Prince du Tabernacle, etc. Le livre
maçonnerie, certes, mais celui-là n'est pas comme les autres. Pour de Jean Palou en constitue la pre-
la première fois, la nature véritable du secret maçonnique s'y laisse mière tentative d'élucidation. Et il
semble qu'avec les chapitres fonda-
entrevoir. Et, du même coup, la naïveté ou la mauvaise foi de ceux mentaux qu'il leur consacre on soit
qui, dans le passé, ont pu prétendre au cœur même du mystère maçon-
dévoiler ou révéler ce secret. « Le maçon, me disait Jean Palou, se nique: le secret de la franc-
Essayons de résumer les impressions sent peu à peu transformé en pro- maçonnene serait vécu plus ou
qui se dégagent de cet ouvrage pro- fondeur. Celui-là même qui adhère moins intégralement aux divers
digieusement documenté et médité dans un but intéressé ou frivole degrés, les derniers de ceux-ci assu-
de l'intérieur. n'échappe pas à la transformation . ,. rant la permanence de sa tradition.
L' idée d'une initiation qui serait une
UNE tDUCATION DE L'ESPRIT espèce de confidence faite de UN VASE VIDE?
bouche à oreille à l'occasion d'une
Le secret maçonnique n'est pas liturgie grandguignolesque apparaît Reste à savoir ce qu'est ce secret
quelque chose que l'on peut ou que comme une simple puérilité. L'ini- ultime qu'aucune définition ne saurait
l'on pourrait intégralement exprimer tiat ion maçonniq ue ressemblerait peut-ê tre enserrer. Pour le non -
noir sur blanc et clairement, à la plutôt à celle qui permet aux jar- initié, cette question équivaut à se
façon d'un mot de passe ou d'une diniers anglais d'obtenir les pl us demander si le secret existe, s'il a
formule algébrique. li résulte, non belles pelouses du monde: il suffit, une substance, ou bien si la grande
point de la discrétion jurée par les si l'on ose di re, de ratisser pendant habi leté historique de la franc-
maçons (puisque aussi bien la franc- mille ans. Ou à celle du Kendo, maçonne rie serait en défini tive de
maçonnerie, société secrèie, fait des l'escrime sacrée des Japonais, qui n'avoir rien à cacher, d'être ce vase
émissions à la radio, publie des doit se pratiquer avec des lames vide dont Renan parlait à propos
revues et s'inscrit au Bottin comme formées de dix-sept mille couches de d'une autre grande source spirituelle,
vous et moi), mais bien d'une ini- métal et forgées à deux cent mille hypoth èse sceptique qui concorde
tiation longue et progressive dis- coups de marteau. Elle se ferait par mal avec la persévérance et l'effi-
pensée de haut en bas à travers la un véritable bain spirituel dans la cacité de l'action maçonnique depuis
pyramide des degrés. Il n'est pas (ou, tradition de la société, à la faveur les deux ou trois siècles que ses
peut-être, pas essentiellement) une des tenues de loge et, peut-être, des traces sont visibles. Rappelons que
connaissance qu'un maçon défroqué cérémonies symboliq ues. les anciens rose-croix, qui sont une
pourrait livrer dans un texte, mais des sources probables (soulignée par
une éducation de l'esprit à un certain UN SECRET Vf:CU Palou) de la franc-maçonnerie mo-
usage de lui-même, éducation qui ne derne, détenaient des connaissances
peut s'acquérir que lentement, par Et dès lors apparaissent, au moins inexplicables par la science de leur
une espèce d'illumination progres- en principe, le sens et la justification tem ps et qu'eux-mêmes, au témoi-
sive trouvant son expression non pas de tous ces grades étranges, titres et gnage de Cyrano de Bergerac,
seulement dans certaines paroles degrés dont les mystérieuses réso- disaient tenir de sources extra-
prononcées, mais dans le rituel infi- nances évoquent des traditions mé- terrestres ...
niment complexe légué par !'Histoire. diévales ou antiques : Sublime che- AIMI'. MICHEL.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

J Cesser de fumer est la chose la plus facile du Si ma thiorie de la relativite est juste, !'A /lemagne 1
J monde: je l'ai fait un million de fois. M k T . me revendiquera comme A /lemand et la France 1
J ar wam. declarera que je suis citoyen du monde. Si ma 1
1 Car les intelligences qui jouissent et les inte/li- thiorie est fausse, la France dira que je suis un a
I" gences qui souffrent, ont un egal besoin d' ensei- Allemand, et !'A /le magne declarera que je suis &
: gnement. Victor Hugo. un Juif Einstein. :

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

142
A lire
combustibles de haute énergie. Ce dans un rayon de 25 années-lumière.
nouvel ouvrage a été commandé et Tout cela est basé sur 150 pages
financé par l'aviation américaine. grand format de calculs, de tableaux,
C'est une œuvre entièrement scien- d'études de physique, de chimie, de
tifique dans sa méthode et dans l'uti- biologie. Comme tout bon ouvrage
lisation des mathématiques. C'est scientifique, il y a une importante
L'explosion de également un prodigieux effort d'ima- bibliographie et un index.
gination. D'après l'auteur, avant un
l'humanité vers le cosmos million d'années, toutes les planètes

w~
de la galaxie auront été occupées
Les ouvrages sérieux de 1964 res-
semblent de plus en plus à la science-
fiction de 1954. Stephen H. Dole,
dans" Inhabitable Planets for Man"
(Blaisdell Publishing Company,
New York) nous décrit la conquête
par l'homme, il affirme que la des-
tinée future de l'espèce humaine
est dans les étoiles.
La colonisation de la galaxie ne peut
pas résoudre le problème de la sur-
population: il faudrait évacuer
l ~OOD~l'J~~Ol!!C!·~liOO'i'DZV!j

des planètes les plus lointaines 900 000 personnes par jour pour
comme une aventure proche de la
réalisation.
L'auteur de ce livre est un des chefs
de la R.A.N .D., mystérieuse orga-
nisation que l'on pourrait définir
obtenir la population terrestre cons-
tante à un niveau de 18 milliards.
Mais l' exploration de l'espace per-
mettra d'étendre les pouvoirs et les
domaines d 'exploitation de l'espèce
J
u u Li
[
comme étant le service secret scien- humaine. Le jour viendra où il y
tifique du gouvernement des Etats- aura plus d' hommes sur les planètes
Unis. Il est l'auteur de nombreux tra- des autres étoiles que sur Terre.
vaux scientifiques portant surtout 14 étoiles possédant probablement
sur la gravitation artificielle et les des planètes habitables se trouvent

Les contes brefs de Planète Cl:HCl:H<l:HCl:<l:<l:H<l:Cl:H<l:<l:Cl:H<l:<l:H<l:<l:Œ<l<l:<l:<l:<l:Œ<l<l:Œ<l<l:Œ<l<l:H<l:<l:Cl:Œ<l<l:<l:<l:Œ<l<l:<f<


