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INTRODUCTION
Juillet 2007. Dans la cour ensoleillée d’un de ces ravissants édifices qui font le
charme de la vieille ville d’Aix-en-Provence, une trentaine d’individus accablés par la
chaleur attendent patiemment l’arrivée de Stéphane Braunschweig, invité à parler de sa
mise en scène de Die Walküre, jouée la veille au Grand théâtre fraîchement inauguré à
l’occasion du festival d’art lyrique. Enfin apparu, le metteur en scène prononce quelques
mots de remerciement puis, non sans laisser transparaître une certaine nervosité, se tait,
attendant les questions de l’auditoire.
Première question : « Monsieur Braunschweig, dans La Walkyrie de Richard
Wagner, Brünnhilde est sensée s’endormir sur un rocher. Or, dans votre mise en scène, il
n’y a pas de rocher mais trois chaises. Pourriez-vous m’expliquer votre choix ? D’ailleurs,
les chaises ne sont pas entourées d’un vrai feu mais de projections de flammes sur le mur.
Siegfried ne pourra donc pas accomplir son exploit de traverser le feu, qui devrait
logiquement paraître infranchissable. Comment ferez-vous alors dans Siegfried ? »
Seconde question : « J’ai beaucoup aimé votre travail, et j’aimerais savoir comment vous
comptez aborder dans Siegfried les scènes plus musicales, comme le dernier acte, où pour
ainsi dire, il ne se passe pas grand-chose. »
Un an plus tard, une jeune Allemande s’étonne de la question que je posai alors
moi-même à M. Braunschweig à propos de son Siegfried : « Puisque, selon vos propres
mots, Brünnhilde est en fin de compte assez déçue face au caractère relativement primaire
de celui qui la réveille, comment peut-elle tout de même aimer Siegfried ? ». La jeune
femme, très gentiment, me répond elle-même : « Mais chez nous, en Allemagne, les choses
sont beaucoup plus simples. Brünnhilde, elle aime Siegfried, parce qu’il est beau, il est
grand, il est fort ! ».
Il n’est absolument pas question ici de juger de la qualité de ces interrogations,
mais seulement de montrer que le débat à propos de la mise en scène des drames
wagnériens est toujours ouvert, que l’on est encore loin de tout consensus, comme en
témoignent d’ailleurs les éclats simultanés d’applaudissements et de huées que l’on peut
entendre chaque année au festival de Bayreuth.
10
La mise en scène des drames wagnériens suscite des polémiques depuis leurs
débuts, Wagner ayant lui-même toujours été insatisfait des représentations de ses oeuvres1.
Adolphe Appia, Wieland Wagner, mais aussi Pierre Boulez, Patrice Chéreau, Pierre
Strosser – pour ne citer que les plus scandaleusement reçus – ont contribué à ériger ces
mésententes au rang de tradition, tradition qui, d’après Wieland Wagner, trouve son
origine dans la musique même du maître. Ce grand révolutionnaire de la mise en scène
d’opéra explique :
Et ainsi nous sommes arrivés au plus grand scandale de Wagner, de sa musique, ou mieux encore : des
effets de celle-ci. [...] L’appel au sentiment qui s’exhale de la musique de Wagner n’est-il pas trop
fort ? Au sens éthique, Wagner, dans ses oeuvres, s’adresse au coeur et à l’intelligence, et cependant il
agit presque exclusivement sur le sentiment. [...] Wagner a donné un théâtre sauvage, non domestiqué.
[...] Sa musique charrie au loin tout ce qui constitue le moi, ce qui, entre parenthèses, donne souvent
du fil à retordre au metteur en scène. Et c’est également le cas lors d’une exécution imparfaite de sa
musique2.
Au coeur de cette problématique : les quatre opéras qui constituent Der Ring des
Nibelungen ou La Tétralogie. « C’est le poème de ma vie, de tout ce que je suis et de tout
ce que je sens »3 écrit Richard Wagner dans une lettre de 1852 à Franz Liszt. C’est l’oeuvre
par laquelle le compositeur voulut cristalliser ses théories, systématisant le procédé du
leitmotiv au service du mythe4.
