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LE MONDE QUANTIQUE

ET LA CONSCIENCE
Collection « Sciences et spiritualités »
dirigée par Jean Staune

Benjamin LIBET, L'esprit au-delà des neurones. Une exploration de la


conscience et de la liberté, 2012.
Stuart A. KAUFFMAN, Réinventer le sacré. Une nouvelle vision de la science,
de la raison et de la religion, 2013.
Nidhal GuEssouM, Islam et science. Comment concilier le Coran et la science
moderne, 2013.
Nidhal GuEssouM, Islam, Big-bang et Darwin. Les questions qui fâchent ... ,
2015.

© Henry P. Stapp
©Éditions Dervy, 2016
19, rue Saint-Séverin 75005 Paris
ISBN: 979-10-242-0133-7

contact@dervy.fr
www.dervy-medicis.fr
Henry P. Stapp

LE MONDE QUANTIQUE
ET LA CONSCIENCE
Sommes-nous des robots
ou les acteurs de notre propre vie ?

Traduit de l'anglais
par Alessia Weil

Éditions Dervy
PRÉFACE

Nous avons tous le sentiment d'exister, d'être un être unique


et de faire des choix libres. Vous avez par exemple choisi de lire
ce livre au lieu d'aller au cinéma ou de regarder la télévision.
Pourtant dans le monde moderne, il n'y a ·aucune place pour
l'esprit ni pour ce qui est, théoriquement, à la base du choix que
vous venez de faire : le libre arbitre.

En effet, le monde moderne, basé sur les progrès fabuleux de


la science depuis la Renaissance jusqu'au xxe siècle, nous donne
une vision physicaliste du monde. C'est la physique (et la chimie)
qui explique la réalité ultime, c'est-à-dire tout ce qui constitue
le monde qui nous entoure. Et c'est la matière qui constitue le
composant de base de la réalité. C'est pourquoi aujourd'hui la
quasi-totalité des spécialistes des sciences de « l'esprit » pensent
que l'esprit émerge d'une façon ou d'une autre de la matière. Et
comme cet esprit n'a pas d'existence propre, il serait vain de cher-
cher quelque part l'existence d'une vraie liberté. Si l'on pouvait
analyser la totalité des connexions neuronales de votre cerveau,
on finirait certainement par trouver la raison pour laquelle vous
êtes en train de lire ce livre au lieu de regarder la télévision. En
d'autres termes, tous ces choix que nous pensons faire librement,
grâce à ce « quelque chose » que l'on appelle le libre arbitre, sont
en fait déterminés par un certain nombre de facteurs dont nous
n'avons certainement pas conscience. Par exemple, très jeune
vous avez entendu votre père parler de physique et même si vous
ne vous en souvenez plus du tout, cela vous a donné un goût par-
ticulier pour la physique qui vous a amené à vous plonger dans
ce livre plutôt qu'à regarder une série à la télévision.
6 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

La compréhension du monde qui en découle amène donc à


une vision particulièrement désenchantée. Si nous ne pouvons
pas réellement faire de choix libre, comment pouvons-nous pré-
tendre agir sur le monde qui nous entoure, le modifier dans le
sens de nos valeurs et de nos idéaux, si le monde qui nous entoure,
dont notre propre cerveau est l'un des constituants essentiels,
détermine entièrement, non seulement ce que nous faisons mais
aussi ce que nous pourrions faire ?

Mais voilà ! Cette vision quelque peu désespérante dans


laquelle nous affirmons que nous existons en tant qu'une
conscience individuelle pourvue d'une vraie capacité à faire des
choix libres alors qu'en fait il s'agit d'une parfaite illusion, n'est
plus d'actualité, selon l'auteur de ce livre, à cause de l'émergence
au xxe siècle de la physique quantique.
Or l'auteur de ce livre n'est pas n'importe qui. Henry Pierce
Stapp (né en 1928) est sans doute une des dernières personnes sur
terre, sinon la dernière, à avoir été l'élève de deux des grands fon-
dateurs de la physique quantique, Wolfgang Pauli (1900-1958) et
Werner Heisenberg (1901-1976), avant de faire carrière au presti-
gieux laboratoire Lawrence Berkeley de l'université de Californie
à Berkeley, aux États-Unis. C'est pourquoi il faut féliciter les édi-
tions Dervy d'avoir fait traduire et publier cet ouvrage, le plus
accessible de Henry Stapp et le premier à la disposition des lec-
teurs francophones.
Pour comprendre la thèse qui y est développée, il nous faut
d'abord revenir sur les fondements de la physique quantique.
Dans une préface comme celle-ci, une présentation de la phy-
sique quantique ne peut se faire que d'une façon extrêmement
succincte. C'est pourquoi j'insisterai simplement sur les trois
grands mystères qu'elle contient, mystères qui, comme nous
allons le voir, sont reliés entre eux.

Le premier mystère concerne la non-neutralité de l'observa-


tion ; une idée complètement absurde pour la science classique.
Le fait d'observer quelque chose, par exemple une réaction
chimique en train de se produire, ne va pas la modifier ! Tandis
PRÉFACE 7

que le principe d'incertitude de Heisenberg nous dit que si nous


mesurons la vitesse d'une particule élémentaire, nous ne pour-
rons pas connaître la position qu'elle avait au même moment parce
que le fait d'avoir mesuré sa vitesse a modifié ses caractéristiques,
dont sa position. Et si l'on mesure d'abord sa position, c'est bien
sûr la vitesse qu'on ne pourra pas connaître. Cela signifie donc
que l'observation n'est plus neutre ! Pourquoi ? C'est un mystère !
C'est comme ça, cela fait partie de la «nature de la Nature».
Notons déjà qu'il y a là un parallèle, certes ce n'est qu'un paral-
lèle, avec le domaine de l'esprit. Tout le monde sait bien qu'un
enfant qui se sait observé ne se comporte pas de la même façon
qu'un enfant qui pense jouer hors de toute observation. De là à
dire que les électrons se comportent un peu comme des enfants
qui jouent, il y a un pas que nous ne franchirons pas mais que
certains n'hésiteront pas à faire comme nous le verrons par la
suite.

Le deuxième mystère est celui de la réduction du paquet


d'ondes. Einstein avait montré que la lumière, qui était consi-
dérée comme étant composée d'ondes, était en même temps
composée de petites particules de masse nulle, les photons. La
lumière était donc à la fois composée d'ondes et de particules.
Le Français Louis de Broglie « souleva un coin du grand voile »,
comme le dit Einstein lui-même, en démontrant que, de façon
symétrique, les particules composant la totalité des atomes et du
monde matériel étaient également des ondes. En fait, elles sont
des ondes quand elles se propagent, et quand on les observe, il se
produit un phénomène que l'on appelle la « réduction du paquet
d'ondes», la particule onde devient un point matériel localisé et
observable, laissant une trace en un endroit précis. Quand vous
mettez un sucre dans votre tasse de café, il se dissout instanta-
nément et « partout » dans le café (si vous avez bien tourné la
cuillère). Mais maintenant imaginez un sucre quantique : vous
remettez quelque temps plus tard la cuillère, la tournez un peu et
quand·vous la sortez de la tasse, « poum ! », le sucre intact réap-
paraît soudainement dans votre cuillère. Vous feriez une drôle de
tête si cela se produisait! Eh bien c'est ce qu'il se produit dans le
8 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

monde quantique. Une fois émis à un endroit, l'électron se pro-


page comme une onde, une onde circulaire exactement comme
l'effet créé par un caillou que vous lancez au centre d'une mare.
La vague s'étend dans toutes les directions de la mare de façon
uniforme, mais dans le monde quantique, à un moment donné,
la vague disparaît de façon instantanée pour que se matérialise à
un endroit donné la particule. C'est ce phénomène très étrange
qui est appelé« réduction du paquet d'ondes». Il permet a pos-
teriori de comprendre notre premier mystère. Quand on observe
une particule, on change sa nature, voilà pourquoi on ne peut pas
connaître les autres propriétés qu'elle avait au moment de cette
observation. Mais en fait nous nous trouvons devant un mys-
tère encore plus grand. Qu'est-ce que c'est que cette stupéfiante
« réduction du paquet d'ondes» ? Là encore la seule réponse est
« c'est la nature de la Nature». Cette situation implique l'exis-
tence d'une frontière que l'on appelle« frontière de Heisenberg»,
entre le monde macroscopique où nous vivons et le monde quan-
tique. En effet, dans notre monde, les morceaux de sucre ne réap-
paraissent pas dans les cuillères. Il y a donc un endroit (mais
où ?) où se situe une limite au-delà de laquelle les phénomènes
quantiques ne se produisent plus.
Enfin, le troisième mystère c'est celui de la non-séparabilité,
également appelé non-localité. Le phénomène de réduction
du paquet d'ondes est déjà non local; en effet, comment une
onde étendue sur un espace qui en théorie peut être immense,
peut-elle se réduire instantanément en un point précis ? Avant
la réduction, l'électron a une certaine probabilité d'être trouvé
en n'importe quel point du front d'ondes, celui-ci pouvant avoir
en théorie des années-lumière de diamètre (s'il s'agit d'une onde
circulaire partie d'un point précis). Ainsi donc un phénomène
qui peut en théorie être étendu sur un espace immense se réduit
instantanément à un seul point ! Il y a donc là quelque chose
qui se produit de façon globale. Global voulant dire, ici, plus
rapide que la vitesse de la lumière. En 1935 quand Einstein
publie son fameux paradoxe EPR (les initiales de son nom et
de ses collaborateurs Podolsky et Rosen), il démontre que pour
que les prédictions de la physique quantiques restent valides, un
PRÉFACE 9

tel « effet fantôme » à distance (ainsi le nommait-il pour s'en


moquer) devait exister. Mais depuis plus de trente ans déjà, des
expériences comme celles faites par Alain Aspect à l'université
d'Orsay ont démontré qu'Einstein s'était trompé et que cet effet
existait bel et bien.

La réduction du paquet d'ondes, le principe d'incertitude de


Heisenberg et la non-localité ou non-séparabilité sont donc liés.
Ils nous disent quelque chose de fondamental sur la nature de la
réalité, mais quoi ? Et c'est là que justement divergent les diffé-
rentes interprétations que l'on peut faire de la physique quantique.
Dans cet ouvrage, Henry Stapp défend avec force l'interprétation
de von Neumann de la physique quantique. John von Neumann
(1903-1957), qui fut l'un des principaux concepteurs des premiers
ordinateurs, qui contribua aux premiers travaux sur la bombe
atomique, ainsi qu'à de nombreux travaux mathématiques, était
considéré comme l'un des plus grands esprits du xx< siècle, aux
côtés d'Albert Einstein, Kurt Godel, et de toute cette collection
de génies qui se retrouvèrent à la fin des années 1930 à l'université
de Princeton. Comme le montre Henry Stapp, son interprétation
est à la fois radicale et très cohérente. Plutôt que de chercher
désespérément à fixer une frontière entre le monde microsco-
pique et le monde macroscopique, on déplace cette frontière
« vers le haut », pour la situer entre notre cerveau et notre esprit.
Selon une telle conception, la totalité du monde, y compris le
monde macroscopique qui nous entoure, le corps et le cerveau,
obéissent aux lois de la physique quantique, c'est-à-dire se com-
portent comme notre invraisemblable morceau de sucre de tout
à l'heure. Et c'est notre conscience qui, en permanence, donne au
monde l'apparence que nous lui connaissons. En d'autres termes,
c'est notre conscience qui crée la réalité et non pas la réalité qui
crée notre conscience, voilà le point ultime jusqu'où peut aller la
révolution quantique. Bien peu de physiciens sont prêts à aller
aussi loin et pourtant Henry Stapp appelle cette interprétation
l'interprétation orthodoxe! Parce qu'elle est selon lui la plus
cohérente, la plus satisfaisante intellectuellement ; elle permet
entre autres de résoudre définitivement des paradoxes célèbres
10 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

comme celui du fameux chat de Schrodinger1. Rappelez-vous


donc de la situation : un chat est enfermé dans une boîte avec une
fiole de poison, un marteau et un système de détection de désin-
tégration d'un atome radioactif tel que l'uranium, par exemple.
Le schéma est le suivant: si l'atome d'uranium se désintègre, le
dispositif l'enregistre, actionne le marteau qui casse la fiole de
poison qui libère un gaz qui tue le chat. La physique quantique
nous apprend qu'en dehors de toute observation, l'atome est en
état double, à la fois non désintégré et désintégré. On appelle
cela la superposition des états. L'appareil de mesure, lui-même
composé d'atomes, est donc en état double, à la fois activé et non
activé. Le marteau, lui aussi composé d'un très grand nombre
d'atomes, est donc tout aussi logiquement en état double, levé
et baissé. La fiole de poison sera à la fois intacte et brisée et le
chat à la fois mort et vivant. Avec l'interprétation de Neumann,
tous ces états existent bien simultanément, et c'est quand une
conscience prend connaissance du résultat de l'expérience, que se
produit une cascade d'événements qui inflige à tout le processus
des réductions des paquets d'ondes, qui font que le chat est soit
mort soit vivant, mais pas les deux à la fois. C'est plus cohérent,
nous dit Henry Stapp, que d'imaginer qu'il y a quelque part une
frontière au-delà de laquelle, pour des raisons d'effets de masse
(ce qu'on appelle par ailleurs la décohérence et que je trouve que
Stapp ne discute pas suffisamment), de telles réductions se pro-
duisent spontanément.

Mais faire un tel postulat implique d'aller assez loin. Car l'on
peut par exemple mettre un détecteur de mouvement qui détecte
les mouvements du chat. Si le chat n'a pas bougé pendant des
heures, le détecteur écrit alors « chat mort » sur un papier et
glisse ce papier dans une enveloppe. C'est seulement plusieurs
jours après qu'un expérimentateur ouvrira l'enveloppe et lira l'in-
formation « chat mort». Pour rester cohérente, l'interprétation
de Neumann doit supposer que la conscience de l'observateur
peut agir dans le temps et provoquer une cascade de réductions

1. Erwin Schrodinger (1887-1961), physicien autrichien.


PRÉFACE 11

du paquet d'ondes dans le passé pour que la série d'enchaînements


des causes menant à l'observation « chat mort » soit cohérente.
J'ai très bien connu Olivier Costa de Beauregard (1911-2007),
grand physicien quantique qui soutenait aussi cette interpréta-
tion. Voilà comment il la justifiait : imaginez deux fleuves paral-
lèles qui courent dans le désert puis qui se rejoignent pour ne
former plus qu'un seul fleuve. Si des explorateurs remarquent que
deux civilisations avec les mêmes coutumes et habitudes habitent
le long des deux fleuves, qu'est-ce qui est le plus logique ?, me
demandait Costa de Beauregard. Qu'une civilisation soit née sur
les rives de l'un des fleuves et ait traversé le désert pour s'installer
sur les rives de l'autre fleuve, ou qu'elle ait descendu le fleuve
puis, malgré les difficultés, ait remonté le courant de l'autre
fleuve pour s'établir en amont ?
Dans l'expérience de non-séparabilité les deux particules
jumelles partent d'un même atome dans des directions oppo-
sées. Si l'on agit sur l'une, cela impacte immédiatement l'autre,
même si les deux particules sont séparées d'une distance telle
qu'aucun signal ne peut aller à la vitesse de la lumière de l'une
à l'autre. Plutôt que d'accepter l'idée d'une globalité, d'un lien
instantané entre les deux particules, ne peut-on pas penser qu'un
signal partant d'une particule remonte le temps, comme la civi-
lisation remonte le fleuve, pour dire à sa particule jumelle avant
leur séparation« attention, à l'arrivée on va me faire telle mesure,
donc reste bien en phase avec moi» ?Je ne suis pas le seul à avoir
trouvé cela difficile à avaler, même si encore une fois, une telle
interprétation est très cohérente. Comme avec l'expérience du
chat de Schrodinger retardée, nous voyons que la physique quan-
tique arrive assez facilement à nous amener conceptuellement à
l'idée d'une remontée dans le temps.

Ainsi donc, faisant le choix de la cohérence et de la simplicité


du modèle. Henry Stapp ne s'arrête pas devant des « difficultés »
comme celles-ci. Pour lui, le point clé est que l'observateur est
vraiment libre quand il décide de faire telle mesure plutôt que
telle autre sur une particule élémentaire. Or ces mesures vont
modeler la nature de la réalité qui va en émerger. Si l'on monte
12 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

une expérience d'une telle façon, les particules passent à travers


un système de fentes en tant qu'ondes, si on monte l'expérience
d'une autre façon, elles passeront en tant que particules. C'est
donc notre choix à nous, un choix libre fait par un esprit, qui va
déterminer les caractéristiques de la matière, et non la matière
qui va déterminer l'esprit. Mais ce retournement déjà complet
de situation ne s'arrête pas là. En effet, comme je vous l'ai dit, le
mystérieux phénomène global de réduction du paquet d'ondes est
totalement aléatoire. Rien ne permet de prédire pourquoi l' élec-
tron va décider d'apparaître à tel endroit plutôt qu'à tel autre.
Donc quand nous posons une question libre à la nature, elle nous
répond par un choix aléatoire, un choix qui ne nous semble être
gouverné par aucune loi physique. La nature manifeste ainsi une
caractéristique qui correspond à celle de l'esprit : un choix libre
non guidé par les lois physiques. Stapp en arrive donc à conclure
que quand notre esprit pose une question à la nature, ce qui lui
répond dans la nature est aussi de l'ordre de l'esprit. Ainsi notre
esprit et la nature seraient deux réalités appartenant toutes les
deux au domaine de l'Esprit. La matière s'efface ainsi au profit
d'un panpsychisme (tout est esprit), à ne pas confondre avec
l'idéalisme (rien n'existe sauf mon esprit) cher à des philosophes,
tel Berkeley.

Selon Henry Stapp, cette nouvelle conception de la nature


redonne un sens profond à la vie. Elle fait que nos choix sont
véritablement d'une grande importance, sont capables d'agir et
de modifier en profondeur le monde selon nos souhaits et nos
valeurs. Qu'on me laisse conclure cette préface avec une citation
du premier texte d'Henry Stapp que j'ai lu il y a plus de vingt
ans et qui m'avait frappé par l'audace radicale qui s'en dégageait,
même si certains trouveront qu'il s'agit d'une idéalisation de la
science ou d'une extension du domaine qui est le sien. On peut
y voir aussi l'annonce de nouvelles conceptions de la science
dont les progrès l'amènent à s'ouvrir aux dimensions éthiques
et philosophiques. « Fondée sur des preuves scientifiques dont
tous les hommes peuvent également se prévaloir, la conception
quantique n'est pas le rejeton de situations historiques propres à
PRÉFACE 13

des groupes sociaux particuliers qui l'exploitent à son profit; elle


a donc le potentiel d'offrir un système universel de valeurs adap-
tées à tous les hommes, sans égard aux accidents de la naissance.
Si cette conception quantique de l'homme se répand, la science
se sera accomplie, en ajoutant aux avantages matériels qu'elle a
déjà procurés une pensée philosophique qui a peut-être encore
plus de valeur. »

Jean Staune
PROLOGUE

Le monde semble être composé de deux sortes de choses com-


plètement différentes: les réalités mentales, d'une part, et les
propriétés physiques de l'autre. Les réalités mentales telles que
vos pensées conscientes, vos idées et sentiments, sont décrites
par le langage de la psychologie. Elles semblent appartenir à des
individus et n'être accessibles que de, et par ces seuls individus.
Les propriétés physiques telles que la dureté (d'un matériau) ou
le niveau de l'énergie sont décrites, quant à elles, par le langage
mathématique de la physique. Elles sont accessibles par tous et
sont liées à l'espace tridimensionnel où nous vivons.

La question relative à la relation pouvant exister entre ces


deux sortes de choses représente, sous une forme ou une autre,
un problème essentiel, tant en science qu'en philosophie, depuis
les toutes premières pensées attestées dans ces domaines. Car
sa réponse détermine la nature fondamentale de ce que nous
sommes en tant qu' êtres humains, ainsi que les efforts que nous
faisons pour orienter notre avenir dans la bonne direction.

Cette question avait semblé être résolue, durant un certain


temps, par les théories physiques prévalant en science depuis
l'époque d'Isaac Newton jusqu'à la fin du x1x< siècle. Ces
théories « classiques » donnaient au monde physique une posi-
tion primordiale : les lois de la physique le rendaient causale-
ment autosuffisant, et nos pensées conscientes étaient devenues
les témoins impuissants d'un flux prédéterminé d'événements
physiques.
16 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Néanmoins, cette conception du monde énoncée par la phy-


sique classique était incohérente dans la mesure où la théorie
n'incluait aucune raison logique à l'existence de nos expériences
mentales, ou au fait que celles-ci possèdent la propriété « du
ressenti » les caractérisant. Le sentiment que nous avons tous
d'exister n'avait aucune place au sein de la théorie physique.
Cette théorie ne permettait pas de raccorder notre conscience
au monde physique ni de lui donner une quelconque valeur qui
incite à travailler à notre survie. Car elle présumait que tout ce
qui devait se produire dans le futur physique ne serait la consé-
quence que du seul passé physique.

Cette image de soi robotique réduit votre « volonté consciente »


à n'être qu'un fantôme impuissant vous déchargeant de toute res-
ponsabilité vis-à-vis de vos actions, et vous rendant incapable de
vous soustraire, au moyen d'efforts mentaux, à n'importe quel
danger physique vous menaçant, ou menaçant quelqu'un d'autre ;
ou bien encore de promouvoir, par votre effort conscient, toute
chose à laquelle vous accordez de l'importance.
Cette conception mécanique de l'univers qui prive celui-ci,
ainsi que le rôle que vous y jouez, de toute signification, n'est
autre que la conséquence naturelle des principes de la physique
classique. Ces concepts furent néanmoins jugés incompatibles
avec une multitude de découvertes expérimentales réalisées au
début du xxe siècle. Pour faire face à cet échec cuisant des prin-
cipes classiques, les physiciens du xxe siècle remplacèrent cette
compréhension de la nature par une conception profondément
différente, appelée la mécanique quantique. Cette nouvelle
théorie intégrait directement le postulat fondamental selon lequel
les intentions conscientes humaines ne seraient pas contrôlées
par des propriétés physiques leur étant antérieures, mais qu'elles
pourraient affecter l'avenir physique de manière à conduire à une
compréhension cohérente tant des données empiriques établies
que du pouvoir apparent des intentions conscientes d'une per-
sonne à influer sur ses propres actions.
Pour parvenir à une compréhension rationnelle des données
empiriques du xxe siècle, qui paraissaient de prime abord assez
PROLOGUE 17

énigmatiques, les fondateurs de la physique quantique ont entre-


pris de réviser la vision préexistante de la nature de la science
elle-même. Ils ont ainsi rejeté la représentation (classique) selon
laquelle les théories scientifiques devaient décrire un monde phy-
sique existant et évoluant indépendamment de nos observations
conscientes à son sujet.
Ils ont adopté, en lieu et place, la position empiriste suivante :
ce sont nos expériences elles-mêmes qui représentent les réalités
essentielles de toute théorie scientifique. Le mot « science » vient
du latin scire, qui signifie « savoir ». Mais nos expériences sont la
seule chose que nous connaissions réellement. Cette modification
fondamentale de notre conception de la science permit de for-
muler la nouvelle théorie de façon à ce qu'elle conduise à des pré-
dictions d'une précision sans précédent. L'univers de la physique
classique, qui était réglé comme une horloge, fut remplacé par
une réalité psycho-physique intégrée, dans laquelle les mêmes
lois expliquant avec succès les résultats empiriques relatifs aux
processus externes permettaient également d'expliquer la façon
dont nos intentions mentales influencent nos actions physiques.
Ce livre est destiné à exposer au grand public cette profonde
modification de notre compréhension de la nature des choses.
Une attention particulière y est accordée à l'impact qu'a eu
sur nos vies et sur le progrès scientifique le remplacement de la
conception du monde classique, fondamentalement erronée, par
celle, fructueuse, qui lui a succédé au xx1< siècle.
Chapitre 1

INTRODUCTION.
LES IDÉES CLASSIQUES

La physique moderne a véritablement débuté avec les travaux


d'Isaac Newton, qui écrivit :
« [... ] Il me paraît très probable que Dieu forma au commen-
cement la matière de particules solides, pesantes, dures, impé-
nétrables, mobiles. » Ces particules étaient présumées interagir
principalement par contact. Cependant, pour Newton, elles
s'attiraient également les unes les autres via la force gravitation-
nelle, qui agit instantanément sur des distances astronomiques.
Lorsque accusé de faire preuve de mysticisme en supposant une
telle action instantanée à distance, Newton répondit:« [...]qu'un
corps puisse agir sur un autre à distance au travers du vide, sans
médiation d'autre chose [...] est pour moi une absurdité dont
je crois qu'aucun homme ayant la faculté de raisonner de façon
compétente dans les matières philosophiques puisse jamais se
rendre coupable. »

Rien ne va-t-il plus vite que la lumière ?

Newton ne proposa aucune hypothèse à propos de la façon


dont les informations relatives à l'emplacement de la source de
gravité pouvaient être instantanément transmises à un objet loin-
tain lui répondant : il se contenta de justifier cette hypothèse
par le fait qu'elle conduisait à une compréhension possible de
20 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

nombreux faits empiriques connus. Mais deux siècles plus tard,


Albert Einstein proposa sa propre explication : il n'existe pas,
dans la nature, d'interaction instantanée. Par conséquent, il doit
exister une vitesse maximale possible d'interaction : cette vitesse
est celle de la lumière. La théorie d'Einstein requérait, en outre,
qu'aucune influence d'aucune sorte ne puisse être transmise plus
rapidement qu'à la vitesse de la lumière. Les scientifiques adhé-
rèrent, à la suite d'Einstein, à cette condition qu'ils considérèrent
comme l'un des principes fondamentaux de la physique. Mais la
tâche la plus fondamentale de la science de notre époque consista
à essayer de relever le défi de maintenir ce principe face aux résul-
tats empiriques du xxe siècle - ou de remédier adéquatement à
son échec. Cette question impacte l'ensemble de notre vision du
monde, et notamment notre compréhension de la relation exis-
tant entre notre vie mentale intérieure et le comportement de
notre corps et de notre cerveau.

Le dualisme de Descartes

Ces questions relatives à la nature fondamentale des choses


furent mises en lumière par les écrits du philosophe et mathé-
maticien français René Descartes. Celui-ci soutenait que ce
qui existe est divisé en deux : « les choses occupant des empla-
cements dans l'espace tridimensionnel», d'une part, et «les
entités pensantes »de l'autre. Cette dualité cartésienne a préparé
le terrain pour les développements scientifiques à venir. Elle
permit à la réalité d'être divisée, en fait, en trois différents types
de choses : les propriétés physiques, les réalités mentales et les
entités pensantes. Les propriétés physiques permettent de décrire
les objets qui existent dans le temps et dans l'espace; les réalités
mentales incluent vos pensées, vos idées et vos sentiments ; et
une entité pensante est une chose qui fait l'expérience, vit ou
ressent des réalités mentales.

Un exemple de propriété physique possible? La position d'une


minuscule particule dont le centre est situé, à chaque instant, en
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 21

un point de l'espace tridimensionnel, et qui est entouré par le


reste de la particule. Deux exemples de réalités mentales ? Votre
sensation de douleur lorsque vous touchez une poêle chaude, et
votre expérience, ou perception, de la couleur « rouge », lorsque
vous regardez une tomate mûre. Un exemple d'entité pensante? Il
s'agit du « vous » qui est en train de lire ce livre : il pense vos pen-
sées, connaît vos idées et ressent vos impressions. C'est le « je » de
la fameuse citation de Descartes : « Je pense donc je suis. »

Si Descartes a reconnu que les événements mentaux se pro-


duisant dans le flux des expériences conscientes d'une personne
étaient associés, d'une manière ou d'une autre, à des événements
physiques occasionnés dans le cerveau de cette même personne,
il maintint néanmoins que la nature de ces réalités mentales était
fondamentalement différente de celle des activités physiques leur
correspondant dans le cerveau. Cette différence est la fameuse
distinction cartésienne entre corps et esprit.

