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Conscience de l'action, conscience de soi | Cairn.

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Conscience de l'action, conscience de soi


Marc Jeannerod
Dans Revue philosophique de la France et de
l'étranger 2004/3 (Tome 129), pages 325 à 330

Article

L es aspects les plus fréquemment étudiés de la conscience se


rapportent à la conscience de la réalité extérieure. Cette
conscience-là concerne avant tout les questions que l’environnement,
1

par l’intermédiaire des organes des sens, pose au sujet et à son


système nerveux : « Quel est cet objet ? Où se trouve-t-il ? » On
s’interroge ici, au contraire, sur un aspect beaucoup moins exploré :
la conscience de l’action et la conscience de soi. L’action, en effet, est
un reflet direct du moi, de ses intentions et de ses autres états
d’esprit. Les questions qui sont alors posées au sujet et à son système
nerveux sont du type « Qui ? » : « Qui a fait cela ? » et, par voie de
conséquence, « Qui suis-je ? ». Ces questions se référent, non plus à la
réalité extérieure, mais à la réalité interne du sujet lui-même : elles
traduisent le passage d’une conscience perceptive à une conscience

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réflexive. Cette façon d’aborder la conscience ouvre de très larges


perspectives sur les problèmes posés par le caractère volontaire ou
non d’une action, par la mémoire des actions ou par l’attribution
d’une action à son agent. Elle permet aussi d’aborder des problèmes
liés à la pathologie de la conscience de soi. C’est par une série
d’expériences, les unes classiques, les autres plus récentes, qu’ont été
abordés ces problèmes. Il en ressort, de façon quelque peu
paradoxale, que le sujet ne dispose pas en permanence d’un contrôle
conscient de ses propres actions. Cette constatation rejoint à vrai dire
ce qui est connu des psychologues, à savoir que l’activité consciente
(le fait d’avoir l’expérience subjective de...) ne se confond pas avec ce
qui constitue l’essentiel de l’activité cognitive, la construction de
représentations.

L’action automatisée

Dans le cas de l’action, plusieurs niveaux fonctionnels caractérisés 2


par différents degrés de contrôle conscient et d’expérience subjective
peuvent être identifiés. Comme exemple de fonctionnement d’un
premier niveau, considérons une action simple comme boire son
café : saisir la tasse en formant une pince de précision autour de
l’anse, porter la tasse à la bouche, boire, sont autant de mouvements
exécutés de façon automatique. Pas plus l’intention que l’exécution
ne sont présentes dans l’expérience subjective de l’agent et le
souvenir de cette action, s’il existe, a une très courte durée de vie.
Chacun connaît le genre d’expérience où il exécute automatiquement
de nombreuses actions (éteindre l’électricité, fermer la porte en
sortant de son appartement, conduire sa voiture à son lieu de
travail, etc.) sans en garder le moindre souvenir. Cette automaticité,

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toutefois, n’implique pas que ce genre d’action soit dirigé


aveuglément vers sa cible. Si, dans l’exemple de la tasse de café, un
obstacle imprévu s’interpose au moment de la saisie de la tasse, le
mouvement sera rapidement corrigé et parviendra à son terme,
même si c’est par une voie différente de celle qui était initialement
prévue. C’est donc bien que l’action de boire le café relève
d’une représentation contenant l’intention de boire, les moyens
d’atteindre ce but précis et l’anticipation des conséquences des divers
mouvements qui la composent. Le fait que cet ensemble soit
entièrement automatisé est une conséquence des contraintes que
l’environnement impose au comportement : pour pouvoir être rapide
et précise, une action doit pouvoir se dérouler en dehors d’un
contrôle conscient, essentiellement, comme nous le verrons plus loin,
pour des questions de temps.

Plusieurs théories récentes rendent compte de la représentation 3


d’une action automatisée. Ces théories postulent l’existence d’un
« modèle interne » de l’action, faisant intervenir le stockage des
informations concernant l’atteinte du but et ses conséquences. Le
modèle interne a donc bien un caractère intentionnel, dans la mesure
où il représente une action et ses effets avant même qu’elle se soit
manifestée. Daniel Wolpert et ses collaborateurs ont récemment
présenté un modèle de ce type, capable de prédire le résultat d’un
mouvement désiré et d’introduire rapidement des corrections de
trajectoire en anticipant sur les effets d’éventuelles erreurs (Wolpert
et al., 1995).

