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QUE FAIRE DE L’AUTHENTICITÉ ?

Du refoulement à la reprise d’un objet angoissant

Anna Pomaro

S.A.C. | « Revue d'anthropologie des connaissances »

2017/4 Vol. 11, N°4 | pages 571 à 589

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Dossier « Mise à l’écart et embarras
dans l’enquête en sciences sociales »

Que faire de l’authenticité ?


Du refoulement à la reprise d’un objet
angoissant

Anna POMARO

RÉSUMÉ
Les données ethnographiques sont le produit de l’expérience de
l’anthropologue sur son terrain, ainsi que des positions théoriques
et méthodologiques qui informent son regard. Pourtant, les choix
du chercheur ne sont pas simplement le fruit de raisonnements
transparents, mais aussi d’impensés ou de refoulements produits
en réponse à des situations particulièrement angoissantes. À
travers le retour sur une ethnographie menée au sein d’une
association indienne mapuche de Santiago du Chili, cet article
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propose d’analyser les conditions de production de ces matériaux.
L’intérêt est de revenir sur les principales impasses rencontrées
dans ce parcours, pour dévoiler les mécanismes d’évitement
qu’elles ont induits, leurs effets sur la production des données,
mais aussi le type de connaissance qu’on peut dégager, a posteriori,
par la reprise de ce matériau refoulé. Finalement, au lieu de les
considérer comme des erreurs méthodologiques, cet article
propose d’explorer le potentiel épistémologique du trouble et de
ses effets pour la connaissance anthropologique.

Mots clés : tradition, refoulement, intersubjectivité, être affecté,


après-coup.

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572  Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4

INTRODUCTION
Quand l’anthropologue débarque sur le terrain, ce n’est pas avec un esprit
pleinement ouvert et dégagé de tout préjugé. Au contraire, il amène avec lui
des impensés et des suppositions qui façonnent ce qu’il sera en mesure de saisir.
L’expérience du terrain est alors un double mouvement, où l’anthropologue ne
peut pas espérer avancer dans la compréhension de l’autre sans rester ouvert
à la possibilité de voir bouleverser ses propres positions, catégories et valeurs
(Jenkins, 1994).
Les chercheurs qui se proposent d’analyser des questions liées au monde
indigène contemporain sont confrontés de façon particulière à cette réalité,
lorsqu’ils sont amenés à prendre position face à un certain nombre d’enjeux
qui se présentent régulièrement dans ce champ d’études. Qu’ils s’attachent
à l’impact des revendications des mouvements autochtones dans la sphère
politique nationale ou internationale ou à l’étude de l’ethnicité dans les sociabilités
ordinaires (Verdo & Vidal, 2012), parmi les enjeux qui s’imposent à l’attention
critique des chercheurs se trouvent l’authenticité et la tradition. Ce sont là des
questions qui touchent directement aux politiques de l’enquête, car la prise de
position du chercheur sur de tels sujets peut avoir des conséquences directes
tant dans les rapports avec ses interlocuteurs que vis-à-vis de la communauté
savante. D’un côté, les chercheurs sont souvent immergés dans des milieux
(associations, groupes militants, élites, représentants étatiques) surinvestis
par des références à l’authenticité identitaire et traditionnelle, mobilisées à
différents titres, et ils sont appelés à prendre parti dans ces enjeux de luttes
classificatoires (Andion Arruti, 1998). D’un autre côté, ils doivent se positionner
face au nombre de débats qui ont surgi dans le champ académique et qui ont vu
se confronter les positions essentialistes et constructivistes, notamment autour
de la controverse sur l’invention des traditions (Wittersheim, 1999) et plus
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récemment sur les théories des études postcoloniales (Gagné, 2008).
Peter Pels exprime ces contradictions à travers le concept de duplexity,
à savoir un tiraillement constant que vit l’anthropologue par rapport à
la responsabilité qu’il a, d’un côté vis-à-vis des gens avec qui il a conduit sa
recherche sur le terrain et de l’autre côté vis-à-vis des exigences d’un auditoire
savant et des contraintes académiques (Pels, 1999).
Néanmoins, la prise de position du chercheur face à ces questions ne relève
pas purement de choix éthiques ou théoriques : ses réflexions sont habitées, au
niveau inconscient, par toute une série d’a priori et de blocages qui influencent
son regard sur les choses, mais qui sont souvent effacés au niveau de l’analyse
rationnelle. Comme le dit Alban Bensa, «  nos pratiques scientifiques sont hantées
par des goûts et des options qui n’ont rien de scientifique, mais orientent nos
choix de méthode et de théorie » (Bensa, 2011). Ces éléments sont pourtant,
la plupart des fois, évacués du texte final comme non scientifiques, traces
suspectes des réflexes irrationnels du chercheur.
Dans mon expérience de terrain, ces impensés ont joué fortement sur les
choix que j’ai pris et sur la façon dont j’ai dirigé mes déplacements sur le
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terrain et mes cheminements intellectuels. Cet article fait état des principaux
pièges dans lesquels certains a priori épistémologiques m’ont conduite, ainsi
que des opportunités de connaissance qu’ils m’ont ouvertes, notamment
à propos d’un aspect à la fois gênant et incontournable de mon terrain, la
référence à la tradition. À partir d’une brève description du contexte politique,
social et ethnographique dans lequel je mène ma recherche, je vais relier
mes principaux choix méthodologiques aux situations qui ont représenté des
sources de malaise et de perplexité, et qui ont produit à leur tour des réflexes
d’évitement et de refoulement de certaines pistes de recherche. Bien que
cela ait représenté initialement une limite dans ma production de matériau de
terrain, j’ai pu opérer une reprise de ces sujets sensibles, à travers le retour sur
deux moments particulièrement marquants qui m’ont obligée à me confronter
à mes a priori et à réaliser à quel point ces derniers ont influencé ma réflexion
et mes comportements sur le terrain.