A A
~ LA GENÈSE c.a~bonés co~plexes,_ . synthé- bougres du S~r.vice d'e~ploration, ~
"" tises par l'action actm1que des on nous exped1e au lom pendant A
~ rayons du jeune soleil. des mois et des années, pour ~
"" Pour la septième fois, l'astronef Au journal de bord, l'astro- faire le travail des biologistes!» ~
~ fit le tour de la planète: de naute consigna: " Étoile Z-221 - Sur la grève, quelque chose A
~ vastes étendues désolées, des 44-767. Planète III. Stérile. sembla bouger, dans le ressac. ~
"" chaînes de montagnes formida- L'examen du spectre de son L'analyseur automatique se ""
~ blement immobiles, des plaines soleil permet de conclure avec serait-il trompé? Il sortit pour ~
A vides. Un monde sans vie, certitude que le stade où la vie vérifier, sans scaphandre, inutile ~
~ absolument stérile, semblait-il, aurait pu apparaître est déjà dans cette atmosphère non A
~ comme son unique satellite, déjà dépassé. Quant aux autres pla- toxique, un simple respirateur ~
"" visité. Restaient les mers. nètes, elles sont ou trop loin ou sur le haut de la face. Un air ""
~ L'astronef se posa, et, dans le trop près du soleil. Richesses stérile, en tout cas. Absolument ~
"" déferlement inlassable des minérales moyennes. Système stérile. Il fit quelques pas sur la ~
~ vagues qui léchaient le sable sans intérêt. A ne pas revisiter.» plagè, pensant : les premiers et ""
A pâle de la plage disparut Soigneusement, il souligna les les derniers qui se marqueront ~
~ la torpille d'exploration. derniers mots. jamais dans ce sable. Dans A
~ Quelques heures plus tard, le "Grand Thyophan! soupira-t-il. l'écume flottait seulement une ~
A chef de bord enregistra le Ces imbéciles prétentieux du glaire de composés organiques ~
~ rapport des appareils : pas la Comité central galactique dans laquelle le détecteur ne ""
A moindre trace de vie n'avait pu devraient bien finir par corn- put, à bout portant, déceler ~
~ être décelée, si infime soit-elle, prendre que jamais aucune expé- trace de vie. A
~ dans cette masse liquide dition n'a rencontré de vie si Alors, la conscience tranquille ~
"" qu'agitait le vent. Cet océan loin du Centre! Il doit manquer et plein de mépris, il cracha dans ~
~ contenait pourtant, et en quan- quelque chose à ces soleils de la la mer. ""
A tité appréciable, des composés périphérie. Et nous, pauvres FRANCIS CARSAC. ~
~Cl:<l:<l:Cl:<f<l:<f<l:<l:Cl:<f<f~([([<l:<l:<f<l:<l:<f([([([<l:<l:<f([([([([([([([<l:([<f([Cl:([([<l:([([([([<l:Cl:Cl:([([([<l:([<f([([([([<l:([<f([Cl:([<l:<l:Cl:<f<l:<l:([Cl:([([([([([
""
143
. Astronautique
Le Canard Enchaîné et Planète
Littérature
Lettre dans l'esprit de Voltaire
Dans la collection de combat: " Refus d'obtempérer '" dirigée par Roland en revanche, des rêveurs, dont l' in-
Bacri aux éditions Jean-Jacques Pauvert, Jérôme Gauthier, collaborateur tuition va loin et à coup sOr. Per-
de fond du "Canard Enchaîné"• publie un recueil de ses plus importantes mettez-moi de vous citer un exemple.
chroniques sous le titre: "Cas de rage ». On y trouvera, sur le ton propre Un de ces farfelus, Jonathan Swift,
au fameux hebdomadaire non conformiste, des textes qui ont servi de l'auteur des Voyages de Gul/iver.
défense et d'illustration de l'es prit de liberté, de remise en question , qui qui écrivait voilà plus de deux cents
nous anime. Tels, par exemple, ces extraits d'une lettre aux " Savants de nos ans, attribuait aux astro-
d'Ailleurs •., c'est-à-dire aux Sages, techniciens et chercheurs d' éventuels nomes de son île f1ottante imaginaire.
mondes habités. C'est du Voltaire des environs du troisième millénaire. Laputa, la découverte de deux satel-
lites de Mars. Voici le passage en
question:
AUX SAVANTS DES AILLEURS " Ceux-ci (les astronomes de Laputa)
ont découvert deux petites étoiles
Messieurs, mal connus d'eux, avec défense aux ou satellites, qui accomplissent leur
C'est un vermicule à deux pattes, consciences profanes de rêver au- révolution autour de Mars. Le plus
un habitant du crottin Terre, qui delà du dernier mot des Gaudissarts près se meut à une distance de trois
vous parle. et des Vermots de la Science. diamètres du centre de Mars; l'autre,
L'heure est grave. C'est l'illustre Lavoisier niant l'exis- le plus externe, à une distance de
Sans doute , l'avez-vous déjà repéré tence des aérolithes. cinq diamètres. Le premier accomplit
du bout de vos télescopes, on est, C'est je ne sais plus quelle célébrité sa révolution en dix heures, le second
nous autres, Humanité, en train de médicale conseillant d'enfermer en vingt heures et demie.»
se décoconner timidement. Que, vus Daguerre à Bicêtre (deux mois avant Babillages! dit-on pendant près de
de chez vous, on ait encore plus la présentation, par Arago, du nou- deux siècles. Mais, cent soixante-
l'air, à bord de nos mécaniques, de veau procédé . à l'Académie des quinze ans plus tard, quand le pro-
moulins à ve nt que de gracieux lépi- sciences), la folie étant évidente, fesseur Halle, de Washington, par-
doptères, c'est probable. Mais nos d'un homme qui prétendait "c louer vint à découvrir les deux très petits
ailes se déchiffonnent et le jour n'est l'image humaine sur une plaque satellites de Mars, on eut l'extrême
plus loin où nous irons papillonner métallique "· surprise de constater que le profane
dans les étoiles. Ce sont les savants du Collège de Jonathan Swift avait deviné juste,
Cependant, Maîtres, ne vous faites médecine de Bavière formulant leur en dépit des ricanements de tous les
pas d'illusion: nos propres savants, veto contre l' introduction du pre- conformistes à diplômes ...
quand vous les verrez de près, ris- mier chemin de fer, la rapidité du Maîtres, il faut faire confiance à vos
queront de perdre beaucoup du pres- transport ne pouvant que provoquer poètes.
tige que vous leur prêtez peut-être des ébranlements cérébraux chez les Le jour où vous mettrez ce qui vous
à distance. Ces helminthes d' une passagers . sert de main sur le premier Spoutnik
spécialité, dans la tiédeur de laquelle C'est le savant Babinet niant la pos- d'origine terrestre venu coller l'oreille
ils jouissent d'une considération sibilité des câbles sous-marins. aux portes de votre monde, proba-
quelquefois méritée, sont éblouis, C'est le géologue Ëlie de Beaumont, blement le trouverez-vous peuplé de
stupides et gluants de préjugés, dès secrétaire perpétuel de l'Académie créatures bizarres, sacrifiées par
qu ' ils mettent le nez hors du fon- des sciences, niant l'existence de nous au Progrès.
dement natal. lis aiment ce chemin l'homme fossile. Ne vous frappez donc pas, si, d'un
battu. Butés, rêches , rechignés, on C'est le Dr Bouillaud, de la même coup <l'ouvre-boîte, vous libérez de
voit ces Papes infaillibles, comme Académie, hurlant, le 11 mars 1878, l'engin un singe, un perroquet, un
!'A utre, d'une tglise comme !'A utre que l'invention du phonographe âne, un porc, un bouc, un paon.
dogmatique, hargneux devant l'hé- n'est qu'une imposture de ventri- une oie , un Dario Moreno. Et si.
résie, combattre des progrès, qu ' ils loque. à la vue de ces bêtes, un de vos
se targuent pourtant d'ê tre les seuls C'est Vulpian, doyen de la Faculté poètes s'écrie: "Salut, les Hommes,
capables de soutenir. de médecine, membre de l' Institut, et tant pis si je me trompe! », ne le
Les exemples fourmillent dans notre niant qu'il pOt exister un microbe rappelez pas à l'o rdre.
histoire, de ces ignorants de parti de la tuberculose, etc.
pris, diplômés comme trente-six ... Maîtres, si nos savants prennent Même quand il a tort, le poète a
bourriques de concours, qui se sont volontiers leur modeste horizon pour raison.
prononcés ex cathedra sur des sujets les bornes du cosmos, nous avons, Jf.ROME GAUTHIER.

144
A lire
1
Monsieur G .•• , président des États-Unis? 1c_: ::U~UÉ~U~~,~- -J 1
Le Bulletin d'informations du Un appareil à détecter
parti républicain amencam
publie un article où on relève les malades mentaux
toutes les analogies entre le
destin de Lincoln et celui de Le docteur français Jean-Bernard
John Kennedy. li y a plus de Baron a inventé un appareil qui
soixante coïncidences: à croire donne l'image électronique de la sta-
que !'Histoire se répète entiè- bilité d'un patient. Cette image
rement. Lincoln est élu en 1860, permet le diagnostic de toute une
Kennedy en 1960. Leurs femmes gamme de maladies: déséquilibre
perdent un enfant durant la durée mental troubles musculaires, etc.
de la présidence. Lincoln et L 'app~reil du docteur Baron appelé
Kennedy sont tués par derrière " balancemètre" est très simple et
d'une balle en présence de leur basé sur une constatation des psy-
femme, et l'assassin supprimé chiatres: les mouvements involon-
avant qu'on puisse le juger. Lee taires et les réflexes de compen-
Oswald tire sur Kennedy d'un sation. On prend place, au garde-à-
entrepôt et va se réfugier au vo us, sur une petite plate-forme
cinéma. John Wilkesbouth tire semblable à une balance de salle
sur Lincoln au théâtre et va se de bains. Pendant une minute, toutes
réfugier dans un entrepôt. A les contractions du corps, les mou-
De Lincoln à Kennedy: vements imperceptibles sont enre-
Lincoln, succède Andrew Johnson, d'étranges coïncidences.
né en 1808. A Kennedy succède gistrés et analysés par des appareils
Lyndon Johnson, né en 1908. Le
(Photos Keystone). électroniques. Une personne nor-
secrétaire de Lincoln s'appelait male placée dans ces conditions
oscille légèrement d'avant en arrière.
Kennedy et l'avait averti de ne
Chaque fois qu'elle commence à
pas aller au théâtre. Le secré-
perdre son équilibre, elle se rattrape
taire de Kennedy s'appelait
et revient à sa position première:
Lincoln et l'a averti de ne pas le réflexe compense continuellement
aller à Dallas. On a cherché à le mouvement involontaire. C'est
utiliser ces coïncidences pour surtout le temps de réflexe qui est
prédire l'avenir : Andrew Johnson intéressant.
fut remplacé à la Maison
Quand il s'agit d'un malade don~ I.e
Blanche par un républicain dont système nerveux est instable, dese-
le nom commençait par un G. Le quilibré, le mouvement de balancier
candidat républicain à la prési- est plus accentué. Une personne
dence s'appelle Goldwater. Sera- atteinte de schizophrénie, par
t-il élu? John Wilkesbouth est exemple, aura nettement tendance
né en 1839. Lee Oswald est né à basculer vers l'ava nt. Un
en 1939. Quant à l'explication anxieux, par contre, se laissera
rationnelle de ces coïncidences déporter de droite à gauche et
dont le nombre dépasse soixante, éprouvera beaucoup de difficultés à
personne n'en a une à proposer. retrouver son équilibre. Même les
anomalies purement physiques
peuvent être détectées.

