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GÉNIE
Il règne autour de l'arithmologie sacrée et du "Nombre d'Or" un parfum
d'occultisme qui ne se justifie plus. Il est du devoir de l'historien d'exami-
ner sans idée préconçue, sans tabou, tout ce qui peut éclairer l'Histoire.
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peut faire l'économie d'une analyse pénétrante des motifs qui ont si hau-
tement inspiré leurs bâtisseurs,
Le génie de ces bâtisseurs ne saurait trouver son explication dans la seule
résolution technique remarquable des données propres à la mise en
oeuvre de la pierre. Il ne saurait non plus être réduit à des seules consi-
dérations d'ordre esthétique ni comme seul prolongement de la pensée
scolastique. On ne peut davantage avancer le seul moteur de la Foi, en
notant bien, d'ailleurs, qu'à l'époque gothique les maîtres d'oeuvre et les
corporations de bâtisseurs étaient laïques.
Ce génie est une somme, bien sûr. L'édification des cathédrales s'inscrit
dans l'Histoire comme la culmination la plus occidentale, à travers plu-
sieurs civilisations, d'une continuité culturelle qui, prenant racine dans
l'Antiquité égyptienne, perse, hébraïque, grecque et romaine, s'enrichit
dans son parcours d'une chrétienté rayonnante et inspiratrice. Mais,
remontant au delà de cette Chrétienté le fil du concept architectural des
bâtisseurs médiévaux nous mène à la source de la spiritualité de l'huma-
nité naissante et à un dieu créateur plus encore qu'un dieu rédempteur.
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rappeler ici l'inscription portée au fronton, d'un temple de Kéops: "Ce
temple est comme le ciel dans toutes ses proportions".
De façon plus précise, et aussi loin que remonte l'Histoire, les hommes
vont tenter de mettre en équation l'immense diversité d'un univers qui se
révèle aussi à eux dans son incontestable et première unité. Ils découvri-
ront (ou établiront) alors que la Création est régie par une loi incontour-
nable, celle du NOMBRE, et de sa manifestation formelle, la
GÉOMÉTRIE.
Qu'il s'agisse des rythmes et révolutions des astres comme des lois de
croissance et d'épanouissement du monde végétal ou de la formation des
cristaux, ou qu'il s'agisse de la verticale rectiligne du fil à plomb ou des
ondes circulaires parfaites d'un plan d'eau troublé par la chute d'un
corps, la géométrie, le nombre et leurs rythmes semblent constituer l'es-
sence même de l'ordre naturel.
Il fondera au vie siècle avant JC une école philosophique qui durera mille
ans et développera une théorie d'organisation du Monde à partir du
Nombre, dont certains de ses disciples énoncent ainsi les principes
Nicornaque de Gérase:
"Tout ce que la nature a arrangé systématiquement dans l'univers paraît
dans ses parties comme dans l'ensemble avoir été déterminé et mis en
accord avec le Nombre par la prévoyance et la pensée de celui qui créa
toute chose. Car le modèle était fixé, comme une esquisse préliminaire,
par la domination du Nombre préexistant dans l'esprit du dieu créateur
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I
du monde. Nombre idée purement immatériel dans tout rapport, mais
en même temps la vraie et l'éternelle essence, de sorte que d'accord avec
le Nombre, comme d'après un plan artistique, furent créées toutes ces
choses, et le temps, et le mouvement, les cieux, les astres et tous les
cycles de toutes choses.
Platon (424 347 av. J.C.)
"Dieu est géomètre".
"Le nombre communique sa nature à toute chose".
"Et lorsque tout eut commencé de s'ordonner, tous ces éléments ont
reçu de Dieu leur figure par l'action des idées et des nombres" (Timée).
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Dans sa théorie sur la 'Géographie Sacrée du Monde Grec" (Editions
Daniel), Jean Richer démontre que les temples de la Grèce antique ont
été implantés et orientés de façon concertée les uns par rapport aux
autres selon une relation étroite aux douze secteurs d'un zodiaque centré
tour à tour sur les trois sites sacrés de Delphes, Delos et Sardes.
Nos églises romanes, et par conséquent nos cathédrales, élevées pour la
plupart sur l'emplacement des basiliques romanes qui les ont précédées,
ont de même été implantées et mesurées dans un rapport étroit avec la
direction du soleil levant et la longueur de l'ombre de la canne au soleil
de midi, au jour de la dédicace. Double consécration, donc, au Saint
Patron, ou à la Sainte Patronne, et à l'ordre cosmique.