ÊTRE AUTHENTIQUE EN MILIEU URBAIN


Mon travail se base sur une ethnographie des relations politiques qui se tissent
au sein d’une municipalité située à la périphérie de Santiago du Chili, caractérisée
par la présence d’une population indienne mapuche assez importante, proche
de 10 % de la population totale, et par la constitution d’un tissu associatif indien
complexe et très lié à différents organismes de l’administration locale. Je retrace
en particulier les trajectoires et les circulations des membres d’une association
mapuche reconnue parmi les plus actives et les plus influentes de la capitale.
Comptant aujourd’hui plus de 80 membres, elle se présente comme un espace
de partage et de récupération de la culture mapuche dans le milieu urbain et
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représente le centre des activités culturelles mapuche du secteur.
Le contexte urbain constitue un lieu central, bien qu’encore peu exploré,
pour interroger les manières dont les Mapuche cherchent à se positionner
par rapport aux institutions étatiques et à la société chilienne. Depuis les
recensements effectués en 1992 et 2002, il est devenu évident que le phénomène
d’urbanisation amorcé autour des années 1930 au niveau continental (Imilán,
2010) a touché aussi les populations indiennes au Chili. Selon ces résultats,
aujourd’hui les plus grandes concentrations absolues de population indienne
se trouvent en zones fortement urbanisées. C’est ici que commencent à
proliférer, à partir de la moitié des années 1990, des organisations mapuche,
si bien qu’aujourd’hui on en dénombre plus de 250 dans la seule région de
Santiago. Pourtant, les Mapuche habitant des zones urbaines ont toujours vu
projeter sur eux un soupçon d’inauthenticité (Wittersheim, 1999), tant du
côté de certains milieux, y compris intellectuels, de la société chilienne, que
du côté des propres leaders et militants politiques mapuche. Les premiers se
réjouissent de les voir intégrés à la modernité, tout en leur reprochant la faute
immorale d’avoir « perdu leurs origines » ou en annonçant leur disparition
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(Villalobos, 1995 ; Saavedra Peláez, 2002). Les seconds prennent leurs distances
avec cette partie de la population, dont la trajectoire et les conditions actuelles
ne s’ajustent pas au récit homogène et universalisant de « peuple Mapuche »,
adapté à leurs demandes politiques d’autonomie et de libre détermination
(Nahuelpán Moreno, 2013).
Néanmoins, pour les habitants mapuche des zones urbaines, faire preuve
d’authenticité est un enjeu qui touche avant tout leur capacité à revendiquer
un droit d’existence et à occuper une place au sein de la vie politique locale.
S’intéresser au quotidien des associations mapuche dans ce contexte porte
alors à interroger la configuration des rapports entre État chilien et peuples
indiens, lesquels ont connu d’importantes transformations dans les dernières
décennies. À partir des années 1990, après dix-sept ans de dictature militaire,
les gouvernements démocratiques se sont engagés dans la mise en place d’une
série de politiques et de programmes au profit des populations indiennes et
inspirés des principes du multiculturalisme (Boccara, 2002). Dans ce cadre,
la promulgation en 1993 de la Loi 19.253, mieux connue sous le nom de Loi
Indienne, établit, entre autres, les conditions juridiques pour définir qui peut
être reconnu par l’État en tant qu’indien 1. De cette façon l’État chilien impose
une définition légale d’indien ou de communauté authentique, en s’arrogeant
aussi le droit d’exclure de sa reconnaissance toutes les manifestations
de l’indianité qui ne correspondent pas à ses propres critères (Boccara &
Ayala, 2011 ; Richards, 2013). La Loi Indienne établit aussi les modalités de
constitution d’associations indiennes, lesquelles sont formellement désignées
comme des regroupements d’au moins 25 membres d’origine indienne, dotées
d’une personnalité juridique donnant accès à des formes de financement et
soutien de la part de l’État et de ses instances au niveau local. Les activités
pouvant être financées dans ce cadre doivent viser l’objectif de « revitaliser
la culture » et de « récupérer les savoirs » 2. Quant aux financements,
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l’État poursuit une politique de subvention basée sur des appels à projets.
Les associations qui veulent en bénéficier doivent formuler des projets qui
s’insèrent dans les domaines d’action proposés par le modèle des concours,
comme la Santé, l’Éducation, la Culture, et plus spécifiquement, la revitalisation
des langues autochtones, de la gastronomie ou de l’artisanat traditionnel,
de la médecine ancestrale, entre autres. Ces projets doivent répondre à
certains critères de validité, en d’autres termes, faire preuve d’authenticité,
en visant la valorisation et la récupération d’une tradition et d’un patrimoine
culturel réifiés et complètement abstraits des conditions sociohistoriques
de leur production. Entre autres, cette forme de soutien a amené comme
conséquences « perverses » une prolifération des pratiques de gestion et de

1 La loi considère comme indien toute personne de nationalité chilienne « qui soient fils de
père ou mère indiens, […], qui habitent le territoire national, et qui possèdent au moins un nom
de famille indien » et ceux qui « maintiennent des traits culturels de quelque ethnie indienne, en
désignant comme telle la pratique des formes de vie, des coutumes ou de religion de ces ethnies
de manière habituelle », Loi 19.253, paragraphe 2, article 2.
2 Loi 19.253, 1993, Titre 5, paragraphe 2, articles 36-37.
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contrôle bureaucratiques qui s’imposent aux associations comme condition de


réussite des projets, ainsi qu’une logique de compétitivité qui individualise les
efforts et rend les relations entre ces dernières davantage conflictuelles que
collaboratives (Bolados García, 2012).
Au vu de cette situation, la légitimation identitaire de la part de l’État et
les rappels à la valeur de la tradition s’entrecroisent dans ce contexte urbain
pour donner lieu à un scénario extrêmement complexe. Ce cadre politique
et institutionnel fait écho à l’analyse de Joanne Barker sur les enjeux de la
reproduction du paradigme de l’authenticité indienne aux États-Unis, véhiculés
par le Native Act (Barker, 2011). Elle met en évidence à quel point le principe
de l’État légitimant l’authenticité culturelle est en continuité avec une logique
coloniale. Qui plus est, elle démontre comment le monopole de ce pouvoir de
désignation entraîne de lourds effets sur les politiques d’identification propres
aux communautés. Ainsi, ce sont les dirigeants de ces dernières qui reprennent
cette idéologie d’une identité culturelle définie et garantie par la loi et imposent
aux membres de leurs communautés de s’y conformer et de faire preuve
d’une ethnicité convaincante. C’est ainsi que des opérations de revendication
identitaire entretiennent un lien controversé avec la reproduction, depuis
l’intérieur, d’une assignation identitaire coloniale (Trépied, 2015).

LA TRADITION : UN OBJET ANGOISSANT ?


