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N° 7, sept. — déc. 2005

Rendez-vous Des Knaben Wunderhorn — Tournée Brahms Saison 2005 / 2006
Documents Souvenirs de Gustav Mahler Interview Jane Booth

la Lettre
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Édito
La nouvelle saison qui débute est marquée en 2006 par deux anniversaires : le 250e
de la naissance de Mozart et le 150e de la mort de Schumann. L’Orchestre des Champs-Élysées
fêtera le premier avec deux tournées, dirigées par Bruno Weil et par Philippe Herreweghe ;
et le second avec un programme d’œuvres chorales (rarement jouées en concert)
de Schumann et de Brahms.
En attendant 2006, vous pourrez entendre en octobre Des Knaben Wunderhorn (avec Dietrich
Henschel et Sarah Connolly) et la 4e symphonie de Bruckner. Le 8 juillet dernier, l’interprétation
de cette symphonie au festival de Zurich dans le cadre d’une intégrale Bruckner a marqué
très positivement le public et la presse (« die Bruckner-Sensation » pour le Tagesspiegel),
pourtant habituées aux versions « modernes ».
L’accueil a été le même avec les Lieder du Wunderhorn de Gustav Mahler, présentés cet été
à Saintes en habits d’époque. Cette tournée sera donc l’occasion de réécouter ces chefs
d’œuvre d’une autre oreille.
En décembre, Philippe Herreweghe dirigera un programme consacré à Brahms :
la 3e symphonie, l’une de ses œuvres les plus populaires, et le concerto pour violon
avec le prodigieux Thomas Zehetmair.
Bonne saison, bons concerts !