CERTITUDE ET SUBJECTIVITÉ
Bien que n'étant pas historien, je me suis efforcé dans ma recherche de
me situer au strict plan historique en ne construisant mes démonstrations
que sur ce qui était vérifiable soit par la mesure, soit par l'observation de
l'architecture et de la statuaire, soit par référence à des études existantes
et dignes de foi.
On objectera que ce pari est impossible dès lors que je me permets une
interprétation de la géométrie comme langage symbolique. Je répondrai
que la symbolique géométrique et arithmologique existant, elle constitue
en soi une donnée historique et ne peut de ce fait être ignorée. Son
essence diffère, quoiqu'avec des constantes surprenantes, d'une civilisa-
tion à une autre; l'étude de ces différences est encore devoir d'historien.
Mais il est vrai qu'en proposant une lecture des combinaisons géomé-
triques, d'objective mon attitude devient subjective. Dès lors, j'accepte
évidemment toute interprétation qui diffère de la mienne pourvu que ce
soit avec pertinence.
Mon étude m'a amené, en revanche, à mettre en évidence, sur les quatre
façades étudiées, Amiens, Reims, Rouen et Strasbourg, une géométrie
du Nombre d'or irréfutable, confirmée par une arithmologie qui vient en
souligner les axes forts des nombres sacrés les plus éminents.
Concernant les autres figures emblématiques de la géométrie: triangle
équilatéral, sceau de Salomon, étoile à 7, 8, 9 branches, je n'ai jamais
rien trouvé de probant sinon très ponctuellement. Il n'est pas possible,
par conséquent d'en tirer une règle quelconque.
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Un argument m'a souvent été rapporté, auquel je réponds ici étant
donné l'enjeu de l'hypothèse qu'il véhicule: non, telle architecture ne
peut pas être réglée a posteriori par n'importe quelle figure de géomé-
trie. C'est absurde au plan historique et c'est faux au plan logique.
C'est absurde au plan historique car si toute géométrie est possible, cela
revient à dire qu'il n'y en a aucune ou, en d'autres termes, que la géo-
métrie n'a jamais réglé les architectures monumentales, et en particulier
sacrées. Plus simplement, c'est nier la géométrie comme outil indispen-
sable au tracé architectural. C'est nier l'existence de la règle, du compas
et de l'équerre. C'est oublier par ailleurs que dès l'époque romane la géo-
métrie comptait au rang des sept sciences majeures regroupées selon le
"trivium", discipline de la parole, c'est-à-dire la grammaire, la dialectique
et la rhétorique, et le "quadrivium", disciple du nombre, regroupant
l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique.
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Cette façade, comme l'édifice entier et comme, sans doute, toutes les
cathédrales gothiques, est réglée par la géométrie de Nombre d'Or dont
on trouvera ci-après la définition géométrique et les aspects symboliques
principaux.
= I6i8
i/p = O6l8
Au plan géométrique la section dorée AO/OB s'obtient, entre autre,
construction, en rabattant sur la diagonale AD d'un rectangle 1 sur 2, le,
côté DC, en BD, puis en rabattant AB' en AB.
CD=1
AC 2 AD=5
AB'=I5 I
AB/AC = L= L618
A B
-* J
Le rectangle d'or ABCD s'obtient par
rabattement de la diagonale du demi
carré initial EBCF
D(/(B= I +% 1618
L
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En effet, comme l'ont montré Georges Jouven, Matila Ghyka et d'autres,
le rapport 1 à 2 règle avec une constance surprenante les dimensions
majeures des sanctuaires (ou leurs parties les plus sacrées) tant chez les
Egyptiens, les Grecs, que pour nos édifices chrétiens, les cathédrales y
comprises. Suivant la conception qui était déjà, dans l'Antiquité, celle
d'une création universelle régie par l'idée du nombre, 1 et 2 représen-
taient, pour le premier, l'essence primordiale, l'unité divine, le principe
masculin créateur, le Logos, le Verbe, et pour le second l'origine de la
manifestation, la dyade, le dédoublement procréateur, le principe fémi-
nin. Dans les systèmes d'écriture issus des Sumériens, et particulière-
ment les alphabets de l'Antiquité: phénicien, grec, araméen, hébraïque,
les lettres auront valeur de nombre et de symbole. Ainsi l'alpha, l'aleph,
le Beta ou le Beth signifieront respectivement 1 et 2 mais aussi Taureau,
force, énergie (Aleph, 1) et maison, temple, matrice (Beth, 2, dont
l'idéogramme est un rectangle horizontal, ouvert en bas, c'est-à-dire
représentant une maison, avec son entrée). Ce rapport 1 à 2 devint, par
extension, le rapport du Ciel à la Terre, de Dieu à son temple.
