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GUENAIS Baptiste

Analyse du film Made In USA – Jean-Luc Godard (1967)


« Made In Usa », soit un film de Walt Disney joué par Humphrey Bogart, soit un film
politique. Avec son irrévérence caractéristique ce film du cinéaste tourné en 67 en même
temps que « Deux ou trois choses que je sais d’elle », Anna Karina dans le rôle de Paula
Nelson â la quête de la vérité dans la France des années soixante. L’américanisation de la
société, jusque dans les plus hautes sphères ou les tuants jouent au poker avec les députés
élevant la corruption au niveau de l’art, et ses travailleurs fatigués par le clivage politique
d’une « équation périmée » entre droite et gauche. Le cinéma de Jean-Luc Godard, c’est le
chaos (à première vue en tout cas) dans une profusion de couleurs de lumières, de sons et de
lettres. C’est la bande son dégeulasse qui empêche d’entendre les phrases limpidement. Ce
sont des sentiments et des pensées jetés dans le film à la figure du spectateur. C’est un film
d’horreur, un film de révolte. En déconstruisant le monde à la manière d’un Picasso, en le
reconstruisant dans un délire citationnel à la manière du Pop Art, il y aurait la un point de vue
sur le monde, et un point de vue du point de vue du cinéma sur le monde qui s’établirait.
Le cinéma, par sa faculté à traduire des sentiments et des pensées par des conduites
paraît particulièrement apte (selon Merleau-Ponty) à traduire la dualité de l’homme,
« L’union de l’âme et du corps, de l’esprit et du monde et de l’expression de l’un dans
l’autre » reste une contradiction inhérente à la nature même de l’appareil
cinématographique : il reste voué à décrire des choses qui lui préexistent et, par conséquent,
lui sont extérieures. Notre questionnement à travers l’analyse de cet extrait de Made In Usa
sera de savoir, s’il est possible pour le cinéma de penser et de se donner à penser autrement.
C'est-à-dire s’il lui est possible de dépasser sa contradiction et de décrire dans la perspective
phénoménologique de la philosophie, les choses de l’intérieur. Le cas particulier suffirait à
montrer que cette possibilité existe pour l’ensemble du cinéma dans son acceptation la plus
large. Il nous faudra donc d’abord étudier les éléments qui le permettent, ou au moins certains
éléments, les facultés de l’entendement qu’elles appellent et les fondements de la
connaissance dans la recherche de l’absolu. C’est pourquoi on tentera non pas seulement une
analyse esthétique, qui s’intéresse à la forme, mais aussi sémiotique élaboré par Pierce qui
s’intéresse aux signes et leur signification (dans un système triadique à la différence de la
sémiologie). Il s’agit bien d’une entreprise philosophique puisqu’elle vise à saisir le rapport
de l’esprit et du monde de manière épistémologique pour ensuite revenir aux concepts de la
pensée. Et elle nous paraît se justifier quand à cette œuvre particulière de Jean-Luc Godard en
tant qu’elle est le questionnement central et existentiel d’une partie de son œuvre (de jeunesse
du moins). Jusqu’où peut aller le cinéma ? A cette question bien difficile de prétendre
apporter une réponse complète. Passons d’abord à la description de la séquence.
Plan 1 - Contre-plongée sur des enseignes lumineuses. Une voix de femme chantant en
anglais s'élève à capella.
Plan 2 - Plan de Paula attablée dans un restaurant. Elle parle avec un homme hors-champ et
lui joue un tour lui demandant "ca ne vous fait pas rire ?".
Plan 3 - Changement d'axe de la caméra. Paula est filmée de profil. Le Barman est en face
d'elle. Un client entre. Le barman revient derrière le bar alors que la caméra effectue un
panoramique horizontal pour cadrer le nouvel arrivant. Le barman lui sert un verre (de
cinzano ?). Paula rappelle le tenancier alors que la caméra suit ce dernier dans un nouveau
panoramique. Le barman demande à ce qu'on l'appelle Paul parce qu'après tout "il n'est pas
beaucoup plus vieux" mais Paula lui rétorque "Oh si ! Quel âge avez-vous ? Moi je n'ai que
22 ans ?"/ "Dans vingt-deux ans, vous en aurez le double !"/ "Dans vingt-deux ans j'en
aurais 26". Le client au comptoir rétorque que cela n'a pas de sens (que ce n'est pas
"logiquement correct") mais Paula lui rappelle (dans un panoramique vers la droite) que
pendant la guerre "14+70=40".Le barman demande ensuite à l'ouvrier de faire l’inventaire du
bar, mais en réponse à sa question, il lui pose une nouvelle question "c'est quoi, un bar ?". Le
barman tente de répondre (panoramique vers la gauche) tout en servant des clients
(panoramique droite) "C'est à la fois plusieurs personnes réunies sous le regard d'un barman
et puis une salle où on sert des liquides" / "Mais un bar peut pas être deux choses à la fois".