10, rue Coquillière

75001 Paris
tel. 33 (0)1 40 26 58 00
fax. 33 (0)1 40 26 38 37
www.orchestredeschampselysees.com

Rédaction et traduction – Antoine Richard

Ont collaboré à ce numéro – Jane Booth
Photographies – Michel Garnier, Jean-Marc Haddad
Conception graphique – Atelier de création graphique, Pierre Bernard et Grégoire Romanet
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Rendez-vous
Des Knaben
Wunderhorn
Par Habakuk Traber
Toute personne originaire des régions rurales
du sud de l’Allemagne comme tout résident
temporaire qui y aura séjourné quelques
années, entre savoir-vivre, ardeur au travail
toute paysanne et jardinets parfaitement tenus,
connaît la forme d’expression d’un certain
anarchisme bon enfant : au milieu d’un discours
apparemment anodin, passent ça et là de petites
pointes, de petites digressions qui apparaissent
comme par enchantement, et disparaissent
avant même d’être reconnues comme telles.
Ce genre de finesse paysanne et de double
entendre s’est pratiqué et propagé au fil
des générations. Les histoires et les chansons
populaires de cette région ont gardé quelque
chose de cette impertinente fantaisie des
petites gens.
C’est dans cet environnement propice
à l’éclosion de la musique populaire et,
sporadiquement, d’un accès de libéralisme,
que deux poètes (par ailleurs amis et beaux-
frères) : Achim von Arnim et Clemens Brentano
publièrent en deux fois une collection
de poèmes de tradition populaire, recueillis
et librement adaptés par leurs soins.
Cette somme de chansons anciennes parut
en trois volumes sous le titre Des Knaben
Wunderhorn à Heidelberg, parangon des villes
universitaires allemandes, en 1805 et 1808.
Chansons et légendes allemandes étaient
très demandées à cette époque où l’Europe
était dominée par la puissance française
et un certain Napoléon Bonaparte. Une grande
partie de ce patrimoine populaire des provinces
méridionales germanophones, avec ses
mutations consonantiques et ses tournures
d’esprit particulières, se retrouva dans
le Wunderhorn, parfois même en « costume
d’origine » pour ainsi dire : en dialecte souabe
ou bavarois, un ton provincial pittoresque,
comme on se l’imaginait en Prusse. Le succès
de l’ouvrage dépassa toutes les espérances
de ses auteurs. Les trois volumes trouvèrent
rapidement place là où leur dédicataire,
Goethe, le souhaitait, c’est-à-dire dans tous
les foyers et dans tous les cœurs, des plus
modestes aux plus nobles.
A quelle période de sa vie Gustav Mahler eut-il
connaissance de ce recueil ? Les spécialistes
sont divisés à ce sujet. Mais il est certain
qu’une grande partie de ce répertoire à la fois
bohémien, autrichien et allemand du sud
lui était familière dans sa saveur originale,
tel que le chantaient les paysans entre Rhin
et Silésie. C’est à partir de 1884 au plus tard
qu’il s’inspira du Wunderhorn, qu’il lisait
régulièrement et considérait comme
une source inépuisable de matière première
poétique variée. On dit que Mahler comparait
ces vers populaires à des gemmes brutes,
qu’il tailla et polit minutieusement pour les
utiliser à ses fins. Toute la première période
active du compositeur, à l’âge adulte,
est placée sous le signe de la poésie populaire
accommodée au romantisme. Ce trésor
contenait bien quelques pièces qu’il fallait
encore mettre en forme, mais il se trouvait
aussi des joyaux auxquels ne manquait plus
qu’un dernier passage au polissoir.
Mahler trouva dans les textes du Wunderhorn
l’anarchisme discret, la mélancolie rebelle
et l’humour dévastateur qui sont l’expression
d’une fierté opprimée et brisée, mais toujours
prête à se ranimer. Deux thèmes tiennent
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une place prépondérante dans ce cycle
de lieder avec orchestre : les amours du soldat
et la vie militaire (un tiers des titres leur est
consacré et ils représentent la moitié du temps
total d’exécution de l’œuvre). Cette thématique
était dans l’air du temps à la fin du xixe siècle,
période de paix, certes, mais aussi de très grande
tension. Les lieder de Mahler, comme Die Weise
von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke
de Rilke, dépeignent l’autre face du romantisme
fringant en bel uniforme et des couplets joyeux
et naïfs de la brave Guste et de son lieutenant.
Ils éclairent le côté mortifère de l’attrait
de l’uniforme, et en cela annoncent le Wozzeck
de Berg, qui avait également puisé dans
une source littéraire ancienne. Ils parlent,
comme le poème de Rilke, de la proximité
atavique et obscure de l’amour naissant,
des rites initiatiques masculins (les combats,
la guerre, l’héroïsme) et de la mort. C’est pour
cette raison que chez Mahler,
les nombreux mouvements de marche ne sont
pas des illustrations sonores de cette vie dans
laquelle, selon Schiller, « l’Homme a encore
une valeur ». Elles longent plutôt l’abîme,
semblables à des marches funèbres et,
particulièrement dans Revelge, sonnent comme
un son primitif, sortes d’esprits élémentaires
et d’archétypes musicaux. Mais elles se meuvent
sans loi harmonique. Aucune règle, aucun ordre