145
Médecine
11
ARCHEOLOGIE
il A l'aube de la civilisation?
Le début de la civilisation n'a cessé de reculer à mesure que pro- Pennsylvanie, a découvert des habi-
gressait l'archéologie. Champollion situait cette naissance en Egypte, tations troglodytiques dans lesquelles
il y a 5 à 6 000 ans. Avec la découverte des Sumériens, l'histoire de se trouvaient des outils aratoires.
l'humanité recula d'un millénaire. On en était donc à 7 000 ans, il y Les plus récentes datations donnent
7 000 ans avant J.-C., mais l'occu-
a une dizaine d'années. Depuis lors, les découvertes se sont succédé pation semble avoir été constante
au Moyen-Orient, et l'on en est _,.;., •7, durant 15 000 ans. Les fouilles sont
aujourd'hui à explorer les vestiges en cours et l'on espère trouver le
de civilisations remontant à 8 ou stade de transition correspondant à
9 000 ans avant l'ère chrétienne. la découverte de l'agriculture.
Précisons tout d' abord le problème:
qu'entend-on par la naissance de la POINT FINAL?
civilisation? Au paléolithique.
l'homme vivait en hordes semi· A plusieurs milliers de kilomètres de
nomades, subsistant grâce à la cueil- là, en Macédoine, des archéologues
lette et à la chasse. Avec la décou- de Harvard et de Cambridge ont
verte de l'agriculture et de l'élevage, découvert les restes d'un village
tout change. La communauté se fixe, datant de 6 200 ans et révélant des
se structure, se différencie; bientôt vestiges d'une activité agricole.
apparaît le cadre urbain . La civili- De toutes ces recherches en cours,
sation est née. On peut donc établir il résulte que, dès six mille ans avant
un rapport certain entre la cité et la J .-C., des foyers de civilisation exis-
civilisation. taient un peu partout au Moyen-
Orient, et que le passage à la vie
JERICHO: - 7 000 ANS agricole, puis urbaine à dO suivre de
très peu la fin de la dernière gla-
Or, précisément, on amène au jour ciation. Le premier paysan, il y a
actuellement des vestiges de cités 12 000 ans, la première ville, il y a
beaucoup plus vieilles que tous les 10 000 ans? Il semble que, cette fois,
vestiges connus. Les premières trou- on ait bien atteint l'aube de la
vailles furent effectuées sur le site La civilisation est-elle civilisation.
de Jéricho en 1956 (Gilbert Case- née à Jéricho?
neuve en a rendu compte dans le (Photo Rogcr-Viollet).
numéro 6 de Planète). La datation a11 Le linéaire B à T hèbes
carbone 14 de restes organiques avant J.-C. L'exploration du site nt
recueillis dans la cité donnèrent la fait que commencer, mais il apparaît L'on sait que le linéaire B est une
date ahurissante de 6 800 ans avant déjà que les habitants de Chatal sorte d'écriture que l'on a découverte
J.-C. On faisait tout à coup un bond Huyuk possédaient une véritable en Crète et qui fut déchiffrée par
de près de deux mille ans en arrière' culture, avec une hiérarchie sociale, Ventris. Or, dix tablettes d'argile de
Mais les travaux ont continué à un art pictural, une religion, etc. linéaire B viennent d'être trouvées
Jéricho et, tout récemment, le direc- Des niveaux inférieurs restent encore en Grèce, à Thèbes . Toute possi-
teur des antiquités jordaniennes à à explorer, qui révéleront proba- bilité de mystification paraît devoir
Amman, M. Awni Dajani, annonçait blement une civilisation plus primi- être éliminée.
que de nouvelles trouvailles avaient tive à une date encore plus reculée. Les conséquences de cette décou-
révélé 10 000 ans d' âge. La civili- Mellaart estime que cette origine verte sont énormes. Thèbes apparaît,
sation était-elle née à Jéricho? pourrait remonter à la fin de la der- comme une colonie de Knossos, le
li eût été bien témérair.: de l'affirmer nière grande glaciation, soit l 0 000 ans centre de la civilisation crétoise.
car, au même moment, le directeur avant notre ère Et Knossos semble avoir survécu au
adjoint de l'Institut d'archéologie Doit-on dire que la civilisation com- désastre de 1400 av. J.-C. L'archéo-
d'Ankara,J. Mellaart, découvrait en mence à Chatal Huyuk? Encore une logie officielle se trouve en déroute
Anatolie, à Chatal Huyuk, les restes fois, il faut retènir son Jugement. et les hérétiques de l'archéologie,
d'une cité qui révélait une civili- Fouillant au nord de l'Afghanistan, Palmer en particulier, peuvent
sation déjà avancée 7 à 8 000 ans Louis Duprée, de l'université de triompher.

146
A savoir
r--------------, de permettre de futures applications riences. On sait qu'il s'agit là d'une
dans la conquête de l'espace. Pour des exigences fondamentales de la
· PARAPSYCHOLOGIE 1
' les Soviétiques, ces recherches de- méthode scientifique. Un célèbre
1
vraient aboutir à la création d' un neurophysiologiste américain, Je
" enregistreur de pensée" et per- docteur A ndrijà Puharich, poursuit
Les cosmonautes mettre la communication de pensée des recherches de même nature.
à grande distance ... Sous le contrôle li estime que l'expérience la plus
communiqueront-ils par de l'Académie des sciences de intéressante sera réalisée lorsqu'un
télépathie? !' U.R.S.S., huit centres de recherches homme aura été placé sur une orbite
parapsychiques ont été créés sur des où la force gravitationnelle sera
Dans leur programme spatial, les bases scientifiques rigoureuses. Si les égale à zéro, par exemple en un
Soviétiques font une large part à résultats obtenus sont seulement point de l'espace situé entre la Terre
un des problèmes les plus passion- 50 "7c aussi concluants que les cher- et la Lune où la gravitation est
nants posés à la science moderne: cheurs le proclament, alors les annulée. Un expérimentateur serait
quelles sont l'origine et la nature Russes seront les premiers à com- placé sur la Terre, un autre dans le
de certains phénomènes électro- muniquer de cerveau à cerveau avec laboratoire spatial. Le docteur
magnétiques mettant en communi- une colonie implantée sur la Lune. Puharich pense que dans ces condi-
cation deux organismes vivants? Les Russes estiment que leur tions la capacité télépathique de
Jusqu'à une date récente, les phéno- approche des phénomènes para- l' un et de l'autre serait considé-
mènes parapsychologiques ont géné- normaux doit être physiologique rablement accrue.
ralement été ignorés par les savants et non psychologique et qu'elle doit Les expenences poursuivies en
occidentaux. Cependant, la plupart utiliser tous les moyens de l'élec- U R.S.S., aux U.S.A. et dans d'autres
des hypothèses émises à leur sujet tronique et de la cybernétique pour pays ne sont pas toutes nouvelles ;
retiennent désormais l'attention des prouver la réalité de ces mystères l' importance qui leur est accordée
milieux scientifiques . Aux Etats-Unis cérébraux et les contrôler. Aucune par contre est révolutionnaire.
même, des expériences portant sur explication rationnelle n'a encore
les rapports entre un champ de par- été avancée. Cette lacune provient C'EST DE QUI?
ticules physiques et un champ psy- de la difficulté essentielle de ces
chique (dont l'existence n'a pas études, à savoir qu'il est impossible Dans les lignes ci-dessus, nous ne
encore été démontrée) sont pour- de répéter à volonté les phénomènes faisons que reprendre à notre
suivies sans relâche. observés. L'un des premiers objectifs compte l' essentiel d'une communi-
Cette approche scientifique est néces- de la recherche moderne en ce cation faite à ses collègues du
saire afin de vérifier la valeur des domaine est d'arriver à répéter en monde entier par le chef de la délé-
théories avancées. et surtout afin laboratoire et à volonté les expé- gation américaine au dernier Congrès
mondial de l'astronautique. li ne
s'agit pas des réflexions d'un savant
inconnu reproduites par une revue
russe ou américaine. Ces paroles
ont été solennellement prononcées
à Paris dans Je cadre du Palais de
!'Unesco, il y a quelques mois, et
tous les écrivains scientifiques fran-
çais ainsi que les chercheurs de
toutes les disciplines ont pu soit
les entendre, soit en prendre con-
naissance dans les comptes rendus
officiels du Congrès. Nous n'avons
donc pas tort de penser que certains
domaines maudits méritent d'être
explorés systématiquement. Nous
n'avons donc pas tort non plus de
croire que la hiérarchie entre les
différentes branches de la connais-
sance n'est pas forcément définitive
telle qu'elle a été établie au
XIX' siècle et que telle discipline
longtemps ignorée, aujourd 'hui dé-
criée, peut devenir essentielle