L’ouvrier énumère tout ce qu’il peut voir dans le bar, et quand il cite le barman ce dernier
s’écrie «Où ça ? » / « Ben, c’est vous » / « Ah oui, c’est vrai ça ! Je ne me voyais pas. ».
Paula prend la parole et termine l’inventaire. Pendant cet échange la caméra s’immobilise
quasiment alors que les personnages changent constamment de place.
Plan 3’ - Le barman : « Vous avez des mots, il faut en faire quelque chose » / l’ouvrier : «
Pourquoi faire Barman, ou Paul ? » Les phrases sont des paroles inutiles ou vides de sens.
C’est écrit dans le dictionnaire » / Paula : « C’est aussi marqué dans le dictionnaire que les
phrases sont des assemblages de mots qui ont un sens complet ». / l’ouvrier « Je ne suis pas
du tout d’accord avec votre définition » / Le barman : « Et pourquoi vous n’êtes pas
d’accord avec sa définition ? » / l’ouvrier : « Parce que les phrases ne peuvent pas êtres
vides de sens et présenter un sens complet. » / le barman « Mais là, vous faites des difficultés,
car si vous ne voulez pas faire de phrases, je ne peux pas vous comprendre, et il m’est donc
impossible de vous servir à boire. » / L’ouvrier : « Très bien barman, ou Paul, j’vais essayer.
Le verre n’est pas dans mon vin. Le barman est dans la poche du crayon. Le comptoir donne
des coups de pieds à mademoiselle. »… Il continue avec une série d’énoncés dont les sujets
sont inversés, ou mélangés dans plusieurs phrases différentes, ce qui aboutit naturellement à
des non-sens. Deux hommes entrent dans le bar, puis l’ouvrier paye et s’en va.
Plan 3" – Les deux hommes s’approchent. Jean-Pierre Léaud passe derrière le comptoir alors
que Lazlo Szabo s’assoie à la gauche de Paula. Ils « remercient » le barman et Léaud sert des
verres. Les trois personnages échangent des regards, puis Léaud vient s’asseoir entre ses deux
compagnons. On entend la voix de Paula, en off, murmurer « Dis-moi quelque choses au
moins ». Jean-Pierre Léaud ouvre un magazine et lit « Quelle est la vitesse maximale de
l’amour ? 68, car un kilomètre de plus et c’est le tête-à-queue. ». Il s’esclaffe mais Szabo lui
donne un coup sur le crâne. Il se retourne, l’air penaud « Ah bon… » et il va se placer à la
gauche de Szabo.
Plan 4 – Une enseigne lumineuse qui affiche « VO ». Une musique qui avait commencé un
peu avant le plan est jouée.
Plan 5 – La musique est « arrêtée » par des bruits d’armes à feu, pendant qu’un panneau
lumineux défile «Des soldats en armes protègent les 535 candidats aux élections de
dimanche ».
Plan 6 – Plan de deux personnages qui étaient attablés au fond du bar (une femme et un
homme) depuis le début du plan 3, mais qui n’avaient pas encore fait remarquer leur
présence. La femme demande « Dis-moi quelque chose. ». L’homme répond « J’en ai
marre. » et il s’en va. Elle reprend la chanson qu’on entendait dans le Plan 2 et qui va durer
jusqu’au plan 12.
Plan 7 – Paula en gros plan (GP) de profil buvant un verre de whisky. Elle regarde vers la
gauche de l’écran.
Plan 8 – (GP) Szabo de face finissant de boire. Il regarde à droite de l’écran puis à gauche.
Plan 9 – (GP) Paula (elle a changé de profil) qui regarde vers la gauche de l’écran par
intermittence.
Plan 10 – (GP) Jean-Pierre Léaud qui regarde vers la gauche de l’écran, puis vers la droite.
