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HÉTÉROTOPIES ALTERMONDIALISTES :
LES AUTRES MONDES ET LEURS FRONTIÈRES

Par Anthony Côte

Département de science politique


Université de Montréal

Le 29 avril 2011
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HÉTÉROTOPIES ALTERMONDIALISTES :
LES AUTRES MONDES ET LEURS FRONTIÈRES

Le festival des amis altermondialistes

- Puis, le festival là, c’est fini ?


-Le festival ? Quel festival ?
- Bah le truc avec tes amis altermondialistes quoi …
- Ah, ça, oui c’est fini… depuis hier soir

Voilà pour le dialogue entre le Forum Social Mondial de Dakar et la population locale. Cette
conversation, entre un chauffeur de taxi relativement curieux du FSM et votre serviteur, illustre -
de manière certes imagée et approximative mais pas moins pertinente pour autant - deux aspects
de ce qu’a été l’expérience du FSM pour plusieurs subjectivités, dont la mienne. D’un côté, un
caractère de méconnaissance mutuelle voire d’incompréhension manifeste, que ce soit entre les
participants et la ville ou entre participants eux-mêmes. D’autre part, l’impression persistante que
tous les participants n’ont pas vraiment participé au même FSM, mais ont été au contraire chacun
inclus dans des «lieux» différents bien qu’évoluant au sein du même espace. Et ceci tant au
niveau conceptuel que social et logistique.

Ce papier est principalement nourri, outre les influences théoriques que le lecteur attentif ne
manquera pas de remarquer, d’une expérience de terrain autour du Forum Social Mondial de
Dakar, ville où j’ai séjourné du 4 au 16 février 2011. Il est normalement de bon aloi d’évacuer le
plus possible le biais subjectif d’une recherche ou tout du moins, car l’objectivité est
évidemment chose impossible pour les sujets que nous sommes en tant qu’humains, de ne pas
faire apparaître le subjectif dans la présentation des résultats d’une recherche scientifique.
Ce ne sera pas le cas ici. Ceci pour deux raisons que nous nous permettons de poser comme
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axiomes, comme conditions non-négociables, non pas par autoritarisme mais car l’on ne peut
guère faire autrement dans le cas présent. On pourrait résumer ce qui va suivre par la formulation
«subjectivisme éclairé» en ce sens que ce papier est le résultat d’expériences personnelles mais
toutefois colorées d’une honnêteté intellectuelle issue de la formation de politologue de ladite
subjectivité. Ceci mène à notre second axiome. Cette étude n’est pas scientifique pour de
multiples raisons, l’une d’entre elles étant l’impossibilité présente d’une comparaison rigoureuse
en vue de la démonstration d’une théorie et de la mise au jour de variables indépendantes et
dépendantes expliquant un phénomène. La comparaison est la forme d'expérimentation à la
portée des sciences sociales, vu l’impossibilité de recréer les situation sociales en laboratoire afin
d’en examiner toutes les variations possibles. Or l’expérimentation/comparaison est une étape
indispensable de la démarche scientifique (pour un exposé plus détaillé de ce type de démarche
voir Bachelard 1972). Ne faisant pas (par manque de données) de comparaison rigoureuse des
différentes expériences vécues dans l’ensemble des Forums Sociaux Mondiaux ayant eu lieu,
notre étude n’est pas scientifique mais peut constituer un premier aperçu utile pour un
développement subséquent de la problématique examinée qui s’approcherait plus d’une
démarche scientifique.
Ce papier n’a donc pas de but plus ambitieux que d’ouvrir des pistes d’analyse qui semblent
dignes d’intérêt au sujet du processus du Forum Social Mondial en se basant sur une expérience
subjective mais féconde en perspectives.

Le FSM comme hétérotopie : le projet d’un «espace autre»

Afin de décrire le processus qu’est le FSM, on peut dire qu’il vise notamment à créer
périodiquement un espace alternatif aux sociétés et au système global actuels. On peut même
affirmer que c’est un contre-espace dont il s’agit ici. Ceci nous mène donc à définir le Forum
Social Mondial comme une hétérotopie. Concept développé par Michel Foucault (1984, 46-49),
l’hétérotopie est selon lui une «utopie réalisée dans un espace géographique». Il est d’abord
important de saisir le contexte plus large dans lequel se situe ce type de lieu. Selon Foucault «
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nous vivons à l'intérieur d'un ensemble de relations qui définissent des emplacements
irréductibles les uns aux autres et absolument non superposables ». Les différents lieux dans
lesquels les acteurs vivent et déploient leurs relations sociales seraient donc mutuellement
exclusifs et loin d’être des espaces neutres et «vides» mais au contraire donnant un cadre
influençant le type et la modalité des actions en son sein. En somme tous les lieux n’offrent pas
la même base aux actions et pensées pour s’élancer mais au contraire colore ces dernières d’une
teinte spécifique aux lieux dans lesquels elles se déploient.
L’hétérotopie répond aussi à cette caractéristique mais la pousse bien plus loin. Dans son cas,
c’est d’un changement épistémologique dont il s’agit. L’hétérotopie prend à «contre-pied» tous
les autres lieux en adoptant une cosmologie, une façon fondamentalement originale de concevoir
le monde et les actions qui s’y déroulent et en découlent. L’hétérotopie est un lieu physique
allant à l’encontre de tous les autres, un «contre-lieu» qui garde un lien avec les relations sociales
et codes des autres topos mais ce dernier est en miroir, ces relations étant modifiés, contestées
réinventées, donnant à voir la possibilité d’un autre monde réalisée dans l’espace. L’hétérotopie
est alors «une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l'espace où nous
vivons» (Foucault 1984). Il serait pertinent selon Foucault, d’étudier ces lieux particuliers de
manière spécifique, en développant une discipline spécifique à l’analyse de ces lieux autres :
l’hétérotopologie. On peut dire que ce travail est une tentative d’hétérotopologie appliquée, le
sujet d’étude étant l’hétérotopie du Forum Social Mondial.

Dès que l’on commence à s’informer sur le processus du FSM, son caractère d’hétérotopie est
manifeste. Ainsi, quand je fus confronté en 2008 à plusieurs articles ainsi qu’au site internet
«officiel» décrivant cet objet encore inconnu, son nom ne manquait pas d’être accompagné de ce
que l’on pourrait qualifier de slogan donnant alors à voir une hétérotopie assumée : «Forum
Social Mondial : un autre monde est possible». L’espace du FSM se veut la preuve par l’exemple
de cette affirmation.
Comme Janet Conway (2008, 2) le fait remarquer, le FSM se comprend mieux si l’on envisage
comme processus culturel. Ainsi , elle identifie un certain nombre de caractéristiques inhérentes
à ce processus qui provoque, au moins en théorie, un basculement d’une culture dominant le
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système international vers les prémisses et pistes d’une culture alternative, alter-mondialiste.
Un principe en particulier est capital à saisir pour qui veut avoir une bonne compréhension de la
culture FSMienne : la notion d’open-space. Cette dernière ne peut pas exister sans cette notion
tant tous les éléments définissant un Forum dépendent de cette prémisse. Ainsi, Janet Conway
écrit que :