de marche ne régit plus les accords de Revelge.
Comment pourrait-il en être autrement
dans ce grotesque macabre, où des cadavres
gagnent la guerre et des squelettes se rangent
à la parade devant la maison de l’aimée,
pour lui donner la sérénade (et, nul doute,
transmettre le message de « l’amour [éternel],
dont personne ne saura jamais rien ») ?
Dans ces pièces à l’instrumentation précise
et pointue, pas d’enthousiasme pour la chose
militaire, et qui veut partir « là où sonnent
les belles trompettes » (Wo die schönen
Trompeten blasen) se retrouve par mégarde
en triste compagnie. Les marches démontrent
l’autre face du libéralisme que présentait
le « joyeux compagnon » de Schumann, par
exemple. Ici règne l’implacabilité : impossible
de revenir en arrière, une fois la direction
prise. Il faut toujours aller plus loin, au-delà
d’intermèdes lyriques, comme dans Revelge,
ou trompeurs, comme dans Nachtlied
der Schildwache.
Les Lieder de « Des Knaben Wunderhorn »
représentent un curieux mélange de chansons
populaires et de musique savante,
leur intonation est en partie populaire,
leur contenu est d’une simplicité typiquement
mahlérienne. L’effet ainsi obtenu est, en termes
d’émotion très captivant ; de manière calculée,
Mahler atteint un raffinement, une sorte de
naturel artificiel qui touche aussi bien
l’auditeur que l’interprète de sa musique.
Bien sûr, cette musique est maniérée
de façon accomplie – ou plutôt devrait-on
dire : accomplie de façon maniérée ?
Mais la chose étonnante dans l’art de Mahler
est que, malgré cela, je ne peux – ni ne veux –
échapper à son emprise.
Dietrich Henschel
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Rendez-vous
Les Wunderhorn-Lieder sont composés comme
des scènes, notamment les plus connus,
tels Rheinlegendchen ou Lied des Verfolgten im
En 1878...
Turm auquel les compilateurs du Wunderhorn
ajoutèrent le rôle de la jeune fille. Le lied
...Brahms commence l’écriture d’un concerto
devient ainsi un mini-Fidelio pour chœur,
pour violon destiné à son ami Joseph Joachim,
un « opéra héroïque de poche » dans
violoniste virtuose et compositeur de quelques
le Hohenasperg. Ce concentré d’opéra sous
œuvres admirées de Brahms (dont un concerto
forme de lied est à l’origine de la présence
pour violon). Le 22 août, Brahms envoie
de plusieurs pièces vocales de Mahler
le manuscrit de la partie pour violon à son ami
dans ses symphonies. Si ce rapport est souvent
Joseph Joachim avec cette remarque : « Bien sur,
souligné, on oublie en revanche que Mahler
j’aimerais que vous le corrigiez, sans ménager
utilisa des mélodies populaires originelles
la qualité de la composition. Si vous pensez qu’il
qui lui servirent assez souvent de matière
ne vaut pas la peine d’être orchestré, dites-le.
première, de « garant » et d’étincelle pour
Je ne serai pas satisfait tant que vous ne m’aurez
trouver l’intonation caractéristique voulue.
pas fait part de vos commentaires et peut être ajouté
L’introduction de l’air du « Bon camarade »
quelques remarques telles que passage difficile,
de Silcher à la mort (attendue) du jeune
bizarre ou impossible ». Brahms, pianiste sur
« Tamboursg’sellen », figure récurrente de
le bout des doigts, n’est en revanche pas très
la poésie naïve et sentimentale du xixe siècle,
au fait de la technique du violon. Son ami
est une référence idiomatique d’une rare
Joachim lui prodigue alors de nombreux conseils
précision. Trost im Unglück utilise les gestes
– sans lesquels, dit-on, la partition eût été
fondamentaux des mélodies populaires.
inexécutable. Et en effet, avant que Joachim
Une véritable métamorphose permet
ne donne la première le 1er janvier 1879,
au Lied des Verfolgten im Turm de « libérer
l’œuvre entière subit des changements
les pensées » : le motif en accord parfait
considérables: deux mouvements intermédiaires
de la célèbre chanson populaire, d’une bonne
sont remplacés par un Adagio fraîchement écrit,
humeur par trop naïve, se transforme en
donnant le concerto que nous connaissons
sombre détermination par des moyens simples
aujourd’hui. Le troisième mouvement, inspiré
(passage au mineur, modulation éloignée
du vertigineux Finale alla zingara du concerto
par rapport à la tonalité de départ) et la gaieté
de Joachim, résonne comme le symbole festif
devient un moment de résistance. Quand
de cette amitié féconde.
la tyrolienne de Wer hat dies Liedlein erdacht
Grand avocat de la musique contemporaine,
devient une colorature à la Bach, le caractère
Thomas Zehetmair s’intéresse également
musical est poussé vers l’anecdotique et
aux sonorités des instruments anciens, ce qui
le roman-feuilleton. Mahler fait resplendir
l’a amené à se produire avec Frans Brüggen
les profondeurs de la tradition populaire
et Roger Norrington. On attend avec impatience
non seulement dans le texte mais aussi dans
sa collaboration avec Philippe Herreweghe.
les archétypes musicaux, les mélodies.
du 3 au 6 décembre 2005
du 11 au 20 octobre
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Saison décembre 2005