C’est pour la représentation du Ring que Wagner a fait construire son fameux
Festspielhaus qui devait impérativement détruire toute barrière entre la scène et le
spectateur. Le public, plongé dans le noir pour la première fois, se sentirait alors happé par
la force magique du drame lyrique. Or, cette magie ne pouvait et ne peut encore opérer que
lors de la représentation de l’oeuvre. Et l’on pourrait dire qu’il s’agit là du plus grand défi
laissé par le maître de Bayreuth. Comment porter la scène et la fosse à la hauteur d’une
oeuvre aussi complexe que la Tétralogie ?
1 Romain Rolland : « Malwida von Meysenburg m’a raconté qu’aux fêtes de 1876, à Bayreuth, tandis qu’elle
suivait attentivement dans sa lorgnette une scène du Ring, deux mains s’appuyèrent sur ses yeux, et la voix
de Wagner lui dit, impatientée : Ne regardez donc pas tant, écoutez ! ... » citée dans Pierre Flinois, « Les
premiers pas : la Tétralogie de 1877 à 1896 », Revue Opéra, Richard Wagner : centenaire du Ring, Paris,
Éditions de la Revue Opéra, 1976, p. 29 ; ou encore « J’ai créé l’orchestre invisible, si je pouvais maintenant
inventer le théâtre invisible ! », cité par Wieland Wagner dans son étude «Tradition et re-création », Actualité
de Wagner, Bayreuth, éditions de la Festspielleitung, 1952, p. 231.
2 Wieland Wagner « Richard Wagner : un éternel scandale ; Entretien entre Wieland Wagner et Walter
Panofsky » Musique en jeu, Spectacle Musique II : repartir de Wagner, 22, Paris, Seuil, 1976, p. 115.
3 Richard Wagner, « Lettre de Richard Wagner à Franz Liszt, 1852 », Correspondance, Paris, Gallimard,
1943, p. 27.
4 Même si, comme Wieland Wagner le souligne dans cette même interview avec Walter Panofsky :
« l’inventeur du mot leitmotiv doit avoir été le commentateur de Wagner, Hans von Wolzogen ».
Le point de départ de cette polémique ne peut être que la question de savoir
si, dans la totalité de
l’oeuvre wagnérienne, les indications scéniques – si souvent citées – ont la
même importance que la
musique et la poésie – et si Wagner considérait ces préceptes de mise en
scène et de décor comme des
obligations pour les générations futures. L’auteur reste muet face à ces
problèmes d’interprétation, qui
sont d’une importance majeure pour la pratique théâtrale. Des notices
authentiques à peine suffisantes,
que les augures citent d’habitude à ce propos, concernent des cas particuliers
et ne peuvent par là
même revêtir aucune signification de principe. À cet égard il n’existe pas de «
dernières volontés »
engageant le monde posthume10.
5 Claude Lust, Wieland Wagner et la survie du théâtre lyrique, s.l., La Cité,
1970, p. 95.
6 Terme employé par Wieland Wagner in Geoffrey Skelton, Wieland Wagner:
the positive sceptic, London,
Gollancz, 1971, p. 178.
7 Claude Lust, Wieland Wagner et la survie du théâtre lyrique, op. cit., p. 53.
8 Jean-Jacques Nattiez, Tétralogies, Wagner, Boulez, Chéreau : essai sur
l’infidélité, Paris,
Christian Bourgeois, 1983.
9 Peut être traduit littéralement par « festival de la scène ».
10 Wieland Wagner, « Denkmalschutz für Richard Wagner ? », Richard Wagner
und das neue Bayreuth,
München, Paul List Verlag, 1962, p. 231, « Ausgangspunkt dieses
Streitgespräches kann nur die Frage sein,
ob im Gesamtwerke Wagners die vielzitierten szenischen Angaben denselben
Rang einnehmen wie Musik
und Dichtung – und ob Wagner diese Regie – und Bildvorschriften auch über
seinen Tod hinaus für künftige
Generationen als verbindlich betrachtete. Der Autor selbst schweigt zu diesen
für die Praxis wesentlichen
Interpretationsproblemen. Sehr spärliche authentische Bemerkungen, die in
diesem Zusammenhang von den
Auguren zitiert zu werden pflegen, beziehen sich auf spezielle Fälle und
können deshalb keine grundsätzliche
Bedeutung haben. Einen verbindlichen "letzten Wille" in dieser Beziehung gibt
es nicht », traduction de
Gisela Tillier, « Wagner : un monument classé ? », in Musique en jeu,
Spectacle Musique II : repartir de
Wagner, op. cit., p. 95.
