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IUT Michel de Montaigne, Université Bordeaux 3

Les archives du cinéma expérimental

Boris Monneau
sous la direction de Nathalie Pinède

Licence Professionnelle Ressources Documentaires et Bases de Données


2011-2012
Sommaire

Introduction........................................................................................... 1

I) Histoire organisationnelle, organisation de l'histoire


1) Un patrimoine problématique................................................... 3
2) Institutions................................................................................... 5
3) Histoire(s) du cinéma.................................................................. 10

II) Topographies
1) De la salle de cinéma au musée................................................... 18
2) Ciné-expositions........................................................................... 26
3) On site / Online............................................................................ 31

III) Accès et accessibilité


1) Programmer, communiquer ….................................................. 37
2) Accès conceptuel.......................................................................... 40
3) Politique de l'accès...................................................................... 48

Conclusion............................................................................................... 51

Bibliographie........................................................................................... 52

Table des matières................................................................................... 54

Annexes.................................................................................................... 55

Table des illustrations............................................................................. 80


Introduction

A observer rapidement son histoire il apparaît que le cinéma expérimental a longtemps


été la minorité, le point aveugle de l'audiovisuel. Il s'est avant tout développé sous
l'impulsion d'initiatives de type associatif et spécifiquement dédiées à cet effet - ou devrait-
on dire à cette cause? Il est en effet difficile d'éviter la terminologie militante, tant cette
forme de création a dû s'épanouir face à la contrainte des normes industrielles
conditionnant l'esthétique et l'économique du cinéma, et déterminant les politiques de
production aussi bien que de préservation des films.
Aujourd'hui cependant, des organismes publics tels que le Centre de la Culture
Contemporaine de Barcelone manifestent le souci de transmettre ce patrimoine oublié :
Xcèntric a débuté comme un programme de cinéma au sein de l'institution, et a
progressivement amplifié le champ de ses activités. L'Arxiu Xcèntric, collection numérique
spécialisée dans le cinéma expérimental, a ensuite été créé avec le souci de donner l'accès
le plus libre et le plus complet possible à ce patrimoine.
Au cours de notre stage au CCCB, nous avons réalisé un thésaurus pour l'Arxiu (archive),
afin d'en faciliter l'accès et l'accessibilité. Dans ce mémoire, nous nous proposons
d'examiner le contexte de mise en œuvre de ce travail, d'en interroger la signification et la
valeur, en portant un regard critique sur l'histoire du cinéma et sur les moyens d'accès
actuels au cinéma expérimental, tout en gardant les activités du CCCB comme point de
référence.
Depuis l'arrivée du numérique, l'accès est plus que jamais au cœur des préoccupations
patrimoniales. Mais, comme toute notion qui occupe une forte position idéologique, en
dirigeant un grand nombre d'activités, il convient de la soumettre à un examen critique, en
la confrontant à son histoire et à ses développements : hors, quel terrain serait le plus
approprié pour une critique de l'accès qu'un art souvent tenu pour inaccessible, au sens
pratique comme au sens conceptuel ?
Nous interrogerons alors la signification et les valeurs d'un patrimoine d'avant-garde, à
travers son histoire, ses lieux et ses moyens de communication.
Premièrement, nous chercherons à comprendre les enjeux et valeurs propres au cinéma
expérimental à travers son histoire organisationnelle. Comment en définir l'étendue? Quels
ont été les acteurs de son développement et son contexte socioculturel ? Quel regard peut-

1
on porter sur l'histoire du cinéma dans son rapport à l'histoire?
Nous envisagerons ensuite la question du lieu, la façon dont le cinéma expérimental a
créé de nouveaux espaces pour présenter les images en mouvement, et la continuité de ces
innovations avec la présentation muséographique et archivistique.
La question des ressources en ligne nous permet enfin d 'aborder plus explicitement la
notion l'accès, sous ses différentes formes et acceptions.

2
I- Histoire organisationnelle, organisation de l'histoire

1) Un patrimoine problématique

L'idée même d'un art d'avant-garde semble aller à l'encontre des valeurs traditionnelles du
patrimoine, d'autant plus dans le cas d'un art dont l'avènement a coïncidé avec ce que l'on
appelle la contre-culture. Voici la définition qu'en donne un juriste conservateur,
sociologue à ses heures :
Le terme de contre-culture évoquait au premier chef ce que l'on appelait ainsi dans les
années 1960 et 1970 : la contre-culture américaine des sixties et ses retombées
européennes. […] La contre-culture qui crache sur le passé, sur la tradition. La contre-
culture qui est haine de sa propre civilisation, et haine de l'idée même de civilisation. 1

Plus loin, l'auteur fera de la modernité l'expression artistique des (contre)valeurs de la


contre-culture :
Brisure totale avec la conception millénaire de l'art, qui se trouve soit contesté dans son
principe, soit vidé plus ou moins totalement de son contenu, la modernité est fondée sur
la haine et le mépris du passé, de la tradition, du savoir et du savoir-faire, sur le rejet du
métier d'artiste. C'est une volonté radicale de briser la mémoire. Niant la validité du
patrimoine artistique et littéraire, qui est la substance de la culture, et n'offrant à la place
que sa propre négativité, la modernité est fondamentalement une contre-culture. 2

Le paradoxe du cinéma expérimental, qui représente la modernité de l'art


cinématographique, est que son patrimoine s'est précisément constitué dans et grâce à ce
contexte contre-culturel. C'est bien là ce qu'une pensée réactionnaire admet difficilement :
l'innovation ne se fait pas nécessairement au détriment de la mémoire3.

1 HAROUEL, Jean-Louis. Culture et contre-cultures. Paris : PUF, 1994, p. 1-2.


2 Id., p. 6.
3 En effet, nombreux sont les artistes qui ont défini la modernité, d'Ezra Pound à Arnold Schoenberg en
passant par Picasso, à avoir puisé dans les traditions non un modèle à imiter servilement mais à réinventer
dialectiquement.

3
Mais qu'entend-t-on par cinéma expérimental ?
Barbara Turquier évoquait le « trouble de définition » qui accompagne le corpus des films
expérimentaux, « qu’ils soient qualifiés de cinéma « d’avant-garde » ou « d’art », de
cinéma « pur » ou « intégral » en France dans les années 1920, de cinéma « visionnaire »,
« underground » ou encore « personnel » aux états-Unis à partir des années 1950, entre
autres termes… »4.
Cette profusion terminologique pour définir un même objet interroge la possibilité même
de l'histoire, et partant la cohérence de l'archive : peut-on réellement établir une continuité
entre les différents cas de cette « pratique multiforme dont le point central est peut-être de
refuser les assignations génériques »5?
Le cinéma expérimental subvertit la logique classificatoire : consacrer une collection à ce
domaine, c'est précisément faire de la différence un principe de rassemblement.

Mais quelle différence ? Sortons du cadre théorique, pour examiner le cinéma de fait,
comme pratique socio-économique.
De ce point de vue, le cinéma expérimental s'oppose au système normatif de l'industrie
cinématographique et de son histoire : « celui qui expérimente fait aussi usage d’une
situation économique et politique – la marge contre le système, le régime contemporain de
consommation des images –, et établit sa pratique en référence ou en opposition à une
histoire – la tradition du cinéma et des arts plastiques. »6
Ainsi, la division du travail propre à la production cinématographique est abandonnée au
profit de l'autarcie artistique. Cette forme de production appelle une forme de diffusion
équivalente : pour prendre le modèle le plus répandu, il s'agit généralement de coopératives
de distribution fondées et gérées par les cinéastes, diffusant leurs films dans des circuits
alternatifs aux salles commerciales : salles spécialisées, ciné-clubs, universités,
cinémathèques, musées7.

4 TURQUIER, Barbara. Qu’expérimente le cinéma expérimental ? Sur la notion d’expérimentation dans le


cinéma d’avant-garde américain (1950-1970), Traces. Revue de Sciences humaines [En ligne], n°9 | 2005,
mis en ligne le 11 février 2008 <http://traces.revues.org/171 > Consulté le 5 août 2012.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 JAMES, David E., To free the cinema : Jonas Mekas and the New York Underground. Princeton, N.J. :
Princeton University Press, 1992, p. 3-16.

4
Bien entendu, c'est une vision très réductrice, une définition par opposition qui
subordonne cognitivement le cinéma expérimental à un modèle antagoniste , comme s'il ne
pouvait trouver en lui-même sa signification. Pour dépasser le dualisme, essayons de
définir positivement le cinéma expérimental, non seulement en tant que pratique, mais par
la pratique .
Nous examinerons donc au cours de ces pages deux formes de définition
complémentaires du patrimoine cinématographique : l'écriture de l'histoire et l'acte de
collecter. Fondamentalement, la collection est la matérialisation de la définition et
l'historiographie en est la mise en forme. Mais à les considérer aussi isolément, ces deux
formes risquent bien de se figer : définir peut alors revenir à confiner, à prendre la lettre
pour l'esprit, à instituer un modèle unique. Pour prévenir cette impasse, il faut puiser dans
les collections oubliées par l'histoire le moyen de récrire cette dernière, en les organisant en
vue d'un accès à la diversité culturelle.

Avant de nous situer du point de vue des institutions culturelles, examinons quel a été le
rapport entre celles-ci et le cinéma expérimental.

2) Institutions

Nous allons à présent observer le rôle parfois controversé de l'institutionnalisation dans le


développement du cinéma expérimental.

En tant qu'ils défendent une pratique artistique indépendante du système des industries
culturelles, l'anti-institutionnalisme est caractéristique du discours et des pratiques des
cinéastes expérimentaux. Il se dresse contre deux formes d'institutionnalisation : celle qui
se produit au sein même du cinéma expérimental, et celle qui résulte de la collaboration
avec les institutions publiques8. Dans la mesure où cette dernière touche avant tout la
production, nous ne nous y arrêterons pas.
8 Peter Thomas, spécialiste du cinéma expérimental britannique, évoquait la pratique actuelle de nombreux
musées en Angleterre, qui financent des films en fonction de leurs programmes d'exposition. La
commande remplace la liberté créative. Vidéo consultée dans le cenre de documentation du CCCB :
Xperimenta 09, Reescritures de la historia del cinema experimental.

5
Abordons donc la première catégorie d'institutionnalisation. Elle est indissociable de la
constitution de l'Anthology Film Archives, cinémathèque du cinéma expérimental
inaugurée le 30 novembre 1970 à New York, et de son Essential Cinema : « Anthology
Film Archives was conceived from the very beginning as a critical enterprise. An attempt
was made to formulate, acquire and frequently exhibit a nuclear collection of the
monuments of film art. »9
L'Essential Cinema, conçu pour être un cycle de projections permanent pouvant
condenser l'histoire du « film as an art »10 sur une période d'un mois, a été établi par un
comité de sélection composé par les cinéastes James Broughton, Jonas Mekas et Peter
Kubelka, et par les critiques Ken Kelman et P. Adams Sitney.
Bien que cet institutionnalisation a justement permis au cinéma expérimental d'accroître sa
visibilité en proposant une infrastructure stable, contrôlée par les cinéastes, et influant sur
l'historiographie à venir11, ce modèle a été critiqué à de nombreux égards :
américanocentrisme12, machisme13...
A l'occasion du Congrès International de Cinéma Expérimental de Toronto qui eut lieu en
1989, un collectif nommé DRIFT, comprenant entre autre les cinéastes Peggy Ahwesh,
Keith Sanborn et Su Friedrich, signa un manifeste protestant contre l'institutionnalisation
du cinéma expérimental selon le modèle de l'Essential Cinema.
Voici le premier paragraphe, traduit par la cinéaste et programmatrice Laida Lertxundi :
Desafiamos la Historia oficial sostenida por el Congreso Internacional de Cine
Experimental que se celebra en Toronto esta primavera. Hace tiempo que deberia
haberse suprimido el canon institucional de las Grandes Obras de la Avant-Garde. Ha
llegado la hora de reemplazar la atencion dada a la Historia del Cine por un analisis de
la funcion del cine en la construccion de la Historia. Para esta nueva tarea, los discursos
han de respetar la complejidad de las relaciones entre la multitud de historias que
9 SITNEY, P. Adams (éd). The essential cinema : Essays on the films in the collection of Anthology Film
Archives. New York, Anthology Film Archives, 1975, p. 3.
10 Id., p. 4.
11 Ainsi la collection établie pour le Musée National d'Art Moderne de Beaubourg par Peter Kubelka
reprend en grande partie la liste de l'Essential Cinema : NOGUEZ, Dominique. Éloge du cinéma
expérimental, Paris : Paris experimental, 2010, p. 168.
12 Ibid.
13 ZRYD, Michael. The academy and the avant-garde : a relationship of dependence and resistance, Cinema
Journal, Winter 2006, 45, No. 2, p. 23 :
« A major and salutary critique of the Essential Cinema canon emerged among feminist critics, who noted
both the all-male composition of the selection committee and the extremely low percentage of women
filmmakers it selected for inclusion (6 percent of the filmmakers were women, and only 4 percent of the
films were made by women) »

6
compiten y se desarrollan en el campo del cine y del video. 14

La politique de programmation qui orientait les sessions de Scratch15, telle que l'exprime
Yann Beauvais, relève du même esprit contestataire :
La diffusion existante butait sur des a priori qui entraînaient un appauvrissement. On
était confronté à des lectures partisanes de l'histoire, ce qui était pour le moins passéiste.
Tel groupe était promu au nom d'une fidélité à l'avant-garde. Et ce groupe marquait
l'aboutissement de l'histoire. En exagérant un peu, si tu n'appartenais pas à une
académie, tu n'avais pas droit de cité. […] Avec Scratch, nous voulions donner accès à
ces œuvres qui n'étaient pas disponibles et les montrer autrement.16

Ainsi, qu'il s'agisse de DRIFT ou de Scratch, la critique de l'institutionnalisation de va pas


sans une critique de l'histoire, un appel à une histoire plurielle.