Symphonie no 3
2005 / 2006 Concerto pour violon
JOHANNES BRAHMS
octobre 2005
THOMAS ZEHETMAIR violon
PHILIPPE HERREWEGHE direction
Todtenfeier
3___ Grenoble / MC2 ___
4 Besançon / Opéra-Théâtre
Des Knaben Wunderhorn 5___ Chambéry / Espace Malraux ___
6 Turin (IT) / Lingotto

GUSTAV MAHLER
janvier 2006

Symphonie no 4 Symphonie no 40
“Romantique” WOLFGANG AMADEUS MOZART
ANTON BRUCKNER
HEINZ HOLLIGER direction
SARAH CONNOLLY soprano
13
___ Paris - Cité de la Musique
DIETRICH HENSCHEL baryton
PHILIPPE HERREWEGHE direction

11
___ Utrecht (NL) / Muziekcentrum Vredenburg
Concerto pour piano no 27
12
___ Bruxelles (B) / Palais des Beaux-Arts
14
___ Le Havre (Octobre en Normandie) / Le Volcan Symphonie no 38
15
___ Caen / Théâtre
18
___ Dijon / Auditorium “Prague”
20
___ Poitiers / La Hune, St Benoit
WOLFGANG AMADEUS MOZART

RONALD BRAUTIGAM pianoforte

BRUNO WEIL direction

24
___ Poitiers / La Hune, St Benoit 25___ Saintes / Abbaye
27 Amsterdam (NL) / Concertgebouw
aux Dames ___
Jour anniversaire de la naissance de Mozart 28
___ Utrecht (NL) /
Muziekcentrum Vredenburg 29 ___ Bruges (B) /
Concertgebouw
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février 2006 mai 2006

Gesang der Parzen Symphonies no 39,

Nänie 40 & 41 “Jupiter”
Rhapsodie pour alto WOLFGANG AMADEUS MOZART

JOHANNES BRAHMS PHILIPPE HERREWEGHE direction

5___ Porto (P) / Coliseu ___

7 Bruges (B) / Concertgebouw
Requiem für Mignon 8___ Anvers (B) / De Singel 9
10
___ Paris / Salle Gaveau
___ Tarbes / Le Parvis 11
___ Narbonne / Théâtre 13 ___ Belfort
Symphonie no 4 /Théâtre Le Granit 14
Duchesse 15
___ Luxembourg / Salle de la Grande
___ Munich (D) / Herkulessaal 16 ___ Trevise (IT) /
ROBERT SCHUMANN Teatro comunale ___17 Bologne (IT) / Teatro Manzoni
18
___ Rome (IT) / Teatro Olimpico 20___ Budapest (H) /
Auditorium 21-22
______ Vienne (A) / Konzerthaus
LETIZIA SCHERRER soprano
MARIANNE BEATE KIELLAND mezzo-soprano
juillet 2006
THOMAS BAUER baryton
COLLEGIUM VOCALE GENT L’Orchestre des Champs-Élysées en résidence
PHILIPPE HERREWEGHE direction au Festival de Saintes du 13 au 23 juillet

9___ Poitiers / La Hune, St Benoit 10

___ Chantonnay / Église
14
___ Bruxelles (B) / Palais des Beaux-Arts

mars 2006

Symphonie no 10
en si mineur
Concerto pour violon
et orcherstre à cordes no 1
FELIX MENDELSSOHN

Sérénade pour cordes op.48

PIOTR ILLITCH TCHAIKOVSKY

ALESSANDRO MOCCIA violon et direction

5___ Saintes / Gallia Théâtre ___

6 Angoulême / Théâtre
7___ Blois / Halle aux Grains
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8 juillet 2005, répétitions à la Tonhalle de Zurich