À l’instar de Barker, je considère de façon critique ces dispositifs étatiques de
légitimation de l’indien authentique. Du moins, en arrivant sur le terrain en
2014, telle était la vision des rapports de force qui guidait ma recherche. La
question était de savoir comment se positionnaient les associations mapuche
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face à ce système de validation des savoirs traditionnels et de l’authenticité
culturelle à travers un encadrement bureaucratique. Étaient-ils également
critiques vis-à-vis de telles politiques ? Déçus par leurs résultats ? Mal à
l’aise face aux conditions qu’elles imposaient et aux effets ambigus qu’elles
engendraient ?
Or, au fur et à mesure que je m’insérais dans les activités quotidiennes
des membres de l’association, je constatais que mes interlocuteurs semblaient
vouloir s’inscrire dans cette image d’indien officiel et faire preuve de leur
authenticité selon les critères validés par l’État et encore plus tombaient dans
le piège de la mise en concurrence que ce système de distribution sélective de
ressources favorisait.
Cette validation constituait un enjeu crucial, surtout au vu de la dépendance
de l’association à un financement du ministère de la Santé, qui leur permettait
de réaliser un service de consultation basé sur les principes de la médecine
mapuche. Depuis 2006, en fait, l’association propose son service de médecine
traditionnelle mapuche, basé sur les savoirs thérapeutiques du machi, titre
mapuche qui désigne le shaman guérisseur et guide spirituel d’une communauté.
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Ce monsieur âgé de 70 ans, don Francisco 3, jouit d’une grande autorité au sein
de l’association en tant que connaisseur des savoirs traditionnels et spirituels.
Pour cette raison, il est très connu même au-delà des frontières de la municipalité
et cette renommée participait des éléments mobilisés par l’association pour se
légitimer par rapport aux autres.
Dans ce contexte, les discours d’attribution d’une légitimité traditionnelle
étaient mobilisés à la fois pour réaffirmer la valeur de l’association par
rapport aux associations voisines, pour souligner les rapports d’amitié ou de
concurrence qui les liaient, pour attester l’autorité et la légitimité de leurs leaders
comparativement à ceux des associations environnantes. Ces derniers étaient
décrits comme « des gens qui manquent des connaissances fondamentales sur
la culture », alors que l’association que je fréquentais se considérait « la seule
en train de travailler sérieusement » 4.
Les arguments avancés étaient constamment centrés sur la pureté et
l’authenticité des coutumes et des procédures rituelles qu’ils pratiquaient, la
fidélité aux traditions de leurs ancêtres et l’ancrage dans un mode de vie rural
et communautaire. Il n’était pas rare que je me trouve placée en position de
juge ou de défenseur de l’authenticité de « mon » association. Dans une telle
configuration, je me suis vite retrouvée dans l’embarras de ne pas savoir quoi
faire de mes « a priori critiques » vis-à-vis de ces discours de légitimation.
En fait, je réalisais non seulement à quel point ce milieu était chargé de
références essentialistes à la tradition, mais aussi comment celles-ci affectaient
directement ma position et défiaient ma présence sur le terrain. Je me sentais
prise dans une impasse : je ne pouvais pas éviter d’éprouver une sorte de
méfiance envers les discours de valorisation et de revendication de l’authenticité
culturelle tels que je les entendais, au vu des enjeux de pouvoir qui imprégnaient
les contextes d’énonciation de ceux-ci. En même temps, en sachant que mes
interlocuteurs ne partageaient pas ma vision critique des choses, il m’était
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impossible d’imaginer une forme d’engagement auprès d’eux (Boullosa-Joly,
2013). Plus encore, je craignais qu’un questionnement direct de leur discours
essentialiste aurait pu être perçu comme une manifestation de mépris à leur
égard et entraîner des conflits et des malentendus entre nous.
D’un côté, j’étais face à une situation que Marchive définit de double
contrainte, qui se présente à l’ethnographe lorsqu’il « suscite des attentes
légitimes […], mais les réponses qu’il est en mesure d’apporter peuvent avoir
des effets de déstabilisation et conduire à l’altération des relations de confiance,
voire à la remise en cause de l’observation elle-même » (Marchive, 2012, p .86).
D’un autre côté, je me retrouvais à dialoguer avec des références théoriques
qui mettaient à distance les constructions essentialistes et renvoyaient ces
dernières aux effets pervers engendrés par les politiques d’État.
Les raisons de mon malaise étaient liées à ce que je concevais alors
comme un impossible choix : suspendre mon jugement sur l’usage que mes

3 Dans le souci de respecter leur anonymat, les prénoms des enquêtés ont été changés.
4 Conversation au siège de l’association, extrait de carnet de terrain, 1er avril 2014.
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interlocuteurs faisaient de la tradition, en prenant le risque de tomber dans


de graves myopies analytiques, ou maintenir ma posture critique en dépit des
ruptures et des conflits que cela aurait pu entraîner dans mes relations. C’est
cette impasse qui m’a amenée, de façon plus ou moins inconsciente, à prendre
de la distance vis-à-vis de toute référence à la tradition, tout en essayant de
justifier de façon méthodologiquement acceptable ce choix. C’est, au fond, ce
malaise qui m’a poussée à « mieux définir » mon objet, en délimitant l’analyse
au politique, c’est-à-dire aux dynamiques de pouvoir vécues et entretenues
par les différents acteurs de la municipalité, où l’appel à l’authenticité ne
serait qu’un terrain de lutte parmi d’autres. Mon objectif principal est alors
devenu celui de comprendre les nouvelles formes d’action politique au sein
et en marge des nouveaux espaces institutionnels et légaux institués par les
politiques interculturelles. Mes intérêts ethnographiques se tournèrent alors
vers les relations directes avec les autorités municipales ou les agents locaux,
les stratégies de placement de certains membres dans des conseils citoyens,
entre autres, en considérant leur façon de s’attribuer une légitimité ethnique
comme un pur instrument de validation circonstanciel dans ce jeu politique.
Revenir sur les origines de ma problématique, avec du recul et en adoptant
une démarche réflexive, a été un passage fondamental pour comprendre à
quel point ma prise de position méthodologique et la façon dont j’ai investi
mes rapports sur le terrain ont été influencés par l’emprise du sentiment
de l’angoisse et par ses effets. Un tel état d’esprit venait souligner la nature
problématique de certains nœuds du terrain : la référence à la tradition que
je ne voulais pas entendre, la crainte de perdre ma place, le maintien de mon
autonomie de jugement, la fidélité à mes principes et à ma lecture critique sur
les effets des politiques interculturelles et la question de quel statut donner
aux propos de mes interlocuteurs. De manière plus générale, je me suis
retrouvée à expérimenter à quel point « la voie est étroite entre sa vocation à
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témoigner librement, les contraintes qu’implique sa position à l’égard de ceux
qui l’accueillent, et l’impossibilité de contrôler l’usage qui peut être fait de son
travail » (Marchive, 2012, p. 84). Reconnaître l’existence d’un tel malaise face
à ces questions m’a permis par la suite d’en identifier les conséquences pour
le cheminement de la recherche, notamment lorsque le réflexe immédiat a été
celui d’une mise à l’écart de telles apories.
George Devereux a été le premier à théoriser le lien entre les données
ethnologiques, leur nature potentiellement angoissante, le traumatisme qu’elles
peuvent induire sur le chercheur et l’évitement dans lequel ce dernier peut
se replier pour réagir à l’angoisse (Devereux, 1980). À partir de ce constat,
Devereux affirme que le chercheur peut avoir recours de façon inconsciente
à une certaine méthode comme instrument pour réduire l’angoisse éveillée
par ses données. D’ailleurs, « justement parce qu’ils réduisent l’angoisse,
[ces] dispositifs sont souvent systématiquement transformés en de véritables
réactions de contre-transfert conduisant à un passage à l’acte autocontraignant
qui se fait passer pour de la science » (Devereux, 1980, p. 129). Utilisé dans
ce but, le cadre d’analyse constitue un filtre défensif qui « décontamine » le
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matériau anxiogène en refoulant ou en niant son contenu affectif et humain et en