Penchons-nous à présent sur les institutions vouées à préserver et à transmettre l'histoire


du cinéma : les cinémathèques. Si nous nous arrêtons à la partie la plus visible de leur
activité, en considérant les tendances dominantes de la programmation, l'image qu'elles
donnent du patrimoine cinématographique paraît avant tout représentative du long-métrage
de fiction. Un regard plus attentif nous découvre l'intérêt qu'elles peuvent porter aux
formes de création les plus marginales : on notera par exemple les cycles réguliers dédiés
au cinéma d'avant-garde par la Cinémathèque Française17. Si nous nous tournons vers
l'histoire, il semble par ailleurs que les cinémathèques ont été des institutions
déterminantes dans la divulgation du cinéma expérimental au cours des années 60 et 70.
Dominique Noguez, l'un des experts français en la matière, saluait Henri Langlois comme
un découvreur, pour l'organisation de la rétrospective « Avant-garde pop et beatnik » en
196718. Selon Juan Bufill, cinéaste et commissaire d'exposition, « entre 1976 y 1978 se
pudo ver mucho cine de autor y bastante cine experimental en la Filmoteca de la calle
14 Xcèntric : 45 peliculas contra direccion.. Barcelona : Centre de Cultura Contemporanea de Barcelona ;
Diputació Barcelona, 2006, p. 22.
15 Scratch, encore actif à ce jour, est une programmation française de cinéma expérimental créée en 1983
par Yann Beauvais et Miles McKane.
16 BEAUVAIS, Yann. Scratch Book. Paris : Light cone, 1999, p. 8.
17 Cinémathèque Française. « Programmations régulières: Cinéma d'avant-garde » [en ligne].
< http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/rendez-vous-reguliers/cinema-avant-garde.html>
Consulté le 10 juillet 2012.
18 NOGUEZ, Dominique. Éloge du cinéma expérimental, p.347 : Langlois est « celui qui sut un des
premiers défendre (et, quand-même, conserver) le cinéma d'avant-garde du monde entier. »

7
Mercaders [l'actuelle Filmoteca de Catalunya]»19, cet accès étant d'autant plus important
dans un contexte où il n'existait pas de réseaux de distribution indépendants, contrairement
aux États-Unis ou à la France20. Il précise cependant que depuis les années 80 « los ciclos
de cine experimental han sido excepcionales en las sucesivas sedes de la Filmoteca ».
Afin de vérifier ces propos, et d'évaluer objectivement le degré d'implication de cette
institution dans la valorisation du cinéma expérimental, nous avons mobilisé deux
ressources disponibles dans la bibliothèque de la Filmoteca : le catalogue des films
conservés et celui de la programmation à partir de 1975 (cf. Annexe 2, p.56).
En faisant une recherche par genre dans le catalogue, nous avons trouvé 244 films classés
comme expérimentaux, sur un total de plus de 150 000 bobines21. Le fonds couvre
essentiellement la production locale - outre une poignée de classiques (La folie du docteur
Tube (1915) d'Abel Gance, la Symphonie Diagonale (1924) de Viking Eggling, L'Etoile de
mer (1928) de Man Ray...) et plusieurs films à la frontière de l'expérimentalisme et de
l'auteurisme (ceux de Marcel Hanoun, Derek Jarman ou Marguerite Duras). Parmi les
moins obscurs, on y trouve quelques œuvres associées à l’École de Barcelone, que l'on
pourrait définir succinctement comme la nouvelle vague espagnole. Ce sont les plus
anciens dépôts: Dante no es unicamente severo (1967) de Jacinto Esteva et Joaquim Jorda,
BiBiCi Story (1969) de Carles Duran ou encore Umbracle (1970) de Pere Portabella.
Restent de nombreux réalisateurs internationalement méconnus, tels que Benet Rossell,
Antoni Padros ou Carles Santos.
Mais s'il est vrai qu'une des missions essentielles des cinémathèques est de conserver les
matériaux filmiques, ne doivent-elles pas aussi bien préserver la mémoire à travers la
projection ? Or, après avoir dépouillé les programmes, il est apparu qu'une bonne partie de
ces films n'avait jamais été montrée – du moins pas à la Filmoteca.
On notera cependant que certaines de ces œuvres ont été sauvées de l'oubli grâce à des
initiatives extérieures. Ce fut en particulier le cas pour Pintura 1962-63 de Ton Sirera qui
était dans un état avancé de dégradation, mais fut restauré à l'occasion de la rétrospective

19 Xcèntric, 45 peliculas contra direccion, p. 20.


20 Eugeni Bonet définissait le paysage cinématographique espagnol par « las carencias estructurales y de
circuitos alternativos. »
ROMAGUERA, Joaquim (éd). Las Vanguardias artísticas en la historia del cine español. Cornellà de
Llobregat : Filmoteca Vasca, 1991, p. 122.
21 Filmoteca de Catalunya. « Centre de restauracio i conservacio » [en ligne]
<http://www.filmoteca.cat/web/la-filmoteca/equipaments/centre-de-conservacio-i-restauracio>
Consulté le 10 juillet 2012.

8
organisée en 2010 par le CCCB autour du cinéma d'avant-garde espagnol : « Del extasis al
arrebato : un recorrido por el otro cine español ». 22. Parmi les œuvres projetées dans le
cadre de ce cycle itinérant, dont une partie a été éditée en dvd, on peut dégager entre autres
Exp. I (1958) et II (1959) de Joaquim Puigvert ou Ice Cream (1970) de Antoni Padros.
Quant au caractère général de la programmation et à son évolution sur cette période de
vingt-sept ans, on remarque que jusqu'aux années 90, au moins un cycle annuel de cinéma
expérimental était présenté. Passée cette période, la présence de l'avant-garde devient de
plus en plus clairsemée.
On notera, comme c'est souvent le cas dans l'historiographie du cinéma, une légère
prédominance de l'avant-garde américaine des années soixante, et du cinéma abstrait et
surréaliste des années vingt. Mais on constate tout de même une volonté manifeste de
représenter la diversité internationale : à travers le cycle de cinéma expérimental français
(84-85), programmé par Dominique Noguez, qui confronte les classiques (Jean Cocteau,
Jean Mitry) et les obscurs (Raymond Hains, Christian Bidault ou Frédéric Jaulmes) ; ou la
rétrospective organisée par Sixpack Films autour du cinéma autrichien (92-93). La
filmographie nationale est également mise en avant : on remarquera, outre quelques cycles
individuels (José Antonio Sistiaga pendant la saison 89-90, Antoni Padros en 79-80 et en
2011), deux rétrospectives importantes : « Practica filmica i avantguarda artistica a
Espanya 1925-1982 », qui fut également accueillie au Centre Pompidou, et servit de base
au cycle « Del Extasis al Arrebato » mentionné ci-dessus ; et « Fora de camp : set itineraris
per l'audiovisual catala » en 1999.
On note également que, d'un rôle pionnier, la cinémathèque en est venue à occuper une
fonction de relais. La cinémathèque n'a plus l'initiative de programmer des films
expérimentaux, elle adapte sa programmation de manière à faire écho aux événements
culturels extérieurs, à l'actualité artistique. On note à cet égard quelques rétrospectives
parallèles à des expositions à la Fundacio Tapies (le « cinema marginal » brésilien en 1993
ou « Sutures i fragments » en 2004) ou à la galerie Metrònom (« Fora de camp » en 1999),
ou plus récemment à l'occasion du festival d'art vidéo Loop ; ainsi que des programmes
établis par des organismes spécialisés tels que Sixpack Films (92-93 : « Cinema
d'avantguarda austriac ») ou Anthology Film Archives (cycle « Unseen Cinema » en 2003).

22 Propos recueillis lors d'un entretien avec Carolina Lopez, directrice de Xcèntric.

9
Après avoir examiné la situation du cinéma expérimental au sein de l'histoire locale, nous
allons enquêter sur la place qui lui est attribuée dans l'histoire générale du cinéma, ainsi
que sur le rapport entre cinéma et historiographie.

3) Histoire(s) du cinéma

Qu'est-ce que l'histoire du cinéma ? Nous allons répondre à cette question le plus
naïvement possible, en considérant qu'il s'agit de la synthèse de toutes ses histoires.
Pour parvenir à cette synthèse, nous avons dépouillé les soixante-cinq ouvrages que nous
avons pu trouver dans la bibliothèque de la Filmoteca, classés en tant que « Histoire
générale ».
Il va de soi que nous n'avons pas lu l'intégralité de la bibliographie que nous reproduisons
en annexe (p. 56). Nous avons simplement identifié la présence de références au cinéma
expérimental à travers l'index et le sommaire, et, le cas échéant, vérifié dans le texte quel
aspect en était abordé. Par souci d'actualité, nous n'avons considéré, dans la mesure du
possible, que les éditions les plus récentes des ouvrages.
La fondation de l'Anthology Film Archives représente en quelque sorte notre année zéro :
nous avons exclu les écrits antérieurs à l'année 1970. Par ailleurs, le critère que nous avons
établi pour déterminer si ces ouvrages traitaient du cinéma expérimental est la référence
aux auteurs canoniques de cette période : l'omission de noms tels que Jonas Mekas ou Stan
Brakhage condamne aussitôt l'histoire du cinéma à l'incomplétude.
Si nous n'avons pas tenu compte des références aux avant-gardes des années vingt
(impressionnisme, surréalisme, abstraction...), c'est parce que, du fait de leur appartenance
à une époque révolue (le cinéma muet, la modernité, les avant-gardes historiques),
l'historien peut facilement porter sur ces œuvres un regard d'antiquaire, ne pas tenir compte
de leur actualité.

10
Nous avons calculé le taux de références selon ces trois critères :

Voici par ailleurs la courbe d'évolution chronologique. Nous n'avons choisi pour établir
cette dernière que le critère de l'auteur, dans la mesure il s'agit du type de référence le plus
fréquent.

11
Notons que la légère croissance que l'on remarque dans les années quatre-vingt pourrait
s'expliquer par le faible nombre d'ouvrages que nous avons pu consulter pour cette période.

Nous avons donc constaté que ces historiens rentraient rarement dans le détail des œuvres,
se contentant trop souvent d'une litanie nominative, ne définissant en rien les enjeux
esthétiques et les pratiques novatrices mises œuvre par les cinéastes.
Le cinéma expérimental souffre d'une autre forme d'ignorance : l'incompréhension. Ainsi
Jean-Louis Leutrat, qui n'ayant pas vu les films23, mentionne les cinéastes à titre indicatif, à
la faveur d'une définition très approximative de Dominique Noguez indiquant que les
« préoccupations formelles » priment sur la narration, assimile le cinéma expérimental à ce
que l'on appelle le cinéma de la modernité (Antonioni, Duras, Angelopoulos, Godard...), ce
qui pour Noguez serait un total contre-sens.24
Mais l'incompréhension vaut toujours mieux que la condescendance. Voici certains
jugements à propos de l'avant-garde des années vingt: "Jugaban con el cine como un niño
que juega con un mecano o con plastilina, [...] resulta difícil contemplar con placer, en la
actualidad, la mayoría de sus películas"25, et du cinéma expérimental américain: "Con todo,
el cine "alternativo" que se ofrecía a menudo no pasaba de una serie de experimentos
vanguardistas lunáticos"26.

En somme, bien que le taux de présence du cinéma expérimental dans les livres d'histoire
ait quelque peu augmenté au fil de ces quarante années, cela reste sans commune mesure
avec la facilitation progressive de l'accès, que nous exposerons dans les chapitres suivants.

Nous avons donc approché l'histoire écrite sous son aspect statistique. Mais ce n'est pas
sous cette forme qu'elle est transmise, enseignée . Pour éviter de nous perdre dans les
dédales bibliographiques, nous avons besoins de livres de référence. Penchons-nous donc à
présent sur un cas particulier: la Story of Cinema de Mark Cousins27, qui semble être l'un

23 « La plupart des films de ces réalisateurs sont mal connus, sinon invisibles », LEUTRAT, Jean-Louis. Le
cinéma en perspective : une histoire. Paris : Nathan, 1992, p. 84.
24 NOGUEZ, Dominique. Éloge du cinéma expérimental. Paris : Paris experimental, 2010, p. 170-172 :
Noguez en fait deux systèmes opposés : le cinéma d'auteur, parangon de l'art cinématographique pour les
revues et les universités, a favorisé l'occultation du cinéma expérimental en France, et plus encore du
cinéma expérimental français , « dans une ombre que la critique n'éclaire pas ».
25 Historia del cine. Vol 1. Madrid : Sarpe, 1984. p. 287.
26 Id. Vol 3, p. 155.
27 COUSINS, Mark. The story of film. New York : Thunder's Mouth Press, 2004.

12
des livres les plus utilisés actuellement pour l'enseignement de l'histoire du cinéma en
Catalogne. L'ouvrage est en effet recommandé dans deux des principaux instituts de la
région dispensant un enseignement cinématographique.
A la Faculté de Communication Blanquerna28, le livre figure dans la bibliographie de base
de deux unités d'enseignement: le cours d'histoire du cinéma dispensé en troisième année,
qui réserve son chapitre final aux avant-gardes cinématographiques, et le cours de
quatrième cycle entièrement dévolu au cinéma d'avant-garde. A l'ESCAC29, principale
école de formation catalane des professionnels de l'audiovisuel, le livre est proposé dans le
cours d'histoire du cinéma dispensé dans le cadre de l'année préparatoire.
Avant les récriminations, reconnaissons-lui certains mérites, certaines innovations
historiographiques: sa remise en question de la notion de classicisme telle qu'elle est
appliquée au cinéma hollywoodien des années 5030, et sa critique de l'ethnocentrisme31.
Cependant, la relative absence du cinéma expérimental dans un ouvrage qui se veut une
histoire de l'innovation32 est surprenante, et l'on s'étonne par ailleurs qu'il puisse réellement
être utile à l'étude spécifique du cinéma expérimental33.
Remarquons d'abord que le livre suit le cloisonnement géographique et temporel que nous
avons observé ci-dessus, exception faite d'un paragraphe dédié à Maya Deren, qui
représenterait la transition esthétique et géographique d'une période à l'autre.34

28 Blanquerna, Universitat Ramon Llull. « Grado en Cine y Televisión (Comunicación Audiovisual) - Plan
de estudios » [en ligne]
<http://www.blanquerna.url.edu/web/interior.aspx?idf=4&id=1767&alias=fcc.estudis-grau.cinema-
televisio.pla-estudis&lang=_es> Consulté le 10 juillet 2012.
29 Escola Superior de Cinema i Audiovisuals de Catalunya (ESCAC). « Curs preparatori »
<http://www.escac.es/images/ESCAC/ES/secciones/estudios/pladestudiscurspreparatori.pdf>
Consulté le 10 juillet 2012.
30 « The standard approach of mainstream Hollywood is essentialy romantic rather than classical. [...]
Classicism in art describes a period when form and content are in harmony, when there is a balance
between the style of the work and the emotions or ideas it is trying to express. », p.15-16 . Selon lui, le
classicisme cinématographique serait incarné par Yasujiro Ozu.
31 « Non-Western cinema is undervalued in film books, festivals, retrospectives, TV programmes,
entertainment journalism and the like – a situation that damages the medium. », p. 15.
32 « Innovation drives art and I have tried in the chapters that follow to reveal key innovative moments in
the history of world cinema. », p. 8.
33 Bien entendu, il ne s'agit pas du seul livre proposé dans le cadre du cours de cinéma d'avant-garde de la
Faculté Blanquerna, qui renvoie aussi à deux monographies spécialisées: SÁNCHEZ-BIOSCA, V. Cine y
vanguardias artísticas. Paidós, 2004, et TEJEDA, C. Arte en fotogramas. Cine realizado por
artistas. Cátedra, 2008.
On peut penser que le propos de l'enseignant était, grâce au livre de Cousins, de présenter l'innovation
dans un contexte plus large que celui de l'expérimentation la plus radicale.
34 On peut regretter l'absence d'autres réalisateurs aussi importants pour cette période de transition entre
surréalisme et formalisme dans les années 40 et 50, tels que Marie Menken ou Kenneth Anger. On
comprend cependant qu'il s'agit d'un choix stratégique, visant à consolider la continuité entre le cinéma
expérimental et le cinéma d'auteur: "Meshes of the Afternoon prefigured the French films of Alain Resnais