La prise de conscience de l’action

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Le déroulement automatique d’une action est donc conditionné par 4


une bonne concordance entre le but assigné par la représentation et
le but effectivement atteint. Il existe toutefois de nombreuses
situations où cette concordance n’est pas réalisée, soit qu’un obstacle
s’oppose à l’atteinte du but, soit que, d’une manière ou d’une autre,
l’action aboutisse à un échec. Ce genre de situation aboutit le plus
souvent à « désautomatiser » l’action et crée les conditions d’un accès
conscient à son déroulement. Le sujet devient subitement conscient
du mouvement que sa main était en train d’exécuter et de la raison de
son échec. Les capacités du système automatique sont dépassées et
l’écart entre le mouvement désiré et le mouvement effectivement
réalisé ne peut plus être compensé, d’où le passage à une stratégie de
correction consciente et contrôlée.

L’expérience subjective à laquelle le sujet a accès lors de l’échec du 5


processus automatique concerne avant tout les conditions
d’exécution de l’action, le « comment faire » pour parvenir au but. Il
s’agit en fait d’une expérience inversée par rapport à celle de
l’apprentissage d’un geste complexe dans la pratique d’un sport ou
d’un instrument de musique, par exemple. Lors des premiers essais,
le sujet utilise un contrôle conscient de chaque élément du geste,
mais ce n’est que lorsque le geste devient automatique que son
exécution devient véritablement efficace. Ce genre de situation peut
aussi être recréé expérimentalement, en introduisant un délai de
quelques secondes entre la présentation d’un stimulus et l’exécution
d’un mouvement vers ce stimulus. Cette simple modification des
conditions normales d’exécution entraîne un changement de
stratégie : tout en passant sous contrôle conscient, le mouvement
perd ses caractéristiques de précision et de rapidité d’exécution.

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Ces observations suggèrent que la prise de conscience d’un 6


événement est un processus qui prend du temps. Chacun peut en
faire l’expérience dans des situations de la vie courante comme celle
du chauffeur d’une voiture qui rencontre un obstacle inattendu sur sa
route. Alors que l’évitement de l’obstacle se fait grâce à une réponse
visuomotrice à courte latence, c’est seulement après l’avoir évité que
le chauffeur prend conscience de la nature de cet obstacle. Là encore,
une expérience de laboratoire a permis de quantifier cette
dissociation entre réponse automatique et expérience consciente.
Dans cette expérience, le sujet doit saisir un objet qui se déplace
brusquement à l’instant précis où il commence son mouvement de
saisie : la correction de trajectoire du bras dans la nouvelle direction
survient environ 100 ms après le déplacement de l’objet. Toutefois, la
perception de ce déplacement par le sujet a lieu plus de 300 ms plus
tard (Castiello et al., 1991). On conçoit bien, dans ce cas, l’avantage
d’une réaction automatique plutôt que d’une réaction qui serait
fondée sur la perception consciente : la réponse serait retardée, le
geste moins rapide et moins précis.

Les travaux classiques de Benjamin Libet permettent de pénétrer 7


encore plus dans le processus de prise de conscience d’une action.
Dans son expérience, les sujets ont pour instruction de faire un
mouvement de la main droite dont ils décident eux-mêmes l’instant
précis. On leur demande aussi de tenter de déterminer le moment
(désigné par la lettre W, pour will) où ils deviennent conscients de
vouloir bouger. Cette détermination est faite par la lecture de la
position d’un signal visuel qui se déplace sur un écran.
L’expérimentateur, qui connaît la vitesse de déplacement du signal,
peut ainsi connaître l’instant W par rapport au début de l’essai, et par
rapport au mouvement réel de la main produit par le sujet. Enfin, on
enregistre, sur le crâne du sujet, des ondes électriques qui indiquent
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le degré de préparation motrice dans lequel se trouve son cerveau. La


séquence des événements, quelque peu inattendue, est la suivante : le
cerveau démarre en premier, suivi environ 350 ms plus tard par
l’instant W, qui lui-même précède le début du mouvement de
plusieurs centaines de millisecondes. Selon l’interprétation de Libet
(Libet et al., 1983), qui pose de nombreux problèmes aux théories du
« libre arbitre » vu comme un phénomène conscient et délibératif, le
cerveau décide de préparer l’action bien avant que le sujet lui-même
en soit conscient. Il semble plutôt que nous faisons nôtre, que nous
endossons en quelque sorte, une décision implicite. Cette décision, il
est vrai, nous appartient puisqu’elle résulte de l’activité de notre
propre cerveau.