[t]he idea was to create an ‘open space’ for the free and horizontal exchange of ideas,
experiences and strategies oriented to enacting and generating alternatives to
neoliberalism. The forum would be ‘self-managed’ with the majority of its programming
being generated by the participants themselves. It would be a ‘non-deliberative’ space in
that it would issue no statements and make no decisions, thereby freeing its participants
to encounter each other rather than contesting for hegemony over the forum. The
gathering would be thoroughly international but anchored geographically and
experientially in the global South. (2008, 1)

Largement évoquée dans les cercles altermondialistes et activistes que j’ai eu l’occasion de
fréquenter depuis 2008 et ma participation au FSM de Belém (Brésil), cette notion d’open-space
n’est reste pas moins un concept flou, voir un concept flottant tel que définit par Antonio
Gramschi, i.e un concept qui est si intrinsèquement vidé de son sens qu’il peut prendre celui que
chaque groupe qui s’en réclame voudra bien lui donner. Ainsi peut-il aussi bien signifier
l’ouverture du groupe aux voix dissidentes en gardant un ordre du jour déterminé de manière
centralisée que désigner un espace visant à l’interaction spontanée et «improvisée» de ceux qui
s’y présentent.
Un essai rédigé par Jai Sen (2009) permet toutefois d’apporter un éclairage précisant les contours
de la notion d’open-space. Il expose d’abord que le concept émergea dans des domaines reliés à
l’organisation de l’espace tels l’architecture, l’urbanisme ou encore le paysagisme.
Sen note aussi la diffusion récente de ce terme dans les disciplines et pratiques touchant au
monde social ou politique. Le FSM est un processus qui utilise et développe plus
particulièrement cette notion. Faisant référence à Francisco Whitaker, un des initiateurs et
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théoriciens du FSM, Sen note que ce dernier et d’autres ont dès le départ pensé le Forum comme
une place dans le sens urbanistique du terme (praça en portugais, langue du lieu du premier
FSM, le Brésil). Le terme de «Forum» est donc à prendre au pied de la lettre, le but étant de
recréer un espace où chacun pourrait avoir une voix et un pouvoir d’action égal, répondant alors
à un principe d’horizontalité, où aucun participant n’a le pouvoir d’imposer sa volonté aux autres
ou de revendiquer un pouvoir d’influence plus important.
Sen fait toutefois remarquer que ceci n’est qu’une lecture simple et superficielle du concept qui
contribue à son élasticité, que nous avons brièvement évoquée plus haut. L’auteur propose alors
une lecture plus en profondeur du concept d’open-space qui aurait trois grandes caractéristiques :

«l’auto-organisation, l’autonomie, et l’émergence ; et c’est la résonance de ces concepts


avec le monde émergeant autour de nous aujourd’hui qui est responsable de ce
‘succès’ [celui du FSM]. De plus, je suggère que ces trois caractéristiques sont les
concepts centraux des pratiques sociales et politiques de l’open-space » (Sen 2009, 2)
Bien que la Charte du FSM n’évoque expressément que la notion d’auto-organisation, les deux
autres y sont aussi présentes implicitement et constituent une partie essentielle du projet
hétérotopique qu’implique le FSM.

Plus loin dans le texte, Sen explicite ces trois notions. L’auto-organisation est à la fois la plus
évidente, immédiate et relativement simple à comprendre. Elle suppose que les «organisateurs»
d’un Forum dans un espace et un temps donné n’aient pour unique mission de seulement traiter
des aspects logistiques en laissant le contenu, le fond des messages socio-politiques aux
participants eux-mêmes. En plus clair, le comité organisateur d’un forum a pour tâcher de veiller
à réserver des espaces et faire un programme de telle sorte que tous les participants qui le
souhaitent puissent avoir un espace où exprimer leurs préoccupations, solutions, où tisser des
alliances et échanger avec d’autres activistes etc. Bref, il doit veiller à ce que chacun, au sein de
l’espace physique du Forum aie un pouvoir égal de parole et d’action.
L’autonomie découle de l’auto-organisation. Elle semble en être le prolongement voire, dans une
certaine mesure, son dépassement. Là où l’auto-organisation est la saisie des opportunités
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spatiales et logistiques fournies par le comité organisateur, l’autonomie seraient plutôt la


réappropriation du concept de «forum social» par les acteurs qui modifient l’espace à l’intérieur
du FSM lui-même ou créent des lieux semblables sans dépendre du comité organisateur. On peut
citer comme exemple les espaces alternatifs ayant émergés en contrepoint de divers FSM dont
celui de Mumbai, en 2004. Lors de cette édition, une «alternative à l’alternative» se mit ainsi en
place par l’organisation de «Mumbai Resistance». Ce contre-espace dénonçait notemment la
mainmise des grands mouvements sociaux et ONG, majoritairement occidentaux ou latino-
américains sur le processus du FSM au complet. (Sen 2009, 6-7)
Le dernier concept caractérisant l’open-space, l’émergence, est celui qui aurait le plus de
potentiel d’influence sur la politique globale dominante, selon l’auteur. Le mode d’organisation
du FSM serait ainsi porteur d’une nouvelle forme de culture politique que l’on pourrait appeler
emergent politics (Sen 2009, 8). Cette nouvelle forme de culture politique serait un des facteurs
expliquant le succès du FSM comme processus social et politique.
L’émergence est un concept théorisé notemment par Arturo Escobar (en 2004), Sen lui-même
(2007) et Graeme Chesters (2008). Il désigne l’apparition (ladite «émergence») de
comportements et modes d’organisation complexes et macro-sociaux à partir de comportements
et règles simples provenant d’un niveau plus local. Chesters écrit ainsi :

The concept of emergence describes the unexpected macro outcomes produced by


reflexive actors engaged in complex patterns of interaction and exchange, outcomes that
are historically determinate and unknowable in advance. ... What appears to have
occurred within the alter- globalization movements is that their affinity with participatory
and democratic means and their adoption of a decentralized praxis has encouraged
organizational forms with emergent properties that are politically and culturally
efficacious within a network society. Thus, we have seen the emergence of durable
networks that are highly effective at information management, communications, material
and symbolic contestation and mobilisation at the local and global levels. This has been
coupled with recognition amongst certain actors, of the primacy of process in catalysing
these effects and a prioritisation of process as a means to maximise these emergent
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outcomes. (Chesters 2008, 2)

Bien que le FSM soit porteur du projet d’une nouvelle culture politique issue de la notion
d’open-space tel qu’analysée par Jai Sen, plusieurs obstacles à cette émergence semble se dresser
quand on s’intéresse de plus près aux interactions pratiques des acteurs de ce processus. Tel est
la démarche de Janet Conway, qui identifie des restes de colonialisme dans les attitudes autant
discursives que comportementales au sein même du FSM. Ainsi Conway affirme son projet
d’analyse du FSM ainsi :

I will analyze the methodology of “open space” as central to the dynamics of recognition
and dialogue across difference at the WSF. However, this putatively horizontal and
utopian space is also marked by unequal power relations and, in particular, legacies of
colonialism. (Conway 2008, 1)

Ces héritages du colonialisme peuvent s’incarner de plusieurs façons, selon Conway. Ils passent
principalement par le biais du discours, plus précisément de la place et la compréhension
différentielles accordés à celui de divers acteurs. Ainsi des inégalités au niveau de la capacité de
prise de parole et de présence dans l’espace du Forum perdure :