Le déterminisme classique

Isaac Newton, s'appuyant sur les idées de Descartes, concentra


son attention, pour sa part, sur les aspects physiques de la réalité.
Il formula, à l'aide d'outils mathématiques, des« lois du mouve-
ment » expliquant de manière détaillée les mouvements des pla-
nètes au sein du système solaire, l'orbite de la lune autour de la
terre, les marées montantes et la chute des pommes, ainsi qu'une
multitude d'autres caractéristiques de l'univers physique. Mais
son exposé ne faisait aucune mention des aspects mentaux de la
réalité.

Du fait de ces lois s'appliquant universellement à toute chose


- vivante ou morte - on peut dire de l'univers classique newto-
nien qu'il est « déterministe». Cela signifie que toute l'histoire
de l'univers décrit par la physique est fixée à jamais dès lors que
les conditions physiques initiales et les lois mathématiques du
mouvement sont spécifiées. Les aspects de l'univers physique
22 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

qui ne sont pas fixés par les lois générales sont donc limités à la
sélection des conditions physiques initiales et au choix des lois
physiques (supposées intemporelles) du mouvement. La spécifi-
cation de ces deux données détermine ensuite chaque événement
physique qui se produira un jour. Rien de ce qui est de l'ordre
du physique n'est laissé au hasard ou à la volition de l'homme ou
de la Nature.

Cette façon de comprendre la réalité porte le nom de « maté-


rialisme » ou, parfois, de « physicalisme ». Et son expression, qui
est en conformité avec les idées d'Isaac Newton, est désignée sous
le terme de « physique classique », ou de « mécanique classique ».

Le tourment philosophique

Ce verdict scientifique trompeur, qui réduisait les êtres


humains à n'être rien d'autre que des automates mécaniques, a
tourmenté les philosophes des siècles durant. Nos pensées ration-
nelles et autres sentiments moraux étaient rendus inaptes à faire
dévier le cours de nos actions corporelles du chemin ordonné
au début des temps par les aspects purement mécanistes de la
nature. Cette conception de la réalité détruit les fondements
rationnels de la philosophie morale : comment pouvez-vous être
responsable de vos actions si celles-ci furent entièrement déter-
minées avant votre naissance, voire, en fait, lors de la naissance
de l'univers ?
Mais ce tourment n'est pas l'apanage des seuls tenants de
la philosophie morale. Le grand physicien du x1x< siècle John
Tyndall y songeait également en écrivant: «Nous pouvons
tracer le développement d'un système nerveux et le mettre en
corrélation avec le phénomène concomitant de sensation et de
pensée. Nous voyons avec une certitude indubitable qu'ils vont
de pair. Mais nous essayons de repousser le moment où nous
nous attellerons à comprendre le lien existant entre les deux 1 ••• »

1. John Tyndall,« The BelfastAddress »,Nature, 20 août 1874, p. 172-189.


INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 23

La difficulté principale réside dans le fait que les réalités


mentales, qui existent pourtant bel et bien, n'ont aucune place
rationnelle dans le cadre de la science du x1x siècle. Il s'agit de
0

choses que l'on ajoute simplement parce que nous savons qu'elles
existent, mais qui sont déconnectées de nos représentations phy-
siques du monde. Leurs effets sur ce qui se produit dans le monde
physique sont exactement les mêmes que si elles n'existaient pas.
Nous, les humains, sommes ainsi réduits à l'état d'automates
mécaniques, et tout effort conscient visant à faire du monde un
endroit meilleur pour soi-même ou autrui représente un acte
irrationnel - puisque nos destins ont été scellés à la naissance de
l'univers.

Des idées quantiques

Puis, une série d'expériences fut réalisée durant le premier


quart du xx< siècle dans le but de dégager les propriétés de la
matière à l'échelle de ses constituants atomiques. Les résultats de
ces expériences s'avérèrent incompatibles non seulement avec des
petits détails de la physique classique, mais également avec ses
principes fondamentaux.
En réponse à l'effondrement calamiteux des idées classiques,
les scientifiques créèrent alors une nouvelle théorie appelée
« mécanique quantique ». Celle-ci se base sur des concepts
radicalement différents de ceux de la physique classique, mais
donne des prévisions très précises à propos des résultats que
l'on peut obtenir à partir d'expériences - tant anciennes que
nouvelles - reproductibles. La vision de la nature de l'homme
qu'elle véhicule est foncièrement différente de celle de la
conception robotique qu'impliquaient les principes de la phy-
sique classique.
La version originale de la mécanique quantique fut désignée
sous le nom« d'interprétation de Copenhague» en raison du fait
que celle-ci fut élaborée lors de discussions très intenses ayant pris
place à l'Institut de Niels Bohr, lui-même situé dans cette ville.
24 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Cependant, elle fut proposée non comme une nouvelle théorie


de la réalité, mais plutôt comme un ensemble de règles pragma-
tiques permettant aux physiciens de faire des prédictions fiables
à propos de ce qu'ils expérimenteront en fonction du choix qu'ils
opéreront parmi de nombreux actes d'observation alternatifs pos-
sibles - les règles dynamiques de la théorie stipulent en effet que
le choix de l'angle sous lequel ils vont observer la réalité n'est pas
neutre.
L'interprétation de Copenhague présente deux descriptions
physiques très différentes. La première est une description qui se
base sur les concepts de la physique classique. Mais cette descrip-
tion n'est pas - comme c'est le cas pour Newton - la description
d'un monde composé de constituants atomiques physiques réels
trop petits pour être vus. Il s'agit plutôt de la description d'un
monde fait de particules imaginées que les scientifiques utilisent
pour communiquer à d'autres scientifiques« ce que nous avons
fait et ce que nous en avons appris ». C'est un moyen technique
de décrire « nos expériences (humaines) » se rapportant à la fois
aux conditions expérimentales que nous mettons en place et aux
résultats que nous observons par la suite. La seconde description
physique se fonde sur les concepts mathématiques plus abstraits
de la mécanique quantique. Ces deux descriptions physiques sont
combinées au moyen de certaines règles. Celles-ci impliquent
des « libres choix » de la part des utilisateurs de la théorie - à
savoir nous, les êtres humains, qui nous trouvons à l'extérieur de
la théorie -, dépendant du type d'examen des caractéristiques
observables de la nature que l'on veut effectuer et des actions
entreprises. Selon la mécanique classique, tout résultat est pré-
déterminé en fonction des lois décrites purement physiquement ;
tandis que selon les idées fondamentales de la mécanique quan-
tique, les résultats impliquent un élément quantique aléatoire
irréductible.

Cette version originale de la mécanique quantique présente


de manière informelle une mystérieuse frontière dont la position
est variable, appelée la frontière de Heisenberg, de sorte que les
choses de grande taille se trouvent au-dessus de la frontière et
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 25

sont décrites d'après le langage et les concepts de la physique


classique, tandis que les choses de taille atomique sont placées
au-dessous de la frontière et sont décrites au moyen des concepts
quantiques. Cette idée reste cependant mal définie et irration-
nelle dans la mesure où les grandes choses sont également com-
posées de constituants atomiques et doivent ainsi être traitées
en tant qu'ensemble d'atomes pour comprendre leurs propriétés
physiques macroscopiques telles que la dureté et la conductivité
électrique.

Bohr a clarifié la situation en expliquant que les concepts


de la physique classique étaient des outils mentaux permettant
aux scientifiques de communiquer à d'autres scientifiques « ce
qu'ils ont fait et ce qu'ils en ont appris». Cette vision nous auto-
rise ainsi à concevoir les aspects classiques du monde comme
des caractéristiques de notre structure mentale permettant à
nos connaissances d'être communiquées d'une personne à une
autre. Les caractéristiques classiques des objets observés sont
ainsi identifiées comme étant des caractéristiques de l'esprit des
observateurs. Reste qu'à travers le prisme de ce point de vue
pragmatique, même la description quantique des propriétés
physiques sous-jacentes ne représente alors qu'une fonction utile
de nos pensées. Rien n'est dit à propos de ce qui existe au-delà de
nos pensées. La théorie devient ainsi un moyen utile de penser
notre connaissance en perpétuelle évolution. Mais de quelle
connaissance cette connaissance relève-t-elle ? Quelle est la
nature de la réalité dans laquelle nos pensées sont incorporées ?
Compte tenu de notre connaissance des prédictions empirique-
ment validées de la mécanique quantique, ne pouvons-nous pas
envisager l'existence d'une conception de nous-mêmes et du
monde nous entourant fondée sur une science rationnellement
cohérente, et pouvant nous être utile, voire essentielle dans la
conduite de nos vies ?
26 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

La formulation « orthodoxe »
de John von Neumann

L'éminent mathématicien John von Neumann a reformulé les


principales idées de la physique quantique selon l'interprétation
de Copenhague sous une forme plus cohérente, rationnellement
parlant, et plus rigoureuse, d'un point de vue mathématique ;
celles-ci sont largement utilisées par les physiciens mathéma-
tiques, ainsi que par d'autres scientifiques ayant besoin, dans le
cadre de leurs travaux, d'une grande précision mathématique et
logique. Leur cohérence rationnelle est entre autres due au fait
qu'elles éliminent la variabilité de la frontière de Heisenberg en
déplaçant le tout vers le « haut », de manière à ce que toutes les
choses composées de constituants atomiques - nos corps et cer-
veaux compris - se trouvent au-dessous de la division et soient
décrites à partir des concepts quantiques, tandis que tous les
aspects basés sur le savoir - incluant les descriptions classiques de
ce que nous observons - soient déplacés dans le domaine mental
situé au-dessus de la frontière. Ce déplacement de la ligne de
frontière situe désormais celle-ci entre les aspects de la nature
décrits mentalement et ceux décrits d'après la mécanique quan-
tique, c'est-à-dire à la séparation entre les esprits et les cerveaux
des agents observateurs, où se trouve naturellement sa place, et
non plus au niveau d'un «instrument de mesure» mal défini,
comme la situait l'interprétation de Copenhague.

Le prix Nobel Eugene Wigner baptisa la reformulation des


principales idées de la mécanique quantique par Neumann sous
le nom de «mécanique quantique orthodoxe». Il s'agit là de la
version à laquelle j'adhère. Le terme «orthodoxe» est adéquat
dans la mesure où beaucoup, sinon, je crois, la plupart des physi-
ciens la considèrent comme la formulation mathématique la plus
juste de l'interprétation de Copenhague la plus standard.

D'autres physiciens ont entrepris de formuler diverses versions


de la mécanique quantique excluant notre conscience, revenant
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 27

ainsi à l'idéal classique. Ces tentatives ont des objectifs contraires


au but de ce présent travail, qui est celui d'expliquer le lien exis-
tant entre les réalités mentales et les propriétés physiques, lien
découlant des préceptes quantiques fondamentaux. Cet objectif
requiert d'utiliser une formulation cohérente de la mécanique
quantique de laquelle nos pensées conscientes ne seraient pas
soustraites.

Le repositionnement de la frontière de Heisenberg par Neumann


clarifie la structure de la physique quantique. La dynamique de
Neumann, à l'instar des lois de Copenhague, repose sur ce que
Neumann a appelé le« processus 1 »,et ce que les fondateurs de
l'approche de Copenhague ont appelé «le libre choix de l'ob-
servateur». Le choix effectué par l'esprit de l'observateur, que
Neumann appelle «l'ego» de l'observateur de poser une ques-
tion plutôt qu'une autre définira certaines des propriétés des
aspects de la réalité qui se manifesteront à l'observateur. D'après
les préceptes quantiques fondamentaux, ce choix n'est pas déter-
miné par les lois physiques, mais est, en vertu de ces lois, capable
d'influencer le comportement du corps de l'observateur. Chaque
observateur devient ainsi tout à la fois participant - à la création
de notre avenir physique commun - et acteur - responsable de
ses propres actions physiques.

La vertu principale de la physique quantique orthodoxe de


Neumann est la suivante : lorsque interprétée de façon réaliste,
elle fournit non seulement une formulation mathématique et
logique précise des règles pragmatiques de la physique quantique,
mais également une conception cohérente d'une réalité psycho-
physique dans laquelle nous, êtres humains, sommes intégrés en
tant qu'agents psychophysiques ayant le pouvoir d'être les ins-
tigateurs d'actions causalement effectives via notre propre libre
choix mental. Elle explique comment la réalité peut avoir des
aspects tout à la fois physiques et mentaux - le mental n'étant
pas déterminé par le physique mais pouvant toutefois influer
sur celui-ci. La théorie permet ainsi à la conception robotique
de l'homme inspirée par la mécanique classique (dont on sait
28 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

désormais qu'elle est fausse) d'être remplacée par une conception


scientifique de nous-mêmes pouvant être compatible - bien que
plus détaillée sur le plan technique - avec notre compréhension
quotidienne, fondée sur l'expérience de ce que nous sommes et de
la façon dont nous nous adaptons au monde qui nous environne.

L'objectif de ce livre est d'expliquer en termes simples les carac-


téristiques essentielles de cette vision quantique de nous-mêmes.

Il suffit de réfléchir aux paroles de 1'éminent prix Nobel Hans


Bethe pour prendre au sérieux la formulation de la mécanique
quantique de Neumann:« Je me suis parfois demandé si un cer-
veau tel que celui de Neumann n'était pas le signe de l'existence
d'une espèce supérieure à celle de l'homme.» Cette même hypo-
thèse fut également reprise sous la forme d'un postulat humo-
ristique : Neumann serait en fait un extraterrestre qui se serait
entraîné à imiter à la perfection un être humain dans toutes ses
dimensions.

Résistance à l'action fantôme à distance

En dépit de ses vertus manifestes, de nombreux physiciens se


sont pourtant montrés réticents à adopter la physique quantique
orthodoxe interprétée de façon réaliste. Cela est principalement
dû au fait qu'elle alloue à la réalité physique une caractéristique
essentielle du formalisme de la physique quantique qu'Eins-
tein appelait «l'action fantôme à distance». Einstein refusait
de reconnaître que cette propriété - qui est une caractéristique
intrinsèque au formalisme de la physique quantique - puisse
constituer un élément de la réalité physique. Les fondateurs de
la physique quantique ont éludé la question de la « réalité phy-
sique » en précisant que leur théorie traitait de la structure de
l'expérience humaine: « Notre description de la nature n'a pas
pour but de divulguer la véritable essence des phénomènes, mais
seulement de traquer autant que faire se peut les aspects multiples
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 29

de notre expérience1• » Mais pour la physique quantique ortho-


doxe interprétée de façon réaliste, la description quantique est
une représentation de la réalité psychophysique en soi.

Cette vision « orthodoxe » de la réalité a, sous certaines condi-


tions expérimentales, la conséquence suivante : l'observation
faite par un observateur dans une région expérimentale donnée
s'accompagne d'un changement instantané d'une propriété phy-
sique dans une autre région éloignée. Cela semble extrêmement
surnaturel ! D'un autre côté, il n'y a rien de surnaturel dans le fait
que, si cette observation informe l'observateur à propos d'une
propriété d'une particule locale connue pour être corrélée à la
propriété d'une seconde particule lointaine, notre connaissance
collective de la seconde particule change alors naturellement
lorsque la connaissance qu'a l'observateur de la première parti-
cule est modifiée. Ainsi, le message sous-jacent de la physique
quantique est-il, en partie, que la réalité physique est plus étroi-
tement liée à notre connaissance que ce que ne le permettent
les préceptes de la mécanique classique. En effet, les physiciens
quantiques considèrent souvent que l'état quantique d'un sys-
tème symbolise une représentation de « notre connaissance » de
ce système. Et en physique quantique, nos actions d'investiga-
tion aboutissent à davantage qu'à une simple découverte d'une
propriété physique préexistante : elles agissent sur les propriétés
physiques observées et les modifient !

Le modèle de réalité quasi classique de John Bell

Répondant à l'existence apparente d'« actions fantômes»,


John Bell proposa une alternative possible à l'approche ortho-
doxe. Celle-ci repose sur le fait que la physique quantique est une

1. Niels Bohr, Atomic Theory and the Description of Nature, Cambridge,


Cambridge University Press, 1934, p. 18. Traduit du danois par Andrée
Legros et Léon Rosenfeld, La Théorie atomique et la description de la nature
des phénomènes, Sceaux,]. Gabay, 1993.
30 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

théorie statistique. Nous avons déjà, en physique, une théorie


statistique utile : la mécanique statistique classique. Selon cette
théorie, l'état statistique d'un système est exprimé comme une
somme de termes dont chacun représente un état physique réel
possible du système, multiplié par une probabilité. Bell conjectura
qu'en tant que théorie statistique, la physique quantique pourrait
avoir le même genre de structure. Une telle structure spécifierait
l'existence d'une connexion entre des résultats de mesures obser-
vables et des états physiques réels. L'intuition d'Einstein serait
ainsi validée si ces états physiques réels pouvaient être à la fois
dépourvus de propriétés fantomatiques et en adéquation avec les
prédictions de la physique quantique.

Cette possibilité fut néanmoins exclue par les théorèmes de


Bell et de ses associés. Ceux-ci réfléchirent en effet à la situa-
tion empirique décrite par les physiciens en avançant la théorie
suivante : deux particules ayant des propriétés liées (des spin-Y2)
sont créées. Puis, celles-ci se dirigent simultanément dans deux
régions expérimentales éloignées l'une de l'autre, dans lesquelles
les expérimentateurs choisissent librement de réaliser une expé-
rience parmi deux, ou plusieurs expériences alternatives possibles.
Bell et ses associés prouvèrent que la prédiction de la mécanique
quantique pouvait alors être satisfaite si les états de base préten-
dument réels étaient autorisés à posséder des propriétés fantoma-
tiques arbitraires, mais ne pouvait être satisfaite si ces états de
base étaient tous tenus de posséder la propriété « pas-plus-vite-
que-la-lumière » afin que le résultat, dans chaque région, soit
indépendant de l'expérience librement choisie et réalisée dans
l'autre région.

Si ce résultat sape la position d'Einstein, sa signification théo-


rique générale n'en reste pas moins sévèrement limitée par le fait
qu'il impose une substructure essentiellement similaire à celle
de la mécanique statistique classique. Les théorèmes montrent
que le fait d'imposer la localité dans ce type classique de subs-
tructure est incompatible avec les prédictions de la mécanique
quantique. Mais ce résultat peut être considéré comme la simple
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 31

confirmation additionnelle du fait que la mécanique quantique


est incompatible avec les concepts de la mécanique classique. Par
conséquent, il semble vain de placer le débat au niveau statistique.

Une preuve acceptable

Cette déficience des théorèmes du type de celui de Bell est


surmontée par la preuve fournie dans l'Annexe 1. Cette preuve
montre que, dans cette même situation expérimentale, on ne
peut exiger dans chaque région, pour chacune des mesures alter-
natives possibles pouvant y être effectuées, que le résultat qui y
est observé doive être indépendant de l'expérience réalisée dans
l'autre région, sans violer des prédictions de la physique quan-
tique. La preuve est directement exprimée en fonction : des choix
d'expériences macroscopiques possibles permis par les principes
de la physique quantique ; des résultats macroscopiques possibles
de ces expériences possibles ; de plusieurs prédictions (empiri-
quement vérifiées) de la physique quantique ; et de rien d'autre.

Au-delà de l'idée classique du lien


entre esprit et cerveau

Pour obtenir une cohérence rationnelle, la théorie quantique


orthodoxe rejette l'idée que les principes de la mécanique clas-
sique, qui fonctionnent si bien dans les domaines astronomique
et terrestre à grande échelle, s'étendent à la biologie et à la phy-
sique atomique. Ce rejet représente le pas fondamental addi-
tionnel effectué par la physique quantique. Cependant, malgré
l'incapacité d'étendre ces principes (qui fonctionnent si bien en
astronomie) aux domaines atomique et moléculaire, et malgré
la dépendance du comportement du cerveau aux processus ato-
miques et moléculaires, la plupart des scientifiques cherchant à
comprendre le lien pouvant exister entre l'esprit et le cerveau per-
sistent à se raccrocher aux concepts classiques. Ils s'attendent à ce
qu'une interprétation de la nature de notre conscience finisse par
32 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

émerger de l'adhésion obstinée à une théorie qui (1) est basée sur
une conception de la nature fondamentalement invalide sur le
plan empirique; (2) laisse de côté ce qu'ils essaient de découvrir,
à savoir la conscience, et (3) qui a été remplacée, il y a de cela
quatre-vingts ans, par un successeur valide sur le plan empirique,
et qui n'est autre que ce qu'ils cherchent: une théorie expliquant
le lien entre nos pensées conscientes et nos cerveaux physiques.

Les libres choix

D'après la physique quantique, chaque nouvel apport de


connaissance est initié par ce que les fondateurs de la théorie ont
appelé « Un libre choix de la part de l'expérimentateur», et ce
que Neumann a appelé le« processus 1 ».Ces choix introduisent
des éléments de discontinuité dans la dynamique quantique. Ces
éléments sont logiquement nécessaires car l'équation du mouve-
ment - l'équation de Schrôdinger - produit un continuum de
possibilités quant à ce qui va se produire ensuite, alors que les
règles quantiques génèrent une discontinuité fondamentale dans
du monde physique. Chaque choix opéré dans le cadre du pro-
cessus 1 sélectionne une question spécifique. Ce choix permet
ainsi de sélectionner une investigation physique particulière
vouée à étudier une propriété physique spécifique du système
investigué.

Reste que l'équation fondamentale du mouvement - l'équa-


tion de Schrôdinger - ne précise pas quelle investigation sera
ensuite menée, ni quand celle-ci aura lieu, ni même ne donne de
probabilité du fait qu'une telle investigation se produise. Ainsi,
la théorie présente-t-elle une « rupture causale » permettant à un
observateur d'être causalement efficace dans le monde physique
sans violer aucune loi physique connue. L'observateur peut opter
pour une investigation physique particulière ou une question
spécifique. On doit pouvoir répondre à cette question - comme
au jeu des vingt questions - par « oui » ou par « non ». La nature
répond immédiatement « oui » ou « non » en concordance avec
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 33

certaines règles statistiques quantiques. Conformément aux règles


quantiques, le monde physique, représenté par l'état quantique,
fait alors immédiatement un saut quantique pour prendre une
forme compatible avec la réponse de la nature. Ainsi la concep-
tion quantique du monde physique n'est-elle pas une structure
matérielle ou mécanique. Ce serait plutôt une représentation, en
termes physiques, d'une séquence de connaissances incrémen-
tales relatives à sa propre forme, qui n'a de cesse d'opérer des
sauts quantiques pour adopter un nouvel état concordant avec
la réponse que donne la nature à certaines questions. Le monde
physique est, selon ce scénario, une représentation de la maté-
rialisation des réponses que donne la nature à notre séquence de
questions à son sujet.

Le choix d'une question est dit «libre» car il n'est pas déter-
miné, même statistiquement, par les règles de la théorie, et
parce qu'il est censé être traité, via les applications pratiques de
la théorie, comme une « variable » mathématique « libre ». En
mathématiques, une variable libre est une propriété d'un système
à l'étude pouvant prendre n'importe quelle valeur d'un ensemble
de valeurs possibles, et parmi lesquelles un utilisateur de la théorie
peut effectuer son choix de façon à servir ses besoins, intérêts ou
valeurs.

Cette liberté, lorsque associée à l'intention mentale de l'utili-


sateur, survit au pas fondamental réalisé par Neumann, qui était
celui de décaler vers le haut la frontière de Heisenberg, sépa-
rant ainsi les cerveaux des esprits des observateurs. L'esprit de
l'observateur, que Neumann appelle l'« ego abstrait» de l'agent
observant, hérite ainsi de la liberté que l'interprétation prag-
matique attribue naturellement à l'utilisateur. D'après la vision
quantique de ce dont relève principalement la science - à savoir
de nos expériences conscientes -, cet « ego abstrait » n'est autre
que le berceau et le récipient de la réalité, sujet d'intérêt principal
de la science.
34 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Nous pouvons ainsi conclure que cette conception quantique


orthodoxe de la réalité donne une explication rationnellement
cohérente de toutes les données empiriques bien établies, mais
requiert, en vertu de la preuve apportée dans l'Annexe 1, des
transferts d'informations essentiellement instantanés.

Les bénéfices d'une vision rationnelle

La croyance en l'efficacité, dans le monde physique, de nos


choix conscients représente la base de tout effort rationnel qu'une
personne intentera pour s'impliquer au sein du monde. Si une
personne à l'esprit scientifique rationnel accepte fermement l'af-
firmation classique selon laquelle ses intentions mentales seraient
inopérantes sur le monde physique, alors l'efficacité de cette per-
sonne sera gravement compromise : comment un être humain
rationnel peut-il mobiliser ses forces et efforts en vue de promou-
voir ses propres valeurs tout en croyant fermement que tout ce
qui se produit - ou se produira jamais - était déjà déterminé à
la naissance de l'univers, et a été rendu possible par un processus
niant entièrement les choses mentales ? Lorsqu'on est confronté
à des obstacles, une telle croyance peut alors avoir tendance à
générer une attitude déprimée de consentement résigné face au
destin prédéterminé. En revanche, reconnaître explicitement
l'impossibilité des idées mécanistes à s'appliquer à la dynamique
interne des êtres humains, et comprendre la façon dont la phy-
sique quantique orthodoxe explique rationnellement le pouvoir
causal de vos intentions mentales dans le monde physique, peut
permettre de favoriser non seulement une vie personnelle emplie
de buts et de sens mais également une société fondée sur l'idée
de la responsabilité personnelle et des efforts que nous inten-
tons délibérément en vue de réaliser nos potentialités humaines.
Or, ces concepts ne peuvent être rationnellement défendus dans
le cadre de toute croyance en un univers mécaniste classique
prédéterminé.
INTRODUCTION. LES IDÉES CLASSIQUES 35

Les missions de la science

La science est bien plus qu'un auxiliaire de la technique (ingé-


nierie). Elle est importante pour nous de bien d'autres façons encore.
Les verdicts de la science sont acceptés par le public, par les adminis-
trateurs, par les enseignants, par les responsables gouvernementaux
et par la loi, comme des vérités établies. Mais une théorie incom-
patible avec une multitude de faits empiriques et ne mentionnant
jamais nos esprits conscients ne saurait représenter le verdict réel de
la science contemporaine. Pas plus qu'une théorie comprise comme
n'étant autre qu'un ensemble de règles au fonctionnement mystérieux
- puisqu'on ne comprend pas la façon dont elles fonctionnent -, en
particulier lorsque la vision opposée nous permet de troquer notre
rôle de marionnettes stupides pour celui de participants conscients,
agissant au bon déroulement de notre avenir commun.
Alors que la conception mécaniste classique de la réalité
a été réfutée il y a plus d'un siècle, elle continue de dominer
aujourd'hui la perception qu'a le public de ce que la science nous
dit à propos de la nature du monde et de notre rôle en son sein.
Les physiciens quantiques ont une responsabilité dans cet état de
fait. Il est bien sûr compréhensible que de nombreux scientifiques
soient avant tout intéressés par l'utilisation pratique des merveil-
leux outils mathématiques que la physique quantique nous offre,
et évitent ainsi tout débat avec des personnes ne comprenant pas
les structures techniques sur lesquelles doit se fonder un discours
scientifique. En outre, la doctrine « officielle » de la physique
quantique, c'est-à-dire l'interprétation de Copenhague, exhorte
les physiciens quantiques à s'abstenir de se soucier, ou même de
penser, à ce qui est sous-jacent aux règles quantiques consacrées.
On conseille fortement aux physiciens quantiques débutants de
se concentrer plutôt sur des applications utiles des règles quan-
tiques - conseils destinés à maintenir le stagiaire sur le chemin
pouvant le mener à une carrière professionnelle accomplie.