Plan 11 – (GP) Marianne Faithfull (la « femme ») qui chante l’air mélancolique, lançant un
regard vers la droite de l’écran.
Plan 12 - (GP) Paula (qui de nouveau est filmée du profil gauche). Une voix d’homme hors-
champ « J’ai trouvé les informations que vous vouliez ». Paula en prose « Quoique je fasse, il
m’est impossible d’éluder ma responsabilité vis-à-vis d’autrui. Mon silence agît sur-lui
comme mes paroles. Mon départ le trouble comme ma présence »…
Plan 13 - (GP) profil droit : « Ou cette vie n’est rien, ou il faut qu’elle soit tout. En
envisageant de la perdre plutôt que de la soumettre à l’absurde, j’installe au cœur même de
mon existence relative une référence absolue. Celle de la morale »
Plan 14 - (GP) de face « L’absolu en ce sens, n’est pas ailleurs. Aucun passé ne le cautionne,
aucun avenir ne saura le promettre. Je choisis d’exister pour être de plus en plus présente. À
moi-même, à Dick et aux autres ».

Avant de nous intéresser aux prémisses philosophiques contenues dans cette séquence
il nous apparaît quelque chose qui vient à la pensée telle une évidence. Si l’on tente d’avoir
un point de vue global sur l’ensemble de la séquence décrite, ou plus distanciée telle un
photographe qui aurait raté sa mise au point et se retrouverait avec une photographie ou
seulement les formes seraient apparentes, une évidence se dégage d’elle-même. Ici, pas de
logique narrative qui donnerait au récit une fin et une cause, où l’enchaînement des
évènements présentés serait donné comme principe de raison suffisante servant à légitimer
l’existence de ce même récit. Cet enchainement d’évènements dans le cinéma dit
« classique » avait vaincu l’apparente discontinuité initiale entre un plan et le suivant pour
établir une continuité invisible, effaçant littéralement ses traces derrière elle. Le langage
cinématographique était né avec les Griffith et autres Chaplin et avait évolué toujours dans le
sens de la narrativité (majoritairement), avec pour but de raconter une histoire comme l’avait
fait jusqu’ici le théâtre et surtout la littérature.
Il n’y a pas de raccords institutionnels, ou ils ne sont pas motivés par la nécessité de
l’intrigue, la logique du récit. Le regard du spectateur est brisé, constamment dérangé pour lui
éviter de se laisser fasciner. Chacun des plans peut-être considéré comme un élément simple,
une unité indivisible et dont l’essence impliquerait l’existence, c'est-à-dire qu’il existerait
pour et par lui-même, existence nécessaire et non pas contingente (pas de chaîne
paradigmatique possible) comme une parcelle de temps et d’espace, un morceau de vie,
contenant une totalité autonome, qui les traverse et se donne à voir dans ses particularités,
dans un rapport de la substance à ses modifications. Mais Godard ne cherche pas à abolir le
montage, bien au contraire. Comme le note M-C Ropars-Wuilleumier « Du choc des plans,
ainsi libérés de leur fonction narrative, doit naître un autre récit, dont la continuité tiendra
au regard subjectif qui les relie et non aux évènements extérieurs qui les unissent ».
Godard, à la manière d’Eisenstein, recompose l’ordre du monde, la totalité organique.
Il ne s’agit plus de raconter, mais bien de décrire un « ensemble » (comme avait tenté de le
faire le roman moderne), de dégager des phénomènes d’ensemble à partir d’une existence
singulière en s’intéressant, en mobilisant les matières de l’expression à disposition
(iconiques, sonores et textuelles). Citations et collages assaillent le spectateur qui ne pourra
saisir de cette profusion qu’une globalité, un sentiment d’ensemble. C’est la vie dans son
infinité exprimée à travers des êtres singuliers et contingents qui perçoivent cette totalité qui
les dépasse. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes -et singulièrement- qui importent, mais ce
qu’il y a entre (on y reviendra par la suite).