13
On notera cependant que ce cloisonnement est moins important qu'il ne l'est
habituellement dans le chapitre dédié aux premières avant-gardes européennes: sont
évoquées des œuvres importantes telles que Une page folle (1926) de Teinosuke Kinugasa,
souvent considéré comme le premier film expérimental japonais, Limite (1931) du
brésilien Mario Peixoto, ainsi qu'un obscur court-métrage polonais d'inspiration surréaliste:
Europa (1932) de Stefan et Franciszka Themerson.
On peut en revanche regretter que le chapitre consacré à la première avant-garde française
(ou cinéma impressionniste) ne tienne pas compte de ses œuvres les plus expérimentales.
Cousins en reste aux références galvaudées: l'étude de Germaine Dulac ignore ses
"cinégraphies" les plus abstraites, des « films de montage » d'inspiration musicale, tels que
Thèmes et variations (1928) ou Disque 957 (1928), et s'en tient à des œuvres qui, bien que
formellement novatrices, sont encore soumises aux impératifs de la narration, telle que La
souriante Madame Beudet (1923). Nous pouvons faire la même critique en ce qui concerne
Abel Gance, qui est représenté par Napoléon (1927), son film le plus monumental, tant par
la durée (cinq heures) que par le dispositif technique (projection sur trois écrans ou
« polyvision »). Cependant, le court-métrage La folie du docteur Tube (1915), qui explore
les possibilités anamorphiques des miroirs déformants, et que l'on considère comme l'un
des premiers films expérimentaux, est oublié.
Autre lacune, plus importante encore: les seuls cinéastes expérimentaux cités dans le
corps de texte pour représenter le renouveau cinématographique des années soixante sont
Andy Warhol, auquel il accorde tout de même un paragraphe35, et Bruce Conner, qu'il ne
mentionne que pour remarquer son influence sur le final pessimiste de Easy Rider36, sans
faire le moindre commentaire sur son œuvre. Le reste de la scène expérimentale tient en
une note en fin de chapitre:
By this stage the American avant-garde film scene had become one of the most fertile in
the world. Conner and Warhol have been mentionned, but the prolific Stan Brakhage
was at least as important a figure. Making films from 1951, he built on the allusive
autobiographical cinema of Maya Deren, extending it using camera-less and abstract
techniques and creating works of his wife giving birth or about their lovemaking. The
Ohio-born Hollis Frampton was equally experimental, if less productive, and, like the
and Agnès Varda and her visual style influenced mainstream cinematographers such as Nestor
Alemendros.", p. 181.
35 Id., p. 323
36 Id., p. 325

14
Canadian former jazz musician Michael Snow whose Wavelength (1967) explores the
time-space properties of shots, he is considered a cinematic structuralist.37

Outre l'ironie qu'il y a à évoquer la fertilité de ce domaine dans un compte rendu aussi
sommaire, il faut ajouter que les auteurs cités dans cette note ne sont pas présents dans
l'index nominal. La marginalité de l'avant-garde par rapport à l'histoire du cinéma est assez
bien signifiée par ces choix typographiques.

Pour bien en comprendre la spécificité, il est important de souligner que cet écart par
rapport à l'histoire est inscrit dans l'esthétique même du cinéma expérimental.
Par son refus de la narrativité homogène et linéaire, il résiste à cette forme de récit qu'est
l'histoire. Dominique Païni en relevait l'apparence anachronique, qu'il s'agisse des films
abstraits ou de ceux utilisant des bandes préexistantes (found footage) :
Souvent, un spectateur ordinaire de ces bandes expérimentales ne sait pas, ne peut pas
en général les dater, à la différence d'un spectateur du cinéma ordinaire lorsqu'il
découvre un film de décennies antérieures dont la mode vestimentaire des personnages,
la prononciation des acteurs, la qualité du noir et blanc ou de la couleur participent des
critères de datation spontanée. 38

Parker Tyler condamnait une certaine tendance de l'avant-garde américaine des années
soixante à fétichiser l'instant à travers l'acte gratuit de filmer et le montage d'images en
boucle, impasse à laquelle il oppose la nécessité d'une éthique ou d'une axiologie de
l'histoire39 :
A distinct irony of the Underground is that here the film, the only complete time art of
the theater, exactly duplicating itself simply by starting the reel all over again, declines
to take seriously its own historical integrity. Underground Film desires rather to regard
« the record » as both a dispensable and yet renewable « time » ; supposedly a thing

37 Id., p. 327.
38 PAÏNI, Dominique. Le temps exposé : le cinéma de la salle au musée. Paris : Cahiers du cinema, 2002. p.
56.
39 Il regrettait également le nivellement artistique qui était permis par l'absence de discrimination de la Film-
Makers Coop, qui acceptait de distribuer tous les films leur étant remis. Il est important de noter que
l'écriture de ce livre précède la formation d'un canon, et donc d'une histoire de l'avant-garde à travers
l'Essential Cinema.

15
that, once homogenized with the current of life, never knows separation or objectivity,
can never be « viewed » as isolated object, and therefore cannot be judged, cannot even
be accepted or rejected. It simply is – in a kind of automatic, impremissible, endless
continuity... Well, this would not only be the end of film history, it would be the end of
history. I prefer history for film only because I prefer consciousness for film. Therefore,
I am for Underground Film only as I am for its historic avant-garde values as these exist
and can be verified in a total continuity of aesthetical values. Fetish footage is a dead
end... 40

Mais cette crise de l'histoire peut également être constructive : elle nous invite à repenser
l'historiographie, qu'elle concerne les événements du monde ou ceux de l'art. C'est ce que
propose Jeffrey Skoller :
I look at the way in which a range of avant-garde film-makers [...] have explored the
possibilities of thinking about history through cinema at the end of the twentieth
century. While for the most part, avant-garde films are seen to exist at the margins of –
usually in reaction to or as laboratory for – dominant industry forms of cinema, less
evident are their connections to contemporary intellectual thought, which reflects the
epistemological shifts in historiography during the last half of the century41.

Son étude se fonde sur le parallèle entre la narrativité historique remise en question par
des penseurs tels que Michel de Certeau, Michel Foucault ou Roland Barthes, et les
conventions narratives rejetées par le cinéma expérimental :
These films often foreground the constructed nature of narrative forms and the
materiality of the film medium, both being integral part in the meaning-making process.
In conventional historiography, these formal elements are often understood to be the
very aspects of a text that limit access to an « objective truth » in the recounting of an
event. In these films, by contrast, their formal and aesthetical aspects are foregrounded
to become the generative element that releases history as a force acting on the present. 42

40 TYLER, Parker. Underground film : a critical history.New York : Grove Press, 1970. p. 235.
41 SKOLLER, Jeffrey. Shadows, specters, shards : making history in avant-garde film. Minneapolis :
University of Minnesota Press, 2005. p.14.
42 Id., p. 15.

16
Pour Philippe-Alain Michaud, le cinéma expérimental (Joseph Cornell, Ken Jacobs, Jack
Smith, Paul Sharits...) est l'occasion de penser le cinéma dans la continuité des arts
plastiques, et réciproquement de voir dans le cinéma non seulement une technique mais un
modèle de l'histoire de l'art, une façon de penser les images et les relations formelles :
L'écran n'est pas une fenêtre à travers laquelle le monde ou le reflet du monde
s'étendent en profondeur : émancipé de la photo-impression et dissocié de son appareil
technique, le cinéma échappe à son histoire et s'ouvre à d'autres champs où on le voit
jouer des logiques figuratives ou formelles qui semblaient réservées au complexe ciné-
photographique.43

Dès lors, l'on peut non seulement penser la production du cinéma hors de son dispositif
technique habituel , mais aussi situer sa diffusion hors de la salle de cinéma.

43 MICHAUD, Philippe-Alain. Sketches : histoire de l'art, cinéma.. Paris : Kargo & l'eclat, 2006. p. 3.

17
II - Topographies

1) De la salle de cinéma au musée

L'histoire du cinéma n'est pas qu'une filmographie, une histoire des images et des
conditions de leur production et de leur préservation, c'est aussi une histoire du regard et
des formes de présentation.
Selon Philippe Alain Michaud, il ne s'agit pas seulement de penser la continuité entre le
cinéma et les autres arts de façon théorique : il faut aussi en faire une pratique
muséographique, en présentant les films dans le même espace que les peintures ou les
sculptures44.
Or, cette rencontre entre le film et l'espace muséal ne va pas de soi. Peter Kubelka a
parfaitement défini la contradiction : « In a museum, the works are still and it is the viewer
who moves, with cinema it is the contrary. »45
Cependant, l'histoire du cinéma expérimental nous apprend à relativiser cette opposition
entre projection cinématographique et exposition muséographique. Les cinéastes n'ont pas
seulement expérimenté avec la forme ou le matériau filmique : leur souci d'innovation s'est
également porté sur le dispositif de projection.

José Val del Omar, reconnu comme le principal pionner de l'avant-garde


cinématographique en Espagne, présente, dans une allocution prononcée lors du Neuvième
congrès international de la technique cinématographique de Turin de 1957, les moyens
qu'il croit nécessaires au cinéma pour combattre la concurrence de la télévision :

Por muy disparatados que parezcan, no tengo inconveniente en enumeraros unos


cuantos resortes posibles en los salones de espectáculos normalizados, orientándose
hacia una mayor participación del espectador que es un juicio en el que todo el mundo
está de acuerdo.

44 Xperimenta 2007 : Més enlla de la sala fosca. Vidéo consultée au centre de documentattion du CCCB.
45 Xperimenta 2007 : Generacions. Vidéo consultée au centre de documentation du CCCB.

18
1. Una mayor obscuridad y una mayor iluminación de la sala de espectáculos durante la
proyección de las películas por medio de una luminotecnia pulsatoria sincronizada,
programada, participando durante la proyección.

2. La presencia de un perfume inductor, propio del tema cinematográfico que se exhiba.

3. Un sabor determinado a cada cinta, bajo la forma de aperitivo. (Los efectos de


perfume y sabor ya se encargarán de lanzarlos los departamentos de reclamo).

4. El complemento a la nueva visión tactil (producida por iluminación pulsatoria tactil)


y consistente por este complemento en un programa de efectos pulsatorios con
regulación independiente en cada butaca.

5. El sonido diafónico, de encuentro, colisión y reacción entre espectador y espectáculo,


producido por dos focos o arcos en contracampo de pantalla y fondo de sala.

6. El desbordamiento apanorámico de la imagen, del que quiero ahora concretamente

hablaros.46

Parmi ces propositions, les trois dernières correspondent à des techniques mises en œuvres
pour la réalisation et la présentation de ses propres films. Arrêtons-nous sur le
“desbordamiento apanorámico”, qui consiste dans une double projection: une image
centrale projetée sur l'écran encadrée par une projection qui s'étendrait sur le reste de la
salle. Voici les détail qu'il donne quant à la mise en œuvre et aux effets qu'il souhaite
obtenir (nous renvoyons également à l'annexe page 68 pour un schéma de la main de
l'auteur) :

Sólo la imagen que ocupa su centro o fóvea es la que se nos presenta plenamente,
mientras que el resto de las imágenes de un plano no hace más que acompañar a la
principal. Es decir, la imagen foveal está rodeada de bultos situados en un anillo
extrafoveal. [...] El fotograma panorámico actual [...] podrá encontrarse rodeado de un
área de imágenes inductoras, 4 veces mayor gracias a la proyección de esa nueva
imagen impresa en el espacio entre fotogramas, o interfotograma, y que es la encargada
de producir este efecto de anillo o marco, o desbordamiento extra-foveal.
46 VAL DEL OMAR, José. Escritos de tecnica, poetica y mistica. Madrid : Ediciones de La Central :
MNCARS, 2010. p. 208.

19
La impresión y proyección de esta imagen luminosa, de doble foco y doble campo
concéntrico, puede realizarse por diversos procedimientos entre los que señalo el de
desviar por un espejo o prisma una de las dos imágenes complementarias del fotograma,
operando con dos ópticas base, una de gran ángulo y otra normal, concéntricas. Las
ventajas de este sistema son notables por permitir en las instalaciones cinematográficas
sin acondicionamiento apanorámico, la proyección del fotograma normal panorámico
que hoy se emplea; siendo la misma copia la que puede llevar los efectos extrafoveales
de expansión que puede extenderse sobre paredes, techo y suelo del frontal de la
pantalla. Esos efectos de expansion óptica extra-foveal no exigen un determinado modo
de caer sobre una superficie lisa o acromática, ni tienen necesidad de tener foco ni
nitidez. Tal imagen tampoco tiene que ser forzosamente continuidad física de aquella
impresa para la zona foveal. Esta segunda proyección no es exclusivamente una imagen
objetiva documental. A nuestro juicio constituye una zona puente entre espectáculo y
espectador, y sus efectos proceden de imágenes abstractas y movimientos subjetivos;
queriendo decir con esto que la dinámica de estos reflejos de desbordamiento y su
cromatismo serán factores importantes para la participación del espectador en el
espectáculo. Como complemento a esta segunda proyección concéntrica y de
desbordamiento por el salón, el sistema de sonido diáfonico o de encuentro y choque
entre el espectador y el espectáculo, producido por dos canales en contracampo, es el
más eficaz para acentuar esta nueva técnica de relieve psicológico.47

47 Id., p. 209.

20
Projection du film Aguaespejo Granadino (1957), au Museo Reina Sofia (2010)

Jonas Mekas, Jacques Ledoux, P. Adams Sitney et Peter Kubelka à l'Invisible Cinema (1970)

21
L’Invisible Cinema de Peter Kubelka fut conçu pour les projections de l'Anthology Film
Archives . Cette salle était une expérience plus puriste: ici, il ne s’agit pas tant de stimuler
sensoriellement le spectateur que d’éliminer toute distraction possible, tout élément
étranger au film. Paul Adams Sitney alla jusqu'à parler de « machine for film viewing. »48.

Les sièges de l'Invisible Cinema (s.d.)

Les sièges étaient conçus de sorte à ce que la vision latérale et frontale du spectateur
soient recadrées sur l'écran: les autres spectateurs, et la salle elle-même, cessaient d'être
perçus , tel que l'explique Kubelka:
48 SITNEY, P. Adams. The essential cinema : Essays on the films in the collection of Anthology Film
Archives. New York : Anthology Film Archives, 1975, p. 7.