147
Parapsychologie
L'Eglise en mouvement
Beaucoup de critiques ont cru voir dans la première Encyclique de construite selon un schéma iden-
Paul VI, Ecclesiam Suam, comme un coup de frein donné par le tique, qui est, lui aussi, tripartite.
nouveau pape, à la veille de la troisième session du Concile En face d'une dynamique des forces
techniques, psychologiques, spiri-
Vatican II, sur la voie du rajeunissement et de l'œcuménisme où tuelles qui bouleversent le monde
Jean XXIII a lancé l'tglise romaine . Il s'y révèle, au contraire, à moderne dans sa conscience, dans
mon sens, comme un éminent stra- " Du visage réel... à l'image idéale». ses structures, dans ses moyens de
tège des batailles spirituelles, alliant Ce qui frappe à la lecture de ce communication, se confirme pour
au plus haut niveau l'audace et la texte, c' est l'expression maintes fois l'Église l'obligation de tenir compte
prudence. Si le personnage de renouvelée des idées de progrès et de ces courants d'évolution à ces
Jean XXIII s'était parfaitement de développement et leur appli- différents plans, c'est-à-dire d'appro-
accordé à la sensibilité contempo- cation, non seulement aux structures fondir sa propre conscience d'elle-
raine, c'est dans la pensée la plus hiérarchiques et communautaires de même en la purifiant de la poussière
moderne que son successeur cherche l' Église, mais à la conscience histo- des siècles; de mieux dégager les
des consonances. Son audace me rique qu ' elle peut avoir de sa nature institutions et les doctrines, en ce
paraît inégalée jusqu 'ici dans aucun mystérieuse, de sa doctrine, de sa qu'elles ont d'essentiellement divin,
document pontifical. Il use même à mission . Chacune des trois parties des inévitables revêtements humains
plusieurs reprises de certaines for- de !' Encyclique, " la conscience, qu'elles ont pris dans !' Histoire et
mules incisives qui percent l'enve- le renouvellement, le dialogue», est qui ne sont que transitoires; de
loppe généralement ouatée du style
ecclésiastique. Mais il sait que les
plus grandes entreprises n'ont de
chance d'aboutir que si elles sont
conduites avec circonspection.
UNE VOLONTÉ DE PROGRËS
Dès le prologue, il se dresse contre
les tentations de l' inertie et de la
stagnation. li rejette toute concep-
tion statique et immobiliste d'une
Église qui se croirait parfaite depuis
sa naissance. li n' hésite pas à
déclarer de l' Église de Rome que
" son expérience spirituelle inté-
rieure et que son effort apostolique
extérieur évoluent rapidement et
laborieusement ». Il n'a pas peur
ensuite de " confronter à l'image
idéale de l' Église, telle que le \ \,
Christ l'a voulue,. .. le visage réel que

\
l'Église présente aujourd'hui », pour
en conclure à la nécessité de «cor-
riger les défauts de ses propres
membres .. ., de les faire tendre à une
plus grande perfection .. ., d'entre- t,
prendre les réformes ». Mais cette
confession, si je puis dire , loin de
ressembler à une délectation morose
\ )
~
dans un aveu complaisant des fautes 1,
commises, est constructive et sert de
tremplin à un programme des plus De Jean XXIII à Paul VI: /'approfondissement d'une même pensee.
dynamiques et des plus ouverts :

148
A savoir
s'ouvrir par le dialogue aux formes tout seul? On ne saurait s'étonner
nouvelles des relations humaines.

Entre ces deux pressions du monde


extérieur et de l'obligation inté-
sans quelque ingénuité que le pape
condamne l'athéisme; mais l'analyse
qu ' il fait des raisons de l'athée
mérite d'être soulignée pour une
li BIOLOGIE
il
rieure, parfaitement admises et compréhension qui ne s'était jamais
exprimée en de pareils termes.
On apprend à lire
décrites, des précautions s' imposent,
au sein même de l' Ëglise, pour que le code génétique
cette confrontation résolue avec le LA VËRITË DES AUTRES
monde d' aujourd'hui ne tourne pas à Six mille biologistes se sont réunis à
la confusion De tels paragraphes, ils sont nom- New York à l'occasion du 6' Congrès
breux et il en est de plus topiques, international de biochimie. Une
Je crois qu ' il faut se placer à l'inté- devraient, à mon sens, atténuer les découverte a marqué cette reunion:
rieur de cette dialectique, pour inquiétudes que suscitent chez cer- il s'agit d'une nouvelle méthode qui
comprendre le sens de cette Ency- tains catholiques les passages sur doit permettre de dresser le diction-
clique extraordinaire. Si l'on arrête l'Ëglise du silence, sur les préroga- naire complet du code génétique.
le balancement de la pensée sur une tives de la papauté, etc. Rome Ce système de codage permet à la
formu le isolée, on peut craindre en reconnaît les fautes et les erreurs vie d' inscrire dans une molécule
effet un recul ou, au contraire, extra- de ses fidèles, mais Rome ne saurait d'acide désoxyribonucléique (A .D.N.)
poler une audace. Ce serait, à mon abdiquer. Quand tout change autour le schéma de toutes les unités fonda-
sens, une erreur d'optique. Si cer- d'elle, elle reste un principe de stabr.- mentales ou protéines qui forment
taines formules précautionneuses lité. Ce qui me paraît nouveau et un individu. Celles-ci, à leur tour,
paraissent excessives à certains gage de progrès, c'est que ce prin- sont formées d'unités plus simples:
esprits, ne sont-elles pas compensées cipe s'ouvre lui-même à un «dia- les acides aminés. La nature utilise
par certaines audaces qui sont logue vitalisant », conçu comme une vingtaine de ces acides. Tout le
extrêmes? C' est dans leur synthèse « un art de la communication spiri-
dynamique qu'il convient de chercher tuelle•>, se déroulant dans « un
la conciliation. Par exemple, il climat d'amitié» et prêt à « découvrir
définit lumineusement le rôle de la des éléments de vérité également
conscience réflexive: " L'exercice dans les opinions des autres». Les
de la conscience révèle toujours membres de l'Ëglise de Rome sont
mieux à qui s' y livre le fait de l'exis- simultanément invités à reconnaître
tence de son être propre, de sa leurs propres fautes et à découvrir
propre dignité spirituelle, de sa la vérité des autres, mais, et voici
propre capacité de connaître et l'éternel balancement des devoirs
d'agir.,, Mais en conclura-t-on que difficiles, sans tomber dans Je rela-
l'évolution de la conscience serait tivisme. le quiétisme ou la confusion .
génératrice d' une nouvelle Ëglise?
Cet art est« plein de risques», car il
UN BALANCEMENT SUBTIL exige à la fois d'« aller dans le sens»
de l'interlocuteur et d'approfondir la
Je ne connais pas non plus d' analyse conscience qu'a le catholique du
phénoménologique du dialogue plus caractère authentique de son Ëglise.
précise et plus profonde que celle Alliance de l' audace et de la pru-
qui se développe dans la troisième dence, mais dans l'amour. Ce monde
partie de !' Encyclique, ni plus res- extérieur pétri de bon et de mauvais
pectueuse des lentes démarches de la joue un peu le rôle, au sens existen-
liberté de l'homme vers un épanouis- tialiste du terme, de médiateur d'un
semen t personnel émanant des pro- ptogrès intérieur de l'Ëglise d'ici-
fondeurs: « Le dialogue du salut a bas, l'aidant à passer d'une situation
connu normalement une marche à une autre, où certaines de ses
progressive, des développements structures et attitudes apparaîtront
successifs; le nôtre aussi aura égard comme renouvelées. « Le travail
aux lenteurs de la maturation psy- commence aujourd'hui, conclut le
chologique et historique et saura pape, et ne finit Jamais . " L'athéisme
attendre l'heure où Dieu le rendra est-il justifié pour autant? Un modele pour apprendre
efficace.» En conclurait-on qu ' il à lire /'hérédité.
faut laisser l'œcuménisme mûrir JEAN CHEVALIER .