Godard, à l’instar des Sartre et Merleau-Ponty pose la perception comme le
fondement de la connaissance. Elle doit se faire à partir de l’expérience épistémologique du
sujet plutôt que déduite des principes rationnels et de la raison. Sujet qui s’établit dans et par
le langage, par son questionnement. Car Jean-Luc Godard refuse de choisir entre l’ontologie,
l’être au-delà des choses, et le langage et son montage, comme nous avons tenté de le
démontrer. Il s’agit d’un jeu entre deux substances, le film et la conscience du spectateur, au
centre de laquelle est ramené le questionnement phénoménologique, rejouant tous ses termes
en mêmes temps, sujet et objet, opérateur et champ d’action. D’ailleurs le cinéaste ne dit-il
pas lui-même : « Cet ensemble et ses parties,(…) il faut les décrire, en parler à la fois comme
des objets et des sujets. Je veux dire, je ne peux pas éviter le fait que toutes les choses
existent à la fois de l’intérieur et de l’extérieur ».

Maintenant que la base de notre argumentation nous semble assez solide pour nous
enfoncer plus avant dans l’étude du particulier, on peut revenir à notre problématique, à
savoir : une fois que l’on a pris en considération cette apparente impossibilité du cinéma de
décrire les choses de l’intérieur, ne peut-on pas le dépasser ? Mais, avant de rentrer dans le
détail, on postulera directement qu’il existe (au moins) deux manières de dépasser
l’impossibilité qu’a le cinéma de décrire les choses de l’intérieur. Le langage et la répétition.
Le Plan 3 illustre bien cette idée. Dans la forme et dans le fond. Dans la forme
d’abord, le recours à plusieurs panoramiques cadrant les personnages en plan moyen,
découpant l’espace tout en le constituant dans sa temporalité. Les personnages sont là, décrits
de l’extérieur, persistant dans l’existence. Ils se déplacent, expriment des attitudes. Le
passage d’une perspective externe à une perspective interne se fait très clairement quand on
passe des plans moyens aux mentions écrites, aux gros plans. D’ailleurs, un des panneaux
indiquant « version originale » peut se rattacher (avec le plan 1), par le chant de miss
Faithfull, à l’ensemble du jeu de regards des plans 7 à 12. Comme une transition pour les
plans 12 à 14 où l’on entre dans la conscience de Paula (en plus de sa voix en off qui résonne
à l’écran mais ne trouve pas de mouvement de lèvres pour l’accompagner). Deux types de
montages dits opposés pour créer un « effet montage », selon le terme de Jean Mitry. La
perception interne des personnages s’effectue, elle, dans une suite de plans, représentant le
même objet d’un point de vue différent, retraçant la suite de ses perceptions qui s’enchaînent.
Comme le note Guido Aristarco, « Godard tente par ailleurs de rajeunir de quelques
décennies la « manière » du ciné-œil, rebaptisé ciné-vérité. (..) Les cinéastes de la « nouvelle
vague » en quête de nouvelles formes narratives, d’un langage originel, redécouvrent la
vieille langue du cinéma « le classicisme » des novateurs Russes (..). Mais ils n’en retiennent
que la forme, la détachant des contenus que cette forme exprimait ». La mise-en-scène
devenue créatrice de pensée. Mais la forme ne pourrait pas dépasser la contradiction s’il n’y
avait un métalangage inscrit dans le langage, second niveau de sens se questionnant sur lui-
même, se liant la perception du spectateur et fondant la nécessité d’une morale absolue.
Ainsi que le remarquait Merleau-Ponty, le sens serait à chercher moins dans les signes
que dans ce qu’il y a entre. Entre les choses, sujets en objets. Dans le fond, ce qu’expriment
les personnages des Plan 3 et 3’, c’est le refus de voir la création des idées et des sentiments
ailleurs que dans le langage, dans une sphère des idées platonicienne qui préexisterait à leur
formulation (à l’instar de la philosophie nominaliste). Ce qu’affirment le barman et l’ouvrier
dans leur échange sur les phrases, c’est qu’en dehors de l’usage pratique, ces expressions
restent limitées par la subjectivité du sujet percevant et l’incapacité de définir l’objet en
dehors des limites de la perception. De l’échange verbal entre le barman, Paula et l’ouvrier,
s’établit un « équivalent », un triangle particulier différent mais qui reste un triangle
répondant à sa définition (trois angles dont la somme est égale à cent quatre-vingt degrés)
entre Léaud, Paula et Szabo. Il ne reste plus qu’une vanne crue, un échange silencieux et des
regards -qui se renvoient l’un l’autre- d’individus perdus dans les méandres de leurs esprits,
entrainant le spectateur avec eux dans un irrésistible mouvement vers lui-même.