Néanmoins, les fortes implications morales et sociales du pas-


sage d'une conception mécaniste de la réalité, expérimentalement
36 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

invalidée, à une conception psychophysique basée sur l'empi-


risme, nécessite, dans le monde troublé d'aujourd'hui, que les
penseurs comme les responsables se départissent de l'idée fictive
que la science stipulerait toujours que nous soyons les automates
biologiques que la science du x1x prétendait que nous sommes.
0

Dans la conception quantique orthodoxe de la réalité de


Neumann, nos corps physiques ~'ont plus besoin d'être conçus
comme de simples débris flottant à la surface de l'eau, ballottés
par le hasard et par des forces mécaniques qui ne seraient jamais
affectées par nos efforts conscients.

Ce chapitre introductif a fourni un aperçu rapide de la méca-


nique quantique orthodoxe telle qu' interprétée de façon réaliste.
Les chapitres qui suivent fourniront une description plus détaillée
de cette réalité psychophysique dynamiquement intégrée. Le
chapitre 8, quant à lui, ira encore plus loin, en soulignant que les
propriétés comportementales détaillées des différentes parties de
cette structure dynamique suggèrent que ce monde psychophy-
sique soit intégré dans une réalité non locale, dont la nature serait
foncièrement bien plus mentale que physique.

Cette idée que la réalité sous-jacente puisse être spirituelle a


déjà été avancée précédemment sous couvert de toutes sortes de
raisons. Mais on considère souvent qu'arriver à cette conclusion
implique d'avoir été chercher au-delà de la science, voire d'avoir
procédé contre la science. Cette conclusion ne découlera, ici, tou-
tefois, que de considérations strictement scientifiques.

La pierre angulaire de l'argument nous permettant d'arriver


à cette conclusion n'est autre que la preuve donnée dans l'An-
nexe 1. Celle-ci établit la nécessité de l'existence de transferts
d'information essentiellement instantanés qui ne seraient pas
autorisés dans un univers matériel.
Chapitre 2

ONDES, PARTICULES ET ESPRITS

La civilisation occidentale contemporaine est basée, intellec-


tuellement, sur deux fondements contradictoires. Une ancienne
tradition religieuse proclame, d'un côté, l'existence d'une divi-
nité toute-puissante. Celle-ci nous aurait créés à Son image et
nous aurait accordés un libre arbitre nous permettant de faire ce
que nous voulons, tout en exigeant de nous que nous suivions
Ses règles et préceptes, et en ayant le pouvoir de nous punir de
nos péchés.

De l'autre côté, tant la structure de notre société que la façon


dont nous percevons notre propre relation à l'univers environ-
nant sont également profondément influencées par les idées
issues des travaux scientifiques d'Isaac Newton et de Galilée au
xvn< siècle. Ces travaux ont abouti à ce que l'on appelle désor-
mais la mécanique classique, ou la physique classique. Selon ces
préceptes classiques, l'univers tout entier - l'espèce humaine
comprise - ne serait qu'un mécanisme physique délivrant, à tour
de bras, des événements physiques conformément aux lois méca-
niques se rapportant aux entités microscopiques, lois ne faisant
elles-mêmes aucune mention de nos pensées, de nos idées et
de nos sentiments. D'après cette conception scientifique de la
nature, notre expérience consciente du déroulement de la réalité
physique s'apparenterait peu ou prou au visionnement d'un film
que nous regarderions, impuissants, puisque incapables d'influer
sur ce qui se passe sous nos yeux.
38 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Pris dans le feu croisé de ces visions du monde contradic-


toires, il ne paraît pas rationnel de s'impliquer dans les affaires
du monde. La mécanique classique sape les revendications d'au-
thenticité et d'autorité des concepts religieux, qui n'apparaissent
être, de ce point de vue, que le simple produit de l'exploitation
de la crédulité humaine. Cependant, cette conception clas-
sique de la réalité, lorsque acceptée, rend irrationnel tout effort
mental visant à créer un avenir meilleur pour soi-même ou sa
descendance, ou à favoriser toute autre valeur. Car les lois de la
physique classique requièrent que les processus décrits mécani-
quement - qui agissent seuls et qui ne sont affectés ni par des
efforts mentaux ni par des valeurs - déterminent entièrement
chaque action physique. Chaque personne est réduite à n'être
qu'un automate mécanique mystérieusement relié à un flux de
pensées conscientes qui induisent cette personne en erreur en
lui faisant croire - à tort, selon les préceptes classiques - que ses
efforts conscients influencent ses actions physiques.

Ce déni complet de l'efficacité physique de nos efforts men-


taux a toutefois été révoqué par les progrès scientifiques réalisés
au xxe siècle. Comprendre ce changement fondamental de la
conception scientifique de la réalité et de notre rôle en son sein
constitue, pour nous, un cadeau de la science tout aussi impor-
tant que ne le sont ses réalisations techniques ; car c'est l'idée
que nous nous faisons de nous-mêmes, en tant que parties d'un
ensemble global, qui détermine la façon dont nous utilisons la
puissance physique de nos pensées.

Particules et ondes

Les travaux de James Clerk Maxwell, au XIXe siècle, ont princi-


palement permis de développer la mécanique classique sous une
forme impliquant deux différentes sortes de choses physiques :
les « particules » et les « ondes ». Les électrons sont un exemple
parfait de particule, tandis que la « lumière », sous forme de
champ électromagnétique, est un exemple parfait d'onde. Les
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 39

particules sont de minuscules structures très localisées, chacune


possédant un noyau qui, à chaque instant, est situé en un point
précis d'un espace tridimensionnel, et est entouré du reste de la
particule. Une onde, pour sa part, tend à se propager sur une
grande région spatiale, et à présenter des figures d'interférence
dues au fait que les crêtes et les creux des « vagues » qui com-
posent l'onde soient s'annulent, soient se renforcent quand deux
«parties» d'une onde émises depuis une source commune, mais
ayant emprunté des chemins différents se rencontrent (comme
dans la fameuse expérience dite « des fentes de Young »).

Les particules et les ondes ont, par conséquent, des structures


contradictoires : les particules restent toujours minuscules tandis
que les ondes ont tendance à se propager. D'où la surprise que
représenta la découverte de Max Planck, en 1900 : la lumière,
qui semblait jusqu'alors être une onde, aurait en fait une nature
corpusculaire. La lumière d'une fréquence donnée semblait en
effet être émise par paquets, chacun comportant une quantité
d'énergie directement proportionnelle à la fréquence de l'onde
lumineuse, avec un facteur de proportionnalité universel appelé
« Constante de Planck ». Albert Einstein remporta le prix Nobel
(en 1921), pour avoir donné cinq ans plus tard, l'explication
de l'effet photoélectrique : une surface métallique exposée à la
lumière d'une fréquence définie émet des électrons dont l'énergie
égale - après une rectification, afin d'obtenir l'énergie néces-
saire à l'extraction de l'électron du métal - celle du quantum
de lumière entrant, désormais compris comme étant localisé
comme une particule.

Les concepts de la physique classique n'ont pu résoudre ni ce


problème de dualité onde-particule ni un grand nombre d'autres
problèmes relatifs aux propriétés des atomes. Une nouvelle
conception de la nature s'avérait donc nécessaire.
40 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

La science et la philosophie

Les problèmes de dualité onde-particule et de structure


atomique semblent, à première vue, n'avoir qu'un caractère
purement physique. Or, les fondateurs de la mécanique quan-
tique avaient tous également une profonde inclination pour la
philosophie. Le père de Niels Bohr était un éminent physio-
logiste très familier des écrits de William James, et Wolfgang
Pauli était le filleul du philosophe Ernst Mach. Werner
Heisenberg, dont le père était aussi un professeur, fut gran-
dement influencé par les visions de Bohr et de Pauli ; et tous
trois furent fortement inspirés par Albert Einstein, pour qui
la science reposait, in fine, sur des découvertes empiriques, et
d'après lequel nos théories physiques ne seraient, en principe,
que des inventions humaines destinées à nous seconder dans le
cadre du monde des expériences conscientes. Bohr, de concert
avec cette conception, annonça, au début de son livre Atomic
Theory and the Description of Nature (La théorie atomique et
la description de la nature), publié en 1934, qu'« en physique
[... ] notre problème réside dans la coordination de nos expé-
riences du monde extérieur ». Quelques pages plus loin (p. 18),
il déclare:
« Notre description de la nature n'a pas pour but de dévoiler
la véritable essence des phénomènes, mais uniquement de
circonscrire autant que possible les relations existant entre les
nombreux aspects de notre expérience. »

Se rangeant à cet avis, les fondateurs de la théorie quantique


ne présentèrent pas leur théorie comme la description d'une
« réalité » fondamentale réelle et évolutive. La théorie fut plutôt
proposée comme une méthodologie mathématique inventée
par des scientifiques dans le but de pouvoir faire des prédic-
tions testables et utiles d'expériences futures en se basant sur les
connaissances issues d'expériences antérieures. Ce changement
conceptuel permettait à la théorie de faire face aux enjeux de la
dualité onde-particule et de la structure atomique de manière
pratique, sans toutefois concevoir l'existence de quoi que ce soit
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 41

d'autre que de nos expériences et de la connaissance que celles-ci


renferment. Cette théorie porte sur la structure évolutive de nos
connaissances.

La mécanique quantique
de l'école de Copenhague et la réalité

La principale difficulté logique de la version originale de la


mécanique quantique« de Copenhague» réside dans le fait qu'il
s'agit d'une théorie quasi classique hybride : celle-ci se base sur
l'idée que l'on peut traiter les instruments de mesure macros-
copiques comme s'il s'agissait d'objets classiques descriptibles.
Mais une telle identification doterait ces instruments de pro-
priétés s'opposant aux propriétés qu'ils possèdent réellement en
raison du fait que ce sont des conglomérats de leurs composants
atomiques. Un grand objet n'est pas réellement un objet clas-
sique : il doit en effet être traité comme un conglomérat de ses
composants quantiques afin de rendre compte de ses propriétés
physiques (telles que la rigidité et la conductivité électrique).
Cependant, s'il est traité comme un conglomérat de ses com-
posants quantiques évoluant en conformité avec les lois quan-
tiques, il n'aura alors pas, en général - et plus particulièrement
lorsqu'il s'agit d'un instrument de mesure - un emplacement et
une forme classiques bien définis. En particulier, le curseur d'un
instrument de mesure n'indiquera pas - en général- de nombre
défini sur le cadran, mais s'étalera, un peu comme une onde, sur
de nombreux emplacements. Cette propriété ne cadre pas avec
l'expérience humaine!

L'approche de Copenhague traite ce problème en incor-


porant à la dynamique physique contrôlée par l'équation de
Schrôdinger quelque chose situé au-delà : à savoir le libre
choix de l'observateur quant aux réglages de ses instruments
de mesure. Neumann en a fait autant en introduisant de même
le libre choix de l'observateur, mais cette fois dans le cadre
du choix d'une question particulière relative à une propriété
42 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

physique de la nature. Mais l'effet immédiat de cet acte


d'exploration conscient concernait le cerveau, ou le système
nerveux de l'agent. Ainsi, une action physique associée à la
réponse que la nature décide de donner à l'acte d'investigation
de l'agent met-elle en concordance l'état de l'univers décrit
physiquement et le nouvel état de « notre connaissance (collec-
tive) » de l'univers.

Dans cette formulation, toute chose décrite physiquement


est exclusivement décrite d'après les termes de la physique quan-
tique : la double description ambiguë est éliminée. La descrip-
tion classique devient une caractéristique de nos perceptions
du monde physique, et non une seconde description de la réa-
lité physique elle-même. Cette solution est en accord avec les
idées des fondateurs. Mais la formulation de Neumann est
suffisamment claire pour être interprétée de manière réaliste
- à condition que l'on accepte la nécessité de transferts d'infor-
mation à une vitesse plus rapide que la lumière. Cependant,
comme indiqué dans l'Annexe 1, ces transferts sont strictement
et simplement causés par la validité des deux propriétés mathé-
matiques les plus élémentaires de la mécanique quantique : les
prévisions statistiques, et le fait que les choix essentiels du pro-
cessus 1 figurent au cœur de la dynamique en tant que libres
choix locaux non déterminés par des propriétés physiques
antérieures.

La formulation de Neumann lève toute ambiguïté quant au


fait que les aspects purement physiques des lois dynamiques
n'échouent pas soudainement du simple fait qu'un système
soit « grand ». Ils échouent parce que les aspects physiques ne
représentent qu'une partie de la causalité en jeu. Il y a, en effet,
également des réalités mentales dont on sait qu'elles existent
vraiment - contrairement aux propriétés physiques. Lorsque
décrite exclusivement sur le plan physique, l'évolution ne peut
qu'échouer car, dans les faits, les aspects physiques entrent en
contact causal avec les aspects mentaux. Ainsi, la physique
quantique devient-elle essentiellement une théorie portant sur
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 43

la connexion existant entre notre esprit conscient et nos cer-


veaux physiques. Elle remplace une mécanique classique qui
ne peut rationnellement soutenir une telle théorie puisqu'elle
exclut nos esprits conscients.

La physique quantique tient compte de l'expérience de vie la


plus élémentaire et omniprésente: l'expérience de la faculté de
l'effort conscient à influencer des résultats futurs. Une concep-
tion rationnelle de l'effectivité causale de nos efforts conscients,
qui représente le fondement logique de notre participation active
dans le monde et des préceptes de comportement moral, rem-
place ici l'idée absurde selon laquelle nous serions dotés d'un
esprit conscient dont la seule aptitude réelle serait de nous induire
en erreur en nous faisant croire, à tort, qu'il nous aiderait à créer
un avenir à même de faire progresser tout ce qui nous paraît
important, alors que chaque propriété physique en perpétuelle
évolution fut en réalité prédéterminée il y a de cela quinze mil-
liards d'années.

Ces vertus rationnelles découlent d'une théorie expliquant


avec une précision spectaculaire la structure des expériences
humaines se rapportant aux aspects du monde décrits physique-
ment. Qu'est-ce qui s'oppose à son succès ? L'« intuition » que, en
dépit de la validité des prédictions de la physique quantique se
rapportant aux résultats d'expériences macroscopiques, le monde
des propriétés macroscopiques se conformerait, en réalité, aux
préceptes de la physique classique.

Cette intuition est cependant réfutée par l'Annexe 1, qui éta-


blit la preuve de la nécessité de transferts d'information sur de
longues distances de manière essentiellement instantanée dans
le cadre des libres choix des expérimentateurs en matière de
paramétrage de leurs instruments de mesure. La preuve fournie
est basée sur une analyse des corrélations que l'on peut observer
dans le cadre d'expériences du genre de celles étudiées dans les
théories des variables cachées du type de celles de Bell, mais
n'impliquant toutefois pas de variables cachées, uniquement les
44 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

variables macroscopiques qui indiquent les mesures alternatives


possibles et leurs résultats alternatifs possibles.

Le dispositif expérimental global implique essentiellement


deux expériences simultanées réalisées dans deux régions
expérimentales se trouvant très éloignées l'une de l'autre.
L'expérimentateur de chaque région est - en théorie - abso-
lument libre de choisir entre l'une ou l'autre de ces deux
expériences alternatives possibles. Ainsi existe-t-il déjà quatre
possibilités alternatives de réalité expérimentale ultérieure avant
même que les deux expérimentateurs aient choisi leurs expé-
riences respectives.

Dans certains modes opératoires expérimentaux de ce type,


il est impossible, dans chacune des quatre combinaisons alter-
natives possibles d'expériences pouvant être effectuées, que: (1),
les corrélations entre les résultats des deux régions apparaissant
dans ces conditions se conforment aux prédictions (empirique-
ment vérifiées) de la physique quantique ; et que (2), le résultat
qui apparaît dans chaque région soit indépendant de l'expérience
librement choisie et réalisée au même moment dans l'autre
région lointaine. C'est-à-dire que l'on ne peut satisfaire à la fois
les prévisions statistiques de la physique quantique pour un
grand nombre de cas empiriques individuels, et la condition que
le résultat dans chaque région soit indépendant de l'expérience
effectuée très loin au même moment.

Il nous faut noter que ces deux conditions ne concernent que


les propriétés macroscopiques. Il n'est fait aucune mention des
conditions ou des propriétés au niveau atomique. L'argument
n'inclut que les paramètres macroscopiques librement choisis
localement des deux instruments de mesure, leurs résultats
macroscopiques et les prédictions de la mécanique quantique rela-
tives à ces variables macroscopiques. Pourtant, en dépit de cette
stricte restriction au domaine macroscopique, on ne peut se sous-
traire à la nécessité du transfert d'information essentiellement
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 45

instantané dans le cadre du choix local effectué par les agents


humains.

L'impératif que le résultat dans une région soit indépendant


du libre choix opéré par l'expérimentateur de l'autre région loin-
taine au même moment, est le même que celui qui fut imposé
(sur la base de la théorie de la relativité) par Einstein, Podolsky
et Rosen dans un célèbre article publié en 1935. Dans celui-
ci, ils arrivent à la conclusion que si ces actions instantanées à
distance sont prohibées, la physique quantique est incomplète,
même si ses prédictions sont correctes. Mais à l'inverse d'EPR,
comme on appelle les trois auteurs 1, si, en physique quantique
certaines prédictions sont vérifiées (et nous verrons qu'elles le
seront), les actions à distance ne peuvent plus être complète-
ment interdites.
L'existence de choix locaux libres en physique quantique, asso-
ciée à la validité des prédictions quantiques, entraîne la nécessité
d'actions fantômes à distance.

Il s'avère que dans la version relativiste de la mécanique quan-


tique - la théorie quantique des champs -, les actions instan-
tanées à distance se produisent effectivement, et représentent
même des aspects essentiels de la dynamique. Mais, en raison de
l'importante propriété «pas-à-une-vitesse-supérieure-à-celle-de-
/a-lumière », il n'y a aucune violation directement observable des
prérequis de la théorie de la relativité. Cette théorie est ainsi dite
« relativiste » en raison de cette caractéristique - et ce, en dépit
de la survenue de transferts d'information instantanés.

L'idée centrale de la physique quantique orthodoxe exprimée


comme une théorie de la réalité, est quel' état quantique évolutifde
l'univers représente les aspects de la réalité décrits physiquement,
et que cette partie de la réalité interagit avec« notre connaissance »
conformément aux règles dynamiques décrites par Neumann.
Le fait que ces lois entraînent une-action-instantanée-à-distance

1. Rappel : EPR correspond aux initiales de Einstein, Podolsky et Rosen.


46 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

parmi les phénomènes macroscopiques ne signifie pas que cette


idée de la réalité quantique soit erronée, mais bien plutôt que la
réalité est profondément différente de la façon dont la mécanique
classique envisage qu'elle puisse être.

Comme mentionné précédemment, les fondateurs de la


mécanique quantique ont esquivé l'exigence apparente d'actions
réelles plus-rapides-que-la-vitesse-de-la-lumière en proposant
leur théorie comme un simple outil pratique permettant de cal-
culer les prédictions relatives aux phénomènes observables ; en
arguant ensuite qu'aucune théorie ne pouvait être plus complète
à cet égard ; et enfin, en maintenant que les efforts théoriques
permettant de faire davantage, sur le plan pragmatique, que ce
que peut faire cet ensemble de lois performantes nous condui-
raient à l'extérieur du domaine de la science à proprement parler.
Ces excursions ont été qualifiées de « métaphysiques », et ont
ainsi été déplacées du domaine de la physique vers celui de la
philosophie.

Cette position dite « de Copenhague » est « prudente » et


défendable, et a grandement contribué, via son utilité pragma-
tique, à la promotion florissante des préceptes de la physique
quantique - tout en évitant d'avoir à s'engouffrer dans des débats
métaphysiques sans fin. Mais sa politique consistant à esquiver
les questions ontologiques a donné naissance à une multitude de
méthodes de recherche différentes visant à comprendre la réalité
existant derrière les règles quantiques. La meilleure d'entre elles
- et de loin, selon moi - s'est perdue dans la mêlée. C'est celle
d'accepter la description quantique elle-même, sous sa forme
« orthodoxe » cohérente énoncée par Neumann dans son livre
phare de 19321 comme étant essentiellement une description de

1. John von Neumann, Mathematische Grundlagen der Quantenmechanik


Berlin, Heidelberg, Springer Verlag, 1932. Traduit de l'allemand par Robert
T. Beyer, Mathematical Foundations of Quantum Mechanics, Princeton, NJ,
Princeton University Press, 1955, chapitre IV. Traduit de l'allemand par
Alexandre Proca, Les Fondements mathématiques de la mécanique quantique,
Paris, Félix Alcan, 1946, chapitre IV.
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 47

la réalité psychophysique unifiée. Je vais maintenant examiner


et développer ce que j'en ai dit au cours du chapitre précédent.

La mécanique quantique orthodoxe réaliste


de Neumann

La mécanique quantique de Copenhague fut présentée


comme une théorie quasi classique hybride. Le scientifique
amené à l'utiliser divise le monde décrit physiquement en deux
parties. Celles-ci sont séparées par une frontière appelée la fron-
tière de Heisenberg. La partie située sous la frontière est décrite
d'après les termes de la mécanique quantique, et la partie située
au-dessus est décrite d'après les concepts de la physique classique.
Seule la partie décrite classiquement est, en principe, perceptible.
Les petites choses sont placées sous la séparation, et les grandes,
au-dessus. Mais cette procédure soulève la question suivante :
à partir de quel ordre de taille un système ou un objet peut-il
devenir « classique » ? Où devons-nous tracer la ligne ?

Pour être utiles, les prédictions de la théorie ne devraient pas


être susceptibles de dépendre de l'endroit où, dans le cadre de
certaines limites, la séparation est située. En se basant sur une
étude attentive de ces conditions, Neumann a proposé une for-
mulation de la mécanique quantique permettant de résoudre
le problème de savoir où placer la frontière de Heisenberg.
Neumann proposa en effet de repousser cette frontière jusqu'en
haut, de sorte que toutes les choses décrites physiquement se
situent au-dessous du seuil et soient décrites d'après les termes
physiques de la mécanique quantique. À l'origine, les aspects
mentaux des observateurs étaient situés, parmi d'autres choses,
au-dessus de la séparation, et étaient décrits en termes psycho-
logiques. Pour l'approche de Copenhague, ils faisaient partie du
monde empirique. Mais l'emplacement (final) de la frontière
de Heisenberg tel que déterminé par Neumann fait sortir ces
aspects mentaux de la partie de la description qui est formulée
en termes physiques.
48 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Les aspects purement mentaux d'un observateur sont, ainsi


que Neumann les a appelés, l'« ego abstrait» de cette même
personne. Pour la théorie orthodoxe, celui-ci se distingue logi-
quement du corps et du cerveau de cette même personne, qui
sont, eux, décrits physiquement. Les règles de la mécanique
quantique empiriquement validées sont ainsi converties afin de
relier les aspects mentaux et physiques dans une conception
cohérente d'une réalité psychophysique dynamiquement inté-
grée. Ces règles seront énoncées en détail au cours du prochain
chapitre.

La formulation de Neumann a le mérite de rétablir au sein


de la théorie physique une conception cohérente d'une réalité
physique objective, à savoir l'état quantique évolutif de l'univers
décrit physiquement. Et, comme je l'ai déjà souligné, elle situe la
séparation entre les aspects mentaux et physiques de la nature à
la place qui lui revient naturellement : c'est-à-dire à la frontière
entre l'esprit et le cerveau, et non pas au sein d'un quelconque
dispositif mécanique aveugle.

Le problème central, en mécanique quantique, c'est que les


apparences ne s'accordent pas avec les propriétés des objets
macroscopiques définies par les lois quantiques régissant les
mouvements de leurs constituants atomiques. Les interpréta-
tions orthodoxes et de Copenhague considèrent toutes deux que
la solution réside dans le fait que, comme le souligne Heisenberg,
«ce que nous observons n'est pas la Nature elle-même, mais la
nature telle que soumise à notre méthode de questionnement.
En physique, tout notre travail scientifique consiste à nous
poser des questions sur la nature via le langage qui est le nôtre,
et à essayer d'obtenir une réponse à travers des expériences et les
moyens qui sont à notre disposition 1 ».

1. Werner Heisenberg, Physique et philosophie. La science moderne en révo-


lution, traduit de l'anglais par Jacqueline Hadamard, Paris, Albin Michel,
1961, chapitre III, «L'interprétation de Copenhague de la théorie quan-
tique », dernière page.
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 49

Grace à ce changement de point de vue assez radical, de


témoins passifs, nous devenons alors participants actifs. Il relie,
de façon dynamique, la description physique à nos investiga-
tions initiées par l'esprit. En l'absence de cette adjonction à la
dynamique, rien, dans la dynamique quantique, ne serait sus-
ceptible de choisir - à partir de l'éventail continu de possibi-
lités descriptibles classiquement généré par les règles quantiques
dynamiques - des sous-ensembles particuliers spécifiques du
genre de ceux dont nous faisons réellement l'expérience Ce sont
les réductions permettant de passer de l'espace des possibles au
monde que nous observons réellement - réductions qui, d'après
la théorie, sont instiguées par les observateurs - qui permettent à
la mécanique quantique d'être comprise rationnellement comme
une description d'une réalité psychophysique évolutive et dyna-
miquement intégrée.

Les apparences qui nous renseignent sur le monde physique


sont restreintes, d'un point de vue empirique, aux formes qui
obéissent aux concepts de la physique classique. Selon tout à la
fois l'interprétation de Copenhague et l'interprétation orthodoxe,
ces caractéristiques classiques proviennent de la partie observante
de la nature. Elles sont exprimées dans le processus 1 - initié par
l'observateur -, qui en spécifie l'apparence possible, mais ne sont
concrétisées physiquement que par la réponse que donne la nature
aux interrogations issues du processus 1.

Du point de vue matérialiste adverse, il est tentant d'essayer


d'éliminer cette donnée de la sphère mentale en faisant passer ces
propriétés de l'observation - décrites sur le mode classique - dans
un monde postulé de réalités macroscopiques décrites classique-
ment. Ceci créerait alors un monde physique quasi classique.
Néanmoins, tant la mécanique quantique orthodoxe que celle
de Copenhague attribuent in fine le caractère classique des appa-
rences que prend notre monde au processus de création d'appa-
rences initié par l'observateur. Cette conception est à la base de
la comparaison qu'opère Bohr entre le processus d'acquisition de
50 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

connaissance au sujet du monde physique et le déplacement d'un


aveugle à l'aide de sa canne.

Neumann dit lui-même: «Premièrement, il est tout à fait


exact que la mesure - ou le processus lui étant connexe - de
la perception subjective soit une nouvelle entité par rapport à
l'environnement physique et ne se réduise pas à celui-ci. En effet,
la perception subjective nous entraîne dans la vie intérieure intel-
lectuelle de la personne1• »

Il donne un exemple de mesure de température en observant


la longueur d'une colonne de mercure dans un thermomètre, et
dit:
«Nous pouvons calculer sa chaleur, son expansion et la lon-
gueur résultante dans la colonne de mercure, puis affirmer :
cette longueur est perçue par l'observateur. »
Il déplace la division de plus en plus loin dans le cerveau,
puis conclut : « Quoi qu'il en soit, peu importe jusqu'où nous
poussons nos calculs - jusqu'au récipient du mercure, jusqu'à
l'échelle du thermomètre, jusqu'à la rétine, ou jusque dans le cer-
veau -, à un moment donné, il nous faut dire : et ceci est perçu
par l'observateur. Autrement dit, nous devons toujours diviser le
monde en deux parties, l'une étant le système observé, l'autre,
l'observateur. »

Il ajoute ensuite encore d'autres détails avant de conclure:


« En effet, l'expérience peut conduire à des affirmations de ce
type : un observateur a fait une certaine observation (subjec-
tive) ; mais jamais à des affirmations du type : une quantité phy-
sique possède une certaine valeur. »

« La mécanique quantique décrit les événements dans le


monde à l'aide du processus 2 [l'équation de Schrôdinger], mais
uniquement tant que ceux-ci n'interagissent pas avec la part qui

1. John von Neumann, Mathematical Foundations ofQuantum Mechanics,


op. cit., p. 418-421.
ONDES, PARTICULES ET ESPRITS 51

les observe, dès qu'une telle interaction se produit - c'est-à-dire


sous la forme d'une mesure-, l'opération requiert alors l'applica-
tion du processus l, qui est un libre choix de la part d'un agent
d'observation. »

Je vais, au cours du chapitre suivant, expliquer plus en détail


la structure et les vertus de la théorie orthodoxe.
Chapitre 3

LA MÉCANIQUE QUANTIQUE
ORTHODOXE : LE LIBRE CHOIX
DE L'OBSERVATEUR ET LE CHOIX
ALÉATOIRE DE LA NATURE

Nous avons déjà mentionné, qu'à la suite du prix Nobel de


physique Eugene Wigner, nous appelons la formulation de la phy-
sique quantique énoncée par John von Neumann la «Physique
quantique orthodoxe », bien qu'elle ne soit pas soutenue par la
majorité des physiciens quantiques, car elle est plus rigoureuse,
sur le plan mathématique, et plus cohérente, d'un point de
vue logique, que l'interprétation originale de « Copenhague ».
C'est pourquoi de nombreux théoriciens tendent à la considérer
comme la structure de base de la physique quantique.