« Inequalities among movements get reproduced in the open space unless there is
affirmative action to ensure that marginalized and minority populations are present and
their voices and perspectives amplified. »

L’auteur identifie les population non-occidentales et non-occidentalisées comme étant faisant


partie dans une certaine mesure des exclus et des marginalisés, au moins jusqu’au FSM de
Mumbai en 2004 :

the impressive diversities in the WSF had been at least partially bridged through
mutually- intelligible discourses of Western emancipatory political traditions. Those from
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outside the West who did attend the WSF in Brazil were likely to be Western-educated, or
schooled in the transnational movement discourses of the NGO and UN networks. But
historic silences and exclusions within the West were also reproduced in the WSF,
rendering indigenous political discourses marginal, even unintelligible, to a majority of
participants, for example. (Conway 2008, 6)

Une telle dynamique d’exclusions des populations culturellement différentes de la culture


occidentale est due à l’influence, toujours persistante de l’idéologie colonialiste, ce que Conway
(2008, 7) appelle plus précisément la «colonialité du pouvoir» (coloniality of power).
Le terme colonialité renvoie aux attitudes issues du colonialisme et perdurant même après la fin
officielle et formelle de ce dernier au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. Des
universitaires sud-américains comme Arturo Escobar l’employèrent d’abord pour désigner les
relations de dominants/dominés et les dynamiques d’exclusion ayant toujours cours dans le
système global contemporain, de la part de pays du Nord, «occidentaux», dominants envers des
pays du Sud dominés. Escobar puis Conway étendent la colonialité jusqu’au sein des
mouvements sociaux et du FSM lui-même. Dans un long mais éclairant paragraphe, cité
intégralement en raison de cette dernière qualité, Conway écrit ainsi :

Recognizing the character of contemporary world order as one of “global


coloniality” (Escobar, 2004) has put decolonization on the agenda of movements world-
wide, not just in their frontal contestations with hegemonic powers, but in the relations
between movement themselves, especially across North/South, non- indigenous/
indigenous, and modern emancipatory/subaltern ‘other’ divides. The movements of the
first halves of the foregoing couplets have been hegemonic relative to their ‘others’,
historically and currently, in and beyond the Social Forum. Those ‘others’ remain far
more excluded and ‘subaltern’, including in the WSF. This raises very profound questions
about the character of the WSF’s putatively ‘open space,’ its limitations, inequalities, and
exclusions and, in particular, the need for a praxis of decolonization. In profound ways,
this demands a decolonization of knowledge, including the emancipatory knowledges of
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modernity which have been so central to the politics of many progressive movements
worldwide.

Selon, Conway, il faudrait donc revoir les catégories sur lesquelles se basent en grande partie les
débats et objectifs au sein des mouvements sociaux et du FSM. Ces catégories discursives se
basant sur la cosmologie et les idéaux de la modernité occidentale sont culturellement
spécifiques et excluent de ce fait les non-occidentaux(-alisés) lorsqu’érigés en principes
universels. Sans volonté formelle de domination mais en n’admettant quasiment que le mode de
connaissance occidental et la conception occidentale de plusieurs valeurs telles que la liberté,
comme aboutissement et basant en quelque sorte son ontologie sur ce principe de modernité du
«Nord», le FSM reproduit involontairement les dynamique de domination du système global
qu’il dénonce. (Conway 2008, 7-10)
La volonté de promotion de concepts, de valeurs et d’interactions sociopolitiques hétérogènes
mais tous alternatifs au système dominant et l’importance du concept d’open-space, entraînent
par leur alliance une manifestation physiquement et temporellement située dans l’espace de(s)
«autre(s) monde(s) possible(s)». Cette spatialisation devient de ce fait un «contre-lieu» entendant
fonctionner alternativement à tous les autres. Le FSM est ainsi une hétérotopie telle que définie
par Foucault. La présente étude est restreinte à la manifestation spatiale de cette alternative à la
culture socio-politique dominante. En d’autres termes, il s’agit de traiter ici de l’hétérotopie
engendrée par le processus du FSM, à la fois d’un point de vue théorique et pratique. Plus
particulièrement, l’expérience personnelle présentée dans la partie qui suit entend illustrer et
explorer les dynamiques d’exclusions et inclusions entre les acteurs du FSM de Dakar. On verra
donc, dans le prolongement de l’analyse de Conway, que la construction d’une hétérotopie
commune à tous les participants du Forum ne va pas de soi. Au contraire peuvent survenir des
dynamiques d’inclusion/exclusion et d’incompréhensions mutuelles et non pas seulement de la
part de «dominants» envers des «dominés» dans une logique de colonialité. Chacun peut ainsi
être l’inclus de l’un et l’exclu de l’autre. Il semblait enfin opportun (et cela sera développer plus
loin dans cet essai) de souligner le rôle essentiel du comité d’organisation dans la construction de
cette hétérotopie. Un rôle que l’on devine par son manque lors du FSM de Dakar qui a vu, suite à
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divers problèmes organisationnels logistiques, l’émergence de lieux distincts et hétérogènes issus