avant le concert de la 4e de Bruckner
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Documents
Souvenirs
Extraits de « Souvenirs de Gustav Mahler.
Mahleriana », Natalie Bauer-Lechner
La composition de Revelge (« La diane »)
Pendant les premiers jours à Aussee, Mahler
a été affreusement dérangé et gêné dans son
travail par la pluie, le froid et par l’abominable
musique municipale qui résonnait incroyable-
ment jusqu’à notre villa, située pourtant
à une demi-heure de là et bien au-dessus
de la place du marché. Il en était absolument
désespéré : « Maintenant je ne suis plus
dans l’ambiance », se plaignait-il, « et je redoute
que ces six semaines, les seules dont je dispose
dans l’année, ne soient perdues. Il ne me reste pas,
comme à un autre, l’alternative de me tourner
vers la joie des vacances ou d’attendre
tranquillement que le Saint Esprit vienne
ou ne vienne pas me visiter, parce que l’épée
de Damoclès de la rentrée est suspendue au-dessus
de moi. Il m’est pénible de faire quelque chose
quand je ne suis pas tout à fait d’humeur à le faire
et que je ne le sens pas sortir entièrement et
correctement. Le musicien est donc un pauvre
diable : tandis qu’un autre peut se donner
l’impulsion pour son œuvre, se préparer et se mettre
dans l’ambiance, comme le savant ou le poète
en faisant des études, et le peintre en contemplant
simplement la Nature, moi je n’ai rien d’autre
que cette feuille vierge de papier à musique qui est là
devant moi, et je dois flairer, disait-il en la portant
à son nez avec colère, ce qui va en sortir ».
Il avait à peine dit cela – nous avions eu cette
conversation le soir dans sa petite mansarde
de travail à la Villa « Seri », où pour s’isoler,
il s’était moins confortablement installé
que tous les autres – qu’un laxatif, dont il avait
ressenti avec malaise l’inefficacité pendant
toute la journée, a commencé à faire
tardivement son effet, et il a dû s’éclipser
en vitesse. Quand il est revenu, tout à fait
rasséréné comme le « malade imaginaire »,
il avait dans sa poche Revelge, un nouveau lied
du Wunderhorn, esquissé dans son carnet
de notes.
Nous avons bien ri par la suite de la riche
récompense due à cette sortie précipitée ;
Mahler tenait en effet ce lied pour
la plus grande de ses compositions dans
le genre.
Le chant intelligent
À l’occasion de la représentation donnée par
la Förster-Lauterer, qui chantait en tant
qu’invitée, et qui était aussi captivante
en Sieglinde qu’en Mignon, Mahler a dit :
« Le chanteur intelligent façonne, amène la note
à partir du mot et lui donne ainsi un contenu
et une âme, qui se communiquent à tous.
Le chanteur inintelligent lance la note sans
l’articuler, il se contente de la porter sur le plan
sonore, sans penser au texte, sans égard pour
sa compréhension ni son contenu ; mais il plaque
sur ceux-ci la mélodie, comme une chose
qui ne lui est rattachée qu’extérieurement et
accidentellement, sans poids et sans signification ;
pour l’auditeur, ni le texte ni l’action ne sont
compréhensibles, pas plus de l’intérieur
que de l’extérieur, et il n’y prend aucun intérêt.
Comme cela, on devient peut-être un bon violoniste,
mais on ne peut jamais faire un chanteur ni
un acteur convenable ».
Souvenirs d’enfance
Dans nos heures de causette, Mahler m’a souvent
raconté son enfance. La première chose qu’il
ait composée et couchée sur le papier à six ans
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était une polka, dont l’introduction était ramené au milieu du tumulte et des rires
une marche funèbre. Sa mère lui avait promis à mes parents, qui étaient très angoissés de ma
de lui donner deux couronnes, à la condition disparition ».
expresse qu’il l’écrive sans tacher le papier
(notre Gustav était un as en matière de pâtés !). « Toutes les indications sont exagérées »
Avant de commencer son travail, il a prié Dieu
Lors d’une réunion un soir chez Mahler
de ne pas lui laisser faire de taches, et il a été
avec Bruno Walter et Lipiner, la conversation
convaincu que Dieu y veillerait. Il a donc trempé
a roulé sur la direction d’orchestre et sur
sa plume avec entrain et sans la moindre
l’interprétation des œuvres musicales.
précaution, – de toute façon, ô désastre,
« Je me rends de plus en plus compte que tout
une grosse tache est tombée dès les premières
ce que l’on met comme indications d’interprétation
notes, qui a abîmé le beau papier et annulé
est excessif : le forte est beaucoup trop fort, le piano
toute la préparation préalable ; le petit cochon
beaucoup trop doux, les crescendi, diminuendi
[Schmierfink] a dû tout recommencer. « Ce jour-
et accelerandi trop violents, le largo trop lent,
là, ma foi en Dieu a pris un coup considérable »,
le presto trop rapide ».
a conclu Mahler en riant. « La deuxième fois,
mon père m’a incité à faire une chanson. Là encore, « Comme ma direction est devenue simple et
deux couronnes étaient promises en récompense, modérée par rapport à mes années d’autrefois !
car c’était pour ce salaire minime que je devais Quand on voit comment on vous exagère
exécuter mes nombreuses prouesses artistiques ». et on vous déforme tout [ce que vous avez écrit],
on comprend ce que doivent souffrir les autres ».
« Je devais être encore un bébé, que je répétais déjà
chaque petite chanson. Puis, peut-être vers trois « On serait presque tenté de ne pas écrire de tempi
ans, j’ai reçu un accordéon, sur lequel j’essayais ni d’indications dynamiques et de laisser chacun,
de reconstituer, puis jouais aussitôt en entier, par sa fréquentation étroite de l’œuvre, en tirer
tout ce que j’entendais. Un jour, quand je n’avais et exprimer ce qu’il peut ».
pas encore quatre ans, il est arrivé quelque chose
d’amusant : la musique militaire – enchantement Changement d’opinion
de toute mon enfance – marchait un matin près
Mahler a joué avec Rosé le Quintette
de notre maison. L’entendre et m’échapper
avec clarinette de Brahms et les sonates pour
de ma petite chambre n’en faisaient qu’un
clarinette (arrangées pour piano et violon)
pour moi. À peine couvert de ma petite chemise –
qui antérieurement ne lui avaient pas plu.
on ne m’avait pas encore habillé – j’ai couru
Maintenant, il a trouvé ces œuvres superbes.
derrière les soldats avec mon accordéon, jusqu’à
« Pas étonnant, s’est écrié Mahler, que le public
ce que quelques voisines m’attrapent sur la place
dise des sottises et ne puisse juger, si cela
du marché un bon moment plus tard. Elles m’ont
nous arrive aussi à nous ! ».
promis de me ramener à la maison (je commençais
à m’inquiéter) à condition que je leur joue © L’Harmattan, 1998
sur mon accordéon ce que les soldats venaient
d’exécuter. Ce que j’ai fait aussitôt, installé sur
un éventaire de fruits, à la joie des marchandes,
cuisinières et autres publics de la rue. Puis j’ai été
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Interview