déformant ainsi la perception qu’on a de la réalité (ibid., p. 133). Dans mon cas,
l’épuration des aspects problématiques de mon objet ne s’est pas simplement
révélée insuffisante à la poursuite « contrôlée » et linéaire de la recherche.
La justification méthodologique de cet écartement, lorsqu’il était motivé par
des réflexes inconscients, a constitué un des principaux pièges de l’enquête.
Tant qu’ils sont restés inconscients, les refoulements que j’ai déployés malgré
moi sur le terrain m’ont maintenue éloignée de plusieurs domaines d’enquête,
tout en me préservant du trouble de faire face à des positions éthiquement et
épistémologiquement complexes à intégrer.
Cependant, si une telle démarche m’a permis de « recadrer mon objet »,
mon impartialité continuait à ne pas aller de soi. Je ne cessais de recevoir des
pressions de la part des gens pour que j’affiche enfin quelle était ma position
face au statut, à la valeur et à l’« efficacité » des savoirs traditionnels. Malgré
mes efforts pour défendre ma position de neutralité impossible, je ne pouvais
plus ignorer ces sollicitations, surtout lorsque ces pressions atteignirent ma
sphère la plus intime.

ACCEPTER UNE PLACE


A posteriori, je peux situer l’origine de mon changement dans la façon de vivre
et de comprendre les rapports sur le terrain dans un événement précis. Je vais
emprunter le concept d’« épisode émotionnel clé » (Key emotional episode, KEE)
créé par Peter Berger, pour décrire cet événement et en dégager la portée
épistémologique (Berger, 2010). Berger définit les KEE comme des épisodes qui
viennent bouleverser l’idéal de la situation de terrain, des moments cruciaux
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de la recherche, où l’ethnographe n’a aucun contrôle ni aucun recul réflexif
sur la situation. J’ai personnellement vécu cette situation au sein du service de
médecine interculturelle de l’association. Mon approche du service de santé de
l’association s’est réalisée à travers ma participation directe en tant qu’assistante
à l’accueil et l’enregistrement des patients.
Depuis cette position, j’avais l’opportunité d’entendre au quotidien les
usagers exprimer leur foi et leur admiration pour la médecine traditionnelle
mapuche et notamment pour les capacités divinatoires et les savoirs
thérapeutiques du machi. Selon les récits des personnes après consultation,
ce dernier pouvait reconstruire les épisodes fondamentaux de leur vie sans
leur poser la moindre question et arriver infailliblement au cœur du problème
d’où provient la maladie. Du côté des membres de l’association qui formaient
l’équipe du service de santé avec le machi, les commentaires insistaient aussi
sur les effets prodigieux de la médecine mapuche et sur les pouvoirs spirituels
du machi.
En étant depuis quelques mois membre de cette équipe, j’étais la seule
qui ne s’était jamais soumise à une visite chez le machi. Je justifiais ce choix
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  579

face à mes collègues, en prétendant n’avoir aucun problème de santé et, vis-
à-vis de moi-même, en me disant qu’une telle expérience ne rentrait pas
dans mes objectifs de recherche. Pourtant, je percevais les attentes que mes
interlocuteurs exprimaient, en m’invitant à leur démontrer mon engagement et
ma confiance en eux et dans leur spiritualité, chose qui posait encore une fois
des problèmes à ma décision de rester en retrait vis-à-vis de telles questions.
Face aux insistances de plus en plus pressantes, je craignais que mon hésitation
soit interprétée comme un manque de confiance ou de respect vis-à-vis du
machi et de toute la communauté. J’ai donc accepté de m’inscrire dans le
registre des rendez-vous des patients et, la semaine suivante, je suis arrivée au
siège de l’association prête pour la consultation.
J’ai donc entrepris toutes les étapes du « parcours du patient », à partir
de l’enregistrement et du renseignement de mes données personnelles, phase
que je connaissais par cœur au vu de mon expérience à l’accueil, jusqu’à celle,
inconnue, de la consultation avec le machi. Me retrouver assise devant cet
homme, avec qui j’avais partagé de nombreux moments et pourtant sans m’être
jamais soumise, jusqu’à ce moment, si explicitement et volontairement à son
« autorité spirituelle », me rendait inquiète et curieuse à la fois. D’un côté, je
craignais le pouvoir que je lui avais accordé en m’exposant à son regard et à
son diagnostic. D’un autre côté, j’avais l’espoir que ce geste de confiance et
d’ouverture envers lui aurait permis d’alléger la tension et, une fois reconnues
mes bonnes intentions, m’aurait permis de continuer mes recherches entre
les limites que je m’étais fixées. Finalement, l’expérience de la consultation se
révéla extrêmement choquante. Après un premier regard sur mon échantillon
d’urine, le machi émit un verdict cruel : mon destin s’annonçait très mauvais.
Pour appuyer ce constat, il revint, un par un, sur les points les plus sombres
et les plus personnels de mon histoire, depuis mon enfance, des sensations et
des ombres dont l’évocation si précise me troubla fortement. Étourdie par la
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façon dont tout cela s’était passé, je sortis complètement bouleversée de ma
consultation.
Analysée avec du recul, cette expérience permet de dégager des enjeux
cruciaux pour comprendre à quel point la référence à la tradition imprègne
les dynamiques relationnelles et les rapports de pouvoir qui caractérisent la
situation de terrain. Tout d’abord, elle informe sur le regard que la communauté
portait sur moi et sur ma posture. Leur insistance pour que je me soumette
au savoir du machi m’avait fait comprendre que ma position en marge de la
tradition n’était pas qu’une posture intellectuelle. Elle était visible à l’extérieur
et perçue par mes interlocuteurs comme une forme de repli, un refus de
m’intégrer complètement à leur communauté. M’inviter à un geste d’ouverture
envers leurs valeurs et « croyances », c’était alors m’offrir la possibilité de faire
un pas vers eux.
Deuxièmement, le déroulement de la consultation rend explicite à quel
point les pressions que je recevais pour me soumettre au regard savant du
machi visaient à défier mes résistances envers la valeur de la tradition : en me
faisant preuve de sa capacité à dévoiler mes secrets les plus intimes et mes
580  Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4