des stratégies de réappropriation de l’espace mis en place par les acteurs, des hétérotopies plutôt
qu’une.
Il convient de préciser tout de suite ce qu’il faut comprendre par stratégie de réappropriation de
l’espace, tant la notion va être utilisée dans la suite de cet essai, étant d’une importance capitale
pour la compréhension du propos développé au fil de ces pages.
La notion de stratégie de réappropriation de l’espace par les acteurs appartient à une réflexion
menée par Michel de Certeau dans un texte intitulé «Marches dans la ville». Prenant l’exemple
de la métropole nord-américaine phare qu’est New York, ce dernier ne manque pas de noter la
tentative cosmogonique que son organisation spatiale représente. En somme, les architectes de la
ville, entendent créer un univers artificiel, fonctionnant selon des règles spécifiques qui
n’existent pas ailleurs et qui prennent naissance dans l’organisation spatiale de la ville, dans
l’urbanisme même. La structure spatiale du lieu est génératrice de normes selon de Certeau. En
attribuant un pouvoir normatif à l’organisation d’un lieu aux frontières bien délimités, l’auteur
semble proche de l’esprit de la notion foucaldienne d’hétérotopie.
Ceci étant dit, de Certeau envisage un autre niveau d’analyse qui va modifier le caractère
normatif de l’espace : le niveau du sol, de la rue, celui des acteurs, des marcheurs eux-mêmes.
Ces derniers mettent en effet en place ce que l’auteur appelle des stratégies de réappropriation de
l’espace. Cette notion désigne une attitude d’«interprétation» personnelle des règles générales.
Les êtres humains n’étant pas des automates suivant à la lettre les normes sociales (ici celles
dictées par l’organisation spatiale), ils vont alors transformer cet ensemble, l’adapter à leur
vision des choses et leur mode de vie. Ils peuvent intégrer telles quelles certains concepts et
normes, en modifier d’autres, en créer, et exclure de leur monde différents concepts, attitudes,
lieux, principes et populations. En donnant un exemple, on pourrait dire que même si un feu de
signalisation est fait pour signaler l’arrêt automatique du véhicule quand il est au rouge, un
cycliste peut modifier cette règle en la rendant contingente à la présence et à la vitesse d’un
véhicule. Si il n’y a personne au croisement, il passera même si le feu est rouge. Si une
automobile est encore loin ou roule à faible vitesse, il peut là aussi contourner la règle officielle.
De sorte que cette dernière est transformée d’une interdiction totale de rouler quand le feu est
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rouge à une règle plus souple et personnelle de nécessité d’arrêt uniquement si le cycliste perçoit
un danger pour sa propre sécurité.
De même pour la logique de déplacement typiquement nord-américain introduit par les rues à
angle droit. Le but est de ne pas perdre de temps et de se rendre d’un point A à un point B en
lignes les plus droites possibles. La praticité l’emporte sur les autres considérations si l’on se fie
à l’organisation spatiale citadine. Or, pour revenir au cycliste, ce dernier pourrait fort bien avoir
une trajectoire totalement illogique d’un point de vue pratique, par exemple en faisant quelques
kilomètres de plus que le chemin le plus car il préfère passer par certain quartiers pour leur
esthétisme ou leur moindre achalandage automobile.
Cette analyse de la réappropriation de l’espace par les individus qui l’occupent et modifient par
leur pratique une organisation dictée par la théorie apporte un éclairage essentiel sur ce qui s’est
déroulé au FSM de Dakar. On peut ainsi mettre en lumière des conséquences de la faillite
organisationnelle de ce Forum que d’autres analyses n’ont que partiellement relevé (voir par
exemple Caruso 2011). Certains témoignages ont noté que la désorganisation relative du Forum
avait permis des rencontres impromptues. Je suis en partie d’accord avec cette analyse en ayant
moi-même fait plusieurs. Toutefois, il s’agit de faire attention à ne pas tomber en bout de ligne
dans un biais d’enthousiasme, ne voulant voir que l’aspect positif des transformations et
imprévus d’un phénomène. Il est fort compréhensible que l’on soit engagé dans une cause et que
celle-ci tienne à coeur. Et ceux qui cherchent à analyser les phénomènes socio-politique ne sont
pas exempts de tels sentiments. Mais il n’en demeure pas moins qu’admettre toutes les
dimensions d’un phénomènes, en faisant au plus possible abstraction de jugements de valeurs
traitant du «positif» et «négatif» de tel ou tel aspect. Car c’est, il me semble, une des seules
manières d’avoir un portrait assez fidèle d’un phénomène. Ce dernier étant bien identifié pourra
par la suite faire l’objet de politiques visant à l’influencer, le mener dans une certaine direction
mais ce n’est pas le rôle de l’analyse. Elle essaye d’expliquer. C’est un des principaux intérêts
des deux théories qui sont principalement utilisées ici. Autant la théorie des hétérotopies de
Foucault que celle des réappropriations de l’espace de Michel de Certeau ne portent pas de
jugement de valeur a priori. Foucault ne dit pas que les hétérotopies sont meilleures ou moins
bonnes que les lieux contre lesquels elles existent. De Certeau a sensiblement la même attitude a
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propos des réappropriations. C’est, je crois, une caractéristique ayant beaucoup à voir avec la
conception en termes d’espaces qu’adoptent ces auteurs. L’espace n’est ni positif, ni négatif. Il
est, voilà tout. Analyser l’espace du FSM permet d’en avoir une vision plus honnête pour que ses
protagonistes puisse par la suite s’en informer et agir en conséquence. C’est ma vision des choses
qui est exposée ici, et j’ose espérer qu’elle est la plus honnête possible.

La pratique du chaos : expériences de réappropriation de l'espace

Dakar, ville-poussière
Pour avoir une vision la plus complète possible de l’expérience personnelle du FSM, exposée ici
par un récit ethnographique critique, il est nécessaire de décrire le contexte dans lequel se
déroulait ce dernier, Dakar elle-même. Il est plus particulièrement intéressant de rendre compte
non pas du «choc» culturel, mais plutôt de l’incompréhension que l’on peut ressentir, comme si
l’espace citadin de Dakar était un langage inconnu dont il faudrait maitriser les codes pour y
évoluer.
Les conditions dans lesquelles s’est passé mon séjour à Dakar m’ont permis d’avoir un certain
aperçu du quotidien de la ville et justement de balbutier quelques mots de son langage, me
rendant compte par la même occasion de l’importance de l’environnement dans lequel se situe le
FSM, ce dernier ayant été très affecté par son contexte. Mon expérience fut aussi très influencée
par cette ville qui ne se résume pas mais que l’on peut deviner par l’évocation d’un chaos
poussiéreux mais créateur.
Je débarques à l’aéroport de Dakar au petit matin après une mauvaise nuit d’avion. Daba S,
professeur à l’Université Cheik Anta Diop (où se déroule d’ailleurs le Forum), est mon contact
sur place. Sur recommandation d’un de mes bons amis, elle se chargea de me trouver un
logement dans le quartier de Point E, proche de l’Université et relativement sécuritaire. Sans ce
contact, j’aurais du me résigner à louer une chambre d’hôtel pour le double du prix de cet
appartement, et qui serait de surcroît plus déconnectée de la vie locale que ce dernier. Ou bien
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encore d’espérer sans aucune certitude qu’un espace de campement a été prévu par les
organisateurs du FSM. Je devais le constater plus tard, le campement était là. Toutefois, je
m’estimais chanceux de ne pas l’avoir su plus tôt en voyant ces tentes subventionnées par le
Royaume d’Arabie Saoudite, donnant au terrain de soccer reconverti de persistantes allures de
camp de réfugiés (voir Annexe 1). En plus de fournir quelques doutes sur le caractère détaché de
toutes influences politiques extérieur du FSM, le camp me fait réaliser que sans contact local, les
conditions logistiques de mon séjour aurait été moins bonnes. Par conséquent, ma capacité
d’action et de parole au sein de l’espace hétérotopique est plus grande que celui qui n’a pas pu
avoir de logement de qualité similaire au mien pour un prix équivalent. De même, le fait d’être
dans un bloc-appartements assez ordinaire me permet d’être un peu plus au contact de la
population locale au lieu d’être isolé dans un hôtel. Cet embryon d’intégration au tissu social
local modifie vraisemblablement ma perception de la relations entre l’espace du FSM et la ville
dans sa globalité. Enfin, peut-être aurait-je eu moins de capacités logistiques mais plus de contact
avec de jeunes activistes africains, principaux occupants du camp, si j’avais logé dans une des
tentes.
On voit donc une première manifestation des frontières entre différents lieux dans lesquels
évoluent les participants. Le lieu du campement fut pour moi très périphérique et marginal, tout
comme bon nombre de locataires d’hôtel ou d’appartements qui bien que participants au FSM,
n’avait absolument aucune idée de son emplacement voire de son existence.
Mon logement au coeur de la ville permet aussi, étant relativement en dehors de l’univers plus ou
moins ouvert des hôtels où se trouvent la plupart des participants occidentaux, de côtoyer la vie
quotidienne et de me rendre compte à quel point la population semble éloignée de l’hétérotopie
fsmienne. Elle en semble éloigné car la vie urbaine est suffisamment exigeante pour qu’ils ne
puissent pas s’intéresser à un «festival d’amis altermondialistes». La plupart des personnes que je
rencontre, dans le quartier Point E, dans la Médina, ou ailleurs, semble exister malgré la ville.
C’est comme si l’association de stratégies d’existence personnelles avait engendré un système de
vie urbaine chaotique mais fonctionnel, où l’absence notoire de feux de signalisation aux
carrefours ne semble pas gêner outre mesure la circulation. On voit ici une autre frontière qui
influence directement et indirectement le déroulement du Forum, à savoir la culture du chaos
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organisé, ou qui du moins fonctionne à peu près. Ceux qui la connaissent mieux, généralement
les Africains, surtout citadins, vont avoir une attitude différente de ceux qui ne la connaissent
pas. Et ceci va s’avérer d’autant plus vrai que le FSM va être de plus en plus chaotique lui-même
et que les participants vont mettre en place des stratégies de réappropriation particulières de
l’hétérotopie.
Même si le lien peut sembler très ténu entre le coeur de cible de cet essai( à savoir l’exploration
de l’hétérotopie altermondialiste) et la description succincte du langage spatial de la ville, celle-
ci apparait comme une mise en contexte nécessaire pour que le lecteur puisse mieux saisir et
visualiser ce dont il est question tout au long de cet essai. On a trop souvent tendance à présenter
les phénomènes socio-politiques comme survenant au sein d’un univers qui existerait per se,
désincarné et détaché du reste de la société dans laquelle elle s’insère. Le FSM a beau être une
hétérotopie, un contre-lieu, il n’empêche que la ville ou cet espace se déploie a une grande
influence sur ce dernier, surtout quand on doit évoluer dans une cité au langage aussi particulier
que Dakar.