Jane Booth nouvelles forces et aussi de nouvelles difficultés

à surmonter… Et j’aime les couleurs qui
surgissent à l’improviste ! Quant à ma collection,
soixante est un peu exagéré mais il est vrai
que je ne les compte plus depuis longtemps !
Jane Booth, clarinettiste solo et responsable
pédagogique de l’Orchestre des Champs-Élysées Vous travaillez avec plusieurs orchestres
sur instruments d’époque : comment prépare-
J’ai cru entendre que vous possédez
t-on une carrière comme celle-là ?
une soixantaine de clarinettes chez vous,
comment vous est venue cette passion ? À vrai dire, l’Orchestre des Champs-Élysées
a beaucoup influencé l’apprentissage de jeunes
À neuf ans, j’entendis pour la première fois
musiciens ces dernières années. Le Jeune
une clarinette dans un concert symphonique.
Orchestre Atlantique (JOA) a été créé par l’OCE
J’avais appris la flûte à bec à l’école primaire
il y a 10 ans, désormais il travaille sous l’égide
et j’étais plutôt douée mais je pense que ce
de l’Abbaye aux Dames de Saintes mais l’OCE
qui retint mon attention était la manière dont
est toujours très impliqué dans les programmes
ça fonctionnait dans l’orchestre. Par la suite,
des stages et perfectionnements. Pour se
j’ai pu jouer dans le groupe de l’école puis
perfectionner et avoir de l’expérience
dans une série d’ensembles, et enfin
dans les répertoires classique et romantique
dans l’orchestre des jeunes et l’Harmonie
sur instruments d’époque, le JOA est le premier
de la région. Je me rappelle encore mon
orchestre au monde. Il a en plus le privilège
enthousiasme et mon excitation à la première
de travailler avec des chefs de réputation
répétition de l’orchestre régional. Tous
internationale, avec Philippe Herreweghe
ces instruments réunis pour la première fois !
au moins une fois par an, mais aussi Sigiswald
quel son splendide ! J’étais bouche bée à chaque
Kuijken, Jos van Immersel, Robert Levin,
répétition pendant les cinq ans où j’y jouais –
et cet été ils ont joué avec Christopher Hogwood
de la clarinette et du saxophone, que je pratiquais
et Ronald Brautigam. La profondeur de
régulièrement dans les orchestres et groupes
l’apprentissage est incomparable : nos activités
de danse, ainsi qu’au théâtre local avant
sont sur le point d’être mises au programme
d’aller à l’Université.
de formation de plusieurs conservatoires
Après avoir terminé mes études, j’ai étudié
européens, des partenariats et des échanges
la flûte parce que je voulais jouer de la musique
sont en cours avec le Canada, le Japon,
baroque. Ensuite j’ai réussi à acheter
la Russie, la Suède et la Hongrie.
une clarinette d’époque : c’est là que j’ai trouvé
que la clarinette en bois avait un son poignant, En tant que responsable pédagogique
plus varié que la clarinette moderne, mais aussi de l’orchestre : expliquez-nous les missions
plus difficile techniquement. Les exigences de l’Orchestre des Champs-Élysées en termes
sont plus grandes mais quand ça marche, de formation musicale, les projets concrets...
la récompense est pour moi bien plus importante.
Les membres de l’orchestre font beaucoup
Comme nous changeons d’instrument pour
de choses, dans divers domaines, et avec
presque chaque compositeur, nous devons
des publics allant des 7-8 ans jusqu’aux plus
travailler souvent avec de nouveaux sons, de
âgés qui viennent en habitués à nos répétitions
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et concerts. Notre travail couvre les écoles Vous jouez dans l’Orchestre des Champs-