peurs les plus irrationnelles, don Francisco n’accomplit pas simplement son
rôle de guérisseur, mais il me poussa à remettre en question ma position de
distance, à reconnaître, autrement dit, son autorité en tant que figure inscrite
dans la tradition.
Ce sont là des raisons pour lesquelles cet épisode peut être analysé en
tant que KEE. Selon Berger, en fait, les fortes émotions ressenties par
l’anthropologue sur le terrain ne sont pas confinées à sa propre expérience
ou à ses perceptions : elles deviennent parties d’une interaction sociale qui
provoque une réaction de la part des autres acteurs. Les KEE peuvent constituer
une interface, un point de rencontre entre le chercheur et ses interlocuteurs,
et, bien que souvent choquants ou bouleversants, ils peuvent, entre autres,
contribuer à son intégration dans le contexte social étudié.
Et pourtant, bien que cela me semble aujourd’hui très évident, j’ai pendant
longtemps considéré cet épisode de la consultation avec le machi comme
un accident, une source de tensions qui auraient offusqué encore plus ma
lucidité, une expérience trop sensible et complexe à évoquer. Une fois rentrée
de ce premier terrain en août, peu de temps après la consultation, j’avais
songé de reléguer l’épisode dans un oubli programmé, indispensable d’abord
pour pouvoir entamer une analyse de mes premières données sans que
l’idée d’ouvrir mes carnets de notes ne m’effraie, et ensuite pour envisager
sereinement un retour sur ces lieux lors d’un deuxième terrain, sept mois plus
tard, en mars 2015.
Dans un premier temps, donc, l’effet immédiat que cette expérience eut sur
moi, et sur ma recherche, ce fut une retraite encore plus résolue du domaine
des savoirs traditionnels, dictée par le pur réflexe du refoulement. Mais aussi le
réveil d’un doute : si cette expérience avait été si troublante, c’était peut-être
parce qu’elle avait bousculé profondément des équilibres et des convictions,
une expérience qui m’avait laissée démunie de toute ressource théorique ou
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logique, et qui m’invitait à un effort pour saisir autrement le statut et les usages
pratiques des discours ayant référence aux savoirs traditionnels. Le comment
restait une question angoissante.
L’occasion pour récupérer cette expérience et comprendre sa portée
épistémologique ne se présenta que beaucoup plus tard, au cours de mon
deuxième terrain, notamment lorsque j’eus l’occasion de voir don Francisco à
nouveau confronté à la remise en question de sa légitimité en tant qu’autorité
traditionnelle. À cette occasion, en revanche, il se vit menacé non pas par mes
réserves à me confier à ses pouvoirs de guérison, mais dans un contexte externe
à l’association. D’ailleurs, si cette situation fut aussi révélatrice, notamment, des
enjeux de pouvoir autour de l’affirmation de son savoir et de son autorité et,
quelque part, libératoire, ce fut probablement parce que, cette fois-ci, il n’était
pas question de moi.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  581

LE POLITIQUE DANS LA TRADITION


Lors de mon retour sur le terrain l’année suivante, en mars 2015, la tension
provoquée par le diagnostic était encore éveillée, ainsi que mon inconfort face
à la rhétorique essentialiste et des membres de l’association. J’avais repris
mes activités auprès de l’association depuis quelques semaines lorsqu’un autre
moment de bousculement vint donner un nouvel éclairage à mon malaise.
Don Francisco avait reçu une invitation pour conduire une cérémonie
auprès d’une autre association située dans une commune voisine 5. Pour cela,
une réunion de préparation était prévue une semaine avant, à laquelle il me
proposa de l’accompagner. Néanmoins, le jour convenu, lorsque don Francisco,
sa femme et moi étions déjà en route vers le lieu de la réunion, il m’annonça
que juste la veille il avait reçu la nouvelle de la mort d’une tante à Temuco,
sa province d’origine, à 700 km au sud de Santiago. Il avait donc décidé de
renoncer à célébrer le rituel et de partir au plus tôt pour participer aux
funérailles. Il aurait annoncé sa décision aux personnes à la réunion, comptant
sur leur compréhension.
Une fois arrivés au siège de l’association, après un cérémonial de salutation
assez formel, vint le moment de se réunir à table. Quand tout le monde eut pris
place, don Francisco demanda l’attention des gens pour annoncer qu’il n’aurait
pas pu être présent pour la cérémonie le jour convenu, comme promis, à cause
d’un événement familial, et qu’il s’était également présenté à la réunion pour
pouvoir les informer personnellement. Les personnes présentes restèrent très
étonnées et déconcertées. Néanmoins, elles se montrèrent également prêtes
à trouver une solution : la première proposition fut de changer la date de la
célébration, solution qui aurait permis de garantir la présence de don Francisco
à l’événement. La proposition sembla recevoir sans difficultés l’approbation
d’une large majorité de présents quand un monsieur plutôt âgé se leva assez
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contrarié, en avançant contre cette décision un argument plutôt provocateur :
les invitations à la cérémonie avaient déjà été envoyées et beaucoup de
personnes s’étaient désormais organisées pour voyager depuis les provinces
voisines pour participer à l’événement. L’objection recueillit très vite un certain
consensus et arriva à polariser les positions des présents. Peut-on lire derrière
cette histoire d’invitations une expression d’hostilité vis-à-vis de ce machi
étranger à la communauté ? Sur le moment, cela resta une hypothèse parmi