Au cours de ses recherches, Neumann a également développé


un attirail mathématique permettant d'étudier les systèmes
quantiques faisant eux-mêmes partie de systèmes quantiques
plus grands. Cet attirail fut utilisé à la fin de son livre1 en vue
d'examiner le processus de la mesure quantique dans des situa-
tions où le système d'observation se compose de deux données:
l'observateur et un dispositif de mesure. Néanmoins, l'obser-
vateur peut lui-même également utiliser un second instrument
de mesure afin de découvrir le résultat du premier dispositif de

1. John von Neumann, Mathematical Foundations ofQuantum Mechanics,


op. cit., chapitre IV.
54 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

mesure - et ainsi de suite. Ceci conduit ainsi à une série de dis-


positifs physiques, dont chacun mesure le résultat obtenu par
l'appareil se trouvant au-dessous de lui.

Cette analyse conduit à certaines caractéristiques inhé-


rentes à la formulation de Neumann que j'ai eu l'occasion de
décrire dans les chapitres précédents. Ces caractéristiques se dis-
tinguent de celles de sa version antérieure - l'interprétation de
Copenhague -, qui impliquait, pour sa part, l'existence d'une
frontière imaginaire - la frontière de Heisenberg -, de sorte
que tout ce qui se trouvait au-dessous de la frontière était décrit
d'après les termes de la physique quantique, et tout ce qui se trou-
vait au-dessus était décrit en fonction de la physique classique ou
de la psychologie. La version de Neumann est construite autour
de l'idée de repousser cette frontière jusqu'en« haut», c'est-à-dire
jusqu'à ce que tous les aspects de la nature décrits physiquement
passent dans la partie inférieure, qui est décrite d'après les lois de
la physique quantique. Ce qui reste ensuite est dénommé I'« ego
abstrait » de l'observateur, et relève essentiellement du domaine
de la psychologie.

Ce déplacement de la frontière permet à la structure formelle


de s'accorder naturellement avec les règles de calcul consacrées
qui se trouvent au cœur de la mécanique quantique. Le rôle de
l'ego, quant à lui, évolue et représente désormais la source des
libres choix du processus 1 qui, d'après la mécanique quantique,
proviennent de l'extérieur du domaine physique.

Lorsqu'elle est comparée à la version originale de Copenhague,


on peut affirmer que la mécanique quantique orthodoxe possède
trois nouvelles vertus importantes. La première est qu'elle fournit
une description objective rationnellement cohérente d'une réalité
qui s'accorde étroitement et naturellement avec les règles consa-
crées. Plutôt que d'être confrontés à un ensemble de règles de
calcul au fonctionnement mystérieux, nous avons accès à une
conception putative de nous-mêmes et du monde dans lequel
nous évoluons, de sorte que les règles de calcul représentent une
LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ORTHODOXE... 55

expression naturelle de la relation existant entre nos expériences


conscientes et les aspects de la réalité décrits physiquement. Nous
obtenons ainsi un modèle de la. réalité dont on peut considérer
qu'il représente le candidat naturel pour exprimer la réalité
« sous-tendant » les règles de calcul quantiques.

Sa deuxième vertu est que les aspects de la théorie pouvant


être décrits physiquement présentent un caractère entièrement
quantique plutôt que de relever d'une description quasi classique
hybride d'après laquelle les aspects visibles d'objets suffisamment
grands acquerraient miraculeusement des propriétés classiques
contredisant manifestement des propriétés impliquées par les lois
quantiques régissant leurs constituants atomiques.

Sa troisième vertu : la théorie implique automatiquement


que les mêmes règles dont on constata qu'elles expliquaient de
manière cohérente les phénomènes atomiques ainsi que les pro-
priétés observées sur les appareils de mesure leur étant associées,
expliquent également les influences causales de nos intentions
mentales sur nos actions physiques. La réalité putative possède
une caractéristique essentielle, qui est celle d'injecter directement
dans la dynamique - dans le cadre de chaque observation - un
processus de sélection initié par le choix opéré par l'observateur.
Ces choix ne sont pas déterminés via des lois par la partie de la
nature décrite physiquement, mais nous semblent pourtant avoir
des répercussions sur nos actions corporelles. Les choix semblent
résulter, du moins partiellement, de notre partie mentale ; et être
l'une des expressions de nos valeurs conscientes et inconscientes.
La théorie orthodoxe s'adapte rationnellement à l'idée de notre
propre efficacité causale continuellement réaffirmée sur le plan
empirique, qui est le fondement tant de nos vies personnelles que
des sociétés que nous avons créées afin de faciliter la concrétisa-
tion de ce à quoi nous accordons consciemment de la valeur.
Cette troisième vertu de la mécanique quantique réfute l'af-
firmation débilitante de la mécanique classique selon laquelle,
au mépris de notre expérience quotidienne, nos efforts mentaux
n'auraient aucun effet sur nos actions corporelles. Les philosophes
56 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

ont passé trois siècles à tenter - sans succès - de réconcilier cette


affirmation de la mécanique classique matérialiste avec l'affirma-
tion de l'existence de notre libre arbitre, fondement du sens que
nous pouvons donner à notre vie.

Le libre choix de l'observateur

Selon la mécanique quantique orthodoxe, toute expérience


perceptive d'un agent observateur est causalement précédée
d'une investigation décrite physiquement que l'on appelle le
« processus 1 ». Le choix des investigations à mener lors du pro-
cessus 1 porte le nom de « libre choix » pour souligner le fait
- important- qu'il n'est déterminé ni par une loi ni par une règle
de la théorie existante. Pas plus qu'il n'est déterminé ou influencé
par le célèbre élément quantique qu'est le hasard. Au contraire, le
libre choix du processus 1 pose les fondations de l'introduction
du hasard : le choix du processus 1 pose une question à laquelle
la nature répond rapidement à l'aide de cet élément quantique
qu'est le hasard.

Cette vision modifiée de la connexion esprit-cerveau, bien que


diamétralement opposée à celle de la physique classique, est très
proche de la compréhension intuitive que nous avons de nous-
mêmes, et facilite grandement notre vision et nos applications
pratiques de la théorie.

La mécanique quantique et les neurosciences

«La grande question qui se pose en neurobiologie aujourd'hui


est celle de la relation entre l'esprit et le cerveau. » Il s'agit là des
mots de Francis Crick'. Dans la même veine, Antonio Damasio2

1. Francis Crick et Christof Koch, « The Problem of Consciousness », in


Scientiflc American, numéro spécial, The Hidden Mind, août 2002.
2. Antonio R. Damasio, « How the Brain creates the Mind », ibid.
LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ORTHODOXE... 57

écrit que la question esprit-cerveau « dépasse toutes les autres au


sein des sciences de la vie ».

Compte tenu de la reconnaissance accordée à l'importance


du problème esprit-cerveau, nous pourrions imaginer que la
recherche scientifique déploie tout un arsenal d'outils scienti-
fiques de pointe afin de lui permettre d'évoluer. Et pourtant,
la réalité est tout autre. La plupart des études neuroscientifiques
portant sur ce problème sont encore et toujours fondées sur les
préceptes inadaptés de la physique classique du xrx" siècle dont
on sait qu'ils sont fondamentalement faux. Il n'est pas surprenant
que cette approche classique, qui se base sur la matière, se soit
montrée totalement inapte à expliquer la façon dont notre cer-
veau pourrait être, ou pourrait produire notre esprit. Reste que
cette théorie erronée a désormais été remplacée, au niveau fonda-
mental, par une théorie qui, bien qu'elle ait émergé del' étude des
phénomènes atomiques, s'est avérée permettre une refonte com-
plète de l'idée classique de la relation existant entre notre esprit
et les caractéristiques macroscopiques de notre cerveau. Et pour-
tant, le remplacement, en science fondamentale, de la physique
classique erronée, inadéquate et totalement infructueuse (dans ce
contexte), a été majoritairement ignoré par la quasi-totalité des
neuroscientifiques et des philosophes engagés dans la résolution
de ce problème. Et lorsqu'il leur arrive toutefois de faire réfé-
rence à la physique quantique, celle-ci n'est alors généralement
invoquée que dans le cadre du comportement à petite échelle
- au niveau moléculaire - et non dans celui de la question princi-
pale, c'est-à-dire celle portant sur la connexion entre les activités
neuroélectriques ondulatoires à grande échelle du cerveau d'une
personne et les pensées conscientes de cette même personne.

Le véritable problème réside dans le fait que la plupart des


scientifiques et philosophes s'intéressant au débat portant sur
la relation entre l'esprit et le cerveau partent du principe que
les grands objets « observables » de la nature peuvent être cor-
rectement décrits d'après les concepts de la physique classique,
et que seules les choses de taille atomique doivent être décrites
58 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

en fonction des concepts et règles de la physique quantique.


Pourtant, cette idée ne fut avancée qu'en vue de constituer un
outil pragmatique, et non comme une description rationnelle
cohérente de la réalité. Comme Einstein 1 l'a souligné à plusieurs
reprises, les grands objets observables sont créés à partir de leurs
constituants atomiques. Reconnaître ce fait est nécessaire pour
expliquer plusieurs des propriétés physiques des grandes choses
observables - telles que, par exemple, leur rigidité et leur conduc-
tance électrique. Cette nécessité inhérente à l'univers quantique
conduit à une reconceptualisation rationnelle et cohérente de la
nature du monde physique qui, contrairement aux apparences,
ne se réduit pas à la conception classique à l'échelle macrosco-
pique. La conclusion à laquelle arrive l'Annexe 1 à propos de
la nécessité de transferts d'information plus-rapides-qu'à-la-
vitesse-de-la-lumière dans le cadre d'un contexte entièrement
macroscopique prouve que les lois quantiques ne permettent pas
au monde macroscopique d'être constitué de matière conçue
classiquement.

L'équation de Schrodinger et « l'étalement »


de la réalité physique

Les choses de taille atomique évoluent conformément à une


généralisation quantique des lois classiques du mouvement,
appelée l'équation de Schrodinger. Le fait d'utiliser cette équation
et de traiter les grandes choses comme des conglomérats de choses
de taille atomique conduit à l'un des trois problèmes fondamen-
taux que nous devons affronter : via l'équation de Schrodinger,
les grandes choses se transforment généralement en structures
« étalées» sur tout l'espace comme des ondes, donc très diffé-
rentes de celles que nous observons réellement. La théorie dyna-
mique purement physique devrait donc, en elle-même, mener à
des états du monde décrits physiquement qui ne s'accordent pas

1. Albert Einstein in Paul Arthur Schilpp, Albert Einstein: Philosopher-


Scientist, New York, Tudor publishing cornpany, 1949. p. 674.
LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ORTHODOXE... 59

avec les observations humaines (les deux autres problèmes fon-


damentaux que sont l'action fantôme à distance et l'apparente
rétrocausalité temporelle seront examinés ultérieurement).

Einstein 1 donna un exemple simple de cet effet d'étalement.


Supposons qu'un noyau radioactif soit entouré d'un dispositif
de détection. Supposons ensuite que lorsque le dispositif détecte
la désintégration du noyau, cela active un stylo mobile qui se
mette à dessiner un pic sur un rouleau tournant sur lui-même.
L'emplacement du pic sur le rouleau représentera alors la trace
du moment où aura eu lieu la détection de la désintégration.
Supposons maintenant que le système physique entier évolue
en conformité avec l'équation de Schrôdinger. Dans ce cas, le
pic sur le rouleau ne se limitera pas à un unique emplacement
correspondant à un moment défini et isolé de la désintégration.
Le pic sera en effet plutôt réparti sur un continuum d'empla-
cements, chacun d'eux correspondant à différents moments
possibles auxquels pourrait avoir eu lieu la désintégration du
noyau.

En outre, le cerveau d'un observateur, lorsque concentré sur


le rouleau afin d'observer à quel moment le noyau se désin-
tègre, se transformera également - d'après une équation de
Schrôdinger universelle - en un continuum distribué d'états
cérébraux descriptibles classiquement, chaque composant de
ce continuum correspondant aux différents moments possibles
de désintégration. Si les expériences mentales n'étaient que la
résultante d'activités correspondantes du cerveau - comme
on l'imagine en mécanique classique -, l'expérience de l'ob-
servateur prendrait alors la forme d'un méli-mélo continu de
moments possibles de désintégration plutôt que du seul et
unique moment qu'un observateur humain constaterait dans
une telle situation. Ainsi, la validité illimitée de l'équation de
Schrôdinger conduirait-elle à des états cérébraux ne correspon-
dant pas - même grossièrement - à la forme que prend une

1. Albert Einstein, ibid., p. 670.


60 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

expérience humaine au cours de laquelle chaque objet visible


possède un emplacement assez bien défini - plutôt que d'être
réparti sur une grande collection d'emplacements visuellement
perceptibles.

Einstein cita également un second exemple impliquant, cette


fois-ci, une souris et la lune. Supposons que rien n'ait inter-
rompu l'évolution de l'univers depuis sa naissance - ce que sti-
pule l'équation de Schrôdinger. L'état quantique de la lune serait
donc réparti sur l'ensemble du ciel nocturne jusqu'à ce qu'un
premier observateur - disons une souris - le regarde. Mais la
souris deviendrait alors un ensemble de copies d'elle-même éta-
lées dans toute la ville, tout comme la ville dans laquelle elle vit
serait étalée sur toute la terre - et il en va également de même
pour la terre, le système solaire, les galaxies, etc.

Les actes d'observation

Pour faire face à l'immense décalage existant entre l'expérience


humaine réelle et les propriétés ondulatoires du monde quan-
tique, les fondateurs de la théorie quantique n'ont pas eu d'autre
choix que celui de rompre avec les principes fondamentaux de
la physique classique. Ils ont ainsi introduit, dans la dynamique
quantique, des« actes d'observation» essentiels, dont chacun est
nécessairement associé à une partie psychophysique de la nature,
à savoir, un agent observateur.

Chacun de ces actes est ici initié par l'agent en charge d'une
investigation particulière. Cet acte d'investigation «soumet à la
nature » une question spécifique. Comme dans le jeu des vingt
questions, chaque question est formulée de telle manière qu'on
puisse y répondre par « oui » ou par « non » (en ce qui concerne
les questions à choix multiples, il est possible d'y répondre en
décomposant successivement les réponses « non » en un « sous-
oui » et un « sous-non », etc.).
LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ORTHODOXE... 61

Ainsi avons-nous un scénario de questions-réponses dans


lequel les questions sont choisies librement. Mais quelle est exac-
tement la nature du processus qui ici délivre les réponses ?

Les choix aléatoires de la nature

D'après la mécanique quantique, la réponse à la question


sera déterminée par « un choix de la nature ». Mais comment
le processus fonctionne-t-il ? La réponse « oui » est révélée à
l'agent d'investigation via l'expérience pertinente qu'il en fait.
Par exemple, si la question est « Le camion de pompier est-il
"rouge" ? », alors, la réponse positive de la nature va lui être
révélée par l'expérience qu'il fera de la couleur rouge s'ajoutant
à la forme du camion de pompier. [Les réponses négatives ne
sont pas expérimentées par l'agent dans la version ici considérée.
Ce qui permet à de nombreuses réponses négatives d'apparaître
entre deux réponses positives] Quoi qu'il en soit, la réalité expé-
rimentée ici est engendrée par des dialogues qui sont instaurés
entre des agents d'investigation localisés et un aspect global de
la réalité appelé « nature». Les processus d'investigation et de
réponse possèdent certaines propriétés caractéristiques que nous
allons maintenant examiner.

Comme spécifié précédemment, la question choisie par


l'agent n'est déterminée par aucune règle ou loi connue, et est
donc dénommée « libre choix ». Mais le choix de la réponse de la
nature est, pour sa part, soumis à certaines conditions précises.
Selon la théorie orthodoxe, le choix de la nature est « aléatoire ».
Cela signifie que dans chaque cas particulier, spécifié par le
choix réel d'une question spécifique, la réponse à la question est
indéterminée : elle n'est pas déterminée par les lois de la théorie.
Néanmoins, dans le cas où, du point de vue de la théorie, de lon-
gues séries de cas semblent essentiellement identiques, la théorie
impose alors certaines conditions statistiques. Par exemple, au
cours d'une longue série de « répétitions», la proportion prévue
entre les réponses « oui » et les réponses « non » est, selon la
62 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

théorie, déterminée par des propriétés mathématiques de 1'état


physique du système sondé. En revanche, le cadre conceptuel
de la théorie ne stipule pas que la réponse qui apparaîtra dans le
cadre d'une instance individuelle réelle soit déterminée par quoi
que ce soit.

L'élément quantique infâme qu'est le «hasard» s'inscrit, en


physique quantique, précisément de cette manière - et unique-
ment de cette manière - à travers les conditions statistiques pré-
valant sur les choix de la Nature. L'évolution mathématiquement
déterminée - via 1' équation de Schrôdinger - de l'état physique
joue certainement un rôle très important en théorie quantique.
Mais le lien entre ces mathématiques et nos expériences dépend
également fortement de ces deux choix : du premier, qui est
« libre », et du second, qui est « aléatoire ».

Le rôle et l'importance du libre arbitre

La connexion entre la question libre et la réponse aléatoire


relie les aspects mentaux et physiques de la nature en une seule
réalité cohésive et dynamiquement évolutive. Et les actions
mentales des observateurs jouent un rôle essentiel dans cette
évolution. Chaque action de processus 1 conduit à un accrois-
sement de notre connaissance collective. Cet ensemble de
connaissances est représenté, dans la théorie, comme l'état
quantique de l'univers. L'objet de la physique quantique ortho-
doxe n'est en fait rien d'autre que ce processus d'évolution de
notre connaissance.

Mais pourquoi devrions-nous nous soucier d'une question


aussi absconse ? Pourquoi est-il important de savoir si vous croyez
que votre esprit est un spectateur impuissant et causalement
inerte d'un univers évoluant d'une manière complètement méca-
nique, sans que vos sentiments et efforts conscients y contribuent
aucunement - comme le prétend la physique classique -, ou si
vous croyez plutôt que votre esprit participe activement et de
LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ORTHODOXE... 63

façon causalement efficace au processus psychophysique contri-


buant à façonner votre avenir ?

La réponse courte serait que votre croyance en la matière peut


faire une grande différence pour et dans votre vie ! Si, comme
nous venons de le dire, vos choix conscients sont « libres », cela
ne signifie pourtant pas qu'ils émergent à partir de rien. Cela
indique plutôt que, puisque les lois de la physique ne sont pas
coercitives, il reste alors de la place pour une contribution men-
tale causalement efficace. Les arguments rationnels conduisent
à la conclusion que tous les aspects de la nature, y compris nos
propres aspects mentaux, doivent constituer des parties interagis-
santes d'un tout mental. Cette conclusion s'oppose au message
matérialiste selon lequel chacun de nous serait une collection de
pièces mécaniques séparées et isolées et qui, de façon incompré-
hensible (et inutile), pourrait penser, savoir et sentir. Se percevoir
comme partie intégrante de l'ensemble mental peut générer un
sentiment de connectivité, de communauté et de compassion
avec et à l'égard des autres êtres vivants ; tandis que le message
matérialiste d'isolement et de survie du plus fort a tendance à
conduire à des actions égoïstes. Toute notre approche de la vie
peut différer selon que l'on se considère comme une composante
efficace d'un ensemble mental ou comme un petit rouage d'une
machine essentiellement aveugle, doté d'un esprit qui lui serait
mystérieusement rattaché - bien qu'impuissant -, et qui s'illu-
sionnerait inutilement au sujet de son pouvoir.

Cette image de soi mécaniste a tendance à engendrer des


attitudes de résignation, de dépression, de désespoir, d'inutilité
et d'amoralité; tandis que l'image de soi quantique, qui fait de
votre mental un outil capable d'efforts causalement efficaces,
tend à engendrer une attitude morale dynamique, élevée, pleine
d'espoir et tendue vers l'avenir. Des expériences récentes réalisées
par Jonathan W. Schooler et d'autres scientifiques révèlent une
corrélation empirique positive entre le fait de croire à l'existence
du libre arbitre et la moralité de nos actions. Très généralement,
nos attitudes et actions dépendent fortement des croyances que
64 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

nous entretenons à propos de nous-mêmes et de la façon dont


nous les relions à la réalité dans laquelle nous sommes ancrés.
Et dans le monde d'aujourd'hui, les croyances que nous nous
forgeons au sujet de ces questions sont susceptibles de fortement
dépendre de ce que nous croyons de ce que dit la science.

Je vais maintenant donner une explication - avec des mots


simples, dépouillés de tout jargon technique et de tout symbole
mathématique - de la conception quantique orthodoxe de la réa-
lité psychophysique dynamiquement intégrée découlant des pré-
ceptes fondamentaux énoncés par John von Neumann. D'après
cette conception rationnelle et cohérente de la réalité, nos inten-
tions mentales, qui ne sont contraintes par aucune loi physique
connue, peuvent influencer - et influencent bel et bien - nos
actions physiques.
Chapitre 4

L'IMPACT CAUSAL
DE NOS INTENTIONS MENTALES

La mécanique classique stipule que vos pensées ne peuvent


affecter le monde physique ; la mécanique quantique affirme le
contraire. Les lois dynamiques de la mécanique quantique ortho-
doxe allouent à vos intentions mentales le pouvoir de mouvoir
votre corps physique exactement de la façon dont vous souhaitez
mentalement le faire.

Les choix que vous opérez à propos d'actions à réaliser et du


moment auquel les exécuter ne sont déterminés par aucune loi
de la physique quantique: ces choix s'inscrivent, dans la théorie,
comme des libres choix. Néanmoins, une structuration adéquate
de ces libres choix peut inciter votre corps à se mouvoir confor-
mément à votre intention.

Comment ceci peut-il se produire ? Comment une chose aussi


immatérielle qu'une intention mentale peut-elle provoquer le
mouvement d'objets physiques tels que vos bras et vos jambes?
Quel processus permet-il aux mouvements de vos doigts d'en
venir à traduire les pensées complexes que vous avez l'intention
d'exprimer par des mots?
66 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Ce:ffetquantlquedeZénon

Dans le cadre de la description de la nature établie par la phy-


sique quantique orthodoxe, ce pouvoir physique découlant de
vos pensées conscientes peut résulter d'une propriété bien connue
de la physique quantique connue sous le nom de« l'effet quan-
tique de Zénon». Cet effet est tantôt appelé« l'effet tout-vient-à-
point-à-qui-sait-attendre », et tantôt dénommé « l'effet chien de
garde ». Cette dernière appellation me paraît toutefois plus juste.
Le point essentiel de cet effet est que, selon les préceptes fonda-
mentaux de la mécanique quantique, une investigation répétitive
rapide d'un système - en vue de vérifier s'il continue de posséder
une certaine propriété qu'il possédait à l'origine - aura tendance
à maintenir cette propriété en place - alors qu'elle changerait
rapidement si elle n'était observée que peu fréquemment.

Afin d'étayer l'effet chien de garde, imaginons un cambrio-


leur se tenant devant la porte d'une maison qu'il a l'intention de
cambrioler et, un peu plus loin, un chien de garde, Fido, surveil-
lant ce même cambrioleur. Supposons que ce soit Fido qui voit
le cambrioleur en premier. Ceci se passe à l'instant t = O. Puis,
supposons qu'à l'instant t = 1, Fido se pose la question : «Est-ce
que moi, Fido, je vois bien le cambrioleur se tenant devant la
porte ? » Si la réponse est « oui », alors Fido verra de nouveau le
cambrioleur devant la porte - de même que les autres passants.
Fido peut alors de nouveau poser la même question à l'instant
t = 2, à laquelle il se pourrait qu'il reçoive de nouveau la même
réponse « oui ». Ceci pourrait alors être répété à l'instant t = 3,
t = 4, t = 5, et ainsi de suite. Chaque fois que Fido recevra une
réponse positive, il verra alors de nouveau le cambrioleur à la
porte.

Dans une telle situation, il y aura généralement un moment


(appelons-le le temps final T) où, lorsque la réponse au temps
T - et à tous les temps lui précédant - sera de nouveau « oui »,
la réponse lui succédant sera, elle, néanmoins, « non ». La
L'IMPACT CAUSAL DE NOS INTENTIONS MENTALES 67

mécanique quantique donne, pour chaque temps t investigué,


une prédiction de la probabilité P que ce temps t soit le temps
final T. Si la première réponse (à t = O) est « oui », alors cette
probabilité P est à 100 % à t = O. Cette probabilité décroîtra
généralement d'une quantité limitée à chaque temps t ultérieur
en raison de la probabilité limitée que la prochaine réponse soit
«non».

La rapidité à laquelle la probabilité P diminuera à mesure


que t augmente dépendra des éléments de la situation. La méca-
nique quantique fait néanmoins une prédiction générale impor-
tante demeurant indépendante des particularités. Si les temps t
auxquels Fido pose ses questions ne sont pas {l, 2, 3, ... }, mais
plutôt {lin, 2/n, 3/n, ... }, alors, la probabilité P correspondant
à n'importe lequel des temps déterminés t se rapprochera tou-
jours davantage des 100 % à mesure que n tend vers l'infini. Ce
résultat signifie, grosso modo, que le fait d'augmenter le taux
de répétition de l'action d'investigation tend à maintenir plus
longtemps en place l'état physique correspondant à la réponse
« oui ». Mais cela signifie aussi que le comportement physique du
système sondé est influencé de manière spécifique par la rapidité
des libres choix opérés par l'observateur.

Dans le cadre de la mécanique quantique orthodoxe, qui est


conçue de manière à pouvoir introduire des observateurs psycho-
physiques tels que les êtres humains, l'aspect mental de l'observa-
teur est supposé avoir une relation particulière avec le cerveau de
ce même observateur. Si ceci est peut-être moins net avec d'autres
parties du corps de l'observateur, cela est, en revanche, bien plus
avéré concernant les objets physiques que l'on retrouve dans le
reste du monde physique comme, par exemple, un cambrioleur
se tenant devant une porte. L'événement physique associé à la
réponse « oui » - qui est donnée à une question investigatrice
portant sur le monde physique - est censé être la matérialisa-
tion de l'activité du cerveau - qui constitue la représentation du
cerveau de la réponse « oui » à cette question investigatrice - asso-
ciée à la suppression des activités cérébrales pouvant représenter des
68 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

possibilités physiques qui contrediraient directement cette réponse


« oui ». Dans le cadre de la théorie physique contemporaine, qui
s'adapte régulièrement à tous les résultats empiriques reconnus
en science, ces règles sont conçues pour créer une théorie ration-
nelle cohérente de la connexion esprit-cerveau.