22
I gave this concept of cinema the name "Invisible Cinema" to underline the fact that an
ideal cinema should not be at all felt, should not lead its own life, it should practically
not be there. The cinema as built for Anthology Film Archives was relatively small in
size, seating less than 100 people. Ceiling, walls, seats were all covered with black
velvet; the floor was covered with black carpeting. Doors and everything else were
painted black. In the whole room, only the screen itself was not completely black.
Consequently, the screen and the film projected were the only visual points of reference.
In a cinema, one shouldn't be aware of the architectural space. Due to the blackness of
the room, there is no black reflection whatsoever on the screen.49

La perception auditive est aussi affectée par ce dispositif:


The shell-like structure of the seat completely shielded the upper body from the
neighbors and people in back and front and also had an acoustic purpose. Similar to
hearing devices used in Second World War they were simulations of big ears which
concentrated the sound coming in directly from the screen and subdued sounds coming
from other directions in the room, thereby creating a maximum of silence within which
the sound from the film would be undiluted.50

Face aux critiques lui reprochant d'isoler les spectateurs, de rompre avec l'expérience
communautaire propre au cinéma, Kubelka expose alors la portée sociale de son invention:
A sympathetic community was created, a community in which people liked each other.
In the average cinema where the heads of other people are in the screen, where I hear
them crunching their popcorn, where the latecomers force themselves through the rows
and where I have to hear their talk which takes me out of the cinematic reality which I
have come to participate in, I start to dislike the others. Architecture has to provide a
structure in which one is in a community that is not disturbing to others.51

49 HALLER, Robert (éd.). Perspectives on Jerome Hill & Anthology Film Archives , New York : Anthology
Film Archives, 2005, p. 34.
50 Ibid.
51 Id., p. 38.

23
Stan Vanderbeek devant le Movie Drome (s.d.)

L'américain Stan Vanderbeek proposait une fusion plus radicale de l'image et de l'espace
avec le Movie Drome. Il fut construit à New York, Stony Brook dans un silo abandonné. Il
proposait au spectateur l'immersion dans un environnement audiovisuel, équipé d'une
multitude de projecteurs fonctionnant simultanément, parfois avec la présence de
musiciens.52
La différence par rapport aux dispositif précédents est qu'il s'agit d'un espace
déambulatoire, qui a été construit moins pour montrer des films que pour dépasser les
carcans du cinéma : le spectateur n'est plus assujetti à l'image projetée sur le support
unique et frontal de l'écran, il la traverse, s'en imprègne. Tout est support de projection, la
frontière entre l'imaginaire et le réel s'abolit.
Notons que la version concrète du Movie Drome n'était qu'une petite partie du projet :
« Large dome structures would be erected in sites around the world, which would serve as

52 WILEY, Chris. « Exhibition Review – Stan VanDerBeek (On view at Guild & Greyshkul thru Oct. 18) »
[en ligne] <http://daylightbooks.org/blog/2008/10/15/253> Consulté le 17 juillet 2012.

24
hubs for the distribution of knowledge via the universal language of the information age—
images. Programs at the various Movie-Dromes would be tailored to the needs and desires
of local populations, and would draw on a limitless image library, parts of which would be
stored electronically in each Movie-Drome, which would, in turn, be connected up to its
fellows through a network of satellites, televisions, and telephones. »53

Stan Vanderbeek au Movie Drome (s.d.)


Ces trois inventions sont restées en partie des utopies : les seules informations que l'on
trouve quant à la mise en application du débordement par Val del Omar parlent d'une
projection de Aguaespejo Granadino (1955) au Festival du film de Berlin de 195654,
l'Invisible Cinema fut détruit lors du déménagement d'Anthology Film Archives en 1973,
et ne fut pas reconstruit pour des raisons budgétaires et architecturales55, et le Movie
Drome eut une période de vie très éphémère, puisqu'il ne fut en activité qu'entre 1963 et
196556.
Cependant, les musées se sont intéressés à ces dispositifs, qui rejoignent les formats
d'exposition de l'art contemporain. On notera donc deux reconstitutions :

53 Ibid.
54 GUBERN, Roman. Val del Omar, cinemista.. Granada : Diputación de Granada, 2004, p. 57.
55 Perspectives on Jerome Hill, p. 39
56 WILEY, Chris. « Exhibition Review – Stan VanDerBeek (On view at Guild & Greyshkul thru Oct. 18) »
[en ligne] <http://daylightbooks.org/blog/2008/10/15/253> Consulté le 17 juillet 2012.

25
Celle du « desbordamiento apanoramico » au Museo Reino Sofia, dans le cadre de
l'exposition « Desbordamiento Val del Omar »57, qui fut utilisé pour les projections du film
Aguaespejo granadino pour lequel il fut élaboré à l'origine (voir illustration p. 21), ainsi
que lors du concert donné par Laratija Nick dans l'auditorium du musée, qui reprenait
également le principe du son diaphonique .
Et celle du Movie Drome au New Museum de New York, dans le cadre de l'exposition
“Ghosts in the Machine” en juillet 2012.58

Ainsi, les réinventions du cinéma expérimental sont récupérées dans le contexte


muséographique contemporain de l'installation et de la performance.

2) Ciné-expositions

Le cinéma exposé est une pratique récurrente du CCCB : on compte de nombreuses


expositions sur des thèmes cinématographiques : nous pouvons citer entre autres « La
ciutat dels cineastes » (2001)59, qui proposait la création d'un environnement audiovisuel à
partir de l'imaginaire urbain du cinéma, « Mientras tanto... Ivan Zulueta »60 (2005), qui fait
dialoguer le travail photographique et cinématographique de l'artiste, « Hammershøi i
Dreyer » (2007)61, étude comparée des tableaux et des films des deux maîtres danois.

On remarque également la présence de l'audiovisuel dans des expositions extra-


cinématographiques, comme celle dédiée récemment au photographe Martin Parr et au
collectionneur Juanjo Fuentes, « Souvenir ». Celle-ci présente deux vidéos : la première est
un extrait des Carabiniers (1963) de Jean-Luc Godard qui fait écho au thème des
57 Museo Reina Sofia. « Desbordamiento Val del Omar » [en ligne]
<http://www.museoreinasofia.es/exposiciones/2011/val-del-omar.html> Consulté le 17 juillet 2012.
58 HAMER, Katy Diamond. « Ghosts in the Machine @ Newmuseum, NY » [en ligne] <http://www.eyes-
towards-the-dove.com/2012/08/g-h-o-s-t-s-in-machine-newmuseum-ny.html> Consulté le 12 août 2012.
59 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « La ciutat dels cineastes » [en ligne]
<http://www.cccb.org/ca/exposicio-la_ciutat_dels_cineastes-12915> Consulté le 10 août 2012.
60 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « Mientras tanto... Ivan Zulueta » [en ligne]
<http://www.cccb.org/ca/exposicio-mientras_tanto_ivan_zulueta-12962> Consulté le 10 août 2012.
61 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « Hammershøi i Dreyer » [en ligne]
<http://www.cccb.org/ca/exposicio-hammershoi_i_dreyer-10917> Consulté le 10 août 2012.

26
collectionneurs, la seconde montre le transfert de la collection de Juanjo Fuentes vers ce
nouvel espace d'exposition.

Mais l'une des expositions du CCCB rejoint plus particulièrement notre objet d'étude :
« That's not entertainment ! » (2007). Selon Andrés Hispano, commissaire aux côtés
d'Antoni Pinent, le propos de l'exposition était de définir le cinéma expérimental à travers
de pratiques qui se trouvent à rebours des films traditionnels.
Il fallait pour cela montrer la spécificité du support filmique et la diversité des formes
sous lesquelles il peut apparaître, et par ailleurs mettre l'écran en scène, exposer le
dispositif. La plupart des films ont été présentés sous forme d'installation, au format
numérique, mais afin d'inviter à comprendre la spécificité du médium, souci récurrent du
cinéma expérimental, ont été projetées deux œuvres canoniques dont le sens est
indissociable du support filmique: Arnulf Rainer (1960), de Peter Kubelka, et Mothlight
(1963) de Stan Brakhage.
La première est une œuvre entièrement abstraite, reposant sur l'alternance entre
photogrammes noirs et blancs, créant ainsi un effet de clignotement hypnotique, en langue
anglaise « flicker », plus tard développée par d'autres cinéastes tel que Paul Sharits ou
Tony Conrad. Le film était présenté sous deux formes, correspondant à deux formes de
réception : la projection qui produit un effet assez agressif, et l'exposition de la bande de
celluloïd à la manière d'un tableau abstrait, qui met en avant le travail de calcul et de
composition.
Mothlight (1963) est un film réalisé en insérant des feuilles et des insectes morts entre
deux pellicules, créant ainsi une impression abstraite à partir d'éléments naturels.

Si selon Andrés Hispano, une exposition est un essai spatialisé, voici les chapitres qui en
constituaient le discours, dans l'ordre du parcours :

27
L'entrée dans la salles d'exposition se fait à travers un rideau sur lequel est projeté The Big Swallow (1901)

Film Ist : Il s'agit du cycle de films du cinéaste autrichien Gustav Deutsch, présenté sous
forme d'installation circulaire sur huit écrans. Film Ist 1-6 (1998) et 7-12 (2002) composent
une sorte de dictionnaire audiovisuel, dont chaque chapitre illustre un aspect définitoire du
cinéma (la lumière, le mouvement, le langage) à partir d'un montage de films (scientifiques
pour la première série, muets pour la seconde).

L'argument és la llum (La lumière est le scénario) : Projection / exposition du film de


Peter Kubelka, Arnulf Rainer (1960).

28
Arnulf Rainer (1960), Peter Kubelka

Sense càmera (Sans caméra) :

Projection de Mothlight (1963) de Stan Brakhage, mise à disposition des visiteurs d'une
moviola avec une bande de pellicule vierge sur laquelle ils étaient conviés à peindre, et
exposition de José Antonio Sistiaga et autres films peints ou imprimés directement sur la
pellicule.

29
Mira'm (Regarde-moi) : Une installation sur le thème de l'autoportait (Chantal Akerman,
Caroline Mouris...) qui reproduit le décor de la domesticité, et présente des formats
amateur tels que le 16mm ou le Super 8.

Sense permís (Sans autorisation) : Présentation de la pratique du found footage ou


cinéma d'appropriation à travers les œuvres de Joseph Cornell, Mathias Müller, Martin
Arnold ou encore Jean-Luc Godard.

Sense imatges (Sans images) : Salle consacrée à Guy Debord, qui réalisa l'un des
premiers films sans images avec Hurlements en faveur de Sade (1952), composé
entièrement d'un écran noir et d'une bande son. Il s'agit de montrer, à travers d'extraits
textuels du film/essai La société du spectacle (1967 pour le livre, 1973 pour le film) que le
cinéma est une forme de discours, et par conséquent une idéologie en puissance.

Comptant amb la seva credulitat (En comptant sur votre crédulité) : Salle qui fait
dialoguer deux écrans projetant de faux documentaires.

L'estratègia del xoc (la stratégie du choc) : Une série d'écrans dans un couloir dissimulé
par un rideau rouge, qui représentent des images subversives et choquantes (entre autres
des films de Jean Genet, Kenneth Anger, Georges Franju, Kurt Kren, Andy Warhol),
faisant voler en éclats les tabous de la représentation.

30
Face à l'impossibilité d'exposer ce sujet de manière exhaustive, et pour exploiter la
quantité considérable de matériel recueilli, il a été décidé de donner au visiteur le moyen
d'approfondir les pistes ouvertes par l'exposition, à travers l'élaboration d'une collection
numérique consultable sur place, qui clôt l'exposition.
L'Arxiu (archive) Xcèntric est donc apparu comme complément d'exposition. Il s'agit en
un sens d'une exposition virtuelle permanente. Collection et exposition sont alors deux
moyens complémentaires de définir et de donner accès à l'image animée, au-delà du
dispositif cinématographique traditionnel.

3) On Site / Online

L'Arxiu Xcèntric est une collection numérique spécialisée dans le cinéma expérimental,
qui lors de son inauguration présentait quelques 300 films, et qui aujourd'hui comprend
870 titres, pour la plupart des courts et moyen-métrages. Il est librement et gratuitement
consultable aux horaires d'ouverture du Centre.

C'est une offre originale par rapport aux grands musées d'art contemporain en Espagne.
Ainsi, la seule forme d'accès à des œuvres audiovisuelles hors des expositions du MACBA
sont les documents audiovisuels de la bibliothèque, et encore ne s'agit-il pas des œuvres de
la collection. Il en va de même pour le Musée Reina Sofia.

Ce phénomène s'explique par le statut particulier du CCCB par rapport à ces musées : il ne
possède pas de collection muséale au sens habituel, dans la mesure où il ne conserve pas
d’œuvres originales. La plupart des films de l'Arxiu proviennent de la numérisations de vhs
ou de dvds dont les droits de reproduction ont été négociés auprès des éditeurs. L'on trouve
aussi des copies acquises auprès d'organismes de distribution tels que Light Cone ou
Electronic Arts Intermix, ou directement auprès des auteurs, au fil de la programmation

31
(Matthias Müller, Ben Russell).

Cette différence est précisément ce qui lui permet d'échapper aux contraintes du marché de
l'art, dans laquelle une telle accessibilité dévaluerait l’œuvre, et de proposer un accès plus
souple au patrimoine de la création audiovisuelle.

Cependant, l'espace que propose l'Arxiu se distingue de celui d'une médiathèque. Au début
du projet, Angela Martinez, directrice du département audiovisuel, a du défendre la
spécificité de cette collection par rapport à l'autre espace de consultation numérique déjà
en place : l'Arxiu CCCB, qui documente les activités de l'institution. Cet environnement
lumineux et ne proposant que des postes de consultation informatique individuels allait à
l'encontre des principes de l'expérience cinématographique (obscurité, grand écran, vision
collective) qui devait être préservée jusque dans cette forme d'accès numérique.

L'Arxiu Xcèntric est donc un espace qui se veut le plus proche possible de l'expérience de
la salle de cinéma : outre trois postes de consultation par binôme, il offre la possibilité de
voir les films dans une salle de vidéo-projection pouvant accueillir jusqu'à douze
personnes.

32
La base de données a ici une fonction muséographique. L'interface de ce système
d'informations structurées remplit le rôle du musée du cinéma tel que le souhaitait
Dominique Païni : « L'espace d'un musée doit être cet espace de confrontation, de
comparaison et de rapprochement des films entre eux. »62
Cependant, cet accès reste soumis à la contrainte géographique : pour voir ces films, il faut
se rendre sur place, il n'y a pas de consultation en ligne. L'une des raisons est interne à
l'institution : l'Arxiu est un facteur de valorisation important du CCCB, et d'une certaine
façon la seule exposition permanente qu'il puisse proposer. L'autre tient à l'idiosyncrasie
technique et esthétique du cinéma expérimental et à la contrainte variable du droit d'auteur.

La numérisation et la mise en ligne sont plus fréquentes dans le cadre des collections d'art
vidéo63 : d'une part pour des raisons économiques : le transfert d'un format à l'autre est
moins coûteux64 ; d'autre part pour des raisons esthétiques : sans parler de la perte plus ou
moins grande de qualité d'image qu'occasionne la compression numérique, les cinéastes
expérimentaux sont souvent très attachés à la spécificité du support, qui comme nous
l'avons vu est constitutive de la signification de l’œuvre. C'est pour cette raison que des
cinéastes aussi importants que Peter Kubelka ou Michael Snow (à l'exception du film
numérique Corpus Callosum (2002)) sont absents de la collection. Mais malgré leur rareté,
ces ressources existent.