149
Biologie
Le dictionnaire du monde moderne

La science et la technique enrichissent le vocabulaire Les études menées jusqu'à présent par les physiciens
à mesure qu'elles progressent. Ce n'est pas seulement ont révélé l'existence de deux neutrinos différents
le spécialiste qui a besoin de définitions nouvelles; et de deux antineutrinos évidemment, mais elles ont
c'est l'homme de la rue s'il veut comprendre le monde surtout permis à Lee et Yang de montrer que, dans
dans lequel il est jeté. Nos lecteurs trouveront désormais le monde des particules, la droite ne vaut pas auto-
régulièrement dans cette rubrique, des explications matiquement la gauche. On pensait jusqu'alors que
claires sur un, deux ou trois termes qui font partie du les particules tourbillonnaient indifféremment vers
langage de base de notre époque. la gauche ou vers la droite. Le neutrino ne connaît
pas ces incertitudes. Il tourne toujours dans le sens
Neutrino : contraire d'un tire-bouchon par rapport à la
Une particule qui ne pèse pratiquement rien, qui se direction de son mouvement. L'antineutrino tourne
déplace à la vitesse de la lumière, qui ne possède en sens inverse.
aucune charge électrique, et peut se promener Mais on attend bien d'autres révélations des neu-
durant des millions de kilomètres au sein de la trinos. On en est aujourd'hui à se demander si
matière sans manifester sa présence: ce « fantôme» certaines galaxies sont faites en antimatière. Si
de la matière, c'est le neutrino. En 1930, le physicien l'on pouvait étudier le rayonnement neutrinique
Pauli en postulait l'existence parce qu'il était néces- qu'elles émettent, on aurait tout de suite la
saire pour équilibrer l'équation de la désintégration réponse. De même l'étude des neutrinos émis par
bêta. Piéger un tel fantôme est évidemment une opé- les étoiles nous renseigneraient sur l'intimité stellaire
ration des plus délicates. Elle fut réussie en 1955, alors que le rayonnement électromagnétique
dans le synchrotron géant de Brookhaven. Mais qu'observent les astronomes ne donne des indi-
pour y parvenir, les physiciens américains avaient dû cations que sur les couches extérieures.
accumuler un formidable barrage de matière de Hélas! Toutes ces possibilités restent absolument
22 mètres d'épaisseur, pour finalement observer théoriques car on ne voit pas, pour l'heure, comment
55 neutrinos. étudier un rayonnement que rien n'arrête. Toutefois,
Pourtant il s'agit d'une particule très abon- le neutrino pourrait peut-être fournir la réponse
dante dans l'univers. On peut la comparer à la à l'un des plus grands mystères de la physique
cendre des réactions nucléaires. Toutes les étoiles contemporaine: celui de la gravitation. Selon le
sont de puissants émetteurs de neutrinos et la Terre grand physicien britannique Dirac, le mystérieux
en reçoit en permanence un grand nombre du agent de la gravitation universelle, que l'on traque
Soleil. Mais, pour l'heure, il est absolument impos- depuis qu'une pomme réveilla brutalement un certain
sible d'intercepter ces « petits neutres» qui tra- Newton, se rait tout simplement le neutrino. Si cette
versent en se jouant tous les obstacles, notre globe hypothèse se confirmait, feu le neutrino n'aurait
compris . plus qu'à être baptisé: le graviton.

problème est donc de désigner dans courtes chaînes d' acide nucléique lettres permet de former 64 " mots»
la molécule d' A.D.N. les différents artificiellement montées et en ob- alors qu' il n'existe que vingt acides
acides aminés qui devront être suc- servant les acides aminés choisis, aminés. On a déjà constaté que
cessivement utilisés. Pour cela, quatre on pouvait déduire la signification certains acides ont plusieurs noms.
bases chimiques, adénine, thymine, du triplet introduit. Toutefois, cette Toutefois, on n'a pas encore réussi
guanine et cytosine, sont utilisées méthode ne permettait pa> de à trouver une signification à chaque
comme lettres. Le nom d'un acide connaître l'ordre des lettres dans le triplet. Ceux qui contiennent une ou
aminé s'inscrit avec trois lettres. triplet. La valine, par exemple, plusieurs fois la cytosine semblent,
Le premier triplet identifié signifie s'écrivait avec deux fois thymine et difficilement compréhensibles.
phénylalanine. une fois guanine, mais on ne savait
pas l'ordre exact des lettres: T.T.G., Mais, déjà, les biologistes s'attaquent
La méthode utilisée était celle du T.G.T., ou G.T.T. En perfectionnant à un autre problème: celui de la
"cell free system». Il s'agissait d'une le" cell free system•>, les Américains ponctuation, car un code est inutili-
sorte de broyat de cellules, mais Niremberg et Khorana sont parvenus sable en l'absence d'une ponctuation,
comportant encore des ribo>omes, à déterminer la structure exacte du En l'état actuel des choses, on en
organes dans lesquels s'effectue le triplet. Valine s'écrit G.T.T. ignore absolument la nature: sa décou-
montage des protéines d'après le Les chercheurs ne sont cependant verte, qui interviendra vraisembla-
schéma écrit en code génétique. En pas encore au bout de leurs peines. blementdans les années à venir, consti-
mettant dans ce milieu de très En effet, ce système de code à trois tuera une grande victoire en biologie.

150
A savoir
a voi•
Cinéma
Un tour du monde
li y a dix ans naissaient les Cinémas d' Art et d'Essai, consacrés à la sades ». Pendant toute la saison 1964-
projection de films présentant un intérêt culturel et, de ce fait, jugés 65, le public pourra découvrir
peu commerciaux ... Les statuts de I' Association qui groupait ces chaque mois un pays nouveau, à
salles prévoyaient, entre autres catégories de films à présenter, ceux raison d'un film différent chaque
jour pendant une semaine. En
qui« reflètent la vie d'un pays dont la production cinématographique outre, chaque semaine cinématogra-
est assez peu diffusée en France». étant interdit dans les salles pari- phique sera le prétexte à une expo-
Cette clause, jusqu'alors négligée, siennes officielles, comme l'étaient sition d'art, de folklore et de
Henri Ginet a décidé de la pro- tous les artistes allemands pendant panneaux d' information sur le pays
mouvoir cette année dans son l'entre-deux-guerres revancharde. concerné, dont l'organisation est
cinéma, " le Ranelagh », où il orga- Après 1914, le théâtre fit l'acqui- confiée aux ambassades. Plus qu'à
nise le " Cinéma des Ambassades»: sition d'un écran et poursuivit sa une simple projection de films, c'est
chaque mois, une semaine sera destinée sans histoire jusqu'en 1956. à une véritable visite en pays
consacrée aux films de pays dont la A cette date, Henri Ginet en devint étranger que devra se sentir convié
production nous est peu connue tels le propriétaire et le transforma le spectateur qui franchira les portes
le Pakistan, la Malaisie, la Bulgarie. immédiatement en Cinéma d' Art et du « Ranelagh ». Chaque semaine
d' Essai. Parallèlement, étant peintre sera inaugurée par une soirée au
UN BRILLANT PASSE lui-même, il décida de consacrer à cours de laquelle couleront à flot les
la peinture les vastes cimaises des alcools nationaux. Un soir par mois,
Cette manifestation culturelle est galeries du théâtre. le théâtre du Ranelagh connaîtra a
bien dans la tradition du brillant Tel est donc le décor dans lequel se nouveau les fastes du Grand Siècle.
passé de la salle du Ranelagh. C'est déroulera le «Cinéma des Am bas- JACQUELINE GIRAUD.
en 1755 qu'Alexandre Le Riche de la
Poplinière fit construire un élégant
petit théâtre, dans le parc du château
de Passy dont il était locataire à vie. 't
A une époque où fleurissaient les
salons littéraires et philosophiques,
La Poplinière, lui, fut le protecteur
des musiciens, et plus particuliè-
rement le mécène de Rameau qui
composa au Ranelagh certaines de
ses œuvres les plus prisées. La
musique rythmait le déroulement
d'une journée au château de Passy.
Le matin,.l'orchestre répétait sous la
direction du compositeur; il pré-
ludait au souper et prolongeait ses
exécutions fort avant dans la nuit.
Aujourd'hui, le parc a disparu, rem-
placé par des immeubles modernes.
Mais le théâtre demeure, tel qu'il
fut reconstruit en 1890 par l'indus-
triel Mors, également mécène et Bulgarie: un appel ardent à l'amour entre les hommes.
amateur de musique. C'est lui qui
fit créer « l'Or du Rhin,., Wagner