5 La nécessité pour une association de solliciter les services d’un machi est liée à la façon dont
la Loi Indienne réglemente la constitution d’associations indiennes. Pour pouvoir se constituer
légalement, une association indienne a l’obligation d’élire un comité de direction formé par un
président, un vice-président, un trésorier et un secrétaire. Par contre, l’État ne reconnaît pas le
rôle des autorités traditionnelles, comme le lonko, chef politique désigné par voie héréditaire à
l’intérieur d’un lignage au sein d’une communauté, ou le machi, en tant que figures fondamentales
pour la formation d’une association mapuche. Dans ce cas, l’association invite don Francisco car
elle compte parmi ses membres un lonko et un président, dispose d’un espace cérémonial, mais pas
d’une autorité religieuse ; ses membres doivent alors recourir à un machi externe pour pouvoir y
officier des rituels.
582  Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4

d’autres. Néanmoins, ce qui était évident pour tout le monde, et encore plus
pour don Francisco, était le fait que ce monsieur, avec son intervention, avait
réussi à attaquer l’autorité du machi, en montrant que sa présence dans le rituel
n’était pas l’enjeu le plus important pour tout le monde.
La décision du président fut de remettre la question à une discussion en
assemblée avec tous les membres, excluant don Francisco et ses accompagnateurs,
moi-même et sa femme. Contraint d’accepter cette procédure, ce dernier
ne dissimula pourtant pas sa déception en réalisant que sa présence pour le
rituel était considérée, non pas comme une priorité évidente, mais comme une
question pouvant être soumise au vote populaire, et dont l’issue s’annonçait
assez incertaine.
Assise du côté des invités, j’étais gênée et surprise de voir à quel point la
situation avait pu se renverser. Ce fut à ce moment que je pris conscience des
raisons qui avaient pu pousser don Francisco à me proposer de l’accompagner à
cette réunion. Ma présence, en tant qu’étrangère et anthropologue, à ses côtés,
aurait dû à la fois impressionner nos hôtes et prouver sa légitimité de figure
spirituelle, dans une mise en scène minutieusement soignée. Cela montrait
donc qu’il n’était peut-être pas tout à fait inconscient des enjeux et des conflits
sous-jacents à cette rencontre.
Sensible au climat de tension que cette affaire avait jeté sur les gens, le
président de l’association proposa de profiter tous ensemble du déjeuner avant
d’ouvrir l’assemblée, pour « détendre les esprits ». C’est là que don Francisco
engagea une sorte de duel avec le président de l’association, dans lequel se
joua, pour le premier, le rétablissement de sa légitimité, sortie plutôt blessée
dans les échanges précédents. Pour le deuxième, il s’agissait de défendre la
légitimité de son association et des procédures décisionnelles qui régulaient
son fonctionnement interne.
Il s’ensuivit un dialogue assez passionnant, autour de certaines thématiques
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qui semblaient cristalliser « les enjeux de la légitimité » pour les associations
mapuche, que j’avais déjà entendu évoquer plusieurs fois. Le premier point sur
lequel don Francisco interpella le président fut le programme de l’association
pour l’année à venir. Ce dernier vanta la capacité de ses membres à maîtriser
des savoir-faire traditionnels, ce qui leur permettait d’assurer l’animation
d’ateliers et d’obtenir des financements.
Ensuite, ce fut au tour du leadership du président d’être remis en question :
ce dernier dit ne pas vouloir se présenter pour un deuxième mandat l’année
suivante. Don Francisco le provoqua alors en disant que, s’il assumait
sérieusement le rôle de guide de son association, il aurait dû plutôt se tenir à
la coutume qui veut que le chef d’une communauté, une fois désigné, garde ses
fonctions toute la vie.
Au fil de la confrontation, le but de don Francisco devenait de plus en plus
évident : se protéger de l’éventuel outrage qu’aurait représenté la décision de
maintenir la date fixée, en mettant en avant son savoir sur les coutumes, pour
remarquer la nécessité de sa présence pour le rituel. Ainsi, dans l’éventualité où
celle-ci n’aurait pas été reconnue par les membres de la communauté comme
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  583

une priorité, il aurait pu facilement leur reprocher leur manque de sérieux


et leur ignorance vis-à-vis des principes de la spiritualité et de la tradition.
Bref, s’ils étaient de vrais Mapuche, ils auraient dû savoir quel était le choix à
prendre.
En effet, ce fut une précaution assez avisée. La décision prise par l’assemblée
confirma la crainte de don Francisco : l’association choisit de maintenir la date
établie et de réaliser, par conséquent, la célébration sans le machi. Ce dernier,
obligé d’accepter la décision de la communauté et ayant en même temps déjà
préparé le terrain, se permit de lancer une dernière admonition avant de se
retirer : ils avaient le droit de célébrer le rituel tout seuls, mais ils ne devaient
pas oublier que sans machi cela n’aurait eu aucune valeur spirituelle.
Avoir pris part à une telle situation en tant qu’accompagnatrice du machi,
m’a permis de comprendre que j’avais implicitement accepté d’occuper
une nouvelle position vis-à-vis de lui et que ce déplacement avait eu des
conséquences sur mon regard. Être non plus confrontée à don Francisco, mais
en quelque sorte témoin de son autorité en tant que machi m’a permis de
vivre « de son côté » les craintes, les difficultés et les conséquences autour du
maintien ou de la mise en question de sa légitimité. Ces opérations d’entretien
de son autorité montraient, donc, comment les pouvoirs thérapeutique, social,
politique, sacré de don Francisco étaient des acquis fragiles, qui demandaient
un entretien assidu et risquaient constamment d’être perdus.
Ainsi, cet épisode a résonné fortement avec l’expérience choquante de
la consultation, en m’ouvrant un point d’entrée différent sur la question de
savoir pourquoi cette autorité de la tradition que je ne voulais pas « prendre
au sérieux » m’avait si profondément atteinte à ce moment. Seulement une
fois libérée de l’angoisse de me voir exposée en première personne aux
provocations et aux épreuves qui m’étaient adressées au nom de la tradition,
grâce à ma position à la fois impliquée à côté de don Francisco et en marge du
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conflit, j’ai pu véritablement observer les stratégies de recours à la tradition
qui se déployaient devant moi et, de ce fait, repenser aux raisons par lesquelles
elles m’avaient affectée.
Ce n’était donc qu’en les voyant opérer comme une arme retournée contre
don Francisco que j’ai mesuré le sérieux de ces références à la tradition et
ai réalisé à quel point il était inévitable, quoi que je fasse, de m’y retrouver
impliquée.

POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DES AFFECTS


Jeanne Favret-Saada décrit l’ensemble de son parcours sur le terrain comme
une « progressive intelligence », qui ne saurait pas se dire complétée jusqu’au
moment de sa mise à distance temporelle, « en revenant après coup sur des
épisodes énigmatiques » (Favret-Saada, 1977, p. 38). Cette compréhension
après coup des situations dont elle a souvent manqué de saisir l’épaisseur sur
584  Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4

le moment, mais dont elle est restée émotivement et longtemps prisonnière,


n’est pas pour autant considérée comme une limite de son travail : « Lisant
mon récit on s’étonnera qu’en telle ou telle occasion, j’aie pu me montrer aussi
stupide. Je n’ai pas manqué de le regretter moi-même. Je soutiens pourtant que
la stupidité de l’ethnographe, c’est-à-dire son refus de savoir où l’indigène veut
l’entraîner, est inévitable dans de semblables circonstances » (Favret-Saada,
1977, p. 52).
La valeur concrète des références à la tradition et à l’authenticité de la part
de mes interlocuteurs est restée un élément insaisissable pour moi pendant
une grande partie de mon terrain. En fait, non seulement ces contradictions
venaient défier mes positions critiques et théoriques, mais elles alimentaient la
peur de voir compromises nos relations et ma place au sein du terrain. J’avais
donc inconsciemment refusé de me laisser « entraîner » par ces doutes et ces
tensions, l’angoisse de me voir remise en question si profondément dans mes
repères étant trop dure à affronter.
La mise en scène de l’autorité du machi par le recours au référent de
la tradition a pu se transformer en un objet réel, seulement une fois saisie
dans une situation qui déployait devant moi les enjeux concrets autour de la
reconnaissance de sa légitimité sans que je sois appelée à prendre position
directement, car j’avais déjà accepté d’en occuper une, implicitement : celle
d’accompagnatrice, et donc de garante de l’autorité du machi. J’ai pu observer
don Francisco mobiliser ses ressources, faire jouer son statut d’autorité
spirituelle et sa connaissance des vraies traditions, dans une situation où des
luttes de légitimation et des enjeux de pouvoir étaient concrètement à l’œuvre,
en me retrouvant à les analyser pour la première fois libre de la crainte de
compromettre mes relations sur le terrain. Cela m’a permis de porter un
nouveau regard sur ces discours, ainsi que sur leurs usages et les logiques
qui les soutenaient. À partir de cette expérience, les références constantes
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à l’authenticité et à la tradition m’ont apparu alors, non seulement comme la
manifestation d’une adhérence à la rhétorique de la reconnaissance promue
par les politiques interculturelles, mais aussi comme des outils très concrets,
un nouveau répertoire de discours et de significations, mobilisés par mes
interlocuteurs pour définir et assurer leur position, ou encore questionner
et défier celle des autres, au sein des multiples relations dans lesquelles ils
sont engagés au quotidien. La pratique de la spiritualité et l’observation de
certaines hiérarchies sont défendues et célébrées pour des raisons au-delà de
la simple recherche stratégique d’une validation en tant qu’« indiens légitimes
pour l’État ». La rhétorique de l’interculturalisme peut ainsi être récupérée
comme instrument politique et mobilisée à des fins qui dépassent celle d’une
normalisation étatique du statut et du rôle de l’altérité indienne. Se limiter à
considérer les discours et les « preuves » d’authenticité comme pure émanation
d’une logique étatique normalisatrice, et ceux qui reproduisent ces discours
comme des sujets acritiques soumis à cette domination idéologique, empêche
de saisir les adaptations, les réappropriations, les usages « non officiels » dont
ces catégories font l’objet.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  585

Ainsi recontextualisée, cette affirmation de la légitimité par la tradition


a repris un tout autre sens à l’heure de revenir sur le moment où celui-ci
m’avait affecté le plus personnellement et profondément, après de longs
mois d’inconfort. Ce n’est qu’au moment où je réalisai que ces usages étaient
mobilisés dans la construction et la définition de positions de pouvoir au sein de
multiples relations, y compris celles avec des étrangers ou des anthropologues,
que j’ai pu réaliser de quelle manière je me retrouvais directement impliquée
dans ces phénomènes. En effet, l’entretien de ces positions de la part de mes
interlocuteurs dépendait aussi de ma disponibilité à leur reconnaître une
certaine crédibilité ; autrement, ils ne pouvaient que se sentir menacés face à
une mise à distance de ma part.
Car être présent sur le terrain conduit à y occuper une place et à en tirer
les conséquences : accepter de participer, d’« être prise » dans le discours
de la tradition authentique et d’être affectée, c’est-à-dire d’être altérée par
l’expérience vécue (Favret-Saada, 1977). Ce n’est qu’après avoir intégré l’angoisse
provoquée par certaines situations comme un élément essentiel à l’expérience
ethnographique qu’il est possible d’en faire une source de données, au lieu
de la considérer comme un obstacle, un embarras, un symptôme d’inaptitude
ethnographique. Dépasser le piège de l’évitement face à l’angoisse sur le terrain
passe ainsi par le choix méthodologique d’attribuer une valeur heuristique à un
type d’expérience des choses incarnées, souvent troublantes, qui traverse la
personne de l’ethnographe. Ainsi, pour se réaliser, ce passage « de l’angoisse à la
méthode » (Devereux, 1980) demande d’accepter et de comprendre comment
certaines émotions, réactions et expériences vécues pendant le terrain, si
elles sont traitées avec la même rigueur intellectuelle que les données plus
« empiriques », peuvent nous informer sur la façon dont certaines situations
ou interactions sont appréhendées (Spencer & Davies, 2010). Cependant,
reconnaître et assumer ses propres émotions, échecs, angoisses sur le terrain
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n’est qu’une partie de ce travail épistémologique. La possibilité de « convertir
une aventure en projet théorique » s’appuie dans un mouvement constant de
va-et-vient entre ces deux moments de la compréhension, la « prise initiale »
et « sa reprise théorique », qui, elle, se déploie dans le temps de l’après-coup.
Finalement, réhabiliter la valeur heuristique des émotions sur le terrain m’a
dévoilé bien plus que des maladresses et des incompréhensions sur le plan des
relations intersubjectives. En fait, le procédé arbitraire par lequel j’ai construit
une légitimité méthodologique autour du refoulement et de la négation de
certains aspects gênants s’est vu aussi déstabilisé.
On sait à quel point, en tant que chercheurs et auteurs de textes scientifiques,
nous avons le pouvoir de présenter nos affirmations comme convaincantes sur
la base de procédés rhétoriques (Geertz, 1996), notamment en construisant le
contexte où la connaissance ethnographique est produite, le terrain, comme
un lieu de vérité (Gieryn, 2002), un lieu qui autorise et rend évidentes nos
conclusions. Pourtant, faire état de ce pouvoir arbitraire reste une opération
sur laquelle il est difficile de lâcher prise. Plusieurs formes de refoulement
entrent en jeu dans l’opération délicate de prouver la légitimité d’une recherche,
586  Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4