Light Cone a pu mener à bien son projet de numérisation65 grâce au soutien du Ministère
de la Culture. Leur souhait est de donner accès au maximum de films de la collection, tout
en respectant bien entendu la volonté des auteurs. A ce jour, 817 films peuvent être
visionnés en intégralité ou sous forme d'extrait. Les ressources audiovisuelles en ligne
s'inscrivent donc dans une optique de valorisation patrimoniale et culturelle soutenue par
les instances publiques, mais elles sont aussi un outil promotionnel .

62 PAÏNI, Dominique. Conserver, montrer. Crisnee, Belgique: Yellow Now, 1992. p. 48.
63 Voir Heure Exquise. Exquise.org [en ligne] <http://www.exquise.org/> ou Hamaca. Hamacaonline.net
[en ligne] <http://www.hamacaonline.net/>, Consultés le 20 juillet 2012.
64 Eesti Film. « Film restoration » [en ligne] <http://www.ef100.ee/index.php?page=135&>: « the
technology used to digitize films is quite expensive and complicated to use » Consulté le 20 juillet 2012.
65 Light Cone. « Nouvelles vidéos en ligne » [en ligne] <http://lightcone.org/fr/nouvelles-videos-en-
ligne.html> Consulté le 20 juillet 2012.

33
La Fim-Makers' Coop présente une centaine d'extraits dans leur « video library »66, chiffre
réduit par rapport à totalité de la collection qui comprend, selon les informations du site,
plus de 5000 titres. Il s'agit en quelque sorte d'une vitrine, une façon d'offrir un aperçu
rapide de l'étendue historique de la collection (des années 60 jusqu'à aujourd'hui), de
valoriser certains auteurs moins connus ( Walter Ungerer ou Coleen Fitzgibbon) et de
présenter des œuvres récentes d'artistes consacrés (Ken Jacobs, Takashi Iimura).

Cela dit, l'accès en ligne se passe de plus en plus d'intermédiaires institutionnels. D'une
certaine façon, l'auteur redevient le diffuseur de son œuvre. Sans parler des jeunes
vidéastes habitués aux réseaux sociaux et aux creative commons, certains cinéastes qui
commencèrent à filmer dès les années 60-70, tels que Marcel Hanoun ("Je rends
individuellement à qui le veut, mes films dérobés.", peut-on lire sur sa page web67) ou Lluis
Rivera68 présentent un bon nombre de leurs films sur Vimeo, numérisés en intégralité, de
même que Lutz Mommartz69 ou Józef Robakowski70 sur leur site web personnel.
Face à l'offre culturelle d'internet, avons-nous encore besoin des institutions culturelles ?
Que peuvent-elles apporter dans ce contexte ?

La réponse peut paraître tautologique, mais l'apport le plus précieux de ces intermédiaires
est précisément la médiation. D'une part la médiation physique, l'implication concrète des
individus dans un espace géographique, d'autre part la médiation conceptuelle,
l'interprétation. Nous aborderons plus en détail cette deuxième question au chapitre
suivant.
Le lieu physique ou géographique est lui-même un site et une interface71, un support
d'information multimédia, polyvalent. L'espace de l'Arxiu offre d'autres services au-delà de
la consultation des films : il s'agit aussi d'un espace de documentation et de

66 Film-Makers' Coop. « Video Library » [en ligne] <http://film-makerscoop.com/rentals-sales/video-


library> Consulté le 20 juillet 2012.
67 Vimeo. « Valmaes » [en ligne] <http://vimeo.com/user9387139> Consulté le 30 juillet 2012.
68 Vimeo. « Lluis Rivera » [en ligne] <http://vimeo.com/user7686759> Consulté le 30 juillet 2012.
69 Lutz Mommartz.. Mommartzfilm.de [en ligne] <http://www.mommartzfilm.de/> Consulté le 30 juillet
2012.
70 Jozef Robabkowski. Robakowski.net [en ligne] <http://www.robakowski.net/> Consulté le 30 juillet 2012.
71 L'interface est aussi un concept géographique. Roger Brunet en donne cette définition générale, qui
vaudrait aussi pour définir le rôle médiateur des institutions culturelles : « un plan ou une ligne de contact
entre deux systèmes ou deux ensembles distincts ». Les Mots de la géographie. 3e éd. Paris, Montpellier :
La Documentation française, 1993, p. 324.

34
contextualisation72.
Le visiteur peut consulter plusieurs documents qui retracent l'histoire du cinéma
expérimental à travers les activités de l'organisation : le livre Xcèntric :45 peliculas contra
direccion, qui fut édité par le CCCB à l'occasion de l'exposition « That's not
entertainment ! », et qui comme son titre l'indique consiste en une présentation par les
programmateurs de Xcèntric de quarante-cinq films d'avant-garde essentiels ; un rapport
rédigé par une étudiante de master de l'Université Pompeu Fabra, abordant en une
vingtaine de pages la problématique de la présence du cinéma dans le musée; et un recueil
des textes de référence ayant servi à l'élaboration d'un cycle de séminaires accueillis par le
CCCB en 2008, intitulé REvisions del cinema experimental.

La décoration répond aussi à cette volonté de faire de cet espace un lieu de mémoire : ainsi
sont exposés une sélection des documents produits lors des séances de cinéma de
Xcèntric :

72 Film Curatorship. Vienna : Osterreichisches Filmmuseum, 2008, p.101 : « contextualization and


curatorship are essential to giving a raison d'être to the archive's existence»

35
Ce lieu permet de témoigner des anciens programmes, mais représente également un
nouveau support de programmation. L'un des postes accueille en boucle le documentaire
réalisé par Andrés Hispano, Fragmentos para una historia del otro cine español (2010). Il
s'agit d'une introduction au cinéma expérimental espagnol à travers les témoignages de
cinéastes, historiens et programmateurs (Roman Gubern, Eugeni Bonet, Antoni Pinent...).
Notons aussi la diffusion en boucle dans la salle de vidéo-projection de films à thème
littéraire, à l'occasion du festival de littérature Kosmopolis, organisé par le CCCB.
Quant à l'animation du lieu, nous pouvons indiquer le projet d'en faire une espace
d’interaction et de rencontre entre les artistes et le public : ainsi sont prévues, dans la salle
de projection, des séances ouvertes aux jeunes cinéastes qui pourront présenter leurs
derniers travaux, achevés ou en forme de « work in progress », ainsi que des activités
pratiques. Gloria Vilches, coordinatrice de Xcèntric, qui a par ailleurs animé des ateliers de
collage au Musée Picasso, proposera un atelier de collages animés.

Ainsi, la diffusion du cinéma expérimental s'inscrit elle aussi dans les mutations de
l'audiovisuel : l'impératif de communiquer un patrimoine filmique largement ignoré est ce
qui prime, même si cette communication se fait sous une forme qui n'est pas celle de
l’œuvre originale. Cependant, le CCCB fait aussi en sorte de valoriser le cinéma
expérimental sous son format original, tout en mobilisant les moyens de communication
audiovisuels à des fins promotionnelles et didactiques.

36
III – Accès et accessibilité

1) Programmer, communiquer

Avant d'être une collection numérique, Xcèntric était et continue d'être un cycle de
programmations cinématographiques au sein du CCCB.
Xcèntric est en activité depuis 2001. Bien que le CCCB organisait depuis son
inauguration en 1994, le plus souvent parallèlement aux expositions73, des projections
cinématographiques d’œuvres expérimentales, l'idée de consacrer une programmation
exclusive et régulière (bihebdomadaire) à ce cinéma a été motivée par sa relative
invisibilité dans le contexte national. Depuis les années 80, le parangon de la modernité
audiovisuelle était devenu l'art vidéo, les créateurs ayant dès lors du s'adapter à cet autre
médium ou reconvertir leur créativité dans le champ de l'audiovisuel74. Ce fut notamment
le cas de Juan Bufill et de Manuel Huerga, réalisateurs et scénaristes du programme
d'appropriation Arsenal (1985-87), qui se présentait sous la forme d'un inventaire des
motifs du cinéma, chaque émission traitant un thème déterminé (par exemple le cri), à la
manière de ce que fit plus tard Matthias Müller :
La idea consistía en recoger, mediante una selección de temas monográficos muy
diversos, el espíritu de la época a través de sus tendencias artísticas, sociales y
culturales, sin ningún ánimo periodístico o didáctico. Arsenal trató de ser, en sí mismo,
una aportación a la creatividad al tiempo que una innovación en los formatos
televisivos, tratando de recoger la dispersión para presentarla de una forma más o menos
coherente y transversal.75

Xcèntric est aujourd'hui la principale infrastructure de projection du cinéma expérimental


en Espagne, bien qu'il existe aussi des événements plus sporadiques tels que les festivals
(S8, Muestra de Pequeño Formato...) ou les éventuelles projections des musées et des
cinémathèques.
73 Propos recueillis lors d'un entretien avec Angela Martinez, directrice du département audiovisuel du
CCCB.
74 Propos recueillis lors d'un entretien avec Andrés Hispano.
75 VILLA-SAN-JUAN, Morrosco. « Tras la huella de Arsenal » [en ligne] <http://venuspluton.com/tras-la-
huella-de-arsenal> Consulté le 30 juillet 2012.

37
La régularité de la programmation permet ainsi de faire du cinéma expérimental un
véritable objet d'étude. De 2001 à 2008, la programmation était structurée autour des
rubriques censées représenter des tendances marquantes du cinéma expérimental :
Variacions del real (autour du documentaire), Rescrits (le rapport entre les arts et le
cinéma), Monografics, Documents animats (cinéma d'animation), Experimentals asiatics,
Cinema Invisible (le cinéma structurel), BandA sonorA (films de musiciens), Independents
entre gratacels (le cinéma indépendant américain). Ces catégories furent progressivement
abandonnées en raison de leur caractère réducteur.76

Xcèntric veille à projeter autant que possible les films sous leur format original. Mais la
transmission du patrimoine artistique peut être aidée par les moyens de communication et
de diffusion de masse : le CCCB est impliqué dans la programmation cinématographique
mais aussi dans la communication l'audiovisuelle.

Ainsi, le CCCB a produit différents reportages sur le cinéma expérimental, qui furent
diffusés à la télévision : Fragmentos par una historia del otro cine español (2010) de
Andrés Hispano, mais également un programme dédié au found footage dans le cadre de
l'émission Soy Camara77 diffusée mensuellement sur Tv2, qui aborde des sujets relatifs aux
activités du Centre.
Pour donner une plus large diffusion aux films composant les deux grandes rétrospectives
« Cine a contracorriente »78 dédiée au cinéma expérimental sud-américain, et « Del extasis
al arrebato »79 consacrée au cinéma espagnol, le CCCB a édité une sélection de ces films
en dvd.
Nous pouvons constater, comme le témoigne également l'Arxiu qui est en grande partie
composé de films disponibles sur le commerce, que le cinéma expérimental est assez bien
couvert par le milieu éditorial, malgré son potentiel lucratif assez restreint. Cela tient à la

76 Propos recueillis lors d'un entretien avec Carolina Lopez, directrice de Xcèntric.
77 Radio Television Española (RTVE). « Soy cámara. El programa del CCCB – Apropiación » [en ligne]
<http://www.rtve.es/alacarta/videos/soy-camara/soy-camara-programa-del-cccb-apropiacion/1063096/>
Consulté le 30 juillet 2012.
78 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « Cine a contracorriente » [en ligne]
<http://www.cccb.org/ca/fitxa_itinerancia-cine_a_contracorriente_latinoamerica_y_espana-40567>
Consulté le 30 juillet 2012.
79 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « Del Extasis al Arrebato » [en ligne]
<http://www.cccb.org/ca/marc-del_extasis_al_arrebato_50_anos_del_otro_cine_espanol-33276> Consulté
le 30 juillet 2012.

38
corrélation entre les éditeurs et les distributeurs.

Dans le milieu du cinéma expérimental, l'édition dérive souvent de la distribution : c'est le


cas de Index/Sixpack Films80 ou Cinédoc/Paris Films Coop81 qui éditent en dvd une partie
de leur catalogue. C'est une façon de rendre les films plus accessibles, de divulguer un
aperçu du fonds à travers les copies pour pouvoir ensuite projeter l'original. Ainsi, comme
l'explique son fondateur Pip Chodorov82, Re:Voir83 devait être initialement un service de
Light Cone, appelé Light Cone Vidéo, qui aurait eu pour but de répondre à la demande
fréquente des programmateurs souhaitant avoir un aperçu des films de la collection. En
prenant une forme plus commerciale, un impératif de sélection est apparu : l'édition se
concentre donc sur les classiques du cinéma expérimental.

Nous avons suivi la chaîne de diffusion du cinéma expérimental au CCCB, de la


projection filmique jusqu'à la communication médiatique. Mais le discours sur le cinéma
ne s'opère pas uniquement à travers les médias. La critique et la pédagogie sont d'autant
plus importantes dans le cas d'un art longtemps resté confidentiel : ainsi, la grande majorité
du personnel de Xcèntric a initialement pris connaissance de ces films à travers leurs
lectures, en attendant la très hypothétique opportunité d'une projection. Aujourd'hui, il
s'agit d'accompagner l'accès aux films par un discours favorisant l'accessibilité.

80 Index Dvd Edition. Index-dvd.at [en ligne] <http://www.index-dvd.at/> Consulté le 30 juillet 2012.
81 Cinédoc. «Boutique / Editions »[en ligne] < http://www.cinedoc.org/htm/apropos/boutique.asp> Consulté
le 30 juillet 2012.
82 Xperimenta 07 : Generacions. Vidéo consultée dans le centre de documentation du CCCB.
83 Re:Voir. Re-voir.com [en ligne] <http://re-voir.com/> Consulté le 30 juillet 2012.

39
2) Accès conceptuel

Nous avons vu jusqu'à présent que les moyens de diffusion numérique ont
considérablement augmenté la visibilité du cinéma expérimental, aussi bien dans un
contexte institutionnel que privé. Cependant, l'accès ne garantit pas nécessairement
l'accessibilité. C'est ici qu'apparaît le problème de la communication.