151
Cinéma
PEINTURE
Paris n'est plus roi
La saison 1963-64, qui n'avait pas trop mal débuté, avec la III· Bien- boycott de l' institution vénitienne,
nale des Jeunes Artistes 1 , a connu par la suite bien des creux et des il n'y a qu'un pas. Nos Cassandres
flottements. La nette reprise du printemps laissait présager une l' ont franchi.
Avec quelle mauvaise foi! Ca r il faut
apothéose en feu d ' artifice : Jean Paulhan a présenté au Musée
bien reconn aître que , cette ann ée à
municipal d ' art moderne le plus « NRF » de nos grands peintres Venise, la victoire a méricaine éta it
contemporains, Jean Fautrier; l' his- en ce domaine: sur les 16 Gra nds méritée, d'autant plus que la France,
torien Patrick Waldberg a organisé à Prix de peinture et de sculpture par un choix anachronique et
la galerie Charpentier la première décernés à Venise entre l 948 et 1962, médiocre, s'était mise d 'elle-même
grande rétrospective scientifique du l'f.cole de Paris peut en revendiquer et par avance hors de la compétition.
surréalisme, malgré l' opposition des 12: Braque , Matisse , Zadkine, Dufy, Et puis Venise s'est lassée de son rôle
" orthodoxes " du mou vement , Calder, Max Ernst, Arp, Villon, académique de consécration a poste-
groupés autour de leur pape , André Fautrier, Hartung, Manessier, riori: vingt an s nous séparent de la
Breton; enfin le Salon de Mai, Giacometti. L'habitude est une Libération et un besoin de chan-
doyen des Salons de l'après-guerre , seconde nature; la victoire amé- gement, correspondant à la montée
a fait peau neuve pour ses vingt ans, ricaine est un crime de lèse-majesté d'une nouvelle génération, s'est fait
allant jusqu 'à accueillir aux places et le sentiment de frustration est sentir. A Rauschenberg la France
d'honneur le dernier cri de l'avant- aggravé encore par la jeunesse du opposait Bissière; au pionnier d'une
garde new-yorkaise: le pop-art 2, vainqueur: 39 ans! Rauschenberg vision nouvelle, le symbole véné-
courant d 'inspiration populiste qui bat tous les records de précocité rable d'une hiérarchie de valeurs
puise ses thèmes dans le réalisme dans la gloire, alors que Matisse a établies. Le jury a opté pour
quotidien de la vie urbaine aux USA , été couronné à 81 ans et Dufy à 75 ! l'avenir contre le passé. Le commis-
dan s les images les plus bana les de Mais ce qui met un comble à la sa ire chargé de la sélection française
l' usine et de la rue (des fétiches fureur de nos bons apôtres, c'est que à Venise avait pris l'option inverse.
de propagande aux bandes dessinées ce peintre américain, étonnamment Où sont les vraies responsabilités?
des romans d 'aventure) - et dont les doué, est l'inventeur d'un style
adeptes recourent volontiers aux original, à mi-chemin entre la pein- FAIRE UN EXAMEN
techniques industrielles de la publi- ture et la sculpture (collages d'objets DE CONSCIENCE
cité et du journalisme, bouleversant et de reports photographiques dans
ainsi les recettes traditionnelles cle la un contexte pictural expression- Un examen de conscience, au heu
peinture . niste). Les " combine-paintings ,, de ce concert de pleurs hypocrites,
Malgré la controverse surréaliste et de Rauschenberg sont des créations serait tout indiqué. Mais non.
l'arrivée des beatniks de la peinture , aussi révolutionnaires que le furent Depuis cinq ou six ans, c'est-à-dire
la saison a fait long feu. Elle agonise à leur époque les papiers collés depuis que le monde ne se berce
dans la consternation , la panique, la cubistes, les collages de Schwitters plus d'illusions à son égard et que
colère . A en croire la presse artis- et les ready-made de Marcel la France doit payer comptant les
tique, Paris, victime d ' une machi- Duchamp. Le pop-art s'en réclame frais de sa politique passéiste, le
nation mondiale, a été trahi . Un et le lauréat de Venise est - bien même scénario se répète invaria-
coup irrémédiable a été porté à malgré lui - l'idole de la nouvelle blement: plutôt que d'affronter la
l'art français , et à travers lui à vague new-yorkaise. L'affaire prend réalité des faits, on crie à la trahison.
l'ensemble de la culture occidentale . dès lors des proportions nouvelles: le Cette mythomanie désuète serait
Pourquoi cette vague d 'indignation? pop-art, traité au Salon de Mai risible si elle ne trahissait une crise
Parce qu'un jeune artiste américain , comme une denrée exotique et un plus profonde sous les faux-fuyants:
Robert Rauschenberg , a reçu le objet de curiosité, devient désormais le manque de foi en l'avenir, le refus
Grand Prix de peinture de la l'incarnation moderne de l'anti- de l'engagement, une confusion
Biennale de Venise 3 . peinture, le plus redoutable des intellectuelle qui est le fruit d'un
péchés contre l' esprit. Le Prix de pessimisme fondamental. Ces esthé-
UN CRIME DE LËSE-MAJESTf. Rauschenberg n'est plus un simple ticiens dogmatiques qui font si grand
« coup bas» porté au prestige cas de la tradition française ne
Le sacrilège est double. D'abord parisien mais un attentat contre croient pas au devenir de l'art
parce qu'il vient rompre une tra- I' Art, une trahison de la Culture. moderne. Le culte qu'ils vouent à la
dition implicite, devenue chasse De là à décréter que l'Occident est " bonne » peinture n'est que le para-
gardée, celle du monopole français en péril de mort, à en appeler à un vent de leur défaitisme intellectuel.

152
Avoir
servi qu'à hâter l'éclosion de la
peinture yéyé.
Voilà où nous en sommes: Paris
manque de ressort, il fait de plus en
plus province. Ses grands débats
esthétiques sombrent dans les que-
relles de clocher. 11 désapprend peu
à peu à voir grand, il se replie et
s'isole dans un contexte international
en radicale évolution.

MANQUE DE RESSORT
Force nous est de constater qu 'e ntre
septembre 1963 et octobre 1964 les
événements principaux qui jalonnent
la vie mondiale des arts se seront
déroulés en dehors de Paris: Bien-
nales de Sào Paulo et de Venise,
Prix Guggenheim de peinture
(10.000 dollars) à New York, Bilan
d'une décennie (1954-64) à la Tate
Gallery de Londres, Bilan d' un
demi-siècle (Documenta Ill) à
Cassel. Sur des problèmes aussi
brûlants que le retour à une nou-
velle figuration, les musées d'Ams-
terdam, de La Haye et de Gand
auront pris position avant Paris.
Tout se passe comme si l'axe des
confrontations internationales en
matière d'art évitait la capitale
française et s'en éloignait de plus en
plus délibérément, comme si, paral-
lèlement aux structures de la vie
parisienne et en dehors d'elles
s'était développé un réseau de plu~
en plus vaste d'information ,
d'échanges et de contacts.
S'il est vrai que Paris paie en ce
moment la dette morale d'une trop
longue hégémonie artistique, ne
tentons pas de minimiser la part

-
de responsabilité qui est la nôtre.
Au-delà du défaitisme de nos spécia-
listes et de la sclérose de nos ~
Le Prix de la Biennale de Venise à Rauschenberg:
un coup bas porté à l'art? 1. La Biennale de Paris, créCe en 1959, est une
exposition internationale réservée aux JCUnes
Leur colère ne doit pas faire illusion. municipal d'art moderne, sous le artistes de moins de 35 ans. Elle connaît un
succès croissant.
au fond d'eux-mêmes ils sont déjà titre de" Mythologies quotidiennes», 2. « Pop-art ": abrévation-label du " popular
intoxiqués, vaincus, et ils appellent une exposition de pop-art à la art " que nous devons au critique anglais
de tous leurs vœux cette mort de française: de l'américanisme hâtif, Lawrence Alloway.
3. La Biennale de Venise, créée en 1895, en est
l'art contemporain qu'ils brandissent mal digéré par de faux blousons à sa XXXIl· session. Elle s'est déroulée sans
comme un épouvantail. Par surcroît noirs. La majorité des participants interruption depuis 70 ans, sauf pendant les deux
la petite histoire parisienne vient n'a pas trente ans et hier encore conflits mondiaux (1914-20 et 1941-48). Les
ces autodidactes étaient inconnus. deux Grands Prix de peinture et de sculpture
leur donner raison. En plein scan- qu'elle décerne tous les deux ans sont un peu
dale de Venise s'ouvre au Musée La campagne "anti-pop" n'aura les Prix Nobel du monde des arts.

153
Peinture
fonctionnaires', il y a le confor-
misme intellectuel et la prétention
de toute une élite, la profonde indif- Moretti: la fureur de peindre
férence de tout un public . Le
1-rançais est rarement amateur d'art, Une machine à peindre électronique, qui lui permettrait, en
collectionneur et à plus forte raison appuyant sur les touches d'un clavier, à Nice, de projeter des éclairs
mécène. Les structures et la répar- de couleur sur une surface à New York où à Yokohama - un métier
tition de notre capital national se
prêtent difficilement à la constituti~rn
à tisser géant et permanent, qui lui fournirait. une to~le con~inue,
de ces puissantes fondat10ns pnvees unique, enregistrant tout, de son premier essai de pemture a son
qui . ailleurs jouent un rôle essentiel dernier paraphe - une fresque de six Raymond Moretti est un cas. Alors
dans la vie de l'art et sa diffusion: kilomètres, un système pour colorier que le vent soufflait dans le sens du
Fondation Guggenheim de New les rues des grandes cités par héli- non-figuratif, il peignait avec fureur
York, Carnegie 1nstitute à Pittsburgh,
coptère, un spectacle " total» de de vrais clowns, des gratte-ciel, des
Cercle culturel de la fédération des sons, d'images et de couleurs - tels joueurs de jazz, des taureaux ago-
industries allemandes à Cologne. sont quelques-uns des projets que le nisants. Aujourd'hui que la peinture
Le seul mécène français qui ait eu peintre Raymond Moretti aime sou- abstraite est dans l'impasse, il apure
l'initiative d'une réalisation de ce mettre à ses amis, avec un mélange sa ligne, prend des distances. Pas au
genre (La Fondation Maeght, inau- curieux d'inspiration, de naïveté, de point de refuser l'image, pourtant.
gui"ée fin juillet à S·-Paul-de-Vence) malice, de tendresse, d'humour et Dans sa récente série " Les cris du
a dû avoir recours il un artifice d'intelligence. monde"• le Christ crucifié a une
juridique subtil (statut semi-public)
de façon à éviter la lourde impo-
sition fiscale qui aurait frappé les
chefs-d'œuvre d 'art contemporain
dont il fait don à l'f.tat par l'inter-
médiaire de sa Fondation. Dans
l'optique. enfin. du Marché
commun, c'est il un industriel italien
que l'on doit la première tentative
de mécénat organisé à l'échelle
européenne: le Prix M arzotto.