Faille(s) hétérotopique(s) : une porte ouverte aux stratégies de réappropriation

Un évènement majeur pour la suite du FSM survint quelques jours avant son début officiel.
J’appris ce développement lors de la marche d’ouverture le 6 février, sur laquelle je reviendrai
dans un instant. Discutant avec P., professeur de science politique que je connais depuis presque
trois ans, j’apprends, non sans un certain étonnement que le nouveau recteur de l’université,
nommé il y a moins d’une semaine, est plutôt hostile au Forum. Surtout qu’il se déroule dans son
université pendant la période d’examen…Bref, contrairement à son prédécesseur, il n’est pas du
tout coopératif et a par conséquent décidé unilatéralement de ne pas mettre à disposition du FSM,
environ la moitié des salles promises. Cet imprévu chamboule, aux dires de P., une organisation
déjà relative. Ainsi, le comité d’organisation est totalement novice dans l’organisation d’un
Forum Social de cet ampleur même si certains de ses membres font partie du Conseil
International (sorte de comité de suivi du processus du FSM, dont il sera question plus loin).
Certains anciens organisateurs de Forums Sociaux Mondiaux au Brésil et d’autres du Forum
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Social Européen ont eu beau proposer de fournir quelque information ou partage de leurs
expériences passées (cela se fait régulièrement d’une édition à l’autre d’un Forum local, comme
lors des deux éditions du Forum Social Québécois en 2007 et 2009, par exemple), le comité
d’organisation du FSM de Dakar a affirmer que c’était «leur» forum et que l’Afrique était
capable de s’en sortir toute seule. L’attitude du comité d’organisation local ne semble pas ainsi
favoriser la communication entre les différents acteurs, tant il préfère faire cavalier seul dans
l’organisation au lieu d’entamer le dialogue et la collaboration. Ce n’est qu’une supposition mais
peut-être l’émergence d’une véritable hétérotopie commune à tous aurait pu émerger si il y avait
eu plus d’ouverture de la part du comité d’organisation.
J’ai aussi vent d’une caractéristique plus interne de ce comité qui ne manque pas de confirmer la
tendance pressentie du comité organisateur au repli. Je me trouve ainsi à discuter pendant une
bonne partie de la marche d’ouverture du Forum avec M., une employée du YMCA de Dakar,
assurant sensiblement le même rôle que les YMCAs présents au Canada. La jeune femme fait
partie du comité organisateur local. Au cours de la discussion, qui se fait de façon très
informelle, elle me raconte que le processus est quand même assez ouvert, les étudiants
participant selon elle aux réunions d’organisation qui regroupent également des ONGs et des
mouvements sociaux qui y envoient des délégués. Elle précise que tout le monde est le bienvenu,
pour selon qu’il ait des compétences à offrir et soit motivé. Je trouve que cela ressemble fort à ce
que l’on pourrait appeler de la technocratie ouverte, plutôt éloignée de l’horizontalité théorique
du FSM et contredisant la volonté d’ouverture qu’elle vient juste de professer. Ces contradictions
internes entre la volonté d’ouverture qu’implique évidemment l’engagement d’organiser un
évènement de cette ampleur et les fermetures et replis que les situations qui précèdent ont relevé
ne sont pas forcément conscientes. Cela partirait même de considérations pertinentes si l’on
prend en compte le passé colonial et les tendances néocolonialistes présentes en Afrique et la
volonté des organisateurs de créer des liens entre mouvements sociaux africains, sans dépendre
d’organisations du Nord. Il n’en demeure pas moins vrai que l’effet principal de ce repli fut un
manque de transparence général probable, et certain en ce qui me concerne, étant donné que j’ai
dû croiser quasiment par hasard les bonnes personnes.
Mais revenons-en au thème principal, à la faille hétérotopique majeure, qui se résume
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ironiquement au manque d’espaces dans l’espace alternatif. Le nombre et l’agencement des


salles allouées au Forum ayant grandement réduit et changé, tous les espaces et horaires que les
organisateurs avaient aménagé pour les activités inscrites par les participants deviennent de ce
fait caduques.
Le comité organisateur va d’abord mettre en place un système journalier : chaque matin, le
programme des activités est affiché sur deux grands panneaux de bois, installés chacun dans un
des deux pôles d’activités à l’intérieur du campus où se déroule le Forum. Un programme papier
pour chaque jour est aussi distribué. Mais cela ne règle pas vraiment le problème pour deux
raisons. D’abord, l’information sur ces distributions journalières a du mal à être diffusée elle-
même. Ainsi, une fois l’étape de l’accréditation franchie (où chaque participant se rend dans un
bureau pour retirer un badge, cotiser une certaine somme en fonction de son pays d’origine, et
recevoir en principe le programme des activités), il devient difficile de rejoindre tous les
participants ces derniers étant éclatés spatialement et n’ayant pas tous un accès internet qui
permettrait de diffuser rapidement des informations écrites.
D’où le fait que bien des participants croisés lors de toute la semaine que dure le Forum
n’avaient qu’une vague idée de l’emplacement des points d’information et celui qui avait un
programme du jour dans les mains se faisait régulièrement appeler à l’aide par les autres pour le
consulter ou demander d’où le précieux papier provenait. Ensuite (et cela rend l’anecdote relatée
à la fin de cette partie plutôt ironique) les participants, y compris ceux présentant des ateliers,
ayant de la difficulté a se procurer le programme du FSM, beaucoup d’ateliers prévu ne peuvent
pas se dérouler pour la simple raison que les organisateurs d’ateliers-conférences eux-mêmes ne
savent pas quelle salle est censée être mise à leur disposition. De plus ceux qui la connaissent la
trouvent parfois trop en retard ou occupée par une classe et son professeur, lequel refuse de
quitter, invoquant les examens imminents.
Du coup, un système de secours fut de mettre en place de grandes tentes, censées remplacer les
salles. Cela donna toutefois à des tensions et dynamiques de domination supplémentaires.
Chacune des tentes était en effet souvent «réservée» dès tôt le matin, par des groupes activistes
voulant donner leur atelier. Or, certains participants et groupes ont plus de capacités logistiques
que les autres, ce qui leur permet d’occuper une tente, tout en faisant de la «publicité» pour leur
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atelier se déroulant dans celle-ci. Au contraire les groupes moins fortunés, populeux et organisés
ou bien qui sont encore «novices» sont désavantagés dans ce processus. Comme le soulignait un
participant indien lors d’une séance du Conseil International (faisant le bilan du Forum deux
jours après sa clôture), le principe d’open-space avait, dans une certaine mesure, cédé la place au
principe de grab-the-space…