Le rapport parfois difficile entre le grand public et l'avant-garde trouve une excellente
illustration, et une non moins bonne réponse, dans cette anecdote concernant le cinéaste
Hollis Frampton :

In 1973, after the screening of three Frampton films, during which the audience were
decidedly restless, a woman asked the filmmaker if he thought his films communicated
to an audience. Frampton responded:

“If you mean, do I think I communicated to those in the audience who tramped
indignantly out of my films, the answer is no, but I think there is a problem with your
idea of communication. You seem to work on the assumption that you have this hole
and I have this thing, and you want me to put my thing in your hole and that will be
‘communication’. My idea of communication is very different. It involves my trying to
say something I think is important and into which I have put all my thought and
substantial labor. Neccessarily, what I have to say will be difficult to apprehend, if it is
original enough to be worth saying at all. That is my half of the communicative process.
Yours must be to sensitize and educate yourself fully enough to be able to understand. It
is only when two people – filmmaker and viewer in this case – can meet as equals that
true communication can take place.” 84

Les institutions culturelles ont précisément pour vocation d'être les intermédiaires entre
l'artiste et le public, de réduire l'écart et les réticences, de favoriser la communication et la
réflexion.
Nous avons constaté lors de notre stage une volonté de la part de la direction de Xcèntric
de s'adresser au grand public, de rendre accessibles les films de la collection au visiteur
occasionnel, qui, comme cela a été observé sur place, se sent souvent intimidé, d'une part

84 PETERSON, James. Dreams of chaos, visions of order : understanding the American avant-garde
cinema. Detroit : Wayne State University Press, 1994. p 2.

40
par la pléthore de films mis à sa disposition, d'autre part par la réputation de difficulté
conceptuelle de ces œuvres.
Ainsi la profusion de l'accès peut conduire à une forme d'inaccessibilité, à une saturation
d'informations. Du point de vue quantitatif, il faut passer au qualitatif. C'est alors
qu'intervient le besoin de classifier la collection pour la rendre communicable.
L'organisation de l'information va jouer un rôle capital pour permettre l'accès.
Avant de traiter plus en détail le travail de documentation que nous avons mené, abordons
d'abord le versant communicationnel de notre activité : la mise en place de « menus »,
présentant une sélection de films dont la durée serait à peu près équivalente à une séance
de cinéma traditionnelle, c'est à dire aux alentours de 90 minutes85. Ces menus se
présentent sous forme de feuillets mis à disposition des visiteurs.
A la demande de la directrice Carolina Lopez, les critères de sélection étaient en grande
partie définis par la typologie des usagers : nous avons ainsi élaboré des programmes
adressés au jeune public (en majorité des films d'animation, mais aussi des films en image
réelle possédant un sens de l'humour ou du merveilleux suffisants pour capter l'attention
des plus petits), aux couples (des films abordant la question de l'amour), aux profanes (un
aperçu des principaux aspects du cinéma expérimental) et aux initiés (les œuvres remettant
le plus radicalement en question les formes de représentation cinématographique). Nous
avons également élaboré trois menus au contenu plus ludique afin de rompre avec l'esprit
de sérieux associé au cinéma expérimental :
- un menu d'été, reflétant de façon divertissante et rafraîchissante l'ambiance de la saison.
- une sélection de films comiques.
- un condensé de dix minutes présentant des pièces esthétiquement très diverses et très
courtes, que nous avons baptisé « XTRC – Xcèntric for those who don't have the time »86.

Bien entendu, Xcèntric cherche aussi à communiquer avec les spécialistes du cinéma. Au
sein des activités adressés au public universitaire (mais aussi aux « cinéastes, chercheurs et
passionnés »)87, il faut mentionner les « Aules » (« Salles de cours ») : cycles de séminaires

85 La plupart des films expérimentaux sont des courts-métrages.


86 Il s'agit d'un clin d’œil au film de Michael Snow, qui condense son classique Wavelenght (1967) : WVLNT
– Wavelenght for those who don't have the time (2003).
87 Centre de Cultura Contemporania de Barcelona (CCCB). « Aula Xcèntric CCCB: REvisions al cinema
experimental » [en ligne] <http://www.cccb.org/xcentric/ca/curs_o_conferencia-aula_xca-22123>
Consulté le 30 juillet 2012.

41
inaugurés en 2008 avec les « REvisions del cinema experimental » proposant un état des
lieux de l'histoire du cinéma expérimental et de ses enjeux actuels, et les « Lectures de
cinema » abordant un corpus d'essais essentiels pour la construction d'un discours sur le
cinéma. Ces séminaires sont parfois accompagnés d'ateliers pratiques, comme celui qui eut
lieu en 2009 sous le titre de « Cinema reinventat », et qui portait sur la pratique
d'appropriation aussi connue sous le nom de found footage.
Cependant le public étudiant reste en grande partie à convertir. C'est pourquoi il a été
demandé au professeur Gonzalo de Lucas, qui dispense un cours sur l'essai
cinématographique88 à l'Université publique Pompeu Fabra, et qui fait partie des
programmateurs réguliers de Xcèntric, d'élaborer un dossier pédagogique à l'usage des
cursus audiovisuels mais aussi des formations artistiques interdisciplinaires. Il s'agit pour
lui de répondre à un réel besoin pédagogique, comme il l'exprime dans le schéma de ce
dossier :
Quizás una de las principales lagunas respecto al conocimiento del cine, en los estudios
académicos, es la incorporación a la historia del cine de esas otras corrientes o
tradiciones que amplían la visión del cine como un modelo único hollywoodiense /
comercial contra otro europeo / autoral. […] En cierto modo, con el cine a veces sucede
como si en la historia del arte todavía no se incluyera la abstracción o la obra de Klee o
Mondrian.

Afin de faire un état des lieux du savoir universitaire en ce qui concerne le cinéma
expérimental, nous avons quant à nous réalisé une enquête auprès des étudiants de cinéma
de l'université Pompeu Fabra. Nous avons administrés des questionnaires à un échantillon
de 50 étudiants, issus des premières et troisièmes années de licence, ainsi que du master.
Nous renvoyons à l'annexe page 69 pour le détails des résultats.
On observe que la très grande majorité des étudiants se déclarent intéressés par le cinéma
expérimental, quel que soit leur degré de formation. Cependant, la curiosité active est
manifestement plus rare, dans la mesure, où, à l'exception des étudiants de master, la
plupart n'ont jamais assisté à la moindre séance de Xcèntric (bien qu'ils soient en moyenne
plutôt partisans de cette forme d'accès, par rapport au streaming ou au dvd) et ne se sont

88 A ne pas confondre avec les essais sur le cinéma. Il s'agit de films qui se présentent sous un jour réflexif,
adoptant souvent une forme ouverte entre le documentaire et la fiction : voir les films de Chris Marker,
Jean-Daniel Pollet ou Harun Farocki.

42
jamais rendus à l'Arxiu. On pourrait aussi bien en conclure un manque de curiosité de la
part des étudiants qu'un manque de communication de la part d'Xcèntric.
D'autre part, les étudiants citent les cours comme leur principal moyen de découverte,
suivi de près par internet. Cependant, ils se déclarent souvent incertains quant à la bonne
représentation du cinéma expérimental au cours de leur formation. La question serait
abordée, mais insuffisamment approfondie.89
Il faut préciser que la définition de notre objet d'étude peut être assez fluctuante. Pour
mesurer cet écart d’appréciation potentiel entre ce que l'étudiant considère comme
« expérimental » et ce qui est canoniquement reconnu comme tel, nous avons également
demandé à ce que soit mentionné un exemple de film ou de réalisateur. Nous avons ainsi
pu constater que le cinéma expérimental n'était pas réellement connu, dans la mesure où se
trouvaient plutôt cités des auteurs ayant certes renouvelé l'approche du cinéma narratif,
mais sans en quitter tout à fait le cadre (Jean-Luc Godard, Andrei Tarkovski, David
Lynch...). Seuls les étudiants de master nous ont donné une bonne portion de réponses
satisfaisantes (Jonas Mekas, Michael Snow, Stan Brakhage...). On peut voir dans ces
approximations une confusion entre ce que Peter Wollen appelait, dans son célèbre
article90, les deux avant-gardes.
Wollen distinguait deux courants du cinéma d'avant-garde en Europe dans les années
soixante-dix : celui qui s'inspirait du modèle américain des coopératives de distribution,
rassemblé autour de la London Film-Makers' Co-op, comprenant par exemple Peter Gidal,
Malcolm Le Grice ou Brigit Hein; le second, plus proche des modèles de production et de
distribution du cinéma commercial, qui correspondrait davantage à la notion de cinéma
d'auteur, et serait représenté par des cinéastes tels que Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub
et Danièle Huillet, Miklós Jancsó ou Marcel Hanoun. La différence est également d'ordre
esthétique : contrairement aux films de la seconde catégorie, les films de la première sont
souvent des courts ou moyens-métrages non narratifs, s'intéressant avant-tout à
l'expérimentation formelle.
Il existe donc un flou terminologique assez conséquent, jusque dans le milieu le plus

89 Dans l'enseignement dispensé à Pompeu Fabra, les matières les plus proches du cinéma expérimental est
celle se rapportant à l'essai cinématographique mentionné ci-dessus, qui appartient au cursus de master.
La faculté privée Blanquerna propose quant à elle un cours entièrement dédié à l'avant-garde
cinématographique.
90 WOLLEN, Peter. The Two Avant-Gardes. Studio International. Novembre/Décembre 1975, vol. 190,
n°978, p. 171-175.

43
spécialisé dans la culture cinématographique. C'est pourquoi il est particulièrement
important de définir ce champ d'études, d'en dégager la spécificité. C'est bien entendu la
vocation du discours critique, et on note également la contribution de Xcèntric dans ce
champ-là avec la publication du livre Xcèntric : 45 peliculas contra-direccion en 2006.
Mais l'herméneutique a aussi sa place dans le contexte des archives.

Malheureusement, on constate d'importantes lacunes dans la gestion documentaire des


collections de cinéma expérimental. Hormis quelques rares exceptions (LUX91,
Filmmakers' Coop92), nous n'avons pu trouver d'indexation ni dans la plupart des
catalogues papier dont dispose le CCCB pour sa programmation, ni dans les catalogues en
ligne de ces mêmes organismes. Chez Light Cone93 et Canyon Cinema94, la recherche par
mots-clé se fait dans le champ de description. Quant au Centre Pompidou95, il ne propose
même pas cette possibilité.
Ce mal d'archives frappe aussi Xcèntric. L'interface de consultation aussi bien que le
catalogue du site web96 ne permettent pas une recherche de contenu - quoique l'on puisse
considérer que des éléments contextuels comme la nationalité ou la date de production
fassent aussi partie du contenu. Cette lacune va même jusqu'à ressembler à un parti-pris.
Carolina Lopez avait effectivement décidé d'abandonner les rubriques qui encadraient la
programmation de Xcèntric car elle les trouvait trop réductrices. Il en est allé de même
pour les catégories qui devaient structurer le livre Xcèntric : 45 peliculas contra direccion,
qui fut finalement présenté sous forme chronologique.
Il est vrai que la pratique classificatoire semble aller à l'encontre de l'esprit du cinéma
expérimental, pour ne pas dire de sa mystique. Marie-Pierre Duqoc, cinéaste, évoque sa
découverte du cinéma expérimental en des termes proches de l'extase: « Quelque chose
comme un abandon. Le consentement à la perte des repères, nos très chers référents.
Nommer, désigner, toujours en volonté de savoir comprendre, et dans l'attente trop de
91 Lux. « Collection: Themes » [en ligne] <http://lux.org.uk/collection/themes> Consulté le 7 août 2012.
92 Film-makers' Cooperative. « Advanced Search » [en ligne] <http://film-makerscoop.com/rentals-
sales/advanced-search> Consulté le 7 août 2012.
93 http://lightcone.org/catalogue/recherche.php
Quoique l'on puisse voir une « proto-classification » dans la présentation du fonds : « A propos de Light
Cone » [en ligne] <http://lightcone.org/fr/a-propos-de-light-cone.html > Consulté le 7 août 2012.
Par ailleurs, Christophe Bichon, responsable de la collection, nous a appris qu'ils avaient pour projet
d'élaborer thésaurus en collaboration avec une université.
94 <http://canyoncinema.com/catalog/search/> Consulté le 12 août 2012.
95 <http://collection.centrepompidou.fr/Navigart/index.php?db=minter&qs=1> Consulté le 7 août 2012.
96 <http://www.cccb.org/ca/arxiu_xcentric> Consulté le 7 août 2012.

44
projets effacent, annulent, dérobent l'objet convoité. »97 Hors, indexer, c'est démystifier.
Il ne faut pas pour autant voir l'indexation comme une activité réductrice, un déni de
l'unicité. Ce serait ne considérer la collection que du point de vue du document isolé, de
façon linéaire, alors que l'intérêt de l'indexation est précisément d'introduire des relations
transversales entre les documents. Il s'agit de permettre cette opération si importante dans
l'étude de l'art: la comparaison, la confrontation des œuvres selon des critères d'analyse
communs.

En somme, à défaut de pouvoir communier avec le public, face donc au besoin impérieux
de communiquer, l'idée d'introduire un plan de classement pour la collection a été bien
accueillie.
D'un commun accord avec la directrice de Xcèntric, nous avons opté pour des termes très
généraux, permettant d'indexer le maximum de documents, souvent en combinant et en
confrontant deux aspects d'un même concept : par exemple « histoire et mémoire »,
«environnement et habitat » ou « langage et communication ».
Ce choix n'est pas seulement pragmatique. Nous avons souhaité lui donner une valeur
cognitive. A partir de l'indexation, nous souhaitons nourrir la réflexion sur ces thèmes en
mettant en commun des points de vues divergents sur un objet semblable. A cette fin, nous
avons rédigé un guide (cf annexe p. 72) présentant succinctement nos partis-pris, ainsi que
les enjeux esthétiques et théoriques qui pouvaient être dégagés pour chaque thématique.
Nous avons accompagné ces textes par une sélection d'une douzaine de films qui nous
semblaient les plus représentatifs.
Quant au choix des thématiques, nous les avons déterminées en fonction de deux axes de
lecture : le rapport du cinéma avec les autre formes d'art, et la dimension anthropologique ;
d'une part parce que le CCCB est une institution interdisciplinaire, et que ce concept est au
cœur de la culture contemporaine en général, d'autre part pour rompre avec l'image d'un
cinéma exclusivement formaliste en faisant le lien entre l'expérimentation artistique et
l'expérience humaine. De plus, il nous a paru essentiel de définir les propriétés esthétiques
des œuvres.
Nous ne prétendons pas par ailleurs que notre travail ait une valeur universelle : il
s'agissait de s'adapter au mieux aux propriétés de la collection, en terme de contenu et de

97 BEAUVAIS, Yann. Scratch book. Paris : Light cone, 1999, p. 263.

45
forme d'accès.
Pour prendre la mesure de cette relativité, et souligner les difficultés et les choix que
comporte l'indexation, nous pouvons comparer notre classification à celles mises en place
pour deux collections majeures consacrées à l'expérimentation audiovisuelle, qui relèvent
de deux méthodologies très différentes.

La Film-makers' Cooperative est le plus important des distributeurs de cinéma


expérimental. Aujourd'hui, un catalogue de plus de 5000 titres est accessible sur leur site
web. Voici les critères de recherche proposés :

On remarque tout d'abord l'adoption de deux champs de recherche distincts, choix que
nous avons aussi jugé bon d'opérer : les genres et les mots-clé.
La notion de genre permet de rendre compte de la méthode suivie pour réaliser le film, de
la forme qu'il adopte. C'est pourquoi nous avons considéré, à la différence de cette
classification, que les techniques utilisées par les cinéastes (ici : « cameraless », désignant
les films réalisés sans avoir recours au tournage, où l'image est peinte ou grattée
directement sur la pellicule, « found footage » pour les films de récupération détournant un
matériau audiovisuel préexistant, « hand-processed », qui rejoint d'une certaine manière les

46
deux catégories précédentes, « structural », pour les films les plus formalistes) relevaient
du genre, et avons réservé les mots-clés thématiques pour la description du contenu.

