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Bernard Juillerat
2003/3 no 84 | pages 33 à 42
ISSN 0040-9375
ISBN 2847950176
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-topique-2003-3-page-33.htm
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Bernard Juillerat
tiels. Le thème héroïque est pour lui, comme pour Lang, un développement
tardif : « Mais quand les phénomènes de la nature prennent une forme plus
anthropomorphe et s’identifient avec des dieux et des héros personnels ; quand,
dans le cours des temps, ces êtres perdent toute trace de leur origine et
deviennent des centres autour desquels viennent se grouper toutes les fantaisies,
alors la signification de ces légendes s’altère et s’obscurcit et il est inutile d’y
chercher plus longtemps la logique, si l’on peut employer ce mot, qui consti-
tuait un de leurs caractères primitifs. » (1876 : 421) En même temps, Tylor
reconnaît la grande uniformité des mythologies du monde et considère « qu’il
devient possible de traiter le mythe comme une production organique de
l’humanité tout entière, dans laquelle les distinctions d’individus, de nations et
même de races, sont subordonnées aux qualités universelles de l’intelligence
humaine. » (Ibid. : 481).
mythe de la horde primitive, sur lequel Freud reviendra de façon persistante dans
« Psychologie des foules et analyse du Moi » (1921) et, plus tard encore, dans
L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939). Sauf que dans ce cas l’auteur
invente le mythe en le fondant sur l’hypothèse d’un événement prétendument
historique, bien que non daté. Plus tard, à propos de l’élaboration après-coup
des vestiges de la première enfance, Freud établit encore une fois le parallé-
lisme avec le mythe : « C’est ainsi que les “souvenirs d’enfance” acquièrent,
d’une manière générale, la signification de “souvenirs-écrans” et trouvent, en
même temps, une remarquable analogie avec les souvenirs d’enfance des
peuples, tels qu’ils sont figurés dans les mythes et les légendes. » (1967b [1923] :
60)
Passons à quelques autres psychanalystes contemporains de Freud. Déjà
avant Totem et tabou, Karl Abraham rappelle que pour Freud les réminiscences
de l’enfance, refoulées, font retour à l’âge adulte ; et il ajoute : « Il en est de même
des mythes. Ils ont pris naissance au temps préhistorique de la collectivité,
dont nous n’avons aucun témoignage précis. Ils contiennent des réminiscences
de son enfance. [...] Le mythe est un fragment dépassé de la vie psychique
de la collectivité. Il contient (sous une forme voilée) les désirs de l’enfance de
la collectivité. » (Abraham, 1965 : 35 – souligné dans le texte). Pour cet auteur,
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3. « La différence entre ces deux formes de pensée est une différence de nature, c’est pourquoi
on ne peut les comparer. » (Freud, 1967 : 432).
BERNARD JUILLERAT – UN MYTHE EST-IL UN RÊVE COLLECTIF ? 37
Il procède [...] à une condensation qui ramasse et concentre des pensées éparses
du rêve. Il s’intéresse peu à leurs relations logiques : lorsqu’il consent à les
figurer, c’est de façon dissimulée, par des particularités de forme. Les affects
liés aux pensées du rêve subissent moins de transformation que leur contenu
représentatif. » (Ibid. : 432 – souligné dans le texte).
Freud termine par une remarque sur le remaniement du rêve par la pensée
éveillée (ou « partiellement éveillée »), transformant ainsi le rêve rêvé en rêve
remémoré et, plus tard, restitué. Ce passage de la Traumdeutung va nous aider
à dégager quelques-unes des caractéristiques de ce que nous appelons le travail
du mythe par rapport au travail du rêve. Reprenons certains points soulignés
par Freud.
Le travail du rêve ne pense pas, ne calcule pas, ne juge pas. Pourquoi ?
Parce que le rêve se soustrait à la censure (morale, Surmoi, contraintes
sociales...). Ce premier point est déjà en décalage avec le travail du mythe.
Comme pour le rêve, ce dernier transforme certes les contenus latents, qui s’en
trouvent continuellement remaniés et recontextualisés, mais ce faisant il y
intègre des éléments relevant de la rationalité et du besoin de logique : la
narration doit être cohérente pour être communicable et garder un sens manifeste
compréhensible pour les narrateurs autant que pour les auditeurs. Des jugements
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cas, dans le travail du rêve, c’est tantôt l’inconscient qui s’impose, tantôt le moi
qui se défend avec le plus d’énergie. » (Freud, 1992 : 35). On percevra les
défenses d’autant plus facilement dans le mythe. Conformément à l’idée de
Melford Spiro (1987) selon laquelle les systèmes religieux seraient des
mécanismes de défense culturellement constitués, nous proposerons de voir
dans les mythes la mise en scène de conflits sociopsychiques auxquels répondent
des défenses narrativement exprimées. C’est à notre sens l’un des points essen-
tiels de la différence entre rêve et mythe : dans le second, le système défensif
est dominant, alors qu’il est secondaire, voire inexistant, dans le premier. La
raison se trouve dans le fait que la censure, ou les mécanismes de défense du
Moi, sont actifs en permanence dans la fabrication des mythes, qu’ils y sont
même le moteur constitutif, alors qu’ils sont réduits dans l’activité onirique
dominée par les processus primaires.
Pour échapper à la censure, écrit encore Freud, « le travail du rêve se sert
du déplacement des intensités psychiques ». Cela consiste alors à dépouiller
« des éléments de haute valeur psychique de leur intensité » et, inversement,
« grâce à la surdétermination » à donner « une valeur plus grande à des éléments
de moindre importance » (1967a : 265-266). Cet écart est celui qui s’instaure,
par le travail du rêve, entre les pensées du rêve et le contenu manifeste. Dans
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Bernard JUILLERAT
Laboratoire d’anthropologie sociale
52 rue du Cardinal Lemoine
4. Dans une correspondance avec Ferenczi à propos de son essai métapsychologique sur les
névroses de transfert (Grubrich-Simitis, 1986, pp. 106 et 112).
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75005 Paris
BERNARD JUILLERAT – UN MYTHE EST-IL UN RÊVE COLLECTIF ?
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42 TOPIQUE
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