primaires, les collèges et lycées, les CNR et Élysées depuis longtemps, quel est pour vous
conservatoires, ainsi que le nombre toujours le côté le plus intéressant du travail
plus grand d’amis de l’orchestre, qui ont de cet orchestre ?
du plaisir à écouter le travail de répétitions
La chose remarquable est le répertoire qui a été
et le résultat final au concert. De plus en plus
exploré depuis la création de l’orchestre. Il s’agit
de gens viennent aussi à nos conférences
d’une combinaison de facteurs. D’abord
d’avant-concert, présentées par des musiciens
la force de Philippe dans le répertoire vocal et
de l’orchestre sur des sujets relatifs au répertoire
son désir d’explorer le monde de compositeurs
proposé. C’est le côté intéressant d’orchestres
spécifiques, d’y chercher de nouvelles couleurs
tels que le nôtre : les musiciens s’impliquent
avec les instruments historiques. L’orchestre
dans les différents domaines de manière
a pu travailler en profondeur des œuvres
complémentaire : musicologie, recherche,
de Beethoven, Brahms, Schumann… et
édition, conférence… Cela contribue
maintenant Bruckner ou Mahler.
à rassembler les artistes de tous talents et
Mais le fait qu’une tournée comporte
c’est un terrain fertile pour les idées et
généralement un bon nombre de concerts
les discussions. Dans la nouvelle saison, nous
nous permet aussi de baigner dans le son et
avons été invités à faire plus de conférences
la texture de tel compositeur. Cela signifie
et également – une nouveauté à Poitiers –
que lorsque nous enregistrons, il y a un niveau
à commencer des mini-concerts chez
de compréhension incomparable.
l’habitant : de petits ensembles iront chez
Travailler avec le Collegium Vocale Gent, dont
les gens afin de jouer pour eux et leurs amis
l’homogénéité et la beauté du son est unique,
présents. Ce sera l’occasion de jouer devant
nous a beaucoup inspiré. Interpréter toutes
un autre public, qui n’aura jamais entendu
ces œuvres romantiques avec eux a été très
de musique classique, de socialiser avec lui,
enthousiasmant, d’autant plus que ces mêmes
moment rare dans nos vies remplies !
œuvres sont très souvent jouées dans une tout
Quant aux auditeurs, ils pourront écouter,
autre optique. C’est l’une des grandes chances
discuter et passer du temps avec des
de l’orchestre.
musiciens de renommée.
Je me rappelle particulièrement nos concerts
Avec « une pièce, un instrument, un musicien »,
du Requiem Allemand de Brahms et de
il y a d’autres occasions de présenter une soirée
la Symphonie fantastique. Notre Berlioz a été
de manière décontractée dans un lieu public
très bien accueilli en Europe.
(une librairie par exemple). Nul doute que notre
Et puis un chef d’orchestre anglais m’a dit
public fidèle de la région Poitou-Charentes
récemment qu’il d’écoutait la musique
s’y pressera également.
de Bruckner pour la première fois de sa vie,
Nous construisons en outre des connexions avec
après avoir entendu notre enregistrement
des conservatoires, et nos projets pédagogiques
de la 7e symphonie. Si nous pouvons continuer
avec les collèges et lycées prennent de plus
à créer un tel enthousiasme dans nos prochains
en plus corps, principalement dans la région
enregistrements de Mahler et Bruckner,
de Poitiers. Cette année, l’accent sera mis sur
alors je crois que nous avons encore un bel
le romantisme allemand et beaucoup de projets
avenir devant nous.
seront liés à ce thème commun.