MIRACLE A VENIR
Le chaotique bilan de la saison
1963-64 nous donne l'utile occasion
de méditer sur la grande misère de
l' art français. Misère qui s'aggrave,
en dépit de la présence d'une _avant-
garde active ', mais vouée au silence,
à la semi-clandestinité ou à l'émi-
gration. Pendant ce temps, Paris
attend le miracle, sous la forme d'un
homme providentiel; Malraux ou un
autre. Mais il n'y a pas de miracle
sans bonne volonté ni sans foi. Paris
désormais ne peut compter que sur
soi: il sera ce que les Français en
feront, une métropole culturelle ou
un chef-lieu administratif. Et pour
l' instant, trop de Français ne font
rien pour mériter un Paris digne de
ce nom .
PIERRE RESTANY .

4. Cf. Plantite 17 (Journal) , La politique de


l'amille>J. (Photo Alain DeJean).
5. Ct. Planece 1 .c Notre actuelle avant-garde *·

154
A voir
tête de poulet, les martyrs du et tournèrent ici, sur un fond sonore pommes, et, de nouveau, il se sentait
racisme sont des martyrs; les abat- stéréophonique savamment calculé, à l' étroit...
toirs, la folie , la foule sont ce qu'ils au milieu d ' amis et de jolies filles, se " La distance, la vitesse, dit Moretti,
sont - c' est-à-dire irregardables. Un démène le lutin M oretti: la fureur c 'est le même problème. Il y a une
rescapé de Buchenwald a pleuré de peindre : perte immense entre le cerveau qui
devant la toile consacrée au racisme Une toile immense garnit l'escalier décide et le bras qui exécute ... Seule
et est parti sans prononcer un mot. géant et inutile voulu par Rex la machine peut régler ce pro-
Moretti a planté son décor dans les Ingram, qui occupe le corps prin- blème . ,,
vieux studios cinématographiques de cipal du pavillon. Ailleurs, un Cocteau aimait tant Moretti, cet
la Victorine à Nice, que l' on détruira superbe bric-à-brac, suivant l'expres- atelier, et les fantômes qui y rôdent,
bientôt (les sifflements des jets sion de Cocteau. qu ' il est venu y travailler; les deux
décollant de l'aéroport voisin rendent Tout est toujours trop petit. Picasso artistes ont fait des essais de gra-
les prises de son presque impos- proposait de s'installer sur des phisme commun; ils ont peint une
sibles). Au plus haut de ces studios, spoutniks et de déverser de la immense toile intitulée d'abord Pro-
ave c vue sur le cimetière de Nice, couleur sur le monde... li m'a menade des Anglais, puis /'Age du
Rex 1ngram avait fait construire un raconté l'histoire de Derain: sur une Verseau.
pavillon baroque, qui tient du phare toile préparée il voulait mettre trois Moretti fait ce qu'il veut de son
et de l'hôtel de ville. La Victorine, pommes. Comme la toile était trop public, et, acharné à peindre,
à écrit Cocteau, est, comme tous les petite, plutôt que de supprimer une échappe aux critiques et aux clas-
studios, un lieu hanté. Parmi les pomme, il prenait une toile plus sifications.
fantômes de tous ceux qui jouèrent vaste. Mais il grossissait aussi ses GILLES LAMBERT.

U n artisanat moderne
Voisin des Lalanne, impasse Ronsin,
il y a huit ans, j'ai eu la chance d ' être
le témoin de leur prodigieuse évo-
lution. L' expérience acquise au
cours de cette rapide ascension leur
permet de présenter aujourd'hui une
exposition d'objets contemporains,
utiles simplement dans la mesure où
l'on pourra (et voudra) s'en servir.
Ces objets sont d' abord beaux. Je
suis convaincu que cette tentati ve
contribuera à rendre à Paris sa place
internationale de producteur d' art
significatif... Vers la fin du XIX' siècle,
tout mystère parut avoir disparu de
la nature; on la considéra comme
une machine géante. L'homme n' eut
plus qu'à utiliser sa connaissance
mécanique nouvellement acquise
pour résoudre tous les problèmes qui
s' étaient opposés à son épanouis-
sement depuis le début des temps.
Ce bien-être bientôt atteint, fut
troublé par la perspective de voir
disparaître l'objet manuel personna-
lisé caractéristique du passé .
François et Claude Lalanne, mariant
les techniques anciennes et modernes,
ont créé des objets pour " vivre
avec ,, qui défient la série et sont
aussi individuels et singuliers que
chaque être humain. Le Rhinocéros: votre bureau de !'An 2000?
JAMES METCALI-.

155
Peinture
A paraître en décembre: le nouveau volume de

Les chefs-d' œuvre de l'érotisme


dans I'Art et la Littérature
85 textes: Boris Vian, Blaise Cendrars, Malaparte, Jean Genêt, Paul Morand,~
Jules Romains, Graham Green, Henry Miller, etc.
150 dessins et tableaux: M,atisse , Picasso, Modigliani, . h'·. '
Courbet, Chagall, Bellemere, etc. .. ,vr; ~, ,-'-= _, .

Couverture et frontispice de Félix Labisse \S..~t ~ >.:;;-: ~- ,

éditions PLANl!TE

.Activités
. l>Janète : •
156
ACTIVITl!S PLANliTE Le cahier de cours de !'École
Permanente intitulé qu'est-ce
que la philosophie 7 qu e nous
avions annoncé dans le pré ·
Céfalu : des projets pour 1965 cédent numéro a dû être
reporté au N• 20. Nou s nou s
Notre ami Aimé Michel a cloturé la désormais à dépasser le simple repos en excusons auprès de no s
série des conférences à Céfalu, dans pour se livrer à une certaine activité lecteurs. Notre am i Mauric e
le cadre du village de vacances du intellectuelle, mesurée encore mais Clavel, victime d 'un grave
Club Méditerranée. Les dernières qui, nous le pensons, ne cessera de accident, n'a pu nGu s remettre
semaines de septembre et d'octobn: croître en importance. Cette intuition
que nous avions en tentant cette son texte à la date pré vue.
ont confirmé le succès auprès du
public de cette initiative. Avec la expérience de Céfalu a été confirmée
rentrée, le courrier est devenu plus par les faits. Déjà nous songeons,
abondant. Au cours de l'été, les avec Gérard Blitz, le fondateur du Nous avons publié dans le précéderrJ
sujets les plus divers ont été traités, Club Méditerranée, au programme Journal de P/anéte une page du
de la parapsychologie à l'astronau- de l'année prochaine. Nous voulons R.P. Teilhard de Chardin sur la
tique, par des spécialistes également étendre la tentative de cette année. psychanalyse, qui nous avait été aima-
divers. Cependant la correspondance Nous pensons à établir un calendrier blement communiquée par Maryse
que nous continuons à recevoir fait précis de causeries dont les sujets Choisy et Dominique de Wespin.
ressortir une note générale. Les couvriraient les principaux thèmes L'éditeur français de Teilhard nous
auditeurs ont été frappés par le ton de préoccupations de l'homme signale que ces lignes figurent dans
employé par les conférenciers pour d'aujourd'hui. Nous rassemblerions le tome 7 des œuvres du Pére (pages
parler des problèmes et des décou- sur chaque sujet les principaux 183-184} intitulé " /'A ctivation de
vertes de notre temps; à l'unanimité, spécialistes, parfois d' opinions /'Energie » (Le Seuil).
ils nous écrivent pour nous remercier opposées, qui se trouveraient ainsi
de notre enthousiasme, de notre confrontés en présence du public.
optimisme et de notre foi en l'avenir. Sans doute ne s'agit-il là que des Boris Pregel. docteur
C'est de croire plus que de savoir premières idées lancées dès la honoris causa de
que l'homme moderne semble avoir rentrée et sont-elles destinées à
besoin. évoluer. Nous tiendrons nos lecteurs l'université de Toulouse
Ainsi l'homme en vacances aspire informés de leur évolution.
Notre éminent ami Boris
Pregel, président de l' Aca-
démie des Sciences de New
Planète en langue espagnole York, a été nommé , le 5 août
1964, docteur honoris causa de
En même temps que paraît en Italie nôtres: il édite, par exemple, les l'Université de Toulouse. Cette
le numéro 3 de Pianeta, le premier œuvres de Borgès, de Bradbury et de récompense vient couronner
numéro de Planète en langue espa- Arthur C. Clarke . La rédaction en d' importantes recherches de
gnole vient de sortir en Argentine. chef de notre édition espagnole est chimie, de physique et de
Dès le jour de la parution, 10 000 assurée par M. Francesco Porrua. nucléonique, et notamment
exemplaires de ce premier numéro, Sud Américana prépare déjà acti- l' isolement de l'actinium métal.
initialement tiré à 12 000, ont été vement la publication de l' Encyclo- L' université de Toulouse a
enlevés dans les librairies de Buenos pédie Planète. Louis Pauwels se voulu , d' autre part, rappel e r
Ayres. Il a donc fallu le retirer pour rendra à la fin de l'année en Argen- l'aide que le professeur Pregel
la diffusion dans les autres villes tine où il fera plusieurs conférences a apportée aux savants françai s
d'Argentine, et dans les autres pays dans les principales villes à l'occasion réfugiés à New York pendant la
d'Amérique du Sud. de la parution du premier volume de dernière guerre et nota mment la
l' Encyclopédie et du numéro 2 de la fondation de l' Ëcole française
Planeta est édité par la grande revue . de Hautes Ëtudes où a pu tra-
maison d'édition Sud Américana, Nous continuerons à informer nos vailler le professeur Francis Per-
dont le directeur est notre ami lecteurs des réactions que suscite à rin, l'actuel directeur du Com-
M . Lopez Llovet, qui depuis long- l' étranger notre tentative de révo- missariat à l'tnergie atomique.
temps suit des voies parallèles aux lution intellectuelle.