Une expérience personnelle conforte en partie ce dernier constat. Ainsi, la solidarité ne fut pas
vraiment de mise quand je me rendis au point de distribution principal du programme journalier
des activités. Ayant l’impression, certainement non dénuée de pertinence, qu’il n’y a pas assez
de programmes pour tout le monde, une vingtaine de personnes forment une cohue remuante
autour du volontaire du FSM les distribuant. Ce dernier essaie tant bien que mal de le tenir à une
distance qui lui permette de respirer convenable et de ne pas se faire bousculer. Un succès relatif
couronne son entreprise et la pénurie de programme en ses mains provoque l’écartement de foule
espéré et demandé à maintes reprises. Répit de courte durée, la cohue oppresse à nouveau le
volontaire alors qu’elle se rend compte que ce dernier va chercher d’autres exemplaires à
l’intérieur d’un bureau. On ne peut qu’être très surpris à la vue de ce spectacle. «Un autre monde
est possible !» dit un slogan altermondialiste…Vraiment ? Si il est aussi individualiste et
impitoyable que la triste scène dont je venais juste d’être le témoin inutile malgré mes appels au
calme, il ne sera guère différent de celui que décrient ces mêmes activistes bousculant un
volontaire pour un bout de papier.
Ceci est une anecdote, certes. Un fait isolé, très certainement. De ceux qu’il ne faut pas
généraliser. Tout cela est entendu. Il n’en demeure pas moins un très bon exemple du décalage
existant entre une utopie par définition théorique et la pratique. C’est ce décalage qui est exploré
dans les pages qui suivent, cette fois entre la théorie hétérotopique et les pratiques de
réappropriation de l’espace par les participants, ces dernières ayant émergé des failles
hétérotopiques qui viennent d’être décrites.

La jet-set altermondialiste : une stratégie de réappropriation réticulaire


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Certaines failles dans l’hétérotopie du FSM ont engendré une situation que l’on peut qualifier de
chaotique. Tout du moins, les choses ne se passaient pas comme la théorie fsmienne le
pressentait. Les ateliers avaient peine a être tenue, à cause des problèmes logistiques que l’on a
largement décrit ici, et les participants durent s’adapter à ces défaillances. En l’absence d’une
organisation fonctionnelle, mon expérience personnelle me fait émettre l’hypothèse que plusieurs
stratégies d’adaptation distinctes se sont mises en place chez les participants. Ces dernières ont
eu des incidences que l’on peut qualifier d’«épistémologiques», ou cosmologiques, dans le sens
où les pratiques des participants ont modifier les principes philosophiques et logistiques sur
lesquels se base l’hétérotopie du FSM. On peut même envisager que plusieurs hétérotopies
étaient présentes, chacune propre à un groupe de participants.