Je vais maintenant décrire comment, au sein de la mécanique


quantique orthodoxe, l'action-maintenue-en-place grâce à l'effet
quantique de Zénon peut avoir tendance à faire en sorte que les
actions physiques d'une personne se conforment à son intention
mentale.

Des modèles d'action

Supposons, par exemple, que vous tentiez - en vain - de


déplacer un objet lourd en vue de le charger sur un camion
- pour, disons, apporter des améliorations nécessaires à votre
domicile. Supposons qu'à ce stade, vous luttiez mentalement
pour savoir si vous devriez essayer de nouveau, demander de
l'aide ou abandonner.

Il est raisonnable de supposer que, dans cette situation, votre


cerveau va élaborer - via des procédés biophysiques, mais éga-
lement en se basant sur des habitudes et des réponses acquises
antérieurement - plusieurs modèles différents d'activité neuro-
logique, chacun d'eux envoyant - si maintenu en place pendant
une période suffisamment longue, tandis que les autres modèles
sont supprimés - une séquence d'influx nerveux pouvant
entraîner votre corps à se comporter de l'une des façons possibles
répondant à votre situation. Un tel schéma s'appelle un modèle
d'action.

Cette situation peut être analysée aussi bien via le prisme de la


physique quantique orthodoxe elle-même que par le biais de son
approximation classique. Si l'on décide d'utiliser l'approximation
classique, alors, le fait qu'elle ne se prononce pas vis-à-vis des
L'IMPACT CAUSAL DE NOS INTENTIONS MENTALES 69

réalités décrites psychologiquement induit nécessairement que


la théorie ne peut donner aucune explication des liens pouvant
exister entre, d'une part, votre impression d'opérer un choix, puis
l'effort intenté en vue de matérialiser les actions corporelles sou-
haitées et, d'autre part, le mouvement de votre corps physique
qui se produit en liaison avec ces activités décrites psychologique-
ment. Si l'on décide ensuite de lui adjoindre l'hypothèse selon
laquelle certaines activités cérébrales produiraient, ou « incarne-
raient » les pensées conscientes qui leur sont associées, la corréla-
tion entre les activités cérébrales et les intentions conscientes serait
alors imposée par un décret ne possédant aucune racine logique
au sein de la théorie physique, et nos intentions conscientes ne
seraient alors qu'un effet des actions physiques du cerveau, et
non leur cause : nous en serions réduits à n'être que des auto-
mates mécaniques.

La mécanique quantique orthodoxe, en revanche, permet au


choix que vous opérez lors du processus 1 de s'inscrire direc-
tement dans la procédure dynamique qui, dans notre exemple,
sélectionne tout d'abord lequel des trois modèles d'action sera
- avec l'aide de la nature - matérialisé en premier, puis, en utili-
sant l'effet de Zénon, peut faire en sorte que ce modèle choisi se
maintienne en place suffisamment longtemps pour produire les
mouvements souhaités.

Cette action initiée via le processus 1 n'est pas occasionnée par


les lois physiques de la théorie. Comme indiqué dans le chapitre
1, les lois classiques n'expliquent pas la cause de nos actions, alors
qu'on obtient une explication en allouant aux actions issues du
processus 1 la possibilité d'être influencées par des réalités psy-
chologiques, celles que vos pensées rationnelles et vos convictions
profondes, qui contribuent ensuite à vos actions physiques.
70 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

La connexion esprit-cerveau

Selon la mécanique quantique orthodoxe, la réponse aux


questions relatives à la connexion esprit-cerveau naît de la com-
binaison entre le libre choix (des actions investigatrices à réaliser)
et le choix de réponse que donnera la nature à chacune des ques-
tions que nous aurons choisies.

La question fondamentale est la suivante : comment la


connexion ici établie entre, d'une part, une intention mentale
visant à accomplir une action physique préalablement envisagée
et, d'autre part, un modèle physique dédié à cette action, si celle-
ci était matérialisée et stabilisée, permettra-t-elle à l'action de se
produire?

Le fait est que l'image mentale de l'action envisagée et son


homologue neurologique sont décrits dans des termes très diffé-
rents, et qu'il n'existe aucun lien intrinsèque entre les domaines
conceptuels dans lesquels ces deux descriptions s'inscrivent.
Alors, comment l'image mentale d'une action corporelle envi-
sagée s'est-elle raccordée à la structure de l'activité neurologique
ayant tendance à faire en sorte que l'action corporelle visée se
produise?

L'absence de lien logique entre les aspects mentaux et physiques


- chaque domaine étant décrit différemment l'un de l'autre - de
notre vision de la nature a longtemps représenté l'un des pro-
blèmes primordiaux en philosophie. La compréhension scienti-
fique de cette question que nous livre la mécanique classique est
tout simplement hors de portée dans la mesure où elle ne conçoit
pas que ce que nous pensons mentalement puisse avoir d'effet sur
ce que nous faisons physiquement. Par conséquent, les aspects
mentaux de notre être pourraient s'égarer dans les limbes d'idées
totalement étrangères à la situation physique présentée et n'avoir
aucune conséquence dynamique ou logique sur celle-ci. La
L'IMPACT CAUSAL DE NOS INTENTIONS MENTALES 71

connexion empirique existant entre les deux domaines disparates


devrait apparemment être maintenue par quelque décret externe
imposé en dehors des lois physiques dynamiques, et n'avoir
aucun effet ni sur l'univers physique ni sur notre survie physique
en son sein. Car ce qui agit sur l'univers physique est déjà fixé par
les lois physiques classiques prétendument autonomes.

La mécanique quantique orthodoxe fournit, quant à elle,


un moyen naturel d'établir cette liaison nécessaire, moyen
rendu possible par les détails des lois dynamiques. L« ego abs-
trait», qui constitue le soi mental de l'observateur/acteur, peut
apprendre par tâtonnement ce qu'il est susceptible d'obtenir
en matière de réponses expérientielles à ses différentes actions
d'investigation librement choisies. S'amorçant dans le ventre de
sa mère, l'aspect mental de l'agent peut dès lors commencer à
inventorier la sensation expérientielle qu'il dégage des réponses
«oui » à ses différents choix possibles d'actions. Sur la base de
l'examen « empirique » des réponses expérientielles à ses diffé-
rentes actions investigatrices librement choisies, l'ego peut pro-
gressivement acquérir les connaissances dont il a besoin en vue
de sélectionner un modèle d'action susceptible d'implémenter
une intention mentale donnée. Puis, l'engagement à matérialiser
cette intention mentale peut activer une séquence rapide d'ac-
tions qui maintiendront en place le modèle d'action sélectionné
au moyen de l'effet quantique de Zénon.
Ce scénario identifie l'« ego abstrait» d'une personne - tel que
dénommé par Neumann - à un «je» qui pense, sait, ressent,
projette et choisit les questions du processus 1. En contrôlant
les questions du processus l, cet ego peut influencer des actions
physiques qui, au sein de la physique quantique, ne sont en
général pas complètement spécifiées par les seules lois purement
physiques connues.

Un philosophe des sciences rationnel qui accepterait l'idée que


la connexion esprit-cerveau puisse être comprise dans un cadre
conceptuel au sein duquel les aspects physiques se conforme-
raient aux préceptes de la physique classique se retrouverait vite
72 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

coincé en l'absence d'un fondement scientifique lui permettant


de comprendre la façon dont l'aspect mental, décrit psychologi-
quement, peut rester en phase avec le cerveau contrôlé physique-
ment, tel que conçu classiquement. Alors que les préceptes de
base de la mécanique quantique sont, au contraire, intrinsèque-
ment psychophysiques. Ils fournissent une conception intégrée
d'une réalité psychophysique qui, en un seul ensemble ration-
nellement cohérent, contient non seulement les résultats de la
physique atomique, via la formulation mathématique rigoureuse
de Neumann, en même temps qu'une explication de l'occurrence
des apparences classiques, mais également une description de la
façon dont nos esprits sont reliés à nos cerveaux de sorte que nos
intentions conscientes puissent influencer nos actions corporelles
conformément à nos souhaits mentaux.
Chapitre 5

LA RÉALITÉ ET L'ACTION
FANTÔME À DISTANCE

V action fantôme à distance

La mécanique quantique possède une particularité qu'Eins-


tein appelait «l'action fantôme à distance». Il s'agit là du troi-
sième des trois problèmes mentionnés au cours du chapitre 2. Le
problème se pose sous certaines conditions empiriques réalisables
et implique deux expériences distinctes, bien que réalisées simul-
tanément, dans deux régions éloignées l'une de l'autre. Dans cer-
taines conditions, les règles de calcul de la physique quantique
supposent que l'événement psychophysique initié par le libre
choix lié à l'expérience réalisée dans une région donnée modifie
instantanément l'état quantique qui contrôle les prédictions
quantiques des résultats apparaissant dans l'autre région. La vali-
dité empirique de ces prévisions a été amplement confirmée par
de nombreuses expériences de même type ; les toutes premières
expériences furent réalisées au début des années 1980 par Alain
Aspect et ses collègues pour ensuite devenir monnaie courante.

L'expression clé « libre choix » signifie que le choix de pro-


cédure de la mesure à grande échelle qui sera effectuée dans la
région peut aussi bien être opéré arbitrairement par l'expéri-
mentateur que par un générateur de nombres aléatoire, ou bien
encore par tout autre procédé qui ne serait pas effectivement cor-
rélé au système mesuré. Le point essentiel est que la prédiction
74 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

quantique relative à ce qui sera consciemment expérimenté


dépend de l'expérience que l'on choisit de mettre en place et de
réaliser, et non de la manière dont ce dispositif expérimental est
choisi. Ainsi, le processus de choix de l'expérience est-il indépen-
dant du système sondé par les expériences. On s'accorde généra-
lement à penser que cette absence de dépendance signifie que le
choix de l'expérience peut être traité, dans l'analyse de ces expé-
riences, comme une variable libre générée localement, pourtant
ce choix va exercer des contraintes sur ce qui va se passer dans
l'autre région.

l?origine quantique de l'action fantôme

Si, à un instant donné, la nature « répond » à une action


investigatrice localisée dans une région de l'espace, alors, selon
les règles quantiques de base, l'état quantique de l'univers ne
changera pas uniquement dans cette région locale en cet instant
donné, mais dans tout l'espace. Ce changement brutal global,
qui s'étend sur tout l'espace, porte le nom de « réduction » de
l'état quantique. Réduction globale qu'Einstein appela l'« action
fantôme à distance», en estimant qu'aucune action de ce type ne
pourrait être réelle.
Si l'action fantôme survient en physique quantique, c'est parce
qu'à chaque moment l'état quantique d'un système est défini sur
tout l'univers et non sur une région localisée de l'espace. C'est
cet aspect global du monde quantique qui fait que lorsqu'une
« réduction » se produit son impact ne se limite pas à l'endroit
où elle se produit.

Le pragmatisme comme échappatoire

En physique quantique, les actions à distance explicitement


décrites dans la théorie et essentiellement instantanées se pro-
duisent de concert avec les réductions de l'état quantique. Ces
réductions sont des caractéristiques essentielles de la mécanique
LA RÉALITÉ ET L'ACTION FANTÔME À DISTANCE 75

quantique : elles sont nécessaires pour que le monde ait l'aspect


que nous lui connaissons. Cependant, l'existence de ces transferts
d'information s'oppose à la théorie de la relativité d'Einstein qui
limite la vitesse du mouvement de la matière et del' énergie - et,
par conséquent, de la vitesse de tout transfert d'information - à
la vitesse de la lumière.

Les fondateurs de la mécanique quantique ne voulaient pas


admettre, ou suggérer que, au mépris de la théorie de la relati-
vité, l'information puisse réellement être transmise plus rapide-
ment que la lumière. Par conséquent, ils ont éludé le problème
en adhérant à la position pragmatique selon laquelle « la situa-
tion physique » représentée par l'état quantique ne serait pas
une représentation de la réalité physique elle-même ; elle serait,
en effet, plus proche de la connaissance humaine que de la réa-
lité des choses. N'étant pas non plus disposés à défendre l'idée
que l'état physique représenterait la limite de nos connaissances
- ce qui signifierait de se réfugier derrière un « idéalisme » jugé
contraire à la science -, les fondateurs adoptèrent la position
évasive selon laquelle l'état quantique ferait simplement partie
d'une procédure humaine pratique permettant de prévoir les
résultats empiriques à venir. Ainsi, personne ne se risqua à pré-
tendre que l'état quantique représenterait la « réalité » ; ni que
toute propriété de la nature elle-même serait « réelle» ! Tout
conflit direct avec l'interdiction d'Einstein - en matière de
transferts d'information «réels» plus rapides que la lumière -
fut ainsi évité.

Cette position officielle reste néanmoins un refuge situé à


mi-chemin de l'idéalisme. Car finalement, en dépit de cette
tentative d'échappatoire métaphysique relative au statut de la
réalité de l'état quantique, il y a toujours les prédictions empi-
riques elles-mêmes. Ces prévisions se rapportent directement
aux actions investigatrices visibles réalisées par des expérimen-
tateurs et aux comportements visibles des dispositifs de mesure leur
étant associés et dont de nombreux observateurs peuvent être
témoins conjointement. Ainsi, la question devient-elle : à partir
76 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

de prédictions empiriquement vérifiées, que peut-on directement


prouver à propos des comportements visibles de ces grands objets
physiques eux-mêmes, sans invoquer toute référence à n'importe
quelle substructure invisible hypothétique ? Les prévisions quan-
tiques portent, in fine, sur les comportements visibles de grands
systèmes, et non sur ceux d'atomes ou de molécules. Le genre de
preuve le plus logiquement satisfaisant doit reposer sur des prévi-
sions empiriquement validées de ces propriétés observables, sans
conditions additionnelles relatives à une substructure invisible
envisagée. Une telle preuve, qui se réfère aux seules propriétés
macroscopiques, est donnée dans l'Annexe 1. Celle-ci implique
l'existence de transferts d'information essentiellement instan-
tanés, et donc l'échec de la conception matérialiste (relativiste)
de la nature.

Carticle de 1935 : le paradoxe EPR

Einstein s'est basé sur l'absence supposée de toute réelle


« action fantôme à distance » pour tenter de prouver que la
physique quantique, sous sa forme actuelle, ne pouvait fournir
de description complète de la réalité physique. En 1935, il
coécrivit, en collaboration avec deux jeunes collègues, Boris
Podolsky et Nathan Rosen, l'un des articles scientifiques les
plus connus de tous les temps 1• Intitulé « La description quan-
tique de la réalité physique peut-elle être considérée comme
complète?», l'article est généralement identifié par le sigle EPR
de ses trois auteurs. Ceux-ci partent du principe que, en concor-
dance avec la théorie de la relativité, l'information ne peut être
transférée à une vitesse supérieure à celle de la lumière ; puis,
en se basant sur les prédictions de la physique quantique, ils
soutiennent ensuite que cette théorie ne peut fournir de des-
cription complète de la réalité physique. Cependant, les auteurs

1. Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen, « Can quantum


mechanical description of physical reality be considered complete ? », in
Physical Review 47, 1935, p. 777-780.
LA RÉALITÉ ET L'ACTION FANTÔME À DISTANCE 77

font remarquer qu'une théorie complète (et sans actions fan-


tômes) de la réalité physique reste possible.

La réponse de Bohr à l'article EPR

Les fondateurs auraient aisément pu répondre à cela en se


contentant de rappeler que la mécanique quantique ne prétend
pas décrire la réalité physique elle-même. Reste qu'une telle
réponse aurait soulevé bien des efforts de la part des scientifiques
aspirant à être davantage que des ingénieurs de haut niveau,
qui auraient alors tenté de trouver une théorie plus complète.
Einstein pensait que s'engager dans de tels efforts était exacte-
ment ce à quoi devraient s'appliquer les scientifiques s'intéres-
sant aux questions fondamentales, tandis que les fondateurs de
la mécanique quantique croyaient, à l'inverse, que tout scienti-
fique productif devrait s'en abstenir. Ainsi Niels Bohr, le père
fondateur de la mécanique quantique, a-t-il choisi de répondre à
l'article EPR en se concentrant sur la question - et le terrain oh
combien glissant - de savoir de quoi la réalité physique pourrait
être constituée.

Qu'est exactement «la réalité physique»? Tout argument


logique portant sur la « réalité physique » requiert de donner pré-
alablement un sens précis à ces mots. Mais les idées que nous
nous faisons de la réalité physique sont profondément influen-
cées par les expériences que nous faisons du monde nous envi-
ronnant, monde qui semble se conformer aux principes de la
physique classique. Ainsi, toute caractérisation de la réalité phy-
sique risque d'être contestée au motif qu'elle reposerait sur des
idées classiques intuitives étrangères aux préceptes quantiques, et
donc d'être taxée d'être préjudiciable: petitio principii.

L'article EPR fut ainsi élaboré non pas sur quelque notion
de « réalité physique » pouvant être taxée d'être obscure, non
scientifique, ou petitio principii. Il reposait, à la place, sur l 'exi-
gence - inscrite dans la théorie de la relativité d'Einstein - que
78 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

l'information ne puisse être transmise plus rapidement qu'à la


vitesse de la lumière. Cette exigence fut abordée à l'occasion de
leur fameux « critère EPR pour la réalité physique », qui affirme
que « Si, sans perturber en aucune façon un système donné, nous
pouvons prédire avec certitude (c'est-à-dire, avec une probabilité
égale à l'unité) la valeur d'une quantité physique, alors il existe
un élément de réalité physique correspondant à cette quantité ».
L'exigence « sans perturber en aucune façon » était remplie en
tenant compte des situations dans lesquelles la perturbation pos-
sible requerrait une action plus rapide que la lumière. Les auteurs
étaient alors apparemment en mesure de conclure qu'une cer-
taine paire de propriétés (qui étaient représentées par des opé-
rateurs non commutatifs) était à la fois physiquement réelle et
simultanément définissable, et ce, bien que les principes de la
physique quantique soient incapables d'inclure cette possibi-
lité. Ainsi la description de la réalité par la physique quantique
s'avérait-elle incomplète.

Bien entendu, une autre conclusion plus simple serait celle


d'affirmer que les actions plus rapides que la lumière peuvent
exister!

La majeure partie de l'argument de l'article EPR était de la


physique simple et ne prêtant pas à contestation. Néanmoins,
il dépendait d'un élément métaphysique, le critère EPR pour la
réalité physique, qui commence par les mots : « Si, sans perturber
en aucune façon un système donné ... ».

Bohr1 attaqua cet élément métaphysique d'une façon sub-


tile. Il dit : « Dans un cas tel que celui considéré, il n'est bien
entendu pas question d'une perturbation mécanique du système
à l'étude durant la dernière étape critique de la procédure de
mesure. Mais même à ce stade, il est fondamentalement ques-
tion d'une influence sur les conditions mêmes qui définissent les

1. Niels Bohr, « Can quantum mechanical description of physical reality


be considered complete? »,in Physical Review 48, 1935, 696-702.
LA RÉALITÉ ET L'ACTION FANTÔME À DISTANCE 79

types de mesures possibles à propos du comportement futur du sys-


tème. Puisque ces conditions constituent un élément inhérent à
la description de tout phénomène auquel on peut convenable-
ment rattacher le terme de « réalité physique », nous voyons que
l'argumentation des auteurs cités ne justifie pas leur conclusion
selon laquelle la description de la physique quantique serait fon-
damentalement incomplète. »

Bohr soutint ensuite que la physique quantique était complète


d'un point de vue pragmatique, ce qui, in fine, importe le plus à la
plupart des physiciens qui pourraient désormais, lorsque défiés à
propos de l'incapacité de la science à parler de la réalité physique,
se référer à la réponse qu'il donna à l'argument de l'article EPR
relatif à cette question.

Notons que l'argument EPR est basé sur l'hypothèse selon


laquelle, dans la réalité physique, l'information ne peut être trans-
férée plus vite qu'à la vitesse de la lumière; tandis que l'argument
de Bohr est basé sur l'idée pragmatique que notre compréhension
de la nature devrait être fondée non pas sur des idées - préjudi-
ciables - portant sur des choses que l'on imagine exister, mais sur
nos connaissances et sur les possibilités de connaissances à venir.
Donc le conflit se résume à la question de savoir quelles sont
réellement les fondations de la science : les concepts matérialistes
de la physique classique issus des travaux d'Isaac Newton ? Ou
notre connaissance basée sur l'observation, telle que proposée
par David Hume et d'autres empiristes? Cependant, en dépit de
ce désaccord fondamental, les deux protagonistes étaient d'ac-
cord à propos d'un point essentiel: il n'existerait aucun trans-
fert d'information réel plus rapide que la lumière. Mais cette
présomption est démentie dans le cas de la preuve donnée dans
l'Annexe 1. Cet échec strictement intrinsèque au domaine des
phénomènes visibles exclut la conception de la réalité physique
d'Einstein, mais est entièrement compatible avec la conception
psychophysique de la réalité qu'implique la formulation ortho-
doxe de Neumann, et interprétée comme une description de la
réalité. Nous n'avons pas besoin d'abandonner l'idée qu'une seule
80 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

théorie physique fondamentale et cohérente puisse répondre tout


à la fois aux conclusions de la physique atomique, au caractère
classique des apparences que prend notre monde à nos yeux et
aux actions fantômes à distance.

Le théorème de Bell et la nature de la réalité

Cette controverse avait désormais presque atteint le point


mort - les physiciens pratiquants se rangeant généralement à la
position pragmatique de Bohr -, lorsque John Bell écrivit un
article1 sur la notion de « variables cachées ». L'approche des
variables cachées de Bell ajouta aux hypothèses habituelles de
validité des prédictions de la mécanique quantique et de notion
de libre choix l'autre hypothèse selon laquelle, en accord avec
la position essentiellement matérialiste d'Einstein, il existerait
effectivement une substructure invisible sous-jacente permet-
tant d'expliquer nos observations, mais ne permettant pas de
transferts d'information plus rapides que la lumière ... Et c'est
ainsi que Bell démontra que la combinaison de ces hypothèses
conduisait à une contradiction logique !

Cette conclusion donna le coup de grâce à la vision du monde


d'Einstein dans la mesure où elle admettait désormais l'applica-
bilité du prérequis qu'était le libre choix, dont toutes les parties
avaient convenu qu'il devrait être applicable aux expériences en
question.

D'autre part, l'approche des variables cachées de Bell soulève


des questions sur les propriétés de localité de la physique quan-
tique elle-même, en requérant qu'elle soit également consistante
avec une idée classique qui n'est pas impliquée par les préceptes
quantiques. Ainsi les variables cachées de Bell ne prouvent-elles
pas que des influences plus-rapides-qu'à-la-vitesse-de-la-lumière

1. John S. Bell, « On the Einstein Podolsky Rosen paradox », in Physics,


1, 1964, p. 195-200.
LA RÉALITÉ ET L'ACTION FANTÔME À DISTANCE 81

soient exigées uniquement par la validité des prédictions macros-


copiques de la physique quantique, conjointement à la notion
de « libre choix » que Bohr, EPR et Bell avaient tous embrassée.
Cette limitation sévère, dans le champ d'application des théo-
rèmes du type de celui de Bell, est codée dans le mot « réa-
lité » ou « réalisme », qui est souvent utilisé, dans l'intitulé de
ces théorèmes, à la place du mot clé « variables cachées ». Cette
hypothèse des variables cachées introduit le prérequis d'une
similarité essentielle à la physique statistique classique en dépit
de la profonde différence existant entre la physique classique et
quantique.

En réfléchissant à ces questions, il est important de recon-


naître que la simple existence de corrélations entre les résultats de
deux régions éloignées l'une de l'autre n'implique pas, en soi, un
transfert d'information plus rapide que la lumière. Ces corréla-
tions peuvent être simplement générées par des transferts d'in-
formations corrélées à partir d'une origine commune passée. Par
exemple, le fait d'envoyer des paires de boules de billard corré-
lées, l'une noire, et l'autre blanche, dans les deux régions permet
à un observateur au courant de ce jumelage et voyant la boule
arriver dans sa propre région de « prédire avec certitude » la cou-
leur de la boule jumelée dans l'autre région. Cette capacité qu'a
un observateur dans une région de connaître instantanément
la couleur de la boule lointaine n'est pas une «action fantôme
à distance » du genre de celle à laquelle Einstein s'est opposé,
et dont l'argument de l'article EPR supposait qu'elle n'existait
pas. L'« action fantôme » qui est exclue est la présence, dans
une région, d'information à propos de laquelle un« libre choix»
de mesure serait opéré au même instant dans une région loin-
taine. Un transfert d'information instantané à propos duquel on
opère un libre choix au loin peut en effet être considéré comme
« fantomatique », voire impossible, dans un cadre matérialiste
relativiste. Ainsi, la preuve de l'existence de tels transferts dans
l'Annexe 1 renforce-t-elle le caractère inadapté des préceptes clas-
siques matérialistes, et étend-elle cet échec des idées classiques au
domaine macroscopique.
82 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

En physique quantique orthodoxe, les choix de la nature sont


« aléatoires », ce qui signifie que, dans une longue séquence de
« répétitions » dans le cadre de laquelle les conditions observables
sont essentiellement similaires, certaines valeurs moyennes vont
finir par émerger. Aucune condition ne stipule que chaque
résultat individuel dans une région soit indépendant de la
mesure que l'on choisit d'effectuer dans une région lointaine.
Cette condition de localité ne peut être maintenue, et sa viola-
tion entraîne l'existence de transferts d'information - relatifs à
nos libres choix - plus rapides que la lumière.
Chapitre 6

UNE RÉTROCAUSALITÉ ?

La physique quantique orthodoxe est basée sur l'idée qu'un


état de l'univers, lorsque décrit physiquement, existe à un ins-
tant donné sur l'ensemble de l'espace tridimensionnel, et pro-
gresse, événement après événement, en direction d'un avenir
indéterminé, laissant derrière lui une séquence fixe et arrêtée
d'états passés. Certains phénomènes associés à ces événements
semblent impliquer une rétrocausalité, bien qu'ils soient agencés
de manière à ne pas présenter d'action rétroactive réelle. Il est
instructif de voir comment cela se produit.

Des expériences de « choix retardé »

John Archibald Wheeler1 a décrit une expérience semblant


montrer que le libre choix qu'un expérimentateur opère à
propos de l'expérience qu'il décide de réaliser à un moment
donné peut affecter ce qui s'est passé plus tôt. Le point essen-
tiel de cette expérience peut être illustré par la version idéalisée
suivante.

Supposons que vous ayez une v1s1on ultrasensible et que


vous puissiez détecter des photons individuels projetés sur

1. John Archibald Wheeler, «The "past" and the "delayed-choice"


double-slit experiment >>, in A. R. Marlow (dir.), Mathematical Foundations of
Quantum Theory, New York, Academic Press, 1987, p. 9-48.
84 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

votre rétine. Imaginez ensuite que vous regardiez d'un œil un


écran percé de deux petits trous à travers lesquels passe, dans
votre direction, une lumière dont la fréquence est située dans
le spectre visible. La physique quantique stipule que si vous
concentrez votre regard sur l'écran, que la lumière est suffisam-
ment faible et que votre vision est assez sensible, vous verrez
alors les photons individuels passer - un à la fois - soit par un
trou soit par l'autre. Mais si vous concentrez votre regard sur
un emplacement se trouvant loin derrière l'écran, alors les pho-
tons passeront toujours un à la fois mais construiront un motif
d'interférence complexe dépendant de la distance existant entre
les deux trous, montrant ainsi que la lumière associée à chaque
photon individuel est, en quelque sorte, passée à travers les
deux trous. Ainsi ce qui se produit précédemment sur l'écran,
à savoir le fait de passer à travers les deux trous ou seulement
à travers l'un d'entre eux, semble dépendre du choix que vous
opérez ultérieurement à propos de la façon dont vous décidez de
concentrer votre œil.

La même expérience peut être réalisée avec des dispositifs


agissant si rapidement que le choix entre les deux distances
focales alternatives possibles puisse être opéré après que le photon
a traversé l'écran. Ainsi, il semblerait que, en un certain sens, le
photon passe exclusivement soit par une fente soit par l'autre,
mais pas par les deux ; ou sinon, qu'il passe par les deux à la fois
- en fonction du type d'observation choisi après que le photon a
déjà traversé l'écran.