157
Activités Planète
Le nouveau volume de

La terre, cette inconnue


par François Derrey Les séismes et les volcans
avec une préface
de Jean Lombard
Les torrents souterrains
Les continents perdus
la vie, /'histoire Le feu central
et le destin Le fond des mers
de notre globe Les découvertes et les mythes

La terre porte les rides et les blessures Première m iss1on ,des satellites :
d'une histoire tumultueuse . comprendre la Terre.
La vallée de la mort, en Californie (U.S.A .). Le satellite " Vanguard " sur sa base de départ.

158
Activités Planète
Si vous souhaitez vous abonner. ..

A retourn er à PLANl!TE éditions Planète, 42 rue de Berri, Paris 8

0 J e sousc ri s un a b o nnement à PLANÈTE Je désire que m o n abo nnement parte :


D Je renouve lle mon abonnement à PLANÈTE
0 du prochain numéro à paraître : N°
D Po ur 12 numéros à 4,50 F. soit 54 F.
0 Po ur 6 nu mé ros à 5 ,00 F. soit 30 F. 0 du num éro ............ .............. .
(1) BE LG IQ UE : Académi e du Li vre, 23 , rue Saint-Brice - Tournai - C.C.P. 474.47
12 N°• : 648 francs belges - 6 Nos : 390 francs belges.
(1 ) SUISS E : «C ulture, Art. Loisirs » - S. A ., 20, Avenue Guillemin - Pull y-Lausanne - C.C.P . 11 20783
12 N°• : 62 francs suisses - 6 N°• : 35 francs suisses.
(l ) CANA DA : Planète, 3 300, boulevard Rosemont - Montréal - 36 P.Q.
12 N••: $ 18.00 - 6 N•• : $ 10.00

Voici mon nom ....... . ............. ........ .......... - ..... ....... ................. ....... ................................................ ................ .... ..

Mon adresse .....

Je joins le présent règlement, soit ........................ Fr. Le .............. ............................................. ............. .


SIGNATURE
Libellé au x D Virement postal (3 volets) C.C.P. 18. 159. 74
«Éditions Retz » D M andat-lett re
Paris D Chèque bancaire

Veu ill ez t race r u ne cro ix X d a ns le c arré co rres po n d an t a u texte de vot re c h oix .

Éditio n it a li enn e:« Pia net a » L.E . U .P., 21 . via Fra'Domenico Buonvicini - Firenze.
Pl a net a édito rial Suad me ri ca na Humb e rto 1 545 - Bue no s Aires Argentin e.

159
Abonnez-vous
PLANl!TE bénéficie de la collaboration. des conseils et du soutien notamment de:

Dr Henri Laborit, maître de recherche des Services de Robert Philippe, sous-directeur à l'École des Hautes
santé des Armées. Études . agrégé d'histoire
Jacques-Henri Labourdette, architecte Giorgio Piccardi, directeur de l'Institut de Physico-Chimie
Maurice Lambilliotte, directeur de la revue « Synthèses » de Florence
Claude Planson, directeur du Théâtre des Nations
Roger Mac Gowan, directeur à !'Arsenal de Redstone Henri Prat, professeur de physique aux Universités de
William MacKenzie, professeur honoraire à l' Université Marseille et de Montréal
de Genève Boris Pregel. président-fondateur de l'Académie des
Franck J . Malina, vice-président de l'Académie d' astro- Sciences de New York
nautique
Elizabeth Mann Borgese, directrice de !'Encyclopédie J.P. Raudniz, conseiller du Commerce extérieur
britannique pour l'Europe Maurice Renault, directeur de la revue « Fiction »
Charles- Noël Martin, écrivain scientifique Pierre Restany, critique d' art
M. de Martino, professeur d' ethnologie à l'Université Léonardo Ricci, professeur d' architecture à l'Institut
de Rome technologique de Florence
François Meyer, professeur de philosophie à Aix- en - A.T. Robinson. évêque de Woolwich
Provence Sir Bertrand Russel. prix Nobel de la paix
Castanos de Medecis, professeur à l'Université de Daniel Ruzo, archéologue. Pérou
Strasbourg
Dr Jacques Ménétrier, ex-secrétaire général de l'Institut Louis Salleron, professeur honoraire à l'Institut catholique
Carrel. Simone de San Clemente, président du festival du film
Louis Merlin. président de « Images et son » d 'ethnologie de Florence
Aimé Michel. écrivain scientifique Nicolas Schoffer. sculpteur
Henry Miller. écrivain Boris Semenoff. prix Nobel de chimie
Dr Emilio Servadio, professeur de psychologie à l' Univer-
Bartholomew Nagy, professeur à l' Université de Fordham . sité de Rome
New York Gershon Sholem, professeur d'histoire à l'Université de
Thomas Narcejac, professeur de philosophie à Nantes Jérusalem
René Nelli, conservateur du Musée de Carcassonne . chargé D.T. Suzuki. philosophe Zen
de conférences à la Faculté de Toulouse
René Nicoly, président des Jeunesses Musicales de France M. Tenhaeff, chaire de parapsychologie à l'Université
d'Utrecht
Victoria Ocampo, écrivain . directrice de la revue " Sur '" Robert Tocquet. professeur à l'École d' anthropologie
Buenos Aires de Paris
Robert Oppenheimer, directeur de l'Institut de la Recherche
avancée à Princeton André Varagnac. conservateur en chef du Musée de
Préhistoire de Saint-Germain-en -Laye
Jean Pain. professeur de génétique Gabriel Veraldi, écrivain
Gordon Pask, professeur de mathématiques à Cambridge Paul-Émile Victor, chef des expéditions polaires françaises
Jean Paulhan. de l'Académie française Dr Bernard Villaret, ethnologue
M . Persitz, architecte . rédacteur en chef de la revue Maximilien Vox. fondateur du Centre d' Études graphiques
« Architecture d' aujourd'hui » de Lurs-en - Provence
Jacques Pezé. docteur en médecine. homéopathe
Jean Pesez. agrégé d'histoire. attaché à l'École des Oliver Wells. président d'« Artorga »
Hautes Études Dominique de Wespin. secrétaire générale de la Sté
Armand Petitjean, écrivain Teilhard de Chardin . de Bruxelles

(Le début de cette liste alphabétique a été publié dans Planète 18.)
Paraît tous les 2 mois .

DIRECTEUR LOUIS PAUWELS

Jean Chevalier / Stephen Leacock / Aimé Michel


Jacques Pezé / Pierre Restany / James Thurber

En couleur : 1 LES MÉTAMORPHOSES DE L' HUMANITÉ 1

NOUS CROYONS EN L'AVENIR :


Vive le monde moderne! par Rémy Chauvin
Demain, vous aurez une âme, par Arthur C. Clarke
LlJ
On nous cherche dans le cosmos! par Robert N. Bracewell
u Le yoga et la physique, la matière et l'esprit, par Jacques Bergier
Cf) Les ingénieurs planétaires ont ces projets, par François Derrey
z
<( Vous vivrez comme cela en 1984, par Jacques Bergier
0
L'amour fou, monstre, pur, etc., par Louis Pauwels
Un compagnon de Lucifer, par Jacques Mousseau
Je suis voluptueusement ouvert à tout, par Federico Fellini
La Vierge aux rochers, nouvelle par Poul Anderson

(f) Prochain cahier de l'École permanente :


0 Pourquo i la philosophie? par Maurice Clavel
a:
•LJ.J
:2 Le dossier de l'espionnage moderne
::J
z L' aventure d' un chercheur parallèle
(f) La vérité sur William Shakespeare
z Les Étrusques commencent à 'parler
<i La physique , 60 ans après Ei nstein
I
u Des documents sur l'alchimie
0
a: Les énigmes de l'archéologie
a. Von Neumann ou l'histoire d "un génie
(f)
LJ.J
.....J
et des articles, récits, études de
(f) Robert Philippe / Jean Charon / Robert J . Oppenheimer /
z
<( Boris Pregel / Gab riel Veraldi / Alain Vernay / Gaston Bouthoul /
0
Jacques Sternberg

Abonnement 6 numéros 30 F. Le numéro 6 F. (80 F.B.)


Mouvement des connaissances / Ecole. permanente / Vie spirituelle
Littérature différente / Art fantastique / Humour / Mystères du monde animal
Imprimerie L. P.·F. L. Dan el Loos-lez- Lille Nord Diffusion Denoël / N.M.P.P.

Das könnte Ihnen auch gefallen