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Et l'on retrouve ainsi à nouveau le rapport 1 à 2 du Ciel à la Terre, de
Dieu à son temple, du monde divin au monde humain, de la spiritualité
à la matérialité.
Si, raisonnant dans le plan vertical, on observe que les deux angles de
valeur 2, soit angle B et angle C, reposent au sol et représentent ainsi
par analogie, la Terre, elle même de valeur 2, alors que l'angle au som-
met de valeur 1, occupe la position du ciel, lui même de valeur arith-
mologique 1, on saisira toute l'importance qu'ont donné à ce triangle, au
demeurant très élégant, les constructeurs de cathédrales.
ROUEN
En conclusion de l'ensemble des enchaînements géométriques qui
règlent la façade de la cathédrale de Rouen, on découvre deux séquences
particulièrement remarquables.
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Le calcul montre que ce sommet résulte, avec une précision du deux mil-
1ième (par rapport à la mesure de base donnée par la distance entre axes
des portails latéraux), de la superposition de l'étoile par son centre infé-
rieur, ou "sacrum", au triangle sublime initial sur les dimensions duquel
elle est elle même construite.
Le triangle bas, inscrit dans la hauteur de la nef, vient désigner par ce
geste la clef de voûte de l'harmonie intérieure, suprême conclusion de
l'homme édifice, temple privilégié de Dieu.
La deuxième séquence
nous montre que la lar-
geur du portail central
correspond rigoureuse-
ment à l'intersection
avec le sol des deux
droites qui joignent les
extrémités des branches
hautes et basses de notre
étoile supérieure.
Si l'on accepte la valeur
symbolique de celle étoi-
le, celle du Christ, ou de
l'homme réalisé, telle
que nous l'avons propo-
sée pour la séquence
précédente, n'est-il pas
troublant de constater
que le portail central,
accès privilégié au
temple, a pour mesure la
trace au soi des rayons
marquant l'envergure
même de ce Christ qui,
tous bras ouverts, de là-
haut, accueille le fidèle et
l'appelle à entrer?
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Gestuelle de la géomé-
trie
Appel à l'élévation spin-
tuelle.
LMais ce portail central est
aussi, traditionnellement,
celui du Jugement
Dernier. Représenté au
tympan de nos églises
romane avec un art que
jamais aucune autre
période, fût-ce même la
période gothique, ne
saura atteindre, cette
scène du Jugement ne
nous montre-t-elle pas un
Christ solaire, Zénith du
Ciel, bras ouverts,
comme l'est ici, sur fond
de ciel normand, l'étoile
haute liée au portail par
ces rayons mêmes que la
peinture, la mosaïque ou
la sculpture du Moyen
Age font jaillir des mains
et des pieds du Dieu fait
homme et révélé "lumiè-
re de Dieu"?
Nous ne manquerons pas non plus de nous souvenir de la parole du
Christ "Je suis la Porte". Enfin, et puisque le propre du symbole est d'au-
toriser plusieurs lectures nous pourrions in fine lui adjoindre, celle-ci
(bien qu'anachronique si l'on s'en tient à une naissance de la Franc-
Maçonnerie au dix huitième siècle): il est de tradition qu'au terme de la
perfection graduelle de lui-même qui l'a porté jusqu'aux responsabilités
de Vénérable, celui-ci redevienne humblement couvreur.
AME GEOMETRIQUE
Formulation matérielle et sensible des concepts nés d'une aspiration de
notre esprit à résumer l'ordre du monde, la géométrie chaque fois s'im-
pose, gestuelle, rituélique et symbolique, à l'instant d'ordonnancer le
moindre de nos actes sacrés: le salut matinal, l'hôte qu'on accueille,
comme la prière musulmane, la méditation bouddhiste, la messe chré-
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tienne, les rituels maçonniques, cérémonies modestes ou fastueuses aux-
quelles elle préside, relayant la parole et la pensée, réglant l'attitude et le
geste par là même devenus sacrés, pour perpétuer traditions et mes-
sages de Sagesse des origines.
Ainsi naît notre rapport à l'Art, que nous en recevions les lumières, ou
que nous en soyons le maître. Ainsi naît, l'Art lui-même.
Thierry de CHAMPRIS
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