Force est de constater l’impossible objectivité du code, puisqu’il s’affirme comme tel,
et s’effaçant de notre perception pour la laisser seule dans sa propre confusion. Il s’agit de
traduire le sentiment d’une sensation (et donc d’une perception) dans son rapport à elle-même
et au monde. Comprenons nous, il ne s’agit aucunement de faire intérioriser au spectateur les
sentiments et attitudes de la scène, mais bien de les montrer et d’inviter le commentaire, la
réflexion (la liberté d’interprétation reste en grande partie à la charge du spectateur) dans une
dialectique qui décompose les éléments simples (règles de l’analyse) et les reconstruit afin
d’en dégager le sens (synthèse). Il montre une pensée pensant le monde se pensant et se
questionnant, nous renvoyant ainsi à nous même en tant que sujet pensant et se questionnant.
Comme l’affirmait le cinéaste (à propos d’un autre film -mais cela reste valable dans le cas de
notre séquence et du reste du film): « De plus cette division correspond au côté extérieur des
choses qui devrait permettre de mieux donner le sentiment du dedans… ». Pas par analogie de
sentiments dans une identification spectateur personnages, mais une dialectique d’abord
ascendante, du particulier jusqu’à reformer le général, ensuite descendante du général jusqu’à
nous.

Nous nous sommes pour l’instant intéressés à la possibilité du cinéma de reproduire


certaines formes de pensées, non pas rationnelles mais imaginatives, par l’intermédiaire du
langage. Reste à savoir si la répétition appelle une faculté de l’entendement. Pour nous
appuyer dans cette argumentation, on s’aidera du texte de Sylvie Ayme à ce sujet. Selon elle,
si l’art est mort, le cinéma, parce qu’il est la répétition générale de tous les codes sémiotiques,
peut le ramener à la vie. Selon Gilles Deleuze : « Peut-être l’objet le plus haut de l’art de
faire jouer simultanément toutes ces répétitions avec leurs différences de nature et de rythme
(…) l’art n’imite pas, mais c’est d’abord parce qu’il répète et répète toutes les répétitions de
par une puissance intérieure ». On voit clairement dans le cinéma un art de la répétition, et
encore plus claire et distincte chez Godard, jusque dans la technique de reproduction du film.
Si la répétition se définit comme une catégorie structurant la perception et imposant
ses formes, c’est qu’elle installe une pensée qui se cherche et remet en questions nos
croyances esthétiques et morales. Chez le cinéaste, comme l’avancent les paragraphes
précédents, cette pensée est liée à la mobilisation des matières de l’expression du langage
cinématographique. Tentant de montrer non les êtres mais leur relation, ce qu’il y a « entre »
(voir la célèbre citation d’Élie Faure dans Pierrot le Fou « Velasquez vers la fin de sa vie ne
peignait plus les choses définies mais ce qu’il ce qu’il y avait entre les choses définies »), il
ne cherche pas le signe mais la différence. Car c’est le langage cinématographique qui se
retrouve affecté par la répétition, et ce de manière triple. De manière iconique, l’image
possédant selon Christian Metz trois critères, elle est obtenue mécaniquement (ce sont les
cadrages, les profils de Paula -plans 3;7;9;12;13;14-), est multiple et mouvante laquelle
« sous la double espèce du mouvement de l’image et du mouvement dans l’image distribue à
la fois les mouvements d’appareil, de mise en scène et certaines figures de montage ». On
revient à ce que l’on disait précédemment sur les panoramiques et l’effet montage des plans 3
et 3’ mais en les regardant d’une perspective nouvelle. En effet il ne s’agit plus du mode de
perception des personnages mais celui du spectateur qui la percevrait. Comme Eisenstein
chaque plan peut être décomposé en une série indéfinie d’éléments iconographiques. On se
contentera simplement de relever ici le jeu des panoramiques et des personnages dans leur
relation (établie magnifiquement par l’échange de regard). La répétition influencerait ensuite
les autres matières de l’expression : le sonore avec la répétition de la chanson par exemple au
plan 2 et aux plans 6-7-8-9-10-11, et la série de non-sens qui est une répétition d’une forme
syntaxique du plan 3’. Le textuel enfin par les panneaux lumineux des plans 1, 4 et 5 dans la
disposition de lettres, ouvrant un espace intemporel, comme une fenêtre sur la conscience.