12
Le compositeur lui-même ne s’étant ainsi pas réellement prononcé sur la
notion de
« fidélité » à son OEuvre en général, la question de la conception de l’art de la
mise en
scène du drame wagnérien se pose légitimement. Et plus précisément,
puisqu’Adolphe
Appia soutient que « les principes mêmes de la mise en scène, pour chaque
oeuvre en
particulier, ne sont déterminés que par cette oeuvre elle-même »11, la question
de la
conception même de la mise en scène du Ring12 peut alors se poser. Il
n’existe pas d’école
de la mise en scène d’opéra, expliquant la vitalité créatrice et critique qui lui
est rattachée,
laissant ce métier assez libre et donc propre aux expérimentations. La
diversité des
représentations auxquelles tout spectateur peut assister témoigne de ce vent
de liberté qui
ne cesse de souffler sur la mise en scène de la Tétralogie depuis le Neue
Bayreuth de
Wieland Wagner : la scène wagnérienne se prête autant à l’art d’un Robert
Wilson que
d’une Ruth Berghaus ou d’un Harry Kupfer.
Certes, ceux-ci sont loin de faire l’unanimité, mais au delà du goût et de la
sensibilité de chacun, il est peut-être d’abord question de savoir si le
spectateur est bien
face à une mise en scène d’opéra. Or, cet art, quel est-il ? Plusieurs
personnalités du monde
musicologique se sont penchés sur ce sujet : Isabelle Moindrot, dans son
étude La
représentation d’opéra13, a tenté de formuler une définition de cet art hybride,
quand
Michel Guiomar a consacré sa carrière à en étudier les potentialités. Claude
Lust, lui, dans
son Wieland Wagner et la survie du théâtre lyrique14 étudie la mise en scène
telle que le
petit-fils de Wagner la concevait, et en conclut qu’il s’agit là du seul exemple
de mise en
scène d’opéra dans l’Histoire.
Je me propose de prolonger leur travail, c’est-à-dire de m’engager dans le
chemin
qu’ils ont tracé et qui aborde les antinomies inhérentes à l’opéra – antinomies
qui
gagneraient, encore aujourd’hui, à être mieux apprivoisées. Je me pencherai
sur une oeuvre
en particulier : Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner qui, comme je l’ai
dit plus
haut, est au centre des mésententes et qui appelle donc à une étude de leurs
origines, ainsi
que de leurs effets. De nombreux hommes de théâtre s’intéressant de nos
jours à l’opéra
wagnérien (la plupart des metteurs en scène sont issus du milieu théâtral), j’ai
pensé
qu’étudier la mise en scène du drame lyrique du Ring avec une approche
musicologique
pourrait s’avérer une expérience convaincante. Ma problématique sera la
suivante : au delà
de la simultanéité qu’impose la représentation entre le jeu orchestral et celui
du chant sur
11 Adolphe Appia, OEuvres complètes (IV), 1921-28, L’Âge d’Homme, 1992, p.
265.
12 Jean-Jacques Nattiez, Tétralogies, Wagner, Boulez, Chéreau : essai sur
l’infidélité, Paris,
Christian Bourgeois, 1983.
13 Isabelle Moindrot, La représentation d’opéra, Paris, PUF, 1993.
14 Claude Lust, Wieland Wagner et la survie du théâtre lyrique, op. cit.
13
scène – tous deux ainsi forcés de suivre le même tempo et limités par les
mêmes barres de
mesure – quels rapports l’élaboration d’une mise en scène de Der Ring des
Nibelungen
peut-elle mettre en lumière entre ce qu’entend et ce que voit le spectateur ?
Mon but n’est pas d’évaluer la qualité des diverses mises en scène de la
Tétralogie
que l’on a pu voir depuis la « révolution Wieland Wagner », que je pose comme
base de
ma chronologie, mais plutôt d’étudier les divers moyens mis en oeuvre par les
metteurs en
scène au service de ce que Wieland Wagner considérait comme « the most
topical and
modern of living dramas »15.
La mise en scène d’opéra s’apparente à une mosaïque qui aurait l’audace de
réunir
plusieurs arts en un seul : poésie, théâtre, chant, musique instrumentale,
autant de
paramètres qu’il semble aussi ardu d’étudier de manière cohérente que d’en
réaliser la
fusion lors d’une représentation. Comment procéder ? Il n’existe pas de
méthode dans le
domaine de la mise en scène d’opéra comme il en est de l’art du comédien.