Le problème de l’immunité aux erreurs


d’identification

On pourrait dire qu’à un premier niveau de conscience de l’action la 8


question posée est : « Comment faire pour parvenir à ce but ? » Nous
devons maintenant considérer un autre niveau où la question
devient : « Suis-je bien l’auteur de cette action ? » ou : « Cette action
est-elle mienne ? » En passant de « Comment ? » à « Qui ? », on change
de registre : on passe d’une représentation de l’action comme moyen
de parvenir à un but à sa représentation comme expression d’une
intention, donc de l’individu qui a formé cette intention. Un but peut
appartenir à plusieurs personnes et peut être atteint par plusieurs
moyens. Une intention, en revanche, est un état d’esprit qui, si elle
peut être lue ou comprise par d’autres, reste unique par son contenu
et les facteurs qui la déterminent.

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Une tradition philosophique affirme que nous avons un accès 9


privilégié à nos propres états d’esprit et à nos propres pensées, et que
ces pensées sont donc immunisées contre l’erreur d’identification du
sujet. En d’autres termes, je suis sûr d’être la personne qui a cette
pensée-là (Shoemaker, 1996). Peut-on dire de la même façon, lorsque
nous venons d’exécuter une action (le plus souvent de manière non
consciente, rappelons-le), que nous sommes sûr d’être l’agent de cette
action ? Plusieurs expériences réalisées chez le sujet normal ont
apporté une réponse nuancée à cette question. En bref, mis dans une
situation ambiguë, un sujet peut commettre des erreurs d’attribution
concernant ses propres mouvements, qu’il attribue à un autre ou,
plus souvent encore, les mouvements d’un autre, qu’il s’attribue à lui-
même (Nielsen, 1963). Cette tendance à la surattribution à soi traduit
le sentiment que nous éprouvons fréquemment d’être des agents
causaux, c’est-à-dire d’être la cause des actions que nous vivons ou
observons. Cette tendance s’accuse dans des conditions
pathologiques. L’observation de patients schizophrènes dans les
mêmes conditions ambiguës montre que le taux d’erreurs
d’attribution est très supérieur à celui de sujets de contrôle (Daprati et
al., 1997). Ce résultat correspond aux symptômes observés chez ces
patients (hallucinations, délires d’influence, mégalomanie) qui
traduisent soit un excès soit un défaut d’appropriation de leurs
propres actions (Georgieff et Jeannerod, 1998).

Conclusion

La plupart de nos actions ne sont pas exécutées sous le contrôle de la 10


conscience et lorsqu’elles le sont, le sentiment d’en être conscient
n’est peut-être qu’une illusion. Comme nous l’avons entrevu à la suite

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des résultats de l’expérience de Libet, les aspects conscients de notre


ipséité, tels que le sentiment d’avoir volontairement causé une action
ou la sensation d’être soi (la conscience de soi), ne correspondent pas
toujours à la réalité objective (Wegner, 2002 ; de Vignemont, 2002).
Ces prises de conscience relèveraient de mécanismes antérieurs au
sentiment qu’ils causent, antériorité fondée sur la lenteur des
processus aboutissant à l’expérience consciente. La conscience
n’aurait donc pas de rôle causal immédiat sur l’activité nerveuse ni
sur le comportement. La pensée consciente à laquelle on attribue la
cause d’une action ne serait qu’un processus retardé par rapport à
l’intention (non consciente) qui a effectivement causé l’action.

Ce rôle retardé d’une conscience de soi « à l’arrière-plan » est 11


pourtant essentiel : il contribue à maintenir l’unité du moi en
réalisant la liaison entre l’intention et l’action. La conscience
intervient dans la structuration du moi cognitif qui, à terme, par le
biais des apprentissages et de l’expérience, modèle les réseaux
cérébraux. Le rôle de la prise de conscience dans cette chronologie
serait non pas de causer le comportement, mais de provoquer un
réarrangement cognitif secondaire nécessaire à la mise en place de
mécanismes déclaratifs tels que les croyances ou les préférences

Résumé

Marc JEANNEROD. — Conscience de l’action, conscience de soi

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La plupart de nos actions sont exécutées sous le contrôle de


mécanismes automatiques. Le sentiment d’avoir volontairement
causé une action et, par extension, la conscience de soi relèvent de
mécanismes antérieurs au sentiment qu’ils causent, antériorité
fondée sur la lenteur des processus aboutissant à l’expérience
consciente. La conscience n’a donc pas de rôle causal immédiat sur
l’activité nerveuse ni sur le comportement, elle intervient a posteriori
pour structurer le moi cognitif et maintenir l’unité du moi.

English abstract on Cairn International Edition

Plan
L’action automatisée

La prise de conscience de l’action

Le problème de l’immunité aux erreurs d’identification

Conclusion

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Auteur
Marc Jeannerod

Institut des Sciences cognitives, Lyon.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2004


https://doi.org/10.3917/rphi.043.0325

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