Ce genre d'expérience est appelé une expérience «de choix


retardé » ; leur procédure a ensuite été améliorée par Scully et
ses collègues 1• Si les phénomènes observés se conforment certai-
nement aux prédictions de la théorie quantique, leur implication
causale requiert toutefois une explication additionnelle.

1. Yoon-Ho Kim, Rong Yu, Sergei P. Kulik, Yanhua Shih, et Marian O.


Scully, « Delayed "choice" quantum eraser », Physical Review. Letters, 84,
2000, p. 1-5.
UNE RÉTROCAUSALITÉ ? 85

Vapproche « bohmienne »

Louis de Broglie proposa une façon possible de comprendre


la physique quantique dès ses débuts. Celle-ci fut peu ou prou
abandonnée en raison de critiques formulées à son encontre par
Pauli, avant de ressusciter dans les années 1950, lorsque David
Bohm 1 décida de la reprendre et de la développer. Cette façon
de comprendre le succès de la physique quantique témoigne du
fait qu'il existe bel et bien un monde classique fait de minus-
cules particules, mais également un état quantique ondulatoire
de l'univers évoluant toujours en concordance avec l'équation de
Schrodinger, et ne se « réduisant » donc jamais lorsque associé à
un accroissement de « notre connaissance », tel que spécifié tout
à la fois par la version de Copenhague et par la version orthodoxe
de la physique quantique. Dans la physique quantique de Bohm,
l'onde a pour fonction de «guider» les particules, dont on sup-
pose qu'elles représentent les aspects de la nature contrôlant nos
expériences conscientes.

Dans ce modèle de la réalité « bohmien », les changements


de mise au point effectués par vos yeux influencent l'évolution
de l'onde quantique dans vos globes oculaires, et cette modifi-
cation de l'onde, qui passe à travers les deux trous, influe sur la
trajectoire du photon (particule de lumière) - qui ne passe que
par un trou - lorsqu'il atteint votre œil, qui est concentré d'une
manière ou de l'autre. Cette théorie explique bien le phénomène
de choix retardé sans invoquer toute notion de rétroaction ou de
rétrocausalité. L'écart, dans ce qui est observé, est dû à la façon
dont l'œil est focalisé sur la trajectoire du photon - l'effet causal
étant compris de façon classique.

Si cette approche explique bien les propriétés physiques - consi-


dérées comme des propriétés physiques autodéterminantes -, elle
n'en viole pas moins largement, toutefois, l'exigence classique

1. David Bohm, « A suggested interpretation of quantum theory in terms


ofhidden variables», Physical Review, 85, 1952, p. 166-179.
86 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

selon laquelle, dans l'espace ordinaire tridimensionnel, ces par-


ticules devraient essentiellement interagir par contact direct. Le
choix de l'expérience qu'un expérimentateur décide de réaliser
dans une région spatiale donnée peut avoir de grands effets sur
les résultats qui apparaîtront essentiellement au même moment
dans un laboratoire très éloigné de cette même région. Et, à
l'instar de la physique classique, la théorie ne dit rien au sujet de
nos esprits. Si la science est affaire d'accroissement de connais-
sance, alors la théorie est fondamentalement incomplète si elle
n'offre aucune explication rationnelle de la façon dont la descrip-
tion physique qu'elle propose peut être reliée à nos connaissances
évolutives décrites mentalement.

Bohm a lui-même abordé ce problème, et a été contraint de


remplacer sa théorie non locale très simple par une théorie très
complexe, dans laquelle le mystère de l'esprit est transposé en
mystère d'une tour infinie composée de systèmes d'observa-
tion, chacun observant ce qui se passe physiquement dans le
niveau juste au-dessous du sien. La simplicité et l'attractivité
de sa théorie quantique quasi classique originale furent perdues
lorsqu'il essaya d'y incorporer nos expériences humaines. Mais
intégrer ces expériences d'une manière tout à la fois relativement
simple et mathématiquement bien définie, voilà exactement ce à
quoi se résume la physique quantique.
Chapitre 7

PASSÉ RÉEL ET PASSÉ EFFECTIF

La physique quantique orthodoxe est basée sur un processus


d'avancée dans le temps. Ce processus engendre, d'une part, un
passé réel en constante expansion et dénué de toute révision, et de
l'autre, un passé effectiflors de chaque nouvelle réduction.

L'état quantique a entre autres pour propriété clé de spéci-


fier, pour chaque possibilité pouvant se produire par la suite, la
probabilité qu'une telle possibilité se produise effectivement. La
probabilité que ces événements possibles, imminents et spécifiés
aient lieu doit tenir compte de ce qui vient de se produire. Selon
l'interprétation que fait la physique quantique orthodoxe du pro-
cessus de réduction, ce qui vient de se produire a remplacé l'état
le précédant immédiatement par le nouvel état lui étant contem-
porain. La réduction qui vient de se produire fait que ce nouvel
état n'est pas le prolongement de l'état lui étant antérieur. Par
conséquent, en matière de prévisions futures, le passé réel, même
s'il a bel et bien existé et n'a jamais été révisé, ne fournit pas la
conception la plus pertinente qui soit du passé. La conception la
plus pertinente du passé est, conformément à la continuité des
lois du mouvement, celle d'une transformation progressive en
l'état quantique qui vient d'être créé. Cet état du passé, qui est
causalement pertinent, porte le nom de passé effectif Il est défini
en faisant évoluer l'état nouvellement créé de manière rétroac-
tive, via l'inverse del' équation de Schrôdinger. Le passé réel est
défini par la séquence d'événements de réduction qui se sont déjà
produits.
88 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Cet aspect important de la physique quantique est capté de


manière concise par une assertion formulée dans le livre The
Grand Design (Y a-t-il un grand architecte dans l'univers?), coé-
crit par Stephen Hawking et Leonard Mlodinow: «Nous créons
l'histoire par notre observation plutôt que l'histoire nous crée 1• »

D'après la physique quantique orthodoxe, ce sont effectivement


nos observations qui nous permettent de créer l'histoire qui sera per-
tinente pour notre avenir. En outre, l'effet qu'a l'observation actuelle
sur le passé effectif est global, c'est-à-dire non local: le« choix de la
nature », qui fixe ce qui vient juste de se produire ici, peut instanta-
nément changer la probabilité prévue pour un événement imminent
se produisant dans une région éloignée au même moment.

Les règles de la théorie quantique des champs relativiste garan-


tissent cependant que cet effet instantané ne puisse jamais être
utilisé pour envoyer un message contrôlé par l'expéditeur à une
vitesse plus rapide qu'à celle de la lumière. D'où le fait que l'exi-
gence d'Einstein soit en fait satisfaite : ce qui est transféré est de
l'information se rapportant au choix de la nature, que l'expéditeur
ne contrôle pas et non de «l'information contrôlée par l'expédi-
teur ». Nous devons ainsi prendre des précautions en opérant des
distinctions qui n'ont pas d'équivalent en mécanique classique.

Considérons maintenant l'expérience du choix retardé. Au


moment où l'impulsion lumineuse passe à travers les trous, l'onde
quantique représentant la lumière est divisée entre les deux trous.
Si, un moment plus tard, l'observateur voit le photon passer à
travers le trou de gauche, alors, selon les règles de la physique
quantique orthodoxe, cela signifie qu'une réduction globale
se produira : les parties de l'état quantique qui sont incompa-
tibles avec cette observation disparaîtront alors. Le nouvel état,

1. Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, The Grand Design, New


York, Bantam, 2010. Traduit de l'anglais par Marcel Filoche, Y a-t-il un
grand architecte dans l'univers?, Paris, Odile Jacob, 2011, p. 140.
PASSÉ RÉEL ET PASSÉ EFFECTIF 89

qui représente les possibilités d'expériences futures de tous les


observateurs, sera la continuation de la partie survivante de l'état
antérieur. Le passé effectif est donc la continuation du nouvel état
en régressant dans le temps, c'est-à-dire en utilisant l'équation de
Schrodinger en sens inverse. Comme Hawking et Mlodinow l'af-
firment, ce passé effectif est créé par nos observations. Toutes
les expériences futures de tout observateur seront conformes au
nouveau « fait empirique » - à savoir qu'un observateur a vu le
photon passer à travers le trou gauche.

Quelle est, ici, l'évolution de la situation? Pendant que l'im-


pulsion de lumière passait à travers l'écran, l'onde passait à travers
les deux trous. Ce fait est fixe et arrêté : il n'est jamais révoqué.
Mais si l'observateur pose la question« vois-je la lumière passer à
travers le trou gauche ? », et que la réponse que donne la nature
est « oui », alors l'état quantique se réduit à la partie qui est com-
patible avec l'expérience de l'observateur. Cet état se propage
alors vers le passé via l'équation de Schrôdinger agissant en sens
inverse, et sera représenté par l'onde lumineuse passant à travers
le trou gauche, et les effets de cette observation et de la réduction
de l'état seront intégrés dans toutes les expériences futures de
tout observateur. Tout cela est parfaitement saisi et représenté
dans les règles mathématiques de Neumann.

Cette façon orthodoxe de comprendre cette apparente rétro-


causalité ne se base strictement que sur l'évolution à venir de
l'état quantique. Elle permet d'expliquer cette apparente rétro-
causalité en utilisant les règles orthodoxes. Certaines de ces
règles conduisent à la production continue de mondes possibles
mutuellement incompatibles. Mais d'autres règles orthodoxes
régissent également les réductions de cet état quantique en évolu-
tion. Ces réductions suppriment systématiquement les branches,
ou ramifications, de cet état quantique qui ne sont désormais
plus pertinentes pour le futur. Ces ramifications ne sont plus
pertinentes pour le futur dans la mesure où elles incompatibles
avec des résultats issus de choix faits par la nature en réponses à
certaines expériences.
90 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Chacune des réductions produites par la nature - bien que


précipitées par l'action investigatrice d'un observateur localisé -
représente un événement global. Elles modifient instantanément
les aspects de 1' état quantique se rapportant aux observations qui
sont sur le point d'être faites dans des régions éloignées. Einstein
a donné à cet effet immédiat le nom d'« action fantôme à dis-
tance ». Il est incompatible avec les conditions postulées par sa
théorie de la relativité.

En prouvant que ces actions fantômes à distance sont des


conséquences inévitables de quelques-unes des prédictions véri-
fiées de la physique quantique se rapportant exclusivement à des
phénomènes macroscopiques visibles (sans introduire la moindre
condition relative à des entités microscopiques), on exclut la pos-
sibilité que le monde des phénomènes macroscopiques visibles
puisse être compris rationnellement comme étant construit à
partir de la matière telle qu'elle est conçue classiquement. Cette
conclusion exclut la possibilité que le monde macroscopique
quasi classique introduit par la version de la physique quantique
de Copenhague puisse passer de son statut purement pragma-
tique à celui d'une description de la réalité.

Cette analyse a une implication importante : elle exclut une


notion très répandue parmi les philosophes et les scientifiques
s'intéressant au lien entre matière et esprit, notion stipulant que
les effets quantiques ne concernent que les processus micros-
copiques, et que, en dehors de 1' introduction d'éléments aléa-
toires quantiques, le caractère quantique de la réalité disparaît
comme par magie au niveau des processus physiques macrosco-
piques visibles. Cette hypothèse de macroclassicisme fut vague-
ment suggérée par la philosophie quasi classique pragmatique
de Copenhague, mais est exclue par 1'existence nécessaire, au
niveau du monde visible, d'actions essentiellement instantanées
à distance.
Chapitre 8

LE CARACTÈRE
FONDAMENTALEMENT MENTAL
DELA NATURE

Tout ce que nous, êtres humains - aussi bien collectivement


qu'individuellement - savons réellement exister sont nos percep-
tions mentales humaines. Mais les observations astronomiques
font apparaître que les êtres humains sont arrivés relativement
récemment dans ce monde. Par conséquent, nous avons de
bonnes raisons de croire qu'en plus des expériences mentales
faites par les humains, il doit exister une réalité plus fonda-
mentale à laquelle nos aspects mentaux seraient intégrés, ou de
laquelle ils émergeraient. Ainsi pouvons-nous nous demander :
quelle est la nature ou le caractère de cette réalité plus durable ?

Que cette réalité plus durable ait la même nature fondamen-


tale que les réalités mentales qu'elle intègre constituerait une pos-
sibilité logique. Mais l'opinion dominante parmi les scientifiques
est celle selon laquelle la réalité sous-jacente de base ne serait
autre que la réalité physique postulée par la physique classique.
Les contraintes imposées par la théorie de la relativité d'Einstein
sur cette réalité physique impliquent que l'information relative
au libre choix opéré par un expérimentateur dans une région
d'espace-temps ne puisse être immédiatement présente dans
une région expérimentale éloignée de celle-ci. Dans toute expé-
rience que les agents sont libres de mettre en place, ce manque
d'information pertinente empêcherait alors le résultat dans l'une
92 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

ou l'autre des régions d'être fonction de l'expérience librement


choisie et réalisée au même moment par un expérimentateur
dans la région lointaine.

Cette condition de non-dépendance des résultats apparaissant


dans une région vis-à-vis du libre choix opéré essentiellement au
même moment par un expérimentateur dans une région loin-
taine constitue précisément le principe de localité énoncé dans
l'article EPR coécrit par Einstein et ses collègues. Leur argument
partait du principe que certaines prédictions élémentaires de la
physique quantique étaient valables. La validité empirique des
prédictions pertinentes de la physique quantique sur laquelle ils
se basent dans leur argument (ou dans un argument fondamen-
talement équivalent) fut étudiée expérimentalement en 1981
par Alain Aspect et son équipe, puis, par la suite, par beaucoup
d'autres scientifiques. Ces expériences confirment de manière
irréfutable la validité empirique des prédictions de la physique
quantique impliquées dans ces discussions.

Compte tenu de la validité de ces prévisions, l'argument


exposé dans l'Annexe 1 montre que ce principe de localité EPR
ne peut être universellement maintenu. Cette preuve entraîne
l'incohérence logique de toute théorie maintenant tout à la fois
la validité des prédictions de la physique quantique et celle d'un
principe de localité affirmant que l'information relative à un
libre choix localisé ne peut évoluer que dans le cône lumineux
émis depuis l'emplacement de ce choix.

L'expression clé « libre choix » insiste sur le fait qu'absolument


aucune condition n'est posée sur la façon dont l'expérimenta-
teur choisit laquelle des deux expériences alternatives possibles
il va réaliser : les prédictions pertinentes de la théorie quantique
dépendent de l'expérience possible que l'on choisira de réaliser, et
non de la façon dont ce choix est fait. Cet élément de liberté est
considéré permettre au choix de l'expérimentateur d'être traité
comme une« variable libre»: les effets découlant du choix d'un
expérimentateur sont nécessaires pour établir cette non-localité,
LE CARACTÈRE FONDAMENTALEMENT MENTAL... 93

mais la raison de ce choix est supposée être non pertinente pour


1'émergence des corrélations qui apparaissent dans les conditions
expérimentales choisies.

La science a pour impératif d'expliquer les connexions exis-


tant entre les différentes réalités connaissables. Ainsi, l'analyse se
focalise-t-elle in fine sur les situations empiriques possibles impli-
quant des observateurs humains, ainsi que sur la connaissance
qu'ils peuvent en retirer.

Notons que toute cette discussion ne porte que sur les pro-
priétés macroscopiques observables : il n'est fait aucune mention
de conditions potentiellement relatives à toute propriété micros-
copique. Bien que la physique quantique soit née d'une analyse
des systèmes atomiques, et bien que les procédures mathéma-
tiques utilisées pour calculer les prédictions quantiques se
réfèrent au monde microscopique, les considérations de ce livre
ne se réfèrent qu'aux seules relations pouvant exister entre les dif-
férentes structures macroscopiques observables. Les prédictions
de la physique quantique ne portent que sur ce qui sera observé
sous certaines conditions définies au travers des expériences
faites par des observateurs.

Cette absence totale de condition au niveau microscopique,


au sein de la preuve de la nécessité de transferts instantanés d'in-
formation à longue distance est fatale aux théories, ou aux posi-
tions philosophiques prétendant que la physique quantique ne se
rapporterait qu'aux seules propriétés microscopiques, et donc que
les principes de la physique classique relativiste fonctionneraient
très bien dans le domaine des grandes propriétés visibles. La pré-
sente preuve de l'existence de la non-localité réfute directement
cette assertion.

Ceci fut la base de l'idée simplificatrice selon laquelle la


physique quantique n'aurait que peu, sinon rien à voir avec les
grandes questions portant sur la nature fondamentale du monde
et de nous, êtres humains ; et donc que les effets quantiques
94 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

pouvaient être relégués aux spécialistes s'intéressant au monde


atomique, tandis que les penseurs s'intéressant aux grandes ques-
tions pouvaient limiter leur pensée - en dehors de l'intrusion
des éléments quantiques de hasard - au simple domaine de la
physique classique, dans laquelle l'esprit ne pénètre que sous les
traits d'un effet secondaire gênant, mystérieux et causalement
non pertinent « dont on ne traitera qu'ultérieurement ». La non-
localité macroscopique qu'implique la physique quantique rend
obsolète une telle position.
Les physiciens quantiques ont eux-mêmes imaginé un grand
nombre de façons de composer avec le caractère non local de
la nature. Mais la plupart de ces efforts ont suivi le chemin de
la physique classique, dans le sens qu'ils ne traitaient que des
aspects physiques, violant ainsi l'impératif scientifique qu'est
celui de relier les éléments descriptibles physiquement d'une
manière cohérente et testable aux réalités mentales connaissables.

Je crois que la seule théorie de la réalité existante qui réponde


de manière adéquate à cet impératif scientifique est la physique
quantique orthodoxe de Neumann, telle qu'interprétée de façon
réaliste. Cette théorie implique un lien causal connectant les
aspects physiques aux aspects psychologiques. Cette réalité ne
semble pas, de prime abord, présenter un caractère particuliè-
rement spirituel puisqu'elle repose fortement sur l'évolution de
l'état quantique de l'univers défini physiquement. Toutefois, cet
état quantique en constante évolution ne se comporte pas comme un
état tel que la mécanique classique le décrit physiquement. Il se com-
porte plutôt comme « la connaissance », et comme la potentialité de
nouvelles connaissances : car dès que nos connaissances s'accroissent à
propos d'un système investigué, l'état quantique de ce système prend
alors brusquement une nouvelle forme, forme compatible avec les
nouvelles connaissances. Mais il s'agit là de la façon dont les idées
se comportent, et non de celle des états de la mécanique classique
décrits physiquement. Ces états sont censés être fondamentalement
indépendants de la connaissance que nous avons à leur sujet.
LE CARACTÈRE FONDAMENTALEMENT MENTAL... 95

Mais, en dehors de 1' état quantique, la description ortho-


doxe comporte également deux autres éléments. Le premier est
le processus 1 de Neumann: le libre choix opéré par un agent
humain, comme évoqué précédemment. Le second est le choix
de la nature. Dans le chapitre 1, nous avons exposé l'idée selon
laquelle le libre choix de l'agent humain procéderait du domaine
mental. D'après les règles quantiques, ce libre choix précède
logiquement la description physique de la réponse donnée à ce
choix. Ainsi, selon la physique quantique orthodoxe, l'aspect
mental n'est-il aucunement un témoin passif des événements
physiques - comme c'est le cas en physique classique. Il est plutôt
l'initiateur d'une action intentionnelle qui influence certaines
propriétés physiques. De fait, le flux causal de cette partie du
processus de création de réalité est-il un flux allant du mental
au physique. Par ailleurs, les réponses données par la nature
à ces actions investigatrices fondées sur l'esprit se conforment
aux conditions statistiques spécifiées conjointement par le libre
choix de l'agent et par l'état quantique décrit physiquement qui
existait juste avant que l'agent n'opère son choix. Ainsi, la ques-
tion de la direction du flux causal s'avère-t-elle plus complexe en
mécanique quantique orthodoxe qu'en mécanique classique. La
théorie classique exclut l'esprit de la description causale. L'esprit
y est donc considéré - par défaut - comme déterminé par la réa-
lité physique causalement autosuffisante, ou comme en en étant
une reformulation. Tandis qu'en physique quantique, l'esprit est
l'initiateur d'une réponse psychophysique.

La physique quantique orthodoxe alloue donc un statut


mental aux choix opérés par les agents, mais également, comme
exposé ci-dessus, aux états quantiques évolutifs. Les autres élé-
ments de la dynamique orthodoxe sont les choix opérés par la
nature. Ces choix sont « statistiquement » déterminés par l' équa-
tion de Schrodinger. Mais chacun des choix individuels de la
nature n'est pas déterminé par les lois connues del' état physique :
ceux-ci semblent intégrer quelque chose qui serait au-delà, ou en
dehors de l'état physique tel qu'il est représenté dans la théorie.
En outre, la propriété de non-localité de la dynamique quantique
96 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

orthodoxe implique que le choix de la nature à propos du résultat


qui apparaîtra dans une région doit parfois dépendre du libre
choix qui est opéré par un agent essentiellement au même ins-
tant dans une région lointaine. Ainsi la « nature », au moment
d'opérer son choix à propos de ce qui doit se produire dans une
région donnée, doit-elle posséder des informations à propos du
« libre choix » mental qui est opéré par un agent dans une région
lointaine. Ces deux propriétés liées aux choix de la nature - de
ne pas être déterminés par les lois de la physique quantique, et
que la nature soit capable d'accéder à des informations générées
dans des régions lointaines - laissent à penser que la « nature »,
qui joue un rôle clé en physique quantique, ne serait pas fonda-
mentalement physique ou matérielle, car si c'était le cas elle ne
pourrait pas communiquer des informations de manière instan-
tanée. Si l'on doit choisir entre esprit et matière, il semblerait
alors que la nature soit plus logiquement concevable comme une
réalité globale de type mentale, présente partout simultanément
et apparemment armée d'un générateur d'événements aléatoires.

Cette façon d'appréhender la contribution de la nature à la


dynamique générale affecterait alors aux trois éléments de la
théorie orthodoxe un caractère fondamentalement non phy-
sique - et donc mental. Si, en accord avec les deux positions
respectives d'Isaac Newton et d'Albert Einstein, les transferts
instantanés d'information causalement efficaces ne peuvent être
réalisés via des réalités physiques, nous sommes alors amenés à
conclure que, si l'on doit opter entre « physique » et « mentale »,
la « nature » qui apparaît au sein de la physique quantique de
Copenhague et de la physique quantique orthodoxe doit alors
plutôt présenter un caractère mental. Ainsi, tous les éléments de
la réalité psychophysique - dynamiquement intégrés et éprouvés
sur le plan empirique - décrits par la physique quantique ortho-
doxe ont-ils un caractère fondamentalement mental, ce qui
implique que nous faisons face à une réalité fondamentalement
moniste qui exclut d'avoir à comprendre rationnellement la
connexion pouvant exister entre deux parties de nature diffé-
rentes. Diverses propriétés de cette conception scientifique de la
LE CARACTÈRE FONDAMENTALEMENT MENTAL... 97

réalité psychophysique (le fait que les libres choix des agents aient
pour caractéristique de se produire de haut en bas plutôt que de
bas en haut, les sauts abrupts de la connaissance et les actions
instantanées à distance) - propriétés qui sont en contradiction
avec l'idée que la réalité sous-jacente serait composée de choses
physiques du genre de celles que la mécanique classique ima-
gine exister - concordent toutes avec une conception de la réalité
basée sur l'esprit.

Toute cette discussion n'a été menée strictement qu'au niveau


des phénomènes observables: n'ont été introduites ou invoquées
aucune hypothèse ou condition se rapportant au monde micros-
copique, à l'invisible, ou aux propriétés à l'échelle atomique. Les
prédictions de la physique quantique ont été introduites, logique-
ment, comme des « données » empiriques, sans toutefois se référer
ou être dépendantes du monde microscopique. Par conséquent,
nous pouvons conclure que l'existence de certaines des régularités
- qui sont prédites et observées par la physique quantique - des
phénomènes visibles macroscopiques est incompatible avec l'idée
que la réalité durable qui soutient ces phénomènes soit composée
du genre de choses que la physique classique suppose exister.

Cette conclusion - qu'une réalité conforme aux lois et pré-


dictions de la dynamique quantique doit fondamentalement
posséder le caractère de l'esprit - est loin d'être nouvelle. Elle a
été explicitement énoncée par de nombreux auteurs, comme le
montrent clairement les quelques citations assemblées ci-dessous.
Cependant, l'argument doit être actualisé à la lumière des progrès
réalisés durant ce dernier demi-siècle et de l'amélioration de notre
compréhension de ces questions. L'argument plaidant en faveur
d'un substrat mental global est en effet aujourd'hui beaucoup
plus fort qu'il ne l'était lorsque les passages suivants ont été écrits.

«Je considère la conscience comme fondamentale. Je consi-


dère la matière comme dérivée de la conscience » (Planck cité
dans L'Observateur, le 25 janvier 1931).
98 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

L'univers est de la nature d'une pensée ou d'une sensation


«
dans un Esprit universel. »
« Pour conclure dans les grandes lignes - les choses du monde
sont des choses de l'esprit. »
« Il est difficile pour le physicien terre à terre d'accepter l'idée
que le substrat de toute chose ait un caractère mental. Mais per-
sonne ne peut nier que l'esprit vienne en premier et soit la chose
la plus directe de et dans notre expérience, et que tout le reste
ne soit que de vagues inférences - inférence soit intuitive, soit
délibérée»
(A. S. Eddington, La Nature du monde physique, 1928, cha-
pitre 13).

En 1961, Erwin Schrôdinger écrivait:


« [••• ] Il est naturel à l'homme simple d'aujourd'hui de penser
que la relation dualiste entre l'esprit et la matière soit une idée
très évidente. [... ] Mais un examen plus attentif devrait nous
rendre plus réticents à admettre cette interaction d'événements
dans deux sphères disparates - s'il s'agit réellement de sphères
différentes ; car la [...] détermination causale de la matière par
l'esprit [...] devrait nécessairement perturber l'autonomie des
événements matériels, tandis que [... ] l'influence causale qu'ont,
sur l'esprit, certains corps, ou leur équivalent, comme la lumière
[... ] nous est absolument incompréhensible ; en bref, nous ne
parvenons tout simplement pas à percevoir comment des évé-
nements matériels peuvent être transformés en sensations ou
pensées, bien que de nombreux manuels, au mépris d'Emil du
Bois-Reymond1, racontent des bêtises à ce sujet.
Ces lacunes ne peuvent être que difficilement évitées - à
moins toutefois d'abandonner le dualisme. Capitulation qui a été
proposée assez souvent, mais étrangement, la plupart du temps
sur une base matérialiste. [... ] Reste que je suis frappé par le fait
que [... ] l'abandon de la notion de monde extérieur réel, aussi

1. Emil du Bois-Reymond (1818-1896) est un neuroscientifique alle-


mand ayant affirmé que la science ne pourrait jamais expliquer l'origine du
libre arbitre (note de l'éditeur).
LE CARACTÈRE FONDAMENTALEMENT MENTAL... 99

étrangère puisse-t-elle paraître à la pensée quotidienne, est abso-


lument essentiel.
[... ] Si nous décidons de n'avoir qu'un monde, celui-ci doit
alors être le monde psychique puisqu'il existe quoi qu'il en soit
(cogiter, c'est être). Et le fait de conjecturer qu'il existe une inte-
raction entre les deux sphères suppose l'existence de quelque
chose qui est de l'ordre du fantomatique et du magique »
(Erwin Schrôdinger, My View of the World, Cambridge
University Press, p. 61-63).