Hamaca est un organisme de distribution espagnol spécialisé dans l'art vidéo. Leur
catalogue comprend 828 films. Dans la mesure où la nature du fonds est légèrement
différente de celle de Xcèntric, pusique le cinéma expérimental ne présente pas tout à fait
les mêmes caractéristiques techniques ni la même histoire que l'art vidéo, et ne peut donc
faire l'objet d'un classification selon les mêmes critères, nous nous intéresserons davantage
à la méthode suivie pour indexer qu'à la comparaison des mots-clé.
Le site web de Hamaca propose une liste très dense, sans aucune hiérarchie98. Leur
approche privilégie la dénotation par rapport à l'interprétation : on signale les motifs, le
contenu objectif, sans en déterminer la signification. Il s'agit probablement d'une
indexation libre, dans la mesure où l'on se trouve souvent en présence de termes
synonymes (« historias », « historias de la vida ») ou appartenant au même champ
sémantique (« grand-père » et « grand-mère »).
La précision des termes peut servir à identifier très concrètement le contenu du document.
Ainsi les utilisateurs curieux de savoir ce qu'est la « bidimensionalité du cri » ou « le faire
comme négativité pratique » pourront s'orienter vers le seul document abordant la
question99. Dans l'ensemble, le choix des termes paraît peu rigoureux : on y trouve aussi
bien des substantifs que des adjectifs, avec parfois des redondances
(« frontière »/ »frontalier »).
Par ailleurs, à côté de chaque terme est indiqué le nombre de documents correspondants,
ce qui nous donne rapidement un aperçu des limites de cette approche : la plupart des
mots-clés n'ont servi à indexer qu'un seul document.
Cette approche dénotative ou descriptive poussée à l'extrême possède ses atouts et ses
limites : d'une part, la précision des critères de recherche, permettant de trouver un
document répondant à une requête très spécifique. Mais par ailleurs il est très difficile
d'avoir une image globale de la collection, et de mettre en relation les documents ayant une
signification commune au-delà de ce qu'ils représentent objectivement.

98 <http://www.hamacaonline.net/palabrasclave.php> Consulté le 12 août 2012.


99 <http://www.hamacaonline.net/obra.php?id=731> Consulté le 12 août 2012.

47
Nous aurons donc tenté, en nous adressant à un public, de circonscrire une audience, de
déterminer ses besoins, d'y répondre par avance. Informer au sens de transmettre de
l'information revient à informer au sens d'imposer une forme. Les notions de
communication et d'accès qui se trouvent au cœur du discours et des pratiques
archivistique actuelles participent d'une idéologie.

3) Politique de l'accès

La notion d'accès ne détermine pas seulement la façon dont on conçoit les archives : elle
n'est pas qu'un problème technique, elle constitue aussi un enjeu politique. Nous devons
communiquer, mettre en commun... mais pour quelle communauté?

Selon les professionnels des archives audiovisuelles, l'accès aux archives est l'acte
fondateur de la démocratie : « Chercheurs en sciences sociales ou simples citoyens, tous
soulignent l'importance d'accéder librement aux fonds d'archives publiques et privées. La
Révolution française en avait fait un principe présidant au bon fonctionnement des
institutions démocratiques. »100
Selon les professionnels des archives cinématographiques, l'accès est devenu un des
dogmes de l'idéologie numérique : «the way access is being used in the neoliberal rethoric,
it mainly means consumption. Not creating and curating various forms of engagement with
the artefact, but turning the collections into image banks for intermediary dealers and end-
consumers.»101

Nous sommes manifestement face à deux systèmes de valeurs opposés, l'un se réclamant
d'une révolution socio-technique, l'autre en condamnant les dérives technocratiques et
capitalistes.
100GUYOT, Jacques et ROLAND, Thierry. Les archives audiovisuelles :histoire, culture, politique. Paris :
A. Colin, 2011, p. 46.
101Film Curatorship : archives, museums, and the digital marketplace. Vienna : Osterreichisches
Filmmuseum, 2008, p. 80.

48
Sur le plan strictement technique, la vision des enjeux et problèmes de l'accès diffère
également: le plus révélateur est que les premiers voient avant tout la matérialité, la
spécificité des supports comme une « contrainte »102, un obstacle au libre-accès au contenu.
Au contraire, le nivellement numérique permet une exploitation optimale du fonds.
Mais pour les deuxièmes, cette contrainte est précisément ce qui doit faire l'objet de la
préservation : « In film, the « artefact » to be transmitted into the future is not just (but
also) the strip, not just (but also) the apparatus, not just (but also) the screening place ;
what need to be transmitted into the future is the set of relations between them while they
work – the working system. »103.
La transmission d'une expérience culturelle et artistique est indissociable de la matérialité
qui la constitue, qui en fait un moment d'histoire, puisqu'il n'y a pas de contenu sans
support : « The premise of a separation of carrier and content - which is a logical
conclusion of the digital world-view – appears as neutral, as the natural course of things,
largely immune to challenge. All becomes absorbed in the discussions on how to improve
platforms, a debate which is ignorant of the fact that film has existed as a medium » .104

A l'origine ou au terme de ces considérations, il y a bien sûr des publics différents : pour
les uns, il s'agit souvent de répondre aux demandes de « producteurs pressés à la recherche
d'images »105, pour les autres, il s'agit de favoriser l'étude des images plutôt que leur
consommation.

Entre ces deux modèles d'archives, l'Arxiu Xcèntric occupe un juste milieu : l'interface
numérique a une fonction muséale, elle s'intègre dans un espace de consultation thématisé
qui émule les conditions visuelles de la salle de cinéma tout en fournissant une
contextualisation documentaire. Cela lui permet d'arriver à une synthèse émancipatrice de
l'expérience cinématographique et de l'expérience muséale, qui offre une alternative au
modèle muséographique dominant d'accès à l'image animée, dénoncé par Alexander
Howrath:
Today, under the conditions of Post-Fordism, where each citizen and consumer is
expected to be an « expanded », shape-shifting, multi-identity, multi-sensory creature,
102Les archives audiovisuelles, p. 104.
103Film Curatorship, p. 89.
104Id., p. 196.
105Les archives audiovisuelles, p. 101.

49
the « new museum », with its expanded, multi-screen experiences and its « freely
roaming », « reflective » visitors, has actually become the epitome of what used to be
called the apparatuses of the ruling class – just like the shopping mall. […] I would even
suggest, a bit crudely maybe, […] that in today's socio-economic and cultural climate,
the « inflexible » space of cinema is potentially more inviting to a reflective or critical
experience of the world than most museum spaces are. 106

Enfin, si nous voulons que le libre accès soit aussi une forme d'accès à la liberté, nous
pensons qu'il est nécessaire d'identifier le public non plus comme une entité prédéterminée
dont il faudrait répondre aux besoins avec paternalisme, mais comme une potentialité que
nos moyens de communication informent, modèlent. Il en va de l'accord entre la
transmission et les valeurs de ce que l'on transmet. Pour reprendre les paroles de Deleuze:
« Il faut que l'art, particulièrement l'art cinématographique, participe à cette tâche : non pas
s'adresser à un peuple supposé, déjà là, mais contribuer à l'invention d'un peuple. »107
Plus particulièrement, le cinéma expérimental serait un cinéma mineur, au sens où le
philosophe parlait de « littérature mineure »108 : un cinéma de la minorité, « peuple bâtard,
inférieur, dominé, toujours en devenir, toujours inachevé »109. Pour paraphraser ces propos
qui définissent pour nous aussi bien le sens de l'art que celui de la communication, il s'agit
de communiquer « pour ce peuple qui manque... (« pour » signifie moins « à la place de »
que « à l'intention de »). »110

106Film Curatorship, p. 132.


107DELEUZE, Gilles. L'Image-Temps. Paris : Editions de Minuit, 1985. p. 290.
108DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Félix. Kafka : pour une littérature mineure. Paris : Editions de Minuit,
1975.
109DELEUZE, Gilles. Critique et clinique. Paris : Editions de Minuit, 1993. p. 14.
110Id., p.15.

50
Conclusion

Le cinéma expérimental représente bien un patrimoine problématique, excentré par


rapport à la production industrielle. Il aura fallu construire un accès périphérique par
rapport au patrimoine cinématographique : ainsi ces films sont aujourd'hui plus visibles
grâce aux musées et aux collections spécialisées que grâce aux salles de cinéma ou aux
cinémathèques.
Le rapport du cinéma expérimental à l'archive est paradoxal. Nous avons vu que les
archives ont été d'une importance capitale pour en permettre la diffusion et l'accès, là où les
moyens de distribution industriels faisaient défaut: les coopératives de distribution ont créé
un patrimoine qui fut ensuite réaffirmé dans les propres institutions à vocation patrimoniale
du cinéma expérimental et dans les collections muséales.
Ainsi, les archives ont apporté une contribution décisive à l'écriture de son histoire.
Toutefois, l'on a pu observer que les possibilités historiographiques et herméneutiques des
archives du cinéma expérimental étaient à ce jour largement sous-exploitées.
Si les activités productrices de connaissance que sont la critique et la programmation
(sous forme d'exposition ou projection), sont mises en avant comme un moyen d'accès et
d'interprétation, nous constatons que les moyen d'accès les plus permanents, et grâce aux
nouvelles technologies parfois les plus directs, les archives, ne sont généralement pas
exploités dans toutes leurs possibilités cognitives.
Comme nous avons pu le vérifier par nos enquêtes, dans le contexte actuel où nous
observons une facilité d'accès inédite à ce corpus audiovisuel, il est encore des institutions
du savoir dans lesquelles le cinéma expérimental ne va pas de soi : l'histoire et la
pédagogie du cinéma.
Il est donc essentiel, pour la valorisation et la transmission du cinéma expérimental, et
donc pour la diversité culturelle, de valoriser les archives et d'en comprendre la situation au
sein d'un ensemble d'activités culturelles plus vaste.
L'organisation des archives reflète l'organisation sociale, et la mise en place de l'accès
comporte des enjeux créatifs qui révèlent la valeur transdisciplinaire du travail
documentaire : il s'agit non seulement d'un moyen de communication, mais aussi d'une
forme d'expression et de réflexion.

51
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53
Table des matières

Introduction............................................................................................. 1

I) Histoire organisationnelle, organisation de l'histoire


1) Un patrimoine problématique.................................................... 3
2) Institutions.................................................................................... 5
3) Histoire(s) du cinéma................................................................. 10

II) Topographies
1) De la salle de cinéma au musée................................................... 18
2) Ciné-expositions........................................................................... 26
3) On site / Online............................................................................ 31

III) Accès et accessibilité


1) Programmer, communiquer …................................................. 37
2) Accès conceptuel......................................................................... 40
3) Politique de l'accès..................................................................... 48

Conclusion.............................................................................................. 51

Annexes :
1) Programme de stage..................................................................... 55
2) Films expérimentaux de la Filmoteca de Catalunya................. 56
3) Programmes de cinéma expérimental de la Filmoteca............. 60
4) Bibliographie de l'enquête sur l'histoire du cinéma.................. 62
5) Schéma du « desbordaminento apanoramico »......................... 68
6) Résultats d'enquête à l'université Pompeu Fabra.................... 69
7) Thésaurus/Guide de Xcèntric...................................................... 72
Table des illustrations............................................................................ 80

54
Annexe 1 : Fiche programme de stage

55
Annexe 2 : Films expérimentaux de la Filmoteca de Catalunya

56
57
58
59
Annexe 3 : Les programmes de cinéma expérimental de la Filmoteca de Catalunya

75-76 : Underground USA (Bruce Baillie, Stan Brakhage, Maya Deren, Hollis Frampton,
Peter Kubelka, Gregory Markopoulos, Jonas Mekas, Paul Sharits...), cycle de courts-
métrages espagnols indépendants (Frank Stein (1972) de Ivan Zulueta, Pim Pam Pum
Revolución (1970) et autres films de Antoni Padrós...)
76-77 : Cycles dédiés à Marcel Hanoun et à Stephen Dwoskin.
77-78 : Forum del nou cinema de Berlin (Michael Snow, Valie Export...), cycle Santiago
Álvarez , Cine alternativo español : la Central del curt (Lorenzo Soler, Eugeni Anglada,
Albert Vidal...), cycle Werner Nekes.
78-79 : Cycle Eugenia Balcells.
79-80 : Cycle Antoni Padrós.
80-81 : Cinema d'avantguarda america (Robert Breer, James Broughton, Bruce Conner,
Joseph Cornell, Andrew Hill, Larry Jordan, Pat O'Neil...).
81-82 : Practica filmica i avantguarda artistica a Espanya 1925-1982 (Javier Aguirre, Juan
Bufill, Lluis Rivera...), cycle Norman McLaren.

60
83-84 : Cinema d'avant-guarda (Eugeni Bonet, Stan Brakhage, Fluxus, Jean Genet, Jack
Smith...), 6 dies d'Art Actual (Werner Nekes, Malcolm Le Grice, Patrick Bokanowski...).
84-85 : Cinema experimental francès (Jean Mitry, Raymond Hains, Christian Bidault,
Frédéric Jaulmes...), cycles Dwoskin et Hanoun.
86-87 : Cycle Norman McLaren.
87-88 : Paris vist pel cinema d'avantguarda (René Clair, Eugène Deslaw...)
89-90 : Antologia del cinema d'avanguarda america, cycles Harun Farocki et José Antonio
Sistiaga.
90-91 : Cinema alemany d'avant-guarda dels anys 20 (Walter Ruttmann, Hans Richter,
Oskar Fischinger...), cycles Marcel Hanoun et José Ferrater Mora.
92-93 : Cycle Jonas Mekas, Cinema brasilé marginal, Cinema d'avantguarda austriac
(Martin Arnold, Dietmar Brehm, Kurt Kren, Lisl Ponger, Peter Tscherkassky...).
95-96 : 8/8, les altres visions (Hans Richter, Walter Ruttmann, Man Ray, Fernand Léger...)
(à partir d'ici les catalogues retracent l'année au lieu de la saison)
97 : Cycle Llorenç Soler.
98 : Cycle Andy Warhol.
99 : Fora de camp : set itineraris per l'audiovisual catala (Frederic Amat, Manuel Cussó-
Ferrer, Pere Portabella, Benet Rossell...).
03 : Unseen cinema.
04 : Sutures i fragments (Mara Mattuschka).
11 : Cycle Antoni Padrós.
12 : Hors-Cadre, Swiss Film Experiments et Art & Cinema : projectes en la interseccio.