Pour ma part, je fis partie d’un groupe que l’on peut qualifier dans le cadre de cet essai de
«jet-set altermondialiste». Cette affirmation au caractère provocateur que nous admettons de bon
coeur a le mérite, de par son hyperbole, d’identifier des caractéristiques propre à certains
participants que l’on verrai pas avec une approche plus politiquement correcte.
Pour en revenir aux moments vécus à Dakar, je me retrouves donc au premier jour officiel du
Forum, où se déroule la marche d’ouverture partant d’une place au centre de la médina de Dakar
(coeur de la vie urbaine) pour se rendre à l’université Diop par l’avenue du même nom, artère
principale de la ville. J’ai du la veille consulter le site internet du FSM pour savoir l’heure et le
lieu de rendez-vous, ayant entendu une dizaine de versions différentes, même chez les
volontaires «officiels» du Forum. Cela nous mène à la première caractéristique du groupe de la
jet-set alter : ce sont les participants avec le plus de moyens logistiques. Je pouvais consulter
Internet en rentrant chez moi le soir car j’avais un ordinateur portable, tout comme quasiment
l’ensemble de mes connaissances au sein de ce groupe avaient un accès internet rapide et
abordable pour eux dans leur hôtel. J’avais également acheté un téléphone cellulaire fonctionnel
dans le pays pour 20 000 francs CFA, soit 20$ canadiens. Une somme négligeable dans mon cas
mais beaucoup plus importante pour la plupart des africains. L’aisance financière relativement à
d’autres participants fait aussi partie des avantages logistiques de la jet-set alter. Donc j’ai pu
avoir accès à tout un ensemble d’informations grâce à mes ressources logistiques. Sûrement que
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les autres participants n’ayant pas ces moyens ont fait autrement pour les obtenir. Il n’en reste
pas moins que j’ai évité de chercher pendant des heures cette information en y accédant plus
rapidement par ce biais.
Une fois au lieu de départ de la manifestation, je rencontre par hasard des collègues étudiants et
professeurs universitaires québécois. Certains me font remarquer qu’ils avaient bien reçu mon
courriel demandant lesquels d’entre eux se trouvaient à Dakar et qu’il m’auraient envoyé leur
numéro de téléphone sénégalais dans la soirée. Environ 90% des activistes occidentaux que j’ai
croisé au cours du Forum s’étaient procuré un numéro de téléphone spécialement pour rester
joignable en tout temps rapidement. Ceci est un corollaire d’une des caractéristiques
fondamentales de la jet-set : l’organisation réticulaire. C’est en effet sur un principe de réseau de
contacts interpersonnels qu’a reposé quasi-exclusivement ma propre stratégie de réappropriation.
En bref (en deux jours pour être exact), je me suis construit un réseau de jet-set altermondialiste
en guise de stratégie de réappropriation de l’espace du FSM.
Tout réseau commence fatalement par un premier contact, une personne grâce à laquelle vont se
tisser la plupart des autres fils relationnels de la toile réticulaire. Dans mon cas ce fut J, directeur
d’un centre de recherche sur les mouvements sociaux et les nouvelles cultures politiques, basé en
Inde. J’avais déjà son numéro de téléphone sénégalais avant même de mettre les pieds à Dakar.
Je connais J depuis le FSM précédent au Brésil en janvier 2008. Il m’avait été présenté par un de
mes professeurs de l’UdeM. Nous correspondons depuis lors de manière sporadique,
principalement à propos du FSM. Il gère d’ailleurs une liste de discussion ouverte à tous sur le
processus des forums sociaux mais où ne participent effectivement qu’un groupe relativement
restreint de 15 à 20 personnes au total, des activistes ayant une certaine expérience et des
universitaires ou intellectuels «spécialistes». Bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs à Dakar et
constitue une partie du réseau informel dont je faisais partie.
Je n’eu pas besoin d’appeler J. Le croisant dans un atelier, je me rappelle à son bon souvenir. Il
m’invite alors à participer à une sorte de 5 à 7 qu’il organise dans la cour intérieure d’un hôtel du
centre de Dakar. C’est par ce biais que je vais mettre un pied dans la jet-set alter. Il y a là
beaucoup d’activistes qui ont pour principale activité de militer au sein d’un organisme ayant un
lien plus ou moins ténu avec l’altermondialisme. Il y a chaque soir quasiment au moins un
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membre du Conseil International du FSM ou une figure connue dans le milieu académique
s’intéressant au FSM. Bref, c’est un endroit rassemblant des personnes qui pour la plupart
connaissent très bien les normes hétérotopiques du FSM et son vocabulaire. Ils ont un niveau
élevé de ce que l’on pourrait appeler l’«alter-litteracy» (on excusera ici le terme anglais, je n’ai
pas encore trouvé de terme français satisfaisant). Cette alter-litteracy couplée aux moyens
financiers et logistiques plus importants que la plupart des autres participants expliquent
l’existence même de ce réseau et de sa stratégie de réappropriation. Ainsi, un bon nombre de mes
activités se sont passées dans le cadre de cette jet-set alter. Le premier soir où je me rendis à
l’hôtel, à la fin du deuxième jour du FSM, je décidais de mon emploi du temps pour le
lendemain : n’ayant aucune idée des ateliers ayant véritablement lieu en raisons des problèmes
logistiques que l’on sait, je décide de me replier sur cette sphère connue, cette zone de confort
que représente l’atelier organisé par mes «amis altermondialistes» du centre de recherche.
Finalement, le chauffeur de taxi que je cite en ouverture de cet essai avait mis le doigt sur
quelque chose, du moins partiellement. Mon expérience du FSM s’est en effet, pour la majeure
partie, déroulée parmi des gens que je connaissaient déjà, leur ayant parlé, ayant vu leur nom
dans un article, ou connaissant le contexte socio-politique duquel ils proviennent.
En somme, et comme d’autres personnes ont eu l’air de le faire parmi les activistes que je
rencontrait à l’hôtel, je me suis replié sur une zone de confort, un lieu social et conceptuel connu
pour que le chaos organisationnel, l’hétérotopie fissurée, recommence à faire sens à mes yeux.
Ma stratégie de réappropriation se basait sur cette toile de relations qui agissaient selon des
modalités qui faisaient que même si je ne connaissais pas les gens personnellement, j’évoluais
dans un univers social et conceptuel auquel j’étais habitué. Nommément, un univers d’activistes
d’expérience, connaissant comment fonctionnait le FSM, où l’on conceptualise et théorise
beaucoup son environnement, dans une compréhension analytique et «rationnelle» du monde, un
univers assez occidental ou du moins occidentalisé. Bref, un univers social similaire à celui où
j’évolue habituellement.
Deux exemples montrent comment ma stratégie de réappropriation est spécifique et modifie
l’hétérotopie théorique du FSM. D’une part, je n’ai trouvé la conférence du centre de recherche
indien et leurs invités uniquement car j’ai été capable de faire fonctionner mon réseau en
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appelant J. Arrivant au lieu où il se donnait (un lieu qui a changé trois fois en une heure, d’où la
nécessité du réseau de contact pour qui veut rester dans la zone de confort que je décris), je me
rend compte lors du tour de présentation que je connais déjà quasiment toutes les personnes
présentes. De nom. Car j’ai lu leurs articles lors de travaux universitaires sur l’altermondialisme
ou dans les listes de diffusions associées à divers mouvements sociaux et Forums antérieurs. Et
fait plus troublant, je ne dialogue pas tant que cela avec les inconnus, demeurant dans ma zone
de confort. Cela m’arrivait aussi par la suite, à un atelier organisé par un groupe d’universitaires
français cherchant à créer un réseau d’action direct contre une multinationale française en
collaborant avec des luttes activistes locales en Afrique. Étaient présent à leur ateliers des
membre d’un réseau nommé No-Vox, visant à fédérer les populations marginalisées et exclue de
la plupart des mouvements sociaux : les habitants de bidonville, les marchands ambulants, etc.
Bref, les populations les plus oppressées socialement mais les moins souvent disponibles pour
s’engager dans le milieu activiste. Ces personnes distribuaient un journal nommé «Le cul du
monde». C’est cela qu’ils étaient, selon eux, car personne ne les écoutaient et se contentaient au
contraire de s’assoir sur leurs opinions, problèmes, solutions et aspirations. C’est quasiment ce
que j’ai fait. Plus précisément, je n’ai qu’écouté (mais pas vraiment discuté avec) le français
expatrié depuis tellement d’années au Mali qu’il parlait de Bamako comme de sa ville, celle où il
était chez lui. Mais je n’adressai pas la parole à son collègue africain. Il ne faut pas y voir signe
de xénophobie ou quoi que ce soit d’approchant. C’est surtout que je ne savais vraiment pas quoi
lui dire. J’avais le sentiment que nous appartenions à deux réalités totalement différentes (ce
sentiment était un peu moins présent à propos du français, car je connais bien son pays d’origine
et son contexte social, étant de la même nationalité). Idée dépourvue de tout sentiment de
supériorité, reposant au contraire sur le sentiment que je n’étais pas vraiment capable de
comprendre ce que ces gens me disaient car leurs concepts et leur lexique, bien que très similaire
au mien, renvoyait à une réalité totalement différente et de ce fait ne signifiaient pas la même
chose pour eux que pour moi.
Le plus important n’est pas vraiment de disserter sur le bien-fondé de ce sentiment. J’aurais
surement été capable de trouver un lieu de compréhension commun si j’avais voulu. Mais je ne
voulais pas tant que ça. Ma bulle activiste me plaisait et me permettait de créer un ordre relatif
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dans ce que je percevais comme un chaos quasi-total.

Ma stratégie de réappropriation de l’espace a ainsi été essentiellement basée sur la construction


d’un réseau local de contacts déjà plus ou moins familiers, grâce auxquels, j’ai pu façonner une
hétérotopie propre au groupe de «jet-set alter», reposant sur la cooptation et l’analyse, tout en
intégrant que de façon liminaire les outsiders.

Il a été question d’une stratégie de réappropriation spécifique de l’hétérotopie du FSM,


l’approche réticulaire qui a été la mienne et celle de plusieurs participants. Ayant décrit cette
stratégie, il est intéressant de donner un aperçu limité mais quand même pertinent sur d’autres
stratégies qui semble avoir eu cours lors du FSM.