Einstein arrive à peu près à la même conclusion (celle selon


laquelle le caractère mental de la réalité serait implicite dans la
théorie quantique standard) lorsqu'il se plaint ainsi : « Ce que je
déteste à propos de ce genre d'argumentation, c'est l'attitude posi-
tiviste de base qui, selon moi, est indéfendable, et qui me semble
arriver au même résultat qu'au esse estpercipi [être, c'est être perçu] de
Berkeley» (Albert Einstein, Philosopher-Physicist, Schilpp, p. 669).

Einstein dit aussi : « Ce qui ne me satisfait pas, dans la posi-


tion de ce principe, c'est l'attitude qu'il affiche envers ce qui me
semble être le but programmé de toute la physique : la descrip-
tion complète de toute situation (individuelle) réelle (qui exis-
terait prétendument en dehors de tout acte d'observation ou de
preuve) » (ibid., p. 667).

Reste que nos observations constituent la base de toute


science, et qu'Einstein n'est jamais parvenu à intégrer les phé-
nomènes quantiques à sa vision de la nature, qui était de type
classique. Lorsque les effets - absolument inévitables - liés à la
notion de « plus-vite-qu'à-la-vitesse-de-la-lumière » sont indus
dans ce qui doit être expliqué, l'ontologie physicaliste préconisée
par Einstein s'effondre, et l'on est invité à examiner la conception
cohérente qu'est celle de l'existence d'une réalité psychophysique
- telle que proposée par la physique quantique orthodoxe - qui
serait naturellement partie intégrante d'une réalité globale dont
le caractère serait fondamentalement mental.
Chapitre 9

RÉPONSES
À DES QUESTIONS RELATIVES
À L'ESPRIT ET À LA MATIÈRE

Les chapitres précédents ont conduit à une vision scientifique


de la réalité qui se démarque profondément de la conception
newtonienne représentée par la physique classique. Le point de
vue classique est cependant toujours utilisé par la plupart des
philosophes, des psychologues et des neuroscientifiques contem-
porains travaillant sur le problème de la connexion entre l'esprit
et le cerveau. Je vais ici commenter cette situation en donnant de
brèves réponses à cinq questions que l'on m'a posées lors d'une
réunion s'étant tenue il y a quelque temps.

La première question est : Pourquoi introduire l'esprit dans


la dynamique en tant que variable indépendante plutôt que de
consentir que toutes les propriétés mentales soient déterminées
par les propriétés physiques - comme en physique classique ?

Durant les premières décennies du xxe siècle, de nombreux


scientifiques ont concentré leurs efforts en vue de comprendre
les données empiriques relatives à la structure de systèmes ato-
miques très simples, comme l'atome d'hydrogène constitué de
deux particules. Certains de ces scientifiques, convaincus du
fait que les préceptes de la mécanique classique devaient échouer
à cette échelle atomique, pensèrent alors qu'une nouvelle fon-
dation s'avérait nécessaire. Il existait, à cette époque, plusieurs
102 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

positions philosophiques s'articulant autour de la certitude de


l'importance des données empiriques, par opposition à l'incer-
titude relative des idées théoriques inventées dans le but d'expli-
quer ces données. Wolfgang Pauli avait pour parrain l'éminent
scientifique et philosophe Ernst Mach, qui soulignait l'impor-
tance des données sensorielles dans la construction et la formu-
lation de nos connaissances. William James avait mis l'accent sur
l'utilité de nos idées dans nos vies et avait fait de cette idée une
unité de mesure de leur valeur. Enfin, des philosophes empiristes
tels que David Hume avaient contesté l'hypothèse théorique de
la causalité physique des événements mentaux.

Ces considérations laissaient à penser que le fondement appro-


prié de la science était à chercher non pas du côté des atomes
de Démocrite et de Newton, mais plutôt de celui des réalités
expérientielles que nous savons exister. Ce changement fonda-
mental conduisit à une nouvelle théorie empiriquement véri-
fiable, pratique et cohérente. Celle-ci permet d'expliquer de
manière unifiée les données se rapportant aussi bien aux étoiles
visibles qu'aux atomes invisibles. Mais elle est également basée
sur certaines règles reliant nos esprits à nos cerveaux. Ces règles
sont la base de la physique quantique orthodoxe exposée dans ce
livre. En fin de compte, cette théorie requiert de remplacer l'idée
physicaliste selon laquelle « tout est physique » par la reconnais-
sance du fait que le physique se comporte comme s'il possédait
un caractère mental - et non matériel.

La deuxième question est: n'est-il pas vrai que l'interaction


entre les systèmes observés et le milieu environnant serait à l'ori-
gine de l'émergence des apparences classiques du monde, et par
conséquent éliminerait la nécessité du processus additionnel que
la physique quantique orthodoxe et celle de Copenhague intro-
duisent via la réduction quantique ?

La réponse est « non» ! L'interaction avec l'environnement


laisse l'état quantique sous la forme d'un étalement continu de
possibilités, chacune d'entre elles ayant une probabilité nulle
RÉPONSES À DES QUESTIONS RELATIVES... 103

d'être actualisée ; elle ne laisse aucun rôle ou place à la conscience


ni ne fournit de moyen pouvant permettre à nos intentions men-
tales d'influencer notre avenir. En bref, l'interaction avec l'en-
vironnement n'atteint pas, en elle-même, l'objectif principal de
la physique quantique orthodoxe, qui est celui d'élaborer une
compréhension cohérente - tant d'un point de vue logique que
mathématique - de nos expériences conscientes. La physique
quantique orthodoxe et celle de Copenhague traitent toutes
deux ce processus via l'introduction des questions investiga-
trices du processus 1 et les réponses de la nature génératrices de
réductions.

La troisième question est : Comment expliquez-vous les résul-


tats des expériences de Benjamin Libet et d'autres, qui montrent
que le « potentiel de préparation motrice » - une onde céré-
brale spécifique - précède le choix a priori libre fait par un sujet
conscient de mouvoir son doigt ? Ces résultats ont été utilisés
par plusieurs auteurs afin d'étayer l'idée que l'expérience consis-
tant à provoquer volontairement l'acte physique ne serait pas la
cause de cette action physique, mais une conséquence de l'activité
cérébrale occasionnant le mouvement du doigt. Cette conclusion
plaiderait en faveur de la dynamique cérébrale défendue par les
théories de type classique.

Lorsqu'une personne décide d'effectuer une action envisagée,


il existe alors nécessairement une représentation cérébrale de
cette action envisagée. Dans les expériences de Libet, le sujet est
invité à effectuer une tâche motrice simple (par exemple, lever
un doigt) à un moment ultérieur (implicitement compris comme
étant un moment indéterminé durant les 20 ou 30 secondes sui-
vantes). Selon la théorie quantique orthodoxe, cette instruction
enclenche une activité cérébrale destinée à élaborer des « modèles
d'action» potentiels pour diverses actions alternatives possibles
répondant aux conditions spécifiées. La phase initiale de chaque
« potentiel de préparation » alternatif possible est ici une consé-
quence de l'activité cérébrale liée à l'élaboration d'un tel modèle
104 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

d'action, qui inclue également une évaluation des conséquences


expérientielles attendues en commençant cette action.

William James a souligné le fait que toute action envisagée


ne se réalisait pas tant qu'un « acte de consentement » n'était pas
engagé. Dans la théorie quantique orthodoxe, le processus de
consentement - c'est-à-dire ce qui permet à l'action envisagée de
s'inscrire dans la réalité collective expérimentée - est initié par
une action investigatrice du « processus 1 », qui, comme nous
l'avons déjà explicité, n'est pas entièrement déterminée par les
lois de la physique. Une donnée issue d'une autre source s'avère
ainsi nécessaire pour déclencher un modèle d'action préalable-
ment élaboré.

Benjamen Libet associait - à tort, selon cette vision quan-


tique - l'essor du potentiel de préparation à la décision d'agir.
Puis, pour venir au secours du « libre arbitre », Libet fut
conduit à défendre l'existence d'un «veto », une décision ulté-
rieure que prendrait l'observateur et qui aurait supposément
le pouvoir d'annuler la décision d'agir initiale. Mais, selon le
modèle quantique, la première partie de cet essor n'est qu'un
accessoire du processus d'élaboration d'un modèle d'action
qui ne sera désigné que plus tard, en vertu d'un acte mental,
parmi les nombreux modèles potentiels élaborés en parallèle
via l'évolution de l'état quantique du cerveau (qui est contrôlée
par l'équation de Schrodinger) du sujet expérimental. Comme
expliqué dans le chapitre portant sur l'apparente rétroactivité,
le seul de ces nombreux processus de construction parallèles
qui laissera une trace sera celui menant au modèle que la nature
aura sélectionné comme devant être actualisé. Cela explique le
fait que l'essor du potentiel de préparation ait lieu avant le libre
choix du sujet, qui lui, produit effectivement - sous réserve de
la réponse positive de la nature - l'action physique qui se réalise
réellement.

La quatrième question est : Puisque, dans votre vision quan-


tique de la réalité, l'esprit possède un rôle fondamental, comment
RÉPONSES À DES QUESTIONS RELATIVES... 105

distinguez-vous alors ces visions de celles des idéalistes occiden-


taux tels que Berkeley, et de celles des philosophies orientales
fondées sur les enseignements bouddhistes et hindous ?

Toutes ces visions découlent de la position empirique selon


laquelle notre vision de la réalité devrait être basée sur la struc-
ture des réalités que nous connaissons, à savoir nos flux d'ex-
périences conscientes. Dans la mesure où ces différents points
de vue partent tous d'une fondation mentale, et essayent de
produire un récit qui soit rationnellement cohérent, il n'est pas
surprenant que tous arrivent à une conclusion commune : les
apparences physiques résultent d'un processus mental. Mais le
message central de ce livre est que cette même conclusion se
retrouve également au sein de la science occidentale contempo-
raine, celle-ci se basant, dans ce contexte précis, sur une analyse
des caractéristiques de la physique quantique orthodoxe qui sont
considérées comme les conditions d'une réalité sous-jacente. Le
fait est que, durant deux cents ans, la conception prédominante
de la vision scientifique de la réalité était étroitement liée aux
préceptes newtoniens, eux-mêmes intégrés dans les principes
de la physique classique. La science fondamentale était effecti-
vement basée sur la primauté du physique sur le mental. Mais
l'élévation du statut del 'empirisme, et de « notre connaissance »,
instituée par la physique quantique, associée à l'échec connu de
la mécanique classique, ont brisé la servitude de la science fon-
damentale à l'égard de l'héritage astronomique d'Isaac Newton.
Désormais libérés de cette contrainte, un examen de la structure
logique de la physique quantique orthodoxe révèle - strictement
eu égard à cette compréhension scientifique de la réalité - la
primauté du mental.

La cinquième question est : Si l'esprit est un aspect important


de la réalité, qu'avez-vous alors à dire à propos del' état du monde
avant l'apparition de la vie ?

Cette question relative à l'état de l'univers avant l'apparition


de la vie nous plonge dans le domaine de la cosmologie. Et le
106 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

« principe anthropique » en constitue l'une des questions les plus


importantes. Il représente la reconnaissance du fait que plu-
sieurs paramètres physiques apparemment arbitraires tels que les
charges et les masses des particules physiques, mais également les
valeurs des forces électriques et gravitationnelles, devaient être
très proches de leurs valeurs observées pour que l'univers évolue
d'une façon rendant la vie possible.

L'explication scientifique usuelle que l'on donne, de nos jours,


du principe anthropique, c'est qu'un très grand nombre d'uni-
vers sont créés, possédant chacun des valeurs variables de ces
paramètres, et que, par pur hasard, certains d'entre eux ont les
bonnes valeurs pour créer et maintenir la vie, et que nous devons,
bien entendu, nous trouver dans l'un d'eux.

D'un point de vue biologique, ce scénario semble extrêmement


gaspilleur. Mais la biologie est caractérisée par une extravagante
profusion de possibilités dont seule une infime fraction produira,
in fine, la vie. Ainsi, l'absence d'économie ne représente-t-elle pas
un problème fatal.

Afin d'être concis et clair, je me suis concentré, dans ce livre,


sur la structure de la théorie orthodoxe, et me suis abstenu de
décrire ou de m'attarder sur les carences des différentes propo-
sitions alternatives dont l'objectif est de comprendre la réalité
sous-jacente qui a été mise en lumière au cours de ces dernières
années, et qui reposent essentiellement sur les propriétés phy-
siques plutôt que sur la conscience et la connaissance. Mais les
alternatives sont toutes confrontées à l'énigme suivante : com-
ment une conscience dynamiquement inutile peut-elle naître
d'un monde qui n'a aucune place conceptuelle naturelle à lui
accorder, et ne possède aucune raison apparente de justifier son
existence? Comme William James le dit: «Il est tout simple-
ment inconcevable que la conscience n'ait rien à voir avec une
activité à laquelle elle assiste avec tant de fidélité 1• »

1. Princip/es ofPsychology, volume 1, p. 136


RÉPONSES À DES QUESTIONS RELATIVES... 107

Les formulations de la physique quantique de Copenhague


et de Neumann intègrent un élément important : le choix de
la nature. Ces théories tendent néanmoins à sévèrement cir-
conscrire son rôle. Bien qu'il s'agisse d'une structure globale, ou
cosmique capable de connecter instantanément des événements
éloignés l'un de l'autre (voir Annexe 1), son rôle au sein de la
physique quantique reste extrêmement limité. Mais puisqu'elle
est attentive à nos questions et à nos efforts, je pense qu'il est
raisonnable de supposer que cette «Nature» fut impliquée, au
départ, dans notre venue au monde. Reste que la théorie quan-
tique actuelle nous considère tels que nous existons actuellement
et d'après la manière dont nous influençons notre avenir, et non
à partir du passé constamment révisé, qui ne garde que le fil
conducteur limité de ce qui s'est réellement produit et aucune des
potentialités que la nature a exclues.
Chapitre 10

CONCLUSIONS

L'effet conjugué des efforts intenses réalisés durant le xxe siècle


pour adapter la théorie physique aux nouveaux résultats empi-
riques fut celui d'inverser ce que l'on croyait être la primauté
causale des propriétés physiques sur les réalités mentales. Nos
aspects mentaux conscients ont été privilégiés au sein des formu-
lations de la physique quantique de Copenhague et orthodoxe :
de sous-produits causalement inertes de processus physiques du
cerveau, ils sont devenus des participants actifs au déroulement
d'une réalité psychophysique dynamiquement intégrée.

Les « grands » problèmes que sont : la connexion entre l'esprit


et le cerveau, le libre arbitre, l'action à distance plus rapide que la
vitesse de la lumière, l'apparente rétrocausalité, et le fondement
rationnel de la morale et de la compassion, ont été ici abordés
dans le cadre de la conception de la réalité énoncée par la physique
quantique orthodoxe. Cette théorie codifie et est directement
construite à partir des règles computationnelles empiriquement
validées de la physique quantique. Elle inclut tous les succès de
la théorie physique qui la précèdent - à savoir la mécanique clas-
sique - tout en éliminant ses principaux passifs, ceux-ci compre-
nant : (1) son incompatibilité avec les conclusions de la physique
atomique ; (2) son incompatibilité avec les aspects de la nature
qui sont plus rapides que la vitesse de la lumière - révélés dans
l'Annexe 1 ; et (3) son incompatibilité avec une croyance qui
s'avère essentielle à la réussite de nos vies, à savoir être convaincus
du fait que la façon dont nous agissons physiquement n'est pas
110 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

complètement déterminée dès avant notre naissance par les lois


physiques. La théorie quantique orthodoxe explique comment
nos intentions mentales peuvent, en soi, avoir tendance à adapter
nos actions physiques et notre futur à nos valeurs ressenties.

La physique quantique orthodoxe révoque donc l'idée classique


selon laquelle nous ne serions que des rouages mécaniques dans
un univers au mouvement d'horlogerie; que nous n'aurions pas
la capacité, via nos efforts mentaux, ni de subvenir à notre survie
ni de faire progresser nos valeurs, ou bien encore d'optimiser le
monde pour d'autres. Cette image classique pernicieuse des êtres
humains, qui domine de bien des manières institutionnalisées
la société dans laquelle nous vivons, a été transformée, grâce à
une avancée profonde de la science, en une image quantique de
nous-mêmes et de notre place au sein du cosmos, qui fournit une
fondation scientifique cohérente pour des vies humaines auréo-
lées de buts et de sens.
ANNEXEI

La preuve selon laquelle l'information


doit être transférée à une vitesse plus rapide
que celle de la lumière

Dans Quantum Theory, son livre de 1951, David Bohm décrit


une expérience bien plus concrète que celle étudiée par Einstein,
Podolsky et Rosen. Cette expérience, associée à une autre relati-
vement semblable impliquant cette fois des photons (quanta de
lumière) plutôt que des particules de spin-1/2, constitua la base
de la plupart des travaux expérimentaux et théoriques qui lui
succédèrent autour de la question «d'une influence s'exerçant à
une vitesse plus rapide que celle de la lumière ». Je vais ici uti-
liser l'expérience citée dans le livre de Bohm dans le cadre de la
preuve de la nécessité, dans le monde physique réel, de transferts
d'information plus rapides qu'à la vitesse de la lumière.
Mais avant cela, je vais tout d'abord examiner une expérience
classique analogue en vue de clarifier la logique de la situation.
Supposons qu'un expérimentateur situé dans une certaine région
de l'espace-temps S (la source) possède une grosse boîte conte-
nant de petits objets. Chacun de ceux-ci serait soit un cube soit
une sphère, et serait soit noir soit blanc. Supposons ensuite qu'il
les regroupe par paires de sorte que chaque paire soit composée
d'un cube et d'une sphère, et d'un objet noir et d'un objet blanc.
Supposons maintenant qu'il prenne une de ces paires à la fois,
et qu'il lance l'un des objets de la paire en direction d'un labora-
toire lointain D, situé sur sa droite, et l'autre objet de cette paire,
en direction d'un laboratoire lointain G, situé sur sa gauche.
112 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Supposons ensuite que les expenmentateurs des deux labora-


toires D et G connaissent le jumelage effectué en S - chaque
paire contenant un objet noir et un objet blanc, et un cube et une
sphère. Supposons, par ailleurs, que chacun de ces deux expéri-
mentateurs puisse librement choisir d'observer la couleur, noire
ou blanche, ou la forme, cube ou sphère, de l'objet arrivant dans
son laboratoire, mais ne puisse pas en mesurer à la fois la cou-
leur et la forme. Cependant, fort de sa connaissance du jumelage
initial de chaque paire, l'expérimentateur de chaque laboratoire,
D et G, peut immédiatement savoir que, s'il choisit de mesurer
la couleur, alors, après avoir pris connaissance de la couleur de
l'objet arrivant dans son laboratoire, il sera en mesure de pré-
dire avec certitude la couleur de l'objet de la même paire qui
est arrivé dans l'autre laboratoire: s'il trouve la couleur« noire»
- et que les expériences se déroulent comme prévu -, il sait que
l'autre expérimentateur dans sa région lointaine trouvera la cou-
leur « blanche », etc. Bien que l'expérimentateur puisse prédire ce
qui sera trouvé dans une région lointaine au même instant grâce
à l'observation qu'il fait lui-même dans son propre laboratoire, il
n'existe cependant aucune suggestion de transfert d'information
plus rapide qu'à la vitesse de la lumière (PRVDLL) : il ne s'agit
que d'un simple cas de corrélations d'événements dont les parties
communes possèdent une cause conjointe.
Une chose s'avère toutefois claire, dans ce cas classique : le
résultat de la mesure effectuée en G ne dépend pas de la pro-
priété, couleur ou forme que l'expérimentateur en D décide
d'observer essentiellement au même moment; tout comme le
résultat de la mesure effectuée en D ne dépend pas de la pro-
priété, couleur ou forme que l'expérimentateur en G décide de
mesurer essentiellement au même instant. Car dans ce cas clas-
sique, les propriétés qui sont mesurées en D et G existent avant
même que ces choix libres ne soient effectués. En outre, dans la
mesure où ces choix de mesures de propriétés peuvent être consi-
dérés comme des « libres choix » non systématiquement corrélés
avec le système d'objets mesuré avant la détermination de ces
mêmes choix, toute dépendance de résultat, dans une région
donnée, vis-à-vis d'un «libre choix» opéré essentiellement au
ANNEXE! 113

même instant dans une région éloignée constituerait alors un


transfert d'informations PRVDLL et il n'y a aucune raison de
croire qu'il existe. Mais si, dans une situation réelle, on prend
les mêmes relations entre les expériences réalisées dans les deux
régions, et qu'on les applique à des particules de spin 1/2 plutôt
qû'à des objets classiques, on ne peut alors exclure cette condi-
tion de transfert d'informations PRVDLL sans violer certaines
prédictions empiriquement validées de la physique quantique :
les transferts d'information PRVDLL de ce genre ne peuvent
donc être exclus !
La preuve donnée ici fut inspirée par le célèbre théorème de
Bell. Toutefois, la preuve de Bell, ainsi que les preuves de ceux
qui suivirent son exemple, dépend d'un postulat, la «variable
cachée », qui est également parfois appelé « réalisme » par euphé-
misme, mais qui signifie réellement que l'aspect statistique de la
physique quantique est fondamentalement le même que celui de
la mécanique statistique classique. Ce qui impose la condition
effective qu'il y ait une réalité sous-jacente qui, à certains égards,
soit similaire aux objets de la physique classique. Mais cette
condition est contraire aux conclusions de Neumann se rap-
portant, par exemple, aux différences essentielles existant entre
l'entropie quantique et l'entropie classique et à l'introduction de
la connaissance en physique quantique.
La preuve ici présentée de la nécessité d'un transfert d'infor-
mation plus rapide qu'à la vitesse de la lumière diffère essentiel-
lement de celle de Bell du fait que je n'y inclus aucune condition
concernant la réalité sous-jacente, et que je ne traite exclusivement
que des propriétés macroscopiques mesurables. Ce changement
est réalisé, grosso modo, en utilisant le paramètre « lambda » de
Bell pour désigner les différentes expériences parmi un très grand
ensemble d'expériences «similaires», plutôt que de les désigner
parmi un très grand ensemble d'états microscopiques différents.
La logique en est ainsi fondamentalement différente, tandis que
les mathématiques, elles, restent les mêmes. Quant aux disposi-
tions expérimentales, ce sont celles, désormais familières, qui ont
été envisagées par David Bohm.
114 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

En concevant cette expenence, les physiciens imaginent


qu'une certaine procédure de préparation initiale va produire
une paire de minuscules particules (de spin 1/2) invisibles dans
ce que l'on appelle un état singulet. Ces deux particules sont
ensuite envoyées dans des directions opposées, dans deux régions
éloignées l'une de l'autre. Chacune de ces régions contient un
dispositif de Stern-Gerlach présentant un axe préférentiel per-
pendiculaire au faisceau lumineux entrant, et deux dispositifs
de détection permettant de détecter les particules déviant vers
le « haut » ou bien vers le « bas » le long de cet axe préférentiel.
Chacun de ces dispositifs produira un signal visible dès lors que
la particule invisible l'atteindra.
Les deux détecteurs dans chaque région sont déplacés dans
des directions opposées, d'après une distance fixe, le long de
cet axe préférentiel. Ainsi, l'emplacement de chaque détecteur
peut-il être spécifié par un angle <I>, qui précise la direction dans
laquelle il a été déplacé à partir de la trajectoire de vol initiale
commune des deux particules. De toute évidence, les deux angles
<l> définissant les emplacements des deux détecteurs d'une région
diffèrent donc l'un de l'autre de 180 degrés. Par exemple, si un
détecteur est déplacé « vers le haut » (<l> = 90 degrés), alors l'autre
détecteur sera déplacé « vers le bas » (<I> = moins de 90 degrés).
Dans ces conditions expérimentales, la théorie quantique
prédit que, si les détecteurs sont efficaces à 100 %, et si, par ail-
leurs, la géométrie est parfaitement ordonnée, alors, pour chaque
paire de particules créée - chaque particule se déplaçant en
direction opposée de l'autre, vers l'une des deux régions - chacun
des deux détecteurs produira un signal (on dit qu'il se déclen-
chera). La prédiction clé de la théorie quantique dans le cadre de
cette configuration expérimentale est que la fraction F des paires
qui déclenche les détecteurs qui sont situés respectivement aux
angles <I> 1 et <l> 2 dans la première et dans la seconde région, est
représentée par la formule F = (J - cosinus (<I>l-<I> 2)) / 4.
Par exemple, si les emplacements des deux détecteurs (un dans
chaque région) qui se déclenchent sont tous deux caractérisés par
le même angle (<l> 1 = <I> 2), alors, parce que cosinus 0 = 1, ces
deux détecteurs ne se déclencheront jamais tous les deux pour
ANNEXEI 115

chaque paire créée : si l'un de ces deux détecteurs se déclenche,


alors l'autre ne se déclenchera pas. Si <l> 1 est un angle fixe et que
<l> 2 en diffère de 180 degrés, alors, parce que cosinus 180 degrés
= - l, ces deux détecteurs spécifiés seront, dans les conditions
de mesure idéales, déclenchés ensemble pour la moitié des paires
créées. Si <l> 1 est un angle fixe et que <l> 2 en diffère de 90 degrés,
alors ces deux détecteurs spécifiés se déclencheront ensemble
pour Y4 des paires. Si <l> 1 est un angle fixe et que <l> 2 en diffère
de 45 degrés, alors ces deux détecteurs spécifiés se déclencheront
ensemble, sur la durée, pour près de 7,3 % des paires. Si <l> 1 est
un angle fixe et que <l> 2 en diffère de 135 degrés, alors ces deux
détecteurs spécifiés se déclencheront ensemble, sur la durée, pour
près de 42,7 % des paires créées.
Pourquoi avoir listé ces prédictions particulières ? Parce que
celles-ci sont supposées être valables dans la preuve de la néces-
sité de transferts quasi-instantanés d'information entre les deux
régions d'espace-temps éloignées l'une de l'autre. Ces prédictions
ont été massivement confirmées sur le plan empirique.
La deuxième hypothèse est fondée sur « les libres choix loca-
lisés ». Ce qui est à retenir ici, c'est que les théories physiques
font des prédictions à propos d'expériences réalisées par des
expérimentateurs munis d'appareils voués à détecter ou mesurer
les propriétés de systèmes que l'on cherche à sonder. La théorie
implique que les appareils soient paramétrés de manière à être en
congruence avec les propriétés sondées qui leur sont associées au
sein du système investigué.
Bien sûr, dans le cadre d'une expérimentation réelle, ces par-
ties spécifiques de l'installation expérimentale font toutes partie
d'un univers qui inclue également, et avant tout, un expérimen-
tateur, et tout ce que cet expérimentateur utilisera réellement
afin de régler les paramètres expérimentaux. Une telle partie
« choisisseuse » de l'univers pourrait, cependant, en théorie, être
liée non seulement à l'appareil de mesure lui étant associé, mais
également, par exemple, via le passé lointain, à d'autres par-
ties de l'expérience. Ces liens insoupçonnés pourraient alors
être responsables de corrélations systématiques entre les condi-
tions empiriques dans les deux régions - corrélations qui sont
116 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