« La philosophie de la répétition commence au rebours de toute pensée de la
représentation quand on prend conscience que le regard institue le réel et qu’on prend acte
que le film le constitue». On ne peut penser la répétition qu’au travers la différence, et comme
le remarque Hume, penser la différence qu’au travers de celui qui la perçoit. Car la répétition
est création en ce qu’elle engendre la différence. Deleuze parle d’une dynamique qu’il
faudrait penser comme condition de la temporalité et de la pensée. Si chez Hume on a rétablit
la valeur épistémologique du sujet en philosophie, c’est l’imagination, c'est-à-dire la faculté
de l’esprit a la base de toute fiction, permet de lier des impressions et donc des idées.
L’imagination comme fondement de la répétition et qui opère une première synthèse de la
représentation, passive, celle de la contraction du présent où se déploie la ligne du temps
reliant le passé et le futur. Cette première synthèse puise son essence dans l’habitude qui est
une contraction suprême (comme on abrégerait un calcul mathématique complexe dans une
propriété, on abrège la chaîne des évènements que l’on fait par habitude pour n’en retenir
qu’un seul). Mais cette première synthèse du temps est incomplète puisque contradictoire.
Prenant pour modèle une répétition matérielle qu’elle définit de façon négative elle effectue
la soustraction de la différence, de manière passive toujours.
La seconde synthèse fondée dans la mémoire établie quand à elle la différence entre
deux niveaux de la répétition. Entre la répétition superficielle contractant les éléments
extérieurs identiques, et la répétition d’un passé toujours présent, variable et constamment
rejoué. C’est la synthèse du passé pur, métaphysique et positive puisqu’elle de manière
inhérente contient la différence, « Mais la première n’apparait que lorsque la seconde se
déguise en elle ». Elle se joue ici entre le language, l’utilisation du cas particulier a des fins
pratiques et répétées, et le métalanguage qui s’interroge sur lui-même et les conditions de son
existence. Enfin, la troisième synthèse définit par Deleuze comme une « vitesse supérieure »
qui ancrerait le temps dans la pensée. C’est la « forme vide et pure du temps », devenue
répétition absolue, ontologique même, dans la différence. Affranchit des limites de la
perception le temps devient cette répétition « qui fait advenir l’avenir ». Si l’on revient à
notre séquence les synthèses du temps, on remarque qu’on retrouve ce niveau métaphysique
dans le langage alors que le film se dote d’une mémoire. Cette mémoire, c’est l’histoire.
Comment sinon interpréter la mention écrite accompagnée des tirs de fusil (Plan 5), et le
discours politique de l’auteur (la série de non-sens, de non-dits) ou même les plans d’un
magnétophone débitant un discours de Waldeck-Rousseau. Ou ces insert de panneaux qui
bien plus que de nous changer d’espace, nous font changer de temps.
En inscrivant l’histoire en son sein et en s’inscrivant dans l’histoire, dans ce double
mouvement, le film Made In Usa comme l’objet de notre analyse permet de recréer un
processus intérieur (intellectuel mais pas seulement par la raison, par l’imagination).
Affranchit de la matérialité projeté vers l’avant on revient au concept des simulacres que
conjugue la troisième synthèse. Pris au sens de « représentations qui créent leur représenté »,
elles sont ces formes nouvelles crées dans la répétition, et donc dans la différence. Seule cette
répétition est poétique. En ébranlant le mythe de l’original, et alors que la poésie est
assassinée à la fin du film, la fonction de l’œuvre est devenue une « manifestation politique ».
C’est la morale qui doit tenter de définir le rapport entre l’homme et le monde, la morale
comme absolue.

Comme le remarque Paula, dans une perspective utilitariste, chacun de nos actes
entraine des conséquences, influant sur tout ce qu’il y a autour de nous. Mais au contraire de
Jeremy Bentham il ne s’agit pas de maximiser l’intérêt d’autrui, mais bien de retrouver
l’absolu qui permet de persister dans l’existence. Si Dieu est mort, l’homme n’a plus la
possibilité de s’accrocher, ni en lui, ni hors de son existence. C’est en ce sens qu’il faut
comprendre les paroles de Paula « aucun passé ne le cautionne, aucun avenir ne saura le
promettre ». L’existence précédant l’essence, il n’y a pas de déterminisme (comme chez
Spinoza par exemple), mais l’homme est libre. Plus, c’est en cela que réside la liberté de
l’homme. Mais pourtant, le Godard moraliste semble se détourner de l’existentialisme pour
regarder du côté du formalisme Kantien. Il ne s’agit pas pour nous de rattacher Godard à
l’ensemble de la philosophie Kantienne, mais bien d’utiliser ces concepts Kantiens
particuliers pour approcher l’interprétation. En effet, on retrouve chez Kant dans les
Fondements de la Métaphysique des mœurs : «…qu'il y ait quelque chose dont l'existence en
soi-même ait une valeur absolue, quelque chose qui, comme fin en soi, pourrait être un
principe de lois déterminées, c'est alors en cela, et en cela seulement que se trouverait le
principe d'un impératif catégorique possible, c'est-à-dire d'une loi pratique ».