La chirurgie activiste : la spécialisation comme stratégie de réappropriation

L’analyse de cette stratégie est plus brève que celle portant sur la stratégie réticulaire pour la
simple raison qu’elle n’a fait l’objet d’aucune expérience vécue directe de ma part et que, de ce
fait, je n’ai qu’un compte-rendu de «seconde main» mais d’une source qui semble avoir mis en
place cette stratégie sans toutefois l’identifier de cette façon. S est un activiste basé à Montréal
que je connais depuis le Forum Social Québécois de 2009, en fait depuis une soirée chez une des
membres du comité organisateur. Depuis, je collabore régulièrement avec lui sur des projets d’art
engagés divers.
S s’implique principalement pour la défense de la cause palestinienne, avec par ailleurs une
certaine efficacité si l’on en croit la surveillance dont il fait l’objet de la part des services de
renseignement canadiens. Ce dernier s’est également rendu au FSM de Dakar mais semble avoir
vécu celui-ci dans un lieu différent du mien, bien que nous ayons évolué dans le même espace
physique. S était en effet au FSM dans une optique restreinte et spécifique qui était
l’amélioration des liens et du réseau pour la défense de la cause palestinienne. Tout son agenda
était donc réparti en rendez-vous, réunions et entrevues diverses qui en tant que telles n’avaient
que peu rapport avec bien des thématiques du FSM. Il n’a d’ailleurs pas autant cherché que moi à
24

assister à des ateliers. De son propre aveu, il profitait surtout du fait qu’un grand nombre
d’activistes pro-palestiniens de partout dans le monde se trouvait au même endroit au même
moment, chose qui arrive très rarement dans d’autres contextes, selon lui. S a donc adopté une
stratégie de réappropriation de l’espace que l’on peut appeler de la «chirurgie activiste» : se
restreindre à un domaine d’action très précis dans lequel on a une certaine expertise pour
outrepasser les failles hétérotopiques.
La frontière n’est plus alors celle de l’alter-litteracy a proprement parler, ni de l’appartenance à
la jet-set alter. La frontière de cette réappropriation de l’hétérotopie est plutôt le degré de
spécialisation dans la cause spécifique dont il est question. Peu importe si un participant a
beaucoup de ressouces logistiques ou non, si il connait le fonctionnement d’un FSM par coeur ou
si c’est sa première expérience. Il a juste à se rendre à la tente palestinienne qui resta à la même
place pendant tout le Forum. Si il en connaît beaucoup sur la cause palestinienne, il pourra se
rattacher à cette thématique, garante d’un lieu à la fois facile à trouver et fécond à tous les
niveaux, géographique, conceptuel, social.

Les alter-vagabonds : la réappropriation des laissés pour compte

Une dernière catégorie mérite d’être mentionnée malgré que je n’ai presque pas eu de contact
avec elle. Cela se comprend quand on les désigne comme des alter-vagabonds. Comme les
personnes en situation d’itinérance, ces derniers semblent les plus marginalisés car les plus
dépourvus de ressources logistiques, relationnelles et conceptuelles en rapport avec le FSM. Il
semble s’agir de nouveaux participants, n’ayant aucune expérience précédente des forums
sociaux. Certains d’entre eux sont des militants provenant de mouvements sociaux africains qui
ont saisi l’opportunité de Dakar comme une occasion d’échange inédite et ont traversé la moitié
du continent dans cette optique. Ce fut le cas d’un groupe d’activistes du Burkina Faso qui se
retrouvèrent devant une porte fermée en lieu et place d’espace dans lequel tenir leur activité. Ne
connaissant personne et étant découragés par le désordre, ils sont repartis sans avoir tenu la
conférence pour laquelle il étaient venu de loin. On imagine le coût conséquent, et pas seulement
au niveau monétaire qu’une telle conclusion a engendré pour eux. Un certain nombre de ces
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alter-vagabonds étaient également bien visibles sur le campus de l’université, errant de panneau
en panneau à la recherche d’une activité intéressante et à la réalité tangible. Plusieurs, croisés
lors du Forum ont eu l’air de s’en remettre au hasard des rencontres pour créer du contact avec
un succès plus ou moins flagrant selon les cas, comme tout ce qui dépend du hasard. Ce furent
vraiment les laissés pour compte d’un Forum qui se veut un lieu où chacun est théoriquement sur
un pied d’égalité et peut s’exprimer et agir avec une intensité similaire, quelque soit l’endroit
d’où il part.

J’ai mis en place une certaine stratégie de réappropriation de l’espace parmi d’autres qui ont
émergé de l’écroulement du mode de spatialisation idéal et théorique du processus FSMien dont
le comité organisateur devait se faire le promoteur et qui permet de dépasser dans une certaine
mesure les dynamiques de repli par la construction d’une hétérotopie véritablement commune.
Les quelques attitudes que nous avons décrites sont porteuses de stratégies de réappropriation de
l’espace distinctes. De ce fait, suivant de Certeau, on peut dire que chaque attitude exposée ici
modifie les normes théoriques de l’hétérotopie altermondialiste. Chaque attitude engendre ainsi
ses normes propres, fruit des exclusions, inclusions et modification des normes théoriques
propres au FSM. Or, une hétérotopie se définit notemment comme étant un lieu de normes
partagées par les acteurs qui y évoluent. Donc, on peut conclure que lors du FSM de Dakar, il
n’y a pas eu une hétérotopie mais bel et bien plusieurs, issues des stratégies de réappropriation
des participants. Si il est toujours question dans le futur d’engendrer au moyen du processus du
FSM une hétérotopie véritable, il serait bon de se pencher sur un moyen de guider les différents
participants vers un lieu commun à tous ; géographique certes, mais aussi logistique, conceptuel
et social. De sorte qu’il ne se crée pas de frontières à l’intérieur de cette hétérotopie comme cela
a pu être, me semble t’il, le cas à Dakar. Dès lors, le comité organisateur ainsi que le Conseil
international devrait se pencher sur cette problématique et utiliser le concept d’hétérotopie qui
peut être fécond pour identifier certains problèmes et obstacles que l’on ignore ou minore trop
souvent.
Encore une fois, ce n’est qu’en étant honnête à propos de la situation présente et de ses
différentes facettes que les participants du FSM pourront améliorer ce processus porteur d’une
26

culture politique certes novatrice mais perfectible.


27

Bibliographie

- Bachelard, Gaston. 1972. La formation de l’esprit scientifique. Paris: Éditions Jean Vrin.

- Caruso, Giuseppe. 2011. «Preliminary notes on the WSF 2011». En ligne. http://
www.forumsocialmundial.org.br/noticias_01.php?
cd_news=3022&cd_language=2

- Certeau, Michel de. 1980. «Marches dans la ville» dans L’invention du quotidien t.1 : Arts de
faire. Paris: Union générale d’éditions.

- Chesters, Graeme. 2008. « ‘Networks Plus ? – Encountering the complexity of the Forum’.
Contribution to Network Politics Reader for Seminar at the University at
California at Berkeley on December 5 2008 (draft, for comments) » En ligne.
http://www.networked-politics.info/?page_id=173.

- Conway, Janet. 2008. «Decolonizing knowledge : politics at the World Social Forum»
présentation à l’International Studies Association (San Francisco, CA) le 27 Mars
2008. En ligne. http://www.allacademic.com//meta/p_mla_apa_research_citation/
2/5/1/4/1/pages251415/p251415-1.php

- Foucault, Michel. 1984. «Des espaces autres». Architecture, Mouvement, Continuité 5 (octobre
1984). 46-49.

- Sen, Jai. 2009. On open space. Explorations towards a vocabulary of a more open politics. En
ligne. http://cacim.net/twiki/tiki-download_file.php?fileId=44.
28

Annexes
29

Annexe 1 : Clichés du «camp des jeunes»

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