indépendantes de la façon dont les installations expérimentales


sont choisies.
Compte tenu du nombre illimité de façons de déterminer et
de régler l'installation expérimentale, et du fait- empiriquement
vérifié - que les prédictions sont jugées valables indépendam-
ment de la façon dont l'installation est choisie, il est raison-
nable de supposer que les choix d'installations expérimentales
puissent être accommodés de sorte qu'ils ne soient pas systéma-
tiquement reliés aux aspects empiriques spécifiés de l'expérience,
hormis via ces mêmes choix d'installation expérimentale. Ceci
est l'hypothèse des « libres choix localisés» ; elle est nécessaire
pour éliminer la (vague) possibilité que le choix de l'installa-
tion s' introduise systématiquement dans la dynamique de façon
significative - bien qu'indépendamment de sa forme - d'une
autre façon que d'après l'ajustement localisé de l'installation
expérimentale.
Supposons maintenant que nous avons deux régions éloignées
l'une de l'autre, et que dans chaque région se trouve un expéri-
mentateur pouvant librement choisir l'une ou l'autre des deux
installations expérimentales possibles. Supposons ensuite que
nous ayons, dans une certaine région appelée la région source,
une certaine procédure mécanique à laquelle nous donnions
le nom de « création de N cas expérimentaux individuels »,
où N constitue un nombre assez important, disons un millier.
Imaginons ensuite qu'à un moment ultérieur approprié, les expé-
rimentateurs dans les deux régions opèrent puis appliquent leurs
« libres choix localisés » - parmi les deux expériences alternatives
possibles à mettre en place dans leurs régions expérimentales
respectives. Quelques instants plus tard, chacun des deux expé-
rimentateurs regarde et observe, dans chacun des N cas expéri-
mentaux individuels, lequel de ses deux dispositifs de détection
s'est déclenché, puis note l'angle <I> indiqué par ce détecteur afin
d'enregistrer le résultat apparu dans ce cas particulier.
Il y a, en tout, deux fois deux, soit quatre configurations
expérimentales alternatives possibles. Le schéma 1 donne, pour
chacune de ces quatre configurations possibles, le nombre
de cas individuels - à partir de l'ensemble des 1 000 cas - qui
ANNEXE! 117

produisent des déclenchements dans la paire de détecteurs placés


aux angles <l>. Par exemple, les quatre petits carrés des deux pre-
mières lignes des deux premières colonnes correspondent au cas
où l'expérimentateur de la région de gauche règle ses deux détec-
teurs « en haut » (<l> 1 = 90 degrés) et « en bas » (<l> 1 = moins de
90 degrés), tandis que l'expérimentateur de la région de droite
règle également ses deux détecteurs« en haut» (<l> 2 = 90 degrés)
et « en bas » (<I> 2 = moins de 90 degrés). Dans ce cas, la distri-
bution attendue (les fluctuations de modulo) parmi les mille cas
est de : 500 dans le carré dans lequel <I> 1 = 90 degrés et <l> 2
= moins 90 degrés ; et également 500 dans le carré dans lequel
<I> 1 = moins 90 degrés et <l> 2 = 90 degrés.
Plus N augmente et plus les fluctuations s'atténuent. Je vais
donc, pour plus de simplicité, les ignorer dans le cadre de cet
exposé pour ne considérer que les prédictions exactes pour N
= 1 000.
Les deux régions expérimentales sont agencées de manière à
ce que les événements qui s'y produisent soient essentiellement
simultanés, elles sont très éloignées l'une de l'autre et très petites
en comparaison de leur distance de séparation. Ces deux régions
seront appelées les régions de « gauche » et de « droite ». Le trans-
fert d'information non instantané dans le cadre des libres choix
localisés - c'est-à-dire 1'« l'hypothèse de localité» - signifie qu'un
changement opéré dans le libre choix localisé dans l'une des
deux régions ne peut avoir d'effet sur les résultats apparaissant
dans l'autre région. Il est ici question de la condition EPR selon
laquelle la modification du choix de l'expérience à réaliser par
un expérimentateur dans une région ne perturbera pas le résultat
de l'expérience réalisée dans l'autre région au même moment,
et ce, quelle que soit l'expérience en question. Cela signifie, par
exemple, que si l'expérience de« droite» est modifiée (et passe du
cas représenté par les deux colonnes de gauche au cas représenté
par les deux colonnes de droite), alors, l'ensemble particulier de
500 cas - parmi l'ensemble des 1 000 cas -, qui est représenté
par le 500 dans la deuxième colonne de la ligne supérieure, est
réparti dans les deux carrés des deux colonnes suivantes de la
ligne supérieure.
118 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Plus généralement, tout changement opéré dans l'expérience


réalisée à droite déplace les cas individuels - parmi l'ensemble
des 1 000 cas individuels - horizontalement, sur la même ligne ;
tandis que tout changement effectué dans l'expérience réalisée
à gauche déplace le cas individuel verticalement. Le schéma 1
montre comment, par une double application de la condition « pas
plus-rapide-qu'à-la-vitesse-de-la-lumière», un sous-ensemble
de l'ensemble des 500 cas occupant la case A est déplacé, via la
case B, jusqu'à la case C, qui doit contenir au moins 427 - 73
= 354 des 500 cas originaux en A. Cependant, l'application des
deux changements dans l'ordre inverse, via D, nécessite que le
sous-ensemble de cas en A pouvant se trouver en C ne puisse être
supérieur à 250. Ce qui constitue une contradiction. Ainsi ne
peut-on maintenir tout à la fois ET la règle générale stipulant que
les transferts d'information ne peuvent être plus rapides-qu'à-la-
vitesse-de-la-lumière ET quatre prédictions basiques et empiri-
quement confirmées de la mécanique quantique.

1*gr91 1

î l / /
î 0
500
A
73
427
B
"'
j

l 500 0 427 73 ;

250 427
~ 2SO 73 c
0
;

- 2SO 2SO 427 73

~chéma l

Dans le schéma l, les deux premières lignes correspondent aux


deux détecteurs se trouvant dans la première installation possible
ANNEXE! 119

dans la région de gauche. Les troisième et quatrième lignes cor-


respondent aux deux détecteurs se trouvant dans la deuxième ins-
tallation possible, dans la région de gauche. Les quatre colonnes
correspondent, de la même façon, aux détecteurs se trouvant
dans la région de droite. Les flèches en périphérie montrent la
direction des déplacements des détecteurs associés à la ligne ou à
la colonne correspondante.
L'argument est ensuite le suivant. Décidons de numéroter
les paires (les cas individuels) de la séquence ordonnée des
1 000 paires créées de 1 à 1 000. Supposons que la paire choisie
dans le cadre des mesures réelles à effectuer corresponde aux
deux premières lignes des deux premières colonnes du schéma. Il
s'agit ici de l'expérience évoquée précédemment où, dans chaque
région, les deux détecteurs sont déplacés vers le « haut » et vers
le « bas ». Sous cette condition, la théorie quantique prédit que,
pour un sous-ensemble particulier composé de 500 membres
- parmi l'ensemble des 1 000 cas individuels (paires créées) -, les
résultats correspondront aux spécifications associées à la petite
case A. Le sous-ensemble de 500 membres - parmi l'ensemble
complet des 1 000 entiers positifs - correspondant à la case A
est appelé l'ensemble A. Cet ensemble A est un sous-ensemble
particulier de 500 entiers issus de l'ensemble {l, 2, ... , 1000}. Les
quatre premiers éléments de l'ensemble A pourraient être, par
exemple, {1, 3, 4, 7}.
Si le libre choix local dans la région de droite avait été inverse,
la mécanique quantique prédit alors que les 1 000 entiers seraient
répartis de la manière indiquée parmi les quatre petits carrés qui
se trouvent dans l'une des deux premières lignes, mais également
dans l'une des deux colonnes suivantes - l'entier indiquant, dans
chacun de ces quatre petits carrés, le nombre de cas parmi le
sous-ensemble issu de l'ensemble d'origine des 1 000 cas indivi-
duels qui conduisent à ce résultat spécifié. Chacun de ces résul-
tats consiste, bien entendu, en une paire de résultats : un dans
chaque région.
Si nous ajoutons maintenant le principe de Localité au tableau
d'ensemble, la nécessité que la situation macroscopique dans la
région de gauche ne soit pas perturbée par l'inversion du libre
120 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

choix localisé de l'expérimentateur dans la région (lointaine) de


droite induit alors que l'ensemble de 500 entiers de la série A
doive être réparti entre les deux petits carrés se trouvant direc-
tement à la droite du petit carré A. Ainsi, l'ensemble B, compre-
nant les 427 entiers dans le carré B, serait-il un sous-ensemble
(de 427 membres) de l'ensemble A, composé de 500 entiers.
Cette assertion est analogue à la condition EPR selon laquelle le
changement du choix de l'expérimentateur dans une région ne
perturbe aucunement la situation physique dans l'autre région.
Les conclusions énoncées ci-dessus étaient fondées sur la
condition que le choix de l'expérience sur la gauche en constitue
la première option, représentée par les deux premières lignes du
schéma 1. En appliquant maintenant l'hypothèse de la localité,
nous concluons que le changement de choix dans la région de
gauche ne doit en aucun cas perturber les résultats obtenus dans
la région de droite. Ce qui signifie que les 427 éléments de la
case B doivent se répartir entre les deux carrés se trouvant direc-
tement en dessous. Ainsi le carré C doit-il inclure au moins 427
- 73 = 354 des 500 entiers de la case A.
En répétant l'argument, mais en inversant l'ordre dans lequel
les deux inversions sont faites, nous concluons, d'après la même
logique de raisonnement, que la case C ne peut contenir plus
de 250 des 500 entiers de la case A. Ainsi, les conditions liées à
l'ensemble C, qui découlent des deux ordonnancements diffé-
rents des deux inversions, sont-elles contradictoires !
Une contradiction est ainsi établie entre les conséquences des
deux façons alternatives d'ordonner ces deux inversions de libres
choix localisés. Car, en raison de l'hypothèse de localité, aucune
des deux régions ne possède d'information ni à propos du choix
opéré dans l'autre région ni à propos de l'ordre dans lequel les
deux expériences sont effectuées. Ainsi ce qui se rapporte aux
résultats ne peut-il dépendre des ordonnancements de ces deux
inversions.
Cet argument ne se base que sur certaines des prédictions
macroscopiques de la physique quantique - sans établir de
condition sur la microstructure de laquelle elles proviennent, ou
toute hypothèse reposant sur la microstructure - pour démontrer le
ANNEXEI 121

manque de cohérence logique du fait de combiner 16 prédictions


de la mécanique quantique avec l'hypothèse de localité, selon
laquelle il n'existe aucun transfert d'information (relatif aux
libres choix localisés qui sont opérés dans les deux régions) plus
rapide qu'à la vitesse de la lumière d'une région à l'autre.
Si l'on autorise la violation de la condition « pas-de-transfert-
d'information-PRVDLL », alors la contradiction disparaît. La
physique quantique de Copenhague et celle de Neumann ont
recours au transfert PRVDLL en raison du fait qu'elles stipulent
toutes deux que les résultats adoptés par la nature dans une
région peuvent dépendre du libre choix de l'expérience à effec-
tuer d'un expérimentateur situé dans une autre région lointaine.
La portée globale de la « Nature » octroie à la physique quan-
tique une unité qui fait défaut à la mécanique classique. Et elle
fait naître de grands doutes à l'égard de l'hypothèse de Bell selon
laquelle les caractéristiques statistiques de la physique quantique
seraient, à un niveau fondamental, similaires à celles de la méca-
nique statistique classique, et donc à l'égard des preuves que Bell
donne à propos du caractère non local de l'univers quantique.
ANNEXE II

Représentation graphique de l'argument

L'argument de l'Annexe 1 est exposé sous la forme de mots


et d'équations. Néanmoins, dans le cas d'arguments impliquant
une séquence ordonnée de libres choix ou décisions, il paraît
utile, et ce pour de nombreuses raisons, de pouvoir s'appuyer sur
une représentation graphique des possibilités alternatives.
Les assertions sur lesquelles repose l'argument de l'Annexe 1
sont traduites sous la forme suivante: « Si, lorsque l'on effectue
la mesure M, on obtient le résultat 0, alors, si au lieu de M, on
réalisait la mesure M', on obtiendrait le résultat O'. »
Les propositions de ce type ont du sens en physique classique.
Le fait d'obtenir le résultat 0 à partir de M pourrait, dans un
certain cadre théorique, fournir quelque information à propos de
l'état du monde avant que la mesure M ne soit réalisée, et cette
information pourrait conduire à occasionner O' si M' devait
être effectué. Le résultat de la première expérience pourrait, par
exemple, donner des informations sur la vitesse - jusqu'alors
inconnue ou non spécifiée - d'une particule au moment où elle
accède à la région expérimentale, et cette information addition-
nelle pourrait permettre de prédire le résultat O' à partir de la
mesure M'. La relation entre les deux situations alternatives pos-
sibles découle de la structure présumée de la réalité sous-tendant
les phénomènes observables. Il s'agit donc d'une condition à
l'existence réelle de cette structure conjecturée.
L'argument de l'Annexe 1 n'implique que deux conjonctures :
des choix de mesures et de résultats macroscopiques et la condi-
tion présumée « pas-plus-vite-qu'à-la-vitesse-de-la-lumière ». Ces
124 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

circonstances sont toutes classiquement compréhensibles, ainsi


l'argument peut-il être représenté graphiquement.
De telles assertions peuvent s'avérer incontestablement vraies
comme parfaitement fausses dans le cadre d'une théorie physique
basée sur des lois cohérentes et permettant d'envisager les «libres
choix» (déterminant l'expérience à réaliser parmi plusieurs alterna-
tives possibles) comme des variables libres. La physique quantique de
Copenhague et l'orthodoxe sont toutes deux des théories de ce genre.
Il existe une façon « mécanique » de vérifier la véracité ou la faus-
seté de ces assertions. Celle-ci permet ainsi de seconder notre raison-
nement logique, et à tous les utilisateurs compétents de cette logique
de convenir, in fine, de la véracité ou de la fausseté des propositions.
Cette procédure « mécanique » permettant de valider les rai-
sonnements de ce genre fut inventée par Robert Grifflths 1• Il s'agit
d'une procédure graphique. Elle implique un arbre (graphique)
qui, en se lisant de gauche à droite, possède des branches qui « se
ramifient» en des points d'embranchement pour constituer plu-
sieurs autres branches. Certains points d'embranchement repré-
sentent la survenue d'événements impliquant de devoir opérer un
choix entre deux (ou plusieurs) expériences alternatives possibles.
D'autres points d'embranchements représentent des événements
engageant le choix de la nature quant à l'obtention de certains
résultats particuliers à partir de certaines expériences distinctives.
Si, comme dans notre cas, il y a deux régions expérimentales
éloignées l'une de l'autre, alors toute la partie graphique repré-
sentant les événements possibles dans la seconde région doit être
rattachée à chacune des branches représentant un résultat pos-
sible dans la première région, afin que le graphique, qui se lit
de gauche à droite, représente - sans préjudice découlant de la
conjecture en question : «pas-plus-rapide-qu'à-la-vitesse-de-la-
lumière » - l'ordre temporel des événements macroscopiques.
Grifflths accepte que les graphiques puissent comporter des
points d'embranchement correspondant à des événements (invi-
sibles) microscopiques, tandis que je m'y oppose pour ne considérer

1. Robert Griffiths, Consistent Quantum Theory, Cambridge, GB, New


York, Cambridge University Press, 2002.
ANNEXE II 125

que les événements visibles. Car l'argument de !'.Annexe 1 exclut


explicitement toute référence à de tels événements imaginaires.
Les schémas 2 et 3 sont les représentations graphiques des
deux parties de l'argument de l'Annexe 1. La partie du schéma
correspondant au processus G (pour la région de gauche) se
trouve à gauche des parties correspondant au processus D (pour
la région de droite). L'ordonnancement de gauche à droite corres-
pond à!' évolution temporelle de l'expérience. Ainsi, la partie G
du processus physique est-elle, ici, antérieure à la partie D.
L'argument de 1'Annexe 1 comprend deux ordonnancements
différents des inversions. Nous pourrions ainsi envisager de réa-
liser un deuxième schéma représentant l'inversion de l'ordre G-D.
Toutefois, le formalisme de Griffühs comprend une exigence clé:
tout argument valable doit être traduit par un seul et unique gra-
phique. Par conséquent, le raisonnement de l'Annexe 1 doit être
justifié en n'utilisant qu'un seul graphique englobant les deux par-
ties de l'argument. Les fines lignes superposées des schémas 2 et 3
représentent les propositions des deux parties de 1'argument.

Dlagram 2

01 . . . . .

m..,.

1. ...__....-1

Schéma 2. Le schéma Griffiths correspondant à la partie de l'argument


exposée dans l'Annexe 1 où l'inversion de Dl à 02, dans la région D,
précède l'inversion de Gl à G2 dans la région G.
126 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

Le schéma 2 représente l'inversion de Dl à D2 précédant de


peu l'inversion de Gl à G2. En suivant les 500 éléments initiaux
de l'ensemble A dans le cadre de cette inversion - qui laisse la
région G inchangée -, nous voyons que 427 des 500 éléments
de l'ensemble A vont dans l'ensemble B. Puis c'est au tour de
l'inversion de Gl à G2 dans la région G- le choix de D2 de l'ex-
périmentateur dans la région D restant inchangé. Nous souhai-
tons savoir combien des 500 éléments initiaux de l'ensemble A se
retrouvent dans l'ensemble C : ceci correspond à G2 +. Ceux-ci
doivent provenir des 427 éléments de l'ensemble B. Dans la
mesure où 73 éléments maximum (de ces 427 éléments) peuvent
aller en D2 +, au moins 427 - 73 = 354 éléments doivent, pour
leur part, finir dans l'ensemble C. Ceci n'est qu'une représenta-
tion schématique - via le pertinent graphique de Griffiths - de la
première moitié de l'argument exposé dans l'Annexe 1.

Schéma 3. Le schéma de Griffiths correspondant à la partie


de l'argument exposée dans l'Annexe 1 dans laquelle l'inversion de Gl
à G2 dans la région G précède l'inversion de Dl à 02 dans la région O.

Le schéma 3 représente la deuxième moitié de l'argument


exposé dans l'Annexe 1 : la partie dans laquelle la première
ANNEXE II 127

inversion est celle de Gl à G2 - le choix de Dl dans la région D


restant inchangé. Nous repartons avec les 500 éléments ini-
tiaux de l'ensemble A, mais en suivant, cette fois-ci, le choix
qu'opère l'expérimentateur entre Gl et G2, avant de poursuivre
l'autre branche, G2, puis la branche G2 + qui nous amène à la
branche D. Seuls 250 des 500 éléments initiaux de l'ensemble A
se retrouvent en D. Puis, l'inversion de Dl à D2 - le choix de G2
dans la région G restant inchangé - permet tout au plus à 250
des éléments de l'ensemble A de se retrouver dans l'ensemble C.
Cette conclusion est en contradiction avec celle du schéma 2,
qui stipulait qu'au moins 354 éléments de l'ensemble A doivent
être contenus dans l'ensemble C. Ainsi, la conclusion à laquelle
l'Annexe 1 arrive via une approche pleine de bon sens est-elle
confirmée par la représentation graphique de la structure du rai-
sonnement contrefactuel, désormais restreinte à des événements
macroscopiques visibles.
J'ai eu l'occasion de décrire une variante de cet argument
- basée sur des expériences du genre de celles proposées par Julian
Hardy - dans plusieurs de mes ouvrages1• L'argument exposé
ci-dessus est celui décrit dans mon article « Are Superluminal
Connections Necessary2 ? ». Je n'ai fait ici que le détailler
davantage.

1. Henry Pierce Stapp, « Quantum Locality ? », in Foundatiom of Physics,


January,2012, DOi: 10.1007/s10701-012-9632-1 [arxiv.org/abs/arxiv:l 111.5364]
; Mindfu/ Universe: Quantum Mechanics and the Participating Observer, Berlin,
Heidelberg, Springer Verlag, 2011 [2007], Appendix G; Mind, Matter, and
Quantum Mechanics, Berlin, Heidelberg, Springer Verlag, 2009 [1993, 2003];
« Quantum Theory and the Raie of Mind in Nature », Foundatiom ofPhysics,
31, 2001, p. 1465-1499 [arxiv.org/abs/quant-ph/0103043] ; «Are Superluminal
Connections Necessary ? »Nuovo Cimento, 40 B, 1977, p. 191-205 ; Phi/osophy of
Mind and the Problem ofFree-Will in the Light ofQuantum Mechanics, Berkeley,
University of California, 2008 [arxiv.org/abs/0805.0116].
2. Henry Pierce Stapp, «Are Superluminal Connections Necessary? »,
op. cit.
ANNEXE III

Réponse à Sam Harris au sujet du libre arbitre

Le livre de Sam Harris, Free Will (Le libre arbitre), est un


exemple instructif de la façon dont un porte-parole œuvrant à
être raisonnable et rationnel peut voir ses arguments dérailler
lorsque celui-ci est tributaire de préjugés et de présupposés
erronés si profonds qu'ils en interdisent toute perception des pos-
sibilités scientifiques existant en dehors des limites d'une vision
du monde totalement dépassée et dont on connaît désormais
l'incompatibilité avec les faits empiriques.
Une erreur de logique, en particulier, réapparaît à plusieurs
reprises au cours de son livre. Il décrit, dès le début, les actes de
deux psychopathes ayant commis des actes horribles. Il affirme :
«Je dois admettre que si je devais échanger ma place avec celle
de l'un de ces hommes - atome pour atome-, je serais lui: rien,
en moi, ne pourrait décider de voir le monde différemment ou
résister à l'impulsion de victimiser d'autres personnes. »
Harris affirme, ici, que « rien, en lui » ne pourrait décider dif-
féremment. Mais cette affirmation, dont il dit qu'il s'agit d'un
aveu, élude la question. Quelle preuve justifie-t-elle rationnelle-
ment cette affirmation ? De toute évidence, il ne s'agit pas d'une
preuve empirique. Ce serait plutôt un engagement préjudiciable
et antiscientifique en faveur des préceptes d'une conception du
monde connue pour être erronée et portant le nom de méca-
nique classique. Cette ancienne conception scientifique de la
réalité a été jugée incompatible avec les découvertes empiriques
dès les premières décennies du xx< siècle, pour être ensuite rem-
placée, durant les années 1920 et au début des années 1930, par
130 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

une conception du monde révisée et désormais adéquate appelée


la physique quantique. Cette nouvelle théorie, via la formula-
tion rationnellement cohérente et mathématiquement rigou-
reuse qu'en offre John von Neumann, présente une séparation
du monde physique en trois parties distinctes : (1) une partie
décrite physiquement, composée d'atomes et étroitement liée aux
champs physiques ; (2) des parties décrites psychologiquement,
situées à l'extérieur de la partie atomique, et identifiées comme nos
ego pensant ; et (3) certaines actions psychophysiques attribuées
à la nature. Dans cette conception de la réalité empiriquement
adéquate, la personne possède une partie supplémentaire (son ego
pensant, qui n'est pas d'ordre atomique) pouvant résister (avec
succès, si souhaité suffisamment ardemment) à l'impulsion de
victimiser d'autres personnes. L'exemple de Harris illustre ainsi
les erreurs fondamentales pouvant être occasionnées lorsque l'on
identifie la science à la mécanique classique du x1x< siècle.
Harris continue ensuite en défendant le « compatibilisme »,
vision stipulant tout à la fois que chaque événement physique est
déterminé par ce qui l'a précédé dans le monde physique et que
nous posséderions un« libre arbitre». Harris dit qu'« aujourd'hui,
la seule façon philosophique respectable de soutenir le libre
arbitre est d'être compatibiliste - car nous savons que le déter-
minisme, qui est pertinent dans tous les sens du terme en matière
de comportement humain, est vrai ».
Cependant, ce à propos de quoi Harris affirme que « nous
savons » qu'il est vrai n'est, pour la physique quantique, pas
connu pour l'être.
Le principe final pour Harris « qui est pertinent dans tous les
sens du terme en matière de comportement humain » est sans
doute voué à ignorer la pertinence de l'indéterminisme de la phy-
sique quantique, en affirmant que l'indéterminisme quantique
ne serait pas congruent pour le comportement humain - proba-
blement en raison du fait qu'il n'intervient pas au niveau de la
dynamique cérébrale macroscopique. Mais l'idée de ce qu'im-
plique la physique qûantique pour ces questions est, dans son
livre, nettement déficiente. L'indéterminisme quantique ouvre
toute simplement la porte à un processus dynamique complexe
ANNEXE III 131

qui non seulement enfreint le déterminisme (la condition selon


laquelle le passé physique déterminerait l'avenir) au niveau du
comportement humain, mais permet également aux intentions
mentales - qui ne sont pas contrôlées par le passé physique -
d'influencer le comportement humain de la manière souhaitée.
Ainsi, le passage à la physique quantique ouvre-t-il la porte à une
efficacité causale du libre arbitre qui est exclue, dans le livre de
Harris, du fait qu'il adhère à la science erronée du XIXe siècle.
REMERCIEMENTS

La forme et le contenu de ce livre ont été grandement influencés


par les conseils et suggestions d'Ed Kelly, Robert Bennin, Henry
P. Stapp IV et Brian Wachter. Je les remercie chaleureusement
pour leur aide et leur soutien.
TABLE DES MATIÈRES

Préface..................................................................................... 5
Prologue................................................................................... 15
CHAPITRE 1
Introduction................................................................... 19
Rien ne va-t-il plus vite que la lumière ?....................... 19
Le dualisme de Descartes .. .. .. .............................. ... .... . 20
Le déterminisme classique........................................... 21
Le tourment philosophique .. .. .. .... ... ............ .. . .. .. .. .. .. .. . 22
Des idées quantiques................................................... 23
La formulation « orthodoxe » de John von Neumann..... 26
Résistance à l'action fantôme à distance....................... 28
Le modèle de réalité quasi classique de John Bell......... 29
Une preuve acceptable................................................. 31
Au-delà de l'idée classique du lien entre esprit
et cerveau ............................ .. ... ................................... 31
Les libres choix............................................................ 32
Les bénéfices d'une vision rationnelle.......................... 34
Les missions de la science ............................................ 35

CHAPITRE 2
Ondes, particules et esprits............................................ 37
Particules et ondes....................................................... 38
La science et la philosophie.......................................... 40
136 LE MONDE QUANTIQUE ET LA CONSCIENCE

La mécanique quantique de l'école de Copenhague


et la réalité .................................................................. . 41
La mécanique quantique orthodoxe réaliste
de Neumann .............................................................. . 47
CHAPITRE 3
La mécanique quantique orthodoxe : le libre choix
de l'observateur et le choix aléatoire de la Nature .......... . 53
Le libre choix de l'observateur .................................... . 56
La mécanique quantique et les neurosciences .............. . 56
L'équation de Schrodinger et « l'étalement »
de la réalité physique .................................................. . 60
Les actes d'observation ............................................... . 58
Les choix aléatoires de la nature .................................. . 61
Le rôle et l'importance du libre arbitre ....................... . 62
CHAPITRE 4
L'impact causal de nos intentions mentales ................... . 65
L'effet quantique de Zénon ........................................ .. 66
Des modèles d'action .................................................. . 68
La connexion esprit-cerveau ....................................... . 70
CHAPITRE 5
La réalité et l'action fantôme à distance ......................... . 73
L'origine quantique de l'action fantôme ...................... . 74
Le pragmatisme comme échappatoire ......................... . 74
L'article de 1935 : le paradoxe EPR ............................. . 76
La réponse de Bohr à l'article EPR.............................. . 77
Le théorème de Bell et la nature de la réalité ............... . 80
CHAPITRE 6
Une rétrocausalité? ........................................................ 83
Des expériences de « choix retardé » • • • • • • • • • • • • • • • • • • •. • • • • • • • • 83
L'approche« bohmienne »............................................ 85
TABLE DES MATIÈRES 137

CHAPITRE 7
Passé réel et passé effectif............................................... 87
CHAPITRE 8
Le caractère fondamentalement mental de la Nature...... 91
CHAPITRE 9
Réponses à des questions relatives à l'esprit
et à la matière................................................................. 101
CHAPITRE IO
Conclusions .. ..... ..... .... .... ... .... .... .... .... ..... ... .... .... .... .... ... . 109
Annexe I. La preuve selon laquelle l'information doit être
transférée à une vitesse plus rapide que celle de la lumière........ 111
Annexe II. Représentation graphique de l'argument................. 123
Annexe III. Réponse à Sam Harris au sujet du libre arbitre...... 129
Remerciements......................................................................... 133
conception
réalisation
mi n page

44405 Rezé cedex


Achevé d'imprimer sur les presses de
l'imprimerie Graphique de /'O uest
au Poiré-sur-Vie (Vendée).
Dépôt légal : Avril 20 16 - N° d'impression : 7700

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