61
Annexe 4 : Bibliographie consultée pour les statistiques historiographiques

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ESCOLAR, Luis. Breve historia del cine. Madrid: Fragua, 2009. ISBN 9788470742972.

66
La historia del cine. Barcelona : Blume, 2009. ISBN 9788480768573.

GUYNN, William Howard. The Routledge companion to film history. New York, NY :
Routledge, 2010. ISBN 9780415776561.

BERGAN, Ronald. Film isms... : understanding cinema. New York, NY : Universe Pub.,
2011. ISBN 9780789322142.

Cinémaction : Histoire du cinéma des origines aux années 2000, abrégé pédagogique, mai
2012, n°142. Sous la direction de Rene Predal. Conde-sur-Noireau: Editions Charles
Corlet. ISBN 9782847064230.

67
Annexe 5 : Schéma du « desbordamiento apanormaico » de la main de l'auteur

Scan de VAL DEL OMAR, José. Escritos de tecnica, poetica y mistica. Madrid : Ediciones de La
Central : MNCARS, 2010, p. 210.

68
Annexe 6 : Résultat d'enquête à l'université Pompeu Fabra

1) Quel est votre degré d'intérêt pour le cinéma expérimental ?

2) Quel a été votre principal moyen d'accès et de découverte ?

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3) Trouvez-vous que le cinéma expérimental est bien représenté dans le milieu
universitaire ?

4) Fréquentez-vous les projections de Xcèntric ou l'Arxiu ?

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5) Quel vous semble être le support le plus approprié pour diffuser et voir ce
genre de films ?

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Annexe 7 : Thésaurus/guide pour Xcèntric

GENRES

Animation
Comme le disait Norman McLaren: “L'animation n'est pas l'art des dessins en mouvement,
mais celui du mouvement dessiné.” Par sa liberté figurative, le cinéma d'animation a été un
champ d'expérimentation fécond avec les formes et les matériaux.

Art vidéo
La différence entre cinéma expérimental et art vidéo est principalement historique et
technique: la facilité d'exposition du format vidéo a permis à ces œuvres un plus grand
essor dans le monde de l'art contemporain. D'une façon générale, le cinéma expérimental
représenterait la modernité de l'audiovisuel et l'art vidéo sa postmodernité. C'est
aujourd'hui un milieu où l'expérimentation tend vers la performance et la création
numérique.

Cinéma structurel
Ce terme a été créé par le critique P. Adams Sitney pour définir une tendance du cinéma
expérimental des années soixante: dans ces films minimalistes, les éléments sémantiques
ou figuratifs, lorsqu'ils sont encore présents, sont un prétexte à l'explicitation de la syntaxe
cinématographique (photogramme, cadre, mouvement, lumière...) Comme le disait Peter
Gidal: “Le film n'est pas la traduction de quelque chose, ni la représentation de quelque
chose, pas même de la conscience.”

Documentaire de création
Ici, le documentaire peut se réduire à son aspect le plus spontané: le “simple” fait de
filmer le réel, ou au contraire chercher à problématiser le rapport entre l'image et la réalité.

Documentaire didactique
Ces documentaires plus traditionnels témoignent de la création de certains des classiques
du cinéma expérimental, ou font intervenir quelques uns des cinéastes les plus reconnus.

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Essai
L'essai trouve son origine dans le documentaire, mais s'en distingue par son intention: non
seulement être un témoignage de la réalité, mais aussi une interprétation. Ce sont donc des
films hybrides, qui montrent l'invention du réel par la caméra, des documents de la
subjectivité qui mettent en évidence le point de vue de l'auteur, en faisant des images le
moyen d'une réflexion théorique ou d'une méditation poétique.

Films sans caméra


Les animateurs Len Lye et Norman McLaren ont inventé cette technique. Le celluloïd,
vierge ou développé, devient le support pour l'intervention plastique (peindre, gratter,
coller) ou photochimique (à la manière du rayogramme ou à travers l'altération chimique).

Fluxus
Fluxus, mouvement multidisciplinaire, est une forme autoproclamée d'anti-art, qui refuse
la distinction entre l’œuvre et la vie. Pour cela, ces films se focalisent, souvent avec
humour, sur des objets ou attitudes communes ou sur des scènes vides: ce sont des
scénographies de l'anodin. Certaines de ses caractéristiques esthétiques ont été développées
dans le cinéma structurel.

Found footage
Le found footage est une sorte de ready-made audiovisuel, une pratique d'appropriation
de la mémoire collective ou anonyme glanée dans les films des autres. Cette mise en abîme
permet d'interroger la matérialité propre au médium cinématographique, ainsi que son
histoire.

Fictions ouvertes
La convergence entre le cinéma expérimental et le cinéma de fiction peut surprendre. Ce
serait oublier que la narration est une des maintes possibilités du langage
cinématographique, et comme telle un champ ouvert à la recherche au-delà des confins
habituels.

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Ces films assimilent les normes du récit (personnages, situations, décors), mais en
subvertissent la hiérarchie. A la transparence narrative du cinéma classique, ils opposent
l'opacité de l'image ou du récit: ils inventent de nouvelles façons de raconter (ou non) une
histoire.
Journal filmé
Une forme du documentaire à la première personne qui privilégie l'enregistrement de
l'intimité, l'autoportrait et le récit d'expériences actuelles ou passées.

Surréalisme
Le surréalisme est l'un des premiers mouvements d'avant-garde à avoir voulu transformer
la façon de faire du cinéma. Les images sont ici des émergences de l'inconscient, elles se
juxtaposent selon une logique onirique, une poétique du fortuit. Aujourd'hui, il s'agit
encore d'une tendance esthétique très prégnante.

THEMES

I – Arts

Le cinéma peut être vu comme un art transdisciplinaire, une forme hybride susceptible
d'accueillir des éléments d'autres domaines artistiques. Quoique le cinéma expérimental
soit généralement à la recherche de l'essence du médium, en refusant les influences
littéraires ou théâtrales du cinéma narratif, nous observerons ici comment la spécificité
cinématographique peut se développer à partir de l'hétérogénéité. Dans cette logique
d'ouverture, nous souhaitons situer le septième art dans une perspective plus vaste de
pratiques et d'expressions.

Architecture
Le cinéma et l'architecture ont en commun la structuration et la mise en scène de l'espace
à travers un plan. L'écran n'est pas seulement un espace bidimensionnel, il incorpore la
quatrième dimension de la conscience ou du temps, la profondeur virtuelle de l'esprit qui se
substitue au parcours physique.

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Arts plastiques
Ces films mettent en évidence le versant graphique de l'art cinématographique, par leur
transposition des pratiques plasticiennes (peinture/collage sur film) ou de l'imaginaire
pictural aux images en mouvement.

Cinéma
Ici, l'écran devient un miroir qui nous ouvre l'abîme de la représentation. A travers la
citation directe ou indirecte, le cinéma réinterprète ses origines et ses icônes, réfléchit et se
reflète afin d'altérer les modèles établis.

Littérature
L'influence de la littérature sur le cinéma ne se résume pas aux schémas narratifs: elle
nous découvre aussi l'imaginaire des mots. A travers l'hybridation des moyens, nous
pouvons poser de façon originale la problème de l'adaptation et de la référence au texte.

Musique
Au lieu d'être, comme à l'accoutumée, un simple commentaire scénographique et
émotionnel, la musique est ici le modèle des images. La relation illustrative est alors
inversée: il s'agit ici d'appliquer à l'image un traitement formel qui reproduise la structure
musicale ou qui capte l'impression de l'écoute.

Performance/Installation
Ces formes artistiques contemporaines remettent en cause le statut du cinéaste: est-il
auteur ou spectateur? Certaines de ces actions ont été conçues pour la caméra, d'autres fois
elle n'en était que le témoin. En tout cas, il ne s'agit jamais de documenter un événement,
mais plutôt de considérer le filmage comme une interprétation.

Photographie
Filmer une photographie, cela revint à prendre le cinéma à rebours, à exhumer l'image
d'avant le mouvement. C'est rendre présente une image du passé, la fixation du souvenir
auquel seule la vision donne vie.

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Quoique, tout comme le cinéma, la photographie soit l'une des formes artistiques
déterminantes du XXe siècle, son accessibilité en a fait un “art moyen”, comme disait
Bourdieu: c'est aussi une pratique sociale et un moyen de communication.

II – Anthropologie

L'on pourrait accuser le cinéma expérimental de privilégier le formel au détriment de


l'humain. Ce serait tomber sous l'illusion de l'art pour l'art, comme si ces expérimentations
étaient étrangères à nos expériences. Encore qu'elle récuse l'anthropocentrisme du cinéma
traditionnel, l'expérimentation reste profondément mêlée aux possibilités humaines, parce
qu'elle représente précisément le fondement de la connaissance et de la création.

Corps et figure
L'individu est-il imaginable, ou reste-t-il indéfini entre corps et figure?
Le corps n'est pas seulement le réceptacle de l’identité, il est aussi le vecteur de l'altérité.
Le désir et les attitudes le font apparaître comme une forme expressive ou comme une
construction sociale.

Environnement et habitat
Différents espaces tracent différents rapports entre extérieur et intérieur: l'intimité d'une
chambre, l'organisation urbaniste, l'expérience familière et étrangère de la nature.

Ethnicité
Les moyens audiovisuels ont élargi les possibilités du témoignage ethnographique: le
spectateur découvrait des mondes lointains comme s'ils étaient présents. Parallèlement,
l'effet culturel du cinéma est proche du colonialisme, pour son uniformisation du monde
par l'image. Le reproduction technique de la réalité a défini les critères de l'autre et du
même.

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Dans cette sélection, les auteurs confrontent identités collectives et points de vues
individuels, en transgressant les frontières de l'ethnocentrisme. Les origines ne sont pas une
essence figée, mais une source de créativité.

Genre
Le cinéma expérimental, en tant que forme audiovisuelle marginale, a été un moyen de
communication idéal pour les minorités sociales, qui en firent un éloge de la différence ou
une critique du conformisme. La revendication féministe ou homosexuelle a permis de
montrer un imaginaire alternatif, l'envers du discours dominant.

Histoire et mémoire
Tout film est déjà souvenir, matière historiographique qui sédimente les deux faces de la
rétrospection. Le celluloïd enregistre les traumatismes collectifs du XXe siècle, mais aussi
le processus intime de la mémoire. Parce qu'ils manifestent un état de tension et de
suspension entre futur et passé, ces images nous révèlent la transcendance de l'instant.

Langage et communication
Le cinéma est-il un langage universel, comme l'on croyait à ses débuts? L’universalisme,
en tant que déni de l'altérité, nous a apporté la mondialisation: dans ce contexte, un
message critique, pour être efficace, doit conserver une part d'incommunicabilité.
Ces messages audiovisuels articulent de nouvelles relations entre parole et image,
déstabilisent les principes d'autorité à l’œuvre dans les moyens de communication de
masse.

Politique et société
Le cinéma expérimental n'est pas seulement un cinéma pour esthètes: il comprend des
œuvres engagées, qui reflètent leur environnement social avec ironie ou indignation. A
travers la pratique du found footage, le détournement de l'industrie culturelle articule la
révolution esthétique à la révolution politique.

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III) Esthétique

Abstraction
L’abstraction répond à l'idéal d'un cinéma pur, exclusivement optique. Comme dans le
domaine de la peinture, l'on peut en distinguer deux courants: le géométrique et l'informel.
Hors des techniques d'animation analogiques ou numériques, l'on trouve aussi des films
abstraits en images réelles.

Audiovisions
Dans le médium audiovisuel, la création sonore est aussi importante que la visuelle: des
tentatives pour visualiser l'auditif, la création de nouvelles sonorités ou la manipulation des
deux extrêmes du son, le silence et le bruit, afin d'arriver à une perception synesthésique ou
à une divergence poétique entre voir et entendre.

Contemplation
La contemplation a lieu quand le temps se fait visible, et que la fluidité de l'image
déborde toute possibilité de discours. Ces films semblent réaliser le désir de Cézanne:
montrer le monde avant l'homme.

(Dé)montages
La rupture du temps par l’intervalle met en évidence la caractère illusoire de la continuité
cinématographique. Les photogrammes autonomes ou les faux raccords réaffirment la
prégnance de l'individu au sein du groupe, de l'altérité derrière l'identité.
Par ailleurs, l'accélération ou la décélération du flux d'images nous fait éprouver une
temporalité différente, qui efface les limites entre chaque instant, et nous fait témoins de
l'éternel au sein même de l'éphémère.

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Kinema
Les possibilités cinétiques de la caméra offrent une forme d'expressivité proprement
cinématographique. Le mouvement du film présente une alternative aux lois de la physique
ou une métaphore du transitoire.

Morphologie
Ces films refusent la figuration naturaliste, illusionniste. Les expériences avec la forme de
l'image (fragmentations, inversions, déformations) mettent à l'épreuve les limites de la
perception et tentent de les dépasser.

Photosynthèse
La lumière est une métaphore traditionnelle pour la conscience. Mais elle est aussi le
corps de l'image, la substance qui l'informe. Ainsi le cinéma opérerait la synthèse du corps
et de l'âme.
Clignotements, reflets et ombres sont quelques unes des variations de la lumière
expérimentées par les cinéastes qui voulurent montrer l'essentiel par les moyens du
sensible.

Traces et transparences
Aussi bien dans la surimpression que dans la peinture sur pellicule, l'image est le support
d'autres images. Le film fonctionne alors à la manière d'un palimpseste: organisme ou
reflet de la conscience, qui conjugue durées et dimensions.

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Table des illustrations

p. 21: Capture de la vidéo: MUSEO REINA SOFIA, 20 octobre 2010, « Desbordamiento


Val del Omar » [en ligne], <http://www.youtube.com/watch?v=5HuVsw4Rs6E>. Consulté
le 5 juillet 2012.

pp. 21-22: Jonas Mekas, Jacques Ledoux, P. Adams Sitney et Peter Kubelka à l'Invisible
Cinema (1970) / Sièges de l'Invisible Cinema (s.d.)
Source : HALLER, Robert (éd.). Perspectives on Jerome Hill & Anthology Film Archives.
New York : Anthology Film Archives, 2005. 57 p. ISBN 9780911689259.

p. 24 : Vanderbeek devant le Movie Drome (s.d.). Source: « Black Mountain Museum to


show Vanderbeek: avant-garde filmmaker » [en ligne].
<http://www.artknowledgenews.com/2009_11_23_21_58_09_black_mountain_college_m
useum_to_show_stan_vanderbeek_avant_garde_filmmaker.html>. Consulté le 5 juillet
2012.

p. 25: Vanderbeek dans le Movie Drome (s.d.). Source : « Stan Vanderbeek / Illusionist »
[en ligne]. <http://www.revelinnewyork.com/blog/08/26/2009/stan-vanderbeek-
illusionist>. Consulté le 5 juillet 2012.

pp 28-30 : Photos de l'exposition « That's not Entertainment ! » (2007) tirées des archives
du CCCB.

pp 32 et 35 : Photos de l'Arxiu Xcèntric prises sur place.

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