plusieurs contraintes s’imposent. Entre autres, les positionnements théoriques,


mais aussi politiques et personnels du chercheur rentrent en jeu (Bensa, 2011),
sans pourtant qu’il semble bon ou acceptable de les étaler au grand jour,
surtout pas dans le texte final qui restitue les résultats de l’enquête. Avoir pris
conscience des effets du refoulement dans ma recherche m’a permis d’étendre
ce questionnement de fond non seulement à la façon dont j’ai géré mes relations
interpersonnelles, mais aussi aux bases épistémologiques sur lesquelles je menais
ma réflexion. L’angoisse du chercheur est tout aussi révélatrice, soit qu’elle se
manifeste en situation de rencontre ethnographique, soit qu’elle émerge face à
la nécessité de prendre des choix théoriques et méthodologiques. On aura vu
ici à quel point ces deux aspects de la recherche s’influencent mutuellement,
y compris dans les réflexes de résistance et de refoulement qui les touchent.

CONCLUSION
S’il ne fait désormais plus débat de définir la situation ethnographique comme
une expérience qui bouleverse l’enquêteur dans sa personne, ses valeurs, ses
émotions, il n’en reste pas moins que la capacité de faire état de ces expériences
humaines ne relève pas seulement d’un certain courage à mettre au jour ce
qui gêne (Bensa, 2008). Le trouble, l’insécurité, le choc ne sont pas que des
conditions somme toute normales, que chacun vit sur le terrain, effets du
dépaysement initial de l’ethnographe, et destinées à être de mieux en mieux
contrôlées au fur et à mesure que celui-ci avance dans son immersion. Elles
recouvrent des aspects problématiques de l’expérience d’enquête, qui ont
tout intérêt à être interrogés, car ils peuvent jeter une lumière nouvelle sur
certaines positions ou ouvrir à des questionnements inédits. Car, s’il est vrai
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que l’ethnographie est le mode de production du savoir pour l’anthropologie, le
matériau n’y émerge pas de façon linéaire, mais il est souvent source de trouble.
Mon intérêt ici a été celui de montrer le déroulement de mon chemin vers
la reconnaissance d’une valeur épistémologique à des épisodes, des doutes,
des impensés, que j’avais considérés au premier abord comme de malheureux
contretemps, et les bénéfices que cela a apportés à ma recherche. J’ai également
fait état de la modalité particulière par laquelle j’ai parcouru ce chemin, celle
de l’« après-coup » (Favret-Saada, 1977), ainsi que des principaux obstacles qui
s’y sont interposés, parmi lesquels l’emprise de mes positions théoriques de
départ a joué un rôle central.

Remerciements
Une première analyse de ce matériau a été présentée au séminaire « La fabrication
du sujet politique » de l’EHESS ; je remercie Alban Bensa, Manon Capo, Daniele
Inda et Julie Métais pour leurs remarques et leurs encouragements lors de cette
discussion. Ce travail a aussi bénéficié des questionnements et des lectures inspirés
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  587

par Bob White lors de mon séjour auprès du département d’anthropologie de


l’Université de Montréal. Je tiens également à remercier les trois évaluateurs de ce
texte pour leurs commentaires rigoureux et stimulants.

RÉFÉRENCES
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Anna POMARO est doctorante en anthropologie sociale à l’EHESS


et rattachée à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux
sociaux. Ses intérêts de recherche comprennent les politiques de
l’identité, l’ethnicité en milieu urbain, l’ethnographie de l’État et de
l’action publique.

Adresse EHESS, TEPSIS-IRIS


54, boulevard Raspail
F-75006 Paris (France)
Courriel anna.pomaro@gmail.com

Abstract: What to do with authenticity? From the


inhibition to the catching of a disturbing object
Ethnographic data result from anthropologist’s experience in
the field and the theoretical and methodological positions he
adopts. However, the researcher’s choices lean not only on
clear reasoning, but also on unconscious beliefs or inhibitions
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produced in response to particularly stressful situations. Starting
from the ethnography of an Indian mapuche association based
in Santiago de Chile, this article aims to analyze the conditions
of production of these materials. We will revisit the main
impasses encountered in this fieldwork, in order to disclose
these avoidance mechanisms, their effects on production data,
but also the type of knowledge that can be identify, a posteriori,
through the recovery of this repressed material. Finally, instead
of considering them as methodological errors, this article aims to
explore the epistemological potential of distress and its effects for
anthropological knowledge.
Keywords: tradition, repression, intersubjectivity, being
affected, afterwardsness.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2017/4  589

Resumen: ¿Qué hacer con la autenticidad? represión y


rescate de un objeto angustioso
Los datos etnográficos son el producto de la experiencia de
terreno del antropólogo como de sus posiciones teóricas y
metodológicas. Sin embargo, los criterios que guían el investigador
en su trabajo no son simplemente fruto de reflexiones
transparentes, sino también de juicios arbitrarios y represiones
elaboradas para enfrentar situaciones de angustia. Retomando
una etnografía realizada en una asociación indígena mapuche de
Santiago de Chile, este artículo se propone analizar las condiciones
de producción de estos materiales. El interés es retomar los
principales obstáculos encontrados en terreno, para desvelar
los mecanismos inconscientes de rechazo que estos inducen, sus
efectos sobre la producción de datos, pero también el tipo de
conocimiento que se puede extraer, a posteriori, retomando este
material reprimido. Finalmente, en lugar de considerarlos como
errores metodológicos, este artículo se propone de explorar
el potencial epistemológico de la angustia y sus efectos para el
conocimiento antropológico.
Palabras clave: tradición, represión, intersubjetividad, ser
afectado, a posteriori.
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