Stanislavski
donna naissance au Method Acting encore enseigné non seulement dans
l’Actors Studio qui
créa tant de légendes du grand écran, mais encore dans la quasi totalité des
écoles de
théâtre contemporaines. Si, en comparant le jeu de Marlon Brando avec celui
d’Al Pacino
on peut voir une base commune – celle de l’idée de la construction d’un
personnage grâce
à la mémoire sensible qu’on lui crée – il est difficile de comparer les travaux de
Wieland
Wagner avec ceux de Patrice Chéreau. Certes, aujourd’hui, on peut dire de
certaines mises
en scène qu’elles se ressemblent, mais cette ressemblance relève plus des
thématiques
récurrentes choisies comme cadre (transposition de l’univers des
personnages à une
période contemporaine, décors déconstruits, remise en question de l’oeuvre
grâce à une
lecture socio-politique, etc.) plutôt que d’une technique précise et commune.
Une des plus
grandes difficultés de la présente étude découlera certainement de ce constat
: puisque les
mises en scène sont si peu unifiées, comment pourrait-on envisager de les
étudier à l’aide
d’un unique modèle d’analyse ?
De plus, choisir une oeuvre aux dimensions aussi importantes que la
Tétralogie et
l’étudier du point de vue de la perpétuelle mouvance de la mise en scène est à
l’évidence
une gageure ambitieuse. Une des premières étape de ma recherche –
constituer un corpus
bibliographique autour de l’oeuvre wagnérienne – pose un certain nombre de
difficultés en
soi, dans la mesure où il existe une quantité infinie d’études portant sur les
travaux de
Richard Wagner (en commençant par celles du compositeur, pour le moins
denses et
volumineuses).
15 Geoffrey Skelton, Wieland Wagner: the positive sceptic, op. cit., p. 178, « le
plus topique et le plus
moderne des drames vivants », c’est nous qui traduisons.
Meisner and Longwell- Meisner on Acting, Vintage Books, New York, 1987;
Mitter Shomit &Shevtsova, Maria- Cincizeci de regizori cheie ai secolului 20,
Unitext, Bucuresti, 2010;
Stanislavski, Constantin- Viata mea in arta, Cartea rusa, Bucuresti, 1958;
Stanislavski, Constantin- An Actor preapares, Theatre Art Books, New York, 1948;
Stanislavski, Constantin- Creating a role, Theatre Art Books, New York, 1961;
Stanislavski, Constantin- An Actor’s handbook, Methuen, Londra, 1990;
Strasberg, Lee- Definiton of Acting, The Lee Strasberg Collection, New York;
Strasberg, Lee- A Dream of Passion.The development of the Method, A Plum Book,
New York, 1988;
Tonitza, Mihaela & Banu, George– Arta teatrului , Ed.Ene.Rom., Bucureşti 1975 –
dar
se recomandă ediţia revizuită apărută în 2004;
Toporkov, Vasily Osipovich- Stanislavski in Rehearsal, Routledge, New York and
London,1979.
spirituale este adus în joc de jocul cu mărgele de sticlă, aşa cum o orga
strict să se asemene două măcar, mai mult decât superficial, este ceva
virtuozitatea jucătorilor.
asupra căruia poate hotărî el, după bunul său plac. Căci, ca orice idee
şi semnele runice din visurile magice ale lui Novalis2. Aceeaşi idee eternă, care
religia.
două veacuri mai înainte, la Nikolaus von Kues5 găsim fraze care
2 Pentru Novalis (Friedrich Leopold von Hardenberg) (1772 ― 1801), poet romantic
iar visul un izvor de adevăruri absolute. Runele sunt cele mai vechi semne grafice
4 Pierre Abilard (1079 ― 1142), filozof şi teolog scolastic francez, este întemeietorul
conceptualismului, poziţie filozofică înaintată pentru vremea sa, care respingea teza
aşezarea credinţei pe baze raţionale, fapt care a fost condamnat ca erezie de către
biserică. Pe plan literar, Abelard a devenit eroul unei celebre povestiri medievale
5 Nikolaus von Kues (Cusa, Cues sau Cusanus) (1401 ― 1464), cardinal şi filozof german, a