Si la raison n’est pas suffisante pour maintenir la volonté dans la projection de ses
désirs, puisqu’elle nous a été attribuée comme « une puissance pratique », il faut qu’elle
puisse influer sur la volonté. De manière à la rendre bonne, non pas dans une relation de
cause à effet, mais en elle-même. C’est en cela que la raison est nécessaire. « Il se peut ainsi
que cette volonté ne soit pas l'unique bien, le bien tout entier ; mais elle est néanmoins
nécessairement le bien suprême, condition dont dépend tout autre bien, même toute
aspiration au bonheur ». L’absolu n’est pas ailleurs que dans cette volonté, et ne peut la
contenir à moitié. Face au chaos de la vie, dans sa dérive existentielle, Paula préfère mourir
plutôt que de se soumettre. Pour continuer à vivre elle a besoin d’un principe fondationnel
auquel se rattacher. Et c’est cette liberté appelant un besoin d’absolu de la conscience
humaine qui est exprimée.

Afin de conclure on tentera de justifier la pertinence de notre analyse. Cette dernière


partie nous à posés quelques difficultés, non pas parce qu’on manquerait d’idées, mais parce
qu’il nous semble difficile de justifier une analyse dans les sphères de la philosophie ailleurs
que dans cette même philosophie. En fait on ne voit pas d’entreprise plus justifiable
intellectuellement qu’un travail d’argumentation basée sur la pensée. Et au cinéma, tendant
ici à recréer les fondements et fonctionnements de notre imagination et de notre réflexion,
elle semble s’imposer d’elle-même. Notre questionnement de départ était de savoir si le
cinéma pouvait dépasser sa condition destinée à représenter un objet qui lui est préexistant et
donc par nature extérieure. Cela était possible dans un premier temps par l’intermédiaire du
langage cinématographique appliquant les règles de la synthèse et de l’analyse, dans une
dialectique prenant l’ascendant du film avant de redescendre vers nous (selon le poète, tel un
linceul, elle s’élève vers les cieux pour replonger plus tard vers le sol). Ce faisant on s’est
intéressé a la faculté de notre entendement qui était mise en œuvre, appelée par le film (et la
séquence susdite) : l’imagination. Mise en œuvre par la répétition comprise dans sa
différence, en amont de toute pensée de la représentation, elle nous permet de revenir à la
forme fondamentale, celle du temps pur. Mais cet absolu est dans cet extrait précis le point
d’ancrage d’une morale, elle-même répétition de répétitions. Face à l’absence de repère, c’est
la voie qu’il faut suivre afin non seulement de justifier notre existence, mais d’en prendre
conscience.
Tentons tout de même quelques arguments pragmatiques. Sur le choix de notre
séquence tout d’abord. Cette scène qui pourrait trouver son véritable commencement deux
plans avant le plan 1, nous paraissait contenir une unité dramatique et idéologique propre à
mettre à jour les perceptions que l’on pouvait avoir des principes phénoménologiques et
formalistes qui la gouverne. Comme une démangeaison qui ne ferait apparaître sa vraie
nature qu’une fois grattée, occupant notre conscience constamment jusqu’à ce que l’on cède à
ses exigences. Car cette synthèse d’abord nous paraissait contracter ce qui dans le reste du
film n’est présent que par bride, l’espace d’un instant ensuite parce qu’elle pose les prémisses
philosophiques du film qui va s’enfoncer plus en avant dans le politique, et sa manifestation.
Afin d’être un intellectuel, Godard tentera d’arrêter d’en être un. Contradiction insurmontable
cette fois, puisque ses films révèle certains des contenus les plus riches et les plus prolifiques,
au cinéma et dans l’analyse.

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